PRESENCE vs EXISTENCE vs REPRESENTATION.
Première partie – De l'atome à l'athom (Sur les liens entre la géométrie, la mécanique et la vie)
Le trou Je ne suis qu'un potache, je le sais. Je
devrais aller étudier tel ou tel sabir chinois et entrer par le
porche d'entrée dans la cour des grands plutôt que de me coincer
le cou dans les trous du mur pour voir mal ce qui m'intéresse
beaucoup. Mais je ne suis tellement ...paresseux.
De l'autre trou, celui du mur, juste au-dessus de leurs têtes, je n'ai pas pu m'empêcher de délier ma langue de crapaud:
Le donneur de leçons a rougi. L'autre a ri en
expliquant qu'il comprenait enfin pourquoi Lacan s'intéressait
tant à la topologie... (Ça, je n'ai pas vraiment vu le rapport
–on est potache ou on ne l'est pas –mais peu importe.) Les physiciens aussi sont forts dans le genre; j'entendais l'autre jour celui qu'on a surnommé "Monsieur Relativité", un fan d'Einstein, affirmer noir sur blanc que le temps n'existe pas puisque, etc. Maintenant, tout potache que je suis, j'ai pour moi le bon sens de tous les cancres, de tous les fermiers et de toutes les bonniches de la planète. J'ai donc été troublé comme (presque) tout le monde par ce rapprochement établi entre le donut et le corps des hommes, tant il est vrai que changer des quantités, ce n'est pas vraiment changer des qualités. Toute personne de bonne volonté répugnerait à dire qu'un homme n'est plus un homme simplement parce qu'il est trop gros ou trop petit, ...ce qui est une autre manière de dire qu'il est donut ou ne l'est pas, qu'il ne l'est probablement pas, mais qu'il n'est certainement pas les deux en même temps. Enfin... Heu... Vous voyez ce que je veux dire ? Je ruminais cette manière étrange de comprendre mon corps et, sans l'aide de la sinologie, j'en suis arrivé à soupçonner que tous ces trous qui prétendent séparer "qualitativement" (et non pas "quantitativement") les objets plongés dans l'étendue, sont surtout liés à la précision des descriptions; l'homme confondu avec le donut, c'est acceptable uniquement lorsqu'on voit mal (ou lorsqu'on ne veut pas voir!) que cet homme, il pisse aussi. On peut tourner la caméra dans tous les sens, s'il y a de l'eau qui sort, il y a certainement aussi une ou des entrées cachées quelque part – probablement dans le tube digestif? Bref, l'existence des urinoirs laisse donc penser qu'il n'y avait pas assez de détails dans le cliché qui a servi le raisonnement de mon matheux-donut. Je vais lui offrir un microscope; je veux qu'il comprenne qu'un homme, un vrai, nous cache manifestement d'autres trous que son cul. Un trou (et, plus largement, un angle, une ligne...) cela se pense dans la sphère des surfaces ou volumes "continus" (indéfiniment divisibles sans perte de continuité) et, a priori, cela n'a rien à voir avec, par exemple, les pixels des photos qui tentent de nous représenter ce qui est troué (ou anguleux ou concave...). Une résolution de pixels, contrairement au trou, c'est une mesure (quantitative) de la qualité de la caméra, pas de ce que la caméra observe... enfin... de ce qu'elle croit observer, de ce qu'elle considère comme son extérieur... Dans ce genre d'approche ultra-simplifiée du
réel, ce ne sont pas les pixels mais les trous (et assimilables)
qui permettent de distinguer ou confondre qualitativement
ballons, donuts, et corps humains. Mais le nombre (quantitatif)
de trous contribue à distinguer ballon, donut et corps humain...
Et c'est le nombre de pixels qui permet de repérer et de compter
les trous, ...ou d'en ignorer l'existence. Entre le trou et le
pixel, entre le "qualitatif" et le "quantitatif", c'est
toujours: "Je te tiens, tu me tiens par la barbichette..."
Prudence donc; ici le bon sens côtoie les abysses!
Ce curseur qui fait varier la connaissance du nombre de trous, c'est le ver dans le fruit: une source intarissable de contingences dans les bla-bla de la cour des grands... Pour le dire vite, entre Aristote et Copernic, les gens qui faisaient profession de penser aimaient surtout pousser le curseur à bâbord. On étoffait ainsi plus et plus la liste des choses irréductibles les unes aux autres au point de se perdre dans un brouillard de subtilités "substantielles" sans prendre assez en compte certaines filiations qui sont plus évidentes lorsqu'on minimise ces qualités distinctives. À la fin du Moyen Âge, en Europe, la mode change. Ce qui est très "tendance", c'est de pousser le curseur plutôt dans l'autre sens. De moins en moins de trous donc. De plus en plus de choses identiques. Poussant le curseur jusqu'au risque de s'y dissoudre eux-mêmes, les plus grands de la cour des grands ont tenté de voir à quoi pouvait bien ressembler un monde où les qualités se réduiraient à des qualités élémentaires, irréductibles, primales... Des "points matériels" (de la taille des pixels de la caméra ou moins que cela) qui se déplacent dans de l'étendue... Cette nouvelle génération va donc aborder le monde à partir de critères plus universellement partagés: ils vont, autant que faire se peut, ne pas prendre en considération ces trous et ces angles et autres qualificateurs qui obsédaient les penseurs aristotéliciens, parce que ce qui restera sera commun à tout. Ils ne renoncent pas aux "détails" mais ils renoncent à partir de ces "détails" pour décrire le monde. Ces "détails" (trous, lignes, angles, etc.),
ils espéraient bien pouvoir les "reconstruire" dans un second
temps, en faisant varier la densité de ces "points matériels"
(identiques ou peu s'en faut) en telle ou telle zone de
l'étendue. Une bonne connaissance de l'étendue (géométrie) et du
Code de la route (mécanique) qui organisent les mouvements de
ces "points matériels" devrait alors suffire pour comprendre
...tout! Il n'y a plus qu'un réquisit supplémentaire
pour être admis dans la secte des réductionnistes
"physicalistes": ne plus espérer mais être certain que l'on
pourrait tout reconstruire avec du légo et de l'étendue! "Avec
du légo on peut faire des fenêtres et des ponts; c'est comme des
trous, non?" aiment-ils dire pour nous aguicher. Plus tard, lorsque les géomètres recentreront leurs réflexions non plus tant sur les relations qu'entretiennent les points avec les référentiels que sur ces relations que peuvent ou ne peuvent pas entretenir les distances entre les points, les savants n'auront même plus besoin de "l'immatérialité" pour penser des trous dans la matière; c'est le prodige de la métrique qui nous oblige enfin d'admettre qu'on peut penser le trou sans le remplir de points immatériels. Plus possible alors de confondre les distances et l'espace qui les contient, les durées et le temps qui les contient... Plus besoin de se poser des questions stupides du genre: "Ouiiii, d'accord... Mais alors, avant le big-bang il y avait quoi?". Cette inversion de l'usage du curseur dans la pratique
intellectuelle initiée probablement par Leucippe et son disciple
Démocrite mais remise à l'honneur par la bande à Copernic
(Brahe, Galilée, Newton et autres Einstein), c'est ce que
certains érudits appellent la "coupure épistémologique" ou la
"révolution épistémique"... Dans ce monde légo, l'étoile et la verrue, ne sont fondamentalement rien que des briques légo disposées et combinées en nombres variables en des endroits différents. Donc l'étoile et la verrue, c'est la même chose à quelques quantités près (on en revient à la distinction entre l'homme et le donut). Or, en pratique, l'étoile, à l'époque de Copernic, c'était une lumière dans la nuit, point à la ligne. À propos d'elle, on ne s'encombrait pas trop de questions qualitatives (trous, angles...). On pouvait donc s'attendre à ce que ce soit la verrue plus que l'étoile qui laisse des questions ouvertes à de tels aventuriers de la pensée. Et c'est effectivement ce qui s'est passé; le triomphe de la mécanique explique bien les mouvements astronomiques, mais les grains, les pores et les boursouflures de la verrue, c'est une autre affaire! (Depuis lors, avec l'arrivée de bons zooms les étoiles aussi ont commencé à nous laisser voir leurs boursouflures, mais il reste que les verrues sont encore aujourd'hui bien plus énigmatiques que les étoiles... ).
Kant jette l'éponge ?...
Donc avec Copernic et sa bande, on est passé d'un monde "zoo"
(ou les Aristote et autres Thomas d'Aquin rangent leurs cages),
à un monde "légo" où il n'y a plus qu'une infinité de briques
toutes identiques ou peu s'en faut qui composent les cages et
leurs habitants.
Et pourtant... Malgré les avancées spectaculaires des sciences post-coperniciennes, la secte physicaliste a très vite été désertée par ses plus prestigieux penseurs (peut-on même considérer qu'ils en furent un seul jour des membres?). Si les Kant, Newton et autres Bergson ont quitté la secte c'est peut-être parce que l'ontologie physicaliste a vraiment quelque chose de ...misérabiliste; quelques "points matériels" en mouvement dans de l'étendue, ce n'est pas grand-chose. Croire qu'il n'y a que cela, c'est se rendre presque aussi ridicule que "Monsieur Relativité" qui disait que le temps n'existe pas (mais qui a pris pas mal de rides depuis lors). À y regarder mieux, ce n'est pas le ridicule de ce credo
misérabiliste qui suscitait leurs réserves (ces gens-là s'en
foutent du ridicule). Ils ont vu qu'en fait, et aussi (surtout)
en droit, la mécanique copernicogaliléonewtoniène, a des
limites. 1- C'est quoi ce "point matériel" que j'ai assimilé à une brique de légo? C'est quoi sinon un monstre à deux têtes? On ne mélange pas impunément des pièces de légo et des billes! Le "point", c'est un truc de matheux. Le point c'est ce truc qui reste lorsqu'on a divisé un nombre infini de fois un segment de droite... ou un croisement de deux lignes... le fruit d'une géométrie désincarnée. Pour faire de la mécanique il faut de l'incarnation. Du "point" on passe subrepticement au "point matériel", ce qui sous-entend quand même un mariage problématique entre les mathématiques et la physique (le légo et les billes)...
Légitimons néanmoins ce mariage entre le légo et la bille car une telle objection est trop spéculative au regard des progrès immenses, de la fécondité indéniable de la recherche scientifique. Admettons donc simplement que ce "point matériel" de la mécanique s'identifie provisoirement à la molécule, à l'atome, à la particule élémentaire (…) et que cela se raffinera encore avec l'amélioration de la résolution des caméras à venir. 2- Autre problème? Les plus rabbiniques des physicalistes ont fini par admettre quelques propriétés qualitatives des briques de légo. Ils ont admis qu'il y a différents types de particules élémentaires et qu'elles s'attirent ou se repoussent réciproquement selon leurs positions respectives et selon leurs natures. Ils reconstruisent ainsi l'ordre observable dans la nature par des additions de forces élémentaires; cela ne gêne pas trop leur saint dogme dans la mesure où fondamentalement il n'y a toujours que quelques briques différentes à étudier pour pouvoir retrouver ce qui se passera lorsque ces briques sont groupées. Mais maintenant, en plus, l'expérience du réel invite le réductionniste (physicaliste ou non) à acter d'une force absente dans ces "points matériels" et qui n’apparaîtrait que dans certains groupes de "points matériels" préalablement agrégés de telle ou telle manière particulière. Des nouvelles directives semblent "créées" par ces communautés de coalisés (impossible de les expliquer par les seules qualités physiques des particules observables lorsqu'elles ne sont pas coalisées).
Dans la cour des grands on commence à s'énerver. Certains parlent de lois des grands nombres, de cybernétique, de... Des vitalistes élèvent la voix... Des finalistes... Des théosophes... Des gourous... Ça tourne mal! * Face à l'évidence de cette deuxième difficulté soulevée par la mécanique, Kant a conclu sa carrière en rédigeant la "Troisième Critique". Une manière de jeter l'éponge? Pas vraiment; depuis toujours il se disait chrétien et son christianisme n'a pas à être mis en question; ce n'était pas un christianisme de complaisance. Il fut donc probablement très heureux de pouvoir argumenter d'une manière aussi intéressante pourquoi il prenait ses distances par rapport à la secte des illuminés physicalistes qu'il avait, bien malgré lui, contribué à allumer. Kant avait déjà établi les conditions de l'objectivité scientifique par sa "Première Critique". L'objectivité se construit en commençant par épurer les phénomènes de tout ce qui ne se localise pas dans l'espace. Les points matériels qui en résultent sont traités par son alambic transcendantal et puis, hop, on découvre l'objectivité et on passe au raisonnement scientifique. Mais Kant se rendait bien compte qu'il ne pourrait jamais par la mécanique (le code de conduite des briques du légo) retrouver une explication de la stabilité de certains agrégats et en particulier ceux qui vivent. Kant se rendait bien compte que la mécanique telle qu'il la pensait n'arriverait pas à reconstruire la forme des flammes, des fleurs ou des chats. Pour surmonter cette impuissance du raisonnement scientifique, Kant a opposé au "jugement déterminant" (celui de l'objectivité des scientifiques) le "jugement réfléchissant".
Lorsque l'objectivité manque, il reste pour guider notre raison ce qu'il appelle des "fins naturelles" et autres "idéaux régulateurs" qui se laissent voir (subjectivement!) derrière la diversité des choses. Kant exploitait ainsi jusqu'à la corde peut-être, mais avec quel génie, les ressources de la raison devant l’incompétence manifeste de la mécanique dès qu'on passe de l'infiniment grand (astronomie) au monde des choses aux millions de trous bien rangés que sont par excellence les êtres vivants (ou même la pensée morale?).
En bon potache, je vais alors lancer le pavé dans la mare:
Kant eut-il écrit sa "Troisième Critique" s'il avait pu
connaître les travaux des Henri Poincaré, Illya Prigogyne et
autres René Thom? Et quid de Bergson? Eut-il rédigé "l'Évolution
créatrice"? Et mon cher Teilhard, qui est tout de suite
rentré chez les Jésuite, eut-il défroqué?
...Et Super-Thom est arrivé!
Pour intuiter les relations entre la géométrie et le réel, rien
de tel que la balistique. Je vais remettre en usage un de ces
spectaculaires ancêtres du canon, cette catapulte géante que les
soldats du Moyen Âge poussaient péniblement en direction des
murailles à détruire et que nous avons tous pu voir en action
dans l'une ou l'autre superproduction hollywoodienne. On appelle
une telle arme un "trébuchet". En réalité, le principe du
trébuchet relève moins de la catapulte que de la fronde; c'est
un contrepoids qui pousse le bras d'un levier qui, à l'autre
bout, projette un boulet, ou un boutefeux ou un cadavre vers la
muraille de l'ennemi. Avec le trébuchet, le lien entre la géométrie et la physique a d'abord l'air limpide: plus le projectile est léger, plus il va loin, plus le contrepoids est lourd, plus le projectile va loin, plus l'engin est proche de la muraille plus l'impact est violent. Tout cela peut se dessiner facilement sur un papier avec de belles courbes pures qui se laissent comparer les unes aux autres. J'ai étudié comme tout le monde ces belles courbes au collège et je me suis alors laissé croire qu'il serait très simple de combiner toutes ces courbes pour prévoir, par exemple, les effets cumulés d'une augmentation du contrepoids, de l'angle d'inclinaison du sol et de la vitesse de déplacement de l'engin en train de canonner. Que nenni! J'entre tout de suite dans l'enfer du calcul! Et pour couronner la difficulté, la résultante de la combinaison de plusieurs courbes exponentielles "pures" peut produire des lignes anguleuses, ondulantes, brisées... (l'enfer des "dynamiques non linéaires") ; il y a des points critiques à partir desquels le boulet, plutôt que de partir vers les murailles me retombe sur la tête... Il y a pire encore: si, par exemple, les soldats poussent
énergiquement le trébuchet sur ses roues rouillées qui se
dégrippent progressivement par les effets des diverses pressions
(pression des soldats, recul de réaction à chaque tir, caillasse
au sol...) le contrôle des tirs du trébuchet risque bien de nous
échapper... Et voilà qu'il se met à pleuvoir ; l'élasticité
des différents matériaux impliqués (cordes, bois, terre du
sol...) est influencée par l'humidification de ces matériaux.
Cette humidification elle-même est favorisée (ou défavorisée)
par les étirements et les compressions, ce qui va en retour
remodifier autrement l'élasticité... et on est parti pour des
cycles... * Dans toutes ces spéculations mécaniques où, au départ, tout semble simple, plus je prends en considération un nombre important de forces agissantes dans l'écosystème –forces microscopiques autant que macroscopiques, exponentielles ou linéaires– plus je visualise ces forces par de belles courbes sur le papier, plus il y a des "points critiques" à repérer (croisements, maxima & minima, points asymptotiquement approchés...). Ces endroits critiques, dès qu'ils sont rejoints, peuvent enclencher des avalanches, des orages et autres explosions –ou au contraire des cristallisations, des processus homéostatiques et autres orbites géostationnaires. C'est à ces mariages difficiles de tendances contraires que René Thom, après Henri Poincaré et quelques autres, s'est intéressé. À ma connaissance, Henri Poincaré fut l'un des premiers à entrer dans la complexité de ces "criticités". Il a montré qu'il suffit de trois corps en interactions les uns avec les autres (trois astres unis par la gravitation par exemple) pour que le calcul des trajectoires respectives de leurs composants soit rendu non pas difficile mais incalculable (même les approches par approximations du style "série de Fourrier" sont devenues impertinentes). Avec ses "trois corps", Poincaré nous a donné à penser le plus petit des "systèmes complexes" (jargon consacré)... Pour le dire d'une manière lapidaire, avec deux corps il n'y en a que deux, mais avec trois, il y en a quatre : une nouvelle entité, celle qui est composée par les trois premières, a, en droit au moins, des comportements imprévisibles, "émergents" et absolument irréductibles, ce qui est une manière de dire que cette quatrième chose existe indépendamment des trois existants qui la composent. (Ici commence le frisson ontologique des philosophes!...) Ces trois corps peuvent être trois astres qui s'attirent réciproquement. Mais il peut aussi y avoir plus que trois corps qui interagissent ainsi les uns sur les autres : les cordages, les boiseries, le boulet, les axes rouillés des roues, l'humidité ambiante... Système solaire et trébuchet, même combat!
Le rôle de René Thom alors ? Dans cette soupe d'incalculabilités assumées, René Thom a d'abord montré qu'un matheux peut modéliser ces "grains" relativement stabilisés par les dynamiques de leurs composants, pourvu qu'on prenne en considération leurs confinements dans des zones géométriques délimitées. Modéliser la stabilité des agrégats dans la fluidité, l'indifférence généralisée, le chaos originaire de leurs composants?!? Voilà qui devient très sexy pour ceux qui étudient les nuages et les précipitations, l'homéostasie et les pathologies, la croissance des arbres, le comportement des populations de rats, les évolutions culturelles, ...enfin tous ces trucs qui sont formés d'innombrables acteurs et qui ne sont pas voués à l'éternité mais durent quand même quelques minutes ou quelques siècles. Ces "grains stabilisés" sont un défi à l'entropie bien évidemment: c'est comme si le sucre dissous dans la tasse de café redevenait par endroits un morceau de sucre... Personne et surtout pas René Thom (qui connaît bien sûr la thermodynamique de Prigogyne) ne dit que globalement l'entropie marche à l'envers, mais il faut bien voir que ce "grain" dont je parle ici est comme une micro-bulle dans une soupe de désordre. Dans le "grain", l'entropie baisse effectivement, mais la frontière du "grain" est une surface d'échanges énergétiques qui sème le désordre dans la soupe qui l'héberge. C'est le confinement de l'organisation interne du grain par la surface de contact entre ce grain et la soupe qui est la clé de l'énigme étudiée. Je ne plane pas ici dans l'abstraction; je parle de réalités
aussi concrètes que la membrane cellulaire qui permet à la
cellule d'être momentanément stabilisée dans un organe,
...organe qui est lui-même momentanément stabilisé dans ce sac
"peau+alvéoles pulmonaires+muqueuse digestive" qui délimite
globalement une grande surface d'échange (entropie contre
énergie) avec le monde pour assurer l'homéostasie de notre
corps (sa vie!!!). Dans cet exemple, j'ai donc un emboîtement de
"grains" en poupées russes qui assure la pérennité strictement
confinée (naissance-mort) dans une zone de l'espace-temps d'une
construction de légo qui est mon corps... On n'est pas sorti de
la mécanique; à chaque étage de l'organisation, une surface
frontalière assure des échanges avec son hôte en lui donnant du
désordre contre de l'énergie. Le dernier étage de la poupée qui
est mon corps assure que globalement les lois de l'entropie ont
été respectées par toutes les entités qu'il rassemble en
dissipant du désordre par l'ensemble
"digestion/respiration/mouvements".
Il est peut-être utile ici de faire valoir que dans ces modélisations, il n'est plus question de rechercher une simple trajectoire d'une brique de légo; le but est plutôt de débusquer ces figures stables (les érudits disent souvent "robustes" plutôt que "stables") dessinées par d'innombrables trajectoires élémentaires. Ce serait donc par une approche "macro" d'une infinité de trajectoires "micro" qu'on aurait quelques chances de pouvoir reconstruire la forme d'une orchidée. René Thom fait encore bien plus que formaliser la stabilité d'agrégats dans les soupes de points inorganisés; il a débusqué les formes typées, récurrentes, catégorisables, dans ces... ces... ces "révolutions culturelle" que peuvent imposer les dynamiques non linéaires aux choses prises dans leurs maelstroms. Ce sont ces fameuses "catastrophes"; il en fait une liste et leur a donné des noms (plis, fronce, queue d'aronte, vague...).
J'ai beau être potache et ignorer tout de la sinologie ou de l'égyptologie, je comprends pourquoi René Thom est "Super-Thom" pour les érudits. Maintenant, moi-même, je vois mieux que la nature est compliquée et que si je veux être plus précis et plus exhaustif pour décrire le trébuchet ou les étoiles, je dois prendre en compte toutes les forces qui se chamaillent dans l'environnement considéré, même le plus infimes puisqu'une "catastrophe" typée peut naître d'un quasi rien et nous étonner même par temps calme. En étudiant ainsi l'apparition ou la disparition des choses, on reste dans des raisonnements géométriques. On ne sort pas d'un cadre mécaniste. Pas nécessaire donc de parler de chance, de malchances ou d'attribuer des qualités mystérieuses au boulet lorsqu'il nous tombe sur la tête; il suffisait de mieux analyser l'écosystème du trébuchet! "Écosystème"; un mot-clé! * Tout cela, c'est du pain bénit pour les physicalistes purs et durs! En jouant avec la fécondité des analyses des points critiques dans les espaces continus, ils espèrent bien arriver à démontrer que les règles du mouvement des briques de légo suffiront pour expliquer des phénomènes immensément importants tels que des rétroactions inhibitrices (exigées par la biologie), ou le petit bruit qui enclenche l'avalanche, ou le nombre d'yeux du chat... bref, toutes ces bizarreries qui font la saveur de nos jours. Avec les "attracteurs", les "bassins" et autres "catastrophes" de René Thom, plus besoin d'aller chercher dans l’Au-delà ce qui se trouve déjà ...dans la géométrie! D'une manière plus générale, la secte réductionniste physicaliste recommence à croire que si l'on aborde la mécanique avec dans la tête la pleine conscience de ces finasseries géométriques, il devient possible de faire du bleu avec des briques rouges. Même les replis de l'ectoderme embryonnaire finiront par s'expliquer par la mécanique, et tant pis pour les "Fins Naturelles" de Kant, "l’Élan Vital" de Bergson, "l'Oméga" de Teilhard, les démons de Godel... Ces savants-là n'avaient qu'à rester dans la secte! * Entre-temps, parce que les mathématiques de M. Thom ne sont arrivées que dans la deuxième moitié du XXe siècle et qu'elles utilisent un sabir compliqué, certains réductionnistes, les réductionnistes "deuxième vague", ont pensé pouvoir esquiver les difficultés irrésolues par la mécanique copernicienne en utilisant à tort et à travers un truc qui marche relativement bien pour faire tourner la machine techno (tout en nous cachant qu'en fait, très souvent, ils ne comprennent rien du tout des dessous de l'affaire). Ce truc, c'est le calcul probabiliste. En somme, ce que ce réductionniste "deuxième vague" me dit, c'est quelque chose de genre:
Quelque part c'est bien vrai; une probabilité, par définition (!?), rend bien compte d'une régularité observable dans les phénomènes. Elle nous permet d'exploiter une régularité en nous épargnant la nécessité de la comprendre. De là à la naissance d'une nouvelle secte, il n'y a qu'un pas.
Pour le statisticien jusqu'au-boutiste, la théorie c'est la
maîtrise des probabilités, point à la ligne.
La pensée probabiliste jusqu’au-boutiste, celle du réductionniste-physicaliste "deuxième vague", est une pensée magique. Elle nie la distinction entre l'énigme et le mystère en laissant le mystère bouffer l'énigme alors que le mystère doit lâcher du lest, doit nous lâcher ce qui ne lui appartient pas. Le réductionnisme probabiliste est donc une religion sans le charme des litanies grégoriennes. Mais shuuuuut! Les savants lambda (surtout les darwiniens jusqu’au-boutistes) ne savent pas encore que Super-Thom est à leur trousse! Ça va saigner! Les luttes fratricides sont les plus cruelles!
De l'atome à l'athom...
M. Thom avec ses dynamiques critiques et catastrophiques (tout comme M. Prigogynes à partir de travaux "thermodynamiques"), a pu formaliser l’apparition naturelle de discontinuités momentanément stables dans les soupes globalement homogènes, symétriques, fades, informes, continues... Pour le fun et la simplification de la rédaction, j'appellerai dorénavant ces agrégats d'atomes matériels géométriquement stabilisés des "athoms". Pour moi, un "athom" est donc un ensemble stable "d'atomes" (les particules du physicien, les individus d'une population, les molécules d'eau d'un nuage, les neurotransmetteurs d'un cerveau(?!?), les carbones d'un diamant, les abeilles d'une ruche...) qui s'organisent en "choses" ayant une certaine durée de vie. Ces athoms respectent scrupuleusement les lois de la physique.
Prises dans toutes ces mailles, les constituants du chat n'ont pas d'autre choix que d'obéir aux ordres émergents de cette globalité; il n'y a aucun miracle à prendre en considération.
Les propriétés "émergentes" des athoms qui affectent
l'écosystème et sont affectées par lui donne aux athoms une
autorité comparable à celle des atomes (dont l'athom n'est
pourtant qu'un agrégat accidentel). Dans cette manière de voir, chaque "tout" (athom) a donc sa propre manière d'agir sur les trajectoires de ses parties (rétroaction d'un pli de l'ectoderme au temps T qui enclenche le repli au temps T+1, par exemple ). Chaque "tout" déforme à chaque instant les attracteurs géométriques qui l'ont conduit à être ce qu'il est déjà... et les parties, comme autrefois, déforment le tout en fonction de l'évolution des attracteurs. Ce point est important; il est difficile à dire et je le dis
mal; il me faut donc encore le dire autrement. Une fois que cela est assumé, on ne s'étonne plus de ce que les lignes d'inerties des composants d'un athom les obligent, pendant une durée limitée, de rester dans l'athom plutôt que partir vers les confins de l'univers).
La galère d'Ulysse Alors, plus besoin de la "Troisième Critique"? Quels sont les soucis? J'en vois au moins deux mais je n'insisterai dans cette première partie de mes investigations que sur le premier, le deuxième c'est pour plus tard parce qu'il est beaucoup trop grave que pour être liquidé en quelques lignes.
* Tel le bateau d'Ulysse (qui, je le rappelle à toutes fins utiles, n'a plus une pièce d'origine lorsqu'il arrive à destination), le chat passe son temps à chasser les souris pour remplacer les planches de sa propre coque. Il y a fort à parier que lorsqu'il mourra, il aura déjà perdu depuis longtemps la plus belle part de son carbone originel... (Certains ont vu dans ce recyclage la marque distinctive du vivant.) A-t-on vraiment démystifié le défit que pose ce recyclage à la raison mécaniste (avec ou sans prise en compte des dynamiques non linéaires)? Ouiiiii, bien sûr!... Mais pour moi toutes les explications sont encore confuses. Tel carbone du chat est dans une position très précise du
corps du chat parce que sa trajectoire l'y conduisait
irrémédiablement (une trajectoire orientée par des "attracteurs"
émergents de l'ensemble des forces présentes dans un
écosystème).
Là, pour le moment, je ne suis pas sûr de moi. Mais en tout état de cause, que les choses soient claires: il ne sera pas dit que paul yves wery a vendu son cul à la secte des physicalistes; J-A-M-A-I-S! Ils sont vraiment trop ...ridicules!
paul yves wery - Chiangmai Version 4 - Janvier 2021 Version 2.0 - Mars 2020 Version 3.0 – Juin 2020
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