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Version 2.21-Janvier 2016

 

Les 'failles' dans les récits évangéliques...

( Ordre symbolique et Exégèse)

Abstract: Les malaises, les omissions volontaires et les simplismes des évangélistes sont autant d'indices qui nous permettent aujourd'hui de dépasser les découvertes des philologues et des herméneutes. Il nous faut retrouver le propos de Jésus par-delà l'intention parfois maladroite de l'évangéliste...

Gardons en tête que la priorité des priorités pour l'exégèse chrétienne n'est pas tant de retrouver ce qu'ont pensé les évangélistes que de retrouver ce qu'a pensé Jésus (voire ce qu'Il aurait pensé s'Il avait choisi de s'incarner aujourd'hui).

Or, les évangélistes, manifestement, ne comprenaient pas toujours parfaitement Jésus. Parfois, vaguement troublés par une flagrante 'bizarrerie', l'un ou l'autre préférera omettre un détail contextuel embarrassant.

Exemple:

Lorsque Jésus dessèche le figuier parce qu'il ne porte pas de fruit, Mt 'oublie' de mentionner que, ce n'était pas la saison des figues! (Cf. Mt21,19 contre Mc11,13).

Parfois il préférera carrément trafiquer une partie du propos du maître.

Exemple:

«Pourquoi m'appelles-tu bon» (Mc10,18 ou Lc18,19) qui devient «Pourquoi m'interroges-tu sur ce qui est bon?» (Mt19,17 Cf. épisode du jeune homme riche).

La critique historique raffole évidemment de ce genre de détails qui dénotent un noyau historique; il fallait le poids d'une réalité historique pour que quelques-uns parmi les narrateurs se sentent obligés malgré tout d'évoquer des détails 'désobligeants'... Ou alors, c'est par maladresse qu'ils les auraient mentionnés. Tous ces premiers chrétiens auraient certainement préféré pouvoir tout magnifier...

Parfois, barricadé derrière sa mission de narrateur, plutôt que de se lancer dans des explications confuses, l'évangéliste nous rapportera que de toute façon personne n'y entendait rien; Jésus lui-même ne semblait-il pas avoir parfois voulu se jouer de ses propres formules mystérieuses?

«...Les disciples étaient déconcertés par ces paroles. Mais Jésus leur répète: 'Mes enfants, qu'il est difficile d'entrer dans le Royaume de Dieu! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu.' Ils étaient de plus en plus impressionnés; ils se disaient entre eux: 'Alors qui peut être sauvé?' Fixant sur eux son regard, Jésus dit: 'Aux hommes, c'est impossible, mais pas à Dieu, car tout est possible à Dieu'...» (Mc10,24 -Nouvelle Bible Ségond 2002) (voir contexte et autres traductions Mt19,24-26, Mc10,25-27, Lc18,25-27)

Rappelons aussi que, selon les Actes, même sur une question aussi fondamentale que l'intégration des 'incirconcis' dans les communautés primitives, il y eut encore de tumultueux débats après la Résurrection (Ac15,1-35.). Il fallut se rassembler pour prendre une décision. Cela laisse à penser aussi que Jésus, s'il ne pouvait toujours se faire comprendre d'emblée, désirait peut-être aussi laisser des questions ouvertes pour autoriser un certain dynamisme et une dimension collégiale dans la mise en oeuvre de son projet.

Pour les chercheurs d'authenticité christique, les ignorances et maladresses des évangélistes sont des sources de confusions au moins aussi criantes que les déformations inhérentes à la transmission de tout texte ancien. Pour serrer de plus près la subtile vérité historique du message de Jésus, l'exégète doit donc aussi fouiller dans ce que les évangélistes ont probablement voulu taire, dans ce qu'ils n'ont probablement pas osé écrire et dans ce qu'ils n'ont probablement pas compris.

Exemple:

Aujourd'hui, on doit oser mettre sur la table la pertinence d'une formule comme '...le Fils de l’homme est venu pour donner sa vie en rançon...' (dont on retrouve de multiples variantes dans les Evangiles; Mc10,45 Mt 20:28 Jn 10,11-12 Mc 14,36 Jn1,29 Jn1,36 Lc22,19-20 Mt26,26-28 Mc14, 22-24... (La liste n'est pas exhaustive!)

..."Rançon"!?!... Devrait-on comprendre qu'il fallait du sang pour calmer le courroux du Père? Autant oser poser la question tout de go: les évangélistes avaient-ils bien compris ce que Jésus disait de la bonté du Père et la portée de la Rédemption? La réponse est 'non' bien sûr; tout l'Esprit du Nouveau Testament nous dit qu'il n'y a pas de 'rançon' dans une dynamique d'Amour-Agapê. (Cf. études de Nygren: "Eros et Agapè" Cerf 2009) Mais cette réponse n'est valable que dans notre organisation symbolique (voir plus loin). En fait, si les évangélistes n'ont pas clairement compris qu'avec Jésus on entrait dans une logique du pardon plutôt qu'une logique d'expiation, c'est parce que cette approche de l'éthique, dans l'ordre symbolique qui était le leur, aurait exigé d'eux une solide dose d'érudition.

 

***

 

Pour approcher le message de Jésus, le travail de l'exégète rassemble en une unité organique les résultats d'au moins trois activités savantes très différentes:

  1. Authentification du Texte et nettoyage des 'effets de prêche'
  2. Distinction entre ordre symbolique et ordre du langage
  3. Exploitation de l'ambiguïté des Evangélistes (des personnes)

 

1- Authentification du Texte et nettoyage des 'effets de prêche'  

Purifier les Evangiles des maltraitances de l'histoire... Non seulement retrouver les textes originaux mais encore les laver malentendus induits par les effets de prêche... On peut parler ici d'un travail scientifique pur. Ce travail est déjà tellement compliqué qu'il nous faut nous en remettre aux travaux savants des philologues et autres historiens si nous voulons avoir encore assez de temps et d'énergie pour aller plus loin.

Exemple :

La parabole du bon Samaritain (Lc10,29-37) est un bel exemple de texte que la prêche a pu pervertir. Françoise Dolto fut peut-être la plus populaire des dénonciatrices d'une 'dérive interprétative' dont la pointe se situe au début du XXème siècle. (Cliquez ici pour lire un extrait du texte de Dolto.) Il est intéressant d'observer que pour dénoncer la perversion, elle n'a eu recours ni aux plus subtiles ressources de la philologie, ni à une vaste expérience exégétique, ni à la fréquentation intensive de la Patristique... Par ailleurs, aucun savoir psychanalytique ne lui fut nécessaire, quoi qu'en laisse penser le titre de son ouvrage («L'Evangile au risque de la psychanalyse»).

En quoi consistait cette perversion? La tradition avait progressivement laissé croire que la fonction première de cette parabole était de proposer le bon Samaritain comme modèle éthique. Cette lecture, si elle n'est pas fondamentalement fausse, joue quand même à saut-de-mouton sur les évidences textuelles. Une lecture honnête nous montre très clairement que le propos de Jésus n'est pas tant moral que pédagogique; Jésus ne cherche pas tant à définir le bien et le mal qu'à donner une bonne technique pour mûrir! La parabole invite l'auditeur du récit à s'identifier à l'homme agressé et non au bon Samaritain.

Aime ton 'prochain'... Or le 'prochain', c'est le Bon Samaritain. Donc, "aime" le Bon Samaritain (plutôt que "fais comme" le Bon Samaritain!).

Le Christ dit ici que ce qui peut faire mûrir l'homme -croyant ou non d'ailleurs!- c'est d'abord une réceptivité à la bonté de son entourage (une qualité d'écoute!). C'est le préalable incontournable à toute maturation spirituelle, morale, intellectuelle, politique... et amoureuse! (C'est alors seulement qu'il pourra éventuellement devenir lui-même un "Bon Samaritain"... La lecture de Dolto est imparable et retrouve ainsi la lecture de la Patristique: Origène, Irénée, Clément d'Alexandrie et d'autres encore voyaient dans la victime de l'agression la figure d'Adam...

 

2- Distinction entre ordre symbolique et ordre du langage

Les manières qu'avaient les anciens juifs et les anciens grecs de diviser le cosmos en parties distinctes ne sont plus d'usage. Ce ne sont pas tant les mots qui ont changé que ce que les anciens recouvraient du réel par chacun de ces mots...

Imaginons un instant (pure fiction s'il en est!) que l'usage du mot "lèpre" aie été stabilisé volontairement autant que faire se peut par le travail des scientifiques et des intellectuels depuis les temps de la rédaction de la bible ; ce que ce mot aurait recouvert il y a deux mille ans n'aurait malgré tout jamais pu être tout à fait identique à ce qu'il recouvre aujourd'hui. La raison est simple: à l'époque de la rédaction du Lévitique tout comme à l'époque de Jésus, personne n'avait la possibilité de faire la différence entre une maladie bactérienne, une maladie virale, une maladie parasitaire et une maladie autoimmune... La partie du réel recouverte par le mot lèpre à l'époque de Jésus recouvrait donc aussi bien certaines formes de psoriasis ou d'eczéma, le vitilligo, le pitiriasis, etc .

Il ne faudrait surtout pas croire que le philologue digne de ce nom pourrait sortir de l'impasse simplement en tenant compte des subdivisions contemporaines des parties anciennement 'élémentaires' du cosmos; rares, très rares, sont les mots pour lesquels ce serait possible.

"Lèpre" serait, peut-être, l'un de ces rares mots. Le philologue en effet pourrait dire que la lèpre que Jésus guérissait c'est le psoriasis OU le vitilligo OU le pitiriasis OU etc. (Lèpre = [psoriasis V vitilligo V pitiriasis V etc.]) En redéfinissant le mot d'une manière élargie, le philologue irait alors contre l'usage contemporain du mot et pour sortir de l'impasse, il devra dans sa traduction plutôt que dire "lèpre" inventer un mot générique neuf du genre "zorglub" (ou, plutôt, "schtroumf"!). Etc. Mais que notre philologue s'attaque maintenant au mot "amour", au mot "chair", au mot "nature", (...), et il admettra que plus aucun algorithme ne pourra plus l'aider s'il a un minimum d'intégrité et de lucidité scientifique! Or chacune des parties du réel recouvertes par de tels mots trace les frontières d'autres parties du réel (virtuelles ou non, peu importe... ce n'est pas la question importante ici!). C'est par exemple à partir, entre autres choses, des frontières de ce qu'on entend par l'amour que l'on peut tracer plus précisément les frontières de la méchanceté, de la violence, de la charité , etc.

L'exégète n'a JAMAIS la possibilité d'être certain de savoir exactement ce que les anciens plaçaient comme "symbole" derrières un mot comme "amour" ou "Dieu" ou "Homme" ou "mort" ou "pardon"... Tout juste peut-il prendre distance par rapport à sa propre manière de diviser son cosmos en "parties distinctes" (symboles).

Pour aider l'exégète, il n'y a ici aucune solution-miracle. L'étude poussée du grec ne peut que le pousser dans la longue lignée des spécialistes philologues/traducteurs qui ont chacun leurs propres convictions sur les vérités symboliques qui sous-tendent les mots grecs. Laissons la philologie et la traduction aux mains des génies scientifiques et, plutôt que d'étudier plus ou moins maladroitement le grec, mettons sur une même table les conclusions diverses de ces divers savants. L'ensemble de ces traductions, par leurs divergences, pourra peut-être recréer un 'climat' plus respectueux des frustrations, des désirs, des ambiguïtés, des pudeurs, des peurs et des maladresses des évangélistes. Il sera temps alors, pour retourner au message de Jésus (ce qui est le but de l'entreprise), de se rappeler que ni Jésus ni les Evangélistes n'étaient Grecs!

Ni Jésus ni les Evangélistes ne découpaient exactement comme les grecs le cosmos en parties distinctes... Rebelotte! Sans renier les découvertes des philologues grecs, si je veux comprendre ce que Jésus et les évangélistes pensaient et disaient en araméen, il me faudra refaire le même travail critique une deuxième fois avec la langue et les symboles des araméens.

Et ce n'est pas fini! Les Evangélistes araméanophones traduisaient en grecs ce qu'ils avaient compris des paroles dites en araméen. Mais Jn par exemple nous le dit en mauvais grec, avec un vocabulaire pauvre... (Jn est moins fort en langue que Lc...).

Il est temps d'aller chercher une aspirine...

Pour faire une comparaison facile, mettons-nous dans la peau d'un Anglais parlant mal le thaïlandais qui essaierait d'expliquer en thaïlandais à un Français vaguement thaïlandophone mais ignorant tout de l'anglais une nuance de l'amour que Shakespeare exprimait par un usage particulier des mots «like» et «love»... (En français, il n'y a que «aimer», en thaïlandais il y a «chop» et «rak», en anglais «like» et «love») Inutile de dire que la transmission de la nuance shakespearienne sera périlleuse! Mais, surtout, si ce Français vaguement thaïlandophone qui ne sait rien de l'anglais veut comprendre cette nuance, la philologie thaïlandaise ne lui sera évidemment que d'un secours limité!... Ainsi en va-t-il de la philologie grecque pour aider l'exégète chrétien contemporain!

 

*

On pourrait croire que tout cela n'est qu'une vaine spéculation sans grande conséquence... Attention! Sur le terrain de l'exégèse (et donc de la théologie, de la morale, de la politique...), ces nuances sont parfois importantes! N'importe quel anthropologue le sait.

Donnons un exemple de terrain que les ethnologues connaissent bien: il serait vain de demander d'emblée dans une culture tribale d'Amazonie de séparer les pouvoirs politique et religieux. Leur ordre symbolique -qui ne fait pas la distinction entre la religion et la politique- ne le leur permettra que par une longue procédure d'initiation et d'apprentissage. L'histoire montre que les symboles religieux primitifs ne se décantent que très progressivement en diverses strates indépendantes (la médecine, la magie, la politique, le sacré, la science, etc.). Peu importe ici les causes de cette décantation. Il convient juste de constater que le mot 'religion', in fine, après éducation et maturation, recouvre une réalité symbolique très différente de celle du départ et que le nouvel ordre symbolique fait naître des questions qui ne pouvaient pas se poser au départ.

Or Jésus, lui, faisait d'emblée une distinction nette entre la question politique et la question religieuse (Mt22,15-22 Mc12,13-17 Lc20,20-26... et tant d'autres versets... Ce discernement fut d'ailleurs à l'arrière-plan du conflit qu'eut Jésus avec les religieux de son temps et qui le conduisirent jusqu'à la croix.). Un missionnaire chrétien devrait en rendre compte s'il veut christianiser ses ouailles!... Comment ce missionnaire va-t-il procéder? Celui qui répond en un temps trois mouvements n'est pas nécessairement le plus chrétien des missionnaires...

En général, ce qu'une culture ancienne entendait dans un seul de ses 'symboles' (un 'morceau élémentaire du réel conscientisé' ), se subdivise aujourd'hui en plusieurs constituants parce que l'histoire étoffe le pouvoir discriminatoire de la conscience (l'éducation et les sciences y ont leurs parts de responsabilités mais il s'y ajoute des facteurs plus difficiles à cerner qui contribuent à colorier d'une manière singulière chaque culture ). C'est le cas de cette réalité plus ou moins médicale recouverte par le mot "lèpre" au temps de la rédaction du Lévitique ou des Evangiles. Mais remarquons tout de même que, parfois, dans certains domaines, le discernement de réalités distinctes dans l'une ou l'autre sphère du réel s'appauvrit au contraire au cours de l'évolution d'une culture! Un Indien d'une tribu isolée dans la jungle d'Amazonie discernera probablement des nuances dans les sons et les odeurs que le citadin natif de New York confondra. Les questions que ce New-yorkais se posera s'il est jeté dans la jungle risqueront alors de paraître infantiles (immatures, déconnectées des contraintes du réel) pour les indiens... Notre missionnaire devra lui aussi mûrir, travailler son ordre symbolique!

Pour montrer autrement que ces spéculations ne sont pas anodines, puisqu'on a parlé d'amour et que ce sujet est par excellence un sujet chrétien, attaquons-nous aux questions que soulève ce mot "amour" pour les traducteurs des Evangiles.

Pour le dire d'une manière simple, dans la langue originale des Evangiles, le grec, il y a deux mots pour recouvrir ce que la francophonie recouvre par le seul mot "amour": 'Philia' et 'Agapê'. A priori, la consultation des philologues grecs ne suffira pas pour nous restituer la nuance parce que, après les mutations culturelles du moyen-âge, notre sensibilité symbolique n'a pas nécessairement préservé exactement la distinction des symboles que les mots philia et agapê recouvraient pour les Grecs.

On peut raisonnablement penser que tout homme est 'neurologiquement' capable de faire la distinction symbolique qui a été assumée dans la langue grecque par la différence des mots 'Philia' et 'Agape', mais dans certaines cultures ce ne sera gagné qu'au prix d'une érudition laborieuse. (Le pouvoir discriminant du cerveau, heureusement, n'est pas immuable et peut se travailler, comme un muscle ou la maîtrise d'une langue!) C'est là que l'on comprend que le travail d'un missionnaire peut très bien consister à faire tout autre chose que de parler de Jésus (...ce que les Jésuites, par exemple, ont très bien compris lorsqu'ils s'éfforcaient plus de faire des écoles chrétiennes que des petits chrétiens!).

Il n'est pas inutile de rappeler ici une découverte philologique qui n'est pas anodine: à l'époque de la rédaction des Evangiles, les Grecs eux-même utilisaient déjà indifféremment les mots "Philia" et "Agapê"! Ce fait donna à Jn un moyen pratique de transmettre une nuance araméenne qui lui était chère (car contrairement à ses contemporains grécophones, Jn n'utilisa manifestement pas indifféremment les mots "Philia" et "Agapê dans son Evangile!).

 

Lisons maintenant un texte évangélique emblématique rédigé en grec ancien et qui traite spécifiquement de l'amour: Jn 21 (et en particulier Jn21,15-19).

Pour les traductions TOB, Darby, Ségond, Martin et tant d'autres Jésus pose trois fois la question simple à Pierre: «...m'aimes-tu?». Pierre y répond trois fois par un «...je t'aime».

Selon Jn pourtant, Jésus n'a pas posé trois fois la même question! Dans les deux première question, Jn, le sensible Jn, a utilisé le mot grec "Agape" que ces traducteurs ont rendu par le mot français "aimer". Selon Jn, Pierre répondit deux fois par le mot grec "Philia" que ces traducteurs ont aussi rendu par le mot "aimer". Les traducteurs évoqués ici ne discernaient donc aucune différence entre "Agape" et "Philia" et, pour traduire, ont utilisé indifféremment un seul et même mot.

D'autres traducteurs probablement plus érudits ont voulu recréer pour leurs lecteurs un contexte qui les incline à étoffer leur discernement symbolique pour retrouver la profondeur abyssale dans laquelle Jn nous invite à entrer.

Pour la traduction de Lucien Deiss, Jésus pose deux fois la question «...m'aimes-tu?» (Agape). À quoi Pierre répond: « ...je t'aime avec tendresse» (Philia). La troisième fois, Jésus demande «...m'aimes-tu avec tendresse» et Pierre de répondre encore «...je t'aime avec tendresse. »

Quasi simultanément, le chanoine Osty fait dire à Jésus à peu près la même chose: «...m'aimes-tu?» (Agape). À quoi Pierre répond: «...je t'aime tendrement» (Philia). La troisième fois, Jésus demande «...M'aimes-tu tendrement» et Pierre de répondre encore «...je t'aime tendrement».

À leurs suites, mais par sa logique propre, Chouraki va traduire 'Agape' par 'Aimer' et 'Philia' par 'chérir'...

On constatera en l'occurrence que ni Deiss, ni Osty ni Chouraki ne donne exactement aux mots 'Agape' et 'Philia' les sens que beaucoup plus tard André Conte Sponville donnera dans son admirable livre 'Petit Traité des Grandes Vertus' (un livre probablement sans véritable prétention philologique d'ailleurs mais qui eut un succès mondial en tant que livre de morale). Peut-être est-ce sous son influence que la traduction dite du 'Semeur' en 2000 fait dire par Jésus d'abord '...m'aimes-tu' (Agape) à quoi Pierre répond par '...tu connais mon amour pour toi' (Philia). La troisième fois donc Jésus demande '...Simon, fils de Jean, as-tu de l'amour pour moi?'

Mais il y a ensuite dans cette belle traduction une petite incohérence que Deiss a pu mieux contourner: ' ...Pierre fut peiné car c'était la troisième fois que Jésus lui demandait: «As-tu de l'amour pour moi?...»' (Semeur) contre '...Il fut peiné, Pierre, qu'il lui ait dit la troisième fois «M'aimes-tu avec tendresse?»...' (Deiss). Deiss ne dit donc pas que Pierre est peiné d'une triple répétition mais au contraire de ce que la troisième question ne soit pas la même que les deux premières. Chouraki aussi a pu vaguement surmonter cette incohérence mais par une traduction légèrement ambivalente: '...Petros s'attriste de ce qu'il lui demande pour la troisième fois: «Me chéris-tu?»... ' La traduction de Osty souffre de la même incohérence que celle du Semeur.

Derrière les nuances de ces traductions, on peut donc retrouver les effets sous-jacente des ordre symbolique plus ou moins évolué de chacun des traducteurs. Un jugement de valeur peut même parfois être posé car un ordre symbolique 'prévaut' sur un autre si, pour toutes choses égales par ailleurs, il discerne deux réalités là ou l'autre n'en perçoit qu'une. En pratique ici, on peut ainsi estimer regrettable par exemple que la traduction TOB semble ignorer la différence entre 'Philia' et 'Agape'.

Cet enrichissement de l'exégèse peut conduire le Christianisme à revoir quelques-unes de ses positions "politiques". J'ai personnellement fait usage de Jn 21 pour élucider l'une ou l'autre question posée par le dialogue interreligieux (Cf. "Le Dialogue" ou "l'Universalité des Religions"...). Mais il va sans dire que cette nuance exégétique pourra aussi avoir des répercutions sur la manière de concevoir et pratiquer "l'Entraide Chrétienne", les stratégies d'évangélisation ou l'esprit de "la Compassion",(...).

 

(Pour une autre analyse des tenants et aboutissants de l'ordre symbolique, cliquez ici)

 

 

3- Exploitation de l'ambiguïté des Evangélistes (des auteurs, et non plus de leurs textes!)

À partir d'une approche globale de diverses 'bonnes traductions', après avoir consulté aussi -autant que faire se peut- les travaux des philologues et des herméneutes, ...en un mot, après avoir cherché à comprendre ce que les évangélistes ont voulu dire, l'exégète doit scrupuleusement chercher ce qu'ils n'ont pas osé dire et deviner ce qu'ils ont voulu taire. Pour retrouver le message de Jésus, l'exégète, doit essayer de débusquer ce que l'évangéliste a voulu cacher ou n'a pas bien compris (cf. problème de la Rançon et de la Rédemption évoquée plus haut).

La reconstruction de la figure de Jésus, pour bien faire, devrait même essayer de deviner ce que Jésus aurait pensé et dit dans les structures symboliques contemporaines. Aurait-Il osé dire "Bienheureux ceux qui pleurent!" aujourd'hui? Peut-être ...mais probablement pas de la manière donnée par Matthieu... (cf. infra). Ce défit de réécriture est pourtant incontournable puisque nous n'avons pas la possibilité de faire renaître un ordre symbolique révolu. Lire sans réinterpréter, c'est réinterpréter sans en prendre conscience...

Ce devoir de réécriture est un défi ambitieux mais pas insurmontable. Les maladresses des évangélistes nous aident à débusquer les pièges, augmenter notre recul critique et baliser notre liberté.

Jésus avait manifestement un pouvoir de discrimination symbolique auquel ne pouvait prétendre les évangélistes et si les évangélistes se trompent parfois en utilisant par exemple le mot "rançon" d'une manière inappropriée, en dernière analyse, c'est parce qu'ils fonctionnaient mentalement à partir d'un ordre symbolique légèrement différent de celui de leur maître. La maladresse des évangélistes était parfois tellement manifeste qu'elle n'échappe plus à personne aujourd'hui et c'est bien là qu'il faut voir une invitation à oser aller plus loin que ce que nous dit l'herméneutique! Je le répète, c'est Jésus bien plus que les évangélistes qui nous intéressent!

Cette liberté une fois conquise, la combinatoire des interprétations possibles n'est pas aussi vertigineuse qu'on pourrait le croire car on ne possède pas un Evangile, mais quatre! Si Matthieu refusait de nous dire que ce n'était pas la saison des figues, -Dieu soit béni!- Marc, le maladroit, nous l'a distraitement signalé... (Cf. Mt21,19 contre Mc11,13).

 

Pour ne pas se perdre, l'exégète devra aller de plus en plus loin dans l'interdisciplinarité. La philologie nous permettait de traduire plus fidèlement le grec. L'herméneutique qui nous invitait à entrer en empathie avec chaque évangéliste, nous permettait ensuite de prendre une petite distance par rapport aux philologues pour retrouver l'intention de chaque évangéliste en s'attaquant à la globalité de son texte et à sa culture maternelle. Mais maintenant, il nous faut aller plus loin encore! Par-delà les maladresses de rédaction et les intentions plus ou moins inadéquates de l'évangéliste, il nous faut retrouver l'intention de Jésus lui-même.

Exemple 1:

Après la vulgarisation des pensées de Marx, Freud et Nietzsche, notre ordre symbolique s'est considérablement transformé. Pensez! La charité sous le scalpel de Nietzsche peut devenir de l'orgueil, de la domination... La chasteté et la virginité, sous le scalpel de Freud, peuvent devenir faiblesses, veules soumissions aux angoisses de castrations, effets de la peur... L'Au-Delà, sous le scalpel de Marx, peut devenir de l'opium... Les penseurs du soupçon ont fait feux de tout bois!

Du coup, certaines sentences évangéliques sont devenues indigestes. Que devient la deuxième Béatitude ('Bienheureux ceux qui pleurent'-Mt5-4) dans notre nouvel ordre symbolique? Les philologues et herméneutes ont peu ou prou inspiré d'excellentes traductions, mais je reste, moi, sur ma faim. L'afflux de ces traductions n'ont fait qu'accentuer l'ampleur et la profondeur de l'ambiguïté...

«Heureux ceux qui pleurent: ils seront consolés...» (TOB)

«Ils sont heureux, ceux qui pleurent, parce que Dieu les consolera!» (Parole de Vie)

«Magnifique les endeuillés car...» (Pléiade)

«En marche, les endeuillés! Oui, ils seront réconfortés!...» (Chouraqui) 

En Occidental du XXIe siècle, le bon sens m'invite à préférer ici la formulation de Chouraqui moins 'masochiste' que les autres. Elle supprime la déplaisante relation de cause à effet («car», «parce que»...) et combat assez efficacement le fatalisme («En marche!»). Le rapport du prêcheur à la "victime" y est aussi moins équivoque, plus généreux... Oui, cette traduction a incontestablement quelques mérites au regard de ce que Jésus semble développer comme théologie dans le reste des Evangiles. Pour les mêmes raisons, j'aime moins les traductions 'Pleiade' et 'Parole de Vie' qui, même dans le cadre très général d'une exhorte populiste, inciteraient plutôt à une résignation qui ne me semble pas très chrétienne.

Les philologues admettraient probablement sans difficulté que -hors de toutes considérations historiques- cette audacieuse proposition de Chouraqui approche bien l'esprit général des Evangiles. Mais ils auraient bien du mal à admettre qu'il s'agit d'une traduction valable du texte de Matthieu! Ils préféreront rappeler que la philologie n'a pas pour but de plaire ou de déplaire, ni même de rendre plus cohérent l'ensemble des Evangiles. On ne peut pas mettre la charrue avant les boeufs. Dans l'état actuel des sciences, le "En marche" de Chouraqui convient plutôt mal pour traduire ce que Matthieu (et Luc) nous a concrètement donné à lire en grec.

Pourtant, l'intuition de Chouraqui mérite mieux que de la condescendance des savants. On sent bien que Chouraqui est aussi un savant, qu'il nous dit aussi quelque chose de bel et bien «historique» dans sa traduction, serait-il même démontré que jamais Matthieu n'a pensé cet "en marche"! Si c'est bien Jésus et non Matthieu qui nous intéresse, le philologue et l'herméneute qui ne nous parlaient que de ce qu'a écrit et pensé Matthieu (et Luc) doivent appeler un autre genre d'experts. Une autre cohérence -historique elle aussi -et ce n'est là qu'un apparent paradoxe- le réclame!

L'exégète contemporain est obligé, pour rendre justice à Jésus (et non à Matthieu ou Luc), de confronter la deuxième béatitude à de redoutables questions qui ne s'imposaient pas de la même manière à l'époque de Jésus: le masochisme, la complaisance dans la dépression, le conservatisme politique, le fatalisme, etc. Il devra par exemple, courageusement revaloriser ce que la petite sainte Thérèse nous indiquait lumineusement: la sainteté de l'humilité et de la petitesse nonobstant le fait que ces attitudes peuvent appartenir aussi à la clinique psychiatrique ou à la manipulation politique. L'exégète contemporain devra délimiter plus clairement que Matthieu et Luc la limite entre le pathologique, le politique et le spirituel. En un mot, c'est une exégèse symbolique qui s'impose ici: les ordres symboliques ont changé dans des proportions qui débordent par nature des compétences des philologues et des herméneutes. Chouraqui joue le jeu... mais qu'il soit bien déclaré qu'il devient alors plus exégète que traducteur de Matthieu ou de Luc! Il a fait un saut qualitatif que l'on néglige peut-être trop souvent de mentionner.

 

Exemple 2:

Dans les grandes mutations symboliques de l'Occident, impossible de laisser sous le boisseau tout ce qui concerne la dynamique des âges (respect/devoir/autorités entre générations). Freud a ici aussi sa part de responsabilités qui a bien montré avec Piaget, Dolto et tant d'autres ce qui fait la différence du fonctionnement mental d'un enfant et celui d'un adulte. Mais dans les causes de la mutation symbolique, il faut aussi mentionner la dégringolade démographique, la sécurité sociale (dont la gestion est passée de la famille à l'employeur ou à l'état-providence), l'importance grandissante de la performance intellectuelle et donc de la durée des études, etc. Les conséquences culturelles de cette dérive symbolique sont énormes. En Occident, elles vont de la sacralisation de l'enfance, à l'érosion considérable du respect des seniors en passant par la fin de la cohabitation systématique des parents et grands-parents, l'émergence de la caste des adolescent, etc.

Dans les régions moins occidentalisées, la dérive de la signification culturelle des différences d'âges a été moins importante. Ayant personnellement déménagé dans une zone rurale de Thaïlande, au début, je m'étonnais de ce que cette absence de dérive impliquait encore dans l'organisation sociale. En fait, cette ancienne manière de gérer les différences d'âges semble pouvoir s'observer aussi dans la plupart des cultures agraires ayant une pyramide démographique non inversée, et il n'est pas très audacieux d'imaginer qu'elle reflète beaucoup mieux l'ordre symbolique de la Palestine antique que l'ordre symbolique de mon Europe natale... Alerté par les impacts énormes que peuvent avoir sur la vie de tous les jours ces considérations, je m'étonnais alors de ce que la critique historique ne prenne quasi jamais en compte cette dynamique des âges dans la communauté de Jésus.

Une analyse relativement superficielle des Textes me permettait d'abord de constater que Jean était probablement un enfant lorsqu'il a connu Jésus et que Pierre par contre devait être clairement le plus âgé de la bande. Je fus ensuite très surpris de découvrir qu'un savoir émergeait de la confrontation des règles de la critique historique avec celles qui gèrent les âges dans les sociétés agraires: plus la critique historique me permettait de dénicher des indices de différences d'âges, plus l'ancien ordre symbolique des âges me permettait de mettre à nu des évidences historiques dans le corpus Evangélique qui me révélaient du coup d'autres indices des différences d'âges, etc. Un faisceau d'argument convergeaient vers une nouvelle forme de "vérité historique".

Voilà que certaines bizarreries ou omissions du compte-rendu de l'instruction de Jésus chez Ann trouvaient une explication... Voilà que même la présence de Jean au pied de la croix pouvait éventuellement se comprendre... Voilà que l'absence significative de l'autorité de Jean, "le disciple que Jésus aimait", dans les Actes se justifie mieux... Voilà aussi que s'explique mieux l'incohérence de Jean lorsqu'il parle de Judas et sa totale indifférence à l'ampleur du gaspillage d'argent à Béthanie. Etc.

Par ailleurs, la prise en compte que la dynamique des âges offre une crédibilité neuve aux intuitions de quelques savants comme Wilkens, Boismard (et d'autres) lorsqu'ils essayent de comprendre la composition pour le moins confuse du quatrième Evangile. Ces savants expliquent la coexistence dans cet Evangile d'une unité (stylistique) de deux de ses strates rédactionnelles (les deux principales) en supposant l'existence d'un auteur (surnommé 'Jean2' par Boismard), qui aurait retravaillé son propre texte une trentaine d'années après sa première rédaction. Ce rédacteur 'principal' était-il vraiment l'apôtre Jean comme le veut la rumeur populaire? Le ton des textes le laisse penser. A mes yeux, la puissante intuition philologique de Boismart et Wilkens renforce cette rumeur. Il suffit de considérer que si c'est l'apôtre Jean lui-même qui fut ce rédacteur, il était déjà bien vieux lors de sa deuxième rédaction. Il est bien normal que les communautés primitives aient accepté ce texte sans véritable squelette mais qui sortait tout droit de son coeur. Au pire, cette communauté aurait chargé ensuite d'autres mains d'essayer de remettre un peu plus de cohérence dans l'ensemble (ce qu'elles n'auraient que très partiellement réussit d'ailleurs!).

Il faut rappeler ici que ces sociétés agraires peuvent mieux que nous distinguer dans les 'pseudo-radotages' d'un vieux l'impitoyable lucidité du coeur que n'ont pas nécessairement les adultes. Nonobstant les incohérences que cela peut accidentellement induire dans les récits de ces vieux, ces cultures attachent une importance à ces 'radotages' que la modernité négligera au nom d'une certaine rationalité.

Allons donc en avant dans cette direction en imaginant que rédacteur principal fut un enfant lorsqu'il a connu Jésus, un adulte bien mûr lorsqu'il donna sa première copie en grec et un vieillard lorsqu'il corrigea et augmenta sa première copie. Laissons nous porter par la pression symbolique que ces différences d'âges induiraient. La structure de "vérité historique" déjà esquissée se renforce encore. On comprend enfin que l'adulte essaye de cacher qu'il n'aurait pu être «qu'un enfant» lorsqu'il a connu Jésus. Mais le vieillard néglige de «nettoyer» sa glose des infantilismes contenus dans ses souvenirs d'enfance (ces souvenirs sont truffés de caractéristiques très infantiles, à commencer par celle que dit la formule "le disciple que Jésus aimait"). A l'unité stylistique du texte s'ajouter donc une unité psychologique tellement puissante qu'il devient même difficile d'imaginer que ce rédacteur n'aie pas connu personnellement et intimement Jésus!

Il y a une autre manière de le dire; si l'auteur principal du quatrième Evangile n'avait pas été l'apôtre lui-même, s'il avait été simplement un écrivain très habile, capable de bien rendre compte d'un témoignage très chargé affectivement, il aurait aussi pu rendre aussi son texte beaucoup plus cohérent!

La maladresse de composition  ici renforce donc la structure de vérité. Il me semble raisonnable d'admettre que l'auteur principal du quatrième Evangile n'était pas un écrivain très habile. Son vocabulaire est d'ailleurs plus pauvre que celui des autres évangélistes (1011 mots pour Jn contre 1691 pour Mt, 1345 pour Mc et 2055 de Lc selon Deiss). Il n'était pas un intellectuel "pur et dur" (incapacité de rétablir un semblant de cohérence dans le déroulement temporel et spatial de ses souvenirs d'enfance). S'il fallut que d'autres mains contribuent à terminer ce quatrième Evangile, ce ne fut pas pour y ajouter de la confusion par des intentions didactiques comme d'aucun l'ont pensé ...mais pour essayer tant bien que mal d'y remettre un tout petit peu de cohérence sans trop abîmer la source très sacralisée pour d'autres raisons tout aussi évidentes: ce vieillard malhabile est depuis lors devenu pour son auditoire un véritable «monstre sacré»! (Ce n'est pas contradictoire avec ce qui a été dit de son insignifiance lors des premières décisions de l'Eglise Primitive) Pensez! Le dernier apôtre! Peut-être le dernier témoin direct des prêches du Maître! Celui-là pouvait bien se permettre ces envolées emphatiques, ce style prophétique et, surtout, extrêmement paternaliste. C'est ce qu'on attendait de lui car les autres évangiles manquaient justement de ce paternalisme pacifiant et sacralisant qui plaît tant aux sectes lorsqu'elles passent le cap de la première génération de fidèles.

Ce que l'Eglise Primitive a très bien pu et su comprendre, c'est que Jean, le vieux Jean surtout, s'il n'était ni grand écrivain ni grand intellectuel, était devenu par contre un immense spirituel. Définitivement et radicalement marqué dans son enfance par un 'gourou' très puissant avec qui -parce qu'il était un enfant à cette époque- il avait pu partager une intimité exceptionnelle, il avait pu dépasser cette respectueuse distance qui handicapait la relation entre les autres disciples et le Maître. (Jean vieillard aimait bien sûr se vanter de cette intimité!). Son génie touchait alors directement le coeur du coeur! Jn 21 est par excellence le texte qui reflète cette supériorité spirituelle qui tel un bistouri dissèque jusqu'en ces abyssales profondeurs la chair du coeur.

NB Boismard préfère identifier le rédacteur principal à 'Jean l'ancien' (que Papias distingue de Jean l'apôtre contrairement à Irénée). La justification que Boismard donne est évidement logique mais, à mes yeux, elle n'a pas assez de poids pour aller à la fois contre ce que dit la tradition et contre cette unité psychologique qui dénonce si bien la très grande intimité entre ce rédacteur et Jésus. Cela saute aux yeux! Pas besoin d'être un expert! Si c'était un simple effet littéraire, je le répète, un tel écrivain aurait pu faire mieux pour la cohérence de son texte!). Il suffirait de très peu d'imagination pour fabriquer un contexte qui conduise à une autre conclusion des extraits de Papias et Irénée. Cet argument ne fait pas vraiment partie d'une 'structure de vérité historique' très étoffée. (D'ailleurs je trouve que Boismard n'est pas très enthousiaste dans l'exposé de cette thèse, comme si une autre intuition habitait son inconscient).

 

Exemple 3:

L'ordre symbolique contemporain nous a permis de bien différencier la dynamique du bouc-émissaire de celles de la justice ou de l'éthique. Cette complexification symbolique va permettre par exemple à l'exégète de constater que la 'méchanceté' de Caïphe ne répond pas du tout à une logique de bouc-émissaire contrairement à la violence des soldats lors de la Passion. Et que dire alors des larrons qui injurient jésus lorsqu'ils marchent avec lui vers le Golgotha? Par leurs positions tragiques durant ces évènements ces larrons ont surtout des raisons valables de voir en Jésus la cause de l'avancement de leur mise à mort... Et nous voilà donc invités à comprendre une réalité jusqu'ici négligée par l'exégèse dont les évangélistes n'ont, semble-t-il, rien perçu. A moins qu'ils aient voulu contourner cette embarrassante question?... En tout état de cause, aujourd'hui, dans le nouvel ordre symbolique, nous sommes en mesure de percevoir un problème de conscience de Jésus vis-à-vis de ses pauvres co-suppliciés. Cette tragique complicité involontaire de Jésus au destin des larrons fut probablement pour Lui une souffrance majeure. Une souffrance de Jésus... Avons-nous seulement le droit, nous, chrétiens, de ne pas y accorder une immense importance?... (Voir l'étude dédiée aux larrons dans ce site)

 

 

 

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