Mes frères,
Jésus savait qui il était. Il savait d'où il était venu et où il allait. La porte qui lui permettait de retourner à son Père en nous emmenant avec lui, c'était Jérusalem, sa ville, celle qui l'avait acclamé pour son roi. Il l'avait dit : « Il n'est pas possible qu'un prophète meure en dehors de Jérusalem. »
Il avait donc rendu sa face ferme, solide, dure pour monter à Jérusalem et y accomplir son destin. Nous avons entendu : au dernier moment, il a pris peur, il a été écrasé par l'angoisse. Mais la force qui l'habitait - n'oublions pas qu'il était le Verbe de Dieu, Lui qui porte l'univers entier - cette force qui l'habitait a été plus puissante que tous les péchés qui l'écrasaient. Et il est allé jusqu'au bout.
Mes frères, nous-mêmes, greffés sur Jésus par le baptême et la profession monastique, nous savons qui nous sommes et où nous allons. Devenus image du Christ, nous sommes appelés à participer aux souffrances de sa passion afin de connaître avec lui la gloire de la résurrection. Saint Benoît le dit au candidat qui se présente pour embrasser la vie monastique.
N'essayons pas d'y échapper, mes frères, ni à gauche, ni à droite. Telle est notre vocation. La course de notre vie est parfaitement tracée. Le Prophète, l'Apôtre, l'Evangéliste viennent de le dessiner sous nos yeux.
Il nous faut d'abord nous faire un coeur et une oreille de disciple, déposer toute prétention, toute ambition, toute vue purement humaine et accepter de suivre, de suivre le Christ. O mes frères, nous le savons, nous venons de l'entendre encore : au moment dur, tous les disciples ont pris la fuite sans exception !
Mes frères, soyons donc prudents ! Ne nous imaginons pas plus forts qu'eux. Non, nous sommes encore plus faibles. Acceptons notre faiblesse, cachons-nous en elle pour que nous enveloppe alors la miséricorde de notre Dieu. Qu'elle nous protège contre nous-mêmes, contre toutes les embûches et qu'elle nous permette de tout supporter.
Il nous faut, oui, marcher à la suite du Christ, descendre avec lui au plus bas de l'humilité, subir une mort mystérieuse semblable à une crucifixion, puis nous laisser étendre dans un tombeau. Il semble à ce moment-là que tout soit fini.
Et vraiment, quelque chose a pris fin. Ce qui a pris fin à ce moment, mes frères, c'est l’égoïsme en nous. Il n'y en a plus. Il ne peut plus y en avoir. Pourquoi ? Mais parce que jamais nous n'avons abandonné l'amour, jamais nous n'avons laissé tomber la confiance.
Et déjà, il nous est possible de découvrir dans l'espérance la résurrection des morts et la gloire de la lumière au coeur de la Trinité. Mes frères, cette espérance, c'est la façon divino-humaine de posséder ce que Dieu est, d'être devenu soi-même participant à la nature divine mais alors de façon consciente.
Voilà, mes frères, qui nous sommes et où nous devons aller. Cette sainte semaine va nous le rappeler avec force. Elle va infuser en notre coeur des grâces nouvelles. Car, si même nous répétons les mêmes rites sacramentels chaque année, ils sont toujours nouveaux car notre Dieu est la nouveauté imprévisible toujours surprenante et chaque fois précise.
Laissons-nous donc, mes frères, pénétrer et travailler par ces grâces, les grâces de ces jours bénis. Et ensemble remercions Dieu de nous avoir appelés à partager sa vie. Pensons aussi à ces multitudes d'hommes qui ne connaissent pas Dieu ou qui l'ont oublié, ou qui vivent à côté de lui, ou qui sont empêtrés dans une multitude d'idoles. Pensons à eux, prenons-les dans notre coeur et permettons ainsi au Christ de vivre en nous le mystère de sa rédemption.
Amen.
Mes frères,
Dans sa polémique avec ses adversaires, le Christ Jésus a une parole mystérieuse qui nous révèle son être profond. Il leur dit : « Quand vous aurez élevé le fils de l'homme, alors vous connaîtrez que je suis. »
Elevé le fils de l'homme, cela signifie le suspendre à une croix entre ciel et terre. C'est un maudit. Il ne fait plus partie de la terre, il ne fait pas partie du ciel. Il est jeté comme ça dans le néant, là est sa place. On ne veut plus de lui.
Et lui-même sentira cet abandon lorsqu'il s'écriera : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi toi aussi m'as-tu abandonné ? » Pourquoi toi aussi m'as-tu rejeté ? « Et c'est à ce moment que les adversaires de Jésus reconnaîtrons que JE SUIS » dit-il.
Le voici donc qui s'attribue le nom que Dieu lui-même avait révélé à Moïse au pied du Sinaï dans le buisson qui brûlait sans se consommer. C'est le nom mystérieux, imprononçable, qui décide du sort de chacun. Au contact brûlant de ce nom, tout homme doit choisir : il se soumet et il croit, ou bien il refuse et il ne croit pas.
Dans cette dernière hypothèse, comme le dit Jésus, l'homme meurt dans son péché. Si vous ne croyez pas que je suis, vous mourrez dans vos péchés.
Mes frères, remarquons ici la conjonction, ou mieux la fusion entre la mort ignominieuse de Jésus et sa glorification, son anéantissement et la collation du nom qui est au-dessus de tout nom. Il n'y a pas de passage de l'un à l'autre, il n'y a pas un espace entre les deux. Non, c'est identique !
C'est à l'intérieur du rien que se révèle l'être véritable, invisible et ineffable de Jésus. Vous allez dire : « Mais tout cela on le sait. Et c'est de la théologie, c'est de la spéculation. » Ah non. Parce que là se trouve l'explication dernière de notre vie monastique.
Nous promettons obéissance jusqu'à la mort. Ce n'est pas seulement une question de durée, jusqu'au moment où nous mourons. Mais par l'obéissance, nous nous engageons à descendre dans la mort. Ce n'est pas la mort physique, certes, nous n'allons pas être mis à mort. Nous ne subissons pas de la main de notre Abbé le sort qui a été réservé au Christ par la main du Grand Prêtre. Mais ce sera tout de même quelque chose d'analogue. Ce sera une mort mystérieuse, une mort mystique qui se vivra à l'intérieur de l'obéissance.
Cela signifie que à travers tous les dépouillements de l'humilité qui sont des degrés d'obéissance, qui sont un escalier qui nous fait descendre à l'intérieur de la mort, à travers les dépouillements de l'humilité va se manifester notre véritable identité, c'est à dire notre être en voie de résurrection et de glorification.
N'allons donc pas imaginer que la vie monastique sera réussie lorsque nous aurons un emploi en vue, lorsque nous aurons réussi de brillantes études, lorsque nous serons consultés, lorsque nous serons recherchés comme directeur spirituel de valeur ? Non, non, non, non, notre vie monastique portera le cachet de l'authenticité lorsque nous serons descendus dans la mort.
L'auteur de l'Imitation dit : « Que ton amour, que ton désir, que ton besoin soit d'être ignoré, d'être compté pour rien » c'est à dire de devenir inexistant aux yeux des hommes, à ses propres yeux. Mais à ce moment-là, assimilé au rien, tu participes au mystère du Christ et tu reçois le nom qui est au-dessus du nom, ton véritable nom que tu ne connais pas mais qui, à ce moment-là, intuitivement te seras révélé dans la Lumière.
Mes frères, il n'y a pas d'autre route. Saint Benoît ne fait que nous le répéter sans cesse, sans arrêt. Si nous obéissons, si donc nous croyons jusque là, à ce moment-là nous sommes sauvés, c'est à dire que nous réussissons notre vie. En dehors de ce mystère - car c'est un mystère - il n'y a qu'illusion et de la perte de temps.
Voilà donc ce mystère de la glorification à l'intérieur de l'anéantissement. Or, il y avait une femme qui avait perçu ce mystère, et c'est Marie de Béthanie.
Quand elle répand l'huile parfumée sur les pieds de Jésus et qu'elle prend ses cheveux pour essuyer les pieds qu'elle a parfumé, et sur lesquels elle a avec ses mains répandu l'huile - elle les a massés pour faire entrer l'huile à l'intérieur de la peau - à ce moment-là, elle dit par son geste sans une parole, elle dit à Jésus qu'elle sait, qu'elle a compris.
Cela devient un secret entre Jésus et elle. Et à cette minute, il n'y a plus au monde que Jésus et elle. Ils sont seuls. Le monde entier s'est évanoui. Mais où est-il parti, le monde ?
Eh bien, le monde est réfugié à l'intérieur du coeur de Marie. Si bien que nous avons là un tête à tête pathétique entre le Créateur Jésus - car c'est par Lui que le monde entier a été fait - et la créature, la création ramassée en la personne de Marie. Nous avons là, mes frères, quelque chose de vraiment beau, quelque chose d'extraordinaire. Il faut essayer de le saisir. Il faut plutôt le contempler. C'est un tableau !
A ce moment-là, le monde accepte que le Verbe de Dieu devienne une partie de ce monde. Le monde accepte que Dieu prenne un rien de matière pour en faire son corps. Le monde accepte donc d'être une créature, d'être en face de Dieu. Et il accepte en même temps l'extrémité de son destin et de sa vocation qui est d'entrer dans une telle intimité avec Dieu qu'il ne fasse plus qu'un seul être avec lui.
Le monde devient le corps de Dieu. Le monde devient le lieu à l'intérieur duquel Dieu se révèle. Ce n'est pas que Dieu commence à se connaître quand il devient le monde, mais il se connaît tout de même autrement. Dieu alors se regarde lui-même. Il se connaît en sortant de lui, en devenant le monde, en prenant du recul par rapport à lui. Et tout cela se réalise, mes frères, dans la conscience de Jésus au moment où Marie pose ce geste de l'onction des pieds.
C'est là, je vous assure, quelque chose de très, de très, très, très beau. Si cet épisode a été rapporté au point que, comme il est rapporté ailleurs, ça doit être annoncé jusqu'à la fin des temps, c'est parce que cela met comme un point final, ou un point d'achèvement plutôt, ou une touche d'achèvement à la création de Dieu.
Et le parfum qui se répand dans la maison sous les yeux médusés des disciples qui n'y comprennent rien, ce parfum, c'est la réponse, je dirais réciproque, de Jésus et de Marie, mais aussi du Dieu Créateur et de sa créature, du Dieu Créateur, et de la création, et du monde.
A ce moment, mes frères, s'opère la réconciliation. Il n'y aura plus alors qu’un pas à faire. Il faudra alors que ce geste soit achevé jusqu'au bout. Il faudra que alors vraiment Jésus soit élevé par les hommes, que Jésus soit crucifié. Et à ce moment-là, on saura que son nom est « je suis ».
Et comment le saura-t-on ? Eh bien on le saura lorsque on permettra aux sentiments de Marie de Béthanie de vivre à l'intérieur des cœurs. A ce moment-là, ayant pris sur soi les dispositions requises, on peut voir et on peut comprendre. A ce moment, on a abandonné son péché, c'est à dire on a abandonné son refus.
Voilà, mes frères, la réussite de notre vie monastique. Elle sera acquise dans la mesure où nous reproduirons mystiquement le geste de Marie, où nous accepterons de nous vider. Le vase, c'est notre corps, c'est notre coeur. Et à l'intérieur est caché un parfum, c'est à dire toute la beauté que Dieu admire à l'intérieur de sa créature.
Lorsque le coeur se brise dans l'obéissance, dans le renoncement, dans l'humilité, dans l'abandon de toute ambition humaine, à ce moment-là, le parfum se répand, le parfum vient séduire le coeur de Dieu. Il vient lui donner - comment oserais-je dire cela ? - comme un regain de joie. Et notre vie s'accomplit.
C'est par l'intermédiaire de ce parfum sorti de notre coeur que s'établit l'union entre Dieu et nous. Et alors, si à ce moment-là nous sommes devenus le monde, si le monde entier vit dans notre coeur, c'est le monde qui se donne sans réserve, le monde qui retrouve sa beauté première et qui est prêt pour la glorification finale.
Voilà, mes frères, un aspect très beau de notre vie. Pendant cette semaine de la Passion, il nous est donné de mieux le comprendre, de mieux le revivre.
Et demain, je me permettrai de pousser les choses plus loin dans une autre direction, parce qu'il y avait présent à cette scène des hommes qui n'y comprenaient rien, c'est à dire les disciples et leur porte-parole Judas.
Mais je laisse cela pour demain, car demain il sera spécialement dans les lectures de l'Eucharistie question de lui.
Mes frères,
En parfumant les pieds de Jésus à l'aide d'une myrrhe très précieuse, et en les essuyant avec ses cheveux, Marie disait silencieusement qu'elle avait compris le mystère de l’Anéantissement-Glorification de Jésus.
Je suis certain que ce geste a rempli de joie le coeur de ce Dieu qui allait donner sa vie pour sa création toute entière. Marie a conforté le Christ dans sa mission. Elle lui en a fait pressentir toute la beauté.
Jésus ne s'est plus senti seul. Il avait ici sur la terre, en plus de sa mère il avait une personne qui savait et qui déjà compatissait. Mais en même temps, par le même geste, Marie s'était volontairement - mais de tout son être - associée à cette mission. Et c'est ainsi qu'elle a mérité d'être la première contemplative. Elle doit représenter pour nous un idéal qui ne pourra sans doute jamais être dépassé.
Cet idéal, nous devons toujours le porter dans un coin de notre coeur, nous dire que nous aussi - comme je le disais hier soir - nous devons briser notre coeur et en laisser s'échapper l'onction, c'est à dire la myrrhe, l'huile précieuse qui a été déposée par l'Esprit-5aint. Marie se situe donc - voyons-le, observons-le - aux antipodes de l'Apôtre Pierre qui, lui, avait tenté de détourner Jésus de sa mission.
Vous vous rappelez l'histoire ? Jésus avait annoncé tout ce qu'il allait devoir subir à Jérusalem. Et Pierre lui dit : « Non, non, ça ne doit pas arriver. » Et alors il reçoit cette réplique dure, violente : « Passe derrière moi, satan ! » Pierre, à ce moment-là, détournait, essayait de détourner Jésus de la mission reçue.
Et il se faisait, sans le savoir, le complice du satan, de celui qui met sur la route un piège pour faire tomber, pour casser la jambe. Voyez ! On casse le pied pour qu'on ne puisse plus marcher, qu'on ne puisse pas arriver.
Alors, nous sentons la sensibilité fine, délicate, aimante, pure de Marie et, en face, la lourdeur, la sottise, la stupidité, la grossièreté de Pierre. Ce sont deux univers, l'univers de la foi, l'univers de la confiance, et en face, l'univers de la raison, l'univers du calcul.
Car les Apôtres étaient des calculateurs. Ils ne connaissaient pas l'univers de la gratuité. Ils ne le connaissaient pas encore. Ils y seraient introduits plus tard, car on ne peut y entrer que sous la guidance de l'Esprit Saint.
Ce n'est pas naturel pour l'homme de pratiquer la gratuité. Depuis que nous avons péché, depuis que nous avons calculé, mais vraiment, que si je pouvais m'emparer de ce fruit, je deviendrais semblable à Dieu, depuis donc j'ai dressé des plans, j'ai programmé tout un projet. Je ne me contente pas de recevoir, non, je veux faire quelque chose venant de moi. Et depuis ce jour-là, nous sommes tous des calculateurs, mes frères, il ne faut pas l'oublier .
Ecoutez encore ce qui s'est passé, qui vous montre ce calcul ! Au cours du dernier repas - donc du tout dernier repas, de celui dont il a encore été question aujourd'hui dans la lecture Evangélique - les apôtres se sont disputés entre eux pour savoir lequel paraîtrait être le plus grand ? Le mot grec qui est utilisé ici est assez violent. C'est une altercation, une dispute, une querelle, en plein repas Pascal ! Où avaient-ils donc la tête ? Où l'avaient-ils ?
Et c'était chez eux une attitude. Quand on voit le mot ici, il y avait chez eux une tendance. Ils aimaient se disputer. Ce n'était pas la première fois que ça arrivait. C'était chez eux une habitude. Ils ne s'entendaient pas entre eux. Ils étaient jaloux l'un de l'autre. C'est cela que ça signifie. Ils étaient jaloux, envieux. Ils n'avaient pas de repos qu'ils n'aient décroché la première place.
Rappelez-vous les deux fils de Zébédée qui, eux, ont mis les pieds dans le plat. Ils ont dit : « Voilà, un à ta droite et l'autre à ta gauche » devant tous les autres ! Mais alors les autres ? Voyez un peu, ça relançait l'incendie. Et ça, voyez-vous, ce sont les apôtres, des calculateurs.
Alors il faudra que Jésus, au cours de ce même repas, leur donne une leçon de chose en leur lavant les pieds. Jésus va dire : « Voilà, voilà la vérité, voilà ce que vous devez vous faire les uns aux autres : vous laver les pieds. » Pas question d'être au-dessus. Votre place est d'être aux pieds de chacun, en dessous.
C'est cela l'humilité, mes frères, c'est de consentir à être celui qui lave les pieds des frères. Et puis, finalement, ça n'a pas encore porté beaucoup de fruit, car à l'instant même tous les apôtres l'ont laissés tomber. Pourquoi ? Mais il n'y avait plus rien à gagner. O Pierre disait : « Mais moi, moi, si tous les autres t'abandonnent, moi, je ne t'abandonnerai pas. » Et il a été peut-être le lapin le plus rapide pour prendre la fuite ?
Mais voyons encore une fois Marie ! Eh bien Marie, en face de ces hommes envieux, ambitieux, elle était gratuité pure. Elle donnait l'entièreté de ce qu'elle avait. Elle donnait parfaitement en donnant ce parfum d'un prix inestimable.
Je rappelle que 300 pièces d'argent, c'était le salaire d'une année entière de travail. Voyez un peu ce que ça représenterait aujourd'hui ? Aujourd'hui, ça représente un demi million, qu'elle verse comme ça sur les pieds de Jésus, d'un coup ! Mais voilà, voyez, quand elle donne, elle est généreuse. Elle donne bien, elle donne parfaitement. Elle ne calcule pas, elle ne raisonne pas.
Et puis on comprend que en donnant de cette façon-là, elle se donne elle-même. Elle s'anéantit aux pieds de Jésus. Elle disparaît aux pieds de Jésus. C'est comme si elle s'évaporait à l'intérieur de son parfum. Elle n'existe plus que en tant que parfum et elle ne demande rien en retour, rien. C'est cela, mes frères, la gratuité, c'est cela l'amour !
Alors voyez le contraste avec, j'allais dire, ces abrutis qui étaient assis autour de la table et qui se disputaient pour savoir lequel était le plus grand. Enfin, ça, ce sont les hommes !
Mais dans cette gratuité, eh bien, elle possédait tout. Elle possédait l'amour, elle possédait la liberté et elle devenait un esprit avec ce Jésus qui était là, qui allait descendre dans la mort pour entrer dans sa gloire. Eh bien, Marie était comme entrée à l'intérieur du corps de Jésus. Elle était la première à être une cellule de son corps, un membre de son corps mystique.
Elle allait donc elle aussi descendre dans la mort et ressusciter. Elle le faisait anticipativement. Et là, nous avons encore un parallèle très beau avec notre vie contemplative. C'est dans la mesure où je me perds pour le Christ, où je me perds à l'intérieur du coeur de mes frères que je participe déjà à la petite résurrection.
Alors Judas, lui, il affiche brutalement ce qu'il a dans son coeur. Les dispositions de son coeur, lui, il ne les cache pas. Il les affiche brutalement et il pose une question : « Pourquoi ? Pourquoi ne pas vendre ce parfum 300 pièces d'argent pour les donner aux pauvres ? » Voilà, il pose une question. Il n'est pas content. Il n'est pas d'accord et il le dit. Apparemment, mes frères, Judas a raison. Imaginons que ça arrive aujourd'hui. On dirait en voyant ça : « Mais enfin ! Il y a les affamés du Sahel, il y a les exploités d'Amérique du Sud. Il ne faut pas courir si loin, il y a tout le quart monde ici de la région. Pourquoi cette perte ? On aurait pu le vendre 1!2 million. Et qu'est-ce qu'on ne pourrait pas faire avec ça ? Quel tas de misère ne pourrait-on pas soulager ? » Vous voyez, c'est une réaction qu'on pourrait dire saine.
C'est raisonnable au moins. On ne peut pas dire que Judas ait tort. Sa question était sensée. Mais attention. Marie et Jésus obéissent à une autre logique. Et c'est là, mes frères, que se présente toute la difficulté.
Nous assistons pour une des premières fois avec autant de violence à un heurt virulent entre la logique de l'homme et la logique de Dieu. Ce sont deux sagesses qui s'opposent. Une folie au regard des hommes qui est Sagesse au regard de Dieu.
Et alors là, je pense qu'il ne faut pas essayer de comprendre. Il faut accepter les choses telles qu'elles sont, telles qu'elles sont. Et c'est ce scandale, ce scandale de la Sagesse de Dieu en conflit avec la sagesse des hommes qui va traverser toute l’histoire et qui nous atteint aujourd’hui.
Je le répète, nous devons, nous, par devoir et par condition d'état, nous devons toujours entrer dans cette logique de Dieu. Cela ne veut pas dire que nous devons faire des folies maintenant, dans le sens de " folies " entre guillemets. Mais bien souvent notre logique qui est la logique de Dieu ne sera pas comprise de la raison humaine.
Eh bien cela, mes frères, nous devons l'admettre. Nous ne devons pas essayer de nous justifier. Il y en a un autre qui nous justifie de suite, et qui nous justifiera un jour. Je dis de suite parce que c'est le jour de son éternité. C'est celui qui nous inspire cette logique. C'est le Christ lui-même.
Alors, mes frères, - encore une minute - nous comprenons à partir de là la condamnation sans appel portée par Saint Benoît contre le murmure. Le moine murmurateur choisit la logique de l'homme à la logique de Dieu. Il choisit l'égocentrisme de préférence à l'amour. Le murmure, dans un monastère, c'est quelque chose d'extrêmement grave parce que ça sécularise la vie.
Quand je dis " séculariser ", cela veut dire que cela fait obéir la vie aux maximes du monde. Si bien que le murmurateur se place non pas du côté du Christ, de Marie, mais il se place du côté de Judas et de satan. Il faut bien faire attention à cela !
Le murmure est quasi invétéré en nous. Notre première réaction, lorsque ça ne concorde pas avec notre façon de voir, c'est de poser la question : mais pourquoi ? Il faut alors que dans un second temps, de suite, nous reprenions pour dire: il y a une réponse, mais cette réponse, elle est cachée dans la Sagesse de Dieu. Que Dieu me donne vite cette Sagesse pour que je n'aie plus besoin de poser de questions.
en conflit l'Histoire
Voilà, mes frères, une petite leçon que nous pouvons encore retenir. Vous voyez que notre semaine sainte d'année en année est toujours extrêmement riche. C'est pourquoi nous devons nous efforcer de la vivre dans la reconnaissance.
Car les grâces que nous recevons, elles ne sont pas données seulement pour nous personnellement, mais aussi pour tous ceux qui nous sont confiés dans le secret, que nous portons dans notre coeur et pour lesquels nous devrons un jour rendre grâce à Dieu devant ses saints et devant ses anges.
Mes frères,
Le jour de l'an, en vous présentant mes vœux, j'avais proposé de faire de l'année 87 un temps au cours du quel nous donnerions une impulsion nouvelle à notre vœu de conversion. Par ce vœu, vous le savez, nous nous sommes engagés à un retournement complet.
Nous avons promis solennellement devant Dieu, les anges, les saints et tous les frères de la communauté, de changer de vie. Nous cessons de courir derrière nos convoitises, nos ambitions, nos intérêts propres et nous empruntons résolument la route de la gratuité, du renoncement, de l'oubli de soi.
Le moine choisit donc délibérément, joyeusement Dieu ; son projet, c'est Son Vouloir. Il abandonne ce qui lui semblait à lui pouvoir favoriser l'épanouissement de sa vie. Il s'en remet pour cela à Dieu qui est son créateur, qui est son Père, à Dieu qui est amour.
Il s'en remet à Dieu qui l'a appelé en vue d'un projet qui sera dévoilé jour après jour, mais qui - on le sait déjà consiste essentiellement à travailler, à aider Dieu dans son Opus, dans son Œuvre, dans son travail qui est la création et la transfiguration du monde.
Donc, lorsque le moine entre dans le monastère, il n'y vient pas seul. Il porte avec lui une multitude d'êtres humains qu'il découvrira un jour, certainement au jour du jugement.
Le moine fait donc confiance à la Sagesse de Dieu, même si dans le concret de l'existence quotidienne, cette Sagesse divine prendra parfois la forme de la croix. Il va donc se laisser mouvoir, non plus par des raisonnements humains, mais par la foi.
N'oublions pas que la foi est une participation à la connaissance que Dieu a de lui-même. Si donc je connais Dieu par l'intérieur de lui-même, je saisirai intuitivement ce que Dieu veut réaliser sur ma propre personne, même si c'est son immense projet qui est son Opus. Le vœu de conversion des mœurs est donc un engagement à pousser jusqu'au bout les engagements, les promesses du baptême.
Nous allons les renouveler au cours de la Vigile Pascale: renoncer à satan et passer au Christ. Donc, vivre le mystère de la Pâque. C'est un mystère de mort pour une résurrection.
Vous savez que le satan est un prestidigitateur extraordinaire, un illusionniste. Il peut, d'ailleurs c'est ce qu'il a fait avec les premiers parents, présenter le moyen d'avoir la vie éternelle tout de suite, la vie divine à portée de main. Il suffit de tendre la main pour la saisir. Eh bien, nous renonçons à tout cela, nous lui tournons le dos, et puis nous suivons le Christ. C'est autrement austère, mais nous savons qu'en descendant avec lui jusqu'au bas de l'échelle de l'humilité - qui en fait est une ascension - qu'à ce moment-là nous arrivons là où il est et nous partageons sa vie, tout de suite, sans attendre l'éternité.
Maintenant regardons les apôtres. Les apôtres ont suivi le Christ depuis le baptême de Jean. C'était une condition pour être apôtre. Il fallait avoir été fidèle au Christ depuis le baptême de Jean. Ce sont donc les tous premiers !
Et ils ont entendu son enseignement pendant des années, pendant trois ans au moins, un enseignement que le Christ dispensait en public. Ils ont aussi - ce qui était très intéressant - reçu des leçons particulières. Donc le Christ leur parlait entre eux, il leur communiquait une science qu'il ne donnait pas à la grande foule. Il voulait donc former des collaborateur sur lesquels ils pourraient s'appuyer pour son travail.
Et alors, ces hommes qui étaient de bonne volonté, tous sans exception, ont découvert peu à peu qu'ils devraient entrer dans un univers nouveau, c'est à dire une charité à la mesure de Dieu, aimer comme Jésus lui-même aimait jusqu'à donner sa vie pour les autres.
Donc, les autres ne servent pas d'escaliers pour réaliser quoi ? Une illusion de vie. Non, mais je me perds pour les autres, pour que les autres vivent, et que je vive et que je ressuscite avec eux.
Voilà ce que le Christ disait encore au cours du dernier repas. Il rappelait : « Je vous donne un commandement nouveau, que vous vous aimiez les uns les autres. Comme moi je vous ai aimés, vous vous aimerez les uns les autres. Et c'est à cela que tous reconnaîtrons que vous êtes mes disciples, si vous avez un tel amour les uns pour les autres. » Il leur découvrait que c'était là l'exigence suprême.
Plus d’égoïsme alors, plus de calculs ! Or, c'étaient des calculateurs, ces apôtres, nous l'avons encore vu hier. Et jusqu'à la dernière minute, ils l'ont été. Et ce que le Christ leur découvrait les inquiétait.
Lorsqu'ils se sont engagés à la suite du Christ, ils pensaient faire une affaire d'un tout autre genre. Nous le voyons, c'est tout au long de leur vie. Je vous assure que Jésus a dû avoir avec ses hommes une patience, je ne dirais pas une patience d'ange, mais une patience de Dieu, pour les supporter.
D'ailleurs il le dit parfois : « Jusques à quand devrais-je vous supporter ? » La moutarde lui est montée au nez parfois devant leurs lourdeurs. Mais ces apôtres malgré tout étaient séduits et ils restaient, ils restaient.
Et un jour, Jésus leur a mis le marché en main. Il y en a qui sont partis. Des disciples, des pans entiers de disciples ont abandonné Jésus. Et lui leur a demandé: « Et vous, vous allez aussi partir ? » Et Pierre a répondu : « Mais où irions-nous, Toi, tu as les paroles de la vie éternelle. » Donc ils étaient séduits par les paroles du Christ et par la personne du Christ surtout.
Mais parmi eux, il y en avait un qui était certainement le plus intelligent, le plus perspicace. Et celui-là, il avait compris tout de suite que tout espoir de réussite purement terrestre devait être abandonné. Il avait compris qu'il faudrait devenir semblable à Jésus, accepter une mutation totale, être serviteur dans l'humilité et la douceur. Apprenez de moi, avait-il dit, que je suis doux et humble de coeur.
Et alors, cet homme a bien saisi l'enjeu de la chose. Il a sans doute longuement réfléchi. Et finalement pour lui s'en était trop. Et Judas a refusé la conversion, là est le problème. Judas a refusé la conversion, la mutation, le retournement qui lui était proposé, qui lui était demandé. Il a refusé !
Alors, il ne lui restait plus qu'une seule chose : se venger. Il avait perdu trois ans. Regardez un peu, trois ans ! Il les avait perdus, trois ans d'affaires. C'est beaucoup, savez-vous, dans une vie, trois ans. Et il les avait perdus. Il devait donc maintenant se venger.
Et le geste de Marie versant là ce parfum sur les pieds de jésus a fait déborder le vase. C'est la goutte qui a fait déborder le vase. Cela, il ne pouvait pas le supporter. Et alors, comme il était maître en calcul, en comptabilité, en affaires, il a de suite vu les choses. Cela s'est fait très vite. Voilà, on avait gaspillé d'un seul coup 300 pièces d'argent sur les pieds de Jésus, eh bien lui, il en retirerait l'intérêt, 10%. Il vendrait Jésus pour trente pièces d'argent. C'était un fameux intérêt, encore aujourd'hui, 10% net, hors précompte, net ! Et voilà ce qu'il a fait !
Mes frères, les exigences de notre vie sont sérieuses. Ce sont les mêmes exigences que celles qui ont été proposées aux apôtres : donc, une conversion, tourner le dos à ce que nous sommes de bêtement humain et nous engager à la suite de ce Jésus - qui est Dieu lui-même - pour une aventure qui va nous conduire fatalement au pied d'une croix sur laquelle nous devrons peut-être monter, une croix mystique naturellement.
Mais au-delà, il y aura l'entrée dans l'univers même de Dieu, une résurrection anticipée qui fait voir les choses comme Dieu les voit, qui les fait aimer comme il les aime. Mais pour cela, il faut vraiment se convertir du tout au tout. Et c'est ainsi du premier au dernier jour de notre vie. Cela va nous demander un gros effort, une remise en ordre quotidienne.
C'est comme si on conduisait une voiture. Je conduis le véhicule de ma vie. Je ne peux pas fermer les yeux. Si je ferme les yeux en conduisant ma voiture, si je m'endors, il ne faudra pas l'affaire de quelques secondes et je serai dans le décor et, je ne sais pas où je me réveillerais ? Et bien, c'est cela le vœu de conversion, cet effort d'attention et de tenir le volant pour toujours maintenir notre existence dans l'axe de ce que Dieu attend de nous.
Alors mes frères, relâcher cet effort, comme ça, et bien c'est loucher du côté de Judas. Attention, au début ça paraît anodin. Mais si on continue à loucher, on finit par tourner la tête tout à fait. Et puis, après la tête, c'est le corps qui suit. On quitte la route.
Il y a donc, mes frères, un risque que nous ne pouvons pas prendre, et c'est celui-là. C'est celui de négliger notre vœu de conversion.
Demain nous allons commencer à entrer vraiment dans la liturgie de la passion. Je rappelle que ces actes liturgiques ne sont pas des représentations mythiques, une sorte de théâtre. Non, ils ont le pouvoir de rendre présent l'événement, un événement qui a été ponctuel, un tel jour, mais qui en fait a valeur d'éternité.
Ce sont des événements qui sont toujours présents avec toute leur puissance. Mais comme nous sommes faibles, nous avons besoin, nous, que cela se précise de temps en temps, une fois par an. Et c'est la grande fête de la Pâque.
Mes frères, nous la verrons, si vous le voulez bien, dans l'axe de notre conversion, de cette promesse que nous avons fait à Dieu de n'appartenir qu'à lui.
Mes frères,
Comprenons le bien, Dieu entend nous conduire vers la liberté. Et pour cela il a tenté, et il tente encore l'impossible. L'impossible, c'est l'incarnation de Dieu, c'est la passion de Dieu, c'est la mort de Dieu, et finalement c'est la résurrection de l'homme.
Laissés à nous-mêmes, nous sommes des esclaves, nous sommes un peuple d'esclaves. Nous avons peur de la liberté. L'Histoire du Peuple Hébreux, c'est notre Histoire à nous, c'est l'Histoire de toute l'humanité. Nous nous accrochons à de pauvres libertés. Nous préférons l'illusion à la réalité.
La vraie liberté, seul le Christ peut nous la donner. Contemplons-le lavant les pieds de ses disciples. La liberté parfaite est dans la dépossession totale, dans le don de soi entier, absolu, dans l'humilité, dans le service. Et ne la cherchons pas au-dessus dans le pouvoir, dans l'argent, dans le prestige.
Non, la vraie liberté est en-dessous. Etre libre, ce n'est pas faire ce qu'on veut. Etre libre, c'est vivre pour les autres et se recevoir à l'intérieur de ce don. Etre libre, c' est faire ce que Dieu fait à l'intérieur de sa Trinité et dans ses rapports avec nous.
Le Christ a poussé jusqu'à sa dernière extrémité le réalisme de l'amour. Le lavement des pieds, le corps et le sang donnés en nourriture sont un même geste. Ce geste nous empoigne à la racine de notre être et il nous entraîne dans la mort à toute forme d’égoïsme et de péché. Et d'un seul coup, nous recevons la liberté et nous pouvons à notre tour aimer. Hélas, nos vieilles peurs nous reprennent bien vite et nous retournons à nos ridicules sécurités charnelles. Mais ne nous décourageons pas. Dieu est patient. Il sait qu'elle est lente notre éducation à la liberté. Il est amour. Il a donné sa vie pour nous.
Je vais à présent refaire le geste du lavement des pieds. Je ne le fais pas en mon nom personnel, mais au nom du Christ dont je tiens la place parmi vous. Ouvrez donc votre cœur ! C'est lui qui va se prosterner à vos pieds, qui va les laver, qui va les baiser pour vous dire qu'il est à votre service, mais que vous aussi vous devez vous mettre au service les uns des autres.
Mes frères, c'est là un geste magnifique, laissons-le travailler en nous. Laissons-le devenir notre maître et ainsi nous goûterons avec le Christ, avec Dieu, la véritable liberté.
Amen.
Mes frères,
La personne du Christ Jésus notre Seigneur ne peut être connue en toute vérité qu'à l'intérieur de la foi. Une telle connaissance va bien au-delà de toute approche sentimentale ou autre. Nous connaissons le Christ lorsque lui vit en nous et que nous vivons en lui.
Nous le connaissons quand nous participons concrètement à sa destinée, quand notre vie coïncide avec la sienne. A ce moment, il n'est plus de mots pour exprimer cette connaissance. Elle est absolument ineffable. On connaît parce que on voit de l'intérieur et ce qu'on découvre ne peut se dire. On est en plein mystère.
Or, mes frères, je rappelle que le mystère n'est pas quelque chose d'incompréhensible. Bien au contraire, c'est ce qu'on n'a jamais fini de comprendre. Or, un des sommets de ce mystère, c'est la mort du fils de Dieu sur une croix. Certes, il est bien des hommes, des femmes et même des enfants qui ont connu et qui connaissent encore aujourd'hui des souffrances et des morts bien plus atroces.
Mais ne nous laissons pas égarer, aveugler par des questions de poids et de mesures. Il n'existe qu'une seule souffrance indéfiniment démultipliée, celle de l'homme et celle de Dieu désormais fondues en un.
Notre sauvegarde, notre salut est que toute souffrance d'homme est souffrance de Dieu, que nous en soyons conscients ou non. Dieu dans le Christ Jésus a tout pris sur lui, les douleurs, les pleurs, les cris, les morts, les tortures, le mal. Que ce soit mérité, que ce soit immérité, il a tout pris sur lui.
Mes frères, nous ne pouvons que fermer les yeux et espérer en frémissant. On comprend les larmes des saints et leur immense compassion. Ils pleurent sur Dieu, sur les hommes leurs frères et sur eux-mêmes.
Nous qui sommes faibles dans la foi et qui sommes pécheurs, contentons-nous, mes frères, et faisons au moins cela : supplions et adorons. C'est le geste que nous allons poser maintenant.
Nous allons présenter à notre Dieu les intentions que l'Esprit a déposé dans le coeur de l'Eglise. Nous savons qu'elles seront exaucées, peut-être pas comme nous l'imaginerions, comme nous le désirerions, mais elles seront exaucées à la manière de Dieu.
Et maintenant, nous comprenons qu'il n'est pas possible d'arriver au salut universel sans passer par cette souffrance, par cette croix. Dieu est maintenant cloué sur une croix jusqu'à la fin des temps, jusqu'à ce que tout soit accompli.
Mes frères, ne recherchons jamais la réussite humaine, nous tournerions alors le dos au mystère de Dieu, au mystère du Christ. Mais entrons dans son vouloir. Ce qui ne veut pas dire que nous ne devons pas lutter contre la souffrance, contre la maladie, contre toutes les injustices qui ravagent le monde.
Mais pour ce qui nous regarde personnellement, ne murmurons pas contre ce que Dieu fait, contre ce que Dieu permet. Sachons, je le répète car c'est là la clef de tout, sachons que toute souffrance est maintenant souffrance de Dieu et que un jour nous verrons parfaitement, que un jour nous comprendrons. Et nous commençons déjà à comprendre maintenant si, dans notre vie personnelle, nous participons à cette souffrance.
Mes frères, nous allons ensuite adorer la croix. Nous allons la vénérer, nous allons la baiser, non seulement le Christ présent sur cette croix, mais aussi la croix en elle-même. Et ainsi, nous serons réconciliés avec Dieu, réconcilié avec le monde, réconcilié entre nous, réconciliés avec nous-mêmes. Et nous pourrons attendre dans l'espérance l'aube de la bienheureuse résurrection pour nous-mêmes, et pour chacun des hommes, et pour l'univers entier.
Amen.
Mes frères,
Tout chrétien et à fortiori tout moine est appelé à entrer avec Dieu dans le gouffre du Samedi-Saint. Je dis bien avec Dieu ! Après la mort de Jésus le fils de Dieu, il a dû se produire en Dieu un ébranlement, une dislocation, une fracture. Il a dû se créer un vide comme si Dieu mourait à son tour, comme s'il ne pouvait plus être lumière et vie, comme s'il n'avait plus le droit d'être Dieu. Tout cela s'est passé au coeur de la Trinité.
C'est ainsi que le Samedi-Saint ouvre en Dieu des abîmes vertigineux. Ils nous laissent pressentir au sein des trois Personnes Divines des régions absolument inconnues et inconnaissables. L'amour pousse Dieu à une communion, une compassion avec sa création, quelque chose qui est humainement inimaginable.
Dieu est amour signifie aussi que Dieu s'est laissé engloutir avec l'homme dans les ténèbres du rien. Ce fut comme plus fort que lui. Dieu a été vaincu par lui-même en tant qu'il est amour.
Mes frères, nous sommes invités, nous, à descendre jusque là. Nous y sommes provoqués. Lorsque le Christ dit : « Vous devez vous aimer comme moi je vous ai aimés » nous devons entrer dans sa compassion, compassion vis à vis de nos frères, mais aussi compassion à l'endroit de Dieu. Nous devons l'accompagner dans le trou qui s'est ouvert sous ses pieds et dans lequel il est tombé. L'homme y était tombé avec lui, c'est certain !
Mais nous, mes frères, nous sommes encore vivants. Nous vivons de la vie corporelle. Et c'est de notre vivant que nous devons vivre ce mystère. C'est possible, c'est même requis, comme je le disais, si nous sommes vraiment des enfants de Dieu, si nous sommes greffés sur la personne du Christ.
Les saints ont décrit ce qui se passait alors. Ils ont tracé l'itinéraire de ce voyage dans une mort pire que la mort, une mort qui paraît éternelle. Il ne reste rien que l'accomplissement quasi machinal des moindres vouloirs de Dieu.
Il ne reste rien, mais il reste tout car c'est le lieu de la fidélité, une fidélité qui ne repose sur rien de sensible, sur rien de senti, sur rien de cru, une fidélité toute entière portée par Dieu lui-même. Et c'est cette fidélité qui va pouvoir permettre à l'homme de tenir.
Car ce Samedi-Saint à la mesure de l'homme peut s'étendre sur des années. Ce n'est pas étonnant car il s'apparente à l'éternité même de Dieu. Pascal a dit que le Christ est en agonie jusqu'à la fin du monde. Eh bien nous pouvons dire que Dieu est dans le gouffre du Samedi-Saint jusqu'à la fin du monde. Il l'est par le jour de son éternité.
Et l'homme qui participe vraiment à la vie de Dieu parce que l'être du Christ prend possession de son coeur, cet homme goûte aussi le Samedi-Saint dans son aspect d'éternité, à côté de Dieu, en communion avec Dieu, en compassion pour Dieu. Alors, mes frères, Dieu seul peut briser cette éternité dégustée. Il le fait à son heure.
La petite résurrection à laquelle nous sommes aussi appelés, c'est à dire l'éveil à un nouveau mode d'être, à un mode divin d'exister dans l'amour, cette petite résurrection exige le préalable du Samedi-Saint. L'anachorèse, la mort à soi dans le renoncement, dans l'obéissance, dans la pauvreté, la prière continuelle sont une préparation à cette grande épreuve qui est aussi une grande grâce. C'est peut-être la plus grande grâce que Dieu puisse ici-bas accorder à un homme avant de l'introduire justement dans son univers de lumière, dans son univers de ressuscité.
A ce moment-là, mes frères, nous sommes solidement attachés et à Dieu et au monde. Nous sommes solidaires et de Dieu et du monde. Nous le sommes dès que Dieu a pris possession de nous. Mais lorsqu'il nous conduit là vraiment où lui est descendu, alors cette solidarité devient parfaite et notre mission salvatrice, dans la ligne de la sienne, elle s'accomplit.
Il est indispensable, mes frères, que le Samedi-Saint reste toujours présent au monde. Il le sera si Dieu trouve des hommes qui sont disposés à y entrer. Pour cela, il a besoin de notre consentement. Il ne fait rien sans nous. Et notre consentement va s'exprimer par le moyen de notre obéissance.
Si Dieu voit qu'il peut tout nous demander, alors il verra qu'il peut tout nous offrir. A ce moment-là, mes frères, il pourra se servir de nous pour poursuivre son œuvre. Comme je le disais, il est indispensable qu'il y ait sur terre des hommes qui sont disposés à entrer dans ce mystère.
Voilà, mes frères, ce que nous pouvons retenir cette année de ce mystère, de ce mystère pascal dans tout son déroulement. Ce n'est pas inquiétant, rassurez-vous ! Ce n'est pas inquiétant, parce que lorsque Dieu nous fait entrer dans tout son mystère, il habite en nous et c'est sa force qui nous fait avancer. Jamais il ne nous abandonne, même lorsqu'il nous semble que notre mort mystique va durer toujours.
Voilà, mes frères, ce que nous pouvons recevoir, ce que nous pouvons demander mais alors avec beaucoup d'humilité, en nous disant que notre demande doit toujours s'exprimer, si elle veut être vraie, par une obéissance toujours plus fidèle, toujours plus délicate à tout ce que Dieu nous demande à longueur de journée, dans tous les détails, dans les grandes choses comme dans les petites, ne négligeant jamais rien.
Mes frères, soyons donc fidèles, soyons donc vigilants pour que Dieu puisse un jour se réjouir de nous avoir invités à le suivre.
Amen.
Mes frères,
Chaque chrétien est appelé à vivre dans son coeur, dans son esprit et dans sa chair toute l'Histoire du Salut qui coïncide avec l'Histoire du monde. Ainsi chacun d'entre nous peut être appelé au sens le plus noble du terme un microcosme, un petit monde, un monde avec ses difficultés, avec ses questions, avec aussi son avenir.
Dieu ne nous plonge pas dans une masse anonyme informe qu'il sauverait d'un bloc. Non, c'est personnellement, individuellement que nous sommes appelés à une transfiguration qui manifestera aux yeux de tous la gloire de notre Christ.
N'ayons pas peur, mes frères, d'être réalistes et de voir cette transfiguration non seulement comme une métamorphose de notre coeur, mais aussi comme régénération de notre chair. C'est parce que je suis aimé comme si j'étais seul au monde que le monde récapitulé en moi peut passer de la corruption à l'incorruptibilité et de la mort à la vie.
Dieu est amour ne signifie pas seulement le partage de l'épouvante dans les ténèbres du Samedi-Saint. Dieu est amour signifie aussi que Dieu nous emporte dans sa lumière, dans son éternité, dans sa vie.
Voici le message de la nuit Pascale : la victoire d'un seul est la victoire de tous. Le Christ triomphant en nous du péché et de la mort, libère et divinise l'univers dans sa totalité. Voyez, mes frères, l'importance qu'il y a à devenir un saint. Encore faut-il que nous nous prêtions à l'agir de notre Christ.
On va me dire : « Mais à quoi bon, rien ne change. Aujourd'hui est comme hier, et demain sera comme aujourd'hui. Tout va de mal en pis. » D'accord si nous jugeons sur les apparences. Ne perdons pas de vue la lutte gigantesque entre le Christ et satan. N'oublions pas la croix et son mystère. Ce n'est pas en écrasant ses opposants que le Christ triomphe, mais par son humilité, par sa douceur, par son amour.
C'est sa mort sur la croix qui a triomphé du monde et de son prince le satan. Et ce triomphe a été confirmé, il a été affirmé lorsque Dieu l'a ressuscité d'entre les morts. Voilà mes frères, le dessin de notre vie à nous qui sommes greffés sur la personne du Christ par le baptême.
Mais peut-être avons-nous peur de le suivre sur ce chemin du dépouillement ? Posons une question: Aimons-nous assez ? Aimons-nous vraiment ? Aimons-nous sans réserve ? Demandons au Christ de nous donner ses yeux. Nous serons alors stupéfaits d'admiration et en même temps saisis d'une immense souffrance. Nous embrasserons d'un même regard la folie suicidaire des hommes, la nôtre, et la recréation opérée par Dieu dans ses saints et grâce à ses saints.
Le Christ est ressuscité, lui, le premier né de la création nouvelle. Permettons-lui, mes frères, de ressusciter en nous, de sauver le monde. Permettons-lui de pousser jusqu'à son achèvement l’œuvre que son Père lui a confiée. Sans nous, mes frères, il ne peut rien aujourd'hui.
Notre responsabilité est grande, vous le sentez. Regardons-la en face, et puis choisissons de devenir des saints. Nous serons alors d'authentiques chrétiens dans la lumière, dans la compassion universelle, et aussi dans une espérance à la mesure de Dieu.
Amen.
Mes frères,
Ce matin, nous sommes en mesure de répondre à la question que nous nous posions en ouvrant la Semaine Sainte : Qui sommes-nous ? Quelle est notre véritable destinée ? Qu'est-ce qui nous attend ?
Le chrétien est un homme qui vit consciemment et constamment dans la compagnie du Seigneur Jésus ressuscité d'entre les morts. Pour lui, la résurrection du Christ n'est pas un quelconque épisode, une histoire mythique qui n'a aucun impact sur la vie.
Non, pour lui, la résurrection du Christ est l'origine, le coeur et la finalité de tout. Le Christ est ressuscité d'entre les morts. Cela signifie qu'une chair d'homme est entrée en possession de tous les attributs de la divinité, et cela pour toujours.
Cela signifie que cette chair est spiritualisée, divinisée, transfigurée sans retour. Et dans cette chair, nous reconnaissons la nôtre. Ainsi le projet initial de Dieu est en voie d'achèvement. Dieu devient tout en toute chose et les derniers Temps sont là.
Mes frères, le chrétien vit de ces réalités. Elles sont sa respiration. C'est elles qui donnent un sens, une direction à son existence. Il sait d'où il vient, il sait où il va, et il sait qui il est. Vivre avec le Christ ressuscité dans la clarté, dans la chaleur de sa lumière, c'est donc vivre dans l'univers de Dieu, c'est connaître au plus intime du coeur les prémices de sa propre résurrection. On sait très bien qu'à ce moment on est caché avec le Christ en Dieu au delà de la mort.
Le chrétien, mes frères, est donc un homme enraciné dans l'éternité, un homme qui imprime sa direction définitive au monde en pleine croissance. Le Christ vit dans un tel homme. Et par cet homme, il continue son travail. C'est grâce à cet homme qu'il peut diriger le cosmos à travers tout ce qui nous semble à nous être des reculs ou même des semblants d'échecs.
Rappelons-nous que la victoire du Christ a été acquise définitivement au moment où il remettait son esprit entre les mains de son Père, sur une croix. Cet esprit était en sécurité et Dieu le Père pouvait le lui rendre le jour où il le faisait surgir du séjour des morts, non plus dans le même état qu'auparavant, mais entièrement transformé.
Mes frères, le chrétien, le vrai chrétien donc, est le intensément présent à chaque instant de la durée parce qu'il contemple le Christ qui rédime, qui purifie et qui transforme tout. Dans le sillage de la résurrection du Christ, c'est notre propre résurrection et à travers elle celle du cosmos qui s'accomplissent. C'est notre amour fidèle, c'est notre obéissance au Seigneur qui seront la proclamation vivante de ce que nous sommes.
Mes frères, soyons donc dans la confiance et dans la joie et n'ayons jamais peur de nous montrer tels que nous sommes. Nous devons être fiers de notre condition. Nous ne devons jamais nous cacher. Mais tout cela dans l'humilité, en restant à notre place, c'est à dire dans le service.
Mes frères, nous sommes dans les jours de la Pâque. Laissons-les battre et s'épanouir en nous jusqu'à ce qu'ils nous aient entièrement transformés et que nous puissions être des fleurs à travers lesquelles le parfum de l'au-delà peut déjà se respirer.
Amen.
Homélie du dimanche des rameaux. 12.04.87............................... 1
Chapitre du Lundi-Saint. 13.04.87....................................... 2
Anéantissement-Glorification................................................................................................................................. 2
Chapitre du Mardi-Saint. 14.04.87....................................... 4
L’univers de la foi ou celui de la raison et du calcul !........................................................................................ 4
Chapitre du Mercredi-Saint. 15.04.87.................................. 8
Notre conversion des mœurs................................................................................................................................... 8
Homélie à l’Eucharistie du Jeudi-Saint. 16.04.87......................... 10
La vraie liberté........................................................................................................................................................ 10
Vendredi-Saint. 17.04.87.......................................... 11
Homélie à la célébration........................................................................................................................................ 11
Exhortation à l’Office de Complies..................................................................................................................... 13
Homélie de la Vigile Pascale. 18.04.87.............................. 14
Homélie du jour de Pâques. 19.04.87................................ 16
Table des matières de la Semaine Sainte de 1987............................... 17