Mes frères,
Nous vivons dans un monde disloqué. La concorde entre les hommes est tellement rare aujourd'hui ? Et pourtant, nous sommes faits pour vivre les uns avec les autres, les uns pour les autres. Et un de nos premiers devoirs à nous chrétiens et moines, c'est de nous efforcer d'établir l'harmonie partout où cela nous est possible.
Nous sommes en effet des êtres de relation. C'est la relation qui nous constitue et nous valorise. La relation est première. Nous existons par le fait d'une relation entre les parents. Elle est antérieure à nous. Et lorsque nous arrivons au monde, nous sommes reçus dans des relations : la relation avec Dieu, la relation avec l'homme - le prochain la relation avec l'univers.
La relation est un contenant. Elle est un moule. Nous vivons à l'intérieur d'elle et c'est elle qui nous façonne. Nous devons le reconnaître. Nous devons nous adapter à cette situation. Nous devons être dans une attitude d'ouverture, d'accueil, d'abandon à cette relation. Cela signifie pour nous : confiance, bienveillance, amour.
Mes frères, tout cela c'est de nouveau le mystère de cette Semaine Sainte. Le Christ, ne l'oublions jamais, Verbe de Dieu avait, cela transparaît à travers tout l’Evangile, le sens des relations.
Quelque fut la personne en face de laquelle il se trouvait, il était à l'aise avec elle et il la mettait à l'aise. Que ce soit un Docteur en théologie - Nicodème -, que ce soit un gosse de la rue, que ce soit une femme de mauvaise vie, il savait de suite établir une relation et au sein de cette relation permettre à l'autre de se trouver, de se réconcilier avec lui-même, de se libérer, et enfin de pouvoir respirer et vivre.
Le sens de la relation. c'est donc le sens du convivium, du vivre avec, de la communication. C'est un grand problème d'aujourd'hui : comment faire pour établir la communication avec les autres ? Nous connaissons toutes sortes de communications, les télécommunications, enfin tout. Et pourtant, nous ne parvenons pas à établir la communication avec notre prochain.
On dirait vraiment que plus on a de moyens à sa disposition, moins on sait les utiliser. C'est donc tout un apprentissage à faire. Nous devons acquérir ou retrouver ce sens de la relation. Et pour cela, cultiver en nous et chez les autres l'aptitude à la rencontre, au dialogue dans le respect, pour un mieux être, un plus être mutuel.
Si nous rencontrons un autre, ce n'est pas pour mettre la main sur lui, mais c'est pour au sein de la relation qui s'instaure dans le respect, se trouver mieux l'un et l'autre. C'est pour un enrichissement mutuel. C'est donc l’œuvre conjointe de deux ou plusieurs partenaires. Il doit y avoir non seulement accueil, mais réponse. Deux partenaires qui sont ouverts et présents l'un à l'autre.
Voilà. mes frères, ce que nous devons essayer de faire ! Il y a donc un donné originel qui est la relation dans laquelle nous sommes venus au monde et qui est là. C'est un donné primitif.
Nous devons essayer de le développer, de le cultiver, de le porter à sa perfection de façon à ce que une harmonie parfaite s'établisse entre nous et tout ce qui nous contient. Donc, je le répète : Dieu, les autres hommes et l'univers matériel.
La vie cénobitique qui est la nôtre, elle n'est donc pas un antagonisme dans l'affrontement de passions égoïstes. Non, mais elle est un réseau de relations qui construit des personnalités fortes. Je pense que c'est un de nos devoirs les plus urgents de cultiver ces relations à l'intérieur de notre vie monastique.
Je dis bien cultiver, parce qu'elles existent. Elles sont là. Et je dois dire que dans notre communauté, elles sont belles. Elles sont épanouissantes. Mais nous devons les cultiver, car si nous ne les cultivons pas, elles peuvent dégénérer. Notre égoïsme est tellement astucieux qu'il peut détourner les meilleures choses à son profit.
Pâques dans son mystère global : je le vois depuis le moment où Dieu s'est fait homme, qu'il vit parmi nous. Il adopte tous nos comportements. Et puis il subit une passion. Il meurt. Son père le rappelle à la vie.
Voyez tout ce mystère de Pâques ! C'est le mystère d'une relation. C'est Dieu avec nous, Emmanuel, mais à un sommet d'incandescence. Et en retour, c'est nous avec Dieu pour une métamorphose, une transfiguration de notre être qui ainsi atteindra le sommet, le point ultime de sa perfection.
Et alors, autour de cette relation Dieu et nous, il y a un rayonnement. C'est nous avec les autres dans la communion à une même vie. Car chacun des autres est appelé à faire la même expérience. Et c'est nous avec la création oui devient palais de Dieu et réverbération de sa lumière.
Voici donc l'harmonie établie. C'est là le projet de Dieu. Voyez ce que Dieu a jeté devant lui. Son intention, elle est là. C'est arrivé à ce chef d’œuvre qui ne peut être que divin, ce chef d’œuvre auquel il travaille avec une patience à sa mesure, infinie ; et ce chef d’œuvre auquel il nous demande de collaborer chacun à notre place encore une fois.
Et le préalable pour nous, c'est la mort à notre égoïsme qui est la source de tout péché, qui est la source de ces dislocations et de ces discordes. L'égoïsme, vivre crispé sur soi, retourné sur soi, refuser la relation ! Mais c'est un suicide puisque c'est la relation qui me porte.
Et cela signifie que cette mort à notre égoïsme sera notre passion à nous, notre passion par la voix de l'obéissance. L'obéissance, c'est la relation entretenue : relation avec Dieu, relation avec la société dans laquelle nous vivons. Mais pour notre égoïsme, c'est enregistré comme une mort.
Ce sera donc source de souffrance. Car ce qui souffre en nous - je laisse de côté la souffrance physique qui est autre chose - mais cette souffrance que nous portons au fond de nous, c'est notre égoïsme qui crie. Eh bien, laissons-le crier, quand il sera mort, il se taira !
Et le terme ? Le terme, et bien c'est la communion dans l'amour, la communion avec Dieu, avec les autres, avec le cosmos. La communion dans l'amour, c'est ma personnalité arrivée à la cime de sa conscience. C'est dans la relation que ma conscience arrive à sa fine pointe. Je sais qui je suis, mais dans une relation.
C'est aussi dans cette communion relationnelle. C'est moi dans les autres et c'est les autres en moi. Rappelez-vous la dernière prière du Christ. Nous la réciterons, nous la lirons plutôt, nous l'entendrons dans quelques jours :
Père, qu’ils soient tous un. Comme moi je suis en toi, toi en moi, qu’eux soient en nous et que nous soyons tous rassemblés dans l’unité ! Et ça, c’est la fin !
Mes frères, à ce moment-là, nous sommes vraiment à l'image du Dieu Trinitaire. Car à l'intérieur de la Trinité, chaque Personne est pure relation. La Personne existe par le fait de sa relation aux deux autres. Eh bien, voilà l'endroit, le lieu où nous devons arriver, péniblement !
Mais si nous nous laissons faire, si nous nous laissons prendre par ce jeu de relations avec Dieu et avec nos frères, ici, entre nous, sans que nous le sachions - c'est Dieu qui fait le travail, il ne nous demande que notre accord - nous y arriverons.
Voilà, mes frères, nous allons tantôt reprendre ou continuer notre méditation sur cette aventure de la rencontre de Dieu avec nous et de nous avec Dieu. Nous allons la vivre. N'oublions pas qu'elle est actuelle, qu'elle est à chaque instant de notre vie...
Mes frères,
Depuis hier soir nous sommes entrés dans la grande et sainte semaine de la Pâque. Cette Pâque qui est le drame humano-divin, un drame qui demeure pour jamais la clef d'intelligibilité de notre histoire : cette passion, cette mort et cette résurrection du Christ Jésus, l'homme devenu vraiment le fils de l'homme, le Dieu qui a voulu prendre notre chair.
Cette dramatique divine n'est pas étrangère à notre banal quotidien. Elle lui donne son sérieux, sa gravité, on poids. Aujourd'hui et dans les jours qui vont suivre, nous allons reprendre conscience de sa présence parmi nous. Nous la laisserons jouer en nous. Nous lui permettrons de s'imposer à notre vie.
Ouvrons donc notre coeur bien large à l'intelligence de ce mystère ! Laissons-le travailler en notre être pour qu'il puisse nous assimiler à lui. Permettons au Christ de revivre en nous son mystère de mort et de gloire.
Mes frères, c'est là notre destinée de chrétien. Et si nous sommes dans ce monastère, ce n'est pas pour une autre raison. Nous sommes pour jamais lié au Dieu qui est amour.
Mes frères,
L'enthousiasme des disciples du Christ devrait être le nôtre à tout moment. Sans cesse il devrait vibrer dans notre coeur, éclater au dehors dans notre regard et dans notre démarche. La vie chrétienne, la vie monastique surtout n'est elle pas certitude du Règne qui vient, joie de sa présence actuelle parmi nous ?
Certes, il ne s’agit pas du règne de notre Père David. Il s’agit du Règne de Celui qui est tout ensemble, et fils de David. et fils de Dieu. C'est lui que nous acclamons pour notre véritable Roi, lui qui fait de nous déjà maintenant les dignitaires de son Royaume.
Les palmes que nous portons sont le gage de la victoire que nous avons déjà acquise en Lui. Dans quelques instants, nous les déposerons au pied de l'autel en hommage au Christ notre Roi.
Et l'insigne de cette Royauté qui est domination absolue sur l'univers, c'est la croix douloureuse et victorieuse. Le Christ s'est fait obéissant jusqu'à la mort, et la mort sur une croix. C'est pourquoi Dieu l'a exalté. Il lui a donné le Nom qui est au dessus de tout nom afin que au nom de Jésus tout genoux fléchisse au ciel, sur terre, dans les enfers et que toute langue proclame : Jésus Christ est Seigneur pour la gloire de Dieu son Père.
Le moine, en fidèle serviteur de ce grand Roi, prend à son tour en main les armes nobles et invincibles de l'obéissance. Grâce à elle, il l'emporte dans la lutte, l’implacable lutte contre les vices de la chair et des pensées, et réduit à néant toutes les entreprises diaboliques.
Notre procession vers le temple de notre Dieu, notre Eucharistie vont proclamer bien haut notre foi en notre destinée de chrétien. Nous sommes plus que vainqueurs en Celui qui nous a aimés, Jésus le Christ notre Seigneur, mort pour notre justification, ressuscité pour notre glorification.
Maintenant, mes frères, allons, avançons avec joie comme les foules de Jérusalem heureuses d'acclamer leur Messie.
Mes frères,
Chaque année, le mystère de la Pâque du Seigneur prend pour chacun d'entre nous une coloration spécifique. Ce qui me frappe le plus en ce moment, c'est la faiblesse, la vulnérabilité de Dieu. Dans le Christ, c'est Dieu qui souffre, qui gémit, qui pleure, qui implore, qui meurt, Dieu lui-même !
Et comme le temps de Dieu est contemporain à tous les instants de notre durée, on peut dire en toute vérité que Dieu est en agonie jusqu'à la fin des temps. Mais l'agonie de Dieu, elle assume, elle rédime toutes les nôtres. Elle les sanctifie. Elle en fait le portail d'une victoire inespérée.
En devenant homme dans le Christ, Dieu s'est fait chacun d'entre nous. Non pas symboliquement, mais charnellement. Il est la tête d'un Corps immense dont nous sommes les membres chacun pour notre part. C'est la même vie, le même sang, les mêmes épreuves, le même triomphe final.
Alors, pourquoi craindre notre faiblesse ? Pourquoi hésiter devant le labeur ? C'est Dieu qui par nous, en nous, est à l’œuvre. Et l’œuvre de Dieu, voulons-nous la connaître ?
La voici : Dieu s'est vidé de lui-même. Il a répandu sa substance dans la poussière. Il s'est assimilé au rien. Il s'est fait obéissant jusqu'à l'anéantissement dans la mort. Sur la croix, réduit à l'impuissance la plus totale, Dieu est-il encore Dieu ?
Ce n'est pas un jeu macabre ? Ce n'est pas hystérie morbide ? Non, sur la croix, c'est lumière aveuglante d'un amour au-delà duquel rien de plus grand ne peut être conçu. Plus tard, le Christ dira à deux de ses disciples : « Vous n’avez donc pas compris ? Il fallait que le Christ souffrit tout cela pour entrer dans sa gloire ! »
Il fallait ! Dans la souffrance, dans la faiblesse, dans l'anéantissement de Dieu, l'histoire changeait de signe. Le sort des hommes basculait dans une direction nouvelle. La souffrance, la mort, l'échec - les nôtres - étaient divinisés devenaient germe de résurrection et de vie. Le péché était détruit. L'harmonie était rétablie entre le ciel et la terre.
Saint Benoît dans une intuition remarquable fait de ce mystère le ressort de la vie monastique. C'est par le labeur d'une obéissance de plus en plus parfaite, dit-il à son disciple, que tu reviendras à Celui dont t'avait éloigné la lâcheté de la désobéissance. Et il entre dans le détail. Et nous comprenons qu'une telle obéissance ne nous est possible que parce que le Christ lui-même revit en nous tout son mystère.
L'Eucharistie. mes frères. c'est le rien de Dieu qui vient à nous, ce rien qui est puissance suprême et vie éternelle. Aussi notre gloire est-elle et sera-t-elle pour jamais dans la croix de notre Seigneur Jésus le Christ, Lui qui est notre Dieu. Et rien ne pourra nous en séparer.
Amen.
Mes frères,
Le geste de Marie répandant un parfum hors prix sur les pieds de Jésus et les essuyant avec ses cheveux est certainement un des plus beaux que nous ait rapporté l'Evangéliste, et peut-être même le plus beau ? Il a fait l'enchantement des poètes, des artistes et des contemplatifs.
Marie, j'en suis certain, occupait la première place dans le coeur de Jésus. Naturellement, le coeur du Christ est tellement vaste que quiconque est aimé du Christ a l'impression d'avoir l'amour pour lui tout seul. Mais dans le cas de Marie, il y a entre Jésus et elle une relation d'une telle qualité que Marie occupait la première place qui jamais ne lui a été ravie.
Ce geste traduisait la communion parfaite, une communion infiniment au-delà des paroles. Jésus vivait en Marie et Marie vivait en Jésus. Il y avait entre eux une union d'un type que j'ose qualifier de sponsal. Marie est le prototype de la Sponsa Verbi. C'est pour cela qu'elle doit occuper la première place dans le coeur de Jésus.
Elle est l'idéale de la relation réussie, relation qui porte les deux partenaires à la plénitude de leur richesse personnelle. A ce moment-là Jésus, dans Marie, voyait la multitude immense, indénombrable de tous ceux et de toutes celles qui allaient mettre leur vie au service de son amour.
Et cette relation qui était là inaugurée se poursuit encore aujourd’hui. C'est certain. Comme je l'ai déjà dit dans l'homélie de hier je pense, et je dois encore le rappeler : le temps du Christ est contemporain de notre durée aujourd'hui. Donc ce geste a une valeur d'éternité. Et ce n'est pas une éternité figée, c'est une éternité vivante. C'est cela le temps de Dieu. Il est différent du nôtre.
Et en face de Marie vous avez Judas et la bande qui fait chorus : dit à haute voix, ce sont les impulsifs ; soit en se taisant, ce sont les timorés. Mais personne, personne ne prend la défense de Marie. Personne, pas même son frère ni sa sœur ! Ils sont là pourtant ! Mais il est probable qu'ils sont muets de surprise, qu'ils ne comprennent pas, qu'ils n'ont rien à dire, rien à redire. Si bien que Marie se trouve dans une solitude effroyable.
Les disciples certainement aimaient Jésus, mais de façon maladroite, intéressée. Allez : « Moi, tu me feras asseoir à ta droite et moi à ta gauche dans ton Royaume ! » Ou voilà : « Nous avons tout quitté, qu'est-ce que nous allons bien recevoir en retour ? » Ils avaient fait une bonne affaire ! Voilà, c'était ça, les Apôtres !
Et lorsque ça a mal tourné, ils sont partis. Voilà. c'était fini, ils retournaient chez eux. Affaire classée : on s'était trompé. Voyez, mes frères, c'est cela !
Or, la relation vraie, la relation pure, elle n'est pas un négoce, elle n'est pas un placement : elle est gratuite. La raison d'être de l'amour ? Il n'y en a aucune : c'est l'amour lui-même. Saint Bernard disait : « Amo quia amo ? » Pourquoi est-ce que j'aime ? Mais j'aime parce que j'aime, et puis c'est tout. Voyez ! C'est cela Marie, mais ce n'était pas ça Judas, Pierre et tous leurs amis.
Alors Marie, elle s'est retrouvée seule, incomprise, vilipendée, humiliée. Essayons, nous, de nous représenter la scène ! Et elle, à ce moment-là, elle savait qu'elle vivait ce que le Christ lui-même était en train d’expérimenter.
Car lui aussi se trouvait seul, mal aimé, méconnu, trahi. L'un de vous va me trahir, dira-t-il quelques jours plus tard. A un autre : Toi, tu vas me renier ! Et tous vous serez dispersés chacun de votre côté et vous me laisserez seul ! Voilà ce qu'il disait. Il le savait déjà alors.
Si bien que Marie a vécu dans son coeur et dans sa sensibilité la mort que Jésus allait vivre quelques jours plus tard. Voyez ce qu'il s'est passé ! Jésus alors, en ce moment-là, en public. prend Marie avec lui et il l'associe explicitement à son sacrifice. Il dira : « Laissez là donc tranquille, c’est pour mon ensevelissement qu’elle répand ce parfum »
C'était cela ! Marie a compris ce que Jésus lui disait. Les Apôtres, vous comprenez bien, ils étaient bouchés, eux. Qu'est-ce qu'ils voyaient là-dedans ? L'argent gaspillé ? Voyez les niveaux, les différences de niveau !
Si bien que Marie meurt déjà mystiquement avec le Christ et en lui. Tandis que Jésus, lui, ressuscite déjà dans l'amour de Marie. Voyez la qualité de cette relation ! Et vous comprenez pourquoi Marie occupe la première place dans le coeur de Jésus. Elle est. la seule a avoir fait cela. Personne d'autre.
Nous sommes, mes frères, dans les soubassements de la vie contemplative qui est échange d'amour. La vie contemplative, c'est l'éveil d'un amour et une réponse passionnée qui n'attend rien d'autre qu'un nouvel assaut de cet amour. Et ainsi sans fin. Alors, c'est l'entrée dans une solitude infinie - il faut bien se le dire - une solitude qui est perte de soi. Celui qui se perd dans l'amour, il se perd en Dieu. Pourquoi ? Mais parce que Dieu est amour. Et se perdant dans l'amour, se perdant en Dieu, il devient lui-même lumière.
Car celui qui est possédé par l'amour, il possède tout. Le reste lui paraît insignifiant, mesquin, sans valeur. Rappelez-vous ce que disait déjà l'épouse du Cantique des cantiques :
Si un homme donne tout ce qu'il a pour l'amour, on jugera encore qu'il n'a rien donné. Parce que cet amour, c'est une flamme, c'est une flamme qui vient de Celui qu'on appelle Ya, donc de Dieu, de ce Dieu qui est inconnu, insaisissable. Mais c'est une flamme qui jaillit de Lui. Et alors, cette flamme, lorsqu'elle s'empare d'un cœur, elle ne le détruit pas, mais elle l'embrase à son tour...
Si bien que tout ce qui vient dans ce coeur est détruit. Il n'y a plus de besoins, il n'y a plus de désirs. Il n'y a plus de possession de rien. On se perd soi-même. On perd les autres. On perd tout ce qui existe. Pourquoi ? Parce que tout est brûlé. Mais en même temps, on ne vit plus pour soi. On vit pour l'Amour. On vit pour les autres. On vit pour Dieu. Et on se trouve, et on trouve tous les autres dans cet Amour.
Voilà, mes frères, l'expérience que - j'en suis certain - Marie a faite. Naturellement ça n'a pas été réfléchi comme je le fais maintenant. Ce n'était pas nécessaire. Nous autres, nous devons y réfléchir parce que nous ne sommes pas encore arrivés à ce niveau. Mais lorsque nous y serons - vous pouvez m'en croire - il ne sera plus question de mots. Cela sera. Et cela sera la vie Eternelle. Et cette Vie Eternelle dans notre vocation contemplative, nous devons et nous pouvons déjà l'expérimenter avant notre mort.
Voilà, mes frères, le petit message à l'entrée de cette Semaine Sainte. Cela nous permettra de mieux comprendre pourquoi il a fallu que le Christ mourût avant d'entrer dans sa gloire. Il doit en être de même pour nous et il n'est rien de trop cher pour payer l'amour.
Mes frères,
Hier soir nous avons admiré en Marie de Béthanie le modèle parfait d'une relation réussie au sein de laquelle les deux partenaires croissent dans l'amour. La tradition ne s'y est pas trompée. J'ai avancé que, à mon avis, Marie occupait et occupe encore maintenant la première place dans le coeur du Christ. Voyons comment la Tradition a expérimenté la chose.
Depuis les origines, donc vers le 4°, 5° siècle, dans toutes les traditions liturgiques jusqu'à la dernière réforme liturgique après Vatican II pour la tradition de l'Eglise Romaine, le jour de l'Assomption de la Vierge Marie, l'Eglise méditait la scène de Marie assise aux pieds de Jésus et buvant ses paroles. C'est la même Marie !
Nous avons donc là, mes frères, quelque chose dont nous devons respecter la beauté. Car pour évoquer le triomphe final et prodigieux de la Vierge Marie, on prend comme exemple la glorification des vierges en général, donc de celles qui ont tout donné à l'objet de leur amour, au sujet de leur amour, le Christ ; et parmi elles, le modèle parfait qu'est cette Marie de Béthanie.
Nous avons donc au plan - je dirais - de la hiérarchie, à une place unique, unique celle-là, Marie la Mère de Dieu. Puis immédiatement, immédiatement en dessous d'elle - donc la première dans le coeur du Christ - Marie de Béthanie. Puis après, les autres...
Mes frères, dans cette Marie, nous devons reconnaître, découvrir notre sœur, retrouver en elle des traits de nos aspirations, de nos besoins, de nos désirs, de notre passion également. Nous devons nous reconnaître en elle. Nous devons en elle décrypter l'énigme de notre vie monastique contemplative. Il faut dire que la Tradition des Pères s'y est attachée. On pourrait, ici, rappeler Saint Bernard qui en a si bien parlé.
Maintenant, mes frères, dans un contraste terrible, nous avons l'antithèse de Marie qui est Judas. Judas, c'est le type de la rencontre brisée, du dialogue avorté et de la relation rompue. C'est là quelque chose de terrible. C'est un mystère à faire frémir ! Car nous pressentons qu'il y a là quelque chose de définitif : un non-retour, je dirais, de l'infernal en tant que l'enfer c'est l'endroit d'où l'on ne revient pas.
Judas, lui aussi, s'est trouvé seul, lui, mais d'une solitude de désespoir, désespérément seul ! Car il s'est lui-même séparé du Christ et il a été repoussé par les hommes. Quand il est venu dire à ses complices : « Voilà, j'ai fait la bête, j'ai vendu le sang innocent », ils lui ont dit : « Tire ton plan, c'est ton affaire ! ». Voyez-vous, c'est cela ! Alors Judas s'est trouvé condamné.
Le Christ avait déjà porté sur lui un constat de mort lorsqu'il avait dit : « Il eut été préférable que cet homme ne fut pas né ! » Et Judas lui-même, c'est lui qui a été son propre juge. Il a porté sur lui la condamnation à mort et il l'a exécuté sur lui. Il s'est suicidé par pendaison.
Mes frères, il y a là quelque chose qui est l'image de ce qu'on appelle le jugement, le jugement dernier. Naturellement là, il ne faut pas trop vouloir examiner les choses, ni les analyser avec trop de précision.
Mais enfin, le Christ l'a tout de même dit au serviteur infidèle, à celui qui avait pris le talent et qui l'avait caché. Il n'avait rien fait et il disait : « Voilà maintenant ton bien. Tu as ce qui t'appartient, toi l'exploiteur des autres ».Alors le Christ dit : « Mais voilà, tu te condamnes par ta propre bouche, c'est toi qui te condamnes ! » C'est à dire qu'au jugement dernier, la condamnation ne viendra pas du Christ. C'est nous-mêmes qui nous jugerons et nous condamnerons.
Et c'est pourquoi dans la vie monastique, il est requis de se condamner soi-même maintenant. Si je me condamne maintenant, je serai absous après. Si je refuse maintenant de reconnaître mes torts et ma culpabilité, cette culpabilité, je devrai l'avouer plus tard, trop tard ! Mieux vaut le faire maintenant.
C'est une des sources du pentos chez les moines, de ce deuil, de ces pleurs, de cette componction qui l'habite, de cette posture d'humilité devant Dieu et devant ses frères, de la préparation pénitentielle de nos Eucharisties. C'est là ! Mieux vaut le faire maintenant que plus tard, que trop tard . Nous sommes tous ...?... mais ça, nous le verrons plus tard. Je pense que j'en parlerai demain. Donc, je ne dis rien maintenant.
Le Christ avait dit : « Oui, le geste que vient de poser Marie, ici, il sera raconté à son honneur partout où la Bonne Nouvelle sera annoncée ». Mais l'histoire de Judas a été annoncée aussi partout et à tous. Si bien que Marie et Judas sont comme les deux points extrêmes entre lesquels se répartissent tous les hommes à plus ou moins longue distance de ces extrémités.
Oui, la rencontre authentique qui doit évoluer vers le dialogue et déboucher dans la relation créatrice ; cette rencontre authentique, elle ne s'accomplit que dans l'amour, pour une croissance dans l'amour.
Jésus, nous pouvons le croire, a tout fait pour conquérir et s'attacher Judas, mais absolument tout. Il lui a permis de s'approcher de lui, s'il ne l'a pas appelé ? Il est même probable qu'il a appelé Judas comme il avait appelé les autres. Il en a fait un de ses proches. Il lui a donné le pouvoir de guérir les maladies, de chasser les démons, d'opérer des signes, des miracles. Il en a fait un de ses disciples, un de ses élèves, un de ses élèves de choix qu'on instruit en petit cercle.
Il l'a choisi pour être un des douze, un des apôtres. Il en a fait le confident de son coeur. Et au dernier moment encore c'est à lui qu'il a fait le cadeau de la bouchée.Voyez, cette bouchée que le maître du repas offrait à celui qu'il voulait spécialement honoré. Il l'a fait dans un geste de respect, d'affection, d'amour encore.
Mais je ne sais pas ce qui s'est passé, Judas était imperméable. C'était déjà aussi peut-être dès le début, car Jésus disait : « Je sais qui j'ai choisi ». Et l'Evangéliste dit : « Il savait dès le début qui devait le trahir ! ».
Donc, ça, c'est le mystère, ça, c'est le mystère de l'amour, le mystère de l'amour de Dieu qui va au devant de son malheur pour essayer de sauver un homme. Même lorsqu'il n'y a rien à faire, eh bien, pour Dieu il y a encore toujours quelque chose à faire. Pour nous, ce n'est pas ainsi malheureusement !
Nous avons là, mes frères, quelque chose aussi de tragique, même d'inquiétant. C'est à dire que ça ne doit pas nous laisser de repos. Nous avons là comme le témoignage, la preuve d'une sorte d'impuissance de Dieu. Devant les profondeurs souterraines de sa créature, Dieu lui-même ne sait rien faire. Mais ça ne veut pas dire que Dieu laisse tomber les bras. Car il ne faut jamais désespérer. Surtout Dieu, lui, il ne désespère pas.
Qu'est-ce qui a dû se passer après ? Eh bien, c'est que Dieu, lui, ne revient jamais en arrière. Nous autres, lorsque nous avons donné notre confiance à quelqu'un, notre amour à quelqu'un, notre affection à quelqu'un, lorsque nous avons été trompé, lorsque nous avons été trahi, à ce moment-là nous revenons en arrière. Nous disons : « Eh bien voilà, maintenant c'est fini ! » On revient en arrière, on se retire, on rompt les ponts. Il n'y a plus de relation.
Mais pour Dieu, ce n'est pas comme ça. Dieu ne revient pas en arrière. Une fois qu'il s'est donné, c'est à sa façon à lui, c'est sans retour. Et Jésus, lui - voyons toujours Judas - Jésus a pris sur lui les péchés de tous les hommes. Il a pris aussi sur lui celui de Judas. Et lorsque Judas est descendu dans la mort volontairement, quelle a dû être alors sa rencontre avec le Christ qui, lui, était ressuscité des morts ? Quelle a dû être cette rencontre?
Eh bien, le Christ était descendu dans la mort avec Judas, à côté de Judas, et plus bas que Judas. Lorsque Judas s'est trouvé là, le Christ était à côté de lui, et plus bas que lui. Le Christ, nous le verrons jeudi, avait lavé les pieds de Judas. Il s'était dit qu'il était son serviteur et il l'est resté jusque dans la mort.
Et à ce moment-là, qu'est-ce qui a dû se passer dans Judas ? Naturellement, ça, nous ne pouvons pas construire un roman ici, ni une histoire. Mais enfin, il est à prévoir que à ce moment-là, la rencontre s'est produite. L'étincelle à jaillit entre Judas cette fois-ci et le Christ. Et un feu s'est allumé, un feu qui a guéri, ou qui a réchauffé la froideur glaciale de cet homme.
Voilà, mes frères, c'est assez pour ce soir. Nous continuerons demain. Mais vous voyez, nous nous aventurons dans des domaines où nous nous sentons chez nous. Car ne l'oublions pas, nous sommes des pécheurs. Il y a en nous toujours la possibilité d'être demain ce que nous ne voudrions pas être. Voilà, mes frères, nous allons maintenant nous retrouver pour notre Office, prier de nous endormir dans la paix, non seulement ce soir, mais aussi à notre dernier instant.
Mes frères,
Revenons à cette méditation sur les événements de cette semaine de la Pâque. Il est impossible de jouer au plus malin avec le Christ. Judas et Pierre en on fait l'expérience à leurs dépens.
Judas a eu l'imprudence de demander : « Rabbi, serait-ce moi, le traître ? » Et Jésus lui a dit : « Tu l'as dit, c'est toi ! ». Pierre, lui, dit : « O moi, si tout le monde t'abandonne, moi jamais, moi je donnerais ma vie pour toi ! ». « Du calme, dit Jésus, le coq n'aura pas chanté que tu m'auras trahi trois fois ! »
Pas moyen de jouer au plus malin avec le Christ. Il nous connaît à l'endroit même où jaillit notre être. Mais cette connaissance qu'il a de nous, elle ne doit pas nous donner des complexes, au contraire.
Car la connaissance, cette connaissance du Christ, elle est celle de notre créateur. Nous sommes créés par Lui tels que nous sommes. Je n'oserais pas dire que nos péchés sont créés par lui, je n'irais pas jusque là, mais notre liberté elle-même est créé par lui. Est-ce que j'oserais dire qu'il y a malgré tout une petite responsabilité de Dieu dans le mal que nous faisons ? Vous voyez, c'est pousser très loin les choses. Mais c'est pour essayer de vous faire sentir que la connaissance que Dieu a de nous est la source de l'amour qu'il nous porte.
Et quoi que nous fassions, quelques soient nos errements, nos péchés, nous sommes toujours reliés à lui par le fil infrangible de l'amour qu'il nous porte. Et ça, nous ne devons pas craindre de le dire. Il nous a aimés jusqu'au bout. Il nous a aimés jusque là ! Il a même un faible pour les pécheurs !
Vous le savez, on le lui reprochait. Et il disait : « Oui, mais comprenez-moi., ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin., ce sont les malades ». Je dirais presque : pour l'avoir près de nous, soyons malades !
Luther disait : Peccat fortiter et crede fotius ! Pèche fortement mais croit plus fortement encore ! Voyez, il y avait là quelque chose. Naturellement, c'est caricaturé, tout cela. Si c'est poussé trop loin, on tombe dans l'erreur. Mais il y a tout de même une intuition qui au départ est juste : c'est que l'amour du Christ pour nous, il a ses racines dans la connaissance qu'il a de nous.
Voyons maintenant Judas, Judas et les Juifs, mais plus spécialement les Prêtres, les Grands Prêtres, les membres du Conseil. Entre Judas et eux, il n'y avait ni dialogue, ni rencontre, ni relation. Au lieu de la rencontre, c'était de l'agression. Un cherchait à dominer l'autre comme dans tous les marchandages. Et ils ont fini par trouver un point d'équilibre.
Ils se sont mis d'accord, d'accord pour, d'accord à telles conditions. Cela a été une joute. Cela n'a pas été un dialogue non plus, mais un affrontement, une joute : l'un cherchant le point faible de l'autre. Et ils l'ont trouvé, le point faible de Judas : c'était son âpreté au gain. Et le point faible des Juifs, c'était leur haine du Christ. Voilà où le dialogue est arrivé !
Cela n'a pas été une relation, mais une complicité, une association momentanée d'intérêts différents. L'un voyait une bonne affaire et l'autre aussi une bonne affaire ; l'un mettre un peu d'argent de côté, l'autre se débarrasser d'un gêneur. Là-dedans il n'y avait absolument pas la moindre trace d'amour. Alors, le résultat ne pouvait être que le contraire de l'amour : ça a été le mépris et finalement la mort. Je ne pense pas, ici. à la mort du Christ, mais à la mort qui a attendu Judas, et à la mort qui a attendu les autres aussi, certainement.
Une véritable relation, mes frères, elle exige toujours la purification du coeur. Il faut dans une relation authentique recevoir avant de donner. Vous voyez : deux êtres qui se rencontrent, qui dialoguent. Eh bien, chacun doit être dans cette disposition là : recevoir de l'autre avant de lui donner quelque chose. Sinon, la relation ne se crée pas. Il ne faut pas oublier que cette disposition est première.
Nous devons nous trouver les uns en présence des autres sans élever la moindre prétention, mais être tout accueil dans l'humilité et la reconnaissance anticipée. Je vais me recevoir de l'autre. Et m'étant reçu de l'autre, je vais pouvoir me donner à lui. Voilà la véritable relation dans l'amour. Et nous en avons le modèle à l'intérieur de la Trinité.
Mais Pierre, lui ? Pour l'Apôtre Pierre, ce n'était pas tout à fait ainsi pour lui. Il voulait bien recevoir, et donner aussi. Donner ? Oui, mais pour recevoir : Qu'est-ce qu'il y aura pour nous après ?
Mais Pierre avait tout de même una qualité qui faisait défaut à Judas. Pierre était docibilis, c'est à dire qu'il se laissait enseigner, il se laissait conduire, il était docile. Sa relation avec le Christ a subi une éclipse - appelons la providentielle - car à l'intérieur de cette éclipse, sa relation s'est convertie, elle s'est purifiée, elle est devenue vraie.
Lorsque les Evangélistes nous disent : il pleura amèrement, pikros qu'on dit en grec, c'est presque vinaigrement. Vous voyez, tout ce qui a été en lui est sorti comme on met certains aliments, certains poissons qu'on fait dégorger. Les limaces avant de les manger, les escargots, on les fait dégorger. O, je n'en n'ai jamais mangé, mais enfin je l'ai vu faire. On les fait bassiner, puis ils dégorgent toutes sortes de choses. Eh bien, c'est ça le pikros, amèrement ! Il a fallu que pendant cette éclipse de leur relation, quelque chose sorte de Pierre. Et puis elle s'est rétablie plus tard, la relation, après la résurrection du Christ, au bord du lac.
Ce serait extraordinaire, encore, de pouvoir analyser cette scène de la rencontre entre le Christ et Pierre au bord du lac. Le Christ lui demande trois fois : « Pierre, m'aimes-tu ? » Et à partir de là, ce fut la vraie rencontre, le vrai dialogue entre les deux. Et alors, la relation qui était arrivée à son point, disons, de perfection relative encore, c'est certain, parce que Pierre était un homme. Mais voilà, la relation pouvait se développer.
Et cette relation, mes frères, elle est toujours en voie de développement, car Pierre, maintenant, il vit toujours. Il vit dans ses successeurs sur le Siège de Rome - c'est certain - puis dans tous les Evêques.
Mais prenons surtout le Siège de Rome où cette relation unique entre Pierre et le Christ continue à se développer. Ce n'est jamais fini. Pierre vit et revit dans ceux qui lui succèdent. C'est là un des motifs mystique et lointainement théologique de l'infaillibilité. Mais enfin, ça, c'est un autre sujet.
Maintenant, pour nous plus personnellement, quand nous nous regardons, et ce sera ma conclusion avant d'entrer dans le Triduum Sacrum : Nous, mes frères, nous sommes Pierre, mais Judas sommeille en nous. Soyons sur nos gardes, le moine est un veilleur. Il veille d'abord sur lui-même. Saint Benoît le dit, nous devons veiller à toute heure sur nos actions, Judas sommeille en nous. Et nous devons devenir Marie. Voilà notre vie !
Mais quoiqu'il nous arrive, quoi que nous fassions - nous pouvons commettre le mal même dans un monastère. Nous sommes des hommes. Et si c'est arrivé à Pierre, ça peut bien nous arriver à nous, nous ne sommes pas meilleurs que lui - mais quoi qu'il nous arrive, nous devons comme Pierre rester docile, nous laisser reprendre, nous laisser enseigner par le Christ présent dans l'Abbé, présent dans le Père Spirituel, présent dans les frères. Etre écoutant, docile !
Et surtout, surtout, croire en l'infinie puissance de l'amour, de l'amour que Dieu nous porte. Car ne l'oublions pas, cet amour est infiniment puissant car il est Dieu lui-même. L'amour, c'est l'Esprit Saint. Et cet Esprit Saint nous a été donné. Il est en nous. Il est partout. Il est présent mais nous ne pouvons pas l'imaginer naturellement.
Le Christ, nous pouvons encore nous le représenter surtout que maintenant nous avons la photo de ce qui a été très probablement la photo du Christ mort. Mais enfin, on voit quelque chose. On peut se le représenter puisque c' était un homme. Mais l'Esprit, lui, est impalpable. Or c'est lui qui est le plus proche et le plus présent à nous. Et nous sommes livrés à lui. Il nous connaît. Il veut nous rendre semblable à lui.
Je lisais justement au moment où on sonnait, dans l'Epître aux Ephésiens, l'Apôtre disait : Devenez les imitateurs de Dieu. Pourquoi ? Parce que Lui, il vous aime, tout simplement. Imitateur de Dieu qui est amour. Voilà, mes frères, embarquons-nous dans le Triduum Sacrum avec cette confiance et cette foi en l'amour que Dieu nous porte.
Mes frères,
La Kenose du Christ notre Dieu transparaît dans le récit que nous venons d'entendre. Demandons à l'Esprit Saint d'illuminer le regard de notre coeur, de nous élever à l'intelligence du mystère. Nous sommes dans l'épaisseur du réel éternel.
Jésus a conscience de son identité. Il sait qu'il est venu de son Père et qu'il retourne à ce Père qui l'a envoyé. Son Père lui a tout remis entre les mains. Il est le Logos de Dieu. Rien de ce qui est ne subsiste sans lui.
Et le Christ Dieu dépose son vêtement. De quel vêtement s’agit-il ? si ce n'est de celui qui est apparu aux yeux des disciples quelques instants sur la montagne du Tabor au moment où le Christ fut transfiguré.
Il dépose son vêtement de lumière. La lumière substantielle de son être, la lumière qui rassasie de vie et de joie les univers célestes, la lumière qui donne un sens à tout l'existant. Dieu dépose sa lumière. Il se vide. Il s'anéantit. Et déjà au loin, bien loin, mais déjà, se profile la croix et la mort.
Et Dieu dénudé, exposé, prend un linge. Il le noue à sa ceinture. Au lieu de la lumière, la chair ; au lieu de la gloire, l'ignominie : maintenant on pourra le souffleter, lui cracher dessus, le clouer à une croix !
Le Créateur du cosmos se fait obéissant jusqu'à la mort. Le voici serviteur sous les pieds des hommes. Il est allé jusqu'au bout conduit par un amour au-delà de l'imaginable. Nous comprenons qu'à présent il ne lui reste plus qu'à se laisser manger, à se laisser boire, à disparaître en nous afin de nous engloutir en lui.
Mes frères, il fallait une conclusion qui serait une immense apothéose. Le rien ne pouvait tenir prisonnier le tout. La ténèbres ne pouvait tenir prisonnière la lumière. Jésus le Christ notre Dieu se relève. Il reprend son vêtement. Il apparaît dans sa taille divine sous les yeux émerveillés de ses disciples. Il est le Maître et le Seigneur en possession du Nom qui est au dessus de tout nom. Et devant lui, tout genou fléchira. Sa chair est la même et elle est autre. Déjà elle juge le monde.
Mes frères, dans cette Kenose du Christ nous voyons se dessiner la courbe de notre vie. Nous contemplons la condition de sa réussite et le risque à courir. Nous dépouiller, nous vider à nos propres yeux dans l'humilité devant nos frères par le service. Devenir fils de Dieu jusque là afin de l'être un jour en toute vérité dans la lumière.
Je vais vous laver les pieds. Je le fais chaque jour, vous m'en portez témoignage. En moi, vous allez vous les laver les uns les autres. Ainsi tous, notre part à tous sera avec le Christ, le Christ notre Dieu, pauvre et glorieux dès maintenant et pour jamais.
Amen.
Mes frères,
Nous aurons besoin de toute l'éternité pour explorer le mystère de la Passion du Christ Jésus, la Passion de Dieu. Aujourd’hui, je voudrais épingler une parole tombée des lèvres d'un homme veule, lâche, le gouverneur Ponce Pilate, un païen, une parole brève, terrible mais belle, une parole prophétique : Voici l'homme !
Je me demande comment la terre ne s'est pas fendue en deux d'épouvante, et de honte, et de douleur ? Les millénaires sans nombre de l'histoire étaient comme ramassés, condensés dans l'étroit espace de ces deux mots : Ecce Homo ! Voici l'homme !
Ce n'était plus Jésus, c'était l'homme ! C'était Adam avec en lui la multitude indénombrable de ses descendants. L'homme défiguré par la masse absolument inimaginable de ses lâchetés, de ses crimes, de ses péchés, de ses cruautés. L'homme fantoche, ridicule sous ses oripeaux de carnaval, ses illusions, ses mensonges, ses riens, ses halètements. L'homme jouet, l'homme brisé, l'homme perdu.
Mais c'était aussi le fils de l'homme. Et nous devons avoir sous les yeux les fresques grandioses des Apocalypses : L'Ancien des jours, les nuées du ciel, les ultimes combats. Et surtout le fils de l'homme siégeant sur son trône de gloire et jugeant le monde qui comparaît devant lui.
Ce fils de l'Homme, mes frères, il était là. Pilate le fait asseoir sur une estrade. Et là encore ce païen posait un geste de prophétie. Jésus avait dit : « Oui, je suis roi !». Et la croix portait en son sommet un écriteau : Celui-ci est Jésus le Nazaréen, le Roi des Juifs, des Juifs de race, des Juifs spirituels, des louangeurs de Dieu rassemblés de partout. Il était le Roi. le Basileus, le Melek, celui auquel appartient tout pouvoir au ciel et sur la terre.
Mais cet homme, ce fils de l'Homme était aussi Dieu. Et là, nous ne pouvons plus rien dire. Pour les uns, c'est scandale et folie ! Pour les autres, c'est sublimité de sagesse et d'amour ! Extase divine offrant à notre admiration, à notre adoration, à notre reconnaissance le secret le plus intime des profondeurs Trinitaires.
Mes frères, aujourd'hui l'homme, tout homme porte sur son visage un reflet de ce drame divin. Et nous, ce drame, nous le vivons dans notre coeur, dans notre chair, dans notre esprit. Nous devons avec le Christ et jusqu'au bout mener cette lutte, cette lutte de l'obéissance jusqu'à la mort, si cela nous est demandé.
Mais certainement jusqu'au jour où devant nous aussi s'ouvrent larges les portes qui se sont ouvertes pour le Christ ; les portes de ce qu'il attend - et il le sait - l'amour de son Père qui en dépit de tout ne le laisse pas seul, ce lien qui subsiste entre son Père et Lui : l'Esprit.
Mes frères, nous comprenons que l'amour est notre devoir urgent, splendide ; l'amour de nos frères, l'amour de tous les hommes sans aucune exception, amour surtout des plus éloignés, de ceux qui paraissent le plus loin de nous.
Nous le revivrons, mes frères, cet amour lorsque nous allons dans quelques minutes vénérer la croix, cette croix instrument de supplice horrible. Mais aujourd'hui une croix qui est devenue pour nous le symbole de cet amour qui est Dieu, de cet amour qui s'empare de nous, qui veut nous transformer, faire de nous à notre tour des témoins de l'amour.
Cette croix, mes frères, qui est le signe de notre victoire sur le mal, nous allons la vénérer et nous allons redire avec l'Apôtre : Oui, notre confiance et notre gloire, elle est dans la croix de notre Seigneur Jésus, le Christ, l'homme, le fils de l'homme mais aussi notre grand Dieu.
Amen.
Mes frères,
Nous vivons cette nuit l'événement central de notre existence chrétienne, de notre existence monastique surtout, celui qui en occupe tout le volume. Le Christ est ressuscité d'entre les morts. Le Chrétien le croit. Le moine contemplatif le voit.
Nous sommes dans l'aujourd'hui de Dieu qui dissout les temps, qui ramasse en un tout les espaces. La Lumière est présente. La ténèbres est évacuée. Le monde nouveau a surgit. Tout est accompli. Dieu règne et nous régnons avec lui.
Le Christ est ressuscité, la chair est transfigurée, la matière est métamorphosée. La création devient transparente. Dieu est tout en toute chose.
Ce ne sont pas là, mes frères, propos délirants d'un rêveur. Il nous est permis, il nous est demandé d'entrer dans le mystère, de l'explorer, d'en vivre. L’œil nouveau d'un coeur éveillé contemple tout ce réel. Et les lèvres purifiées au feu de l'Esprit laissent couler la parole de vérité. Le Christ est ressuscité d'entre les morts. Nous le sommes avec lui et en lui.
En lui, nous connaissons l'aujourd'hui de notre condition nouvelle. Ne sentez-vous pas dans vos membres monter une puissance qui les transforme de fond en comble. N'entendez-vous pas dans votre coeur sourdre une eau vivante qui murmure: ne crains pas, la mort est vaincue !
Alors. mes frères, pourquoi ne pas nous réjouir ? Pourquoi ne pas boire à longs traits la boisson sobrement enivrante de la vie éternelle ? C'est la Pâque du Seigneur, celle qui transfigure toute chose, celle qui était prévue dès avant la création du monde, qui est le couronnement des œuvres du Dieu Trinitaire. Tout monte vers elle et tout dérive d'elle. Et l'Eucharistie de cette nuit est la première, l'unique Eucharistie, révélation du projet divin et notre immersion en lui.
Rendons grâce au Seigneur notre Dieu qui, en nous greffant sur le Christ, nous fait passer avec lui de la corruption à l'incorruptibilité. Cette Eucharistie est le gage de notre destinée. Le Christ est ressuscité et nous avec lui, pour une éternité de vision, de communion, de liberté et de gloire.
Amen.
Mes frères,
Si nous en croyons l'Apôtre Paul, si nous ajoutons foi aux paroles que l'Esprit Saint nous adresse par sa bouche, le chrétien serait un homme qui fait de son vivant l'expérience de la résurrection d'entre les morts.
Est-ce vrai ? Est-ce possible ? N'est-ce pas illuminisme, folie mystique ? Si nous voulons en avoir le coeur net, il nous faut interroger le témoignage des saints et aussi, pourquoi pas, nous demander ce que nous sommes venus faire dans ce monastère ?
N'imaginons rien d'extraordinaire, de sensationnel, d’extravagant, mais laissons-nous plutôt porter par la logique du plan divin. Le Christ est ressuscité d’entre les morts. En fait, tout est achevé, tout est accompli. Nous l'avons vu cette nuit. Reste cependant à incarner, à matérialiser, à déployer à travers notre durée cet événement de la résurrection du Christ.
Il se construit, donc il se crée un corps dont le Christ est la tête. Et ce corps s’agglutine à travers toutes sortes de morts, les hommes, en leur conférant une nouveauté absolue : le statut de fils de Dieu en vue de la résurrection dans une chair spiritualisée.
Et le monastère est un lieu où on se consacre tout entier à la réalisation de ce projet divin. Le but de notre vie, comme nous l'a dit l'Apôtre, il n'est pas sur terre, il est en haut. Ce n'est pas un en haut d'ordre spatial, mais d'ordre qualificatif.
Il est remise de soi à l'Esprit divin qui, par le moyen d'une mort à tout ce qui est dérèglement, dysharmonie, péché, parvient à opérer dans l'homme une transmutation, une métamorphose.
Et le résultat, c'est l'apparition d'un homme nouveau, spiritualisé, divinisé. Ce n'est plus lui qui vit, c'est le Christ qui vit en lui. Et c'est déjà là l'amorce de la résurrection d'entre les morts avant même que l'homme en vienne à être soumis à la mort biologique.
Cette expérience. mes frères, que réalise un moine lorsqu'il arrive au sommet de sa perfection, elle est exemplative pour tous les chrétiens sans aucune exception. Nous portons ce trésor divin dans le vase fragile de notre chair. Notre résurrection est tout à la fois accomplie dans le Christ et s'accomplissant en nous.
C'est pourquoi notre Eucharistie, elle est tout ensemble apothéose, apocalypse et viatique. Apothéose de la résurrection du Christ accomplie, apocalypse de notre devenir déjà présent, et viatique pour la route que nous avons encore à parcourir.
Et cette route, Saint Benoît l'ouvre devant nous. C'est ]a route longue, ardue de l'obéissance au vouloir divin.
Et ici encore, mes frères, ce qui est vrai pour le moine est vrai pour tout chrétien, et au-delà du chrétien, vrai pour tout homme. Et cette obéissance, elle a une face de vie et une face de mort, nous le savons. Mais elle est le magnifique portail de la bienheureuse résurrection à laquelle, tous, nous sommes appelés.
Amen.
Mes frères,
La quintessence de la vie monastique c'est de devenir un être Pascal. C'est vrai en premier lieu de la vie chrétienne comme telle, et même au delà, de toute vie humaine.
Mais comme nous sommes dans un monastère, je vais m'adresser à des moines qui sont en situation de Pascalité. Le moine est un homme qui consciemment et volontairement vit la Pâque. Il est en train de ressusciter, c'est à dire qu'il passe d'un état de péché à un état d’innocence. Il meurt à son égoïsme pour naître à l'amour. Et le résultat, c'est l'apparition dans l'invisible d'un corps spiritualisé nouveau qui est prémices d'une chair nouvelle.
Je regrette infiniment de ce que l'on aie perdu ce sens du dynamisme Pascal qui agit en nous. Notre résurrection, elle est amorcée le jour de notre baptême et nous vivons dans l'inconscience.
J'ai dit au début que le moine devait vivre consciemment l'événement de sa Pascalité. Je pense que c'est là la fine pointe de notre vœu de conversion des mœurs. Si le moine est un éveillé, un veilleur, un attentif, c'est bien à cela. Car cette puissance de résurrection qui le travaille n'est pas une force anonyme ; c'est une personne, la Personne de l'Esprit. Quel commercium !
Quel commerce ! Quelle vie à deux ! Nous avons renoncé à faire notre vie avec une femme, une épouse. Mais ce n'est pas par peur. Nous avons été appelés à une autre forme de sponsalité. Nous devons vivre à deux : moi et l'Esprit qui m'habite. Et c'est une union qu'il est impossible de réaliser ailleurs qu'à cet endroit.
Mes frères, il est indispensable si nous voulons être heureux, vivre dans la paix, être épanouis, de savoir cette vérité, de la faire nôtre et d'en faire le ressort de notre vie. Sinon, nous allons réduire la vie chrétienne à une morale, à une éthique ; si bien alors que d'autres éthiques pourront entrer en concurrence avec elle. Exemple: le Marxisme, le Bouddhisme qui séduisent tant de jeunes aujourd'hui.
Pourquoi? Parce que le Christianisme au plan de l'éthique, oui, c'est très bien, mais c'est encore quelque chose qui est naturel. Tandis que dans son essence, c'est cela la Bonne Nouvelle, l'Evangile, c'est la résurrection qui déjà maintenant travaille en moi et me fait dès maintenant ressusciter. Je suis en train de ressusciter des morts.
Mes frères, dans la pratique, cela signifie que l'on va de l'avant en opérant un retour en arrière. C'est un des paradoxe que le Christ nous a révélé. Il a dit à des adultes, et nous en sommes : « Si vous ne devenez pas comme des enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume de Dieu ! »
C'est clair, nous devons opérer un volte-face, un retour en arrière, un demi-tour, ce qu'on appellera en langage plus technique, une conversion qui est la seule véritable progression.
Donc, c'est un retour sur soi, sur ce qu'on est présentement, sur ce qu'on est appelé à devenir demain, sur ce qu'on devient déjà. C'est donc un retour sur soi dans la vérité globale de l'être.
Ce que je suis aujourd'hui, c'est un état de péché dont j'essaye de me dépêtrer avec l'aide de cet Esprit qui me travaille. Ma vérité sera donc l'humilité. Je me tiens à ma place, à mon rang ; je ne rêve pas à des choses qui me sont étrangères, qui ne sont pas pour moi. Non, je suis ce que je suis.
Mais je suis aussi ce que je deviens. Et la vérité complémentaire de mon être c'est l'exaltatio caelestis dont parle Saint Benoît. C'est une élévation dans les hauteurs des cieux. C'est à dire que ma destinée est d'être dans la société des trois Personnes Divines, de participer à leur Vie, à leur Pouvoir, à leur Puissance. Voilà ma vérité totale ! C'est ça le retour sur soi !
Les Anciens utilisaient une belle expression : reddire ad cor, revenir à son cœur, au centre de son être, là où l'on est créé, là où l'on est appelé, là où l'on décide en toute liberté et responsabilité.
Mes frères, le retour sur soi est donc aussi et en même temps un mouvement de retrait et une mise en route. Le retour à son coeur, le retour sur soi est une anachorèse, un retrait de l'univers trépidant, superficiel des choses : le domaine de la chair dans le sens Paulinien du terme, tout ce qui séduit, tout ce qui donne une illusion de vitalité.
Il m'arrive parfois d'entendre des moines qui ont un certain nom qui en société ne font que parler de tout ce qu'ils réalisent, du nom qu'ils sont en train de se créer pour l'éternité sans doute ! ! ! Cela me paraît tellement enfantin, ridicule ; et je vois sur le visage des auditeurs se dessiner aussi le sourire de la raillerie, du doute.
C'est cela l'univers trépidant de l'illusion ! De cela, le retour sur soi nous en fait écarter. Nous nous mettons en route alors vers le monde nouveau qui est la vie avec Dieu, avec les Trois Personnes Divines, la vie avec les hommes, avec soi-même.
Et j'insiste sur le mot avec car c'est une authentique communion dans un même Esprit qui vient de Dieu, et qui est donné au monde, et qui fait toute chose nouvelle. Avec ? Si je me plonge dans l'univers de la Bible, en langue Hébraïque, la préposition avec est la même racine, quasi le même mot que celui qui signifie peuple. Voyez ! Nous avons un peuple, un corps, à l'intérieur duquel chacun est un tu et jamais un ça. C'est à dire que le regard que l'on pose sur l'autre ne le chosifie pas, n'en fait pas un objet que je peux utiliser. Je regarde l'autre pour voir non pas de quelle façon je peux le prendre pour en faire une échelle qui me permettra de me grandir à ses dépens.
Non, l'autre est un tu avec lequel je dialogue. J'établis une relation qui est respectueuse, aimante qui m'enrichit et lui plus encore, un échange, une communion. C'est cela la communion des saints, des hommes. C'est vers ce lointain que tous indistinctement nous aspirons : la vie dans un même Esprit, un même Amour.
Mes frères, le retour sur soi est donc une mutation Pascale qui convertit les forces obscures de notre être en énergies lumineuses au service de la Justice, de la Vérité, de l'Amour et de la Paix, à instaurer, à établir en nous et autour de nous.
Le monastère, c'est un lieu, un endroit, un topos, où dans la mutation de chacun apparaît la société parfaite ; une société qui présente et préfigure la société finale qui sera la nôtre au dernier jour, à l’eschaton, lorsque le Fils remettra le Royaume tout entier à son Père. Dieu sera alors tout en toute chose.
Mes frères, cette mutation Pascale, c'est cette force de résurrection qui réalise son travail en nous, fait de nous un seul esprit avec le Christ. Nous sommes déjà de quelque façon ressuscités d'entre les morts. Et si c'est le fait de chacun dans un monastère, à cet endroit-là, cette utopie, c'est à dire que cet état qui présentement ne peut trouver aucun endroit où se poser, voilà qu'il a trouvé son lieu.
Vous savez que c'est à cela que nous sommes appelés lorsque nous vivons en communauté. Ce n'est pas seulement pour notre résurrection personnelle, mais aussi pour une résurrection communautaire. Car la résurrection personnelle est quelque chose qui sonnerait encore quelque peu égoïste, si c'était possible ; dans ce sens que : « Mais je me suis tiré d'affaire, que les autres tirent leur plan ». Chacun pour soi et Dieu pour tous, disait-on en temps de guerre.
Non, mes frères, il faut que Pâques arrive pour l'homme et pour un groupe d'homme. Maintenant, on pourrait dire : « N'est-ce pas ambition démesurée ? » Oui, au niveau des forces humaines, c'est démesuré. Mais pas du tout dans la foi en Dieu qui a tant aimé le monde qu'il a voulu devenir homme pour que l'homme puisse participer à sa Vie, et que un groupe d'homme puisse être sur la terre à l'image de ce que Lui est en son Etre qui est Trinité, Harmonie parfaite, chaque Personne se recevant des deux autres Personnes et se donnant, se restituant aux Autres Personnes.
Voilà ce qu’est le redditus ad cor, le retour sur soi ! Vivre là, conscient et éveillé à ce qui se passe en nous, à cet Esprit Saint qui est en train de nous ressusciter d'entre les morts et qui n'arrête pas de travailler, et qui attend que nous collaborions avec Lui ; être attentif à cela, c'est aussi ce qu'on appelle le recueillement.
Et puis alors, laisser faire, car ce n'est pas naturel aux forces humaines. Se laisser faire, se laisser transformer et faire ainsi l'expérience de la résurrection des morts dès maintenant. Imaginez-vous! On ne peut l'imaginer, mais une fois qu'on est dedans, alors on a cet avant-goût de la Vie Eternelle et l'on sait très bien que l'on ne mourra pas.
Alors, on n'a plus peur de rien et de personne. C'est avec cette conviction que certains allaient à la mort au début du christianisme. Tous ces martyrs, ils étaient spiritualisés et la mort physique ne leur faisait plus rien du tout car elle était déjà dépassée.
Voilà mes frères, nous pouvons peut-être retrouver cette vérité, cette réalité, en reprendre conscience en certains moments de notre journée. Et je pense surtout à deux moments où l'on se demande parfois ce qu'on peut bien y faire : ce sont ces petits moments d'examen de conscience avant le dîner et après le Salve.
Redescendre là au coeur, non pour s'épucer, mais pour savoir qu'il y a Quelqu'un. L'idéal, c'est cette disposition toute la journée. Ce n'est pas impossible, mais c'est une grâce que Dieu attend de nous donner.
Je reprends brièvement. Dans la vie monastique, nous devons être un être Pascal, c'est à dire permettre à l'Esprit Saint qui nous habite d'opérer en nous une mutation qui nous fait goûter dès maintenant ce qu'est la résurrection des morts. Le germe déposé en nous à l'instant de notre baptême peut porter son fruit.
Il peut faire de nous une vivante apparition de Dieu parmi les hommes. Non seulement chacun de nous, mais le groupe que nous formons, cette communauté qui devient l'image de ce qu'est l'Univers de Dieu, où les Saints dans la communion ne peuvent plus faire que de s'aimer, de se connaître, de se respecter, de se construire encore maintenant là où ils sont.
Car le progrès en Dieu est sans fin. Il n'y a pas de limite. Cela, grâce à un retour sur nous-mêmes, le centre de notre être où Dieu nous crée, nous ressuscite et là où dans l'amour et la reconnaissance nous pouvons travailler avec Lui.
Dimanche des Rameaux 04.04.82................................ 101
Chapitre : Etablir l’harmonie................................................................................................................... 101
Monition avant la bénédiction des rameaux.......................................................................................... 103
Homélie de la bénédiction des rameaux................................................................................................. 104
Homélie à l’Eucharistie.............................................................................................................................. 104
Chapitre du Lundi-Saint. 05.04.82................................ 105
Le geste de Marie de Béthanie.................................................................................................................. 105
Chapitre du Mardi-Saint. 06.04.82............................... 108
Judas, antithèse de Marie de Béthanie.................................................................................................... 108
Chapitre du Mercredi-Saint. 07.04.82............................ 110
Notre relation avec Dieu............................................................................................................................ 110
Homélie du Jeudi-Saint. 08.04.82................................. 113
La Kenose du Christ.................................................................................................................................... 113
Homélie du Vendredi-Saint. 09.04.82............................. 114
Voici l’homme !............................................................................................................................................ 114
Homélie de la Vigile Pascale. 10.04.82.......................... 115
Le Christ est ressuscité.............................................................................................................................. 115
Homélie de Pâques. 11.04.82................................. 116
L’expérience de la résurrection............................................................................................................... 116
Clôture de la semaine de Pâques. 18.04.82...................... 117
Devenir un être Pascal................................................................................................................................ 117
Table des matières de la Semaine Sainte 1982............................ 121