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Version 1.03 - Janvier 2011

Le pape, les préservatifs et le SIDA.

 

Je n'arrive pas à comprendre ces furieuses passions orientées contre le pape chaque fois qu'il rappelle à ses ouailles le contenu du code moral sexuel catholique. Ou plutôt, je crains trop bien comprendre ce qu'il y a derrière ces jeux d'indignations: de la mauvaise foi!

Nul n'est tenu d'être catholique, chacun a le droit de l'être. C'est au public de juger s'il faut oui ou non tenir compte des convictions catholiques mais le public n'a pas à reprocher au pape d'exprimer son avis. Si un certain journalisme veut commenter les édits pontificaux, il est en droit de le faire bien sûr, mais alors, qu'il étudie un peu mieux le dossier car ce qui semble de la mauvaise foi (voire un cynique travail de désinformations) au premier regard pourrait aussi n'être que de la bêtise.

 

Reprenons le problème à la racine.

-1- Première étape:

Pour déterminer ce qui est bien et ce qui est mal soit je consulte un code (ensemble de lois) soit je consulte ma conscience morale. Le code moral est un ensemble de règles morale plus ou moins conventionnelles, plus ou moins instinctives, plus ou moins arbitraires, plus ou moins nécessaires qui est rédigé par un pape, un savant, un gourou, un Dieu, ...mais pas par moi! La conscience morale par contre est tout à fait personnelle. Elle est, tout comme le code, susceptible de m'indiquer le bien qu'il faut faire et le mal qu'il ne faut pas faire, mais à partir de principes qui se situent dans l'intimité de mon coeur.

-2- Deuxième étape:

Constater que les codes (civil, religieux, déontologiques, etc.), s'ils ont en général quelques accents moraux, ne disent pas toujours la même chose que ma conscience morale.

Les codes interdiraient tous le meurtre, que la conscience individuelle du docteur X pourrait, par exemple, lui ordonner de tuer un cancéreux qui souffre atrocement et qui est de toute façon condamné à très court terme.

-3- Troisième étape:

Ne pas obéir aux ordres de la conscience morale provoque une souffrance d'un type très particulier. On parle de «remords», de «mauvaise conscience», de «regrets», de «sentiment de culpabilité», etc.). Même si le vocabulaire utilisé pour en parler est parfois plurivoque, il ne faut pas confondre cette souffrance-là avec ce que l'on éprouve après avoir commis une erreur, un mauvais choix, une mauvaise évaluation.

Il y a dans l'humanité des genres d'hommes qui souffrent plus que d'autres lorsqu'ils désobéissent à leur conscience.

Ceux que les psychologues appellent les «obsessionnels» ont tendance à souffrir plus qu'ils ne devraient de leurs petites fautes morales. Les psychopathes par contre ne ressentent jamais cette souffrance au point que l'on se demande parfois s'ils ont une conscience morale.

Le non-respect d'une loi d'un code ne provoquera systématiquement cette douleur que dans la mesure ou la conscience morale n'a pas encore pu s'autonomiser par rapport à ce code (enfants, adolescents et adultes immatures).

Un code (civil, religieux, déonthologique, etc.), même s'il est parfois solennellement appelé «code moral» ne sera de fait réellement vécu comme "moral" que dans la mesure où il est susceptible d'interagir avec les consciences morales individuelles et susceptible donc de provoquer des douleurs morales en cas de désobéissance. Brûler un feu rouge (code civil) peut très bien susciter une intrigue morale, un problème de conscience morale. Inversément, être méchant (code moral) peut très bien ne pas susciter un sentiment de culpabilité morale...

 

-4- Quatrième étape:

En cas de contradiction entre un ordre donné par un code et un ordre donné par la conscience, il faut bien choisir car ne pas le faire est aussi un choix. Il y a donc une hiérarchie à établir entre conscience et codes. En cas de contradiction, faut-il obéir à la loi ou à la conscience?

Bouddha et Jésus répondent sans ambiguïté que la conscience prévaut sur les codes. (Ce serait plutôt l'inverse dans l'Hindouisme et dans l'Islam? A voir...)

 

-5- Cinquième étape:

Le Catholique a encore un petit «détail» anthropologique à relever s'il veut comprendre pourquoi son pape s'acharne à être aussi bavard: c'est toujours le code qui crie d'abord «Holà!» et c'est ensuite que la conscience morale se met à réfléchir et parfois à nuancer ce que le code affirme d'une manière péremptoire. La conscience morale ne calcule le bien et le mal que dans le cas où le code moral a été enfreint ou risque de l'être. Cela veut simplement dire que la conscience d'un homme moralement mûr à beau être une expression de son autonomie par rapport au code, elle n'en est pas moins fille du code!

Manger une saucisse de porc lorsqu'on est affamé ne pose un problème de conscience que pour le musulman ou pour le juif dont les codes moraux/religieux/civils respectifs en interdisent la consommation. Le Chrétien, lui, se mettra à table sans faire travailler sa conscience préalablement. On peut déjà faire remarquer que si les chrétiens n'ont plus exactement la même sensibilité morale que leurs aïeux Juifs (et donc que Jésus lui-même) c'est parcequ'ils ont modifié le code (le premier concile de Jérusalem est vraiment emblématique à cet endroit).

 

***

 

Si ce qui vient d'être dit est assumé, on comprendra aisément qu'un Catholique reste catholique s'il désobéit au pape (au code que le pape édicte), pourvu qu'il ne se mette pas en contradiction avec sa propre conscience morale. Le Juif Jésus lui-même n'a-t-il pas régulièrement enfreint le code Juif alors qu'il n'a jamais démenti sa judéïté?

Puisque de toute façon c'est la conscience qui a le dernier mot dans la pratique morale catholique, puisque par-delà son rôle dans la sexualité le préservatif est aussi une protection contre le SIDA, pourquoi le pape ne se contente-t-il pas de se taire? Pourquoi ne se contente-t-il pas d'inciter ses ouailles à donner la priorité à la conscience sur le code (comme toute la machine catholique tente de le faire, quoi qu'on en dise, depuis deux millénaires)?

On ne peut comprendre cela qu'en essayant de deviner ce qui se passerait s'il n'y avait pas de code en sexualité (ici, on ne prendra pas le viol en considération car alors ce serait davantage la violence que la sexualité qui serait mise sur la sellette).

Depuis au moins cinq cents ans et d'une manière plus radicale depuis cinquante ans, le code moral naturel (c'est-à-dire le code moral qui semble s'imposer par consensus, parfois sans même qu'on doive l'écrire ou le dire) distingue de plus en plus nettement la sexualité, la fécondité, la conjugalité et l'affection. Depuis vingt-cinq ans, le genre lui-même est en train de prendre son autonomie dans le champ du sexuel! En pratique, cela signifie que depuis en gros cinq-cents ans, mais surtout depuis cinquante ans, les questions de bien et de mal qui peuvent se poser dans le champ du sexuel deviennent de plus en plus pointues et nos ancêtres auraient eut bien du mal parfois à comprendre la nature même de ces questions.

Aujourd'hui encore, l'autonomie symbolique du genre dans la sphère sexuelle est très loin d'être perçue et comprise par tout le monde. Les questions que cette autonomie soulève semblent encore spécieuses voire folles pour beaucoup. Les suggestions ou les revendications qui en découlent leur semblent absolument incompatibles avec le réel (trans-genre, pédophilie/gérontophilie, sadomasochisme, homosexualité... )

Ce qui est tout à fait remarquable c'est que pas mal de ces nouvelles manières de percevoir les problèmes n'appartiennent pas spontanément à la sphère morale. Certaines questions sexuelles «classiques» ont été tellement dénaturées par les technologies et les nouveaux modes d'organisation sociale qu'elles sortiraient purement et simplement du champ de la morale naturelle s'il n'y avait des codes pour tenter de les y ramener. Ainsi en est-il de la recherche d'optimisation du plaisir par exemple, du contrôle médical de la fécondité, de la pratique sexuelle préconjugale, voire certaines questions de genre... En d'autres mots, qu'un homme cherche à donner plus de plaisirs à sa femme pendant les relations sexuelles ne provoque plus spontanément une question d'ordre moral (l'histoire nous montre qu'il n'en fut pas tout le temps ainsi!). Cet effort pour donner plus de plaisir ne suscite plus aucune mauvaise conscience. C'est exactement comme si, disposant de quelques aliments et condiments dans mon frigo, je cherchais à bien manger plutôt que simplement manger; cela non plus ne remue pas spontanément ma conscience morale.

Si maintenant un ordre exogène prononcé par un pape, un médecin ou un «Leader Maxima» me dit tous les jours que le plaisir sexuel est immoral et que manger sans prendre le temps de faire de bons repas avec ce qu'on a reçu de la providence c'est aussi immoral, il est clair que je vais finalement un jour ou l'autre me poser en conscience la question de savoir si je peux ou dois continuer à «perdre mon temps» pour que ma femme jouisse plus ...ou «perdre mon temps» à me mijoter de bons petits plats. Ce remuement de conscience ne présume pourtant pas de ce que, in fine, ma conscience m'ordonnera; si je suis un homme mûr, ma conscience morale est en mesure de prendre ses distances par rapport aux codes en vigueur dans ma communauté de vie. Il reste donc possible que je n'éprouve aucun sentiment de culpabilité alors même que je déciderais de continuer à désobéir au code (pourvu que j'obéisse vraiment à ce que ma conscience me dicte).

Remarquons tout de même que le statut mental de l'homme qui agit sans avoir fait travailler sa conscience et celle de l'homme qui a fait travailler sa conscience n'est pas identique, qu'ils agissent ou non de la même manière. Le plaisir sexuel qui transgresse un code n'est pas tout à fait identique au plaisir qui ne le transgresse pas. Le bon petit plat que je ne mijote pas malgré les recommandations de ma conscience me fera peut-être regretter de n'avoir pas su accorder la juste valeur aux simples choses de la vie quotidienne ou d'avoir mésestimé le travail de mes camarades fermiers, etc.

 

***

 

Où en est le code naturel des peuples d'Occident en matière de sexualité?

Il ne faut pas être bien savant ni fréquenter tous les jours les "underground" de New York pour constater qu'à peu de choses près, tout ce qui appartient au champ du sexuel a irrésistiblement tendance à quitter le champ de la morale pour rejoindre une sphère amorale comme celle de l'alimentation ou celle de la reproduction du corps nu dans l'art. (Il n'est même pas compliqué d'en comprendre les raisons: la technologie et l'organisation sociale déplacent les toxicités, les risques, les conséquences...) Le plaisir sexuel devient donc une forme particulière de 'gastronomie à deux'.

Au début de l'épidémie du SIDA, le monde fut stupéfait de constater que les homosexuels de New York ou de Los Angeles non seulement étaient nombreux mais avaient aussi en moyenne plus de cinquante partenaires différents par an. Je n'éprouve aucune sympathie ni pour l'épidémie du SIDA ni pour l'étique de la transparence en matière de pratiques sexuelles, mais je reconnais avoir apprécié que le SIDA ait pu enfin révéler à tous quelques non-dits. Ce que le SIDA a mis au grand jour un peu partout dans le monde nous a tous obligé à réévaluer ce que nous croyions savoir de la bonne conscience des «masses silencieuses» («les autres» dit-on lorsque l'on veut résolument ne pas être confondu avec cette 'pègre' qui vit sous d'autres règles sa sexualité à Los Angeles, en Afrique, en Inde...). On ne pouvait plus continuer à édicter impunément des codes, des déontologies ou des protocoles judiciaires sans évaluer d'abord plus justement la norme, les 'marginalités' et les inclinations réelles des masses silencieuses. Ce silence convenu qui a duré des siècles à propos de la dissociation entre le sexe, le genre, la fécondité, la conjugalité et l'affection, n'était-il pas finalement l'effet d'une forme de tyrannie exercée par une classe dirigeante peu écoutante et peu charitable qui rédigeait un peu trop à la légère ses codes moraux?

Vient maintenant la vraie question: est-ce que cette sexualité amorale que, par exemple, les ghettos gays de l'Occident vivent déjà 'de fait' est vraiment une proposition éthique acceptable pour le monde? Peut-on encourager de retirer toutes les pratiques sexuelles non-violentes des codes civils, pénaux, déontologiques voire religieux?

La réponse ne va pas de soi, mais si elle est négative, il faudra bien que le pape au moins (qui d'autre pourrait le faire?) continue de harceler ses ouailles avec ses interdits sans quoi la sexualité continuera à se retirer du champ de la morale 'naturelle'.

Encore une fois n'allons pas mal comprendre l'enjeu. Il est certain que ce n'est pas un code qui empêchera un mari de tromper sa femme! Mais à cause du code, peut-être le fera-t-il en mauvaise conscience et c'est là ce qui est important au niveau d'une société. Monsieur X cache son adultère et, pour éviter le blâme de tout le village, il veille à ce que sa femme 'officielle' continue à être bien nourrie et vêtue ainsi que ses enfants. Qui osera condamner cet hypocrite compromis sinon les nantis des pays riches ou les femmes et les enfants sont protégés par un système de rentes alimentaires, un enseignement gratuit, une sécurité sociale efficace.

Face au rouleau compresseur de la culture occidentale et tenant compte des retards de l'organisation de la protection sociale des femmes et des enfants dans les pays non-occidentaux, le pape est convaincu, à tord ou a raison, qu'une sexualité amorale est dangereuse. Il pense donc devoir et pouvoir limiter la casse en maintenant tant bien que mal la sexualité dans le champ de la morale.

Pas question ici d'entrer dans les finasseries qui voudraient que, par exemple, la contraception rigoureusement limitée au cadre intraconjugal favoriserait la cimentation du couple car il est surtout manifeste et urgent de constater que la contraception simplifie les relations «illégitimes». C'est aux consciences individuelles d'établir les finasseries au cas par cas. Cette lecture 'jésuitique' du code était d'ailleurs encore possible après la publication de 'Gaudium et Spes' (VaticanII). C'est l'encyclique 'Humanae vitae' qui a définitivement fait tomber le couperet et obligé tout Catholique consciencieux de faire travailler sa conscience pour décider si oui ou non il peut utiliser une méthode contraceptive en intra-conjugal.

Tous les efforts du pape consisteront à contrer le courant de démoralisation qui est en cours. Il se sent obligé en conscience de proclamer avant tout et à tout bout de champ l'union sacrée (et contre-nature) entre la fécondité, la conjugalité, et le plaisir sexuel. Il doit donc dire et répéter ce qui ne plaît à personne: condamner en bloc tout ce qui pourrait directement ou indirectement mettre en péril cette union sacrée. Pas de place donc pour la contraception (y compris le préservatif!), la sodomie, l'onanisme, l'échangisme, l'adultère... Pas de place, sinon celle que chaque individu se créera par sa propre conscience morale bien-sûr! Le pape n'ira jamais jusqu'à vouloir se substituer à la conscience morale individuelle (et sur ce point, pas une seule bavure dans les édits pontificaux!).

Le pape croit ainsi pouvoir renforcer la famille, seule alternative valable à une sécurité sociale digne de ce nom! Son combat est tellement pathétique qu'il en devient presque beau!

 

*** 

 

Y a-t-il vraiment danger pour la famille lorsque la fidélité sexuelle est en péril? Rien n'est moins sûr à mes yeux mais j'ajoute ici que cela dépend de la société dans laquelle on se trouve et du niveau de maturité morale/intellectuelle/sociale des partenaires. Personne ne niera, pas même les psychologues français, que le plaisir sexuel est une colle puissante pour unir les époux mais qu'il pourrait aussi être juste l'inverse dès qu'il devient trop facilement accessible hors de la conjugalité!

Les papes avec leurs armées de confesseurs sont certainement mieux informés que la plupart d'entre nous à propos du danger réel que représente le désir sexuel débridé pour la stabilité familiale aux Philippines ou en Inde (...). En tout cas, depuis la publication de 'Humanae vitae' leurs engagements furent clairs et unanimes et ils combattent ardemment (plus ou moins adroitement) toutes formes de sexualité amorale! Cet engagement cessera-t-il lorsqu'on pourra considérer les femmes et les enfants mieux protégés des instabilités familiales dans la plus grande part de la sphère catholique? Probablement. La pression de la nature est tellement forte qu'elle en prend des accents prophétiques! En dehors des arguments sociologiques, il n'y a en effet pas grand-chose pour soutenir la prise de position pontificale en matière sexuelle. Difficile de trouver des arguments vraiment solides du côté de la théologie et des Évangiles pour maintenir la sexualité dans le champ de la morale.

Personnellement, j'ai tendance à croire qu'il est souhaitable pour l'humanité de rompre le lien entre la conjugalité et la sexualité. Au XXIe siècle, dans le nouvel ordre mondial, ce serait justement un moyen de mieux protéger l'union des couples contre les variations de l'intensité et des caractéristiques du désir chez l'un ou l'autre des deux conjoints. Dans les plus beaux couples que je connaisse, les partenaires sont en mesure d'accepter des activités sexuelles extra-conjugales pour assurer une stabilité conjugale d'une nature nettement plus élevée. C'est devenu possible entre autres par le contrôle de la fécondité et par le relèvement du niveau de l'éducation.

Maintenant je suis le premier à reconnaître aussi que ce qui est devenu possible chez nous ne l'est pas devenu sans faire de la casse. Ce ne fut pas trop grave dans notre société qui a su se construire des parapets relativement bons (sécurité sociale, école gratuite, rentes alimentaires...).

Ma conviction, c'est qu'il faut malgré tout aller de l'avant; in fine c'est bel et bien encourager une forme plus élevée de la conjugalité. Il faut avoir le courage de dire que la sexualité n'est que la sexualité, nonobstant Freud et sa clique, nonobstant les énormes plaisirs vitaminés que nous en tirons tous, nonobstant les puissantes motivations altruistes qu'elle peut indirectement stimuler. À bien y regarder, même s'il n'y a pas incompatibilité franche, Eros fragilise plus qu'il ne renforce Philia (la cohabitation entre Eros et Agapê est plus facile!). Or Philia, c'est tout de même l'idéal conjugal par excellence!

Je suis personnellement exaspéré bien moins par le rappel intempestif du code par le pape que par cette mielleuse apologie de la sexualité qu'ils aiment parfois ajouter en bas de page depuis une cinquantaine d'années, comme pour se faire pardonner leurs intransigeances en matière de code. À lire et entendre ces addenda inutiles et vaguement faux, on pourrait presque croire qu'en fin de compte, la sexualité est a ce point essentielle pour vivre bien son couple que simplement vieillir est une catastrophe! Même dans 'Humanae Vitae' ce type de discours dissonant est présent. C'est bien là que les papes manquent de virilité!

 

***

 

En tant que Chrétien, ai-je vraiment le droit de critiquer les prises de positions du pape au nom du refus de ma petite personne de faire un petit travail de conscience pour me débarrasser des petites culpabilités que ce pape pourrait faire naître en moi si je n'y suis pas attentif?

Quel égocentrisme! Quelle prétention! Serais-je donc aveugle aux inconvénients que peut entraîner une sexualité amorale chez ceux qui par leur naissance et leur fortune ont eu moins de chance que moi dans un village philippin, une favela brésilienne ou une hutte africaine? (Ce sont pourtant bien eux qui forment l'essentiel du contingent catholique!)

Est-ce vraiment à moi, dans mon sofa parisien, d'estimer que le Philippin, le Brésilien ou l'Africain ne souffrira pas directement ou indirectement d'une dissociation morale complète de la sexualité et de la fécondité?

Est-ce au nom de la haine de l'hypocrisie et au nom du sacro-saint culte de la transparence que je dois, toujours de mon sofa, nier l'importance sociale de ce problème de conscience créé par le pape dès que le sexuel se libère des contraintes conjugales?

Des femmes et des enfants ne seront-ils pas les premières victimes de la démoralisation de la sexualité? Elles et ils le sont déjà!

 

***

 

Le problème c'est qu'on ne fait pas de fumée sans feu en la matière! Le pape ne peut pas s'adresser différemment au Catholique vautré dans son sofa de Versailles et au Catholique assis sur un bidon à Queson-city dans la banlieue de Manille. Le système médiatique ne le permet plus. C'est donc à chacun de nous d'entendre et d'analyser les encycliques et autres homélies pontificales pour décider ensuite, en conscience, ce qu'il en fera, en fonction de son propre niveau de richesse, de son propre niveau de sécurité, de son propre niveau intellectuel, de son propre environnement social, de son propre niveau d'éducation...

Qu'un journaliste français étale ses convictions dans un quotidien français, passe encore. Mais qu'il dénonce de son sofa une hypothétique influence ravageuse du discours pontifical sur les masses africaines... Non! ...Pour qui se prend-t-il?

Le SIDA?

Allons! allons! Ne nous couvrons pas de ridicule; tous ceux qui travaillent vraiment sur le terrain du SIDA savent aussi que ceux qui n'ont quasi jamais le SIDA en Afrique, ce sont les 'Adventistes du Septième Jours', les 'Témoins de Jéhovah', les Musulmans et autres adeptes de religions où l'on est autrement stricts en matière de moeurs! Il ne s'agit pas de parler de capotes chez ces gens-là pour qui les laxistes sont justement, par excellence, les Catholiques et les Anglicans (les Athées n'existent pas par-là, ou si peu!). Les Catholiques, selon eux, tergiversent beaucoup trop autour des lois au nom d'une soi-disant conscience morale individuelle!

Voilà que la question de fond se déplace.

Il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs; la morale sexuelle passe avant la morale du SIDA. Pour tout un chacun, il est bien plus lourd moralement de tromper sa femme que de mettre une capote lorsqu'on la trompe. C'est très bien ainsi et il faut que cela reste ainsi. Qui franchit la Manche à la nage ne craint pas de traverser la Seine: s'il a le culot de tromper sa femme, rassurez-vous, il aura aussi le culot de mettre une capote. Il ne faut pas prendre tout le monde pour des imbéciles. Et s'il ne la met pas, ce ne sera pas à cause du pape, mais à cause d'autre raisons moins avouables et avouées comme la crainte de l'impuissance, l'alcool, l'ignorance, l'imbécillité, (...) bref tout sauf de la morale!

L'inaccessibilité de la capote mérite tout de même une note particulière: en cas d'inaccessibilité, le très catholique gouvernement des Philippines, le trop catholique pharmacien ou gérant d'une surface commerciale, le pseudo-catholique directeur d'école (qui refuse le distributeur) seraient tous clairement coupables aux yeux du pape et aux yeux de Dieu puisqu'ils favoriseraient ainsi le meurtre par virus chez les non-Catholiques ou chez les Catholiques dissidents!

Il faudra bien un jour que les Français admettent qu'en certains lieux et pour quelques temps encore, hélas, la morale est toujours une prévention plus efficace que la technologie contre le SIDA. Je me souviens que trop, alors que je travaillait dans une salle africaine, d'un Adventiste du Septième Jour qui ricanaient d'un Catholiques agonisant:

«...Chez nous, pas de SIDA!», criait-il.

 

***

 

J'ai envie de terminer cette réflexion par un petit jeu qui devrait permettre à mon lecteur de se mesurer à sa propre maîtrise de la sociologie du SIDA. Au moins l'exercice aura-t-il le mérite de faire sentir au non-professionnel la complexité du sujet...

Supposons que le poster ci-dessous soit affiché en grand sur la façade d'une église au centre d'une ville. Sur quel groupe de personnes ce poster aura-t-il un effet préventif? Dans quel groupe ne sera-t-il pas même compris?

 

(Attention, la question en épidémiologie n'est pas tant de savoir si le poster dit vrai que de savoir s'il risque de faire évoluer ceux qui ont encore des attitudes à risques.)

 

 

Chiangmai, août 2009

Version 1.02 - Septembre 2010

Version 1.03 - Janvier 2011

 

 

NB

J'invite mon lecteur à entrer dans une analyse plus pointue de la morale en général et de la morale chrétienne en particulier en cliquant ici. (l'article est long et parfois compliqué).