Version 2.21 - Septembre
2019
Éloge des théologies rationnelles ou
De la liberté, de la détermination et de l'indéterminable.
Savoir, ignorer, savoir ignorer et ignorer ignorer Savoir, ignorer, savoir ignorer et ignorer ignorer
Supposons donc que je localise cet événement imprévu en un lieu 'x' au moment 't'. L'événement s'est comme "allumé" dans ma vie dans un contexte précis, en ces coordonnées-là. Cet éclair très localisé sera peut-être le seul indice mis à ma disposition pour faire exister ce quelque chose dans ma conscience, que je sois un homme de science, un spirituel bouddhiste ou un charbonnier attentif… Je ne dois pas trop rêver: je n'ai aucune raison sérieuse de penser que cette scène, ce contexte de choses, qui a accueilli cet événement surprenant s'est lui-même laissé intégralement capturer par ma conscience. Je pense plutôt que pour chaque événement, ma conscience ne profite que d'un minuscule dévoilement d'une intrigue compliquée de choses dont l'essentiel m'échappera toujours. Mais ce n'est là qu'une intuition difficile à argumenter dans un sens comme dans l'autre puisque j'ignore ce que j'ignore. Avec des données peut-être partielles, je me construis une explication plus ou moins solide de ce qui s'est passé. Hélas, les suites de causes, les enchaînements d'effets, que mon modèle d'explication suggère, sont toujours affaiblis par quelques questionnements plus radicaux sinon à propos des suites de causes, au moins à propos des raisons pour lesquelles cette suite-là prévaut sur une autre… La simple affirmation que tout effet a une cause est d'ailleurs éventuellement déjà hors propos. Je ne serais pas le premier à dire que, peut-être, il n'y a dans cette supposée causalité qu'une illusion, que le reflet d'une habitude, etc.
Les invariants scientifiques établis par les comparaisons de référentiels seraient "absolus" parce qu'ils ne dépendraient plus de la position des observateurs et ils nous aideraient donc à prévoir l'avenir… Ils nous aident, c'est vrai, mais cela ne suffit pourtant pas. Pour connaître l'univers et prévoir les événements, en plus des lois construites autour de ces invariants, il faut encore la connaissance exhaustive des choses contenues dans les référentiels et qui font les variables de ces lois : le contexte ! Le problème est plus profond qu'il n'y paraît car la présence d'une planète, d'une météorite, ou d'un quelconque nuage de poussières peut, au moins en droits, surgir de "nulle part". Je veux dire ici que l'information qui signale l'existence de ces choses peut atteindre la fusée avant de m'avoir atteint, moi qui calcule la trajectoire! Sous une apparence anecdotique, en fait, cette relation entre l'information de l'existence et l'existence elle-même est le cœur du problème. Une des plus belles théories déterministes, la théorie de la relativité, nous offre une superbe approche de ce surgissement toujours possible de nouvelles choses dans notre sphère empirique. La relativité affirme que, contrairement à ce que Newton avait laissé croire, pour un savant, l'existence ne se distribue pas "instantanément" dans tout son environnement. Elle s'y propage à une vitesse qui n'est pas infinie. Au fond, cela revient à dire que le temps doit pouvoir couler pour simplement faire savoir à tel ou tel observateur ou à telle ou telle planète que, par exemple, une étoile existe à tel endroit. L'existence d'une galaxie qui signe un jet de lumière ou une courbure de l'espace et susceptible d'affecter une photo astronomique, se répandrait, selon la relativité, à une certaine vitesse dans des territoires de plus en plus éloignés d'elle et de plus en plus proche de la fusée et de moi qui l'ignore encore, etc. Fort de cette remarque, je considérerai donc qu'il y a dans l'univers l'une ou l'autre chose qui éventuellement existe déjà pour d'autres, mais qui ne va exister pour moi que dans quelque temps, lorsqu'une information minimale émanant d'elle m'aura enfin rejoint. Je suis donc, moi, incapable de remplir d'une manière exhaustive le référentiel que je construis pour calculer l'avenir.
Cette petite digression du côté d'une puissante théorie physique me suffit déjà amplement pour appuyer ce que je veux faire valoir: des événements (…des choses; car il n'est plus vraiment utile de distinguer la chose de l'événement dans cette théorie physique) peuvent émerger "de rien" dans mon histoire. Je peux affirmer que détenir la formule des lois du monde, ce n'est pas encore prédire (supprimer les surprises) ni abolir la nécessité de l'expérience.
Le temps 't' du référentiel et le temps 'u' de l'observateur
Mon lecteur aura remarqué que j'ai bien pris soin de présupposer sans la discuter l'exactitude de la théorie de la relativité. Qui serai-je d'ailleurs pour en nuancer ses fondements et sa valeur scientifique. Je n'ai pas plus mis en examen l'absoluité du langage mathématique dont les savants font grand usage. Encore une fois, qui serais-je pour me donner ce droit. N'étant que celui que je suis, j'accorde sans discuter, par hypothèse, aux plus brillants physiciens et mathématiciens une valeur indiscutable à leurs travaux. La seule chose qui m'importe ici, c'est le fait que, même supposées "absolues" (supposées capables de produire des invariants assumant des changements de référentiels), les formules qui dirigent l'univers ne peuvent abolir l'inconnu, la surprise, l'imprévu dans ma vie. En plus de ces lois supposées parfaites, pour prévoir et quantifier les événements à venir, je devrais disposer d'une liste exhaustive des choses qui remplissent mon référentiel. Or cette liste est inaccessible. L'exhaustivité ici n'est pas accidentellement inaccessible; elle l'est théoriquement. Pour chaque observateur, cette liste n'arrête pas de croître non seulement par le raffinement des méthodes expérimentales – cela, on le sait depuis toujours – mais par le fait de ce que je peux bien appeler une "ontogenèse*" incessante.
Cette humilité obligée de l'ambition prédicative des lois peut être l'occasion de penser un temps qui n'est pas la variable 't' utilisée dans les algorithmes scientifiques. Ce nouveau temps serait bien plus lourd qu'un simple "déroulement" d'algorithmes naturels puisqu'il est la condition et la mesure de l'évolution non pas de la loi (qui pour simplifier les choses est présupposée ici parfaite et invariable), mais de la signification pratique de la loi tout au cours de l'écoulement du temps 't'. La prévision du futur, dans la théorie de la relativité, n'est jamais qu'une approximation parce qu'elle est un scénario construit à partir d'un "arrêt sur une image" du grand film de la nature. Au cours du tournage, de nouveaux acteurs peuvent arriver à tout instant et perturber le scénario en entrant sur la scène par des portes dont le physicien ne possède pas les clés. Le futur, le "vrai" futur, est ce "pseudo-futur" du physicien (construit par l'usage des lois sur un premier bilan empirique des choses existantes) retravaillé par ce que le bilan empirique d'un "présent à venir" ajoutera au précédent...
Une fois la distinction catégorielle entre "observateur" et "référentiel" assumée, il y a donc bien deux temporalités distinctes qui doivent être prises en considération. Dorénavant il y a d'un côté le temps "légal" désigné par la traditionnelle variable 't' et, de l'autre côté, le temps 'u' ('u' comme 'hurluberlu') lié à l'ontogenèse et qui mesure le mouvement des mouvements déjà algorithmés par 't'. Le problème est maintenant de savoir si ce temps des hurluberlus est mesurable!
Le possible, l'impossible, la contingence et la nécessité Dans une théorie scientifique, l'imprévisible susceptible d'accabler un observateur, vous et moi donc, est balisé: une théorie peut refuser de prendre en compte l'une ou l'autre "chose" qu'elle qualifie alors d'illusoire, ou de virtuelle par exemple... Au total, ce droit au déni que la théorie se donne induit au moins deux modalités, deux "manières d'être" pour l'événement du futur: le "possible" et "l'impossible". En droit, ce qui a été déclaré impossible peut surgir malgré la théorie, bien sûr ; c'est toujours l'expérience qui a le dernier mot. Cet "impossible" serait alors, en fin de compte, un "possible" comme les autres sinon qu'il signalerait au savant une faille de sa théorie.
Les deux autres vieilles modalités de la philosophie, la nécessité et la contingence, sont quant à elles, plus ambiguës (et peut-être moins utiles pour mon propos). Il faut pourtant en dire un mot, sur la contingence surtout, parce qu'elle est au cœur du "Réalisme Spéculatif" de Meillassoux. Il n'est évidemment pas question de nier cette position centrale que Meillassoux accorde à la contingence puisque, sans l'aide de la philosophie, la science possédait déjà le droit de l'affirmer (à bien moindres frais conceptuels). Si une nouvelle expérience nous montrait, par exemple, que "quelque chose" peut se déplacer plus vite que la lumière, alors la théorie de la relativité deviendrait aussitôt obsolète parce qu'elle ne serait plus en mesure de quantifier la variable 't' sans modifier ses algorithmes d'une manière radicale. Oui mais... Si tous les algorithmes doivent se reformuler différemment, en français courant, cela signifie que la théorie est devenue fausse! La primauté de l'expérience sur la théorie nous imposait donc d'entrée de jeu de considérer que l'ensemble des lois naturelles sont ...eh bien oui: contingentes! Cette affirmation, qui, ici, n'est pas tant un aveu d'ignorance que l'affirmation d'un savoir principiel, signifie purement et simplement que si l'expérience l'impose, la loi peut changer à tout instant. On peut tourner cette remarque dans tous les sens, elle gardera la force d'une affirmation scientifique. (Essayer d'esquiver la force de l'affirmation en disant que la loi n'a pas changé mais qu'elle se formule maintenant différemment, serait le symptôme d'une confusion catégorielle.) En fait, un observateur scientifique conséquent avec lui-même, depuis qu'il admet qu'un événements n'annonce pas "instantanément" son existence à son entourage, a non pas une mais deux contingences à prendre au sérieux: celle liée aux événements qui, à la vitesse de la lumière, viennent à l'existence dans un champs expérimental sans se mettre en contradiction avec les lois (ontogenèse) et celle des lois de la nature qui mutent chaque fois que la théorie est contredite par telle ou telle expérience plus fondamentale.
La nécessité? C'est encore plus compliqué... Elle n'est pas complètement morte avec le dévoilement de deux contingences aussi puissantes, mais il faudra pouvoir la nuancer par une approche plus généraliste de la causalité.
La causalité
Affirmer la contingence des lois de la nature, cela revient à affirmer qu'un mystère habite inexorablement l'univers. Si certains préfèrent parler de contingence plutôt que de mystère, c'est peut-être pour mieux esquiver les libéralités que le mot "mystère" offre trop manifestement au théologien ?... Pour un savant cette contradiction entre la contingence universelle et la fertilité technologique du principe de causalité ("tout effet a une cause") est peut être moins embarrassante qu'on pourrait d'abord le penser; le savant possède une manière de traiter utilement l'indétermination: les calculs de probabilités. A bien y regarder, faire usage de théories probabilistes, ce n'est pas réhabiliter un déterminisme pur et dur par un chemin de travers; c'est plutôt une manière de le nuancer le déterminisme en lui demandant de réserver un peu de place au mystère... Le bon gestionnaire des données aléatoires est 'fairplay': il accepte de ne pas ruiner totalement son adversaire déterministe pourvu que ce dernier accepte de ne jamais confondre le passé et le présent d'un côté et le futur de l'autre. Comme Tristan Garcia le démontre bien dans son essais, le passé existait et existe encore, point à la ligne. Il impacte, il oriente, l'événement de demain, et en cela il peut effectivement nourrir une certaine idée de la causalité. Le contexte d'application des lois, c'est à dire les valeurs à donner aux paramètres qui formalisent ces lois, est bel et bien figé par le passage du temps. Le savant peut donc continuer à parler de causalité dans la mesure ou il admet simultanément que pour faire une prévision, pour obtenir des chiffres absolument certains concernant le futur, cela ne suffira peut-être pas. Pour faire une prédiction, le savant devra en plus faire un pari sur la pérennité des lois utilisées et sur l'absence d'émergence d'événement neuf suffisamment conséquents pour perturber ses prédictions. Des lois fondées exclusivement sur la causalité peuvent peut-être expliquer le passé mais elles ne peuvent ni tout prévoir ni prévoir avec une certitude absolue. Dès qu'on veut prédire, à cause de la radicalité de la contingence, il faudra d'une manière ou l'autre endosser une incertitude; le principe de causalité doit assumer la contingence, aussi infime ou rare puisse être sa manifestation! Cela revient à dire que le savant qui pense le futur, doit intégrer une variable aléatoire dans tous ses algorithmes, même si en pratique pour le technicien, c'est souvent un luxe théorique sans grandes implications pratiques.
La théologie rationnelle
S'il y a un pouvoir de Dieu sur une nature dont il se distinguerait, ce n'est pas du côté de la négation de l'ordre naturel qu'il faut le chercher. Ce Dieu-là il travaillerait non pas sur la variable 't' des algorithmes du savant, mais dans une autre temporalité qui ne se met jamais en contradiction avec la temporalité 't'. La deuxième temporalité, le temps 'u' comme 'hurluberlu' que j'évoquais plus haut, autorise un mouvement supplémentaire dans l'espace-temps traditionnel qui a pour effet non pas de changer les lois de la nature mais de changer le contexte à venir dans lesquels ces lois s'appliqueront. Le théologien peut encore éventuellement croire que les lois de Darwin relève d'un dessein plus vaste de l'Univers que l'avenir confirmera, mais il ne peut pas nier l'empirie de hier et de maintenant... De son côté, le savant peut bien faire des pronostics sur ce que sera demain l'astronef appelé "terre", mais il ne peut pas nier qu'un mystère reste entier et que demain pourra malgré tout le surprendre par un bouleversement des contextes ou par une expérience absolument incompatible avec sa théorie... Nous autres, les petites gens bien accrochés au planché des vaches et parfois désireux d'enchanter le monde, on fera tout de même remarquer au savant que jusqu'au jour d'aujourd'hui, chaque porte ouverte par la science a découvert un couloir d'autres portes plus nombreuses et fermées qui attendent d'être ouvertes. En pratique donc, même si on ne peut pas affirmer qu'il en sera toujours de même, depuis que l'homme utilise sa raison, il n'y a non pas de moins en moins de place mais bien de plus en plus de place libérée pour le théologien. Dire que les sciences avancent, ce n'est pas dire que la théologie recule. Parce que les sciences avancent, la théologie rationnelle avance, et l'obscurantisme recule.
Tous les rêveurs ne sont pas tolérés dans le cerclé très fermé des théologiens rationnels. Pour y entrer, il faut montrer patte blanche, c'est à dire connaître les frontières très précises déjà tracées par l'expérience scientifique. Pas un vrai théologien ne pourra négliger la force du passé empirique. Le théologien, le vrai théologien, s'il veut se distinguer du farfelu, se distinguera à ce prix-là.
Le filet du pêcheur... L'observateur lui-même est compris dans le contexte qu'il étudie. C'est dire d'une autre manière que s'il est libre, s'il est titulaire de sa volonté, s'il a la possibilité de changer le monde et s'il n'est pas un grand savant, il le fera sans nier les lois de la nature, mais en modifiant les contextes de leurs applications par une action bien ciblée qui sera une cause première, une cause sans cause connaissable. (La liberté dans le déterminisme est une chimère de simple...) Il y a une image que j'aime donner alors et que les pêcheurs au filet connaissent bien: le filet qui est tiré par la barque prend une certaine forme sous l'effet de son poids, de la vitesse de la barque, de la longueur des filins, des courants marins, etc. Quelques poissons sont déjà pris et si rien ne change dans la configuration actuelle du filet, au train où vont les choses, quelques autres poissons vont se faire prendre... Mais arrive un énorme requin qui coince son museau dans les mailles et se débat pour s'en libérer. La forme initiale du filet en est terriblement affectée et d'ailleurs même la trajectoire de la barque est perturbée. Des quelques poissons déjà capturés, quelques-uns vont peut-être pouvoir s'échapper et quelques-autres de ceux qui allaient se faire prendre, par cet heureux concours de circonstances, vont peut-être finalement échapper à la prise. Pour le plongeur qui, par sa position, aurait le privilège d'observer tous les acteurs de la scène sous-marine, il est clair que la volonté rebelle du requin a changé la donne du départ sans avoir changé les règles de la pêche... Une image n'est jamais qu'une image, mais mon lecteur comprendra que chacun de nous peut penser qu'il a le pouvoir du requin: celui de déformer de destin du monde (la trajectoire du filet) et changer ainsi non pas la science de l'espace et du temps (l'art de pêcher au filet), mais la sphère et les proies de sa pensée scientifique (le contexte). Chacun de nous a sa tête coincée dans des mailles, mais il nous reste – peut-être – avec la force de nos décisions et tout en reconnaissant pleinement l'incontournabilité des lois, la possibilité de modifier la distribution de l'ensemble de ces mailles dans un monde plus ample que ce qu'en dit la science. Cela présuppose que chacun de nous n'est que partiellement capturé par l'espace-temps des savants... Notre corps aurait une part non objectivable? Bien sûr! Qui oserait mettre cela en doute sans commettre un acte de foi immense (et immensément naïf) alors que chaque porte que nous ouvre les sciences nous découvre un couloir de portes encore fermées? Des concepts comme l'émergence ou la probabilité ou la volonté sociale, ou même les traditionnelles modalités de l'existence, nous cachent mal qu'il y a un mystère premier qui irrigue tout, ...pardon! De la contingence qui irrigue tout! Une telle approche de la liberté déçoit parce qu'elle ne nous offre pas la possibilité d'une action directe sur telle ou telle choses ; nous ne pouvons agir que sur des contextes. C'est vrai; il n'y a pas que moi et cette chose que je tente de manipuler... Il y a encore les autres choses qui ont leurs mots à dire. Ces tierces choses agissent aussi. Tout semble lié à tout et à tous pour restreindre la liberté de tout et de chacun. Mon influence est toujours très balisée par les lois naturelles et par la présence de toutes les autres choses, pas rien que celles qui m'intéressent. Mon action est toujours un compromis fait avec le monde entier. La liberté aussi est un écosystème... *** Conclusion Les théories scientifiques n'ont pas la totale maîtrise du futur. Il y a manifestement un trou dans nos connaissances objectives de la nature et il semble vain de vouloir étendre la portée de notre objectivité scientifique sans faire aussitôt obédience à quelque acte de foi... Mais pour autant la spiritualité (qui n'a de sens que par l'hypothèse de la liberté) ne peut pas, elle, s'émanciper des sciences!Le scientifique n'a, en droit en tout cas, qu'une partie de l'ensemble des choses dans sa besace. Cette partie de l'ensemble, il l'a pourtant bien réellement sans quoi il n'aurait ni la possibilité de nourrir la technologie, ni le pouvoir de prédire quelques événements, ne serait-ce qu'en termes probabilistes. Ce redoutable censeur qu'est le savant oblige donc le théologien à étudier les sciences. Si, par exemple, le théologien déiste nie l'enseignement de l'expérience, il nie le réel dans lequel il voudrait pourtant installer son Dieu! Le vrai théologien se distingue de l'obscurantiste par ce respect des sciences qui lui renverraient sinon sans cesse l'expérience et la technologie au visage pour couvrir ses thèses de ridicule. Je plaide donc, moi aussi, pour une théologie rigoureusement balisée par la rationalité scientifique. Mais j'insiste sur l'asymétrie en jeu: les sciences ont tout à perde en se laissant influencer par la théologie tandis que la théologie a tout à perdre en ignorant les sciences. Tout ce à quoi la théologie doit renoncer à cause des sciences (parce qu'elle voudrait continuer à spéculer sur le réel et non sur le "n'importe quoi") est aussi une forme de connaissance théologique. À l’instar d'un Meillassoux qui, dans sa sphère, essaye tant bien que mal de sauver la logique et la causalité par ce qui ne semble au premier regard qu'une ignorance (la contingence absolue, le grand Chaos), il faudra, me semble-t-il, que le théologien recentre sa recherche d'abord sur ce que Dieu n'est certainement pas. Ce que Dieu n'est certainement pas, les sciences nous l'ont suffisamment argumenté à force d'expériences et de techniques... Il faut donc partir de l'impuissance de Dieu! (Pour le théologien chrétien, cela ne semble pas être un immense défit puisque son Dieu est un Dieu crucifié.)
Pour l'observateur plutôt extérieur aux sphères théologiques, philosophiques et scientifiques, qui désirerait, par la force de quelque instinct de conservation, que la pensée nous protège de nos fantasmes les plus dangereux et nous aide plutôt à construire une cité plus douce, le temps est (re)venu de (re)prendre en compte le théologien rationnel et de lui rendre (sans condescendance!) non pas le droit d'être arrogant comme il le fut dans le passé, mais le droit d'être écouté avec attention dès qu'il se montre informé en matière scientifique. Puisque le mystère existe au sein même de la rationalité scientifique la plus extrême, c'est précisément là, dans ce territoire balisé s'il en est, que le théologien peut prononcer une parole salutaire; il peut s'avancer dans de l'irrationnel, mais il ne peut pas sortir de sa cage s'il veut éviter que son "irrationalité" ne soit ridiculisée par l'empirie! Ce truisme, il fallait le rappeler à l'heure où l'approche paternaliste des religions par des techniciens sans étoffe (le plus souvent des techniciens réductionnistes abusivement considérés comme scientifiques lorsqu'ils s'avancent dans ce genre de discours non falsifiables), nous entraîne à une vitesse folle vers un mur à la fois intellectuel et politique. À force de délégitimer la raison au nom d'un certain esprit critique, ce sont les philosophies critiques elles-mêmes qui, au nom de ce même esprit critique (quel paradoxe!), ont perdu leur légitimité, ...car si ce n'est pas l'esprit critique qui doit être remis en cause, alors c'est le choix des ressources scientifiques, très partiel et partial, par lesquelles le penseur réductionniste essaye d'imposer son autorité. Paul yves wery - Chiangmai-Bruxelles Version 1.0 - Août 2011
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