Le père Hubert, trappiste, puis ermite puis abbé Le père H. était un hercule de la vie monastique. Hélas, comme c'est probablement le cas pour beaucoup des saints moines dont on ne sait le plus souvent rien, sa force spirituelle ne se laisse que très difficilement raconter. Il était de ce genre d'homme qui ne laisse jamais voir les miracles qu'il fait. Si nous frappions à sa porte il en effaçait minutieusement toutes les traces avant de nous ouvrir... Dans sa cellule toujours vide, ses mots et son regard devenaient vite pour son visiteur comme des fatalités impossibles à esquiver, mais il ne faisait pourtant pas peur. J'étais encore très jeune lorsque je l'ai connu. Mais comme je n'étais pas vraiment un chercheur de gourou. Il n'est jamais devenu mon gourou et d'ailleurs ce n'était pas vraiment son style... Il était plutôt timide et peu porté aux rhétoriques mondaines. Je l'ai rencontré la première fois dans ma première adolescence et il m'impressionna d'autant plus à l'époque qu'il revenait tout droit des bois où il avait vécu en ermite et d'où sa communauté le rappelait pour prendre en charge les nombreux novices (dont certains d'ailleurs semblaient arrivés là par la force de son charisme). Il n'eut pas l'occasion de retourner à son ermitage parce que dès qu'il y eut moins de novices, sa communauté en fit un abbé. Un nouveau venu arrivant à l'abbaye n'aurait jamais pu dire qu'il en était l'abbé puisqu'il a toujours méprisé les marques extérieures de la fonction. Il ne portait donc pas la croix pectorale, insigne de son rang, et au réfectoire où les portraits de tous les abbés s'alignaient le sien manquait évidemment à l'appel... Il appartenait encore à ces générations qui faisaient de la pénitence et de l'ascèse et de l'humilité le coeur de leur travail monastique. La rigueur, l'austérité de sa vie forçaient l'admiration, cela va de soi, mais ce n'est pourtant pas cela qui en faisait un moine hors norme car finalement, les grands ascètes ne sont pas rares dans les monastères. Cet homme avait gardé intacte -ce qui est relativement rare dans le clergé- un sens aigü des plus basses réalités de notre monde. C'est lui par exemple qui releva l'économie vacillante de son monastère par une une intuition sûre des valeurs qui durent et qui payent. C'est toujours à ses choix économiques judicieux que plus de cinquante ans après, son monastère est encore prospère et peut se permettre de financer mille projets charitables. (Pas question de boursicoter ou de de commercer avec ce genre d'homme, mais plutôt une production industrielle bien ciblée, bien pensée, de qualité et de bon goût...) Il avait une vie intellectuelle dont les sciences n'étaient jamais exclues. Mais ce qui frappait le plus dans son intelligence, c'est qu'il pouvait donner un destin cosmique au moindre caillou. À la manière d'un Teilhard qui aurait été mis comme par miracle à la portée de tous les écoliers, il me racontait la solidarité de tout à tout. C'est lui qui m'expliquait avec des mots simples, lorsque j'avais dix-sept ans, qu'il y a toujours moyen de se réjouir de vivre, même coincé entre quatre murs; il suffisait d'entrer en complicité avec le brin d'herbe qui vivotait entre deux dalles... Et je le croyais bien sûr parce qu'il y avait dans ses mots, dans le timbre de sa voix, dans ses yeux (qui ne me regardaient plus vraiment lorsqu'il m'expliquait cela), le souvenir manifeste d'anciennes jouissances mystiques dont il ne s'était jamais remis. (De ses jouissances mystiques, il ne m'a rien dit, c'est moi qui l'interprète car il va sans dire que pour m'expliquer les murs, les dalles et les brins d'herbes il avait utilisé des mots très raisonnables et même un peu de science!) Il ne parlait pas comme Sainte Thérèse d'Avila, mais il était pourtant, lui aussi, un grand sensuel. Le père H. était à coup sûr capable de jouir de tout. En toute simplicité, il jouissait donc de sa vie d'ascète! Ses sermons, sa voix, l'épaisseur de ses lèvres et même la couleur de sa chair suaient de cette sensualité comme d'autres suent de la graisse, de la bêtise ou de la vanité... Rien à voir donc avec ces ascètes maigrichons et blafards dont l'histoire de l'Église a fait choux gras. Ces jouissances spirituelles qu'il cachait mal aiguisaient ma curiosité... Lorsque je suis devenu un adolescent plus audacieux et plus railleur j'allais évidemment le sommer de me donner des explications plausibles à propos de la virginité ante et post partum de Marie. Lui, dont la catholicité était hors de tout soupçon, me renvoyait alors à la figure un:
Je sortais donc de sa cellule tout confondu, honteux même du ridicule de ma démarche et de cette présomption de ma raison qui aurait voulu mettre toute la mariologie dans sa cage... Bien plus que de justifier la virginité post partum de Marie, il avait réussi ce jour-là le défit de me faire comprendre en quelques minutes tout ce qu'il a d'insane et de nauséabond à croire que le monde pourrait un jour se comprendre en une formule mathématique... Je crois que beaucoup plus tard, les quelques architectes et autres théoriciens de l'art intelligents et de bonne volonté qui le prièrent d'expliquer pourquoi il avait décidé de restaurer son abbaye d'une manière aussi singulière sortirent de sa cellule en ressentant exactement le même genre de désarrois et de honte... Le père H. en effet est connu dans le monde profane pour avoir été l'abbé bâtisseur de la plus belle église romane de sa région. Je dis bien "romane" et pas "néo-romane"! (L'abbé avait su repérer et utiliser les talents singuliers d'un moine de sa communauté pour oser relever un tel défit. L'église n'a donc pas une symétrie à faire valoir, pas deux piliers identiques, pas deux arches de même taille, pas même une voûte...). Une vraie église romane du XXe siècle! Cela fit beaucoup jaser des intellectuels qui voulaient, eux, faire valoir les droits de l'art contemporain! Mais malheur aux essentialistes de la beauté moderne qui auraient accepté d'entendre les motivations du père H.! Il n'avait, lui, strictement rien à faire des tendances politiquement correctes en la matière ni des théories qui désignent les devoir de l'art...
Ah oui! Le père H. me vouvoyait toujours, même lorsque je n'avais que quatorze ans. Il m'a pourtant tutoyé plus tard, pendant une très courte période de ma vie et je n'ai jamais compris pourquoi, il a recommencé à me vouvoyer ensuite. C'était certainement mauvais signe... Ce genre de détail dit long aussi sur le personnage. Il est mort juste avant qu'Internet ne prenne son essor. À ma connaissance, on ne lui a pas encore dédié un site. C'est dommage. Mais puisque j'ai finalement pu dénicher quelques textes de lui auprès de ceux qui l'avaient aimé je lui dédie au moins ces quelques pauvres pages... J'espère bien pouvoir dans l'avenir collecter d'autres textes encore plus révélateurs de celui qu'il a été! (Il avait, entre autres activités, traduit tout le psautier à partir de l'hébreux et je voudrais bien faire main basse sur cette singulière création que je publierais sans état d'âme...) Je laisse bien sur de la place dans le site pour tous ceux qui voudraient écrire d'autres anecdotes à son sujet.
Prédications faites en 1978 Corpus complet des chapitres et sermons destinés à ses moines la première année de son abbatiat. (Table chronologique et thématique des allocutions est incluse dans le fichier).
Prédications faites en 1979 Corpus complet des chapitres et sermons destinés à ses moines la deuxième année de son abbatiat. (Table chronologique et thématique des allocutions est incluse dans le fichier).
Prédications faites en 1980 Corpus complet des chapitres et sermons de 1980 destinés à ses moines. (Table chronologique et thématique des allocutions est incluse dans le fichier).
Prédications faites en 1997 Corpus complet des chapitres et sermons de 1997 destinés à ses moines. (Table chronologique et thématique des allocutions est incluse dans le fichier).
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Prédications à ses moines classées par années Prédications faites en 1977 Prédications faites en 1978 (autre présentation:1978) Prédications faites en 1979 (autre présentation:1979) Prédications faites en 1980 (autre présentation1980) Prédications faites en 1981 Prédications faites en 1982 Prédications faites en 1983 Prédications faites en 1984 Prédications faites en 1985 Prédications faites en 1986 Prédications faites en 1987 Prédications faites en 1988 Prédications faites en 1989 Prédications faites en 1990 Prédications faites en 1991 Prédications faites en 1992 Prédications faites en 1993 Prédications faites en 1994 Prédications faites en 1995 Prédications faites en 1996 Prédications faites en 1997 (autre présentation: 1997)
Etude de la règle de saint Benoît Chapitre 52 Chapitre 55 Chapitre 67 Sur Marie
Sur l'église de l'abbaye N.D.de St Rémy Les restaurations de notre église
Pour le temps de Noël
Semaines saintes
Quelques autres homélies 2. Les Fêtes 8. Fête de la communauté et de nos collaborateurs
Encore d'autres prédications ...
Fête de la Présentation (Homélie)
Traduction du psautier à partir de l'hébreux
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