Mes frères.
Si tu es vraiment le Fils de Dieu, sauve-toi, descends de la croix, et nous croirons en toi ! Cette insulte lancée en plein visage de Jésus, elle nous atteint nous-mêmes en plein coeur, car ne sommes-nous pas nous aussi des fils de Dieu ? Ne sommes-nous pas greffés sur la Personne du Christ ? Prenons-nous cette vérité, cette réalité au sérieux ? Sentons-nous dans notre coeur la peine, la blessure de cette insulte ?
Ecoutez bien, mes frères ! Si nous sommes vraiment fils de Dieu, si nous voulons vraiment devenir participants de la gloire, de l'éternité, du bonheur de notre Père, nous devons accepter comme Jésus d'être unis au rien. Il nous a tracé le chemin.
Nous devons le suivre. Il n'en existe pas d'autres. C'est un chemin de dépouillement, d'humilité, d'obéissance jusqu'à la mort. Dans la personne du Christ Jésus, Dieu est allé jusqu'au bout, jusqu'à l'extrême. Nous venons d'entendre le récit de sa passion.
Certes, il ne nous en demandera jamais autant. Mais tout de même, il veut nous rappeler aujourd'hui une vérité essentielle. Notre vocation chrétienne est une invitation pressante à entrer dans son mouvement à Lui. Nous serons comme Lui trous de lumière si nous le laissons nous unir à son rien.
Le monde et Dieu lui-même ont besoin d'hommes qui soient lumière, qui soient apparition de ce que lui Dieu est. Sans de tels hommes qui sont les saints, le monde, l'univers sombrerait dans un chaos sans nom. La sainteté est notre mission à nous qui sommes chrétiens.
Vous allez me dire : « Mais c'est trop haut pour nous ! » Non, mes frères, ne regardons pas en haut, regardons plutôt en bas et descendons. Laissons-nous tomber dans le rien et là, nous serons à la place qui nous revient. Nous serons en compagnie du Seigneur Jésus, nous serons en compagnie de Dieu. Et notre mission sera accomplie, et nous serons des saints.
Nous devons nous vider de nous-mêmes, de nos désirs futiles, de nos besoins illusoires pour embrasser son désir à lui, Dieu, pour nous laisser entraîner par le Christ à l'intérieur de son dépouillement. Cette docilité, ce désir, voilà ce qui devrait être notre respiration de chaque instant.
Mais nous vivons dans un univers qui est bien étranger à cette Sagesse de Dieu. Nous ne le savons que trop, dès l'école, c'est la compétition, c'est la lutte pour les premières places, c'est la lutte pour le succès, pour la réussite. Mais à quel prix ?
Mes frères, entrons plutôt de tout notre être à l'intérieur des paradoxes divins. Croyons-le de tout notre coeur, l'élévation suprême se trouve dans l'abaissement. La plénitude se trouve à l'intérieur du vide. Le bonheur se cache dans la perte de soi et l'éternité, elle est dans un écrin qui est la mort à tout. Et la réussite de notre vie, elle sera dans le service.
Mes frères, au moment où Jésus expirait, la puissance de la résurrection le travaillait déjà car il avait été obéissant jusqu'au bout. Cette même puissance de résurrection, elle est en nous si nous consentons à nous ensevelir avec le Christ dans son rien, dans les vouloirs de notre Dieu qui est amour.
Et à ce moment-là, nous prendrons conscience, dès maintenant, que nous passons de la mort à la vie et, que ce qui est le plus puissant, ce n'est pas la chair ni la matière. Ce qui est le plus puissant, c'est l'Esprit de Dieu qui est amour et c'est cette vie qui déjà nous transfigure, nous transforme et qui, à travers notre obéissance, à travers nos échecs, à travers notre mort, nous configure à l'image du Fils de Dieu, dès maintenant et pour une éternité de gloire.
Amen .
Mes frères,
Ce soir, nous entrerons dans la salle où un festin est organisé en l'honneur de Jésus qui vient de ressuscité Lazare d'entre les morts. Nous prendrons place discrètement dans un coin pour bien observer ce qui se passe. Et nous remarquerons un affrontement terrible, irréductible entre deux antagonistes irréconciliables.
D'un côté le crime, froid, calculateur, l'anti-amour qui est le satan. C'est le personnage de Judas sur qui règne cet être malfaisant et meurtrier depuis l'origine du monde. Et en face, c'est la gratuité absolue, le sans calcul, le don de soi sans réserve. Il est constitué par l'ensemble Jésus-Marie, le premier corps spirituel construit par l'Esprit-Saint qui est lumière et qui est amour.
Et autour d'eux, c'est la foule des convives, foule inconsciente, foule indifférente ou curieuse. Elle n'a pas encore accès à l'univers mystique qui lie Jésus et Marie et contre lequel va s'acharner Judas.
On est en train de préparer le meurtre de Jésus. Et contre cette tentative, Marie oppose un vase de parfum. C'est l'extrême faiblesse contre une puissance énorme, car derrière Judas et avec lui il y a les Grands Prêtres, toute la caste sacerdotale, il y a le grand nombre des Pharisiens avec leurs scribes, et puis toute la populace.
Cela paraît dérisoire, mais ce vase de parfum va inverser le cours des événements. Le parfum de l'amour aura finalement raison. Il aura été plus fort que toutes les puissances criminelles. Nous le savons, nous qui venons après l'événement. Mais Marie et Jésus le savaient alors et c'étaient les seuls à le savoir.
Nous avons ici le premier exemple d'un conflit, d'une opposition radicale entre deux protagonistes de l'histoire des hommes, entre la mystique et la politique. Et finalement, ultimement, c'est toujours la mystique qui l'emporte parce que, nous le savons, l'amour est plus fort que la mort. Marie ne cherche pas à défendre et à protéger son Seigneur. Elle avait l'intuition du il fallait, ce il fallait que Jésus exposera aux disciples d'Emmäus : « Vous n'avez pas compris qu'il fallait que le Messie souffrit tout cela avant d'entrer dans sa gloire. »
Ce n'était pas une fatalité, c'était inscrit à l'intérieur d'un projet qui allait se réaliser en Jésus. Et ce projet de son alpha à son omega était tout entièrement et purement amour.
Et Marie avait cet amour. Elle ne voulait pas être ce qu'avait été l'Apôtre Pierre, un piégeur, essayer de détourner Jésus de son destin. Non, elle ne pouvait pas l'empêcher parce qu'elle était trop unie au projet de Dieu sur le salut du monde.
Elle pouvait seulement une chose, elle pouvait briser le vase de son coeur puis ensevelir déjà Jésus dans le voile de l'amour, et enfin dépasser la mort en infusant à l'intérieur de Jésus, dans son corps, le parfum d'une vie nouvelle.
Donc, le geste matériel posé par Marie était un geste symbolique. C'était un davar, une Parole prophétique - je vous l'ai déjà expliqué auparavant, je pense - qui affirmait à sa façon que Jésus allait mourir mais que Marie - donc l'amour - descendrait avec Jésus au plus profond de la mort et que là, il lui donnerait cette vie nouvelle qui est celle de la résurrection. Si Jésus n'était pas descendu à l'intérieur de la mort avec cet amour qui avait été infusé en lui par le geste de Marie, il ne serait pas ressuscité d'entre les morts. Je veux dire que ce geste avait quasiment une valeur sacramentelle. C'était l'Esprit Saint qui préparait la résurrection de Jésus et commençait à l'accomplir.
Le coeur de Marie consent totalement à la volonté de Dieu le Père. Il entre dans le mystère et il le maîtrise. Car nous ne devons pas nous laisser briser par le mystère. Nous ne devons pas nous laisser écraser par lui, mais nous devons le laisser entrer en nous, nous devons le laisser nous travailler.
Puis, lorsque nous somme devenus un avec lui de façon mystique, nous pouvons alors et nous devons le maîtriser, c'est à dire nous sommes devenus son coopérateur, son collaborateur et, nous le conduisons par l'union de notre volonté à celle de Dieu, nous le conduisons à son terme qui est toujours et toujours une apothéose.
C'est l'apothéose de la lumière et de l'amour et, bien concrètement, c'est l'apothéose de la résurrection d'entre les morts. Car le mystère nous fait toujours, mais toujours, participer à ce mystère de mort et de résurrection qui a été joué par Marie de Béthanie ce fameux soir. Et c'est ainsi que Marie est vainqueur de la mort à l'avance par sa fidélité, par sa docilité au plan de Dieu et par la puissance de son amour.
Mes frères, nous sommes ici au centre de la vie contemplative qui est la nôtre. Notre amour dans sa gratuité, dans sa lumière, dans son parfum anéantit toutes les puissances de mort, toutes les puissances adverses et il rend déjà présent la victoire de la résurrection. C'est pour nous acquitter de cette mission que nous avons été appelés à la vie monastique. Nous ne devons pas situer notre idéal plus bas que ce sommet.
Vous allez dire : « Mais comment arriver sur ces hauteurs ? » Saint Benoît en parle, ce n'est pas difficile. Il ne faut pas gravir une montagne, il faut se laisser tomber dans un trou, mais on est soutenu par un parachute. Et ce parachute, c'est l'amour que Dieu a pour nous. Nous nous abandonnons donc, dans cette chute nous nous abandonnons à l'amour.
Mais pour faire ce saut, il faut tout de même une certaine audace. C'est le saut de l'obéissance, c'est le saut de l'oubli de soi, c'est le saut du renoncement, c'est le saut du dépouillement, c'est le saut du désintérêt, c'est le saut de la disponibilité, c'est le saut de l'obéissance.
Mais une fois qu'on s'est laissé tomber, à ce moment il n'est plus possible de se rattraper, de se reprendre. On continue à descendre et il fait de plus en plus noir parce que c'est un véritable trou. Mais cette obscurité que nous rencontrons, en fait elle est provoquée par un excès de luminosité. Ce trou est un trou de lumière. Il n'y a absolument rien en lui que cette lumière.
Et on se laisse descendre, et on ne trouve jamais le fond. Il n'y a pas de fond. Pourquoi ? Parce que en-dessous, c'est là que se trouve Dieu, c'est là que se trouve la source de cette lumière.
Et une fois qu'on est arrivé chez Dieu, on est devenu semblable à lui. On a franchi les murailles de la mort. On commence à découvrir les beautés de la résurrection, la beauté de Dieu, la beauté du Christ. On entre dans la création nouvelle, dans un palais.
Le Christ dira, nous l'entendrons le jour du Jeudi-Saint : « Dans la maison de mon Père il y a beaucoup de demeures. » Et comme le Prédicateur l'a fait remarquer, ce mot grec qui signifie l'habitation, la maison, le palais a la même racine consonantique que le mot moine.
Nous sommes donc destinés à entrer dans cette demeure. Mais - encore une fois il faut se laisser tomber dedans. Mais une fois qu'on est là, on est chez Dieu et on y rencontre Marie de Béthanie qui nous a livré son secret.
Voilà, mes frères, la petite leçon qu'elle nous donne ce soir. Vous voyez que dans cette salle de festin, de l'endroit où nous étions, bien discrets, bien silencieux, nous avons appris beaucoup de choses près d'elle.
Mes frères,
Hier, nous avons vu Marie de Béthanie posé son geste de folle gratuité et ainsi lier son sort à celui de Jésus. A l'intérieur de ses limites humaines, elle est allé elle aussi jusqu'au bout. Et maintenant Jésus était certain qu'il était aimé. Il pouvait s'avancer vers la mort, il savait qu'il ne serait pas seul.
Mes frères, tout est possible, même franchir la mort, quand on sait qu'on est aimé. C'est pourquoi nous devons toujours veiller à aimer nos frères, à leur donner des signes concrets de l'amour que nous avons pour eux et qui ne doit pas rester caché à l'intérieur de notre coeur.
Un sourire, un petit service, céder le passage, une attention, voilà mes frères ce qui permet à chacun d'entre nous d'exprimer son amour et de recevoir des autres les mêmes marques d'affection. Et grâce à cela, nous pouvons franchir nous aussi la mort mystique qui nous attend, pour que nous puissions entrer dans la création nouvelle.
Mais prenons garde ! L'amour n'est pas une denrée qu'on achète. Il est ou bien il n'est pas. En tout cas, l'amour est ce qu'il y a de plus précieux en ce monde-ci et dans le monde à venir, car l'amour, c'est Dieu en personne.
Nous sommes ici au monastère non pas pour apprendre ce qu'est l'amour mais pour apprendre qui est l'amour car l'amour est une Personne ; apprendre qui est l'amour, nous accoutumer à vivre avec lui et finalement lui devenir semblable, c'est à dire être transfiguré en lui. Dans ce sens-là, le monastère est une Scola caritatis.
On y apprend qui est l'amour. On lie son existence à l'amour comme a fait Marie de Béthanie et on va jusqu'au bout de cet amour, jusqu'à être transfiguré en lui, être totalement divinisé, avant la mort biologique naturellement.
Et aujourd'hui, nous rencontrons deux formes de non-amour. La première est radicale, la seconde ne s'avoue pas. Mais dans l'un et l'autre cas, il s'agit d'une trahison. Jésus qui est l'amour en ce qu'il a d'extrême et d'inaccessible à l'homme est abandonné, livré, vendu à son contraire, au non-amour absolu qui est satan.
Il est livré par Judas et il est abandonné par Pierre. Jésus le savait et il le prévoyait. Il en souffrait terriblement, mais cela ne l'a pas fait reculer. Et les hommes qui ont entendu cela, Judas et Pierre, ils sont allés chacun vers leur destin. Comme quoi la Parole de Dieu lorsqu'elle tombe dans des cœurs qui ne sont pas préparés à la recevoir, elle demeure stérile.
Nous devons cultiver le terreau de notre coeur. Nous ne pouvons le cultiver sainement encore une fois - qu'en pratiquant l'amour sincère les uns pour les autres. On doit commencer par de petites choses pour devenir fort par après dans les grandes. Car nous avons aujourd'hui la preuve que l'amour peut dégénérer.
Il peut fondre et il peut disparaître. Cet accident arrive suite à la malice de l'homme, à cause de ses instincts de cupidité qui deviennent les plus forts. Ou bien ce malheur arrive tout simplement à cause d'une faiblesse congénitale liée à l'image trop flatteuse qu'on a de soi.
Si un frère par inadvertance, ou même disons intentionnellement, attire notre attention sur nos limites, sur un de nos défauts, s'il nous humilie, s'il dénature en vérité l'image fausse que nous avons de nous, soyons reconnaissant à ce frère car il nous enracine dans l'humilité et il guérit en nous cette faiblesse congénitale qui pourrait nous faire glisser en dehors de l'amour et trahir notre Dieu.
L'amour est Dieu lui-même qui vient habiter le coeur de l'homme. Et ce coeur le rejette, ou bien il n'est pas capable de le contenir dans sa pureté. C'est le cas de Judas et c'est le cas de Pierre. Dans la Scola caritatis, nous deviendrons Marie de Béthanie au terme d'une longue et patiente purification. Mais au départ nous somme Pierre et nous devons nous protéger à tout prix de Judas.
Nous comprenons ainsi que pour les Anciens, les larmes du coeur étaient leur trésor. Pourquoi ? Mais parce que ces larmes empêchent le coeur de se pervertir. Elles agissent à la façon du sel dans une viande que l'on veut conserver. Les larmes, elles ont un goût de sel. Elles sont salées et elles salent le coeur, elles le conservent en bon état. Elles l'empêchent d'entrer dans la putréfaction.
Ces larmes, mes frères, elles sont un grand cadeau que Dieu fait aux moines. C'est pourquoi nous devons avoir l'audace de les demander. Cela ne veut pas dire que nous serons comme le Curé d'Ars qui pleurait, lui, à chaudes larmes à tel point que les larmes avaient creusé des sillons sur ses joues. C'était le cas aussi de Saint Arsène.
Non, cela ne doit pas aller jusque là. Aujourd'hui, comme nous avons les pieds bien par terre et que nous avons une foi un peu trop dure, on dirait : « Celui-là, il faut l'envoyer chez un psychologue. Il y a quelque chose chez lui qui ne va pas. Il est toujours en train de pleurer. Ce n'est pas de la dépression, c'est plus grave encore ! »
Non, ne pensons pas à ces larmes physiques, mais pensons aux larmes du coeur. Et lorsqu'elles baignent le coeur et qu'elles débordent du coeur pour entrer dans tout l'être spirituel et le purifier, à ce moment-là nous pouvons dire que l'Esprit-Saint a pris possession de nous. Car le Père des larmes spirituelles ne peut être que l'Esprit de Dieu.
Voilà, mes frères, ce que nous pouvons retenir ce soir. Hier nous avons vu, je le rappelle, l'amour fou de Marie de Béthanie. Nous avons vu ce matin la faiblesse de Pierre et la dureté de coeur de Judas. Demain, s'il plaît à Dieu, nous verrons jusqu'où les choses sont allées.
Mes frères,
Nous savons que la démarche de Judas auprès des grands Prêtres a eu lieu immédiatement après l'onction de Béthanie. Judas n'a pu contenir la hargne qu'il avait senti monter en lui contre Marie et contre son geste de folie. L'univers de la gratuité lui était absolument étranger. Entre Marie et lui, il y avait une distance quasi infinie, la distance qui existe entre l'amour et le non-amour.
Au coeur de cette tension se jouait le destin de Jésus. Il serait vendu comme une marchandise et livré à la mort. Mais tout au fond de sa conscience Jésus savait, grâce à l'amour inconditionnel de Marie, qu'il ressusciterait. Car le cri de l'amour c'est, je vous le rappelle, « Toi, tu ne mourras pas. Et même si tu descends dans la mort, je t'y suivrai et nous en sortirons ensemble. »
En refusant la gratuité, Judas se plaçait en dehors de la vie. C'est pourquoi il eut mieux valu pour lui qu'il ne fut pas né. La vie qu'il allait mener, une vie étrangère à l'amour, serait pire que l'enfer. Il ne pourrait la supporter longtemps et il y mettrait fin par le suicide.
Nous apprenons ainsi par le drame que connu Judas que le refus d'aimer porte déjà en lui son jugement et sa condamnation. Je rappelle cette parole de Saint Jean de la Croix : « Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l'amour, et sur rien d'autre »
Et c'est ainsi que nous sommes jugés à tout instant de notre vie. Et celui qui aime, et qui aime vraiment, celui-là, il échappe au jugement car il est déjà passé de la mort à la vie. Le jugement n'a plus aucune prise sur lui. Parce qu'il est dans l'amour, il est déjà entré chez Dieu.
Et le point de départ de la ruine de Judas, c'est sa cupidité, sa rapacité, son amour de l'argent. Nous le savons par Jésus. Et je me demande si la Parole de Jésus que je vais rappeler ne s'adressait pas déjà à Judas. « Il n'est pas possible de servir deux maîtres à la fois. Il ne vous est pas possible de servir à la fois Dieu et l'argent. » Chez Judas, nous voyons que l'amour de l'argent l'a conduit à tuer Dieu. L'un exclut l'autre.
Saint Benoît insiste sur le danger de l'avarice, de l'amour de l'argent. Pour lui, c'est un malum, c'est un mal et un malheur. Et pourquoi est-ce un malheur ? Pour ceci : nous savons qu'une des deux qualités maîtresses d'un vrai moine, c'est la compassion. Or, l'amour de l'argent étouffe, éteint et détruit la compassion dans le coeur du moine.
Et un moine étranger à la compassion, c'est un monstre. Il est descendu du côté de Judas. Et pour Saint Benoît, et non seulement pour Saint Benoît mais pour toute la Tradition monastique, une des origines de cette dégénérescence, de cette perversion qui fait se perdre le sens de la compassion, c'est l'amour de l'argent.
Et notre monde actuel, c'est un monde extrêmement dur parce que loi qui le domine, c'est la loi du rendement financier, c'est la loi l'argent. Et nous, je ne dirais pas que nous en sommes complices, mais ! Déjà à l'époque de Saint Benoît, déjà à l'époque du Christ, il fallait de l'argent pour vivre. Et aujourd'hui il en faut beaucoup.
Mais attention, n'en soyons pas esclaves, ne travaillons pas pour l'argent. Gérons nos affaires le mieux possible. Mais lorsque nous avons le choix entre l'argent et un témoignage d'amour, nous ne devons pas hésiter, nous devons donner le témoignage de la gratuité. Et cela nous arrive. Et de temps en temps nous sommes devant cette option. Nous devons alors recevoir de Dieu la grâce du choix le meilleur.
Et cette perversion de la compassion dans le coeur d'un avare, d'un cupide, d'un rapace, nous en avons un exemple chez Judas. Là nous le voyons, il ne recule devant rien pour faire un peu d'argent. Et l'amour de l'argent l'a conduit finalement à la perte totale.
Et nous comprenons mieux que Saint Benoît ait peur de l'argent. Il veut à tout prix préserver l'âme du moine, et l'âme de sa communauté du péril qui est attaché à l'usage inconsidéré de l'argent.
Mes frères, nous allons entrer demain après-midi dans les grands jours de la Pâque. Cette année-ci, par une belle coïncidence, les Orthodoxes la fêtent le même dimanche que nous, et les Juifs viennent de la fêter le jour de la pleine lune. Donc, voilà les trois Pâque qui sont fêtées en même temps.
Nous autres, nous la fêtons le dimanche après la pleine lune tandis que les Juifs, c'est le jour de la pleine lune, le 14 Nisân. Mais nous aurons ainsi dans notre pensée une petite prière œcuménique. Il n'est même pas nécessaire de la formuler explicitement, mais nous savons que nous sommes en communion avec toute l'Eglise Orientale et avec nos racines Hébraïques.
Nous allons entrer au coeur d'un mystère qui est tout ensemble mystère d'iniquité - pensons à Judas, pensons à Pierre, pensons aux Grands Prêtres. C'était le Haut Clergé qui a condamné Jésus - et puis en même temps mystère d'amour. Nous avons Marie de Béthanie. Nous avons Marie, la mère de Jésus, en tout premier lieu, et quelques fidèles : un tout petit troupeau.
Et nous vivrons ces journées dans la foi et l'humilité en sachant que nous sommes trop faibles. Nous sommes aussi des êtres charnels, nous avons des besoins et nous sommes facilement séduits par la facilité, par la commodité. Et nous tomberions bien facilement aussi dans le piège de l'argent.
Et c'est pourquoi nous demanderons à Dieu la grâce de nous tenir propres, de nous tenir purs, de nous tenir chastes, car il existe une chasteté qui est autre que la chasteté du Droit Canonique, la chasteté même de Dieu qui est gratuité, qui est amour, et qui est accueil sans réserve.
Mes frères,
Le Seigneur Jésus vient de nous donner le témoignage d'un amour poussé à l'extrême. Or, il désire nous entraîner avec lui dans l'infini de sa gratuité. Et pour cela, il nous apparaît ce soir sous la figure d'un serviteur et il nous invite à l'imiter en tout, partout et toujours. Personne d'entre nous, fut-il l'Abbé - l'Abbé encore moins que n'importe quel frère - n'a le droit d'exercer une domination sur un autre.
Non, si nous sommes chrétiens, nous sommes serviteurs les uns des autres. Nous devons nous mettre sous les pieds de tous nos frères, de tous les hommes, et être heureux de nous trouver dans cette posture qui peut paraître humiliante mais qui est celle que le Christ a choisie, la dernière.
Mes frères, nous savons par l'Apôtre, il vient de nous le rappeler, et par d'autres témoignages que le jusqu'au bout du Seigneur a été de se donner en nourriture à ses disciples et à nous. Pouvions-nous imaginer une telle réalité ? Par cet anéantissement en nous, il nous immerge dans ce qu'il est et des hommes faibles, instables et fragiles que nous sommes, il fait des dieux possédant un pouvoir absolu sur le cosmos.
Mais attention, comme je viens de le dire voici un instant, ce pouvoir, qui est celui-là même de Dieu, est un pouvoir de service, de don de soi sans réserve. Le sommet de tout ce que nous pouvons espérer en fait de réussite et de bonheur en cette vie et dans le monde à venir est d'avoir part avec le Christ.
Aussitôt que Jésus dit à Pierre : « Si je ne te lave pas les pieds, tu n'auras pas part avec moi » Pierre a pris peur. Car ne pas avoir part avec le Christ, c'est pire que la damnation. Avoir part au Christ, avec le Christ Jésus, c'est avoir part à ce qu'il est, c'est à dire à son être de serviteur. On ne le répétera jamais assez.
Et cette participation à son être et à sa vie n'est pas purement symbolique. Elle est réelle, elle est physique. Quand son sang de lumière circule dans nos artères et dans nos veines, ce n'est plus nous qui vivons, c'est lui qui commence à vivre en nous et à déposer en nous les prémices de notre résurrection.
Si malheureusement nous retombons sous les lois de l'homme charnel, c'est parce que nous avons eu peur, c'est parce que nous avons craint de suivre le Christ Jésus jusqu'au bout de son amour, jusqu'à l'extrême de son amour.
Certes, c'est au-delà de nos forces. Mais n'oublions pas que son sang divin est à l'intérieur de notre corps et que grâce à lui, insensiblement mais sûrement, nous grandissons en notre être divinisé. Et le jour viendra, certainement, où ayant part totalement à l'être du Christ nous pourrons aimer sans réserve.
Mais cette peur qui est en nous, une peur viscérale qui est liée à notre péché d'origine, cette peur, nous devons apprendre à l'apprivoiser et finalement la juguler. Nous l'apprenons lorsque nous unissons notre volonté à celle de notre Dieu. A ce moment, nous connaissons en nous la propre liberté de Dieu et cette peur disparaît.
Notre Pâque, notre passage vers cette liberté, elle peut durer longtemps. Elle dure en pratique toute notre vie, car l'extrême de la gratuité recule sans cesse devant nous. Le jusqu'au bout de Dieu en effet est sans mesure. Il est hors mesure.
Mais notre continuelle tension vers lui construit notre être dans ce qu'il a de plus pur. A l'intérieur de cette tension qui va pratiquement de hauteur en hauteur, comme nous dit le psaume, nous avons réellement part avec le Christ aux trésors de la vie divine.
Le geste du lavement des pieds auquel je vais procéder maintenant nous rappelle les ineffables promesses de notre Christ ..... ..... . Nous allons le vivre dans la confiance en sachant que si nous avons le courage de nous abaisser devant les hommes jusqu'à être toujours leur serviteur, et cela quelque soit la place que nous occupons dans la hiérarchie de ce monde, à ce moment-là nous devenons des fils de Dieu, nous avons part avec le Christ et, tôt ou tard nous serons transfigurés en lui.
Mes frères,
Le récit que nous venons d'entendre est lourdement chargé d'une émotion profonde. C'est Dieu qui meurt, notre instinct nous le dit. Dieu est mort. Enfin nous sommes libres : plus de Dieu, plus de Maître, plus rien ! Et voici le mot de la fin : nous avons tué Dieu et il ne reste rien, plus rien devant nous, plus rien à côté de nous. Nous sommes dans le rien et nous ne sommes plus rien. Et voici l'épouvante qui s'avance, qui monte, qui submerge tout !
Mes frères, n'est-ce pas ce que notre univers connaît ? Les hommes qui se jettent les uns sur les autres. Les économies à travers l'univers qui s'affrontent, qui se combattent, qui se dévorent. Et les hommes au plus profond de leur coeur qui se sentent déchirés et qui prennent peur. Nous vivons sous le régime de la peur parce que il n'y a plus rien.
Nos pulsions déicides sont des pulsions suicidaires. Mais prenons bien garde, mes frères, elles sont toujours à l’œuvre en nous. Elles se dirigent contre nos frères en qui Dieu habite. Elles se retournent contre nous qui sommes les image de Dieu. Tel est le péché, tel est tout péché. Et tous, nous sommes pécheurs peu ou prou.
Le récit de la passion du Fils de Dieu nous rappelle ce que nous sommes. Il nous dit aussi qui est ce Jésus de Nazareth que nous avons rejeté. Nous l'entendons de sa bouche à lui, lui dont nous ne voulions plus. « Je suis Roi » dit-il. Tel est le sommet dont Jésus ne descendra jamais. Il est le Roi, le Melek, celui dont tout dépend, celui qui décide, celui qui organise, celui qui dispose et finalement celui qui porte le jugement.
O, Pilate a esquissé un geste prophétique, lui le païen, lorsqu'il a fait asseoir Jésus sur l'estrade dans la tenue d'un roi, la couronne sur la tête avec le vêtement de pourpre qui l'enveloppait. Et Jésus dans cette tenue de dérision jugeait le monde et il nous jugeait chacun d'entre nous. Tout lui a été remis. Le cosmos qui est son œuvre est son domaine. Mais il règne aussi sur les consciences, non pas pour les asservir mais pour les libérer.
Alors, mes frères, la liberté, la vraie liberté, elle ne serait pas au bout de la révolte et éventuellement du meurtre ? La liberté n'est pas dans autoexaltation de l'homme, elle est dans l'adoration de Dieu, dans l'accueil de son règne. Le Créateur et Roi de l'univers est venu pour nous rappeler où se trouve la vérité. Seule la vérité rend l'homme libre, mais la vérité totale qui est lumière.
A nous de l'accueillir aujourd'hui même si parfois, même si bien souvent nous l'avons récusée autrefois. La vérité, c'est la personne même de Dieu. La vérité c'est le Christ Jésus, Dieu avec nous, Dieu pour nous. Donner au Christ sa place dans notre vie, lui donner toute la place, c'est nous plonger dans la vérité, c'est nous vêtir de vérité, c'est devenir nous-mêmes apparition de la vérité. Et la vérité, mes frères, c'est Dieu lui-même, je viens de le dire.
Et dans le détail bien concret, la vérité, c'est l'amour, c'est la gratuité, c'est l'accueil, c'est la compassion, c'est l'ouverture, c'est la douceur, c'est la liberté, une liberté intérieure qui se rie de tout ce qui peut apparaître comme contraire.
Jésus était souverainement libre, nous l'avons entendu. C'est lui qui dirigeait les événements. Et il savait qu'il était dans la main de son Père, là où se trouve la source de toute liberté, et que la mort ne pourrait même pas le retenir dans ses liens.
La croix sur laquelle meurt le Christ notre Dieu nous place devant un choix : ou bien suivre le Roi du monde et sortir de nous, ou bien nous replier sur nous-mêmes et peu à peu nous scléroser et mourir. Et cette frontière traverse notre coeur. Reconnaissons-le humblement et prenons nos dispositions en conséquence.
Demandons au Seigneur, lui qui a connu notre faiblesse, lui qui a voulu être revêtu de chair pour savoir ce que c'était qu'être un homme, demandons-lui d'être en nous la source de la vie de manière à ce que nous puissions toujours poser le bon choix, sortir de nous, nous donner aux autres, les accepter tels qu'ils sont, accueillir l'amour et le réfracter sur tous ceux que nous rencontrerons et, au-delà de proche en proche sur l'univers entier. Telle est la vocation du chrétien, telle est la nôtre, mes frères.
Alors, supplions notre Roi de nous unifier en lui, de guérir en nous toutes les fractures, toutes les dissemblances. Demandons-lui de nous ramener au lieu de notre origine - qui est son coeur à lui - de manière à ce que plus jamais nous ne nous éloignions. Et ainsi, il pourra faire de nous des rois de son royaume qui commence ici déjà sur terre, des rois qui seront les témoins de la vérité et de l'amour qu'il est.
Amen.
Mes frères,
Que s'est-il passé durant la journée du Grand Sabbat qui a commencé le soir même du jour où fut perpétré le meurtre de Jésus, le meurtre de Dieu ? Apparemment rien ! Chacun a mangé la Pâque comme à l'accoutumée en plus ou moins bonne conscience. Les cadavres des suppliciés avaient été enlevés, ensevelis ou jetés dans une fosse commune. L'épisode Jésus de Nazareth était clos. La vie continuait. Seuls quelques-uns ne pouvaient oublier.
Personne ne se doutait que la Pâque réelle, la Pâque définitive était en voie d'accomplissement. Le lendemain se produirait l'imprévisible, l’inouï, l'irruption d'une vie nouvelle, autre, le renversement des lois du cosmos.
Et pendant ce temps, les hommes allaient à leurs affaires sans se douter que la mort les attendait au coin d'une route, au coin d'une rue. Ils tournaient, ils ne savaient pas. Ils tournaient en rond dans leur vanité à la manière d'un bétail qu'on abat. Et seuls quelques-uns pressentaient quelque chose et veillaient.
Et ces quelques-uns étaient des femmes, toujours des femmes parce que la femme est toute entière pétrie d'attente. La femme est attente inachevée, attente toujours neuve, attente d'un accomplissement qui serait beauté définitive, beauté totale, beauté parfaite.
Mes frères, c'est la partie féminine de notre être qui échappe au vertige du rien et qui s'ouvre au salut qui est offert ; c'est elle qui accueille et qui génère la petite fille espérance ; c'est elle qui nous enfante à travers toute les nuits à notre être d'éternité.
Saint Bernard, vous le savez, parlait de anima, ce souffle féminin qui en nous s'unit au Verbe de Dieu dans des épousailles qui abattent pour jamais la muraille de la mort. Mais pour en arriver là, il faut savoir attendre. Il faut pouvoir veiller. Il faut ne jamais s'endormir.
Le long Sabbat d'indifférence pour la masse était vibrante attente pour quelques veilleurs. Ce long Sabbat s'étend jusqu'à la fin du monde, jusqu'au bout du vertige des illusions ou des tourments de l'amour. Il y a toujours un bout à attendre, toujours un bout à atteindre. Et là sur ce bout se tient le Christ, lui qui a aimé, qui aime les siens jusqu'au bout, à perte de vue, au-delà de toute limitation.
De quel côté sommes-nous, mes frères ? Au fil des jours, au fil de nos occupations, où sommes-nous ? Nous contentons-nous du nécessaire, du strict nécessaire, pour ne pas nous engluer et pour tenir toujours notre coeur éveillé ? Dans quelle direction regardons-nous ? Vers nous-mêmes et nos satisfactions éphémères ou bien vers un au-delà de nous où déjà nous vivons en espérance ?
Le grand et saint Sabbat, nous y sommes aujourd'hui. Nous y sommes chaque matin, nous y sommes chaque soir. Le chrétien est un homme qui attend parce qu'il sait que le Christ se tient à la porte et qu'il frappe. Il vit dans le provisoire, son coeur est ailleurs.
Son coeur est dans la main d'un autre. Et cet autre, c'est un frère, c'est un homme dans lequel il reconnaît le Christ ressuscité. Cet autre, c'est Dieu lui-même que l'on suit. Et ainsi, peu à peu on devient libre, de la propre liberté du Christ, de la propre liberté de Dieu. Et on descend avec lui dans une mort mystique qui est le seuil d'une nouvelle vie, d'une vie dans la lumière, d'une vie de ressuscité.
Mes frères, notre existence mortelle doit être un long et patient Sabbat. Non pas le Sabbat des indifférents qui s'amusent, mais le Sabbat des veilleurs. Le moine, vous le savez, est un neptique. C'est un homme qui veille. C'est un homme qui attend. C'est un homme qui est toujours éveillé.
Et le signe de cette vigilance, c'est son obéissance. Il s'enfouit, il s'ensevelit dans un linceul qui est la volonté de son Dieu. Et là, patiemment il attend que descende sur lui le souffle de l'Esprit qui va le ranimer et qui va lui donner un être nouveau qui sera son être d'éternité.
Mes frères, l'ailleurs où nous vivons, c'est la création nouvelle, celle qui existe déjà, qui a été inaugurée le jour où le Christ s'est réveillé du sommeil de la mort. Et nous qui sommes greffés sur lui, déjà nous sommes entrés dans notre véritable patrie. Nous n'en avons pas encore totalement conscience, mais notre instinct nous dit, notre instinct surnaturel nous dit que c'est arrivé et que là est notre véritable lieu.
Nous y penserons demain, si vous le voulez bien, en sachant que notre longue existence, car notre existence est longue quoique elle nous paraisse bien brève au regard de l'apparente éternité cosmique. Mais non, notre existence est longue parce que elle est déjà toute entière saupoudrée d'éternité.
Un parfum entre en nous et ce parfum nous dilate et il nous donne ce que nous serons pour jamais, c'est à dire des cellules divines, des êtres divinisés qui connaîtrons parfaitement la propre vie de Dieu, cette vie d'éternité qui est amour, qui est vérité, qui est connaissance et qui est liberté pour jamais.
Mes frères,
Cette nuit, qui est une veille en l'honneur du Seigneur, porte inscrite en son sein l'inestimable valeur du nom chrétien. Sans cette nuit, nous ne saurions pas ce que nous sommes. Mais avec elle, nous découvrons le secret d'une joie qui devrait sans cesse nous soulever. Le chrétien, chaque chrétien est porteur d'une parole qui dévoile le sens de l'univers. Tout chrétien est un prophète. L'Eglise est un peuple de prophètes.
Cette nuit, mes frères, reprenons conscience de ce que nous sommes, de notre mission, de notre devoir. Nous sommes aimés à perte de vue, aimés au-delà de toute imagination, de toute conception possible. C'est pourquoi, mes frères, nous ne devons jamais nous laisser submerger par la peur. Car, par la résurrection du Seigneur - qui nous travaille déjà au plus profond de notre être - nous avons vaincu le monde, nous avons vaincu le péché et nous avons vaincu la mort.
Nous portons inscrite en notre chair, en notre coeur, l'Histoire du cosmos depuis son origine jusqu'à son achèvement. Le chrétien est contemporain de tous les Temps. Son être le plus profond participe à l'éternité de Dieu. Greffés sur le Christ, nous avons été aimés dès avant la création du monde, et cela chacun personnellement en particulier.
Nous avons travaillé au surgissement du monde. Nous étions avec la Sagesse, jouant avec elle sur le cercle de la terre et faisant surgir tout ce qui aujourd'hui et pour jamais doit réjouir le regard de notre coeur. Et nous avons suivi l'Histoire à travers ses ascensions et ses chutes jusqu'aujourd'hui.
Ressuscités avec le Christ, nous sommes déjà à l'intérieur de la création nouvelle et nous en contemplons l'accomplissement dans la gloire de la Trinité.
Je pense, mes frères, que c'est ici une réalité essentielle de nos existences d'hommes ici sur cette terre : c'est que en même temps nous sommes déjà entrés dans la création renouvelée. Nous sommes ainsi des êtres qui vivons sur deux plans en même temps : le plan de la chair et l'étage de l'Esprit. L'Apôtre nous dira qu'il y a un conflit entre les deux, certes, parce que notre chair est blessée par le péché.
Mais la résurrection du Christ apporte le remède. Il suffit de nous ensevelir dans la volonté de notre Père pour que notre chair elle-même retrouve son équilibre et se remette toute entière au service de l'Esprit. Car elle sait que cet Esprit, un jour, la ressuscitera et lui donnera pleine participation à la gloire même de Dieu.
Nous venons d'entendre l'immense fresque de cette création. Et comme je le disais, nous en sommes contemporains. Le chrétien est un homme des commencements et il est celui des accomplissements ultimes. La vie divine qui bouillonne en nous nous arrache à tout ce qui est contingent et elle nous établit dans l'éternel. C'est cela qui donne à notre vie sa stabilité et sa profonde paix.
Nous devons savoir que, aimés par Dieu, il n'y a pas d'obstacles réels devant nous. Ce qui crée à l'intérieur de notre sensibilité comme des obstacles c'est parce que, encore une fois, la faiblesse de notre perception, c'est la faiblesse de notre foi. Car, comme dit l'Apôtre, tout, absolument tout est au service de ceux que Dieu aime. Or, nous sommes aimés de Dieu. Le chrétien sait d'où il vient et il sait où il va. Il sait qu'il est un fils de Dieu et que le monde entier est en son pouvoir.
Le prince de ce monde a été jeté dehors, mes frères, ne le rappelons pas. Il n'a plus aucun pouvoir sur nous à condition que nous ne pactisions pas avec lui. Oui, le satan a été vaincu, le péché a été vaincu, et la mort a été vaincue. Le Christ notre Seigneur et notre Dieu est ressuscité d'entre les morts et nous sommes ressuscités avec lui.
Comme vient de nous le dire l'Apôtre, vivons de cette vie nouvelle qui est celle de la résurrection. C'est une vie qui est toute entière amour, accueil, don, qui est lumière, qui est compassion, qui est douceur. On ne redira jamais assez que les deux qualités essentielles de tout chrétien à la suite du Christ ressuscité, c'est la douceur et la compassion.
Le chrétien, homme ressuscité, est donc un citoyen des cieux nouveaux. Il est un prince et il est un roi. Comme j'y faisais allusion il y a un instant, sa respiration c'est la charité et sa noblesse c'est de donner sa vie.
Mes frères, nous qui sommes chrétiens, nous sommes l'espérance du monde, nous en sommes la lumière, nous sommes la réponse à toutes les questions. Telle est notre identité, telle est notre vocation, telle est notre mission.
Le Christ et le monde attendent notre réponse. Ils attendent que nous manifestions à nos frères les hommes, à tous sans exception, que Dieu est amour, que Dieu est notre Père, que le Christ notre Dieu est notre frère et que déjà maintenant, si nous l'acceptons, si nous le voulons, si nous consentons, il nous fait participer entièrement à sa propre vie qui est la joie de Dieu, et qui est notre liberté, et qui est déjà les prémices de notre gloire éternelle.
Amen.
Mes frères,
Marie Madeleine d'abord, puis Pierre et l'autre disciple se trouvent soudain en présence d'un univers absolument nouveau, totalement autre. Longtemps encore ils vont ..... ne découvrant pas les mots pour traduire leur surprise, leur émerveillement.
C'est que l'univers de la résurrection est indicible. Il est la création nouvelle toute entière et consciemment immergée en Dieu. Cette situation paradoxale, déroutante, est encore la nôtre aujourd'hui si nous sommes des chrétiens éveillés.
La stupeur se saisit de nous car nous passons de l'autre côté de la mort. Tout en étant à l'intérieur d'une chair corruptible, nous sentons que nous sommes ressuscités. Notre être d'éternité est déjà parti ailleurs.
C'est ce qu'affirme avec puissance l'Apôtre Paul, lui qui a vu le Christ dans sa lumière. « Vous êtes ressuscités avec le Christ » dit-il. Notre résurrection n'est donc pas un événement à venir. Elle appartient à notre passé. Nous sommes déjà ressuscités et nous n'avons plus à nous cramponner aux choses de la terre.
Ce que nous sommes ne paraît pas encore pleinement. Notre état véritable est occulté par le voile de notre corps charnel. Notre vie demeure cachée avec le Christ en Dieu.
Pourtant, mes frères, quelque chose doit filtrer de notre qualité de ressuscité. Ce rayon qui doit à partir de nous éclairer ceux que nous rencontrons, ceux avec lesquels nous entrons en relation, et même bien au-delà qui doit franchir les limites de l'espace, ce rayon, c'est la charité qui est la respiration d'un corps ressuscité, d'un corps spirituel, d'un corps nouveau. Car s'il existe un corps charnel, il existe aussi un corps spirituel. C'est celui-là qui connaît déjà la réalité de la résurrection. Et il est à l'intérieur de notre chape corporelle.
Mes frères, un chrétien éveillé, c'est un homme qui a conscience de cet être spirituel qui est déjà animé de la vie éternelle, cet être en voie de divinisation qui est greffé sur le Christ et qui, encore une fois, respire la charité. On reconnaît ainsi que nous sommes vraiment des disciples du Christ à l'amour que nous avons les uns pour les autres.
Chrétien est synonyme de ressuscité et sa carte d'identité, c'est l'amour. Là où il n'y a pas d'amour, il n'y a pas de chrétienté, il n'y a pas de vie chrétienne. Il n'y a rien. Il y a un cadavre ambulant, une sorte de machine qui fonctionne, mais il n'y a rien. Et cette chair déjà en voie de décomposition va retourner au rien d'où elle est sortie.
Mes frères, pour aimer vraiment, il faut un certain détachement de ce monde-ci et de ses lois, ces lois qui sont égocentrisme, introversion, qui sont rigidité et peur. Aimer, c'est se détourner de soi pour regarder derrière le voile des apparences et reconnaître la lumière de la résurrection à l’œuvre dans le coeur du frère, dans le coeur de tout homme.
Aimer, c'est donc se découvrir membre d'un peuple de ressuscités et attirer ainsi le ciel sur la terre. Aimer, c'est aller chercher la source de son existence, de son être, chez l'autre, cet autre étant d'abord la Sainte Trinité qui est pur amour, et puis le Christ, et la Vierge Marie, et les saints, tout l'univers de la création nouvelle, aller chercher là-bas la source de sa vie et non pas la chercher en soi. Car en soi, il n'y a rien qu'une sorte de giration qui va finir par s'arrêter et - encore une fois - retourner au rien.
Mes frères, telle est la logique du chrétien qui est mort avec le Christ aux lois de la chair et qui est ressuscité avec Lui aux lois de la création nouvelle.
Mon souhait pour cette fête de Pâques, mes frères, c'est que nous soyons logiques avec notre être de chrétien et que cette logique soit le moteur de notre vie, notre vie de tous les jours, notre vie personnelle, notre vie sociale.
Et qu'elle nous transforme, qu'elle transfigure notre entourage et que autour de nous s'élargisse de plus en plus un cercle de vie, un cercle de paix, un cercle de lumière à l'intérieur desquels les hommes peuvent se sentir à l'aise, peuvent s'épanouir et déjà goûter quelque peu les prémices de la création nouvelle.
Amen.
Homélie à l’Eucharistie des rameaux. 08.04.90........................ 60
Etre greffé sur le Christ !...................................................................................................................................... 60
Chapitre du Lundi-Saint. 09.04.90................................... 61
Un affrontement terrible !..................................................................................................................................... 61
Chapitre du Mardi-Saint. 10.04.90................................... 63
Le non-amour !......................................................................................................................................................... 63
Chapitre du Mercredi-Saint. 11.04.90................................. 65
Nul ne peut servir deux maîtres à la fois !......................................................................................................... 65
Homélie à l’Eucharistie du Jeudi-Saint. 12.04.90......................... 67
Le jusqu’au bout du Seigneur................................................................................................................................ 67
Vendredi-Saint. 13.04.90.......................................... 68
Homélie à la célébration........................................................................................................................................ 68
Exhortation à l’Office de Complies..................................................................................................................... 69
Homélie à la Vigile Pascale. 14.04.90............................... 71
Homélie à l’Eucharistie de Pâques. 15.04.90.......................... 73
Table des matières de la Semaine Sainte de 1990............................... 74