Homélie :
Fête de la Présentation.
Mes frères,
On nous a déjà présenté le mystère
de la fête de ce jour. Il n'y a plus grand chose à dire
sinon peut-être ceci : nous allons jouer un mimodrame,
nous allons mimer notre démarche monastique dans ce qu'elle
a de plus vivant et de plus beau.
Notre vie est une pérégrination en réponse à un
appel, une exemia comme disaient les Anciens. Nous quittons
un lieu, notre patrie, notre avoir, notre vouloir, lieu symbolisé par
cette salle* , et nous partons à la rencontre de celui
qui nous invite et qui nous attend. Et il nous attend dans son
Royaume, ailleurs, dans son Royaume symbolisé par notre église.
Chez lui, dans son Royaume, tout est différent. Nous
allons donc d'abord rencontrer un certain dépaysement, éprouver
l'étrange sensation de ne plus être tout à fait
nous-mêmes. Ce n'est pas étonnant car, naturellement
nous sommes ténèbres tandis que lui, naturellement
est lumière.
Lorsque le Christ se dévoile au regard du moine, il se
manifeste d'abord comme lumière. Je suis la lumière
du monde ! L'expression lumière du monde doit être
entendue à la lettre. Nos mentalités platoniciennes
pencheraient plutôt vers un sens métaphorique qui
est plus commode et moins inquiétant.
Non, mes frères, le Christ ressuscité, le Christ
dans sa chair transfigurée est vêtu de lumière,
d'une lumière bien réelle, bien concrète
qu'il est presque possible de photographier. Pensez à la
scène de la Transfiguration ! Et cette lumière
dont est vêtu le Christ rayonne de son être, de sa
personne et elle brille d'un éclat quasi insoutenable
jusqu'aux extrémités du cosmos en expansion.
C'est cette lumière qui crée l'univers, qui le
porte, qui le fait grandir et s'épanouir. Et le moine
commence à déguster les prémices de la vie éternelle
le jour où son cœur purifié aperçoit les
premiers scintillements de cette lumière. C'est le seuil
du Royaume, tout est nouveau ; l'amour devient la loi, l'unique
loi et la beauté devient la forme, l'unique forme de la
vie.
Nous ne trouverions jamais notre chemin vers cette lumière
si dans notre cœur, au départ, n'avait été déposé une étincelle
déjà de cette lumière. Et c'est justement
cette petite flamme, symbolisée par nos cierges allumés,
qui va nous guider avec une sûreté infaillible vers
cette source, le foyer dont elle est issue et vers laquelle,
en retournant, elle nous entraîne.
Notre cheminement à travers nos cloîtres obscurs
va marquer notre résolution, notre détermination
de marcher jusqu'au bout, jusqu'à la rencontre heureuse
avec le Christ, avec la lumière ; jusqu'à ce
moment où nous-mêmes avec Marie et tous les saints,
et ici attention ! je ne pense pas à un lointain
aboutissement au-delà de la mort, je pense à aujourd'hui, à notre
vie, où avec Marie et tous les saints, nous serons devenus
chacun les uns pour les autres, et pour les hommes nos frères,
lumière et feu.
*Il s'agit de l'ancien Chapitre des frères,
Chapitre actuel de la communauté.
Homélie après
l'Évangile de l'entrée messianique à Jérusalem.
Mes frères,
Nous venons d'entendre que nous marchons vers un triomphe. Nous
ne sommes pas appelés à l'esclavage mais à la
liberté ; non pas à la peur qui paralyse, mais à la
joie qui plénifie et qui donne toutes les audaces.
Et d'où nous vient cette assurance ? Elle nous vient
de ce que nous escortons celui qui porte inscrit sur son manteau
et sur sa cuisse « Roi des rois et Seigneur
des seigneurs »
Et avec lui, nous montons hors de la condition
misérable qui est nôtre et qu'il a voulu partager,
nous sortons de la cage de notre suffisance, de notre égoïsme,
de notre péché, pour entrer à sa suite chez
lui, dans son royaume, et pour y occuper la place qu'il nous
y a préparée.
N'a-t-il pas dit un jour « Je veux que là où je
suis, eux aussi soient avec moi, et qu'ils voient la gloire
qui était mienne avant que le monde fût »
Mes frères, c'est cela qui donne le branle à une
vie consacrée à Dieu. La vie monastique est polarisée
par ce désir de voir un jour le Christ dans son Royaume. Je
veux voir Dieu , disait
Thérèse d'Avila. Et en écho, elle répétait « Mais
je suis aussi fille de l 'Église : je ne veux pas
le voir pour moi seule, je veux que tous mes frères et
toutes mes sœurs le voient un jour avec moi ».
Et pour marquer qu'il en est bien ainsi, nous portons en main
ces rameaux qui sont déjà le signe et le gage de
la victoire qui sera finalement nôtre. Nous allons donc
imprimer à notre corps et à notre cœur un ensemble
de gestes qui marqueront notre acceptation de notre vocation
chrétienne et monastique, et même de notre simple
destinée humaine ; et nous proclameront aussi notre foi
et notre amour.
Alors, mes frères, levons-nous, mettons-nous en route
et suivons le Christ pas à pas, sans le lâcher d'une
semelle, dussions-nous, avec lui, traverser le fond des enfers.
Et nous savons bien que tôt ou tard, un homme, un chrétien,
un moine doit descendre avec le Christ au fond des enfers ; mais
avec lui nous en resurgirons.
Levons-nous donc, partons et acclamons le Christ comme le firent
un jour les foules de Jérusalem!
Homélie après
l'Évangile de la Passion.
Mes frères,
Il vient de nous être dit clairement quel sera le prix
que nous devrons acquitter pour la victoire que nous espérons
; mais nous sommes disposés à le payer. Le Christ
d'ailleurs nous avait prévenu : « Celui
qui veut être mon disciple, qu'il prenne sa croix chaque
jour et qu'il me suive ».
Mais nous soupçonnions peut-être pas que nous devrions
affronter la mort, une mort qui pour être d'ordre mystique
n'en est pas moins réellement une mort, une mort qui nous
dépouillerait totalement de nous-mêmes, une mort
qui creuserait en nous un vide immense quasi infini, un vide
qui deviendrait un appel et un cri, un vide que rien ne pourrait
assouvir ni combler sinon la plénitude du Dieu à l'incompréhensible
beauté. Ce vide, mes frères, est-il en nous ?
Au-dessus de la tête du messie crucifié, nous lisons
: « Celui-ci est Jésus, le roi des
juifs ». Cet écriteau forme avec
les vibrantes et enthousiastes proclamations de tantôt,
une dérisoire et sinistre inclusion, mais cela ne doit
pas nous dérouter.
Le monastère nous initie à une sagesse qui n'est
pas de ce monde. Il nous dévoile peu à peu, un à un,
les secrets d'une certaine folie qui souvent nous fait sursauter
et reculer. C'est que notre raison ne s'adapte pas d'un coup
aux étrangetés de 1'agir divin. Et toujours, il
restera en nous une place pour l'étonnement et pour l'admiration.
Oui, pour l'admiration, car notre cœur découvre que la
source de cette divine démence, c'est un amour qui débordera
toujours à l'infini tout ce que l'homme peut concevoir
et imaginer.
A cet amour, mes frères, nous nous sommes donnés.
Mais nous allons nous abandonner à lui avec plus d'intensité encore
au cours de cette semaine. Il ne s'agit pas de réfléchir,
il s'agit plutôt de se laisser saisir et conduire par des
sentiers inconnus vers un accomplissement que nous pressentons, éclatant
de beauté, de la beauté de notre roi, ce roi que
nous escortons, que nous accompagnons à travers ses souffrances
et sa mort. Et ceci, ce ne sont pas des mots !
Et nous l'accompagnerons ainsi jusqu'au terme, jusqu'au jour
où il se manifestera à nous et où il nous
prendra avec lui dans son royaume. Amen.
Homélie du Jeudi-Saint.
Mes frères,
Nous ne sommes pas les premiers à nous engager à la
suite du Christ dans cette traversée qui va nous conduire
d'une région à une autre. Cette traversée
doit nous conduire de l'étroitesse et de l'angoisse d'une
condition déprimante - celle des pécheurs -, des
milles entraves des passions et des vices vers la souplesse merveilleuse
de l'amour.
Non, nous ne sommes pas les premiers ; nous nous joignons à une
caravane qui a pris le départ - nous venons de l'entendre
- un certain soir, il y a bien longtemps, au pays d'Égypte.
Et déjà le Christ était là, Rocher
mystérieux, qui tirait de sa substance un breuvage de
vie dont les flots nous baignent encore aujourd'hui.
Non seulement ils nous baignent, mais ils nous portent. En eux,
nous touchons le terme de notre voyage et, déjà,
nos yeux peuvent contempler ce qui n'est pas monté au
cœur de l'homme.
Non, il n'est jamais monté au cœur de l'homme que un
Dieu, que le corps et le sang d'un Dieu s'assimilerait tellement à notre être
qu'il deviendrait le sang de notre sang et la chair de notre
chair. Oui, c'est jusque là que Dieu devient homme ! Et
ce n'est pas une façon allégorique de parler, c'est
la réalité.
L'issue heureuse de notre marche, c'est la claire conscience
de cette assimilation du Christ à notre être, la
claire conscience de notre totale métamorphose en lui.
La mort que nous portons en nous, qui un jour paraîtra
triompher de notre organisme de chair, cette mort, en réalité,
est engloutie déjà dans la vie qu'il est, Lui,
et cela pour jamais. Un jour, cela transparaîtra. Certains
ont déjà ce privilège de la sentir bouillonner
en eux et, déjà d'une certaine façon, de
l'expérimenter et de la voir. C'est cela qui doit normalement être
l'issue heureuse de cette longue marche.
Mais en attendant, il faut continuer à marcher, il faut
continuer à placer ses pas sur les traces du Christ. Cela
signifie que nous devons en arriver à aimer comme lui
a aimé, au-delà de toute extrémité.
Il nous en a prévenu, et il nous prévient toujours
d'ailleurs.
C'est un sentier resserré, c'est une porte étroite,
tellement étroite que pour la franchir, il faut littéralement
se vider de soi-même et laisser l'autre, laisser le frère
s'incarner en nous avec sa misère, avec sa déchéance,
tel qu'il est avec son péché. Et encore après
cela, mourir à sa place. C'est ce qu'a fait Jésus
! Ainsi doit faire l'Abbé, ainsi dois-je faire, moi, pour
chacun d'entre vous si je suis réellement parmi vous celui
qu'il m'appartient d'être, le Christ.
Pour vous montrer qu'il en est bien ainsi, et pour vous montrer
que ma route personnelle passe par un anéantissement de
cette sorte, je vais refaire pour vous le geste du Christ, je
vais vous laver les pieds. Et dans ce geste que je vais poser à la
suite du Christ, je vais me donner à vous corps et âme.
Mais en même temps, je vais vous armer dans ce combat
contre les puissances du mal, ce combat que nous sommes tenus
de mener depuis le jour où nous nous sommes engagés à la
suite du Christ, et depuis le jour surtout où nous nous
sommes donnés à lui dans la vie monastique.
Mais à travers ce geste que je vais poser, vous saurez
que votre route est parallèle à la mienne et que,
vous devez vous aussi, vous laver les pieds les uns des autres.
Vous ne devez plus vivre pour vous, vous devez vivre pour votre
frère, lui laissant si possible toute la place en vous.
C'est à cette condition, et c'est une condition indispensable,
que vous aurez part au Royaume, au Royaume du Christ et de son
Père, vers lequel s'acheminent ceux qui partout dans le
monde mènent avec nous l'âpre mais exaltant combat
de l'amour.
Vendredi-Saint.
Homélie à la célébration.
Mes frères,
Que faut-il dire après avoir entendu le récit
d'une telle tragédie ? Le mieux serait de se taire, mais
il faut tout de même bien parler. Alors, si vous le voulez
bien, secouons-nous et prenons conscience de ceci :
Celui dont nous venons d'entendre le récit de la transpassion
est ici et nos yeux peuvent le voir s'ils sont suffisamment purs.
Il est ici parmi nous, débordant d'une vitalité qu'il
brûle de nous faire partager. Mais voilà, accepterons-nous
le cadeau qu'il nous destine ?
Pourquoi une telle question ? N'est-il pas naturel, instinctif,
d'accepter un cadeau de cette sorte : le cadeau de la vie, de
la vie perdurable, de la vie éternelle, de la vie divine.
Pourquoi donc une telle question ?
Mais parce que ce cadeau qu'il nous offre, il faut bien le dire,
est enrobé de ce que nous appelons, de ce que nous devons
appeler la mort. N'ayons pas peur de regarder la réalité en
face ; c'est le moment aujourd'hui.
Et le prophète va nous y aider, ce prophète qui
est sur notre route comme un phare qui projette une lumière.
Il va nous donner la force, et va nous remplir de paix, quoique
ce qu'il va nous dire ne soit pas facile à entendre.
Et que nous dit-il ? Il nous dit, il nous déclare clairement
ce que le Christ attend de nous. Et ce que le Christ attend de
nous, c'est que nous nous dépouillons de nous-mêmes
jusqu'à la mort et, que nous nous chargions des péchés
des autres.
Quand il s'agit de moines, mes frères, il n'y a pas d'autre
accès vers la vie véritable, ni pour nous-mêmes,
ni pour ceux qui nous sont mystérieusement reliés.
Naturellement, c'est tout autre chose que de courir une carrière
qui nous rapporterait avantage et honneur.
Le mirage est pourtant toujours là, insidieusement agissant,
le Christ lui-même l'a ressenti. Il en a ressenti la mystérieuse
attirance, mais il a préféré la mort de
la croix. Et il n'y a rien à faire, nous-mêmes,
nous sommes acculés à choisir. Et encore une fois,
ce n'est pas de toute facilité.
Non, chair et esprit se hérissent dans la perspective
de renoncements qui semblent bien dépasser la mesure de
nos faibles forces. Si je puis me permettre ce paradoxe, disons
plutôt de notre trop évidente lâcheté.
Au fond, comme je l'ai dit hier, nous devons laisser les autres
s'incarner en nous avec la bestiale virulence de leurs péchés.
Et une fois devenu eux, nous devons mourir à leur place
et peut-être même sous leurs coups. C'est là aimer
d'une manière divine, mais c'est là aussi le triomphe
absolu, définitif. C'est jusque là que le Christ
nous a aimés.
En vénérant la croix dans quelques instants, nous
allons marquer par un geste bien précis en baisant les
pieds du Crucifié, nous allons marquer notre désir
et notre volonté de suivre le Christ jusque dans une telle
mort.
C'est un devoir pour chacun de nous et en tout premier lieu
pour l'Abbé, ce qui veut dire en tout premier lieu pour
moi. Mais notre espérance, celle qui est au fond de nous,
celle qui nous permet de continuer à marcher car nous
savons où nous allons, notre espérance, c'est que
cette offrande de tout nous-mêmes, elle soit prise au sérieux,
elle soit prise à la lettre et que, du même coup,
nous basculions de façon irréversible du côté de
la vie.
Amen.
Exhortation à Complies.
Mes frères,
Le Verbe de Dieu, dans la personne du Fils, a voulu connaître
dans une chair d'homme les brûlantes blessures de la souffrance,
de toutes les souffrances physiques, morales et spirituelles.
Il les a expérimentées à la manière
de Dieu, à un degré infini.
Il y a là un mystère devant lequel notre raison
défaille, le mystère de l'amour : Dieu
a tant aimé le monde Jamais nous ne parviendrons à arriver
au terme de cette simple expression : Il a tant
aimé le monde . Et aujourd'hui, au stade
de notre liturgie, cet amour est réduit à l'absolue
impuissance de la mort.
C'est cela le Christ au tombeau ! Dans ce tombeau, il n'y a
plus rien qu'un cadavre et de l'amour. Mais cet amour porte un
nom, cet amour a un visage. Et Dieu qui est l'amour va réaliser
l'incroyable mystère de la résurrection : d'abord
le Christ, et demain, nous !
Mes frères, croyons à l'amour. En ces moments
où nous vivons la Pâque, et aussi tous les jours
de notre vie, croyons à l'amour. Lui seul ouvre les tombeaux
et lui seul est capable de vaincre la mort. Il est seul plus
fort que la mort.
Mes frères, croyons donc à l'amour ! Croyons-y
pour nous-mêmes et croyons-y aussi pour les autres. Et
nous-mêmes, dès maintenant, nous aussi, aimons !
Homélie de la
Vigile Pascale.
Voici l'éclair, voici le feu, mes frères, qui
a lancé les fous de Dieu vers toutes les Galilée
du monde. Certains l'ont vu et certains le voient aujourd'hui,
Lui, le ressuscité, Lui, avec lequel on devient UN au
sein d'une lumière qui se laisse toucher, respirer, manger.
Oui, il faut être fou pour le croire, pour oser traverser
toutes souffrances, toutes les agonies, toutes les morts, pour
oser miser toute sa vie sur cette seule parole: « Ils
me verront ».
Chercher Dieu, mes frères, ce n'est pas de la littérature,
c'est un éveil lent, long, douloureux à un univers
qui n'est pas le nôtre. Mourir au péché,
c'est bel et bien mourir, pourquoi se le dissimuler ?
Mais bienheureuse mort qui nous arrache à la gangue, à la
geôle de notre égoïsme, et qui fait de nous
d'autres Christ livrés à leur tour pour le salut
de leurs frères. Oui, bienheureuse mort !
Le moine qui a part de son vivant à la Résurrection, à la
Résurrection du Christ qui travaille en lui, celui-là,
il devient dans l'invisible une inépuisable matrice de
vie. Il tient entre les mains le réel, il lui façonne
son vrai visage d'éternité, son vrai visage.
Cette nuit, mes frères, plus qu'en tout autre moment,
nous sommes plantés au cœur de l'éprouvante dialectique
du déjà-possédé et de l'encore-à-recevoir.
Nous sommes morts et ressuscités dans le Christ déjà,
mais cette réalité doit encore se matérialiser
dans le concret de notre quotidien.
L'eau dans laquelle nous allons être mystiquement replongés,
la chair et le sang que nous allons manger et boire, sont le
signe qui nous montre à suffisance que nous possédons
déjà tout ce qui nous sera donné et que
nous devons encore patiemment attendre.
Aussi longtemps que le Christ ne sera pas parfaitement ressuscité en
nous, notre nuit de Pâques, la nuit de notre Pâque
ne sera pas encore achevée. Nous vivons en état
de Pâque permanente. Et je me demande si, analogiquement
parlant, il n'en sera pas ainsi durant toute l'éternité.
O, il ne s'agira pas d'entrer dans des concepts de plus en plus
profonds au sujet de la divinité. Il ne s'agira pas de
cela, il s'agit de bien autre chose. Il s'agit de devenir un
cristal de plus en plus transparent, de plus en plus limpide,
un cristal reflétant, réfléchissant de clarté en
clarté la douce, captivante, apaisante lumière
d'un visage sur lequel s'allument deux flammes de feu.
Ce sont les yeux inexprimablement beaux de l'Agneau égorgé dès
avant l'origine du monde, cet Agneau que contemple le regard émerveillé de
celui qui a cru à la sainte et lourde Parole : « là-bas,
au-delà de tous les affrontements mortels, là-bas,
tu me verras ! » .
Mes frères, voici le mystère de cette nuit ! Ce
mystère, revêtons-le, drapons-nous en lui ! Mieux
encore, qu'il devienne notre peau et notre sang. C'est à lui
que nous sommes appelés, nous, et tous nos frères,
et toutes nos sœurs, de toutes les contrées, de tous les
temps.
Puissions-nous, en ce là-bas, être un jour réunis,
ressuscités en notre chair, fondus en un même amour
; et le voir, Lui, avec nos yeux, nos yeux transfigurés,
nos yeux nouveaux, le voir Lui le ressuscité, Jésus-Christ,
avec son Père, dans la béatifiante lumière
de l'Esprit, et cela pour les siècles des siècles.
Amen.
Dimanche de Pâques :
Homélie.
Profession des frères C, P et B.
Mes frères,
Vous venez de vous prosterner le front contre terre. Vous avez
demandé à Dieu de vous faire miséricorde,
et aux frères qui sont ici présents, de vous accueillir
dans leur communion. Vous vous êtes prosternés et,
vous ne vous jugez digne ni de l'une, ni de l'autre ; et en cela,
vous êtes dans la vérité.
Je vous invite instamment à construire votre vie, à l'enraciner
sur cette vérité, à entretenir en vous cette
conviction de votre indignité. Et si vous voulez devenir
des moines accomplis, laissez s'ouvrir, s'élargir en vous
une blessure qui ne vous donnera plus de répit, ni de
jour, ni de nuit.
Et j'ai en vue la blessure douce et terrible à la fois
du pentos , de ce deuil qui rend agréable à Dieu
et aux hommes, ce deuil qui force les portes de la miséricorde
et qui parvient à renouer et à resserrer les liens
de la communion.
Et si vous voulez entrer dans ce deuil, n'oubliez pas votre état,
votre état de pécheur. Vous devez faire, et vous
faites déjà, et vous ferez encore l'expérience
de votre péché, de la tendance innée en
vous de vous imposer aux autres et, de vous emparer d'une place
qui ne vous revient pas. C'est cela le péché dans
son exercice !
Mais n'ayez crainte, lorsque votre conscience d'être pécheur
sera ancrée en vous, lorsque elle sera devenue partie
constitutive de votre personne, à ce moment-là,
vous verrez se réaliser pour vous la promesse à laquelle
Saint Benoît vient encore de faire allusion :
Vous entrerez dans son Royaume, là où il vous
attend. Et il vous sera permis de parcourir en tous sens les
immensités de l'amour ; et votre joie alors, personne,
ni rien ne pourra vous la ravir, ni même l'entamer.
Vous avez compris que j'ai en vue l'escalier de l'humilité,
le rude escalier de l'humilité. Gravissez-le avec ténacité,
avec courage ; il est la mise en œuvre du mystère que
nous fêtons aujourd'hui : entrer dans une mort mystique
pour resurgir en nouveauté de vie.
Et cette surrection dans l'univers de Dieu deviendra votre part,
soyez-en sûrs, si vous demeurez fidèles à votre
intention d'aujourd'hui et, si vous entretenez sans cesse dans
votre coeur, ce sentiment d'humilité que vous venez d'exprimer
ici devant toute la communauté.
Le Christ, notre Seigneur, ne vous ménagera pas son aide,
soyez-en sûrs ! Ce que vous désirez, il le désire
infiniment plus, et infiniment mieux que vous. Et quant à mes
frères et à moi-même, nous vous promettons
tout le soutien dont nous sommes capables.
Dans ces conditions, êtes vous disposés à chercher
Dieu selon la Règle de Saint Benoît, en ce monastère
de Saint-Rémy, dans la reconnaissance pour tout ce que
vous y recevrez ?
Fête de la
Pentecôte.
1. Introduction à la célébration.
Mes frères,
Nous célébrons aujourd'hui la solennité de
la Pentecôte, qui coïncide avec la fête des
mères, et nous n'auront garde d'oublier celle qui est
la mère de Jésus. Nous devons aujourd'hui nous
laisser saisir par un spectacle de beauté. Le Saint-Esprit
est la personne qui nous dévoile, qui nous révèle
la transparence,la luminosité et la beauté de Dieu.
Dieu est beau parce qu'il est amour et les mères sont
belles parce qu'elles aiment. Et nous, nous serons beaux si nous
aimons.
Afin de célébrer dignement cette solennité,
mes frères, demandons au Seigneur de nous purifier par
le moyen de cette eau qui va nous rappeler au terme de ces solennités
pascales, une fois encore, notre incorporation dans la mort et
la résurrection du Christ.
2. Homélie.
Mes frères,
I1 n'est possible de comprendre le fait de la Pentecôte.
C'est un mystère qui nous touche de trop près ;
i1 est encore présent et agissant aujourd'hui. La seule
façon de l'évoquer quelque peu à travers
l'expérience des saints, c'est d'user de quelques images.
La Pentecôte, c'est être happé, sucé et
emporté dans des régions inexplorées, inexplorables,
des régions dont on ne revient que pour être livré à une
ivresse, à un vertige qui lance dans des aventures à l'encontre
de toute sagesse d'homme. La Pentecôte, c'est sentir en
soi les bouillonnements d'un volcan au pouvoir infini. C'est
respirer le feu, c'est devenir soi-même un brasier aux élans
intolérables. La Pentecôte, ce sont des nappes,
des fleuves, des océans de lumière, qui déferlent,
qui engloutissent, qui submergent. Tout disparaît et tout
renaît. Il n'est plus ni espace, ni durée ;
on est rien et on est tout.
La Pentecôte à l'origine, c'est ceci : Il
répandit sur eux son souffle . Un geste anodin,
mais tout ce que Dieu fait n'est-ce pas anodin ? Personne n'y
prend garde, personne, sauf le regard attentif du dioratique,
sinon, personne ne le sait. Cette exsufflation, ce Il
répandit sur eux son souffle , c'était
en réalité l'événement vers lequel
tendait, depuis des millions de millénaires le patient
labeur de la création.
Comment expliquer cela ? Tout essai d'explication est forcément
bancal. Pardonnez donc mes pauvres et si imparfaites paroles.
Voici : Le memra , le Verbe Créateur devient
l'homme Jésus-Christ. Et cet homme, Jésus-Christ,
est un soir mort sur une croix ; que1ques jours après,
i1 ressuscite et il est intronisé Kyrios , Seigneur,
Maître absolu de tout ce qui existe. Et voici, qu'il insuffle à quelques
hommes, et à travers ces hommes à l'humanité entière,
et à travers l'humanité au cosmos tout entier,
un nouveau principe de vie : le Souffle qui l'habite, qui
l'habite Lui, le Souffle qui l'anime, le Souffle qui le possède.
Et ce Souffle, c'est lui-même une personne vivante aux
noms multiples, aux noms qui ne peuvent cerner la richesse infiniment
divine de cette personne. C'est l'Esprit Saint, c'est le Vent,
c'est le Feu, c'est la Lumière, c'est l'Eau, c'est surtout
l'Amour. La mission de cette personne c'est de faire surgir,
irrésistiblement mais insensiblement, des cieux nouveaux
et une
terre nouvelle. Et à l'instant même où Jésus
soufflait ainsi ce nouveau principe de vie sur ses disciples,
commençaient ce qu'on appelle les derniers temps, ou si
vous voulez, la dernière étape.
Vous pourrez me rétorquer et non sans raison : Mais qu'est-ce
qui a changé ? Guerres, violences, meurtres, corruptions,
exploitations, mais c'est pis que jamais. C'est vrai, c'est pis
que jamais, et pourtant il se passe quelque chose. Mais encore
une fois, comme c'est un agir de Dieu, personne ne le remarque,
personne ne peut le voir puisque l'univers de Dieu est tellement
au-delà de nos sens, il ne tombe pas sous l'appréhension
de nos sens. L'homme a d'autres centres d'intérêt
que de s'occuper de ce que fait Dieu, n'est-ce pas ?
Que fait donc Dieu ? Il recommence toujours cet événement
de la Pentecôte, ou plutôt il le poursuit. Il insuffle à certains
hommes son propre Esprit et il les transforme de fond en comble ; à l'extérieur
il ne paraît rien, mais au-dedans d'eux c'est le déchaînement
d'un ouragan de lumière et de feu. Ces hommes deviennent
des torches vivantes d'amour. C'est l'amour qui les possède
et ils ne peuvent plus rien faire d'autre que d'aimer.
Ils ne sont justiciables devant aucun tribunal humain, mais
par contre tout jugement leur a été remis. Ils
peuvent être écrasés, ils peuvent être
tués par la haine ou par le mal, ils sont toujours, et
infailliblement, vainqueurs car jamais leur amour ne recule,
ni ne cède. Bien mieux, leur amour absorbe en lui, tout
le mal qui déferle sur eux et il le dissout. Et en le
dissolvant, il assainit dans ses profondeurs secrètes
l'organisme, le corps que constitue toute l'humanité et
ainsi, ultimement il la rédime, il la sauve, et sans même
qu'elle sans aperçoive, même si elle ne le veut
pas, il la transforme.
Mes frères, c'est cela la Pentecôte hier, c'est
cela la Pentecôte aujourd'hui, c'est cela la Pentecôte
de chaque instant. Et Dieu est toujours, Lui, par son Esprit, à la
recherche d'hommes qui sont disposés à vivre cette
prodigieuse aventure de se laisser investir et transformer par
cet amour.
Nous qui sommes ici réunis, qui avons été baptisés
dans l'Esprit Saint, nous y sommes appelés nous aussi,
mais en avons-nous pris conscience dans notre vie, le savons-nous
seulement ? Avons-nous été sollicités
? Oui, certainement ! Mais peut-être n'avons-nous
pas entendu, peut-être n'avons-nous pas compris car nous
n'étions pas suffisamment éveillé, notre
esprit vagabondait ailleurs.
Et lorsque cet appel, nous le percevons, qu'allons-nous faire
? Aurons-nous peur ? Il est normal d'avoir peur car se profile
dans le lointain un spectacle inquiétant, une croix sur
laquelle meurt un homme. Ou bien accepterons-nous, allons-nous
risquer ?
Mes frères, voilà la question qui nous est adressée
aujourd'hui en ce jour de Pentecôte qui est le dernier
jour du Temps Pascal. Qu'allons-nous choisir ? Qu'allons-nous
répondre ? Si nous ne répondons pas aujourd'hui,
Dieu nous sollicitera encore demain. Mais il nous a appelés,
mes frères, et un jour espérons que nous aurons
le courage de répondre : oui, me voici ! Amen !
Eucharistie du
dimanche – Veille de Noël.
1. Introduction à l'Eucharistie.
Mes frères,
Cette année, le dernier dimanche de l'Avent tombe la
veille de la Noël. Nous allons assister à un télescopage
des temps et des événements. Dans quelques minutes
on va nous annoncer la naissance virginale du Christ et dans
quelques heures on nous fera déjà part de sa naissance.
De suite nous sommes ainsi projetés au coeur d'un mystère
qui est celui-ci : Voici que naît dans notre temporalité celui
dont la génération à l'intérieure
de la Trinité est éternelle. Comme le dit si bien
Saint Augustin : Le temps de l'éternité entre dans
notre temporel si court - Le jour éternel entre
dans notre jour temporel si court . Voila exactement
ses paroles.
Mes frères, c'est là tout le mystère de
notre vie. A travers ces minutes et ces jours qui peuvent nous
paraître si longs mais qui à mesure que notre vie
avance deviennent de plus en plus courts, nous devons entrer
dans ce grand jour éternel là où la Trinité nous
invite à partager sa vie. Mais pour contempler ce mystère,
pour le laisser agir en nous il faut que notre regard soit pur.
Il faut que nos yeux, les yeux de notre coeur soient débarrassés
de tout voile occultant.
Alors si vous le voulez, en cet instant où nous allons
déjà d'une certaine façon ouvrir la célébration
de Noël, demandons à Dieu de nous rendre pur, de
nous rendre sincère, de nous rendre libre de cette liberté qui
nous permettra de l'accueillir lui-même en sa personne,
lui-même en la personne de nos frères, lui-même
en la personne de tous ces hommes qui sont sur notre chemin.
Et même des hommes qui sont au loin, même de ceux
que nous ne connaîtrons jamais sur cette terre mais dont
nous ferons la connaissance plus tard.
Mes frères, demandons lui d'enlever de notre coeur toute
trace de méchanceté, de malice, qu'il n'y ait plus
de place que pour la lumière et pour l'amour. Il a pris
notre chair pour la sanctifier, implorons-le donc maintenant
avec une confiance renouvelée.
2. Homélie .
Mes frères,
Nous venons d'entendre l'Apôtre Paul annoncer aux Romains
la grande, la merveilleuse nouvelle. Le mystère tenu dissimulé depuis
toujours dans le silence vient d'être manifesté au
monde entier. Et ce mystère c'est Jésus le Christ.
Après deux millénaires, nous devons bien reconnaître
que ce mystère est impénétrable. Et comment
pourrait-il en être autrement ? Quel homme sera jamais
en mesure de se saisir de Dieu, de le maîtriser, de le
domestiquer ? Jésus Christ n'est-il pas le Verbe
de Dieu ?
Le premier péché n'a-t-il pas été la
tentative absurde de forcer le sanctuaire de la Divinité et
de le cambrioler ? Et chacun de nos péchés n'est-il
pas la répétition stupide de ce geste insensé :
ravir ce qui est à Dieu et devenir dieu soi-même
? Mais Dieu est Amour et nous n'avons jamais fini de percer ses
desseins qui ne sont que des desseins d'Amour.
Dieu ne nous a pas lancés dans l'existence pour nous
tenir indéfiniment à l'écart de sa vie.
Et nous nous trouvons alors en présence d'une nouvelle évidence.
Ce béatifiant mystère, ce mystère impénétrable
peut être connu de l'intérieur par une participation
intime, existentielle, par une sorte de fusion avec lui, par
une divinisation, une divinisation par assimilation progressive
au Verbe Incarné.
Nous devons bien le savoir, le Christ est une réalité en
mouvement. Voyons la personne de Jésus, mais voyons aussi
chacun de ses membres. Cette réalité est en mouvement,
en croissance comme un organisme. Et l'homme qui se laisse saisir
par ce mouvement, par cette dynamique qui le travaille de l'intérieur,
finit par s'unir au Christ dans un sommet, un culmen qui
sont d'authentiques épousailles, épousailles qui
sont devenues fécondes pour l'humanité entière.
Or, mes frères, le Christ, le mystère du Christ
dans sa totalité, c'est l'Eglise, ce que nous appelons
nous l'Eglise, c'est à dire cette assemblée, ces
hommes qui ont entendu un appel, et puis qui se sentent attirés
et qui accourent pour être agrégés à ce
grand corps en devenir. L'Eglise ainsi au fil des siècles
s'agrège l'humanité entière et tout homme,
tout homme quel qu'il soit, qu'il l'accepte ou qu'il le refuse,
qu'il le sache ou qu'il l'ignore encore, tout homme donc est
déjà un fragment intégrant de ce grand corps.
A l'intérieur de ce corps il y a des cellules privilégi6es.
Ce sont le chrétiens. Mais pas encore tous les chrétiens
sans exception, mais certains chrétiens seulement, qui
eux non seulement ne mettront aucun obstacle à cette croissance
du Christ en eux, mais au contraire qui vont s'ouvrir comme une
fleur sous la chaleur du soleil, pour laisser en toute liberté le
Christ naître et grandir en eux.
Et alors ces hommes vont vivre consciemment, avec émerveillement,
jusque dans leur chair, le stupéfiant mystère de
cette divinisation par assimilation au Verbe Incarné.
Et cette naissance, et cette croissance, vont s'opérer
dans le sein mystique de celle qui est et qui sera à jamais
la Mère de Dieu et la Mère de tous ceux qui sont
destinés à devenir des Dieux. Or c'est cela qui
nous ouvre sur le dessein de Dieu des perspectives infinies,
aucun homme n'échappe à ce sein virginal de Marie.
Mes frères, dès aujourd'hui déjà un
peu, mais demain surtout et les jours qui vont suivre, nous laisserons
ce mystère de la naissance du Christ en nous, en nos frères,
nous le laisserons se réfléchir sur nous, sur nous-mêmes
comme sur des pellicules vivantes afin qu'il opère en
nous tout son pouvoir.
Mais déjà maintenant si vous le voulez, nous allons
retenir cette parole, cette parole qui est source de vigueur
inépuisable, cette parole qui tomba dans le coeur de Marie
pour ne jamais plus en sortir : A Dieu rien n'est
impossible ! Et en écho nous répondrons : A
moi aussi qu'il me soit fait selon ton vouloir .
Amen.
Noël : Messe
de minuit.
La fête de l'éternelle jeunesse de Dieu.
1. Avant la procession d'entrée.
Frères et soeurs,
Le mystère de l'Incarnation que nous célébrons
en ce jour est d'une profondeur insondable. Il nous est impossible
d'en cerner en une fois les multiples facettes. Et aujourd'hui,
nous arrêterons notre regard quelques instants dans la
durée de cette célébration, sur l'une d'entre-elles.
Noël, c'est la fête de l'éternelle jeunesse
de Dieu. Nous allons contempler ce qu'Il nous révèle
de Lui en la personne de Jésus le Christ. Nous allons
contempler sa pureté, son innocence, sa transparence,
sa beauté, son amour.
Les alchimistes des temps passés ont cherché avec
passion l'élixir de jouvence. Ce fameux élixir
qui devait leur assurer une jeunesse perpétuelle. Ils
oubliaient, ou bien ils ignoraient que l'âge d'un homme
se mesure à la vigueur du sang spirituel, du sang divin
qui circule dans ses veines. La jeunesse d'un homme c'est la
jeunesse de Dieu dans cet homme.
Eh bien, cette jeunesse, le germe de cette jeunesse, nous le
portons en nous. Comme Saint Irénée nous l'a dit : La
gloire de Dieu, c'est l'homme vivant – et La
vie de l'homme, c'est la vision de Dieu - et Si
Dieu a voulu se faire homme, c'est pour que les hommes puissent
devenir Dieu. Par son Incarnation, Dieu a déposé en
nous le germe de sa propre vie la vie éternelle qui est
la vie de jeunesse perpétuelle.
Nous allons donc célébrer cette Eucharistie pour
ce qu'elle est. Nous le ferons dans l'action de grâce,
dans la gratitude pour les dons ineffables qu'il nous fait en
la personne de son Fils Jésus. Et nous serons heureux.
Mais il y aura aussi au fond de notre être une pointe
de regret, car nous savons trop, nous ne le savons que trop,
nous ne correspondons pas, nous ne répondons pas avec
suffisamment de confiance et de générosité à tout
ce qu'Il nous donne, à tout ce qu'Il attend de nous.
Nous penserons aussi à celle, qui elle a été ouverture
totale à l'Esprit qui un jour lui a proposé cette
merveille unique d'accepter en elle le Verbe de Dieu. Nous penserons à Marie,
elle qui est l'incomparable Vierge Génitrice.
Nous allons maintenant nous rendre à l'église
pour commencer cette Eucharistie. Nous écouterons la Parole
de Dieu, puis nous recevrons le Christ en nous et ainsi ensemble
nous formerons ce que nous devons être : un seul corps
animé d'une seule vie.
Nous retournerons chacun dans notre foyer, chacun aux taches
qui nous attendent. Mais nous saurons que nous sommes tous du
même sang et qu'un jour nous nous retrouverons tous ensemble
dans le Royaume de Dieu pour le louer et le remercier à jamais.
2. Homélie de
la messe de minuit :
Frères et soeurs,
La solennité de Noël se développe pour nous
communautairement en deux tableaux. Le premier s'avance au milieu
de la nuit. Nous y sommes pour l'instant. Le second étale
ses richesses en plein jour. Nous y serons dans quelques heures.
Chacun est une Parole clamée à nos oreilles. Chacun
est un geste déployé sous nos yeux. Chacun doit éveiller
en nous des ondes de vie, de sérénité, de
paix. Chacun à sa manière nous dit qui est Dieu.
Et n'est-il pas souverainement important, n'est-il pas indispensable
pour nous, dont la vie est si étroitement liée à celle
de Dieu, n'est-il pas indispensable donc de savoir avec qui nous
avons fait alliance. Hier, le mystère du Dieu fait homme
nous apparaissait dans son imperméabilité absolue.
Mais le Dieu de tout Amour se déclarait disposé à nous
rassasier déjà dès maintenant par une participation à sa
propre nature. Il n'attendait que notre consentement, que notre
oui conscient, amoureux, fidèle.
Et aujourd'hui, maintenant une nouvelle surprise. Dieu se présente à nous,
mais dans la nuit. Dieu se présente à nous, mais
sous le manteau absurde d'une faiblesse extrême. Mais ne
nous laissons pas dérouter. Les façons d'agir de
Dieu n'ont rien de commun avec les nôtres. Dieu nous a
créé, il nous connaît, il nous jauge à notre
véritable mesure et surtout il nous aime. Alors il a mis
au point un stratagème, ce stratagème que les Pères
ont vu comme une ruse destinée à duper le démon
qui nous avait ravis à Lui notre créateur.
Nous allons donc essayer très brièvement de contempler
cet agir déroutant de Dieu, cette divine pédagogie.
Nous baignons dans la lumière qu'Il est, lui, Dieu. Et
cette lumière nous ne la voyons pas. Nous vivons dans
l'obscurité car nous sommes devenus des êtres de
la nuit. Nous ne voyons pas la lumière parce que nous
ne voulons pas être vu d'elle. C'est toujours l'antique
réflexe d'Adam qui travaille en nous s'échapper
par tous les moyens aux regards de Dieu. Oui, échapper
aux regards de Dieu.
Et alors nous inventons, nous imaginons une pitoyable, une dérisoire
astuce. Nous nous façonnons, nous fabriquons de nos mains
des idoles rassurantes qui nous ressemblent, des idoles qui ont
des yeux et qui ne voient pas. Elles ne nous voient pas et nous
pouvons alors tout à notre aise, en toute tranquillité agir
devant elles comme nous l'entendons. Et nous leurs sacrifions
allègrement, joyeusement. Voila notre situation !
Mais Dieu, lui, ne s'avoue jamais vaincu. Nous, nous devrons
un jour capituler devant lui. Mais Lui ne capitule devant personne.
Mais il use, il use de ruses que seul l'Amour qu'il est peut
inventer. Le voici donc qu'il descend au plus profond de notre
obscurité, et là, patiemment il la grignote, il
l'use, il la dissout. Divinement il nous apprivoise, il nous
calme, il nous séduit.
Et voici que petit à petit les parois granitiques de
notre coeur se fissurent, elles finissent par s'écrouler,
et le vent de l'Esprit en emporte les poussières. La peur
qui nous possédait au fond des entrailles est enlevée
et nos pauvres yeux malades peuvent déjà voir filtrer
quelques petits rayons de cette lumière qu'il est lui,
Dieu. Alors nous commençons à être rempli
de bonheur et de paix.
Mais nous ne connaissons pas encore suffisamment Dieu. Il est
d'une délicatesse que nous ne pouvons imaginer. Si nous
pouvions entre nous avoir cette même délicatesse !
Il ne bouscule rien, il ne dérange rien. Il descend au
plus profond de notre obscurité, mais non pour nous bousculer,
pour nous dominer, pour nous écraser. Non, Il y descend
sous le manteau d'une faiblesse indicible. Voyez ! Nouveau
né d'une heure, un rien pourrait le détruire. Et
au terme d'une effrayante logique, misérable chenille
clouée sur une croix. C'est cela Dieu !
Mes frères, si un jour nous avons le bonheur de parvenir à la
plénitude de la Vie Divine en nous, sachons que c'est
ainsi que nous devrons être pour nos frères. Mais
prenons bien garde aussi que si parmi nous nous rencontrons un
homme de cette taille, que nous ne le traitions pas comme en
la personne de ces païens, de ces Juifs, nous avons traité Jésus
notre Dieu. Frères et Soeurs, voici les merveilles que
Dieu opère pour nous.
Mais comprenons le bien : son amour se livre à la
discrétion de ces êtres de la nuit que nous sommes.
C'est l'impuissance totale de cet amour qui devient pour lui,
qui est pour lui l'arme absolue qui lui assure la victoire sur
nous. Cet amour finit par enlever de nous toute crispation, tout
repli toute peur, tout égoïsme. Cet amour devient
irrésistible.
Maintenant peut être nous ne le remarquons pas encore,
mais un jour nos yeux s'ouvriront et à ce moment nous
serons surpris, nous serons étonnés de voir les
merveilles que cet anéantissement de notre Dieu a pu réaliser
et en nous, et en tous les hommes.
Mes frères, ne méprisons jamais personne. Dieu
en s'incarnant, en devenant homme n'a exclu personne de son coeur.
Nous devons marcher sur ses traces. Et ainsi frères et
soeurs, la naissance du Christ s'opère à nouveau
constamment dans la nuit de notre coeur et sous le voile épais
de notre chair. Mais nous savons maintenant que notre délivrance
est proche et que bientôt paraîtra la gloire indicible
de notre Dieu, de notre Dieu devenu homme.
La question est là, toujours. Cette gloire, ne la voyons
nous pas déjà poindre à l'horizon ?
Restons si vous le voulez sur cette question pour l'instant,
la réponse ne tardera pas. Mais en attendant, recueillons
toutes ces paroles que l'Esprit nous a envoyé au début
de cette liturgie, toute cette Parole de Dieu qui est tombée
dans notre coeur.
Méditons-là, conservons-là comme faisait
Marie Mère de Dieu, Mère aujourd'hui de tous les
hommes. Méditons cette Parole, conservons là précieusement,
veillons sur elle car elle grandira en nous et elle deviendra
ce qu'elle est devenue en Marie. Elle deviendra une nouvelle
manifestation du Verbe de Dieu dans une chair d'homme.
Frères et soeurs, c'est à cela que nous sommes
appelés. Ne nous estimons pas moindre que ce que nous
sommes. Nous sommes des fils de Dieu. Et maintenant tous ensemble
chantons et proclamons notre foi, mettons notre confiance en
notre Dieu un et trine devenu homme pour
faire de nous des fils de Dieu .
Noël :
Messe du jour.
Nous laisser saisir !
1. Introduction à la célébration :
Mes frères,
Nous sommes des fils de Dieu. Nous en prenons conscience davantage
en ces jours de Noël. Le sang de la Vie Divine circule en
nous, il y bouillonne, il voudrait emporter toutes résistances.
Il voudrait nous enlever, nous soulever, nous entraîner
sur ses flots comme sur un torrent, jusqu'au coeur de la Trinité,
et là, nous rassasier de beauté, de lumière,
de béatitude, de paix.
Mais hélas, mes frères, nous avons peur de Dieu.
Nous avons peur de nous abandonner aux flots de l'Amour, cet
Amour qui pourtant est déjà en nous. Sans cesse
nous dressons de nouveaux obstacles, de nouveaux barrages, derrière
lesquels nous nous protégeons.
Reconnaissons encore une fois nos maladresses, nos atermoiements,
nos erreurs, nos péchés. La liturgie d'aujourd'hui
va nous proposer des textes qui sont parmi les plus riches et
les plus beaux de toute la Révélation. Laissons
l'Esprit dont ils sont porteurs entrer en nous afin qu'il puisse
nous travailler comme un levain et nous transfigurer.
2. Homélie :
Mes frères,
Nous vivons maintenant le second panneau du diptyque de notre
célébration communautaire de Noël. Il est
Esprit et il est Vie. Nous devons nous laisser saisir par lui.
Il nous domine et il nous porte. Il est en nous et autour de
nous. Les mots, les sons, les couleurs, les gestes sont impuissants à le
décrire parfaitement. Tout au plus peuvent-ils maladroitement
l'évoquer. Une seule parole peut en rendre compte. Essayons
de la laisser éveiller en nous des échos infinis.
Lumière éclatante de la gloire de Dieu, tel est
Jésus le Christ.
Voici quelques heures nos doigts palpaient la nuit : nuit
amère et nuit honnie. Nos regards se posaient sur une
faiblesse sans nom : faiblesse cherchée et faiblesse
subie. Et maintenant nous sommes projetés au seuil d'un
univers nouveau, d'un univers étrange. Cet univers n'est
pas le nôtre. Il est puissance incommensurable et il est
clarté souveraine. Devant lui nous sommes en voie de disparition,
et pourtant nous ne saurions pas vivre sans lui.
Comment se fait-il que dans le coeur de chaque homme, dans le
nôtre aussi, à travers tous les temps, il y a cette
espérance d'un monde qui serait lumineux, d'un monde qui
ne serait que lumière ? Pourquoi ? Sinon parce que
ce monde existe. Mais s'il existe, où est il ? Il n'est
pas loin de nous. Rien ne nous en sépare, rien sinon l'épaisseur
de notre péché.
Noël est un événement contemporain à toutes
les époques. Noël arrive chaque fois qu'un homme
purifié sept fois au feu de l'Amour déchire ce
voile et, est admis à franchir le porche inaccessible
de la lumière, cette lumière qui est Dieu. Le Verbe
s'est fait chair, il a dressé sa tente parmi nous. Ce nous ,
c'est vous et c'est moi.
Le seul malheur, la seule grande souffrance, c'est que nous
ne puissions pas le voir tout de suite, le voir Lui ce Verbe
devenu homme, ce Verbe qui est mort mais qui est ressuscité,
le voir Lui dans sa lumière, lui qui est la lumière
du monde, de ce monde ci et du monde à venir. C'est cela,
mes frères, la seule grande souffrance et pourtant Il
est ici présent parmi nous devant nos pauvres yeux malades.
Mes frères, le monastère est une fournaise dans
laquelle se jette un homme qui ne peut plus supporter de ne pas
voir la lumière. Les flammes de cette fournaise brûlent
son coeur et le rendent transparent. Et voila que se produit
la merveille tant espérée. Un nouveau fils naît à Dieu
et ce fils se trouve tout à coup dans la lumière
comme le Christ lui-même est dans la lumière, lui
qui est, je le répète encore, la lumière
de ce monde et la lumière de tous les mondes.
Mes frères, n'oublions jamais ceci encore. Chaque fois
qu'un homme est admis à entrer de son vivant dans la lumière
du Royaume, chaque fois que cette merveille se réalise,
alors une foule d'autres hommes, tôt ou tard entrent avec
lui ; mieux encore, ils y entrent déjà en
lui, car il les porte en son sein comme Marie maintenant encore,
noue porte tous dans son sein virginal.
Telle, mes frères est la réalité secrète
de Noël. C'est la naissance à la lumière,
naissance de toute l'humanité à la lumière,
naissance à travers la nuit, naissance à travers
la faiblesse, naissance à travers une infinitude de tourments,
naissance à nulle autre comparable, naissance pour une
joie sans limite, joie de pouvoir enfin voir Dieu dans la personne
du Christ Jésus ressuscité.
Mes frères, écoutons la voix des guetteurs !
Ils voient de leurs yeux le salut qui approche. Leur clameur,
leur appel retentit en un long cri de joie, il éveille
en nous une espérance sans limite.
Mes frères, en ces jours et alors tous les jours qui
vont suivre, écoutons attentivement la voix des guetteurs.
Amen.
Père H.