Chapitre du Lundi-Saint.                           24.03.97

      La bonne odeur du Christ !

 

Mes frères,

 

            Il serait incongru de parler de ma petite personne quand nous avons entendu ce matin la plus belle page de l’Evangile et sans doute de la Bible entière. Il est donc tout normal que je vous dise en quelques mots les échos que ce récit a éveillés en moi cette année. Mais je veux tout de même vous remercier de votre patience et de votre indulgence qui, je l’espère et j’en suis certain, va se poursuivre ?

 

            Nous remarquons que Marie de Béthanie demeure silencieuse sous les sarcasmes de Judas. Elle se tait comme Jésus se taira lui-même plus tard devant ses juges. Elle poursuit son geste de folle beauté et elle l’achève ; elle l’accomplit sans peur jusqu’au bout. Elle est dérangeante car elle ouvre des horizons nouveaux.

            Elle est en connivence, en harmonie avec Jésus qui va ouvrir des espaces nouveaux du Royaume de Dieu. Il y a entre eux deux une véritable complicité qui se révélera dans les jours qui suivent et qui apparaîtra dans toute sa lumière lorsque le Corps du Christ sera entièrement constitué, lorsque tous les hommes seront passés de la mort à la vie.

 

            Mais l’éternité est déjà présente aujourd’hui parmi nous qui mystiquement assistons à cette fête extraordinaire de Marie qui verse sur les pieds de Jésus un parfum hors prix et qui les essuie avec ses cheveux. Elle a posé là un geste prophétique au retentissement immense. C’est comme si soudain le ciel était présent sur la terre.

            Et en fait, il est présent dans la personne de Jésus qui est là, de Jésus qui est Dieu. Et nous savons de mieux en mieux que le ciel n’est pas un lieu quelconque, utopique, non localisable ; nous savons que le ciel, c’est la personne de Dieu dans son unicité et sa Trinité. Eh bien, ce Dieu, il est là dans la personne du Seigneur Jésus présent.

 

            Et Marie le fait savoir dans un non-dit sublime. Elle est à la tête de ces femmes et de ces hommes qui au cours des siècles vont tout sacrifier par amour du Christ, par amour de Dieu et par amour des hommes. Au moment où Marie verse le parfum et l’essuie de ses cheveux, elle a attiré mystiquement à l’intérieur de son cœur l’humanité entière. Nous devons aller jusque là !

            Elle est donc une personne, une personnalité corporative, comme on disait à l’époque, donc une personnalité qui condense en elle un corps ; et ici le corps de toute l’humanité qui est pécheresse, mais qui espère et qui, en Marie, sacrifie tout.

 

            Et par son silence, Marie nous dit que nous devons nous taire, nous, quand nous sommes objet de critiques, de paroles blessantes, ou d’accusations fausses, ou de soupçons déplacés. Nous devons nous taire, nous n’avons pas à nous défendre ou à nous disculper. Dieu entend, Dieu sait et Dieu juge.

            Ce n’est pas à nous de nous justifier. C’est lui qui nous prend en charge. Nous lui appartenons, nous lui avons donné notre confiance, nous lui avons remis notre vie. C’est donc lui qui au temps voulu et de la façon la meilleure apportera la réponse. Pour le Christ, la réponse fut la résurrection et la collation du nom qui est au-dessus de tout nom.

            Il est vrai que pour nous, il est pratiquement rare que nous soyons l’objet d’accusation comme ça fausses, de paroles déplacées, mais cela peut arriver ! Mais encore une fois, n’essayons pas de nous défendre. Faisons comme Marie qui n’a rien dit devant les accusations et les propos déplacés de Judas ; faisons comme Jésus qui n’a rien dit. Nous avons remis notre vie entière à Dieu. Eh bien, soyons logiques jusqu’au bout ! C’est à Lui de prendre notre défense.

 

            Saint Benoît dira – avait-il à l’arrière plan de sa pensée cette scène de l’onction de Béthanie ? C’est possible ! – il dira : tacita conscientia, 7,95. Quoi qu’il arrive, il faut se taire mais jusqu’à l’intérieur de sa conscientia. C’est à dire un silence qui n’est pas seulement un silence des lèvres, mais qui est aussi le silence des passions. Il peut y avoir un bouillonnement à l’intérieur de nous, mais il faut le laisser s’apaiser, il faut que le silence s’empare de tout notre être.

            C’est ça que Saint Benoît dit : tacita conscientia, jusqu’au bout, jusqu’au plus profond de notre être, il faut se taire, garder le silence. Je sais bien que ce n’est pas facile parce que instinctivement on peut rendre la pareille, on peut dire que c’est pas vrai ou quoi ? Mais non ! Saint Benoît dit : taisez-vous, taisons-nous !

            Marie est donc là notre incomparable et insurpassable modèle : elle n’a rien dit ! Elle a certainement entendu les propos de Judas ; et pas seulement ceux de Judas parce que un récit parallèle de l’onction de Béthanie nous dit que les autres Apôtres aussi frémissaient, grinçaient des dents contre elle. Finalement, elle se trouvait seule et elle n’a rien dit.

 

            Dans ces minutes de l’onction, Jésus et Marie étaient seul. Ils étaient étrangers, c’était dans un autre univers. Et entre eux se décidait l’avenir du monde. A l’instant de ce geste, nous sommes au dernier jour. Il y a là une présence, la présence de Dieu, la présence du Rédempteur, la présence du juge, la présence de Celui qui est la tête d’un Corps, le corps de toute l’humanité.

            Et nous avons à ses pieds une femme qui représente, qui est elle, Marie, mais qui est aussi, comme je le rappelais il y a un instant, une personnalité corporative. En elle, il y a l’humanité pécheresse, il y a l’humanité qui se repent, il y a l’humanité qui fait confiance malgré tout, il y a l’humanité qui espère.

            Et il y a l’humanité qui, à travers biens des allées et venues, des avancées et des régressions, une humanité qui se donne, qui s’est donnée. Il n’est pas nécessaire que les hommes aient confiance de ça, il suffit que Marie ait confiance ; cela  suffisait ! Il y avait donc là le Rédempteur et les sauvés, déjà sauvés ! Nous étions là vraiment au dernier jour.

 

            Et nous voyons aussi se réaliser une admirable union sponsale dans le partage de la mort et dans le don réciproque de la vie. Jésus le dit : « Elle a gardé ce parfum pour son ensevelissement. » Marie entre avec Jésus à l’intérieur de la mort. Elle sait très bien ce qui va se passer. Et au même moment, Jésus lui fait don de sa propre vie. Il y a là une union sponsale.

            Et cette union-là, elle nous est promise à nous aussi si nous consentons à laver les pieds de notre Sauveur Jésus dans la personne de nos frères. A ce moment-là nous recevons la vie. C’est un paradoxe de simplicité, de pauvreté, d’humilité, de confiance. Eh bien, nous devons nous y engager.

 

            Et remarquons encore une fois : Le parfum emplit la maison. Et il emplit, au delà de cette maison, il emplit l’univers entier. Si bien que le péché est évaporé dans la ferveur de l’amour. Et la bonne odeur du Christ chasse tous les miasmes délétères. C’est cela qu’il faut voir dans ce petit trait qui nous est rapporté. Le parfum emplit toute la maison, tout l’univers, chacun des hommes.

            L’amour est tellement puissant qu’il n’y a plus de péché. Le péché est évaporé à l’instant même. Il n’y a plus de mauvaises odeurs, il n’y a plus que la bonne odeur du Christ  qui se répand partout.

 

            Vous allez dire ou penser que ça ne paraît guère dans le concret de la vie courante ? mais nous n’en savons rien. Nous ne savons pas ce qui se passe à la racine de chaque être vivant, là où Dieu travaille. Là, la bonne odeur du Christ est à l’œuvre dans le cœur d’absolument tous les hommes et, il arrive toujours un instant où cette bonne odeur triomphe de tout. Cela peut être après la mort !

            C’est en ce sens, dans cette optique qu’il faut voir le purgatoire. C’est un mot un peu bizarre qui fait un peu peur. Mais non, c’est la bonne odeur du Christ qui achève ce qui n’a pu être totalement accompli ici sur terre.

 

            Eh bien, mes frères, nous remarquons encore une fois que l’amour est vainqueur de toutes les morts. Il les anéantit et il les annule. Et la vie contemplative condensée à l’intérieur de son amour a une fécondité sans limite, absolument sans limite. Et c’est la raison pour laquelle nous devons nous y donner de tout notre cœur.

            Encore une fois, nous sommes très opaques à cette dialectique parce que le poids de la chair pécheresse aveugle notre intelligence. Mais faisons confiance, laissons travailler en nous le parfum, la bonne odeur du Christ. Et le jour arrive où on s’aperçoit qu’on porte soi-même à l’intérieur de son propre corps l’univers entier, tous les hommes du premier jusqu’au dernier.

            Mes frères, cela arrive lorsque la vie du Christ a finalement triomphé. Ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi et qui achève en moi tout son mystère. C’est cela le sommet de la vie contemplative. Nous y arriverons, pour moi, c’est une certitude !

 

            Alors Marie reçoit du Christ la divine tendresse d’une communion éternelle. Et tel est l’avenir et déjà le présent de l’Eglise. Et nous, mes frères, nous devons le croire, nous devons le vivre pour nous-mêmes, pour l’Eglise naturellement et pour l’humanité entière.

 

 

Chapitre du Mardi-Saint.                          25.03.97

L’espérance folle de Dieu !

 

24.03.97Mes frères,

 

            Il aura fallu la Pentecôte et l’effusion de l’Esprit Saint pour que les Apôtres commencent à percer le sens des événements qu’ils avaient vécus avant la mort de Jésus. Dieu seul en effet peut introduire l’homme dans le mystère d’amour et d’agonie qu’il a connu dans la personne du Christ.

            N’allons pas nous représenter Dieu comme un être impassible, un être impunément au-delà de toute souffrance. Non, Dieu est dans l’humilité, la pauvreté, la douceur et l’amour. Sa capacité de souffrance est infinie et, lui seul peut nous aider à saisir par l’intérieur ce qu’il a pu vivre au cours des années des années où Jésus a dû affronter ses disciples d’abord qui ne comprenaient rien, puis ses adversaires surtout, et finalement pour affronter la mort.

 

            Il faut se laisser prendre par la main - cette main de Dieu, c’est son Esprit – et alors sous cette conduite, effectuer un passage du dehors vers le dedans, d’une vue superficielle des choses à une saisie spirituelle.

            Il est nécessaire pour connaître Jésus, pour vibrer au diapason de son mystère, pour se laisser séduire par lui et accepter de le suivre, il est nécessaire d’être arraché au biologique avec ses instincts, avec ses étroitesses, avec ses limites.

            Il faut être élevé au niveau de Dieu, au niveau des émotions qui font vibrer le cœur de Dieu. Ces émotions ont toutes leur source dans l’amour de Dieu et qui lui ouvre toutes les audaces.

 

            Car il fallait vraiment être audacieux pour accepter – je vois ici le Verbe de Dieu, la seconde personne de la Trinité – pour accepter de s’engager dans l’Histoire des hommes avec l’espérance, l’espérance folle, tout à fait folle qu’il serait possible de se laisser reconnaître et de métamorphoser l’homme, et de lancer l’Histoire dans la bonne direction.

            Nous savons ce qu’il en est advenu. Les hommes étant rivés à leur biologique n’ont jamais connu Jésus que de l’extérieur. C’était un homme, un galiléen, Un homme de rien ou presque. Et alors, il n’était pas possible qu’il fut Dieu.

 

            Mes frères, les Apôtres eux-mêmes ont dû parcourir un chemin qui est un chemin de conversion. La chair, c’est à dire l’intelligence la plus subtile, la plus aiguisée, cette intelligence laissée à elle-même ne sert à rien. L’Apôtre Paul en a fait lui-même l’expérience.

            Il était certainement un des hommes les plus remarquable de son temps dans le milieu pharisien qui était le sien. Il était versé dans tous les secrets de l’Ecriture. Mais c’était de sa part une approche charnelle. Et lorsque dans un éblouissement il a reconnu la personne du Christ dans la lumière qui se montrait à lui, à ce moment, il y a eu un retournement en lui et tout ce qui était de la chair, il l’a laissé tomber. Cela ne servait plus à rien. Il recevait un autre savoir, une autre connaissance qui lui était donnée par Dieu lui-même.

 

            Il y a donc là une conversion à opérer car nos raisonnements les plus subtils sont déjà empêtrés dans les lacets de la mort. Ce sont des raisonnements humains et l’humain va vers la décomposition, la corruption et la mort. Et les raisonnements humains s’en vont aussi dans le gouffre de la mort.

            Il faut donc une autre faculté de raisonner. Et cette faculté, c’est celle de l’Esprit Saint, c’est celle de Dieu lui-même. Et c’est l’Esprit qui ouvre notre cœur à la vérité et qui dégage la route de la vie.

 

            Les premiers moines, les tout premiers, ils le savaient. Ils l’avaient senti et, c’est pourquoi ils avaient renoncé à tout savoir humain. Ils s’appuyaient sur cette Parole de l’Ecriture qu’ils entendaient dans leur langue : J’ai renoncé au savoir tiré des sciences humaines et c’est la raison pour laquelle il m’est donné dans tous les mystères de la vie divine. Le renoncement devait aller jusque là !

            Cela ne veut pas dire qu’aujourd’hui nous ne devons pas faire des études de théologie. Mais prenons bien garde ! Ces études de théologie ne sont pas une fin en soi. Elles doivent ouvrir davantage notre cœur. Si elles nourrissent uniquement notre intelligence, elles ne servent à rien.

            Par contre, si dans l’humilité, dans l’accueil, elles ouvrent davantage notre cœur à l’accueil du Christ et à l’influence de l’Esprit en nous, alors elles ont leur raison d’être.

 

            Judas est la pointe extrême de l’antithèse, de cette antithèse chair-esprit. Et à l’autre extrémité, c’est la Vierge Marie. Marie, ne l’oublions pas, la maternité de Marie était étrangère au biologique. Marie n’est pas une mère comme une autre. Marie a accueilli en elle de manière ineffable, unique ; elle a accueilli en elle la personne du Verbe de Dieu et cela, en s’ouvrant toute entière à l’Esprit, à l’Esprit Saint qui allait reposer, qui reposait déjà sur elle.

            Et Marie dès le premier instant de sa conception est ordonnée à cette maternité divine. Cela ne veut pas dire qu’elle n’a pas dû traverser toutes les étapes normales d’une existence humaine . Mais au fond d’elle, elle était portée par un désir qui était en elle. Elle ne savait pas d’où il venait, mais il y était.

            Et ce désir, c’était de pouvoir rencontrer Dieu, de pouvoir le recevoir en elle et de devenir un seul être avec lui. Il fallait donc que Marie fut parfaitement pauvre, pauvre d’elle-même, et que cette pauvreté soit vraiment constitutive de son être. A ces conditions-là, l’Esprit pouvait réaliser en elles les actions les plus merveilleuses.

 

            Et de l’autre côté, vous avez Judas, Judas et la chair. Eh bien Judas, c’est le contraire. Judas, il lui faut quelque chose en main, il lui faut trente pièces d’argent. Et s’il avait pu même, eh bien, il aurait été prendre le parfum de Marie de Béthanie pour le vendre pour trois cent pièces. Mais il s’est contenté de trente pièces. Et au lieu d’accueillir en lui l’Esprit de Dieu et le Christ-Dieu, eh bien, il a tout vendu et il a tout perdu. Vous avez là vraiment l’antithèse chair-esprit.

            Ne nous imaginons pas Judas comme un bête type, un homme borné ! Loin de là ! Il était suprêmement intelligent. Et si le Christ lui-même l’avait nommé gestionnaire de l’avoir du petit groupe, c’est parce qu’il avait pu jauger sa valeur. Mais voilà, c’était une intelligence empêtrée dans la chair et qui finalement a glissé dans la mort. Tandis que Marie, c’était une intelligence ouverte à l’Esprit et tout le mystère de Dieu pouvait entrer en elle. Vous avez là les deux extrémités de l’antithèse chair-esprit.

 

            Et les autres Apôtres, et nous-mêmes, prenons bien garde ! Nous-mêmes aujourd’hui, nous sommes les cousins de Judas. Nous sommes les enfants de Marie mais les cousins de Judas. Prenons bien garde ! Soyons sincères : nos réactions, elles sont toujours bassement charnelles avant d’être spirituelles, toujours !

            Si bien que le moine – tout chrétien d’ailleurs mais surtout le moine – doit être un neptique, c’est à dire un homme qui se tient toujours en garde et qui opère sans cesse les corrections indispensables. Nous devons donc veiller sur nos pensées et sur nos réflexes pour ne pas nous laisser enliser dans des réactions charnelles, mais pour toujours sauter, rebondir à l’intérieur du spirituel.

 

            Ce n’est pas facile, mais enfin, c’est la gymnastique à laquelle nous nous sommes voués dès l’instant où nous sommes venus dans le monastère. Car nous sommes appelés à aller où Jésus va et, nous ne pouvons y aller seul. Là où je vais, disait Jésus, eh bien, vous ne pourrez pas venir. Et puis alors Pierre, réaction charnelle, dira : Mais pourquoi, pourquoi ? Où vas-tu ? Moi, je suis capable d’y aller ! Et Jésus corrige : Non, même toi tu ne peux pas venir. Plus tard !

            Cela signifie que c’est Jésus lui-même, que c’est Dieu lui-même qui doit venir nous prendre et nous emmener. Inutile de vouloir y aller par nous-mêmes. Mais faut-il que nous consentions à le suivre ? Et c’est là que vient se greffer le mystère de l’obéissance. Obéir, c’est entendre la voix du Christ, c’est l’écouter et puis le suivre. C’est cela l’obéissance !

            L’obéissance n’a rien de dégradant, l’obéissance est une réaction de noblesse. Je perçois la voix du Christ. Cette voix, j’écoute ce qu’elle me dit et puis je la suis. Je m’en vais à la suite du Christ et la liberté qui est la personne même du Christ deviendra la mienne.

 

            J’ai entendu dernièrement cette réflexion, oui, c’était à propos d’un engagement à l’intérieur d’une œuvre, un groupe qui veut se former pour œuvrer à l’avènement du Royaume de Dieu. Et la réaction : « Je ne veux pas me laisser prendre là-dedans car je ne veux pas risquer d’être étouffé ! » Comme si le fait d’entrer en communion avec le Christ, comme si le fait d’entrer à l’intérieur de son Eglise, grande Eglise ou petite Eglise, pouvait étouffer quelqu’un ? C’est exactement l’inverse qui se produit. Des espaces s’ouvrent et on peut librement respirer.

 

            Vous voyez, c’est ça le mystère de l’obéissance ! Et il ne peut être perçu que par des personnes qui en reçoivent le pouvoir, le pouvoir de l’entendre et le pouvoir de suivre. Nous sommes des voyageurs, nous sommes des migrants et notre vie, c’est Dieu lui-même dans la personne du Christ. La caravane humaine, elle s’étire sur le chemin. La quitter, c’est la mort !

            C’est un peu ce que le Cardinal nous dit au réfectoire. Il nous l’a dit aujourd’hui avec d’autres termes, mais c’est cela. Il y a un choix, le choix d’une caravane qui, en principe, devrait être l’humanité entière, mais qui pour nous sera la fidélité au Christ, qui sera l’Eglise. Cette caravane, cette communion de personnes, c’est elle qui est la sécurité, c’est elle qui est la vie, c’est elle qui nous donne la liberté. Quitter cette caravane pour aller prendre un chemin à soi, eh bien, c’est se perdre et c’est la mort ! Obéir, c’est donc opérer sa Pâque, c’est entrer dans la vérité et comprendre la vie.

 

            Au fond, mes frères, tout se ramène à l’amour. Il faut accepter d’être aimé, et puis accepter d’aimer soi-même sans retour sur soi. Tout se joue là. Il est très difficile d’accepter d’être aimé. Accepter de se laisser aimer, c’est ce qu’il y a de plus difficile peut-être ici sur terre ? Nous ne nous en rendons pas compte parce que nous n’y réfléchissons pas.

            Mais faisons bien attention dans les jours qui vont venir , observons-nous, auscultons-nous discrètement et nous remarquerons combien de fois il nous est difficile de sortir de nous, de croire en l’amour et de s’abandonner à lui. C’est très, très, très difficile ! C’est toute la conversion de la vie humaine et surtout de la vie chrétienne. Oui, c’est vrai, c’est la première et c’est encore la dernière conversion. C’est l’alpha et l’oméga de toute vie digne d’être vécue.

 

            Mes frères, Dieu est amour et le moine, et le chrétien, et tout homme doivent finalement être amour. C’est ça l’essentiel ! Dieu dans sa Trinité, et puis le Christ Dieu-homme avec nous, l’Esprit Saint qui fait de nous un seul Corps, l’Esprit Saint qui diffuse l’amour partout et qui nous permet de devenir nous-mêmes amour, c’est cela l’éternité, c’est cela la vie, et c’est cela le ciel !

            Eh bien, mes frères, prions les uns pour les autres afin que nous soyons dignes jusqu’au bout et de mieux en mieux de notre belle et grande vocation.


Chapitre du Mercredi-Saint.                      26.03.97

Judas et Barabbas !

 

Mes frères,

 

            Le drame de Judas restera une interrogation, une interpellation jusqu’à la fin des temps. Ne condamnons pas trop vite cet homme ! Au fond de chacun de nous sommeille un Judas. Nos relations avec nos frères nous diront s’il se réveille parfois ?

            Dans le monde, on sacrifie volontiers l’autre, le prochain sur l’autel des ambitions, des rancunes, des déceptions et, le moine n’est pas meilleur que ses frères. Il est un homme du monde qui a été retiré du monde par Dieu. Et cet homme, le moine, entreprend un chemin de conversion. Soyons donc d’une prudence extrême !    

            Je disais hier que le moine, et même le chrétien, devait être un neptique, toujours se tenir sur ses gardes. Ce ne doit pas devenir une obsession, loin de là, mais c’est prudence. Le douzième degré d’humilité est peut-être le sentiment aigu, alors qu’on est devenu pur amour de Dieu et des autres, que Judas est toujours là, tapi quelque part au fond du cœur.

 

            Le moine du douzième degré d’humilité est devenu source intarissable de vie éternelle. Il le sent et il le sait. Il y a une voix en lui qui lui en donne l’assurance. Il est un fleuve de générosité. Il est un sanctuaire où personne n’est jugé, où chacun est aimé et, ses yeux sont des fontaines de lumière qui purifient tout et qui ne souillent rien.

            Tel est le moine parvenu au sommet de la fameuse échelle ! Ce n’est plus lui qui vit, c’est le Christ qui vit en lui. Il est sous la mouvance de l’Esprit. Et pourtant, pourtant il se voit enfoncé dans le péché sans pouvoir en sortir. Il y a là un paradoxe qu’il faut expérimenter, qu’il faut vivre pour le comprendre. Il n’est pas possible de …?… au sujet de ce paradoxe.

 

            Mais en quoi consiste le péché qui tient prisonnier le moine qui est devenu un saint ? Nous allons dire que ce sont de buées, ce sont des poussières. Oui, c’est vrai ! Mais tout au fond, tout au fond du cœur reste le sentiment lourd, constant de la présence du vieil homme parent de Judas. Alors le moine se confie éperdument à l’amour et c’est sa paix et sa force.

            Mes frères, nous ne devons pas prendre à la légère ce que Saint Benoît nous dit du moine parvenu au sommet de l’échelle. Non. Et n’allons pas non plus nous imaginer qu’il parle de nous, que nous y sommes arrivés ? Non, celui qui est parvenu sur ces sommets, il a conscience d’être un pécheur, et une conscience permanente. Et vraiment il connaît le péché.

 

            Encore une fois, n’essayons pas de trop scruter ce mystère. Peut-être aussi est-il en lien avec le mystère du Christ qui, en étant de condition divine, s’est enfoncé au plus bas dans la chair. Il a été reconnu comme un homme à son comportement et les péchés de la multitude ont été déposés sur lui.

            Le Christ avait pris conscience d’être un pécheur. Soyons très prudents ! Dans sa conscience d’homme, dans sa conscience charnelle, il devait sentir le poids du péché du monde. Jean l’avait désigné : Voici l’Agneau de Dieu qui porte le péché du monde, qui le porte et puis qui va l’évacuer.

 

            Donc, Jésus qui est Dieu, et qui est absolument sans péché, devait certainement avoir conscience d’être le Péché avec un grand P. Et ça, vraiment, c’est le mystère des mystères et nous ne devons pas trop nous y arrêter parce que c’est un terrain difficile, un terrain mouvant et, nous risquons très fort de glisser dans l’erreur.

            Nous n’allons pas épiloguer sur le sort de Judas. Il a trahi le Christ mais le Christ qui est Dieu est demeuré fidèle. L’amour ne revient jamais en arrière. Que ce soit là notre sécurité, il ne revient jamais en arrière.

 

            Alors, mes frères, remarquons encore une chose à laquelle personne à mon sens n’a jamais pensé. C’est que le premier sauvé de la mort par Jésus, c’est Barabbas. Il s’est produit là un prodigieux échange : la mort de Jésus a sauvé Barabbas de la mort. N’oublions pas que Barabbas se traduit : fils du père. C’était un nom prédestiné : Jésus est le fils de l’homme, il est le fils de Dieu et Barabbas est le fils du père. Il y a là une sorte de complicité entre Jésus et Barabbas. Vraiment, vraiment il est le premier des sauvés !

 

            C’est une parole prophétique ! La mort de Jésus a délivré de la mort tous les hommes et Barabbas est, comme l’était Marie de Béthanie, une personnalité corporative. Tous les pécheurs, tous les criminels étaient ramassés dans la personne de Barabbas.

            Si bien que ce qui s’est passé pour lui est un davar mystérieux, une parole mystérieuse et voilà que nous devons rester silencieux ! Mais nous devons comprendre aussi que le Judas qui sommeille au fond de notre cœur, le Barabbas qui sommeille au fond de nous n’est pas un condamné. Il était né de Dieu, il était né du Christ qui ne peut rien faire d’autre qu’aimer.

            Et c’est pourquoi, où que nous tombions, eh bien, regardons Barabbas et disons-nous qu’il est notre grand frère. Et s’il a été sauvé de la mort, eh bien, nous le serons aussi.

 

            Il n’est rien, mes frères, dans la passion de Jésus qui soit sans signification. Nous essayerons d’y être attentif les jours qui suivront. Prenons garde de ne pas faire de sentimentalisme, de ne pas faire non plus d’intellectualisme, mais laissons l’Esprit de Dieu entrer et murmurer tout bas : Viens vers le Père !

 

            La vie monastique est une entreprise démesurée où chaque jour on fait,  on reproduit les mêmes gestes. La vie des hommes dans le monde est bien souvent un véritable drame. Mais ne soyons pas ici des hommes qui se protègent des coups que le monde, que le démon peut porter contre nous. Soyons ouverts, soyons ouverts sur le mystère et ne nous laissons pas désarçonner par ce que nous voyons, par ce que nous entendons et par ce que nous souffrons.

 

            Voilà, mes frères, nous essayerons d’être attentifs à ce mystère dans les jours qui viennent. Et je pense que nous serons heureux de pouvoir dire, de pouvoir proclamer silencieusement que nous sommes un seul esprit avec le Christ. Même si nous sommes encore pris dans les lacets du péché, dans le fond cela n’a pas d’importance parce que l’amour est plus fort que tout, et l’amour est une personne. Et lorsque nous aimons, nous sommes en communion avec cette personne.

 

            Voilà donc, mes frères, essayons de retenir ceci : que nous avons à aimer, à aimer tous nos frères, à aimer tous les hommes et à nous laisser porter par l’Esprit Saint jusqu’à ce que nous soyons devenus vraiment la présence du Christ sur la terre.


Homélie du Samedi-Saint.                         29.03.97

La mort colle à la vie !

 

Frères et sœurs,

 

            Vous excuserez ma voix caverneuse, sépulcrale. Elle est peut-être providentiellement en accord avec cette journée. Nous sommes entrés dans le grand, l’océanique impressionnant silence de Dieu. Où donc est Dieu ? Dieu est mort, il est réduit à l’état de cadavre et l’homme est arrivé à ses fins.

            Il a supprimé Dieu et maintenant, il est le maître, le seul maître de sa destinée. Il va pouvoir partir seul à la conquête de l’univers. Il va pouvoir tout se soumettre. Il va pouvoir tout transformer, manipuler à sa guise. Il est devenu le seul vrai dieu.

 

            Mes frères, en cet instant, nous sommes encore et toujours dans l’éternel aujourd’hui de Dieu, cet aujourd’hui que nous célébrons chaque nuit à l’heure des Vigiles. Et nous sommes attentifs à une voix, la voix de cet aujourd’hui. Nous remarquons que nous sommes toujours en train de bafouiller sur le …?…, une antinomie où s’abîme notre esprit.

            Le monde, le monde des hommes, le monde soumis à l’homme, le monde soumis au prince de ce monde, ce monde-là se construit sans Dieu. Nous ne le savons que trop. Et pourtant, le monde ne subsiste que par Dieu.

 

            Dieu est inexistant et Dieu est omniprésent. Dieu est mort et Dieu est la vie du cosmos. Vie et mort sont comme les deux faces d’une même réalité. Jésus dans son tombeau est le dévoilement de ce mystère.

            Jésus, ne l’oublions jamais, Jésus est Dieu. Il est Dieu tout autant qu’il est homme. Et il est là, couché, mort, sur une dalle de pierre, dans un tombeau de pierre ; scellé d’une pierre trop grande qu’un seul homme ne saurait rouler. Il est là, gardé par une escouade de soldats. On garde un cadavre !

 

            Oui, Jésus est mort dans son humanité, mais il est vivant dans sa divinité et, les deux se confondent au plus intime de son être. Ce mystère se projette sans fin sur nous et sur le monde.

            Remarquons-le bien, ne l’oublions jamais : la mort sous toutes ses figures est l’unique accès à la vie. Celui qui veut garder sa vie la perdra, a dit Jésus. Par contre, Celui qui prend le risque de la perdre, celui-là la sauvera pour jamais ! Oui, la mort colle à la vie, elle est un avec elle.

            Nous sommes au monastère pour anticiper notre mort, pour en faire notre alliée, pour accéder par elle à la vie sans déclin. Nous le savons que trop, il n’existe pas qu’une seule mort. Ne pensons pas d’abord à notre mort biologique, pensons à tous les renoncements qui se présentent à nous chaque jour…….

 

 

                                                                         Arrêt accidentel de l’enregistrement !


Chapitre : Dimanche in albis.                      06.04.97

Passer de la mort à la vie.

 

Mes frères,

 

            A l’occasion des solennités pascales, Dieu distille dans notre cœur une lumière qui nous vaut le privilège d’être mystérieusement et activement présent à toutes les heures de l’Histoire. Nous devons non seulement le croire, mais nous devons adapter notre vie à ce qui au regard de la foi est une évidence.

            N’avons-nous pas été choisis par Dieu dans le Christ dès avant la création du monde ? Et l’Apôtre ne nous dit-il pas que notre vie est cachée avec le Christ en Dieu ? Tout cela peut paraître extravagant au regard de la raison pure, et pourtant, c’est la réalité la plus concrète qui soit.

 

            La résurrection du Christ a pour effet premier, si nous la laissons agir sans entraves en nous, de nous arracher au biologique avec ses pulsions et ses répulsions, avec ses convoitises et ses peurs, et de nous établir dans notre vérité entière, dans notre être d’enfant de Dieu pour une vie nouvelle, pour une vie autre sous la mouvance de l’Esprit.

            Alors, on devient ce que Dieu est. On est arraché à soi-même, on dépasse ses limites et on fait de son être entier une existence de lumière et d’amour. Vraiment à ce moment-là, on est passé de la mort à la vie, d’une existence larvée à une existence comblée. Et c’est cela ressusciter des morts avant même de mourir.

            Et on est pour les autres une présence qui ouvre toutes les portes, qui fait tomber toutes les barrières. Et les hommes ont alors le sentiment lorsqu’ils nous rencontrent d’être accueillis dans une cathédrale de lumière où ils peuvent respirer et découvrir enfin la vérité de leur être.

 

            Mes frères, lorsque on dit ces choses, lorsque on les entend, on peut avoir l’impression que c’est une théorie extrêmement belle mais qui ne répond à rien, et qui ne nous concerne pas. Et pourtant, si nous sommes dans le monastère, si nous avons été appelés par Dieu à vivre dans cette solitude de Saint Remy, c’est précisément pour que nous puissions incarner dans toute notre vie cette réalité de la résurrection du Christ.

            Car la résurrection du Seigneur Jésus nous touche au plus profond de notre intimité. Elle est notre présent et elle est notre avenir, non seulement le nôtre, mais celui de tous les hommes et, il faut qu’il y ait sur terre des hommes qui soient là pour en témoigner, non pas tant de bouche, mais par leur vie en devenant transparent à cette résurrection.

            Il faut que ceux qui nous rencontrent puisse le penser sinon dire : il y a là quelque chose que nous ne comprenons pas mais quelque chose qui nous attire, quelque chose que nous espérons pour nous et qui est la métamorphose de notre cœur.

 

            Vivre ainsi dépouillé de soi, pure oblation à Dieu et aux autres, c’est être contemporain du commencement, de tous les commencements et surtout de ce commencement absolu qui est la résurrection du Seigneur. Nous ne devons pas loger la résurrection du Christ 2000 ans en arrière, à une époque que nous ne pouvons atteindre sinon par l’Histoire ou par la foi.

            Non, la résurrection du Christ, elle est d’aujourd’hui. Le Christ par sa résurrection récapitule en lui absolument toute la durée de l’Histoire. Et nous-mêmes nous devons de plus en plus, c’est cela la beauté de notre vie contemplative, prendre conscience que le Christ ressuscite aujourd’hui, que nous sommes contemporains de sa résurrection. Et mieux que cela encore, que nous sommes entraînés en elle, et que nous-mêmes nous sommes en train jour après jour de ressusciter.

            Cela peut durer longtemps, cela peut durer des années et des années ? Peut-être, mais on ne sait pas ce qui se passe dans le secret des cœurs car c’est là que la résurrection s’opère en premier.

 

            Mes frères, efforçons-nous donc de laisser agir en nous les énergies de la résurrection. Et puis, n’attendons pas d’avoir vu pour croire. C’est en croyant et c’est en vivant que nous verrons. Communier à tous les temps, communier à tous les devenir. C’est la grâce des enfants de Dieu, c’est la grâce des fils de la résurrection !

            Et l’obéissance monastique, la nôtre, elle n’a pas d’autres buts que de nous vider de nous-mêmes pour nous introduire dans les espaces nouveaux que le Christ nous a ouvert. Et notre cœur devient alors un ciel, le ciel de Dieu, le ciel où tous les hommes se sentent chez eux. Ce matin encore, je me disais que la naïveté, la candeur, l’innocence, c’est peut-être la plus belle qualité du chrétien, du fils de la résurrection. Car Dieu est le grand naïf, Dieu est le grand innocent, Dieu est celui qui un a priori de confiance à l’endroit de chacun.

 

            Eh bien, mes frères, si nous sommes fils de la résurrection, il doit en être de même de nous. Mais alors, nous nous exposons à tous les périls. Car les hommes, nous-mêmes aussi d’ailleurs par une partie de nous, les hommes sont méfiants, les hommes ont peur ; et puis, les hommes sont rusés et il s’en trouve qui sont des profiteurs de tout et de tous.

            Nous sommes depuis quelques mois rassasiés de scandales de corruption dans les sphères les plus hautes des gens auxquels nous avions donné justement notre confiance et qui ont profité de leur situation pour s’emplir les poches.

 

            Mes frères, ça ne doit pas nous décourager car ces hommes sont aussi des enfants de la résurrection. Il y a une partie en eux, une partie secrète qu’eux-mêmes ne connaissent pas, à laquelle ils n’ont pas accès, une partie qui est restée naïve, une partie qui est restée innocente parce que là dans le secret se cache l’Esprit Saint, se cache la Trinité qui agit et qui, au jour voulu, au jour que seul la Trinité connaît, au jour voulu fera éclater toutes les résistances, anéantira tous les péchés et fera de chacun de ces hommes, de chacune de ces femmes, aussi un astre de lumière.

 

            Mes frères, si nous vivons dans cette foi, donc dans cette espérance, nous comprenons mieux la première des Béatitudes : Bienheureux les pauvres en esprit car le Royaume des cieux est à eux !

 

            Alors, mes frères, Pâques, le Temps Pascal aujourd’hui particulièrement en ce dimanche, eh bien, c’est notre fête ! C’est notre fête et c’est la fête de l’humanité toute entière, de l’humanité dans sa totalité, de l’humanité récapitulée dans notre personne et dans notre cœur.

            Alors, laissons-nous submerger, laissons-nous emporter par cette immense espérance que nous-mêmes nous participons dès maintenant à la résurrection du Christ, et avec nous tous les hommes, et que personne, absolument personne ne soit laissé en dehors.


Homélie : 5° dimanche après Pâques - B.        27.04.97

La puissance de l’amour !

Ac.  9, 26-31 * 1Jn. 3, 18-24 * Jn. 15, 1-8

 

Mes frères,

 

            Nous venons de l’entendre de la bouche du Seigneur Jésus ressuscité. Oui, il est ici parmi nous dans la gloire de son être nouveau, de son être éternel, de son être de Dieu. Il est homme et il est Dieu et, nous sommes greffés sur lui. Il est la vigne et nous sommes les sarments.

            Nous venons de l’entendre de sa bouche, nous devons donner du fruit, beaucoup de fruits, un fruit qui réjouira le cœur de notre Père, un fruit qui dilatera notre propre cœur et qui nous fera goûter dès ici-bas les saveurs de la vie éternelle.

 

            Dans l’immense jardin de la création de Dieu, chaque chrétien devrait être un arbre, un arbre unique en son genre et donnant un fruit, un fruit toujours nouveau, un fruit de chaque saison, un fruit comme on aimerait regarder, pour se réjouir, pour que le regard soit captivé par cette beauté, et un fruit dont on devrait pouvoir se nourrir à satiété, sans aucune crainte, en toute liberté. Voilà le véritable chrétien !

 

            Mais quel est donc ce fruit ? C’est un fruit de conversion totale, un fruit de transfiguration, un fruit de résurrection. Car si le Christ est mort et ressuscité, nous sommes ressuscités avec lui à condition que nous acceptions dès maintenant de participer à sa mort. Comment ? Mais en donnant notre vie pour les autres, en leur donnant la première place dans notre cœur.

            Oui, ce fruit est de pouvoir être vrai dans toute sa vie, c’est de pouvoir aimer dans l’oubli de soi, c’est de pouvoir être pour Dieu des témoins irrécusables. Nous porterons du fruit si nous sommes et si nous restons greffés sur la personne du Christ ressuscité. Il ne suffit pas de porter le nom de chrétien, il ne suffit pas d’être baptisé, d’être inscrit en bonne place sur le registre des paroisses.

            Non, il faut s’offrir une métamorphose qui doit faire de nous des êtres nouveaux, des hommes qui vivent non pas selon les normes de ce monde-ci et de son prince, mais des hommes qui vivent selon la puissance qui agit dans la personne du Christ ressuscité.

 

            Or, cette puissance, c’est celle de l’amour, d’un amour humble, doux, patient, compatissant, généreux, désintéressé. Une telle puissance est invisible car rien, pas même la mort, ne peut lui porter atteinte. C’est la puissance de l’amour. Elle est vainqueur de la mort et de toutes les formes de mort, même de cette forme subtile de mort qu’est l’égoïsme, l’égocentrisme, le narcissisme tout ce qui replie l’homme sur lui-même, qui l’emprisonne dans son petit moi et qui l’empêche de vivre. Oui, cette puissance de l’amour a vaincu dans le Christ et aujourd’hui encore, elle vainc en chaque véritable chrétien.

 

            Demeurer dans le Christ comme le sarment dans la vigne, se nourrir heure par heure de la volonté du Christ, grandir en charité, porter un fruit de grâce, voilà qui nous ouvre un avenir, voilà qui nous plonge dès maintenant au-delà du voile dans la lumière, dans une joie et une paix indicible.

 

            Rappelons-nous qu’avant de quitter ce monde pour retourner à son Père, le Seigneur jésus nous a laissé sa joie et nous a laissé sa paix. Il ne donne pas la paix et la joie avec mesure, non, il la donne sans limite, il ne garde rien pour lui. Il nous introduit dans tout ce qu’il est, dans tout ce qu’il a.

 

            Prendre le risque de la confiance en Dieu, prendre le risque d’aimer, c’est ce qui nous est plus particulièrement proposé en ce temps de Pâques. La résurrection du Christ n’est pas une pieuse légende. Elle est un fait qui nous saisit au plus intime et qui nous transplante au plus secret du cœur de Dieu. Nous sommes enfants de Dieu, nous vivons de sa vie, nous sommes déjà par le meilleur de nous-mêmes dans l’éternité.

 

            Eh bien, frères et sœurs, que cela transparaisse en toute notre conduite ! C’est là mon souhait pour chacun de vous, c’est là ma prière, c’est là mon espérance.

 

                                                                                              Amen.

 

 

Table des matières de la Semaine Sainte de 1997.

 

Chapitre du Lundi-Saint.                           24.03.97................................. 195

La bonne odeur du Christ !.................................................................................................................................. 195

Chapitre du Mardi-Saint.                          25.03.97.................................. 197

L’espérance folle de Dieu !.................................................................................................................................. 197

Chapitre du Mercredi-Saint.                      26.03.97............................... 201

Judas et Barabbas !............................................................................................................................................... 201

Homélie du Samedi-Saint.                         29.03.97.................................. 203

La mort colle à la vie !.......................................................................... 203

Chapitre : Dimanche in albis.                      06.04.97.............................. 204

Passer de la mort à la vie..................................................................................................................................... 204

Homélie : 5° dimanche après Pâques - B.        27.04.97........................ 206

La puissance de l’amour !.................................................................................................................................... 206

Table des matières de la Semaine Sainte de 1997............................. 207

 

Table des tables des matières de 1987 à 1997.

Si tout est dans la même farde !

 

Table des matières de la Semaine Sainte de 1987                page  17

Table des matières de la Semaine Sainte de 1988                page  38

Table des matières de la Semaine Sainte de 1989                page  59

Table des matières de la Semaine Sainte de 1990                page  74

Table des matières de la Semaine Sainte de 1991                 page  87

Table des matières de la Semaine Sainte de 1992                page 106

Table des matières de la Semaine Sainte de 1993                page 128

Table des matières de la Semaine Sainte de 1994                page 149

Table des matières de la Semaine Sainte de 1995                page 170

Table des matières de la Semaine Sainte de 1996                page 194

Table des matières de la Semaine Sainte de 1997                page 207

 

 

 

 

 

 

 

 

           

       

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Table des matières de la Semaine Sainte de 1993-1977