Dimanche des rameaux.                            24.03.91

      Introduction à la bénédiction des rameaux.

 

Mes frères,

 

            Le Saint-Esprit nous a réunis au terme de ce carême afin que nous célébrions ensemble, dans la foi, le mystère le plus grand et le plus profond de notre existence d'homme : notre victoire sur le péché, sur la mort et l'assurance indéfectible de la vie éternelle.

            Tout au long de cette Sainte Semaine, le Christ va nous conduire sur les chemins de sa Passion et de sa Résurrection. Nous allons vivre notre propre Pâque. Et nous découvrirons, travaillant l'intime de notre être, les énergies de la résurrection qui nous ont été méritées par notre Christ.

            Puisse la lumière de Dieu éclairer notre coeur et nourrir notre fidélité !

 

Homélie à la bénédiction des rameaux.

 

Mes frères,

 

            Si nous voulons savoir qui est Dieu, il nous faut regarder le Seigneur Jésus entrant dans sa ville, dans sa capitale, au lieu de sa demeure. Aucun éclat, aucun prestige, rien de ce que ambitionnent les grands de ce monde.

            Il est un homme parmi les hommes, un homme comme les autres. Il chevauche un petit âne. A la limite, la scène pourrait paraître puérile et grotesque. Mais ne nous y trompons pas, la folie de Dieu est le sommet de toute sagesse possible. Elle jette bas tout ce que les hommes de ce monde imaginent pour paraître quelqu'un.

 

            Mais la foule, la foule des gens simples a compris. Elle sait, d'une intuition infaillible, que le Royaume de Dieu, c'est cela. Et ce Royaume lui est accessible, elle s'y trouve déjà. Elle sait, elle sent, elle voit. Elle ne peut contenir son enthousiasme.

            Voilà, mes frères, ce qui est découvert aux simples et aux petits et qui est irrémédiablement caché aux sages et aux savants !

 

            La scène qui vient de nous être présentée (Mt. 21, 1-11) a une valeur d'éternité. Si nous voulons connaître Dieu, si nous voulons entrer dans son intimité, nous devons nous laisser prendre par la main et descendre avec lui, comme lui, au plus bas, jusqu'au fond là où personne ne peut aller de soi-même.

            Il faut accepter de se laisser dépouiller de toutes prétentions intellectuelles et spirituelles. Il faut accepter de devenir un âne, de devenir celui qui ne sait pas, et celui auquel on peut tout demander.

            Mais alors, Dieu se révèle dans la douceur de sa mansuétude, dans la beauté de sa lumière et de son amour. Et le coeur est comblé pour jamais.

 

            Mes frères, notre procession, les rameaux que nous portons, nos chants vont exprimer notre espérance d'arriver nous aussi à ces profondeurs d'humilité et à ces sublimité de contemplation  et de bonheur.

            Tout ce que nous allons faire aujourd'hui et les jours qui viendront seront une prière. Nous demanderons à notre Dieu de nourrir notre foi et de la conduire jusqu'à son accomplissement.

 

            Maintenant, mes frères, avançons comme les foules de Jérusalem, heureuses d'acclamer le Messie !

 

 

Homélie à l’Eucharistie des rameaux.

 

Mes frères,

 

            Le récit que nous venons d'entendre nous rappelle tout ce qui nous a été donné pour que nous puissions entrer tête haute dans le Royaume de Dieu. Par nous-mêmes, nous ne sommes rien. La chair ne peut engendrer que la chair et la poussière retourner à la poussière. Mais dans le Christ, et qui que nous soyons, nous pouvons tout.

            Dieu s'est fait homme. Il est passé par le dédale de toutes les misères humaines pour que rien de notre existence ne se perde et pour que par elle et avec lui nous puissions participer à l'être de Dieu et devenir des princes de son Royaume.

 

            Mes frères, Dieu a voulu pour lui la mort la plus injuste, la plus horrible, afin qu'aucune mort d'homme ne soit étrangère à la sienne. Rien en l'homme n'est plus personnalisé que la mort. Elle l'est d'autant plus que de l'intérieur elle est habitée par la mort de Dieu.

            C'est le sens du sacrement que le Seigneur a institué au moment où il allait passer par le gouffre de la mort, le sacrement de son corps et de son sang. L'angoisse de Jésus ne peut être dissociée de ce sacrement ni de sa mort. Chaque fois, mes frères, que nous communions à ce mystère, nous anticipons notre propre mort, nous l'acceptons, nous la vivons d'une certaine manière.

 

            Mais attention. Il ne suffit pas d'écouter le récit de la passion du Christ. Nous devons nous laisser pénétrer par lui. Nous devons devenir tout ensemble un avec le Christ et avec Dieu, et un avec tous les hommes de tous les temps. Le chrétien doit être dans le monde celui qui sait, celui qui comprend, celui qui donne un sens à tout par sa seule présence.

 

            Dans le geste de cette femme qui, chez Simon le lépreux à Béthanie, verse un parfum très pur et de grande valeur sur les pieds de Jésus, il y a tout un Evangile, toute une Bonne Nouvelle. Cette femme a accepté de recevoir en elle la plénitude du mystère, d'être la disciple par excellence. Cette femme a tout compris et c'est pourquoi elle a sacrifié tout. Elle a uni son geste de folie à la folie même de Dieu.

 

            Mes frères, nous devons demander à notre Christ la grâce de pénétrer à notre tour jusqu'au coeur du mystère, non pas de façon intellectuelle, spéculative, cérébrale, mais par toute notre vie.

            Et c'est cela le sens du christianisme. Le chrétien, le moine, surtout est un homme qui s'en est remis à Dieu, un homme qui permet au Christ de revivre en lui toute son aventure, toute sa folie. Et comme je le disais tout à l'heure, la folie de Dieu est le sommet de toute sagesse possible.

 

            Mais voilà, mes frères, notre foi est-elle suffisamment éveillée ? Sommes-nous sous l'emprise de l'Esprit ou bien encore sommes-nous les esclaves de la chair ?

            Et quand je dis la chair, je dis toutes les ambitions qui travaillent le coeur de l'homme et qui tentent de le faire s'élever à ses propres yeux, surtout peut-être aux yeux des autres pour lui donner une certaine apparence d'être, une certaine apparence de vie.

            Mais tout cela, c'est illusion, mes frères, nous savons que la vie véritable, elle est dans l'union de l’être à la personne de Dieu. En dehors de cela, il n'y a rien.

 

            Mes frères, voilà, nous devons être logiques, nous devons aller jusqu'au bout d'une logique qui anéantit toute sagesse charnelle. Au cours de cette semaine, nous allons revivre le mystère essentiel de notre foi, de notre existence d'homme.

            Nous allons demander la grâce de lui être fidèle. Nous allons demander une fidélité renouvelée. Et telle sera notre espérance, l'espérance d'être exaucés afin de pouvoir participer de mieux en mieux en plénitude à la propre vie de notre Christ, à la propre vie de notre Dieu.     Mais pour cela, le récit que nous venons d'entendre, et qui est toujours d'actualité, nous dit que nous devons passer par le tunnel de la souffrance, le tunnel d'une sorte de mort, une mort mystique. Mais de l'autre côté, ce sera l'atterrissage sur le rivage de la vie éternelle, dès maintenant et pour jamais.

 

                                                                                                                      Amen.

 

 

Chapitre du Lundi-Saint.                           25.03.91

Marie de Béthanie oignant Jésus !

 

Mes frères,

 

            Aujourd'hui en ce Lundi-Saint, nous avons à nouveau contemplé le geste fou posé par Marie de Béthanie, la première sponsa Verbi. Cette femme ne se doutait de rien, elle ne craignait rien, elle ne voyait rien. Elle aimait tout simplement, elle aimait à perdre de vue, elle aimait jusqu'à se perdre elle même.

 

            L'Evangéliste Marc nous dit qu'elle portait ce parfum extrêmement précieux dans un vase d'albâtre. Nous savons que l'albâtre est un marbre blanc quasi transparent, le plus beau, le plus cher de tous. Le vase lui même était donc sans prix.

            Il était cacheté, il était scellé afin que le parfum ne s'évapore pas, qu'il conserve toute sa teneur, toute sa vigueur, toute sa pénétration. Et elle brise le col de ce vase. Elle le rend inutilisable. Elle pose là un geste de non retour. Le vase est perdu comme Marie elle-même se perd.

 

            L'Apôtre Paul nous dit quelque part que nous portons les dons les plus précieux dans des vases d'argile, dans des corps soumis au péché, dans une chair qui est esclave de ses passions. Marie, elle, avait dépassé la chair et ses convoitises, et ses agissements. Le Christ l'avait prise auprès de lui et l'avait mise à son côté. Marie était devenue lumière dans la lumière de Dieu et tout ce qu'elle touchait devenait lumière. Elle seule était digne de toucher la tête et les pieds de son Seigneur.

 

            Quelques jours plus tard, des soldats sans scrupules, des soldats cruels - qu'on peut être cruel lorsqu'on est dépravé et qu'on a sous son pouvoir un être démuni de tout - et ces êtres-là vont aussi toucher la tête et les pieds, et les mains, et le corps entier du Fils de Dieu.

            Ils vont tenter de le profaner, mais en fait ils vont le transpercer et ils vont permettre que s'écoule de ce corps ce qui deviendra les sacrements qui donnent naissance à ce que nous sommes aujourd'hui : son Corps, son Eglise.

            Mes frères, si Marie n'avait pas d'abord touché avec infiniment de respect et d'amour le corps de son Seigneur, de son Maître et, disons-le déjà, de son époux, les soldats n'auraient pas eu le pouvoir de le toucher. Nous allons le comprendre dans un instant.

 

            L'un et l'autre Evangélistes, Marc et Jean précisent que ce parfum était comme ils disent pistikè. C'est un mot grec. Mais comment le traduire ? Aujourd'hui, je pense qu'on dirait que ce parfum portait un label certifiant la pureté de son origine. C'était un trait(?) d'authenticité, de vérité. C'était un parfum extrêmement pur.

            Mais de ce mot pistikè, nous pouvons voir aussi autre chose. Nous pouvons y découvrir une racine qui est la pisti, la foi. Le parfum était porteur de toute la foi et de tout l'amour dont le coeur de Marie était capable et ça le rendait encore infiniment plus précieux aux yeux du Christ. Il était l'image la plus éloquente de ce qu'était Marie.

            Mes frères, l'Apôtre nous dit que nous devons être, partout où nous nous rendons, bonne odeur du Christ pour nos frères les hommes. Il faudrait aussi que le parfum que nous devons être soit pistikè, qu'il soit l'expression parfaite de la pureté de notre foi et de notre amour, de tout notre coeur. Alors, nous serons vraiment les frères de Marie de Béthanie.

 

            Marc nous dit que Marie verse ce parfum sur la tête de Jésus, et Jean nous dit qu'elle lui en frotte les pieds. Il n'y a pas de contradiction nécessairement entre ces deux gestes. Ils ont pu être accomplis tous les deux, d'abord la tête et ensuite les pieds.

            En versant le parfum sur la tête de Jésus, Marie le consacrait Messie et Roi. En le versant sur ses pieds et en en frottant les pieds de Jésus, et en les essuyant avec ses cheveux, elle consacrait Jésus serviteur et rédempteur des hommes.

            Elle accompli donc l'Ecriture qui fait de Jésus le Roi d'Israël et le Roi de l'univers, et en même temps le serviteur et le rédempteur de tous.

 

            Mes frères, nous pouvons encore nous poser une question. N'y aurait-il pas une réminiscence de cette scène chez l'Apôtre pierre quand, au moment du dernier repas pascal pris en compagnie de Jésus, il s'exclame : « Seigneur, ne lave pas seulement mes pieds, mais aussi ma tête, et alors j'aurai part avec toi, j'aurai part à tout ce que tu es, et à ta royauté, et à ton humble service. »

            Il est possible, mes frères, qu'il y ait eu chez pierre une réminiscence instinctive, spontanée. Il a été témoin de l'onction de Béthanie et son instinct spirituel lui a fait comprendre après les paroles de Jésus ce que ce geste pouvait signifier.

            En tout cas, mes frères, il est bien possible à mon sens que l'Apôtre Pierre ait une réaction analogue à celle de Marie de Béthanie, mais à un niveau beaucoup plus bas naturellement, et beaucoup plus intéressé. Car il désirait avoir part à tout ce que Jésus serait, à tout ce que Jésus était, tandis que Marie de Béthanie y avait part avant(?).

 

            Marie agit donc ici en tant que Prophète dans la ligne de Samuel oignant David roi sur Israël. Mais elle va beaucoup plus loin encore. Ce n'est pas un simple geste rituel qu'elle pose, c'est un mouvement d'amour qui la fait participer à tout ce que Jésus est, à son être et à sa mission. Elle est donc vraiment la première sponsa Verbi.

            Et si nous allons au terme de notre vie contemplative, si nous permettons à l'Esprit de Dieu de la conduire jusque sur les sommets où il espère nous élever, à ce moment-là, nous serons à notre tour et à notre place sponsa Verbi, épouse du verbe de Dieu.

 

            Mais pour cela, mes frères, il faut, à l'exemple de Marie de Béthanie, briser le vase d'albâtre, il faut entrer dans la sphère de la gratuité. Or, ne l'oublions pas je ne sais pas si je vous l'ai déjà dit mais la gratuité est mortelle.

            C'est à dire que pour poser sans cesse des gestes gratuits, pour devenir théophanie de la gratuité, pour reprendre l'expression de Monsieur Habachi, il faut être prêt à subir toutes les morts, et la mort la plus dure de toutes qui est d'être oublié, de ne plus exister, d'être perdu, d'avoir l'impression d'être perdu même pour Dieu.

            Mes frères, lorsqu'on a traversé cette mort, à ce moment-là on peut vraiment permettre à l'Esprit-Saint, à Dieu donc, de déployer en nous toute la gratuité qu'il est.

 

            C'est ce que nous enseigne encore aujourd'hui Marie de Béthanie. Puisse-t-elle intercéder pour nous et nous conduire jusque là où nous sommes attendus !

 

 

Chapitre du Mardi-Saint.                          26.03.91

La gratuité est mortelle !

 

Mes frères,

 

            Hier soir, je terminais en disant que dans notre monde de ténèbres la gratuité était mortelle. Et ce matin, au cours de la célébration Eucharistique, l'Esprit-Saint nous en a donné un exemple extrêmement éloquent.

            Jésus a lavé les pieds de ses disciples. Il s'est engagé de manière irréversible sur la route du plus grand amour qui soit, à savoir la gratuité absolue. Comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'au bout.

            Il s'est agenouillé devant Judas le traître, il s'est montré son doulos, son serviteur, son esclave. Il a remis toute sa personne, tout son avenir à Judas comme aux autres disciples.

 

            Et Jésus ne s'appartient plus. Il est vis-à-vis de ses disciples comme il est dans son être de Dieu au sein de la Trinité, à savoir en état de dépossession parfaite. Et il dit que tout disciple parviendra au faîte de sa destinée, s'il se dépossède à l'exemple de son Maître. Mais ses auditeurs ont ils compris et vont-ils accepter ?

            Or, Jésus sent, et il sait donc d'une intuition infaillible, que l'un d'entre eux est fermé dans un refus définitif. Il prévoit très bien ce qui va arriver. Il le dit, à mots couverts d'abord, puis ouvertement. C'est très  précis : « Celui qui mange mon pain. »

 

            Et ici, pour moi, je vois une allusion discrète mais bien nette au pain que le Christ vient de transformer en son propre corps. Celui donc qui mange mon pain m'a donné un coup de pied, m'a frappé brutalement de son talon. Vous savez que la façon la plus sadique de donner un coup de pied, c'est de frapper comme ça avec le talon. Cela fait extrêmement mal. C'est une blessure très douloureuse qui peut d'un seul coup jeter un homme par terre.

            C'est ainsi que les SS traitaient les prisonniers dans les camps de concentration. Ils avaient été éduqués à donner le coup de pied de cette façon-là. Et c'est ce qui est dit ici : « Il m'a frappé du talon, il m'a donné un coup de pied avec son talon. »

 

            Puis, Jésus dit de façon plus précise encore : « L'un d'entre vous me livrera à ceux qui veulent ma mort. » Et alors il est bouleversé dans son esprit. Le texte de Jean est le seul à utiliser cette expression.

            Cela signifie que il ne peut plus respirer. Sa respiration est comme coupée. Son souffle devient haché, sa voix devient tremblante. Il est ému jusqu'au plus profond de son être et il ne peut presque plus respirer. Voilà ce que signifie qu'il est troublé dans son esprit.

            Il faut voir les choses de façon très concrète. Il ne faut pas immédiatement spiritualiser le mot esprit. Non, c'est le souffle, c'est le souffle vital. C'est ce souffle qui vient de Dieu et qui a été soufflé dans les narines de l'homme et qui a mis en route alors le processus de la vie. Et c'est cela qui, chez Jésus, est totalement bouleversé par cette perspective de la trahison.

 

            Et le mot grec qui est utilisé signifie le trouble, l'agitation, le bouleversement et l'épouvante. C'est tout ça ensemble dans le mot tarakè. Rien déjà que l'assonance le dit. On l'entend, on le voit, c'est une scène. Et tel était Jésus devant ses disciples.

            Il ne faut pas penser qu'il l'a dit de façon très placide comme s'il s'agissait d'un autre. Non, c'est sorti de lui, ça a été plus fort que lui. Il n'a pas pu se retenir et se maîtriser tellement son émotion était profonde et terrible. Cela signifie que l'agonie commence. Et elle atteint d'un coup un paroxysme d'intensité.

            L'Apôtre Jean, dans son récit, ne parle pas de l'agonie de Jésus à Gethsemani, mais il en parle ici et de façon, peut-être, la plus éloquente qui soit quand on perçoit les nuances de la langue.

 

            Alors, Jésus vit l'angoisse mortelle de la gratuité absolue. Il la vit par rapport à Judas qui par son refus devient le contraire de ce que signifie son nom. Je rappelle que Judas signifie  louange de Dieu. C'est celui qui, dans tout son être, a été créé, constitué pour être une pure louange de Dieu. Et voilà que d'un coup, il bascule dans son contraire.

            On a eu le même phénomène, ce n'est pas raconté dans l'Ecriture naturellement, mais la Tradition depuis toujours est là pour nous le dire. Il y a des anges, il y a des démons. Le démon est un ange qui a aussi refusé. Et voilà que leur chef, qui est le porteur de la lumière, le Lucifer, d'un seul coup il est devenu le prince des ténèbres. Cela s'est fait instantanément !        Cela s'est passé ici pour Judas. C'est quelque chose d'analogue pour ne pas dire quelque chose de semblable. Et lorsqu'il est dit que le démon entra en lui lorsqu'il eut pris la bouchée, à ce moment-là, c'est vraiment, vraiment plus qu'une complicité. C'est le partage d'un même sort.

 

            Et on peut encore aller plus loin pour ce qui regarde Jésus. Dans le refus de Judas, ce sont tous les refus accumulés depuis le commencement jusqu'à la fin du monde qui se jettent sur Jésus et qui l'écrasent. On comprend alors la mesure de son épouvante et de son trouble.           Et pourtant, Jésus ne cessera pas d’aimer, et d’aimer gratuitement, d'aimer pour rien, d'aimer de façon inutile. L'amour qu'il est, l'amour qu'il manifeste ne sert à rien. La gratuité va jusque là. Nous sommes vraiment là au bout de la gratuité : c'est aimer de façon inutile, pour rien. Et ça, il le voit, il le vit dans Judas, et il le vit dans tous ces refus accumulés. Et voilà la conséquence : il en mourra. C'était fatal, il devait en mourir.

 

            Mais attention ! La tentation de se reprendre a mordu Jésus, mais il n'y a pas cédé. Il est allé jusqu'au bout de l'amour. Car aimer comme ça de façon inutile - ça ne sert à rien - il l'a senti de façon la plus terrible lorsque il a été abandonné par son Père.

            Donc, celui qui l'avait investi de cette mission, de cette mission d'être l'amour jusqu'au bout, voilà qu'il le laisse tomber. Si bien que Jésus est absolument seul. Alors ça a été le moment crucial où tout s'est trouvé en la balance.

            Jésus a posé la question : « Pourquoi m'as-tu abandonné ? » Et alors la réponse a été un peu après, qui est sortie de son cœur : « Père, entre tes mains je remets mon souffle » Ce pneuma qui avait été épouvanté, bouleversé, je le mets entre les mains de toi qui m'a abandonné. Voyez la réponse et jusqu'où va la gratuité !

            Et bien, mes frères, c'est cela être Dieu. Et c'est cela tout sauver même ceux qui refusent. Car il n'y a que l'amour gratuit, l'amour porté à cet extrême qui peut être rédempteur d'absolument tous les hommes.

 

            Maintenant nous, comme chrétiens, nous sommes investis d'une petite part de cette mission. Et elle n'est pas simple, car la gratuité est mortelle pour nous comme elle l'a été pour Jésus. Elle est mortelle dans notre monde d'obscurité, de ténèbres et de péché.

            Mais attention ! Dans la création nouvelle, dans l'univers de Dieu, là, elle n'est plus mortelle. Au contraire, elle est la vie et la source de la vie.

 

            C'est pourquoi, dès maintenant, nous ne devons pas avoir peur de pratiquer cette gratuité, même si elle nous fait mal, même si elle doit nous conduire jusqu'à l'agonie et jusqu'à la mort, une mort mystique, une mort presque psychologique qu'on sent très bien dans tout son être. Parce que en même temps, cette gratuité est amour et surtout la source de la vie éternelle, car elle est ce qu'il y a en Dieu de plus profond, de plus beau et qui fait vraiment qu'il est Dieu et qu'il est Trinité.

 

 

Chapitre du Mercredi-Saint.                      27.03.91

Le mystère de Jésus et de Judas.

 

            Ces trois jours-ci, mes frères, il a été question de Judas. Aujourd'hui, il a même occupé toute l'avant-scène. Or, nous remarquons qu'il est toujours inséparable de Jésus. N'y aurait-il pas là un mystère ? Ne dit-on pas habituellement que les extrêmes se touchent ?

            D'un côté, nous avons la gratuité absolue de l'amour à l'état pur, et de l'autre, le trafic intéressé dans l'indifférence la plus totale. Judas vend sans scrupule aucun celui qui lui avait donné son coeur et sa confiance. Et Jésus, de son côté, ne lui retire pas sa fidélité. Jusqu'au bout, il lui tend la main.

 

            Oui, mes frères, Jésus et Judas sont inséparablement unis, inséparablement liés. On ne rencontre pas l'un sans rencontrer l'autre. Essayons, avec beaucoup de respect, sur la pointe des pieds, d'entrer quelque peu à l'intérieur de ce mystère.

            Le sommet de la gratuité devait être atteint dans une rencontre avec l'extrême du refus. Cela signifie en pratique que Jésus est mort d'abord pour Judas, en mourant par Judas. Si bien que Judas apparaît comme une sorte de personnalité corporative. En lui, il condense la totalité des trahisons, des refus et des péchés.

 

            Et pourtant, l'amour gratuit, qu'est la personne même du Christ, n'a pas un seul instant abandonné Judas. Ce n'était pas possible. Sinon Jésus eut failli à sa mission. Sur ce point précis, il aurait cessé d’aimer, il aurait cessé d'être gratuité. Or, l'amour a toujours le dernier mot. C'est toujours lui qui triomphe.

            L’amour est la seule et unique réalité substantielle éternelle. Le reste est destiné à disparaître, ou bien n'existe même pas. Or, nous voyons Judas s'exclamer : « J'ai péché en vendant un sang innocent » un sang auquel on ne pouvait adresser aucun reproche. Et il remet aux prêtres les 30 pièces d'argent, puis il va se pendre.

 

            Mes frères, nous sommes ici vraiment au coeur d'un mystère devant lequel nous ne pouvons que nous taire. Mais retenons ceci : Jésus, pas un instant, n'a abandonné Judas. L'Apôtre Paul dit quelque part, tout à la fin de sa vie, que si nous autres devenons infidèles, lui Dieu, lui le Christ demeure fidèle car il ne peut se renier lui-même.

            Là est l'explication de tout. Mais ça nous dépasse tellement que, encore une fois, devant un tel mystère de gratuité et d'amour, nous ne pouvons que rester silencieux, et adorer, et admirer.

 

            Maintenant, mes frères, pour nous, où est la sécurité ? Saint Benoît après Macaire l'Egyptien nous le dit. Pour nous, la sécurité est à côté de Judas. Reconnaissons bien sincèrement que la gratuité nous est étrangère. Tous, autant que nous sommes, nous sommes des pécheurs et des trafiquants.

            Et ici encore, les extrêmes se rencontrent mystiquement. Saint Benoît nous le dit bien clairement : c'est quand on est convaincu, mais vraiment, vraiment convaincu de son péché qu'on touche à la rive bienheureuse de la charité parfaite.

            Il y a là quelque chose de paradoxal que, encore une fois, nous pouvons difficilement comprendre, et que nous devons vivre. Et c'est en le vivant qu'on s’aperçoit que là est la vérité.

 

            Le publicain qui nous est donné en modèle par Jésus lui-même, puis par Macaire, puis par Saint Benoît, est totalement étranger à l'univers de la gratuité. Pour lui, la seule chose qui l'intéresse, c'est l'argent. Et tous les moyens sont bons pour s'en procurer. Il collabore avec l'occupant romain et il pressure sans scrupule ses concitoyens. Voilà le  publicain !

            Et c'est lui qui nous est donné comme modèle. Nous voyons de suite de quel côté il est. Et nous voyons de quel côté nous devons être à notre tour. Jésus nous dit : « Reconnais que tu ne vaux pas mieux que lui. Entre dans ta vérité comme lui est entré dans la sienne et, alors, tous les trésors de mon amour viendront sur toi. »

 

            Le publicain a dit : « Moi, je suis un pécheur, je ne suis pas digne de lever le regard sur toi. Mais prends pitié de moi. » Judas à dit : « J'ai péché, j'ai livré un sang innocent. J'ai commis le plus grand crime qui soit. » Et à nous, mes frères, il nous est demandé de réagir de la même façon et de dire : « Oui, je suis pécheur et je n'ai qu'un seul recours, la miséricorde de mon Christ, la gratuité de son amour. » Car, qu'y a-t-il d'aimable dans un pécheur si ce n'est l'infinitude de sa faiblesse, la profondeur de son ignorance et même la gravité de son péché.

 

            Car, Dieu, qui nous a créé, nous connaît. Il sait ce que nous sommes exactement et il n'attend qu'une chose, que nous prenions conscience justement de la connaissance que lui a de nous, et que nous puissions nous tenir devant lui en disant sans crainte, mais dans la vérité : « Je suis pécheur. »

            Et à ce moment-là, sa gratuité peut entrer en jeu, car c'est cela la gratuité. Elle peut enfin se projeter sur nous, nous prendre et nous métamorphoser. Mais encore une fois, plus on s'approche de Dieu, plus on entre dans la charité parfaite, plus on a conscience d'être ce pécheur-là. C'est ça qui est paradoxal !

            L'Apôtre Pierre, lui, il s'était arrogé de façon indue le privilège de la gratuité. « O, moi, disait-il, j'irai partout où tu iras ; et ma vie, je la donnerai pour toi ; tous peuvent t'abandonner, moi, je ne t'abandonnerai pas. » Nous savons ce qui est arrivé, il est lamentablement tombé, et ça n'a pas tardé. Il était nécessaire que lui aussi entre dans sa vérité pour devenir la pierre sur laquelle il était possible de construire le Corps du Christ.

 

            Alors, mes frères, je voudrais terminer par une question : l'humilité, ne serait-elle pas de permettre au Christ d'exercer à notre endroit la plénitude de sa gratuité ? Et je pense bien que c'est cela, que nous puissions nous tenir devant le Christ qui ne l'oublions pas est Dieu fait homme, nous tenir devant lui tels que nous sommes, dans notre péché. Et alors, lui permettre de déverser sur nous toute la gratuité, tout l'amour qu'il est. C'est pour ça que Dieu est devenu homme ; et c'est pour ça qu'il a été jusqu'à se laisser mettre à mort ; et c'est pour ça qu'il est ressuscité.

            Donc, mes frères, l'humilité, c'est faire à Dieu, c'est faire au Christ le plaisir de reconnaître qu'il est. Eh bien, si vous le voulez, ce plaisir, nous ne lui refuserons pas.

 

Homélie à l’Eucharistie du Jeudi-Saint.          28.03.91

L’amour lave les pieds.

 

Mes frères,

 

            Le Seigneur Jésus ne nous lave-t-il pas les pieds à chacun de nous, chaque jour ? Il a pris une fois la position de serviteur, il ne l'abandonne jamais ; elle fait partie de son être, elle définit sa mission. Il est Dieu, ne l'oublions jamais. Il est notre Créateur. Nous dépendons de lui en tout. Mais il est d'abord et surtout l'amour.

            Et l'amour est essentiellement oubli de soi, perte de soi, renoncement, gratuité, service. L'amour ne domine pas, il n'exploite pas. L'amour lave les pieds. Il nourrit, il fait grandir. L'amour n'humilie jamais. L'amour prend les hommes tels qu'ils sont et, à partir de là, insensiblement mais infailliblement, il les transforme.

 

            Mes frères, l'amour va au-delà de l'imaginable. Il s'anéantit et il se donne en nourriture. Lorsque l'amour, Dieu donc, est devenu corps et chair, coeur et sang, c'est parce qu'il voulait nous donner sa chair à manger et son sang à boire. Et maintenant, il se perd dans celui-là auquel il se donne, dans celui-là qu'il aime et il s'assimile à lui jusqu'au bout. Nous devenons en lui sang de ….. et chair de ressuscité. Nous possédons déjà la plénitude de la vie éternelle.

            Mais du coup, mes frères, l'amour nous entraîne dans sa propre folie. Il nous fait devenir témoin de tout ce qu'il est. Il nous invite, il nous encourage à sauter dans le vide, dans l'abîme de la perte de soi.

 

            Mes frères, il nous rend capable de déposer tout narcissisme, d'abandonner tout égoïsme. Il nous apprend à être nourriture à notre tour pour nos frères, à nous perdre en eux pour nous découvrir vivant par eux. Il nous fait comprendre que la vie impérissable commence dans un regard d'amour posé sur le frère, dans le simple geste d'un agenouillement devant lui.

            Mes frères, voilà tout ce que le Christ notre Dieu a voulu être. Il a vécu cet anéantissement afin de nous donner un exemple de ..... ..... , pour que nous fassions comme lui. Mais nous ne pouvons pas faire comme lui si nous ne le laissons pas vivre en nous.

 

            Mes frères, c'est là toute la courbe de notre destinée d'homme. Avoir le courage de ne plus penser à nous, avoir le courage de nous ouvrir aux autres, avoir le courage d'une foi qui transcende les apparences, qui ne s'arrête pas à ce que les sens peuvent percevoir, mais qui traverse le voile et qui pénètre jusqu'au coeur, là où brûle le flamme de la présence divine, là où s'allume et reprend vie sans fin la flamme de l'Esprit, c'est à dire Dieu qui façonne, qui refaçonne, qui recrée, Dieu qui donne sa propre vie.

 

            Mes frères, ce que le Christ a fait, le geste qu'il a posé, je vais le reproduire en ma propre personne, moi qui parmi vous tient la place du Christ. Nous prierons les uns pour les autres en ce jour du plus grand amour et il nous donnera à chacun la grâce d'être plus vrai, la grâce de lutter contre toute forme de mal, la grâce de mieux lui ressembler dans la gratuité du jusqu'au bout.

                                                                                                                      Amen.

 

Homélie à la célébration du Vendredi-Saint.     29.03.91

 

Mes frères,

 

            Il est impossible de prendre du recul par rapport à un événement qui nous crée. Il est des gestes fondateurs hors desquels nous ne sommes pas. Nous ne pouvons les regarder de l'extérieur. Nous ne pouvons que les sentir de l'intérieur.

            Et il s'agit d'un sentir qui est de l'ordre du pressentiment. A la limite, il est de nature mystique. Il s'apparente au goût et il devient un lieu de sagesse. L'événement que nous évoquons liturgiquement aujourd'hui, appartient à cette catégorie fondatrice. Il n'est compris que lorsqu'il est vécu.

 

            Mes frères, le mystère de la croix est le mystère de Dieu lui-même. Ce mystère s'ébauchait quand Jésus s'avançait sur le dos d'un ânon pour entrer dans sa ville. Et il brille d'un éclat insoutenable quand Jésus meurt sur une croix hors de sa ville. Toutes les images de Dieu, toutes les approches plus ou moins idolâtriques sont anéanties. Elles sont réduites à néant. Qui est Dieu pour nous ?

            Reconnaissons-le, dans un premier temps, Dieu est la projection idéale de ce que nous désirons être. Et voilà que nous l'ornons de toutes sortes de qualités, des qualités qui nous manquent, les qualités qui nous font défaut et que nous espérons recevoir de lui. C'est la base, mes frères, de tout culte idolâtrique !

 

            Mais Dieu s'est révélé à nous dans une chair d'homme. Et si nous voulons être lucides, nous verrons qu'il jette bas absolument tout ce que nous pouvons imaginer ou concevoir de lui. Dieu est tellement la vie qu'il peut se permettre d'être mis à mort. Dieu est tellement l'amour qu'il peut succomber sous toutes les haines accumulées du commencement du monde à la fin. Dieu est tellement la lumière qu'il peut s'offrir en victime à toutes les ténèbres du monde. Dieu est tellement lui qu'il peut devenir chacun de nous pour le meilleur et pour le pire.

 

            Mes frères, devant ces évidences qui nous dépassent à l'infini, nous ne pouvons que nous taire bouleversés. Et une espérance monte en nous. S'il en est ainsi, rien n'est jamais perdu et tout peut toujours être gagné.

            Nous pressentons alors que le mystère de la Pâque est le mystère de l'homme. Passer par la mort, nous ne pouvons l'éviter. Mais ce passage est le lieu d'une rencontre et d'un règlement de compte.

            Dieu lui-même, dans la personne du Christ Jésus, nous débarrasse de nos péchés pour les prendre sur lui. Il se fait moins que nous pour faire de nous ce que nous ne pourrions imaginer. L'homme pourri de péchés, rongé de peurs se voit métamorphoser en pure lumière, en pur amour. Tel est sa valeur, tel est son destin face à son Créateur devenu son Rédempteur.

 

            Qui est Dieu, mes frères, qui est l'homme, et qui sommes-nous ? Nous le pressentons quelque peu aujourd'hui. Puissions-nous ne jamais l'oublier, puissions-nous en vivre maintenant, et demain, et toujours !

                                                                                                                      Amen.

 

Homélie de la Vigile Pascale.                      30.03.91

 

Mes frères,

 

            La résurrection du Seigneur Jésus, bien que localisée dans un endroit et dans un temps connu, n'en est pas pour autant un événement à côté des autres événements de ce monde. Elle est inscrite dans l'Histoire, mais elle n'est pas circonscrite par l'Histoire. C'est elle qui enveloppe l'Histoire, qui la fait naître, qui la féconde.

            Elle est partout présente. Elle est première en tous lieux. Elle est présente à l'instant même de la création. C'est elle qui lui imprime sa direction, son but; et elle est présente à l'heure ultime où le cosmos n'est plus que lumière en Dieu.

 

            La résurrection du Seigneur Jésus est présente et agissante au coeur de tout homme. Elle est présente même au plus secret de tout péché pour déjà le pardonner et en investir la malice. Elle est présente au coeur de la matière pour la tenir en équilibre au-dessus du néant, et pour la pousser au-delà d'elle-même dans la nouveauté absolue d'une recréation.

            Mes frères, la résurrection du Seigneur est partout chez elle. Elle n'est étrangère nulle part. Cela signifie en pratique que le Seigneur Christ ressuscité est le roi et le Régent de l'univers. Absolument rien n'échappe à son pouvoir.

            Et ce pouvoir est tellement universel, il est tellement absolu, qu'il ne lui est pas nécessaire de s'affirmer de manière spectaculaire. Ce pouvoir est d'autant plus présent qu'il est caché. Il est d'autant plus puissant qu'il est humble. Et il est d'autant plus efficace qu'il est pur amour.

 

            Voilà bien, mes frères, le contraire de ce que les hommes rêvent pour eux-mêmes. Ils rêvent de pouvoir exercer une influence sur les autres, de pouvoir organiser, de pouvoir imprimer leur marque sur les choses comme s'ils allaient pouvoir connaître ainsi une existence d'éternité.

            Mais non, la vérité n'est pas là. La vérité est toute entière cachée dans la personne du Seigneur Jésus ressuscité, lui qui pour l'instant présent est ici parmi nous qui avons été convoqués par l'Esprit pour célébrer la beauté de son nom et la magnificence de son être.

 

            Mes frères, laissons le Seigneur ressuscité prendre possession de notre coeur et devenons comme lui insignifiant, pauvre, démuni, caché, humble. Et c'est ainsi que sa propre puissance prendra possession de nous et que nous serons avec lui et à côté de lui, grâce à lui qui est en nous, les régents du cosmos. Et ainsi, sans même que nous en ayons pleinement conscience, nous travaillerons au salut de tous nos frères les hommes.

 

            Mes frères, au cours de cette nuit très sainte, nous proclamons notre foi en cette présence du Seigneur, présence autour de nous et présence en nous. Et à cette présence, nous nous ouvrons dans une confiance sans limite. Nous voulons être en tant que chrétiens la conscience éveillée et vigilante de l'humanité et du monde. Oui, le Seigneur Jésus est ressuscité d'entre les morts, et nous ressuscitons avec lui, et l'univers entier en nous.

 

                                                                                                          Amen.

 

 

Homélie du jour de Pâques.                        31.03.91

 

Mes frères,

 

            En ce jour de Pâques, nous sommes au sommet de notre vie chrétienne et, disons-le bien haut, de notre vie contemplative. Tout, en effet, se situe dans le regard. Nos yeux de chair n'ont rien à voir au tombeau vide, mais les yeux de notre coeur sont invités à regarder au-delà et à croire.

 

            Que va donc faire Dieu ? A quoi va-t-il s'atteler ? Il va travailler à purifier notre regard. Il va adapter notre puissance de vision à des réalités nouvelles, des réalités étrangères à notre monde de finitude.

            Mais comment voir le ressuscité, si on ne reçoit pas soi-même des yeux de ressuscité ? Et comment les recevoir si l'être entier n'est pas métamorphosé ? Des yeux de lumière exigent un corps de lumière. Et un corps de lumière est un corps en voie de résurrection.

            Vous êtes ressuscités avec le Christ, nous dit carrément l’Apôtre. Vous êtes morts avec le Christ, avec lui vous êtes passés à travers la mort, et déjà vous êtes tout entier à l'intérieur de la création nouvelle au coeur de la Trinité.

            Voyez quelle audace, mes frères ! C'est un langage qui aujourd'hui est à peine tolérable. Et pourtant, il est la seule, unique et éternelle, impérissable vérité.

 

            En célébrant la résurrection du Seigneur Jésus, c'est de notre propre résurrection que nous prenons conscience, une résurrection acquise, sachons-le bien, une résurrection agissante qui dynamise nos énergies spirituelles, et même nos énergies physiques. Car, il n'est pas possible que notre corps nouveau se forme à l'intérieur de nous sans que notre chair mortelle elle-même n'en répercute la présence.

 

            Le tombeau vide est devenu le voile transparent à travers lequel nous nous voyons tels que nous sommes dans notre être d'éternité. Notre vie est cachée avec le Christ en Dieu. Nous sommes en Dieu, nous sommes chez Dieu et nous sommes comme Dieu.

            Si nous sommes devenus semblable à Dieu, mes frères, nous devons comme lui ne plus rien faire qu'aimer. Aimer doit être notre respiration, car la respiration, chez Dieu, c'est l'amour. Dieu n'existerait plus s'il cessait d'être l'amour.

            Durant toute la vie terrestre de Jésus, le démon n'a poursuivit qu'un seul et unique objectif : le mettre dans une situation telle qu'il succomba dans un piège qui fut le non-amour. Mais le Seigneur Jésus, qui était Dieu devenu homme, ne pouvait jamais cesser d'être l'amour. Et jamais la tentation n'a pu le faire tomber.

 

            Mes frères, l'énergie du Christ est en nous par la force de sa résurrection. Il faut que nous aussi, quelques soient les circonstances dans lesquelles nous sommes placés, nous ne succombions jamais à la tentation.

            O, je sais que c'est pratiquement impossible. Mais tout de même ayons la lucidité de savoir, si cela nous arrive, que  nous sommes des pécheurs, mais des pécheurs déjà graciés, des pécheurs à l'intérieur desquels la force de l'Esprit, la force de l'Amour, la force de la résurrection, finira par l'emporter.

            Oui, notre vie de ressuscité, notre vie cachée en Dieu, c'est notre capacité nouvelle d'aimer, d'aimer divinement, d'aimer gratuitement, d'aimer jusqu'au bout. Et cet amour, mes frères, est tout entier dans nos yeux nouveaux, des yeux de lumière.

 

                                                                                                                      Amen.

 

 

 

 

Table des matières de la Semaine Sainte de 1991.

 

Dimanche des rameaux.                            24.03.91.................................... 75

Introduction à la bénédiction des rameaux....................................................................................................... 75

Homélie à la bénédiction des rameaux............................................................................................................... 75

Homélie à l’Eucharistie des rameaux................................................................................................................. 76

Chapitre du Lundi-Saint.                           25.03.91................................... 77

Marie de Béthanie oignant Jésus !....................................................................................................................... 77

Chapitre du Mardi-Saint.                          26.03.91................................... 79

La gratuité est mortelle !....................................................................................................................................... 79

Chapitre du Mercredi-Saint.                      27.03.91................................. 81

Le mystère de Jésus et de Judas........................................................................................................................... 81

Homélie à l’Eucharistie du Jeudi-Saint.          28.03.91......................... 83

L’amour lave les pieds............................................................................................................................................ 83

Homélie à la célébration du Vendredi-Saint.     29.03.91................... 84

Homélie de la Vigile Pascale.                      30.03.91.............................. 85

Homélie du jour de Pâques.                        31.03.91............................... 86

Table des matières de la Semaine Sainte de 1991............................... 87