Homélie : Fête de la Présentation.               02.02.78

      Introduction à la liturgie.

 

Mes frères,

 

            On nous a déjà présenté le mystère de la fête de ce jour. Il n’y a plus grand chose à dire sinon peut-être ceci : nous allons jouer un mimodrame, nous allons mimer notre démarche monastique dans ce qu’elle a de plus vivant et de plus beau.

 

            Notre vie est une pérégrination en réponse à un appel, une exemia comme disaient les Anciens. Nous quittons un lieu, notre patrie, notre avoir, notre vouloir, lieu symbolisé par cette salle [1], et nous partons à la rencontre de celui qui nous invite et qui nous attend. Et il nous attend dans son Royaume, ailleurs, dans son Royaume symbolisé par notre église.

            Chez lui, dans son Royaume, tout est différent. Nous allons donc d’abord rencontrer un certain dépaysement, éprouver l’étrange sensation de ne plus être tout à fait nous-mêmes. Ce n’est pas étonnant car, naturellement nous sommes ténèbres tandis que lui, naturellement est lumière.

 

            Lorsque le Christ se dévoile au regard du moine, il se manifeste d’abord comme lumière. Je suis la lumière du monde ! L’expression lumière du monde doit être entendue à la lettre. Nos mentalités platoniciennes pencheraient plutôt vers un sens métaphorique qui est plus commode et moins inquiétant.

            Non, mes frères, le Christ ressuscité, le Christ dans sa chair transfigurée est vêtu de lumière, d’une lumière bien réelle, bien concrète qu’il est presque possible de photographier. Pensez à la scène de la Transfiguration ! Et cette lumière dont est vêtu le Christ rayonne de son être, de sa personne et elle brille d’un éclat quasi insoutenable jusqu’aux extrémités du cosmos en expansion.

            C’est cette lumière qui crée l’univers, qui le porte, qui le fait grandir et s’épanouir. Et le moine commence à déguster les prémices de la vie éternelle le jour où son cœur purifié aperçoit les premiers scintillements de cette lumière. C’est le seuil du Royaume, tout est nouveau ; l’amour devient la loi, l’unique loi et la beauté devient la forme, l’unique forme de la vie.

 

            Nous ne trouverions jamais notre chemin vers cette lumière si dans notre cœur, au départ, n’avait été déposé une étincelle déjà de cette lumière. Et c’est justement cette petite flamme, symbolisée par nos cierges allumés, qui va nous guider avec une sûreté infaillible vers cette source, le foyer dont elle est issue et vers laquelle, en retournant, elle nous entraîne.

            Notre cheminement à travers nos cloîtres obscurs va marquer notre résolution, notre détermination de marcher jusqu’au bout, jusqu’à la rencontre heureuse avec le Christ, avec la lumière ; jusqu’à ce moment où nous-mêmes avec Marie et tous les saints, et ici attention ! je ne pense pas à un lointain aboutissement au-delà de la mort, je pense à aujourd’hui, à notre vie, où avec Marie et tous les saints, nous serons devenus chacun les uns pour les autres, et pour les hommes nos frères, lumière et feu.

 

           

Chapitre : L’Assomption de la Vierge Marie.     15.08.78

      Marie, patronne de l’Ordre Cistercien.

 

 

Mes frères,

 

Nous fêtons aujourd'hui Marie dans le mystère de son assomption, et qui est la patronne principale de l'Ordre de Cîteaux. Nous pourrions nous demander pourquoi on a choisi précisément le mystère de 1'assomption pour la couronner patronne d'un Ordre monastique. Pour le comprendre, il faut saisir ce qu'est ce mystère de l'assomption.

Nous le savons tous, Marie, dans son corps transfiguré, glorifié, donc pénétré de toute part des énergies divines, a été enlevée, transportée, transférée là où se trouve déjà son Fils ressuscité. On ne parle pas de résurrection de Marie, pourtant,c'est le même phénomène. On ne le fait pas afin d'éviter des confusions.

Certains théologiens, comme vous le savez, prétendent que Marie n'a pas connu la mort. Je me souviens, au cours de nos études,que c'était un débat passionnant. Laissons cela de côté, cela n'a pas d'importance.

 

Marie, la voici donc telle qu'elle est maintenant : Je ne vais pas dire : « Essayons de nous la représenter ! » Nous ne saurions pas. N'essayons pas non plus de nous référer à des apparitions, car les apparitions, ce sont des manières de s'approcher de nous, pour que nous puissions tout de même, dans notre faiblesse charnelle, corporelle, saisir un petit peu quelque chose de son mystère.

Marie donc, dans l'état où elle est aujourd'hui, est notre mère. Comme je l'ai rappelé hier, c'est sa maternité physique qui est la source de tout ce qu'elle est devenue. Marie est mère de Jésus. Mais Jésus, qui est le Christ, est lui-même la tête d'un corps. Cela veut dire qu'au fur et à mesure que l'histoire des hommes progresse, tous ces hommes viennent s'agréger à lui, se greffer sur lui, pour recevoir sa vie, et insensiblement devenir pleinement ce que lui est, chacun dans sa personnalité, dans son individualité propre. L'ensemble s'édifie alors en Corps, dont lui est la tête.

Eh bien, Marie est la mère de toutes les cellules de ce Corps. Comme dans le corps de Jésus, elle était la mère de toutes ses cellules corporelles, charnelles, il en est de même maintenant au plan de son corps mystique.

 

Mais à l'intérieur de ce Corps, il y a des membres, des cellules dont la fonction est spécifique. Chacune a la sienne. Celle des moines contemplatifs, c'est d'être ici sur terre, maintenant, ce que Jésus est maintenant. Nous avons toujours tendance à voir Jésus tel qu'il était avant, c'est-à-dire quand il était ici sur terre, avant sa Résurrection.

Non, il faut le voir tel qu'il est aujourd'hui. Voilà ce qui nous est demandé d'être aujourd'hui aussi tel qu'il est aujourd'hui. Nous ne savons pas le devenir en une fois, nous le devenons insensiblement, progressivement. Qu'arrive-t-il alors ?

Nous devenons ce que Lui est : lumière, source intarissable de vie pour les autres, et cela dans un amour inconditionnel, c'est-à-dire un amour qui ne pose pas de condition de la part des autres, car cet amour est premier, il est gratuit, il n'attend rien de retour. Comme cet amour inconditionnel est vie et lumière, il se produit une métamorphose de l'autre. C'est seulement au terme, lorsque chacun sera pleinement greffé sur le Christ, qu'on se reconnaîtra, qu'on se découvrira comme frères et soeurs. Voilà donc la fonction du moine aujourd'hui, et c'est cela que Marie nous aide à devenir.

 

On pourrait traduire ceci en concepts théologiques,mais alors cela se complique car en une fois cela devient sujet de spéculation et de réflexion. Restons plutôt dans le domaine de la vie de ce Corps qui grandit,et dont Marie est toujours la mère.

Essayons d'aller encore plus loin pour comprendre que c'est dans le mystère de son assomption que Marie est Reine de Cîteaux. Marie modèle en elle-même, dans son sein, le corps de son enfant selon ce qu'elle est. Son enfant est un morceau d'elle-même,donc son enfant lui ressemble, et il lui ressemble pour toujours. Elle nous modèle dans le grand sein qui est le sien aujourd'hui.

Et elle nous modèle à son image et, il n'est pas possible qu'il en soit autrement. Nous sommes modelés à son image et nous devons devenir alors l'image de son premier-né, une icône de plus en plus fidèle de son Fils, qui est lui-même (c'est cela qui est extraordinaire) modèle parfait de ce que elle est.

 

Voyez-vous, Jésus avait comme Père, Dieu, il avait comme mère, Marie. Le physique charnel de Jésus, il le tenait uniquement de cette femme. II n'y a pas eu d'apport masculin qui aurait pu mitiger la ressemblance de Jésus à sa mère. Non, elle était totale. C'est ce que Marie au plan surnaturel fait avec nous. Nous l'avons comme mère, et nous avons Dieu comme Père, et alors, le fruit, c'est un nouveau Christ en nous. Nous devons voir Marie telle qu'elle est aujourd'hui. Nous nous approchons toujours ainsi de ce mystère de l'assomption.

Nous devons voir Marie telle qu'elle est aujourd'hui. Or ce n'est pas là un mythe, nous ne devons pas voir en elle une image idéale d'une mère vers laquelle nous devrions nous approcher de plus en plus en ressemblance. Elle n'est pas un mythe, elle est une vivante, une personne bien vivante,dont la présence physique est agissante. Lorsque nous voyons Marie apparaître ici ou là, c'est quelque chose qui en soi n'a pas tellement d'importance, car Marie est là, elle est présente pour moi à tous moments.

Cela veut dire qu'elle agit, et elle est présente physiquement partout, elle jouit du même privilège que son Fils. Cette présence agissante la fait travailler sur nous. Cela nous aide un peu à comprendre aussi ce vocable que lui donnaient ces premiers cisterciens Notre-Dame .C'était l'époque de la chevalerie. Chaque chevalier ,chaque miles, chaque soldat, donné tout entier au service du suzerain, au service du roi, avait sa dame, la dame de ses pensées pour laquelle il luttait, pour laquelle il combattait, pour laquelle il recueillait des trophées qu'il venait lui offrir, et aucune ne pouvait la surpasser, aucune ne pouvait lui être comparée, il donnait sa vie pour elle.

 

Pour ces moines cisterciens, pour ces fils de chevaliers, Marie était la domina, elle était la dame de leurs pensées, elle était leur Regina, celle qui dirigeait toute leur vie. Tout ce qu'ils faisaient, c'était pour elle.

Nous comprenons un peu mieux pourquoi saint Bernard, et les autres encore, chantaient si facilement et avec tant de coeur, cette Marie qui était la dame de leurs pensées. Ils pensaient à elle tout le temps, ils ne vivaient que pour elle. Cela devrait être un peu la même chose pour nous. Ils la voyaient telle qu'elle était dans sa gloire de Dame et de Reine.

Et ainsi, elle les conduisait sûrement jusqu'à la perfection de leur état,qui était de devenir eux-mêmes, à sa ressemblance, des lumières, des sources de vie, et un amour inconditionnel pour tous les hommes. Or,c'est cela, mes frères, qu'en termes plus techniques, on appellerait « transfiguration de l'homme » ou bien « pré-résurrection ». C'est cette merveille que dans l'assomption de Marie, choisie comme patronne, nous essayons de vivre et de comprendre, mais surtout de vivre.

 

Donc, Marie est patronne de Cîteaux dans son assomption, parce que c'est elle qui nous conduit à cet état sublime de transfiguration, de métamorphose, de pré-résurrection, que elle, elle possède en plénitude. Elle est un phare sur notre route, une lumière, une étoile sur cette mer agitée que nous traversons vaille que vaille, elle est cette étoile qui sans cesse luit dans l'obscurité devant nos yeux, jusqu'à notre transformation totale.

C'est parce qu'elle est la reine des contemplatifs, qu'elle est la reine de Cîteaux dans son assomption. Cela veut dire que nous devons la voir telle qu'elle est aujourd'hui, ne l'oublions jamais.

Vous aurez d'autres congrégations qui sont consacrées, qui retrouvent leur idéal dans son immaculée conception, dans sa visitation. C'est très bien, c'est indispensable dans l'Eglise, mais pour nous, c'est dans son assomption.

 

A1ors, mes frères, comme il est d'usage en ce jour d'échanger des voeux en son honneur, je pense que celui que nous pouvons échanger, c'est celui que je vais formuler : c'est que nous puissions devenir bientôt, mox comme dit saint Benoît, devenir bientôt, chacun pour nous, ce qu'elle est pleinement maintenant auprès de son Fils dans la gloire éternelle.

 

Chapitre : Ave Maris Stella.                      14.08.78

1.   L’hymne, prière contemplative.

 

Mes frères,

 

Comme dans une huitaine de jours nous allons fêter Marie comme Reine de l'Univers, comme nous avons aussi répété les hymnes Grégoriennes de la Sainte Vierge, on m'a demandé ce matin si je ne pouvais pas présenter ces hymnes dans le cadre d'une sorte d'octave Mariale. Et voila, j'ai réfléchi à cela, je m'y suis attelé ce matin et je pense que je suis arrivé à quelque chose que je vais vous livrer dès aujourd'hui. L'idéal eut été que chacun ait le texte latin, que chacun ait le texte français, puis qu'il y ait ici un tableau ou l'appareil magique que vous avez vu il y a une quinzaine de jours. Enfin nous ferons avec les moyens du bord.

 

Ave Maris Stella, c'est une hymne de Vêpres. Elle date du 9° siècle, donc approximativement de l'époque de Charlemagne. C'est une hymne de Vêpres et il faut bien voir ce que représentent les Vêpres. Pour nous aujourd'hui ça ne signifie pas grand chose au plan du mot et même de la réalité. Nous avons chanté les Vêpres tout à l'heure et ça n'avait pas du tout l'apparence de Vêpres. Pourquoi ?

Parce que l'Office de Vêpres doit se chanter dans l'obscurité ou plutôt lorsque l'obscurité commence à descendre. Il est encore trop tôt maintenant pour chanter l'Office de Vêpres. Dans deux heures peut-être le moment sera-t-il là ! Voyons un peu ce que ça représente pour les hommes du 9° Siècle, ou encore à l'époque de Saint Bernard, ou encore il n'y a pas si longtemps. Moi-même j'ai encore connu ce temps dans les villages Ardennais.

 

Donc à ce moment il n'y a pas d'électricité, il n'y a pas d'illuminations comme nous en avons aujourd'hui. Actuellement en ville on ne sait pas si c'est le jour ou la nuit parfois tellement il y fait clair et, je suis revenu le long des autoroutes le soir en hiver en lisant le bréviaire dans la voiture. Tellement l'éclairage est intense sur ces autoroutes le petit lumignon à l'intérieur de la voiture suffisait.

A l'époque c'était tout autre chose, il n'y avait donc rien comme lumière. Il n'y avait que les étoiles, la lune, ou alors dans les maisons un petit lumignon à l'huile, et c'était tout. Donc les ténèbres, c'est toujours un lieu, c'est une réalité que je dirais spatiale dans laquelle on entre, ou plut6t qui descend lentement comme une chape, comme une boite, comme un couvercle, qui descend sur le monde et qui réduit les hommes à l'inactivité sauf ceux qui ont des mauvais coups à faire.

C'est l'heure de la puissance des ténèbres. Il faut penser au Prince des ténèbres. C'est le démon, le roi du mal qui règne lorsqu'on ne s'y retrouve plus. Les honnêtes gens sont chez eux, les brigands sont sur les routes.

 

A la dernière panne d'électricité à New York, cette année-ci encore, en hiver, par un coup de chance si on peut dire mon frère s'y trouvait ce jour là. Donc imaginez-vous cette ville de New York où il n'y avait plus de lumière du tout, alors que c'est vraiment une ville lumière. Les gens sont devenus fou de peur, beaucoup en ces quelques heures sont littéralement devenus fou, le patron de l'hôtel s'est suicidé.

Alors dans les rues la mafia est entrée en action. Il y a eu des crimes, des vols, des pillages et, cela n'a duré que quelques heures la nuit. Eh bien ça, c'est la puissance des ténèbres. Ici c'était extraordinaire, mais dans des occasions exceptionnelles ainsi ça ressurgit brutalement, les instincts sanguinaires de l'homme et les instincts de peur resurgissent en un instant, bouleversent et submergent tout.

A l'époque donc où on chantait l'hymne de Vêpres, ce sont donc toujours des hymnes qui laissent percevoir une certaine inquiétude, une angoisse en face des dangers qui sont dissimulés dans ces ténèbres. Et n'oublions pas que c'est quelque chose de bien concret pour eux. Je vous le dis, moi- même j'ai encore connu cela dans les villages Ardennais, et c'était vraiment une expédition quand on était gosse d’aller de la maison au magasin le soir. Il n'y avait pas d'éclairage, ni chien, ni chat. Enfin vous l'avez connu certainement, du moins les anciens...

 

Alors l'Ave Maris Stella, c'est donc une prière cette hymne, mais une prière dans un long regard contemplatif, à l'heure où l'obscurité avec ses dangers, ses inquiétudes, ses angoisses, descend sur la terre et l'enveloppe comme d'un linceul. Donc mettons nous bien ça dans la tête. C'est difficile, nous devons faire un effort d'imagination pour le sentir dans notre chair, mais il faut restituer le lieu théologique et le lieu cosmologique dans lequel est née cette hymne, pour savoir ce qu'elle veut dire.

C'est aussi un chant. C'est le chant des voyageurs, des pèlerins qui sont en route vers un lieu, et ce lieu est encore fort loin. Ce lieu est le Royaume de Dieu. C'est le ciel comme on disait à l'époque. Donc c'est ce Royaume de Dieu où on va pouvoir enfin vivre dans la lumière, en pleine lumière cette fois-ci, mais dans la compagnie du Christ, de sa Mère et des Saints. C'est un chant, disons de pèlerinage, un chant de route qui permet d'avancer. Et dans cette optique il est parfaitement monastique si on voit le moine comme étant un homme qui est en route vers le Royaume de Dieu.

 

Cette hymne est une hymne Mariale. Marie est vue ici, d'abord et surtout dans le rayonnement de sa gloire, de la lumière, qu'elle est devenue dans tout son être. Il faut voir ainsi Marie : on la prend à la base qui est son état de Mère de Dieu, elle est prise, elle est portée et elle est élevée dans sa gloire. Et là on la contemple, on la regarde, on l'invoque, on la prie, on se place sous sa protection. Ave Maris Stella est donc essentiellement une hymne de l'Assomption. Il faut donc avoir tous les aspects présents à l'esprit en même temps. C'est pour cela qu'il faut un regard contemplatif et un esprit méditatif lorsqu'on prie, lorsqu'on chante cette hymne.

Cette hymne a une très belle structure, une structure qui répond parfaitement à son titre. Comme pour les encycliques du Pape aujourd'hui, comme pour les livres de la Tora, de la loi dans la Bible, le titre est formé des premiers mots du document ou du livre, ici de l'hymne. On dira: nous allons chanter l'Ave Maris Stella, et tout le monde sait de quoi il s’agit. Eh bien ici, le titre est très bien rendu et exprimé par la structure.

 

1

2         5

4

3         6

7

 

Il est dit donc : Salut Etoile de la mer. On s'adresse donc ici à une étoile, et l'hymne a la structure d'une étoile. Elle comporte sept strophes, un nombre impair. La 4° strophe se trouve au centre, c'est la strophe qui explique tout. Elle donne la signification, la source théologique de l'hymne et de tout ce qu'on va dire de Marie et de ce qu'on va lui demander.

 

Et partir de cette strophe 4, comme des rayons qui se répandent dans trois directions, les strophes se répondent chaque fois. La strophe l répond à la strophe 7 qui est la doxologie. Nous aurons donc : Ave Maris Stella et puis la doxologie Sit laus Deo Patri. On salue Marie puis on salue Dieu pour finir. La strophe 2 correspond à la strophe 6 et la strophe 3 correspond à la 5.

Vous avez donc la forme d'une étoile, une étoile à 6 branches, avec au centre le foyer lumineux qui est la maternité Divine de Marie. Elle est la theotokos, et c'est parce qu'elle est la theotokos qu'elle peut darder ses rayons et qu'elle est une étoile.

Nous allons en rester là pour aujourd'hui. Avant de commencer l'explication des strophes, nous allons d'abord voir la strophe centrale, la strophe 4, puis nous les prendrons chacune par paire, 1-7, 2-6, et 3-5. Nous allons faire cela à notre aise et vous verrez la richesse théologique et la richesse contemplative de cette hymne que nous avons chanté un nombre incalculable de fois auparavant. Et alors un peu par routine, finalement on n'y prend plus garde, on ne fait plus attention, on est distrait.

C'est pour cela qu'il est bon, il faudrait faire cela pour toutes les hymnes puisque, maintenant nous chantons de nouveau les hymnes grégoriennes. Ce serait intéressant de les prendre toutes à l'occasion des temps liturgiques, pour chaque fois les saisir et puis alors vraiment les méditer et les prier pendant tout le temps qu'il faut, puisque on les répète parfois pendant des semaines : temps de l'Avent, temps de Carême, temps Pascal, etc. Mais là, ce sont des projets à long terme.

 

 

Chapitre : Ave Maris Stella.                      22.08.78

 

2.   Le Docétisme.

Mes frères,

            Il est toujours un peu malaisé de reprendre un entretien après une interruption d’une semaine. Je vais donc essayer d’être très bref pour rappeler ce que j’avais déjà exposé.

            Cette hymne Ave Maris Stella se présente sous la forme d’une étoile dont les rayons partent d’un noyau, d’un centre, d’un soleil qui est la maternité divine proclamée dans la 4° strophe. Cette maternité divine entraîne pour Marie une série de prérogatives qui deviendront aussi des servitudes.  

N’oublions pas que dès les premiers instants elle s'est proclamée servante, mieux encore esclave et elle l'est toujours. Elle est constituée dans son être de servante. Nous la voyons souvent comme souveraine. Elle l'est aussi d'ailleurs mais elle est d'abord en tout premier lieu servante, servante de Dieu, mais aussi servante de tous les enfants de Dieu dont elle est en même temps la mère. Et vous voyez ici cette belle image : la mère qui est au service de sa famille, de ses enfants.

Elle sera aussi extrêmement puissante. Nous avions vu d'abord que son être de mère de Dieu, de  theotokos genitrix c'est beaucoup plus que mère. Son être de génitrice de Dieu avait fait d'elle un être absolument étranger à tout ce qui est mal. C'est même beaucoup plus que ce qui est péché. Il n'y a rien de mal en elle, aucune source de mal, rien. Le mal peut presser sur elle, peut l'écraser, pourrait même la tuer comme le mal a tué son propre fils, mais le mal n'est pas en elle. Elle a toujours en présence du mal qu'elle voit et qu'elle subit un étonnement douloureux, une stupéfaction angoissée. Voila je pense l'endroit où nous étions arrivés. Et ici, avant d'aller plus loin, je voudrais ouvrir une petite parenthèse qui va me permettre d'entamer un second point.

 


C'est qu'il me semble que notre psychisme spirituel est toujours plus ou moins entaché de l'hérésie Docète, le Docètisme. C'est une hérésie des premiers siècles chrétiens au terme de laquelle le Christ n'était pas un véritable homme. Dieu avait pris l'apparence d'un homme, il jouait à l'intérieur d'un homme mais ce n'était pas véritablement un homme. La maternité Divine va contre cela. Il est vraiment engendré d'une femme comme n'importe quel homme.

Eh bien nous dans le fond, nous ne le croyons pas, nous ne parvenons pas à le réaliser, nous sommes toujours Docète sur les bords. Par exemple, nous allons prêter à Jésus homme une science qu'il n'avait pas. Nous ne pouvons pas concevoir que Jésus n'était pas au courant des derniers secrets de la science nucléaire ; il était tout de même le Fils de Dieu, il est le Créateur. Et ça c'est l'hérésie Docète, pas tout à fait homme ! Or Jésus étant un homme comme vous et moi a tout dû apprendre comme un homme. Il a dû apprendre à lire, à écrire. Il était au niveau de la science de son temps, pas plus. Et entre autre, il a dû apprendre la vie, ce que c'est que la vie concrète à une école qui était comme pour chacun d'entre nous, le foyer, la maison. Et dans cette école il avait un modèle, une figure, un maître, qui était sa propre mère.

Alors, lorsque plus tard devenu un homme et devenu Rabbi, Maître, lorsqu'il enseigne ses disciples, lorsqu'il enseigne les foules, lorsqu'il présente certaines figures de perfection, vous pouvez être certain que toujours il se réfère à la figure de sa Mère. C'est auprès d'elle qu'il a vu ce qu'était la sainteté pour un être humain.

Il ne s'est pas référé à lui, il n'a pas été imaginer des exemples, il ne s'est pas référé à des figures de l'Ecriture. C'eut été, je ne sais pas, trop abstrait, trop spéculatif. Non, il avait un modèle, il dépeint sa Mère. Et entre autre, lorsque la première fois, d'après les Evangiles, il s'adresse à ses disciples et à la foule, il commence son grand discours en disant : Heureux les pauvres en esprit, le royaume des cieux: est à eux. Le tout premier mot est heureux.

 

Et souvenez-vous de ce que sa Mère avait dit un jour, elle avait dit : « Toutes les nations, toutes les générations jusqu’à la fin du monde et au delà de la fin du monde pour toute l'éternité, diront de moi heureuse. Il dit : Heureux les pauvres, Heureux les doux, Heureux les purs, Heureux les pacifiques, Heureux ceux dont le coeur est plein de compassion et de miséricorde, Heureux ceux qui savent supporter le mal et même souffrir à cause de lui, Heureux ceux qui savent pleurer, Heureux tous ceux là !

Eh bien, mes frères, j'en suis sûr, pour moi c'est une certitude, ici, il dresse le tableau de sa Mère. Il la voit au moment où il dit cela et il la dépeint devant toute la foule. Et c'est là quelque chose de très vrai. Car si Marie était telle, qu'elle était Theotokos, et qu'elle était immaculée dans son être, alors elle devait être en même temps tout cela : et pure, et douce, et humble et compatissante et, alors posséder le Royaume, posséder la terre, voir Dieu, exulter de joie déjà en son cœur. Voyez un peu, elle commence et elle dit : « Mon âme exalte le Seigneur et mon esprit saute de joie en Dieu mon Sauveur. II faut voir ! C'est une jeune fille qui dit cela, elle n'est pas au  garde à vous. Non, elle danse déjà sa joie à ce moment.

Eh bien, voila la prérogative de Marie, c'est d'être elle, le réceptacle et la source de toute cette béatitude, et alors d'en être la dépositaire, d'être la dispensatrice de tout cela, car c'est elle qui la première, et la seule d'ailleurs, en plénitude, les a possédées jusqu'à devenir le prototype de ces béatitudes.

Et on le retrouvera à l'intérieur de notre hymne, de toutes petites notes qui peuvent passer inaperçues, mais qui sont tout de même là. On dira d'elle Dei Mater alma. Elle est alma. L'alma c'est  la pure, mais c'est une pureté qu'on n'ose presque pas toucher, c'est la candeur, c'est, enfin c'est la pureté. C'est beaucoup plus que ce que nous mettons sous le terme de pur. C'est le coeur pur. Voyez, c'est un coeur absolument innocent, un coeur transparent, un coeur qui reflète, un coeur cristallin. C'est cela alma !

On dira plus tard : Mater Virgo inter omnes mittis. Toi qui est douce entre toutes rends-nous doux également. Et ceci : Praesta nobis vitam puram ut videntes Jesum. Fais de nous, donne-nous une vie qui soit imprégnée de pureté. Cette fois ci c'est le coeur pur, le coeur dans lequel il n'y a plus trace de malice et alors cette béatitude. A ce moment là nous verrons Dieu et nous serons dans la joie, nous verrons Jésus le Fils de Dieu et ensemble nous nous réjouirons.

 

Vous voyez toutes ces petites notes à travers l'hymne qui nous dépeignent Marie dans son privilège d'être la femme qui est la source de tout ce qui peut être le bonheur pour un être humain, parce que c'est elle qui d'abord en a été la dépositaire. Et alors à partir de là viendra ce que nous avons fêté il n’y a pas longtemps : c'est qu'elle a été emportée dans le Royaume de Dieu, c'est son Assomption. Elle a été enlevée chez Dieu. Cela ne pouvait pas être autrement, mais comme j'en ai parlé à ce moment là je ne vais pas y revenir maintenant.

Marie aussi, du fait qu'elle est la Theotokos, est la dépositaire d'une puissance que nous pouvons presque qualifier de Divine tellement elle est énorme, elle est infinie. Et pourquoi encore ? Mais parce que dans le sens strict du mot cette fois ci, elle est spi- ritualisée, totalement spiritualisée. Il est dit d'elle, au moment de l'Incarnation l'ange lui dit dynamis. Donc la puissance, la force, les énergies de Dieu, de l'Esprit, vont reposer sur elle comme une ombre.

En Grec on dit episkiatzei, c'est très difficile de traduire en français, c'est presque intraduisible. Nous autres, nous voyons simplement un fait qui arrive et qui passe. Voila, la puissance du Très Haut va te prendre sous son ombre, puis tu vas devenir la Mère de Dieu, et puis c'est fini. A non, ce n'est pas ainsi.

 

Si on voit maintenant le sens vrai et profond du texte dans l'original, ça veut dire ceci : c'est que la Puissance du Très Haut - et il faut voir ce que c'est que le Très Haut pour un Juif -donc cette Puissance du Très Haut arrive et elle repose sur toi comme une ombre. Mais tu vis toujours maintenant dans cette ombre, elle ne te quitte plus. Donc, dès cet instant là, tu es totalement imprégnée par le propre Esprit de Dieu. Il y a entre l'Esprit de Dieu et toi une relation sponsale. Tu es spiritualisée dans le sens vrai du mot.

Lorsqu'un saint est spiritualisé, il l'est aussi naturellement, mais il l'est d'une manière dérivée de celle-là. Il y a entre l'Esprit Saint et Marie un rapport qui n'existera jamais plus avec aucune autre créature. Et ce qui est arrivé une fois pour elle, est arrivé une fois pour toutes et ça a duré toujours, et ça dure encore maintenant. Voila la source de la puissance de Marie. C'est parce qu'elle est divinisée au delà de ce que nous autres nous ne pouvons même pas imaginer.

Naturellement quand je dis cela je ne l'exalte pas de façon lyrique. Non, j'essaye de creuser la réalité parce que c'est vraiment ainsi. Nous la voyons, nous, d'habitude comme un être tout à fait extraordinaire naturellement, mais toujours par rapport à nous. Je pense qu'il faut se placer à un autre point de vue. Il faut la voir par rapport à Dieu n'est-ce pas, par rapport à Dieu qui a un plan, Dieu qui va commencer une nouvelle création à partir de Marie.

Donc elle est un être unique et Il va lui donner une puissance dans son être charnel capable d'enfanter un Dieu, le propre Verbe de Dieu. Alors voyez un peu ce qu'il y a en elle. C'est toute la puissance de l'Esprit qui définitivement est en elle et y est encore aujourd’hui. Alors à partir de là vont découler pour elle des devoirs, elle va se trouver campée, installée dans son être de servante.

 

Mais si vous le voulez bien nous verrons cela une autre fois parce qu'il est déjà temps de nous rendre à l'église. Et nous allons remercier Dieu pour elle et en notre nom et en son nom. A la fin de l'Office nous allons l'implorer en sachant qu'on l'appelle, qu'on lui a donné ce surnom de omnipotentia suplex. C'est la toute puissance suppliante. Il suffit qu'elle demande pour que ce soit accordé.

Or si nous lui demandons ce que Dieu veut nous accorder, ce que Dieu veut faire de nous, c'est à dire de véritables enfants de Dieu, nous pouvons être certains que ça nous est  donné. Mais voila, il faut pouvoir le demander, et puis quand ça nous est donné, il faut encore savoir l'accepter même si l'emballage ne nous plait peut être pas toujours. Mais ce qui compte ce n'est pas tellement l'emballage, c'est plutôt le contenu, n'est-ce pas !

 

Chapitre : Ave Maris Stella.                      27.08.78

      3. Les strophes 1 et 7.

 

Mes frères,

 

En détail et en profondeur nous avons admiré et contemplé le noyau de cette étoile que constitue notre hymne. Nous avons vu que c'était la Maternité Divine de Marie. C'est parce qu'elle est theotokos qu'elle resplendit sur l'univers entier, univers du ciel et univers de la terre. Nous avons vu que invinciblement elle nous attire à lui, elle nous attire à elle, mieux encore elle nous enfante à la Vie Divine. Et maintenant nous allons si vous le voulez bien contempler les rayons.

 

Et d'abord les deux premiers rayons qui se trouvent dans le prolongement l'un de l'autre. Ils sont constitués par la première et la dernière strophe de l'hymne. Nous allons si vous le voulez bien la lire :

1

Salut, étoile de la mer

sainte mère de Dieu

et toujours vierge

bienheureuse porte du ciel.

7

Louange à Dieu le Père

honneur au Christ souverain

ainsi qu'à l'Esprit Saint

Gloire indivisible à tous trois. Amen.

 

D'abord remarquons ceci. Pour exprimer les mystères de la Vie Divine, les mystères de la surnature de cet univers de Dieu dans lequel nous sommes invités à entrer, nous pouvons user d'un langage disons philosophique ou théologique extrêmement sec. Ce langage, il faut l'avouer, n'est pas encore mis au point. Il a fallu des siècles pour que les Conciles parviennent plus ou moins à définir clairement ces vérités que nous appelons les vérités de la foi et qui ne sont rien d'autre elles aussi que des rayons qui nous viennent de ce monde de Dieu.

Le langage le plus apte pour en parler est toujours le langage de la poésie, car il éveille en nous des échos ; il parle à notre coeur en même temps qu'à notre intellect et il use d'images que nous connaissons et dans lesquelles notre expérience personnelle se retrouve. Et nous pouvons alors saisir, un peu comprendre, même si nous ne savons pas épuiser. Il n'est pas nécessaire d'épuiser, nous pouvons un peu saisir la profondeur du mystère et nous laisser séduire par lui.

 

C'est ce que nous avons ici dans cette première strophe. Marie est contemplée installée dans sa gloire. Elle est la Mère de Dieu toute sainte, alma. Et ici une petite notation intéressante, c'est que le mot latin alma est le même que le mot hébreux almah, qui signifie la jeune fille. Dans la fameuse prophétie d'Isaïe, la prophétie de l'Emmanuel, il est dit la almah va concevoir et enfanter un fils, on lui donnera le nom d'Emmanuel. Vous connaissez bien ce texte. Cette Mère de Dieu, elle est toujours Vierge. Donc voila son titre.

Nous retrouvons ici un rayon qui vient directement du centre de l'hymne, qui est la strophe 4, sur laquelle nous nous sommes si longtemps arrêtés. Elle est Vierge. Et parce qu'elle est Vierge elle est aussi la porte du ciel. J'anticipe un peu sur ce que je vais dire tantôt. Vous avez là la fécondité infinie de la virginité pour le Royaume de Dieu.

Nous devons y croire, et je pense ici à nous. Nous sommes des célibataires et nous ne devons pas devenir de vieux garçons. Nous devons bien savoir que si nous sommes vraiment vierges, c'est à dire que si dans notre coeur, dans notre esprit, dans notre âme, dans tout notre être d'homme pur nous sommes vraiment donnés à Dieu, si nous le laissons travailler en nous, si nous laissons la Vierge librement nous enfanter à l'univers de Dieu, à ce moment là notre virginité devient elle aussi infiniment féconde.

 

Nous ne le remarquons peut être pas, mais peut être que nous le voyons déjà, la virginité est d'une fécondité pour l'univers de Dieu, pas pour l'univers de la terre. Des personnes, soit dans le passé, soit maintenant, soit dans le futur sont enfantées alors par le moine pur de coeur à la Vie Divine. Il n'est pas nécessaire, comme on dit, d'exercer un ministère par rapport à d'autres hommes. Non, ce n'est pas nécessaire. Il suffit d'être. Ce n'est pas l'action qui compte ici, mais le fait d'être.

Et on agit dans l'invisible dans la mesure où on est dans l'invisible. C'est ici en relation directe et dans la suite directe de cette virginité de la Vierge Marie, qui est la première, et qui est la seule référence valable. C'est toujours encore une fois en corrélation avec son être à elle qu'un homme peut enfanter à l'Univers de Dieu. Ce que Saint Bernard a très bien dit, je l'ai déjà dit souvent et le répète encore : Anima sponsa Verbi. L'âme qui est devenue l'épouse du Verbe, conçoit du Verbe et elle enfante pour le Verbe dans l'univers de l'invisible. Elle le fait bien réellement.

 

Donc Marie est l'étoile de la mer et on la salue Ave Maris Stella. Ce n'est rien d'autre ici que la traduction en latin des premiers mots de la salutation angélique : Je vous salue Marie. Maris stella, c'est la traduction un peu arrangée du nom hébreux de Marie : Maryam, Myriam. Ce mot hébreux voudrait dire exactement goutte d'eau de mer. Alors la stilla  avec i est devenue stella, avec cette magnifique image que Marie est devenue l'étoile de la mer. Mais que signifie cette étoile ?

C'est tout simple. Nous devons ici voir le ciel. Saint Etienne disait : « Je vois le ciel ouvert et le Fils de l'homme à la droite de Dieu ». C'est la même image ici. Nous voyons le ciel ouvert, il y a une porte qui est Marie. Cette porte est ouverte et à travers cette porte filtre une lumière. C'est la lumière qui emplit le Royaume, c'est la lumière dans laquelle baigne Dieu et tout l'univers de Dieu.

Et cette lumière, elle filtre, elle perce à travers une porte, une porte qui est étroite, naturellement. Nous le savons bien, pour entrer dans le Royaume de Dieu la porte est étroite, le Christ nous l'a dit. Pour y entrer il ne faut pas être obèse, il ne faut pas être gros. Il faut devenir tout maigre et même se mettre tout nu pour s'y glisser. Et cette porte c'est Marie. Et cette lumière qui filtre à travers cette porte nous apparaît, à nous qui sommes à distance, très loin, comme une étoile. Mais cette étoile c'est la porte du ciel, c'est une lumière qui vient de Dieu et qui, à travers Marie nous atteint et devient l'étoile d'une mer.

 

Et alors ici, nous avons cette magnifique image de la mer. Il y a ici une allusion certaine et directe au chaos primitif, où, vous le savez, il est dit que, un souffle d’Elohim, un souffle venant de Dieu couvait à la surface des eaux. Le monde était un abîme, et à la surface des eaux couvait un souffle, un Esprit venant de Dieu. Et voyez l'image encore que nous avons retrouvée au moment de l'Annonciation, où ce même Souffle de Dieu va venir sur Marie et couver sur elle.

C'est le même qui couvait sur la mer primordiale et qui maintenant vient couver sur celle qui doit devenir la Mère du Verbe de Dieu. Et de même qu'Il continue à couver sur l'univers, de même il continue à couver sur Marie, c'est le même. Et cette mer primordiale, cette mer chaotique, cette mer qui est toujours agitée par des tempêtes, cette mer qui est soulevée de houles et de vagues inquiétantes, est en pleine obscurité, en pleine obscurité dans les ténèbres, sinon nous ne verrions pas l'étoile.

Les étoiles on ne les voit pas en plein jour, non. Ce monde est dans les ténèbres, ce monde est une mer et sur cette mer nous naviguons. Et nous n'avons aucun point de repère, aucun, sauf cette étoile. Mais cette étoile est sûre car elle nous apporte une lumière qui vient de Dieu. En la regardant, nous sommes donc toujours certains à travers les tempêtes, d'être sur la route et de ne pas dévier ni à gauche, ni à droite.

 

Maintenant pour naviguer, il y a des moyens ultramodernes, mais les premiers navigateurs se guidaient la nuit d'après l'une ou l'autre étoile. Grâce à elle, ils avançaient en sécurité vers le but malgré les vents contraires. Malgré tout ils savaient toujours repérer leur route. Notre but à nous c'est d'arriver dans le Royaume de Dieu. Nous avons cette étoile qui est Marie dans les tempêtes et dans l'obscurité. C'est cela Ave maris stella.

 

Chapitre : Ave Maris Stella.                      27.08.78

4.  Les strophes 2 et 6.

 

Mes frères,

 

Nous avons donc vu que Marie se présentait à nous comme l'étoile de la mer et aussi comme la porte du ciel. Nous avons vu que dans ce ciel qui est le Royaume de Dieu il y a une ouverture par laquelle nous parvient la lumière de ce Royaume. Cette lumière, nous la voyons. Cette lumière nous captive, elle nous séduit, elle nous attire irrésistiblement à elle car elle est la Vie Eternelle.

Cette lumière est aussi une personne vivante. Elle est l'Agneau, cet Agneau qui dans le Royaume est la lumière. Dans ce Royaume, comme vous le savez, il n'y a plus ni soleil, ni lune. Il n'y a plus de nuit car son flambeau en est l'Agneau qui éclaire et illumine tout. Or cette lumière de l'Agneau arrive à nous, nous la voyons, nous sommes attirés par elle.

La porte qui permet à ce rayon d'arriver à nous c'est Marie. Elle est, comme le dit l'hymne, la porte du ciel. Bienheureuse porte du ciel ! Bienheureuse pour elle, mais bienheureuse aussi pour nous. Mais qu'arrive-t-il alors lorsque nous franchissons cette porte?

 

Nous nous laissons attirer, nous arrivons devant la porte, nous la franchissons. A ce moment nous sommes dans la lumière, nous sommes dans le Royaume, un Royaume qui est lumière, un Royaume qui est Amour, un Royaume qui est Vie, car dès cet instant, nous avons abandonné la mer houleuse, secouée, dangereuse de ce monde pour nous plonger corps et âme dans l' océan sans fin de la Trinité.

Et alors nous sommes là comme un petit poisson de l'océan. Nous n'avons jamais fini de l'explorer. Ce sera notre vie pour l'éternité de contempler, d'admirer, d'adorer les trois Personnes Divines, de nous nourrir de leur vie sans être jamais rassasié mais tout en étant toujours comblé. C'est ce que nous trouvons alors dans l'autre branche de notre rayon qui est la dernière strophe de l'hymne. Elle sera : Louange à Dieu le Père, honneur au Christ souverain, ainsi qu'à l'Esprit Saint, Gloire indivisible à tous les trois, Amen.

Voila quel sera notre vie. Mais lorsque je dis sera notre vie je pense que je ne suis pas tout à fait juste. Comme nous sommes dans un monastère, ici, de contemplatifs, je dois dire pour être vrai : c'est déjà notre vie.

 

Car il est normal, il est requis, qu'un moine consacré à la vie contemplative connaisse cette vie. Oh pas le premier jour naturellement. Mais qu'à un moment donné il ait déjà, non pas la possibilité d'explorer tout cet univers, mais tout de même la possibilité de déjà passer sa tête à travers la porte pour admirer déjà ce Royaume, pour s'en nourrir, pour s'en délecter. Et puis alors, comme il est encore tout de même ici tout en étant déjà là-bas, pour pouvoir alors le dire aux autres...

Ce que aujourd'hui on cherche dans l'Eglise de plus en plus, mes frères, ce sont des témoins, des témoins de l'invisible, des témoins de l' Amour, des hommes qui peuvent dire : j'ai vu et entendu, j'ai touché ; des hommes qui sont crédibles, qui ne vont pas chercher leur témoignage dans des livres que tout le monde peut trouver et que plus personne ne croit...Des hommes qui par le témoignage de leur vie d'abord, peut être de leur parole, mais surtout par le témoignage de leur comportement, peuvent montrer aux autres que le Royaume de Dieu est là et que eux peuvent en parler. Leur vie est un dabar, est une parole. Ils peuvent donc en parler dans le sens large du terme, parce que ce Royaume est leur nourriture et déjà toute leur vie.

 

                                    2

Ce sont des strophes qui se répondent aussi parfaitement.

Recevant l'Ave des lèvres de Gabriel,

établis-nous dans la paix

en retournant le nom d'Eva.

 

6

Obtiens-nous une vie sans tache

ouvre-nous un chemin sûr

et que la vision de Jésus nous fasse

pour toujours communier à ta joie.

 

C'est beaucoup plus expressif en latin qu'en français, en français c'est un peu long. En latin c'est beaucoup plus ramassé, beaucoup plus percutant. Il y a donc un jeu de mot sur Ave, le premier mot de la salutation angélique Avé Maria gratia plena, et le nom de Eve, Eva. Le v est resté en place, mais le A et le E ont voyagé, ils ont changé de place. Qu'est-ce que cela veut bien dire ?

Eva, donc Eve, c'est la vivante. Voila ce que signifie le nom de Eva. Elle est la vivante. C'est un nom qui lui a été donné par son mari Adam après la chute. C'est un peu un nom de dérision car ils avaient entendu la sentence : maintenant vous mourrez ! C'est donc une femme qui donne la vie. Elle est vivante, elle donne la vie, une vie qui n'en n'est pas une, une vie qui fatalement aboutit à une mort, une vie qui sombre dans l'impuissance totale, dans l'anéantissement. Ce n'est pas ça une véritable vie, mais c'est notre vie à nous maintenant.

En face nous avons une autre femme, une autre femme qui a entendu, qui a reçu de la bouche d'un envoyé de Dieu un autre nom, le nom d'Ave. Nous avons donc ici deux femmes qui sont deux créatures, deux premières créations de Dieu. Eva qui a été tirée de la côte d'Adam et qui a été façonnée, sculptée par Dieu en forme de femme. Donc c'est une créature toute première de Dieu, un chef d'oeuvre de Dieu, c'est la première qu'il ait construite. Puis nous avons une seconde femme qui est aussi un chef d'oeuvre de Dieu, car Dieu l'a façonnée, comme nous l'avons vu, expressément pour pouvoir en faire sa mère. C'est donc une nouvelle création. Il n' y en a pas eu de pareille avant elle et il n'yen aura pas après.

 

Or cette nouvelle femme, elle s'entend dire Ave. Et Ave signifie ceci : c'est la transcription latine de la salutation hébraïque habituelle shalom. Et ce shalom, c'est la paix. La Paix soit avec toi ! voila ce que l'ange lui dit. Mais la Paix, ce n'est pas la paix que les hommes maintenant recherchent parce qu'il y a toujours des menaces de guerre un peu partout. Non, la Paix c'est la plénitude, la plénitude de la joie, du bonheur, la plénitude de la grâce comme l'ange dit : gratia plena.

Il dit à Marie : Paix pour toi qui est comblée de l'Amour de Dieu, donc de cette grâce, de cette faveur, de cette préférence que la Trinité a pour toi et qui comble ton être tout entier, si bien qu'il ne peut plus rien désirer d'autre qu'une nouvelle plénitude. On va de plénitude en plénitude.

Saint Paul le dira aussi. Par le Christ nous avons tout reçu, dira-t-il, plénitude sur plénitude. Mais ça c'était l'état de Marie et, l'ange la salue sous ce nom. La voila donc saluée sous le nom de paix, donc de plénitude. Alors de suite dans notre hymne nous allons saisir la balle au bond et nous allons de suite demander que notre vie à nous soit établie, fondée sur cette Paix. On dira funda nos in pace. Recevant l'Ave, la Paix des lèvres de l'ange Gabriel, établis-nous dans la Paix.

 

Ce sont de toutes petites choses qu'il faut bien saisir, sinon on pourrait se dire que dans cette hymne on pourrait demander autre chose que la paix. Et ce n'est pas possible puisqu'il est question de cet Ave.

Donc Marie qui possède en elle la plénitude de tout ce que une créature pourrait désirer ou recevoir, eh bien, qu'elle nous établisse dans cette même plénitude. Il est dit funda nos in pace, donc que notre fondement, que notre base, que tout sur quoi repose notre vie jour après jour, que ce soit cette plénitude. Voyez un peu ce qu'on demande, ce qu'on ose demander !

Eh bien ce qu'on ose demander, c'est tout simplement de recevoir la faveur de passer par cette porte qui est Marie, et d'entrer dans cet univers de Dieu qu'est le Royaume où là il n'y a plus que cette plénitude, cette paix, ce bonheur ; et que notre vie soit déjà maintenant fondée sur cette réalité, qui nous attend, qui est à notre disposition, que nous pouvons recevoir.

 

Il suffit que nous ouvrions la bouche : Ouvre ta bouche et je l'emplirai ! Mais non, Israël a fermé sa bouche et, c'est un peu notre réflexe. Nous ne savons pas ce qui se trouve sur la cuillère, si c'est une potion amère ou si c'est du miel. Comme nous sommes très méfiants nous préférons ne pas accepter. Oui, c'est peut être un peu de fiel, parce que comme nous l'avons vu, nous devons passer par cette croix. Pour arriver à la transfiguration, donc pour entrer dans cette lumière, il faut passer par le couloir de cette croix. Alors, nous préférons fermer la bouche. Mais non, ayons le courage de l'ouvrir et puis alors nous entrons dans cette plénitude qui n'est rien d'autre que la lumière de ce Royaume auquel nous sommes invités.

 

Mais si vous le voulez, demain, si nous n'avons pas de haricots à nettoyer, nous allons essayer d'avancer un peu plus loin dans l'étude de notre hymne et vous voyez qu'on y découvre des choses qui sont vraiment extraordinaires. Une simple lecture, un simple chant ne les fait pas apparaître. Elle nous révèle ce qui nous attend, ce qui nous est promis, ce qui peut être nôtre encore une fois si nous l'acceptons.

N’oublions pas ceci, qui est une vérité et ce n'est pas moi qui l'ait trouvé : On obtient de Dieu autant qu'on en espère. Celui qui espère peu reçoit peu. Pourquoi ? Mais parce que dans le fond cela ne l'intéresse pas tellement. Celui qui espère beaucoup reçoit beaucoup, et celui qui espère tout il reçoit tout. Alors mes frères, choisissons un peu de quel côté nous voulons être !

 

 

 Chapitre : Ave Stella Maris.                      14.09.78

5. Les strophes 3 et 5.

 

Mes frères,

 

Si nous nous laissons enfermer dans notre égoïsme, si nous nous laissons de plus en plus saisir par notre cécité spirituelle, si au lieu d'ouvrir les yeux de notre coeur, de notre âme, à la lumière de la foi nous nous contentons de nous laisser guider dans notre vie pratique par les lumières de notre raison raisonnante, de notre nature pure, nous allons de suite être accablé de maux. Ces maux que nous allons demander à la Vierge de chasser loin, de nous, mala nostra pelle, chasse-les loin de nous !

Mais ces maux, tous ces maux, je pense qu'on peut les ramasser en un seul mot. Tous ces maux, c'est qu'on est enfermé comme dans un cercueil. Imaginez un peu un homme, vous savez dans les romans ça arrive, ou dans les cauchemars plutôt, quelqu'un qu'on enterre, on pense qu'il est mort, on l'enterre et il se réveille dans le cercueil à 3m sous terre. Vous voyez ! C'est un beau sujet de cauchemar.

Mais c'est un peu notre situation alors, on est aveugle au monde de Dieu. On a une impression de liberté comme avaient Adam et Eve lorsqu'ils avaient enfreint l'ordre de Dieu. Mais en réalité on s'aperçoit vite qu'on manque d'espace. On a des difficultés de respirer et finalement on étouffe. On est pris dans un corset qui empêche de respirer à fond et même de respirer du tout...O'est ce défaut d'espace, je pense, qui est le plus marquant lorsqu'on veut à tout prix se laisser guider par sa raison naturelle.

 

Je me situe ici dans un monastère. Naturellement dans le monde il y a beaucoup de diversions, il y a beaucoup de possibilités d'évasion, il y a beaucoup de possibilités d'illusion. Dans un monastère, on a vite fait le tour de toutes ces illusions et alors on étouffe ; pas entre les murs, mais on étouffe en soi-même, on n'a pas cet espace, cette dilatatio cordis dont parle Saint Benoît. Il a trouvé là un si beau mot, on a le coeur dilaté parce qu'on vit dans le Royaume de Dieu, on ne respire plus que l'Amour. Or l'Amour seul peut nous dilater, même au plan naturel.

La littérature dans le monde du roman, ou dans le monde du théâtre, depuis une centaine d'années environ, mais surtout depuis quelques décades, a bien mis en relief le sort de l'homme enfermé dans sa nature à lui et ne parvenant pas à en franchir les frontières. Alors les littérateurs analysent avec finesse, dans le détail, tous les maux que cela engendre. Et c'est d'autant plus tragique que souvent ces hommes, surtout les écrivains, les romanciers, sont enfermés eux-mêmes dans ces maux. Et alors ils savent très bien les décrire car ils ont l'instrument du verbe, de la parole, ou bien de la scène et du geste si ce sont des hommes de théâtre.

 

Nous autres mes frères, je pense que nous pouvons faire l'épargne, l'économie de cette situation si nous nous laissons séduire par ce qui nous est proposé, par le Christ lui-même, par l'Esprit parlant à notre cœur et que nous pouvons obtenir par Marie. Car tous ces maux, elle peut les écarter et elle peut nous donner tous les biens.

Demande-les pour nous, allons-nous dire : bona cuncta posce, obtiens-nous tous les biens. Et nous allons maintenant passer au rayon correspondant de l'autre côté, où là nous allons découvrir les biens qu'elle peut nous donner et qui sont fondamentaux dans une vie chrétienne et surtout dans une vie monastique.

On l'appelle ici Virgo singularis. Elle est une Vierge unique en son genre. C'est le seul endroit dans l'hymne où on l'appelle Vierge, sauf dans la première strophe qui est la strophe d'invitation, de salutation. Mais elle est une Vierge d'un genre tout à fait spécial, unique en son genre. Elle est vierge parce que elle a été mère. Et si elle n'était pas vierge, si elle n'était pas restée vierge, eh bien soyez en sûr, elle ne serait pas notre mère à nous, elle ne serait pas notre mère au plan de la nature Divine...

 

Nous retrouvons ici, j'en ai déjà parlé à propos de cette hymne, cette fécondité inépuisable de la virginité. Un être qui est vierge a beaucoup plus de descendance, a une descendance beaucoup plus nombreuse que l'être qui n'est pas vierge. Et ça, c'est un mystère qu'il est difficile de saisir au plan comme ça du raisonnement. II faut ici avoir le regard qui permet d'embrasser le plan de Dieu et avoir cette condition  de l'homme ou de la femme qui est au plan humain un bois sec, un bois stérile, unique.

En réalité, au plan de la surnature, lorsque naturellement il se laisse envahir par l'Esprit de Dieu, il devient d'une fécondité inépuisable, une fécondité qui s'étend non seulement pour lui dans le futur, mais aussi pour lui dans le passé. II participe à la fécondité virginale de Marie, qui elle est mère de tous les hommes, même des hommes qui sont nés avant elle et aussi bien que ceux qui sont nés après elle. Elle est leur mère au plan de la surnature.

 

Eh bien le moine, puisque nous sommes dans un monastère, qui est parfaitement vierge, ce moine alors participe à ce privilège Marial de fécondité, et dans le passé, et dans le futur. Mais lorsque je parle de virginité ici, il ne faut pas voir uniquement cette intégrité physique qui a été le propre à la perfection de la Vierge Marie, intégrité non seulement dans son être de chair, mais aussi dans son coeur, dans son être spirituel, puisque elle était absolument étrangère à tout ce qui n'était pas Dieu.

Et ça ne peut être le cas pour nous. La virginité parfaite n'existe pas pour nous. C'est impossible, parce que nous sommes des enfants d'Eve avant de devenir des enfants de Marie. Mais cette virginité nous est remise comme un cadeau que nous devons recevoir avec reconnaissance, que nous faisons nôtre. Et à partir de ce moment là, nous pouvons à notre tour commencer à devenir fécond au plan surnaturel.

 

Et c’est ce que nous demandons encore dans cette même strophe. On va dire : Vierge de nature tout à fait unique, rends-nous doux et chaste ! mites fac et castos. Il est question ici de chasteté, mais il faut bien comprendre ce qu'on entend par la chasteté. La chasteté, ne voyons pas uniquement la continence, ça en fait partie naturellement mais c'est infiniment au delà. La chasteté, c'est une réalité de lumière. C'est la luminosité d'un amour total, d'un amour inconditionnel, d'un amour qui ne se reprend pas.

 Et un tel amour est lumineux. Il est lumineux et il rend l'homme sans une ombre, sans une apparence même, sans rien qui soit contraire à ce qui est Amour. C'est cela la chasteté, la chasteté dans son état parfait naturellement, pas dans son état initial. Mais dès le début, la chasteté est déjà marquée par cette lumière. Et c'est pour ça qu'un être qui est chaste, qui est profondément chaste dans ce sens là, est toujours d'une certaine façon lumineux, même au plan physique. Et ça se verra dans son regard, dans son attitude, dans son geste parce qu'il ne peut rien faire d'autre que de transpirer l'Amour qui est en lui. Telle était Marie, et c'est tel que nous lui demandons de pouvoir devenir. Qu’elle nous rende ainsi semblable à elle, chaste dans ce sens là.

 

Mais alors on dit d'elle qu'elle est inter omnes mitis, elle était douce entre toutes. C'est la douceur, ici, des béatitudes où le Christ dit en voyant certainement sa mère à ce moment là : Heureux les doux car ils possèderont la terre, la terre est à eux ! Et ici nous avons cette douceur, mais il ne faut pas voir une mièvrerie. Non, le Christ avait dit : Moi je suis doux de coeur, mais lorsqu'il en était besoin il savait frapper sur ceux qui transformaient la Maison de son Père en une maison de trafic. Et il avait ramassé des cordes et il frappait sur les gens pour les mettre à la porte. Il n'était pas doux à ce moment là !

Si, il était doux, infiniment doux, mais n'essayons pas de trop comprendre. C'est cette douceur Divine. La main de Dieu est excessivement douce, mais lorsqu'elle se pose sur un homme pécheur elle devient trop lourde. La douceur de Dieu est trop lourde, est trop pesante pour nous. Mais il est doux et notre organisme ne sait pas supporter la douceur de Dieu.

 

Eh bien cette douceur vient du fait que quelqu'un est à l'intérieur du Royaume de Dieu. C'est quelque chose qui est, qui est, comment trouver le mot pour l'exprimer ?, qui est un comble, qui est une plénitude. Mais une plénitude qui vient d'un renoncement total. Seul peut être doux celui auquel on ne peut plus rien faire, celui auquel on ne peut plus rien enlever parce qu'il a absolument tout abandonné.

On ne peut plus rien lui faire parce qu'il est mort, il n'existe plus pour lui, il n'existe plus que pour Dieu et pour les autres. Et à ce moment-là il lui est possible d'être doux. Autrement il ne saurait pas être doux. Ou bien il va se défendre et il va sortir ses griffes, ou il va attaquer et il va sortir ses crocs pour se défendre, pour défendre son être, pour défendre ses possessions.

Tandis que celui qui n'a plus rien, qui a tout abandonné, qui s'est abandonné lui-m~me, eh bien, il peut se payer le luxe d'être doux. La douceur, c'est un luxe, comme la pauvreté, c'est un luxe, un luxe pour les gens extrêmement riches parce qu'ils possèdent Dieu. Et à ce moment là ils possèdent la terre, les doux, ayant tout abandonnés n'est-ce pas.

 

Pour comprendre aussi, c'est ceci, cette parole du Christ : Ecoutez, dit-il, cherchez d'abord le Royaume de Dieu, entrez dans le Royaume de Dieu, et alors tout vous sera donné par surcroît, en rawètte. Ce sera le surplus et vous le recevrez en plus. C'est ça la douceur. Et c'est cette douceur là qui était celle de la Vierge, naturellement, et que nous demandons aussi pour nous : qu'elle nous rende doux et chaste, doux de cette douceur là qui est la sienne.

Mais à ce moment là nous sommes culpis solutos, nous sommes délivrés de toutes nos fautes et de tous nos maux. Nous pouvons enfin commencer à vivre, nous pouvons commencer à respirer nous pouvons commencer à être nous-mêmes. Pourquoi ? Parce que nous sommes vraiment devenus des fils de Dieu. Et voila ce que Marie peut faire de nous. Nous avons la contrepartie de notre autre rayon où nous développions là tous nos défauts, nos vices, nos péchés, nos maux. Et ici nous en avons le remède et c'est elle qui peut le donner.

 Lorsque notre amour est parfait et qu’il brille dans la chasteté, lorsque ayant tout abandonné nous possédons le Royaume et qu'alors nous pouvons être doux, à ce moment là il n'est plus question de malheurs pour nous, nous possédons tous les biens et c'est elle qui nous les donne.

 

Voila mes frères, nous voici au terme de notre hymne. Mais on pourrait encore, vous comprenez bien, parler beaucoup. Nous avons fait comme ceci : nous sommes partis du centre, de la 4° strophe, puis nous avons fait un bond vers l'extérieur. Nous sommes repartis alors de l'extérieur, disons de ce soleil, pour retourner vers le centre. Nous avons pris la 1° strophe et la 7°. Nous aurions pu prendre le chemin, inverse : partir du centre puis aller vers l'extérieur, donc la strophe 4, puis 3 et 5, et les autres. Mais non ! Alors je dirais que l'optique eut été plus logique peut être ? Je n'en sais rien, c'est un peu au choix de chacun.

 

Mais pour résumer en deux mots : Nous avons donc Marie qui est la Mère de Dieu, qui est la Mère du Christ et par le fait même devient notre Mère. Marie alors, à cause de cela, nous engendre à l'univers de Dieu. Elle est cette fenêtre ou cette porte par laquelle tout le rayon de la Vie Divine vient vers nous. Elle est l'aqueduc, le canal, ou bien étant la porte elle est aussi celle qui nous introduit grâce à cette lumière, dans le Royaume de Dieu.

Mais alors dans la pratique, elle peut et elle fait, elle transforme notre état d'enfant d'Eve en un état d'enfant de Dieu. Elle opère en nous une conversion totale. Tous nos maux, elle parvient à les faire sortir de nous, puis elle nous emplit de ses biens. Elle nous rend heureux, elle nous rend plénifiés. Elle nous rend comme elle : doux, chaste, véritablement ce que nous devons être, des enfants de Dieu et des enfants à elle.

Car ne l'oublions pas, si Dieu est notre Père, Marie est toujours notre Mère. Si nous devons devenir, être christifiés, nous ne le serons jamais que dans la mesure où nous vivrons, pour employer une image un peu osée, dans son sein à elle, où elle nous enfante toujours sous l'action de l'Esprit.

 

 

Chapitre : Fête de l’Immaculée Conception.      07.12.78

      Que représente pour nous cette fête ?

 

Mes frères,

 

Tout d'abord, il faut bien comprendre que ce privilège unique de l'Immaculée Conception ne place pas Marie en dehors, en marge de l'humanité. Marie n'est pas un être mythique, une sorte de créature irréelle dans laquelle l'homme projetterait tous ses besoins de pureté, de sainteté. Non, elle est la fine pointe de l'humanité.

Voyons l'humanité comme un navire qui s'avance à travers le monde, à travers le temps, la durée. Marie est l'étrave de ce navire. Elle est ce qui fend, ce qui ouvre la route. Et elle peut l'être parce qu'elle est forte et puissante. Elle monte, elle s'avance, elle progresse dans la force de sa puissance et sa force lui vient de sa foi.

Fort dans la foi, tel vous devez être, disait Saint Paul. Elle l'était. C'est sa foi qui la rend forte. Et alors cette puissance du Très-Haut qui a reposé sur elle, qui l'a investie, qui s'est emparée d'elle, lui permet d'ouvrir la route pour toute l'humanité, lui permet de traîner toute l'humanité derrière elle.

 

Nous, nous sommes embarqués sur ce navire, nous sommes une des pièces de ce navire. Mais sans Marie qui ouvre la route, ce navire n'existerait pas. Ce ne serait pas un navire, ce serait une épave. Voilà quel est un peu son rôle dans l'Eglise. Et naturellement, ce doit être aussi un peu le nôtre aussi, dans la mesure ou nous partageons sa force, sa puissance. Elle est donc cette nuée de feu et de fumée qui montrait la route aux Hébreux dans le désert. C'est ainsi que les Pères l'ont vu.

Elle est aussi le premier témoin de ce que sera le royaume. En elle nous voyons ce que nous devons devenir. Mais il est une chose dont nous devons bien nous persuader, c'est que Marie n'était pas sainte avant de commencer à vivre.

Nous pouvons dire : oui, mais tout de même, elle était Immaculée dans sa conception, elle n'avait donc en elle aucune propension au mal. Elle avait donc une chance, beaucoup plus de chance que nous qui sommes naturellement enclin au mal. Oui, elle n'était pas encline au mal, elle ne savait pas ce qu'était le mal. Elle pouvait toutefois spéculativement le comprendre en voyant ce qui se passait autour d'elle.

Mais n'oublions pas que le mal exerçait sur elle une pression intolérable, épouvantable, atroce. Nous ne pouvons absolument pas l'imaginer, cette pression que le mal exerçait sur elle. Et, durant toute sa vie, elle a du résister à cette pression et lutter. Donc on peut dire qu'après le Christ, elle est celle qui a le plus souffert.

 

Et nous, un petit bobo et nous sommes de suite à crier au sacrifice et au renoncement. Nous offrons, oui, c'est bien, il faut le faire, c'est vrai. Mais elle, qu'est-ce que cela ne représentait pas ? Elle était plongée dans la marée du mal et n'avait pas ce mal en elle. C'était quelque chose de terrible n'est-il pas vrai.

Alors, elle partageait absolument en tout notre nature. Elle était une femme comme une autre. Elle avait les coutumes, les préjugés, enfin les visions du monde de sa race, de sa culture. Elle avait hérité des complexes, des traumatismes psychologiques de ses ancêtres, qui eux n'étaient pas tous des saints.

Elle a suivi l'évolution normale de croissance de tout être humain. Elle a du apprendre. Elle a du s'enrichir par son expérience. Elle a du recevoir des autres. Et voila, elle était, je dirais, aussi asservie à tous les besoins des hommes. D'ailleurs, ceux qui vivaient avec elle ne la distinguaient pas, certainement pas. Mais il y avait pourtant une différence, une différence avec nous. C'est que, elle était malgré tout l'inverse de ce que nous sommes.

 

Nous, nous sommes des êtres repliés sur nous-mêmes, recroquevillés sur nous-mêmes, des êtres tordus sur nous : l'autonomie d'abord. Ah oui, nous devons marcher d'après nos idées, d'après nos jugements, d'après nos volontés. La façon dont nous voyons les choses est celle d'après laquelle nous nous guidons. Nous sommes autarciques, nous n'avons besoin de personne, nous nous suffisons à nous-mêmes.

Oh, nous voulons bien dépendre des autres pour une chose ou pour une autre, mais à titre d'échange et nous leurs faisons bien savoir que eux aussi ont besoin de nous. Nous sommes autonomes, autarciques, puis nous sommes autolâtres. C'est nous qui devons être mis en évidence, c'est nous qui devons grandir, c'est nous qui devons être cultivés. Et toujours ce repliement sur nous.

Chez des jeunes aujourd'hui, ils sont lucides, ils le savent très bien, ils le sentent et c'est un terrible tourment pour eux de toujours voir qu'instinctivement ils sont centrés sur eux-mêmes. Ils essayent par tous les moyens de faire sauter cette prison dans laquelle ils sont enfermés. C'est très beau quand on les connaît, qu'on les entend ou qu'on voit leur correspondance. Nous sommes donc, nous, des tarés et nous ne devons pas l'oublier. Nous sommes esclaves de nous-mêmes.

 

Tandis que Marie était exactement l'inverse. Elle, elle était ouverture, elle était béance totale. Sa devise était celle-ci. Elle l'a dit une fois, mais cela n'est pas sorti ainsi d'elle-même. Il y a des paroles qui sortent ainsi une fois, et puis c'est fini, elles ne reviennent plus. Non, pour Marie, ses paroles trahissaient tout son être, lorsqu'elle a dit : Qu'il me soit fait selon ta parole. C'était toujours ainsi pour elle. Elle n'était pas autonome, ni autarcique, ni autolâtre.

  Non, son centre de gravité était hors d'elle-même. Il était dans la parole de Dieu, il était chez Dieu. Et c'est cela justement son Immaculée Conception. C'est là que l'Immaculée Conception la situe. Elle la situe hors d'elle-même, tandis que le péché originel nous enferme, nous, en nous-mêmes. Cela ne veut pas dire qu'elle avait la vie plus facile, loin de là ! Mais c'est cela la différence. A cause de cela, Marie est la porte par laquelle Dieu peut entrer en nous et se diffuser à travers toute l'humanité.

Car Marie est à la fine pointe de l'humanité, et plutôt que de voir un angle aigu, voyons plutôt un angle obtus ; et alors en enlevant, en éliminant la tyrannie de l'égoïsme, et permettre ainsi aux hommes de respirer dans la liberté du véritable amour, qui est amour de l'autre, qui est amour de Dieu et qui n'est plus amour de soi. Voila quel est son rôle dans l'Immaculée Conception. Il fallait qu'il y ait une créature qui soit dans cet état pour pouvoir réaliser cette mission et pour pouvoir permettre aux autres hommes d'en sortir. Vous voyez, c'est cela, en sortir.

 

Marie est donc, elle, dans son Immaculée Conception, le miroir de ce que nous sommes, et le miroir de ce que nous devenons. Elle est le miroir de ce que nous sommes par contraste. Nous autres, nous sommes ankylosés, nous sommes raides, nous sommes tordus, nous sommes lourds.

Elle, par contre, était tout à fait dégagée d'elle-même. Elle est souple, elle est agile, elle est légère, elle est libre. Voila donc ce que nous sommes et ce que nous devons devenir. Nous devons le devenir et c'est possible, mais à condition que nous la suivions dans sa confiance. Elle avait placé toute sa confiance en Dieu. Elle avait dit : Bien, voila ce ne sera pas fait comme moi je l'entends, mais ce sera comme Toi tu l'entends.

Si nous prenons comme devise de notre vie monastique cette parole de la Vierge, alors nous deviendrons comme elle : léger, souple, ouvert, libre. Si nous ne le faisons pas nous resterons ankylosés, lourds, raides, esclaves et malheureux.

 

Alors vous le voyez, pensons demain à cela, voulez-vous, et avec elle, plaçons notre sécurité. Par elle plaçons la non pas en nous, non pas dans une autre créature, mais en Dieu. Et à ce moment-là, étant décentrés, nous entrerons dans la liberté. De façon lointaine mais réelle quand même nous participerons déjà à son privilège d'Immaculée Conception dans ses conséquences pour nous. Nous serons libres, nous serons heureux. Et alors ce qui est bien,  dans notre communauté, nous rendrons aussi les autres, nos frères, plus libres et plus heureux.

 



[1] Il s’agit de l’ancien Chapitre des frères, Chapitre actuel de la communauté.