Homélie des rameaux.                           15.04.84

 

Mes frères,

 

            Qui est-il donc cet homme qui de son vivant ébranlait Jérusalem, qui a l'instant de sa mort a secoué la terre ? Les disciples répondaient : « C'est Jésus le prophète de Nazareth en Galilée. » Le centurion quant à lui, le centurion effrayé, sidéré s'écriait : « Mais celui-là, c'est le Fils de Dieu ! »

            Il y a un progression évidente entre ces deux reconnaissances. Mais que voulez-vous, on est toujours en retard d'un événement et les yeux s'ouvrent quand l'irréparable est accompli. « S'ils avaient su, nous est-il dit, jamais ils n'auraient crucifié le Seigneur de la gloire. »

 

            Oui, nous pouvons à peine comprendre comment ces hommes tellement dévoues à Dieu, tellement sincères dans leur foi, sont parvenus à cette étrange cruauté d'assassiner un innocent qui n'était autre que leur Messie !

            Oui, mes frères, prenons bien garde ! Car cet aveuglement sommeille au fond de chacun d'entre nous. Lorsque nous nous trouvons devant le frère et que ce frère nous le repoussons, nous imitons sans le savoir le geste des dirigeants d'Israël.

            Car, n'a-t-il pas dit, lui notre Seigneur : « Ce que vous aurez fait au moindre des miens, c'est à moi-même que vous le faites. » L'Homme-Jésus est donc Dieu.

 

            Mais alors, pourquoi ce drame ? Pourquoi cette opposition farouche ? Pourquoi cette mort horrible ? Mais oui, pourquoi ?

            Je situerais volontiers l'origine de cette tragédie dans la mauvaise conscience qui torturait Dieu, qui le rongeait, non pas comme un remords, mais comme un besoin. L'amour, dès qu'il se trouve en Dieu atteint un point de fusion tel qu'il fait éclater, qu'il anéantit toute saisie conceptuelle, toute approche raisonnable.

 

            Non, il ne nous est pas possible de concevoir ce qu'est l'amour, lorsque cet amour est Dieu lui-même.

            Cet amour, non seulement ne peut supporter la détresse de la personne aimée même si cette détresse est, je ne dirais pas volontaire, mais malgré tout si elle est la suite d'actes qui ont leur origine dans cet acte volontaire, même lorsque par une sorte de masochisme on préfère encore être malheureux.

            Cet amour ne peut supporter cette détresse lorsqu'elle se trouve dans la personne qu'on aime, mais il veut la partager. Il veut s'en vêtir comme d'un manteau. Il veut faire corps avec elle.

 

            Oui, mes frères, il en est bien ainsi. Et nous, à notre petit niveau, lorsque nous aimons, nous ne pouvons voir souffrir la personne, la personne dans laquelle nous avons mis notre affection.

            Et c'est encore bien plus fort lorsque le regard de notre foi nous fait découvrir dans l'aimé, la personne du Christ lui-même. Ce qui se passe en Dieu, un saint seul peut, pourrait l'évoquer. Car la conscience d'un saint, c'est la conscience de Dieu s'éveillant dans le coeur d'un homme.  

 

            Dieu ne peut plus demeurer impassible en face de sa créature rebelle, en face de sa créature qui se dresse contre lui. Il entre en elle. Il se soumet à elle. Il devient péché. Il se laisse engloutir par le péché.           

            Voilà tout le drame de Jésus, voilà en quelques mots tout ce qu'il s'est passé ! Mais paradoxalement cet amour fou fait voler en éclat, pulvérise tout ce qui lui est contraire et il sauve ce qui était perdu.

 

            Mes frères, Jésus expirant sur la croix, c'est la conscience déchirée de Dieu du haut en bas comme le voile du temple, dans un éclair d'amour qui nous éblouis, devant lequel nous ne pouvons plus rien dire, devant un amour qui nous éblouit, devant lequel nous ne pouvons plus rien dire, devant un amour qui nous accule au silence, à l'adoration et à la reconnaissance.

 

                                                                                                                      Amen.

 

 

Chapitre du Lundi-Saint.                        16.04.84

Marie de Béthanie.

 

Mes frères,

 

            Ce soir, nous allons une fois encore contempler avec respect et reconnaissance Marie de Béthanie oignant d'un parfum hors prix les pieds de Jésus. Cette femme portait dans son nom, inscrit dans son nom sa destinée qui, ce jour-là, au cours de ce dîner, a atteint un sommet dont jamais plus elle n'est descendue. Son nom, je le rappelle, signifie: Océan de parfum jaillissant sous le seuil de la maison de l’humilité. Qui ne voudrait pas porter un nom pareil ?          

 

            Et une livre de parfum, qu'est-ce que ça représente dans un océan de parfum ? En volume, ce n'est rien, mais en valeur, c'est déjà un infini de richesse et de beauté. Car il suffit d'une seule goutte de ce parfum pour enchaîner à jamais Dieu à quelqu'un. Saint Bernard le remarque lui-même et nous pouvons lui faire confiance. Il a découvert que ce parfum s'appelait l'humilité.

 

            Admirons donc les doigts de Marie qui caressent délicatement les pieds de Jésus pour les enduire de ce parfum, qui de ses cheveux essuie longuement ses pieds comme s'ils ne pouvaient s'en détacher.

            Dès cet instant, Marie est tout entière dans ses yeux et dans ses mains et cela pour toujours. Elle scelle son union sponsale avec le Christ. Elle meurt avec lui et lui ressuscite avec elle. La salle du banquet devient donc la salle de leurs noces.

 

            Et dans cette salle, ils ne sont plus que deux : lui et elle. La respiration de Marie est dans ses yeux et le rythme de son coeur est dans ses mains. A ce moment-là, lorsqu'elle pose ce geste, elle franchit le portail du monde à venir et jamais plus elle ne reviendra en arrière. Il ne lui était plus possible de revenir en arrière. Je veux dire que une fois que un homme, ou une femme, est entré dans ce monde de Dieu qui est le monde de demain, il n'en revient plus.

 

            Vous comprenez que pour y arriver, il faut avoir traversé un ravin où l'on rencontre toutes sortes de morts. Marie les a rencontrées. Comment les a-t-elle rencontrées ? L'histoire ne nous le dit pas. Elle a dû les rencontrer puisqu'elle a posé ce geste qui signifiait qu'elle était morte avec Jésus.

            Elle l'a rencontrée, nous en avons un indice ténu dans la mort de son frère Lazare. Lorsque son frère Lazare est mort, Marie est morte avec lui. Non pas parce que Lazare était son frère, mais parce que Jésus aimait Marie, Marthe et Lazare.

            Lorsqu'on est aimé par Jésus, fatalement on entre dans sa mort à lui. Et c'est un cadeau qu'il nous fait...c'est la plus grande grâce qu'il puisse faire à quelqu'un.  

 

            Car, dès qu'on est entré dans sa mort, on a tout de suite part à sa résurrection. Jésus est resté enfermé dans la mort pendant trois jours. Ce n'est pas trois fois 24 heures comme nous le comptons aujourd’hui, mais pendant trois jours à la mode des juifs de l’époque. C'est court mais c'est aussi une éternité de temps, une éternité de durée, parce que quand on est mort, mais c'est fini.

            Eh bien, celui ou celle que le Christ invite à partager cette mort que lui a connue, mais alors de façon mystique, celui-là ou celle-là ne reste pas longtemps dans la mort. Il reste symboliquement trois jours mais ça peut durer aussi 30 ans. Mais ça lui parait trois jours. Lorsque c'est fini, ça lui parait un instant.

            Et voilà, c'est le sort que le Christ Jésus qui est le Verbe de Dieu, réserve à la personne qu'il invite à devenir épouse de Lui comme ce fut le cas pour Marie.

 

            Maintenant ce n'est plus Marie qui respire, ce sont ses yeux. Les yeux de Marie respirent. Ils sont ouverts sur une vision de lumière et de nuit tout ensemble ; une vision qui les force à s'ouvrir et à s'élargir encore et toujours.

            Ils deviennent des fenêtres, des fenêtres par lesquelles se déverse la lumière, la propre lumière de Dieu qui est porteuse de la vie incorruptible. Et par ces fenêtres s'engouffre une brise qui devient un vent. C'est le souffle de l'Esprit qui, lui, est le messager de l'amour.

 

            Voici donc ces yeux qui vivent. Et vivant, respirant, ils donnent vie au corps entier. Et ces yeux, ils respirent cette vie éternelle, car c'est Dieu qu'ils voient. Et ces yeux voient. Ils murmurent. Ils parlent, ils chantent. Si bien que Marie est arrivée au-delà de la souffrance et de la joie.

            Si nous regardons le texte, il est très sobre. Il ne fait que décrire le geste. Il ne nous donne pas les sentiments de Marie ni ceux de Jésus. Pourquoi ? Parce que c'est impossible ! Marie est arrivée au-delà de ce qui peut la faire souffrir et de ce qui peut la réjouir. Elle est arrivée dans l'univers de Dieu.

            Ce qui ne veut pas dire que dans son coeur elle n'aura pas encore à endurer la douleur, ni à accueillir de grandes joies. Ce n'est pas cela. Mais elle est au-delà. Ce n'est plus cela qui va motiver ses démarches. Ce n'est plus cela qui va la faire agir. Ce qui la fait agir, c'est ce que respirent ses yeux, c'est à dire cette Lumière et ce Souffle.

 

            Mais je disais tout à l'heure que cette lumière avait aussi une couleur de nuit. En effet, cette lumière, ce n'est pas encore la pleine apparition de Dieu tel qu'il est. Cette lumière est tamisée, mais elle est tellement puissante qu'elle doit prendre une couleur de nuit pour pouvoir être supportée.

 

            Et cette lumière, elle est comme une vrille qui creuse à l'intérieur des yeux et qui pénètre au-delà dans toute la partie cutanée du corps charnel qui est en train de se spiritualiser. Et cette métamorphose qui s'opère grâce à ces yeux qui respirent, elle produit une paix qui montre parfaitement que ce qui habite cette personne devenue épouse du Verbe, c'est la vie même de Dieu qui, lui, est la paix souveraine.

 

            Cela ne veut pas dire que Dieu est impassible. Dieu pâtit à sa façon à lui. A ce moment la sponsa Verbi commence a pâtir à la façon de Dieu. Mais c'est un pâtir qui est au-delà, je le répète, et de la souffrance, et de la joie telle que nous l'entendons, nous qui vivons encore dans les passions charnelles.

 

            Et voici donc Marie qui reconnaît dans les yeux de Jésus les yeux de Dieu lui-même, ces yeux de Dieu qui sont l'origine et le terme de toute vie. Si bien qu'elle est emportée, enlevée ailleurs et sa respiration maintenant est toute entière dans ses yeux.

 

            Mais il y a encore les mains de Marie. Et ses mains qui enduisent les pieds de Jésus, elles forment un creux qui épouse la forme du Christ et qui en même temps la modèle. Et nous voyons ici, grâce à Marie, le corps du Christ qui est remodelé comme si son corps de ressuscite prenait naissance sous les doigts de Marie. Et ce parfum qui pénètre dans la chair de Jésus, qui pénètre par les pores de sa chair, il est déjà les prémices de la transfiguration de son corps.

 

            Si bien que Marie, les mains de Marie, puis alors les cheveux de Marie, ses cheveux qui retombent sur elle par après, donc le visage et tout le corps de Marie devient parfum. Elle est la bonne odeur du Christ que maintenant elle va pouvoir répandre partout.        Et ce parfum pénètre presque dans son coeur si bien que le coeur de Marie bat dans ses mains. Voyez ce coeur qui est la source de tout, ce coeur qui pulse maintenant dans l'organisme de Marie une vie autre, un sang spirituel, un sang pneumatique, un sang qui divinise Marie. Et tout cela parce qu'elle respire par ses yeux et que ses mains, ses mains, tout son coeur est dans ses mains.

 

            Voilà, mes frères, vous pressentez qu'à cet instant-là Marie et Jésus sont seuls dans cette salle de banquet. Ils sont seuls et étrangers. Ils sont seuls mais entre eux deux se joue l'avenir du monde. Et il fallait que ce fut raconté comme le Christ lui-même l'a dit, que ce serait raconté partout où sa Bonne Nouvelle serait proclamée.

            Et dans ce geste, vous sentez que se trouve toute notre vie de contemplation. Nous aussi nous devons recevoir de Dieu la grâce d'une respiration par les yeux, d'un rythme cardiaque dans les mains, la grâce de pouvoir devenir avec le Christ un seul être dans une union à jamais indissoluble.

 

            Voilà, mes frères, cet épisode est placé en tête de la Semaine Sainte après la journée de hier qui a été une journée mêlée de triomphe et puis d'atroces souffrances, le triomphe et la mort sur une croix avec un ensevelissement. Disons, cela c'est l'ouverture, ce sera aussi presque la clôture.

            Mais la véritable clôture, nous le savons, ce sera la résurrection d'entre les morts. Eh bien tout cela se joue, se joue encore dans cet épisode car le Christ......oui.....

 

            Dans cette salle devait régner à ce moment-là un silence absolu. Car c'était, il se passait là quelque chose d'unique, quelque chose de sacré, quelque chose qui ne devait jamais plus se reproduire et qui prenait une valeur d'éternité, mais qui serait rejoué par tous ceux et par toutes celles qui deviendraient les frères et les sœurs de Marie.

            Oui, c'était là un silence, presque comme le premier silence au moment où Dieu a lancé le monde dans l'existence. Et puis voilà, ce silence est rompu par une voix qui dit : Mais enfin, pourquoi cette folie ?

 

            A ce moment-là, Jésus et Marie s’aperçoivent qu'ils ne sont plus seuls, qu'il y en a d'autres à côté, d'autres qui ne comprennent pas, qui ne comprennent pas mais qui comprendront un jour. Et comme je le disais hier au cours de l'homélie, on est toujours en retard d'un événement et on comprend quand l'irréparable est arrivé.

 

            Eh bien, mes frères, nous heureusement, nous comprenons tout de suite. Et encore une fois, remercions le Christ pour la grâce qu'il nous fait de nous avoir appelés à notre vie qui est merveilleuse si nous le comprenons et si nous la vivons bien. Et demandons-lui la grâce d'y rester indéfectiblement fidèles.

 

 

Chapitre du Mardi-Saint.                       17.04.84

Le repas de la Pâque.

 

Mes frères,

 

            Revenons un instant sur le récit Evangélique de ce jour. Jésus est pour une dernière fois attablé avec ses disciples. Il parle librement avec eux. Ils ont un entretien familier sur le mode de la conversation dirigée par le père de famille à l'occasion du repas Pascal. Le père de famille rappelle, évoque la grande geste libératrice d'Israël, les prodiges que Dieu a accomplis, qu'il accomplit encore pour son peuple.

            Car Dieu est le Père d'Israël pour toujours. Il le tient sous sa garde, il le protège, il l’éduque, il le fait avancer sur ses chemins, il le corrige et finalement il l'emporte avec lui, auprès de lui, vers cette terre nouvelle, mystérieuse mais bien réelle que tout véritable Israélite espère atteindre.

            Au cours de cet entretien, les convives posent des questions auxquelles répond le président du repas. On peut ainsi dégager le sens des événements qu'on vit actuellement. Et voilà, Jésus est ainsi le Maître d'un repas qui selon toutes les apparences est bien le repas de la Pâque.

 

            Tout à coup, il remet à un de ses disciples, à Judas, la bouchée de l'amitié et de la confiance. Mais aussitôt, voici que le démon, satan, entre avec la bouchée dans Judas. Des ce moment, le satan n'a pas sa place dans le cercle des disciples et Jésus congédie Judas qui s'en va de suite. Mais personne ne sait ce qui se passe. En réalité, le drame final est enclenché, il est embrayé et il ira jusqu'au bout.

            Et voici que Jésus ouvre son discours par des paroles qui rendent un son étrange. Il dit : « Maintenant le fils de l’homme a été glorifié et Dieu a été glorifié en lui. Si Dieu a été glorifié en lui, Dieu lui-même le glorifiera de sa propre gloire et il le glorifiera immédiatement. »

            Est-ce que vous voyez le mouvement ? Ici, Jésus dessine la courbe de sa vie qui est une ascension, une ascension de gloire en gloire jusqu'à la gloire suprême de son assomption auprès de Dieu son Père.

            Il y a là déjà tout entier ce que Saint Paul chantera plus tard : Dieu l’a souverainement exalté et lui donnera le nom qui est au-dessus de tout nom. Jésus le dit déjà ici de lui-même.

 

            Ce qui est extraordinaire, c'est le maintenant de Jésus, deux petites particules : maintenant et immédiatement. Il est déjà glorifie maintenant et il sera entièrement glorifié de suite. Donc, il y a là pour Jésus une situation qui nous paraît paradoxale car Jésus parle sur un mode passé. Il est déjà glorifié, mais maintenant !

            Je dirais que ici toute l'histoire de Jésus, mais son histoire depuis avant même la fondation du monde jusqu'à son histoire au moment où il reviendra pour juger le monde, en passant par son incarnation, sa passion et sa résurrection, que tout ceci est ramassé en une minute, le temps de prononcer ces quelques mots. Il  dit : Maintenant, c’est arrivé ! Bientôt ce sera le comble de cette gloire.

 

            Il nous est très difficile, nous, d'entrer dans cette façon de sentir et de vivre les choses parce que notre personne n'est pas divine.  N'oublions pas que l'homme Jésus, s'il a une nature humaine et une nature divine, il n'a qu'une seule personne qui est celle du Verbe. Lorsqu'il dit : Je, lorsqu'il dit : « J’ai été glorifié, je serai glorifié » c'est toujours le Je qui est Dieu qui parle. Mais il parle par la bouche d'un homme, une bouche d'homme, des lèvres d'homme.

 

            Maintenant dans la vie spirituelle, donc dans la vie qui est animée par l'Esprit de Dieu - je ne parle pas de la vie humaine pure, non - la vie d'un homme en train d'être divinisé, un homme qui approche d'une divinisation qui n'est pas encore parfaite mais qui atteint un certain stade d’accomplissement, d'achèvement, cet homme vit la même espérance, ici, que Jésus.

            Il sait très bien que il est déjà glorifié, mais que cette gloire n'est pas encore achevée, mais qu'elle est pour bientôt. Il est aussi dans cette vie divine qui est en lui, qui bouillonne en lui et il peut parler quasiment à la manière du Christ, c'est à dire à la manière de Dieu. Son je, ce n'est plus un je d'homme, d'un simple homme, mais c'est le je d'un homme christifié. Et il y a une nuance !

 

            Maintenant, encore un détail : il nous est dit en parlant de Judas : Ayant pris la bouchée, il sorti encore une fois immédiatement. C'est le même mot que pour parler de la dernière glorification du Christ. Ce sera immédiatement. Voyez ! Il y a les deux, il y a dans le même temps quelque chose de conjoint, et la remarque c'était la nuit : Il faisait nuit. Pourquoi cette remarque ?

            C'est pour nous faire remarquer, pour attirer notre attention sur le fait que cette gloire de Jésus, cette gloire qui l'habite déjà, elle n'est visible de personne. Tous les hommes sont plongés dans la nuit. Ils ne voient pas le Christ Jésus tel qu'il est. Ils le voient à travers la nuit. Ils ne voient que le voile de sa chair qui occulte cette gloire. Mais nous verrons dans un instant encore une petite évolution.

 

            Maintenant, mais qu'est-ce que c'est que cette gloire ? Qu'est-ce que c'est que la gloire ? Eh bien la gloire, dans l'Ancien Testament comme dans le Nouveau, mais il faut rechercher la racine dans l'Ancien Testament, la gloire, c'est un poids de richesses, de lumières, de rayonnement qui éblouit, qui fascine, qui écrase. Il y a dans la gloire un sentiment de poids. La gloire, elle est à la fois exaltante, mais elle est en même temps lourde à porter. Pourquoi ?

            Parce que la gloire est un attribut de Dieu et de personne d'autre. Lorsque cette gloire de Dieu apparaît à l'homme, aussitôt l'homme est écrasé. Maintenant si cette gloire vient sur l'homme, mais cet homme est dilaté, mais en même temps c'est quelque chose qu'il porte et qui dépasse ses forces, les forces si limitées de sa faiblesse. Il faut donc que cette gloire modifie sa nature pour qu'il puisse la porter.

 

            Or cette gloire, elle est maintenant le propre du Christ et Jésus-Homme la reçoit. Il est bien dit ici en tant que fils de l'homme, un fils d'homme, le fils de l'homme. C'est lui qui la reçoit.

            On ne dit pas fils de Dieu. On sait qu'il est le fils de Dieu. Mais c'est le fils de l'homme. C'est donc l'humanité toute entière qui a donné le jour à un fils qui est le fils de l'homme, qui est le Christ-Jésus. Et il la reçoit en tant que fils de l'homme allant au bout de sa mission.

            Avant, juste avant de confier son souffle vital à son Père, sa toute dernière parole sera : «  Tout est accompli ! Je suis allé jusqu'au terme de la mission qui m’avait été confiée. C'est donc ce fils de l'homme qui reçoit cette gloire.

 

            Or, la gloire qu'il reçoit, c'est très beau dans le texte : il reçoit la gloire. Elle est réfléchie vers Dieu. De Dieu elle rejaillit pour rebondir et retourner à Dieu. Il y a là un mouvement de l'un à l'autre. Et ce mouvement évoque le foyer de vie et de gloire à l'intérieur de la Trinité.

            Et c'est dans ce foyer qu'un homme est plongé. Et cet homme, c'est Jésus ! Ici, il faut visualiser tout cela. Nous ne devons pas nous limiter au niveau cérébral, spéculatif, même intellectuel. C'est de l'ordre de la contemplation. Il faut le voir !

            Et si possible, il faut le vivre. Donc, déjà à notre petite mesure sentir que réellement il y a en nous un élément de gloire qui est renvoyé à Dieu. Et puis qui revient sur nous, qui rebondit avec plus de force et qui nous fait passer dans ce que Saint Paul va nous dire.

 

            En effet, Saint Paul dira ceci : Nous, nous tous, il dit ça aux Corinthiens, visage découvert, donc nous avons pu le voir, contemplons la gloire du Seigneur. La gloire du Christ, ici le Seigneur c'est le Christ. Donc c'est arrivé pour le Christ et ça arrive maintenant à l'homme qui vit dans le Christ.

            Nous, contemplant le visage découvert, ayant enlevés le voile de notre visage, contemplant la gloire du Christ, nous sommes métamorphosés, nous sommes transfigurés en cette même image, de gloire en gloire comme par l'Esprit du Seigneur. Voyez, c'est exactement la même chose !

            Donc nous avons ici un homme, Paul, qui vit ce que le Christ a vécu et qui dit que c'est la même chose pour tous.

 

            Mais il y a donc là une métamorphose qui s'opère, un changement, une transformation en nous, qui nous fait aller de gloire en gloire, d'état lumineux en état lumineux, d'état de richesse en un nouvel état de richesse, vers un terme qui est une conformité parfaite, la ressemblance avec cette image. C'est le mot : icône. Nous devenons icône du Christ. Nous sommes christifiés.  

 

            Et nous retrouvons alors l'expérience de Marie de Béthanie. Nous comprenons qu'elle respire par ses yeux. Ses yeux découverts, enfin ouverts voient, eux, à travers ce qui est obscur pour les autres, ils voient la gloire du Christ.

            Ses yeux voient déjà le Christ, et celui-ci glorifié. Comme il le dit : c'est fait ! Et elle le voit. A ce moment, toute sa vie entre par ses yeux et elle devient elle-même lumière et gloire. Il n'est pas possible qu'il en soit autrement.

 

            Donc ici, la transfiguration du Christ pour Marie de Béthanie, elle s'est reproduite mais dissimulée sous le voile de la chair. Il n'y a qu’elle qui l'a vue. Mais elle ne l'a pas vue comme les Apôtres sur la Montagne Sainte. Elle l'a vue autrement.

            Elle a vu cette transfiguration plus purement, plus chastement, plus virginalement si je puis dire. Parce que la lumière qui était en elle rencontrant cette lumière du Christ, et nourrie par elle, respirant par ses yeux, sa chair n'était déjà plus chair malade, chair impure comme celle des Apôtres. Elle pouvait donc voir dans l'obscurité.

 

            Eh bien, mes frères, tout cela c'était trop beau, trop précieux. Alors Dieu le cachait. Et c'est pourquoi comme il est dit  ici : Il faisait nuit. Et n'allons pas voir seulement dans le fait de cette nuit un caractère sinistre. Il faisait nuit, c'est l'heure où Judas s'en va, etc, la nuit !

            Non, ici c'est la nuit qui protège. C'est la nuit de Saint Jean de la Croix qui dira : « O nuit aimable, nuit qui a uni l’aimé à l’aimée, l’aimé transformé en son aimée ! C'est cette nuit-là, de cette nuit qu'il s’agit ici.

 

            Eh bien voilà, mes frères, il en est encore ainsi aujourd'hui pour les saints. Il doit en être ainsi de façon inchoative pour nous dans notre vie contemplative. C'est ce qui lui donne son ressort. Et c'est ce qui nous permet d'entrer dans ce que Dieu nous demande.             Car là où il veut nous conduire, c'est à cette expérience de Marie de Béthanie, c'est à l'expérience justement du Christ, que nous puissions nous aussi être transformés de gloire en gloire jusqu'à la parfaite ressemblance avec cette icône de Dieu le Père qu'est son Fils Jésus-Christ.

 

Chapitre du Mercredi-Saint.                    18.04.84

Judas et la logique divine.

 

Mes frères,

 

Judas était certainement un homme très intelligent puisque le Christ lui avait confié la charge d'économe. Comment se fait-il donc qu'il en soit arrivé à livrer le Christ pour de l'argent ?

            C'est une question qui nous touche au plus sensible de notre coeur, car en chacun de nous sommeille toujours un Judas. Et en chacun de nos frères, nous rencontrons le Christ qui nous a bien dit : « Ce que vous aurez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’aurez fait ! »          

            Que ce soit pour Judas, que ce soit pour nous, tout dépend de la qualité du regard. Le Christ nous en avertis. Il nous dit : « La lampe de ton cœur, c’est ton œil. Lorsque ton œil est sain, alors ton corps tout entier est lumineux ; mais si ton œil est mauvais, ton corps est plongé dans les ténèbres. Si donc ton corps est entièrement lumineux n’ayant pas la moindre trace de ténèbres, alors il sera lumineux tout entier et comme une lampe, de son rayon il t’illuminera. »

 

            Qu'est-ce que cela veut dire ? Si mon œil est sain, c'est à dire pur, chaste, alors il est éclairé par le dedans par une lumière qui vient d'au-delà de lui. L'Esprit-Saint y habite, l'Esprit Saint qui est la lumière par excellence ; et cet Esprit par l'intérieur de moi brille dans mon œil.             Je vais donc voir les hommes, et les choses, et les événements comme Dieu lui-même les voit, c'est à dire dans leur vérité.

            Par contre, si mon œil est mauvais, s'il est impur, s'il est sale, alors il est entièrement ténébreux. J'ai l'impression qu'il voit, donc qu'il est éclairé. Mais en fait il s’agit d'une fausse lumière.

            C'est la lumière que fait briller l'ange qui parvient à se métamorphoser en ange de lumière alors qu'il est le prince des ténèbres. Le regard que je pose sur les autres, sur les choses, sur les événements sera donc un regard satanique. Et je verrai tout sous un jour faux. C'est là un fait d'expérience !

 

            Pour posséder maintenant un regard saint, donc un regard chaste et lumineux, il faut consentir à se laisser regarder par Dieu. Cela veut dire qu'il faut toujours avoir ses propres yeux ouverts comme des fenêtres immenses dans lesquelles peuvent entrer la lumière du regard de notre Dieu.

            Ici, pour nous, Dieu, ce sera le Christ qui s'est présenté comme la lumière du monde. Il faut donc que je consente à ouvrir les yeux à cette lumière, c'est à dire à me laisser regarder par Dieu, donc à ne pas avoir un regard fuyant, donc un regard qui se détourne, un regard qui ne sait pas se poser en face. Je dois avoir un regard franc, consentir à me laisser regarder par Dieu.

            Dans la pratique, cela voudra dire que je dois accepter de me laisser aimer comme Dieu désire m'aimer, moi. Dieu est amour. Donc je suis aimé modo Divino, à la manière, à la façon dont Dieu aime. Et cela peut être assez brûlant parce que cet amour est un amour jaloux.

 

            Saint Paul en parlait. Il disait : « Moi je vous aime, Dei emulatione, je vous aime avec une jalousie divine. La jalousie de Dieu qui est en moi, c'est celle que j'ai pour vous. Voyez avec quelle qualité, quelle intensité, quelle pureté je vous aime. C'est pourquoi j'ose vous demander des choses difficiles. Je vous propose un programme ardu, un programme élevé parce que je sens que à travers moi c'est Dieu qui vous aime. »      

            Donc, cet amour jaloux de Dieu n'est pas facile à accepter parce qu'il est exigeant. Il nous demande des choses qui peuvent nous paraître difficile. Car Dieu désire nous modeler sur son être à lui. Nous sommes ses enfants par adoption. Alors il faut que nous lui ressemblions, il faut que nous devenions comme lui pure transparence de lumière et d'amour.

 

            Nous devons donc épouser ses moindre vouloirs. Tout ce qu'il nous demande, tout ce qu'il nous propose, c'est pour nous conduire à la parfaite ressemblance avec ce qu'il est.  Mais, ce n'est pas une ressemblance comme un modèle ressemblerait à son type, comme l'antitype au type.

            Non, c'est une ressemblance par connaturalité. Nous lui devenons semblable parce que c'est sa propre vie qui est en nous. Ses traits transparaissent sur notre être et dans tous les gestes de notre vie.

 

            Mais épouser les vouloirs de Dieu, se laisser modeler par ses doigts, cela signifie qu'il faut bien souvent abandonner la logique simplement humaine, rassurante, sécurisante, celle qui est à la hauteur de notre intelligence, de notre façon de nous tenir dans le monde, de recevoir les événements, de réagir à eux, de les voir, de porter un jugement. Non, il faut abandonner cela pour épouser sa logique a lui.      

            Par exemple ceci : Lorsque Jésus annonce que lui, le Messie, le Sauveur d'Israël et du monde entier, lui qui se présente par toute sa vie comme non seulement l'envoyé de Dieu, mais doué, doté de pouvoirs divins, donc que vraiment Dieu transparaît en lui, les apôtres eux, les disciples, commencent à soupçonner qu'il y a chez lui quelque chose d'autre que du purement humain.     

            Il dit : « Voilà, moi je suis cet envoyé de Dieu, le Fils de l'homme, celui que tout le monde attend. Eh bien, je vais être livré, on va se jouer de moi, et puis on va me brutaliser. On va me maltraiter. Et puis finalement on va me mettre à mort. » Et Pierre dit : « Ah non. Pas ça hein, ça n'arrivera pas ! » Voyez la réaction de la logique humaine. Et alors le Christ, lui, dit : « Passe derrière, pour moi tu es un satan. Tu raisonnes non pas comme Dieu mais comme un homme. » 

 

            Oui, c'est très beau quand on voit ça et qu'il s’agit de l'apôtre Pierre. Mais quand il s’agit de moi, que ça m'arrive à moi dans ma propre vie ? A ce moment, voilà, il s’agit de quelque chose de plus compliqué. Eh bien, c'est cela se laisser modeler par Dieu, c'est entrer dans cette logique divine. Et non pas une fois en passant, mais tout le temps. C'est notre obéissance à nous.

            Nous nous engageons à cela lorsque nous nous donnons au Christ, à Dieu, dans la vie monastique. Et je vous assure que les canons de Dieu ne sont pas les nôtres. Et pour abandonner les nôtres, il faut un certain courage. Il faut le courage de la foi. 

 

            Mais une fois qu'on a saisi, je dirais, notre courage à deux mains, et qu'on se confie à Dieu, à cette logique, on commence à entrer dans la vérité. On connaît la véritable beauté et on expérimente la liberté.

            Eh bien Judas, lui, il s'est refusé à cela. Il n'a pas accepté. Judas a refusé d'entrer dans cette logique divine. C'était à mon avis le plus intelligent des apôtres. Il aurait pu être - il l'était sans doute - docteur en théologie. Il pouvait juger de tout. Mais oui, certainement, il l’était !

            On ne le dit d'aucun autre dans le groupe des apôtres. Mais il en fallait tout de même bien un. Eh bien, c'est celui-là ! C'est celui-là qui était trop intelligent à son avis pour entrer dans une logique, dans quelque chose qui n'était pas purement rationnel.

 

            Et alors son regard s'est enténébré. Il a commencé à se sentir frustré dans ses espérances. Et comme Jésus persistait dans, voilà, dans ses prétentions, Judas, dans son coeur l'a condamné. Il l'a méprisé.

            Et finalement, il a voulu sauver sa mise. Et en voulant la sauver, il a tout perdu. Celui qui cherche à sauver sa vie, il la perd ; et celui qui consent à la perdre en renonçant à sa logique trop humaine, celui-là, il la garde !

 

            Voyez, c'est impitoyable ! Mais nous sommes maintenant le mercredi soir. Nous allons être jeudi, puis ce sera vendredi, ce sera le Samedi-Saint. Réfléchissons un peu et demandons-nous : Où est-ce que j'en suis ? Est-ce que mon regard est pur ? Est-ce que mon regard est lumineux ? Est-ce que j'ai épousé cette logique divine ?

            Ou bien, est-ce que mon regard est ténèbres ? Est-ce que je ne me laisse pas entraîner là où lorsque je suis venu ici je n'avais pas du tout l'intention d'aller ? Est-ce que je sais renoncer à moi pour entrer dans ces vues de Dieu qui me paraissent bizarres ? Voilà, j'accepte ou je n'accepte pas !

 

            Où est-ce que ça a commencé avec Judas ? A quel moment ? Cela, nous n'en savons rien. Nous ne savons pas quand ça a commencé exactement avec Judas. Il y a eu des petites choses sans doute ?

            Mais ce qui, là où il n'y a pas d'erreur possible à mon avis, c'est à quel moment le tragique s'est noué. C'est bien dit ici dans l'Evangile. Et je pense que ça doit être ainsi. Ce n'est pas une reconstruction arbitraire qui aurait placé les événements à côté des autres comme ça au hasard.

            C'est immédiatement après l'onction de Béthanie. C'est elle, là, qui a fait déborder la coupe. Là, il n'a pas su le supporter. Car ça, c'était la dernière des idioties : aller sur les pieds de cet homme déverser un parfum qui coûtait une année de travail, le verser comme ca ! Il est bien dit quand c'est arrivé.

 

            Et alors, alors donc soit le jour même, soit le lendemain, alors un des douze partit, celui qu'on appelle Judas l'Iscariote. Et il se rendit auprès des Grands Prêtres et leur dit : « Que voulez-vous me donner, et moi je vous le livre ? » Et ils convinrent avec lui de trente pièces d'argent. Et à partir de ce moment, il cherchait l'occasion favorable pour le livrer. C'est ça !

            Il y a donc là un rapport chronologique, et psychologique aussi, et mystique entre l'onction de Béthanie et la trahison de Judas.

 

            Maintenant nous voyons que Marie avait un tout autre regard que celui de Judas. Son regard était tellement simple qu'il était devenu un seul regard avec celui de Dieu. Donc, elle voyait les choses à partir de l'autre côté. Elle les voyait à partir du côté de Dieu, non plus à partir du côté des hommes.

            Si bien que elle vivait littéralement par son regard et elle respirait par ses yeux comme je vous l'ai déjà expliqué. On le comprend beaucoup mieux maintenant. Et elle atteignait ainsi au-delà du perceptible, de ce qui tombe sous les sens.

 

            Qu'est-il arrivé alors ? Et bien, elle s'est livrée à Jésus gratuitement pour mourir avec lui. Elle n'est pas morte brutalement, elle est morte mystiquement. Et cette mort mystique a sans doute été plus pénible qu'une mort physique ?

            Mais elle a fait ça. Elle ne pouvait pas faire autrement parce qu'elle voyait Jésus. Et elle voyait toute la geste de Jésus comme Dieu la voyait. Son regard devenu un avec celui de Dieu ne pouvait que la pousser à aller jusqu'au bout de l'amour qui la possédait.

 

            Et nous avons ici, nous touchons à cette antithèse formidable entre le martyre et la trahison. Je dirais presque : il n'y a pas d'entre deux. Le martyre, c'est Marie de Béthanie et la trahison, c'est Judas. C'est le regard pur et c'est le regard impur. C'est le regard de lumière et c'est le regard de ténèbres. C'est le regard chaste et c'est le regard adultère.

            Et notre vie monastique à nous, nous comprenons que les premiers Pères de l'Eglise et les premiers moines, qu'ils l'ont vue comme étant le martyre, le substitut du martyre, non pas parce qu'il n'y avait plus de martyre sanglant, mais parce que le martyre faisait partie vraiment de l'essence de la vie monastique.

 

            Et le martyre, il est constitutionnellement attaché à la chasteté. Le moine est un martyr parce qu'il est chaste. Attention ! Cela ne veut pas dire que la chasteté, ici, c'est tellement difficile que ça, c'est un martyre. Non, mais je passe au niveau supérieur.

            La chasteté est telle, qu'elle est chez le moine le véritable martyre, c'est à dire le don de soi absolu à Dieu pour partager le sort du Christ jusqu'à l'intérieur de la mort. Mais alors, à travers cette mort, parvenir dans l'univers de la résurrection.

 

            Voilà, mes frères, ce que je voulais vous dire avant d'entrer dans ces trois jours, ces quatre jours qui sont le sommet de toute l'année liturgique et qui sont aussi le sommet de notre vie. Mais ne l'oublions pas, ce n'est pas quelque chose d'un peu sentimental, et puis après c'est fini.

            Non, dans ces jours, nous rencontrons, mais avec une intensité fantastique, la vie que nous devons mener tous les jours. C'est comme trois ou quatre jours de retraite au cours desquels nous allons reprendre conscience de ce que nous sommes, de ce qui nous est demandé et de ce que Dieu espère trouver en nous...

 

 

 

Homélie à l’Eucharistie du Jeudi-Saint.        19.04.84

 

Mes frères,

 

            Nous venons d'entendre un récit qui n'est pas d'hier mais qui est d'aujourd'hui. Dans quelques instants nous allons l'actualiser. Mais avant de poser ce geste, je reviens à la question que je posais dimanche dernier : « Qui est cet homme ? »

 

            A vrai dire, Jésus est seul à connaître sa véritable identité. Il sait qu'il est venu de Dieu et qu'il retourne à Dieu. Voici donc une conscience d'homme qui est en même temps conscience de Dieu. Jésus d'un seul regard englobe la totalité de son mystère. Il comprend et il vit par le dedans ce qui a été prévu pour lui dès avant l'origine du monde.

            Ainsi, déposer ses vêtements, se nouer un linge autour de la ceinture, verser de l'eau dans un bassin, laver les pieds de ses disciples et les essuyer, c'est dire gestuellement, prophétiquement qu'il est l'Agneau égorgé, écorché, grillé, mangé.

 

            Jésus nous enseigne qu'il est la nourriture, la nourriture de vie pour tous les hommes. Non seulement pour les hommes de la génération avec laquelle il se trouvait, mais pour tous les hommes que jamais la terre devra porter.

            Il nous enseigne que Dieu seul s'est offert à l'abaissement et à la mort pour tout rassembler, pour tout restaurer. Il n'a pas confié cette mission à un homme. Il l'a prise sur lui. Et pour s'en acquitter en toute vérité, lui-même a voulu devenir l'homme. Le geste du lavement des pieds récapitule donc la Pâque libératrice, l'Eucharistie viatique, la mort et la résurrection, cet amour au-delà duquel rien ne peut être imaginé de plus grand.

 

            On aurait dit, oui, en se laissant laver les pieds, les disciples se trouvaient entraînés dans cette grandiose dramatique divine. Et on aurait dit que Pierre le sentait, lui qui refusait, lui qui déjà une fois s'était mis en travers du projet divin : « Non. ce que tu dis là, cette mort, ça n'arrivera jamais ! » Et Jésus l'avait sévèrement remis en place.

            Non, les disciples, les vrais disciples du Christ ne peuvent y échapper car ils ont reçu un ordre formel : « Vous vous laverez les pieds les uns aux autres » C'était une invitation à la plongée dans la Pâque, dans l'Eucharistie, oui, dans la mort qui est un sommet d'amour.

            Car maintenant, les disciples doivent devenir nourriture les uns pour les autres. Ils doivent donner leur vie pour leurs frères, sinon ce sont de faux disciples. Ils portent une étiquette qui trompe sur le contenu. Et cela, c'est grave, mes frères !

            Il nous est prescrit d'aimer et de ne jamais placer une frontière sur notre amour. Nous devons toujours aller au-delà. Nous devons laisser vivre en nous le propre amour de Dieu qui, lui, ne connaît pas de limite.

 

            Le lavement des pieds auquel je vais procéder, voilà ce qu'il nous rappelle. Et il se rattache directement à cette symbolique toute à la fois exaltante et effrayante. Effrayante parce qu'elle place devant nous la réalité d'une mort. Car s'oublier soi-même pour laisser en soi toute la place aux frères, c'est mourir quelque part. Mais exaltante aussi cette symbolique, car elle nous ouvre enfin le portail de la véritable vie. Car donner sa vie pour les autres, c'est ressusciter en Dieu déjà maintenant.         

 

            Mes frères, ce lavement des pieds, nous allons le vivre dans la confiance, dans une immense reconnaissance et dans l'offrande de tout nous-mêmes.

 

                                                                                                          Amen.

 

Exhortation à Complies le Vendredi-Saint.    20.04.84

 

Mes frères,

 

            L'Apôtre nous dit quelque part que Dieu était dans le Christ se réconciliant le monde. Dieu aurait pu restaurer une relation correcte entre le monde et lui en opérant à partir de l'extérieur, par un geste de sa toute puissance qui, au fond, ne l'aurait pas tellement engagé. Mais il n'a pas voulu de ce moyen.

            Dieu est amour. Et il a poussé l'amour au-delà des limites du raisonnable et de la folie dans une zone absolument inconnue jusqu'alors. C'est le mystère de sa Personne qui se déployait librement.

            Dieu s’est vidé de lui-même comme s'il renonçait à sa divinité. Il a voulu devenir ce qu'il ne voulait pas de lui, devenir homme, mais l'homme dans sa déchéance. Il a été fait péché. Il s'est laissé rejeter, détruire : « Nous ne voulons pas que celui-là règne sur nous. » Or celui-là, c'était Dieu !

            On pourrait dire : « Oui, mais les hommes ne le savaient pas. D'ailleurs s'ils l'avaient su qu'il était le Seigneur de gloire, jamais ils ne l'auraient crucifié. » Mais précisément Dieu est entré jusque dans cette ignorance afin de montrer aux hommes que véritablement il y a en lui des profondeurs insoupçonnées, inimaginables, inconcevables à notre petite et étroite raison. Dieu est amour. C'est cela que nous devons essayer d'accepter.

 

            Et dans un acte bien réel, concret, d'une beauté terrible, Dieu est devenu un avec le monde jusque dans la mort. Si bien que le monde en a été bouleversé, retourné, transformé. Non seulement le monde est resitué dans sa vérité, mais il est introduit jusque chez Dieu. Il devient participant de la nature divine.

            Mes frères, il y a là quelque chose que nous ne pouvons pas facilement, j'oserais le dire, accepter. J'ai déjà utilisé tout à l'heure ce mot accepter. Et c'est vrai, c'est cela qui nous est demandé.

 

            Il nous est demandé ce geste d'oser croire que c'est vrai, que cela existe, que réellement notre misère, que notre péché est englouti dans ce foyer, dans ce brasier qu'est l'amour. Et que la pauvre petite matière que nous sommes, de par l'intérieur d’elle-même possédée par Dieu, devient véritablement Dieu, connaissant Dieu comme il se connaît, l'aimant comme il s'aime, le possédant comme il se possède lui-même, participant au travail de la création comme Dieu y participe - Dieu ne peut pas achever seul -. Et c'est à partir d'hommes pécheurs, d'une chair corrompue, qu'il réalise ces prodiges.     

 

            La vie chrétienne, mes frères, et surtout la vie monastique, c'est cela ! C'est s'abandonner à cet Opus Dei, à ce travail, à ce chef-d’œuvre de Dieu réalisé a partir de son amour d'un côté et à partir de notre pauvre matière de l'autre côté.

            Et Dieu est entré dans le monde par une cellule qui était demeurée lumineusement vraie. Il s'était tout de même ménagé une porte, ou une fenêtre, ou un trou par lequel entrer dans cette matière rebelle. Et c'est la Vierge Marie, elle qui a elle seule valait plus que le cosmos tout entier.

            Marie était dans la vérité de son être souverainement libre tandis que le monde était emprisonné dans la vanité de son mensonge. Et à partir de Marie nous découvrons que la vie chrétienne répond, doit répondre à une double vocation, à un double appel. Elle est lieu d'insertion de Dieu dans le monde et lieu d'une offrande pour le salut du monde.

 

            Cela nous aide à comprendre que le chrétien sera toujours un homme seul et un homme en conflit avec le monde. Sur ce point le Christ a été catégorique. C'est un peu le contraire de ce que naturellement parlant nous aimerions.

            Il fut un temps où l'empire était chrétien. On ne dissociait pas entre l’état et l'Eglise. L'Empereur était le chef de l'Eglise. Il disposait d'un pouvoir plus important que le chef visible de l'Eglise : le Pape, ou les Evêques, ou les Patriarches, ou les Métropolites.             Mais ce temps est heureusement révolu. De nos jours, le chrétien redevient ce qu'il est par vocation. Je n'oserais pas dire une rareté, ce n'en est pas encore là, du moins dans nos régions. Je ne dirais pas non plus une exception. Non, il existe encore de très nombreux chrétiens ouverts ou secrets. Mais le chrétien doit devenir une élite à l'intérieur du monde, cette lumière qui est placée sur un pilier et qui doit éclairer.

            Il n'est pas nécessaire que tout le monde soit lumière. Il suffit qu'il y en ait quelques uns. Et tous les autres hommes se réjouissent à la vue de cette lumière. Ils en sont éclairés, ils en sont nourris.

 

            Mes frères, ce qui est vrai du chrétien l'est encore bien davantage du moine. Car la vie monastique, c'est une entrée dans la solitude. Et c'est une descente dans une mort mystérieuse analogue à celle du Christ. Le lieu de ce conflit, pour le moine, et le tombeau où il sera finalement enseveli c'est, comme j'y ai fait allusion tout à l'heure, c'est son coeur.             Vous le savez, la citadelle qu'il faut détruire, c'est notre égoïsme sur lequel foisonnent ces pensées contre lesquelles la lutte du moine devient implacable. Car ces pensées greffées sur l’égoïsme sont les atouts dont le monde dispose en nous. Et ces atouts, il sait parfaitement les jouer.

            Mais nous devons toujours tenir tête à ce monde en nous, donc à cet égoïsme en nous, à ces pensées qui ne viennent pas de Dieu mais qui viennent du monde, ces pensées qui sont étrangères à l'amour, ces pensées qui sont retour sur nous et qui, dans le fond, sont peurs.

 

            Mes frères, le samedi Saint, qui est le non sens de l'absurdité totale, se présente à nous comme le goulot resserré que nous devons emprunter pour arriver, pour déboucher sur la vie véritable, une vie dans la vérité, dans la beauté et dans l'amour, la propre vie de Dieu. Mais pourquoi, me direz-vous, pourquoi faut-il passer par cette mort ?

            Eh bien, c'est tout simple ! Ce n'est pas seulement parce que Dieu lui-même a voulu y passer, mais c'est parce que il est indispensable que notre être égoïste disparaisse. L’égoïsme est un repliement sur soi.

            Or, le mouvement de l'amour est une sortie de soi. C'est un don à l'autre, c'est un accueil de l'autre. C'est ce que Dieu a voulu réaliser. Dieu est le contraire de l’égoïsme. Dieu est amour. Il a voulu vivre non pas seulement dans l'unité de ses trois Personnes, mais il a voulu étendre cette famille à des êtres différents de lui mais qui participeraient à son être même.

 

            Voilà, mes frères, il y a en nous cet obstacle de l’égoïsme. et c'est lui qui doit mourir, et c'est lui qui doit connaître sa passion et son samedi-saint. Il doit absolument disparaître. Et à sa place ressuscite alors un être nouveau, un homme transfiguré dont la vie est la lumière, un homme qui respire par les yeux. parce que ce qu'il voit, c'est Dieu lui-même. et Dieu entrant en lui, et Dieu se laissant respirer par lui.

 

            Voilà. mes frères, quelle est la vocation chrétienne à son sommet. Et c'est jusque là que nous devons aller. C'est vers ces cimes que nous devons tendre. C'est la raison d'être de notre présence dans ce monastère.

            Oui, nous le savons et cela nous encourage. Car les trois jours que nous connaissons maintenant sont le résumé de toute notre vie. Et ces trois jours, nous les retrouvons d'années en années. Et nous les retrouvons chaque semaine dans le dimanche. Et nous les retrouvons chaque jour dans notre Office Divin. Donc. mes frères. nous savons qui nous sommes et nous savons où nous allons.

            Et pour aujourd'hui. et pour les jours qui viendront, nous aurons une réponse. Et cette réponse. ce sera celle de notre fidélité.


Homélie à la Vigile Pascale.                     21.04.84

 

Mes frères,

 

            Ce que nous venons d'entendre est vraiment trop lourd à porter. C'est un mystère, le mystère du Christ que nous devons saisir et contempler globalement. En Jésus, il y a compénétration parfaite entre Dieu et l'homme ; et dans l'homme, entre Dieu et le cosmos, et cela sans confusion ni division.

 

            Cette nuit nous introduit au coeur de ce mystère et elle nous invite à nous y établir. Car la vie du chrétien n'est autre que l'accueil en son coeur de ce mystère. Et a partir de là, se laisser travailler et transformer pour devenir à son tour resplendissement de ce mystère au regard de tous les hommes qui doivent finalement être tous rassemblés en un seul corps, celui de ce Christ, Dieu devenu homme.

            L'histoire du monde est ramassée dans notre veillée. L'histoire, depuis le premier moment où Dieu s'est lancé dans la prodigieuse aventure de la création jusqu'à ces jours-ci qui sont les derniers. Car l'avènement du Fils de Dieu dans notre chair et sa résurrection ont signé un non retour.  

 

            Mes frères, cette veillée très sainte atteint ainsi une densité spirituelle fantastique. Tous les temps sont rassemblés, ramassés en un instant et tous les espaces sont réunis en un seul lieu.

            Nous voyons ainsi - ouvrons le regard de notre coeur - nous voyons que Dieu est vraiment l'âme et l'enveloppe de tout le réel. Il est déjà tout en toute chose. Le projet de Dieu est déjà achevé à l'instant même où il s'amorce, même si à notre échelle il y a un entre-deux dont nous sommes un fragment.

 

            Mes frères, le regard d'un coeur purifié participe à cette éternité. Pour lui, tout est déjà accompli. La parole du Christ en expirant sur la croix : « Tout est accompli ! » ne regardait pas seulement sa mission ici sur terre, mais sa mission universelle, cosmique. Tout était déjà terminé à l'instant même où il avait poussé l'obéissance jusqu'au bout.

 

            Mes frères, la résurrection du Christ nous oblige ainsi à transcender les contingences historiques. Elles nous empoignent pour nous élever à l'altitude de Dieu. Et de ces hauteurs nous voyons les hommes et les choses dans leur vérité. Et cette vérité est belle car Dieu ne fait que des choses de beauté.

            Certes il y a le crime - appelons-le ainsi - ce crime qui est le péché et tous les malheurs qui s'en suivent. Mais encore une fois, transcendons ces accidents inévitables vu notre état actuel. Transcendons tout cela et voyons tous les hommes déjà réunis maintenant dans le coeur de notre Christ et participant déjà à son amour et à sa gloire.

            Il y a dans le coeur de chacun quel qu'il soit, une flamme, une lumière de cette vie divine. Elle est inextinguible et un jour elle triomphera.   

 

            Pour accéder à ces sommets de vie contemplative, nous devons consentir à cette transplantation dans l'univers de Dieu, accepter que les puissances de la résurrection agissent librement en nous. Et ainsi, nous devenons chacun ce que Dieu désire faire de nous. En chacun d'entre nous, la création arrive déjà à la plénitude de son achèvement, de sa perfection. Et à partir de chacun d'entre nous jaillit dans un éclair inextinguible la flamme de la présence divine.

            Voilà, mes frères, la vocation de chaque chrétien dans notre monde et, surtout, vous le comprenez, la vocation des moines même s'ils demeurent cachés dans leur désert. Mais dans l'invisible de Dieu, personne ne peut être caché. Lorsque nous en sommes là, mes frères, lorsque nous y serons, nous connaîtrons le Christ Jésus car nous lui serons devenus semblable.

 

            Et la route pour nous y rendre, nous la connaissons. Le Christ l'a ouverte devant nous. C'est une route merveilleuse, une route de noblesse : c'est la route de l'obéissance. Et cette route réalise des miracles.

            Elle est étroite certes, elle est dure, certains jours elle est pénible. Mais elle ressemble à cette route ouverte à travers la mer avec de chaque coté les eaux dressées comme des murailles. Ces eaux qui par leur nature sont fluides et instables, les voici devenues rigides et solides.

            Et ainsi l'obéissant traverse la vie au chant d'un miracle. Il la traverse parce que devant lui marche le Christ son Dieu comme une colonne de nuée et de feu, le Christ qui s'est fait obéissant, lui, jusqu'à la mort et la mort sur une croix.

            Si bien que Dieu son Père l'a exalté. Il lui a donné le nom qui est au dessus de tout nom afin que au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et dans les enfers et que toute langue proclame : Jésus Christ est Seigneur pour la gloire de Dieu son Père.

 

            Mes frères, voilà celui que nous avons accepté de suivre. Et ce qui est le plus extraordinaire, ce qui doit soutenir notre vigueur, notre espérance, notre fidélité, c'est que nous aussi par notre obéissance nous participerons un jour - et ce jour, comme nous dit Saint Benoît, c'est pour bientôt, c'est déjà - nous participerons à sa gloire. Et le nom qui a été donné en partage au Christ deviendra le nôtre. Et c'est celui de chrétien.

 

            Mes frères, ne descendons pas en dessous de notre idéal. Cette nuit où nous célébrons cette résurrection doit être notre fête, car la résurrection est déjà en route en nous, dans notre coeur. Notre corps de ressuscite se construit maintenant, et il se construit dans cette obéissance.

            Voilà, mes frères, le message que je voulais vous délivrer cette nuit. Nous y demeurerons fidèles. Nous sommes ici réunis, et nous le serons pour l'éternité.

 

                                                                                                                      Amen.

 

Homélie du jour de Pâques.                     22.04.84

 

Mes frères,

 

            Avec la résurrection du Christ d'entre les morts, nous sommes entrés dans une ère de nouveauté absolue. Nous avons franchi un seuil. Nous nous retrouvons ailleurs. Nous sommes passés de l'autre côté du réel, en haut, comme dit l'Apôtre.

            O, il n'est pas de mot pour décrire ce transfert. Il faut y être, il faut y vivre pour comprendre ; mais des mots pour l'expliquer, il ne s'en trouvera jamais. Car c'est une réalité qui n'est pas de ce monde-ci. Là-bas, le charnel n'est pas détruit, il est transposé. Il n'est pas rejeté, il est purifié. Il est tout entier devenu lumière, harmonie, chant et parole car il suffit qu'on se regarde les uns les autres pour tout savoir.           

 

            Mes frères, cette vie dans l'univers de Dieu n'est pas une fusion dans un universel indifférencié. Loin de là ! C'est bien plutôt le contraire, chacun arrive au sommet de sa conscience et de sa personnalité. Je suis vraiment moi-même lorsque entièrement ressuscité dans le Christ, je ne fais plus qu'un avec Lui.

            Et nous pouvons maintenant nous poser la question que nous avions soulevée en ouvrant cette Sainte Semaine : Qui donc est cet homme ? Qui donc est Jésus appelé le Christ ? Et nous pouvons répondre aujourd'hui qu'il est la tête d'un Corps immense regroupant tous les hommes, assumant le cosmos dans sa totalité.

 

            Parce que Dieu devenu homme a été enfoui dans le sein de la matière jusque dans la mort. Parce que cet homme Jésus est ressuscité d'entre les morts, il est devenu porteur d'un potentiel infini de vie divine qui maintenant se diffuse irrésistiblement, triomphalement partout.

            Chacun de nous vit en lui et par lui. Chacun de nous est divinisé par lui et en lui. Ce mystère est notre fierté et notre joie comme il a été celle de Marie-Madeleine, des Apôtres, des disciples, comme il le sera demain de tous les hommes.

 

            Mes frères, je voudrais pour terminer exprimer un vœu à votre adresse, à l'adresse de chacun d'entre vous: Que la puissance de la résurrection, cette puissance infinie de résurrection agisse librement en vous, que vous la laissiez agir en vous livrant à elle en toute confiance afin qu'elle vous transfigure, qu'elle vous transforme, qu'elle vous fasse ressusciter, entrer dans l'univers de Dieu. si bien que vous deveniez pure lumière et pur amour pour tous ceux que vous rencontrerez ici même et partout, et cela pour une éternité de bonheur.

 

                                                                                                          Amen.

 

 

 

 

 

Table des matières de la Semaine Sainte 1984

 

Homélie des rameaux.                           15.04.84.................................. 149

Chapitre du Lundi-Saint.                        16.04.84................................. 150

Marie de Béthanie............................................................................................................................................ 150

Chapitre du Mardi-Saint.                       17.04.84................................. 153

Le repas de la Pâque........................................................................................................................................ 153

Chapitre du Mercredi-Saint.                    18.04.84............................. 156

Judas et la logique divine................................................................................................................................ 156

Homélie à l’Eucharistie du Jeudi-Saint.        19.04.84...................... 160

Exhortation à Complies le Vendredi-Saint.    20.04.84.................. 161

Homélie à la Vigile Pascale.                     21.04.84............................. 164

Homélie du jour de Pâques.                     22.04.84............................. 165

Table des matières de la Semaine Sainte 1984............................... 166