Mes frères,
Cette semaine, ne l'oublions pas, ce n'est pas une représentation théâtrale dans laquelle nous ferions le jeu de figurants mais étrangers à ce qui se passe. Non, c'est un mystère, c'est le mystère par excellence, celui de notre vie, qui est là avec une intensité maximale.
Nous devons donc nous ouvrir à lui davantage, le laisser prendre possession de nous de façon à devenir un avec lui. C'est ça la liturgie, c'est ça le sacrement ! Je le rappellerai au cours de tout ce que je vais devoir dire, des homélies, des introductions etc ! Soyons donc bien attentifs !
Je sais, parce que pour moi et pour vous aussi, que la Semaine Pascale, la Semaine de la Passion apporte toujours beaucoup. Il se produit en nous des phénomènes d'ordre surnaturel qu'on ne sait pas mesurer à l'aide d'instruments techniques.
Mais on s’aperçoit quand on connaît les hommes qu'il y a quelque chose qui se modifie au cours de cette semaine. Et d'année en année, c'est ainsi que le Royaume de Dieu progresse en nous et dans notre communauté , car la grâce de Pâques se répand sur tout le restant de l'année. Mais nous vivons maintenant un sommet. Nous allons donc le faire le mieux selon nos capacités.
Maintenant un mot au sujet de la visite du Père Abbé Général.[1] Elle est mal tombée, cette visite du Père Abbé Général. Mais oui, je n'ai pas eu l'occasion d'en parler. Il y aurait des choses intéressantes à dire. Je vais simplement, voilà, dire quelques mots ce soir. J'y reviendrais peut-être après ?
Le Père Abbé Général m'a dit : « On m'a dit que vous présentiez un idéal monastique difficile et exigeant. Et, a-t-il ajouté, c'est bien comme ça !
Et je pense qu'il a raison. Je préfère dire les choses telles qu’elles sont au plan monastique et spirituel plutôt que d'édulcorer. Non, il faut voir : nous ne sommes pas venus ici pour être pensionné avant l'heure, mais c'est pour suivre le Christ. Et nous le savons bien, nous le verrons encore pendant cette semaine qu’il ne faut pas avoir peur d’affronter la souffrance, d'affronter la difficulté, ni la mort.
L'obéissance, voyez, cette route qui nous fait mourir littéralement à certains jours, à certaines heures, mais ça nous fait sortir de nous-mêmes, ça nous fait entrer dans le Royaume de Dieu, ça nous ouvre au Christ, à l'Esprit Saint qui nous transforme, qui nous transfigure, qui nous fait vivre de la vie divine d'abord de façon inconsciente et puis de plus en plus consciente jusqu'à ce que une sorte de matrimonium, de mariage s'établisse entre le Christ et nous et que nous puissions commencer à devenir féconds au plan spirituel.
C'est ça le plus haut sommet et c'est ça dont il faut parler ; et c'est jusque là que nous devons aller ! C'est exigeant, c'est difficile, c'est certain ! Mais voilà, ça ne nous effraye pas...
Mes frères,
Au cours de cette grande et Sainte Semaine, nous allons commémorer des événements d'une intensité dramatique peu ordinaire. Leur succession rapide va nous conduire mystiquement jusqu'au triomphe final et définitif de notre Dieu.
En eux, nous commémorons avec les yeux de notre foi qui les contempleront, les actes principaux de notre vie chrétienne. Nous déchiffrerons aussi le destin de l'humanité et même de l'univers matériel tout entier.
Notre procession signifie notre lente ascension vers les sommets de la contemplation et de l'amour par les chemins ardus d'une obéissance fidèle, d'une obéissance qui nous purifie et nous libère.
Mes frères,
La Semaine de la Passion s'ouvre, nous venons de l’entendre, sous les acclamations enthousiastes de la foule des disciples heureuse de reconnaître en Jésus son Roi. Et elle va se clôturer avec une pancarte accrochée au-dessus d'une croix : celui-ci est Jésus le Roi des Juifs.
Les disciples appellent Sur leur Maître la bénédiction par excellence du ciel : la paix ; c'est à dire l'abondance des biens de l'âme et du corps, le partage de l'état bienheureux de Dieu.
Et ils font refluer cette paix vers le ciel d'où elle est venue afin que une seconde fois elle retombe comme une rosée bienfaisante sur la terre entière et que l'univers en sa totalité soit rempli de la gloire de Dieu, qu'il devienne un livre que les yeux purifiés des hommes pourront lire et dans ]lequel ils verront transparaître qui est leur Dieu et quelle est leur destinée à eux : devenir des fils de Dieu, des fils de la lumière.
Et les disciples étendaient leur manteau sur le sol devant le Christ. Cela veut dire qu'ils se dépouillaient de tout ce qu'ils étaient afin d’être revêtus de ce Christ qui était le leur.
Et au moment de prendre congé de ses disciples, Jésus leur fera don de sa paix, celle-la même que les disciples avaient demandé pour lui. Non pas la paix que le monde donne, fragile, éphémère, mais la paix qui habitait son coeur et qui lui donnait la domination du cosmos.
Et Jésus est Roi. Il l'est vraiment à chaque instant de sa passion comme il l'est à tout moment de la durée. I] l'est même lorsqu'il est bafoué, flagellé, couronné d'épines, couvert de crachats, martyrisé. Et il dirige les événements avec une souveraine majesté. Il ne lui arrive rien, qu’il ne l'ait permis.
Tu es le roi ? lui demande Pilate. Oui, répond-il, je le suis. Et son bourreau en est sidéré, subjugué. Et Jésus le Roi emmène avec lui dans son Royaume le malfaiteur qui crucifié comme lui reconnaît lui aussi qu'il a devant lui le Roi de l'univers.
Mes frères, …?… de l'unité sous les étendards de notre véritable Roi le Christ, nous tenons en main les armes fortes et invincibles de l'obéissance, les siennes. Et nous n'avons pas peur d'affronter la mort, car notre gloire, elle est dans la croix de notre Seigneur Jésus le Christ.
Par notre procession, nous allons par elle chanter notre foi et notre espérance.
Mes frères,
Il est question aujourd'hui avec une intensité peu ordinaire du Royaume de Dieu. Et le réalisme des événements ne nous permet pas de nous évader dans des rêveries infantiles.
Contemplons le Seigneur Jésus. Son lieu naturel est double : notre monde à nous et un ailleurs mystérieux. Notre monde avec sa beauté mais aussi avec ses misères, ses déviations, son péché ; et un ailleurs qui est celui de Dieu, qui supporte notre monde et qui lui est sa raison d'être.
Or, la royauté de Jésus consiste précisément en un pouvoir qui lui a été donné de transfigurer notre monde à l'image de cet ailleurs, d'achever la création en la divinisant.
Et pour réaliser ce plan. Dieu choisit une route de folie qu'aucun homme n'aurait .jamais imaginé. Il ne se tient pas à distance dans un lointain infini, dans la sublimité de son ailleurs. Non. Il descend au plus bas. Il se confond tellement bien avec la chair de péché qu'il en est devenu méconnaissable et qu'il prend sur lui la peine liée à l'aberration par excellence qu'est le péché. Nous l'entendons sur la croix se déclarer solidaire d'un brigand et l’emmener avec lui dans son Royaume.
Mes frères, c'est le mystère par excellence, cet amour qui a été poussé tellement loin que Dieu a voulu prendre la place de sa créature qui lui avait jeté en plein visage le non d'un refus radical.
Il prend cette créature, il la soulève, il la met à sa place à lui. Et l'endroit devenu vide, laissé vide par cette créature, il l'occupe, lui. Il devient le pécheur. Il se laisse mettre à mort par cette créature, celle-là, pas une autre. Et il pousse encore une fois, je le répète, son amour .jusqu'à entrer à l'intérieur de cette créature et à la transformer.
Mes frères, c'est là quelque chose qu'il nous est absolument impossible de comprendre. Nous pouvons y réfléchir maladroitement, nous devons contempler, nous devons admirer ; mais surtout, nous devons nous laisser faire, permettre à Dieu de réaliser en nous ce prodige ; reconnaître que nous sommes, nous, les pécheurs ; que nous sommes, nous, les assassins de Dieu ; et malgré ça nous jeter dans la fournaise qui est son amour, qui est sa Personne de façon à disparaître en lui et à devenir avec lui un seul être.
Mes frères, il existe déjà dans notre monde des points d'affleurement du Royaume de Dieu, dans notre monde esclave de cet égoïsme, de cette cupidité, de cette violence qui sont la source et l'expression du péché.
Les chefs des nations païennes, dit Jésus, leur commandent en maîtres. Mais pour vous qui allez devenir les Princes de mon Royaume, il n’en sera pas ainsi. Vous serez à mon exemple comme celui qui sert !
Mes frères, là où fleurit le service, là est présent le Royaume. Le service, c'est à dire à l'exemple de notre Dieu, prendre la place de l'autre, même de l'autre qui refuse, de l'autre qui vole, de l'autre qui tue ; prendre sa place de façon à ce que lui puisse être libéré des chaînes qui l'entravent et devenir libre.
L'égoïsme ainsi est anéanti et l'amour triomphe. Il est anéanti en nous, il est anéanti en l'autre. Ce n'est plus nous qui vivons, c'est le Christ qui vit en nous. La croix est toujours dressée, certes, mais grâce à elle, la mort est vaincue.
Vous allez dire : « Tout cela, ce sont des mots ! » Oui, ce sont des mots, mais il faut tout de même essayer d'exprimer la réalité, cette réalité que nous sommes invités à vivre. Et je sais que nous devons alors, si nous sommes vrais et sincères, rencontrer beaucoup de souffrance en nous. Car donner sa vie pour les autres, et surtout se laisser mettre à mort par les autres, cela fait terriblement souffrir.
Or, mes frères, si nous sommes des chrétiens, si nous sommes les disciples du Christ, c'est jusque là que nous devons aller. Il est inconcevable - en soi naturellement - qu'un chrétien exploite son frère, qu'un chrétien le trompe. Mais il devrait être tout naturel qu'un chrétien donne le meilleur de lui-même, qu'il se donne lui-même.
S'il en était ainsi dans la vie courante, je pense que le témoignage du Christ s'imposerait avec une telle puissance que le Royaume de Dieu serait présent et se répandrait partout avec la vitesse d'un feu.
Le monastère est un endroit, mes frères, où on a choisi de vivre ce mystère, de vivre ce mystère qui est celui de l'amour. Depuis l'Abbé jusqu'au dernier des Novices, on porte au corps un souci : chercher non pas son propre avantage, mais celui des autres ; s'oublier pour servir et donner la vie.
Ainsi, mes frères, la passion du Christ, elle se continuera en nous grâce à cette vertu qui a été celle du Christ : l'obéissance. Il le disait dès son entrée dans le monde : Je ne suis pas venu pour accomplir des choses extraordinaires qui me mettraient en évidence. Je ne suis pas venu pour séduire les hommes, mais pour faire la volonté de Toi, Dieu mon Père. Et je sais que cette volonté va me conduire jusqu’à cette Passion.
Car il n’est pas possible de détruire le péché, de briser l’égoïsme et d’anéantir la mort si ce n’est en se laissant soi-même écraser par obéissance et par amour de ses bourreaux.
Mes frères, nous sommes tous ainsi les uns pour les autres des bourreaux. Reconnaissons-le ! Chaque fois que nous portons sur un autre un regard qui n'est pas un regard d'amour, nous lui causons une blessure. Le Christ nous l'a dit : « C'est dans ton coeur que tout le mal se fait. »
Mes frères, notre obéissance sera notre victoire. C'est elle qui va affermir et propager le Royaume de Dieu. Nous laisserons d'abord ce Royaume s'installer en nous dans notre coeur. Et puis, à partir de là, par notre vie dans la simplicité des actions les plus ordinaires de chaque jour, nous le diffuserons, nous le rayonnerons sur nos frères et à partir de nos frères, dans l'invisible, dans l'univers entier.
Voilà, mes frères, c'est dans cet esprit que nous allons entrer et vivre cette Semaine Sainte qui va être le condensé de toute notre existence. Et à partir de cette semaine, de semaine en semaine alors pendant toute l'année jusqu'à la fin de notre vie, nous serons pour nos frères les hommes présence du Christ, présence d’espérance et déjà lumière d'un amour que rien ne peut vaincre.
Amen.
Mes frères,
Nous allons comme chaque année à la même époque une petite visite à Marie de Béthanie. Et cette fois, prendrons avec nous l'autre Marie dite de Magdala. Ces deux femmes se complètent très bien en vertu même de leur dissemblance.
Elles s'harmonisent parce qu'il y a en elle un fond commun qui est un amour extraordinaire pour la Personne du Christ Jésus. Mais Jésus-homme, ne l'oublions pas, qui est aussi le Fils de Dieu, certainement !
Mais ce n'est pas un amour platonique, c'est un amour qui vient du coeur, qui fait battre un coeur, qui est vécu dans la chair, dans l'affectus comme diront les premiers cisterciens. C'est cet amour que nous devons porter en nous aussi, si nous voulons être de véritables moines. Nous ne sommes pas des platoniciens. Nous sommes des disciples d'un Dieu incarné qui doit être aimé par notre coeur.
Ces deux femmes sont aussi très modernes pour aujourd'hui. Nous allons les contempler. Et il nous semblera qu'elles sortent d'un magazine d'aujourd'hui. C'est vraiment la femme éternelle qui est porteuse d'une Bonne Nouvelle pour l'éternité.
Donc, les jeunes femmes, les jeunes filles les plus modernes d'aujourd'hui se retrouveront en elles. Et c'est pourquoi, lorsque nous en rencontrons - nous en voyons ici dans les jardins parfois quand nous recevons une visite, ou bien si nous avons l'occasion de sortir ne fut-ce qu'à Rochefort - ne soyons jamais effrayés ni scandalisés. Car il y a peut-être en chacune en train de dormir une Marie de Béthanie ou une Marie de Magdala ? Peut-être une moniale ou une sainte ? Nous n'en savons rien ! Nous allons le voir encore à propos de ces deux femmes.
Voyons d'abord Marie de Béthanie, nous la connaissons un peu mieux. Mais, et pour elle et pour son amie de Magdala, leur destinée est inscrite à l’intérieur de leur nom. Ce n'est pas une prédestination, mais c'est tout de même quelque chose qui est inscrit en elles. Elles le portent.
Pourquoi ? Parce que elles ne sont pas venues au monde par hasard. Elles sont aimées de Dieu avant même d'être conçues. Elles ont leur place déjà bien choisie à l'intérieur du projet divin.
On faisait remarquer dimanche que les physiciens d'aujourd'hui se posaient un problème d'un nouveau genre. Vous savez que en physique habituelle, les effets sont toujours postérieurs aux causes. Telle cause produit tel effet.
Mais on se demande maintenant si on ne pourrait pas inverser la proposition et si on ne devrait pas dans certaines circonstances se demander si l'effet postérieur n'a pas aussi une répercussion sur la cause.
Or, dans le plan de Dieu c'est ce qui se passe ; et pourquoi est-ce que ça ne répercuterait pas aussi dans la matière qui est tout de même une Parole de Dieu comme une autre ?
Enfin, voyons Marie de Béthanie. Son nom signifie, vous le savez – pour Marie il y a beaucoup d'étymologies. Mais enfin, nous allons nous arrêter à celle qui est la plus obvie quand on voit son nom Araméen ou Hébreux - son nom signifie : une goutte extraite d'un océan de parfum.
Mais cette goutte est elle-même sans limite parce qu'il n'est pas possible de circonscrire l'amour de quelqu'un. Notez que ça ne doit pas nous étonner parce que les parents en Israël donnaient toujours à leur fille des noms prometteurs.
Nous avons Léa, la puissante, la forte, oui, elle allait avoir une multitude d'enfants ; Rachel, la délicate, la gazelle ; il y a Saraï, ma princesse ; Débora l'abeille, celle qui butine et qui petit à petit confectionne un miel qui va réjouir les dieux.
Mais on l'appelle Marie. Ce sera la fameuse Myriam qui a chanté le Cantique au bord de la mer. Elle est une mer de parfum. Mais elle est de Béthanie. C'est à dire qu'elle est cachée dans le secret d'un palais qui est l'humilité. Voilà tout de son nom !
C'est un flacon de parfum. N'oublions pas qu'elle va briser et répandre sur les pieds du Christ le contenu de un litre de parfum très précieux. Mais tout cela est tenu dissimulé dans la maison de l'humilité.
Dans les flancs de ce palais est caché un trésor, cette perle pour laquelle on donne absolument tout. Et cette perle, c'est l'humilité. Pourquoi ? Parce que le Seigneur lui-même
l'a dit : « Heureux les pauvres en esprit, c'est à dire les humbles parfaits, car le Royaume. des Cieux est à eux ! »
Voilà ce que signifie le nom de Marie. Elle est pauvre, elle est humble, elle est douce. Lorsque on la prend a partie, elle ne se défend pas, elle ne dit rien. Elle ne contredit pas. Elle attend que celui qu'elle aime au-dessus de tout s'interpose entre elle et ses contradicteurs.
Voyez un peu tout le tableau de l'humilité que nous donne Saint Benoît. Et nous le verrons chez Marie. Remarquez aussi que Marie de Béthanie, elle est toujours en position d'abaissement. Elle est assise aux pieds de Jésus, par terre. Ou bien, elle est prosternée aux pieds de Jésus lui demandant, lui disant la seule chose que nous ayons retenue d'elle : « Si tu avais été ici. mon frère ne serait pas mort. » Et nous la voyons encore au cours de ce repas. Elle est encore prosternée aux pieds de Jésus puisque elle essuie les pieds de Jésus avec ses cheveux. Et ça, c'est Marie !
Mais attention. Il y a aussi une autre face de cette Marie, ceci c'est la face de l'humilité. N'allons pas maintenant voir que l'humilité c'est une maladie psychique, un complexe qui empêcherait la personne d'agir, d'être elle-même. Non, Marie est autre. Et c'est en ceci que Marie est très, très moderne. On peut presque dire que Marie est en avance sur son temps car elle est audacieuse. Elle jette à bas les tabous.
Nous la voyons : elle est assise dans le cercle des disciples de Jésus, elle, une jeune femme ! ! ! Ce qui à l'époque était abominable ! Dans une synagogue, il y avait une place pour les hommes, une place pour les femmes. La femme ne pouvait jamais ouvrir la bouche dans une synagogue. Si elle n'avait pas compris, elle n'avait pas le droit de demander une explication. Nous le verrons encore dans les Epîtres de Saint Paul. « Que les femmes se taisent, dit-il, à l'église. » Si la femme n'avait pas compris, elle devait interroger son mari à la maison.
Eh bien Marie, elle, elle est assise avec tout le monde. Je la verrais bien aujourd'hui avec des pantalons comme on en voit beaucoup qui courent maintenant. Voilà, c'est elle, c'est ça Marie. Mais ça ne l'empêche pas d'être très humble.
Alors, au cours de ce fameux repas, mais qu'est-ce qu'il ne lui a pas fallu comme audace ? Parce que là, elle a vraiment scandalisé ! Pourtant, elle a fait ce qu'elle devait faire. Elle a commencé à oindre le corps de Jésus en vue de l'ensevelissement qui suivrait une mort qu'elle pressentait.
Et le parfum qu'elle répandait sur ses pieds, mais surtout qu’elle essuyait avec ses cheveux, était le langage d'amour le plus personnel et le plus éloquent qu'elle pouvait donner à ce Jésus qui, lui, l'a parfaitement compris. Mais ça, je l’ai déjà expliqué une autre fois. Voici donc notre Marie de Béthanie !
Maintenant laissons-la et tournons-nous vers sa compagne, vers celle qui est devenue sa compagne. Marie de Magdala, qu'est-ce que ça veut bien dire ? Tout est encore ici dans son nom. Nous avons encore cette mer de parfum, mais elle est cette fois-ci exposée, offerte au sommet d’une tour. Voilà ce que signifie Magdala.
Ce n'est plus un trésor caché au creux de l'humilité. Non, ce parfum est au sommet d'une tour. Il est offert à tout le monde. Il est répandu partout. Il doit attirer tout le monde. Marie de Magdala c'est : moi, je suis !
Voyez cette tour : on ne sait pas y échapper à cette tour, on la voit de partout. C'est une tour puissante, c'est une tour dangereuse parce que c'est une tour qui va ramasser, c'est une tour qui va entasser. Marie de Magdala va s'enrichir. Elle devait être riche. Cette tour, c'est une provocation, c'est de l'effronterie.
C’est une femme qui n'a peur de rien. Pourquoi ? Parce que elle est très sûre d'elle-même, de ses biens vrais ou supposés. C’est une fonceuse. Elle aussi, elle sait s'arranger pour séduire les gens, pour les prendre dans ses filets. C'est l'orgueil ! Voilà, c'est la tour d'orgueil !
Et cette tour d'orgueil, elle renferme encore la totalité des vices et des passions. Jésus a dû chasser d'elle sept démons. Les sept démons qui sont synthétisés et je dirais conduits comme un attelage par le chef des démons qui est l'orgueil. Voilà cette Marie de Magdala ! Voyez , c'est tout a fait le contraire de l'autre !
Et remarquons aussi que nous la voyons toujours en position, toujours en position debout. Elle est une tour. Marie de Béthanie, elle, dans son humilité était toujours tournée vers le sol. Pas du tout Magdala, elle est bien droite, toujours debout. Elle est debout au pied de la croix.
Lorsque après l'ensevelissement de Jésus elle vient dans le jardin, vous connaissez l'affaire. J'ai repris ici le texte parce que il y a des détails encore qui sont extrêmement révélateurs et beaux.
Donc, elle est allée prévenir Paul et l'Apôtre que Jésus aimait. Ils sont venus au tombeau. Ils ont constaté : « Oui, il n'y a plus personne » Et puis ils sont retournés chez eux ! Marie est revenue, elle. Et que fait-elle ?
Elle est de bout - encore une fois - près du tombeau, à l'extérieur, en train de pleurer. Elle pleure debout. Voyez, c'est une attitude, elle ne pouvait pas être autrement ! On n'imagine pas cette femme autrement que debout puisque son nom signifie la tour.
Mais voyons maintenant ce qui se passe. Jésus va se révéler à elle. Il va se montrer. Mais elle devra d'abord cesser d'être une tour. Que fait-elle ? Comme elle pleurait, elle s'incline – elle doit s'incliner - elle s'incline, le mot le dit bien ici en latin. Mais en grec, c'est encore plus éloquent parce que c'est encore plus que s'incliner, c'est se courber.
C'est comme si la tour s'affaissait, elle se courbe toujours en pleurant. Et alors dans cette position courbée, elle voit deux anges. Aussi longtemps qu'elle était debout, elle ne voyait rien. Dès qu'elle s'est courbée, elle l'a vu.
Puis le second mouvement qui lui est demandé, c'est de se retourner. Elle doit donc opérer une conversion. Et c'est à ce moment-là, dès qu'elle s'est - je le traduis maintenant en langage spirituel - dès qu'elle s'est humiliée et qu'elle s'est convertie qu'elle aperçoit celui qu'elle cherche : Jésus. Mais elle ne le reconnaît pas, Elle ne le reconnaît pas !
Il faut que Lui prenne l'initiative et l'appelle par son nom : « Marie. » Mais pour nous, Marie ça ne veut plus rien dire - encore une fois - parce que nous ne connaissons pas le mot. Mais c'est comme s’il lui disait en termes très, très, très affectueux : « Mon parfum. » Alors aussitôt elle se réveille et elle dit : « Voilà, il est là ! »
Voyez maintenant ceci, c'est la Marie de Magdala convertie. Mais autrefois ? Que voyons-nous maintenant lorsque nous la voyons ? Disons que Jésus avait chassé d'elle les sept démons, mais il y avait encore des odeurs de démons qui restaient en elle ; et ils ont été éclipsés à ce moment-là.
Car Marie était effrontée, auparavant elle était provoquante. Disons que ses défauts ont été rectifiés et qu'il n'en est resté que la part positive. Car un défaut parfois, c'est l'excès ou le dérèglement d'une qualité.
Elle était effrontée, provoquante et la voici maintenant devenue volontaire. Elle est décidée, elle est entreprenante. C'est elle qui fait marcher les choses. Pourquoi ? Parce qu'elle a un ressort en elle. C'est la passion, l'ardeur qu'elle ressent pour celui qu'elle aime,
Elle court. C'est elle qui court auprès des Apôtres. C'est elle qui les fait courir encore plus vite vers le tombeau. C'est elle qui reste là, vous voyez ! C'est elle qui sera encore chargée par le Christ d'un nouveau message : « Allez, tu vas leur dire ! » Elle retourne pour dire : « Voilà, je l’ai vu cette fois-ci. Il est vivant et je l’ai vu. Et voilà ce qu’il m’a dit ! » Vous voyez !
Mes frères, le Christ a choisi ces deux femmes, il les a conquise plutôt à partir de ce qu'elles étaient. Marie de Béthanie, c'est la sponsa - pensons à la sponsa Verbi - c'est la sponsa qui ne laisse pas seul. Elle s'est donnée au Christ, elle s'est attachée à lui. Elle le lui a dit sans un mot, dans ce langage secret, celui de l'amour, que seul le Christ et elle pouvaient comprendre.
Et le Christ a compris qu'il pouvait mourir, qu'il ne serait pas seul dans la mort. Et même lorsque son père l’aurait abandonné, Marie ne l'aurait pas abandonné. Elle descendrait avec lui dans la mort. Marie préférait être avec le Christ dans l'enfer plutôt que sur la terre sans lui. Le Christ pouvait donc trouver le courage d'aller vers la mort. Et il savait que l'amour que Marie lui portait serait tellement puissant qu'il ne mourrait pas définitivement. Et ça, c’est Marie de Béthanie !
Maintenant, Marie de Magdala, c'est l'autre, c'est la sponsa qui ne peut être laissée seule. Nous ne voyons Marie de Béthanie ni a la croix, ni nul part. Pourtant elle est avec le Christ. Mais Marie de Magdala, elle ne peut rester seule. Il faut que son sponsus soit avec elle. Et alors qu'arrive-t-il ?
Eh bien le Christ devait ressusciter justement à cause de Marie de Magdala. Il ne pouvait la laisser seule. Il devait se montrer à elle. C'est à elle qu'il se montre le premier.
Mes frères, ainsi nous pouvons dire que le sort du Christ s'est joué sur ces deux femmes. Il n'était pas seul et il ne laissait pas seul. Disons que ces deux femmes ont ramassé chacune de leur côté deux parts de l’humanité. Et s'il n'y avait eu sur la terre que ces deux êtres, que ces deux femmes, le Christ aurait fait exactement la même chose. Parce que l'amour qu'il porte, ce n'est pas un amour comme ça très diffus, très vague qui tombe sur tout le monde sans atteindre personne. Non, l'amour est unique et tout ce que le Christ a fait, il l'a fait pour Marie de Béthanie et pour Marie de Magdala seules. Et c'est ainsi qu'il fait pour chacun de nous.
Et lorsque nous autres nous devons aimer, nous devons aimer chacun avec toute la puissance de notre amour. Mais ça, pour chacun, ce n'est pas possible sauf si l'Esprit de Dieu habite en nous et si nous sommes devenus d'autres Christ.
Voilà, mes frères, il est temps d'aller à l'église. Je ne pensais jamais que j'allais parler aussi longtemps que ça. Mais voyez, nous avons dans ces deux femmes le modèle parfait du moine ou de la moniale. Plus facilement de la moniale, parce que les femmes sont plus facilement passionnées et fidèles, et ardentes que les hommes.
Mais enfin, comme nous sommes dans un monastère masculin, voyons que c'est la partie féminine de notre être qui doit se convertir. Nous devons devenir Marie de Béthanie et Marie de Magdala. Qu'est-ce que nous sommes exactement ? Nous sommes, je pense, les deux. Il a fallu que le Christ chasse de nous aussi sept démons.
Vous connaissez cette nomenclature que les premiers moines ont faite, des sept ou huit démons qui nous habitent et qui doivent être expulsés en une fois, ou petit à petit alors. Mais nous sommes aussi en même temps cette Marie de Béthanie qui donne le meilleur de son être à celui qu'elle aime.
Voilà, mes frères, ainsi nous comprenons que notre destin de moine cistercien c’est de devenir des sponsa Verbi. Nous resterons là-dessus pour ce soir et nous porterons cela en notre coeur, et nous demanderons cette grâce les uns pour les autres.
Mes frères,
L'Evangéliste nous dit que Jésus a aimé jusqu'à l'extrême. Cela signifie entre autre que dans sa relation avec Judas, il a espéré jusqu1au bout. Pendant le dernier repas Pascal partagé avec ses disciples il a été saisi de peur, une profonde émotion l'a bouleversé et il a dit : « L’un de vous va me livrer ! »
Vous connaissez la suite. Simon Pierre demande au disciple que Jésus aimait : « Essaye de savoir de qui il s’agit ? » Et Jésus répond : « C’est celui auquel je vais donner la bouchée. »
Par ce geste de la bouchée, Jésus a tenté de ramener Judas. Car il a pose un acte de préférence vis à vis de Judas. Mais n'allons pas penser que Jésus a fait l'hypocrite. Il est Dieu, il est amour. Son geste a été accompagné d'un regard qui a pénétré Judas jusque dans le tréfonds de son coeur. C'était un regard de Dieu, un regard d'amour, d'affection, de sympathie, même de compréhension.
Judas a lu dans ce regard qu'il était connu, qu'il n'était pas condamné, qu'il n'était pas jugé, qu'il était toujours accueilli. Et Jésus espérait jusqu’au bout. Car, ne l'oublions jamais, rien n'est jamais définitivement perdu et il existe toujours une possibilité de retour.
Cette Foi, nous la matérialisons, nous, dans notre vœu de conversion des mœurs. Combien de fois par jour ne quittons-nous pas le droit chemin ? C'est fatal, nous sommes tellement faibles ! Mais grâce à la vertu, à la grâce de ce vœu de conversion des mœurs, nous orientons toujours à nouveau notre vie dans la bonne direction. Nous reprenons le droit chemin. Nos examens de conscience deux fois par jour, le sacrement de pénitence, l'Eucharistie, mais ce sont des occasions d'exercer ce vœu de conversion, de matérialiser, de concrétiser ce retour que Dieu attend constamment de nous.
Et n'oublions pas non plus que nous ne savons jamais dans quelle situation nous pouvons nous trouver, ce qui peut nous surprendre à l'improviste. Judas sommeille en chacun d'entre nous et une circonstance imprévue peut très bien l'éveiller.
Rappelez-vous que la petite Thérèse qui était une fille admirablement bien conservée depuis son enfance, elle se méfiait d'elle-même et elle disait : « Dieu mon Père connaît ma faiblesse, mon extrême faiblesse. Et il m'aime tellement qu'il a enlevé la pierre qui se trouvait sur ma route et contre laquelle j’aurais trébuché, contre laquelle je me serais brisée. »
Prenons donc garde, mes frères ! Demain je montrerai, si l'inspiration me prend, que tout péché quel qu'il soit est une participation à la trahison de Judas. Il est notre frère. Et je le répète, il nous habite.
Voilà donc Jésus qui présente la bouchée à Judas. Et l'Evangéliste dit : « Après la bouchée, alors le satan entre en lui ! »Il n'est donc pas entré en même temps que la bouchée. Il y a eu un flottement, un intervalle. Nous ne savons pas le mesurer. On n'en parle pas ici. C'est insinué seulement : après la bouchée ! Et puis Jésus lui dit : « Ce que tu fais, fais-le vite ! »
On traduit toujours par : Ce que tu as à faire, fais-le vite ! Littéralement, c'est autre chose : Ce que tu es en train de faire, fais-le plus vite, accélère !
Lorsque Judas a entendu cela, il a dû recevoir un choc, un choc terrible, car il s'est trouvé soudainement devant un bivium itineris, donc devant une bifurcation, un choix : ou bien revenir à son premier amour, ou bien conduire jusqu'au bout la logique de son défaut d'amour. Qu'est-ce qui n'a pas dû se passer en lui ?
Car Judas, ne l'oublions pas, était l'un des préférés de Jésus. Il l'a aimé. Il était un de ceux qu'aimait le plus Jésus. Il était un des meilleurs, un des premiers. Il avait été choisi pour faire partie des douze, donc des plus proches de Jésus, de ceux auxquels il racontait tout, de ses confidents, de ses enfants spirituels. C'était cela Judas !
Mais voilà, son amour n'était pas entièrement vrai, car l'amour vrai consiste à ne pas aimer jusqu'à un certain point ou à certaines conditions. L'amour vrai est gratuit, désintéressé. Il n'y a en lui aucune recherche de soi. L'amour n'a aucune justification en dehors de lui-même. J'aime pourquoi, dit Saint Augustin ? Mais j'aime parce que j'aime et puis c’est tout ! Il n'y a pas d'explications rationnelles.
Or, Judas a partagé son coeur. Il aimait Jésus plus les avantages qu'allait lui procurer cet amour. Et n'allons pas imaginer qu'il était le seul à être dans ce cas. Il en était ainsi des autres apôtres. Au cours du dernier repas - nous l'avons encore entendu à la Lecture du Réfectoire ce midi - ils parvenaient encore à se disputer pour savoir lequel d'entre eux était le plus grand. Donc, ça les travaillait. Lequel serait le premier ministre ? Voyez ! Ils aimaient Jésus, certes, mais aussi tout ce que Jésus allait leur procurer. Vous vous souvenez des deux autres : un assis à la droite, l'autre assis à ta gauche ? Et toujours ainsi...Eh bien Judas ?
Et pourquoi Judas et pas les autres ? Nous aurons Pierre : Pierre va à trois reprises renier. « Et lorsque tu seras revenu à toi, dira Jésus, alors tu rendras fort tes frères ! » Judas, lui, voyez-vous, c'est là le mystère. Et c'est pourquoi nous devons toujours respecter ce mystère, nous garder de juger. Car imperceptiblement Judas a donne la préférence aux avantages que lui procurait son amour pour Jésus. Et lorsqu'il a remarqué que ces avantages se réduiraient à bien peu de chose, si pas à rien du tout, alors, il a tout laissé tomber. Mais ca s'est opéré sans qu'il le sache !
Mes frères, c'est la logique dont je parlais tantôt, c’est la logique du refroidissement de l'amour. Cela se passe ainsi dans les ménages. Vous en avez qui s'aiment. Oh, on se marie, on est jeune, on s'aime tellement. Et c'est vrai, on est sincère. On vit cet amour avec intensité, avec ferveur même. Et puis il s'introduit des petites choses. Et sans même qu'on le sache on s'écarte l'un de l'autre jusqu'à ce qu'une faille se creuse, qu'une rupture s'établisse. Et puis il n'est plus possible de réparer, de combler ce fossé.
Or Jésus, lui, l'avait remarqué certainement. Il est probable qu'à maintes reprises il a essayé de reprendre en main cet apôtre qui faiblissait. Judas tenait la bourse commune. C'est peut-être Jésus, c'est certainement Jésus qui lui avait confiée, mais peut-être en un geste de confiance comme celui de la bouchée, pour tenter de convertir cet homme qui tournait à rien.
Voilà, mes frères, le drame. Et Judas, est-il dit alors, prenant la bouchée, c'est fait, le satan est entré en lui. Et brusquement il est dit : Il sortit directement et il faisait nuit ! Il y a une intensité dramatique extraordinaire dans ces quelques lignes. Judas d'un seul coup a basculé à l'opposé de l'amour. Il s'est littéralement enferré.
Dimanche après-midi, j'ai eu l'occasion de parler aux novices de cette terrible possibilité que nous avons en nous qui est de choisir. Le bien et le mal sont en notre pouvoir. Et nous avons notre liberté, sans laquelle nous serions des hommes tronqués. Et cette liberté, elle s'exerce en faveur du bien ou en faveur d'un bien illusoire, ce bien illusoire étant en réalité un malheur en soi. Mais pour moi, il a une apparence de bien.
Et voilà, je dois choisir : la mort et la vie sont entre mes mains, sont en mon pouvoir. C'est ce qui s'est passé pour Judas. Et d'un seul coup, il a basculé du côté de la mort.
A ce moment-là, Jésus a compris que l'irréversible s'était produit pour lui. C'était fait ! Le processus de sa passion était enclenché, embrayé et il entrait dans l'enchaînement qui allait le conduire où ? Il le dit : à la gloire. Et c'est ça qui est surprenant, les apôtres comprendront post-factum, après coup, quand ce serait terminé.
Jésus, lui, comprend avant, il comprend auparavant et il nous montre par là ce que doit être la foi. La foi, comme le dit l'auteur de l’Epître aux Hébreux, c1est l'hypostase, c'est la substance, c'est ce qui se trouve en dessous des choses que nous espérons.
Cela signifie que la foi, elle n'anticipe pas l'événement mais elle contemple, elle reconnaît, elle voit le terme de l'événement. Et en voyant le terme, elle le possède déjà, elle le fait déjà sien. Et tout ce qui se trouve entre le moment présent et le moment où l'événement s'achève trouve son explication.
Et on peut ainsi parcourir la route dans la sérénité et dans la paix, ce qui ne veut pas dire sans souffrances, et sans douleurs, et sans angoisses. Mais on sait déjà. Vous voyez. C’est cela la foi !
La foi nous transporte là où nous allons et nous y sommes déjà d'une certaine façon. Elle est participation à la connaissance que Dieu a de l'avenir. Je parle ici d'une façon humaine. Parce que Dieu, lui, l'événement est déjà achevé.
Eh bien, nous entrons, nous, dans cette perception que Dieu a de la vie, de la création, du salut final. Et étant arrivé au bout par la foi tout en étant encore ici, je vais pouvoir m'avancer et parcourir ma route et déjà dire comme le Christ : « Maintenant je suis déjà glorifié. » C'est là une des très belles choses que vit le vrai contemplatif. C'est un homme qui n'est jamais dérouté parce qu'il est déjà arrivé.
Le Sacrifice Eucharistique ne se comprend que s'il est vu avec des yeux pareils. Il est déjà présence du Royaume de Dieu achevé. Au moment où ensemble nous communions à ce sacrifice, nous sommes déjà entrés dans le Royaume, nous sommes déjà au-delà de la résurrection finale. La création est achevée, tout est terminé. Nous sommes dans la gloire et pas seulement nous, mais l'univers entier.
Tout cela c’est par la foi, mais c'est réel ! La foi, c'est quelque chose. Ce n'est pas une vague croyance qui nous donnerait un faux courage. Non, comme le dit l'auteur de l’Epître aux Hébreux, c'est. une hypostase, c'est la réalité qui supporte des apparences. Mais ces apparences sont aussi réelles. Nous ne pouvons pas les évacuer.
Nous avons donc ici, la rencontre, la conjonction de deux univers : celui de Dieu qui est en train d'être créé, qui est au-delà du nôtre et qui pourtant est le nôtre. Nous participons donc en même temps à deux univers. C'est très mystérieux ! Mais comme je le dis, c'est une récompense que Dieu accorde au moine contemplatif.
Et en Jésus, ainsi, nous touchons un des mystères de la vie monastique. Parce que en affrontant la mort comme le fait Jésus, nous jugulons, nous maîtrisons l'instinct de mort et nous libérons en nous les forces de vie. Cet instinct de mort est une attirance du vide, du néant. Judas a été entraîné par cet instinct de mort, une espèce de fatalité à laquelle il ne put pas résister. Il trahit Jésus. C'est la trahison, puis c'est l'étape suivante, le désespoir, et puis c'est le suicide.
Par contre Jésus, lui, il affronte l'instinct de mort. Et en l'affrontant, il traverse tout et il parvient à la gloire. Car l'instinct de mort habite aussi notre amour qui n'est jamais parfaitement pur. Si nous aimons par exemple, c'est pour posséder l'autre. Si nous aimons, c'est pour avoir un substitut de ce que nous sommes. C'est à dire que notre amour se retourne, s'inverse. Il revient toujours à nous. Il est toujours entaché d’égoïsme.
Il faut pour que notre amour soit vrai, qu'il soit pur, qu'il soit comme je le disais tantôt, gratuit, désintéressé, aucune recherche de soi. Il doit être débarrassé de l’égoïsme. Or, ça ne peut se faire que si on a le courage d’affronter la mort.
Or, pour nous pratiquement dans notre vie, affronter la mort, c'est marcher sur la route de l'obéissance. C'est pour cela qu'il n'y en a pas d'autre. Et c'est en obéissant que le Christ a affronté la mort. Il s'est fait obéissant jusqu'à la mort. Il n'y a pas d'autre route. Mais à ce moment-là, il se produit une spiritualisation de l'être.
C'est à dire que les forces de vie, de vie surnaturelle, de vie divine étant libérées en nous, ayant le champ libre en nous du fait que je n'ai plus peur de me renoncer, que je n'ai plus peur d'abandonner ce qui me semble être essentiel à mon être d'homme. Je renonce à tout cela, l'Esprit a le champ libre en moi et il me transfigure.
Et c'est ce qui est bien. C'est non seulement ce que j'appellerais mon âme, mais aussi ma chair. Je vais avoir une chair spiritualisée. Je vais donc avoir des yeux qui vont percer l'invisible et qui seront déjà au-delà, une foi parfaite. J'aurais des oreilles qui vont entendre des paroles, qui vont percevoir des signes que personne d'autre ne remarque parce que leurs oreilles ne sont pas pures.
Mais les oreilles étant devenues spirituelles, je peux entendre ce que Dieu dit, ce qu'il me demande. Et mon ardeur à le suivre devient plus forte, elle devient presque violente. Il se produit une attirance contraire à celle du vide. Ce n'est plus l'instinct de mort qui joue, mais c'est l'instinct de vie. Ce n'est plus le vide et le néant qui m'attirent, mais c'est la plénitude et ça devient irrésistible.
Comme Saint Benoît le dit, voyez cette échelle de l'humilité qui est une échelle autour de laquelle vraiment on lutte, non pas contre la mort, mais jusqu'à la mort. Arrivé au-dessus l'amour est parfait. Il n'y a plus d’égoïsme et à ce moment-là on s'envole. L'Esprit peut faire n'importe quoi. On ne sait plus résister à l'amour qui est Dieu. Voyez, c'est cela !
Nous avons donc ici vraiment d'un côté Jésus et de l'autre Judas. Nous avons le tableau de ce qui nous attend : ou bien affronter la mort mais non pas froidement, mais avec souffrance peut-être, avec pleurs. Le Christ a transpiré devant cette mort qui s'offrait à lui. Mais enfin, par obéissance il a fait le saut. Puis de l'autre côté nous avons Judas qui, lui, se laisse entraîner par l'instinct de mort qui est inscrit dans l’égoïsme. Et il tourne à rien.
Voilà, mes frères, nous aussi nous avons devant nous le chemin de la mort et de la vie. A nous de choisir. Nous devons toujours être très prudents, nous dire que nous n'en auront jamais fini à être entièrement purifiés. Et nous devons surtout nous garder de jeter un regard sur les autres. Qui es-tu, toi, pour juger le serviteur d'autrui ? .
Non, nous regarder et nous offrir a ce que Dieu nous demande. C'est cela le mystère de la Pâque qui travaille en nous. Toute la vie monastique se résume à cela...
Mes frères,
Nous allons maintenant revenir à l’épisode qui nous a été relaté hier. Je le rappelle : le Christ donne la bouchée à Judas qui l'accepte. Et peu après Judas s'en va vers son destin. Il part et il fait nuit.
Ce récit qui est d'une tonalité dramatique qui doit nous saisir, qui doit éveiller en nous l'émotion. Ce récit tel qu'il est relaté nous permet de percevoir la malice atroce du péché, de la trahison, du reniement. Le péché est toujours une rupture de communion. Jésus a été laissé seul par Judas. Il était devenu inintéressant. Il n'était plus rentable. Judas rompt la communion qu'il avait établie avec Jésus, ou plutôt que Jésus avait établie avec lui. Et il le laisse seul.
Mes frères, le péché, ne l'oublions jamais, il laisse l'autre seul, il l'enferme dans le cachot de sa solitude, même si l'autre est Dieu. Donc, un péché n'est jamais innocent. Il est toujours la trahison d'une communion. Il rejette l'autre dans son esseulement. Et l'autre, c'est toujours quelqu'un. Il y a toujours un autre. Nous ne péchons jamais contre nous seul. Non, il y a toujours Dieu qui est là.
Mais vous allez dire : « Dieu n'est jamais seul, lui, il est dans sa Trinité. » C'est vrai, Dieu est une société, une communion, une interrelation de Trois Personnes. Mais enfin, Dieu a tout de même créé le monde et il a amené le monde jusqu'à ce sommet de conscience qu'est l'homme.
Et avec cet homme, il a voulu nouer des relations. Il a voulu lui-même devenir homme pour que nous soyons vraiment sur le même niveau que lui. Dieu a donc besoin d'un autre que lui pour être heureux. Je dirais presque - c'est audacieux, les théologiens diront que ce n'est pas vrai. Mais enfin tant pis je le dis - que Dieu a besoin de l'homme pour être Dieu. Il lui manquerait quelque chose. Je dis ça entre guillemets naturellement pour faire sentir que Dieu est amour.
Rappelez-vous le mot de Jésus. Il l'adressait à tous ses disciples. Judas était dans le nombre, mais il le disait à tous. « Pendant cette nuit, il va se passer ça, et ça, et ça, et vous me laisserez seul ! ». Donc voici Dieu qui est devenu un homme et qui va être laissé seul. Mais à ce moment-là, on nie tout le projet de Dieu. On dit qu'on n'a pas besoin de lui. C'est - je dirais - le péché par excellence. C'est le premier péché de l'homme, c'est le péché originel arrivé à son point d'incandescence, où il n'est pas possible de le porter plus loin. Laisser Dieu seul, pour naturellement le malheur de l'homme.
C'est là, mes frères, une des choses les plus terribles qui soit. Or, reconnaissons-le, nous y sommes insensibles et nous ne comprenons pas. Pourquoi ? Parce que nous sommes affliges de ce que les Anciens appelaient en latin la durities cordis, la dureté du coeur. Nous sommes sinae misericordia disait Saint Paul, sans miséricorde, sans entrailles. Or, c'est ça être païen !
Nous sommes des païens non encore convertis. Nous sommes devenus chrétiens le jour où il nous est impossible de laisser quelqu'un seul, de rompre une communion. Ce jour là. nous devenons chrétien.
Mais vous allez me dire : nous péchons tous les jours. Au début de chaque Eucharistie, nous reconnaissons que nous sommes pécheurs. Et celui qui est sans péché, c'est un menteur, nous dit l'Apôtre Saint Jean. Et c'est vrai, et c'est ça qui est triste ! Et nous devons humblement le reconnaître. Et ça fait encore partie du champ d'action de notre vœu de conversion : ne plus commettre de péché, faire l'impossible pour ne plus en commettre, maintenir à tout prix la communion avec les autres en commençant par Dieu. Naturellement il y a tout un éventail de péchés. Mais le plus petit péché est déjà une griffe dans la communion. C'est déjà dire a l'autre : j'ai besoin de toi, mais pas tout à fait quand même. Sur tel et tel point, je sais me passer de toi !
Et c'est ça qui est grave ! Nous serons devenus un saint lorsque nous ne saurons plus nous passer de Dieu, lorsque nous ne saurons plus nous passer de notre frère. Nous ne saurons plus nous passer de lui. Vous voyez que nous avons encore une petite route à faire. Mais ça ne fait rien, nous sommes dans le monastère pour parcourir cette route. Et nous arriverons au bout.
Maintenant l'amour ? L’amour, lui, ne rompt jamais la communion. Quand on dit que Dieu est amour, cela signifie que Dieu est toujours avec. Nous devrions nous laisser envoûter par la magie merveilleuse de ce petit mot avec.
En français, ce français qui est une langue très pauvre, dégénérée, banalisée. Pourquoi ? parce que c'est la nôtre. Nous en usons à propos de tout et de rien de ces mots et ils perdent leur charge affective. Leur poids de concret, ils l'ont perdu. Et voilà, pour nous, ça ne représente plus rien.
Mais remontons à la puissante et forte langue hébraïque, là où nous retrouvons encore le génie vivant d'une particule infime que nous traduisons par avec. C'est une image : c'est un fagot ou une botte, c'est lié ensemble et serré. C'est devenu inséparable, c'est devenu insécable, c'est devenu un. Il y a une solidarité, il y a une communion.
Il y a une adhésion qui est devenue une adhérence. Cette adhérence est devenue une communion. Et cette communion est devenue une compénétration. Et cette compénétration est devenue une fusion. Tout cela est dans cette petite particule que nous traduisons par avec. Nous la retrouvons dans le nom qui est donné au Messie : Dieu avec nous, Emmanuel.
L'Apôtre Paul pensant au Christ dit qu'il est devenu, lui, Dieu avec nous. Mais il faut bien se rendre compte de ce que c'est. Ce n’est pas Dieu dans sa transcendance, dans son ubiquité qui est avec nous. Non, c'est un homme !
Mais ça va plus loin, car ça, c'est le mouvement de Dieu vers nous. Il y a aussi le mouvement de nous vers Dieu. Nous devenons avec le Christ un seul esprit. Ce n'est pas seulement Lui qui devient homme, mais c'est nous qui devenons Dieu, un seul esprit avec Lui. C'est cela avec, c'est cela l'amour !
Regardez ! Nous avons donc vu Judas qui, lui, casse la communion : il trahit. Marie de Béthanie, elle, elle prend un parfum de myrrhe très pénétrant. Elle le répand sur les pieds de Jésus, les pieds nus de Jésus. Elle le frotte bien partout. Elle en a les mains remplies elle aussi.
Puis elle prend ses cheveux et elle commence à essuyer avec ses cheveux les pieds de Jésus. Elle frotte bien. Donc elle a ses cheveux qui sont remplis de myrrhe, ses mains, son cou et aussi les pieds de Jésus. Qu'arrive-t-il ? .
Cette myrrhe étant bien frottée sur les pieds de Jésus pénètre à l'intérieur de la chair de Jésus, cette chair qui va bientôt être torturée, qui va être martyrisée, qui va être mise à mort mais qui va ressuscité. Et le même parfum imbibe la chevelure de Marie, ses mains, et pénètre à l’intérieur, à l'intérieur aussi du corps de Marie.
Et voilà que la communion est établie. Il y a une compénétration des deux, de Marie en Jésus, de Jésus en Marie par l'intermédiaire, par le - je n'ose pas dire sacrement mais par le sacramental presque ; mais quand je dit par le sacramentum, il faut bien comprendre, nous ne faisons pas de la théologie ici - de cette myrrhe, de ce parfum.
Là, nous avons l'avec, nous avons la communion. Et cette communion est tellement vraie, tellement profonde, que Jésus le sait très bien. Et il peut s'en aller a la mort, il va continuer à vivre. Marie sera toujours avec lui quoiqu'il arrive. Il ne sera jamais seul. Et cette présence d'amour va lui permettre d'attendre l'heure où son père le ressuscitera.
Nous avons une autre Marie, Marie de Magdala. Mais là, c'est le mouvement inverse. Voilà une femme qui a fait les 36 coups. Jésus l’a rencontrée, il l'a regardée, il l'a délivrée de toutes ses passions, de tous ses démons. Marie s'est attachée à lui comme Jésus s'était attaché à Marie. Et voilà, Jésus est disparu. Mais il ne la laisse pas seule. Il ne rompt pas avec elle. Et Marie de Magdala ne rompt pas avec Jésus. Et qu'arrive-t-il ? .
Mais Jésus est tellement attaché à Marie que quand ce ne serait que pour elle, que pour elle seule, Jésus devait ressusciter. Il est de nouveau avec elle. Il est avec elle pour toujours. Il lui dit : « Mais ne me tient donc pas, je ne suis pas encore parti. Va plutôt prévenir mes frères. » Et Marie va transmettre le message. Elle sait bien que maintenant c'est pour toujours. Vous voyez, c'est cela la communion !
Alors imaginez et comprenez - essayez de rentrer dans votre chair presque - la chose épouvantable, et terrible, et atroce que de rompre une telle communion. Parce que ce que Dieu a réalisé avec Marie de Béthanie et avec Marie de Magdala, il le fait avec nous tous les jours dans la communion Eucharistique. Nous mangeons son corps, nous buvons son sang. Il s'assimile à notre substance. Nous nous assimilons à la sienne. Voilà, mes frères! Alors il désire que cette communion qu'il a avec nous, nous l'établissions mystiquement entre nous et même avec chacun des hommes.
Donc, retenons bien ceci : le péché est toujours une trahison. Il est délétère. Il est destructeur. Il est mortifère, il engendre le malheur, il précipite dans la ruine et il conduit a la mort. Pourquoi conduit-il à la mort ? Parce qu'il empêche la vie de passer. Il y a une rupture. Mais si c'est un petit péché ?
Mais il y a une obstruction et la vie ne passe plus comme elle devrait passer. Tandis que l'amour, lui, c'est l'inverse. L'amour, lui, il est source de vie, de croissance, de bonheur parce qu'il nourrit la communion et il l'élargit sans mesure.
Voilà, mes frères, nous allons demain entrer dans les trois grands jours saints de l'année avant de déboucher sur Pâques. Essayons d'avoir présent à l'esprit si possible, mais au moins alors dans le fond de notre conscience ce que nous avons vu ces trois jours-ci et que je viens de résumer.
Attention ! Pécher, c'est rupture de communion, c'est rejeter l'autre dans une solitude qui peut être mortelle pour lui, c'est se détruire soi-même. Tandis que l'amour est renforcement de la communion. Il est échange de vie. Et il est croissance avec les autres, croissance ensemble vers l'exemplaire parfait de la communion qui est la Trinité dans laquelle nous devons entrer et dont nous devons à jamais partager la béatitude.
Mes frères,
La nuit de la Pâque a fait entrer l'humanité dans l'ère de la nouveauté absolue. Ce mois, nous a dit le Seigneur, sera pour vous le premier des mois. Il marquera le recommencement de la création.
Oui, mes frères, les temps nouveaux et derniers ont été ouverts la nuit où pour la première fois l'agneau a été immolé et mangé. Nous pouvons tenter de nier la réalité, de fermer les yeux sur elle, de lui tourner obstinément le dos. Cela n'y changera rien !
Elle est toujours présente, elle s'impose, elle avance. Le repas Pascal domine l'Histoire. Il en est devenu l'âme vivifiante. Il la porte au-delà d'elle-même dans son accomplissement.
Ecoutons ce que l'Esprit porteur du Verbe nous dit à trois reprises. C'est une seule Parole sur trois registres différents qui s'explicitent l'un l'autre, qui se nuancent en se fondant. D'abord :
« Ce sera pour vous un mémorial. Vous la fêterez d’âge en âge pour toutes les générations. Vous y serez mystiquement présents et vous y goûterez une saveur de vie éternelle dans la communion à une même liberté. »
Ensuite : « Faites cela en mémoire de moi ! Le Seigneur détruit en vous les germes de mort et vous vous éveillerez à la vie véritable, celle qui imperceptiblement mais avec une force infaillible va transfigurer votre cœur jusqu’à ce que vous soyez entièrement baptisés dans la lumière. »
Et enfin : « Je vous ai donné un exemple afin que vous fassiez comme moi je vous ai fait. Vous, les régents du monde nouveau, vous devez pousser l’amour à sa perfection en donnant comme moi votre vie pour les autres sans connaître d’exclusion. »
Mes frères, ce testament de l'Agneau immolé avant la fondation du monde, recueillons-le avec émotion et gratitude. Dieu entend tout fortifier avec une puissance infinie d'une extrémité à l'autre de l'Histoire. Et il dispose tout suaviter, avec une douceur qui jamais ne détruit, jamais ne brise, mais toujours panse et guérit.
Le Seigneur Jésus nous demande d'être à son image et à sa ressemblance ouverts, purs, sans traces de malice, serviteurs dans l'âme, porteurs et donneurs de vie, révélateurs de Dieu dans un monde obscur, de ce Dieu qui aime tous les hommes, qui veut les conduire tous à la vérité et dans cette vérité les rendre libres.
Vous serez témoins, nous a-t-il dit, du monde de demain déjà présent parmi les hommes. » Et c'est en cela que consiste la nouveauté absolue introduite dans l'univers par la nuit de Pâques.
Mes frères, le lavement des pieds auquel nous allons procéder est un langage spirituel. Chaque mémorial de la Pâques, chaque Eucharistie doit être vécue dans sa lumière qui est celle-ci : aimer jusqu'au bout, aimer à l'extrême.
Amen.
Mes frères,
L'inégalable majesté du Seigneur Jésus, son infinie puissance, sa divinité brille d'un éclat sans pareil dans les moindres détails du récit que nous venons d’entendre.
C'est lui qui pose les questions. C'est lui qui au dernier moment, lorsque le projet de son Père est terminé, arrivé au stade voulu, qui conclut : « Tout est accompli ! » Et son souffle, il le remet entre les mains de son Père.
Mes frères, l'omnia per ipsum facta sunt ne laisse rien en dehors du champ de son pouvoir. Jésus le Verbe de Dieu dirige et maîtrise sa passion. Il est Roi jusque dans la mort. Il ne s'attarde pas à nous donner une leçon de grandeur stoïque à la façon du Souffre et meurt sans parler immortalisé par le poète.
Non, il a pleuré, il a crié, il s'est tordu de douleur comme un homme qu'il est. Toutes les souffrances de l'humanité se sont rassemblées pour tomber sur lui. Il a souffert à la mesure de sa personne qui est divine, c'est à dire au-delà de tout ce que nous pouvons concevoir. Mais en cela même il accomplissait - je le répète - le projet élaboré au sein de la Trinité dès avant la fondation du monde. Et, il arrivait au sommet de son pouvoir royal.
Descendu dans l'abîme de la totale impuissance, il détruisait tout ce qui s'oppose à Dieu, tout ce qui s'oppose à lui. Plus tard, il expliquerait à ses disciples tout ce qui le concernait plus immédiatement dans la Loi, les Prophètes et les Psaumes et il les constituerait ses témoins. Eux aussi, et tous ceux qui à leur suite s'attacheraient à Jésus, devraient devenir obéissant jusqu'à la mort et porter l'amour jusqu'à l'extrême. Ils seraient ses témoins. Mes frères, ce qui leur serait demandé surtout, ce serait la fidélité.
Jésus dit à Pilate qu'il est venu dans ce monde pour rendre témoignage à la vérité, c'est à dire cette conjonction qui existe à l'intérieur de Dieu, à l'intérieur du coeur du Christ et qui parait à l'intérieur du monde entier si nous avons des yeux assez clairs pour le remarquer. La conjonction entre la Parole de Dieu et ce qui surgit sous la puissance de cette Parole.
Mes frères, notre fidélité, c'est de faire un avec cette Parole, de la recevoir en nous et immédiatement de la transcrire, de la réifier dans notre vie, dans nos gestes, en tout - voilà ce qui nous serait demandé - et sans jamais reculer !
Il nous faudra peut-être suivre le Christ dans la souffrance ? Oui, c'est inévitable. Cela arrive à chacun d'entre nous surtout que nous sommes des êtres impurs qui devons être nettoyés. Mais aussi le suivre dans la mort, non pas une mort pour rien, mais une mort pour lui, une mort comme la sienne, une mort pour nos frères.
Et nous devrons prendre comme exemple celui de cette femme qui, au côté de la Vierge et du disciple que Jésus aimait, se tenait debout au pied de la croix : Marie de Magdala dont il avait chassé sept démons.
Ses yeux qui avaient piégés tant de victimes étaient maintenant incendiés par l'agonie mortelle de son bien-aimé et ne s'ouvriraient plus que sur les torrents de lumière qu'elle verrait couler du corps du ressuscité.
Elle savait que cette souffrance horrible était endurée pour elle. Elle ne pourrait y survivre si lui ne revenait pas a la vie, une vie autre, nouvelle, incorruptible, dans l'amour. Et un jour, mes frères, elle serait parmi les reines qui trôneraient à côté du Roi Jésus. Elle serait une des toutes premières, elle qui là avait voulu, avait choisi de mourir mystiquement avec lui afin de ressuscité déjà tout de suite avec lui.
Mes frères, puisse le Christ, notre Dieu, notre véritable Roi nous trouver ainsi toujours fidèles, debout aux côtés de Madeleine au coeur transpercé et au regard transfiguré. Puissions-nous comme elle devenir les témoins d'une victoire, la victoire d'un amour qui franchit toutes les espèces de mort.
Et alors, la majesté infinie de notre Roi, le Christ, elle transparaîtra en nous. Tout ce que nous lui demanderons, il nous l'accordera. Et ce que nous lui demanderons sera très simple, sera très beau : que nos frères, que les autres, que les hommes puissent être la où nous sommes dans l'impérissable lumière et gloire de l'amour.
Amen.
Mes frères,
Le Christ a été obéissant jusqu'à la mort et, osons le dire, jusqu'à l'enfer. Il était possédé par l'Esprit qui le poussait, qui le chassait comme dit l'Evangéliste. Possédé par l'Esprit, cela veut dire qu'il était habité par la Personne qui a Nom Amour.
Et l'amour, comme vous le savez, obéit a des lois qui ne sont pas précisément celles de la raison humaine. Le Christ avait donc un comportement qui était parfait de sagesse divine mais qui aux yeux de la chair paraissait folie.
Oui, l'amour est traversé de part en part par une déraison qui a sa logique à elle, et une logique qui ne pardonne pas. Nous allons le voir. Une lutte gigantesque s'est engagée entre le prince de ce monde soulevé par un orgueil démesuré et le Fils de l'Homme rayonnant l'humble lumière de la vérité.
Jésus, le Fils de l'Homme, accepte par obéissance, lui qui est possédé par l'amour, il accepte d'être fait péché, c'est a dire anti-amour, anti-Dieu, refus absolu. Et il accepte en outre de porter tout le poids du péché : la séparation d'avec Dieu, la mort., l'enfer !
Oui, mes frères, osons dire les choses telles qu'elles sont, sans équivoque : Jésus a été damné. Voilà l’épouvantable sérieux du descendi ad inferos. C'est. autre chose que ce que nous présente Saint Ephrem qui voit le Christ descendre dans les enfers en Roi triomphateur qui vient éveiller son armée, armée qui au son de sa voix se dresse en ordre de bataille.
Il y a quelque chose de vrai, là ! Mais ce n'était pas l'armée des justes. C'était l'armée de tous les hommes, surtout l'armée des pécheurs que sont les hommes. Et le Christ est allé les retrouver là où personne n'aurait osé se rendre. Il est descendu en enfer.
Mes frères, pour bien comprendre ce que cela signifie, nous devons nous rappeler ce qu'on entend par enfer. Cela signifie que le Christ devait être définitivement coupé de Dieu. Que se passait-il alors ? La Trinité se trouvait disloquée, comme détruite. La présence du Christ en enfer, lui qui est le Verbe de Dieu devenu homme, signifiait que Dieu devenait le contraire de son être.
Nous comprenons mieux l'angoisse, le drame de Gethsémani, la sueur de sang, l'esseulement sans fond. Dieu a dû à ce moment-là être la victime d'une souffrance dont l'essence nous est absolument inconnue. C'est là le mystère du Samedi Saint.
Nous ne devons pas, je le répète, avoir peur de le regarder en face. Nous ne pouvons pas imaginer ce que c'est. Nous n'osons même pas y penser. Il faut une certaine audace de foi pour croire que Dieu est tellement amour qu'il a poussé la folie jusqu'à se laisser lui-même condamner à être ce qu'il n'est pas !
Mes frères, c'est un paradoxe qu'il est plus facile de vivre que de comprendre. Il arrive dans une vie spirituelle, parfois, que la personne est tellement bien prise par le Christ, tellement bien parfaitement identique à Lui, que dans son coeur, que dans son esprit et même dans sa chair, c'est à dire dans sa santé, elle vit cette rupture à l’intérieur d'elle-même.
Une partie d'elle descend en enfer, l'autre partie d'elle ne saurait absolument plus se passer de Dieu. Et elle est là suspendue entre ciel et terre endurant une passion épouvantable dont alors elle peut se servir pour sentir ce qui a pu se passer dans l'âme du Christ, et ce que Dieu lui-même a dû souffrir.
Mes frères, il fallait donc que l'homme fut tellement précieux pour que Dieu accepte de passer par une épreuve pareille. Mais dans ces conditions, est-ce que moi je puis me permettre encore de faire peu de cas d'un homme quel qu'il soit ?
Je ne pense pas qu'il nous soit possible de nous tenir en présence du Christ. Maintenant il est ressuscité, certes, et si notre coeur est pur, nos yeux aperçoivent ce Christ dans sa gloire, dans sa lumière.
Mais comme nous entrons alors dans l'univers de Dieu qui est extra-temporel, au même moment nous pouvons très bien apercevoir le Christ dans son état de rupture qui était le sien au moment du Samedi Saint où il était absolument seul, séparé de son père, séparé des hommes.
Et tout cela, mes frères, nous ne devons pas l'oublier, il l'a subit pour nous, pour nous pris tous ensemble, mais aussi pour chacun d'entre nous, donc pour moi en particulier. Cela signifie que si j'avais été seul au monde avec lui, il aurait fait exactement la même chose.
Il y a donc à l’intérieur de la Trinité un élément qui empêche Dieu d'être heureux si quelqu'un à côté de lui ne partage pas son bonheur. Voilà encore un nouveau trait de folie de l'amour. Donc, si quelqu'un est malheureux, si quelqu'un souffre, même par sa faute, par la faute de son péché, par la faute de sa révolte, Dieu lui-même n'est pas heureux.
Je veux dire que la Rédemption des hommes, donc l’œuvre par excellence de Dieu depuis la création, sa Rédemption, elle est également l’œuvre du Père et de l'Esprit qui tout aussi bien que le Christ ont lutté et souffert.
Mes frères, mon salut personnel, le vôtre, celui de chacun de nous en particulier, voilà ce que ça a coûté, voilà ce que cela coûte encore aujourd'hui. Et Dieu ne sera soulagé, Dieu ne sera, oui, délivré à son tour que lorsque le dernier homme sera avec lui dans son univers.
Vous savez que notre Père Saint Bernard recueillait ainsi tous les faits de la passion. Il en faisait un bouquet et il le plaçait sur son coeur. Et ce bouquet, il le respirait sans cesse. Ce bouquet lui donnait vie. C'était le bouquet de toutes les passions, de toutes les souffrances du Christ, celles de la Trinité.
Mais à ce moment, il était soulevé par un enthousiasme, par une vigueur, et disons animer par une folie qui était semblable à celle du Christ, qui n'était rien d'autre que celle du Christ qui revivait en lui.
Voilà, mes frères, à quoi nous nous exposons lorsque nous nous donnons à Dieu. Il nous est demandé de nous avancer ainsi sur la route de l'obéissance, d'accepter nous aussi d'être identifiés au péché des hommes ; et alors d'en supporter les conséquences jusqu'au bout, nos péchés à nous, les péchés des autres, ne pas avoir peur de subir aussi une séparation d'avec Dieu, une séparation mystique naturellement comme celle du Christ, mais combien dure. Rappelons-nous que cette fissure s'est introduite jusqu'au sein de la Trinité.
Mes frères, il faut - comme je le disais tantôt - que nous soyons fidèles. Nous n'avons pas le droit de reculer car le Christ lui-même n'a pas reculé. Nous devons, en un mot. lui permettre de revivre en nous tout son mystère : son mystère de naissance, oui, car il doit prendre naissance en nous; son mystère de croissance, car il doit s'épanouir.
Et lorsqu'il est devenu adulte en nous, nous devons lui permettre de se servir de nous pour rédimer le monde. Nous sommes dans l'Année Jubilaire de la Rédemption. Il faut que nous ne perdions pas de vue je dirais cet aspect apostolique - je ne trouve pas d'autre mot à l'instant - de notre vie monastique, de notre vie chrétienne.
Nous ne sommes pas dans le Christ pour sauver notre peau. Nous sommes dans le Christ pour vivre avec lui la Rédemption du monde.
Voilà, mes frères, ce que nous pouvons retenir cette année-ci de ce grand mystère du Samedi-Saint. C'est le plus profond ! C'est le plus terrible de toute cette semaine de la Passion !
Essayons qu'il prenne possession de notre être, qu'il nous permette aussi de mieux comprendre l'horreur du péché, pour que ce péché nous le fuyions, que jamais volontairement nous n'y consentions, mais que bien plutôt nous nous ouvrions à l'amour et que nous n'ayons pas peur de suivre jusqu'au bout l'implacable logique de cette déraison qui est l'amour.
Amen.
Mes frères.
L'Apôtre vient de nous le rappeler : il est une mort par laquelle nous devons nécessairement passer si nous voulons connaître la vie véritable, la vie incorruptible, la vie divine, celle de la résurrection.
Non pas la mort physique liée à notre état organique. Nous sommes un agrégat plus ou moins stable de molécules que l'entropie conduit a une dégénérescence irréversible. Non, il s’agit de la mort au péché, de ce qui sépare de la vie dont la source est dans la Trinité, tout ce qui romps la communion avec Dieu et avec les frères.
Le Christ identifié au péché des hommes, c'est à dire à leurs refus, à leurs révoltes, à leurs non, est mort au péché par une obéissance qui compense à l'infini la somme fantastique de tous les péchés des hommes. Et depuis lors, comme l'a si bien compris notre Père Saint Benoît, le chemin vers la vie est l'obéissance par une mort à toute espèce de refus. La résurrection du Christ est l'entrée de la nature humaine morte au péché dans un ailleurs autre, nouveau, qui est Dieu lui-même.
Car l'univers de Dieu, le Royaume de Dieu n'est pas distinct de Dieu dans sa nature Une et Trine. Là est notre vrai patrie, notre destinée authentique, notre lieu définitif de stabilité. Et notre résurrection. nous la préparons maintenant par une obéissance à tous les vouloirs amoureux de notre Dieu. Et nous en recevons les prémices lorsque notre être refaçonné par notre obéissance devient avec Dieu un seul esprit.
Mes frères, la nuit de sa résurrection, le Christ est né une seconde fois. La nuit de Noël, le Verbe de Dieu est né dans une chair d'homme. Et la nuit de Pâques, l'homme Jésus est né dans sa chair transfigurée à la gloire qui était la sienne dès avant la fondation du monde mais qui n'apparaissait pas aussi longtemps que sa mort physique n'avait pas effacé pour jamais le péché qui nous tenait captif.
Mes frères, en lui nous connaissons et nous vivons déjà notre propre résurrection. Le moine c'est un homme qui avec l'aide de Dieu travaille à actualiser sa nouvelle naissance. Dans la fournaise de l'obéissance, il devient un métal incandescent jusqu'à être pure lumière qui brille dans son regard et qui coule de ses gestes.
Cette nuit, mes frères, est célébration de notre espérance. Le Christ est ressuscité et le monde de Dieu est à nous. Et les puissances de la résurrections agissent en nous et nous donnent déjà un avant-goût de la vie éternelle.
Amen.
Mes frères,
A nouveau s’est levé sur le monde et dans nos cœurs la lumière de la résurrection. Cette lumière connaît des éclipses à cause de la tiédeur de notre foi et de la faiblesse de notre amour.
C'est bien regrettable, mais c'est inévitable vu notre état de pécheur. Et comme Saint Paul le dit : « Si nous ne reconnaissons pas que nous commettons des péchés, nous faisons de Dieu un menteur. » Ce qui est grave !
Notre labeur ascétique consiste à préparer une place où recevoir un coeur nouveau, un coeur ressuscité adapté aux cieux nouveaux et à la terre nouvelle qui sont l'écrin dans lequel est serti la cité de Dieu, cette Jérusalem nouvelle entièrement illuminée par la gloire de Dieu, ayant une seule lampe : l'Agneau, cité qui ne connaît pas de nuit, où il n'y a plus ni peur ni angoisse mais uniquement paix et joie.
Mes frères, ce coeur ressuscité, comment est-il ? Ce doit être un coeur dans lequel Dieu est tout. Ce ne peut plus être un coeur d'homme, tout en étant encore un coeur d'homme. C'est un coeur de chair, mais une chair transfigurée, une chair ressuscitée. Je le vois pour ma part comme un globe de lumière. Et ce coeur pulse dans les veines un sang qui lui aussi est lumière.
Si bien que la chair nouvelle devient translucide, irradiante. Et elle envoie au loin dans tout l'univers, dans ces cieux nouveaux, dans les coins les plus reculés, elle envoie des grains de lumière qui s'en vont comme des abeilles qui butinent un suc dans les choses, dans les hommes, et qui le transforme en nectar et en miel qui revient alors dans ce coeur et qui lui donne alors des énergies neuves au goût de plénitude et d'éternité. Voyez, c'est cela la vie nouvelle, divine dans l'univers de la résurrection !
Vous allez dire que c'est de la poésie ? Je ne pense pas car le Christ Notre Seigneur ressuscité, c'est cela vous voyez ! Disons que dans une fête comme celle d'aujourd'hui, nous reprenons conscience du fait que le Christ est vivant. Il n'est plus vivant comme il l'était au temps de sa vie terrestre et mortelle. Mais il est vivant comme nous vivrons lorsque nous serons nous aussi passés par la résurrection.
Il est présent partout et il diffuse partout sa vie, sa vie qui est lumière. Il est présent ici par exemple dans notre assemblée, ici parmi nous, circonscrit dans son corps d'homme, mais il est aussi présent ailleurs, partout. C'est un mystère !
Nous autres, nous sommes trop habitués aux lois de la physique, de l'espace, du temps. Mais dans l'univers nouveau, il n'en est plus ainsi. On est partout chez soi en même temps et on recueille de partout la nourriture ; une nourriture qui n’est jamais la même, une nourriture qui est nouvelle et qui nous fortifie tout en nous rajeunissant.
Mes frères, c'est presque de la science fiction ! Mais pourtant non, c’est de la foi. Lorsque le Christ se montre à ses disciples dans un local fermé - les portes sont fermées - et voilà, les disciples sont là. Ils ont peur. Ils sont terrés. Et puis le Christ est au milieu d’eux. Le Christ est toujours au milieu d’eux.
Je le disais, notre labeur ascétique, c'est précisément de préparer le lieu où nous verrons apparaître le Christ ressuscité. Dans la cellule de notre coeur, il est déjà présent. Seulement, cette cellule est encombrée, elle n'est pas propre. Si bien que nous ne pouvons pas apercevoir le Christ. Je dirais que il n’a pas le courage de se manifester, de se montrer parce qu'il se salirait.
Nous devons donc lui permettre de nettoyer notre intérieur pour qu'il devienne entièrement lumineux, qu'il réverbère la présence du Christ, qu’il soit comme un miroir dans lequel il puisse se reconnaître et alors se montrer sans que nous soyons couverts de confusion et que nous n’en mourions.
Mes frères, mes vœux de Pâques pour vous cette année, c’est que vous puissiez jouir un jour de cet état bienheureux et communier à la résurrection dans la lumière. Je le souhaite pour chacun d’entre vous et naturellement je l’espère pour moi.
Mais aussi, que le Christ puisse nous accorder de recevoir les prémices de cette grâce, et cela bientôt, bientôt comme le propose Saint Benoît, bientôt comme le Christ nous le promet lui-même. Cela dépend en grande partie de nous !
Vous voyez, une telle grâce, nous devons la désirer. Il ne faut pas penser qu'elle va nous arriver toute seule. Nous devons la demander. Et pour la désirer et la demander correctement nous devons écarter de nous tout le superflu, tout ce qui est inutile, tout ce qui ne correspond pas à ce que le Christ désire nous donner.
Et là, nous avons une des clefs qui nous permet de comprendre notre pauvreté, ce détachement, ce renoncement à tout. Cela ne nous intéresse pas parce que nous attendons autre chose. Nous attendons les cieux nouveaux, la terre nouvelle, le coeur nouveau. Et le Christ veut déjà nous les donner en partie, en avant-goût, en prémices dès maintenant.
Un moine accompli, c'est un pré-ressuscité. Il n'y a plus dans son coeur que bienveillance et indulgence. Il est pré-ressuscité parce qu'il est passé par la mort. Comme je le disais cette nuit, il est mort à tout espèce de refus. Il est donc mort au péché. Il est mort à tout ce qui n'est pas ce trésor incomparable que le Christ veut donner et qui est son propre coeur a lui.
Pensez a ce qui est dit de Sainte Lutgarde. Le Christ lui a donné son coeur a lui et il a pris le coeur de Lutgarde. C'est cela une moniale accomplie. Et ce qu'il a fait pour elle, pourquoi ne le ferait-il pas pour nous ?
Mais il veut le faire ! Et s'il ne le fait pas, c'est parce que nous n'y prêtons pas intérêt. Nous perdons notre temps a toutes sortes de babioles qui n'ont absolument rien à faire avec ce que Dieu nous réserve.
Mes frères, il est très difficile dans notre état de pécheur de nous détacher de tout car nous avons tout de même encore besoin de beaucoup de choses. Mais nous ne savons pas où est la limite. C'est pourquoi nous devons laisser faire Dieu. Et alors, nous entrons dans cette route de l'obéissance, cette obéissance qui nous fait nous donner tout entier à ce que Dieu attend de nous, à ce que Dieu encore une fois veut faire pour nous.
Si nous pouvions le voir, ce qu'il veut nous donner, le comprendre, je pense que nous en serions tellement heureux que nous en mourrions. C'est pourquoi il ne veut pas nous le faire voir en une fois, mais il nous le dévoile petit à petit à la mesure où il nettoie notre coeur.
Et un moine accompli qui est ainsi pré-ressuscité, il est tout entier lumineux déjà. Et il lance aussi des étincelles de lumière dans son regard, dans ses paroles, dans toute sa conduite. Auprès de lui on se sent en sécurité.
On ne reçoit rien de lui, car recevoir, c'est du domaine de l'avoir. Et le domaine de l'avoir, il n'a rien à faire avec le Royaume de Dieu. Dans le Royaume de Dieu, on n'a plus rien. Si bien qu'auprès d'un tel homme on devient ce qu'on est, on devient soi-même Christ. Il y a là une performance qui est exécutée par Dieu. Car c'est Lui, c'est son Esprit qui habite dans cet homme. Et dès qu'on s’approche de l'Esprit de Dieu, on en vit.
Voilà mes frères, nous allons préparer le lieu dont je parlais au début, le lieu pour notre corps, notre coeur de ressuscité. Nous allons le préparer par la confiance en Dieu notre Père, par une obéissance allègre, joyeuse au moindre de ses vouloirs. Et ainsi nous serons sa joie, son honneur, sa couronne. Oui, pourquoi pas ?
Ce n’est plus nous qui vivrons, c'est le Christ qui vivra en nous. Ce n'est plus notre coeur qui battra dans notre poitrine, ce sera le coeur du Christ. Et ce que nous ferons, ce n'est plus nous qui le ferons, mais c'est le Christ qui le fera en nous et par nous pour les autres.
Voilà, mes frères, prions ensemble, demandons cela les uns pour les autres et soyons bien attentifs surtout à notre agir, à nos actions, à nos paroles, à nos pensées, à nos actes. Nos pensées, je veux dire qu'elles doivent être dirigées vers ce Christ qui attend les mains pleines pour nous combler et nous enrichir. Et si nos pensées sont occupées du Christ, par le fait même notre action, notre vie le sera aussi....
Mes frères,
Au secret de notre désir nous aimerions être comme Marie de Magdala qui accourt, qui pleure son bien-aimé et qui, soudain, le reconnaît debout devant elle. Il lui parle, il la regarde. Il l'aime.
Madeleine avait vu un cadavre suspendu à la croix. Et cette image d'horreur hantait ses nuits, la poursuivait partout. Elle ne pouvait plus trouver le sommeil. Il fait encore sombre lorsqu'elle se précipite vers le tombeau. Elle est morte avec son bien-aimé.
Nous sommes au matin de Pâques. Partout elle entend chanter le Cantique des Cantiques : Pose-moi comme un sceau sur ton bras, comme un sceau sur ton coeur car l'amour est fort comme la mort. C'est une flamme jaillie du coeur du Seigneur. Elle entend ces paroles. Elle en a le vertige. Elle devient ivre de détresse et d’amour.
Et voici qu'en elle monte un chant nouveau. L'amour ne serait-il pas plus fort que la mort ? Il va se passer pour elle quelque chose ? Mais quoi ?
Mes frères, si nous voulons à notre tour, en notre lieu, voir le Christ ressuscité, le tenir, entendre sa voix, nous devons nous aussi à l'exemple de Marie, nous ouvrir à la folie, à la déraison de l'amour : affronter la croix, supporter les sarcasmes, subir une mort mystérieuse. Il nous faut comme elle jeter nos passions, nos démons, nos péchés dans la fournaise qu'est le coeur du Christ.
Et puis chercher, prier, pleurer jusqu’à ce que la lumière se lève et que dans cette lumière il apparaisse enfin et se tienne devant nous simple, souriant, aimant, nous appelant par notre nom.
La vie monastique, mes frères, c'est le besoin impossible à contenir de voir le Christ ressuscité, de disparaître avec lui dans la lumière chez Dieu. Regardons Marie de Magdala dont il avait chassé sept démons.
Et y a-t-il, mes frères, sept démons en nous ? Regardons-la ! Attachons-nous à ses pas ! Le Christ nous la donne comme guide sur les chemins de l’espérance. Elle est notre sœur, elle est notre mère.
Que la pâque du Seigneur soit notre joie comme elle a été la sienne. Pour nous comme pour elle le voile se déchire. Et bientôt, nous le verrons tel qu'il est, lui, notre Christ ressuscité d'entre les morts.
Amen.
La veille des Rameaux. 26.03.83................................. 122
Chapitre : Introduction à la Semaine Sainte.............................................................................................. 122
Dimanche des Rameaux. 27.03.83.................................. 123
Monition avant la bénédiction des rameaux.............................................................................................. 123
Homélie à la bénédiction des rameaux........................................................................................................ 123
Homélie à l’Eucharistie.................................................................................................................................. 124
Chapitre du Lundi-Saint. 28.03.83................................. 126
Les deux « Marie ».......................................................................................................................................... 126
Chapitre du Mardi-Saint. 29.03.83................................. 131
Instinct de mort, instinct de vie..................................................................................................................... 131
Chapitre du Mercredi-Saint. 30.03.83............................. 135
Le péché rompt la communion...................................................................................................................... 135
Homélie du Jeudi-Saint. 31.03.83.................................. 138
Vendredi-Saint. 01.04.83....................................... 139
Homélie à la célébration de la Passion du Seigneur................................................................................. 139
Exhortation à l’Office de Complies.............................................................................................................. 141
Homélie de la Vigile Pascale. 02.04.83........................... 143
Dimanche de Pâques. 03.04.83.................................. 144
Chapitre : Dieu est vivant............................................................................................................................... 144
Homélie à l’Eucharistie du jour de Pâques................................................................................................. 147
Table des matières de la Semaine Sainte 1983............................... 148