Dimanche des Rameaux.                            09.04.95

      Homélie à la bénédiction des rameaux.

 

Frères et sœurs,

 

            Il y a dans la foule des disciples des pharisiens qui sont des gens prudents. Ils sont prévoyants. Ils savent ce qui va arriver si Jésus ne met pas fin à l'enthousiasme de ses disciples ; ils savent que dans la ville il y a des ennemis qui attendent Jésus pour le prendre au piège.

            Et voilà que l'innocent, le pur Jésus tombe dans ce piège. Ses disciples le proclament Messie, ils le proclament roi d'Israël. C'est pour déchaîner contre lui la hargne des prêtres, la méfiance du pouvoir occupant.

            Et les conséquences sont imprévisibles et ils disent à Jésus : « Arrête donc tes disciples ! » Mais c'est impossible : si les clameurs cessent, les pierres se mettraient à crier car c'est la vérité qui est là présente, c'est la vérité qui s'impose. Et à la vérité, personne ne sait mettre obstacle.

 

            Frères et sœurs, nous sommes peut-être, nous, du côté des gens prudents, de ceux qui n'osent pas prendre de risques lorsque il s'agit de défendre la vérité, d'oser dire que Jésus est notre roi et que c'est lui que nous avons décidé de suivre jusqu'à l'extrême, jusqu'au bout.

            Il nous ouvre le chemin et nous avons reçu en nous sa grâce et sa vie. Et nous avons pris le jour de notre baptême, le jour de notre première communion, nous avons pris l'engagement de lui rester fidèle jusqu'à la mort.

 

            Oui, la vie du moine plus que de n'importe qui, mais aussi la vie du chrétien, est une marche à la suite du Christ. Nous devons veiller à ne pas perdre de vue l'initiateur de notre foi, seul Dieu devenu homme afin de nous entraîner à l'intérieur de sa vie divine.

            Hors de lui, il n'y a pas de salut possible, il n'y a pas de réussite vraie, définitive. Le Christ est notre Roi ; rien jamais ne devrait nous troubler ni nous effrayer.

 

            Il se rencontre pourtant des contradicteurs. Ils sont nombreux, ils sont habiles, leurs arguments sont percutants. Ils arriveraient même, comme dit le Christ lui-même, à séduire les élus s'ils pouvaient pénétrer à l'intérieur du ciel. Ils sont tellement malins que, à la longue, ils parviendraient à faire tomber les saints.

            Et ces contradicteurs, ils sont à l'intérieur de nous, ils sont à l'extérieur de nous. Toutes les tentations qui nous assaillent de l'extérieur trouvent la complicité à l'intérieur de nous : nos peurs, nos égoïsmes, tout ce qui nous entraîne vers le bas et qui nous ferait trébucher jusque dans le péché, jusque dans la trahison.

            Mais nous gardons confiance et nous allons de l'avant sans faiblir. Rien ni personne ne pourra jamais nous arrêter, nous faire reculer, nous faire taire. Et ce n'est pas Jésus qui nous reprendra, ce n'est pas lui qui nous écartera, ce n'est pas lui qui nous empêchera de dire à la face du monde qui il est. Il est heureux de notre foi, heureux de notre espérance, heureux de notre amour.

 

            Non, frères et sœurs, nous ne permettrons pas aux pierres de crier, de chanter à notre place. Nous allons maintenant bien haut proclamer notre foi. Nous la proclamerons en marchant à la suite du Christ jusqu'à ce qu'il nous ait introduits pour jamais auprès de lui dans la lumière de son Royaume. Et nous proclamerons notre foi par notre procession.

 

 

Homélie à l'Eucharistie des rameaux.

 

Frères et sœurs,

 

            Transformez-vous en renouvelant votre façon de penser ! Tel est le conseil que 1'Apôtre Paul donne à ses correspondants romains, tel est le conseil qu'il nous donne à toute heure. Nous devons nous convertir, nous devons nous transformer en pensant comme Dieu pense, en épousant ses pensées, ses vouloirs, ses projets, ses folies, en accueillant en nous son amour et sa vie.

 

            Oui, frères et sœurs, en ces jours très saints de la Passion, jetons bas toutes nos prétentions à être des personnages et contemplons Dieu réduit à rien dans la personne du Christ. Jésus est le fils de l'homme ; il est aussi et d'abord le fils de Dieu. Lorsqu'il parle, lorsque il dit JE, lorsque il dit MOI, c'est Dieu lui-même qui parle. Sa personne est celle de Dieu.

            Le prophète Isaïe, l'Apôtre Paul encore viennent de nous dire où se trouve, où se situe la véritable grandeur. Nous n'avons pas à chercher Dieu dans les sublimités, nous devons le chercher et nous le trouverons dans les abîmes.

            L'oubli de soi, le dévouement, la pauvreté, tel était l'habitat choisi par Dieu. Et ce n'a pas été, ce n'est pas un jeu de riche. Non, Dieu dans la personne de Jésus a enduré un supplice atroce et il en est mort.

 

            Le poignant récit que nous venons d'entendre anéantit toutes les images que nous pouvons avoir d'un Dieu armé d'invincible puissance. Dieu se laisse manger, Dieu se laisse frapper, Dieu se laisse insulter, Dieu se laisse clouer à une croix.

            Or, suivre le Christ, c'est construire sur lui son avenir. Cela ne va pas de soi, ce n'est pas possible si ce n'est pas donné par lui. Personne, a-t-il dit, personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par mon Père.

            Et nous avons entendu le premier des apôtres - celui qui devait être le premier fondement de toute l'Eglise - nous l'avons entendu capituler, nous l'avons entendu prendre la fuite, nous l'avons entendu renier. Jésus s'est retourné, il a posé sur lui son regard pour lui rappeler qu'il lui avait promis que malgré toutes ses lâchetés, malgré ses défaillances, malgré sa trahison, sa foi ne faiblirait pas.

 

            Frères et sœurs, si nous nous arrêtons au plan purement humain de la statistique, c'est par hasard que Jésus a été crucifié entre deux brigands. Un lot de trois malfaiteurs ! Et c'est Jésus pour ce jour-là juste avant la Pâque, Jésus à la dernière extrémité qui a été substitué à l'un d'eux par acclamation populaire. C'était une simple formalité, demain on n'y penserait plus !

            Rappelons-nous cet épisode tout aussi réel et tout aussi tragique et tout aussi magnifique de ce prêtre Maximilien Kolbe qui, au camp d'Auschwitz, s'est proposé à mourir de faim à la place d'un autre. Le gardien SS a barré un numéro sur la liste et y a inscrit le numéro d'un autre. Voilà, frères et sœurs, c'était aussi simple que cela. Et à cet instant même, la Passion du Christ était à nouveau présente bien réellement.

 

            Quand nous entendons Jésus associé à ces brigands, nous voyons bien autre chose qu'une statistique, nous entendons un cri qui déchire nos oreilles et nos cœurs. Une évidence crève nos yeux et nos oreilles et elle nous transperce de part en part. Nous ne pouvons presque pas en croire nos yeux ni nos oreilles.

            Et pourtant elle est là : Dieu est à chercher non pas dans la compagnie des justes, mais dans la compagnie des pécheurs. C'est là qu'il se trouve ! Il l'avait d'ailleurs dit à l'avance : Je ne suis pas venu pour chercher les justes, mais pour les pécheurs ; ce ne sont pas les hommes bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades.

 

            On pourrait presque dire que l'univers est un grand hôpital où il n'y a que des infirmes, des malades, des condamnés à mort, des hommes et des femmes en phase terminale de leur existence. Eh bien, c'est ainsi, c'est réellement ainsi ! Et nous-mêmes, de quel côté allons-nous nous placer ?

            Je pense que nous devons retenir une chose essentielle, définitive et le calvaire nous le rappelle : Dieu s'est mis au rang des malfaiteurs. C'est dans le rien, dans le rebut, dans l'innommable qu'il se laisse trouver. Mais alors, vous pouvez me poser la question : mais les saints, eux, tout de même ?

 

            Eh bien , Saint Benoît nous rappelle que le saint est déjà mystiquement passé de l'autre côté du voile. L'homme que Dieu a pris en lui et introduit dans son univers, eh bien , cet homme, à longueur de minutes, instant par instant, il est torturé dans son coeur par la confusion, par la certitude qu'il est pécheur, qu'il est un brigand, qu'il est un traître ; mais que tout cela lui a été pardonné, que tout cela a été pris, porté par le Christ Jésus qui a poussé l'amour jusque là. Il a été compté parmi les pécheurs, comme on vient de nous le dire encore maintenant. Et vous comprenez, le saint, c'est un pécheur pardonné mais qui garde conscience qu'il est un pécheur.

 

            Eh bien, frères et sœurs, c'est dans cette direction que nous devons marcher. N'ayons jamais peur de nous voir tels que nous sommes. Et c'est tels que nous sommes que nous nous trouvons auprès du Christ et que le Christ est à côté de nous. Voilà ce que nous pouvons retenir de cette journée qui ouvre la semaine de la Passion et qui débouche sur le dimanche de la Résurrection.

 

            Oui, Dieu est amour, le Christ est l'amour devenu chair, l'amour devenu matière, l'amour devenu homme. Et c'est dans cet amour que nous jetons tout ce que nous sommes, tout notre péché et aussi toute notre espérance car nous savons que nous sommes morts avec le Christ sur la croix. L'homme pécheur est mort sur une croix avec le Christ.

            Et si parfois nous sommes endormis, inconscients, sachons que à notre dernière heure nous serons avec le Christ, éveillé, et que nos yeux s'ouvrant, nous verrons enfin la lumière. Et nous serons pour jamais ensemble nous les pécheurs pardonnés, ensemble auprès de notre Christ pour l'éternité.

                                                                                                                      Amen.

 


Chapitre du Lundi-Saint.                           10.04.95

Le geste de Marie de Béthanie.

 

Mes frères,

 

            Le récit que nous venons d'entendre ce matin au cours de 1'Eucharistie ne cessera jamais de nous interpeller. Marie verse sur les pieds de Jésus un parfum très pur et hors prix et elle essuie avec ses cheveux les pieds de Jésus. Dans le texte original, il est précisé à deux reprises qu'il s'agit des pieds de Jésus.

            Vous savez que dans le pied, particulièrement la plante du pied, se trouve condensé le corps entier. Il y a là une multitude de points d'acupuncture qui fait que en touchant telle partie du pied, on touche telle partie du corps.

            Marie, en oignant de parfum les pieds de Jésus en réalité touchait son corps entier. C'est pour çà que tantôt Jésus parlera de son embaumement.

 

            Et la valeur de ce parfum, elle dépasse toute imagination : une année de travail ! Aujourd'hui, ce sera au moins un demi million qui est ainsi parti, évaporé en un instant. C'est là un geste de folie qui ouvre les portes à toutes les folies de l'amour.

            On a greffé toutes sortes d'interprétations mystiques sur ce geste de gaspillage. La moniale surtout, la vierge consacrée surtout était censée verser tout le parfum de son être sur les pieds de son maître Jésus.

            Et c'est bien vrai ! Nous devons gaspiller notre vie au service de Dieu. Nous ne pouvons pas être dans le monastère pour y faire fortune, pour réussir, faire carrière. Non, mais pour perdre notre vie, pour la gaspiller, qu'elle s'évapore comme ça pour rien : la gratuité de l'amour. Alors on est dans la vérité !

 

            Et, remarquons que Marie ne prononce pas un seul mot. Son geste est nonverbal d'une éloquence prodigieuse. Aujourd'hui, les psychologues de plus en plus s'attachent à interpréter, à écouter le nonverbal qui est beaucoup plus éloquent et important que le verbal. Les mots ne peuvent pas tout traduire. Les gestes peuvent dire ce que les mots ne peuvent pas exprimer.

            Et l'Eglise, jusqu'à la fin du monde, ne cessera d'écouter ce nonverbal. Elle n'aura pas le temps d'en épuiser le sens. Mais pour sa consolation, elle aura toute l'éternité devant elle.

 

            Et c'est un repas où il y a beaucoup de convives : il y a des disciples, il y a des amis et l'ambiance est à la fête car Jésus a ressuscité Lazare. Et essayons d'imaginer aujourd'hui un homme qui ferait sortir d'un tombeau un cadavre enterré depuis quelques jours ? Voilà ! Mais voyez à l'époque, c'était aussi sensationnel, davantage peut-être encore ?

            Et voilà que le geste de Marie ouvre une brèche dans cette euphorie. Une gêne s'installe et des questions se posent ; 1'étrangeté et l'audace de ce geste, la folie de ce gaspillage dérangent ; et Judas dit tout haut ce que tous les autres pensent tout bas : pourquoi ? Cette  question : mais pourquoi ?

 

            Mes frères, à l'intérieur de ce pourquoi les temps s'entrechoquent comme si le monde allait s'écrouler car la réponse de Jésus, elle sonne plus énigmatique encore. Il fait allusion au jour de sa sépulture.

 

            S'il fallait traduire littéralement le mot grec, cela veut dire : c'est le jour de ma mise au tombeau. C'est toute une scène dans la mise au tombeau tandis que sépulture est plus abstrait. Sépulture, ça peut être un monument, mais c'est la mise au tombeau.

            Alors imaginez ! On parle de ça au milieu d'un banquet. Voilà, il dit bien : Marie tenait en réserve ce parfum pour ce jour et cette heure-ci qui sont le jour et l'heure d'un enterrement, celui de Jésus.

 

            Essayons de comprendre ce que Jésus a voulu dire. Jésus est mort et Marie procède à son embaumement. Je rappelle qu'en touchant les pieds, elle touche le corps entier ; et qu'en les essuyant avec ses cheveux, avec ses cheveux, elle bassine tout le corps. Dans la salle du festin, finalement, il n'y a plus que Jésus mort et Marie qui l'embaume. Eux deux sont à l'intérieur d'un univers auquel les autres n'ont pas accès.

            Le monde devient comme inexistant car la mort de Dieu le fait retourner au néant ; ou du moins, la mort de Dieu manifeste que le monde est sorti du néant et, qu'il est toujours suspendu au-dessus du néant, qu'il est pur néant ; que nous autres qui sommes une fraction infime du monde, nous sommes aussi néant, mais que nous existons et que nous pouvons exister éternellement dans la mesure où nous avons la lucidité de tout gaspiller pour nous perdre à l'intérieur de celui qui tient le monde hors du néant.

 

            Tout est fugace, tout est vanité, tout s'éteint : il ne reste que l'amour. Mais pourquoi ? Mais parce que l'amour est Dieu. Le jour où dans une vie monastique on a compris intellectuellement et aussi surtout existentiellement jusqu'au fond de sa conscience que Dieu est amour et que l'amour c'est Dieu, et que Dieu n'est rien d'autre que l'amour, à ce moment-là, je pense qu'on est entré dans la vie contemplative. On est passé de la mort à la vie. On a compris, on a enfin compris qui était Dieu et qui était le Christ.

            Et alors tout change, tout, absolument tout, et on est prêt à poser des actes semblables à ceux de Marie. L'Amour qui brûle le cœur de Jésus - et le meut à donner sa vie pour le salut du monde - donc cet amour-là, puis l'amour qui entre dans le coeur de Marie et qui rejoint Jésus au-delà de la mort dans l'invincible lumière.

            Il y a donc ici une sorte de mariage : l'amour qu'est Jésus a éveillé dans le coeur de Marie un amour qui comprend, un amour qui sait, et puis un amour qui n'hésite pas à se donner tout entier à celui qui l'a appelé. Et c'est vraiment, vraiment la course d'une véritable vie monastique, d'une véritable vie consacrée.

 

            Et le tragique de la situation, c'est que les autres ne savent pas. Jésus dans le fond de son cœur le dit déjà : Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font, ils ne savent pas ce qu'ils disent.

            C'est eux qui sont les gaspilleurs. Ils gaspillent leur vie en s'acharnant à dénigrer la folie amoureuse de Marie et finalement à tuer la vie parce que en s'attaquant à l'amour, en dénigrant l'amour et en étouffant l'amour, on tue la vie. Car en dehors de l'amour, il n'y a pas de vie.

            Les prêtres, les anciens, Pilate ont tué Jésus ; mais Jésus était déjà mystiquement mort avant. Ils n'ont fait que ratifier au plan matériel, au plan charnel une réalité qui existait déjà mystiquement avant. Jésus était déjà mort et il y avait une seule qui le savait, c'était Marie ; et les autres ne le savaient pas.

 

            Marie a voulu ainsi s'ensevelir avec Jésus et perdre sa vie avec lui. C'est ça ! Si véritablement on aime, on n'hésite pas à perdre sa vie avec le personne qu'on aime. Et c'est ça que nous devons faire dans le monastère. Il n'y a pas de plus grand amour, dit Jésus, que de donner sa vie pour ceux qu'on aime, que de perdre sa vie pour ceux qu'on aime.

            Si nous perdions notre vie, ici, les uns pour les autres, mais ce serait quasiment la fin du monde parce que nous aurions ici vraiment, vraiment, dans notre monastère nous aurions vraiment l'apparition de l'univers nouveau qui sera entièrement pénétré d'amour, qui ne sera plus qu'une hymne à l'amour.

 

            Et ainsi, le geste de Marie nous ouvre la route vers la vérité, la vérité entière. En communiant au cours de 1'Eucharistie au corps et au sang du Christ, eh bien, nous le suivons jusqu'à l'intérieur de cette folie d'amour. Mais il faut vraiment communier au corps et au sang du Christ.

            Il ne faut pas être là pour boire du vin, on n'a plus la foi alors. Non, non, non, non, non, non, il faut vraiment avoir la foi. Il faut raviver sa foi à ce moment-là et dire qu'on s'ensevelit avec le Christ à l'intérieur de sa mort, et de sa résurrection, et de l'amour qu'il est.

 

            Etre mort avec le Christ pour ainsi ressusciter avec lui, telle est notre ambition et telle est notre vocation. Mais qu'est-ce que cela veut bien vouloir dire, ressusciter avec lui, maintenant ?

            C'est tout simple, c'est aimer. Un homme qui aime, mais vraiment, il est ressuscité. Il est passé de la mort à la vie parce qu'il aime. Et celui qui n'aime pas, il est encore installé dans la mort. Même s'il est bien vivant, même s'il a réalisé de grandes choses, en réalité il ne fait rien.

 

            Voilà, mes frères, essayons de penser à ces beautés en ces jours de Semaine Sainte qui nous rappellent qui nous sommes, qui nous devons devenir et qui nous serons un jour tous pour notre gloire et tous ensemble pour l'éternité, c'est à dire un seul être avec Dieu, un seul être avec notre Christ.

 

 

Chapitre du Mardi-Saint.                          11.04.95

L’ambiance entre les disciples.

 

Mes frères,

 

            Nous avons encore une fois compris ce matin au cours de la proclamation de l'Evangile que dans la salle où se célèbre la cérémonie du repas pascal règne une atmosphère lourde et oppressante. Chacun sait que Jésus est recherché par la police. Il est considéré comme un agitateur, comme un hérétique, comme un gêneur.

 

            Et nous pouvons nous poser une petite question : Comment les chefs du peuple auraient-ils pu savoir que Jésus était Dieu, que Jésus était leur Dieu ? Ses disciples, ses plus proches eux-mêmes n'y comprenaient rien. Combien de fois n'ont-ils pas essayé de s'emparer de lui pour le protéger contre lui-même car ils jugeaient qu'il sombrait dans la démence.

            Et à partir de là, nous pouvons comprendre, percevoir intuitivement avec l'aide de la grâce, que Dieu est un être inquiétant, un être dangereux. Il jette bas les idées reçues, les raisonnements les mieux huilés. Mais quand donc nous-mêmes oserons-nous le croire ?

 

            Attention ! Je ne veux pas maintenant me faire l'apôtre du non-conformisme, ce non-conformisme que l'on voit étalé dans les rues si on a l'occasion de sortir hors des murs de notre clôture. Ce non-conformisme est humain. Il dénote une insatisfaction, une insécurité, une peur inscrite au plus profond des personnes.

            Non, le conformisme de notre Dieu, il est tout autre : c'est le conformisme de l'amour. Et quand on en a fait l'expérience, plus rien n'est jamais comme avant ; on entre dans une sphère nouvelle, la sphère de l'amour. Et n'oublions jamais que l'amour est Dieu !

            Et à partir de ce moment-là, on commence à devenir un être étrange, un être anormal pour les autres, un être énigmatique, qui pose question. C'est ainsi que les saints pour la plupart ne sont pas reconnus de leurs voisins, même de leurs collaborateurs ; et certains même sont persécutés parce qu'ils ne voient pas les choses comme les autres. Ils ne les sentent plus comme eux, ils les sentent à la manière de Dieu. Et ça fait toujours scandale !

 

            Maintenant une autre question, mes frères, qui est importante pour nous vu les circonstances dans lesquelles nous vivons depuis quelques mois. Cette question est celle-ci : L'ambiance entre les disciples était-elle chaleureuse ?

            On peut franchement répondre par la négative. Ils se regardaient du coin de l’œil, se chamaillaient, et se bousculaient pour s'emparer des meilleures places. Voilà les disciples, voilà le collège apostolique, voilà la toute première communauté monastique ! Pas d'ambiance chaleureuse du tout !

            Mais attention ! Cela n'empêchait pas 1'Esprit Saint de les souder en un seul corps. L'Esprit Saint, lui, est dispensateur d'une autre chaleur. Et en dessous de toutes les petites bassesses humaines, les coups d'épingles, les coups de couteaux qu'ils se donnaient entre eux, il y avait vraiment un lien qui les tenaient. Et c'était la personne de 1'Esprit Saint, qui était la personne de l'amour, qui était au travail au plus profond des cœurs.

 

            Et Jésus, que faisait-i1, lui ? Eh bien Jésus, il les remettait à leur place. Il ne s'employait pas à les convertir à tout prix. Non, il jugeait sans doute que c'était impossible, les hommes sont les hommes. Et d'ailleurs, il laissait l'affaire à quelqu'un d'autre.

            Moi, je m'en vais, a-t-il dit, comme s'il disait : moi, je n'ai pas réussi à mettre de l'entente entre vous. Je vais confier l'affaire à un autre. Et quand 1'Esprit Saint que je vous envoie sera arrivé, à ce moment-là vous comprendrez qui vous êtes et vous commencerez à vivre réellement.

           

            Ce que je vais dire maintenant n'a pas été repris dans la lecture de ce matin. Jésus simplement leur dit ceci : Je vous donne un commandement nouveau et le voici, que vous vous aimiez les uns les autres; comme moi je vous ai aimés, ainsi vous devez vous aimer les uns les autres; tout le monde reconnaîtra que vous êtes mes disciples si vous avez de l'amour les uns pour les autres. Voilà ce qu'il leur dit !    

            Il les élève alors à un étage supérieur, à l'étage qui est le sien. Et c'est là qu'il nous invite, c'est là qu'il nous attend, là et nulle part ailleurs. Je l'ai déjà dit tant et tant de fois, les premiers cisterciens savaient ce qu'ils faisaient lorsqu'ils affirmaient que leur monastère devait être une schola caritatis, une école où on est à cet étage supérieur, où on se soutenait les uns les autres pour y accéder.

            Donc voilà, mes frères, un programme qui va bien au-delà d'une quelconque ambiance chaleureuse qui pourrait exister entre nous !

 

            Maintenant un autre détail : c'est que Jésus aurait très bien pu neutraliser Judas et il ne l'a pas fait. Est-ce que ce n'est pas là une folie ? Eh bien oui, c'en est une ! Et c'est même, plus que de la folie, une sorte d'inconscience. Hérode et Pilate avaient leur service de sécurité. Jésus qui est Dieu, lui, il n'avait rien. Il était livré sans défense et sans protection.

            Eh bien, tel est l'amour ! L'amour est ce qu'il y a de plus démuni, de plus faible, de plus exposé au monde. L'amour se donne sans réserve et ne se protège pas. L'amour est pur don. L'amour ne met jamais la main pour écarter, non, il est pur don, il est pur accueil. L'amour rend les personnes comme inexistantes.

            Et pourtant, à ce moment-là,. elles sont au sommet de la véritable puissance exactement comme Dieu qui est comme inexistant. Et pourtant Dieu porte tout, et l'amour porte tout, même s'il est ce qu'il y a dans l'univers de plus démuni.

 

            Et c'est la raison pour laquelle l'amour qui est pure folie est à l'avance, par avance condamné à mort. Il ne se défend pas. Il faut dire que Jésus l'avait donné à entendre déjà à ses disciples lorsqu'il disait : « Il ne faut pas résister au mal. Si on te frappe sur une joue, eh bien présente l'autre encore ; Ne rend pas un coup de pied, non, présente l'autre joue.

            Et puis voilà, on veut te traîner en procès pour t'enlever ton manteau, eh bien, donne encore ce qu'il y a en dessous, donne ta chemise s'il le faut. Cela n'a pas d'importance ! » L'important, c'est d'être établi dans l'amour et de ne pas en sortir. C'est ça la folie de l'amour ! Et c'est la raison pour laquelle Jésus ne s'est pas protégé de Judas.

 

            Et il est bien dit : Aussitôt que Judas est sorti, le fils de l'homme est glorifié, il est immédiatement inondé de lumière et de gloire. La propre lumière de Dieu le Père, sa propre gloire s'empare de Jésus. Mais pourquoi cela ?

            Eh bien, c'est parce que la séquence du plus grand amour est enclenchée cette fois-ci. C'est en route et, le jusqu'au bout, l'extrême de l'amour est amorcé. C'est la raison pour laquelle Jésus dit, peut dire maintenant : le fils de l'homme est glorifié et Dieu est glorifié en lui. Maintenant, c'est à dire au moment où Judas s'en va.

 

            Et Pierre, lui qui voudrait bien suivre Jésus, il va trébucher. Il n'est pas possible de suivre Jésus aussi longtemps qu'on n'a pas été soi-même métamorphosé par l'amour. Ce n'est pas possible !

            Alors mes frères, aujourd'hui ? Eh bien, mes frères, aujourd'hui, nous attendons, et puis nous espérons, et nous croyons que l'amour aura quoi qu'il arrive le dernier mot dans notre vie.

 

 

 

 

 

Chapitre du Mercredi-Saint.                      12.04.95

Le jusqu’au bout de l’amour.

 

Mes frères,

 

            Il est à noter que dans le récit évangélique qui dépend de l'Apôtre Matthieu, la démarche de Judas auprès des grands prêtres a lieu immédiatement après 1'onction de Béthanie. Il y a certainement une relation entre les deux et, nous pouvons nous demander : Mais qui était donc Judas ?

            Certainement quelqu'un de bien, sinon Jésus ne l'aurait pas choisi pour en faire une des fondations de son Eglise et un des juges d'Israël. Alors, que s'est-il passé ? Pourquoi ce dérapage et cette chute ? Nous ne le saurons jamais avec précision. Il en était arrivé à voler, à détourner l'argent dont il avait la gestion, la responsabilité. Jésus lui-même et les autres apôtres lui faisaient confiance et, il abusait de cette confiance.

 

            N'essayons pas, mes frères, de trop comprendre et tenons-nous plutôt sur nos gardes. Il est certain qu'au départ Judas était meilleur que nous. Et si un ange peut tomber si bas, les êtres de terre et de boue que nous sommes peuvent encore beaucoup plus facilement faire une chute.          Sur la route de la trahison et du crime, il existe un point de non-retour. Quand il est atteint, c'est la fuite en avant jusqu'au bout.

            Et pour Judas, ce point de non-retour a été atteint quand il eut avalé la bouchée que Jésus lui tendait. Il est bien dit : Quand il eut avalé la bouchée, Satan entra en lui. C'était fini, plus aucun retour n'était possible ! Un mécanisme était enclenché et ne s'arrêterait plus. Et Jésus l'a aussi compris lorsque il a dit : « Ce que tu as à faire, fais-le vite ! » Jésus l'a laissé partir, il ne pouvait plus rien.

 

            Mais Dieu n'est-il pas tout puissant ? Ne pouvait-il arrêter le mécanisme et l'inverser ? Mais n'oublions pas que Dieu est amour et que l'amour est la faiblesse par excellence. Et nous devons nous-mêmes nous tenir sur nos gardes ; ne nous croyons pas plus forts que Judas.

            C'est par la grâce de Dieu que nous sommes ce que nous sommes. Le savoir et s'en convaincre, c'est s'établir dans la maison de l'humilité. Et là, à l'intérieur de cette maison est la sécurité. Dehors, on s'expose à tous les périls.

 

            Oui, l'humilité est une maison et notre instinct, lui, aimerait la quitter pour aller voir ce qui se passe ailleurs. C'est, à mon sens, un des aspects les plus durs de la vie monastique. Je ne veux pas dire aller voir de l'autre côté des murs de clôture, mais de cette demeure mystérieuse qu'est l'humilité.

            Elle a été construite, cette maison, par Dieu lui-même qui s'est vidé de sa condition divine pour endosser la livrée de l'esclave et descendre au plus bas jusqu'à se laisser mettre à mort, injustement, sur une croix. A ce moment-là, il a construit la maison, le palais de l'humilité. Il en est le Prince, il en est le Roi, il en détient les clefs.

 

            Et c'est en nous accrochant à lui, à son obéissance, à son amour que nous pouvons à notre tour avoir accès à l'intérieur de cette maison et à nous y établir sans en sortir ; car il y a beaucoup de demeures à l'intérieur de cette maison, beaucoup de chambres et de recoins à découvrir. Saint Benoît les présente sous la forme d'une échelle, c'est vrai ! Mais c'est tout aussi bien un palais dont il faut explorer la beauté, les trésors.

 

            Et c'est parfois bien austère car tous ces trésors sont enveloppés dans un coffret qui s'appelle le rien, le vide. Il n'y a rien, la chair n'a rien à se mettre sous la dent. Et c'est pourquoi, elle voudrait aller voir dehors pour essayer de cueillir quelques petites satisfactions qui lui permettraient alors de survivre.

            Mais attention ! Notre chair dans ce qu'elle a de pervers, dans ce qu'elle a de contraire à Dieu, elle doit mourir. Et finalement, elle mourra totalement.

 

            Mes frères, encore un détail qui est très juste et très intéressant. Il existe deux jusqu'au bout. Ils sont antagonistes, ils sont opposés et pourtant ils sont concomitants. Il y a le jusqu'au bout de l'amour et le jusqu'au bout du péché. Le jusqu'au bout du péché appelle le jusqu'au bout de l'amour. Et le jusqu'au bout de l'amour parvient à annuler le jusqu'au bout du péché. Et tous les deux ont pour terme ultime la mort.

            Le jusqu'au bout de l'amour, c'est la mort. Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime. Et donner sa vie réellement jusqu'au bout, c'est mourir, mourir physiquement. Et le jusqu'au bout du péché, c'est précipiter l'autre et soi-même dans la mort. Judas livre Jésus à la mort et il se suicide.

 

            Mais la mort par amour engloutit toutes les morts causées par le péché. Et cette mort par amour est finalement vainqueur de la trahison, du crime parce qu'elle débouche sur la résurrection. La mort qui se trouve au bout du péché est une mort sans retour ; la mort qui se trouve au bout de l'amour, elle a un retour.

            Et ce retour, c'est la résurrection car il est impossible que l'amour disparaisse, il est impossible que l'amour soit égratigné. Et la preuve de la réalité et de la victoire de l'amour, c'est la résurrection d'entre les morts. Et en quoi consiste cette résurrection ?

 

            Nous ne le savons pas, nous ne pouvons pas l'imaginer. Nous savons que le Christ est ressuscité. Nous n'allons pas épiloguer sur la nature de la résurrection, je vous le dis, cela nous dépasse. Mais il est certain que nous pouvons en faire une expérience nous-mêmes avant notre mort biologique, une petite approche, une sorte d'intuition qui nous dit sans que nous puissions l'expliquer par des mots ce qu'est la résurrection.

            C'est lorsque on a la certitude absolue qu'on est entré dans la vie, dans une vie qui est différente, d'une autre nature que notre vie périssable, une vie qui est tout entière respiration de lumière et d'amour. La vie contemplative évoluant normalement dans de bonnes conditions subjectives, objectives aussi, débouche finalement sur cette expérience, cette expérience de la vie éternelle, de 1'avant-goût de la résurrection.

 

            Le corps spirituel, c'est un corps de lumière. La résurrection, c'est être vêtu d'un manteau de lumière. La vie éternelle, c'est respirer la lumière. Mais cette lumière, c'est une lumière bien réelle qui est le Christ lui-même dans son état de ressuscité.

            Et cette lumière, encore une fois, il nous est impossible de la décrire avec des mots. Nous pouvons seulement en faire l'expérience petitement, à notre petite mesure, ici, en attendant de la faire pleinement lorsque nous serons transfigurés totalement et que nous aurons part à la résurrection d'entre les morts.

 

            Mes frères, ce mystère de la mort vaincue, absorbée, engloutie par la vie, par l'amour, ce mystère, nous allons le revivre, nous allons l'évoquer dans les jours qui suivent. Et je rappelle que nous devons l'incarner dans toute notre vie. C'est pour ça que nous sommes au monastère. Nous devons devenir amour pour être, avec le Christ, vainqueur de toutes les espèces de mal.

 

            Voilà, mes frères, un beau sujet de réflexion. Il n'est pas nécessaire de se fatiguer les méninges là-dessus, mais il suffit de laisser rêver son coeur. Car dans le domaine de Dieu, dans la région où le Christ nous entraîne, le rêve est beaucoup plus beau que la réalité. Tout rêve est ainsi.

            Mais ce rêve devient réalité, il est la réalité première dans le coeur de Dieu et il est la réalité dernière lorsque tout sera accompli. L'Apôtre Paul le dit : « Ô mort, où est ta victoire ? Ô mort, où est ton aiguillon ? L'aiguillon de la mort, c'est le péché. » Et tout a été anéanti par le Christ, par Dieu lui-même qui a absorbé la mort dans la victoire qu'est la résurrection.

 

            Voilà, mes frères, notre espérance et notre rêve. Demandons les uns pour les autres que ces beautés se réalisent le plus vite possible dans chacune de nos existences, pour chacun d'entre nous.

 

 

Homélie à l’Eucharistie du Jeudi-Saint.          13.04.95

Faire comme le Christ.          

 

Frères et sœurs,

 

            Nous laver les pieds les uns aux autres, non pas une fois en passant mais chaque jour et à chaque instant du jour ; vivre aux pieds de nos frères, aux pieds de tous les hommes, être à leur service toujours et partout ; ne pas avoir un mouvement de recul devant le traître d'aujourd'hui ou de demain, devant l'homme immonde dont on connaît la perfidie ; aimer jusque là, aimer jusqu'au bout, laisser l'amour prendre possession de nous et nous jeter dans des actes fous, voilà ce qui nous est demandé, voilà ce qui est exigé de nous, les chrétiens !

 

            Je vous ai donné un exemple afin que vous aussi vous fassiez ce que j'ai fait. Et derrière cette injonction, il y avait déjà dans le coeur de Jésus, même si les apôtres ne se doutaient encore de rien, il y avait déjà sa mort et, au-delà de sa mort il y avait la résurrection. Il n'est pas possible d'accéder à la vie véritable en faisant l'économie de cette remise de soi totale, entière, parfaite aux autres.

 

            Si nous sommes chrétiens, nous sommes des sauveurs à la suite du Christ et comme le Christ. Or, nous ne pouvons sauver nos frères les hommes, nous ne pouvons les élever de leurs souillures et leur donner un coeur nouveau que, si agenouillés devant eux, nous leur lavons les pieds.

            Cela signifie que nous devons au plus intime de notre conscience nous juger inférieurs au plus petit, au plus vil d'entre eux ; nous devons prendre sur nous tout ce qu'ils sont, tout ce qu'ils font et accepter de mourir à leur place.

            Il est nécessaire si nous voulons faire quelque bien aux autres qu'ils sentent, qu'ils perçoivent intuitivement que notre amour ira jusque là en cas de besoin. Il n'est pas possible de donner la vie si soi-même on répugne à se vider de soi. Or, se vider de soi, se désapproprier de tout, se dépouiller de tout, c'est une sorte de mort.

 

            La souffrance et la mort des innocents, des enfants, des saints trouve son sens dans cette union mystérieuse, et avec le Christ sauveur et avec les hommes pécheurs.

            Hélas, trois fois hélas, notre foi est obscurcie surtout quand nous avons mal nous-mêmes, surtout lorsque le malheur s'est abattu sur nous, lorsque l'épreuve nous poursuit, et nous rattrape, et nous tenaille.

            Et voilà, nous passons alors à côté de ce qui nous ouvrirait à l'espérance, ce qui ouvrirait devant nous la porte de la vie.

 

            Le dernier repas pascal partagé par Jésus avec ses disciples, nous le revivons dans chaque Eucharistie et nous sommes engloutis dans le même drame, drame du salut par la mort à nous-mêmes, à nos suffisances, à nos égoïsmes et à nos peurs. Tous, nous formons un seul corps, nous qui partageons le même pain et la même coupe. C'est la même vie qui circule en nous, c'est l'Esprit Saint qui fait battre notre coeur. Nous devons le croire, nous devons le savoir.

            Et nous devons permettre à l'Esprit d'insuffler en nous des pensées qui soient des pensées de bienveillance, des pensées de compassion, des pensées d'estime et de respect, des pensées de charité pour tous les hommes, et pour ceux d'abord avec lesquels nous vivons, avec notre prochain le plus proche, notre propre famille, notre communauté, nos compagnons de travail.

 

            Chacun doit sentir qu'il y a en nous quelque chose qui les interpelle. Et ce quelque chose, c'est la vie de l'Esprit, cet Esprit que nous avons reçu lorsque nous partageons le corps et le sang de notre Christ. Nous avons ainsi à porter les fardeaux les uns des autres, à nous pardonner, à nous aider mutuellement sur la route d'un véritable amour.

 

            La vision du Christ Jésus, la vision de Dieu agenouillé à nos pieds pour les laver ne devrait jamais quitter les yeux de notre coeur. Notre existence en serait bouleversée et nous entrerions pour jamais dans les espaces illimités de la paix.

            Nous goûterions une liberté qui est la propre liberté de Dieu. Nous sentirions tout au fond de nous une joie secrète, la joie qui est la conscience de partager une vie qui nous dépasse, une vie qui nous unit tous, la propre vie de la Sainte Trinité, la vie éternelle.

            Et cette vie éternelle n'est pas une vie d'une durée sans fin, non, mais une vie qui est totalement concentrée dans un regard, dans une écoute, dans un coeur qui sait battre au rythme du propre coeur de Jésus notre Seigneur.

                                                                                                                 Amen.

 

 


Vendredi-Saint.                                    14.04.95

Homélie à la célébration.

 

Frères et sœurs,

 

            La mort de Jésus, la mort de Dieu sur une croix alors que Ponce Pilate était gouverneur de la Judée, cette mort à un moment précis de l'Histoire est un scandale qui jette, qui retient hors de la foi des multitudes d'hommes depuis des siècles. Rien d'étonnant alors si l'Apôtre nous demande de tenir ferme dans la profession de notre foi.

            Notre Dieu n'est pas un despote vindicatif, implacable. Il a pris sur lui l'invraisemblable, il a pris sur lui l'impossible. Il est descendu plus bas que le plus épouvantable des criminels. Et comme il est l'amour, il a tout pulvérisé, anéanti, retourné, métamorphosé, transfiguré.

            Il est entré dans la mort avec tout pour que personne ne connaisse jamais 1'esseulement, pour que chacun devienne lumière en lui. Telle est notre foi, notre confiance, notre paix. C'est elle qui nous rend vainqueur de toutes les puissances du mal.

 

            Vivre accroché au Seigneur Jésus mort par amour, mort après avoir aimé jusqu'au bout, jusqu'à 1'extrême - et c'est un extrême de Dieu, pas un extrême d'homme - vivre ainsi dans sa communion, c'est assurer pour toujours la véritable réussite de sa destinée.

            Il ne peut être question pour lui d'exploiter les autres, de faire sentir son pouvoir. Pilate le disait : « J'ai le pouvoir de te relâcher et le pouvoir de te crucifier. » Comme ce pouvoir est dérisoire ! Il veut jeter Jésus dans la mort et il ne peut le retenir à l'intérieur de la mort.

            C'est ainsi que si nous renonçons nous-mêmes à toute possession, à tout pouvoir, à ce moment-là, nous connaissons nous aussi la propre liberté de Jésus, la propre liberté de Dieu et personne ne peut avoir de pouvoir sur nous. Nous pouvons connaître la mort, toutes sortes de morts, mais nous sommes déjà passés avec Jésus au-delà de la mort.     

 

            Remarquons encore ceci, frères et sœurs, Jésus subit sa passion et en même temps il la conduit. Il est Roi et il le reste jusque dans l'affliction et dans la mort. Tout lui a été remis du monde présent et du monde à venir. Et sa mystérieuse puissance pénètre tout et conduit tout à son accomplissement. Et cette puissance est mystérieuse parce que au regard des hommes, elle est faiblesse absolue.

            Oui, l'amour est faible devant les autres, l'amour est démuni devant les autres. Mais cette faiblesse n'est qu'apparente car en réalité il saisit l'autre par le dedans, il l'arrache à la mort et il le fait entrer dans la vie.

 

            Il nous dit ainsi dans un nonverbal d'une beauté sans pareille que la vie est omniprésente, que nos yeux et nos cœurs sont faits pour elle. La vie, c'est Lui, sa personne qui est lumière et amour. En nous faisant communier à son être de chair, il nous absorbe dans la vie. Depuis qu'il est mort, ce n'est plus nous qui vivons, c'est lui qui vit en nous.

            Cette semence de vie a été déposée en nous dès l'instant de notre conception ; elle sera ravivée à l'heure de notre baptême et, elle s'épanouira pleinement lorsque nous disparaîtrons pour jamais à l'intérieur de cette vie. Les autres nous verront partir et ils sauront que leur tour viendra. Il n'y a rien d'indécent, il n'y a rien d'effrayant, c'est la vie qui triomphe.

 

            Notre mission de chrétien ne consisterait-elle pas entre autres à accompagner nos frères les hommes, tous les hommes, à nous accompagner les uns les autres jusqu'à la porte de la vie, cette vie qui est la personne du Seigneur Jésus ? Accompagner, c'est nous asseoir à la même table, partager le même pain, c'est cheminer du même pas, c'est être au service, c'est oser croire en l'autre, c'est l'aimer à travers tout tel qu'il est.

            Accompagner, c'est ne rien presser, ne rien bousculer, c'est savoir qu'une porte est là et qu'on s'en approche. Cette porte, on la connaît ; cette porte, c'est un amour fou qui nous attend, qui déjà nous accueille. Je suis la porte, a dit Jésus comme il a dit en même temps : « Je suis le chemin et je suis la vie. »

 

            Frères et sœurs, tenir ferme dans la profession de notre foi, c'est accompagner nos frères jusqu'au bout et avec eux, à la suite de Jésus, plonger dans la vie en lui, en Dieu pour jamais. Telle est notre destinée d'homme, telle est notre mission de chrétien.

            C'est ainsi qu'une solidarité, qu'une communion se tisse comme un vêtement qui nous revêt tous, un vêtement d'éternité. Et ce vêtement, c'est la lumière qui est Dieu, c'est Dieu qui est amour et qui, dans le Christ, nous a montré jusqu'où pouvait aller cet amour, jusqu'au bout. Et comme je l'ai dit tantôt, c'est un jusqu'au bout de Dieu, ce n'est pas un jusqu'au bout d'homme.

            Et le jusqu'au bout de Dieu, eh bien, frères et sœurs, nous devons y croire, nous devons nous ouvrir à lui de manière à ce que nous aussi nous puissions à notre place et selon nos capacités : aimer jusqu'au bout.

                                                                                                                      Amen.

 

Exhortation à l’Office de Complies.

 

Frères et sœurs,

 

            Il nous est permis en ces jours très saints de poser un regard infiniment respectueux, admiratif et en même temps plein de désir sur le mystère qu'est notre Dieu. Et un mystère, ce n'est pas ce qu'on ne comprend pas, c'est ce qu'on ne finit jamais de comprendre.

            Dans notre condition actuelle, nous inaugurons notre béatitude éternelle en effleurant le mystère qu'est notre Dieu. Que sera-ce quand nous déboucherons dans les espaces sans limites de la lumière ? A présent, notre intellect tâtonne, notre intuition nous fait percevoir des choses, parfois notre contemplation avance un regard un peu plus perspicace. Mais hélas, les mots font défaut pour dire ce qui réellement se vit.

 

            Oui, ce n'est jamais qu'un effleurement. Quand donc pourrons-nous voir et connaître ? La vie éternelle - les premiers moines l'affirmaient avec force - est une connaissance d'abord. Le Christ l'avait dit le premier : « La vie éternelle, c'est de te connaître toi le Dieu éternel, le Dieu créateur, le Dieu rédempteur et celui que tu as envoyé, ton fils Jésus le Christ. »

            Ce n'est pas une connaissance cérébrale, c'est une connaissance par union d'amour. On est devenu un seul esprit, un seul être avec Dieu et on le connaît par l'intérieur de lui-même comme lui se connaît. Si Dieu a voulu devenir homme dans la personne de Jésus, c'est pour mettre à notre disposition cette connaissance.

            Et lorsque nous entrons dans les vouloirs du Christ, à ce moment-là, il prend possession de nous et, à l'intérieur de nous-mêmes, nous commençons à comprendre, à connaître, à être heureux.

            Ce soir, si vous le voulez bien, nous allons abandonner nos approches trop humaines. Nous allons nous ouvrir humblement aux paradoxes et aux folies qui viennent déranger notre présent.

 

            Le samedi-saint - que nous ouvrons ce soir - est le jour le plus déroutant de la durée cosmique. Nous avons vu la vie éternelle, la vie impérissable, nous l'avons vue anéantie, détruite et, pourtant elle demeurait la vie. C'était le vide, c'était le rien, c'était comme la négation même de Dieu, une plongée de Dieu dans le contraire de ce qu'il est, une plongée de Dieu dans le néant. C'était 1'instauration de l'absurde et la fin de tout.

            Et à ce moment-là, lorsque Dieu mourait sur la croix, le véritable dieu, celui qui avait triomphé, c'était l'homme. L'homme en dépit de sa finitude avait eu raison de Dieu.

 

            Il y a entre Dieu et l'homme un conflit qui date de la prise de conscience que l'homme a faite de son existence et de ses pouvoirs. Dans le récit du paradis terrestre, cela nous apparaît. Dieu cherche l'homme et l'homme se cache. L'homme se défend contre Dieu. Et pour subsister, il serait préférable qu'il n'y ait pas de Dieu.

            C'est l'amorce de ce conflit qui n'est pas fini, qui ne finira jamais. Et le samedi-saint, cela a été la victoire, enfin ; la victoire de l'homme sur Dieu. Il avait tué Dieu, il avait balayé toute espèce de sens. Il ne restait plus rien que lui, l'homme, mais avec en contrepoint le ricanement sinistre de la mort qui déjà ouvrait sa gueule pour le happer. Car même en tuant Dieu, l'homme était précipité dans le gouffre de la mort.

 

            Mais qu'en était-il alors de l'homme-Jésus? C'est un drame inimaginable, inconcevable. Nous devons quasiment rester muet de saisissement, d'admiration et aussi de crainte en sa présence.

            Ce drame s'est déroulé à l'intérieur de Dieu, dans un incognito absolu, ce qui est un témoignage pour nous de la suprême discrétion et humilité de Dieu. Sur la terre il y avait un signe qui était témoin de ce drame vécu à l'intérieur de Dieu - la mort de Dieu - c'était le cadavre de Jésus gisant au tombeau. Mais personne ne mesurait l'ampleur et l'enjeu de cette tragédie.

            L'ignorance et la peur étaient maîtresses des esprits et des cœurs. On n'était même pas sur le qui-vive. On était au-dessus, on était en dessous. C'était la déraison qui avait pris la possession des cœurs et tout le monde se cachait. Et au-delà, dans le reste de l'univers, on ne savait rien, on ne se doutait de rien.

 

            Oui, il se passe ainsi des choses chez Dieu à l'intérieur de la Sainte Trinité, il se passe des choses que seuls les saints peuvent quelque peu appréhender. Mais le reste du monde demeure dans l'ignorance. Et c'est cela qui est tragique !

            Et c'est pourquoi, il faut qu'il y ait des hommes et des femmes qui se livrent tout entier, corps et âme, comme une proie à 1'Esprit Saint qui pourra prendre possession d'eux et les introduire alors mystiquement à l'intérieur de Dieu pour qu'ils soient témoins de cette tragédie et qu'ils compatissent avec Dieu.

 

            Le Samedi-Saint a été un point d'éternité fixé dans notre durée. Et je me demande s'il ne l'est point resté. Oui, il est resté un point d'éternité pour ceux qui reçoivent la grâce d'y entrer. Et on ne peut y entrer que sur un mode de participation mystique. Ce n'est pas à force de répressions, ce n'est pas en se cachant la tête, ce n'est pas à coup d'efforts, d'ascèses qu'on pourra entrer à l'intérieur du Samedi-Saint et de son mystère.

            Non, c'est si on est pris par la main et si on y est introduit. Et on s'aperçoit alors que c'est le lieu d'un effroi indescriptible. On meurt soi-même tout en restant vivant, et cela semble durer sans fin. C'est ce qui est arrivé au Christ, c'est là le mystère de la mort de Dieu. Dieu meurt mais il reste tout de même parmi nous. Il y a là un déchirement, un écartèlement qui ferait tout détruire si Dieu n'était pas d'abord amour.

            Non, Dieu n'est pas devenu homme pour rire Ce n'est pas pour rire qu'il a pris sur lui le péché de tous les hommes. Le Samedi-Saint est l'heure de tous les affrontements, de toutes les angoisses, mais aussi de toutes les espérances.

 

            Je parlais au cours de 1'homélie voici une bonne heure, je parlais de l'accompagnement de nos frères les hommes jusqu'à la porte de la vie. Eh bien, cet accompagnement, s'il est sincèrement vécu, s'il est vécu tel qu'il doit l'être dans une perspective chrétienne, une perspective christique, c'est prendre sur soi le risque de descendre dans les ténèbres du Samedi-Saint.

            A cet endroit, la mort coïncide avec la vie et le mystère de Pâques s'accomplit. C'est là le point d'éternité à l'intérieur de notre durée. Il n'y a plus de frontière entre la mort et la vie. Cela devient une seule réalité, à l'image de Dieu qui, même dans la mort, reste la vie.

            Etre introduit soi-même à cet endroit, c'est peut-être une des grâces les plus belles qu'on puisse recevoir en ce monde. Et celui qui veut accompagner l'autre en s'oubliant soi-même, fatalement c'est vers cet instant qu'il va être conduit.

 

            Oui, le Samedi-Saint, c'est rencontrer Dieu dans le plus fou de son mystère car c'est la victoire totale et définitive de l'amour. Nous ne réalisons pas suffisamment, je pense, que Dieu est amour et que tout amour est Dieu. Lorsque nous rencontrons n'importe où un véritable geste d'amour, mais d'amour vrai, à ce moment-là nous rencontrons Dieu.

            Nous devons savoir que cet amour est toujours présent quelque part dans le monde. Et c'est lui qui comme un ferment, insensiblement, petit à petit opère la métamorphose de l'univers.

 

            Dieu, je l'ai dit tantôt, est le plus, le plus humble des pères. Il ne se met pas en avant mais il opère tout dans le secret de sa bonté, dans le secret de son humilité. Car c'est toujours à cette humilité qu'il faut en revenir lorsque nous parlons de Dieu.

 

            Voilà pour ce soir, si vous le voulez bien.

 

 

Homélie de la Vigile Pascale.                      15.04.95

 

Frères et sœurs,

 

            La résurrection de l'homme Jésus est l'explosion du mystère de Dieu à l'intérieur de l'univers matériel. Nous qui sommes la conscience éveillée de cet univers, nous savons maintenant qui nous sommes et à quelle prodigieuse destinée nous sommes promis. Nous savons d'où nous venons et où nous allons. Nous avons été passionnément désirés, longtemps attendus : notre âge est celui de l'amour et il a pour nom " éternité ". Oui, nous sommes les fruits d'un amour fou. Nés de l'amour, nous respirons dans l'amour et nous allons vers la plénitude de l'amour.

 

            Désormais, la peur doit être bannie de notre existence ; rien ne peut nous effrayer, nous arrêter, nous faire hésiter. Vivre en vérité, nous le savons, c'est d'abord mourir à soi, à son égoïsme, à ses convoitises, à la soif de pouvoir ancrée au plus secret de toute peur.

            Entrer dans la vie éternelle, c'est laisser derrière soi la chrysalide de son corps avec ses vanités sans nombre. Jésus est ressuscité et la mort biologique est devenue une plongée définitive en lui.

 

            Nos yeux de chair ne sont pas capables de discerner et d'admirer l'éclat pourtant très doux de la lumière maintenant partout présente. Il faut des yeux nouveaux et un coeur nouveau pour voir cette lumière qui est le Christ lui-même dans son état de ressuscité.

            La création est reprise, refaçonnée par le dedans. Elle est spiritualisée, transfigurée, divinisée. Dieu est tout en toutes choses et nous, fils de la résurrection, nous sommes chez nous partout en elle.

            La résurrection de Jésus et la nôtre en lui et la métamorphose du cosmos en lui et en nous est l'aboutissement final de l'incarnation du Dieu créateur. Le regard purifié des saints contemple cette merveille. C'est une admiration sans bornes, infiniment au delà du silence et de la parole.

 

            Nous savons, à présent, que le chrétien est un témoin de la résurrection. Il l'est par son optimisme, sa joie, sa paix, sa charité agissante. Pour lui, la résurrection est d'aujourd'hui, de chaque instant. Elle n'appartient pas à un lointain passé, hors de portée. Il la sent travailler son coeur, sa chair, son esprit et il n'a garde de se soustraire à son action.

            L'obéissance monastique consiste à demeurer consciemment sous sa puissance, à collaborer avec elle de manière intelligente, à se nourrir de l'amour dont elle est le véhicule. Obéir, c'est accepter de ressusciter.

 

            Tel est le message de grâce proclamé par le chrétien, quelle que soit la place qu'il occupe. Son rôle est de guider ses frères sur les chemins de cette vie, de les accompagner jusqu'au seuil de la bienheureuse résurrection.

            Nous qui sommes réunis pour la célébration pascale, nous allons nous y engager à nouveau en proclamant bien haut notre foi, en ravivant les énergies de notre baptême, en nous exposant tout entier et sans la moindre crainte aux grâces multiformes de cette nuit très sainte.

 

                                                                                                  Amen.

 

Homélie du jour de Pâques.                        16.04.95

 

Frères et sœurs,

 

            Nous fêtons en même temps la résurrection du Seigneur Jésus et notre propre résurrection en voie d'accomplissement. Cette fête de Pâques ne peut rester cantonnée à ce dimanche, elle doit soulever, porter chaque instant de notre vie. Elle doit imprégner de ferveur et d'audace toutes nos actions.

            Nous venons de l'entendre, l'Apôtre Paul est formel. Il parle d'expérience et il entend nous introduire au secret de sa joie. Nous sommes morts avec le Christ et ressuscités avec lui. Nous sommes cachés avec lui en Dieu, dans la lumière et dans l'amour et cela, déjà maintenant.

            Cette réalité doit se traduire pour nous dans des actes concrets. Nous n'avons plus, comme il le conseille encore, à nous cramponner aux choses de la terre. Nous n'avons pas le droit de nous replier frileusement sur nous-mêmes. Nous devons plutôt rechercher les beautés d'en haut, là où se trouve le Christ notre vie.

 

            Le chrétien est donc un être nouveau. En lui, on découvre du jamais vu, du jamais soupçonné. Ce que Dieu a préparé pour ceux qu'il aime n'est jamais monté au coeur des hommes.

            Le chrétien doit, pour bien faire, être une sorte d'apparition céleste. Il doit, par le fait qu'il est là, sans même énoncer la moindre parole, manifester la présence d'un mystère qui n'est rien moins que Dieu dans sa beauté.

            L'en bas et l'en haut se rencontrent et se marient dans la personne du chrétien. Cette découverte doit éveiller dans nos cœurs la plus folle des espérances.

 

            Le chrétien a aussi déposé les mœurs de l'homme esclave des passions multicolores, multiformes. Il est libre de la liberté de Dieu dans la lumière duquel il est mystérieusement caché. Le chrétien est un homme humble, doux, compatissant, bienveillant, aimant à la manière du Christ.

            Il est sur la terre non pas pour se faire servir mais pour servir. Il ne juge pas, il ne condamne jamais, il couvre la multitude des péchés. N'est-ce pas trop beau pour être vrai ? Non, il suffit de vivre en conformité avec ce qu'on est dans les profondeurs de sa conscience.

 

            Il faut être attentif, il faut veiller sur soi, il faut être attentif aux autres. Il faut pouvoir aller et venir, se mouvoir, travailler, manger, se reposer, se distraire à l'intérieur de cette réalité qu'on est devenu et qui est la résurrection en voie d'accomplissement dans nos cœurs, et pas seulement dans nos cœurs, mais dans toute notre chair, une chair transfigurée, une chair parfaitement pure.

            Non, ce n'est pas une réalité en dehors du réel, c'est ce qui est attendu de chaque chrétien. Il y a hélas encore et toujours le péché qui nous guette, c'est inévitable ! Mais ce n'est pas là un obstacle car le péché a lui aussi été englouti par la victoire du Christ sur la mort et sur le péché. Nous ne devons donc jamais nous arrêter à ce que nous pouvons avoir fait de mal. Nous devons toujours rester ouverts à la lumière qui nous purifie et qui est la personne du Christ ressuscité.

 

            Frères et sœurs, permettons à ces merveilles d'éclore en nous, n'y apportons pas d'obstacles, faisons confiance à Dieu. Ayons aussi confiance en nous-mêmes, ayons confiance dans les autres. C'est mon souhait de Pâques pour chacun d'entre vous.

 

                                                                                      Amen.

 

 


Homélie du lundi de Pâques.                       17.04.95

Se laisser emporter par le Christ !

 

Frères et sœurs,

 

            N'est-ce pas un fragment de notre propre histoire que nous venons d'entendre? Voyez comment alors on disait comme aujourd'hui l'argent achète tout. C'est pour 30 pièces d'argent, pour le salaire d'un mois de travail, que Jésus a été vendu. Et voici que pour fermer la bouche des gardes on leur remet encore de l'argent qu'ils acceptent. Nous connaissons de graves histoires de corruptions dans tous les milieux aujourd'hui. Ce n'est pas ça la vie chrétienne.

 

            La vie chrétienne, c'est la résurrection d'entre les morts. Dieu l'a ressuscité, dit l'Apôtre Pierre aux habitants de Jérusalem. Dieu l'a ressuscité car il n'était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir.

            Il s'agit ici, pour Jésus, de la mort physique. Il y a d'autres espèces de morts qui nous guettent : la mort, oui, au plan moral, oserais-je dire au plan spirituel, mais spirituel dans le sens étroit du terme, et la mort physique aussi bien sûr.

            Il n'est pas possible que toutes ces espèces de morts nous retiennent en leur pouvoir parce que nous sommes les fils de la résurrection.

 

            La cuve baptismale qui est là présente nous rappelle que nous avons été greffés sur le Christ. Ce n'est plus notre vie naturelle qui circule en nous bien qu'elle ne soit pas détruite. Non, c'est une autre vie dont nous ne pouvons avoir aucune idée. C'est la propre vie de Dieu, c'est celle qui a arraché Jésus au pouvoir de la mort.

            Et cette vie doit devenir le moteur de nos pensées et de notre agir et cela doit se traduire dans notre comportement quotidien. Il faut que lorsqu'on nous voit travailler, lorsqu'on nous entend parler, il faut qu'on dise : ceux-là, ce sont des disciples du Christ.

            Et si on ne connaît pas le Christ, il faut que ceux qui sont en face de nous, ceux qui nous côtoient sentent qu'il y a là quelque chose d'inconnu, un côté énigmatique qui les attire, qui fait question et qui est exactement le témoignage que nous devons rendre.

           

            Les femmes sont parties du tombeau tremblantes d'émotion et toutes joyeuses. Et c'est alors que Jésus s'est manifesté à elles. Elles lui saisissent les pieds. Cela veut dire qu'elles ne veulent plus qu'il se sépare d'elles. Et il ne peut plus avancer, elles le tiennent par les pieds. Et s'il doit disparaître, elles disparaîtront avec lui.

            C'est un peu cela que nous devons faire, tenir par les pieds le Christ ressuscité et nous laisser emporter dans son ascension là où il est. Si bien que un chrétien est sur la terre un homme qui vient d'ailleurs. Il vient de l'endroit où se trouve le Christ ressuscité et il rayonne la charité, la lumière et la paix. Le chrétien est un homme de réconciliation et de paix.

 

            Frères et sœurs, voilà, me semble-t-i1, ce que nous pouvons retenir aujourd'hui pour régler notre conduite bien pratique, bien concrète et avancer en tête de nos frères les hommes, leur ouvrir le chemin et ainsi discrètement, silencieusement mais bien efficacement, les conduire jusqu'à la porte de la vie véritable qui est une plongée à l'intérieur de la lumière.

 

            Hier, quelques instants avant l'ouverture de notre Eucharistie, nous venons de perdre un de nos frères qui est mort, qui s'est évanoui comme cela subitement en un instant, en une fraction de seconde. Et le jour de la résurrection, il a été emporté là où depuis longtemps il espérait aller, là où il était déjà.

            Mais c'est un peu le signe, la parabole de ce que nous devons espérer nous-mêmes. Non pas devoir mourir, ne pensons pas à cela car nous avons encore bien des choses à faire ici sur notre terre, mais mystiquement être déjà présent auprès du Christ, et alors, nous laisser remodeler par lui de façon à ce que nous puissions être en toute vérité les témoins de sa vie, de sa présence et de l'avenir qui nous est promis.

 

                                                                                                            Amen.

 

 

 

 

Table des matières de la Semaine Sainte de 1995.

 

Dimanche des Rameaux.                            09.04.95.................................. 151

Homélie à la bénédiction des rameaux............................................................................................................. 151

Homélie à l'Eucharistie des rameaux............................................................................................................... 152

Chapitre du Lundi-Saint.                           10.04.95................................. 154

Le geste de Marie de Béthanie............................................................................................................................ 154

Chapitre du Mardi-Saint.                          11.04.95.................................. 156

L’ambiance entre les disciples............................................................................................................................ 156

Chapitre du Mercredi-Saint.                      12.04.95............................... 159

Le jusqu’au bout de l’amour............................................................................................................................... 159

Homélie à l’Eucharistie du Jeudi-Saint.          13.04.95....................... 161

Faire comme le Christ.......................................................................................................................................... 161

Vendredi-Saint.                                    14.04.95......................................... 163

Homélie à la célébration...................................................................................................................................... 163

Exhortation à l’Office de Complies................................................................................................................... 164

Homélie de la Vigile Pascale.                      15.04.95............................. 166

Homélie du jour de Pâques.                        16.04.95............................. 167

Homélie du lundi de Pâques.                       17.04.95............................. 169

Se laisser emporter par le Christ !.................................................................................................................... 169

Table des matières de la Semaine Sainte de 1995............................. 170