Le père H., trappiste, puis ermite, puis abbé.
Introduction à la bénédiction
des buis :
Dès le premier instant de cette semaine, qui est une
semaine sainte, nous allons vivre dans un raccourci saisissant,
parfois lancinant, au cours des jours qui vont se succéder
avec une logique implacable, notre propre destinée, chrétienne,
monastique et humaine. Ce sera chaque fois une pointe incandescente
qui va nous brûler à nouveau et nous marquer d'une
cicatrice indélébile. Car la vie tragique et glorieuse
du Christ doit se reproduire en nous jusque dans ses moindres
détails.
Peut-être ne le remarquons-nous pas assez ? Le moine doit être
un homme attentif et cotte semaine sera pour nous l'occasion
de reprendre en mains notre vie, d'être de nouveau éveillé.
Et pour marquer qu'il en est bien ainsi, nous allons imprimer à notre
corps et à notre coeur un ensemble de gestes, qui vont
dire notre acceptation et notre détermination ; qui vont
proclamer aussi notre foi et notre amour.
Et nous conserverons toujours à l'arrière-plan
de notre vision, le tableau des fils d'Israël montant du
pays d'Egypte, à travers la mer et le désert, sous
la conduite d'une colonne de nuée et de feu; montant vers
la terre où Dieu habite, où il les attend.
Homélie
après l'Evangile de l'entrée messianique à Jérusalem.
Mes frères,
Nous venons d'entendre que nous marchons vers un triomphe. Nous
ne sommes pas appelés à l'esclavage mais à la
liberté ; non pas à la peur qui paralyse, mais à la
joie qui plénifie et qui donne toutes les audaces.
Et d'où nous vient cette assurance ? Elle nous vient
de ce que nous escortons celui qui porte inscrit sur son manteau
et sur sa cuisse « Roi des rois et Seigneur
des seigneurs »
Et avec lui, nous montons hors de la condition
misérable qui est nôtre et qu'il a voulu partager,
nous sortons de la cage de notre suffisance, de notre égoïsme,
de notre péché, pour entrer à sa suite chez
lui, dans son royaume, et pour y occuper la place qu'il nous
y a préparée.
N'a-t-il pas dit un jour « Je veux que là où je
suis, eux aussi soient avec moi, et qu'ils voient la gloire
qui était mienne avant que le monde fût »
Mes frères, c'est cela qui donne le branle à une
vie consacrée à Dieu. La vie monastique est polarisée
par ce désir de voir un jour le Christ dans son Royaume. Je
veux voir Dieu , disait
Thérèse d'Avila. Et en écho, elle répétait « Mais
je suis aussi fille de l 'Eglise : je ne veux pas le voir
pour moi seule, je veux que tous mes frères et toutes
mes sœurs le voient un jour avec moi ».
Et pour marquer qu'il en est bien ainsi, nous portons en main
ces rameaux qui sont déjà le signe et le gage de
la victoire qui sera finalement nôtre. Nous allons donc
imprimer à notre corps et à notre coeur un ensemble
de gestes qui marqueront notre acceptation de notre vocation
chrétienne et monastique, et même de notre simple
destinée humaine ; et nous proclameront aussi notre foi
et notre amour.
Alors, mes frères, levons-nous, mettons-nous en route
et suivons le Christ pas à pas, sans le lâcher d'une
semelle, dussions-nous, avec lui, traverser le fond des enfers.
Et nous savons bien que tôt ou tard, un homme, un chrétien,
un moine doit descendre avec le Christ au fond des enfers ; mais
avec lui nous en resurgirons.
Levons-nous donc, partons et acclamons le Christ comme le firent
un jour les foules de Jérusalem!
Homélie
après l'Evangile de la Passion.
Mes frères,
Il vient de nous être dit clairement quel sera le prix
que nous devrons acquitter pour la victoire que nous espérons
; mais nous sommes disposés à le payer. Le Christ
d'ailleurs nous avait prévenu : « Celui
qui veut être mon disciple, qu'il prenne sa croix chaque
jour et qu'il me suive ».
Mais nous soupçonnions peut-être pas que nous devrions
affronter la mort, une mort qui pour être d'ordre mystique
n'en est pas moins réellement une mort, une mort qui nous
dépouillerait totalement de nous-mêmes, une mort
qui creuserait en nous un vide immense quasi infini, un vide
qui deviendrait un appel et un cri, un vide que rien ne pourrait
assouvir ni combler sinon la plénitude du Dieu à l'incompréhensible
beauté. Ce vide, mes frères, est-il en nous ?
Au-dessus de la tête du messie crucifié, nous lisons
: « Celui-ci est Jésus, le roi des
juifs ». Cet écriteau forme avec
les vibrantes et enthousiastes proclamations de tantôt,
une dérisoire et sinistre inclusion, mais cela ne doit
pas nous dérouter.
Le monastère nous initie à une sagesse qui n'est
pas de ce monde. Il nous dévoile peu à peu, un à un,
les secrets d'une certaine folie qui souvent nous fait sursauter
et reculer. C'est que notre raison ne s'adapte pas d'un coup
aux étrangetés de 1'agir divin. Et toujours, il
restera en nous une place pour l'étonnement et pour l'admiration.
Oui, pour l'admiration, car notre coeur découvre que
la source de cette divine démence, c'est un amour qui
débordera toujours à l'infini tout ce que l'homme
peut concevoir et imaginer.
A cet amour, mes frères, nous nous sommes donnés.
Mais nous allons nous abandonner à lui avec plus d'intensité encore
au cours de cette semaine. Il ne s'agit pas de réfléchir,
il s'agit plutôt de se laisser saisir et conduire par des
sentiers inconnus vers un accomplissement que nous pressentons, éclatant
de beauté, de la beauté de notre roi, ce roi que
nous escortons, que nous accompagnons à travers ses souffrances
et sa mort. Et ceci, ce ne sont pas des mots !
Et nous l'accompagnerons ainsi jusqu'au terme, jusqu'au jour
où il se manifestera à nous et où il nous
prendra avec lui dans son royaume. Amen.
Introduction à la
prière des fidèles.
Mes frères,
Nous allons prier pour tous les hommes, tous sans exception,
car tous sont d'une façon ou d'une autre impliqué dans
la mort du Christ, tous et nous-mêmes comme accusateurs
et comme bourreaux ; mais aussi tous, comme sauvés. Il
a été constitué péché pour
nous tous, et c'est dans son sang que nous avons la vie.
LUNDI-SAINT
20.03.78
Introduction à la célébration.
La péricope évangélique de ce jour va nous
relater ce qu'on appelle l'onction de Béthanie. Vous savez,
Marie, 1a sœur de Lazare qui vient verser du parfum sur les pieds
de Jésus et qui les essuie avec ses cheveux.
Mes frères, nous n'avons, nous, à offrir au Christ
que la sanie de nos péchés ; mais reconnaissons-le
aussi tout de même, notre amour si minime soit-il. Si nous
n'aimions pas le Christ, nous ne serions pas ici pour l'instant.
Mais je ne le répéterai jamais assez, aimer le
Christ, c'est nous aimer les uns les autres ; c'est aimer notre
frère, c'est le prendre tel qu'il est, c'est le porter
en nous.
Mes frères, le Christ nous porte en lui ; en lui, nous
sommes morts, en lui nous ressuscitons. Au seuil de cette eucharistie,
regrettons nos péchés, et ayons confiance en son
amour, et aussi en l'amour que nos frères nous portent.
Introduction à la
prière des fidèles.
Mes frères, notre Pâque, celle de l'humanité entière
est en voie d'accomplissement, mais à travers quels déchirements
! Prenons entre nos mains les espoirs, les désespoirs
de tous les hommes et déposons-les entre les mains de
celui qui a voulu mourir et ressusciter pour tous.
CHAPITRE :
Commentaire de Jn 12, 1-11
Les trois jours qui vont suivre maintenant avant 1e Jeudi-Saint,
sont dominés par une figure à laquelle on pense
très peu, c'est 1a figure de Judas. Et chaque fois, Judas
est opposé à une autre personne. Aujourd'hui.,
il est opposé à la personne de Marie de Béthanie
; demain, il le sera à 1a figure du disciple que Jésus
aimait et de Pierre ; après-demain, ce seront les autres
apôtres.
On ne réfléchit pas - je pense que je n'ai jamais
rencontré un réflexion approfondie au sujet de
Judas - or il a tout de même rempli un rôle capital
dans 1e drame de 1a Rédemption. On 1'a vite expédié dans
les oubliettes ou en enfers, comme saint Léon aujourd'hui. « Il
est mort un peu trop tôt » dit-il, « s'il était
mort après la mort du Christ, i1 aurait pu être
encore racheté ».
C'est une vue un peu trop rapide, un peu trop simple. Judas
c'est un peu ce que nous sommes, nous, et vous comprendrez un
peu mieux tantôt. Les autres figures sont ce que nous devrions être,
ce que nous espérons devenir.
Mais pour comprendre le drame de Judas, il faut étudier
son nom. Le nom de Judas est trop souvent cité. Ce n'est
pas par hasard, que c'est Judas qui a vendu le Christ. Ce devait être
un homme qui s'appelait Judas. Et pourquoi ?
Judas porte en lui une terrible contradiction. Son nom c'est
ce qu'il est, c'est l'expression la plus vraie de ce qui constitue
le fond de son être, et son être total aussi ; il
est Judas comme Jésus est Jésus .
Ces noms ne sont pas donnés par hasard : Jean le Baptiste
est Jean , Simon doit changer son nom, il va
devenir Kaipha , il va devenir Pierre .
Et attention ! Ce n'est pas une pierre plate, c'est une pierre
concave. Et vous comprenez que là-dessus on peut construire
un bâtiment. C'est un peu l'envers d'une voûte, et
là-dessus on peut construire, il n'y a pas de danger que
cela bouge d'un côté ni de l'autre.
Les fils de Zébédée changent de nom, 1e
Christ leur impose un autre nom, et ainsi de suite. Nous recevrons
nous, un jour, un nom nouveau que personne ne connaît,
sauf celui qui le reçoit et celui qui le donne. Mais que
signifie donc ce Judas ? Judas signifie celui dont
l'être est consacré à la louange
de Dieu . Judas, c'est le louangeur.
I1 y a une pieuse carmélite, de la fin du siècle
dernier je pense, qui avait choisi comme nom mystique laudem
gloriae , sœur Elisabeth de la Trinité, parce
qu'elle voulait être une louange de la gloire de Dieu.
Si elle avait connu l'hébreu, elle aurait dit : je veux
m'appeler Judith, c'est le féminin de Judas. Son être
profond, c'est d'être une louange perpétuelle par
tout ce qu'il fait, par tout ce qu'il pense. C'est cela Judas
! Or, cet homme qui est destiné à cela, porte en
lui autre chose. Il est attiré par lui-même.
Donc, Judas, c'est le louangeur, tandis que
lui, il se sent être autolâtre, idolâtre. C'est
sa propre personne qu'il veut mettre en évidence. Et pour
cela, il est tout naturel qu'il soit attiré par ce qui
procure tout ici-bas, qu'il soit attiré par la finance.
Celui qui a l'argent, il a tout. C'est une forme d'idolâtrie,
l'apôtre le dit. Que va-t-il cherché à être
Judas, alors ?
Mais grâce au pouvoir qu'il pourra acquérir, il
pourra devenir l'égal de Dieu. C'est cela l'idolâtrie
! Et finalement, en poussant la logique jusqu'au bout, pour être
l'égal de Dieu, pour prendre la place de Dieu, il faut
supprimer Dieu, il faut devenir meurtrier de Dieu, il faut tuer
Dieu.
C'est donc le péché originel poussé à ses
dernières conséquences. En face de cela, vous aurez
l'autre partie de son être, qui sera Dieu loué,
Dieu exalté, Dieu glorifié, seul Dieu. De l'autre
côté, plus de Dieu. Vous avez donc ce Judas qui
est écartelé entre sa vocation et ce qu'il est.
Et cet écartèlement, cette contradiction va être
tellement forte, qu'elle va aboutir à une autodestruction
en lui, un peu comme des choses contraires finissent par s'annuler
(+l) + (-l) = 0. Il est donc tout à fait logique que pour
finir, Judas se suicide et, dans ce suicide, il résout
la clé de son destin. Il se supprime, lui, mais Dieu vivra.
Donc voilà un peu Judas !
Et cela, c'est tout à fait ce que nous sommes. Il est
le prototype du chrétien, Judas. Nous portons un nom,
qui est le nom du Christ. C'est très beau, nous sommes
des chrétiens, mais en réalité nous sommes
autres que chrétiens. Il y a toujours cette dualité en
nous, ce conflit en nous, ce tiraillement entre ce que nous sommes
par notre baptême et ce que nous sommes par notre être
paganisé qui n'est pas encore né.
Nous ne devons donc pas jeter la pierre à Judas. Nous
devons le regarder avec une certaine crainte, parce que c'est
notre propre destin qui alors a été poussé jusqu'au
bout, tandis que nous, nous le vivons plus ou moins. Il y en
a qui seront ainsi jusqu'au bout, des Judas. Il
y en a encore aujourd'hui, cela pourrait très bien être
nous.
Il y a dans le monde pour l'instant une sorte de maladie, de
fièvre de destruction : détruire les hommes, détruire
les choses. Et cela aboutit à la guerre. Ce n'est pas
la guerre ouverte, mais des guérillas, le terrorisme,
toute sorte de choses de ce genre.
C'est cela le Judas , l'homme destiné à être louange
de Dieu qui détruit. Donc ayons beaucoup
de respect pour la personne de Judas, car c'est un peu notre
portrait. Et si nous ne le poussons pas jusqu'au bout aujourd'hui,
peut-être le ferons-nous demain ? Donc, il faut être
prudent.
Mais en face de lui, il y a une autre figure et c'est la figure
de Marie. Il est encore très intéressant ici de
scruter un peu son nom parce que elle porte le même nom
que la mère de Jésus, Marie.
Or, Marie veut dire une goutte d'eau de mer .
Ce doit être quelque chose de très beau ,c'est stilla
maris . Alors les copistes ou bien les poètes
ont modifié un petit peu et ils ont noté stella
maris, l'étoile de la mer. Marie, la mère
de Jésus, est devenue ainsi sous le nom stella
maris , elle est devenue ave maris
stella .
Vous connaissez cette hymne des vêpres de la Vierge. Saint
Bernard a construit là-dessus une magnifique homélie respire
stellam, voca mariam. Elle est devenue l'étoile
de la mer , mais en réalité, c'est 1a
goutte d'eau de mer .
Allons un peu plus loin, et nous voyons que cette Marie de Béthanie,
c'est tout à fait cela. Elle va laisser goutter sur les
pieds de Jésus, non pas de l'eau de mer, mais un parfum
d'un fameux prix de 300 pièces d'argent - ce qui à l'époque
devait représenter une fortune - et dans un vase d'albâtre
en plus. Ce n'était pas du plastique, c'était de
l'albâtre, ce qui est très rare aujourd'hui. Et
voici donc Marie qui commence à oindre les pieds de Jésus
et à les essuyer avec ses cheveux.
Mais pourquoi pas la tête de Jésus ? C'est tout
différent. Si elle avait verser son huile sur la tête
de Jésus, cela aurait eu une toute autre signification.
Verser de l'huile sur la tête de quelqu'un, c'est le geste
suprême de l'honneur. On veut l'honorer, on veut l'installer
vraiment sur un pavois. David est oint parmi ses frères
pour devenir leur roi. C'est reconnaître au Christ son
titre de Messie, son titre de Roi.
Mais non, elle ne veut pas l'honorer, ce sont ses pieds. Et
là, il faut comprendre aussi la façon d'agir de
ces sémites et de ces hébreux. On retrouve déjà très
loin dans l'Ancien Testament ce symbolisme de oindre les pieds
de quelqu'un avec de l'huile surtout.. Cela peut être aussi
avec de l'eau. C'est plus simple si on ne dispose pas d'huile.
Mais ici nous avons du parfum et on veut exprimer envers cette
personne le sommet de l'amour passionné mais charnel.
Ce n'est donc pas un amour spirituel. Ici, Marie aime Jésus
comme une jeune fille sait aimer le jeune homme de trente ans
qu'était Jésus. C'est donc cela que la scène
signifie : elle se donne à lui totalement. Donc, c'est
un amour total, c'est sa personne qu'elle lui consacre, ce n'est
pas de la spéculation.
Naturellement, c'est extrêmement spirituel, elle sait
très bien à qui elle a à faire. Lorsque
je dis charnel, c'est dans le sens pur du terme, le sens beau
du terme. Ce n'est pas dans le sens dévalué qu'on
connaît aujourd'hui. Ce n'est pas dans ce sens-là,
loin de là. Cela veut dire que c'est dans tout son être,
elle ne se réserve rien, c'est le don de soi total.
Et nous trouvons alors, à ce moment-là, dans son
geste, un peu le geste que nous allons découvrir chez
le moine. On pourrait presque dire que Marie de Béthanie
est ainsi la première moniale. D'ailleurs c'est ainsi
que la Tradition l'a compris.
La Tradition a fait de Marie, des trois Marie, elle en a fait
une. Elle a identifié cette Marie de Béthanie avec
Marie-Madeleine. Et soi-disant, les juifs l'ont embarqué sur
un radeau. Et ce radeau les a conduits quelque part dans le sud
de la France, où Marie a débarqué et où elle
a vécu la vie érémitique à la Sainte-Baume,
un endroit dont on a parlé dans un livre de ce Père
Polonais qui a été aumônier là-bas à la
Sainte-Baume.
La Tradition monastique donc l'a vue comme la première
moniale, et ce n'est pas sans raison. Ce geste est le signe de
la donation, de l'amour total. Donc, elle ne veut plus être
que pour le Christ, comme un vrai moine doit l'être. L'amour,
dans le chef d'un moine, ce n'est pas quelque chose de cérébral,
c'est l'être entier qui doit être donné au
Christ. On ne peut rien se réserver.
Vous voyez là, alors, ce qu'est le vœu de chasteté pour
un moine. Ce n'est pas un voeu de continence, mais c'est la luminosité de
l'amour total pour quelqu'un. C'est tout mon être qui est
donné, ce sont toutes mes puissances affectives, intellectuelles.
Tout est donné à la personne du Christ. Voilà ce
que nous allons retrouver dans ce geste de laver les pieds.
Maintenant, il serait possible de pousser les choses plus loin
car nous trouvons déjà cela dans l'Ancien Testament à propos
de ce geste de laver les pieds. Mais nous n'avons guère
le temps aujourd'hui. Cela devrait faire le contenu de toute
une conférence d'exégèse biblique.
Mais je peux tout de même dire ceci : cet amour que Marie
témoigne pour Jésus va retrouver un peu ce qui
est dit dans le Cantique des cantiques. N'oublions pas que le
Cantique des cantiques, dans la liturgie juive, est le chant
de la Pâque. Et il est y dit entre autre : Ton
nom est une huile répandue, et l'amour est plus fort que
la mort. Les puissances infernales ne peuvent rien contre lui,
les eaux des enfers ne peuvent pas le submerger.
Une petite goutte d'amour (Marie)
est plus forte que tout l'univers. Alors,
par le geste que pose Marie qui prouve vraiment son amour devant
toute la salle - Et le Christ dit : cela sera répété jusqu'à la
fin du monde, donc à la face du monde - alors, ce geste
de Marie arme Jésus pour la lutte et la victoire contre
la mort.
Car le geste de laver les pieds a aussi cette signification-là,
celle d'armer quelqu'un pour le combat qu'il devra entreprendre.
Et ici, c'est le Christ qui, par cet amour qui est en lui et
qui de lui déborde sur une simple créature permet à cette
créature alors de manifester cet amour par le geste de
laver les pieds avec un parfum et de les essuyer avec ses cheveux.
Et alors, à partir de ce moment-là, le Christ
signifie déjà qu'il va engager une lutte contre
la mort et qu'il en sera vainqueur. Elle conserve
ce parfum pour ma sépulture. Il y a déjà là une
allusion à sa mort, mais sa mort est déjà dépassée
parce que cette mort, en réalité, est le sommet
de sa victoire contre toutes les formes de mort. Cela est déjà signifié dans
le geste du parfum répandu sur les pieds. Jésus
est ainsi armé pour un combat et, il est armé pour
un combat qui sera une passion, et qui sera victorieuse.
Et maintenant, cela nous permet de comprendre encore un autre
geste, cette fois-ci posé par le Christ. Le jour du Jeudi-Saint,
le Christ va laver les pieds de ses disciples avec de l'eau.
Eh bien, il va poser pour ses disciples exactement le même
geste que Marie vis-à-vis de lui.
Nous l'interprétons le plus souvent comme un geste d'humilité.
Et c'est vrai, c'est cela aussi. Mais c'est une humilité qui
est expression de l'amour. Le Christ alors se donne totalement à ses
disciples.
Donc, par amour pour eux, il va se laisser répandre comme
de l'eau ; il va totalement disparaître. Mais en même
temps, il va les investir pour le même combat que lui,
qui sera aussi un combat contre les puissances de mort qui peuvent être
seulement vaincue par un amour total.
Voilà donc un peu le sens de cette scène. Je pense
que nous devons le conserver à l'esprit pendant les jours
qui vont venir, car il est un peu comme une clef qui permet de
comprendre certains épisodes qui, tirés de leur
contexte, peuvent paraître un peu folkloriques.
Et lorsque l'Abbé, le jour du Jeudi-Saint, va aussi laver
les pieds de ses frères, il va aussi poser le même
geste. Donc cela veut dire que toute sa personne doit être
expression d'amour pour ses frères. Si ce n'est pas cela,
il ne refait pas le geste du Christ.
Mais en même temps, les frères sont armés
de façon à pouvoir eux aussi s'aimer les uns les
autres ; et ainsi, grâce à cette force de l'amour,
vaincre toutes les puissance de mort qui peuvent être en
eux et chez les autres.
Voilà ce que je pouvais dire aujourd'hui. Et ainsi, nous
verrons demain peut-être encore un autre aspect de ce rôle
de Judas. Nous comprenons un peu mieux maintenant quel a été le
drame de cet homme quand nous voyons à côté la
tragédie de cette Marie dans le contexte maintenant de
toute l'Histoire du Salut. Judas avait son rôle, Marie
avait le sien.
Maintenant, lequel sera la nôtre ? lequel sera le mien
? Il y a en moi du Judas et il y a aussi de la Marie. Et nous
devons espérer que finalement, ce qui l'emportera en nous,
ce sera les forces de l'Amour.
MARDI-SAINT.
Introduction à la célébration
Aujourd'hui, l'Evangile nous parle encore de la trahison de
Judas. Judas avait d'abord trahi dans son coeur. Le Christ le
savait et il ne s'est pas dérobé ; il a voulu aimer
jusqu'au bout, au-delà même de toute extrémité.
C'est de notre coeur que sortent toutes sortes de mal, mais c'est
de notre coeur aussi que sortent toutes espèces de biens.
En ce moment, mes frères, où nous allons revivre
la passion et la résurrection du Seigneur, descendons
en notre coeur et laissons-y subsister uniquement des pensées
et des sentiments inspirés par l'amour.
Introduction à la
prière des fidèles.
Mes frères, la gloire du Christ, nous l'avons entendue,
c'est d'avoir aimé au-delà de toutes les limites,
là où il nous est impossible de le suivre, du moins
maintenant. Au moment où nous présentons nos intentions
de ce jour, pensons un peu à tous les hommes dans le coeur
desquels le Christ, pour l'instant, revit sa passion et aussi
déjà sa résurrection.
CHAPITRE : Commentaire
de Jn 13, 21...38
Nous avons entendu la lecture évangélique d'aujourd'hui
où Jésus bouleversé dit : « Il
y a quelqu'un ici qui va me trahir. » Et
Pierre demande au disciple que Jésus aimait : « Demande
un peu de qui il s'agit. » Et Jésus
dit : « Voilà, c'est celui auquel
je vais donner la bouchée. »
J'ai déjà un peu parlé, il y a quelques
temps, de ce geste du Christ. Ce serait peut-être l'occasion
de l'approfondir un peu aujourd'hui et de voir alors, quelle
est la réaction de l'Apôtre Pierre.
La bouchée, trempée dans la sauce, était
présentée par le chef, le président du repas, à celui
des convives qu'il voulait particulièrement honorer. Il
voulait manifester devant tous que c'était pour celui-là qu'il
avait le plus d'estime, le plus d'amour. Alors, cette bouchée-là,
il l'a présentée à Judas. Il ne faut pas
oublier que quelques instants auparavant, Jésus avait
lavé les pieds de ses Apôtres, et en particulier
de Judas.
Nous avons vu hier ce que signifiait ce lavement des pieds.
Jésus s'est totalement donné, dans tout son être, à ses
hommes qui étaient là, qui constituaient le noyau
de son Eglise, et à Judas aussi. Or Jésus savait,
non pas nécessairement de prescience divine.
Nous ne devons pas imaginer qu'il y avait un plan bien tracé et
que, comme dans tout roman qui se tient, il faut quelque part
un traître. Eh bien, c'est Judas qui devait remplir le
rôle du traître avec toutes les conséquences.
Non, ce n'était pas cela ! Jésus, qui était
un homme extrêmement fin puisque il n'avait aucun défaut
au plan moral, il voyait et il sentait ce qu'il se passait dans
l'âme de cet homme qu'il avait aimé puisqu'il en
avait fait une des colonnes de son Eglise, un des Douze qu'il
avait le plus aimé, un de ceux en qui il avait le plus
de confiance.
Jésus voyait ce qui se passait, mais ce n'est pas pour
cela qu'il rompait les ponts comme il aurait pu le faire. Jésus
laisse aller les choses en essayant toujours de reprendre Judas.
Il lui a lavé les pieds, et maintenant, il lui donne la
bouchée. Que se passe-t-il à ce moment-là ?
A ce moment-là, Jésus va encore plus loin que
ce geste de lui laver les pieds. Vraiment, à ce moment,
il se donne à Judas, il s'incorpore à lui. Ce n'est
pas un geste comme celui qui deviendra le sacrifice eucharistique,
la communion. Il ne donne pas ici une bouchée transsubstanciée
en son être propre, mais c'est tout de même par ce
geste symbolique, le signe que Jésus se donne à lui.
Jésus entre en lui vraiment pour s'unir à lui
par l'intérieur. Il a dû se produire alors en lui
un choc terrible, car Judas devait être aussi un homme
très sensible. Son nom symbolique est là : il est louangeur .
Ce choc terrible de Judas doit être un peu à l'image
du bouleversement qui se trouvait chez Jésus.
Voyez un peu ces deux hommes face à face ! Il y aurait
là moyen, si on était un artiste, de nouer un drame
psychologique extraordinaire : le bouleversement de Jésus
et le choc produit en Judas. Ce bouleversement doit être
semblable au court-circuit formidable de deux électricité contraires
qui se rencontrent.
Voyez ce Jésus et Judas devant lui ! Judas prend la bouchée,
il ne se passe rien. Si satan entre en Judas après la
bouchée, Jésus est donc entré en lui. Et
puis voici satan qui le suit, et le coeur de Judas devient le
champ de bataille où s'affronte, et le Christ, et satan.
Et qui l'emporte ?
C'est satan qui l'emporte, le Christ le voit de suite. Il dit
alors à Judas : « Ecoute, ce que tu
as à faire, fais-le vite ! » Et
Judas part. Satan l'emporte déjà dans le coeur
de Judas comme il l'emportera quelques heures plus tard sur la
scène du monde. A ce moment-là, le drame de la
passion est déjà joué, il est déjà joué dans
son entier.
Le drame de la passion n'a plus maintenant qu'à se déployer.
Le Christ est déjà écrasé par satan
chez Judas. Maintenant cela va se traduire au niveau public, à notre
niveau à nous. Mais cela s'est déjà passé dans
le secret et il n'y en a que deux qui le savent : le Christ et
Judas. Mais que va-t-il se passer entre ces deux hommes ?
Ce n'est pas fini. C'est ici que Judas va récupérer
son nom primitif. Judas refuse toute solidarité avec le
Christ, il refuse. Maintenant, c'est fait, c'est définitif
: il part. Il y a encore cette toute petite note de l'évangéliste
qui montre vraiment que l'évangéliste a vécu
aussi un peu ce drame. Il dit : « Il faisait
nuit. »
Nous autres, nous dirons que c'est normal, c'était la
nuit de la Pâque. Non, n'oublions pas que la nuit de la
Pâque pour les juifs, c'était la nuit de la pleine
lune. Il ne fait pas tellement nuit dans ces pays-là à la
pleine lune, il devait faire clair. Et quand ils arrivent dans
le jardin pour arrêter Jésus, ils ne sont pas là dans
une obscurité telle qu'ils ne se voient pas.
L'évangéliste note qu' il faisait
nuit , pour signifier que la rupture est totale
maintenant entre Judas et Jésus. Mais Jésus,
lui, ne se désolidarise pas de Judas. Il va se solidariser
avec Judas par l'intérieur de Judas lui-même.
Cela veut dire ceci : à partir de l'instant où le
Christ a lavé les pieds de Judas et où il lui
a donné la bouchée et est entré en lui,
Jésus, lui, demeure fidèle.
Le nom de Dieu, un des noms de Dieu, peut-être celui qui
devrait nous toucher le plus, c'est qu'il est le fidèle .
Nous, nous pouvons le trahir autant que nous voulons, lui, il
reste le fidèle , il ne se désolidarise
pas. Et il va alors aller encore beaucoup plus loin. C'est que
il va réaliser ce qu'il est. Il est l'Amour.
Dieu est amour. Jésus est le fils de Dieu, il est lui-même
amour. Et cet amour, alors, va le porter à vivre le destin
de Judas qui pourtant lui est totalement étranger. Judas,
c'est l'inverse de l'amour. Jésus va vivre cela, il va
le vivre comme s'il était sien, au point de s'identifier à lui.
Lorsque saint Paul dit : « Il a été constitué péché pour
nous. », c'est cela que cette expression
signifie. Il s'est identifié à notre sort par
l'intérieur de nous-mêmes jusqu'à le
faire sien totalement. Lui qui n'a pas commis de péché,
il a été fait péché. C'est quelque
chose qui dépasse absolument tout ce qu'on peut imaginer?
Ce n'est pas encore comme le cas de ce franciscain, dans le
camps de concentration de Auschwitz, qui avait donné sa
vie pour un autre prisonnier. Il se substitue à l'autre,
il meurt à sa place. C'est un geste héroïque
extraordinaire. Mais ici, cela va beaucoup plus loin.
Par lui-même, par l'intérieur de lui-même,
Jésus se solidarise à ce péché. Il
partage le destin de la damnation de Judas. C'est cela que ça
veut dire clairement parlant. Il va donc l'accompagner jusqu'au
plus extrême de la situation dans laquelle Judas s'est
placé par le fait même qu'il s'est placé contre
le Christ, par le fait qu'il a choisi contre sa vocation, contre
son être, contre ce qu'il devait être, contre l'Amour.
Le Christ va le suivre jusque là.
Si bien qu'il s'est trouvé ceci que Judas a certainement
expérimenté, peut-être pas au moment même,
mais à un moment donné de sa vie, certainement
alors après sa mort. Et c'est que dans sa solitude de
damné, de condamné, Judas a retrouvé le
Christ ; il l'a suivi jusque là. Donc il fallait que le
Christ mourut.
Il faut bien comprendre ce qu'est la mort pour le Fils de Dieu.
Ce n'est pas encore exactement comme pour nous. Il est mort comme
Dieu, il est né comme Dieu. Jésus, tel qu'il est
là, c'est Dieu qui est venu au monde dans le sein de la
Vierge Marie, c'est Dieu qui est mort sur une croix, c'est Dieu
qui est ressuscité, c'est la personne du Verbe incarné dans
la personne de celui qui nous apparaît comme l'homme Jésus.
Nous avons donc Dieu qui meurt et qui du fait de sa mort, et
du fait qu'il s'est identifié au sort de Judas, descend
encore plus profondément que lui, là où Judas
lui-même en tant qu'homme ne sait pas accéder. C'est
ce que Saint Grégoire exprime dans son expression inferno
profundior . Il est plus profond que l'enfer lui-même.
Le Verbe de Dieu va plus profond que l'enfer et il le soulève.
Donc cela va jusque là.
Et ainsi finalement, dans cette mort qui est absolument l'impuissance
absolue de la mort, l'impuissance absolue de l'amour car, à ce
moment-là celui qui est mort ne sait plus rien faire ;
aussi longtemps qu'on est vivant, on peut encore tenter quelque
chose, mais dès qu'on est mort, on ne sait plus rien faire.
Mais quand cette mort est subie par amour, vous avez l'impuissance
absolue de l'amour qui descend plus bas que la haine et l'aversion,
qui la prend, et la transforme, et la sauve, et la récupère.
Voilà ce qu'il a fait pour le péché !
C'est donc là le plus profond du mystère de la
Rédemption, et c'est à cela que nous devons réfléchir
pendant cette période qui sépare la mort de Jésus
et sa résurrection. Il est dit dans le Credo : « il
est descendu aux enfers » . C'est cela
que cela signifie.
Nous devrions réfléchir à ce fait : l'impuissance
absolue dans laquelle se trouve alors le Verbe de Dieu incarné,
donc Dieu lui-même, c'est le moment où il sauve
tout parce que l'Amour est plus fort que la mort ; il descend
plus bas qu'elle et il peut alors la transfigurer. Ce n'est pas
facile à comprendre !
Je pense que pour bien le comprendre, nous devrions le vivre
nous-mêmes. C'est Nietzsche qui a dit : « Dieu
a aussi son enfer, et l'enfer de Dieu, c'est l'amour » .
Je pense qu'il a raison. Aimer, c'est infernal ! Nous, lorsque
nous aimons, nous attendons la réciprocité et cette
réciprocité encourage notre amour et le fait croître
encore.
Mais il se trouve de situations où il n'y a pas de réciprocité,
où il y a trahison de l'amour, où il y a refus
absolu de l'amour, où il y a tentative de destruction
de la personne qui aime et où il y a finalement destruction
de la personne. Et malgré tout cela, il faut aimer. C'est
cela que le Christ a subi, c'est cela l'enfer de l'amour plus
profond que l'enfer de la haine parce que à ce moment-là,
il l'évacue. C'est cela le drame de la Rédemption
!
Et le cachet qui montre qu'il en est bien ainsi, alors ce sera
la Résurrection. Mais la résurrection vient d'ailleurs,
c'est le Père qui ressuscite. Ce n'est pas Jésus
qui se ressuscite lui-même, c'est le Père dont il
a été séparé par le fait qu'il se
solidarisait avec les condamnés, les pécheurs.
C'est ce Père qui était séparé de
lui qui, à un moment donné, le ressuscite et le
ramène à la vie, mais à une vie qui maintenant
est autre, à une vie dans l'univers de l'amour total.
Et à ce moment-là, tous les hommes en lui remontent
avec lui.
Vous aurez cela dans les icônes, dans les littératures,
vous aurez cela partout. On voit Jésus qui prend Adam,
qui prend tous les hommes et qui les fait remonter hors de l'enfer
avec lui. Mais c'est le Père qui fait tout et, le seul
lien qui existait à ce moment-là entre le Père
et le Fils mort, c'était cet amour qui liait le Père
au Fils.
Lorsque le Christ dit sur la croix : « Mon
Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? »,
sachons bien que c'est réel. A ce moment-là,
Dieu l'a réellement abandonné, puisque le Christ
s'est réellement solidarisé au péché et
aux pécheurs. Il s'est solidarisé avec eux et
il s'est coupé de son Père. C'est un véritable
drame qui est ici à l'origine de tout. Le Christ lui-même
le dit.
Le drame de la Rédemption, au moment
où Judas prend la bouchée et où il sort,
ce drame est déjà joué et terminé en
noyau, en germe, in nucleo . Il est déjà termine
et c'est pourquoi le Christ peut enchaîné de suite
: « Maintenant le Fils de l'Homme a été glorifié ».
C'est déjà fait, il a déjà rempli
sa mission, mais dans une seule personne, avec Judas. Il lui
suffira maintenant de la conduire jusqu'au bout pour toute l'humanité.
Mais il ne dit pas : « Le Christ a été glorifié »,
il dit : « le Fils de l'Homme » Donc
cet homme, unique en son genre, qui est Dieu lui-même incarné est
glorifié parce que en lui tout l'univers est déjà récupéré,
est déjà sauvé. Mais dès cet instant,
il s'est passé en quelques minutes quelque chose que il
nous faut toute une vie pour le réaliser en nous.
Maintenant, vous avez la réaction de Pierre. Jésus
dit : « Maintenant je m'en vais, et où je
vais vous ne pouvez pas me suivre maintenant ».
Et Pierre dit : « Pourquoi pas ? ».
Et Jésus de répondre : « Oui,
plus tard, mais pas maintenant ». Et devant
son insistance, Jésus lui dit : « Tais-toi,
tu parles comme un gamin. »
Pierre ne saurait pas encore le suivre maintenant parce que
ce n'est pas encore tout à fait accompli. C'est fait,
mais en noyau. Il faut maintenant que ce noyau se déploie.
Et lorsque ce sera accompli, les autres le suivront. Ces autres
dont il a lavé les pieds, il devra maintenant les faire
entrer dans sa mission.
Car il s'est donné à eux, mais il les a aussi
investi de sa mission par le même geste. Cette mission
va devoir commencer, et alors, ils le suivront. Ils le suivront
réellement lorsque, plus tard, ils auront reçu
le don de l'Esprit qui va soudainement leur ouvrir les yeux.
Ils vont découvrir qui était Jésus et ce
que réellement il attend d'eux. Alors Pierre comprendra
que ce que Jésus lui demandait, c'était que lui
aussi, et puis les autres Apôtres, et puis tous ceux qui
se grouperont autour d'eux, tous ceux qui constitueront l'Eglise
de Dieu, que tous devront, comme le Christ l'avait fait, aimer
jusqu'à donner leur vie pour tous. Pas pour tous dans
l'abstrait, mais ce sera parfois comme pour Judas, donner leur
vie pour une seule personne, et dans cette personne alors les
atteindre toutes.
C'est ce que Dieu attend de quelqu'un lorsqu'il l'appelle à la
vie monastique. Cette vie monastique, c'est donc le passage d'un état
d'inconscience chez l'homme - état animal, diront les
Pères, état psychique, dira Saint Paul - un état
d'inconscience qui fait qu'on ne vit que pour soi, qu'on ne pense
qu'à soi.
Cet état d'inconscience, on doit en sortir pour pouvoir
entrer dans l'autre, vivre le destin de l'autre, c'est à dire
l'aimer, devenir semblable à l'autre et pousser l'amour
alors jusqu'à ne plus vivre pour soi mais pour celui qui
est aimé.
Et celui qui le premier est aimé, c'est cette personne
du Christ dans lequel on entre. Mais c'est plutôt l'inverse,
lui entre en nous de façon à pouvoir revivre par
notre intermédiaire tout ce mystère - que j'ai
essayé d'élucider un tout petit peu, mais extrêmement
mal - le mystère de cette Rédemption.
Oui, le mystère de cette Rédemption qui s'est
déjà nouée au moment où Jésus,
dans ce repas, donne la bouchée à Judas en lui
disant : « Ecoute maintenant, ce que tu as à faire,
fais-le, mais je te reste solidaire. Et à cause de cela,
maintenant, le Fils de l'Homme que je suis, va être glorifié ».
MERCREDI-SAINT.
Introduction à la célébration.
Mes frères,
Nous voici arrivés à la moitié de la semaine
sainte. Nous allons entendre que c'est aujourd'hui que se noue
définitivement le drame de la Passion. Judas va vendre
le Christ et, en Judas, c'est nous qui le vendons. Ne perdons
jamais cela de vue. Chaque fois que nous commettons une faute
contre l'amour, nous vendons notre frère, et dans notre
frère, c'est le Christ que nous vendons, et toujours pour
quelque chose qui peut se monnayer;
Mais, comme je me suis efforcé de l'expliquer hier soir,
le Christ, qui est Dieu incarné, descend avec nous jusqu'au
coeur de notre faute. Il descend même plus bas qu'elle
de façon à pouvoir nous prendre, nous saisir et
nous faire sortir du trou dans lequel nous sommes tombés.
C'est cela tout le mystère de notre Pâque, de ce
passage en lui ! Et grâce à lui, ce passage d'un état
de mort dans lequel nous nous sommes plongés vers une
vie dont nous ne soupçonnons pas maintenant toute la beauté.
Introduction à la
prière des fidèles.
Mes frères,
L'humanité, qui est le corps du Christ en voie de croissance,
passe sans arrêt d'un état qui la fait tomber dans
la mort à un autre état qui la fait grandir vers
la vie.
Prions, si vous le voulez bien, pour tous les hommes, pour ceux
qui en ces jours-ci vont fêter la Pâque, et aussi
pour ceux qui ne la fêteront pas, soit par ignorance, soit
par négligence.
CHAPITRE : Commentaire
de Jn 26, 14-25
Mes frères,
S'il fallait épuiser tout le destin de l'Apôtre
Judas, il nous faudrait y consacrer beaucoup plus que trois soirées.
On est donc obligé d'opérer un tri, c'est à dire
de se limiter. Aujourd'hui, si vous le voulez bien, nous allons
essayer de découvrir quel était le défaut
de Judas.
A première vue, on dirait que c'est l'avarice. C'est
un peu simple, me semble-t-il. L'avarice, c'est une passion que
les premiers moines ont très bien étudié.
C'est donc un dérèglement d'une tendance qui en
soi est bonne.
La tendance bonne, c'est que je dois me procurer ce qui me permet
de subsister : la nourriture, le vêtement, le logement,
etc. Si j'exagère par un besoin de sécurité,
alors je glisserai vers l'avarice. Par contre, si je ne prends
pas les choses trop au sérieux, si je me néglige,
je tomberai dans le vice de la prodigalité. Je vais mettre
ma propre existence et celle des autres en danger. Il y avait
quelque chose de plus profond chez Judas, me semble-t-il, et
nous allons y arriver.
D'abord, nous voyons Judas qui vend Jésus, tout bonnement.
Voici Jésus qui devient l'objet d'un trafic, d'un marchandage.
Il est pesé, il est évalué, il est jaugé,
il est jugé. Finalement on tombe d'accord, ce sera pour
trente pièces. Aujourd'hui, on comprendrait mieux si on
disait que ce sera pour trente billets.
Remarquez en passant ce chiffre trente ! C'est exactement le
dixième, les dix pour cent, la dîme des trois cent
billets auxquels le parfum de Marie de Béthanie avait été estimé par
Judas. Voici qu'il reçoit la dîme de ces trois cent
pièces, il en reçoit trente. Marie avait donné toute
sa vie en répandant ce parfum sur les pieds de Jésus.
Eh bien Judas, lui, il va vendre Jésus pour la dîme.
On pourrait à partir de là peut-être établir
une hypothèse - mais je ne suis pas un Père de
l'Eglise - en partant de cette dîme de supposer que Judas était
peut-être un lévite ou un prêtre de la tribu
de Lévi. Il avait le droit de prélever la dîme
sur les offrandes, il avait donc le droit de prélever
la dîme sur l'offrande de Marie. Il récupérait
donc tout de même quelque chose en vendant Jésus.
Voici donc Jésus vendu par Judas. Oui, mais comment cela
a-t-il été possible? Cela a été possible
dès le jour où Judas a vu dans Jésus un
objet dont on pouvait tirer quelque chose, dès l'instant
où le regard qu'il a posé sur lui n'était
plus un regard d'admiration, ni de respect, ni d'amour.
C'était un regard inquisiteur et critique qui a commencé à fouiller
Jésus, qui a essayé de percer les motivations de
Jésus, qui a commencé à juger les paroles
de Jésus, à trancher dans le vif de l'être
de Jésus. A ce moment-là, l'amour commençait à fondre
chez Judas et finalement, il disparaissait. Judas traitait Jésus
comme un objet, il ne le regardait plus comme auparavant.
Ici, nous pouvons nous demander si, de ce côté-là,
nous ne sommes pas un peu les cousins de Judas. Dès l'instant
où je porte un regard inquisiteur et critique, je juge
la personne de mon frère sur cet endroit de mon frère
qui lui est strictement original. A ce moment-là, je l'objective,
je le traite comme un objet, et je le vends. Je le vends à qui
? Je le vends à moi-même d'abord, j'en fais une
proie. Et puis, cela peut très bien aller plus loin, je
le vends aux autres disant quel est le prix que moi je lui accorde.
Vous allez penser que je caricature un peu ? C'est vrai, je
caricature pour mieux faire ressortir l'odieux de nos attitudes.
Nous ne devons pas avoir peur de regarder la réalité en
face. Lorsque nous succombons à ce piège, parce
que c'est vraiment un piège, à ce moment-là,
nous sommes en dehors de la vérité, nous sommes
en dehors de la charité et, nous nous retrouvons les cousins,
pour ne pas dire les frères de Judas. C'est exactement
le contraire de l'amour.
l'Amour, lui ne regarde jamais, au grand jamais, l'autre comme
un objet. Au contraire, il le regarde toujours comme Dieu lui-même
le regarde. Dieu, lui, ne s'arrête pas aux apparences.
Il y a à notre épiderme une quantité de
choses qui sont répréhensibles. On ne peut pas
dire que c'est bien lorsque c'est mal. Mais Dieu, lui, va infiniment
plus loin.
Dieu va à cet endroit où nous sommes promus et
promis à la vie éternelle. Il nous voit déjà dans
notre être d'éternité, il nous voit déjà tel
qu'il nous veut. Et ce regard d'amour qu'il porte au plus profond
de notre être, là où nous sommes entrain
de naître à sa propre vie, c'est ce regard d'amour
qui fait que sa vie se développe en nous. Si, ne fut-ce
qu'un instant, Dieu cessait de porter sur notre être ce
regard d'amour, nous serions perdu.
Et ce qu'il attend de nous, c'est que nous aussi nous portions
sur notre frère ce regard d'amour, un regard qui le voit à cet
endroit où Dieu est entrain de le faire naître à la
vie divine. Le reste, c'est vrai aussi ; on ne peut pas applaudir
quand c'est mal. Mais c'est la mousse, c'est l'écume qui
est destinée à être écumée, à être
enlevée et à disparaître.
L'Amour est donc intersubjectivité pure. Il transcende
tout ce qui se perçoit et il ne juge pas. Au contraire,
son jugement est toujours favorable parce que, dans les profondeurs,
il atteint l'homme là où Dieu est entrain de le
faire devenir fils de Dieu. Le reste, il juge l'action, mais
il ne juge pas l'homme.
C'est ce que Judas n'a pas fait, sinon il aurait certainement
perçu dans les profondeurs qui était cet homme
qu'il avait devant lui. Il ne devait pas nécessairement
dire « c'est le Fils de Dieu ! »,
mais dire « C'est quelqu'un à qui
je puis donner ma foi et mon amour ».
Judas n'a pas pu le faire, ou à un moment donné,
il ne l'a plus fait.
Alors, l'amour est aussi le contraire de l'attitude de Judas.
L'Amour est gratuité totale. L'Amour ne se paie pas, l'amour
ne se paie que par l'amour. Il ne veut absolument rien d'autre
que lui, il se nourrit de lui-même.
Je n'aime pas quelqu'un pour le profit que je vais en retirer.
Mais dès l'instant où je l'aime pour un profit, à ce
moment-là, je l'ai évalué et objectivé.
Il devient pour moi comme une outre dont je vais retirer de l'eau
ou une barrique dont je vais tirer du vin. J'aime parce qu'il
me rapporte.
Non, l'amour est gratuit, il ne me rapporte rien ; si il me
rapporte, au lieu de l'amour, il me rapporte du mépris.
Mais j'aime quand même, je vais au-delà de l'homme
qui me méprise pour entrer à l'intérieur
de l'homme qui est appelé à aimer. N'oublions pas
que le regard que nous posons sur notre frère le métamorphose,
même si cela n'apparaît pas tout de suite. Un jour
cela apparaîtra quand nous serons tous ensemble dans la
lumière.
Mais cette gratuité totale de l'amour, ce n'est pas quelque
chose de naturel, il faut bien le dire. Ici, nous ne pouvons
aimer de cette façon que si l'amour de Dieu nous travaille.
L'Amour vient de Dieu, il est ex Do , ce n'est
pas de l'ordre de la nature. D'ailleurs, il y a un saint qui
a dit - je pense que c'est Saint Jean de la Croix - « Le
plus petit mouvement d'amour a infiniment plus de valeur que
tout l'univers entier ». Pourquoi ?
Parce que c'est d'un autre ordre, c'est de l'ordre divin ; et
le reste est d'ordre naturel. Il faut sacrifier tout pour ce
plus petit mouvement d'amour et la plus petite étincelle
d'amour qui se trouve chez quelqu'un. Cela est suffisant !
C'est ce que Judas n'a pas fait. Judas, lui, a trafiqué de
Jésus et il s'est placé alors en dehors de l'ordre
de l'amour. Mais pourquoi ? Comment en est-il arrivé là ?
Ici, je pense que nous pouvons trouver la réponse dans
ce que le prophète Isaïe nous a dit ce matin, la
réponse par le contraire.
Judas était certainement au départ un homme exceptionnel,
un homme brillant. Il était un disciple de la toute première
heure ; un disciple fidèle, il n'avait pas lâché Jésus
; un disciple exceptionnel puisque il avait été choisi
comme apôtre. Donc, c'était un homme de confiance,
un sur lequel devait être construite toute l'Eglise pour
l'éternité.
Jésus l'a dit : « Je vous ai choisis
et je sais qui j'ai choisi, et parmi vous il y a un démon ».
Donc quelqu'un qui était en train de devenir démoniaque.
Ce démon, c'était Judas ! Mais pourquoi ?
Cela ne peut être que pour une raison, me semble-t-il.
Il devait être exactement le contraire du prophète
: il n'avait pas une oreille de disciple. Cela veut dire que à un
moment donné Judas n'a plus écouté ce que
lui disait Jésus. Il y en a d'autres qui l'ont fait, mais
ils ont eu l'honnêteté de le dire et de partir. « C'est
trop difficile à entendre ce qu'il dit là » déclarent-ils
quand Jésus parle du pain de vie. « Nous
ne pouvons plus suivre cet homme ».
Jésus demande alors au groupe des Apôtres : « Et
vous, est-ce que vous allez partir aussi ? ». « Non » dit
Pierre, « Toi, tu as les paroles de
la vie éternelle ». C'est
cela l'oreille du disciple ! Quoi que tu dises, nous n'y comprenons
rien. Mais voilà, nous te faisons confiance et nous
croyons. Et c'est ça qui, à un moment donné,
s'est lâché chez Judas, insensiblement ou brutalement.
Alors, Judas a commencé à choisir parmi les paroles
de Jésus. Celles qui lui conviennent, il les prend ; celles
qui ne lui conviennent pas, il les rejette. Alors s'édifie
en lui un petit univers dans lequel il se complaît, mais
univers qui se construit à côté de l'univers
de Jésus et de ses disciples. Le voici en marge. Alors, étant
en marge, il se produit ce phénomène que nous prenons
probablement à la légère mais qui, chez
Saint Benoît, est extrêmement grave : c'est l'excommunication.
Pour Saint Benoît, excommunier quelqu'un, c'est le mettre
en marge de la communauté. C'est le châtiment suprême
avant l'expulsion. Mais nous, on dirait : « Tant mieux,
je serai au moins tranquille maintenant, quand je suis dehors,
je n'écoute plus ». Judas s'était excommunié parce
que il n'avait plus son oreille de disciple.
Les autres Apôtres ne valaient certainement pas mieux
que lui ; ils valaient peut-être moins que lui ? Ils ne
sont pas toujours d'accord avec Jésus. Jésus doit
parfois dire à Pierre : « Fiche-moi
la paix, tu es un démon, tu es un satan pour moi ».
Il a dit cela à Pierre, mais cela ne fait rien. Pierre
a eu son franc parlé, il a dit ce qu'il pensait, mais
il écoute quand même. Pierre ne comprend pas, mais
il écoute, il fait confiance.
Ce monde des Apôtres était un monde exactement
comme le monde des hommes. Mais ils avaient cette qualité,
excepté Judas, qu'ils savaient faire confiance. Ils gardaient
cette confiance et ils l'entretenaient.
A l'extrême maintenant, pour ne plus écouter, on
ne veut plus entendre. Et ne voulant plus entendre, on veut se
débarrasser de celui qui parle. Et le moyen de se débarrasser,
c'est de détruire et de tuer. Le fait de ne plus écouter
finalement aboutit au meurtre.
Vous aurez cela aussi dans la vie de Saint Benoît. Le
disciple, à un moment donné, met du poison dans
sa boisson. Saint Benoît prononce la bénédiction
sur la boisson. Et Saint Grégoire dit : « Le
vase qui contenait la mort n'a pas pu supporter la parole de
vie et il s'est brisé ».
Saint Benoît comprend qu'on a voulu l'empoisonner et il
dit : « Maintenant, je m'en vais. Je
vais vous laisser entre vous. Vous êtes débarrassés
de moi sans m'avoir tué ». Ne
plus écouter normalement aboutit au meurtre. C'est ce
qui est arrivé, me semble-t-il, pour Judas. Il a été jusque
là !
Les autres Apôtres, c'est exactement l'inverse. Eux, ils écoutent
et, écoutant, ils se laissent faire. Ils croient, ils
espèrent, ils suivent. Et en suivant, ils réalisent
la Pâque. Ils passent à travers toutes les obscurités
et, malgré leurs lâchetés parce que à un
moment donné ils vont laisser tomber Jésus, malgré cela,
malgré leurs lâchetés, ils croient encore.
Ils se retrouvent entre eux, et ils aboutissent dans l'univers
de la résurrection, ils le voient ressuscité et,
plus tard, ils recevront son Esprit.
C'est ce que Judas n'a pas pu faire et je pense que c'est un
avertissement pour nous. Pour moi d'abord, pour moi le tout premier
parce que la position que j'occupe exige que je sois le premier écoutant.
Si je ne suis pas à l'écoute de ce que dit l'Esprit,
soit directement dans la prière, soit par l'intermédiaire
de la communauté, soit par l'intermédiaire de l'un
ou l'autre frère qui peut me faire une remarque, si je
ne suis pas humblement à l'écoute, alors je me
coupe insensiblement. Je ne sais pas où je vais, mais
je sais très bien où est arrivé Judas et
je ne veux pas aller là-bas. Et ce qui est vrai pour moi
est aussi vrai pour chacun d'entre nous.
Mes frères, il est temps d'arrêter. Gardons toujours
très fort notre foi, notre espérance et notre amour
en celui qui nous a appelés, celui qui veut nous combler
et celui dont nous allons revivre avec force tout le drame, à partir
de demain surtout. Nous l'avons déjà perçu
depuis dimanche.
Demain, nous allons entrer à vif dedans. Essayons de
saisir par l'intérieur tout ce que le Christ a vécu
pour que nous ne l'oublions jamais ; il le revit encore maintenant
en chacun d'entre nous. Et s'il veut nous faire passer par une
mort semblable à la sienne - mort mystique naturellement
- il veut aussi nous faire participer à une résurrection
semblable à la sienne ; d'abord une résurrection
d'ordre mystique en nous faisant prendre conscience en nous de
sa propre vie divine, puis alors à une véritable
résurrection de la chair qui, elle, sera pour l'heure
que lui voudra.
JEUDI-SAINT.
Introduction à la célébration.
Mes frères,
Nous voici arrivés au seuil du drame pascal proprement
dit. Nous en avons suivi les prodromes jour après jour
depuis dimanche, nous en avons même reconnu les traces
dans le contexte de notre existence personnelle.
La vie du chrétien, celle du moine surtout, est un exode
continuel à travers une succession de morts à soi-même,
un exode vers ce Royaume dont l'unique loi est l'amour.
Préparons-nous à vivre l'événement
d'aujourd'hui avec la foi et l'espérance d'hommes pécheurs
certes, mais des pécheurs qui se savent engagés à la
suite du Christ sur une route qui conduit à la résurrection.
Homélie.
Mes frères,
Nous ne sommes pas les premiers à nous engager à la
suite du Christ dans cette traversée qui va nous conduire
d'une région à une autre. Cette traversée
doit nous conduire de l'étroitesse et de l'angoisse d'une
condition déprimante - celle des pécheurs -, des
milles entraves des passions et des vices vers la souplesse merveilleuse
de l'amour.
Non, nous ne sommes pas les premiers ; nous nous joignons à une
caravane qui a pris le départ - nous venons de l'entendre
- un certain soir, il y a bien longtemps, au pays d'Egypte. Et
déjà le Christ était là, Rocher mystérieux,
qui tirait de sa substance un breuvage de vie dont les flots
nous baignent encore aujourd'hui.
Non seulement ils nous baignent, mais ils nous portent. En eux,
nous touchons le terme de notre voyage et, déjà,
nos yeux peuvent contempler ce qui n'est pas monté au
coeur de l'homme.
Non, il n'est jamais monté au coeur de l'homme que un
Dieu, que le corps et le sang d'un Dieu s'assimilerait tellement à notre être
qu'il deviendrait le sang de notre sang et la chair de notre
chair. Oui, c'est jusque là que Dieu devient homme ! Et
ce n'est pas une façon allégorique de parler, c'est
la réalité.
L'issue heureuse de notre marche, c'est la claire conscience
de cette assimilation du Christ à notre être, la
claire conscience de notre totale métamorphose en lui.
La mort que nous portons en nous, qui un jour paraîtra
triompher de notre organisme de chair, cette mort, en réalité,
est engloutie déjà dans la vie qu'il est, Lui,
et cela pour jamais. Un jour, cela transparaîtra. Certains
ont déjà ce privilège de la sentir bouillonner
en eux et, déjà d'une certaine façon, de
l'expérimenter et de la voir. C'est cela qui doit normalement être
l'issue heureuse de cette longue marche.
Mais en attendant, il faut continuer à marcher, il faut
continuer à placer ses pas sur les traces du Christ. Cela
signifie que nous devons en arriver à aimer comme lui
a aimé, au-delà de toute extrémité.
Il nous en a prévenu, et il nous prévient toujours
d'ailleurs.
C'est un sentier resserré, c'est une porte étroite,
tellement étroite que pour la franchir, il faut littéralement
se vider de soi-même et laisser l'autre, laisser le frère
s'incarner en nous avec sa misère, avec sa déchéance,
tel qu'il est avec son péché. Et encore après
cela, mourir à sa place. C'est ce qu'a fait Jésus
! Ainsi doit faire l'Abbé, ainsi dois-je faire, moi, pour
chacun d'entre vous si je suis réellement parmi vous celui
qu'il m'appartient d'être, le Christ.
Pour vous montrer qu'il en est bien ainsi, et pour vous montrer
que ma route personnelle passe par un anéantissement de
cette sorte, je vais refaire pour vous le geste du Christ, je
vais vous laver les pieds. Et dans ce geste que je vais poser à la
suite du Christ, je vais me donner à vous corps et âme.
Mais en même temps, je vais vous armer dans ce combat
contre les puissances du mal, ce combat que nous sommes tenus
de mener depuis le jour où nous nous sommes engagés à la
suite du Christ, et depuis le jour surtout où nous nous
sommes donnés à lui dans la vie monastique.
Mais à travers ce geste que je vais poser, vous saurez
que votre route est parallèle à la mienne et que,
vous devez vous aussi, vous laver les pieds les uns des autres.
Vous ne devez plus vivre pour vous, vous devez vivre pour votre
frère, lui laissant si possible toute la place en vous.
C'est à cette condition, et c'est une condition indispensable,
que vous aurez part au Royaume, au Royaume du Christ et de son
Père, vers lequel s'acheminent ceux qui partout dans le
monde mènent avec nous l'âpre mais exaltant combat
de l'amour.
Introduction à la
prière des fidèles.
Mes frères,
Aujourd'hui, pour la première fois, le Christ a donné aux
hommes sa chair à manger et son sang à boire ;
et quelques instants auparavant, il s'était donné entièrement
déjà en lavant les pieds de ses disciples. Maintenant,
il vit réellement en eux. Prenons entre nos mains les
peines, les pleurs, les espoirs de l'humanité entière
et, présentons-les à ce Seigneur qui nous a aimés
au-delà de toute mesure.
VENDREDI-SAINT.
Homélie à la célébration.
Mes frères,
Que faut-il dire après avoir entendu le récit
d'une telle tragédie ? Le mieux serait de se taire, mais
il faut tout de même bien parler. Alors, si vous le voulez
bien, secouons-nous et prenons conscience de ceci :
Celui dont nous venons d'entendre le récit de la transpassion
est ici et nos yeux peuvent le voir s'ils sont suffisamment purs.
Il est ici parmi nous, débordant d'une vitalité qu'il
brûle de nous faire partager. Mais voilà, accepterons-nous
le cadeau qu'il nous destine ?
Pourquoi une telle question ? N'est-il pas naturel, instinctif,
d'accepter un cadeau de cette sorte : le cadeau de la vie, de
la vie perdurable, de la vie éternelle, de la vie divine.
Pourquoi donc une telle question ?
Mais parce que ce cadeau qu'il nous offre, il faut bien le dire,
est enrobé de ce que nous appelons, de ce que nous devons
appeler la mort. N'ayons pas peur de regarder la réalité en
face ; c'est le moment aujourd'hui.
Et le prophète va nous y aider, ce prophète qui
est sur notre route comme un phare qui projette une lumière.
Il va nous donner la force, et va nous remplir de paix, quoique
ce qu'il va nous dire ne soit pas facile à entendre.
Et que nous dit-il ? Il nous dit, il nous déclare clairement
ce que le Christ attend de nous. Et ce que le Christ attend de
nous, c'est que nous nous dépouillons de nous-mêmes
jusqu'à la mort et, que nous nous chargions des péchés
des autres.
Quand il s'agit de moines, mes frères, il n'y a pas d'autre
accès vers la vie véritable, ni pour nous-mêmes,
ni pour ceux qui nous sont mystérieusement reliés.
Naturellement, c'est tout autre chose que de courir une carrière
qui nous rapporterait avantage et honneur.
Le mirage est pourtant toujours là, insidieusement agissant,
le Christ lui-même l'a ressenti. Il en a ressenti la mystérieuse
attirance, mais il a préféré la mort de
la croix. Et il n'y a rien à faire, nous-mêmes,
nous sommes acculés à choisir. Et encore une fois,
ce n'est pas de toute facilité.
Non, chair et esprit se hérissent dans la perspective
de renoncements qui semblent bien dépasser la mesure de
nos faibles forces. Si je puis me permettre ce paradoxe, disons
plutôt de notre trop évidente lâcheté.
Au fond, comme je l'ai dit hier, nous devons laisser les autres
s'incarner en nous avec la bestiale virulence de leurs péchés.
Et une fois devenu eux, nous devons mourir à leur place
et peut-être même sous leurs coups. C'est là aimer
d'une manière divine, mais c'est là aussi le triomphe
absolu, définitif. C'est jusque là que le Christ
nous a aimés.
En vénérant la croix dans quelques instants, nous
allons marquer par un geste bien précis en baisant les
pieds du Crucifié, nous allons marquer notre désir
et notre volonté de suivre le Christ jusque dans une telle
mort.
C'est un devoir pour chacun de nous et en tout premier lieu
pour l'Abbé, ce qui veut dire en tout premier lieu pour
moi. Mais notre espérance, celle qui est au fond de nous,
celle qui nous permet de continuer à marcher car nous
savons où nous allons, notre espérance, c'est que
cette offrande de tout nous-mêmes, elle soit prise au sérieux,
elle soit prise à la lettre et que, du même coup,
nous basculions de façon irréversible du côté de
la vie.
Amen.
Exhortation à Complies.
Mes frères,
Le Verbe de Dieu, dans la personne du Fils, a voulu connaître
dans une chair d'homme les brûlantes blessures de la souffrance,
de toutes les souffrances physiques, morales et spirituelles.
Il les a expérimentées à la manière
de Dieu, à un degré infini.
Il y a là un mystère devant lequel notre raison
défaille, le mystère de l'amour : Dieu
a tant aimé le monde Jamais nous ne parviendrons à arriver
au terme de cette simple expression : Il a tant
aimé le monde . Et aujourd'hui, au stade
de notre liturgie, cet amour est réduit à l'absolue
impuissance de la mort.
C'est cela la Christ au tombeau ! Dans ce tombeau, il n'y a
plus rien qu'un cadavre et de l'amour. Mais cet amour porte un
nom, cet amour a un visage. Et Dieu qui est l'amour va réaliser
l'incroyable mystère de la résurrection : d'abord
le Christ, et demain, nous !
Mes frères, croyons à l'amour. En ces moments
où nous vivons la Pâque, et aussi tous les jours
de notre vie, croyons à l'amour. Lui seul ouvre les tombeaux
et lui seul est capable de vaincre la mort. Il est seul plus
fort que la mort.
Mes frères, croyons donc à l'amour ! Croyons-y
pour nous-mêmes et croyons-y aussi pour les autres. Et
nous-mêmes, dès maintenant, nous aussi, aimons !
VIGILE PASCALE.
Introduction aux lectures.
LECTURE I : Gen 1, 1-2, 2.
Nous allons d'abord nous rappeler nos plus lointaines origines.
L'homme est l'univers devenu conscient de lui-même, la
fleur patiemment cultivée dans laquelle Dieu aime le cosmos
entier. Nous sommes voulus, façonnés, portés
par la Parole de Dieu qui a poussé si loin l'amour qu'elle
est devenue semblable à nous en tout, sauf le péché,
afin que nous puissions de notre côté partager sa
condition divine.
LECTURE II : Gen 22, 1-13, 15-18.
Nous sentons, chez tous les hommes de Dieu, une force qui leur
permet de tenir tête sans faiblir - ce qui ne veut pas
dire sans angoisses - aux rudes épreuves que la vie, ou
bien Dieu lui-même, leur imposent. Ces hommes voyaient
l'invisible.
Dieu a choisi Abraham : il va l'acculer à la dernière
extrémité, mais il ne réussira pas à entamer
la foi de son ami. La puissance de cette foi l'emportera sur
la mort. Déjà, avec et en Abraham triomphait son
lointain descendant, le Christ Jésus. Et aujourd'hui,
notre tour est venu !
LECTURE III : Ex 14, 15-15, 1.
Et voici le sommet de l'Ancienne Alliance, sommet et rampe de
lancement : le passage de la Mer Rouge, cime de la Pâque.
Cette nuit-là, tout ce qui pourra jamais se dresser contre
Dieu ou s'opposer à lui a été vaincu à l'avance.
Et le dernier ennemi à être anéanti, ce sera
la mort.
Regardons toute l'Histoire humaine se condenser en cette nuit
fameuse, puis se redéployer à partir de cette autre
nuit qui a vu le Christ ressusciter dans la gloire de son Royaume.
LECTURE IV : Is 54, 5-14.
Dieu est amour. Il demeure inconsolable s'il nous voit souffrir.
Son amour aura le dernier mot contre les obstinations et les
méchancetés des hommes, ses enfants. S 'il
a partagé nos peines et nos morts, c'est pour nous introduire
comme par la main dans sa propre résidence et nous combler
de son propre bonheur.
Ecoutons-le s'engager vis-à-vis de nous et faisons-lui
confiance !
LECTURE V : Is 55, 1-11.
L'eau a englouti le Mauvais et elle fait surgir à une
vie nouvelle les amants de Dieu. Dorénavant, l'eau de
l'Esprit doit devenir notre unique breuvage. Nous pouvons alors être
assurés que les vouloirs de Dieu sur nous se réaliseront
pleinement.
Et la volonté de Dieu est de conduire à sa perfection
l'alliance d'amour qu'il a conclue avec chacun d'entre nous dans
les jours de son Incarnation, de sa Passion et de sa triomphale
résurrection.
LECTURE VI : Ba 3, 9-15.32-4, 4.
Notre gloire, c'est d'être marqué du sceau de l'Esprit
et de porter dans notre chair les germes de notre Résurrection.
Si nous sommes fidèles aux conseils que nous prodigue
la Sagesse divine, nous participons à la puissance de
Dieu, nous brisons l'empire de la mort et nous entrons en possession
de la paix promise par le Christ à ses amis.
LECTURE VII : Ez 36, 16...28.
Nous sommes créés pour le bonheur. Ce bonheur,
nous le cherchons partout, au plus facile. Et nous passons d'une
désillusion à l'autre, prisonniers de nos mirages.
Dieu ne peut supporter de nous voir vagabondant loin de lui
; il y va de son honneur. Il a pris sur lui nos misères
afin de nous rendre à notre véritable vocation
: vivre de son Esprit, vibrer au rythme de son coeur, marcher à son
pas, et entrer dans son univers dès cette vie et pour
toujours.
Homélie
de la Vigile Pascale.
Voici l'éclair, voici le feu, mes frères,
qui a lancé les fous de Dieu vers toutes les Galilée
du monde. Certains l'ont vu et certains le voient aujourd'hui,
Lui, le ressuscité, Lui, avec lequel on devient UN au
sein d'une lumière qui se laisse toucher, respirer, manger.
Oui, il faut être fou pour le croire, pour oser traverser
toutes souffrances, toutes les agonies, toutes les morts, pour
oser miser toute sa vie sur cette seule parole: « Ils
me verront ».
Chercher Dieu, mes frères, ce n'est pas de la littérature,
c'est un éveil lent, long, douloureux à un univers
qui n'est pas le nôtre. Mourir au péché,
c'est bel et bien mourir, pourquoi se le dissimuler ?
Mais bienheureuse mort qui nous arrache à la gangue, à la
geôle de notre égoïsme, et qui fait de nous
d'autres Christ livrés à leur tour pour le salut
de leurs frères. Oui, bienheureuse mort !
Le moine qui a part de son vivant à la Résurrection, à la
Résurrection du Christ qui travaille en lui, celui-là,
il devient dans l'invisible une inépuisable matrice de
vie. Il tient entre les mains le réel, il lui façonne
son vrai visage d'éternité, son vrai visage.
Cette nuit, mes frères, plus qu'en tout autre moment,
nous sommes plantés au coeur de l'éprouvante dialectique
du déjà-possédé et de l'encore-à-recevoir.
Nous sommes morts et ressuscités dans le Christ déjà,
mais cette réalité doit encore se matérialiser
dans le concret de notre quotidien.
L'eau dans laquelle nous allons être mystiquement replongés,
la chair et le sang que nous allons manger et boire, sont le
signe qui nous montre à suffisance que nous possédons
déjà tout ce qui nous sera donné et que
nous devons encore patiemment attendre.
Aussi longtemps que le Christ ne sera pas parfaitement ressuscité en
nous, notre nuit de Pâques, la nuit de notre Pâque
ne sera pas encore achevée. Nous vivons en état
de Pâque permanente. Et je me demande si, analogiquement
parlant, il n'en sera pas ainsi durant toute l'éternité.
O, il ne s'agira pas d'entrer dans des concepts de plus en plus
profonds au sujet de la divinité. Il ne s'agira pas de
cela, il s'agit de bien autre chose. Il s'agit de devenir un
cristal de plus en plus transparent, de plus en plus limpide,
un cristal reflétant, réfléchissant de clarté en
clarté la douce, captivante, apaisante lumière
d'un visage sur lequel s'allument deux flammes de feu.
Ce sont les yeux inexprimablement beaux de l'Agneau égorgé dès
avant l'origine du monde, cet Agneau que contemple le regard émerveillé de
celui qui a cru à la sainte et lourde Parole : « là-bas,
au-delà de tous les affrontements mortels, là-bas,
tu me verras ! » .
Mes frères, voici le mystère de cette nuit ! Ce
mystère, revêtons-le, drapons-nous en lui ! Mieux
encore, qu'il devienne notre peau et notre sang. C'est à lui
que nous sommes appelés, nous, et tous nos frères,
et toutes nos sœurs, de toutes les contrées, de tous les
temps.
Puissions-nous, en ce là-bas, être un jour réunis,
ressuscités en notre chair, fondus en un même amour
; et le voir, Lui, avec nos yeux, nos yeux transfigurés,
nos yeux nouveaux, le voir Lui le ressuscité, Jésus-Christ,
avec son Père, dans la béatifiante lumière
de l'Esprit, et cela pour les siècles des siècles.
Amen.
DIMANCHE DE
PAQUES.
Homélie : Profession des frères
C., P. et B.
Mes frères,
Vous venez de vous prosterner le front contre terre. Vous avez
demandé à Dieu de vous faire miséricorde,
et aux frères qui sont ici présents, de vous accueillir
dans leur communion. Vous vous êtes prosternés et,
vous ne vous jugez digne ni de l'une, ni de l'autre ; et en cela,
vous êtes dans la vérité.
Je vous invite instamment à construire votre vie, à l'enraciner
sur cette vérité, à entretenir en vous cette
conviction de votre indignité. Et si vous voulez devenir
des moines accomplis, laissez s'ouvrir, s'élargir en vous
une blessure qui ne vous donnera plus de répit, ni de
jour, ni de nuit.
Et j'ai en vue la blessure douce et terrible à la fois
du pentos , de ce deuil qui rend agréable à Dieu
et aux hommes, ce deuil qui force les portes de la miséricorde
et qui parvient à renouer et à resserrer les liens
de la communion.
Et si vous voulez entrer dans ce deuil, n'oubliez pas votre état,
votre état de pécheur. Vous devez faire, et vous
faites déjà, et vous ferez encore l'expérience
de votre péché, de la tendance innée en
vous de vous imposer aux autres et, de vous emparer d'une place
qui ne vous revient pas. C'est cela le péché dans
son exercice !
Mais n'ayez crainte, lorsque votre conscience d'être pécheur
sera ancrée en vous, lorsque elle sera devenue partie
constitutive de votre personne, à ce moment-là,
vous verrez se réaliser pour vous la promesse à laquelle
Saint Benoît vient encore de faire allusion :
Vous entrerez dans son Royaume, là où il vous
attend. Et il vous sera permis de parcourir en tous sens les
immensités de l'amour ; et votre joie alors, personne,
ni rien ne pourra vous la ravir, ni même l'entamer.
Vous avez compris que j'ai en vue l'escalier de l'humilité,
le rude escalier de l'humilité. Gravissez-le avec ténacité,
avec courage ; il est la mise en œuvre du mystère que
nous fêtons aujourd'hui : entrer dans une mort mystique
pour resurgir en nouveauté de vie.
Et cette surrection dans l'univers de Dieu deviendra votre part,
soyez-en sûrs, si vous demeurez fidèles à votre
intention d'aujourd'hui et, si vous entretenez sans cesse dans
votre coeur, ce sentiment d'humilité que vous venez d'exprimer
ici devant toute la communauté.
Le Christ, notre Seigneur, ne vous ménagera pas son aide,
soyez-en sûrs ! Ce que vous désirez, il le désire
infiniment plus, et infiniment mieux que vous. Et quant à mes
frères et à moi-même, nous vous promettons
tout le soutien dont nous sommes capables.
Dans ces conditions, êtes vous disposés à chercher
Dieu selon la Règle de Saint Benoît, en ce monastère
de S-R, dans la reconnaissance pour tout ce que vous y recevrez
?
CHAPITRE DE PAQUES.
Mes frères,
Je ne puis pas laisser s'achever cette réunion sans vous
souhaiter à tous une bonne et sainte fête de Pâques.
Je tiens aussi à remercier tous ceux qui ont spécialement
collaboré à ce que notre liturgie soit, je ne dirais
pas parfaite, mais profonde, expressive et vécue.
Et aussi ceux, c'est-à-dire tout le monde, tous nous
avons collaboré par notre présence, par notre prière,
par notre bonne volonté, par le don de nous-mêmes.
Et alors, je dois aussi vous remercier tous.
Et les vœux que je formule, je voudrais les ramasser en une
formule que vient de m'inspirer la lecture de la Règle.
Saint Benoît nous dit que le Christ nous montre le chemin
de la vie. Et le Christ nous a dit le Jeudi-Saint au soir lorsqu'il
a donné ses dernières instructions à ses
disciples : « C'est moi qui suis le chemin,
la vérité et la vie »
Et je voudrais vous suggérer ceci : Nous sommes incorporés
au Christ maintenant, nous sommes en train de ressusciter avec
lui ; notre résurrection n'est pas achevée naturellement
mais elle est en route. Alors, ne pourrions-nous pas être,
chacun de notre côté, pour nos frères, nous
aussi : chemin, vérité, et vie ?
Que lorsque nos frères nous regardent, qu'ils voient en
nous le chemin.
Qu'est-ce que cela veut dire ? Ce n'est pas seulement un exemple à imiter,
c'est beaucoup plus encore. Ils doivent sentir vraiment que ce
n'est pas une question de sentiment, mais de feeling, de perception
spirituelle et que, si je fais comme un tel et si lui fait comme
moi, il est en contact avec le Christ. Sans risque de se tromper,
il est sur le chemin qui va conduire
au Royaume.
Il faudrait aussi, mes frères, que lorsque on nous regarde,
on voit en nous ce qu'est la vérité .
Saint Benoît vient encore de nous le dire : il ne fait
pas qu'il y ait des ruses ou des fourberies, et des mensonges
dans notre vie. Dans une communauté monastique, la chose
peut-être la plus grave, c'est le mensonge : se mentir à soi-même
d'abord, et puis mentir aux autres ; mais aussi dans son comportement,
en étant à l'extérieur autrement qu'on est à l'intérieur.
Mes frères, cela ne veut pas dire que nous devons étaler
au grand jour nos défauts, nos passions et nos vices.
Non, ce n'est pas cela !
Mais c'est que la vérité du Christ transparaisse à travers
nos actes, à travers nos paroles, de façon à ce
que nos frères puissent vivre avec nous en sécurité,
afin qu'ils puissent s'appuyer sur nous sans crainte de voir
l'édifice s'ébranler, sans crainte de voir l'édifice
s'étaler et tomber.
Et aussi, mes frères, que nous puissions être les
uns pour les autres la vie . La vie,
ce n'est rien d'autre que l'amour. Dieu est la vie et il est
l'amour, et le Christ a donné sa vie pour nous tous par
amour. C'est quelque chose que nous devons faire. J'y ai insisté tout
au long de cette semaine pascale ; j'y insiste chaque fois que
j'en ai l'occasion, et en public, et en privé.
Mes frères, nous devons être des sources de vie
les uns pour les autres. Nous ne devons pas être des meurtriers,
des gens qui attentent à la vie, à la vie de leurs
frères par leurs paroles, par leurs actes, même
par leurs pensées. C'est un programme exigeant, excessif,
peut-être ? Non, il n'est pas excessif parce que le Christ
vit en nous, il ressuscite en nous, c'est son Esprit qui nous
anime, c'est son Esprit qui nous transforme.
Abandonnons-nous à cet Esprit, et ce qui nous paraît
difficile maintenant nous deviendra tout naturel. Comme Saint
Benoît nous le dit : « velut naturaliter »,
cela devient notre véritable nature, notre nature d'enfant
de Dieu. Et alors, notre communauté deviendra ce que le
Christ attend d'elle : une cellule vivante, une cellule pleine
de santé de son Corps.
Et cette santé, alors, va se diffuser à travers
le Corps entier. Et ce que Dieu attend de nous lorsque il nous
appelle au monastère se réalisera et il en sera
heureux. N'ayons pas crainte, n'ayons pas peur de rendre Dieu
heureux, c'est ce qu'il attend de nous. Nous pensons trop souvent à sa
gloire, à son honneur ; pensons aussi à son bonheur.
Ce sont mes souhaits de Pâques. Et si vous le voulez bien,
souhaitez-les moi aussi. Car s'il en est un qui doit montrer
la route, être le chemin,
la vérité et la vie, c'est bien
l'Abbé dans un monastère. Aussi, je me recommande à vos
prières et je vous promets le soutien des miennes.
Je me recommande surtout aux trois néophytes et je les
assure que, moi-même et tous nos frères ici, nous
les soutiendrons de notre mieux. Par notre exemple et par notre
prière, nous serons pour eux un chemin, la
vérité et la vie .