Frères et Sœurs ,
Nous n'aurons pas la prétention de percer le mystère qu'est l'homme Jésus de Nazareth, le prophète de Galilée comme l'appelaient les foules. Même si nos lèvres vont parler comme il convient en ce jour, tout au fond de nous, nous nous tiendrons en silence devant Lui, un silence fait d'admiration, de respect, de confiance, d'amour.
Car Jésus, dans sa majesté et son humilité, dans sa divinité et son humanité, dans sa douceur, dans sa beauté, Jésus n'est pas loin de nous. Ne le rejetons pas dans un passé lointain et inaccessible. Il habite le ciel qu'est notre coeur. Il est plus intime à nous-mêmes que notre intimité la plus secrète.
Ne nous laissons donc pas égarer par nos pulsions organiques. Fermons nos oreilles à leurs appels et restons au creux de notre coeur, là où nous sommes vraiment nous, là où nous sommes vrais, là où nous sommes nouveaux, là où nous pouvons réellement toucher Dieu car c'est Lui qui le premier nous touche.
Ne cessons jamais de remonter à notre source, à celui qui est la Vie de notre vie, ce Jésus, le prophète de Nazareth caché au-dedans de nous.
Et alors, les kéroubim que Dieu chevauche ? Vous savez que tout l'Ancien Testament contemple Dieu porté par un équipage d'anges que l'on appelle les chérubins ou les kéroubim. Et voici que ce Dieu est là devant nous et les kéroubim prennent la forme d'une ânesse. Et nous le reconnaissons, Lui notre Dieu, sur le visage déjà torturé de Jésus.
Car Jésus à tous moments, en cet instants où les foules l'acclament, Jésus sait très bien, Lui, ce qui l'attend: l'échec, la défaite, l'abandon, l'esseulement, une douleur sans mesure et finalement la mort
Ce drame, il le portait en Lui quand il descendait le Mont des Oliviers vers sa ville de Jérusalem. Il savait trop bien ce qu’il y a dans l'homme, combien les foules délirantes sont versatiles, combien ses disciples, ses plus proches étaient faibles et encore malgré tout incrédules.
Mais comment Dieu peut-il aller à l'échec ? Tout simplement parce qu'il est l'amour et que l'amour est suprêmement pauvre, démuni, impuissant. L'amour s'offre, l'amour se donne, il ne contraint jamais. Si on le renie, si on est indifférent, si on le trahi, si on le rejette, il accepte de mourir et il reste toujours cet amour que rien ne peut atteindre.
Voilà, frères et sœurs, ce que vivait Jésus, ce que vivait Dieu au milieu de l'enthousiasme populaire. Et maintenant au coeur de notre coeur, il attend. Allons-nous lui tourner le dos à notre tour et faire notre vie comme s'il n'existait pas ? Allons-nous nous disperser au dehors ? Ou bien, allons-nous accepter de rentrer une fois pour toutes en nous-mêmes et d'y rester ?
Au cours de cette Sainte Semaine. nous aurons à renouveler ou à approfondir un choix, le choix bien sûr de la Vie véritable, de la Vie éternelle, de la Vie en communion de plus en plus étroite avec Jésus, avec Dieu, avec les trois personnes de la Trinité: le choix de l'Amour, de l'Amour qui nous est offert et qui est là avec le Christ dans notre cœur, le Christ Jésus. lui le plus humble, le plus doux, le plus beau des enfants de 1'homme.
Nous aurons ces sentiments éveillés dans notre coeur lorsque nous allons prendre nos rameaux et parcourir notre église à la suite du Christ. N'allons pas encore une fois penser qu'il est loin de nous ? Non, il est ici présent au milieu et plus que jamais présent au creux de notre coeur. Nous lui chanterons notre reconnaissance, nous lui dirons notre confiance. Et quoi qu'il arrive. nous savons qu'il sera toujours avec nous le premier .
Amen.
Frères et sœurs.
La Passion de Jésus, sa tristesse. son angoisse. son approche de souffrances sont inscrits en lui jusqu'à la fin des temps. Ces horreurs que l'on voudrait ignorer, que l'on voudrait oublier, sont gravées aussi dans la chair du monde et elles ne font que gonfler sans mesure. nous ne le savons que trop.
Retenons ceci : Jésus est le Fils de l'homme. Ce qui veut dire que Lui et tous les hommes, du premier au dernier, sont un seul Corps. Dieu, dans 1'homme Jésus, est venu affirmer, sacraliser pour jamais l'absolue dignité de 1'homme. Toute souffrance d'homme est une souffrance de Dieu ; tout ce qui atteint l'homme, tout ce qui le blesse est une blessure infligée à Dieu. Ne l'oublions jamais !
Le Christ lui-même l'avait dit : « Tout ce que vous faites au plus petit d'entre les miens. c'est à moi que vous le faites. Que vous le fassiez en bien, que vous le fassiez en mal, c'est toujours moi que vous touchez ». Et plus tard, c'est sur cette base que nous serons jugés.
La croix se dresse sur le monde pour nous clamer l’invraisemblable : Dieu a tant aimé le monde qu'il a livré son Fils unique non pas pour condamner le monde mais pour le sauver de ses crimes. « Il n'est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l'on aime » fussent-ils des renégats descendus au plus bas de la trahison.
Nous venons encore de l'entendre. Lorsque Judas s'approche et vient embrasser Jésus - c'était le signe qu'il avait donné aux autres - lorsqu'il embrasse Jésus, celui-ci ne lui adresse aucuns reproches ; il lui dit : « mon ami ». Il est resté son ami jusque là, il n'a jamais cessé d'être son ami.
C'est que pour Dieu, 1'homme est le reflet de ce qu'il est lui-même, un reflet presque éteint peut-être, mais jamais mort. C'est pourquoi Dieu, en Jésus, consent à une mort injuste, cruelle, infamante. Dans sa mort, il rassemble toutes les morts, absolument toutes, celles des innocents et celles des bourreaux, celles des indifférents et celles des saints, celles des enfants et celles des vieillards.
Aucune mort n'est étrangère à sa mort à lui. C'est lui qui meurt en eux et ce sont eux qui meurent en lui. Il n'y a plus de différences, il n'y a plus de distinction. Toute mort d'homme est la mort de Jésus et mort de Dieu.
L'incarnation de Dieu en Jésus est donc une réhabilitation de 1'homme, de tout homme. Tout homme est en effet une apparition du Fils de l'homme et revêtu d'une grandeur incomparable. Nous devrions nous agenouiller devant chacun d'eux. C'est ce que Jésus a fait en leur lavant les pieds peu avant de mourir.
Et pour nous, pour nous aujourd'hui, que faire concrètement ? Pensons d'abord que Dieu est capable d'opérer en nous le plus grand des prodiges et nous devons le laisser faire. Et ce prodige, le voici : il peut dilater notre coeur à la mesure du ciel.
Et alors, frères et sœurs, essayons de retenir ceci pour cette année, de le graver dans la chair de notre coeur. Retenons ceci : nous pouvons recevoir de Dieu, recevoir du Christ Jésus un coeur sans murailles, sans barrières, sans frontières, un coeur totalement ouvert, un coeur où tous les hommes, où tout l'univers aura sa place. C'est pour nous donner un tel coeur à l'image du sien que le Christ a voulu mourir.
Alors, frères et sœurs, encore une fois tendons nos mains pour recevoir ce cadeau. Il n'en est pas de plus extraordinaire et, c'est celui-là même que le Christ Jésus veut nous donner. Pourquoi alors refermerions-nous nos mains sur un quelconque avoir qui ne soit pas celui-là ?
Lorsque nous possédons un tel coeur, nous sommes absolument libres, nous sommes devenus l'amour ; nous avons accompli notre destinée d'homme et nous possédons déjà la vie éternelle, la propre vie de Dieu que nous pouvons déguster et que nous pouvons partager sans aucunes limites, sans aucunes mesures.
Frères et sœurs, demandons cette grâce les uns pour les autres. Et encore une fois, puisqu'elle nous est offerte, acceptons là ! A ce moment, quelque chose aura bougé dans le monde, quelque chose aura changé. Et ce sera, j'ose le dire, parce que le Christ caché dans notre coeur en aura pris totale possession. Et à travers nous, il pourra rayonner dans notre pauvre univers tout ce qu'il est, tout l'amour qu'il est.
Amen.
Mes frères, ma sœur,
Nous voici revenus ce soir dans la maison de Béthanie où se sont passées des choses merveilleuses dont on parlera jusqu'à la fin des temps. L'Apôtre que Jésus aimait a retenu un détail que les autres évangélistes ont laissé de côté. Nous devons prendre attention à ce que nous dit l'Apôtre Jean car ce souci des détails est prégnant d'une charge théologique et mystique profonde. Il en est toujours ainsi.
Il nous dit que la maison s'est remplie de l'odeur du parfum. C'était une odeur pénétrante, une odeur douce, une odeur revigorante, une odeur qui donnait la vie, une odeur qui était déjà porteuse de résurrection car elle avait touché le corps de Jésus et, de là, elle se répandait partout. Personne ne pouvait y échapper.
On dirait vraiment que l'Apôtre Paul a saisi au bond ce détail. Etait-il au courant ? Probablement, il nous dit en effet que nous devons être, nous les croyants, la bonne odeur du Christ à la gloire de Dieu parmi ceux qui se sauvent et parmi ceux qui se perdent, pour les uns parfum de mort à la mort, pour les autres parfum de vie pour la vie.
Voici donc le même parfum qui peut être cause de mort aussi bien que de vie. Nous en avons un exemple effrayant dans l'Apôtre Judas. Judas a déjà dans son coeur comploté la trahison de Jésus. Il pactise avec la mort. Cette odeur pénètre en lui et elle le précipite dans la mort. Car quelques jours plus tard - peut-être le lendemain nous n'en savons rien - il va trouver les chefs des prêtres pour leur livrer Jésus.
Par contre, pour ceux qui ont donné leur foi à Jésus, même s'ils sont faibles, même s'ils ne comprennent pas tout, même s'ils vont prendre la fuite, même s'ils vont renier comme l'Apôtre Pierre, ce parfum va devenir pour eux source de vie éternelle. Et au lieu de livrer Jésus à la mort, ils vont donner leur vie pour lui, pas tout de suite mais plus tard. Ce parfum pénètre le coeur et lentement, lentement le transforme. Par contre, lorsqu'il est facteur de mort, il agit très vite.
Mes frères, ma sœur, il y a ici une petite leçon pour nous car ce parfum, qui est le parfum du Christ, qui est le parfum de l'Esprit-Saint, qui est le parfum de la résurrection, il pénètre encore en nous aujourd'hui, nous qui sommes les disciples, surtout les disciples préférés, ceux qui l'aiment de façon particulière.
Mais, comme il y avait dans le collège des apôtres un homme qui était déjà vendu à la mort, attention qu'il ne se passe pas la même chose entre nous ! Ce n'est pas parce que nous sommes dans un monastère que nous sommes à l'abri de la faute et de la trahison.
Et nos dispositions profondes, celles de notre coeur, celles que nous tenons secrètes, elles se trahissent au dehors dans notre comportement à l'endroit des autres. Là est le teste infaillible, il est impossible d'y échapper. Donc, mes frères soyons très, très prudents !
Le parfum de Marie porte l'amour de cette femme. Et cet amour qui est déjà, qui est d'ordre surnaturel, qui est d'ordre divin, il est répandu aujourd'hui encore par le Christ dans notre propre coeur pour que à notre tour, nous posions le geste de Marie à l'endroit de chacun des hommes dans lesquels le regard très pur de notre foi nous fait reconnaître la personne du Christ .
Et quand je dis chacun des hommes, c'est d’abord ceux avec lesquels nous vivons et puis au-delà, de proche en proche tous les hommes. Nous ne pouvons pas en laisser un seul en dehors de notre coeur.
Nous devons être parfum du Christ pour nos proches d'abord et puis alors pour les plus lointains; pour ceux qui sont morts, et pour ceux qui vivent, et pour ceux qui viendront. Car celui qui s'est laissé métamorphoser par ce parfum devient agissant à travers les temps et à travers les espaces.
Nous avons donc à nous prosterner devant chacun pour répandre sur ses pieds l'amour qui emplit notre coeur et en déborde. Et c'est cela la vie chrétienne dans sa perfection : « A cela on reconnaîtra que vous êtes mes disciples si vous avez de l'amour les uns pour les autres ».
Si vous n'en avez pas, si dans une communauté monastique nous laissons un en dehors de notre amour, nous ne sommes pas disciples du Christ. Attention, nous commençons à regarder du côté de la mort ! C'est terrible, savez-vous mes frères; c'est très, très, très dur ! Et cette formule n'est pas de moi, elle est du Christ lui-même.
Maintenant, encore autre chose: l'odeur de ce parfum se répand à travers toute la maison et il sacralise cette maison. La maison de Béthanie devient ainsi une maison de Dieu. Béthanie signifie la maison de la pauvreté, la maison de la douceur, la maison de 1'humilité, la maison de celui qui se donne totalement en toute confiance et qui attend tout car il est démuni de tout.
Dieu est ainsi, Dieu est l'être le plus pauvre qui soit. Pourquoi ? Parce que il est l'Amour. J'aurais peut-être encore l'occasion de le dire au cours de cette semaine. Je l'ai déjà dit tellement de fois, mais il faut toujours le répéter jusqu'à ce que ce soit entré dans notre tête et descendu jusque dans notre coeur .
La maison de Béthanie, c'est donc déjà une maison de Dieu. Elle est la maison où le Christ, où Jésus est chez lui. Car il a dit un jour : « Apprenez donc de moi, non pas de gouverner le cosmos, non pas à créer des univers, non, non, non ! Apprenez de moi que je suis la douceur et 1'humilité jusqu'au profond de mon coeur. » Il est donc chez lui dans cette Béthanie, c'est sa maison à lui.
Et voici que cette maison emplie de ce parfum infiniment précieux devient maison de Dieu. Et le prodige annoncé par Jésus à Nathanaël se réalise : Marie voit les anges de Dieu descendre et monter au-dessus de Jésus.
Vous allez dire que ce n'est pas écrit. C'est certain que ce n'est pas écrit parce que l'on ne peut pas l'écrire. Les convives n'ont rien remarqué de cela. C'est un privilège qui a été réservé à Marie. L'amour est tellement humble, il est tellement ouvert que Dieu peut alors accorder à cet amour les choses les plus indicibles qui soient. Mais pas des choses fantastiques, non !
Personne ne le sait. C'est un secret entre Dieu et l'homme, ici entre Dieu et Marie. Elle a vu, mais réellement vu, que Jésus était Dieu et que les anges étaient tout entier à son service. Et la grâce d'une symphonie parfaite a été ainsi scellée entre Jésus et Marie par ce parfum. Et au-delà de la maison, c'est l'univers entier qui a été sacré temple de Dieu.
Les premiers moines dans leur désert. ils n'avaient rien. Ils n'avaient pas de radio, pas de TV, ils n'avaient pas de journaux, ils n'avaient parfois même pas de livres. Certains, la plupart, ne savaient ni lire ni écrire.
Mais ce qu'ils avaient, ils avaient l’œil ouvert, ils avaient des yeux de séraphins et leur coeur pur voyait Dieu dans l'immensité du cosmos. Ils habitaient le temple de Dieu et eux-mêmes étaient devenus temple de Dieu.
Et tout cela, mes frères, est implicitement formulé à travers ce parfum qui emplit la maison de Béthanie, oui, maison de Dieu ; l'univers devenant, étant la maison de Dieu. La présence de Jésus aujourd'hui ressuscité emplit le cosmos et il le rend sacrement de beauté et d'amour, de gratuité et de communion. Donc, l'univers matériel devient un sacramental.
Pour être plus précis, il est porteur de cette gratuité infinie de Dieu, de cet amour qu'il est et qu'il déverse sans arrêt sur chacun, sur les bons comme sur les méchants - il l'a bien dit - sur les injustes comme sur les justes. Il ne fait pas de distinction. Il attend que chacun s'ouvre à ce qu'il donne et finalement devienne ce que Lui est, c'est à dire beauté, gratuité, communion, amour.
Et le parfum mystérieux qu'est le Christ ressuscité, il est toujours présent; il est intégré à la vie divine et il en révèle la présence. Les âmes purifiées à l'image de celle de Marie courent à l'odeur de ce parfum. C'est une antienne que nous chantons et qui est extraite du Cantique des cantiques : Nous courons derrière toi à l'odeur de tes parfums. Et ces âmes très purs s'en délectent, et elle s'en nourrissent. Et il ne leur est plus possible de vivre en dehors de lui.
Ici, mes frères, nous sommes en plein dans la vie mystique. Cela ne doit pas nous inquiéter, çà doit au contraire éveiller en notre coeur l'espérance de recevoir un jour cette grâce.
Notre corps spirituel, ce corps qui est en train de naître en nous maintenant, il est doté de sens spirituels, de cinq sens spirituels comme notre corps physique est doté de cinq sens physiques.
Nous pouvons voir la beauté du Christ ressuscité, nous pouvons entendre sa parole, nous pouvons toucher son être merveilleux, nous pouvons sentir l'odeur vivifiante de son parfum et nous pouvons goûter la douceur de son être. C'est cela la vie éternelle !
Mes frères, nous n'avons pas à nous demander ce qui se passera après la mort ? C'est un grand problème aujourd'hui pour beaucoup de gens. Il paraît même des livres "La vie après la mort". C'est l'expérience de personnes qui sont revenues d'un coma très profond. Ils racontent ce qu'ils ont expérimenté. Mais l'essentiel n'est pas là. L'essentiel, voyez-vous, c'est d'être vivant avant de mourir. C'est vraiment malheureux de devoir être mort avant de mourir.
Or, nous sommes morts avant de mourir si nous sommes des esclaves de nos instincts biologiques, de nos pulsions organiques, de nos hormones, de nos glandes, de nos convoitises, de nos peurs. Si c'est cela qui nous conduit, mais nous sommes morts.
Par contre, si nous nous laissons conduire, si nous nous laissons guider par le meilleur de nous, c'est à dire cette part de nous dont s'empare le Christ, dont l'Esprit-Saint fait la demeure de Dieu, à ce moment là, nous passons de la mort à la vie.
Comme nous dit l'Apôtre nous ressuscitons avant de mourir. Avec le Christ, nous sommes déjà entrés dans l'univers nouveau; nous sommes déjà les princes de son Royaume. Et tout ce que je viens de détailler, nos sens spirituels peuvent le percevoir.
Alors, vraiment nous vivons avant de mourir. Et la mort biologique, elle est un éveil à ce que malgré tout ici-bas nous ne pouvons percevoir spirituellement qu'à travers une énigme, comme le dit aussi l'Apôtre qui a connu, lui, cet état.
Mes frères, l'Eglise qui est le Corps du Christ, elle est rendue vivante par ce parfum. C'est par lui qu'elle est pure et sainte. Et à l'intérieur de ce parfum, tout homme atteint une valeur inestimable. Je pense l'avoir dit hier dans une des homélies. Tout homme est devenu le sanctuaire de la divinité.
Le véritable temple de Dieu, ce n'est pas une maison de pierre. Il en faut bien une pour que le Corps du Christ puisse s'y réunir et prendre conscience qu'il est un Corps. Mais le véritable sanctuaire de Dieu, c'est l'homme. Et c'est pourquoi l'homme doit être non seulement respecté, mais il doit être vénéré.
Et nous verrons dans quelques jours le Christ s'agenouiller devant 1'homme ; Dieu s'agenouillant devant son image ; Dieu s'agenouillant devant le temple qu'est 1'homme. Et le parfum répandu par Marie sur les pieds de Jésus, il nous dit tout cela. Je vous assure que c'est un parfum magnifique, c'est à dire qu'il rend l'homme grand. Et à partir du corps du Christ, corps aujourd'hui ressuscité, ce parfum devient vraiment ce qui porte le monde.
Ainsi, nous sommes en quelque sorte créés par le geste de Marie, c'est à dire que nous serons notre exacte capacité d'amour. Et nous aurons notre exacte capacité d'amour si, à la manière du Christ, nous laissons tout simplement ce parfum se répandre sur nous.
Et comment va-t-il se répandre ? Eh bien, il se répand par cette fameuse obéissance, cette volonté de Dieu qui veut faire de nous des saints, c'est à dire des êtres qui soient le reflet parfait de ce que Lui est. Dieu a des mains; et ces mains, c'est l'obéissance, c'est ce qui nous est demandé de faire, c'est ce qui nous est offert.
Car à travers l'obéissance, c'est un cadeau que nous recevons, le cadeau de ce parfum. Et nous devons à travers l'obéissance permettre à Dieu d'inverser les rôles. Cette fois-ci, c'est lui qui oint nos pieds de parfum. Et ainsi, nous lui devenons semblable jusqu'au plus profond, jusqu'aux profondeurs les plus secrètes de notre être.
Ma sœur, mes frères.
La péricope évangélique dont nous avons entendu la proclamation ce matin a été amputée de deux versets. Le fil du discours en est allégé. A mon sens, les liturgistes ont commis une erreur. C'est une opinion personnelle et elle sera peut-être contredite ? Je ne vais pas jouer au contestataire.
Nous sommes entre nous ici et je vous partage mon opinion. Vous la comprendrez mieux lorsque je me serais expliqué. Ces deux versets sont à leur place où ils se trouvent, à leur place la meilleure. Et ces deux versets constituent le testament spirituel de Jésus. Ils sont le sommet de toute la révélation biblique. Ce n'est pas de la haute théologie, mais c'est le chemin que le Christ nous propose et, c'est la raison fondamentale pour laquelle il s'est incarné.
Vous savez que les théologiens se posent la question de savoir si le Verbe de Dieu se serait incarné s'il n'y avait pas eu de péché originel ? C'est très débattu ! Je me souviens au cours des études de théologie, c'était une question passionnante pour les théologiens. Mais lorsqu'on voit ces deux versets, on comprend que le Verbe de Dieu devait s'incarner quelque soient les circonstances, quelque soit la situation dans laquelle se trouvaient les hommes.
Et ces deux versets, les voici, je vais les traduire ainsi : « Je vous donne un commandement nouveau: que vous vous aimiez les uns les autres. Comme moi je vous ai aimés, vous devez vous aussi vous aimer les uns les autres. Et en ceci, tous reconnaîtrons que vous êtes des disciples pour moi si vous avez de l'amour les uns pour les autres ». Voilà le testament spirituel de Jésus !
Remarquez qu’au moment d'entrer dans sa passion - il y est déjà entré d'ailleurs, nous allons le voir - à ce moment crucial de sa vie, il ne commande pas à ses disciples d'aimer Dieu, mais il leur commande d'aimer l'homme, de s'aimer les uns les autres.
C'est facile, d'aimer Dieu. Dieu, il est loin, çà peut devenir une abstraction. Et un Dieu à notre image, un Dieu que nous imaginons, un Dieu à notre portée, un Dieu que nous pouvons mettre à notre service, il est facile de l'aimer. Mais par contre, aimer son frère quel qu'il soit, aimer l'homme quel qu'il soit, çà c'est autre chose !
Remarquons que ce testament spirituel de Jésus est pris en tenaille entre des allusions à deux trahisons : celle de Judas en voie d'accomplissement, celle de Pierre en voie de préparation.
C'est donc au moment où Jésus est saisi de troubles, de peurs à la racine de son esprit et où il le déclare, c'est à ce moment-là qu'il introduit la nouveauté absolue de l'Evangile.
C'est à partir de l'horreur qu'il ressent en lui qu'il parle d'un amour inconditionnel. Il offre le plus précieux de sa mission dans un contexte de trahison pour bien signifier jusqu'où l'amour doit porter, jusque au-delà de 1'humainement possible.
Vous vous rappelez sans doute ce qui était dit : Ayant dit cela, c’est à dire, celui qui mange mon pain, il a dressé contre moi le talon, il m’a donné un coup de pied. Alors, est-il dit : ayant dit cela, Jésus fut secoué, ébranlé, bouleversé dans son esprit, donc dans la partie la plus secrète de son être.
A la racine même de son être, il fut troublé. Le mot, c'est bouleversé. Il n'y a pas de correspondant exact en langue française. C'est une sorte de cataclysme qu'il a ressenti et, c'est alors dans un tel contexte qu'il nous lègue son testament. Il va mourir, il le sait bien.
Judas est sorti. Et l'Evangéliste note encore ce petit détail. Je vous l'ai dit, les détails chez Jean sont extraordinaires. Il dit : il faisait nuit. Donc Jésus est plongé au plus profond de la nuit. Ce n’était pas seulement la nuit météorologique, c'est aussi la nuit dans laquelle son âme était plongée.
Et cette nuit allait s'appesantir de plus en plus. Elle allait prendre possession de lui. Il allait souffrir l'abandon absolu puisque il n'aurait même plus conscience qu'il était soutenu par Dieu. Il dira : « Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » C'était fini ! Et alors, c'est à l'intérieur de cette tragédie qu'il nous laisse son testament.
Il y a aussi Pierre. Pierre, lui, c'est un impulsif : « Moi, je vais mourir avec toi! » Oui, et Jésus dit : « Mourir avec moi ? Le coq n'aura pas chanté que tu m'auras renié trois fois ». Voilà la lucidité de Jésus !
Et c'est entre ces deux, entre une trahison qui s'accomplit et un reniement qui se prépare qu'est enchâssé le testament de Jésus, cette perle qui est le plus profond, le plus beau, le plus somptueux de son coeur. Il s'agit d'un commandement nouveau qui n'existait pas auparavant. Il était dit: « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». C'est vrai ! Mais qui était le prochain dans le contexte de la première alliance ?
Le prochain, c'était le compatriote d'abord, c'était 1'homme de la même race. C'était celui-là qu'il fallait aimer comme soi-même. Mais ceux qui étaient étrangers à la race d'Abraham, ceux-là on n'avait pas à les aimer. Ici, c'est un commandement nouveau, il n'existait pas auparavant. Et la nouveauté, en quoi consiste-t-elle ?
Essentiellement en ceci, c'est que vous vous aimerez comme moi je vous ai aimés. Comme moi je vous ai aimé ? Or - et c'est la raison pour laquelle ces deux versets sont à leur place - or, il a aimé le traître et il a aimé le renégat. Si les deux se coupent de lui et de l'amour, lui ne les renie pas. Il ne les exclut pas, il ne les met pas à la porte de son coeur. Non, il continue à les aimer.
Il fallait donc, mes frères, que ce testament soit enchâssé comme dans une griffe, comme on enchâsse un diamant qu'on doit porter pour mettre en évidence, entre une trahison et un reniement. Alors nous comprenons mieux ce que le Christ nous demande : c'est son propre amour qui doit animer le nôtre.
Le comme qui est ici est saisissant et il est terrible. Nous devons nous aimer les uns les autres comme Lui continue à aimer le traître et ne cessera pas d'aimer le renégat. Voilà comment nous devons nous aimer !
C'est à dire que nous devons ouvrir notre coeur à l'impossible amour, à un amour tellement impossible à notre échelle qu'il renverse tous les préjugés, absolument tous. Et pour que ce prodige puisse se réaliser, il est nécessaire, vous le comprenez, que Jésus vive en nous.
Il n'est pas possible d'aimer de cette manière aussi longtemps qu'on ne peut pas témoigner comme l’Apôtre Paul : « Ce n'est plus moi qui vit, c'est le Christ qui vit en moi ! ». Et la preuve qu'il vit en moi, c'est que j'aime les autres comme Lui les aime. A cela, a-t-il dit, on reconnaîtra que vous êtes mes disciples si vous vous aimez les uns les autres. C'est la notre carte d'identité et notre certificat d'authenticité.
Mais encore une fois, c'est un sommet qu'il faut atteindre, ce n'est pas comme ça au départ. Nous ne serons jamais pleinement disciples du Christ car le comme sera malgré tout toujours relatif. Il n'y aura pas d'identité.
Il y aura identité dans le monde de la résurrection. A ce moment-là, nous ne ferons vraiment plus qu'un seul esprit avec le Christ. Nous serons totalement transparents les uns aux autres et nous pourrons aimer comme Lui aime. Mais ici-bas, nous serons toujours en état de croissance.
Maintenant, si je devais définir le péché, eh bien, je dirais qu'il n'y en a qu'un et c'est de ne pas aimer ainsi, de ne pas aimer les autres ainsi. Et lorsqu'il nous est dit d'un saint qu'il a le don des larmes, qu'il pleure - et on les voit - c'est parce qu'il n'aime pas les autres ainsi. C'était Arsène, je pense, qui pleurait tellement que ses larmes avaient creusé des sillons le long de ses joues, des rigoles.
Oui, nous n'en sommes pas encore là. Mais il me semble que si nous devons pleurer dans notre coeur, c'est parce que nous n'aimons pas exactement comme le Christ aime, comme il nous demande d'aimer, de nous aimer ici entre nous, nous qui sommes les membres les uns des autres.
C'est une exigence démesurée, mais nous ne pouvons rien en rabattre. Nous n'avons pas le droit. C'est un commandement, il n'a pas à être discuté, il n'a pas à être soupesé. Attention aux professeurs de morale et aux théologiens qui font de la morale parce que eux, ils parviendront toujours à arranger les choses pour mettre ça à notre portée. Non, ce n'est pas à notre portée, c'est d'ordre divin.
Nous sommes venus au monastère, nous avons été appelés à la vie monastique pour apprendre à aimer ainsi, à aimer sans mesure, sans calcul , sans réserve. Je ne vais pas entrer dans le détail parce que je n'en ai pas le temps et ce n'est pas le lieu. Et je pense que chacun peut faire l'expérience chaque jour de ce que peut signifier aimer comme le Christ nous le demande.
Le monastère est ainsi tout ensemble le lieu d'une mort et le lieu d'une vie. Le lieu d'une mort car nous devons mourir à notre égoïsme, à nos instincts, à nos peurs, à nos agressivités. Nous devons mourir à notre protection, à nos barrières, à nos frontières. Nous devons mourir à tout ça ! Nous devons devenir des êtres livrés, livrés aux autres comme le Christ. Il aurait très bien pu échapper. Il savait que Judas allait le trahir. Il n'a rien fait. Il l'a aimé jusque là.
Mais le monastère est aussi le lieu d'une vie car nous devons vivre, apprendre à vivre de la vie même de Dieu. Nous devons avoir un coeur qui accueille, un coeur qui fait confiance, un coeur qui ose croire, un coeur qui prend le risque de l'espérance, un coeur qui n'a pas peur de se dilater, de se laisser buriner pour en enlever toutes les aspérités, de se laisser vitrioler pour en enlever toutes les impuretés. Alors cela, c'est prendre le risque de le vie, de la vie véritable.
Car celui qui s'abandonne ainsi au travail de l'Esprit dans son coeur et dans son corps, mais celui-là, il communique à la propre vie de Dieu et il le sait. Le plus remarquable, c'est qu'il en a conscience, peut-être pas au début, mais à un moment donné, oui. Et il a conscience aussi de rencontrer Dieu quand il rencontre un homme.
Vous connaissez certainement cette expression de Saint Séraphin de Sarov qui vivait là tout seul dans son bois. Lorsqu'il rencontrait un homme sur son chemin, il s'exclamait : « O, le Christ est ressuscité ! ». Il le reconnaissait immédiatement dans le frère, dans 1'homme qu’il rencontrait. Il ne se demandait pas si cet homme était un brave homme ou un brigand, non, il était le Christ ressuscité. C'est jusque là que nous devons aimer !
Alors pour terminer, nous comprendrons mieux cette petite expression de Saint Benoît qui parle du moine qui a été élevé au 4° degré d'humilité. Il dit : non lassescat vel discedat, 7,97. qui ne se lasse pas et puis qui ne recule pas. Alors, il est donc là vraiment devenu une cible, une cible sur laquelle Dieu peut tirer toutes ses flèches. Il ne se lasse pas, il ne recule pas, il reste sur place.
Vous avez alors le sens du vœux de stabilité. Il ne faut pas bouger parce que on est exposé à ce feu qu'est l'amour de Dieu qui veut nous transformer nous-mêmes en brasier.
A ce moment-là, vraiment nous pourrons nous aimer les uns comme les autres. Mais en attendant, il faut comme le dit aussi Saint Benoît : patientiam amplecti, 7,96, il faut vraiment embrasser la patience et se dire que le frère qui aujourd'hui me paraît impossible, demain il sera une fleur. Et il commence déjà à l'être dans le paradis de Dieu, le paradisus qu'est le monastère, ce jardin où Dieu cultive des fleurs qui doivent s'harmoniser les unes les autres et dégager ensemble un parfum, le propre parfum de Dieu dont je parlais hier.
Voilà, mes frères, nous devons ainsi pouvoir aller jusqu'au bout du rêve que Dieu a sur nous car chacun de nous est un rêve. Dieu nous rêve. Mais laissons-nous rêver afin que au jour que lui seul connaît, nous aurons été métamorphosés. C'est le Christ qui vivra en nous et alors vraiment, nous pourrons aimer comme lui aime, nous serons vraiment ses disciples et le bonheur habitera notre coeur. Et nous pourrons diffuser autour de nous la lumière et aussi l'amour qui nous possède.
Ma sœur, mes frères,
Lorsque on s'approche de Dieu - du vrai Dieu, du Dieu de Jésus-Christ, pas du Dieu des philosophes - quand on s'approche de Dieu, on est immédiatement affronté à un univers de paradoxes, d'énigmes, d'obscurités. On commence à comprendre que Dieu se manifeste à l'intérieur d'une nuée, une nuée obscure, une nuée lumineuse parfois, mais une nuée.
On pourrait en arriver à douter, à se demander si on n'est pas dans l'illusion ? si ce Dieu que l'on cherche existe vraiment ? C'est qu'il n 'y a pas d'adéquation entre notre raison et Dieu. Pour saisir quelque peu la nature de Dieu et son être réel, notre raison doit être élevée à un étage supérieur. C'est ce qu'on appellera la foi, la foi qui est une participation à la connaissance que Dieu a de lui-même.
A ce moment-là, notre raison raisonnante démissionne et elle accepte d'épouser la sagesse de Dieu, sagesse qui jusque là lui paraissait folie. Aussi longtemps que l'homme demeure un être charnel - c'est à dire un homme qui construit sa vie sur sa raison, sur son jugement - tout ce qui concerne Dieu et son agir paraît folie.
Oui, la sagesse de Dieu, est la face démentielle de l'amour qu'il est. Cet amour ne se mesure pas à l'aune des hommes. Il aveugle par excès de luminosité et il effraye. Il obéit à une logique dans laquelle nous sommes, nous ses disciples et ses enfants, invités à entrer.
Dieu a fait de l'homme le temple de sa présence, le sanctuaire de son être à lui. Il en a fait l'apparition de ce qu'il est. Et remarquons, lui-même est le premier à s'incliner devant la dignité et la grandeur de 1'homme et à lui vouer un respect inconditionnel. L'homme est pour Dieu ce qu'il y a de plus précieux, tellement précieux que il s'est sacrifié pour 1'homme. Il a accepté de mourir pour l'homme.
On conçoit bien dans notre univers à nous qu'une mère puisse se sacrifier jusqu'à la mort pour son enfant. Cela se rencontre. Il y a des situations où la mère voit dans son petit enfant, et même dans son grand enfant, ce que cet enfant est, un morceau d'elle-même. Et pour récupérer ce morceau, pour le sauver, pour lui rendre vie, elle consent à le mettre au monde de nouveau. Mais elle le mettra au monde en sacrifiant sa vie pour lui.
Eh bien Dieu, lui, il réagit de la même façon en présence de 1'homme. Et alors nous, nous mes frères, comment réagissons-nous les uns en présence des autres ? Nous devons parfois nous poser la question.
Nous voyons aujourd'hui, nous l'avons vu ce matin, ce que Dieu a fait à l'endroit de l'homme. Et avouons que notre raison abandonnée à elle-même ne comprend pas. Jésus sait très bien ce que trame Judas. Il y a longtemps qu'il l'a remarqué. Or, il ne lui adresse aucun reproche. Il essaye seulement de le retenir sur la pente qui conduit à l'abîme. Il est profondément peiné, il souffre atrocement, mais non pas sur son propre sort, mais sur celui de Judas.
Je rappelle ce qu'il a dit : « Le Fils de l'homme s'en va selon ce qui a été écrit de lui. Mais malheur à cet homme par qui le Fils de l'homme est livré. Il eut été préférable pour lui qu'il ne fut pas né cet homme-là » Et Judas entend cela !
Avant cela, Jésus s'est agenouillé devant Judas et lui a lavé les pieds. Il n'a pas sauté au-dessus de Judas. Tous les Apôtres et Judas étaient là. Par après, il lui a présenté la bouchée.
Il faut savoir que dans ce repas, lorsque le maître de maison présentait à un hôte, à un convive la bouchée, c'était pour l'honorer. Il n'y avait qu'une bouchée qu'il donnait. C'était celle-là, et il la donne à Judas.
Donc il a tout fait, absolument tout fait pour empêcher que Judas aille au bout de son projet. Mais voilà, il n'y avait rien à faire car Judas n'écoutait plus. Judas était devenu sourd.
Là, mes frères, il ne faut pas essayer de comprendre. Il n'entendait plus, il n'écoutait plus mais se réveillera plus tard, trop tard et il ira se pendre. Et pourtant, jusqu'à l'intérieur de ce suicide, Dieu sera présent. Non pas pour condamner, mais pour compatir. Pardonne-leur, dira-t-il, car ils ne savent pas ce qu'ils font. Et Judas était compris à l'intérieur de ce pardon.
En face de cette folie qui est gratuité pure se dresse son contraire. Et son contraire, c'est le calcul, c'est la froide raison. Vous n'avez donc pas compris, dira le grand prêtre en exercice cette année, vous n'avez donc pas compris qu'il est préférable qu'un seul homme meure plutôt que toute la nation ne périsse. Oui, le calcul ! C'est froid, c'est logique, c'est comme ça !
Il y a la cupidité, le marchandage. Un des douze appelé Judas s'en alla trouver les grands prêtres et il leur dit: Que voulez-vous me donner et moi je vous le livrerai. Le marchandage, c'est le contraire, le contraire de cette folie d'amour qui possédait le Christ, qui était le Christ. Or, mes frères, ce qu'il y a encore derrière tout ça, c'est l'absence de pitié.
J'ai lu dernièrement un petit article assez bien rédigé, même très bien rédigé dans les feuillets économiques du journal. C'est le lieu d'une lecture spirituelle parfois très intéressante. "les nouvelles tables de la loi" était, je pense, le titre de l'article. Nous connaissons les anciennes Tables de la Loi, maintenant il a des nouvelles.
Et ces nouvelles lois sont détaillées, mais elles aboutissent toutes à ceci : c'est que les lois, ces lois qui sont les lois de l'économie, les lois de la finances, les lois de la compétivité dont on parle tellement aujourd'hui, les lois du profits, toutes ces lois n'ont pas de coeur.
Malheur aux perdants, il ne peut y avoir que des gagnants. Et pour gagner, on écrase. Celui qui doit gagner ne peut pas avoir de coeur, sinon il ne gagnera pas. Pas de sentiment, pas de pitié, telles sont les lois du monde d'aujourd'hui. C'est bien souvent ainsi !
La rentabilité, oui ! Eh bien, ce n'est pas le monde de Dieu, ce n'est pas le monde du Christ !
Mais malgré tout, mes frères, soyons sincères ! Tous ces sentiments que je viens de détailler, ils grouillent dans notre coeur quand nous n’aimons pas ou que nous n'aimons pas assez. Comment se fait-il que je puisse ne pas aimer un frère ? Mais si je veux aller au fond des choses, c'est parce qu'il me gêne. Il serait …… qu’il est Dieu et qu'il est l'amour.
Et aimer l'homme ainsi, c'est s'aventurer sur la route suivie par le Christ. c'est accepter de devenir fou pour être vraiment sage et, c'est être un chrétien à part entière !
Voilà, ma sœur, mes frères, ce qui nous est rappelé en ces jours-ci, ces jours bénis qui nous replacent dans notre vérité, notre vérité d'aujourd'hui, c'est à dire notre vérité de pécheur; et dans notre vérité de demain qui est notre vérité d'hommes appelés la sainteté, d'hommes qui sont déjà des saints et qui le deviendront de plus en plus. Il n 'y a pas, je vous assure, de distance, il n 'y a pas d’intervalle entre le pécheur et le saint.
Le saint, c'est un pécheur qui sait qu'il est pécheur. Regardez ! Lorsque le moine est arrivé au-dessus de l'échelle de l'humilité et qu'il entre dans les espaces immenses de la charité, de l'amour, il ne fait que se dire : O mon Dieu, je ne suis qu'un pécheur ! C'est cela la sainteté !
Et voilà, je vous souhaite de bien vivre ces quelques jours dans l'esprit que j'ai essayé, maladroitement peut-être mais tout de même de tout mon cœur, que j'ai essayé de dégager. Et ainsi, nous serons peut-être plus près de ce que Dieu attend de nous. Nous en serons plus heureux aussi car le véritable bonheur, c'est de reconnaître le Christ, c'est de reconnaître Dieu dans le frère.
A ce moment-là, ce sont des courants de communion qui passent. Le Corps se construit, se fortifie, le Corps du monastère, le Corps du Christ. Et c'est déjà un avant-goût, petit mais bien réel, de la béatitude éternelle.
Frères et sœurs,
Depuis dimanche dernier, nous entrons toujours plus profondément à l'intérieur du mystère de Jésus le Christ notre Seigneur; mystère qui est aussi le nôtre car avec lui nous ne formons qu'un seul Corps. Il est notre tête et nous sommes ses membres.
La scène du lavement des pieds devrait être présente à la racine de chacune de nos pensées et de chacune de nos actions. Elle est indissociable du commandement de l'amour, commandement fondateur de 1'Alliance Nouvelle. Elle est indissociable de l'Eucharistie dont elle a été la mise en œuvre symbolique. Dans le lavement des pieds, Jésus s'est donné ; dans l'Eucharistie, Jésus s'est donné.
Frères et sœurs, comprenons d'abord que dans le christianisme, les perspectives sont inversées. Le testament de Jésus, sa dernière volonté, sa dernière parole, ce n'est pas d'aimer Dieu, c'est d'aimer 1'homme. Et il s'agit d'aimer l'homme dans son animalité, l'homme avec ses limites, l'homme avec tout ce qui en lui peut nous rebuter et nous faire peur.
C'est en dépassant nos répugnances, nos peurs, nos instincts d'autoprotection, c'est en aimant l'homme tel qu'il est que, en vérité, nous atteignons Dieu. Depuis que Dieu s'est fait homme, depuis le fait de l'incarnation, il est impossible de rencontrer Dieu sans passer par l'homme.
Ne l'oublions jamais, frères et sœurs, le testament légué par le Christ, le testament éternel, c'est celui-ci : il s'agit - comme l'a très bien dit Maurice Zundell, ce prêtre Suisse qui est mort voici une vingtaine d'années - ce qui importe, c'est de rencontrer le testament du Christ qui raisonne comme ceci : c'est d'aimer l'homme pour être sûr de ne pas manquer Dieu.
Si nous pouvions retenir cette consigne, je pense que notre vie en serait transformée. L'enjeu de notre conversion porte précisément sur ce point : aimer l'homme pour être certain de ne pas manquer Dieu. Cela signifie que si je n'aime pas l'homme, je n'aime pas Dieu. Il n'est pas possible d'en sortir.
Le réalisme de ce testament proprement divin est souligné de manière la plus irrécusable par le lavement des pieds. Vous ferez vous-mêmes comme je vous ai fait. Ce n'est pas un conseil qui peut être suivi ou non, c'est un ordre. Et nous somme au coeur de l'engagement chrétien.
Le sanctuaire de la divinité, ce n'est pas une montagne, ce n'est pas un temple de pierres ; le sanctuaire de la divinité, c'est l'homme tel qu'il est. Et en s'agenouillant devant ses disciples, en s'agenouillant devant l'homme, Jésus s'est agenouillé devant son Dieu et notre Dieu.
Et c'est lui aussi qui mystérieusement habite tout homme, tout homme qui a faim, tout homme qui est nu, tout homme qui est sans abri ou en prison, tout homme sans distinction de race, de culture, d'âge, de condition.
Frères et sœurs, il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Jésus avait le droit de parler, il a donné sa vie jusqu'au bout de l'amour. Et à ce moment-là, nous entrons dans l'Eucharistie. Car donner son corps à manger sous les apparences du pain, donner son sang à boire sous les apparences du vin, il n'est pas possible d'aller au-delà.
Mais attention ! Ne nous méprenons pas ! L'Eucharistie n'est pas, ne peut jamais être un foyer d'idolâtrie ou de magie. L'Eucharistie, c'est l'impossibilité d'aller à Dieu autrement qu'ensemble.
Et ensemble veut dire que lorsque nous nous approchons de l'autel pour partager le corps et le sang du Seigneur Jésus, nous apportons toute l'humanité avec nous, toute son Histoire avec ses douleurs, ses faiblesses, ses détresses, ses misères, ses culpabilités, ses crimes, ses péchés; mais aussi avec toutes ses espérances.
Et ensemble veut dire que nous devons totaliser tout cela en nous. Chacun de nous doit mystiquement devenir tous les autres. Et alors s'accomplit le mystère de notre transfiguration. Vraiment alors nous nous interpénétrons. C'est la même vie qui circule en chacun et en tous. Dans 1'Eucharistie, nous venons à Jésus comme son Corps Mystique, Corps Mystique dans lequel chacun est chez lui.
Retenons encore ceci, frères et sœurs ! Nous ne pouvons aller au Christ, nous ne pouvons aller à Dieu en laissant un seul homme hors de notre amour. Ce sont là des exigences qui paraissent démesurées et c'est pourquoi notre religion chrétienne est un risque difficile, mais c'est un risque à prendre.
C'est le risque de l'amour. Nous devons aimer, nous devons aimer chacun des hommes. Nous ne pouvons en laisser aucun, absolument aucun à l’extérieur de notre coeur. Mais ce n'est pas simple car nous avons peur, car nous avons besoin de nos sécurités. Nous n’ouvrons pas facilement notre porte.
Et pourtant, nous devons avoir - comme je l'ai rappelé dernièrement - un coeur sans barrières, un coeur sans frontières, un coeur sans murailles, un coeur qui est une place ouverte où chacun peut se trouver chez soi.
Tel est, frères et sœurs, le mystère que nous célébrons particulièrement aujourd'hui. Mais si vous le voulez bien, permettez-moi de répéter ce mot extraordinaire de ce grand théologien que fut Maurice Zundell, Aimer l'homme pour être sûr de ne pas manquer Dieu !
Amen.
Frères et sœurs,
Il est tombé de la bouche de Pilate des paroles qui dépassaient bien loin ses intentions. Dans son esprit, c'étaient des paroles de moquerie, ou bien des paroles de provocation, ou bien des paroles d'humour sinistre.
A ce moment-là, il était comme un prophète. Il proclamait des vérités qui feront trembler les hommes et l'univers jusqu'à la fin des temps. « Voici l'homme ! » a-t-il dit, a-t-il osé dire en exposant aux hurlements de la populace Jésus vêtu d'un manteau de pourpre et la tête couronnée d'épines. Comment ne pas frémir ?
Quelle horreur et quelle beauté ! Jésus, Dieu avec nous ; Jésus, Dieu pour nous ; Jésus s'est identifié à l'homme, l'homme qui roule au plus profond des abîmes parce qu'il a peur d'aimer, parce qu'il ne sait pas aimer, parce qu'il se barricade dans ses peurs, parce que aussi il se défigure ; l'homme qui se ferme sur lui-même.
On est pleinement homme lorsqu'on est transparent aux autres. Mais dès qu'on se défend et dès qu'on agresse alors on perd sa qualité d'homme. Cela peut aller très, très, très loin, nous ne le savons que trop.
Et voilà que Jésus a voulu devenir une caricature d'homme, de cet homme livré à tous ses instincts et être torturé à mort par eux !
Frères et sœurs, nous reconnaissons-nous dans un tel homme ? Si nous avons en nous un grain d'humilité, si nous sommes témoins de la vérité, nous répondrons par l'affirmative, à notre honte. Ne sommes-nous pas victimes de notre biologique, de nos instincts de possession, de domination, de notre besoin de réussir, de nous affirmer, fut-ce au dépens des autres. Nos sécurités animales sont dérisoires, elles sont construites sur du vent et, nous nous y accrochons.
Eh bien, Dieu en Jésus a pris tout cela sur lui. Il l'a pris pour nous ouvrir les yeux, pour transpercer notre coeur, pour nous éveiller à notre véritable vocation d'homme, notre vocation qui s'accomplit dans l'oubli de soi, dans la dépossession et dans l'amour. Il nous dit ce que nous sommes à l'intérieur de notre péché et ce que nous devons devenir en lui.
Car l'homme est promis à un destin prodigieux : devenir fils de Dieu en étant un avec le Christ dans l'amour. Alors l'homme sera roi, juge et sauveur de l'univers. C'est ce que Pilate - encore lui - annonçait en installant Jésus sur l'estrade du jugement et en proclamant à la face du monde : Voici votre Roi !
L'homme est appelé à une royauté cosmique. Nous sommes tous et chacun d'une grandeur et d'une dignité sans égale. En avons-nous conscience ? Avons-nous suffisamment confiance en nous ? Nous sommes de race noble, nous sommes de race divine : vivons-nous en accord avec notre véritable origine ?
Mais faut-il que l'homme passe par la croix et la mort pour être investi de sa royauté ? Il le doit et il ne faut pas craindre de le dire. Mais attention ! Toute souffrance en Lui et toute mort sont souffrance et mort de Dieu. Jésus dans le dérisoire et l'absurde de son échec a donné un sens à tout l'absurde de l'homme.
Dans son accoutrement dérisoire, Jésus nous dit silencieusement que la vraie royauté n'est pas une domination sur un monde d'objets. Pilate parlait de pouvoir. Oui, il était investi d'un pouvoir, mais c'était si peu, si peu de chose. L'atroce et l'intolérable de la vie vient de ce que nous sommes encore des choses, des objets, des êtres soumis aux énergies obscures de notre nature. Nous sommes bien tout autre chose que des flux pulsionnels générés par des glandes et des hormones.
Jésus a tout pris sur lui, tout, absolument tout de nos égoïsmes, de nos méchancetés, de nos guerres, de nos reculades. Il veut nous rendre libres, il veut nous investir d'une royauté fondée sur la gratuité, sur l'amour, sur le service.. Il veut nous faire passer d'un simulacre de vie à la vie véritable, la sienne.
Il ne contraint personne. Il attend, il s'offre. Il attend que nous lui fassions confiance, que nous nous donnions à lui. Il attend que nous le reconnaissions dans nos frères et nos sœurs. Il attend que nous nous mettions à son service, au service des hommes.
Oui, il est si facile, si facile de servir un Dieu hors de notre portée. Mais servir le frère, servir l'homme qui est là devant nous, l'homme qui s'approche de nous ou avec qui nous vivons, c'est bien plus dur. Et pourtant dans cet homme, c'est le Christ lui-même, c'est Dieu lui-même que nous rencontrons et que nous servons.
Frères et sœurs, la passion du Christ, c'est la nôtre en lui. Soyons donc éveillés à ce mystère pour nous-mêmes et pour nos frères. Laissons-nous vaincre par l'amour et lançons alors le monde vers sa véritable destinée qui est de devenir le Royaume de Dieu et notre royaume à nous.
Car Dieu n'humilie jamais, Dieu désire nous élever jusqu'au coeur de sa propre vie. Il veut partager avec nous tout ce qu'il est. Voilà ce que Pilate disait sans trop bien savoir ce qu'il disait : Voici l'homme et voici votre Roi !
Frères et sœurs, n'hésitons plus ! Faisons à Dieu ce plaisir de lui donner notre foi, de croire en lui ; de donner aussi notre foi à nos frères et à nos sœurs, d'ouvrir nos cœurs à ce qu'ils attendent de nous.
Et si nous pouvons ainsi devenir les uns pour les autres une ouverture, un accueil, un don, un appel, une promesse, alors vraiment nous serons des hommes accomplis et nous serons vraiment les rois de la création.
Frères et sœurs,
Que dire après avoir entendu la belle homélie du Cardinal Ratzinger ? Que dire encore de cet être que nous appelons Dieu, cet être qui est au-delà de tout nom, cet insaisissable qui est le vide et qui est le rien, cet être qui est l'amour au plus profond de notre coeur.
Le Samedi-Saint, ce que nous appelons le Samedi-Saint a été le jour le plus long de l'histoire cosmique. Le mal, le péché, la mort avaient triomphé du Christ et de Dieu. C'était la fin de tous les espoirs, le glas d'un monde, l'épaississement d'une nuit atroce. Et pourtant tout continuait à tourner comme si de rien n'était.
Caïphe et ses complices, Pilate et ses soldats, les citadins, les pèlerins se reposaient dans la paix du sabbat. Leur conscience était tranquille, ils avaient fait leur devoir. Ils avaient débarrassé Israël d'un imposteur, d'un gêneur, d'un révolutionnaire, d'un homme qui se prétendait fils de Dieu. Les disciples, eux, ils retourneraient bientôt à leurs filets et à leurs comptoirs. La page était tournée.
Il existe deux univers qui s'interpénètrent sans jamais se rencontrer : l'univers des hommes tout de superficialité, d'inconscience, d'ivresse, de lutte, de compétition comme on dit aujourd'hui, ou plutôt de compétitivité ; et l'univers de Dieu qui est tout de souffrance, d'attente, de solitude, de fol amour.
L'être le plus solitaire qui existe, n'est-ce pas Dieu ? Qui se préoccupe vraiment de lui ? N'est-il pas préférable de se construire une idole, un dieu à sa mesure, un dieu sur lequel on a barre, un dieu qui est à notre service et qui peut nous assurer le succès ?
Mais Dieu, le Dieu qui est amour, c'est un Dieu qui est seul. Aussi, une des plus grandes grâces que ce Dieu peut accorder à quelqu'un qui s'ouvre à son mystère et qui est prêt à tout accueillir, la plus grande grâce qu'il puisse lui accorder, c'est de l'entraîner avec lui dans la solitude du Samedi-Saint.
Alors, c'est le vide, c'est le rien, c'est le doute, c'est l'illusion. On ne sait plus, on ne croit plus, on n'espère plus, on n'aime plus, on est perdu. Mais c'est alors au creux de cet esseulement que finalement les yeux du coeur vont s'ouvrir parce que c'est dans le Samedi-Saint que nous pouvons véritablement rencontrer Dieu. Le Cardinal Ratzinger vient de le dire en d'autres mots, mais c'est cela le sens le plus beau du message qu'il vient de nous délivrer.
Dieu a tenté de réunir l'univers des hommes et l'univers de Dieu dans la personne de son Fils Jésus. Et voilà que ce Samedi-Saint signe un bilan abstrus, l'échec total. Dieu ne serait-il pas celui qui ne réussit jamais ? Mais qui est Dieu ? Qui donc nous le dira ?
Le grand et saint samedi nous apporte quelques éléments de réponse. Je vais tenter avec de pauvres mots, des mots bien maladroits de l'évoquer devant vos yeux. Dieu ne finira jamais de nous surprendre, de nous étonner, voir de nous scandaliser. Dieu est tout entier dans cette réflexion sortie un jour de son cœur : ils respecterons mon fils !
Vous connaissez l'histoire : le maître de la vigne avait envoyé des serviteurs et les tenanciers les ont attrapés, ils les ont battus, ils les ont tués. Il en envoie d'autres et l'affaire recommence. Et finalement il se dit : « Ils respecteront mon fils. C'est lui que je vais envoyer. »
Naïveté sans borne, confiance éperdue, amour et toujours amour, tel est Dieu. Et quoi qu'il lui en coûte, il ne désarme pas. Il ne peut d'ailleurs pas désarmer, c'est impossible. Chaque instant est pour lui un commencement nouveau, un commencement absolu, une origine nouvelle, un monde qui surgit de son coeur qui est amour.
Dieu est le grand naïf. Et alors pourquoi, nous, ne partagerions nous pas sa naïveté, sa confiance, son amour ? C'est là qu'il nous attend, c'est de cela qu'il veut nous combler. Mais voilà, nous avons peur car être naïf , être confiant, c'est se livrer à bien des déconvenues et tôt ou tard sombrer à l'intérieur du Samedi-Saint.
Au fond de l'abîme dans lequel l'homme, le péché, la mort ont jeté Jésus qui, ne l'oublions jamais, est Dieu, au fond de cet abîme, il reste amour, il est l'amour. Et c'est cela son nom, et c'est cela sa victoire !
Le Samedi-Saint nous dit aussi que si Dieu est amour, il est aussi espérance. Dieu conserve intacte sa foi en l'homme même quand il sait très bien ce qu'il y a dans l'homme, combien les hommes sont versatiles, combien les hommes sont lâches, combien les hommes sont peureux, combien les hommes sont vindicatifs.
Mais non, il conserve intacte sa foi en l’homme. Il a pris sur lui tout le négatif de l’homme pour ne lui laisser que l'étincelle originelle de lumière et de beauté. Et tout est gagné lorsque chez l'homme finit par coïncider le plus intime de lui avec cette étincelle.
C'est un labeur auquel Dieu se livre sans jamais se lasser : faire coïncider l'homme avec l'étincelle qui est la source parfaitement pure de son être. Car il y a tout au fond de nous une source qui est pureté. Et cette source, c'est Dieu.
Et c'est pourquoi - comme je l'expliquais encore dernièrement - nous devrions nous agenouiller, nous prosterner devant chaque homme comme le Christ Jésus l'a fait peu avant d'entrer dans sa passion. Et il nous dit : « Ce que j'ai fait, eh bien, faites-le vous aussi ! C'est un exemple que je vous ai donné. Lavez-vous les pieds les uns des autres, prosternez-vous aux pieds les uns des autres ! »
L'homme deviendra finalement ce que Dieu rêve de lui. Non pas un paquet de cellules, mais un fils partageant sa propre vie. Le Samedi-Saint est 1'heure de l'engendrement de 1'homme à son être de fils. Et le lieu de cet enfantement, c'est l'espérance démesurée qui demeure indemne en Dieu au creux de la mort.
Nous, chrétiens, qui savons ce que les autres ignorent, nous devrions être les témoins de Dieu jusque dans cette folie : savoir croire en l'homme, espérer en l'homme même et surtout lorsque tout nous crie que c'est inutile, qu'il n'y a rien à faire, que tout est vain, que tout est perdu d'avance ; et malgré cela, croire en l'homme.
C'est un devoir auquel nous ne pouvons nous dérober. On se moquera de nous, on nous critiquera, on nous condamnera peut-être ? Eh bien, tant pis, c'est alors que nous serons vraiment les enfants de notre Père, les frères du Christ jusqu'au bout de l'amour.
Frères et sœurs, telle est la grande leçon de ce Samedi-Saint, de ce jour qui devait ne pas prendre fin, de ce jour qui a été un jour de ténèbres, un jour de vide, un jour de désespoir mais qui tout au fond portait l'espérance, la foi de Dieu dans l'homme.
Eh bien, nous ne resterons pas à l'arrière. Nous aussi, nous aurons foi dans l'homme et ainsi nous aurons foi en Dieu.
Et lorsque nous serons nous-mêmes dans le vide et dans le rien, lorsque notre coeur sera serré parce que nous ne verrons plus clair, à ce moment-là, tout au fond de nous, une petite voix nous dira que nous sommes installés, établis dans la vérité parce qu'il ne nous restera plus aucune issue que de nous abandonner à ce vide qui est la demeure de Dieu, à ce Samedi-Saint où il s'est révélé d'une manière invraisemblable.
Et pourtant, c'est bien vrai !
Frères et sœurs,
Nous sommes emportés tous ensemble dans les flots d'un fleuve au courant imposant, lent, magnifique. C'est ce fleuve qui réjouit, comme dit le psaume, la Cité de Dieu. Il l'irrigue en toutes ses parties et il lui donne vie. Car ce fleuve, c'est le fleuve de la Vie Eternelle et il prend sa source dans le coeur de Dieu.
Cette eau venue de Dieu est transparente, elle est pure, elle est cristalline et elle est vivante. On peut lui donner une foule de noms à elle qui est à l'origine de tout ce qui existe. Les femmes, en découvrant le tombeau vide, et les anges, et la merveilleuse nouvelle, ont été mystiquement purifiées, transfigurées, par cette eau et elles nous invitent cette nuit à partager leur émerveillement et leur joie.
Il n'était pas possible que la mort eut le dernier mot, que tout sombra dans le néant, que le rien triompha, que la vie fut une illusion, la plus dangereuse de toute. Non, ce n'était pas possible, le dernier mot devait être à l'amour, à l'amour qui est plus fort que la mort.
Si nous avons été attentifs à la Parole de Dieu, nous aurons compris que la mort, la mort physique, n'est jamais qu'une pâque. Elle est un passage. Elle est un passage vers cette cité qui est irriguée par l'amour et par la vie, cette cité qui est Dieu lui-même et dont le Christ est le Prince et la Lumière.
Par le baptême, nous avons été greffés sur le Christ. Il est notre tête, nous sommes ses membres, ensemble nous formons un seul Corps. Et déjà maintenant nous sommes ressuscités en espérance, c'est certain ! Mais l'espérance est ce qu'il y a de plus certain car elle est une participation à la possession que Dieu a de son être.
Oui, lorsque l'homme-Jésus s'est relevé après l'épouvantable et longue nuit du Samedi-Saint. Il a signé pour l'éternité la victoire de la vie et la victoire de l'amour. Car amour et vie ne peuvent être disjoints, c'est une seule et même entité. Celui qui n'aime pas demeure dans la mort, la véritable mort celle-là, la seconde mort. Oui, tandis que celui qui aime, il est entré dans la vie car la puissance de Dieu l'habite et tout - absolument tout - lui est possible.
Rien ne peut arrêter l'amour, l'anéantir, le freiner. Il est le souverain, il est la vie, il est Dieu et il coule vers nous et en nous. Il est le fleuve et c'est sur ses flots que nous sommes emportés. Il nous emporte au plus intime de nous-mêmes, au plus intime des autres et au plus intime de Dieu.
Les paroles, même inspirées, sont incapables d'évoquer la beauté de ce fleuve qui est la Vie. Elles sont pourtant nécessaires car elles portent l'Histoire et elles nous relient à elle. Cette Histoire, c'est nous et nos immenses pauvretés, nos erreurs, nos péchés, nos égoïsmes, nos convoitises, nos peurs, nos cruautés.
Cette Histoire, nous venons de la suivre depuis son origine jusqu'aujourd'hui. Elle nous déborde de tout côté bien qu'elle soit nôtre. Et Jésus, Dieu, s'y est glissé pour en être et le sens et le terme.
En dehors de Lui, l'Histoire est absurde. A quoi bon vivre si ce n'est pas pour entrer définitivement dans la lumière qu'est notre Dieu. Toute l'Histoire monte vers cette apothéose. Et nous-mêmes, nous en sommes tout à la fois et les artisans, et les constructeurs, mais aussi parfois les démolisseurs.
Car lorsque nous commettons le péché, c'est à dire lorsque nous renonçons à l'amour, lorsque nous donnons la préférence à nous-mêmes, à notre égoïsme, à ce moment-là nous faisons office de démolisseurs.
O frères et sœurs, pourvu que ça n'arrive pas trop souvent ? Et si jamais cela arrive, nous savons que nous avons un avocat et une avocate. Nous avons un avocat qui est le Seigneur Jésus, lui qui s'est chargé de tout nos péchés et qui les a dissous en son être d'amour. Et nous avons une avocate qui est sa Mère, la Vierge Marie, elle qui n'a pas connu le péché mais qui nous comprend si bien.
Maintenant, nous savons que le fleuve qui est amour et vie est le véhicule de notre histoire. La résurrection de Jésus en transforme toutes les ombres et elle en dissipe toutes les nuits. Quoique nous entendions, quoique nous subissions, quoique nous voyions, une certitude se dresse : l'amour est déjà vainqueur.
Le Christ est ressuscité, et le monde, et nous avec lui. Baptisés dans la mort et la résurrection du Christ, voilà que nous sommes plongés en elle, purifiés en elle. Et dans quelques instants, nous allons ranimer cette grâce. Ce n'est plus nous qui vivrons, mais c'est le Christ qui vivra en nous. C'est cela qu'il attend.
Alors, frères et sœurs, cédons-lui toute la place, ne retenons rien pour nous ! Et lorsque la merveille sera réalisée, mais que vraiment alors c'est lui qui sera l'inspirateur, le moteur de toutes nos pensées, de tous nos désirs, de tous les mouvements de notre coeur et de notre être, à ce moment-là, la fin du monde sera déjà arrivée quelque part, la fin du monde qui est la transfiguration du cosmos.
Si ça se réalise dans un seul homme, le plan de Dieu déjà réussi et, de proche en proche, cela va s'étendre à l'univers entier. Nous ne le remarquons pas peut-être parce que nos yeux de chair ne peuvent pas percevoir ces beautés ; mais les yeux de notre coeur peuvent l'admirer.
Car, je l'ai expliqué ces derniers jours, l'étincelle divine, elle est en chacun des hommes et une couche de détritus peut la cacher. Mais elle est toujours présente et c'est elle qui sera la plus forte. Et nous devons, nous, l'admirer, la respecter et nous agenouiller devant chacun des hommes quel qu'il soit.
Que nos pensées, frères et sœurs, deviennent des pensées de bienveillance, des pensées de paix, des pensées diaphanes comme les pensées du Seigneur Jésus. Et alors notre coeur deviendra source de vie pour le cosmos entier. Il le deviendra parce que ce sera devenu un coeur divinisé.
La source peut être en chacun d'entre nous. Elle y est déjà, mais n'ayons pas peur de la dégager pour qu'elle rayonne dans notre entourage propre d'abord et puis jusqu'aux confins du monde. Tout cela, je le répète, dans l'invisible, mais pourtant c'est la seule réalité, celle qui est destinée à durer pour jamais. Et ainsi ce fleuve, grâce à nous, pourra emporter le monde vers son destin d'éternité.
Telle est, frères et sœurs, la splendeur de notre vocation chrétienne, telle est notre mission, notre fierté et notre assurance pour jamais.
Amen.
Frères et sœurs,
Au matin du jour de Pâques, les disciples ont confusément senti que leur vie allait basculer. Son point d'équilibre, son centre de stabilité ne serait plus en eux mais ailleurs, un ailleurs mystérieux, inaccessible qui était leur maître Jésus devenu autre.
La résurrection n'était pas un simple retour à la vie, ce qui eût déjà été extraordinaire. Mais une réanimation ne délivre pas de la mort , elle en suspend l'échéance. La résurrection de Jésus était bien autre chose. C'était un indicible qu'aujourd'hui encore nous ne pouvons ni cerner, ni définir, ni imaginer.
La Bonne Nouvelle du Royaume, c'était donc cela : le surgissement d'un autre univers dont Jésus était le Prince et l'accomplissement, et auquel on n'avait accès qu'à travers une foi plus précieuse que la vie, d'une remise de soi absolue. Il vit et il cru !
Telle était la nouveauté merveilleuse, terrifiante qui habitait la tête du disciple que Jésus aimait et qu'il allait bien plus tard évoquer dans des pages sans doute les plus belles jamais sorties d'un coeur d'homme. Oui, il se bousculait beaucoup de choses dans sa tête.
C'était donc vrai ! A côté de notre univers matériel, le pénétrant, le portant, lui donnant d'évoluer, d'avancer vers une maturité - au terme très éloigné peut-être, mais tout de même un terme connu de Dieu - il y avait un autre univers, l'univers de Dieu. Et cet univers était l'endroit, le lieu où nous pourrions enfin être assurés de posséder une vie impérissable, une vie autre, une vie qui serait le sommet absolu de notre existence. Et c'est pour cette vie que nous avons été créés.
Et nous, frères et sœurs, en ce jour de Pâques, sommes-nous au comble de l'émerveillement ? Ou bien sommes-nous distraits ? Les yeux de notre coeur sont-ils ouverts sur la beauté du Christ ressuscité, sur la beauté de Dieu, de l'amour qu'il est et qu'il nous disperse sans réserve ?
Prenons-en conscience, l'heure est venue de nous arracher à la dispersion, à la futilité, aux divertissements ; l'heure est venue de nous tourner au-dedans de nous et de nous plonger dans le ciel qu'est notre coeur.
Saint Grégoire le Grand l'a affirmé avec force : le ciel, c'est l'âme du juste. Et justes, nous le sommes, nous pouvons l'être maintenant si nous laissons le Christ ressuscité régner librement en nous.
L'Apôtre vient de nous le rappeler : Vous êtes ressuscités avec le Christ et votre vie est cachée avec Lui en Dieu. Mais croyons-nous vraiment que nous sommes déjà ressuscités avec Lui ? Je pense que c'est la question essentielle que chaque chrétien devrait se poser.
Et alors, nous serions comme l'Apôtre Jean, nous serions des êtres qui auraient basculé dans cet autre univers qui est celui de la résurrection. Et nous ne pourrions plus faire qu'une seule chose : accueillir la vie impérissable et être témoins de sa présence dans cet univers-ci.
Lorsqu'on parle de résurrection et de vie éternelle, il ne s'agit pas de la continuation de notre état actuel. Non, un corps de ressuscité ne ressemble pas au nôtre. Nous savons que le Christ ressuscité n'était même pas reconnu de ses disciples, ni de Marie-Madeleine qui lui était pourtant si familière. Il était devenu autre, il était devenu apparition de beauté, mais d'une beauté qui n'était pas de ce monde-ci.
Oui, il s'agit d'un être nouveau ressuscité avec le Christ. Et cet être nouveau, frères et sœurs, nous pouvons le devenir avant même de connaître la mort physique. N'allons pas laisser tourner notre imagination, mais - encore une fois - pénétrons à l'intérieur de notre coeur car là se trouve la source de notre résurrection, là se trouve la source de la Vie Eternelle.
Et si nous laissons la puissance de la résurrection s'emparer de nous et nous transfigurer, c'est l'univers entier qui va s'en trouver transformé. La puissance de la résurrection est une puissance d'amour et celui qui en est possédé ne peut plus rien faire d'autre qu'aimer.
La grandeur de l'homme, c'est de pouvoir devenir amour comme Dieu est amour. Il n'est pas d'autre grandeur que celle-là. Elle est le visage de Dieu imprimé sur l'homme et elle déborde toutes les éternités.
C'est cela, frères et sœurs, être ressuscité des morts avant même de mourir ! C'est cela réellement vivre ! Tous les hommes sont appelés à cette transfiguration sublime. Tout homme est en chemin vers elle. C'est la seule et véritable grandeur, c'est elle qui fait de nous tous des égaux.
Marie-Madeleine pensait qu'on avait enlevé le Seigneur et, c'est elle qui quelques instants plus tard allait être enlevée par lui. Après cela, on n'entend plus jamais parler d'elle. Elle était entrée dans cet ailleurs où l'avait précédé son Seigneur Jésus. A nous comme à Marie-Madeleine, Dieu a confié la résurrection de son Fils et il nous demande de la rayonner sur le monde, de l'annoncer non par nos paroles mais par notre vie.
Chacun de nous doit devenir un évangile vivant porteur de paix et de joie afin que tout homme se découvre frère des autres, que tout homme sente se réveiller au fond de lui la flamme de l'espérance; et que tout homme sache qu'il existe un avenir pour lui et pour chacun, et que cet avenir, c'est la Vie Eternelle.
Amen.
Dimanche des Rameaux 31.03.96.................................. 172
Homélie à la bénédiction des Rameaux............................................................................................................ 172
Homélie à l’Eucharistie....................................................................................................................................... 173
Chapitre du Lundi-Saint. 01.04.96................................. 174
La bonne odeur du Christ !.................................................................................................................................. 174
Chapitre du Mardi-Saint. 02.04.96.................................. 178
Le testament spirituel de Jésus !........................................................................................................................ 178
Chapitre du Mercredi-Saint. 03.04.96............................... 182
Epouser la Sagesse de Dieu !............................................................................................................................... 182
Homélie du Jeudi-Saint. 04.04.96................................... 184
Aimer l’homme pour ne pas manquer Dieu !.................................................................................................. 184
Vendredi-Saint. 05.04.96......................................... 186
Homélie à la célébration : Laissons-nous vaincre par l’amour !............................................................... 186
Exhortation à l’Office des Complies : la naïveté de Dieu !.......................................................................... 188
Homélie de la Vigile Pascale. 06.04.96............................. 190
L’amour est plus fort que la mort !................................................................................................................... 190
Homélie du Jour de Pâques. 07.04.96.............................. 192
Le surgissement de l’univers de Dieu !............................................................................................................. 192
Table des matières de la Semaine Sainte de 1996............................. 194