Mes frères,
Avec les Vêpres, nous avons ouvert la Sainte Semaine qui va nous conduire jusqu'au dimanche de Pâques. Cela ne nous empêchera tout de même pas de dire quelques mots au sujet de ce saint que nous nous fêtons aujourd'hui : Saint Joseph dont le nom signifie celui qui ajoute, et qui ajoute encore et toujours; celui qui fait croître, qui fait grandir.
Vous savez que le nom dans le monde sémitique et dans l'univers de Dieu exprime le destin caché de la personne, le secret qu'elle est seule à connaître avec le Créateur. Lorsqu'une vie arrive à son terme et qu'elle est cueillie par Dieu, cette vie dans son déploiement est la lecture de ce nom. Le nom est entièrement prononcé par Dieu et il est lu dans son entièreté par l'homme lorsque tout est accompli.
Ce sera remarquable pour Jésus. Nous ne connaissons la signification du nom de Jésus, nous ne connaissons le secret de la Personne du Christ qu'au moment où il peut dire « Tout est accompli » et où il remet son esprit entre les mains de son Père.
Il en est ainsi aussi de Joseph qui n'a pas été père selon la chair mais qui est devenu par la grâce de Dieu le Père Spirituel de tous les hommes rachetés, comme il le fut de Jésus qui est la tête de notre lignée.
Et c'est dans ce sens que Saint Joseph est le Patron de l'Eglise Universelle parce qu'il est le Père Spirituel - j'entends spirituel dans le sens noble et élevé, sublime du terme - le Père Spirituel de tous les hommes rachetés comme il a été le Père Spirituel de Jésus la tête de tous ces hommes.
Joseph n'a pas été un chrétien, ne l'oublions jamais, dans le sens où les disciples d'Antioche ont été les premiers appelés chrétiens. Joseph, tout comme Jean-Baptiste, a été et est resté un Juif fidèle. Il était mort, ils étaient morts tous les deux avant que Jésus ne se révéla dans sa plénitude. Qu'est-ce que Joseph a su, a connu, a reconnu, a saisi de Jésus ? Nous ne le saurons jamais. Nous n'avons pas à spéculer là-dessus. Ce n'est pas notre affaire. C'est son intimité à lui.
Mais, il a un titre de gloire qui doit nous faire réfléchir parce que, vous allez le voir, il nous touche de très près. Joseph a été celui qui a appris à Dieu à être un homme. Joseph a été l'éducateur de Dieu. Il lui a tout enseigné au plan humain.
Voyez un peu, mes frères, l'humilité de notre Dieu. Il a créé la Vierge Marie et il a voulu en être le fils. Il a créé Joseph et il a voulu être éduqué par lui à son être d'homme. Nous retrouverons cela à l'intérieur de la vie spirituelle, mais je ne vais pas entrer dans les détails ici parce que cela nous conduirait trop loin. Peut-être un jour aurons-nous l'occasion de développer cette merveille ?
Mais nous apprenons par là que Dieu a voulu être un homme véritable, un homme qui doit se recevoir d'un autre homme. Ainsi Jésus a tout reçu de Joseph sauf naturellement la génération charnelle. Si bien que lorsque nous entendons parler Jésus, quand nous le regardons agir, toujours nous voyons soit derrière Jésus, soit en lui, se dessiner l'ombre de Joseph.
Et c'est pour nous une leçon, mes frères, c'est un davar prophétique une parole prophétique que nous devons accueillir avec respect et avec joie.
Nous qui sommes des hommes, nous devons recevoir d'un autre homme notre être d'enfant de Dieu. La relation de Joseph à Jésus est le fondement de la paternité spirituelle pour nous, de la paternité spirituelle qui engendre à l'univers de Dieu. C'est une loi que Dieu a établie et il n'a pas voulu s'y soustraire.
On dit toujours que le législateur est au-dessus de la loi, au-delà de la loi et que la loi ne le touche pas immédiatement. Eh bien, mes frères, il n'en va pas ainsi de Dieu. Il est l'auteur de la loi et il a voulu se soumettre en tout à la loi et à cette loi fondamentale pour lui depuis qu'il a voulu devenir homme : que l'homme doit toujours se recevoir d'un autre homme même pour ce qui regarde sa filiation en Dieu.
Est-il donné à tout homme d'être ainsi Père dans l'Esprit ? Ce n'est pas donné à tous. Mais pourquoi n'est-ce pas donné à tous ? A mon avis, tous les hommes y sont appelés mais tous n'acceptent pas le cadeau que Dieu veut leur faire.
Parce que pour devenir Père selon l'Esprit, il faut mourir à soi. Il ne faut plus qu'il y ait dans le coeur de l'homme l'ombre d'un retour sur soi. Il faut être réceptacle de l'Esprit de manière à pouvoir donner en abondance cette vie spirituelle. Il faut donc une mort préalable. Et c'est cette mort qui fait peur, qui fait reculer. Et alors Dieu, lui, il ne force pas. Sa main est toujours tendue mais il ne trouve pas en face de lui une main ouverte. Voilà, il attend...
Mes frères,
Jusqu'à la dernière minute les disciples de Jésus ont vécu dans l'inconscience de ce qui se passait. Ils mangeaient la Pâque avec lui et ils trouvaient le moyen de se disputer. Leurs ambitions étaient sans mesure. Ils étaient plus que jamais esclaves de leur chair et de leurs passions. Ne leur jetons pas la pierre, nous leur ressemblons.
Où en est la gratuité de notre amour'? Elle est bien petite, si déjà elle existe'? Il n'y a pourtant rien à faire. Nous ne pouvons échapper à la loi du monde nouveau. La vérité se trouve du côté de Jésus.
Nous devons, comme lui, pousser l'amour jusqu'au bout, dussions-nous en mourir. Comme Jésus, nous ne nous appartenons pas. Nous sommes à Dieu et à nos frères. Nous n'avons pas à nous dérober. Notre devoir est devant nous.
Le réalisme de la Pâque du Seigneur s'impose ainsi à nous chaque jour. Il se saisit de notre vie et nous force à sortir de nous. Il a une face de renoncement et de mort. Il s'accompagne de souffrances et de peurs. Mais il est d'abord et surtout roc de vérité et prémices de vie éternelle.
Le monde a été créé par la Parole de Dieu, par cette Parole incarnée clouée sur une croix. Entrer dans cette Parole, se couler en elle, devenir un avec elle, c'est façonner l'univers et se créer soi-même.
Par contre, se détourner d'elle, suivre ses propres idées, c'est travailler à la décréation, c'est se défaire soi-même, c'est s'entasser ruines et malheurs.
Jésus, sur la croix, est tout le contraire de ce que le monde cherche avec frénésie. Or, sur cette croix, c'est Dieu lui-même qui souffre et qui meurt. Et il nous crie que hors de lui, hors de la croix, nous courons en pure perte.
La Semaine Sainte nous replace devant notre vocation de chrétien. Notre gloire est dans la croix du Seigneur Christ, dans un amour vécu heure par heure, dans une vie donnée et jamais reprise. Ne l'oublions jamais, mes frères, et que notre fidélité de chaque instant soit notre force.
Amen.
Mes frères,
Me voici à nouveau invité, acculé à dire l'indicible. Je vais, ce soir et les deux jours suivants, reprendre la lecture Evangélique que nous avons entendue ce matin au cours de l'Eucharistie. Jn 12, 1-11.
Vous savez que ces paroles et ces faits, ces événements sont prégnants d'un mystère qui désire se saisir de nous et nous emporter infiniment au-delà de nous. Alors, je demande votre indulgence, votre patience et vos prières, vos encouragements, afin que je puisse trouver les mots qui conviennent lorsqu'il s'agit de s'approcher de la beauté sans nom de notre Dieu.
Nous n'avons jamais fini d'admirer, de contempler l'humilité de Dieu, de nous abîmer devant elle. Mais nous pouvons nous poser une question: est-il possible que Dieu soit humble, lui qui a tout fait et pour qui tout existe ? Essayons de comprendre en quoi consiste essentiellement l'humilité.
Elle est ceci : l'humilité consiste d'abord et uniquement à se recevoir d'un autre. Le contraire de l'humilité, c'est le self made men, c'est l'homme qui s'est fait lui-même. Aujourd'hui dans le monde, ce monde qui est dominé par un prince adversaire de Dieu, c'est un titre d'honneur, de gloire et de mérite d'être un self made men. Il n'en va pas ainsi dans l'univers de notre Dieu.
Dieu est humble. Il est l'humilité même parce qu'il est Trinité. Chacune des Personnes se reçoit totalement des deux autres, intégralement. Si bien qu'il n'y a pas de fond à l'humilité et à la pauvreté de notre Dieu.
Maintenant, lorsque Dieu se fait homme, il met à notre portée, à notre disposition le trésor sans prix de son humilité. Il nous donne ce qu'il a de plus précieux, ce par quoi il est constitué dans son être de Dieu.
Ne soyons pas des étourdis, mes frères, ne soyons pas des hommes qui ne réfléchissent pas, qui ne pensent pas, qui s'avancent dans la vie et même dans la vie monastique sans comprendre, sans regarder.
Vous savez que pour l'Ecriture, donc pour la Parole de Dieu, l'origine de la plupart des maux, c'est le défaut d'intelligence. Attention ! Lorsque Dieu parle d'intelligence, il entend autre chose que ce que nous nous plaçons, nous dissimulons en dessous de ce terme.
L'intelligence, pour Dieu, c'est de savoir qui est Dieu, c'est pénétrer ses desseins, c'est se couler en eux de manière à les épouser et à les laisser s'incarner en nous. Dieu dira alors : c'est un homme intelligent, il sait conduire sa vie, il se laisse façonner, il ira jusqu'au bout de sa vocation d'homme.
Par contre, l'ignorant, c'est celui qui au lieu de regarder Dieu se regarde lui-même. L'ignorance, c'est toujours un certain narcissisme. Le self made men, c'est à dire l'homme qui se construit lui-même est au regard de Dieu un ignorant, même si pour les hommes il est suprêmement intelligent.
Donc voyez, mes frères, nous sommes à un tout autre niveau que le plan bassement humain.
Maintenant, regardons Dieu devenu homme. Nous sommes en présence du Christ Jésus et, nous voyons qu'il a voulu se recevoir tout entier - voyez son humilité - de deux femmes qui portent le même nom pour bien signifier la ressemblance, la similitude qui existe entre les deux : Marie de Nazareth et Marie de Béthanie.
Marie de Nazareth a donné au Verbe de Dieu, donc à Dieu lui-même, son être charnel, tout ce qui a fait de lui le fils de l'homme et le plus beau des enfants des hommes. Maintenant, qu'a-t-il bien pu recevoir de Marie de Béthanie ? Que lui manquait-il qu'elle ait dû lui donner ?
Contemplons la scène : Jésus est attablé avec des convives. Lazare est à côté ou en face de lui, à une place d'honneur, ce Lazare qu'il a ressuscité des morts. On est à la veille du triomphe de Jésus.
Les juifs se convertissent. Même ses adversaires – attention, ses opposants de bonne volonté - doivent baisser pavillon devant ce miracle de la résurrection de Lazare. Ils viennent en foule, non seulement pour voir Jésus, mais aussi pour voir Lazare. Ils deviennent de coeur ses disciples.
A ce moment-là, Marie entre. Je rappelle la scène. Elle porte une livre de myrrhe, donc d'un parfum à base de nard, et le texte original dit " authentique ", très pur et très précieux. Elle en oint les pieds de Jésus puis elle essuie le parfum avec ses cheveux, et tout se répand dans la maison.
Eh bien, mes frères, en oignant ainsi les pieds de Jésus de ce parfum précieux, et en les essuyant avec ses cheveux, Marie met Jésus au monde dans son être de Messie souffrant. Marie est un peu un cheveux dans la soupe, si je peux m'exprimer ainsi. Elle fait le contraire de ce que on aurait dû attendre à l'occasion de ce banquet. Et pour le faire remarquer, Jésus dira : « C'est pour mon ensevelissement qu'elle a pris ce parfum. »
Jésus a compris. Il est le seul à avoir compris que Marie lui signifie par là qu'il va mourir et que bientôt il sera enseveli. Elle le destine à cette mission-là. Cette onction investit Jésus de la plénitude de sa vocation. Maintenant il le sait.
Marie est donc le ministre d'un sacramental porteur de l'Esprit, ce parfum qui envahit la maison, et au-delà de la maison, l'univers entier. Car Jésus a dit ailleurs : « Ce qu'elle a fait là sera proclamé dans l'univers entier partout où on parlera de moi. »
Jésus et Marie sont maintenant indissolublement liés. Jésus dépendant dans sa mission, dans sa vocation de Messie souffrant, dépendant du geste de Marie. Cet Esprit qui est porté par ce parfum pénètre Jésus et lui donne la force d'aller jusqu'au bout de l'amour.
Le geste de Marie apprend à Jésus que son heure est venue de souffrir et de mourir. Et en même temps, Jésus reçoit l'assurance que sa mort sera une naissance pour lui et pour l'humanité entière.
Il y a donc là un double mystère : le mystère de sa souffrance et de sa mort. Mais comme cette myrrhe, cette huile entre à l'intérieur du corps de Jésus, cela signifie que l'Esprit Saint va par après pénétrer le cadavre de Jésus et va non seulement le faire revenir à la vie, comme ce fut le cas pour Lazare, mais va le métamorphoser, va lui donner en plénitude sa qualité de Dieu.
Donc, la chair de Jésus va devenir divine. Jusqu'à présent elle était le réceptacle de la divinité, mais maintenant elle sera divinisée. Et Jésus sait, et il ne l'oubliera jamais, qu'à l'origine de ce prodige il y aura eu une femme qui ramasse en elle la plénitude d'amour dont son coeur est capable.
Maintenant, mes frères, le jusqu'au bout de l'amour dont il nous sera parlé le Jeudi-Saint, le jusqu'au bout de l'amour, aura d’abord été en Jésus le Verbe de Dieu, un jusqu'au bout de l'humilité, car il aura voulu se recevoir de cette femme.
Mais, par un admirable effet de retour, maintenant Marie se reçoit elle-même de Jésus dans son être d'éternité. Marie est constituée dans ce qu'elle sera pour toujours. Cela signifie qu'elle est métamorphosée, transfigurée. Elle n'est plus de ce monde car elle est entraînée à l'intérieur du geste qu'elle pose.
Jésus se reçoit d'elle dans son être de Messie souffrant et Marie se reçoit de Jésus dans son être de prophétesse, dans son être de femme qui, elle, a été aussi, et ira aussi jusqu'au bout de l'amour.
Mes frères, il y a là pour nous un enseignement que nous ne finirons jamais de creuser. Vraiment, Dieu nous fait cadeau de ce que en lui est le plus précieux, c'est à dire son humilité. Il y a un être auquel l'humilité est totalement étrangère, et c'est le démon.
Le démon ne peut pas supporter de recevoir quelque chose d'un autre. Le démon est fermeture totale sur lui-même. Il est totalement fermé. Et c'est la raison pour laquelle la passion dominante chez le démon, c'est la colère parce que tout lui est ennemi, absolument tout, même les démons entre eux.
Tandis que chez Dieu, Dieu qui est l'humilité, Dieu qui se reçoit à l'intérieur de sa Trinité, Dieu qui une fois devenu homme se reçoit d'une simple femme, Dieu, lui, est totalement amour c'est à dire ouverture, accueil et don. Dieu n'existe que parce qu'il est amour et pour pouvoir rayonner l'amour autour de lui.
Il est exactement le contraire de ce qu'est le démon. C'est pourquoi, la caractéristique première, la qualité première chez Dieu - nous la voyons vivre chez le Christ - c'est la douceur qui est le contraire de la colère. Mes frères, ne l'oublions pas !
Lorsque Saint Benoît nous dit qu'il n'y a pas d'autre route pour aller à Dieu que l'humilité, il entend par là nous dire que nous devons nous recevoir d'abord de Dieu, c'est à dire obéir à tout ce que Dieu nous demande : l'obéissance étant le cadeau que nous fait de son être. Et puis alors, nous recevoir les uns des autres parce que Dieu se donne à nous, non pas directement, mais toujours par le canal d'une créature.
Mes frères, vous voyez que ce mystère est, comme je le disais au départ, quelque chose d'indicible. Il faudrait être Dieu lui-même pour pouvoir en parler dignement. Mais il ne l'a même pas fait. Il nous a donné un exemple, il nous a donné un geste. A nous de contempler ce geste et dans toute la mesure du possible le faire nôtre, c'est à dire nous mettre au service les uns des autres.
Le jour du Samedi-Saint, ce sera rappelé. Je pense que j'en dirais peut-être un petit mot au cours de l'homélie. Nous sommes investis d'une mission dès l'instant où nous nous lavons les pieds les uns des autres. Et cette mission, c'est d'être ouverture totale, c'est d'être humilité, c'est d'être accueil et c'est d'être don ; c'est d'être chacun les uns pour les autres une apparition de cette mission merveilleuse, unique, qui fut celle de Marie de Béthanie.
Mes frères,
L'Evangile dans son entièreté permet d'assister à un événement qui a valeur d'éternité, qui est d'actualité aujourd'hui encore, qui le sera jusqu'à la fin des temps ; un événement qui est le pont central de l'Histoire, qui constitue le coeur de cette Histoire, qui en est l'âme et le moteur. Et cet événement, c'est l'entrée, l'irruption de l'univers de Dieu dans le monde des hommes. Cela ne se fait pas sans douleurs, cela ne se fait pas sans problèmes ni sans conflits. C'est une naissance dans l'angoisse. La création toute entière, nous dit l'Apôtre Paul, gémit dans les douleurs d'un enfantement qui dure encore.
Or, l'univers de Dieu, c'est Dieu lui-même dans son être qui est amour, qui est humilité, qui est douceur, comme nous l'avons vu hier. Nous avons eu l'occasion de contempler Dieu se manifestant aux hommes en se recevant de deux femmes, Marie de Nazareth et Marie de Béthanie, cette dernière au moment d'entrer dans ce qui allait entraîner sa passion et sa mort.
Et à cette heure-là, personne n'a compris. C'était trop inouï, trop inédit, c'était trop beau. Toutes les représentations humaines de la divinité avaient été jetées bas. Jamais une telle merveille n'était montée dans le coeur des hommes.
Ce matin, la lecture Evangélique ( Jn 13, 21-33.36-38 ) nous a fait voir la réaction devant cette nouveauté qu'est l'entrée de Dieu dans le monde des hommes. Et cette réaction était double : une réaction dure et une réaction, appelons-là, molle.
La réaction dure, c'est celle de Judas l'Iscariote. Elle est un refus absolu, un rejet total. Judas est fermé sur lui-même. Il est crispé sur son avoir. Il symbolise le monde dominé par l’égoïsme, par le narcissisme et travaillé par la peur ; le monde qui ne veut rien recevoir de personne, qui prétend trouver en lui-même l'origine et la finalité de ce qu'il est. Le monde est étranger à Dieu, à l'amour, à la lumière.
Et pourtant il est aimé de Dieu. Il va le retourner, ce monde, il va le transformer, il va le sauver. Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son fils unique, non pour condamner le monde mais pour le sauver.
Mes frères, je pense que nous ne mesurons pas assez la puissance de l'humble amour. Seul l'amour peut transformer l'être, non seulement la personne qui aime, mais surtout la personne qui est aimée.
Rappelons-nous ce que disait Jean XXIII lorsqu'on lui reprochait de flirter avec les communistes. Il disait : « Oui, le communisme est une erreur qu'il faut condamner. Mais les hommes, les hommes qui sont victimes de cette erreur, ils sont tous respectables et nous devons tous les aimer. »
Mes frères, nous devons nous aimer les uns les autres parce que l'amour vient de Dieu, l'amour est Dieu. Et seul Dieu peut nous rendre tels qu'il nous voit. Si donc j'aime des frères, insensiblement, imperceptiblement, ces frères vont changer. Ils sont toujours aimables, mais ils le deviendront davantage, ils le deviendront parfaitement. Ils seront parfaitement en accord avec ce que Dieu attend d'eux, si je les aime.
Donc, si nous nous aimons les uns les autres, mes frères, il y a entre nous une puissance que nous ne pouvons absolument pas mesurer, ni imaginer, ni concevoir, qui est la puissance même de Dieu. Donc, n'ayons jamais peur, mes frères, de nous aimer. Cela ne veut pas dire que nous devons nous chérir, nous permettre toutes sortes de privautés, d'avoir des sympathies particulières, d'avoir des amitiés particulières.
Il ne s'agit pas de ça, ça c'est encore de la chair, c'est encore le monde. Non, il s'agit de cet amour qui est Dieu lui-même, l'Esprit qui habite en nos cœurs et qui veut vraiment nous rendre semblable à ce que Dieu est. Donc, la réaction dure, c'était celle de Judas qui est le rejet du Christ, de Dieu et de son univers.
Et puis il y a la réaction molle qui est celle de Pierre. C'est de l'étourderie, c'est de l'infantilisme, c'est de la présomption. Pierre est rempli de bonne volonté, mais il est à côté de la question. Cela lui arrive souvent ! Il n'est pas du tout opposé à l'univers de Dieu, mais il voudrait bien faire carrière à l'intérieur de cet univers.
Et vous savez que Pierre était le chef des Apôtres, non seulement en vertu d'une prééminence qui lui était accordée par le Christ, mais aussi parce que il ramassait en sa personne les défauts de tous les Apôtres. Ils se disputaient pour savoir lequel d'entre eux était le premier né dans ce Royaume de Dieu.
Ils n'avaient pas encore découvert l'humble gratuité de l'amour qui va jusqu'au bout de l'accueil et du don. C'était encore un amour intéressé. C'était pas encore ça de l'amour. Enfin, c'était sur la route, mais voilà, ça devait encore être fameusement purifié. Ils n'avaient pas compris que la chair était velléité et n'avait aucun accès en l'univers de Dieu.
On pourrait dire : « Au fond, c'est gentil, nous nous reconnaissons plus dans Pierre que dans Judas. Et puisque Pierre est devenu le premier, vraiment le premier dans le Royaume de Dieu, lui qui tient dans sa main et dans sa poche les clefs de ce Royaume, il y a tout de même aussi de l'espoir pour nous tels que nous sommes maintenant. »
Judas, c'est la force satanique du monde et Pierre, c'est la face charnelle, fragile, vulnérable du monde. La face satanique doit être anéantie. Il faut qu'elle disparaisse. La face charnelle doit être convertie, purifiée, fortifiée, transfigurée. C'est toute la croissance de l'être humain à l'intérieur de cet univers de Dieu.
Mais pour que le prodige de la transfiguration puisse s'opérer, nous devons nous abandonner à cette main de Dieu qui nous travaille, cette main de Dieu qui est la face un peu dure de son amour, mais qui est tellement douce si nous nous abandonnons à elle.
L'anéantissement de la face satanique et la transfiguration de la face charnelle s'opèrent dans la mort et la résurrection du Fils de Dieu, dans cet amour qui va jusqu'au bout. Il s'agit du jusqu'au bout de Dieu. Nous aurons peut-être l'occasion de le voir dans les jours à venir ? Et la vocation du moine, c'est de permettre à Dieu de réaliser en nous ce prodige. Et ce sera possible grâce à notre humilité.
L'humilité, c'est d'accepter la vérité de ce que nous sommes, des êtres pécheurs qui ne peuvent jamais, jamais être absolument certains d'eux. Et puis, sur cette base de reconnaissance lucide et sincère de ce que nous sommes, la remise de nous à cet amour qui est notre Dieu et qui doit prendre possession de notre chair, de notre coeur pour tout nettoyer, pour tout purifier, pour tout transformer.
Et si ça se réalise, mes frères, le Royaume de Dieu, l'Univers de Dieu, Dieu lui-même est encore plus loin à l'intérieur de l'univers des hommes. C'est par petites touches que Dieu travaille. C'est imperceptible. C'est comme un artiste qui peint un tableau. Le profane ne voit pas trop bien ce qui arrive : ce sont des petites taches de couleurs. Mais lorsque l’œuvre est terminée, elle fait l'admiration de tous.
Je pense que nous devons permettre à Dieu, mes frères, de réussir en chacun de nous personnellement, dans notre communauté et, au-delà de notre petit cercle dans l'Eglise et dans le monde, lui permettre de réussir le chef-d’œuvre dont il rêve.
Mes frères,
La destinée de l'Apôtre Judas nous interpelle vivement tous et chacun autant que nous sommes. Au niveau de notre vie monastique personnelle et communautaire se crée un …?… Cela devrait nous donner des ailes sur le chemin du dépouillement et de l'humilité. Cela devrait nous rendre extrêmement circonspect et prudent.
Qui sommes-nous, mes frères, et qui est Judas ? Les uns et les autres, lui et nous avons été appelés par le Christ. Il nous a choisis parce qu'il nous a aimés. Or, Il a une Parole terrible : « N'est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les douze ? Or, parmi vous il y a un démon. »
Cette Parole devrait toujours retentir à l'oreille de notre coeur, mes frères, et nous emplir de crainte. Judas a été choisi et il est devenu un démon ! Comment en est-il arrivé là? Ce n'est pas le lieu de spéculé sur son aventure spirituelle. Constatons le fait tout simplement. Rien n'apparut au dehors. Les autres disciples n'ont rien remarqué. Judas a été exemplaire jusqu'à la fin.
Il y a donc, mes frères, un jusqu'au bout dans le crime comme il y a un jusqu'au bout dans l'amour. Jésus seul savait. Il a certainement essayé de sauver ce Judas qu'il aimait toujours, mais il a respecté jusqu'au bout la liberté de Judas.
Il a aimé jusque là, mes frères, et la souffrance de Jésus a dû être immense. Nous avons là un exemple éloquent de l'impuissance de Dieu devant le mal. Dieu est impuissant parce que il est lié par l'amour qu'il est.
La relation Jésus-Judas nous éclaire sur la nature cachée, mystérieuse, secrète de Dieu. Nous devons surtout contemplé l'événement, craindre et frémir car la Sagesse de Dieu est folie pour nous.
Il est trois personnes qui sont à jamais liées à la passion du Christ et au mystère d'amour qu'est notre Dieu. Ces trois personnes sont Judas le traître, Pierre le lâche et le renégat, et Marie de Béthanie la fidèle. Ce n'est guère reluisant pour le sexe masculin, mes frères !
Que va-t-il se passer dans les siècles à venir ? Jusqu'à présent la théologie a été le fait des hommes. Des femmes commencent à accéder au grade de Docteur en Théologie. Parmi ces femmes, il va s'en trouver des spirituelles. Les femmes ne sont pas naturellement des purs cerveaux comme les hommes. Les femmes pensent avec leur coeur.
Quelle sera alors une théologie élaborée par des femmes ? Comment la femme va-t-elle voir la relation Jésus-Judas ? Comment va-t-elle sentir le geste qu'a posé Marie de Béthanie ? Nous sommes venus au monde trop tôt, mes frères !
Mais enfin, du lieu où nous serons plus tard, nous verrons et nous comprendrons que la façon masculine d'aborder les choses n'est pas nécessairement entièrement totalement vraie. Il y a aussi un autre angle de vision. L'homme global, l'homme total est à la fois masculin et féminin. Dieu comme dit le texte a créé l'homme et il l'a créé ..... ....., ..... ..... comme dit le texte Biblique.
Eh bien, de ces trois protagonistes du drame qui a cerné Jésus et qui l'a conduit à la mort, où est notre place, mes frères ? Je rappelle que chacun de nous a été aimé, choisi et appelé. Mais une chose est certaine, c'est que nous devons nous tenir sur nos gardes. Nous comprenons, nous devons sentir maintenant que le moine doit être un vigilant.
Le moine, c'est un homme qui veille. Il prend garde à ce qui se passe autour de lui, non pas pour espionner les autres et pour les juger et les condamner, non, il regarde ce qui se passe dans l'invisible autour de lui.
Il voit ce qui tourbillonne autour de son coeur. Il veille sur ses regards, sur ses paroles, sur ses gestes, sur ses pensées, sur ses démarches. Il est un neptique. Personne n'est à l'abri de la trahison. Nous portons tous en nous les germes du reniement. Nous sommes tous rougis par une certaine peur et une certaine lâcheté.
Mais chacun d'entre nous est aussi appelé à la sainteté. Le remède, le bouclier et la forteresse, c'est l'humilité. Il n'y en a pas d'autres. Il ne faut pas chercher ailleurs. L'humilité seule est notre sauvegarde. Et l'humilité consistera à savoir qu'on est capable du pire et qu'on est également capable du meilleur.
Nous glissons dans le pire si nous nous regardons. Et nous avançons vers le meilleur si nous sortons de nous et si nous nous abandonnons à l'amour qu'est notre Dieu. Pierre est devenu fort quand il a compris qu'il était faible. Alors, il ne s'est plus appuyé sur lui mais sur l'amour dont il était aimé.
Mes frères, nous serons du côté de Marie de Béthanie, nous deviendrons comme elle, elle qui a donné sa vie avec le Christ pour lui, si nous acceptons de nous recevoir de Dieu, si nous fermons les yeux sur nous-mêmes pour les ouvrir à la lumière, cette lumière qui divinise dont nous parle Saint Benoît et toute la Tradition monastique. Et cette lumière divinise parce que elle est Dieu lui-même.
Vous allez me dire : « Mais comment faire pour voir cette lumière, pour la contempler, pour la boire, pour s'en nourrir et ainsi ne plus jamais se regarder soi-même et s'abandonner à l'amour qu'est Dieu; comment faire ? » C'est un sommet, le sommet de la vie monastique.
Mais non, mes frères, cela se trouve au début. Dès le premier jour, dès le premier pas, elle est là cette lumière. Et ce sont les yeux de notre coeur, ce sont les yeux de notre foi qui doivent s'ouvrir. Car les yeux de notre coeur, dès le début et jusqu'au bout, c'est la foi.
Je rappelle que le Père Abbé Général nous a dit que la caractéristique, pour lui, principale, le trait principal de la Règle de Saint Benoît, c'est cet esprit de foi. Et je pense qu'il a raison.
Si nous ne nous appuyons pas sur notre propre jugement, sur notre approche personnelle des choses, mais sur le jugement de Dieu qui nous vient par la bouche des supérieurs, à ce moment-là, nous sommes dans la foi, et c'est la lumière qui nous guide. Et les yeux de notre coeur commencent à la voir, à la sentir.
Il suffit alors de se laisser grandir pour que finalement cette lumière nous éblouisse et que nous ne voyons plus qu'elle, en elle-même mais aussi en toute chose, dans la nature, dans nos frères et jusqu'à l'intérieur de notre propre coeur.
Mes frères,
De nos jours encore, les fils d'Israël, en quelque lieu qu'ils se trouvent, célèbrent avec ferveur et avec foi le 14 Nizan au soir la Pâque tel qu'il leur a été prescrit de la fêter. Ils se rappellent ainsi qu'ils sont aimés d'un amour gratuit, d'un amour fou en dehors duquel ils ne seraient pas.
Jésus et ses disciples, les premiers apôtres et les communautés chrétiennes ont pratiqué le même rite en y inscrivant une note nouvelle qui allait, non pas en modifier le sens, mais le porter à son accomplissement. Le rite de la Pâque allait signifier la libération totale, définitive, obtenue par le sang de Jésus-Christ et par sa bienheureuse résurrection d'entre les morts.
Ils avaient compris, et nous comprenons avec eux, que Dieu est amour et que Jésus a aimé, et aimé toujours jusqu'au bout. Ce jusqu'au bout à une saveur d'infini. Il s'agit du jusqu'au bout de Dieu. Et nous voici d'un seul coup projeté dans la démesure de Dieu. Et nous pressentons que, cette démesure, nous devons l'accueillir dans notre coeur.
C'est à prendre peur, mes frères, car qui sommes-nous pour aimer de la démesure de Dieu ? Et pourtant, nous sommes appelés à cette hauteur de sainteté. Et si nous y sommes appelés, c'est que Dieu veut nous en faire cadeau.
C'est à nous-mêmes que Jésus le Fils de Dieu, Jésus le Verbe de Dieu devenu homme, a lavé les pieds en lavant les pieds de ses disciples. Il posait là un geste d'investiture. Il nous armait pour un combat, le sien, combat qui traverserait notre vie entière. Un combat entre nous-mêmes et les forces de notre égoïsme, combat contre les séductions du monde et de la chair, combat contre les puissances sataniques à l’œuvre partout.
Ce combat connaîtrait ses heures de souffrances et de détresses. Il aurait souvent les allures d'une passion et, il laisserait un goût de scandale à l'intérieur des échecs et des défaites. Mais ce combat serait le lieu où se déploierait un amour poussé toujours plus loin, un amour tendu vers le jusqu'au bout.
Jésus nous a lavé les pieds pour que nous soyons un avec lui dans ce combat et dans la victoire. Et ce un avec lui, il l'a consacré par le don qu'il nous a fait de son corps et de son sang.
Mes frères, ce rite, je vais le refaire devant vous, pour vous, afin que vous croyez, que vous ayez confiance en votre destinée, que vous soyez armés pour aimer, et aimer comme le Christ nous a aimés, aimer jusqu'au bout.
Amen.
Mes frères,
Nous venons d'assister à une scène d'horreur. Nous avons été bouleversés par la dignité sans égale du Seigneur Jésus. Nous avons regardé de loin, de très loin. Avons-nous seulement pris conscience que c'est nous-mêmes qui avons torturé, crucifié le fils de Dieu, nous qui l'avons mis à mort ? Ne l'oublions jamais !
Toute pensée, toute parole, tout geste contre l'amour blesse et pousse dans la mort, non seulement l'homme qui en est victime, mais aussi le Christ présent dans ce frère. Nous comprenons mieux le réalisme du jusqu'au bout de l'amour quand nous voyons Jésus donner sa vie pour ceux qui le condamnent, pour nous qui, par notre légèreté et notre malice, le conduisons à la solitude de la mort.
Il nous a prévenus : « Tout ce que vous faites aux plus petits d'entre les miens, c'est à moi que vous le faites ! »
Dés le début déjà, le démon s'était jeté sur Jésus-enfant pour l'empêcher de vivre, pour le tuer. Et puis, bien plus tard, il s'était approché de nouveau pour le détourner de sa mission. O, le tentateur connaît son métier : « Je suis le prince de ce monde. Toute cette beauté, cette richesse, cette séduction sont à moi. J'en fais ce que je veux. Je le donne à qui je veux. Tout cela est pour toi si seulement tu pactise avec moi. »
Mais ce n'était pas fini. La dernière tentation du Christ, la plus subtile, la plus dangereuse, la plus terrible, ce fut au temps de sa passion. Le démon a tout mis en œuvre en une fois et dans le détail pendant des heures pour arracher à Jésus une seule pensée de non-amour. S'il avait réussi, il remportait la victoire.
Oui, Jésus échouait dans sa mission et Dieu lui-même cessait d'être Dieu. Il s'anéantissait. Il n'était plus l'amour. Mais Jésus n'a pas succombé. Il a aimé jusqu'au bout, mes frères, et il nous a tous enfermés, engloutis dans cet amour.
Si nous voulons savoir qui est Dieu, contemplons Jésus dans sa passion et sur la croix. Contemplons-le avec les yeux de notre coeur. Nous voyons dans Jésus, Dieu le Créateur du monde, le Maître absolu de l'univers. Nous le voyons dans l'évidence de l'impuissance, de l'échec, du néant. Et pourtant rien n'a pu atteindre, rien n'a pu vaincre l'amour qu'il est.
Mes frères, c'est cela le paradoxe de notre Dieu. Si nous le réalisons, si nous le comprenons, je pense que nous avons franchi le pas décisif sur la route qui mène à lui.
Nous devons entrer toujours avec notre coeur dans l'intimité de notre Dieu qui est - je l'ai déjà dit tant de fois – l’être le plus démuni, le plus pauvre, le plus impuissant qui existe. Sa seule force, sa seule réalité, c'est l'amour, c'est à dire la gratuité, le don total qu'il fait de lui, et son accueil sans réserve.
Mes frères, lorsque nous sommes des fils de Dieu, que nous nous proclamons tels, nous devons être à son exemple toute gratuité, tout accueil, tout amour, et tout désintéressement et tout don. Si nous ne sommes pas cela, nous sommes encore des être charnels. O je sais, il y a tout un chemin à parcourir, de la chair à l'Esprit, d'un fils d'homme à un fils de Dieu.
Eh bien, ce chemin c'est notre vocation. C'est pour cela que nous sommes chrétiens, c'est pour cela que nous avons été greffés sur la Personne du Christ, c'est pour cela que par notre baptême nous avons été enfouis dans sa mort et cachés dans sa résurrection.
Nous sommes donc en présence d'une réalité qui nous dépasse à l'infini et qui nous invite. Cette réalité, c'est l'amour de notre Dieu. Encore une fois, regardons-le dans la passion de Notre Seigneur Jésus-Christ sur sa croix et dans son tombeau.
Cet amour nous invite à entrer en lui. Il est le lieu de notre vie, maintenant et à jamais. Puisse cette journée et cette célébration faire entrer cette conviction à l'intérieur de notre conscience, l'enfoncer, la vriller en elle pour que jamais elle n'en sorte, et que notre vie, notre existence en soit transfigurée pour le bonheur de nos frères et pour la gloire de notre Dieu.
Amen.
Mes frères,
Joseph d'Arimathie et Nicodème déposèrent le corps de Jésus dans un tombeau qui se trouvait à proximité dans l'enceinte d'un jardin. C'était fini, le rien l'avait emporté, le beau rêve s'était évanoui et Dieu était mort. Et la vie du monde n'en était nullement dérangée. Le prince qui l'avait en son pouvoir veillait au grain.
Et aujourd'hui encore, mes frères, quand le juste est mis à mort, qui en a cure ? Le cours des choses continue écrasant tout, broyant tout. Le business, l'argent, le plaisir poussent les hommes en avant vers quoi ?
Il est nécessaire, quand on a la responsabilité de tout un monastère, de parcourir chaque semaines des informations qui ont trait au social, à l'économique, à la finance, à la politique. Il faut être au courant. Aujourd'hui la législation est tellement mouvante qu'on ne peut rien laisser passer.
Eh bien, lorsque on voit ces choses, on se demande ce que les hommes peuvent penser ? C'est donc cela leur vie ! Ils sont pris dans ce courant, dans ce torrent qui les emporte et ils ne peuvent y résister. C'est plus grand, c'est plus fort qu'eux. Et pourtant, c'est eux qui l'ont mis en place.
Si nous voulions tenir les yeux ouverts, nous contemplerions un spectacle hallucinant: l'engouffrement des hommes dans le néant qu'ils sont. Leur inconscience, leur aveuglement nous ferait crier de peur et d'horreur. Mais qui nous entendrait ? Qui écouterait ? Le vacarme est trop grand.
Et pourtant, si nous regardons plus attentivement, nous voyons, nous remarquons que cette folie suicidaire est arrêtée, volatilisée, annihilée devant le tombeau et le corps inanimé de Jésus. Certes, l'immense majorité, pour ne pas dire la quasi totalité des gens ne pensent guère au tombeau et au corps inanimé de Jésus.
Mais entrons dans les profondeurs et essayons de palper la conscience collective de cette humanité déboussolée. Il y a là quelque chose de plus profond que la conscience des personnes qui composent le genre humain. Et c'est cette conscience qui est brusquement saisie et qui s'arrête devant ce tombeau. On dirait qu'elle se reconnaît dans ce cadavre. Et elle n'aurait pas tort .
Car Dieu a voulu devenir homme pour synthétiser en lui toute cette humanité, toute cette masse indénombrable d'hommes, de personnes qui au cours des siècles, depuis les origines jusqu'à la fin, vont emplir, peupler notre univers, et voilà, aller tous les uns après les autres vers un tombeau. Et c'est là qu'ils seront recueillis, et c'est là que le Seigneur va les attendre. Et la conscience du genre humain se reconnaît dans ce cadavre.
Elle sent qu'elle doit s'arrêter, qu'elle ne peut aller plus loin. Elle touche un jusqu'au bout d'amour qui se saisit d'elle. Car la folie meurtrière qui a tué Dieu a été en même temps vaincue par Dieu. C'est le prodige d'un amour qui engloutit son contraire et qui parvient à le retourner. Et le silence du tombeau est un discours sur Dieu le plus éloquent qui soit. Chaque homme un jour, à son jour, en aura les oreilles percées .
Le contemplatif ne serait-il pas un homme dont les oreilles sont déjà percées ? Il est pris par le silence de ce jusqu'au bout d'amour. Il l'écoute et il s'ensevelit en lui. Il n'a pas peur de la mort. La mort est son amie. Il sait que en entrant dans le mort, il entre dans le lieu de sa renaissance.
Il se revêt d'un linceul parfumé qui a un nom tout ordinaire : l'obéissance. Il se dépouille de sa volonté. Il se dépouille de ce que les hommes considèrent de plus précieux. Il s'en dépouille pour accueillir en lui une autre volonté, un autre vouloir bien plus puissant que le sien. Si bien que la mort qu'il embrasse devient le lieu d'une métamorphose, d'une transfiguration, d'une divinisation.
C'est la raison pour laquelle il n'en a pas peur. Il sait que dans cette mort il touche cet amour qui a été jusqu'au bout. Il découvre en lui-même une double solidarité. Il est partie prenante de la masse des péchés commis par tous ses frères les hommes. Si bien qu’il lui est impossible de juger, de condamner qui que ce soit.
Bien mieux, tous ces hommes dans lesquels il reconnaît ses frères, il les prend dans son coeur et il les emporte avec lui. Car il se voit en même temps tout entier immergé dans la lumière et dans l'amour, un avec le Christ et brûlé par un feu, ce feu qui est le jusqu'au bout d'amour vers lequel le Christ irrésistiblement l'entraîne.
On découvre que on est un vrai contemplatif quand on vit de façon consciente cette double solidarité. On découvre alors, par exemple, que le mal le plus grave qui soit, c'est la trahison, c'est l'infidélité : l'infidélité totale, celle du démon ; l'infidélité que j'appellerais mineure, qui est celle des hommes, qui est la nôtre.
A l'intérieur de chaque défaillance, de chaque péché, il y a un germe d'infidélité. Il faut tout de suite l'étouffer, l'empêcher de grandir. Et pour permettre ce ..... qui peut rendre inopérant ce germe de péché, il faut s'enfoncer, il faut se perdre, il faut se plonger dans la fidélité de Dieu.
Et ce n'est possible que si la volonté est unie de plus en plus intimement à celle du Christ qui a été, lui, jusqu'au bout de l'obéissance, jusqu'au bout de la perte de soi.
Mes frères, le gouffre du Samedi Saint est aussi pour chacun de nous un sommet d'espérance. Il est la certitude que tout est gagné dans le jusqu'au bout d'un amour qui est Dieu lui-même, Dieu avec nous et Dieu pour nous à jamais.
Nous devons retenir de ces jours sacrés que nous vivons une certitude qui est la base de notre foi et qui est le sommet de notre vie : à savoir que nous ne sommes pas seuls. Nous sommes en communion avec tous les hommes nos frères et nous sommes en même temps en communion avec les trois Personnes de la Sainte Trinité.
Et quand je dis les hommes nos frères, ce ne sont pas seulement ceux qui sont maintenant avec nous sur cette terre, partout dispersés dans ce monde qui est sous le pouvoir de satan, mais aussi les hommes nos frères qui ont traversé le gouffre de la mort et qui sont de l'autre côté avec le Christ; qui ont connu l'anéantissement, le rien du tombeau et qui, par un effet de cet amour inimaginable de Dieu, ont été rendus à une vie autre, non pas un plus mais un autre dont nous ne pouvons avoir aucun idée.
La seule façon de pouvoir approcher cette vie, pour nous, pratiquement, c'est - encore une fois - de nous perdre dans la volonté de notre Dieu, et là, laisser grandir une lumière devant laquelle on ne peut que se taire, une lumière qui devient un lieu de vitalité, un lieu de renaissance, un lieu de résurrection.
Mes frères, voilà tout ce qui nous est proposé au cours de ces quelques jours. Essayons de porter tout cela demain avec plus d'intensité, nous rappelant que c'est le trésor que le Christ nous a donné lorsqu'il nous a appelés à Lui par le baptême ou par la consécration monastique. Mais de toute façon, n'oublions jamais que nous aurons à répondre des hommes qui se débattent dans le monde, qui sont emportés dans le tourbillon des affaires, du plaisir, de l'argent, de toutes sortes de choses.
Pensons aussi à toutes ces guerres, à tous ces rapts, à toutes ces corruptions, et disons-nous que nous devons être devant les trois Personnes Divines le miroir dans lequel Dieu peut se reconnaître. En effet, nous sommes tous à son image, et tous les hommes nos frères sont aussi à son image.
Mes frères, demeurons ainsi fidèles à ce pourquoi nous avons été appelés. Et n'oublions jamais, je le répète, que nous ne sommes pas seuls et que de la réussite ou de l'échec de notre vocation dépend la réussite ou l'échec du plan de notre Dieu.
Mes frères,
C'est dans une grande joie spirituelle que nous célébrons cette nuit de veille. En elle nous retrouvons le lieu de nos origines. Par elle, nous savons qui nous sommes et où nous allons. Le lieu de nos origines, c'est le coeur de notre Dieu, son ....., son sein qui est lumière et amour. Dans ce sein bouillonne une vie dont nous n'avons aucune idée, sauf lorsque nous y participons. Mais alors encore, elle n'est ni conceptualisable, ni énonçable. Nous la connaissons parce qu'elle nous possède.
Mes frères, nous savons alors que nous sommes aimés d'un amour absolument inconcevable, cet amour qui est Dieu lui-même, lui qui nous donne consistance, qui donne à notre Histoire un avenir dont nous pressentons la beauté.
Mes frères, ne regardons pas ce qui se présente à nos sens, à notre sensibilité jour après jour. Ne nous arrêtons pas à cela, mais allons au-delà. Perçons le voile des apparences et atteignons notre Dieu. Car là, avec lui, se trouve le Christ ressuscité d'entre les morts. Et nous sommes avec lui. Et déjà avec lui notre résurrection est en route.
Là est notre lieu, mes frères, là est notre origine : le coeur de notre Dieu, là est notre point de retour : encore et toujours le sein de notre Dieu.
Oui, nous sommes enfants de Dieu. Nous savons que notre mort corporelle, que notre anéantissement physique n'est pas le dernier mot de notre histoire. Dieu a voulu devenir homme. Il a voulu peiner, souffrir, mourir pour exorciser nos peurs, pour nous dire que son amour nous fait déjà ressusciter en lui pour une vie nouvelle à jamais affranchie du péché et de la mort.
Cette nuit nous rappelle ainsi que nous passons des ténèbres à la lumière et de la mort à la vie. N'allons pas maintenant encore une fois imaginer en quoi consiste cette vie nouvelle. Elle n'est pas la prolongation de ce que nous connaissons aujourd'hui. Elle n'est pas un plus, elle est autre. C'est la propre vie de notre Dieu.
Il faut qu'il y ait entre notre vie présente et cette vie nouvelle, qu'il y ait un hiatus, qu'il y ait une rupture. Nous devons passer par une sorte d'abîme pour émerger de l'autre côté. Cet abîme, nous l'appelons la mort.
Mes frères, la longue marche de l'humanité n'est pas un tourbillon absurde et nauséeux comme certains voudraient l'affirmer. Non, elle progresse dans un direction et elle est porteuse d'un sens. En dépit des obstacles rencontrés, en dépit aussi des apparentes régressions, elle est une ascension vers une Personne.
Tous les âges, toutes les races, toutes les Cultures confluent irrésistiblement vers la Personne du Christ-Jésus ressuscité d'entre les morts et entraînant avec lui l'univers entier dans une apothéose qui sera notre condition nouvelle. A l'intérieur de ce fleuve en marche, nous avons un rôle à jouer, indispensable, irremplaçable.
Le chrétien doit être la conscience qu'a l'humanité d'aller vers Dieu, de grandir en lui. Le chrétien est celui qui sait. Quant au contemplatif, lui, il est l’œil de cette humanité, l’œil qui voit, l’œil qui interroge, l’œil qui admire, l’œil qui rend grâce.
Mes frères, notre Pâque enfouie dans celle du Christ prend ainsi une dimension cosmique. Nous passons des ténèbres à la lumière, de la servitude à la liberté, et nous entraînons tous les hommes avec nous. A l'intérieur de ce passage, nous connaissons les prémices de notre propre résurrection quand nous apprenons à aimer.
Car notre Dieu est amour. Et celui qui aime, il est en Dieu et Dieu est en lui, et déjà il ressuscite d'entre les morts. C'est à dire qu'il participe déjà à sa condition nouvelle qui sera totalement amour.
Mes frères, entraînons-nous à aimer purement, chastement, gratuitement, et à aimer jusqu'au bout. Alors nous serons vraiment la conscience, le coeur, l’œil de l'humanité. Nous serons à notre place. Nous nous acquitterons de notre mission.
Ayons confiance, mes frères, cette nuit très sainte nous rend des forces nouvelles. Elle nous dit que tout est possible puisque Dieu est amour et que le Christ notre frère est ressuscité d'entre les morts.
Amen.
Mes frères,
Les hommes ont toujours été fascinés par l'étrange, l'insolite, le merveilleux. C'est vrai de toutes les époques mais peut-être davantage encore de notre temps. Nos contemporains sont saturés de bien-être matériel, de jouissances, d'excitants ; ou à l'autre extrémité, accablés, écrasés, anéantis sous des problèmes insolubles et sous des misères sans issues. Les uns et les autres sont à l'affût d'une réponse, d'un ...... Ils se donnent des prophètes, des gourous. Ils cherchent à se ressourcer dans l'inédit.
Nous touchons là, mes frères, un des signes le plus révélateur du degré de déchristianisation et de néopaganisme de notre société occidentale, la nôtre, société à la fois et trop riche et trop pauvre. Nous comprenons que le Pape et les Evêques parlent du temps d'une nouvelle évangélisation. Mais comment faire ?
Croyons-nous encore vraiment en la résurrection du Christ, centre et sommet de l'Histoire, l'Histoire du monde, mais aussi l'Histoire de chacun d'entre nous ? Pouvons-nous dire en toute vérité et en parfaite conscience que le Christ ressuscité est le pivot et le moteur de notre vie ?
Or, mes frères, en dehors de cette résurrection qui est la promesse de la nôtre, la vie se déboussole et le monde perd son équilibre. Un élément doit donner stabilité et solidité à notre existence. Il doit en nourrir les ....., en entretenir la flamme. Et cet élément, c'est la ..... d'un progrès, d'une croissance vers une plénitude qui assume tout, même la souffrance, même les échecs ; une plénitude qui rassasie le coeur aussi bien que l'esprit et les sens.
La Bonne Nouvelle de la résurrection pour la vie éternelle dans la lumière et l'amour répond ainsi à l'attente instinctive des hommes. Cette attente est comme inscrite dans leurs gènes. Car si l'homme a été créé, c'est afin de participer un jour à la vie même de Dieu. Or cela, il ne le peut qu'à travers une mort biologique et une résurrection dans ce monde nouveau.
Mes frères, pourquoi ne clame-t-on pas partout cette Bonne Nouvelle de la résurrection ? Les premiers chrétiens..... ..... comme un feu qui incendiait les consciences. Ils la répandaient par leur vie transfigurée, pacifiée, donnée. Nietzsche disait : « Je croirais à leur religion » c'est à dire celle des chrétiens « s'ils ont l'air un peu moins tristes. »
Oui, mes frères, nous possédons la vérité suressentielle. Est-ce qu'elle anime, est-elle la lampe de notre vie ? Est-ce qu'elle entretien en nous un foyer de joie qui rayonne sur notre visage, dans notre regard et dans notre conduite ?
La foi en la résurrection, l'union d'amour avec le Christ-Jésus ressuscité permet de dépasser toutes les formes de mort. La mort est derrière nous, elle appartient au passé, lorsqu'on est un vrai chrétien.
Les événements de tous les jours sont vus et vécus dans une lumière nouvelle. Ils sont vus du lieu où réside Dieu et, ..... ..... on est arrivé soi-même. On n’est plus dominé par eux. On les assume même lorsqu'ils sont contraires.
C'est un peu comme une navigation à voile. On peut utiliser les vents contraires pour avancer vers le ports que l'on désire atteindre.
O, mes frères, on n'expérimente rien de spectaculaire, mais on sait que le dernier mot a été prononcé, et on sait que l'on possède déjà la vie ..... .…. Nous sommes appelés ainsi à être les témoins de la résurrection du Christ et de la mort ..... .....
O, mes frères, s'il en était ainsi, les structures familiales, sociales, économiques et même politiques seraient remodelées par l'intérieur. Imaginons, mes frères, une société qui serait peuplée de véritables chrétiens possédant en eux la foi vivante en la résurrection du Christ et y conformant leur conduite jusque dans le détail.
On retrouverait ce qui existait à l'origine du christianisme dans cette première communauté chrétienne où tout le monde les regardait en disant : « Mais voyez comme ils s'aiment. » Et à partir de là, l'incendie se propagerait à travers toutes les couches sociales, malgré les obstacles, malgré les persécutions.
Mes frères, c'est cela la nouvelle évangélisation. Elle est à la portée de chacun, car c'est de vivre en conformité avec la foi chrétienne.
Mes frères, ce sera mon souhait de Pâques : que nous puissions être ainsi par une vie dans la vérité, la charité et la justice, être les témoins du Christ, les témoins de sa résurrection. Et qu'il puisse en être ainsi tous les jours.
Ce qui signifie qu'il n'y ait pas d'intervalle entre ce que nous sommes et ce que nous faisons, mais que notre foi transparaisse à travers nos œuvres; et que les hommes en le voyant soient surpris, étonnés, émerveillés, interpellés.
Amen.
Mes frères,
Durant tout le mois d'Avril, nous allons reprendre interminablement, inlassablement le Cantique Alléluia. Cette acclamation n'est pas de la terre, elle nous vient du ciel. Nous reconnaissons en elle une racine hébraïque que nous ne pouvons pas conceptualiser, qui ne peut être que l'objet d'une vision, d'une contemplation, d'une audition.
Elle est une coulée de lumière à l'intérieur de laquelle nous percevons des sonorités qui sont clarté, pureté, transparence. Cette racine, nous pouvons la voir comme un globe de lumière à l'intérieur duquel dansent des grains de cristal. Mais que signifie donc Alléluia ?
Il signifie, je le rappelle, louer le Seigneur, c'est à dire chanter les louanges du Seigneur, Lui qui a hérité du Nom qui est au-dessus de tout nom, le nom imprononçable, le nom indicible, celui qui monte et qui déborde des abîmes de la Sainte Trinité.
Mais il ne suffit pas de louer de bouche le Seigneur, nous devons chanter sa louange par notre être tout entier qui doit être saisi par elle. Cette louange, nous le savons, est notre activité principale dans le monastère. Elle devrait même être l'activité principale de tout chrétien. Elle doit un jour devenir notre activité unique comme il en sera dans l'univers de la résurrection.
C'est de là que nous vient cette louange. Elle nous est confiée afin que nous la fassions fructifier et qu'un jour elle devienne l'expression de ce que nous sommes.
La toute première louange que nous devons adresser au Seigneur, le point de départ à partir duquel toutes les autres louanges vont germer, foisonner, se multiplier, s'amplifier, c'est de nous accepter tels que nous sommes, tels que Dieu nous a voulus, tels que Dieu nous aime. Louer le Seigneur, c'est d'abord nous aimer nous-mêmes à l'intérieur de nos frontières, de nos capacités, de nos défauts ; c'est de ne pas regarder vers le voisin pour comparer, pour regretter, pour envier.
Mieux encore, nous devons aimer nos frères tels qu'ils sont, nous réjouir de les trouver différents de nous car nous sommes tous membres d'un seul Corps, et leur richesse est la nôtre comme la nôtre est la leur.
Accepter son moi préfabriqué, c'est donc faire confiance au Seigneur, c'est l'aimer, c'est s'ouvrir à son amour. En un mot : c'est lui rendre grâce et le louer.
Il n'est pas facile, mes frères, de s'accepter tel qu'on est et encore moins de s'aimer tel qu'on est. C'est en vérité le premier degré de l'humilité. Et c'est à partir de lui que Dieu va pouvoir travailler. Car il n'en restera pas à cette première ébauche de ce que nous sommes. Il va la façonner et la conduire à sa perfection.
Si nous partons de cette ligne, nous verrons bientôt la louange jaillir de tous les horizons de notre vie. Nous louons le Seigneur parce que nous nous recevons de lui, parce que nous nous laissons façonner par lui. Et en terme monastique, cela prend le nom de obéissance, une obéissance attentive, amoureuse suivie d'une réponse de tout notre être.
La pureté de notre louange sera toujours en fonction de la qualité de notre écoute d'abord et de notre réponse, c'est à dire de notre obéissance, de notre remise de nous à ce Seigneur et de notre collaboration avec lui. Car nous sommes toujours libres et s'il nous façonne, c'est en faisant appel chaque fois à notre collaboration. Nous devons devenir d'une souplesse et d'une tendreté qui lui permettent de tout imprimer en nous.
Dieu va donc poursuivre en nous son travail. Et Dieu est un artiste, il improvise. Il ne sait pas lui-même où il va. Il le découvre jour après jour. Et pour Lui, c'est une joie de pouvoir contempler la naissance de son œuvre, mais une œuvre qui lui répond, une œuvre qui le remercie, une œuvre qui chante sa louange à lui. Car il entend faire de chacun d'entre nous la réplique, une réplique de ce qu'il est lui-même, déposer en nous son Esprit, son Amour et sa Lumière .
Notre louange ne fera donc que croître à mesure que l'image de Dieu s'imprimera en nous, et elle finira par toucher des sommets qui se rapprochent de l'infini. Notre petit moi reçu de lui au départ va devenir un grain de lumière.
Vous savez qu'aujourd'hui on scrute, qu'on parvient même à photographier l'infiniment petit. Un saint, c'est un infiniment petit à l'intérieur du sein de la Trinité, mais un infiniment petit d'une complexité et d'une beauté qui fait le ravissement de son Créateur et le ravissement des autres grains de lumière.
La cime de la louange, alors, sera atteinte chez nous à l'intérieur d'un silence d'étonnement, d'admiration, de reconnaissance, de joie, d'adoration. On est devenu pure louange. Il ne restera plus qu'une dernière étape, une chiquenaude finale qui va nous lancer dans l'univers de la résurrection.
Et cette chiquenaude, c'est la mort biologique, c'est le dépouillement absolu. C'est la fin de tout avoir et de tout être. Il ne reste rien apparemment ! Mais c'est alors que le Seigneur va mettre la dernière main à son chef-d’œuvre. N'oublions pas qu'il est un artiste dont nous ne pouvons sonder la vigueur et la puissance d'inspiration.
C'est un artiste qui est amour et à ce moment-là, il nous ressuscitera en lui dans une apothéose de lumière. Alors, mes frères, nous serons devenus ce que le Seigneur avait visé depuis le départ, nous serons devenus un Alleluia à l'intérieur de ce qu'il est.
Lorsque nous contemplons le mouvement, la vie à l'intérieur de la Sainte Trinité, nous remarquons que chacune des Personnes est pure louange des deux autres. Elle se reçoit des deux autres et elle se restitue à elles dans un mouvement incessant.
Mes frères, les Alléluias que nous allons répéter sans fin durant tout le mois d'Avril vont nous rappeler cette prodigieuse destinée qui est la nôtre. Nous nous ouvrirons à elle, c'est à dire au Seigneur qui est amour et qui entend aller pour chacun de nous jusqu'au bout de son amour.
Chapitre du samedi avant les rameaux. 18.03.89....................... 40
Saint Joseph, Père Spirituel de tous les hommes.............................................................................................. 40
Homélie à l’Eucharistie des rameaux. 19.03.89........................ 41
Chapitre du Lundi-Saint. 20.03.89................................... 42
L’humilité de Dieu................................................................................................................................................... 42
Chapitre du Mardi-Saint. 21.03.89................................... 45
L’irruption de l’univers de Dieu dans le monde des hommes........................................................................ 45
Chapitre du Mercredi-Saint. 22.03.89................................. 47
Judas et nous ?......................................................................................................................................................... 47
Homélie à l’Eucharistie du Jeudi-Saint. 23.03.89......................... 49
La démesure de Dieu............................................................................................................................................... 49
Vendredi-Saint. 24.03.89.......................................... 50
Homélie à la célébration : Le paradoxe de notre Dieu !................................................................................. 50
Exhortation à l’Office de Complies..................................................................................................................... 51
Homélie à la Vigile Pascale. 25.03.89............................... 54
Homélie à l’Eucharistie du jour de Pâques. 26.03.89................... 55
Récollection dans l’Octave de Pâques. 01.04.89.................... 57
Le Cantique Alléluia !............................................................................................................................................. 57
Table des matières de la Semaine Sainte de 1989............................... 59