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Version 1.0 - Septembre 2019

Les "causes premières" et le Livre de Job

 

Abstract: Si nous possédons quelques libertés, alors nous jetons des causes sans cause dans un monde nécessairement légiféré. Ces libertés ne sont pas bridées par ces lois mais par les contextes où les lois s'appliquent.


Proposition (extraite de la BD "La Cathédrale")

"...Dieu nous a donné ce qui, dans le même mouvement, annihile son pouvoir: nous sommes vous et moi, comme Lui, des 'causes premières'. Nous sommes des 'causes sans cause' dans une soupe de lois naturelles dont la stabilité nous permet de communiquer..."

 

Première lecture de la proposition:

Une cause qui elle-même n'a pas de cause, on peut appeler cela de différentes manières. Les philosophes aiment dire que c'est une 'cause première', mais les théologiens vont plutôt parler d'un 'mystère' (c’est-à-dire une chose qui, contrairement à l'énigme, est inconnaissable et pas seulement inconnue). Une cause première et un mystère, cela revient au même: cela enclenche des chaînes d'événements et c'est inexplicable.
Lorsque je décrète que, pour moi, un événement bien localisé est suffisamment expliqué dès que j'en connais sa cause, et que cette cause a elle-même une autre cause qui peut l'expliquer et ainsi de suite, je vais toujours à un moment ou l'autre être bloqué: d'où vient cette chaîne dans sa globalité? Y a-t-il eu une 'cause première'? Aurait-elle donc pu ne pas être? Etc. Cette frustration lancinante des 'causalistes jusqu'auboutistes' oscille ainsi entre une logique temporelle (enchaînement des causes dans le temps) et une logique modale (nécessité d'une cause première, contingence absolue...). Cause première et contingence sont intimement liées.
La fameuse formule: "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?" est la verbalisation de la même frustration vue sous un angle légèrement différent.


En face de ce genre de vertige, le théologien chrétien répond par un acte de foi qu'il reconnaît n'être qu'un acte de foi: la 'cause première', c'est Dieu. Celui qui porte la casquette du scientifique dira de son côté que son job ne lui permet pas de se prononcer sur ce genre de question parce que par nature, par décret plutôt, la réponse devrait être une cause elle-même subordonnée à un régime de lois universelles dont la nature est pour le moins aussi compliquée (c'est un euphémisme que de le dire!), ce qui relance le schmilblick dans une autre direction. Etc.


Serions-nous condamnés à la frustration par le geste même de penser?...


*


"...Nous sommes vous et moi, comme Lui, des 'causes premières'..."


Il n'y a plus qu'un simple aveu d'impuissance dans la proposition du départ; il y aussi l'affirmation qu'il n'y a pas qu'une seule cause première, un seul mystère, dans le monde mais plusieurs!
Puisqu'un mystère est un mystère il peut engendrer d'autres 'causes premières' sans avoir à s'en justifier devant le tribunal de la raison.
Autrement dit, une seule 'cause première' suffit pour qu'il y ait plusieurs 'causes premières' qui malaxent la nature, plusieurs sources de chaînes d'événements qui perturbent le monde sans avoir à justifier par d'autres causes qu'elles-mêmes ce qui a émergé dans le réel mesurable. Il est possible qu'une cause première, un 'Dieu Créateur', ait créé des créatures elles-mêmes créatrices. Les croyants le savent qui s'engouffrent dans la brèche énorme qui s'ouvre ainsi, même dans le scientisme le plus abscons, le plus intolérant le plus exigeant.

Le puriste dira évidemment que dans cette figure, les autres 'causes premières', en fait, ne sont plus tout à fait des causes 'premières' puisqu'elles ont elles-mêmes une cause qui est ce décret arbitraire et souverain de la (première) 'cause première'. Ce n'est pas tout à fait exact et je dois donc préciser ici que ce qui est second et non plus premier, c'est la source de causes premières pas les causes premières que ces sources jetent dans le monde.


*


Quelqu'un qui raisonne bien aimera tout de même faire valoir ici que ces cosmogonies qui se fondent sur des causes, de la contingence, les lois naturelles et le temps qu'elles réclament, ou que sais-je d'autre encore, ne sont ni plus ni moins valables que n'importe quelle autre cosmogonie qui serait en contradiction avec elles. On a bel et bien quitté la sphère du vérifiable et il serait peut-être plus sain (et prioritaire) de considérer que c'est le langage lui-même, celui dans lequel s'écrit ce genre de débat, qui impose les contraintes de son format. Or, ce format ne présuppose pas tant une réalité métaphysique qu'une frontière du dicible. C'est elle qui, selon eux, devrait être la déclaration principielle. (Il faut comprendre ici le mot 'langage' dans le sens le plus général possible, le "logos", cette racine première de toute forme de communication.)


La forme du langage n'est pas un acte de foi et elle n'est même pas un véritable choix. Certes, il y a plein de conventions dans un langage (le vocabulaire par exemple qui établit des listes référents/référés) mais il y a aussi et surtout toutes ces règles qui s'imposent malgré nous: pour ne parler que du langage parlé, on pourrait citer les lois de l’acoustique, les réalités neuromusculaires, des contraintes psychologiques, les facultés mnésiques, etc. Il y a encore et surtout la grammaire qui n'est pas vraiment convenue mais qui, etc. Pour ces penseurs, le mystère principiel doit donc être localisé dans ces contraintes inhérentes à tous les langages, au "logos". Ces contraintes sont ainsi et non pas autrement et les choses qui sont prétendues premières ('cause', 'loi', 'principe', 'langage'…), sont mises en place par le grand jeu de la communication. C'est la forme du logos qui serait la 'première cause première'.


A priori, les chrétiens, pour ne parler que d'eux, ne voient pas cette idée d'un trop mauvais œil; n'est-ce pas dans l'ombre de cette intuition-là que le très contemplatif Jean, dans la sphère mentale de son époque, a décidé de commencer son Évangile en donnant à son Dieu ce nom étrange de "Logos"?


*


Sous le contrôle de tous ces avertissements - il y en a beaucoup d'autres que j'oublie de mentionner, mais c'est sans importance parce que, in fine, ces avertissements sont toujours des reformulations de la finitude kantiennes construites à partir de ce que tel ou tel penseur juge premier: Dieu? Les lois naturelles? La perception? La conscience? Le langage?... - sous le contrôle donc de ces avertissements, je me risque à répéter que même si au départ il n'y a qu'un seul 'Mystère' (avec majuscule!), un seul 'Logos', un seul 'Dieu créateur' qui détruit par sa nature même l'espoir de tout comprendre, alors le monde peut indifféremment avoir d'autres mystères, d'autres sources de chaînes causales qui malaxent le monde; il n'appartient qu'à ce Mystère, ce Logos, ce Dieu, de l'accorder ou non à sa Créature…


S'il n'y a que le Logos qui est mystérieux, si donc ce Logos n'a pas compliqué notre monde par l'engendrement d'autres mystères que son propre format, alors il n'y a pas d'altérité dans le monde! Le temps n'existe plus, ou plutôt, le temps n'est plus que le label donné à un outil taxinomique qui range les choses perçues. Dans ce monde-là, le présent, le passé et le futur sont déjà écrits dans une seule et grande formule décrétée par le Logos. La 'communication' n'y est qu'un leurre; elle est identifiable à ce que le savant appelle une 'interaction': rien ne se communique parce que tout s'impose d'emblée comme incontournable. La cible est modelée par la source sans que la cible puisse modifier, choisir, refuser, interpréter de son propre chef le diktat de la source: la cible s'y conforme en fonction des ses propres déterminants qui sont, eux aussi, dessinés par la source, point à la ligne.
Mais si ce mystérieux Logos a engendré d'autres producteurs de 'causes premières', si la cible a été déterminée comme pouvant aussi jeter d'autres 'causes premières' dans le monde, alors le monde est pluriel. Le Logos du départ peut, en droit au moins, faire des logos de niveau deux qui eux-mêmes, pourquoi pas, peuvent engendrer des logos de niveau trois etc. Et si je m'en tiens strictement à un raisonnement épistémologique, en esquivant donc tant que faire se peut les investissements métaphysiques, je constate qu'avec ces prémisses, la communication ne s'identifie plus à l'interaction; la cible est susceptible de ne pas obéir, de ne pas prendre intégralement ce que la source envoie. La cible a en elle-même la possibilité de se modifier et d'insérer, ex nihilo, une filtration, une édition, une déformation sur tout ce qu'elle reçoit du message donné. Et comme chacune de ces sources de 'causes premières', quelque soit son niveau générationnel, est source possible d'autres sources de 'causes premières', le croquis du monde se complexifie massivement. Chaque 'cause première' pouvant introduire des chaînes causales dans le monde je peux penser que même si les lois naturelles (qui organisent les maillons dans les chaînes de causes et d'effets) sont strictement imposées et immuables il reste que la forme globale du monde reste malléable par des initiatives 'personnelles'. Or il semble bien que les lois naturelles sont imposées et immuables (la preuve c'est que chacun de nous peut remarquer que le monde n'est pas qu'un vaste chaos, qu'il y a en son sein un îlot stable, des possibilités de prédiction, des logiques explicatives, des contraintes mesurables, des langages fonctionnels, etc.).


J'ai subrepticement brûlé une étape en utilisant le mot "personnelles". J'ai changé la terminologie une fois de plus. C'est vrai, mais c'est encore et toujours la même chose qu'il y a derrière tout ça. Le concept de 'personne' est né avec le Christianisme de cette intuition que mon semblable est toujours quelque chose de plus que l'idée que je pourrais en avoir. C'est une autre manière de dire qu'un acte incompréhensible commit sur le monde par une personne n'a éventuellement pas d'autre cause que cette personne. Cette personne est donc considérée ici comme une source de 'causes premières' jetées dans les algorithmes du monde comme cette personne elle-même y fut jetée.


Tant que j'y suis, puisqu'il s'agit encore d'une question de vocabulaire, je ferai valoir que le concept de 'liberté' qui est depuis toujours lié à celui de 'personne' et à celui de 'responsabilité' en morale, est totalement redevable lui aussi de celui de ces 'causes premières'. Ce truisme, il fallait bien le dire aussi de telle sorte qu'il soit bien clair que "liberté", "personne", "mystère", "Dieu", "Logos", "responsabilité", "communication" et bien d'autres mots encore sont autant de variations sur le thème de la 'cause sans cause'. (À la lumière des réflexions de nouveaux philosophes qui se réclame du Réalisme Spéculatif, même le "Chaos" aurait quelque chose à voir avec ce qui est développé ici. Ce sujet a déjà été développé ailleurs dans ce site.)

*

'Dieu', 'Logos', 'Mystère', 'Personne divine', 'personnes divines' (pluriel), 'personnes non divines mais plurielles'... Autant de choses qui se partagent des noms d'hommes et de dieux, c'est à votre guise, pourvu le l'on ai bien assumé d'abord que l'inconnaissable ce n'est pas tout à fait la même chose que l'inconnu, ...et ensuite que l'inconnaissable peut éventuellement générer de l'inconnaissable!

 

Méditation

 

Après avoir ainsi situé les 'causes premières', en utilisant sciemment le jargon des chrétiens, je peux repenser à nouveaux frais la proposition du départ.


Dieu est la 'cause première' de ce qui habite le monde: les lois de la nature et les choses qui les subissent. S'il n'y avait que Dieu pour lancer des causes premières, la forme du monde serait parfaitement expliquée par ses goûts. Mais Dieu a jeté dans le monde en plus de ces lois, en plus de ces événements (triturés par ces lois mais qui ne sont encore que des excroissances de Dieu), le don de la fécondité, qui fait que d'autres choses peuvent surgir qui ne sont ni Dieu ni de Dieu, et qui éventuellement, sont elles aussi fécondes. Cela revient à dire qu'il y a dans le monde des 'personnes' qui sont autant de sources nouvelles chaînes causales. Du coup, la forme première du monde – ce premier jardin labellisé "Éden" dans les cultures judéo-chrétiennes – est modifiable et modifié par d'autres choses que les goûts de Dieu. C'est typiquement ce qu'il y a derrière l'idée de l'impuissance de Dieu dont le Christianisme va donner une représentation violente avec la croix. Pour un chrétien, Dieu ne fait plus ce qu'Il veut du monde qu'Il a créé; il doit négocier avec ...nous! Ce "nous", pourrait d'ailleurs s'étendre au monde animal voire au monde végétal ou minéral, pourvu qu'on y repère quelque autonomie. La cruauté du réel peut, en droit, venir de Dieu, de chaque personne, et de chaque autre éventuel producteur de causes premières, qu'il soit animal, végétal ou minéral.

Sachant que ce ne sont pas les lois qui font le mal, mais les contextes dans lesquels les lois s'appliquent, le chrétien n'a plus à se poser une question du genre: "Pourquoi les lois de la nature sont-elles ainsi et pas autrement". Il laisse volontiers à Dieu d'avoir jeté dans le monde l'autorité et la pérennité des lois de la nature. Il y situe même la seule chance de pouvoir entrer dans un jeu des représentations et donc du langage car pour communiquer, pour jongler avec des représentations, les conventions nécessaires au langage ne pourront commencer à s'établir que s'il y a préalablement à toutes ces conventions des îlots de stabilité accessibles à tous candidats à la communication. Nous n'avions besoin que d'une toute petite île dans l'océan des possibles pour y établir les premiers binômes représentant/représenté mais cette première étape était incontournable pour autoriser l'élaboration de langages plus sophistiqués: pas de communication sans interactions, sans un certain ordre stabilisé...


L'évangéliste Jean affirme (Jn 1,1 et suite) que pour le chrétien (qu'il contribue à définir), le Dieu intemporel, ce 'premier commencement', c'est ce Logos. La communication, c'est la manière de Dieu d'être avec sa créature. Le Dieu chrétien, restera dans le dicible, c'est promis. La foi chrétienne c'est la foi en cette promesse, la confience en la possibilité d'une Révélation, la croyance en une relation particulière qui est communication plutôt qu'interaction. (Le logicien chrétien aimera peut-être faire valoir ici que Dieu, aussi mystérieux puisse-t-il être, ne sera pas contradictoire...) Pour autant, par-delà la garantie de cette stabilité-là, Dieu reste susceptible d'agir par d'autres jets de causes premières dans cette soupe de lois immuables qui articulent les briques du langage et les trajectoires régulées des choses.
Dans cette modélisation du monde, le chrétien n'a évidemment ni la possibilité ni même l'envie de changer les lois naturelles; il a besoin du langage pour entretenir des relations avec sa femme, son mari, ses amis... Mais il a, autant que Dieu, la possibilité de jeter des causes premières dans le monde. Chacune de ces 'causes premières' jetées par Dieu OU par d'autres dans cette soupe de lois et de choses va recontextualiser autrement chaque événement du monde.

Aux lois la stabilité, aux contextes la contingence, le mouvement...

*

Je le dis encore autrement tant cela me semble important: toute chose plongée dans cette soupe de lois naturelles, même celle qui n'est capable que d'interagir, a une trajectoire mondaine qui est téléguidée non seulement par les lois de la nature mais aussi par sa position dans un contexte où ces lois s'appliquent. La moindre variation du contexte (la forme du monde) affecte tout ce qui est contextualisé, c’est-à-dire tout!

Donc toute personne, divine ou non, peut affecter toutes les choses dans un monde rigoureusement légalisé, non pas directement mais par le biais de son action sur le contexte sans lequel la personne et les choses sont situées.

Le contexte du départ a été créé par Dieu? Qu'importe ce supposé 'Éden' où il n'y avait que la volonté de Dieu et où nous n'étions que les marionnettes! C'est mon contexte qui m'intéresse! Ce contexte hic et nunc, c'est mon présent. Ce présent ne cessera de céder sa place à un autre présent que lorsque le contexte cessera d'être modelé par les autres, c’est-à-dire lorsque tout le monde sera mort. L'écoulement de mon temps, c'est la variation du contexte, l'action des autres.

Le mythe de la genèse nous rappelle que le monde de la communication, de la relation interpersonnelle, a commencé non pas par une désobéissance aux lois naturelle (cela est impossible), mais par la désobéissance à une préférence d'un Dieu, ou, plutôt, avec la possibilité d'une désobéissance. Chaque événement est coloré par une nuance modale: la contingence, la source vive du possible...


*


Présenter ainsi notre monde ne préjuge pas de l'importance des effets de chaque cause première lancée dans ce monde; il y a des personnes manifestement plus douées que d'autres pour jeter les bonnes ou mauvaises initiatives au bon moment: celui qui fabrique une bombe atomique est manifestement plus influent que le curé pourtant excellent, très actif et incroyablement bon de ma paroisse.

Mais même le plus doué des lanceurs de nouvelles causes premières, qu'il ait pour nom "Dieu", ou "Oppenheimer" ou "Mandela", reste contraint dans toutes ses tentatives de changer la forme du monde. Le contexte (les singularités du lieu d'application des lois), peut toujours lancer un "halte là!". Ce contexte, la forme du monde, est modelé par la communauté des lanceurs de causes premières dont Dieu n'est qu'un membre parmi d'autres; L'importance de l'intervention de Dieu ne sera ni plus grande ni plus petite que ce que la communauté dans sa globalité en décidera d'une manière collégiale.


...Et que faire de Job alors?


Sous cet éclairage-là, je découvre que beaucoup trop de théologiens, de philosophes et même d'artistes ont gâché certains de leurs travaux parce qu'ils ont analysé le monde comme s'il n'y avait en lui qu'une ou deux sources de causes premières. Ils ont ainsi réduit le pouvoir modérateur du contexte à sa plus simple, à sa trop simple expression. La manière de présenter la coexistence apparemment étrange du mal et d'un "Bon Dieu Créateur" en est une illustration paradigmatique.

Je trouve, par exemple, que pour analyser le Livre de Job (livre emblématique s'il en est sur la question du mal), les Grégoire le Grand, Thomas et autres Kierkegaard ont été un peu vite en besogne... Car enfin, qu'est-ce que Job reproche à Dieu? Le fait d'avoir accordé à d'autres qu'eux deux (Job et Dieu) une certaine consistance existentielle? Le fait d'avoir accordé à une tierce personne de jeter des causes premières dans le monde de tous? Bref, d'avoir accordé le droit à celui qu'on a ensuite nommé Satan, de penser autrement la Justice? Manifestement, même un psychiatre de supérette pourra dire que le début de ce livre magnifique décrit un Job encore immature à outrance qui ignore le poids réel de la tierce personne!


Nous aurions tort, à la suite de ces Grégoire et autres Kierkegaard, de ne voir en Satan que l'instrument d'une intrigue narrative destinée à édifier le lecteur sur des problèmes bilatéraux comme la Persévérance dans la foi, l'abnégation jusqu'à l'indignité devant le Père, ou dieu sait quelle autre fidélité dans l'épreuve. Pourquoi ne pas y lire aussi et surtout que Satan, qui a usé de son droit de tiers dans cette affaire, nous ressemble lorsque nous voulons être justes. Oui, à mieux y regarder, nous ressemblons tous furieusement à Satan lorsque nous réclamons de l'équité dans le monde. Ce que Satan réclame c'est que nous soyons tous mis sur un pied d'égalité au moins au départ de nos vies en ce qui concerne la fortune, la santé et la chance. Avec la naissance de Job, cette équité a été bafouée. (Satan ne dit pas que Dieu en est la cause. C'est un certain contexte qui a fait que Job est né le cul dans le beurre...)


Job était zélé pour plaire à Dieu, c'est vrai, mais ce n'était qu'un bien un petit mérite au regard de ses privilèges de naissance. Brûler des holocaustes, se lever tôt pour aller à l'office, donner de l'argent à la veuve lorsqu'on en a tant... Facile! La vraie vertu se paie plus cher! Job serait-il encore cet enfant modèle s'il est plongé dans le contexte du plus commun des mortels qui associe la pauvreté, la malchance et la mauvaise santé?
La considération énorme qu'éprouve Dieu pour son petit Job chéri né dans la ouate a de quoi agacer les tiers. Qui n'eut cherché, au moins dans un premier temps, à rééquilibrer les choses? Quiconque s'intéresse à la justice essayera de rééquilibrer les choses! C'est exactement ce que Satan essaye de faire en jetant ses 'causes premières' dans le monde de Job, dans notre monde.


Ce qui est intéressant dans cette affaire, c'est que par respect pour Dieu, mais aussi par cruauté envers Dieu, Satan n'a rien jeté dans le monde sans avoir préalablement forcé Dieu à expliciter clairement son consentement. Satan, qui dès le départ est à "tu" et à "toi" avec Dieu, ce monstre qui nous ressemble, savait bien qu'il obtiendrait ce consentement! L'enjeu d'un tel consentement n'est ni déterminant ni quantitatif mais qualitatif! Si Dieu interdit à la forme du monde d'être modelé d'une manière collégiale, alors c'est la fin de la vraie communication, le retour du Grand Algorithme, ...la préférence de Dieu ne serait plus que vaguement colorée par quelques valeurs aléatoires sans conséquences (qui n'auront même plus prise sur la longueur de nez de Cléopâtre!)... Bref la mort de la communication et le retour de l'interaction... Coincé dans l'algorithme de ses préférences, Dieu retournerait alors à la solitude absolue. Satan, nous et Job ne serions plus que les robots de Dieu dont la marge de manœuvre serait strictement conformée aux caprices de Dieu. La communication atrophiée en interaction tuerait aussi la possibilité de l'Amour dans l'œuf. Or l'Amour, qui est tout de même la grande affaire de Dieu (au moins dans le christianisme), deviendrait impossible par l'inexistence de l'altérité.


Ce que l'infâme Satan voulait c'est forcer Dieu à dire bien malgré Lui, contre son propre désir, du bout des lèvres donc, qu'Il acceptait encore et toujours de ne pas être seul à décider, à choisir... Satan, l'infecte Satan qui nous ressemble tant, voulait que Dieu mesure une fois encore que ce que Dieu avait donné aux hommes, à Satan, à moi et à toute personne, a un poids qui peut devenir insoutenable pour certains (dont Job fait partie dans cette occurrence). Par son impuissance volontaire, Dieu n'est pas en mesure de protéger le monde contre les cruautés qu'il peut s'infliger à lui-même; un vrai temps, pas celui des physiciens, existe par cette impuissance, une vraie contingence. Dieu n'était pas en mesure de prévoir la catastrophe qu'allaient enclencher les initiatives de Satan puisque ces initiatives allaient être machinées par un contexte sur lequel Il n'avait qu'un bien maigre pouvoir. (La puissance et l'impuissance de Dieu, c'est le sujet explicite de la réponse de Dieu aux critiques de Job à la fin du livre; ce n'est pas Dieu qui choisit la proie de la Lionne, il ne maîtrise pas le Béhémoth, la sottise de l'Autruche, etc. Je renvoie mon lecteur à l'analyse plus fouillée du Livre de Job accessible sur ce site).


Pour clarifier son propos, les auteurs du Livre de Job ont fait un Satan exceptionnellement doué, plus doué que le commun des mortels pour recontextualiser la forme du monde. Mais osons, ici aussi, une mise en perspective: celui qui a le pouvoir de faire construire ou de manipuler une bombe atomique a autant voire plus de pouvoir sur toutes nos vies que le Satan du Livre de Job!


Et moi qui, par bonheur, suis moins doué que Satan et encore moins que les décideurs de conflits armés sur la terre, qui serais-je devenu si, par mon contexte de naissance, j'avais obtenu le génie de l'action efficace? J'aurais certainement agi comme Satan parce que moi, comme Job (et peut-être comme Satan lui-même!), j'enrage de voir le méchant engraisser, le chançard se vanter et donner la leçon, le simple croupir dans les manipulations subliminales d'ingénieurs peu scrupuleux, le pauvre avoir faim au milieu des obèses, le tétraplégique ou le vieux pourrir dans ses couches pendant que des rentiers s'ennuient sur la plage... Moi, dépourvu des talents des Satan, Gandi, Mandella et autre Oppenheimer, je me contente d'écrire des petits textes que personne ne lit. Mais si je devenais demain important dans le milieu des décideurs, qui deviendrais-je? Un deuxième Satan?


En dépit des analyses des Grégoire, Thomas et autre Kierkegaard, moi, paul yves wery, simple habitant du monde, en l'an de grâce 2019, je réponds ceci au pauvre Job qui accuse Dieu sur son fumier: "Job, ne perd pas ton temps avec Dieu, il est cloué sur une croix, va plutôt discuter avec Satan qui est la première cause de ton malheur. Négocie un meilleur compromis là où il est négociable pour toi"...


En disant cela, je ne dis pas que Dieu n'a pas de pouvoir sur sa croix. Il en a même probablement beaucoup plus que la plupart d'entre nous parce qu'Il a beaucoup d'amis qui l'écoutent et essayent de faire ce qu'Il ne peut plus faire à cause des clous...

 

paul yves wery - Chiangmai

Version 1.0 - Septembr 2019

 

 


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