Commentaire sur "Après la Finitude" de Q. Meillassoux Quatrième partie
Copernic, Kant et Meillassoux
Une bille blanche tourne autour d'une bille bleue. Mais, au fait, n'est-ce pas plutôt la bille bleue qui tourne autour de la bille blanche? On peut tourner la question dans tous les sens, on ne trouvera pas de réponse car pour y répondre, un troisième acteur, un référentiel, est nécessaire. Il est donc vain de dire que c'est la terre qui tourne autour du Soleil plutôt que l'inverse si l'on ne décide pas arbitrairement et préalablement de placer le trépied de sa caméra ici plutôt que là. Il y a au moins un référentiel pour lequel c'est clairement la terre qui tourne autour du soleil ; le soleil lui-même. Et il n'y a au moins un référentiel pour lequel c'est clairement le soleil qui tourne autour de la terre : la terre elle-même. Il y a même des points de vue pour lesquels il n'y a plus de rotation entre terre et soleil : tous les points situés sur la droite comprenant le soleil et la terre! Si je place ma caméra n'importe où sur cette droite-là, la terre va s'éloigner et se rapprocher du soleil mais jamais tourner autour de lui.
Si je me suis bien fait comprendre, je peux indifféremment décrire le système solaire par un modèle héliocentrique ou par un modèle géocentrique... Si donc, pour faire plaisir à un prêtre idiot, je veux m'en tenir à une description géocentrée des mouvements de Vénus ou de Mars, eh bien il ne tient qu'à moi de considérer dans un premier temps que toutes les planètes tournent autour du soleil et puis, dans un deuxième temps de faire tourner l'ensemble du soleil et ses planètes autour de la terre... ce qui donne in fine une description géocentrée exacte des trajectoires de Vénus et de Mars (mais pas aussi simple à déchiffrer et utiliser qu'un texte écrit à partir du choix d'un référentiel hélio-centré)...
Mais ce qu'il faut éviter, c'est de sous-estimer la différence entre un problème de pure géométrie et un problème de sciences naturelles. La différence entre le centre d'un cercle et le centre du système solaire, c'est qu'un référentiel a subrepticement été placé entre le réel et la géométrie pour définir le deuxième centre. C'est par la corrélation entre chaque objet et un référentiel que l'on peut produire des nombres et des figures utiles aux savants. C'est par l'analyse de ces quantités-là que l'on peut se mettre en recherche d'un centre géométrique de la masse de l'univers connu, de la rotation d'une galaxie, des orbites planétaires, de la terre, du corps humain, de la cellule, ...peu importe (mais je ne descendrai pas plus bas pour esquiver lâchement les considérations quantiques:-).
* Pour un penseur du XXIe siècle, c'est donc, me semble-t-il, cette arbitrarité du point de référence qui est le cœur de la révolution copernicienne et évidemment pas la signification morale ou métaphysique de l'héliocentrisme lui-même. Copernic ne se préoccupe pas des intentions du Créateurs ou de la primauté de l'Homme. Il se contente de remarquer que si l'on fait les mesures à partir d'ici plutôt que de là, les relations entre les choses deviennent beaucoup, beaucoup, beaucoup plus simples à étudier, point à la ligne.
Les spéculations morales répétées ad nauseam lorsqu'on parle de révolution copernicienne sont comme ces feuilles de vigne en plâtre que les puritains collaient aux statues antiques pour essayer de faire croire que la beauté du statuaire grecque n'était qu'angélique. Pour expliquer la puissance révolutionnaire de Copernic, ce n'est pas d'humilité qu'il faut parler, mais de la liberté incroyable qu'il accorde au savant de placer le tripode de sa caméra ici plutôt que là! Ce serait donc, en termes moraux, une prétention plutôt orgueilleuse, non? De ce jugement, en fait, je m'en fous comme de ma première culotte! Mais en revanche, en usant de ce droit à ME situer dans le calcul du monde, je me mets dans le rang de Copernic et pas dans celui de Ptolémée. Ces amplifications vaguement morales autour du décentrement, dont Meillassoux a voulu tartiner la dernière partie de son livre sont inutiles voire nuisibles à la clarté de son propos.
En termes plus philosophiques, on dira que la révolution copernicienne opère la scission symbolique entre la caméra et ce que la caméra regarde, ... C'est cette manière de penser l'observation et l'observateur que Kant reprendra en philosophie pour la sortir de ses contradictions. Qui est le sujet qui peut prétendre à une connaissance chez Kant? Eh bien, celui qui accepte, pour le temps de son étude, de n'être rien de plus qu'un simple référentiel spatio-temporel recevant des données spatio-temporelles (donc d'être en conformité avec la leçon plus ou moins actualisée de l'esthétique transcendantale). Celui-là, évidemment, assume ipso facto de ne pouvoir traiter que de ce qui est géométrisable dans sa perception du monde. Dans la mesure où ce sujet-référentiel purement géométrisé est corrélationé avec les événements de la nature (son expérience du monde), il dispose de données/coordonnées dont il pourra tirer une connaissance objective. Encore faut-il qu'il "machine" ces données/coordonnées en objets... C'est là qu'interviennent les catégories de l'entendement (dont le versant scientifique serait le principe de relativité et les transformations qui en découlent (transformation de Galilée, transformation de Lorentz et sa descendance dans les géométries courbes... )
La différence entre l'absoluité supposée des affirmations des dogmatiques (Descartes...) ou des réalistes spéculatifs (Meillassoux) et l'objectivité des affirmations machinées par le transcendantalisme est le cœur de la finitude kantienne.
paul yves wery – Chiangmai
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