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Version 3.03 - Chiangmai -Mars 2016

Egologie- première partie.

"...'Je' est un autre... " (A. RImbaud)

Abstract: La mise en relations de l'image que j'ai de moi, de la spécificité de mes joies, de l'image de 'celui que je voudrais être' et de l'image que les autres ont de moi me conduit à comprendre que le "je" est habité par au moins deux mystères dont les exigences peuvent entrer en conflit. L'art de vivre en paix avec moi-même exige ma lucidité, mon honnêteté, le secret et la complexification culturelle du monde ...

Proposition d'une division du "je" en quatre parties:

    1. L'image que j'ai de moi
    2. Le mystère en moi
    3. L'image de celui que je voudrais être
    4. L'image que les autres ont de moi

Cette division du "je" est arbitraire. En divisant symboliquement mon "je" de cette manière-là, je laisse certainement hors d'atteinte quelques dimensions importantes de ma réalité, ...mais qu'importe. Je sais et j'assume que cette division du moi est étrange et partiale. Je l'ai choisie parce que la mise en relation de ces quatre parties-là est particulièrement fertile sur le plan spirituel.

Aucune de ces quatre parties n'est totalement autonome et je n'ignore pas que ces quatre parties ne sont même pas exclusives les unes des autres, ...mais qu'importe. Il n'en reste pas moins vrai que chacune a sa manière propre de fonctionner, son système de nécessités et une forme d'inertie à faire valoir.

Dans et par la guerre civile que ces parties alimentent au coeur de mon coeur, s'aménagent et s'identifient les caractéristiques que je considère comme étant parmi les plus importantes de mon «je». Ce jugement de valeur est discutable, j'en conviens, ...mais qu'importe, pourvu que je circule plus lucidement dans les méandres de l'identité.

 

***

 

-1- L'image que j'ai de moi.

L'image que j'ai du moi, je ne l'ai pas choisie, je l'ai découverte. Elle est faite des souvenirs de sensations, d'idées claires, d'idées confuses...

Ma seule marge de manoeuvre en face de cette image, c'est de pouvoir la regarder plus attentivement, y compris en ce qu'elle a de volatile, d'énigmatique, de dynamique, d'imprévisible. La clé de mon acuité c'est mon honnêteté intellectuelle. Il s'agit ici de déshabiller à la fois l'observant et l'observé, de mettre à nu les effets de styles de mes sympathies, de mes désirs, de ma volonté...

(Faire la distinction entre sympathie, désir et volonté est une étape importante dans la maturation de la vie spirituelle. C'est par excellence un des enjeux de ce qu'il est convenu d'appeler la méditation.)

L'image que je découvre in fine n'est pas «je». ...«Je» finis toujours par le comprendre et c'est pour cela que je dois parler d'une image, d'une représentation, que "je" donne à "je".

Cette image peut donc être source d'illusions ou de déformations. C'est pourtant la plus grande certitude que je puisse avoir à propos de mon identité.

 

-2- Le mystère du «je», le «noyau dur»...

Il y a dans le "je" une partie, un territoire, plus solide que tout le reste, un noyau qui lui seul me détermine comme étant mort ou encore vivant. Son diktat, c'est moi "malgré moi", c'est le maître absolu qui sévit au coeur de mon coeur. Ce tyran qui me nomme, qui me désigne, et m'incline, il se révèle par les caractéristiques non pas de mes désirs mais de mes joies. Ce récif autour duquel "je" me cristallise dans l'océan cosmique, ce roc qui choisit pour moi de laisser ou de ne pas laisser émerger la joie dans tel ou tel contexte, il a ses règles dont "je" n'arrive pas à trouver la formule. Le coeur de mon coeur "subit" son principal identifiant!...

Mais un jour plutôt que l'autre, le coeur de mon coeur s'étonnera de ses propres spécificités qui au regard du reste du monde lui semblent maintenant contingentes.

L'effort nécessaire pour élucider les singularités de ce noyau me laisse comprendre que le coeur de mon coeur se cache encore à moi-même, qu'il est encore partiellement non-dit. Le sac de mots dans lequel mon «je» tente d'enfermer son propre noyau est troué et, pour ma plus grande confusion, du réel inconnu y fait passer subrepticement quelques-uns de ses tentacules.

En pratique, que ce réel qui habite mon coeur contienne une part 'inconnaissable' (mystère) ou une part 'encore inconnue '(énigme), cela revient au même. Mais plus je travaille avec des mots, plus je suis enclin à penser que cette partie du réel, qui contribue à me singulariser, est plutôt mystérieuse qu'énigmatique: je suis de plus en plus convaincu que la production de ma joie n'obéira jamais parfaitement aux règles que je découvrirai.

Ce «noyau», tout mystérieux qu'il puisse être, semble par contre être précis, univoque, «dur»; le problème c'est d'en circonscrire les règles par des mots mais pas de découvrir son existence ni d'en entendre le singulier diktat.

Dans la spiritualité bouddhiste, l'étude de ce "noyau dur, c'est le discernement et la contemplation du "Védana" auquel Bouddha donne un sens précis et consacre un chapitre clé dans son livre sur la méditation " ('Maha-Satipatthana-Sutta').

Évitons ici un piège du langage: je pense que ce noyau est «univoque» et «dur» mais ce n'est pas dire que je le considère comme immuable. Sa manifestation est péremptoire, magistrale, ...mais en lui s'exécute une mutation soumise à une durée propre, une imprédictibilité spécifique.

Pourtant -et c'est là toute la subtilité du sujet- cette mouvance créatrice du coeur de mon identité, cette figure particulière d'un "aléatoire" (sur lequel ma volonté a d'ailleurs manifestement une vague influence), plus je la déshabille, plus je découvre qu'elle est et reste très précisément délimité hors du «non-moi». L'inconnu est pluriel; le mystère du non-moi ne se confond pas avec le mystère du moi.

Dans ce que, par exemple, je penserais être un amour fou, impossible et suicidaire, la sympathie étrange et démesurée que j'éprouverais malgré tout pour l'être aimé est un mystère qui me tyrannise. Ce mystérieux caprice de ma sympathie m'appartient. Je peux le ligoter, le bâillonner, le distraire, maltraiter le désir qu'il fait naître... Mais dans ce douloureux combat, l'autre reste debout ou assis, comme bon lui semble! Son mystère ne m'appartient pas et c'est lui justement l'objet de ma mystérieuse passion puisque tout le reste, chez lui et chez moi, n'est qu'une poupée molle. De l'être aimé, à cause même de la nature de l'amour, je ne peux pas ne pas assumer l'autonomie qui affole mon propre mystère.

Des mystères d'entrechoquent. L'inconnu est pluriel et la douleur s'infiltre dans ses jointures.

-3- L'image de ce que je désire être.

En observant les hommes, il me semble que pour certains, quoique doués d'une bonne intelligence et d'une bonne maîtrise du langage, la conscientisation et la dénomination des singularités du «je» suscite un malaise voire l'épouvante. C'est comme s'il y avait chez eux, des choix à faire durant ce travail de verbalisation. Or, si choix il y a ici, ce n'est que celui d'être honnête avec soi-même. Aucune véritable entreprise spirituelle n'est envisageable sans cette honnêteté. Je ne chercherai même pas à démontrer ce truisme. Ce malaise devrait donc, à mes yeux, être traité sans délai et sans pitié, comme s'il s'agissait d'une maladie très grave.

Je me demande souvent, avec quelques raisons, si cette souffrance particulière n'est pas le symptôme d'une peur précise: celle de percevoir une différence entre l'image que j'ais du «je» et l'image de ce que le «je» désire être.

Comment me soigner de cette peur?

Une personne n'est pas l'autre évidemment. Cette peur, je l'ai personnellement éprouvée durant mon enfance et mon adolescence lorsque je commençais à identifier et dénombrer mes singularités (spécificités de genre, imperfections corporelles, failles intellectuelles, conscience morale en contradiction avec les codes, etc.). Mais cette peur, j'ai pu la maîtriser sans devoir consommer trop d'énergie dès que je me suis rendu compte que lorsque mon honnêteté me déshabille, elle le fait dans une sphère que je peux rendre strictement privée.

Après l'adolescence, force est de constater par ailleurs que je n'ai plus vraiment craint de découvrir dans mon «mystérieux noyau dur» quelque chose qui me soit à la foi essentiel et inacceptable. Confiance d'idiot? Naïveté? Présomption? Peut-être. Mais quoique conscient d'être capable, par exemple, de terribles méchancetés, je suis devenu progressivement certain que la part la plus intime de mon être, par-delà sa nature mystérieuse, veut toujours être gentille et cela me protège contre la haine de moi-même. Ce que je découvre en moi de cruauté est toujours plus accidentel qu'essentiel; pour que je succombe à cette horrible tendance, il faut d'abord la colère, la lassitude, l'impatience, la frustration, la peur, l'erreur de jugement de mes semblables ...en un mot: une force qui n'est PAS de ma sphère et qui s'acharne à essayer de m'arracher hors de moi.

C'est quoi cette image de ce que je désire être ?

Surtout et avant tout c'est un désir. Un désir est une stratégie pour acquérir sinon de la joie, au moins du plaisir. Le désir, certes, par son objet est inféodé à un flux de sympathies qui n'a rien de virtuel, qui est produit par mon «noyau dur» et qui a dit à un moment donné (toujours au présent!): «j'aime», «je n'aime pas» ou «je suis indifférent». Mais ce désir, qui est donc amarré à un moment réel (le passé est une réalité dont la trace continue inévitablement de marquer le présent), n'en reste pas moins arrimé aussi à du virtuel: le désir est structurellement virtualisé par ses conjectures autour d'un futur qui n'existe pas et n'existera peut-être jamais.

Lorsque j'analyse plus encore mon désir, je me rends compte que «je» le construis non seulement avec des productions de mon noyau dur à un moment précis et un fantasme d'avenir, mais aussi avec des matériaux issus de ma culture, de ma religion, de mon intelligence, etc. Le «je» remodèle le désir premier suscité par la rencontre entre le cosmos et mon noyau dur en touchant à diverses variables dont certaines sont sous mon contrôle. Que ce désir final soit plus performant ou non pour acquérir de la joie est une tout autre question que je n'aborde pas ici; ce qui m'importe c'est de remarquer que mon désir peut se retravailler sans que le coeur de ma singularité ne soit nécessairement mis en péril.

«L'image de ce que je désire être» (un désir parmi d'autres) a donc une certaine plasticité. Cette plasticité n'est pas énorme mais j'ai tout intérêt à la prendre en considération!

Disons-le autrement :

Le «noyau dur» du «je» secrète sans interruption un flux de sympathies et d'antipathies contingentes qui me singularisent. Jusqu'ici, je ne maîtrise rien; je subis. Tout au plus puis-je, à mes risques et périls, donner une impulsion sur l'orientation globale de ce flux. L'effet de cette impulsion resterait malgré tout aléatoire, ...et mon identité y laisserait nécessairement quelques plumes.

C'est en aval de ce flux que «je» secrète et façonne des désirs (dont éventuellement ce désir particulier d'être différent de l'image que j'ai de moi-même). Par la culture, la morale, la volonté, la religion, la raison, l'alcool, la médecine, (...), le «je» est en mesure de réajuster au moins partiellement les désirs qui se cristallisent autour de ses flux de sympathies.

In fine, des désirs dont les caractéristiques principales sont artificielles peuvent même devenir des phares de mon identité sociale sans que le jet de «sympathies» (produit par mon "noyau dur") qui est à la racine de ma singularité ne soit sacrifié.

Accepter que le désir évolue sans accepter que ma singularité ne soit niée est par excellence le travail spirituel du chrétien et même une vertu chrétienne!

Le Bouddhisme est moins soucieux de préserver cette singularité produite par le "noyau dur" ("védana") qu'il déclare plus enchaînant qu'utile. (En fait, le bouddhisme, pour atteindre son idéal qui est l'abolition des désirs, ne garde que la volonté qui, à l'inverse du désir, est supposée indépendante des sympathies et n'est donc pas à proprement parler une 'singularité'!)

Il m'est utile de pouvoir distinguer en moi-même les désirs de ces sympathies qui les font naître. Cela m'aide à mieux conscientiser l'essentiel de l'accidentel dans mon identité, ...mais, surtout, pour un chrétien, ce discernement-là me permet de retravailler plus sciemment mes désirs sans mettre en péril le coeur de mon coeur, sans mutiler exessivement ma singularité.

L'enjeu est de taille puisque mes désirs pilotent mon «je» dans le «non-je». S'il est bien menés, ce travail spirituel me permettra de gagner quelques miettes d'autonomie: sans devoir trop sacrifier mon identité «je» deviendrai peut-être plus susceptible de devenir joyeux malgré la souffrance, malgré l'agressivité des autres, ...malgré la force du «non-je».

Sur le thème de la plasticité des désirs, voir les articles dédiés dans ce site : «Christianisme et jeux électroniques», «Sympathie, désir et volonté», «l'ascèse», «Le 'Vedana' dans la méditation Bouddhiste»,etc.

-4- L'image que les autres ont de moi.

Le cosmos semble me connaître. Il s'adapte et s'installe autour d'une image qu'il se fait de mon «je». À première vue, cette image-là de mon «je» n'est pas une de mes composantes; même si manifestement le «je» contribue parfois à transformer cette image, au moins en droit, cette image semble intégralement être la «chose» du non-moi.

Pourtant, à mieux y regarder, cette première impression se révèle fausse. Entre le paraître et l'être, il y a des relations symboliques d'une complexité abyssale et il ne faudrait pas se laisser abuser par des automatismes langagiers. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'image du «je» produite par le «non-je», aussi peu fidèle qu'elle puisse être à ce qu'elle est sensée représenter, est aussi une part inhérente du «je» et elle contribue aussi à caractériser la singularité du coeur de mon coeur.

Historiquement, l'image que les autres se faisaient de moi n'a d'abord été pour moi qu'un moule dans lequel je modelais mes premières élucidations. J'étais un bébé.

Petit enfant, il m'arrivait déjà de percevoir de temps en temps une différence entre cette image et ce que je croyais être. Je vivais alors cette 'erreur' du monde exactement comme n'importe qui vit un corps étranger planté dans son corps. Cet objet étrange pouvait me faire mal comme une écharde et j'essayais alors, autant que possible, de le retirer de moi ou, à tout le moins, j'évitais les mouvements qui aggravaient ma douleur. Dans ces efforts d'évitement, mon «je» a peut-être sacrifié quelques-unes de ses spécificités, mais, globalement, les enjeux engagés ne permettaient pas encore de mettre sérieusement en péril l'identité d'un «je» qui devait surtout faire un découpage et un état des lieux dans les symboles et les mots avant de pouvoir se dire à lui-même.

Dans mon coeur, ce 'paraître' qui prenait des libertés par rapport à mon 'être', devenait de plus en plus clairement un ennemi potentiel. J'essayais donc souvent de réduire la différence entre l'idée que j'avais du «je» et l'idée que les autres en avaient. J'étais d'autant plus zélé à la tâche que je comprenais de mieux en mieux que pour me penser, en dehors de cette image, le «non-je» n'aurait de toute éternité à sa disposition que quelques formules objectives (scientifiques) sans véritable importance au regard des enjeux mis sur la table! Au début, pas encore assez imaginatif que pour songer à tricher, l'enfant que j'étais estimait donc que seule 'sa' vérité était susceptible de plaider sa cause dans ses conquêtes de joies. Mais très vite les choses ont changé lorsque l'enfant s'est rendu compte que des masques existaient aussi qui offraient d'insolents avantages.

En vieillissant, de nouvelles échardes venaient s'ajouter aux anciennes et l'ensemble de ces incrustations commençait à constituer une véritable carapace. Ma peau devenait comme une coquille de plus en plus épaisse dans laquelle j'en arrivais finalement à manquer de place. Parfois, au travers de ma coquille, le piquant d'une écharde plus longue que les autres arrivait encore à torturer ma chair la plus intime et hanter mes rêves, mes nuits. Cette écharde-là devenait alors comme la lame d'un bistouri qu'un chirurgien distrait aurait oublié dans mon ventre. Je me réfugiais dans un espace encore plus profond et plus petit. Je commençais à étouffer. J'allais à ma perte.

Il me fallait sinon pouvoir retoucher l'image que les autres avaient de moi, au moins transformer son rôle dans l'organisation de mon «je». La meilleure stratégie (et probablement la seule qui me fut accessible à cette époque de ma vie), c'était d'étudier un compromis symbiotique: faire de ces échardes un outil par et avec lequel je pourrais élargir ma sphère de vie. J'allais pratiquer un nouveau sport : le judo spirituel! Il me fallait réussir un grand oeuvre d'alchimiste: transmuter cette image du moi fabriquée par les autres en l'un de mes propres organes. (En théorie, cela revenait à distinguer deux mystères dans mon «je»). Il fallait faire de chaque écharde comme l'os d'un squelette pour offrir une bonne prise à chacun des muscles de mon intimité et gagner de cette manière quelque autonomie sur l'étendue.

C'est ainsi que les caractéristiques mystérieuses (apparemment transcendantes) de l'image que les autres se font de moi, par un subtil déplacement de mes frontières symboliques, sont progressivement entrées dans ma vie et sont devenues comme un engrenage contingent mais immanent de mon organisation.

Dès l'adolescence, cette nouvelle dynamique du « je » me permettait de mieux négocier l'image que le monde se faisait de moi. Je savais ma faiblesse dans cet effort de réajustement: c'est toujours le monde qui aurait le dernier mot et il pouvait toujours soit se tromper soit nier l'une ou l'autre de mes singularités. Il y avait là de quoi alimenter de sérieuses angoisses, mais mes stratégies de conquête de la joie n'en devenaient que d'autant plus subtiles. Si par mon action je ne pourrai jamais 'imposer' au monde de me penser comme je le voulais, au moins pourrais-je mieux l'y 'incliner'?

À ce stade de ma maturation, la ressemblance entre l'idée que j'avais de moi et l'image que le monde se faisait de moi n'était déjà plus nécessairement une priorité d'ailleurs. Mon but était autre: il me fallait de l'espace, ...de l'espace autant que possible, pour déployer de nouveaux désirs que je sentais naître en moi comme autant de nouvelles sources possibles de joies.

Je remarquerai vite que par-delà son mystère, le «non-je» est lui aussi inscrit dans un processus de maturation. Il fallait pouvoir considérer que le monde ne fut éventuellement pas encore en mesure d'assumer en son ventre une trop grande ressemblance entre l'idée qu'il avait de moi et l'idée de moi que j'essayais de lui inculquer!

Suite à cette incorporation du mystère du monde en moi, l'immaturité du monde, lorsqu'elle venait à se manifester ainsi, devenait un bourreau plus cruel qu'un simple diktat transcendant. J'en arrivais à me haïr!

Pour apaiser ces guerres civiles, il me fallait jouer sur deux plans avec intelligence et circonspection: travailler mon désir d'un côté (pour garder la possibilité d'en satisfaire et d'éprouver ainsi de la joie) et travailler la maturité du monde de l'autre (pour qu'il puisse un jour assumer des désirs produits par des cractéristiques de mon "je" jusqu'ici inexploitées).

En fait, travailler la maturité du monde, c'est tout simplement le complexifier culturellement, étoffer les division symboliques à partir desquelles il élabore ses cultures pour élargir la combinatoire des relations symboliques possibles. Le but c'est que le «je» sois capable d'exister dans des contextes plus divers, plus subtils. Pas seulement rendre le monde capable d'assumer mon désir, capable de m'aider à recouvrer la santé en cas de rencontre avec tel virus ou telle bactérie, d'allumer une lampe pendant la nuit, (...), mais aussi capable d'assumer ma joie si j'en arrivais à donner suite à des désirs au service de mes spécificités plus subtiles, plus compliquées.

L'art de vivre? Rien de moins que l'art de collecter de la joie en transformant mes désirs et le cosmos sans que mes flux de sympathies de mon "noyau dur" ne soient enterrés dans l'inconscient, dénié, ou purement et simplement taris (ce qui est un peu le synonyme de la mort dans notre christianisme qui a su imposer le concept de 'personne' contre celui 'd'individu'!).

Tout le mal, toute la souffrance sur la terre naît de ces tensions entre des images et des maturations inachevées. Une écharde peut devenir une béquille, un cache-misère, une tumeur, ...une coquille, une carapace, un squelette. J'oscille entre l'autonomie du mollusque l'autonomie de l'écrevisse, l'autonomie du félin... et l'autonomie plus typiquement humaine qui par des jeux de feedback complexifient le monde et l'autorise ainsi à tirer de meilleurs profits de la mise en relation de ses parties.

J'ai besoin d'énergie pour exécuter tout ces mouvements et accommodations. L'énergie? Mais oui! C'est la joie justement! Il y a comme un cercle vicieux: c'est la joie qui me permet de complexifier le monde et la complexification du monde qui augmente ma joie.

J'ai le culot de croire que je ne suis pas seul à vivre consciemment avec deux mystères dans mon coeur. Nous ne sommes pas seuls, mais nous sommes tous singuliers quand même! Lorsque les singularités ne sont pas niées ou entravées, les combinatoires de leurs relations sont d'une telle vastitude que la complexification du monde n'a pratiquement plus de limite. Viendra le jour d'Isaïe...

«...Le loup habitera avec l'agneau, le léopard se couchera près du chevreau. Le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l'ourse auront même pâture, leurs petits, même gîte. Le lion, comme le boeuf mangera du fourrage. Le nourrisson s'amusera sur le nid du cobra. Sur le trou de la vipère, le jeune enfant étendra la main. Il ne se fera ni mal, ni destruction sur toute ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance du Seigneur, comme la mer que comblent les eaux.» Isaïe 11,6-9

 

paul yves wery - Bruxelles - Février 2007

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