Abstract: Crise psychotique ou clin d'oeil de la transcendance?
Qu'importe... Elle redresse les princes et les gueux. Elle est sublime.
Comment la vivre plus souvent?...
Tout renaît par elle; elle est un remuement d'âme qui
bouleverse toutes les priorités... Lorsque cette Expérience
nous mouille les yeux, toutes les autres manifestations du réel
ne sont plus que des images. Le réel ne change pas, rien ne
lui est enlevé, ni la puissance de la science, ni la rugosité de
son ordre sur nos frontières, ni même sa cruauté.
Mais maintenant, la gratitude s'impose, la joie, malgré tout,
envers et contre tout...
Cette Expérience fugitive blesse l'âme d'une traces indélébiles.
Elle suspend l'absurdité des choses dans une espèce d'incertitude.
Dès qu'elle est confrontée à ce tyran magnifique,
la raison avec son splendide engrenage découvre qu'elle est
nue. Elle cherchera désormais en vain une culotte. La raison
exercera son art au service d'une sphère plus large dont les
frontières lui échappent désormais.
C'est certainement dans la trace de cette copulation mystique que
naissent les religions. Elles cherchent à célébrer
l'Expérience, à l'attirer, à la dire avec les
mots des contextes culturels, avec des gestes et des pompes, des prosternations.
Plus rien n'a assez de prix. La folie même veut lui faire honneur...
***
L'Altérité est au coeur de l'Expérience. Ivresse à deux
donc. Vers l'Homme, à travers elle, c'est en réalité l'Univers
qui s'avance. Toute la question c'est qu'ils se reconnaissent.
Ce ne serait qu'une question de lucidité?
Je voudrais le croire. J'ai presque tout ce qu'il me faut pour pouvoir
le croire. L'Expérience est peut-être tellement commune,
tellement banale.
"...Dès l'enfance, il a reçu
de ces moments privilégiés, de temps à autre,
plutôt rarement, et jamais par le fait de protocoles complexes.
Sa mémoire lui rend quelques fragments d'Expériences
vécues durant sa petite enfance, avant huit ans, mais malheureusement
sans l'intégralité des contextes. Sa mémoire
est plus généreuse à propos des Expériences
vécues plus tardivement. Des détails abondent même
dès qu'il repense aux festivités mystiques de ses douze
ans et après...
L'enfant était appelé par
un silence particulier, à peine perceptible... Pourtant il
l'entendait bien d'emblée comme quelque chose d'essentiel!
Il devait aller en un lieu précis, au bord d'un étang,
lieu désert, peuplé seulement d'oiseaux et d'arbres
maigres, lieu sans beauté. L'enfant prenait son vélo
pour s'y rendre, tout comme les amants illégitimes vont à l'alcôve;
il s'y rendait donc en secret. Il éprouvait là un bonheur
tellement intense qu'il en revenait tout perturbé à l'intérieur
de son intérieur.
Il cherchait les semaines suivantes à reproduire
ce bonheur et par une espèce d'instinct, il se construisait
un rite à partir de tous les constituants de la démarche
qui l'avait conduit à la première fête. Il espérait
pouvoir revivre ce bonheur à l'envi sans que l'appel ne fut
nécessaire."
Je reconnais dans l'attitude de cet enfant les grandes pulsions souterraines
de la liturgie. Il y avait pourtant une différence importante:
il voulait préserver un secret comme l'exigent beaucoup de plaisirs
immenses. comme s'il s'agissait de rien de moins qu'une relation sexuelle.
"...Assoiffé de nouvelles jouissances
spirituelles il allait donc à sa liturgie sans y avoir été 'appelé'.
Il en revenait non pas vraiment déçu mais un peu sur
sa faim. Il n'était pas dupe de n'avoir pas retrouvé tout
ce qu'il escomptait ressentir. Il ne s'en étonnait même
pas, sachant confusément qu'il n'avait pas à conformer
son Dieu à la performance de son rite. Il a toujours pu appeler
un chat «un chat» lorsqu'il était question de
plaisirs. Le rituel sans 'appel' préalable était donc écourté.
Souvent il ne descendait même plus de son vélo lorsqu'il
arrivait au lieu magique. Mais il y allait quand même!..."
Cette Expérience était nécessairement le fruit
du mûrissement d'Expériences spirituelles antérieures
dont il n'a, dit-il, que de très vagues souvenirs. Mais à douze
ans, 'Dieu', 'Jésus-Christ',
'sacrifice', 'prière',
'amour', 'jeûne'
et autre 'péché' avaient déjà des
significations symboliques nettes
dans son fonctionnement mental, ce qui lui permettait de comprendre
et verbaliser ces joies secrètes dans une sphère religieuse.
***
C'est au bas mot toute ma vie que, consciemment, j'aurai traquée
l'expérience mystique de cet enfant!
Et pourtant, jamais je ne l'aurai gagné par la force de mes
efforts. C'est ce qui m'inquiète le plus finalement. Est-ce
bien raisonnable d'y consacrer de l'énergie si de toute façon
Dieu n'en fait qu'à sa tête?
"...Lorsque l'enfant comprenait de
plus en plus clairement que Dieu ne se donnait pas ou se donnait à peine
aux rites qu'il lui consacrait, il finit par ne plus pratiquer. Il
allait plus libre vers d'autres contextes où Dieu, parfois,
sans qu'il put jamais le prévoir, l'invitait à une
autre noce. Ces nouvelles fêtes étaient d'ailleurs de
plus en plus exaltantes et de moins en moins clairement précédées
par une invitation. Surpris de retrouver soudainement la présence
du Divin, avec lui et en lui, sans comprendre ni la raison du lieu
ni celle du moment, il fondait en larmes de joie..."
Je voudrais plus que jamais mieux savoir les conditions à remplir
pour accéder à cette proximité mystérieuse.
Comment discerner les inducteurs de cette jouissance?
Lire les maîtres spirituels et les saints? ...Il y a trop de
couleuvres! J'ai même eu un moment l'impression qu'on m'avait
arnaqué avec ces livres et ces conseils de 'professionnels'
qui ramenaient trop souvent l'essentiel à des pratiques liturgiques,
des sacrements... J'ai consommé des siècles d'ennuis
aux offices sans y gagner le millième de ce que ce gamin gagnait
en une balades à vélo!
Alors?
'L'appel', ce 'discret murmure de Dieu' qui faisait partir l'enfant
vers un endroit désigné, hélas, à ce jour
je n'ai toujours trouvé aucun moyen de le susciter .
Si en l'occurrence l'appel a moins manqué que ma faculté de
l'entendre, je suis prêt à croire que je souffre de surdité.
En fait, je l'espère plutôt que je ne le crois car alors
il y aurait encore quelque espoir d'améliorer les choses par
un travail sur mes facultés d'écoute!
Il reste bien sûr une autre possibilité: le Bon Dieu
voudrait plus d'intimité avec moi, mais sous certaines conditions
(éthiques, environnementales, cognitives, etc.) que je pourrais
favoriser. La religion chrétienne, avec sa Rédemption et
son sens de la gratuité, son Dieu d'amour inconditionnel et
ses paraboles
'injustes', semble peu compatible avec cette possibilité. À moins
que? ...À moins que ce soit par soucis pédagogique que
le bon Dieu me fasse la fine bouche? J'ai peur de rentrer dans cette
perspective un peu misérabiliste; j'ai envie de croire que le
bon Dieu plane plus haut dans ses moyens de me faire mûrir.
Par ailleurs, j'ai peut-être tord de trop me focaliser sur ce
'discret murmure' d'un Dieu qui appelle. 'L'appel', ce délicat
silence entendu par l'enfant et qui le conduisait à prendre
son vélo, n'est pas nécessairement inhérent à l'Expérience...
***
La beauté su souvent me conduire dans des états
de jouissance comparables et qui, parfois, dans un même élan,
m'entraînait jusqu'aux portes de la jouissance spirituelle.
L'émotion purement artistique pourrait-elle 'appâter'
Dieu et le conduire à se donner plus facilement? J'éprouve
quelques difficultés à le croire; Dieu aurait fait la
fine bouche devant les rites du gamin qui cherchait à re-produire
cette joie alors qu'il s'abandonnerait aux manipulations de l'artiste?...
Le plus simple à admettre, en fin de compte, c'est que le Bon
Dieu appelle, appelle. dans le vide de nos coeurs. Mais l'état
presque extatique que l'art peut susciter est une de ces situations
qui ouvre notre oreille à cette supplique permanente d'un Dieu
assoiffé de notre compagnie en son Royaume terrestre.
La jouissance du beau n'est pas une joie religieuse! Et si elle y
conduit, la joie ne devient pas nécessairement uniquement religieuse.
Mais je peux alors facilement y discerner la part religieuse du reste.
La jouissance de l'art a un caractère plus contextuel, intimement
lié à mon histoire affective, mon identité, ma
frustration, ma libido, mes sens... alors que la jouissance spirituelle
est d'une autre sphère, plus manifestement enracinée
dans l'altérité, plus indépendante par rapport
aux pulsions et aux attentes. et immanquablement en référence à une
culture spirituelle. Elle exalte mes frontières alors que
l'art les brise, etc..
paul yves wery - Belgium - February 2007
Version 2.01 - Chiangmai - Janvier 2009
Version 2.02 - Chiangmai - Février 2009