Le baiser de Judas
Jésus n'est pas fou. Ce n'est pas à lui d'assumer les caprices de la conscience de Judas. Il n'ira spontanément au tribunal que si le tribunal l'appelle et ce sera de toute façon publiquement, en plein jour, c'est-à-dire avec le support des petites gens. Judas non plus n'est pas fou. Il sait que de toute façon le sanhédrin ne sera jamais en mesure de faire taire Jésus par une simple sentence. Pour faire cesser la prédication de Jésus, Judas devra se mouiller lui-même. Il veut bien le faire, mais s'il veut prétendre agir pour l'intérêt du peuple Juif et non pour le sien, il faudra malgré un jugement officiel de ce sanhédrin! L'action projetée se fera de concert avec le sanhédrin et commencera pendant une nuit de fête. Une instruction rapide permettra au tribunal se rassemble dès l'aube. Il faudra donc forcer Jésus à comparaître de nuit, que lui et ses disciples soient ou ne soient pas consentants. En pratique cela veut dire qu'il faudra être prêt à agir manu militari. Il faudra lever une patrouille... Le reste coulera de source: Jésus, après une courte instruction, sera conduit devant un tribunal officiel à un moment où les petites gens sont affairées à d'autres priorités. Il sera officiellement condamné à l'exil. Il sera aussitôt, et sous bonne garde, mis sur un bateau ou joins à une caravane en partance vers des terres lointaines... C'est Judas qui coordonnera le tout... Trente pièces d'argent devraient suffire... Cette procédure étant totalement en accord avec l'état de droit, les sympathisants de Jésus au sein de l'élite n'auront plus qu'à assumer leur défaite. Lorsque la foule sortira de sa torpeur, Jésus sera déjà loin. Il n'y aura pas eu de sang qui puisse attiser sa colère, pas même d'évènement qui puisse cristaliser sa colère... * Les mercenaires engagés pendant la fête ne semblent pas avoir formé un groupe très homogène. Peu importe que ces mercenaires fussent romains, juifs ou voyous pourvu qu'ils accomplissent ce qu'ils ont à accomplir. Le temps presse. Il semble, à la lecture des textes, que quelques-uns de ces mercenaires provenaient de la police du sanhédrin. Il est possible et même probable que ceux qui furent décrits comme armés de gourdins furent simplement l'un ou l'autre voyou en quête d'une solde.
Dans cette affaire, Judas n'est pas qu'un guide; c'est le cerveau du projet et c'est aussi un chargé de mission motivé qui a discuté du projet avec les notables pour l'accomplir dans le strict respect de l'état de droit. Fallait-il un baiser pour faire reconnaître Jésus aux mercenaires? Non, toute la ville connaissait Jésus et comme il le dira lui-même chez le souverain sacrificateur, il prêchait en plein jour au temple!
Certes, certains mercenaires ne connaissaient probablement pas Jésus; pour ce genre de travail, on n'engage pas nécessairement les dévots du Temple! Mais d'autres le connaissent déjà et savent son charisme; ils manifestent une crainte respectueuse lorsqu'ils s'approchent (Jn18,2-8). Ce sont les mercenaires qui ne sont pas de Jérusalem ou en tout cas qui ne fréquentent pas le Temple qui répondent au «...Qui cherchez-vous ?...» prononcé par Jésus. Si ce baiser inattendu est évoqué, c'est certainement qu'il est historique. Mais ce baiser convenu ne peut pas avoir été que le baiser d'un guide! A une telle fin, une désignation par l'index aurait été plus facile. L'étrangeté du baiser en de telles circonstances invite bien plus à penser qu'il était aussi et SURTOUT un signe symbolique fort et bien prémédité donné de Judas à Jésus... Et Jésus l'a compris qui donne une réplique à la hauteur du drame signifié. Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures pour retrouver le sens principal de ce baiser. Il faut le chercher dans la nature même du signe choisi. Le baiser n'est neutre dans aucune culture. Il y a encore entre Jésus et Judas une affection et un respect réciproque. Il est intéressant de remarquer ici que, sous la plume de Matthieu qui avait bien connu et Jésus et Judas, ce baiser peut manifestement être lu comme l'indication expresse de la persistance de cette affection et de ce respect par-delà un devoir de conscience, une 'raison d'état', qui les séparait.
Mc et Lc qui n'ont pas ou peu connu Jésus et Judas sont étranger à cette relation affective les unissaient et sont plutôt embarrassés par cette dimension au baiser. Luc seul -qui comme Mt sous-entend que Jésus avalise la motivation de Judas- fait comprendre que Jésus est triste que ce signe d'amitié soit utilisé en une telle circonstance.
Jean est le seul qui refuse de parler de ce baiser. S'il n'avait pas pu, lui aussi, y sentir la présence d'une affection de Jésus pour Judas qui l'attriste et le désempare profondément, il se serait empressé de le mentionner pour appuyer sa thèse d'un Judas perfide et crapuleux.
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