Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          27.01.81

1. Présentation et Introduction.

 

Mes frères,

           

Nous allons ensemble commencer la lecture de la Lettre Circulaire Annuelle de notre Père Abbé Général. Comme il l'avait annoncé dans sa réponse aux voeux que nous lui avions adressés cette lettre traite de la Dévotion à la Vierge Marie. Elle n'a donc pas l'ampleur ni la gravité de la lettre qu'il nous avait adressée aux environs de Pâques de l’année dernière, où il s'efforçait d'analyser la situation de l'Ordre au moment où l' on préparait le Chapitre Général.

Je ne m'attarderai pas trop sur cette lettre-ci, car il y a de cela deux ans peut-être [1] j'ai longuement ici parlé de l'approche théologique et contemplative de la Vierge Marie dans notre vie en commentant les hymnes de l'Office de Beata. Voici ce que dit le Père Abbé Général. D'abord un tout petit mot d'introduction :

 

Chers frères et soeurs,

 

Cette lettre vous apporte mes meilleurs souhaits d'heureux Noël et de nouvelle année toute remplie des bénédictions du Seigneur...

 

Lorsqu'on parle des bénédictions du Seigneur, n'allons pas vite penser une augmentation, un accroissement de la vente de la bière ! Pas d'épidémies à la basse-cour ! Pas trop de rhumatismes chez ceux qui y sont sujets ! Enfin vous voyez ! Les bénédictions du Seigneur, c'est autre chose que cela. Il va en parler dans le corps de sa lettre en référence aux béné­dictions qu'a reçue la Vierge Marie.

 

...En des temps comme ceux-ci où une tension politique croissante et les désastres naturels Font perdre coeur à beaucoup, la Bonne Nouvelle apportée par le Christ Notre Seigneur demeure plus nécessaire que jamais. Et nous ne devons pas craindre, nous chrétiens, de la proclamer...

 

Au moment où le Père Abbé Général a rédigé cette lettre – je vois qu'il la date de la Fête de l'Immaculée Conception - la situation mondiale était assez tendue. Depuis lors il y a eu un peu de relâche. Rien par exemple que par le fait de la libération des otages Américains retenus en Iran depuis 444 jours. Mais cela ne veut pas dire que nous vivions maintenant dans un paradis.

En Pologne, un syndicat indépendant s'efforce depuis mois de tenir tête au pouvoir communiste. Il a déjà obtenu des avantages sérieux. Mais le parti, sans doute téléguidé par Moscou, s'efforce maintenant de reprendre la situation en main, de rétablir son autorité. La tension, la température monte en Pologne. On peut s'at­tendre à une échéance plus ou moins longue ou brève à une inter­vention militaire Soviétique en Pologne.

Que se passera-t-il alors ? Mais rien du tout ! Comme il ne s'est rien passé lorsque les Soviétiques sont intervenus en Tché­coslovaquie, ou en Hongrie. On versera quelques pleurs, ici. Mais voyez, malgré tout, ce n'est pas pour assainir le cli­mat. L'Irak et l'Iran sont en guerre. On n'en parle plus mainte­nant, mais ils sont encore toujours en guerre. Les dégâts sont évalués à environ 2.000 milliards de dollars déjà, ce qui fait 60.000 milliards de nos francs. Ce qui permettrait à la Belgique de vivre à son aise pendant 50 ans. Voilà ! Et ces dégâts, en quelques semaines, en quelques mois ! Et ce n'est pas fini !

La Libye en guerre avec le Tchad qu'elle a envahit, qu'elle veut annexer. Des hommes qui prennent de suite le maquis. Voilà, ça c'est la situation politique tendue. L'Afghanistan qui est toujours occupé par les Russes ? Et là aussi des guérillas. Mais ce qui pour l'instant est le plus inquiétant, c'est ce qui se passe en Europe Occidentale, chez nous : le terrorisme, les assassinats politiques. Pas en Belgique, mais en Italie !

 

Et plus près de nous alors, ce qui nous touche en plein, c'est la crise économique de plus en plus dure. Dans notre petite Belgique, mais ma foi on ne sait pas trop bien ce qu'on va faire ? Les Anglais, dont la tête de pont d'une Fabrique d'automobiles Anglaises est en Belgique, viennent de fermer l'usine = 3000 em­plois perdus ?

On veut fusionner les grandes entreprises sidérurgiques Lié­geoises et région de Charleroi. Très bien, mais 4000 emplois en moins ? On veut fusionner plus largement encore avec le Grand-duché et même la Hollande, rationaliser pour tenir tête aux grosses Entreprises Américaines et Japonaises.

            La crise qui commence à s'étendre à l'Allemagne. Le mark qui descend parce que la crise devient dure en Allemagne aussi. Voilà la situation ici, des chômeurs, alors des troubles, des manifestations. Vous voyez, le climat n'est pas à la joie ! Et alors le Père Abbé Général nous dit :

 

...Il est plus nécessaire que jamais de proclamer la Bonne Nouvelle apportée par le Christ notre Seigneur...

 

Et quelle est cette Bonne Nouvelle ? La Bonne Nouvelle, mes frères, nous la connaissons : c'est que le Royaume de Dieu est tout proche. Il est tellement proche, qu'il est arrivé. Il est présent dans la Personne du Christ ressuscité. Mais un Christ qui avant de ressusciter a du être crucifié !

Et la Bonne Nouvelle, c'est l'Amour, c'est le respect de l'autre, c'est la bienveillance, c'est la concorde, c'est l'oubli de soi. C'est tout ce qui va contre la mentalité d'aujourd'hui, où c'est le plus fort qui l'emporte, le plus rusé, le plus malhonnête ! C'est cela, vous voyez, le monde d'aujourd'hui ! Comment voulez-vous être chrétien dans un monde pareil ?

Je vais vous donner un petit exemple encore. Je connais quel­qu'un qui travaille dans une Entreprise de distribution de produits métallurgiques, de compresseurs exactement, pour l'industrie et pour le privé aussi. Voilà, lorsqu'il se présente quelque part pour vendre, la première chose qu'on lui demande : Mais c'est très bien, les con­ditions sont extraordinaires. Nous sommes tentés d'acheter chez vous. Mais en cas de pannes, avez-vous les pièces de rechange ? Oh dit-il, aucun problème, nous les avons, ces pièces de re­change et tout de suite nous sommes là. Nous les avons en magasin, tout, tout, tout. Or, il n'y a pas une seule pièce de rechange ? S’il arrive quelque chose, il faut les faire venir d'urgence d'Allemagne, ou des Etats-Unis, ou de plus loin encore. Mais c'est ça aujourd'hui ! C'est le mensonge institutionnalisé pour vendre ! Il n'y a plus de confiance mutuelle. C'est exac­tement le contraire du Royaume de Dieu.

Le Royaume de Dieu, c'est l'ouverture, c'est être transparent l'un à l'autre, c'est accepter l'autre, se présenter soi-même tel qu'on est, nouer des relations qui permettent à chacun de s'épanouir, d'être heureux, d'être en sécurité parce que on se sait aimé. Or dans le monde aujourd'hui, dans les relations d'affaires, ça n'existe plus ou bien c'est extrêmement rare ! Ce sera chez des naïfs. On le trouvera encore dans les petites entreprises Familiales.

 

Mais aujourd'hui, lorsqu'il y a une concertation sociale au niveau Belge par exemple, on ne prend même plus l'avis des petites et moyennes entreprises. Ce seront les toutes grosses affaires et les Syndicats ouvriers. Mais l'entre-deux qui représente à peu près 50% du travail en Belgique, on ne le consulte pas ! Et ça fait crier.

Le Bourgmestre de RocheFort qui est Sénateur, a posé la question au Premier Ministre : voilà, pour quelles raisons n'avez-vous pas consulté les petites et moyennes entreprises ? C'en est un, lui, un petit entre­preneur ! Et le Premier Ministre n'a jamais répondu, et pour cause. Il ne saurait pas donner la raison, il n'oserait pas la donner. C'est cela le climat d'aujourd'hui !

Et là-dedans, nous devons encore proclamer la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu. C'est un devoir ! Plus que jamais, dit le Père Abbé Général. Oh mes frères, voilà, j'ai à peine commencé à parler qu'il faut déjà partir ! Et bien retenons cela et demain nous verrons comment c'est possible de la proclamer.

 

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          28.01.81

      2. Proclamer la Bonne Nouvelle – Marie notre Mère.

 

Mes frères,

 

Revenons à la lettre du Père Abbé Général. Il nous demandait, il nous rappelait plutôt que notre devoir était, dans les circons­tances mondiales difficiles de l'époque, de proclamer sans crainte la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu. Le monde a besoin de cette proclamation. Mais ça ne signifie pas que nous devons quitter notre clôture et courir les rues à la ma­nière de Saint François d'Assise pour annoncer que le Christ est présent et que son Royaume doit s'étendre.

Non ! Nous devons proclamer cette Bonne Nouvelle du Royaume par notre vie personnelle d'abord, et puis par notre vie communau­taire. Vie personnelle en premier lieu, sinon notre témoignage com­munautaire serait entaché d'hypocrisie. Et proclamer comment ? Mais si nous laissons chacun pour notre part le Christ prendre possession de nous, que nous soyons des ap­paritions vivantes du Christ pour nos contemporains, et si notre communauté est - mais en vérité - une portion du Royaume de Dieu, si à Saint Remy le Christ est vraiment le Roi, le Maître, celui que l'on suit, celui auquel on sacrifie tout, celui que l'on aime - en un mot - celui qui devient pour chacun des frères le sponsus, l’époux.

Naturellement nous devons prendre garde, ici, de ne pas tomber dans le triomphalisme. C'est un peu la tentation de tous les re­ligieux et même des moines ? Cela devrait être la dernière pour nous, parce que nous avons choisi de vivre dans le désert. J'ai quelque chose qui me trotte en tête à ce sujet là...et j'aurais peut-être l'occasion d'en par­ler un de ces jours ? Au cours d'une homélie par exemple, toucher quelques petits aspects de cette question.

 

Et c'est extrêmement important aujourd'hui ! Aujourd'hui, où de plus en plus, c'est mon impression, je l'ai encore remarqué au Chapitre Général, où les moines ne sont plus à l'aise dans leur peau. Ils perdent leur identité ! Il leur semble qu'ils seront eux-mêmes s'ils peuvent, je ne dirais pas plastronner - c'est un trop grand mot - mais s'ils sont entourés d'une foule d'admirateurs. C'est très dangereux ces petits relents de triomphalisme sans lesquels on ne sait plus vivre !

Non ! Nous devons plutôt être de véritables chrétiens, laisser le Christ vivre en nous et donc ne pas avoir peur de l'échec. Mais ça ne veut pas dire que nous devons courir derrière l'échec ! Non, nous devons faire tout notre possible. Mais si nous som­mes des chrétiens, nous sommes les disciples d'un Christ qui avant de ressusciter, a été crucifié. Sa vie s'est terminée dans le vi­de, dans le néant, vous voyez, dans l'échec absolu. Et il était Dieu !

C'est encore un détail, je pense, que même dans les monas­tères on oublie aujourd'hui  que le Christ Jésus, c'est Dieu ! On verra trop facilement et uniquement l'homme avec ses qualités humaines. Et on en fera comme un drapeau pour des reven­dications d'ordre social ou politique. Et c'est contagieux, cela, parce que c'est très enthousias­mant.

 

Ce sera peut-être la tentation de ceux qui vont dans les Pays du Tiers-monde pour y fonder de nouvelles communautés : présenter le christianisme monastique sous cette face et laisser dans l'ombre le fait que le Christ Jésus, c'est Dieu. Dieu à notre portée. Le seul Dieu avec lequel nous puissions entrer en contact immédiat, direct. Dieu le Père, jamais nous ne le verrons ! Nous le connaîtrons toujours dans l'expression parfaite qu'il est en la Personne de Jésus le Christ.

Voilà, mes Frères, nous ne devons pas avoir peur par notre existence personnelle, notre existence communautaire, de procla­mer la présence en ce monde-ci d'un Christ crucifié. Car, si maintenant Jésus ressuscité règne sur tout l'univers, son Corps mystique, lui, doit continuer à passer par le tunnel, et la nuit, et la mort que Jésus a connue. Nous ne devons pas en avoir peur ! Il faut du courage, mes frères, mais un moine, c'est un homme courageux !

 

Et en pratique, cela reviendra pour nous à mettre en appli­cation les conseils que Saint Benoît nous donne dans le Chapitre des Instruments du bon Travail, comme on dit aujourd'hui. Nous devons y prêter attention. Nous devrions les relire de temps en temps. On nous les présente pour l'instant au réfectoire. Ne les écoutons pas d'une oreille distraite, mais très attentive. Car on va nous dire des choses et peut-être qu'on se dira : Mais ça ne me regarde pas ! Ne pas tuer, ne pas voler, ne pas com­mettre d'adultère, tout ça !

Si ça nous regarde ! Car si nous ne le faisons pas en réel, ­nous le faisons peut-être combien de fois en imagination ? Ou bien par un désir quand on n’est pas bien ? Il y a des moments de tentations où tout le monde y passe. Un des plus grand mystique que l'Eglise ait connu, Siméon le Nouveau Théologien, a dans des admirables poèmes décrit ses pro­pres tentations à lui. Et ce sont celles-là, vous voyez !

Alors mes frères, essayons en vivant ce que Saint Benoît nous demande, en pratiquants les conseils qu'il nous donne dans ce Chapitre 4°, essayons d'être vrai. C'est à dire d'être con­forme au nom que nous portons, au nom de chrétien et au nom de moine. Et ainsi notre vie, tout simplement, sans ostentation, pro­clamera la Bonne Nouvelle.

 

Et le Père Abbé Général continue. Il entre lentement dans le corps de son sujet :

 

...Cette année, j'ai décidé de prendre pour thème la dévotion à Marie notre Mère. Evidemment, je ne puis rien dire qui n'ait déjà été dit par d'au­tres. Mais il vaut la peine, me semble-t-il, d'écrire quand même quelque chose puisque nous avons toujours eu dans notre Ordre une dévotion spéciale à Marie et que jusqu'ici, je ne vous ai encore rien écrit sur elle. J'ai d'ailleurs un plaisir personnel à le fai­re, car c'est à elle que pour une large part j'attribue ma vocation.

 

Il prend pour thème de sa lettre la dévotion à Marie Notre Mère. Oui, Marie est la Mère de Jésus, nous le savons ! Elle est aussi la Mère du Corps mystique de Jésus, cela, nous ne le savons peut-être pas assez ? Cela veut dire ceci : qu'il nous est impos­sible de faire l'économie de Marie.

Il est préférable de savoir qu'elle est notre Mère, et d'y penser, de manière à ne pas commettre des erreurs qui pourraient entraver le développement normal de notre vie surnaturelle, et aussi afin de collaborer à notre enfantement à la vie chrétienne qui est humano-divine. Je vous le répète, il est impossible d'y échapper !

De même que nous avons une mère au plan de la chair, sans elle, nous n' existerions pas. Nous sommes un morceau de notre mère.  Nous nous sommes détachés d'elle comme le fruit se détache d'un arbre. De même au plan de la surnature, de notre vie divine, il nous est impossible d'exister sans être mis au monde mystiquement par Marie. Cela, c'est un fait. Il n'est pas nécessaire de le croire. C'est un fait devant lequel il faut s'incliner. C'est même plus important que la foi.

 

Naturellement je ne veux pas, ici, évacuer notre attitude de Foi vis à vis d'elle, ni vis à vis du mystère de notre engendre­ment divin. Mais je veux dire, en utilisant ce paradoxe, que nous le voulions ou non, que nous l'acceptions ou non, nous sommes tous enfants, surnaturellement, de Marie, çà vaut pour tous les hommes sans aucune exception ! Le Père Abbé Général appelle donc Marie, notre Mère. Et il est dans la vérité. Et il nous demande d'avoir une dévotion spéciale à Marie. Il dit : elle est traditionnelle dans notre Ordre.

Mais lorsqu'on parle de dévotion, attention ! Il ne s’agit pas de faire du sentiment. Ce n'est pas de la sentimentalité. Cela pourrait très bien arriver chez des hommes, surtout chez des moi­nes. Nous avons vu dernièrement que le tout premier sens du terme moine était : celui qui vit sans femme. Nous pourrions donc sentir dans notre être une sorte de frus­tration à cause du fait que nous sommes sans femme...et chercher une compensation dans un sentimentalisme à l'endroit d'une femme idéale qui sera en même temps notre mère et qui s'appelle Marie ! Attention au sentimentalisme ! Ce serait malsain.

Non, lorsqu'on parle de dévotion spéciale à Marie, il s’agit d'autre chose. Il s’agit d'une conviction virile qui est assise, fondée sur une réflexion théologique approfondie. Cela ne veut pas dire que nous devons chacun devenir des théo­logiens spécialisés en Mariologie. Ce n'est pas cela ! Mais qui que nous soyons, nous devons savoir pourquoi et com­ment Marie est notre Mère ? Comment elle nous met au monde ? Et comment dès lors établir des relations filiales et confiantes avec elle.

Nous devons donc - nous sommes dans un monastère, nous ne som­mes pas comme ça dans le monde - nous devons donc y réfléchir, nous devons nous informer, nous devons étudier la question pour notre compte personnel. Je vous ai parlé de tout cela en profondeur, je le rappelle il y a un an ou deux. Il y a une approche monastique contemplative et mystique de notre relation à Marie. Lorsque sa mémoire revient, le samedi par exemple, c'est l'oc­casion de revoir un peu notre attitude vis à vis de Marie, la rec­tifier éventuellement, 1'approfondir, essayer de voir un peu plus clair.

 

Mes frères, voilà ce que le Père Abbé Général se propose. C'est de rappeler notre dévotion spéciale à Marie et nous ouvrir quelques pistes qui nous permettrons de vivre cette dévotion de façon vraiment virile, monastique et contemplative.

 

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          03.02.81

3. Où en est notre dévotion à Marie ?

 

Mes frères,

 

Mettons-nous à nouveau à l'écoute de notre Père Abbé Général. Il entre dans le corps de son sujet :

 

...Dans l'un de ses ouvrages, le Père Garigou Lagrange suggère que la dévotion à Marie passe quelques fois par diverses phases. Dans une première étape, elle est souvent assez su­perficielle et peut-être sentimentale ? Par suite, elle n'est pas en mesure d'affronter les épreuves du temps et a tendance à dépérir ou même à disparaître.

Dans une troisième étape, elle émerge de nouveau fortifiée par la lecture, la réflexion et l'expérience. Peut-être dans la providence aimante de Dieu, cette lettre sera-t-elle l'occasion pour certains d'entre­ nous d'apercevoir que nous sommes depuis quelques temps dans la deuxième catégorie, c'est à dire que nous avons laissé notre dévotion se refroidir, et ces­ser plus ou moins d'avoir une portée pratique sur notre vie.

On a dit que dans l'ensemble de l'Ordre la dévotion à Marie avait sensiblement baissé ces dernières années. Il est difficile d'en juger et j'hésite à me prononcer là-dessus. En particulier parce que certains des argu­ments avancés ne me semblent pas convaincants. Quoi qu'il en soit, si de fait il y a eu diminution, cette lettre sera un rappel de notre longue tradition, et une invitation à faire quelque chose à ce sujet...

 

Mes frères, nous nous reconnaissons peut-être dans les propos du Père Abbé Général. Mais s'il en est ainsi, ça ne doit pas nous étonner et encore moins nous attrister ! Pour ma part, je pense que la dévotion à Marie, elle suit en gros l'évolution des sentiments qu'un homme nourrit à l'endroit de sa mère à différents moments de sa vie, de sa croissance humaine. On peut distinguer : l'enfance, l'adolescence, l'âge mûr.

L'enfant reçoit tout de sa mère. Il reçoit l'affection, il reçoit la chaleur, il reçoit la sécurité. Il lui est impossible de se développer normalement s'il est séparé de sa mère. Il éprou­ve à l'endroit de sa mère une affection débordante, une affection puissante. Mais vous le comprenez bien, très sentimentale, ça ne peut pas en rester à ce niveau.

L'enfant grandit, il devient un adolescent. A ce moment, il s'éloigne de sa mère. Il a besoin de marquer son indépendance. Il doit prendre des initiatives. Il devient fort. Et puis, il est attiré par d'autres formes de féminités. Si bien qu'il en arrive à regarder sa mère avec une extrême condes­cendance, Peut-être parfois un rien de mépris ? C’est un vieux meuble, dira-t-il ou pensera-t-il. Il n'y a aucune malice la dedans !

Il est même bon que les choses évoluent ainsi ! Car si un garçon ne peut se séparer de sa mère, il va pendant toute sa vie, toujours, partout, rechercher sa mère, soit dans son épouse ? ou alors il recherchera, il épousera une compagne beaucoup plus âgée que lui. Ou alors s'il ne se marie pas, s'il entre dans un monastère, le Supérieur, l'Abbé sera le substitut de sa mère encore une fois ! Et s'il n'est pas chouchouté, il passe par des crises.

Mais il continue à se développer. Le voici parvenu à l'âge mûr. A l'âge mûr, lorsqu'on a le bonheur de conserver sa mère, on revient à elle. On la voit avec un regard neuf. On en découvre la grandeur et la noblesse. Et on sent en son coeur un amour pour sa mère. Mais ce n'est plus sentimental. C'est un amour qui est fait de respect, d'admiration, de virilité, et un amour qui dure. Voilà mes frères, je pense que j'ai dessiné correctement l' évolution dans ses grandes lignes.

 

Et il n'en n'est pas autrement dans nos rapports avec notre Mère au plan surnaturel. Nous sommes aussi de tous petits enfants au début. Puis nous commençons à devenir de petits hommes. Enfin nous devenons des adultes. Peut-être alors même, dans la vie monastique, des Seniores. Non pas des vieux ou des vieillards ? C'est un mauvais mot. Mais des Anciens qui ont une grande, une lourde expérience.

Et on retrouve alors les phases dont parle le Père Abbé Géné­ral. D'abord sentimentalisme. Puis : C'est des affaires de bonnes sœurs ! On s’éloigne de la dévotion mariale. Et puis alors, elle était endormie, elle ressurgit. Mais c'est tout autre chose. Et le Père Abbé Général demande que cette dévotion Mariale ait une portée pratique sur notre vie quotidienne.

Cela ne signifie pas que nous devons accumuler les pratiques de dévotion. Attention à la Mariolâtrie ! Accumuler des chapelets, des rosaires, des litanies, toutes sortes de dévotions !  C'est bien peut-être ? Mais enfin, attention, attention ! Il ne faut pas établir de règles valables pour tout le monde. Mais influence pratique ne veut pas dire accumulation de dévotions. C'est tout autre chose ! Est-ce que notre rapport avec la Vierge Marie est un rapport vrai ? Le Père Abbé Général va revenir sur ces points dans le corps de sa lettre.

 

Mais ce que je veux dire maintenant: c'est qu'il faut établir avec Marie une collaboration aimante et confiante à notre enfante­ment. Nous sommes enfantés par elle à la vie divine. Si elle est la mère de la Tête qui est le Christ Jésus, elle est aussi la mère des membres de cette tête, c'est à dire de chacun d'entre nous. Il nous est impossible d'être divinisé, si nous ne sommes pas en­fantés à la divinisation par la Vierge Marie.

C'est pour ça qu'on nous dit qu'elle est la Mère de l'Eglise. Elle est la Mère de Dieu et la Mère de l'Eglise. C'est à dire, mais bien réellement, au niveau surnaturel elle est notre mère.

Une dévotion pratique dans notre vie quotidienne, c'est être attentif à ce fait. Ce n'est pas y penser tout le temps, ce n'est pas ça que je veux dire. Mais savoir que nous devons collaborer à des avances qui nous sont faites.

Il n'est aucune impulsion de l'Esprit, aucune grâce comme on dira plus vulgairement, qui ne nous parvienne sans passer par Marie. C'est impossible, tout passe par elle ! Elle est le canal, comme dit Saint Bernard, elle est la porte ou la fenêtre. Toutes sortes d'images pour nous dire que nous ne pouvons pas échapper à Marie. Et bien, puisque nous ne pouvons pas lui échapper, collabo­rons !

           

C'est un peu comme……Imaginons un petit enfant qui dans le sein de sa mère aurait déjà toute sa conscience. Mais que ferait-­il ? Il s'arrangerait pour ne rien perdre de ces quelques mois qu'il doit passer là, pour qu'au moment de sa naissance il soit en bonne santé, qu'il soit déjà fort. Enfin qu'il ait toutes les qualités pour lui permettre de devenir un homme complet.

Il en est, toute analogie sauve, de même pour notre vie surna­turelle, notre vie divine. Nous sommes comme ça dans le sein de Marie. Soyons donc attentifs à tout ce qui nous est demandé ! Car, lorsque nous refusons quelque chose à Dieu, nous le refusons d'abord à Marie.

Donc notre dévotion, ici, elle est bien au-delà de petites pratiques dévotionnelles. Elle est vraie !

 

Le Père Abbé Général fait remarquer en finale qu'il semble­rait que la dévotion à Marie ait sensiblement baissé dans l'Ordre ces dernières années. Mais, dit-il, ce qu'on en dit, les arguments ne semblent pas très convaincants. Ce qu'on avance peut-être comme arguments, c'est ceci : on a supprimé le petit Office de la Sainte Vierge. Il n'y a plus de mois de Marie avec un salut tous les jours au soir. Le mois du Rosaire est évanoui. On ne parle presque plus de Marie à l'Office.

Ici, cela va encore ! Nous avons encore à la fin de chaque Office une petite antienne. Mais dans la plus part des monastères aussi, ça c'est disparu. Malgré ça, on ne peut pas dire que la dévotion est baissée. Disons que dans la pratique, peut-être que l'expression externe, extérieure, publique de la dévotion ? Oui. Mais ce n'est pas là que se situe la vraie dévotion. Elle se situe dans le coeur. Elle est affaire de conviction et d'engage­ment personnel.

Et si chacun personnellement est dans un rapport de vérité avec Marie notre Mère, même si communautairement ça ne s'exprime pas comme ça s'exprimait auparavant, la dévotion communautaire aussi est profonde. Et je pense aussi qu'on peut juger l'arbre à ses fruits. Encore une fois, il n'est pas nécessaire de voir chaque frère cir­culer partout avec un chapelet à la main. Ce n'est pas ça que je veux dire.

 

Mais les fruits, ce sont les fruits de charité, ce sont les fruits d'unité dans une communauté, ce sont les fruits de paix, tous les vocables dont Marie est ornée - à juste titre - dans les litanies par exemple. Et si on les retrouve vivant dans une communauté, mais c'est bien la preuve que Marie en est la mère, qu'elle est la mère de chacun des membres de cette communauté et de la communauté comme telle.  

Donc mes Frères, ne crions pas au malheur. Le Père Abbé Gé­néral lui-même ne crie pas. Il dit cependant que sa lettre voudrait être un rappel de notre longue tradition, et une invitation à faire quelque chose à ce sujet, c'est à dire rester fidèle à cette tradition. Parce que, reconnaissons-le, nous sommes des hommes et les hommes sont toujours paresseux de nature. La preuve ! C'est peut-­être la paresse qui est le moteur le plus puissant pour faire avan­cer la science.

Oui, parce que plus la science progresse, moins j'ai à tra­vailler ! On le voit, nous avons maintenant la semaine de 39 heures, 38 heures, 36 heures déjà dans certains secteurs. Maintenant en Pologne on fait la grève, c'est pour obtenir la semaine de 5 jours. Ils ne l'ont pas encore. On ne travaillerait plus le samedi. Mais pourquoi ? Alors toujours de nouvelles machines, de nouveaux outils, de nouveaux instruments pour travailler moins, tout en travaillant mieux. Nous n'avons pas à le regretter, c'est l'évolution de l'humanité qui va dans cette direction. Mais enfin, malgré tout, l'homme préfère de se reposer plutôt que de se fatiguer.

 

Alors notre tradition qui est longue, dit le Père Abbé Géné­ral, est une invitation à faire quelque chose. Et notre tradition, nous la connaissons. Notre tradition, elle remonte au début de notre Ordre. Je ne vais pas rappeler tout ça, vous le savez tout aussi bien que moi si pas mieux que moi ?

On appelait, dans l'hymne de la Fête de Saint Bernard, on l'appelle Mariae cithara, il est la cithare de Marie. Un homme qui chan­tait Marie par ses paroles et aussi par sa vie. C'est cela notre longue tradition !

On devrait, lorsqu'on nous voit agir, pouvoir dire : tiens c'est le fils d'une telle. Cela fait tant plaisir à la mère. C'est cela notre longue tradition : que nous puissions être fils de Marie sans faire partie de toutes sortes de clubs et de congré­gations. C'est autre chose ! Ce n'est pas inscrit quelque part ! On l'est !

 

Mais voilà, mes frères, Marie est notre Souveraine, elle est Mère parce qu'elle est la theotokos, parce qu'elle est la Mère de Dieu. Et comme nous sommes en train de devenir des Fils de Dieu, elle est aussi notre Mère. Retenons cela ! Et encore une fois, ne soyons pas étonnés si à l'âge où nous sommes parvenus dans notre évolution spirituelle nous ne ressentons pas beaucoup de sentiments à cet endroit ! C'est normal, ne nous en effrayons pas, demeurons fidèles. Et comme le dit Saint Benoît : processu conversationis et fidei, Pr.49. En avançant dans notre vie de Foi, devenant de plus en plus fils de Dieu et frères du Christ, nous nous découvrirons fi­nalement enfant de Marie.

Et nous en serons heureux, elle aussi, et notre dévotion sera durablement assise dans la vérité.

 

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          05.02.81

4. La dévotion mariale doit être réelle ou vrai !

 

Mes frères,

 

Le Père Abbé Général nous a dit déjà que habituellement la dévotion à Marie passait par diverses phases. Et il concluait : il faut que cette dévotion ait une portée pratique sur notre vie quotidienne. Il continue :

 

...Ce que j'ai à dire peut se grouper sous cinq titres. D'abord, notre dévotion à la Sainte Vierge doit être réelle ou vraie. Il n'est pas bon de la baser sur des suppositions ou sur des envolées de rhétorique, ou en­core sur des impressions sentimentales.

On a dit de Marie bien des choses intéressantes et vraisemblables mais qui ne sont pas réellement vérifia­bles. Nous n'avons pas besoin d'apporter à notre dévo­tion ces renforts douteux, puisque la vérité sur Marie telle que nous la trouvons dans les Evangiles et dans la théologie est bien plus profonde et solide. Nous ne devons pas non plus penser à elle d'une ma­nière qui la place au-delà de la condition de créature.

Il est vrai qu'elle a des prérogatives qui la mettent dans une catégorie spéciale. Mais nous ne devons pas les laisser obscurcir le fait qu'elle eut à ressentir le froid et la chaleur, la faim et la soif, la fatigue et l'envie de dormir, et d'autres multiples épreuves qui assaillent les êtres humains. Elle a eu comme n'importe qui à affronter les diffi­cultés normales de la vie. Et il n'y a avantage pour personne à les oublier ou à les passer sous silence.

En d'autres termes, la vrai dévotion exige que nous voyions Marie comme elle fut en réalité : une personne humaine qui s'est heurtée aux mêmes difficultés que nous. Mais une personne humaine préparée et ornée par Dieu de manière spéciale, et qui a pleinement répondu à sa vocation.

 

Le Père Abbé Général dit que la dévotion mariale doit être réelle ou vraie. Il emploie les deux qualificatifs synonymement quoi qu'il y ait entre eux une gradation : la vérité venant compléter, achever la réalité. La dévotion réelle est une dévotion qui répond à la res, à la chose concrète, à ce que Marie est concrètement tel que nous l'apercevrions si nous avions vécu avec elle dans son village, si nous avions été ses voisins.

C'est donc Marie concrète, réelle que nous devons appréhender. C'est elle qui est l'objet saint de notre dévotion. Mais cette dévotion doit aussi être vraie. C'est à dire qu'elle doit aller au-delà de la perception sensible. Nous devons entrer dans l'âme de Marie, dans son esprit, la saisir dans la globalité de ce qu'elle est. Et ici, devra intervenir la réflexion théologique, donc réelle ou vraie.

 

Et le Père Abbé Général nous met en garde contre trois écueils : le romanesque, le frelaté, et le mythologique. Le romanesque, cela veut dire imaginer une Marie sur idéalisée, construire à son propos un roman à partir d'un indice qui est vrai. Par exemple son Immaculée Conception, pas de péché ori­ginel, etc, etc. Monter là-dessus tout un roman, et toutes sortes d'histoires qui seraient arrivées. C'est une Marie qui n'est pas réelle. Elle n'existe pas, cet­te Marie-là !

Voilà par exemple, pas à propos d'elle, mais à propos de Christ et ça c'est un roman, je me souviens bien avoir lu cela. A propos de Marie je ne me souviens de rien ? Peut-être que vous, vous auriez vu quelque chose ? Pour le Christ, c'était ceci, mais on peut l'imaginer aussi par rapport à Marie. L'enfant Jésus quand il était petit pour jouer, pour s'amu­ser, il façonnait de petites colombes, ou de beaux petits oiseaux. Et puis alors il soufflait dessus, et puis ça s'envolait !

C'est très attendrissant, c'est du romanesque ! Et une Chris­tologie basée là-dessus, ça ne tiendrait pas trop longtemps ? Sauf peut-être dans mon esprit un peu fumeux ? Eh bien attention  Pour Marie ça pourrait être la même chose. Des suppositions, comme dit le Père Abbé Général, parce que alors, c'est l'escalade. A partir de là, on se lance dans des considérations rhétoriques, dans des envolées rhétoriques, lyriques à propos de Marie et on plonge dans l'océan de la sentimentalité.

 

Le résultat, c'est que notre dévotion, dans ce cas, elle por­te sur un fantôme et elle débouche sur le vide. Elle est donc fausse. Ce n'est rien du tout. Et si on veut analyser le phénomène, le culte que dans cette hypothèse je porte à Marie, en réalité je le porte à ma propre personne. C'est toujours ce complexe d'autolâtrie qui vient à la surface, et puis qui fait germer toute une végétation malsaine. C'est l'ensemble de mes frustrations, de tout ce que à quoi j'aspire et qui est hors de ma portée. Je l'idéalise, je l'imagine, je le projette sur cette femme idéale qui este Marie, mais dans le fond c'est ma propre personne.

C'est dangereux, c'est dangereux ! Si ça devait arriver à quelqu'un, on peut dire que sa vie spirituelle avorte, à moins qu'il ne reçoive un choc qui ne le remette dans la réalité et dans la vie. Et ce que je dis ici à propos de Marie, arrive tout aussi fa­cilement à propos du Christ.

 

Attention aussi, dit le Père Abbé Général, au frelaté ! C'est à dire à des renforts douteux. Il y a là peut-être un petit fon­dement de réalité mais là-dessus on a brodé encore une fois des histoires. C'est empoisonné, c'est frelaté, c'est une nourriture qui pro­voque des maladies. C'est infecté, et nous n'avons pas besoin de ça pour entretenir notre santé. Nous avons besoin, nous, d'une nourriture solide.

Et cette nourriture solide, nous la trouvons dans la sobriété des Récits Evangéliques. Nous n'avons rien à y ajouter. Et puis alors, dans la saine réflexion théologique. N'allons pas prendre de petits manuels de bas étage, mais chez les vrais théologiens qui ont connu Marie mystiquement parce qu'ils avaient une âme pure qui était en sympathie avec elle.

Ils ont à partir des récits Evangéliques pénétré dans l'âme de Marie. Ils ont vécus avec elle et ils peuvent alors en parler car leur âme à eux est devenue l'écho fidèle de l'âme de Marie.

 

Attention aussi, dit le Père Abbé Général, à la mythologie. C'est à dire imaginer Marie dans une condition qui la place au dessus de la créature. C'est cela la mythologie. Ce sont des sur­hommes ou des surfemmes ! Vous savez, vous avez Hercule, vous avez Jupiter, vous avez Mars, vous avez Venus, vous avez Mercure, vous avez Apollon, vous avez tout ce Panthéon mythologique. On peut très bien prendre Marie et la placer là aussi, au dessus encore. Donc, elle n'est plus une créature, elle est au-delà de la création.

Et ça, c'est aussi très, très dangereux ! Car, qu'arrive-t-il ? Elle est tellement au-delà de tout qu'elle devient inaccessible, inabordable. Et à la longue, dans une vie monastique, cela peut conduire quelqu'un au découragement ou bien à une sorte de dédain ou de mépris. Car, à vouloir faire de Marie une sorte de déesse, on finit par la dégrader et par l'avilir. Car dès qu'on entre dans le non ­vrai, qui est presque le mensonge, donc dans l'erreur qui peut friser le mensonge, il y a du diabolique qui s'introduit et cela se retourne toujours contre celui qui nourrit de tels sentiments.

Donc, mes Frères, le Père Abbé Général nous dit que nous n' avons pas besoin de tout cela, pas besoin de romanesque, pas de frelaté, pas de mythologique, mais une Marie réelle et vraie.

 

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          07.02.81

5. Marie en sa vérité.

 

Mes frères,

 

Le Père Abbé Général demande de vénérer la Vierge Marie en la saisissant dans sa vérité et dans sa réalité. Il nous fait re­marquer à juste titre que Marie était une femme, une créature exactement soumise aux mêmes conditions de vie que n'importe quelle femme de son temps. Elle ressentait les mêmes besoins que nous encore aujourd'hui : la faim, la soif, le froid, la chaleur, la fatigue, le sommeil. Elle avait besoin de nourriture, d'un abri, de chauffage. Elle devait se vêtir.  

Elle rencontrait les mêmes difficultés que nous: elle avait besoin de sécurité, de protection, de chaleur humaine. Elle devait, pour s'épanouir, rencontrer la joie, le bonheur comme n'importe qui. Nous ne devons pas l'imaginer impassible, au-delà de la condition humaine. Le Père Abbé Général nous deman­de de nous garder des écueils que sont le romanesque, le frelaté, le mythologique.

 

Non, Marie se heurtait aux mêmes difficultés que nous : les problèmes ménagers, les problèmes de santé. N'allons pas nous imaginer qu'elle n'avait jamais le rhume, qu'elle n'avait jamais la grippe, qu'elle n'avait jamais mal aux dents ? Elle avait aussi certainement des problèmes budgétaires : il est possible que les fins de mois étaient difficiles ? - ceci n'est pas un roman - son mari, Joseph, travaillait dans la charronnerie, dans la menuiserie.

Elle devait élever un enfant ! Et cet enfant était un vérita­ble petit d'homme. Il traversait des crises de croissances comme tous les enfants. Il a fait ses dents aussi. Enfin, aujourd'hui on vaccine, alors on ne vaccinait pas. Vous savez qu'on a posé la question à notre Frère Joseph : Jésus aurait-il pu mourir de la rougeole, je pense, à 7 ou 8 ans ? Voilà une grave question théologique !

Mais oui ! Mais à partir de là, c'est toute une option théo­logique qui se dessine. Et on rencontre ce que dit le Père Abbé Général : pas de mythologie quand on parle de Marie, et encore moins de Jésus !

 

Alors, elle n'était pas la seule de son village. Il y avait des problèmes de relation avec la parenté, avec les voisins, avec les clients. Et puis, elle s'est trouvée veuve. Il n'y avait pas de pension de survie à l'époque ! Voilà des problèmes, les problèmes de la vie. Et ça, c'est la Marie réelle et vraie comme le dit le Père Abbé Général. Je reprends à peu près ses mots, ici, je les glose un petit peu.

Il n'y avait donc rien qui la distinguait de n'importe quelle femme de son village. Son village ? Un petit trou, qu'on disait. Il n'y a rien de bon dans ce trou là. Quelle réputation n'avait pas Nazareth ? Et Marie était une femme de ce village de rien, où il n'y avait que des gens de rien, d'où il ne sortait rien de bon ! Vous savez, il y a des villages comme ça qui ont leur réputation.

Rien ne la distinguait, sauf une certaine façon de se tenir, une certaine façon de communiquer avec les autres. Il émanait d'elle une certaine Paix, une espèce de rayonnement qui devait produire soit une sympathie auprès de certaines personnes, mais aussi l'antipathie auprès d'autres. Voilà le sort de Marie !

 

Et si elle était telle dans son apparence extérieure, elle était cependant d'une singularité exceptionnelle qui venait de sa vocation unique d'être la Theotokos, d'être la Mère de Dieu. Et cela, il faut bien le savoir, personne ne le savait, per­sonne que Joseph. Et sa singularité était là ; ça veut dire qu'elle était unique. Elle avait été créée dans un état de pureté parfaite. Cela signifie qu'il ne se trouvait en elle aucune incli­nation au péché.

De son propre fond donc n'est jamais venu l'idée, ou l'envie, ou le désir de s'écarter de la volonté de Dieu, ce qui est le péché. Cela ne lui venait pas à l'esprit. Elle était tellement bien accordée à ce que Dieu voulait d'elle, qu'il ne pouvait pas surgir en elle l'envie de faire sa vie autrement que dans la volonté de Dieu. C'est cela que signifie l'Immaculée Conception. Elle était parfaitement exempte de toute inclination au péché.

Mais ça ne voulait pas dire que la tentation ne mordait pas sur elle. C'est autre chose ! La tentation venait de l'extérieur, tout à fait comme le Christ a été tenté. C'est le satan qui tentait le Christ, c'est le satan qui tentait Marie. Et elle a du être tentée comme aucune autre créature humaine l'a été, sauf le Christ !

 

Pourquoi ? Mais parce que - et ça c'est très psychologique - lorsqu'un tentateur, même un tentateur humain rencontre une personne qui ne veut pas céder à sa séduction, à sa tentation, il devient de plus en plus ardent et excité contre cet­te personne, à l'endroit de cette personne. Il n'aura aucun repos, aucun bien, aucune satisfaction aussi longtemps qu'il ne l'aura pas dans ses filets, qu'il n'en sera pas maître, qu'il ne l'aura pas fait tomber. Si jamais la personne cède, mais il n'y a plus d'intérêt, il n'y a plus de piquant, il n'y a plus de sel dans l'affaire. Non, il faut y aller et l'ardeur du tentateur ne fait que croître avec la résistance opposée par la victime.

Eh bien, il en a été ainsi avec Marie ! Et ça, il n'est pas nécessaire d'être grand psychologue pour le comprendre. Et on peut dire qu'après le Christ, c'est elle qui a subit les assauts les plus forts et les plus violents du mal, mais toujours à l'extérieur. Je veux dire ici ceci : qu'elle était d'une pureté parFaite. Il n'y avait dans son coeur aucune trace de malveillance, de mali­ce, de méchanceté. Il n'y avait que de la bonté, de l'amour, de la lumière. 11 n'y avait que cela !

 

Elle vivait dans un monde qui n'est certainement pas meilleur que le nôtre, où les gens vivaient dans les conflits ? Ce qui sortait le plus rapidement et le plus spontanément de leur coeur et de leur bouche, c'était la méchanceté plutôt que la bonté ? Voyez un peu ces bandes de commères ensemble ! Déjà aujourd'hui les commérages  même dans les salons très chics, qu'est-ce qui ne se passe pas ? Même dans des réunions de femmes vouées à l'apostolat ?

Vous savez, elles sont groupées autour d'un vicaire. Il y a des réunions pour organiser un apostolat de quartier, ou de je ne sais pas quoi ? Cela va bien un petit peu, mais alors une fois que le vi­caire est parti, on prend une tasse de café ensemble et puis alors ? C'est Madame une telle, elle aurait du faire ceci ; et celle-là, elle n'a pas fait ça ; et celle-là, c'est autre chose.     Vous voyez, c'est ça la nature humaine ! Eh bien, Marie, elle vivait là-dedans donc comme toute femme de n'importe quelle époque. Et ça devait la blesser, elle qui ne le soupçonnait même pas, ça ne venait pas en elle et elle baignait là-dedans ! Cela devait être une souffrance inimaginable, nous ne pouvons pas l'imaginer !

 

Car nous, lorsqu'à l'extérieur de nous nous rencontrons la malice, cette malice, elle éveille toujours un certain écho dans notre cœur parce que notre coeur perverti, malade est à l'unis­son de la malice de l'autre. Et ça arrive même que lorsque nous entendons dire du mal d'une autre personne, mais ça produit en nous un certain plaisir, une certaine satisfaction. Allez, reconnaissons-le, c'est bien ainsi !

Eh bien chez Marie, c'est exactement le contraire. Cela pro­duisait chaque fois une souffrance parce que le mal venait sur elle. Il l'enveloppait, il essayait d'entrer mais il n'y pouvait pas. Et ça, ça a été la vie de Marie tout le temps, tous les jours. Donc, son privilège d'être entièrement pure avait comme con­trepartie une souffrance perpétuelle que nous ne pouvons pas ima­giner ?

Lorsque nous progresserons dans la vertu, dans la pureté du coeur, lorsque nous deviendrons lumineux, lorsque nous serons de plus en plus des fils de Dieu en devenant des fils de Marie, alors nous partagerons les angoisses et les souffrances qu'a con­nues Marie. Jamais au même degré naturellement, mais un petit peu, et alors nous la comprendrons mieux.

 

Mais il y a aussi, chez Marie, comme contrepartie aussi, c'est que ayant été soumise à tous ces assauts du mal, elle comprend très bien - c'est ça qui est beau - elle comprend très bien qu'on puisse y succomber. Elle sera donc toujours suprêmement indulgente, elle compren­dra. Jamais elle ne condamnera, mais jamais !

On la représentera au pied de la croix. C'est une scène que nous voyons sur des tableaux, sur des calvaires comme on dit. Il y en avait un auparavant là au-dessus de la colline - la Croix, Marie d'un côté, Jean de l'autre - ça paraît très tranquille ! Encore une fois, nous ne pouvons pas nous représenter ce que c'est !

Nous avons entendu le récit de ces martyrs Japonais qui avaient été crucifiés. Mais quand on entend lire ce récit, mais ça paraît très serein. Mais ces hommes, sur la croix ils tenaient des discours très édifiants, ils prononçaient des sermons. Eh bien, ils n'étaient sans doute pas trop mal ? Voyez ! Il y a là un enjolivement, un embellissement qui cache, qui camoufle la vérité. Non, ça devait être horrible !

           

Or, Marie était là, debout, et elle ne disait rien, elle ne se révoltait pas, elle entrait dans la volonté de Dieu jusqu'à là. Mais qu'est-ce qu'elle ne devait pas souffrir ? Parce que c'était le comble de la méchanceté humaine qui était là, présente, au moment où son fils, le fils de Dieu, était mis à mort ; où Dieu était jeté hors du monde et plongé dans les abîmes de la déréliction absolue, là où il n'y avait plus de Dieu, où il n'y avait plus rien que l'obscurité de l'anti-Dieu, du péché personnifié.  

Eh bien, Marie était là et elle ne se révoltait pas. C'est cela ! On peut dire qu'elle comprenait la malice des hommes. Et avant même que le Christ ait dit : Pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font, elle, elle avait déjà prononcé cette parole dans son coeur.

Voilà, mes frères, Marie dans sa vérité. Donc une femme toute ordinaire, toute simple qui ne se distinguait pas des autres. Mais d'une singularité exceptionnelle, car la malice n'avait aucune trace en elle. Et à cause de cela, ce qui l'entourait, le mauvais qui l'entourait la faisait terriblement souffrir. Mais ça la ren­dait très proche de nous.

 

Je n'ai pas fini, mais il est temps d'aller à l'église. Nous ne devons pas nous presser. Il est toujours bon comme ça de réflé­chir ou de méditer ensemble plutôt. Car ceci, c'est une sorte de méditation devant vous à celle que nous appelons notre Mère.

Je vous l'ai rappelé dernièrement encore, nous devons sans cesse revenir, réfléchir à ce qu'elle est, car nous ne pouvons pas y échapper. Elle est comme on dit en théologie la Médiatrice de toutes les grâces. Et notre divinisation, même si sa source est dans le Christ, et si elle est opérée en nous par l'Esprit, elle passe toujours par le canal de Marie.

 

 

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          10.02.81

6. Ne pas être centré sur soi !

 

Mes frères,

 

Nous avons vu que le Père Abbé Général demande que notre dé­votion à Marie soit réelle ou vraie. Nous devons nous tenir en garde contre le danger du frelaté, du mythologique et du roma­nesque. Nous devons voir Marie telle qu'elle est : une femme qui a partagé notre condition humaine dans sa totalité, sauf le péché. Elle a connu nos besoins, nos difficultés.  Rien ne lui a épargné. Malgré tout, elle était un être d'une singularité excep­tionnelle, car elle n'a jamais connu le péché.

Elle a senti sur elle la pression du péché car elle vivait dans la société des hommes. Elle en a terriblement souffert. Nous ne pouvons pas nous imaginer sa souffrance ? Mais elle était de côté là différente de nous ! Si bien que par une partie de son être, elle est à notre portée et par une autre, elle est très éloignée de nous. A la fois très proche donc et très éloignée.

 

Maintenant, dans les circonstances actuelles, car à mesu­re que nous sommes transformés en l'image du Christ - on l'a encore lu maintenant à l'Office des Vêpres : Nous tenant dans la Lumière de Dieu qui rayonne de la face du Christ, des yeux du Christ, cette Lumière incréée vient sur nous et elle nous transforme d'image en image jusqu'à ce que nous soy­ons conformés parfaitement à l'image du Christ Jésus qui lui­-même est l'image du Père. A ce moment nous sommes devenus les enfants achevés de Marie.

Alors, entre Marie et nous, il n'y a plus cet hiatus qui ex­iste aussi longtemps que nous sommes trop enfoncés dans le pé­ché. Lorsque nous ne le sommes plus du tout - disons qu'après la résurrection des morts il n'y aura plus un lointain chez Marie, elle sera entièrement proche de nous - nous serons tout à Fait comme elle.

 

Il y a cependant un aspect sous lequel nous pouvons l'imi­ter de suite. Et c'est celui-ci : c'est de ne pas vivre centré sur nous-mêmes et d'assommer les autres de nos jérémiades, de nos récriminations, de nos plaintes au sujet de notre santé, de notre travail, de nos soucis.  Vous en avez peut-être quelques fois fait l'expérience ?

Cela se rencontre souvent chez les personnes du monde. Vous par­lez avec quelqu'un et puis voilà que - mais c'est presque cha­que fois, presque chaque fois ! - c'est pour entendre raconter tous les déboires de cette personne. Tout y passe: sa santé, sa famille, les enfants, les voi­sins, le travail, les affaires, tout, tout, tout ! Mais voilà ! Et qu'est-ce que vous êtes, là ? Eh bien, vous servez de dépo­toir et de poubelle à tout ça ! Et vous devez le prendre.

Eh bien, ça pourrait nous arriver à nous aussi dans le monas­tère. Disons que l'Abbé, c'est un peu son rôle d'être ainsi la poubelle des frères. Il ne faut pas s'en gêner, savez-vous, C'est une partie de son rôle. S'il se dérobe à cela, il faillit à son devoir. Mais enfin, essayons tout de même de ne pas être ainsi, du moins à ce point-là centré sur nous !

 

Saint Benoît le dit bien : lorsqu'il y a quelque chose qui ne va pas, une pensée perverse, ou bien un problème, il faut de suite le révéler, le dévoiler à l'Abbé ou au Père Spirituel pour en être guéri. L'Abbé agit donc ici comme médecin, ou bien l'Ancien Spiri­tuel ? Donc ils sont à leur place. Mais ce que je veux dire, c'est que vivre centré sur soi, et alors toujours récriminer dans l'oreille des confrères, dans l'oreille des autres, ça ne va pas. Marie n'a jamais fait ça, jamais !

Que faisait-elle ? Il nous est dit qu'elle tirait dans son coeur la leçon des événements. Elle les vivait, elle les réflé­chissait, elle essayait avec les moyens qui étaient les siens de déchiffrer la Parole, le message que Dieu lui envoyait à travers l'événement. Elle y entrait, elle se laissait pénétrer, travail­ler par cette Parole et transformer par elle jusqu'à coller à la Parole et être un avec elle.

Donc, elle entrait, elle, dans l'événement pour se nourrir de l’événement et en même temps le maîtriser. Elle pouvait le faire avec plus de facilité que nous car elle n'avait jamais rien refusé à Dieu.

 

Nous, noue nous considérons trop facilement comme des victi­mes, même si c'est Dieu qui agit. Et là, je pense que nous pouvons de suite imiter Marie. Ce n'est ­pas au-delà de nos forces, c'est même relativement facile. Il suffit d'être attentif, d'être vigilant, de ne pas se lais­ser emporter par le torrent des pensées qui peuvent naître à pro­pos de ce qui nous arrive.

Il faut donc, me semble-t-il, vivre de plus en plus dans la compagnie de Marie, c'est à dire dans son rayonnement. Je rappelais la phrase de l'Apôtre Paul : « La Lumière qui rayonne du visage du Christ arrive jusqu'à nous, elle nous baigne, elle nous réchauf­fe, elle nous transforme. Mais dans le concret, elle arrive à nous toujours à travers la lentille qu'est la personnalité de Marie.

Saint Paul n'en parle pas ! Pourquoi ? Parce que ce n'était pas sa préoccupation du moment. Il n'y a pas pensé. Ce ne lui est même pas venu à l'idée. Mais ça n'empêchait pas tout de même que ce fut ainsi. C'est par après que la réflexion théologique a creusé cette réalité. Et je dis en d'autres termes, plus simples peut-être, ce que l'Eglise affirme, ce que le dernier Concile a rappelé : que Marie est Médiatrice de toutes les grâces.

 

C'est un peu abstrait ! Une Formulation dogmatique abstraite ! Disons que la Lumière du Christ arrive jusqu'à nous à travers la lentille qui est Marie. Mais alors, elle se charge de toutes les qualités de la per­sonnalité de Marie, et nous en sommes colorés, et nous en som­mes embellis. Et ces qualités de la personnalité de Marie, ce sera l'humilité. Elle va nous faire prendre conscience que nous sommes des pécheurs appelés à devenir des saints.

Plus nous approcherons de cette sainteté, donc plus nous­-mêmes nous deviendrons Lumière du Christ, plus les moindre taches, les moindres grains de poussières vont apparaître. Il nous semblera donc que nous devenons de plus en plus pé­cheurs, quand nous devenons au contraire de plus en plus saint ! C'est cela l'humilité !

Alors, Marie va nous donner en plus une autre petite touche, une autre couleur, une autre coloration : ce sera la confiance. Car le véritable pécheur, celui dont je parle maintenant qui ap­proche de la sainteté, il a en Dieu une confiance qui ne cesse de grandir. C'est cette confiance qui lui permet d'opérer des miracles sur sa propre personne d'abord. Car il est tellement ouvert à cette lumière, que la lumière peut réaliser dans cet homme n'im­porte quoi, toujours dans la ligne de la divinisation.

 

Mais alors, ayant cette confiance pour lui, il l'a pour les autres. Et ainsi, il y a une réverbération de cette Lumière qui arrive à travers la lentille de Marie, une réverbération, de nou­veau à travers cette lentille, sur les autres. C'est alors dans sa réalité la plus belle la Communion des Saints qui fait que ce que un pâtit en bien, cela se répercute de suite sur les autres. Il y aura donc cette confiance qui va jusque là !

Mais aussi, il y a l'endurance, savoir durer, ne jamais se lasser, ne jamais être découragé. Car nous autres, nous serions heureux de devenir des saints, si ça pouvait se faire en un clin d'oeil. Non, Marie nous apprend non seulement par son exemple, mais encore une fois par la couleur qu'elle projette sur nous - quand la Lumière de Dieu passe à travers elle, avant de nous atteindre - ­cette qualité qui est de savoir tenir, cette patience, cette en­durance.

Et ainsi, notre obscurité devient lumière. Et notre vision du monde, elle se transforme. Elle se transforme dans cette vertu divine qui était aussi au coeur de Marie et qui d'ailleurs pos­sédait son corps tout entier, et qui est l'Amour. C'est-à-dire : ne plus voir les hommes, ne plus voir les évé­nements, ne plus voir les choses que comme Dieu les voit, c'est à dire avec un regard d'amour.

 

Et tout cela, le point de départ de tout cela, c'est quasi­ment rien du tout : c'est de ne pas être centré sur soi ! Donc, ne pas opérer de retour sur soi, mais d'être ouvert, de sa­voir interpréter dans son coeur les événements, savoir les rap­porter à leur source qui est Dieu, se laisser éclairer par eux, car il sont chargés d'une puissance incroyable, fantastique d'amour.  

Donc les accueillir à travers Marie, se laisser transformer, les réverbérer, et ainsi jeter sur toutes choses, sur tous les êtres, sur tous les hommes, sur tous les frères surtout dans un monastère, cette lumière de l'amour qui est rien que moins que la Personne de l'Esprit et la Personne de Dieu.

 

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          14.02.81

7. Une dévotion théologique !

 

Mes frères,

 

Le Père Abbé Général nous a dit dans un premier point que no­tre dévotion à la Sainte Vierge devait être réelle ou vraie. Il poursuit :

 

...Ceci nous amène logiquement à mon second point. Notre dévotion à Marie doit être théologique. Comme je l'ai dit plus haut, nous n'avons pas be­soin de nous baser sur des considérations d'une au­thenticité douteuse. La théologie Mariale n'est pas encore parfaite, mais elle s'est suffisamment déve­loppée pour donner à notre attitude envers Marie un fondement solide.

Elle est la digne Mère de Dieu, Mère de Jésus notre Sauveur, étroitement associée à lui dans l'oeuvre de notre Rédemption. Elle est notre Mère aus­si puisque nous sommes membres du Corps Mystique du Christ. Elle est Immaculée, pure de tout péché et modèle de toutes les vertus, bien que sa vie ait été toute ordinaire dans ses aspects apparents.

Dans ces vérités et dans celles qui en découlent, nous avons quelque chose de solide et sûr qui nous remplit de respect et d'admiration tout en mainte­nant la prééminence du Christ dans le mystère de notre salut et de notre sanctification. Marie a reçu ces privilèges précisément pour la disposer à être la Mère du Christ et notre Mère aussi.

Il n'est pas nécessaire non plus d'avoir un di­plôme de théologie pour estimer à leur prix ces hautes vérités. Ce qu'il faut, c'est une Foi sim­plement et humainement ouverte à la Parole de Dieu.

 

Notre dévotion à Marie doit être théologique, dit le Père Abbé Général. Cela veut dire ceci : elle doit être inspirée et animée par Dieu. Elle doit avoir son origine en Dieu, et elle doit nous conduire plus loin à l'intérieur de la divinité. Je dis la divinité, parce que Dieu lui-même ne peut pas être exploré par nous ! Mais la nature divine à laquelle nous partici­pons peut très bien devenir l'objet d'une pénétration spirituelle de plus en plus grande.

Ce sera d'ailleurs notre immense bonheur lorsque nous verrons Dieu face à face, participant toujours davantage à sa nature, nous entrerons d'une certaine façon à l'intérieur de la divinité. Marie ne sera jamais un terme en soi. Elle ne se dressera pas comme un écran entre Dieu et nous. Non, elle s'efface.

La théologie Mariale est donc un portique qui nous introduit à une connaissance et à un amour toujours plus vrai de Dieu. Nous devrions essayer de retrouver la vigueur et la force percutante des mots. Théologique veut dire : qui partage la vie divine, qui est porté par Dieu. Comment notre dévotion Mariale sera-t-elle donc théologique ? Donc animée par Dieu ? Elle le sera de la chiquenaude initiale à son couronnement.

 

Voyons au départ ! Au départ, elle est entièrement dépendante de la Parole de Dieu qui la lance. C'est la Parole de Dieu seule qui nous dit qui est Marie : sa personnalité, sa mission, sa con­duite, la façon dont elle a été ouverture, accueil et réponse. Tout se trouve dans l'Ecriture, tout nous est dit par Dieu lui-même. Marie ne se présente pas par elle-même ? Non, elle est présentée par Dieu. Et c'est ce qui est pour nous une base inébran­lable lorsque nous voulons nous approcher d'elle.  

J'ai failli di­re : lorsque nous voulons réfléchir à elle. Mais alors, si j'emploie le terme réfléchir, c'est avec infi­niment de respect. Non pas que l'on objectiverait la personne de Marie, qu'on la traiterait comme un objet de réflexion, mais com­me on réfléchit, comme on revient sur une personne que l'on a ren­contré, que l'on aime, que l'on voudrait connaître d'avantage de façon à l'aimer toujours mieux.

Cette Parole de Dieu, elle sollicite donc, et notre Foi, et notre amour. Elle va, à mesure que nous avançons dans notre vie personnelle et spirituelle, cette Parole de Dieu va nous confier à l'Esprit de Dieu. Et cet Esprit de Dieu va nous éclairer, il va nous entraîner, il va nous introduire dans les secrets de la personnalité de Marie.

 

Il faut savoir que cet Esprit de Dieu repose sur Marie. Cet Esprit l'enveloppe, la pénètre. Elle est entièrement spirituelle. C'est donc l'Esprit,qui est le compagnon inséparable de Marie, qui va nous prendre comme par la main et nous conduire chez Marie, dans son intimité, dans sa maison, dans ses secrets. Il est donc comme un huissier, ou bien un concierge, celui qui nous guide et qui nous conduit là où personne ne peut entrer qui ne soit pas lui-même vêtu de la livrée de l'Esprit.

            Vous comprenez un peu maintenant ce qu'est une dévotion théo­logique. Ce n'est pas faire des spéculations intellectuelles. Non, c'est notre dévotion devenant de plus en plus participante de la nature divine qui, porté par le Père, purifié par l'Esprit, et alors guidé par l'Esprit, entre dans les endroits où Marie habite. Une intelligence humaine, mais purement humaine ici, pourrait très bien réfléchir sur Marie - je pense que le Père Abbé Général va en parler dans un point suivant - mais Marie resterait toujours étrangère. Il n'y aurait pas cette rencontre que seul peut organi­ser l'Esprit.

Maintenant, lorsque avant ça encore, on arrive au terme de l'évolution spirituelle, au jour où on peut dire en toute vérité à Dieu : Père, alors, on se découvre enfant de Dieu, le Père, avec Marie comme Mère. Les deux sont inséparables ! C'est alors que Marie à presque -aussi longtemps que nous sommes sur terre, ce n'est pas fini - mais disons qu'elle a quasiment achevé, terminé sa mission à l'endroit de cet enfant. Et notre dévotion est demeurée théologique depuis le début jusqu'à l'arrivée.

Et on découvre ceci : c'est que l'itinéraire spirituel qui a été suivi n'était rien d'autre qu'une découverte de Marie comme Mère. Mais une Mère qui est toujours in actu parturiendi, c'est à dire une Mère qui est toujours en train de me mettre au monde. J'ai été au départ à l'état d'embryon, puis me voici devenu un foetus et je m'organise, je grandis, je me forme, mais je suis toujours en Marie.

 

Il Y a une grande différence entre une mère naturelle, une mè­re charnelle et Marie qui est ma mère au plan de ma nature divine, au plan de ma divinisation. A un moment donné, chez ma mère, notre mère selon la chair, il y a une séparation de l'enfant par rapport à la mère. Et puis, l'enfant, à mesure qu'il grandit, prend de plus en plus de recul par rapport à la mère. Il suit son évolution personnelle. Et parfois même, il peut oublier sa mère, s'en désintéresser.

Chez Marie, ce n'est pas possible ! Le recul par rapport à Marie, c'est à dire un certain recul par rapport à Marie se présen­tera pour nous à la résurrection des morts, pas avant ! Aussi longtemps que le Christ n’est pas totalement formé en moi, que l'image du Christ n'est pas parfaitement réalisée en moi, je suis toujours en train d'être mis au monde par Marie. Oui, c'est ça que je yeux dire : que notre itinéraire spiri­tuel jusqu'au point le plus élevé, c'est une découverte que Marie est notre Mère.

Maintenant, après la résurrection des morts ? Vous allez dire que je vais très loin, que j'extrapole ? Non, je suis la courbe. Et nous, à ce moment-là, nous serons entièrement devenus en­fants de Dieu, autres Christ, répliques du Christ, frères du Christ. Et Marie sera en face de nous comme notre Mère, mais notre Mère ayant accompli sa tâche. L'enfant est venu au monde, il est en face de sa Mère, sa Mère peut l'admirer, et lui peut admirer sa Mère. MAIS, ce sera après.

 

Maintenant, il n'y aura pas un recul au point qu'il y aurait une perte de vue comme ça arrive parfois ici sur la terre entre une mère charnelle et son enfant ? Non, là il y aura toujours une contemplation mutuelle : Marie félicitant son enfant, et l'enfant remerciant et acclamant sa mère. Voilà maintenant notre dévotion théologique arrivée au-delà même de ce qu'il est possible de réaliser sur terre.

Mais vous voyez ! C'est très logique, c'est une magnifique courbe ! Malheureusement comme nous sommes des pécheurs, ce n'est pas une belle courbe. Mais elle va, vous savez, elle ondule ! Maintenant allons vite à l'église ! Et lorsque nous chanterons le Salve Regina, et que nous dirons : Mère de miséricorde, Mère qui nous aime, nous penserons, si vous le voulez bien, à ce que je viens de vous rappeler maintenant.

 

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          17.02.81

9. Une dévotion personnelle !

 

Mes frères,

 

Revenons-en une fois encore à la lettre du Père Abbé Général. Il poursuit :

 

...Nous en arrivons à la troisième marque de la vraie dévotion à Marie. Elle doit être personnelle...

 

Il s'étend assez longuement sur ce trait d'une vraie dévotion Mariale.

 

...Ce qui a été dit jusqu'ici peut sembler assez froid, technique et impersonnel. C'était théologique ! Il y a chez les théologiens une tendance à traiter de Marie com­me si elle était un objet, la synthèse d'une série de propositions dogmatiques.

Mais non, elle est une personne réelle, aimante, cha­leureuse. Nous devons la traiter comme une personne, plus exactement comme une mère. C'est l'un des traits frappants de nos Pères Cister­ciens. Bien qu'ils se soient souciés d'exactitude théolo­gique - Saint Bernard, par exemple, refusa d'accepter l’explication alors courante de l'Immaculée Conception, parce qu'elle n'était pas fondée sur une théologie soli­de - ils ne se sont pas pour autant laissés entraîner à faire de Marie une abstraction.        

La manière dont le Bienheureux Guerric d'Igny explique comment Marie forme spirituellement le Christ en chacun de nous en est un bon exemple. Et que peut-il y avoir de plus personnel que certains passages de Saint Aelred ?

Mais notre dévotion doit encore être personnelle en un autre sens. Elle doit être nôtre, quelque chose que nous avons développé en nous-mêmes sans oublier l'aide de la grâce divine, et pas seulement la copie servile de ce que d'autres font. Elle doit être une part de nous­-mêmes.

Cette attitude personnelle dépendra évidemment de no­tre caractère propre, de notre tempérament et de notre croissance spirituelle. A mesure que s'approfondira notre vie de Foi et d'amour, nous nous rapprocherons de Marie qui est au coeur de l'Eglise et de tous les mystères chrétiens. Nous apprécions mieux sa vie de Foi et d'amour menée à la perfection dans le traintrain des petits devoirs quotidiens.

Nos pratiques extérieures de dévotion pourront dimi­nuer même s’il doit toujours en rester quelques unes. Mais notre dévotion intérieure sera plus mûre et plus unifiée parce que davantage en contact avec la sainteté de Marie dans ses aspects les plus profonds. Nous serons moins préoccupés d'étendre nos connaissances sur la Sainte Vierge que de pénétrer plus profondément celles que nous possédons déjà.

C'est comme progresser dans la connaissance de toute personne humaine, ce n'est pas une affaire de raisons abstraites ou d'examens critiques, mais de communication à un niveau profond qui nous engage tout entier et nous mène à une sorte de communion.

La démarche n'est pas éloignée de celle par laquelle un fils ou une fille adulte se met à mieux apprécier les qualités de leur mère. Les années passent, leur pro­pre expérience de la vie leur donne une vue nouvelle de sa personnalité parce que ils ont acquis une base plus large de comparaison. Par exemple, ceux qui ont beaucoup souffert dans leur propre vie à soigner un parent malade pourront apprécier intimement ce que Marie a souffert au pied de la croix.

 

Le Père Abbé Général nous dit donc qu'une vrai dévotion Maria­le doit être personnelle. Et il entend personnel dans un double sens : un sens objectif et un sens subjectif.

Objectif ? C'est à dire que Marie doit être appréhendée et traitée comme une personne, et non pas comme la synthèse de propo­sitions dogmatiques, non pas comme un objet d'étude, mais comme une personne bien réelle et bien vivante.

Subjectif ? C'est à dire que notre dévotion doit être nôtre. Elle ne doit pas être la copie

servile de ce que les autres font. Elle doit grandir, se dévelop­per avec nous.

Cette dévotion doublement personnelle sera le fruit de rela­tions correctes avec Marie. Elles seront, ces relations correctes, basées sur le fait que Marie est ressuscitée et qu'elle est enle­vée, emportée corps et âme dans ce que nous appellerons le ciel, c'est à dire dans l'intimité de la Sainte Trinité. Là où nous espérons nous retrouver tous un jour, Marie y est déjà corps et âme. Elle est donc bien vivante.

Nous ne devons pas penser à elle comme on pense à une person­ne défunte, disparue qui a laissé un souvenir extraordinaire, que nous voulons prendre comme modèle, que nous invoquons avec confiance, mais qui malgré tout est comme on dirait : elle est dé­funte quoi, elle est disparue de la circulation.

 

Naturellement nous savons bien qu'un mort n'est pas anéanti, n'est pas annihilé, ne rentre pas dans le néant. Il existe tou­jours ! Mais pour nous, c'est extrêmement vague parce que nous ne savons pas trop bien ce qui se passe après la mort. La manière de subsister des défunts, nous ne la connaissons pas !

Mais pour ce qui est de Marie, ça nous le savons. Marie, elle est ressuscitée déjà dans son corps. Elle est donc vivante. Elle est à telle point vivante, qu'elle est source de vie. Et c'est elle qui mérite en toute vérité le nom d'EVE. Vous savez que la Tradition le lui a attribué.

On l'appellera Eve à un double titre. Elle est comme on dit, la nouvelle Eve parce que de même que la première Eve est la sou­che primordiale de tout le genre humain, de même Marie est la nou­velle Eve parce qu'elle se trouve à l'origine de la race des Fils de Dieu. Elle est notre Mère selon l'Esprit comme Eve est notre Mère selon la chair.

 

Elle est aussi Eve à un second titre qui est peut-être plus vrai encore. C'est que le nom de Eve s'applique à elle dans la perfection. Eve signifie étymologiquement - ça ne paraît pas en français naturellement  - mais cela signifie la vivante, et plus que la vivante : la vie. Voyez ! La première femme s'appelait vie. C'était trop beau pour être vrai ! Elle donnait la vie mais pour la mort.

Tandis que Marie, elle est vie dans toute la plénitude du terme. Vie, parce qu'elle est Theotokos, elle est la Mère de Dieu. Elle est la Mère de la Vie, elle est la Mère de celui qui a dit : Moi, je sui la Vie ! Marie ne peut pas distiller la moindre goutte de mort. Tout ce qu'elle donne, tout ce qu'elle dit, tout ce qu'elle fait est vie.

Tandis que la première Eve, si elle donnait la vie selon la chair, en même temps, avec cette vie, elle instillait un germe de mort qui nous atteint tous. Pour Marie, il n'en n'est pas ainsi. Donc, elle est vraiment la vivante, Eve. Et c'est ainsi que nous devons la voir, et c'est ainsi que nous devons traiter avec elle.

 

Il est temps de partir ! J'avais l'intention ce clôturer au­jourd'hui ce premier point abordé par le Père Abbé Général. Mais je n'en n'aurais pas le temps. Cela n'a pas d'importance, ce sera pour la prochaine fois.

 

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          02.03.81

      10. Danger de la représentation imagée.

 

Mes frères,

 

Il y a plus de dix jours que nous n'avons plus réfléchi en­semble à la lettre du Père Abbé Général. [2] Les événements se sont présentés ainsi et nous sommes entrés en eux de bon coeur. Ils sont porteurs de la volonté de Dieu sur nous. Et à quoi nous servirait d'échanger, d'étudier, si c'était pour nous rechercher nous-mêmes et nous écarter de cette volonté ? Nous péririons d'inanition.

Vous savez ce que le Christ a dit : Cherchez d'abord le Royau­me de Dieu et tout le reste vous sera donné par surcroît. Entrons dans cette volonté en toute simplicité et nous obtiendrons la scien­ce, l'amour et une certaine subtilité d'esprit qui nous permettra d'entrer dans les mystères de Dieu. Voilà, mes frères, notre vie contemplative !

C'était la vie de Marie. Elle ne se posait pas beaucoup de questions. L'essentiel pour elle, c'était de se nourrir de ce que Dieu lui demandait. Lorsque le Christ a dit : Ma nourriture à moi, c'est de faire la volonté de mon Père, il l'avait puisée, cette conviction, dans la contemplation de cette femme extraordinaire qu'était sa Mère.

 

Le Père Abbé Général nous dit que nous devons avoir à l'en­droit de Marie, pour Marie, une dévotion vraie, réelle, théologi­que, personnelle. C'est là que nous étions arrivés ! Personnelle ? C'est à dire que nous devons voir Marie pour ce qu'elle est : une femme vivante, ardente, généreuse, aimante, une femme active aussi. Non pas une chose, et c'est là le grand danger !

Le danger, c'est de traiter Marie comme un objet, de réflé­chir à son sujet, de discourir à son sujet, d'écrire peut-être à son sujet. Mais ce n'est pas d'elle qu'on parle, ce n'est pas à son sujet qu'on écrit. Non, c'est une certaine idée que nous avons de Marie.

 

Mes frères, c'est peut-être là un des plus grand danger qui nous guette. Et ici je voudrais attirer votre attention sur le péril des représentations imagées de Marie sous forme de sculpture, ou de peinture, ou de gravure, ou d'image. Prenons bien garde ! Cela ne veut pas dire maintenant que nous devons devenir des iconoclastes et tout briser, et tout jeter. Non, mais soyons tout de même prudents !

Objectiver Marie, la classifier, c'est la nécroser. Et nous nous trouvons alors devant rien du tout. Personne n'a jamais vu Marie. Naturellement on peut dire : oui, mais alors...etc, etc. C'est vrai! Mais ces enfants, ce sont toujours des jeunes ? Et ces enfants qui ont eu le privilège de con­templer quelques instants Marie, n'ont jamais pu la photographier, n'ont jamais pu la décrire, dire : voilà, c'était une Dame comme ceci et cela.

Attention alors lorsque l'artiste s'empare de ce que l'enfant tente d'évoquer avec des mots si pauvres. Que va-t-il arriver ? Mais à moins que cet artiste ne soit lui-même un saint, il va pro­jeter à l'extérieur ses phantasmes et nous allons être entraînés dans cette fantasmagorie.

 

Le danger de l'image, pour nous, c'est de succomber à la ten­tation de maîtriser Marie, d'en faire notre possession. Elle est devenue une chose qui est à notre service. Ce n'est plus de la dé­votion, c'est à dire que nous ne sommes plus donnés à Marie. Non, une certaine représentation que nous avons d'elle nous sert à nous et parfois à des choses bien basses. Attention à ces phantasmes !

C'est aussi, peut-être, si nous nous arrêtons à l'image, une certaine peur d'être arraché à nous-mêmes. L'image, c’est encore notre monde à nous. C'est une représentation. Elle est à notre ni­veau et nous ne devons pas alors sortir de nous-mêmes pour être entraînés dans un univers qui n'est pas le nôtre, et qui est tou­jours inquiétant parce que nous ne le connaissons pas. C'est l'univers de Dieu.

Et nous savons très bien que nous devons y laisser une grosse partie de nous-mêmes. Ce que nous con­sidérons comme le meilleur de nous-mêmes devra être sacrifié. C'est encore le  omnino nihil  de Saint Benoît, 33,3 et 43,19. Absolument rien. Donc attention !

 

Et la faiblesse de notre nature, elle nous oblige de parler de Marie à la troisième personne, comme je le fais maintenant. Nous devons dire : Elle. Dans l'état actuel, si infirme, si bancal, il ne nous est pas possible de faire autrement. Mais il ne doit pas en être ainsi dans notre coeur. L'erreur, la faute, c'est de continuer à parler dans notre coeur à la troisième personne. Et cela ne peut pas être car alors notre relation à Marie est totalement faussée, et d'ailleurs, il n'y en n'a pas. Lorsqu' il y a un Elle ou un Il, et que ce n'est pas un Tu, mais il n'y a rien en face.

La meilleure façon de tuer quelqu'un, de le détruire, c'est de parler de lui. Il arrivera un moment où cette faiblesse nous sera ôtée. C'est lorsque nous serons entièrement transformé par l'Esprit. Ce n'est pas possible ici bas. Mais lorsque plus tard l'Esprit nous possédera, ce n'est plus nous qui vivrons, mais c'est lui qui vivra en nous. Il n'y aura plus en nous rien qui ne soit amour, qui ne soit divin.

A ce moment-là, il ne nous sera plus possible de parler à la troisième personne, car nous nous verrons les uns les autres tels que nous sommes. Nous nous connaîtrons les uns les autres par l'in­térieur. Il ne sera plus possible même d'échanger entre nous au sujet d'un autre  car nous nous connaîtrons tous.

 

C'est cela la Communion des Saints arrivée à son sommet. Ce n'est pas une fusion de l'un dans l'autre. Mais c'est une commu­nion telle, que je retrouverai partout en chacun des autres une parfaite connaissance de ce que moi je suis moi-même et de ce que lui est. Voyez ! C'est ce partage de la même vie divine qui fait que nous restons personnellement unique, chacun pour nous. Mais, nous sommes présents dans chacun des autres, et chacun des autres est présent en nous. Et les échanges s'opèrent presque dans le silence. C'est ainsi que Dieu nous connaît ! C'est cela le sommet de la Communion des Saints !

Donc, mes Frères, nous devons nous ici, surtout dans les mo­nastères, essayer dans toute la mesure du possible de nous appro­cher de cet idéal, de cet état qui sera le nôtre un jour. Et vous comprenez la gravité de ce défaut qui est commun à tous les hommes, même dans les monastères, de parler, de médire, de dire du mal. Saint Benoît nous dit : Lorsque tu parles beaucoup, tu n'éviteras pas le péché ! 6, 14. C'est cela qu'il veut dire. C'est que à un moment donné, je vais parler de l'autre. Et dès l'instant où je parle de l'autre, je porte un jugement sur lui et ce jugement n'est jamais juste.

Il n'est pas nécessaire que je raconte des mauvaises histoires sur son compte ? Non, mais lorsque je parle de lui, je me trompe toujours. Il m'est impossible de posséder la vérité entière, par­faite, totale au sujet d'un autre. Et une vérité qui est partielle est toujours entachée d'erreur ; donc une certaine ombre de péché autour, le péché étant l'erreur par excellence.

 

Donc, mes frères, dans toute la mesure du possible, si nous voulons être de véritables dévots de Marie, de véritables enfants de Marie, exerçons-nous entre nous de ne jamais parler d'un autre, mais jamais ! C'est très difficile, je le sais bien. C'est pour cela que je dis que nous devons nous exercer, nous y exercer. Disons que c'est presque impossible de ne pas faire autrement. Mais ça ne fait rien. Nous devons le savoir.

Et lorsque nous nous en apercevons, nous devons nous ressaisir et nous dire : maintenant dégageons-nous, tirons-­nous de là ! Et puis laissons tomber. Le registre de l'amour, vous voyez, c'est toujours les rela­tions de personne à personne sur le mode du tu. Lorsque je puis dire tu à quelqu'un, et lorsque lui peut me répondre tu, à ce mo­ment-là, il y a quelque chose qui se crée entre nous.

Nous nous créons l'un l'autre. C'est la relation d'intersubjectivité qui nous permet d'être tout à fait ce que Dieu veut que nous soyons. Et cette relation doit d'abord être établie avec Dieu. Et puis, puisque nous sommes ici dans la lettre du Père Abbé Général, avec notre Mère Marie. Et la fois prochaine nous verrons qu'il est encore une autre façon d'avoir envers Marie une dévotion personnelle : c'est qu'elle soit vraiment nôtre. Non pas seulement vivre avec Marie comme avec une personne. Mais aussi savoir que cette dévotion, ce don de nous à Marie n'est pas en nous comme quelque chose d'étranger, mais que ça fait partie essentielle de notre personne.

 

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          03.03.81

11. Une dévotion personnelle qui est nôtre !

­

Mes frères,

 

Le Père Abbé Général nous recommande une dévotion à Marie qui serait personnelle au sens qu'elle serait notre :

 

...Cette dévotion doit être nôtre, quelque chose que nous avons développé par nous-mêmes - sans oublier l'aide de la grâce divine - et pas seulement la copie servile de ce que d'autres font. Elle doit être une part de nous­-mêmes. Cette attitude personnelle dépendra évidemment de notre propre caractère, de notre tempérament, et de no­tre croissance spirituelle.

 

Il nous demande donc d'établir avec Marie des relations per­sonnelles, c'est à dire entretenir avec elle des rapports qui vont marquer de leur sceau notre personnalité spirituelle, notre être promis à la vie éternelle. Il n'est pas possible de fréquenter Marie sans être réchauffé par sa chaleur et éclairé par sa lumière. Elle est la Mère du Christ, elle est la Mère de la Lumière du monde, ne l'oublions jamais !

Elle va donc, cette dévotion, faire partie de notre identité, de notre signalement. Lorsque on nous regardera, on devra décou­vrir en notre comportement des attitudes qui sont les reproductions du caractère de Marie. Naturellement, il devra exister entre nous tous un certain air de famille, si nous avons tous une relation normale et person­nelle avec notre Mère. C'est comme dans une famille humaine : tous les enfants portent des traits de leur père et de leur mère, mais ces traits sont uniques dans chacun.

Il ne nous est pas permis, comme le Père Abbé Général nous le dit, de copier servilement ce que nous voyons chez les autres, ni même ce que nous verrions chez Marie. C'est quelque chose qui doit être naturel en nous. Le quasi naturaliter de Saint Benoît s'applique aussi à nos relations avec notre Mère Marie.

 

Je pense que c'est là quelque chose de très beau. Car chacun d'entre nous - et quand je dis chacun d'entre nous, ce n'est pas seulement notre petite communauté, mais je vois tous les hommes ­- vont former comme la chevelure de Marie. Voyez ! Lorsque le Christ dit : Pas un cheveu de votre tête ne tombe sans que votre Père le permette ou le sache, c'est que même nos cheveux font partie de ce que nous sommes.

Il y a des exemples remarquables de cela ! Si on veut repérer électromagnétiquement une personne, il suffit de prendre une mèche de ses cheveux, d'en saisir la longueur d'onde et, sans erreurs possibles, on sait détecter alors les caractères physiques et même moraux et psychiques de cette personne.

C'est vrai ! C'est une autre façon de parler de ce que sera un électrocardiogramme ou un électro-encéphalogramme. Cela veut dire que la moindre parcelle de notre être est marquée d'une sorte de particularisme, oui, qui la rend absolument irréductible à une autre.

 

Il en sera donc ainsi avec Marie. Mais alors, imaginez que nous sommes chacun comme un cheveu de Marie. Il y a là un magnétis­me Marial qui fait que chacun est distinct les uns des autres. Mais nous sommes tous rattachés à elle. Et la vie de Marie circule en nous. Mes frères, c'est là quelque chose qui est extrêmement beau parce que quand nous parlons du Corps Mystique du Christ, nous voyons uniquement le Christ. Et c'est vrai, il est la tête et nous sommes les membres.

Mais, si j'ose le dire, au dessus du Christ encore il y a sa Mère ! Et le Christ ne serait pas ce qu'il est dans sa nature hu­maine, s'il n'avait pas eu une telle mère. Et nous ne serions pas, nous, membres du Christ tel que ce Corps Mystique est, si Marie n'était pas telle qu'elle est. Donc, il y a en nous des traits de ressemblance avec Marie que nous devons cultiver pour que le cachet qui nous marque, pour que le sceau qui nous distingue mais qui malgré tout nous rattache à elle, devienne de plus en plus perceptible à tous les hommes, mais aussi à nous-mêmes.

Nous devons sentir qu'il y a en nous à la longue des réactions qui ne sont plus tout à fait de nous - tout en étant toujours par­faitement de nous - et qui viennent d'ailleurs, qui sont inspirées par notre Mère. C'est toujours ce processus de naissance et de croissance qui ne sera terminé que lorsque nous serons nous-mêmes ressuscités des morts. Parce que je pense bien que même après notre mort, si nous ne sommes pas parfaitement purifiés au moment de notre mort, cette purification ­devant s'opérer après, Marie intervient encore toujours.

Voyez donc ! C'est cela des relations d'ordre personnel, une dévotion personnelle qui va jusque là ! Et elle est tout à fait nôtre parce qu'elle nous constitue dans notre être d'hommes pro­mis à la vie éternelle. Quand on parle de vie éternelle, c'est toujours aussi vie Mariale.

Mais tout cela, le résultat de tout cela, c'est que nous serons de plus en plus configurés au Christ. Donc, une authentique dévo­tion personnelle à Marie sera toujours, toujours - je l'ai dit au début lorsque j'ai commencé ces entretiens - elle sera toujours Christocentrique, mais encore une fois, sans évacuer le moins de monde, Marie. Plus nous sommes des êtres Mariaux, plus nous sommes des êtres chrétiens.

 

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          07.03.81

12. Une dévotion personnelle virile et adulte !

 

Mes frères,

 

Le Père Abbé Général nous a dit que notre dévotion Mariale devait être personnelle. C'est à dire qu'elle devait faire partie de notre identité chrétienne et monastique. Ce sera le cas si nous entretenons avec Marie des relations filiales d'amour et de grande, d'absolue confiance. Dans ce domaine de la confiance, je pense que nous ne pourrons jamais aller assez loin, car Marie n'est pas captatrice. Elle ne détourne pas à son profit l'amour que nous devons au Christ. Son ambition est qu'un jour, au dernier jour, le Christ soit tout en tous les hommes.

 Elle désire être, comme le dit Saint Bernard, un aqueduc, un canal, ou bien une porte, une fenêtre, une vitre, une lentille. Elle laisse passer la vie divine. La grâce qui doit nous soutenir dans notre lutte et notre marche, elle ne l'arrête pas. Non, elle lui donne comme une nouvelle impulsion. Et en cela, elle est ce qu'elle a toujours été; elle est humble.

 

Je pense que un Supérieur, un Abbé devrait être - on dirait plutôt ça d'une Abbesse, ce serait plus facile - une sorte de Marie. Il faut bien me comprendre. Quelqu'un qui n'essaye pas de capter ou de voler une affection ou un amour, ou un respect, qui est du à quelqu'un d'autre. Il est du au Christ qui vit dans la personne de l'Abbé.

            Mais ce n'est possible que si l'Abbé est entièrement mort à lui-même, donc s'il est humble. L'idéal, ce serait qu'il ait une humilité comparable à celle de Marie. Mais enfin, ce n'est pas pos­sible, car l'humilité de Marie est unique. Mais pour vous dire, mes frères, que lorsque il s’agit du domaine de la vie divine, des rapports avec la­ Trinité, nous ne devons jamais être des écrans ou des murs, mais des pistes sur lesquelles cette grâce peut rebondir pour aller plus loin avec une nouvelle force.

 

Marie est donc Mère ! C'est ça sa qualité. Elle est LA MERE par excellence. Et nous touchons là le mystère de l'infinie fécon­dité de la virginité. Il faut bien se rendre compte de cela. C'est une vierge qui sera un jour la mère de tous les hommes. Et c'est encourageant pour nous qui avons renoncé à fonder une famille charnelle. Si nous som­mes fidèles, un jour encore - je dis toujours ce mot JOUR parce que il est un peu synonyme de Lumière et il est peut-être beaucoup plus proche de nous que nous le pensons, pour chacun de nous -.

Un jour encore, nous verrons alors toute notre postérité, nous la connaîtrons. Et nous en serons stupéfaits, et émerveillés, et reconnaissants. Nous ne devons jamais nous considérer comme des êtres diminués parce que nous n'avons pas d'enfants selon la chair. Non, nous en avons d'un autre type, et je le répète, ils seront un jour notre couronne. Mais pour cela, nous devons rester fidèles.

 

Il y aurait beaucoup de choses à dire à ce sujet, car ce mys­tère de la virginité est en relation étroite avec celui de la clô­ture. J'en parlerai peut-être un jour ? Parce que, vous le savez peut-être, ou bien vous ne le savez pas, mais ce qui est de plus en plus contesté aujourd'hui dans les monastères, c'est justement la séparation du monde.

Il y a encore eu dernièrement un petit colloque ou une petite cession - je ne sais pas - qui réunissait des moines et des monia­les. Et je le tiens d'un auditeur qui était là présent, et bien ça n'a fait que de porter là-dessus : qu'aujourd'hui il ne faut plus de clôture, il ne faut plus de séparation du monde. Les moines doi­vent être dans le monde et le monde doit être chez les moines. Vous voyez !

Alors la réflexion a été faite - pas en public, mais tout bas -. ­Mais alors, ils n'avaient pas besoin d'entrer dans les monastères, ces gens-là. Il y a assez d'autres Ordres. Mais c'est pour vous dire qu'on perd de vue, je pense, ce mys­tère extraordinaire qu'est la valeur de la fécondité de la vie con­sacrée dans la virginité. Mais surtout, surtout celle qui est per­due dans le désert. Il faut que le grain meure pour qu'il donne du fruit en abondance. Ce fut le cas de Marie.

 

Et en formant le Christ en nous, Marie par le fait même impri­me son image en nous. Les deux sont inséparables. Le Christ et Marie devaient se ressembler comme deux gouttes d'eau, physiquement, spirituellement aussi. Et lorsque Marie forme, fait se développer le Christ en nous, elle y imprime son image. Ce sera là aussi très beau.  

Et s'installe alors entre Marie et nous une relation d'ordre ontologique qui est le sommet de l'interpersonnalité. Voyez ! Alors notre dévotion est personnelle. Il n'est pas possible d'aller plus loin. C'est jusque là que nous devons aller. Et nous devons y collaborer en pensant à Marie, en la priant. Car alors, nous devenons de plus en plus malléables sous ses doigts, dans ses mains, sous son agir. Nous devons grandir en elle, avec elle, par notre coeur et par notre intelligence aussi.

Il y a là un engagement de notre personne dans ce qu'elle a d'humain. Et là aussi c'est très beau ! C'est ainsi que nous pouvons dire que notre dévotion personnel­le, elle doit être virile et adulte. Cela ne nous infantilise pas. Non, au contraire nous devenons des hommes - si nous sommes des êtres voués à Marie - non seulement au plan surnaturel, mais aussi au plan humain.. .Nous devenons plus adulte...

 

Ne l'oublions pas, mes frères ! Vous savez que il a été un temps où on regardait un peu les gens ou les moines qui avaient une dévotion Mariale, un peu comme des sous-développés ; ils ne savaient pas mieux !  

NON ! Ce n'est pas ça ! Naturellement, encore une fois, il faut qu'elle soit vraie, cette dévotion, et réelle. Ce ne doit pas être un refuge. Et comme je le dis, elle sera d'autant plus per­sonnelle qu'elle sera virile et adulte.

 

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          07.03.81

12. Une dévotion personnelle virile et adulte !

 

Mes frères,

 

Le Père Abbé Général nous a dit que notre dévotion Mariale devait être personnelle. C'est à dire qu'elle devait faire partie de notre identité chrétienne et monastique. Ce sera le cas si nous entretenons avec Marie des relations filiales d'amour et de grande, d'absolue confiance. Dans ce domaine de la confiance, je pense que nous ne pourrons jamais aller assez loin, car Marie n'est pas captatrice. Elle ne détourne pas à son profit l'amour que nous devons au Christ. Son ambition est qu'un jour, au dernier jour, le Christ soit tout en tous les hommes.

 Elle désire être, comme le dit Saint Bernard, un aqueduc, un canal, ou bien une porte, une fenêtre, une vitre, une lentille. Elle laisse passer la vie divine. La grâce qui doit nous soutenir dans notre lutte et notre marche, elle ne l'arrête pas. Non, elle lui donne comme une nouvelle impulsion. Et en cela, elle est ce qu'elle a toujours été; elle est humble.

 

Je pense que un Supérieur, un Abbé devrait être - on dirait plutôt ça d'une Abbesse, ce serait plus facile - une sorte de Marie. Il faut bien me comprendre. Quelqu'un qui n'essaye pas de capter ou de voler une affection ou un amour, ou un respect, qui est du à quelqu'un d'autre. Il est du au Christ qui vit dans la personne de l'Abbé.

            Mais ce n'est possible que si l'Abbé est entièrement mort à lui-même, donc s'il est humble. L'idéal, ce serait qu'il ait une humilité comparable à celle de Marie. Mais enfin, ce n'est pas pos­sible, car l'humilité de Marie est unique. Mais pour vous dire, mes frères, que lorsque il s’agit du domaine de la vie divine, des rapports avec la­ Trinité, nous ne devons jamais être des écrans ou des murs, mais des pistes sur lesquelles cette grâce peut rebondir pour aller plus loin avec une nouvelle force.

 

Marie est donc Mère ! C'est ça sa qualité. Elle est LA MERE par excellence. Et nous touchons là le mystère de l'infinie fécon­dité de la virginité. Il faut bien se rendre compte de cela. C'est une vierge qui sera un jour la mère de tous les hommes. Et c'est encourageant pour nous qui avons renoncé à fonder une famille charnelle. Si nous som­mes fidèles, un jour encore - je dis toujours ce mot JOUR parce que il est un peu synonyme de Lumière et il est peut-être beaucoup plus proche de nous que nous le pensons, pour chacun de nous -.

Un jour encore, nous verrons alors toute notre postérité, nous la connaîtrons. Et nous en serons stupéfaits, et émerveillés, et reconnaissants. Nous ne devons jamais nous considérer comme des êtres diminués parce que nous n'avons pas d'enfants selon la chair. Non, nous en avons d'un autre type, et je le répète, ils seront un jour notre couronne. Mais pour cela, nous devons rester fidèles.

 

Il y aurait beaucoup de choses à dire à ce sujet, car ce mys­tère de la virginité est en relation étroite avec celui de la clô­ture. J'en parlerai peut-être un jour ? Parce que, vous le savez peut-être, ou bien vous ne le savez pas, mais ce qui est de plus en plus contesté aujourd'hui dans les monastères, c'est justement la séparation du monde.

Il y a encore eu dernièrement un petit colloque ou une petite cession - je ne sais pas - qui réunissait des moines et des monia­les. Et je le tiens d'un auditeur qui était là présent, et bien ça n'a fait que de porter là-dessus : qu'aujourd'hui il ne faut plus de clôture, il ne faut plus de séparation du monde. Les moines doi­vent être dans le monde et le monde doit être chez les moines. Vous voyez !

Alors la réflexion a été faite - pas en public, mais tout bas -. ­Mais alors, ils n'avaient pas besoin d'entrer dans les monastères, ces gens-là. Il y a assez d'autres Ordres. Mais c'est pour vous dire qu'on perd de vue, je pense, ce mys­tère extraordinaire qu'est la valeur de la fécondité de la vie con­sacrée dans la virginité. Mais surtout, surtout celle qui est per­due dans le désert. Il faut que le grain meure pour qu'il donne du fruit en abondance. Ce fut le cas de Marie.

 

Et en formant le Christ en nous, Marie par le fait même impri­me son image en nous. Les deux sont inséparables. Le Christ et Marie devaient se ressembler comme deux gouttes d'eau, physiquement, spirituellement aussi. Et lorsque Marie forme, fait se développer le Christ en nous, elle y imprime son image. Ce sera là aussi très beau.  

Et s'installe alors entre Marie et nous une relation d'ordre ontologique qui est le sommet de l'interpersonnalité. Voyez ! Alors notre dévotion est personnelle. Il n'est pas possible d'aller plus loin. C'est jusque là que nous devons aller. Et nous devons y collaborer en pensant à Marie, en la priant. Car alors, nous devenons de plus en plus malléables sous ses doigts, dans ses mains, sous son agir. Nous devons grandir en elle, avec elle, par notre coeur et par notre intelligence aussi.

Il y a là un engagement de notre personne dans ce qu'elle a d'humain. Et là aussi c'est très beau ! C'est ainsi que nous pouvons dire que notre dévotion personnel­le, elle doit être virile et adulte. Cela ne nous infantilise pas. Non, au contraire nous devenons des hommes - si nous sommes des êtres voués à Marie - non seulement au plan surnaturel, mais aussi au plan humain.. .Nous devenons plus adulte...

 

Ne l'oublions pas, mes frères ! Vous savez que il a été un temps où on regardait un peu les gens ou les moines qui avaient une dévotion Mariale, un peu comme des sous-développés ; ils ne savaient pas mieux !  

NON ! Ce n'est pas ça ! Naturellement, encore une fois, il faut qu'elle soit vraie, cette dévotion, et réelle. Ce ne doit pas être un refuge. Et comme je le dis, elle sera d'autant plus per­sonnelle qu'elle sera virile et adulte.

 

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          09.03.81

13. Une dévotion contemplative !

 

Mes frères,

 

Notre Père Abbé Général nous donne une quatrième note d'une authentique dévotion Mariale :

 

Une autre marque de cette dévotion - et nous touchons ici un trait plus spécifique de notre vie - est qu'elle doit être contemplative. Je veux dire par là que nous devons être plus sensible à des aspects de la vie de Notre Dame qui semblent en harmonie avec l'idéal contemplatif.

C'est vrai que nous ne connaissons pas les détails con­crets de la vie de Marie avec Jésus à Nazareth. Mais nous savons bien qu'elle a du être en contact étroit et aimant avec lui durant ces 30 années. Nous savons bien aussi qu'elle thésaurisait les divers détails le concernant, les méditant en son coeur. C'était une méditante de la Parole.

C'est ici que doit croître spécialement notre intimité avec Marie. Dans son orientation fondamentale notre vie cistercienne ressemble à ces 30 années de vie cachée ! Si nous voulons vivre davantage dans la proximité de Jésus, nous pouvons l'apprendre d'elle, dans un approfon­dissement incessant de la Foi, de l'espérance et de l'amour.

Ce que nous apprendrons restera notre secret. Mais nous aidera à la rejoindre dans sa vie très ordinaire, et dans son abandon complet à la volonté de Dieu. C'est lui qu'elle cherchait et non elle-même ! « Magnificat anima mea Dominum et exultavit spiritus meus in Deo salutaris meo. » En même temps elle était très humaine et disponible, capable de remarquer de petites choses comme le manque de vin à Cana.

De garder les yeux sur elle nous aidera à vivre notre vocation contemplative à un niveau plus profond, car elle est toujours orientée vers Jésus. Elle aime chèrement chacun de nous comme une Mère. Et son plus grand désir est que nous progressions dans l'in­timité de son Fils. De sorte que nous ne pouvons avoir aucune hésitation à lui demander à nous obtenir ce don.

 

Le Père Abbé Général estime donc que si notre dévotion est contemplative, elle touche un trait plus spécifique de notre vie. Notre dévotion doit donc être en harmonie avec notre idéal contem­platif. Mais en quoi consiste-t-il, notre idéal contemplatif ?

Dans sa lettre de l'année dernière [3] , vous vous en souvenez certainement, il constatait avec regret que l'esprit contemplatif de notre vie cistercienne était aujourd'hui quelque chose de né­gligé dans l'Ordre. Il se demandait si le but de notre vie, à chacun d'entre nous, était bien d'accéder à la prière continuelle. Cette prière étant entendue comme la respiration d'un moine parvenu à la charité parfaite, et donc entré déjà dans le Royaume de Dieu. Et il constatait avec regret que ce n'était pas là la préoccupation, la première, de tous les moines.

Et ça se comprend, car notre idéal monastique - qui est donc celui-là - est très exigeant ! Et nous sommes toujours exposés à la tentation de composer avec lui, de le rendre plus humain, de le mitiger, de l'abaisser pour qu'il soit d'avantage à notre portée pour que nous ayons l'occasion de nous rechercher quand même nous-mêmes quelque peu.

 

Le Père Abbé Général dit ici que Marie ne se cherchait jamais. Elle cherchait Dieu,  elle ne cherchait pas elle-même. On peut faire ça ? Oui, quelques temps, mais à longueur de vie ? Marie avait facile, allons-nous penser. Elle était sans péché dès sa naissance. Elle n'avait pas d'inclination au péché. Tandis que nous, nous sommes égoïstes dès l'instant où nous venons au monde.

Mes frères, ce n'est pas une raison pour en rabattre de notre idéal contemplatif. Nous devons partager, oui, partager la vie de Marie, partager la vie du Christ. C'est très austère ! Cela peut se résumer dans ces deux petits mots de Saint Benoît, ce : omnino nihil, absolument rien, 33,7 – 43,48 – 72,14.

Le Christ est venu au monde tout nu. C'est le sort de chacun. Et son premier berceau a été une mangeoire d'animaux. Et il est mort tout nu - ça ce n'est pas le sort de chacun - sur une croix, et ce n'est pas le sort de tout le monde non plus. Rien en arrivant ! Absolument rien en partant !  Mais c'est à en avoir le frisson.

 

Mais nous devons, nous, essayer de vivre cet absolument rien au plan spirituel. Et c'est cela notre ascèse. Oui, c'est à avoir peur et à avoir le vertige de gravir cette montagne du vide dont je vous ai parlé hier au cours de l'homélie. Car dans ce vide, nous allons rencontrer le tentateur qui va essayer de nous faire tomber. Mais nous ne sommes pas seuls dans cette lutte. Car si nous sommes faibles, si nous sommes frêles et fragiles, nous sommes habités par quelqu'un. Nous sommes habités par l'Esprit de Dieu. Et c'est l'Esprit de Dieu qui emplit toute chose et qui porte le monde, et qui le fait avancer dans son évo­lution.

Et l'Esprit de Dieu, c'est le souffle du Christ, c'est sa respiration. C'est en même temps ce qui va nous permettre de nous abandonner à la volonté de Dieu et de nous perdre, de nous fon­dre en elle de façon à ce que nous-mêmes nous ne soyons plus que volonté de Dieu. Voyez ! C'est cela l'idéal contemplatif pratique ! Vous savez que je vous en parle à tout moment, soit en termes clairs comme maintenant, soit en termes voilés. Mais je le fais, en tout ce que je dis, ça s'y trouve...

Et je dois dire que ça réclame d'un Abbé une certaine audace. Car aujourd'hui, en parler est surtout mal venu. Il a Fallu aussi du courage au Père Abbé Général pour le dire. Et je pense que c’est le devoir d'un Abbé de le rappeler sans arrêt. Car c'est pour cela que nous sommes venus ici. C'est à cet idéal que nous avons été appelés et invités. Et c'est pour le réaliser que nous recevons les grâces.

Pendant ce Carême, réfléchissons-y et essayons, encore une fois, avec l'aide de Dieu  qui ne nous manquera jamais, d'avancer sur cette route. Comme le Père Abbé Général le dit ici : Nous ne pouvons avoir aucune hésitation à lui demander, donc à Marie, à lui demander de nous obtenir ce don.

 

 


Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          10.03.81

14. La vie cachée de Marie.

 

Mes frères,

 

Le Père Abbé Général nous disait que nous pouvions découvrir l'orientation fondamentale de notre vie cistercienne contemplative dans la vie que Marie a menée durant 30 ans dans l'obscurité de Nazareth.

 

Orientation Fondamentale, cela signifie que la vie de Marie, à ce moment, peut être typique, exemplaire pour notre vie. Elle lui donne une signification et son dynamisme. Il est nécessaire que nous découvrions les motivations de la vie que nous avons choisie. Nous devons donc réfléchir à cette vie : nous devons en recher­cher les racines, les mettre à jour, ces racines, de façon à pou­voir nous alimenter sérieusement. Ne pas aller chercher notre nourriture là où nous ne pouvons pas la trouver. Il est des nourritures qui sont bonnes à certaines personnes, mais qui seraient empoison­nées pour nous.

Et le Père Abbé Général nous dit que justement en méditant, en réfléchissant à cette vie de Marie à cette époque, nous pouvons dégager l'orientation fondamentale de notre vie contemplative, qui a besoin aussi d'être énergisée, dynamisée. Ce n'est pas une vie flasque, de limace ? Non, c'est une vie qui est très dure, qui est très belle, mais qui est tout de même assez spéciale, car c'est une vie cachée.

 

Les années de Marie à Nazareth étaient des années cachées, com­me dit le Père Abbé Général. C'est son expression : 30 années cachées. Cachées ? Cela veut dire d'abord que Marie a vécu là-bas dans un désert d'incognito et de méconnaissance. On savait qui était Marie. Elle était dans sa parenté. On la fréquentait. Elle fréquen­tait d'autres personnes. Elle avait une vie sociale normale comme toutes les femmes de son village.

Or, ses voisines, ses amies, ses parentes ne la connaissaient pas. Ils ne voyaient d'elle que l'extérieur. Mais absolument per­sonne ne soupçonnait qu'elle était la  Theotokos, qu'elle était la Mère de Dieu. C'était naturellement quelque chose d'inouï. Elle seule le savait, et son mari Joseph. Pour le reste, c'était le black out, l'obscurité. Or, Marie a vécu dans cet incognito. Elle n'a pas voulu en sortir. Elle s'y est cachée. C'était un désert où elle était seule !

Voyez un peu pour nous aujourd'hui, quelle leçon ! Nous sommes tellement sollicités à dire qui nous sommes et ce que nous sommes ! C'est l'âge, ou c'est l'ère aujourd'hui des interviews de toutes les sortes. Non, il faut conserver son incognito.

 

Et entre nous, ici, nous vivons en communauté - certains depuis des dizaines et des dizaines d'années - nous connaissons nos défauts les uns des autres, nos qualités aussi. Mais le secret de notre être, là où nous sommes seuls entre notre conscience et Dieu, per­sonne ne peut y entrer, personne ne le connaît. Ce ne sont pas des choses à étaler. Nous devons conserver notre incognito. C'est, comme le disaient les Anciens, le secret du Roi. C'était en latin : secretum meum mihi. Mon secret est pour moi, mon secret est pour moi !C'est pourquoi aussi attention ! Marie vivait, était méconnue à cause de cela. Et elle a du certainement subir des avanies aux­quelles elle aurait pu échapper si elle avait voulu dire : Atten­tion, voilà qui je suis ! Mais non, elle a préféré tout endurer. Oh, ce n'était pas des méchancetés, certes ? Mais enfin, il y a des choses qu'elle aurait préférées ne pas entendre, ne pas voir. Mais non, voilà, elle n'a pas voulu se singulariser. Elle a été dans le désert de cet incogni­to et du fait d'être méconnue, non seulement inconnue, mais mé­connue.  

 

Eh bien mes frères, ça peut très bien nous arriver aussi. Attention ! Nous vivons, encore une fois je le répète, les uns sur les autres. Mais nous ne savons jamais à côté de qui nous vivons ? Nous n'en voyons jamais que la façade. Ce qu'il y a dans les chambres à l'intérieur, ça nous échappe. Alors, témoignons toujours le plus grand respect à notre frère.

Il est un Théophore, il est un porte-Dieu. Il est un Christophore, il est un porte-Christ. Et rien qu'à cause de ça nous devons l'es­timer, le respecter, l'aimer. Mais surtout, je dis, le respect, le respect qui est la délicatesse de l'amour. Voilà, mes frères, d'abord ce qu'étaient ces années cachées dans le désert de l'incognito pour Marie. Mais aussi, ce désert c'était pour elle le courage de la Foi.

Car Marie a reçu une illumination au début de sa vie de jeune fille. Elle a su qu'elle devenait la mère de Dieu. Puis elle a sen­ti ce Dieu grandir en elle. Elle a vu naître ce Dieu. Puis elle l'a vu se développer, là, un petit enfant. Elle l'a nourri, elle l'a élevé. Et puis c'était tout, c'était fini! Il ne s'est plus rien passé d'extraordinaire pour Marie. Ce gosse grandissait. Et il de­venait un jeune homme, et un homme, et il ne se passait rien !

 

Or, Marie devait vivre de la Foi exactement comme nous mainte­nant...peut-être encore davantage ? Car elle devait croire que ce jeune homme qu'elle avait mis au monde était Dieu. Or, il ne se passait rien ! Il ne se comportait pas comme un Dieu. Non, plus tard, lorsque le Christ sera entré dans sa vie pu­blique comme on dit, ça fera encore question puisque nous entendrons dire que sa famille voulait aller s'emparer de Jésus pour le ramener à la raison, car on disait : il devient fou.

Et Marie faisait partie du groupe ! Naturellement elle savait bien que son fils n'était pas un illuminé, ni un fou. Mais elle était entraînée par les autres. Voyez, elle était encore une fois méconnue jusque dans la personne de son fils. Et elle devait avoir le courage de sa Foi. Et dans cette Foi, elle était toute seule. Là aussi, elle était cachée !

Elle s'était donnée à Dieu une fois pour toute. Elle était la servante, elle était l'esclave. Elle ne s'était jamais reprise. Et elle suivait le plan de Dieu au jour le jour, sans vouloir l'anticiper, sans vouloir sauter au delà du temps pour savoir ce qui allait arriver après. Non, elle recevait ce que Dieu lui donnait. Elle ne demandait pas de compte à Dieu. C'était cela le courage de la Foi ! Et c'était un désert pour elle !

 

Allez, regardons notre expérience à nous ! Vivre ainsi de cet­te Foi, ça peut être très sec, très dur. On ne sait pas trouver ni à manger, ni à boire, ni à respirer, c'est le désert de la Foi ! Cela a été le désert de Marie ! Et là, elle était cachée. Et ça a duré très, très, très longtemps ! Elle a du aussi dans cette expérience de ces années cachées, elle a du transcender la mort. Cela veut dire qu'elle vivait à tout moment dans l'appréhension de ce qui devait un jour arriver. Car Marie était une Israélite. Mais une Israélite comme il n'y en avait pas d'autres, comme il n'y en a jamais eu d'autres.

Non seulement elle connaissait par coeur les Ecritures, mais elle en pénétrait le sens prophétique. Elle savait les lire comme per­sonne d'autre ne les lisait puisque l'Esprit de Dieu reposait sur elle et la pénétrait.  Elle connaissait donc le sort qui allait atteindre son Fils. Et elle vivait dans cette appréhension. Elle devait donc transcender cette attente de la mort, non pas pour elle, mais pour celui qu'elle aimait plus qu'elle-même, pour celui qui était sa raison d'être. Elle ne pouvait la transcender que - encore une fois - dans une FOI, et en la vivant, cette mort, à tout moment. On comprend mieux alors ce que Saint Benoît nous recommande : d'avoir la mort présente sous les yeux à tout instant, 4,47.

Ce n'est pas pour en avoir peur, mais c'est pour la transcender. C'est pour déjà en espérance être là où le coeur vit et bat. Le coeur est animé par l'amour de Dieu, il est animé par Dieu, il est habité par Dieu, il est déjà là, la mort est transcendée. Mais en attendant, il faut vivre les affres de la mort. Or, Marie a vécu tout cela dans ses années cachées.

 

Voilà, mes frères, ces perspectives que je vous ouvre quelque peu, elles nous confèrent une force qui est dans le détachement, qui est dans la pauvreté et qui est dans l'amour. Le détachement alors, parce que plus rien ne peut m'attein­dre si je ne suis attaché à rien. La pauvreté ? A ce moment je jouis de la liberté parfaite, car je ne possède plus rien. Mais ne possédant plus rien, je suis le maître de tout puisque je sens la vie divine qui palpite en moi et qui demande à exploser à travers tout l'univers.

Et puis l'amour ? Cet amour qui me rend frère universel ! Je me découvre parent de tous les hommes. Je ne peux plus avoir la moindre pensée malveillante pour aucun homme, même le plus dé­chu, même le plus répugnant moralement. Voyez ! Alors je me retrouve dans ce Christ qui, lui, a donné sa vie pour tous les hommes sans exception.

Et ce sont là, mes frères, le détachement, la pauvreté et l'amour, les composantes essen­tielles d'une âme mariale et contemplative. Et c'est ainsi que dans cette vie, dans ces années cachées de Marie, nous pouvons lire et déchiffrer avec joie l'orientation fondamentale de notre vie cis­tercienne.  

 

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          12.03.81

15. Les années cachées et obscures de Marie.

­

Mes frères,

 

En réfléchissant à la marque contemplative que doit porter notre dévotion mariale, je me suis aperçu qu'il était possible d'aller plus loin que notre Père Abbé Général. .Je veux dire que nous pouvons aborder un aspect de la vie de Marie dont il n'est jamais question et qui pourtant souligne avec plus de netteté encore l'orientation fondamentale de notre vie contemplative. Il s’agit des années cachées de la vie de Marie entre la Pente­côte et sa mort.

Nous n'en savons rien ! Quelles furent les occupations de Marie ? Quel laps de temps s'est-il écoulé ? Où a-t-elle vécu ? C'est l'obscurité la plus totale. Il y a bien une tradition sui­vant laquelle elle serait morte à Ephèse. Mais c'est une tradition incontrôlable.

Tout ce que nous savons, c'est que au moment de mourir, Jésus a confié sa mère au disciple qu'il aimait. Et puis c'est tout ! Dieu a voulu ce silence, nous devons le respecter. Mais il peut être pour nous fécond en leçons d'une importance capitale.

 

Essayons un peu de pénétrer dans ce mystère, car c'en est un ! L'apparition publique de Jésus a brusquement jeté Marie en pleine lumière. Puis après le supplice de Jésus, son décès, sa résurrec­tion, nous voyons peu à peu, et assez vite, Marie rentré dans l'om­bre d'où elle était sortie. Toute l'attention est polarisée sur la personne de Jésus qui est le Seigneur. De Marie, il n'est plus jamais question. Elle est écartée, elle est oubliée.

Dans l'hagiographie récente nous pouvons trouver un cas ana­logue. C'est celui de Bernadette. Après les apparitions, elle entre au couvent. Et là elle y passe des années, inconnue, méconnue même. Et on la tient dans l'ignorance de l'évolution des événements à Lourdes même. Elle ne sait plus rien. Ce n'est qu'après sa mort qu'on s'aperçoit que cette fille était une sainte.

 

Or, pour Marie, on savait pourtant qui était Jésus maintenant. On savait qu'il était le fils de Dieu. On savait qu'il était Dieu venu parmi nous sous une forme humaine, et que sa chair d'homme, il l'avait empruntée à une femme qui était cette Marie qui avait donc un destin prodigieux, unique. Et malgré cela, il n'est jamais question de Marie. Il y a une toute, toute petite allusion chez Saint Paul lorsqu'il dit : Lorsque les temps furent venus, Dieu envoya son Fils, né d'une femme, né sujet de la Loi.  Et c'est tout !

Il est né d'une femme, une femme, voilà,  et c'est tout ! C'est un peu déconcertant ! Il a fallu attendre quatre siècles pour que au Concile d'Ephèse on se souvienne de Marie et qu'on la proclame Theotokos, Mère de Dieu. Et encore, ce n'était pas tellement pour elle, c'était pour affirmer la réalité de l'Incar­nation du Verbe de Dieu.

Mais après, tout de même, elle est de nouveau entrée dans la vie publique de l'Eglise. Et voilà aujourd'hui nous savons ce qu'il en est. Mais son Assomption qui est pourtant un événement aussi extra­ordinaire que l'ascension de son Fils, s'est passée dans le plus profond des secrets...Une affaire privée entre son Fils et elle.

 

Eh bien, mes frères, voilà donc ces années, ces années cachées et obscures de Marie après la Pentecôte, jusqu'à sa mort. Et Marie pourtant ? Marie, nous pouvons sans tomber dans le roman, ni le sentiment, ni l'imaginaire, nous pouvons dire que Marie vivait avec une certitude enracinée en elle, une certitude qui portait sur le passé et qui se dirigeait vers l'avenir. Marie repassait dans son coeur-mémoire tous les événements qu'elle avait vécus depuis l'annonce merveilleuse de l'ange jusqu'à la mort et la résurrection de son Fils.

 L'Ecriture nous le dit, elle le faisait dans les années cachées avant la révélation publique de Jésus. Elle a continué certainement après, avec une intensité nou­velle et sous un éclairage nouveau car maintenant, elle compre­nait, elle savait beaucoup mieux. Elle voyait même que ces événements prenaient une dimension divine. Ils s'élargissaient aux limites du monde. Et elle voyait les hommes un par un, par leur nom - elle les connaissait par leur nom chacun - elle les voyait entrer en elle et devenir ses enfants.

Son rôle maternel prenait une nouvelle dimension. Elle commen­çait à ce moment là à devenir mère une seconde fois. Elle enfantait ce qui devenait, ce qui allait devenir le Corps Mystique du Christ. C'est à ce moment-là qu'elle a fait son apprentissage de mère mys­tique qu'elle est devenue et qu'elle est. En plus, ça, c'était pour le passé qui commençait à s'étendre dans le présent.

 

Maintenant le futur : Elle avait reçu l'Esprit Saint. Elle en était transformée, mais d'une façon impossible à imaginer, à concevoir pour nous. Car l'Esprit était venu dans une femme qui n'avait jamais, jamais connu le péché. Qu'est-ce que ça pouvait donc réaliser en elle ? Nous ne pouvons pas le concevoir ! Mais il est certain que son oeil, son esprit et son coeur absolument pur et déjà divinisé lui rendaient présent les derniers temps du monde. La dernière heure était déjà là, présente pour elle, cette heure où Dieu serait tout en toute chose.

C'est ainsi que son action - car c'en était déjà une - dépas­sait et l'espace et le temps. Elle a donc fait pendant ces années cachées, elle a fait l'apprentissage de ce qu'elle devait être pour toujours, c'est à dire la Mère de tous les hommes. Elle récapitulait dans sa personne l'humanité, l'humanité en train de naître dans la souffrance, dans l'angoisse, dans la lutte. Mais une humanité déjà nimbée de la gloire de la Trinité dans laquelle cette humanité entrait.

Elle était donc pour l'humanité une sorte de prototype, mais plus qu'un prototype, une tête et un corps ; c'est à dire que le Corps Mystique du Christ était déjà comme entièrement construit en sa personne à elle seule. Et étant là, les hommes un à un sortaient d'elle et prenaient leur place dans ce Corps. Et tout cela s'est inauguré dans ces années cachées mais in­finiment fécondes de Marie, peu avant sa mort.

           

On peut donc dire que la mission terrestre de Marie a atteint son sommet au cours de cette obscurité, dans cette obscurité.       Et cela correspond exactement à notre mission à nous. Le moine est un contemplatif et un pneumatique.

Il est un contemplatif : c'est à dire qu'il voit et qu'il sait. Il voit les événements de l'histoire. Il les vit et il les subit comme tous les hommes. Mais à l'intérieur de ces événements il voit la moelle et la sève surnaturelle, spirituelle et divine qui y est à l'action, et qui construit l'éternité, qui construit l'humanité nouvelle, qui édifie le Royaume de Dieu. Il le voit comme Marie le voyait.

Mais comme il est aussi un pneumatique, tout cela il le réper­cute en sa personne, il le vit, il se laisse posséder par l'Esprit de Dieu. Et il devient dans son obscurité, dans sa cachette, dans son désert, il devient présence vivifiante et transfigurante de l'Esprit, du Fils et du Père, donc de la Trinité toute entière, là dans le monde, ce monde qui est toujours en voie de création, d'évolution, et de transformation.

 

Mes frères, vous voyez que l'orientation fondamentale de notre vie contemplative est fortement soulignée par ces années cachées de Marie entre la Pentecôte et l'Assomption. C'est exactement ce que nous vivons dans notre désert à nous. Et nous comprenons encore mieux que la toute première démarche qui constitue le moine, c'est d'entrer dans le désert, c'est l'anacho­rèse, c'est cette démarche qui le fait s'enfoncer dans l'obscurité.

Voyez Marie dans cette phase de seconde obscurité ! Elle était morte sociologiquement avant d'être morte biologiquement. Il y avait une sorte de mort civile pour elle. Elle n'existait plus tout en étant là. Mais c'est alors, je le répète, que sa mission terrestre atteignait son sommet, et son sommet qui plongeait jusqu'aux derniers jours de la création ­et qui allait chercher ses racines dans le plan de Dieu, dès avant la création du monde.

Eh bien, mes frères, le moine s'insère, lui, à cet endroit. Et si notre dévotion Mariale a une telle dimension contemplative, voyez quelle richesse cela représente pour nous, pour notre vie personnelle, mais aussi pour la vie de l'Eglise et pour la vie de l'humanité. Si nous parvenons - avec l'aide de Dieu, toujours - à demeurer fidèle, sans crainte, et en nous disant que dans notre obscurité, dans notre désert, nous réalisons une oeuvre que jamais absolument personne d'autre que Marie n'a jamais été capable de réaliser.

 


Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          14.03.81

16. Anima sponsa Verbi !

 

Mes frères,

 

Je vous ai dit avant-hier soir que le sommet de la mission terrestre de Marie avait été atteint au cours des années cachées entre la Pentecôte et la Dormition. C'est à ce moment-là qu'elle a appris son nouveau métier de Mère. Elle a commencé à enfanter le Corps Mystique de son Fils. Et je voudrais ajouter ceci en rapport avec notre vie contem­plative à nous, notre vie cistercienne surtout, car c'est typique­ment Bernardin.

Lorsque Dieu conduit quelqu'un vers les sommets de la contem­plation et de l'union à son Fils, il arrive ceci. L'anima, l'âme devenue sponsa Verbi, épouse du Verbe, commence à enfan­ter de Dieu et pour Dieu dans le secret et le silence. Personne ne le remarque. Et c'est la raison pour laquelle Dieu la dissimule, la cache jalousement dans l'obscurité de sa lumière.

 

Il se passe quelque chose d'analogue à ce que les fils d'Israël ont vécu à deux reprises lorsque le Seigneur les a fait sortir hors d'Egypte : Au moment où les Egyptiens étaient plongés dans les ténèbres les plus opaques, seul les fils d'Israël étaient dans la lumière. Mais c'était une lumière qui les rendait invisibles aux yeux des autres hommes. Ainsi en va-t-il de la lumière dans laquelle est cachée la sponsa Verbi.

Ou encore, lorsque ils cheminaient entre l'Egypte et la Mer Rouge, et au moment où ils traversaient la Mer Rouge, la nuée qui les séparait des Egyptiens était lumineuse de leur côté, et elle était obscure du côté de l'Egypte. Et il en est encore ainsi ! Il en était ainsi pour Marie. Il en est ainsi pour l'âme contemplative. Et vous voyez la raison pour laquelle Dieu appelle ces âmes dans un désert où elles doivent être vraiment cachées.

Et c'est à cette condition, lorsqu'elles demeurent fidèles, que Dieu peut travailler en elles et les conduire jusqu'à devenir à leur tour mère et à enfanter de Dieu, du Verbe pour le Verbe. Et elles sont, à ce niveau, dans cet état, elles sont en parfaite sympathie avec la Vierge Marie. Car elles revivent chacune pour leur compte ce que vivait Marie dans l'intervalle entre la Pentecôte et sa mort. La dévotion Mariale est donc bien nécessaire. C'est ce que le Père Abbé Général nous dit pour terminer.

 

...Pour finir, la dévotion Mariale est nécessaire. Ce n'est pas un élément facultatif mais une partie intégrante de la vie chrétienne, de la vie en Eglise. Le deuxième Concile du Vatican a mis cela en évidence clairement quand il a préféré lui consacrer un chapitre de la Constitution sur l'Eglise "Lumen Gentium", plutôt que de produire un document séparé.

La nécessité de cette dévotion découle de considéra­tions théologiques, de ce que le Christ est né de Marie et nous a incorporé dans son Corps Mystique, il suit automatiquement qu'elle n'est pas seulement la Mère du Christ, mais la nôtre aussi. Naturellement, c'est une maternité spirituelle et non pas physique.

Il y a une étroite analogie entre nos relations à notre mère humaine et à la Sainte Vierge. Mais comme toutes les analogies, elle pèche sur un point. Dans l'ordre humain, après un certain laps de temps, nous pouvons avancer sans notre mère. Elle peut mourir tandis que nous continuons à vivre. Si elle ne meurt pas, nous devenons indépendant d'elle.

Ce n'est pas le cas dans l'ordre de la grâce : nous pou­vons être des adultes, mais spirituellement nous dépendons toujours de notre mère. Pour exprimer cela autrement: spirituellement nous n'atteignons notre pleine croissance, notre taille d'adulte qu'au moment de la mort.

Quand je dis que dévotion à Marie est nécessaire, non facultative, cela s'applique évidemment à cette attitude essentielle d'honneur et d'amour que la Foi nous demande d'avoir envers elle, et non aux dévotions particulières et extra liturgiques. Comme nous ne sommes pas de purs esprits, nous avons besoin de quelques dévotions pour exprimer notre dévotion intérieure.

Mais elles peuvent varier d'un endroit à l'autre et d'une personne à l'autre. Elles sont bonnes et désirables pour autant que elles nous aident à exprimer et vivre la dévotion essentielle d'une manière toujours plus profonde.

 

Voilà, mes frères, ça suffit pour aujourd'hui. Lundi, sauf grippe, j'ajouterais quelques petits mots personnels.

 

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          15.03.81

17. La dévotion mariale est nécessaire.

 

Mes frères,

 

Le Père Abbé Général nous a dit que la dévotion à Marie était nécessaire, parce que, dit-il : Elle est une partie in­tégrante de la vie chrétienne. Partie intégrante, cela veut dire que sans elle notre organisme de chrétien ne serait pas complet. C'est comme si il me manquait des bras et des jambes ? Je serais un homme in­valide, un handicapé comme on dit aujourd'hui. Si nous n'avons donc pas de dévotion mariale, notre vie chrétienne est handicapée !

           

Mais, on peut encore aller plus loin et entendre intégrante dans un sens beaucoup plus profond. Cela signifie alors que la dévotion mariale est un des éléments - si pas le premier élément - qui constitue mon être chrétien en un ensemble bien structuré, homogène, harmonieux, équilibré et vivant. Je vais utiliser deux comparaisons pour me faire compren­dre. D'abord celle d'un édifice, puis celle du corps humain.

Voyons un édifice ! La dévotion mariale serait dans l' édifice ce qui en a été, ce qui en est encore le plan. Sans un plan dressé par un architecte, vous n'aurez pas une maison habitable, vous n'aurez rien. Elle est en plus du plan, ce qui assure la solidité de l'édifice : le ciment, pour ce qui est des pierres et les pou­tres pour ce qui est des murs et des toitures.

Voilà donc la dévotion mariale ! Sans elle, je n'aurais plus qu'un tas de cailloux ou de bois, ou de ciment, ou de tuiles. Voyez, je n'aurais plus rien ! C'est la dévotion ma­riale qui va organiser ma construction chrétienne et spiritu­elle.

 

S'il s’agit du corps maintenant, d'un corps humain, on peut dire que la dévotion à Marie est ce qui permet à ce corps tout bonnement de vivre. Elle sera donc ce que l'âme est à mon corps. Si je n'ai pas de dévotion mariale, tout mon organisme spirituel va se désagréger, il va se liquéfier, il va se dissoudre, il ne res­tera plus rien. Mais pourquoi ?

C'est très facile à comprendre. Le père Abbé Général le rappelle : Cela découle de considérations d' ordre théologique. Marie est la Mère de Jésus le Christ, qui lui est lui­-même la tête d'un Corps dont je suis un membre. C'est Marie qui a tout donné au Christ, tout. C'est à dire que sans Marie, le Christ ne serait pas. Sans Marie, au plan de la grâce, je ne serais pas non plus. C'est elle qui me donne ma consistance, c'est elle qui assure mon homogénéité spirituelle.

Voyez ! Elle est pour moi, elle est, oui, elle est en moi le projet que Dieu a sur moi parce que je suis en elle comme dans un sein maternel. Et c'est elle qui me forme. Le Père Abbé Général use alors de cette analogie dont j'ai parlé assez. Je n'y reviens plus. Mais je cite, je rappelle simplement cette parole :

 

...Il y a une étroite analogie entre nos relations à notre mère humaine et à la Sainte Vierge, mais com­me toutes les analogies elle pèche sur un point. Dans l'ordre humain, après un certain laps de temps, nous pouvons avancer sans notre mère. Elle peut mourir tandis que nous continuons à vivre. Si elle ne meurt pas, nous devenons indépendant d'elle.

Ce n'est pas le cas dans l'ordre de la grâce. Nous pouvons être des adultes, mais spirituellement nous dépendons toujours de notre mère. Donc, toujours nous dépendons de Marie !

 

Il dit ceci:

 

...Spirituellement nous n'atteignons notre pleine croissance, notre taille d'adulte qu'au moment de la mort.

 

Ici, j'irais même encore plus loin que lui, ça dépend un peu dans quel état nous mourons ? Si au moment de notre mort, nous sommes parfaitement chris­tifiés, divinisés, nous sortons alors du sein de Marie et nous pouvons alors être immergés immédiatement au sein de la Trinité. Il y a passage de l'un à l'autre. Marie nous donne à notre uni­vers nouveau entièrement constitué dans notre être de fils de Dieu.

Mais, si au moment de notre mort, pour toutes sortes de raisons - dont je suis en bonne part responsable - je ne suis pas encore tout à fait un fils de Dieu, s'il y a encore en moi de l'égoïsme ? S'il y a encore du péché ? Il faut donc que cette naissance se poursuive après ma mort. C'est ce qu'on ap­pelle en langage de théologie, le purgatoire.

Mais à ce moment-là, l'action de Marie n'est pas encore terminée. Et même là, elle contribue, elle achève de nous for­mer. Donc, elle se trouve partout dans notre vie depuis le mo­ment de notre conception jusqu'au moment de notre entrée au sein de la Trinité.

 

Alors, nous pouvons vivre séparé d'elle, indépendamment d'elle. Et nous ne devons plus entretenir avec elle que des relations dont parle le Père Abbé Général : d'honneur et d'amour, qui alors sont arrivées à leur plein épanouissement, mais qui doivent déjà commencer maintenant. Je vais laisser ça pour une autre fois, en conclusion de toute la lettre.

 

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          21.03.81

18. Une attitude d'honneur et d'amour. Conclusions.

 

Mes frères,

 

Le Père Abbé Général nous dit que l'essentiel de la dévo­tion mariale réside dans une attitude d'honneur et d'amour envers Marie. Honneur ? C'est à dire que nous devons honorer Marie. Amour ? Cela va de soi, nous devons l'aimer.

Nous devons l'honorer parce qu'elle est la Mère de Dieu. Elle est la Theotokos. C'est à partir de cette mission que toute sa beauté intérieure - et extérieure certainement aussi - ­coule comme des ruisselets à partir d'une source. Et ici, je dois vous mettre en garde contre un danger. C'est celui de l'accoutumance.

 

Dans la Salutation Angélique, nous disons : Sainte Marie Mère de Dieu. Au moment de chaque Angélus, par exemple, aussi nous le répétons. A force de répéter Mère de Dieu, nous ne sa­vons plus ce que ça représente. Nous ne réalisons plus l'inouï, l'extraordinaire du fait qu'une femme puisse être - mais en toute réalité - la Mère de Dieu. On comprend que les premiers théologiens ont vacillé de­vant un fait, un mystère d'une telle ampleur et que certains ont trébuché et sont tombés. Au moins ils avaient, eux, le mé­rite d'avoir essayé de scruter ce mystère, avec beaucoup de respect toujours. Mais ils étaient tellement éblouis ou plon­gés dans l'obscurité que, ma foi, ils se sont trompés lorsqu'il a fallu l'exprimer en mots humains.

Cette accoutumance, voyez-vous, elle nous fait perdre le sens de l'émerveillement, de l'admiration devant ce que Dieu réalise. Et c'est souvent le péché des adultes, des adultes que nous sommes. Il n'y a plus rien qui peut nous ébranler, rien qui puisse nous toucher. Nous sommes blindés. Nous avons, comme dit l'Ecriture, un coeur de graisse. On comprend mieux que pour entrer dans ce Royaume du divin il faille redevenir enfant, un qui s'étonne de tout, qui est en admiration devant tout, qui croit tout.

Voilà, mes frères, cette attitude d'honneur envers Marie, ce que cela suppose chez nous ! Et ce n'est pas si simple !

 

Et nous devons aimer Marie parce qu'elle est non seulement la Mère de Dieu, mais notre Mère à nous. Et ici, il y a un autre péril : c'est celui de l'oubli. Nous risquons d'oublier que Marie est notre Mère. Nous pouvons la voir comme la femme idéale, comme une jeune fille toute pure. Nous pouvons l'admirer comme la Reine du ciel et de la terre, aussi même l'appeler notre Mère et OUBLIER qu'elle est toujours en état d'enfantement. Elle nous enfante mainte­nant, comme le Père Abbé Général le rappelait.

Spirituellement, nous dépendons toujours de Marie, même si nous sommes des adultes. Dans l'ordre de la grâce, on n'est jamais séparé de Marie. Nous le serons, c'est à dire que nous serons venus, oui, vraiment au monde lorsque nous aurons notre stature adulte d'homme parfait en Christ. Certains d’entre nous avant la mort ? Pour d'autres ce sera après la mort ? Je ne vais pas revenir là dessus.

Attention à cet oubli ! Parce que ça peut alors nous faire perdre beaucoup de temps dans notre croissance spirituelle. C'est comme si un petit enfant dans le sein de sa mère oubliait qu'il s'y trouve, et qu'il voudrait dire : eh bien maintenant je vais faire les choses tout seul ! Non, ça n'ira pas ! Eh bien nous, nous nous comportons ainsi, comme des, voilà, je ne sais pas ? On dirait presque comme des anor­maux ! Prenons bien garde, donc, à l'accoutumance et à l'oubli.

 

Et cette attitude essentielle d'honneur et d'amour envers Marie doit s'exprimer, comme le dit le père Abbé Général, au travers de quelques dévotions - au pluriel ici - . Des dévotions extra liturgiques qui dépendent du tempérament, du génie, de la personnalité de chacun. L'éventail est plus ou moins large, plus ou moins étendu ? Chez certains, c'est réduit au minimum. Chez d'autres, c'est beaucoup plus fourni. Nous n'avons pas à nous occuper de ce que fait notre voisin. Mais nous devons l'exprimer, cette dévotion essentielle, par des gestes, ou des prières, ou des pensées, enfin ce qui en nous peut adéquatement exprimer ce que nous sommes vis à vis de Marie et ce que Marie est vis à vis de nous.

 

La Règle de Saint Benoît, elle, ne parle pas explicitement de Marie. Mais je vous ai déjà dit qu'elle en était toute im­prégnée, imbibée comme une éponge qui est plongée dans la mer et qui est imbibée d'eau, et qui vit de cette eau. L'éponge tirée hors de son milieu naturel aquatique et salé, elle est morte. De même la Règle de Saint Benoît sans ce courant Marial qui circule partout en elle, elle serait un squelette, pas même un cadavre ?

            Je vais vous donner un petit exemple, il en fourmille dans cette Règle. Le premier mot de la Règle, c'est : ausculta, écoute. Et le dernier mot de la Règle, c'est : pervenies, tu parviendras  sur les sommets des vertus.

 

Ausculta ? Eh bien, c'est Marie toute entière. Elle est l'écoutante par excellence. Elle est la plus parfaite des fil­les d'Israël. Or, la note caractéristique du véritable Israé­lite, c'était d’écouter. La profession de foi que Jésus connaissait, nous la re­trouvons dans l'Evangile. Il est heureux lorsqu'un Scribe peut la réciter. C'est Ecoute...ça commence par Ecoute.

Or, Marie était l'écoutante. Et lorsque Saint Benoît fait commencer sa Règle par le mot Ecoute, il la branche toute en­tière sur l'attitude première de Marie. Elle avait une oreille tellement fine qu'elle ne perdait rien de ce que l'Esprit lui soufflait dans le creux de l'oreille. Il est dit tant de fois dans les Psaumes : Incline ton oreille, tends l’oreille. La vie contemplative, elle commence par le tuyau de l'oreille et non par les yeux. Ne l'oublions jamais !

Marie était l'écoutante, elle était l'obéissante. Car obéir, étymologiquement, cela veut dire écouter avec une attention soutenue.

 

Et alors, si je prends le mot pervenies, tu vas parvenir à ces sommets. Rappelez-vous ce qu'elle dit dans son chant d'action de grâces : Il a réalisé, il a fait en moi des choses grandes, il m'a fait parvenir sur les sommets. Marie n'est pas une cérébrale ! Lorsqu'elle dit cela, elle a des images qui charrient devant ses yeux. Elle voit le Mont Sinaï sur lequel est monté son Ancêtre Moïse ; et là, il rencon­trait Dieu.

Je devais traduire dernièrement encore un Psaume, et je voyais que le sommet, le sommet de tous les sommets, je dirais ainsi, c'est Jérusalem, la ville de Jérusalem. A son époque, mystiquement alors, pas réellement, mais mystiquement et allé­goriquement Jérusalem était située sur la plus haute de toutes les montagnes du monde et elle dominait le monde entier.

Vous voyez! Donc il faut toujours avoir ces images devant les yeux : tu vas arriver sur ces sommets. Or, Marie, elle y vivait !

 

Maintenant, si j'exprime cela de façon plus théologique toujours en me référant à la Règle de Saint Benoît, elle nous apprend, cette Règle, la sequela Christi. Suivre le Christ en entrant toujours avec plus d'amour, plus de confiance, dans la volonté de notre Dieu. Marie laissait entrer cette volonté de Dieu par ses oreilles et elle s'en nourrissait. Notre nourriture terrestre, mais nous l'ingurgitons après l'avoir mastiquée dans notre bouche.

La nourriture spirituelle, elle pénètre en nous à travers notre écoute, la fidélité de notre écoute. Et ainsi nous pouvons suivre le Christ qui va nous condui­re alors là où il est arrivé, à cette transfiguration en lui qui devient un rayonnement de son être. Alors, voyons ici Marie qui va réaliser cela en nous. Car cette sequela et cette transformation de notre être ne peuvent s'opérer qu'à travers le prisme de Marie.

En effet, je reviens à cette attitude essentielle dont parlait le père Abbé Général : elle est notre mère, et nous ne pouvons pas y échapper. Nous ne pouvons suivre le Christ, et nous ne pouvons être transformé en lui que si nous marchons dans la main de Marie ; ou bien ou bien si nous avons l'humi­lité et la sagesse de vivre dans son sein et de n'en pas sortir. Cela, c'est la logique ! J'ai fait allusion un petit peu à cette logique ce matin au cours de l'homélie, mais impossi­ble de tout dire à la fois ! Mais ça rejoint ce que je vous explique maintenant.

 

C'est ainsi que le père Abbé Général a le droit de conclure sa lettre sur cette phrase :

 

...Que Marie notre avocate intercède pour nous devant le trône de Dieu, afin que nous puissions suivre son Fils avec une fidélité toujours plus profonde et parvenir finalement à cette vision de gloire pour laquelle nous sommes tous faits.

 

C'est donc bien cela suivre le Christ pour être transfigu­ré en lui. Or, seule Marie peut aider à parvenir à cette pleine stature de notre humanité spirituelle. Car on ne le redira ja­mais assez: elle est notre Mère. C'est elle qui nous forme, personne d'autre ! Et il dépend de nous d'être sages ou bien d'être fous.

D'être sage selon Dieu ? Ce qui est peut-être une folie aux regards des hommes ? Et il y a une folie aux regards de Dieu qui peut paraître très sage aux hommes. Mais il nous est demandé à nous d'être sage selon Dieu. Et ainsi, dès cette vie et pour l'éternité, elle nous fera parvenir au sommet de notre appel, de notre appel à la vie, et de notre appel à la vie Divine. Et cela, c'est l'idéal Bénédic­tin et l'idéal Cistercien.

N'oublions pas que les premiers Cisterciens appelaient Marie leur Dame, leur Domina. Donc, c'était leur Maîtresse, leur Seigneure avec un e, si ça existe au féminin ? Elle était aussi leur Reine, leur Regina. Elle les conduisait. Mais elle n'était pas moins, et surtout elle était leur Mère. Et c'est parce qu'elle était leur Mère qu'elle pouvait être leur Maîtresse de vie et leur Reine...

 

Et maintenant, mes frères, voilà, l'Année consacrée à Saint Benoît peut être déclarée close comme on déclare clos un Chapi­tre Général. Et si vous le voulez bien, nous la clôturerons sur deux sentences.

La première empruntée à la Règle de Saint Benoît: Ne rien préférer à l’Amour du Christ qui nous conduira tous ensemble – paraiter – à la vie éternelle, c'est à dire au parta­ge de sa vie à lui.

Et une seconde sentence empruntée à Saint Bernard. Elle est très connue, mais on n'en parle jamais plus ! Auparavant, à l'Office de Nuit du Samedi, ça revenait. Maintenant ce sont d'autres Lectures. Peut-être qu'une fois l'entendrons-nous dire encore. C'est celle-ci : Omnia nos habere voluit per Mariam, Dieu a voulu que nous recevions, que nous obtenions tout par Marie. Tout, absolument tout ! Il n'y a aucune exception dans le domai­ne de la grâce, dans le domaine de la vie éternelle, le seul qui nous intéresse. TOUT, même les plus hauts sommets de la vie divinisée.

 

Voilà, mes frères, confions-nous à elle à l'issue, à la fin de cette année de Saint Benoît. Et nous savons que notre vie est en bonne main et que avec l'aide de Marie, notre Mère, de Saint Benoît notre guide, nous parviendrons là où nous som­mes tous attendus.

 

 

 

 

Table des matières :

 

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          27.01.81. 1

1. Présentation et Introduction.. 1

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          28.01.81. 3

2. Proclamer la Bonne Nouvelle – Marie notre Mère.. 3

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          03.02.81. 6

3. Où en est notre dévotion à Marie ?.. 6

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          05.02.81. 9

4. La dévotion mariale doit être réelle ou vrai ! 9

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          07.02.81. 12

5. Marie en sa vérité.. 12

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          10.02.81. 15

6. Ne pas être centré sur soi ! 15

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          14.02.81. 17

7. Une dévotion théologique ! 17

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          17.02.81. 20

9. Une dévotion personnelle ! 20

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          02.03.81. 22

10. Danger de la représentation imagée.. 22

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          03.03.81. 25

11. Une dévotion personnelle qui est nôtre ! 25

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          07.03.81. 26

12. Une dévotion personnelle virile et adulte ! 26

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          07.03.81. 28

12. Une dévotion personnelle virile et adulte ! 28

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          09.03.81. 30

13. Une dévotion contemplative ! 30

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          10.03.81. 33

14. La vie cachée de Marie.. 33

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          12.03.81. 35

15. Les années cachées et obscures de Marie.. 35

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          14.03.81. 38

16. Anima sponsa Verbi ! 38

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          15.03.81. 39

17. La dévotion mariale est nécessaire.. 39

Lettre : La dévotion à la Vierge Marie.          21.03.81. 41

18. Une attitude d'honneur et d'amour. Conclusions.. 41

Table des matières :. 44

 

Homélie de l’Eucharistie Vespérale.               14.08.81

      Heureuse la mère qui t’a porté dans ses entrailles !

      1 Co 15, 54-57 * Lc 11, 27-28.

 

Excusez-moi, mes frères, si je saisis au vol la répartie de Jésus à l'adresse de cette brave femme qui de la foule, avec enthousiasme, complimente Marie d'avoir eu un tel fils. Et si je vois, dans cette réponse du Christ, une des clefs qui permet de déchiffrer l'énigme de notre vie contemplative.

Oui, nous le savons, notre vie fait question. Entrer dans le désert, se priver des plaisirs de la vie, des satisfactions les plus légitimes, renoncer à tout ! N'est-ce pas quelque part un peu folie suicidaire ? On comprend que le monde parfois hausse les épaules et se tapote la tempe. Heureux celui qui entend la Parole de Dieu et qui la garde !

 

Voilà l'explication : le moine est charmé par un chant qui le captive au plus profond de son coeur. Ce chant est por­té sur les ondes de l'Esprit. Et il lui dit des choses qu'il n'est pas possible à un homme de répéter. Ce chant est une Parole, la Parole de Dieu. Une Parole que Dieu imprime dans la chair du coeur comme sur un cristal qui doit le restituer en gestes, en actions de lumière, de beauté, d'amour, de paix, de force. Cette Parole, elle est vie. Elle est la Vie Eternelle. Celui qui la reçoit et qui l'accueille a déjà vaincu les puis­sances de la mort, la mort elle-même, à jamais, comme vient de nous le rappeler l'Apôtre Paul.

 

Cette expérience, mes frères, nous la faisons si nous sommes fidèles à l'ombre de celle qui l'a faite avec une per­fection inégalable. C'est à elle que en tout premier lieu pensait son Fils lorsqu'il proclamait heureux celui qui entend le chant de cette Parole, qui l'accueille et qui la garde. Et Marie elle-même, tout au début, elle n'avait pas craint au moment où cette Parole s'incarnait en elle, elle n'avait pas craint de dire que toutes les générations jusqu'à la fin des temps la chanteraient bienheureuse.

Mes frères, le bonheur de Marie, nous pouvons à peine l'imaginer, son bonheur, lorsqu'elle entendait, lorsqu'elle écoutait ce chant. Un exemple que la liturgie nous rappelle aujourd'hui : lorsqu'elle mâchait, lorsqu'elle ruminait cette Parole dans son coeur, elle savait, elle se reconnaissait dans cette arche mystérieuse transportée au son des musiques, aux cris de joie de tout un peuple jusque dans la demeure préparée pour elle. Et son bonheur était à son comble, lorsqu'elle voyait l'humanité entière, nous-mêmes qui sommes ici présent en ce moment, introduits avec elle dans le sanctuaire de la Trinité.

           

Mes frères, efforçons-nous de réaliser consciemment ce que Marie a mérité pour nous : nous laisser bercer puis emporter hors de nous-mêmes au chant de cette Parole, hors de nous-mêmes dans les espaces infinis de l'amour et de la liberté, jusqu'au lieu de la rencontre avec elle notre mère, avec Jésus notre Rédempteur, dans la Lumière de la gloire pour les siècles sans fin.

 

                                                                                                                           Amen.

 

Chapitre : Fête de l’Assomption de Marie.       15.08.81

      Marie a dû mériter la grâce de son Assomption.

 

Mes frères,

 

Nous savons que la maternité divine est le fondement ontologique et théologique de l'Assomption de Marie. Nous ne devons pourtant pas nous imaginer que le fait d'être la mère de Dieu aurait conféré à Marie une sorte de passe-droit, comme si il lui avait ouvert le bénéfice d'un régime d'exception, et cela, automatiquement. Il a fallu que Marie mérite la grâce de son Assomption à l'intérieur de sa maternité divine. Je vais en quelques mots vous donner mon impression à ce sujet.

 

L'Assomption de Marie a dû être la consécration obligée d'un état qui lui était habituel. Tout au cours de son exis­tence terrestre, Marie vivait déjà entièrement à l'intérieur du Royaume des cieux. Et cela, par sa foi, mais une foi forte, une foi éprou­vée, limpide, paisible aussi. Marie est définie comme celle qui croit. Sa foi s'identifiait à son être.

Lorsque sa parente la voit arriver vers elle, et qu'elle sent son enfant tressaillir à l'approche de Marie, elle s'ex­clame : Mais heureuse es-tu, toi qui a cru ! On pourrait presque dire que le nom de Marie signifie celle qui a toujours cru. C'est ainsi qu'elle est devenue et est restée la plus extraordinaire des contemplatives et notre modèle pour toujours.

Cette foi de Marie, elle s'est dilatée à l'intérieur même de sa perfection. Elle était parfaite, mais elle se di­latait. Si bien que Marie était la plus réaliste des créatures. Elle voyait les choses dans leur coeur. Tandis que nous, nous glissons - la plupart du temps, pour ne pas dire toujours ­- à la surface des apparences.

 

Marie voyait les choses surgir des mains de Dieu à l'instant même où il les créait. Elle les voyait façonnées­ par les doigts de l'Esprit. Et à ces choses, elle adhérait de toutes ses forces. C'est là l'origine de ce qu'on appelle sa compas­sion. Cette compassion qui s'étendait des situations les plus tragiques - pensons au moment où elle se trouvait debout au pied de la croix de son Fils - jusqu'aux situations les plus banales lorsqu'elle remarque au cours d'une noce qu'on va être privé de vin.

Marie faisait corps avec tout ce que Dieu créait, avec tout ce que Dieu disposait. Jamais elle ne contredisait, ja­mais elle ne se révoltait, jamais elle ne s'aigrissait.  Non, tout ce que Dieu offrait à elle-même, aux autres, elle l'acceptait parce qu'elle voyait le coeur des choses. Elle voyait au-delà des choses, elle voyait l'amour de Dieu qui, à travers ces choses, réalisait des prodiges. Elle les voyait déjà.

Nous, à moins d'avoir le regard dioratique, nous les voyons trop dans leur instantanéité, dans leur ponctualité plutôt, et cela, trop à la superficie. C'était cela la foi de Marie !

 

Si bien que Marie aimait passionnément le monde. Nous savons que Dieu a tant aimé le monde, qu'il lui a donné son fils unique. Mais ce fils était aussi le fils unique de Marie. Et après cet amour de Dieu pour le monde, il n'y en a pas eu de plus grand que celui de Marie. Naturellement, Marie savait que si le Royaume de Dieu n'est pas de ce monde, qu'il ne tire pas son origine de ce monde, elle savait aussi que le Royaume de Dieu est à l'in­térieur du monde et qu'il ne se distingue du monde que par la dimension surnaturelle, divine déjà, qu'il confère au monde. 

Le monde est destiné à être le temple de la divinité, la ré­vélation de la gloire de Dieu. Et il l'est déjà. Il l'était déjà pour le regard de Marie. C'est ainsi que toute l'oeuvre de la Rédemption était ouverte à Marie. Et elle y entrait de tout son être pour y col­laborer. Et pas seulement au moment de la passion de son fils ? Non, dès le premier instant où elle a eu conscience de ce qui se passait autour d'elle. C'est pour cela qu'elle est corédemp­trice.

 

Mes frères, à l'heure de son endormissement dans la mort, Marie était à elle seule le monde parvenu à son point d'achèvement et de perfection. Vous comprenez ce que je veux dire ? Tout le cosmos, non seulement le cosmos raisonnable, mais aussi le cosmos maté­riel brut était ramassé en elle. Elle en était et la fleur, et la somme. Mais un cosmos arrivé à son point de luminosité parfaite. A ce moment, en elle, il n'y avait plus rien d'autre qu'un chant à la louange du Créateur et du Rédempteur.

Si bien que, lorsque peu après, avant que la corruption n'ait pu commencer son oeuvre dans la chair de Marie, dans la personne de Marie, c'est le monde dans sa matérialité et sa carnalité qui était transporté au sein de la Trinité. Et c'est pourquoi Marie est doublement notre mère. Elle est notre mère au plan de la grâce parce qu'elle est la mère de la tête du grand corps que tous nous formons. Mais aussi, elle est la mère au plan de notre chair, de notre corps qui est appelé à être lui aussi un jour introduit au coeur de la Trinité.

 

Mes frères, dans l'Assomption de Marie, c'est notre vic­toire finale que nous célébrons. Elle est le premier fruit de la résurrection du Christ. Et elle est notre espérance, l'espérance de notre propre résurrection. Le Père Emmanuel Lanne nous a rappelé, l'autre jour au soir, que l'Eucharistie surtout au moment où commence la grande prière consécratoire jusqu'à l'instant où tous nous communions au Corps et au Sang du Christ, que l'Eucharistie est présence réelle du monde achevé. C'est l'humanité rachetée et déjà glorifiée, et divinisée qui à cet instant-là est déjà réellement présente. Il y a donc là une anticipation de l'esckaton. Non pas une représentation allégorique, simplement symbolique, mais bien réelle.

Eh bien, au centre de cet événement Eucharistique, il y a la personne de la Vierge Marie dans son corps, dans son âme déjà parfaitement glorifiée. Et autour d'elle, il y a tous les élus. Dans quel état sont-ils, eux, ces élus ? Ils sont dotés d'un corps spirituel, c'est certain ! Mais chez Marie, il y a autre chose dont nous sommes certains. Il y a déjà là quelque chose de charnel, de charnel qui est arrivé à son état de per­fection - encore - ultime. Il n'y a pas d'autres mots que ceux-là.

 

Mes frères, nous devons donc aujourd'hui fêter Marie. Nous devons la féliciter dans notre coeur, par nos lèvres à l'Office. Nous devons la remercier car, comme je l'ai dit au début, ce n'est pas automatiquement qu'elle a été assumée dans les cieux. Non, elle l'a mérité, heure après heure, tout à fait comme nous. Elle a été comme nous sollicitée par le mal, tout comme son Fils l'a été. Mais sa foi a été la plus forte.

Pourquoi ? Mais parce que son humilité a été comme elle devait être, c'est à dire humilité qui se savait recevant ab­solument tout - même son salut - de celui auquel elle avait donné en partage sa propre chair.

Mes frères, voilà ce que je voulais vous dire. Je vous souhaite à tous une excellente fête dans la joie de votre coeur, et, je le répète, dans une confiance inébranlable en la beauté de notre vocation monastique contemplative, et en l'amour que Dieu nous porte et qu'il nous a manifesté en nous donnant une telle mère.

 

 



[1] En août et septembre 1978

[2] Voir le 17.02.81

[3] Voir le 17.05.80