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Version 1.02 - Juin 2017

 

Ce texte fait partie d'une série d'articles consacrés à la description de la méditation pratiquée dans le Bouddhisme Théravada. Le premier article (présentation générale du Vipassana) est conseillé avant d'aborder cette étude.

 

Le Vipassana et la 'sympathie limbique' ('Védana')

Cette étude est un commentaire de la deuxième partie du Maha-Satipatthana-Sutta: la contemplation du «védana» que je traduis ici par l'expression «sympathie limbique» pour des raisons très précises:
Quel que soit le sens rigoureux attribué par les philologues au mot 'vedana' (pali/sanscrit), il n'y a pour une fois pas beaucoup d'ambiguïtés sur ce que Bouddha voulait faire entendre par l'usage de ce mot (et qui n'est PAS ce que nous entendons aujourd'hui par les mots 'sensations', 'feeling'... n'en déplaise à certains traducteurs!). La leçon de Bouddha nous l'explique d'une manière très précise et parfaitement cohérente (il ne faudrait surtout pas faire passer ici la philologie avant l'herméneutique).

Les neurosciences, par ailleurs, nous ont permis depuis quelques décennies de redécouper notre propre ordre symbolique et linguistique en suivant des lignes qui donnent à cette leçon une pertinence neuve. C'est pour ces raisons que j'utilise plus volontiers l'expression de «sympathie limbique» plutôt que le simple mot «sympathie». Il n'est pas tant question dans ce passage du Maha-Satipatthana-Sutta de perceptions sensorielles ou de pensées que de la production d'une affinité ou d'une répulsion vis-à-vis de ce qui occupe la conscience. 'J'aime' ou 'je n'aime pas', 'c'est agréable' ou 'c'est désagréable', 'cela me plaît' ou 'cela ne me plaît pas'... Voilà des sentences prononcées par une des parties les plus intimes à nous-même, à tout propos, à bons ou à mauvais escient, toujours au présent, et que des neurologues du siècle passé ont assimilées à tort ou à raison à une activité du "système limbique".

Le «système limbique» est une partie du cerveau qui est richement connectée aux autres organes du système nerveux (en ce inclus le système présynaptique qui module l'intensité d'une douleur, le «nerf vague» susceptibles de provoquer les palpitations d'un amoureux qui rencontre sa belle, etc...).
Certes, il ne faudrait pas associer trop précisément des lieux anatomiques et une fonction aussi sophistiquée alors que l'étude du cerveau est en plein essor. Les neurosciences nous en diront bien plus encore dans un proche avenir sur cette opération fondamentale de notre vie mentale...

Qu'il nous reste simplement en tête que:

  1. Ce que j'appelle ici la "sympathie limbique" est une production de notre cerveau comme les autres (douleur, langage, révolte, peur, etc.).
  2. La sympathie limbique n'est pas le désir! (Voir l'étude déjà consacrée à ce sujet et la note à la fin de cet article-ci.). Par contre le désir est très fortement influencé par les productions de sympathies limbiques.
  3. Bouddha affirme que par la méditation nous avons quelques pouvoirs sinon de moduler la production de sympathies limbiques, au moins d'en moduler l'impact sur notre vie. Cet effort tout à fait particulier a évidemment une place centrale dans une religion où par ailleurs l'abolition du désir est quasi synonyme de liberté.

    Pour un Bouddhiste, la question de la liberté n'est pas vraiment celle de l'autonomie, ni celle de l'indéterminisme... Elle est plutôt dans un rapport interne de l'esprit avec les productions corporelles et mentales (qu'elles soient totalement endogènes ou suscitée par des provocations exogènes). Freud reprendrait bien à son compte ce lien ainsi établi entre le désir et la liberté, mais il faudrait alors que notre psychologue Viennois (et ses adorateurs) assume mieux ce que tous les spirituels du monde affirment depuis la nuit des temps: le 'moi' ('l'esprit', 'l'âme'...) n'est pas fait de désirs mais habillé de désirs. Le sujet mériterait évidemment de longs développements et nous oblige surtout, une fois encore, à bien discerner la différence entre le désir, la sympathie et la volonté.


En pratique, le méditant qui se concentre sur un objet met en marche des fonctions mentales. À charge du méditant de remarquer d'abord combien son fonctionnement mental se laisse imprégner et réorienter par cette sympathie (positive ou négative) qui se colle sur tous les objets que son cerveau lui donne à penser. Ensuite, à charge du méditant de désarmer cette sympathie si besoin en est pour retourner plus facilement à l'objet de la concentration initiale.
Il ne s'agit pas tant de détruire cette sympathie que de l'observer pour en connaître mieux les conditions d'apparition et de disparition. Le but est évidemment d'arriver ainsi à neutraliser son pouvoir sournois de subjuguer notre volonté par des désirs.

 

paul yves wery - Chiangmai -Octobre 2009

Version 1.02 - Juin 2017
 
Note: Le désir et la volonté dans le bouddhisme et dans le christianisme:
Une distinction peut maintenant facilement se faire entre la volonté et le désir. La volonté est libre des décrets de la sympathie limbique (védana) sans être nécessairement en contradiction avec elle. Le désir, lui, est une prise en charge temporelle de la sympathie limbique (védana): désirer, c'est projeter dans le futur en fonction de sympathies actuelles. Le désir est donc un projet de fabrication de plaisirs (futur) alors que la sympathie est un fait présent qui contribue déjà à produire du plaisir (par la production d'endorphines par exemple).
Dans le travail spirituel d'inspiration chrétienne, il est souvent demandé de prendre recul par rapport à telle ou telle sympathie limbique. Nous ne sommes pas capables de contrôler directement la qualité d'une sympathie limbique que notre cerveau accole à un objet ou un acte. Mais nous possédons malgré tout la possibilité d'influencer la direction que prendront nos futures productions de sympathies. À force de volonté, je peux (parfois) arriver à «ne plus désirer aimer» ce que j'aime aujourd'hui. Il s'agit alors de transformer le désir qui suit naturellement la production d'une sympathie limbique (désir de prolonger un plaisir ou de supprimer une douleur) par un désir qui obéit moins à mon «vedana» et plus à ma raison, à ma morale, aux exigences de ma santé, à mes compétences... C'est un travail de volonté. À force de le vouloir (souvent, hélas, au prix d'efforts), les orientations dominantes de ma production de sympathies risquent de se modifier progressivement. L'enfant n'aime pas jouer du piano. Mais à force d'exercices, il finira (peut-être) par aimer jouer.

Notons d'emblée qu'il y a quelque chose d'imprédictible dans cette évolution; la volonté seule semble ne pas suffire. Pour un chrétien, on est ici au cœur du cœur de la spiritualité: un amour de basse qualité devrait toujours, tant que faire se peut, essayer de devenir un amour sublime (cf. le terrible épisode final de Jn 21 où le Christ demande Agapè plutôt que Philia à Pierre qui reconnaît n'être pas à la hauteur de la requête). Oui, le christianisme est fou d'amour, il le sait et il ne veut pas guérir de son addiction. Mais la spiritualité chrétienne sait aussi qu'elle ne peut pas faire grand-chose d'un amour qui ne serait qu'un effort contraire à l'élan spontané. Ce que veut le chrétien c'est travailler son désir de telle sorte que la sympathie limbique («J'aime» ...au présent!) ne soit pas abolie ou maîtrisée mais changée. En matière d'amour, pour un chrétien, l'évolution souhaitée c'est que la sympathie spontanée pour un être s'élargisse à tous les êtres (élargir la focale); que l'amour passe du statut d'Éros/Philia à celui d'Agapè comme disent les philosophes d'aujourd'hui en réponse à Jn 21... Le projet c'est d'aimer plus et mieux - entendez: aimer 'en choisissant moins' et aimer 'plus passionnément' mais d'un amour qui ne demande plus l'intervention de la volonté! D'un amour tout imbibé des sécrétions d'un vedana pour le coup bien remanié! Pour le spirituel chrétien, l'amour sans cette sympathie spontanée risquerait de nous reconduire à cette 'bavure' qui fit tant de tort au christianisme pendant des siècles (et dont Nietzsche su bien ricaner): la confusion entre la charité et le devoir! Le chrétien d'aujourd'hui tient absolument à un 'petit quelque chose' qui fait la différence. Mais il admet aussitôt qu'il n'est souvent pas en mesure de l'obtenir par lui-même, ex nihilo, ce 'petit quelque chose'. Pour bien évoluer dans sa production de sympathies limbiques, le chrétien a besoin de la grâce.

Pas de plein amour sans grâce dans le christianisme alors que le bouddhisme peut très bien se passer de grâce et de Dieu. Pour le sage Bouddhiste en effet, le plus bel amour est une forme de compassion indépendante de la sympathie. Le plus bel amour est la volonté bien orientée par l'abolition du désir plutôt que par sa réorientation!

Pour l'observateur attentif aux finasseries culturelles, il faut voir ce que devient la charité dans la culture thaïlandaise par exemple pour comprendre que cette différence spirituelle a un impact éthique. En Thaïlande, une part importante du mérite se joue dans le don, mais il n'est pas demandé que le cœur y soit investi... L'idéal spirituel serait plutôt cette donation rituelle faite, tous les jours de préférence, aux bonzes. L'indifférence, l'équanimité absolue est souhaitable et du côté du donateur et du côté du moine. Ce moine qui reçoit ne doit pas regarder le donateur ni le remercier... dans son attirail de moine, il possède d'ailleurs une espèce d'éventail supposé lui servir à cacher son visage lors de ces rituels de donations...

Si le chrétien essaye d'aimer son ennemi, le bouddhiste, lui, essaye d'être indifférent à l'inimitié et à l'amitié.
L'univers chrétien a radicalement dénaturé le sens que l'univers bouddhiste a accordé à la compassion par exemple. Dans le bouddhisme, l'empathie, qui est par excellence en aval du védana, ne peut pas être le moteur principal de la compassion qui, du coup, se manifeste pratiquement d'une manière très différente...
Entre les deux religions, il n'y a pas vraiment d'incompatibilité car, in fine, des deux côtés, l'idéal serait de pouvoir aider indifféremment le vieux, l'enfant, le laid, le beau, le méchant, le gentil, l'intelligent et l'imbécile, le handicapé et l'athlète, l'homme et la femme, le proche et l'étranger. Mais d'un côté la sympathie qui suscite désirs et plaisirs est souhaitable alors que de l'autre on s'en méfie et cherche plutôt à y être indifférent.
Pour le chrétien, lorsque l'appétence s'en va, 'l'amour' risque trop de s'affadir en 'devoir'. Pour le bouddhisme, lorsque l'appétence s'en va, il reste un autre carburant pour faire tourner le moteur de l'action... la volonté froide d'en finir avec les illusions qui seraient à l'origine de toute douleur. L'amour visé par la deux religions, est l'idéal régulateur du chrétien tandis qu'il n'est clairement qu'une étape dans l'évolution spirituelle du Bouddhiste! Dans le bouddhisme, le détachement est l'idéal régulateur...

Pour une étude plus pointue des relations entre sympathie limbique, désir et volonté dans le christianisme et le bouddhisme (étude comparée) cliquez ici.


 
paul yves wery - Chiangmai -Octobre 2009

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