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Version 4 - Janvier 2021

 

PRÉSENCE vs EXISTENCE vs REPRÉSENTATION.

Abstract: La 'présence' et 'l'existence' semblent se disséminer dans le monde selon des lois différentes.Toute l'étoffe de l'Histoire politique, culturelle et matérielle du monde est affectée bien plus par des effets de présences que des effets d'existences mais, etc.

(Le sujet est complexe; je dois diviser l'étude en trois parties...)

Première partie – De l'atome à l'athom

(Sur les liens entre la géométrie, la mécanique et la vie)

Le trou

Je ne suis qu'un potache, je le sais. Je devrais aller étudier tel ou tel sabir chinois et entrer par le porche d'entrée dans la cour des grands plutôt que de me coincer le cou dans les trous du mur pour voir mal ce qui m'intéresse beaucoup. Mais je ne suis tellement ...paresseux.
Ces grands-là, ils forcent ma curiosité voire mon admiration... Et puis, parfois, ils sont tellement bizarres; ils m'attirent autant que les monstres! Tenez; du haut de mon trou, j'entendais hier un étudiant en mathématiques qui s'entichait d'expliquer à un étudiant en philo qu'une tasse de café, c'est, à quelques grandeurs près, la même chose qu'un donut...

"...Mais – continuait-il – une tasse de café, c'est tout autre chose qu'une bouteille de vin qui, elle, à quelques grandeurs près, peut se confondre avec un ballon de foot... Bin oui, il y a un trou ou il n'y en a pas; une cavité, ce n'est pas un trou! Il suffit d'étirer convenablement les surfaces de la tasse pour faire disparaître sa cavité mais pour faire disparaître le trou de l'anse, c'est la surface même qui est mise en péril. Passer du donut à la tasse, OK; mais de la bouteille à la tasse, je n'y arriverai pas sans faire de casse... CQFD."

De l'autre trou, celui du mur, juste au-dessus de leurs têtes, je n'ai pas pu m'empêcher de délier ma langue de crapaud:

"Alors un homme, c'est un donut? ...Bin oui, sa bouche va jusqu'à son trou du cul!"

Le donneur de leçons a rougi. L'autre a ri en expliquant qu'il comprenait enfin pourquoi Lacan s'intéressait tant à la topologie... (Ça, je n'ai pas vraiment vu le rapport –on est potache ou on ne l'est pas –mais peu importe.)
Manifestement, il y a des savants qui n'ont pas peur du ridicule. J'aime cela; c'est toujours le signe d'une certaine liberté intérieure.

Les physiciens aussi sont forts dans le genre; j'entendais l'autre jour celui qu'on a surnommé "Monsieur Relativité", un fan d'Einstein, affirmer noir sur blanc que le temps n'existe pas puisque, etc.

Maintenant, tout potache que je suis, j'ai pour moi le bon sens de tous les cancres, de tous les fermiers et de toutes les bonniches de la planète. J'ai donc été troublé comme (presque) tout le monde par ce rapprochement établi entre le donut et le corps des hommes, tant il est vrai que changer des quantités, ce n'est pas vraiment changer des qualités. Toute personne de bonne volonté répugnerait à dire qu'un homme n'est plus un homme simplement parce qu'il est trop gros ou trop petit, ...ce qui est une autre manière de dire qu'il est donut ou ne l'est pas, qu'il ne l'est probablement pas, mais qu'il n'est certainement pas les deux en même temps. Enfin... Heu... Vous voyez ce que je veux dire ?

Je ruminais cette manière étrange de comprendre mon corps et, sans l'aide de la sinologie, j'en suis arrivé à soupçonner que tous ces trous qui prétendent séparer "qualitativement" (et non pas "quantitativement") les objets plongés dans l'étendue, sont surtout liés à la précision des descriptions; l'homme confondu avec le donut, c'est acceptable uniquement lorsqu'on voit mal (ou lorsqu'on ne veut pas voir!) que cet homme, il pisse aussi. On peut tourner la caméra dans tous les sens, s'il y a de l'eau qui sort, il y a certainement aussi une ou des entrées cachées quelque part – probablement dans le tube digestif? Bref, l'existence des urinoirs laisse donc penser qu'il n'y avait pas assez de détails dans le cliché qui a servi le raisonnement de mon matheux-donut. Je vais lui offrir un microscope; je veux qu'il comprenne qu'un homme, un vrai, nous cache manifestement d'autres trous que son cul.

Un trou (et, plus largement, un angle, une ligne...) cela se pense dans la sphère des surfaces ou volumes "continus" (indéfiniment divisibles sans perte de continuité) et, a priori, cela n'a rien à voir avec, par exemple, les pixels des photos qui tentent de nous représenter ce qui est troué (ou anguleux ou concave...). Une résolution de pixels, contrairement au trou, c'est une mesure (quantitative) de la qualité de la caméra, pas de ce que la caméra observe... enfin... de ce qu'elle croit observer, de ce qu'elle considère comme son extérieur...

Dans ce genre d'approche ultra-simplifiée du réel, ce ne sont pas les pixels mais les trous (et assimilables) qui permettent de distinguer ou confondre qualitativement ballons, donuts, et corps humains. Mais le nombre (quantitatif) de trous contribue à distinguer ballon, donut et corps humain... Et c'est le nombre de pixels qui permet de repérer et de compter les trous, ...ou d'en ignorer l'existence. Entre le trou et le pixel, entre le "qualitatif" et le "quantitatif", c'est toujours: "Je te tiens, tu me tiens par la barbichette..." Prudence donc; ici le bon sens côtoie les abysses!

Le curseur


Le nombre de trous qu'on peut ou qu'on veut bien prendre en considération, c'est comme un curseur: barre à tribord, et me voilà dans un monde ultrasimple avec très peu de chose différentes à l'intérieur... Barre à bâbord, et j'entre dans un monde ultra-complexe, plein de trucs irréductibles les uns aux autres.

Ce curseur qui fait varier la connaissance du nombre de trous, c'est le ver dans le fruit: une source intarissable de contingences dans les bla-bla de la cour des grands...

Pour le dire vite, entre Aristote et Copernic, les gens qui faisaient profession de penser aimaient surtout pousser le curseur à bâbord. On étoffait ainsi plus et plus la liste des choses irréductibles les unes aux autres au point de se perdre dans un brouillard de subtilités "substantielles" sans prendre assez en compte certaines filiations qui sont plus évidentes lorsqu'on minimise ces qualités distinctives.

À la fin du Moyen Âge, en Europe, la mode change. Ce qui est très "tendance", c'est de pousser le curseur plutôt dans l'autre sens. De moins en moins de trous donc. De plus en plus de choses identiques. Poussant le curseur jusqu'au risque de s'y dissoudre eux-mêmes, les plus grands de la cour des grands ont tenté de voir à quoi pouvait bien ressembler un monde où les qualités se réduiraient à des qualités élémentaires, irréductibles, primales... Des "points matériels" (de la taille des pixels de la caméra ou moins que cela) qui se déplacent dans de l'étendue...

Cette nouvelle génération va donc aborder le monde à partir de critères plus universellement partagés: ils vont, autant que faire se peut, ne pas prendre en considération ces trous et ces angles et autres qualificateurs qui obsédaient les penseurs aristotéliciens, parce que ce qui restera sera commun à tout. Ils ne renoncent pas aux "détails" mais ils renoncent à partir de ces "détails" pour décrire le monde.

Ces "détails" (trous, lignes, angles, etc.), ils espéraient bien pouvoir les "reconstruire" dans un second temps, en faisant varier la densité de ces "points matériels" (identiques ou peu s'en faut) en telle ou telle zone de l'étendue. Une bonne connaissance de l'étendue (géométrie) et du Code de la route (mécanique) qui organisent les mouvements de ces "points matériels" devrait alors suffire pour comprendre ...tout!
Un "monde légo" donc, fait d'un nombre énorme de pièces en mouvement se partageant des places rendues disponibles par une combinatoire que les géomètres et les légistes allaient étudier... L'acte de naissance d'une mécanique universelle. L'espoir qu'avec des briques de légo monochromes on pourrait reconstruire toutes les couleurs!

Il n'y a plus qu'un réquisit supplémentaire pour être admis dans la secte des réductionnistes "physicalistes": ne plus espérer mais être certain que l'on pourrait tout reconstruire avec du légo et de l'étendue! "Avec du légo on peut faire des fenêtres et des ponts; c'est comme des trous, non?" aiment-ils dire pour nous aguicher.
Ces réductionnistes-là ne disent donc pas qu'il n'y a pas de trous ; ils disent plutôt qu'un trou c'est le nom donné à une disposition particulière d'un ensemble de "points matériels" dans l'étendue immatérielle (géométrie). Leur monde est fait de "points matériels" et de "points immatériels". Les choses qui habitent le monde sont des noms donnés à des variations localisées de densités de "points matériels" et les trous sont pleins de "points immatériels".

Plus tard, lorsque les géomètres recentreront leurs réflexions non plus tant sur les relations qu'entretiennent les points avec les référentiels que sur ces relations que peuvent ou ne peuvent pas entretenir les distances entre les points, les savants n'auront même plus besoin de "l'immatérialité" pour penser des trous dans la matière; c'est le prodige de la métrique qui nous oblige enfin d'admettre qu'on peut penser le trou sans le remplir de points immatériels. Plus possible alors de confondre les distances et l'espace qui les contient, les durées et le temps qui les contient... Plus besoin de se poser des questions stupides du genre: "Ouiiii, d'accord... Mais alors, avant le big-bang il y avait quoi?".

Cette inversion de l'usage du curseur dans la pratique intellectuelle initiée probablement par Leucippe et son disciple Démocrite mais remise à l'honneur par la bande à Copernic (Brahe, Galilée, Newton et autres Einstein), c'est ce que certains érudits appellent la "coupure épistémologique" ou la "révolution épistémique"...
Quoi que puisse en penser certain, cette révolution est tout sauf un acte d'humilité qui s'opposerait à l'indéniable arrogance métaphysique des religions de l'époque. (Cf. Article dédié)

Dans ce monde légo, l'étoile et la verrue, ne sont fondamentalement rien que des briques légo disposées et combinées en nombres variables en des endroits différents. Donc l'étoile et la verrue, c'est la même chose à quelques quantités près (on en revient à la distinction entre l'homme et le donut).

Or, en pratique, l'étoile, à l'époque de Copernic, c'était une lumière dans la nuit, point à la ligne. À propos d'elle, on ne s'encombrait pas trop de questions qualitatives (trous, angles...). On pouvait donc s'attendre à ce que ce soit la verrue plus que l'étoile qui laisse des questions ouvertes à de tels aventuriers de la pensée. Et c'est effectivement ce qui s'est passé; le triomphe de la mécanique explique bien les mouvements astronomiques, mais les grains, les pores et les boursouflures de la verrue, c'est une autre affaire! (Depuis lors, avec l'arrivée de bons zooms les étoiles aussi ont commencé à nous laisser voir leurs boursouflures, mais il reste que les verrues sont encore aujourd'hui bien plus énigmatiques que les étoiles... ).

 

Kant jette l'éponge ?...

 

Abstract: les mécaniques posts-coperniciennes posent des problèmes insolubles. Kant rédige la "Troisième Critique" et invente les "fins naturelles". Le réductionnisme physicaliste perd ses plumes...

Donc avec Copernic et sa bande, on est passé d'un monde "zoo" (ou les Aristote et autres Thomas d'Aquin rangent leurs cages), à un monde "légo" où il n'y a plus qu'une infinité de briques toutes identiques ou peu s'en faut qui composent les cages et leurs habitants.
Ce qui est "tendance" dans ce Nouveau Monde, c'est de retrouver la diversité à partir d'une agrégation de petits riens et de moins que rien dans l'étendue. On est passé d'une ontologie foisonnante à une ontologie misérabiliste; tout se résume en briques mobiles ou figées en agrégats (eux-mêmes en mouvement).

Ce réductionnisme simpliste, la science des agrégats, la science où les trous ne sont et ne peuvent être que des qualités "accidentelles" (jargon aristotélicien), c'était et c'est encore la doxa du savant physicaliste lambda. Ce savant observe avec une tendresse condescendante les vaseuses spéculations spirituelles qui sont, selon lui, au mieux le symptôme d'une peur de mourir (désagrégation) et, au pire, le symptôme d'une immaturité intellectuelle. Il n'est pas très sympa le physicalistes lambda... Mais il a pour lui l'avancée prodigieuse des sciences mécaniques.

Et pourtant...
Un trou reste quelque chose de très troublant qui ne se laisse pas réduire à une disposition de particules élémentaires. D'ailleurs, il faut bien admettre que, même à tribord toute, on n'efface pas toutes les qualités du monde: un photon, ce n'est pas un électron. Même les plus rabbiniques des réductionnistes gardent de leurs ancêtres gaulois quelques travers spirituels. On ne se débarrasse pas facilement de tout, tout, tout; il reste un village d'énigmes rebelles... (Ce qui enchante le potache puisqu'à chaque nouvelle chose "élémentaire" (irréductible), on associe une brique de légo d'un nouveau genre!).

Malgré les avancées spectaculaires des sciences post-coperniciennes, la secte physicaliste a très vite été désertée par ses plus prestigieux penseurs (peut-on même considérer qu'ils en furent un seul jour des membres?). Si les Kant, Newton et autres Bergson ont quitté la secte c'est peut-être parce que l'ontologie physicaliste a vraiment quelque chose de ...misérabiliste; quelques "points matériels" en mouvement dans de l'étendue, ce n'est pas grand-chose. Croire qu'il n'y a que cela, c'est se rendre presque aussi ridicule que "Monsieur Relativité" qui disait que le temps n'existe pas (mais qui a pris pas mal de rides depuis lors).

À y regarder mieux, ce n'est pas le ridicule de ce credo misérabiliste qui suscitait leurs réserves (ces gens-là s'en foutent du ridicule). Ils ont vu qu'en fait, et aussi (surtout) en droit, la mécanique copernicogaliléonewtoniène, a des limites.
Je voudrais évoquer rapidement deux des difficultés posées par la mécanique copernicienne (et sa descendance) pour faire mieux comprendre ce qui m'intéresse et ce qui ne m'intéresse pas. Je réserve pour le chapitre suivant d'autres difficultés théoriques que même René Thom n'a pas pu balayer de sa table.

1- C'est quoi ce "point matériel" que j'ai assimilé à une brique de légo? C'est quoi sinon un monstre à deux têtes? On ne mélange pas impunément des pièces de légo et des billes! Le "point", c'est un truc de matheux. Le point c'est ce truc qui reste lorsqu'on a divisé un nombre infini de fois un segment de droite... ou un croisement de deux lignes... le fruit d'une géométrie désincarnée. Pour faire de la mécanique il faut de l'incarnation. Du "point" on passe subrepticement au "point matériel", ce qui sous-entend quand même un mariage problématique entre les mathématiques et la physique (le légo et les billes)...

La plus brillante solution a été d'incarner davantage la géométrie (relativité générale) mais encore une fois, au bas mot, cette solution ne satisfait que les astronomes qui ne nous parlent que de ce qui ne nous affecte pas ou peu. La relativité générale n'a rien à nous dire sur les verrues...

Légitimons néanmoins ce mariage entre le légo et la bille car une telle objection est trop spéculative au regard des progrès immenses, de la fécondité indéniable de la recherche scientifique. Admettons donc simplement que ce "point matériel" de la mécanique s'identifie provisoirement à la molécule, à l'atome, à la particule élémentaire (…) et que cela se raffinera encore avec l'amélioration de la résolution des caméras à venir.

2- Autre problème? Les plus rabbiniques des physicalistes ont fini par admettre quelques propriétés qualitatives des briques de légo. Ils ont admis qu'il y a différents types de particules élémentaires et qu'elles s'attirent ou se repoussent réciproquement selon leurs positions respectives et selon leurs natures. Ils reconstruisent ainsi l'ordre observable dans la nature par des additions de forces élémentaires; cela ne gêne pas trop leur saint dogme dans la mesure où fondamentalement il n'y a toujours que quelques briques différentes à étudier pour pouvoir retrouver ce qui se passera lorsque ces briques sont groupées. Mais maintenant, en plus, l'expérience du réel invite le réductionniste (physicaliste ou non) à acter d'une force absente dans ces "points matériels" et qui n'apparaîtrait que dans certains groupes de "points matériels" préalablement agrégés de telle ou telle manière particulière. Des nouvelles directives semblent "créées" par ces communautés de coalisés (impossible de les expliquer par les seules qualités physiques des particules observables lorsqu'elles ne sont pas coalisées).

Pourquoi donc les chats ont-ils résolument deux yeux et pas trois et puis quatre et puis de nouveau deux et puis... Plus les embryologistes s'intéresseront à ces questions plus leurs conclusions vont confirmer ce genre de bizarreries: ce ne sont pas les particules élémentaires qui imposent cela! Même si le Code de la route observé par les particules qui composent le chat n'est jamais franchement violé, il reste que le trafic global d'ensembles de particules est parfois manifestement tendancieux. Et si une régulation génétique peut parfois expliquer les choses, la question n'a été que déplacée d'une échelle de grandeur car ce n'est pas dans l'étude des particules élémentaires qu'on trouvera pourquoi le DNA est ordonné de telle manière plutôt que de telle autre.
Le chat semble sinon violer le Code de la route des particules, au moins l'étoffer par la stabilité de nouvelles règles "émergentes" dans certaines conditions. Parfois, c'est manifestement le constitué qui dirige les constituants et non l'inverse!

Dans la cour des grands on commence à s'énerver. Certains parlent de lois des grands nombres, de cybernétique, de... Des vitalistes élèvent la voix... Des finalistes... Des théosophes... Des gourous... Ça tourne mal!

*

Face à l'évidence de cette deuxième difficulté soulevée par la mécanique, Kant a conclu sa carrière en rédigeant la "Troisième Critique". Une manière de jeter l'éponge?

Pas vraiment; depuis toujours il se disait chrétien et son christianisme n'a pas à être mis en question; ce n'était pas un christianisme de complaisance. Il fut donc probablement très heureux de pouvoir argumenter d'une manière aussi intéressante pourquoi il prenait ses distances par rapport à la secte des illuminés physicalistes qu'il avait, bien malgré lui, contribué à allumer.

Kant avait déjà établi les conditions de l'objectivité scientifique par sa "Première Critique". L'objectivité se construit en commençant par épurer les phénomènes de tout ce qui ne se localise pas dans l'espace. Les points matériels qui en résultent sont traités par son alambic transcendantal et puis, hop, on découvre l'objectivité et on passe au raisonnement scientifique.

Mais Kant se rendait bien compte qu'il ne pourrait jamais par la mécanique (le code de conduite des briques du légo) retrouver une explication de la stabilité de certains agrégats et en particulier ceux qui vivent. Kant se rendait bien compte que la mécanique telle qu'il la pensait n'arriverait pas à reconstruire la forme des flammes, des fleurs ou des chats.

Pour surmonter cette impuissance du raisonnement scientifique, Kant a opposé au "jugement déterminant" (celui de l'objectivité des scientifiques) le "jugement réfléchissant".

Un jugement est dit "réfléchissant" lorsqu'il est nécessairement inclus dans les moyens d'analyse de lui-même ; impossible d'étudier la langue sans utiliser le langage, impossible d'étudier la raison sans raisonner...

Lorsque l'objectivité manque, il reste pour guider notre raison ce qu'il appelle des "fins naturelles" et autres "idéaux régulateurs" qui se laissent voir (subjectivement!) derrière la diversité des choses. Kant exploitait ainsi jusqu'à la corde peut-être, mais avec quel génie, les ressources de la raison devant l'incompétence manifeste de la mécanique dès qu'on passe de l'infiniment grand (astronomie) au monde des choses aux millions de trous bien rangés que sont par excellence les êtres vivants (ou même la pensée morale?).

Je dois ajouter ici que même si Kant n'a pas réussi à entraîner l'objectivité, la scientificité, jusqu'au bout du chemin, Kant n'a jamais – JAMAIS! – libéré l'accès à n'importe quel chemin pour parler de spiritualité. Pour expliquer la forme du monde, les fins naturelles et les idéaux régulateurs sont des balises bien réelles, des balises qui imposent une direction. Il a, certes, laissé une porte ouverte pour les théologiens, mais aux théologiens rationnels, pas aux guides spirituels qui ignorent l'usage des sciences...

En bon potache, je vais alors lancer le pavé dans la mare: Kant eut-il écrit sa "Troisième Critique" s'il avait pu connaître les travaux des Henri Poincaré, Illya Prigogyne et autres René Thom? Et quid de Bergson? Eut-il rédigé "l'Évolution créatrice"? Et mon cher Teilhard, qui est tout de suite rentré chez les Jésuite, eut-il défroqué?
Ceux-là et tant d'autres ont-ils jeté l'éponge un peu trop vite?

 

...Et Super-Thom est arrivé!

Abstract: La fécondité cachée de la géométrie donne des ailes au légo. Réhabilitation de l'esprit copernicien. Plus besoin de la "Troisième Critique"?... Le physicalisme reprend du poil de la bête! Mais ça sent le roussi du côté des darwinistes...

Pour intuiter les relations entre la géométrie et le réel, rien de tel que la balistique. Je vais remettre en usage un de ces spectaculaires ancêtres du canon, cette catapulte géante que les soldats du Moyen Âge poussaient péniblement en direction des murailles à détruire et que nous avons tous pu voir en action dans l'une ou l'autre superproduction hollywoodienne. On appelle une telle arme un "trébuchet". En réalité, le principe du trébuchet relève moins de la catapulte que de la fronde; c'est un contrepoids qui pousse le bras d'un levier qui, à l'autre bout, projette un boulet, ou un boutefeux ou un cadavre vers la muraille de l'ennemi.
- Un cadavre?
- Eh oui! Ils avaient de l'imagination, nos ancêtres, pour déstabiliser l'adversaire!

Avec le trébuchet, le lien entre la géométrie et la physique a d'abord l'air limpide: plus le projectile est léger, plus il va loin, plus le contrepoids est lourd, plus le projectile va loin, plus l'engin est proche de la muraille plus l'impact est violent. Tout cela peut se dessiner facilement sur un papier avec de belles courbes pures qui se laissent comparer les unes aux autres. J'ai étudié comme tout le monde ces belles courbes au collège et je me suis alors laissé croire qu'il serait très simple de combiner toutes ces courbes pour prévoir, par exemple, les effets cumulés d'une augmentation du contrepoids, de l'angle d'inclinaison du sol et de la vitesse de déplacement de l'engin en train de canonner.

Que nenni! J'entre tout de suite dans l'enfer du calcul! Et pour couronner la difficulté, la résultante de la combinaison de plusieurs courbes exponentielles "pures" peut produire des lignes anguleuses, ondulantes, brisées... (l'enfer des "dynamiques non linéaires") ; il y a des points critiques à partir desquels le boulet, plutôt que de partir vers les murailles me retombe sur la tête...

Il y a pire encore: si, par exemple, les soldats poussent énergiquement le trébuchet sur ses roues rouillées qui se dégrippent progressivement par les effets des diverses pressions (pression des soldats, recul de réaction à chaque tir, caillasse au sol...) le contrôle des tirs du trébuchet risque bien de nous échapper... Et voilà qu'il se met à pleuvoir ; l'élasticité des différents matériaux impliqués (cordes, bois, terre du sol...) est influencée par l'humidification de ces matériaux. Cette humidification elle-même est favorisée (ou défavorisée) par les étirements et les compressions, ce qui va en retour remodifier autrement l'élasticité... et on est parti pour des cycles...
In fine, eh bien c'est très simple : toutes ces trajectoires deviennent purement et simplement incalculables!

*

Dans toutes ces spéculations mécaniques où, au départ, tout semble simple, plus je prends en considération un nombre important de forces agissantes dans l'écosystème –forces microscopiques autant que macroscopiques, exponentielles ou linéaires– plus je visualise ces forces par de belles courbes sur le papier, plus il y a des "points critiques" à repérer (croisements, maxima & minima, points asymptotiquement approchés...). Ces endroits critiques, dès qu'ils sont rejoints, peuvent enclencher des avalanches, des orages et autres explosions –ou au contraire des cristallisations, des processus homéostatiques et autres orbites géostationnaires. C'est à ces mariages difficiles de tendances contraires que René Thom, après Henri Poincaré et quelques autres, s'est intéressé.

À ma connaissance, Henri Poincaré fut l'un des premiers à entrer dans la complexité de ces "criticités". Il a montré qu'il suffit de trois corps en interactions les uns avec les autres (trois astres unis par la gravitation par exemple) pour que le calcul des trajectoires respectives de leurs composants soit rendu non pas difficile mais incalculable (même les approches par approximations du style "série de Fourrier" sont devenues impertinentes).

Avec ses "trois corps", Poincaré nous a donné à penser le plus petit des "systèmes complexes" (jargon consacré)... Pour le dire d'une manière lapidaire, avec deux corps il n'y en a que deux, mais avec trois, il y en a quatre : une nouvelle entité, celle qui est composée par les trois premières, a, en droit au moins, des comportements imprévisibles, "émergents" et absolument irréductibles, ce qui est une manière de dire que cette quatrième chose existe indépendamment des trois existants qui la composent. (Ici commence le frisson ontologique des philosophes!...)

Ces trois corps peuvent être trois astres qui s'attirent réciproquement. Mais il peut aussi y avoir plus que trois corps qui interagissent ainsi les uns sur les autres : les cordages, les boiseries, le boulet, les axes rouillés des roues, l'humidité ambiante... Système solaire et trébuchet, même combat!

C'est tout le Système solaire qui se déforme et se reforme autrement à chaque instant, qui acquiert une morphologie dynamique, une identité, une sorte d'élasticité, de flexibilité aux qualités particulières pour l'univers qui l'accueille et qui en est plus ou moins affecté ...et qui donc l'affectera à son tour, etc.

De même, c'est tout le système boiseries/boulets/cordages/axes grippés et autres contrepoids – le trébuchet donc – qui se contorsionne et s'use avec son identité propre sur le champ de bataille humide... et c'est toute l'issue de la guerre qui en sera peut-être transformée... et orientera le trébuchet vers d'autres cibles, etc.

Que dire alors de ces milliards de pièces de légos qui s'agitent et s'attirent ou se repoussent réciproquement dans la moindre bactérie, dans le cerveau des éléphants ou dans une verrue?
J'ai mêlé subrepticement les "dynamiques non linéaires" (points critiques, asymptotes...) et les "systèmes complexes" (incalculabilité de trois corps en interactions réciproques...). De telles spéculations, ce n'est plus pour les potaches. C'est pour la cour des grands. C'est le territoire des vrais savants. (C'est aujourd'hui plus que jamais un énooooorme chantier de la recherche qui s'étend de la physique élémentaire jusqu'à la linguistique en passant par les neurosciences et la cognition!)

Le rôle de René Thom alors ? Dans cette soupe d'incalculabilités assumées, René Thom a d'abord montré qu'un matheux peut modéliser ces "grains" relativement stabilisés par les dynamiques de leurs composants, pourvu qu'on prenne en considération leurs confinements dans des zones géométriques délimitées.

Modéliser la stabilité des agrégats dans la fluidité, l'indifférence généralisée, le chaos originaire de leurs composants?!? Voilà qui devient très sexy pour ceux qui étudient les nuages et les précipitations, l'homéostasie et les pathologies, la croissance des arbres, le comportement des populations de rats, les évolutions culturelles, ...enfin tous ces trucs qui sont formés d'innombrables acteurs et qui ne sont pas voués à l'éternité mais durent quand même quelques minutes ou quelques siècles.

Ces "grains stabilisés" sont un défi à l'entropie bien évidemment: c'est comme si le sucre dissous dans la tasse de café redevenait par endroits un morceau de sucre... Personne et surtout pas René Thom (qui connaît bien sûr la thermodynamique de Prigogyne) ne dit que globalement l'entropie marche à l'envers, mais il faut bien voir que ce "grain" dont je parle ici est comme une micro-bulle dans une soupe de désordre. Dans le "grain", l'entropie baisse effectivement, mais la frontière du "grain" est une surface d'échanges énergétiques qui sème le désordre dans la soupe qui l'héberge. C'est le confinement de l'organisation interne du grain par la surface de contact entre ce grain et la soupe qui est la clé de l'énigme étudiée.

Je ne plane pas ici dans l'abstraction; je parle de réalités aussi concrètes que la membrane cellulaire qui permet à la cellule d'être momentanément stabilisée dans un organe, ...organe qui est lui-même momentanément stabilisé dans ce sac "peau+alvéoles pulmonaires+muqueuse digestive" qui délimite globalement une grande surface d'échange (entropie contre énergie) avec le monde pour assurer l'homéostasie de notre corps (sa vie!!!). Dans cet exemple, j'ai donc un emboîtement de "grains" en poupées russes qui assure la pérennité strictement confinée (naissance-mort) dans une zone de l'espace-temps d'une construction de légo qui est mon corps... On n'est pas sorti de la mécanique; à chaque étage de l'organisation, une surface frontalière assure des échanges avec son hôte en lui donnant du désordre contre de l'énergie. Le dernier étage de la poupée qui est mon corps assure que globalement les lois de l'entropie ont été respectées par toutes les entités qu'il rassemble en dissipant du désordre par l'ensemble "digestion/respiration/mouvements".
C'est donc par ses talents de géomètre que Thom attaque ces questions d'homéostasie; un travail de matheux! Ces pièges géométriques qui concentrent les atomes qui se baladent dans la zone en des grains plus ou moins stables, ce sont les "bassins" (dans le sens de "bassin fluvial") des "attracteurs" (que sont ces grains émergeant du chaos).

NB: Qu'il s'agisse de la pérennité d'un nuage, d'une bactérie, d'une pensée scientifique (cognition), du comportement culturel d'une population, (…), on tourne toujours autour du concept "d'homéostasie" dont les racines ont été théorisées par Claude Bernard dans le cadre plus strictement médical.

Il est peut-être utile ici de faire valoir que dans ces modélisations, il n'est plus question de rechercher une simple trajectoire d'une brique de légo; le but est plutôt de débusquer ces figures stables (les érudits disent souvent "robustes" plutôt que "stables") dessinées par d'innombrables trajectoires élémentaires. Ce serait donc par une approche "macro" d'une infinité de trajectoires "micro" qu'on aurait quelques chances de pouvoir reconstruire la forme d'une orchidée.

René Thom fait encore bien plus que formaliser la stabilité d'agrégats dans les soupes de points inorganisés; il a débusqué les formes typées, récurrentes, catégorisables, dans ces... ces... ces "révolutions culturelle" que peuvent imposer les dynamiques non linéaires aux choses prises dans leurs maelstroms. Ce sont ces fameuses "catastrophes"; il en fait une liste et leur a donné des noms (plis, fronce, queue d'aronte, vague...).

Le choix du mot "catastrophe" ("Théorie des Catastrophes") lui a donné les trois quarts de sa réputation chez les potaches et dans les supérettes où j'ai étudié la philo... Il est dû à un certain M. Zeeman qui a utilisé cette théorie pour ses recherches en sciences humaines.

J'ai beau être potache et ignorer tout de la sinologie ou de l'égyptologie, je comprends pourquoi René Thom est "Super-Thom" pour les érudits. Maintenant, moi-même, je vois mieux que la nature est compliquée et que si je veux être plus précis et plus exhaustif pour décrire le trébuchet ou les étoiles, je dois prendre en compte toutes les forces qui se chamaillent dans l'environnement considéré, même le plus infimes puisqu'une "catastrophe" typée peut naître d'un quasi rien et nous étonner même par temps calme.

En étudiant ainsi l'apparition ou la disparition des choses, on reste dans des raisonnements géométriques. On ne sort pas d'un cadre mécaniste. Pas nécessaire donc de parler de chance, de malchances ou d'attribuer des qualités mystérieuses au boulet lorsqu'il nous tombe sur la tête; il suffisait de mieux analyser l'écosystème du trébuchet! "Écosystème"; un mot-clé!

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Tout cela, c'est du pain bénit pour les physicalistes purs et durs! En jouant avec la fécondité des analyses des points critiques dans les espaces continus, ils espèrent bien arriver à démontrer que les règles du mouvement des briques de légo suffiront pour expliquer des phénomènes immensément importants tels que des rétroactions inhibitrices (exigées par la biologie), ou le petit bruit qui enclenche l'avalanche, ou le nombre d'yeux du chat... bref, toutes ces bizarreries qui font la saveur de nos jours. Avec les "attracteurs", les "bassins" et autres "catastrophes" de René Thom, plus besoin d'aller chercher dans l'Au-delà ce qui se trouve déjà ...dans la géométrie!

D'une manière plus générale, la secte réductionniste physicaliste recommence à croire que si l'on aborde la mécanique avec dans la tête la pleine conscience de ces finasseries géométriques, il devient possible de faire du bleu avec des briques rouges. Même les replis de l'ectoderme embryonnaire finiront par s'expliquer par la mécanique, et tant pis pour les "Fins Naturelles" de Kant, "l'Élan Vital" de Bergson, "l'Oméga" de Teilhard, les démons de Godel... Ces savants-là n'avaient qu'à rester dans la secte!

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Entre-temps, parce que les mathématiques de M. Thom ne sont arrivées que dans la deuxième moitié du XXe siècle et qu'elles utilisent un sabir compliqué, certains réductionnistes, les réductionnistes "deuxième vague", ont pensé pouvoir esquiver les difficultés irrésolues par la mécanique copernicienne en utilisant à tort et à travers un truc qui marche relativement bien pour faire tourner la machine techno (tout en nous cachant qu'en fait, très souvent, ils ne comprennent rien du tout des dessous de l'affaire). Ce truc, c'est le calcul probabiliste. En somme, ce que ce réductionniste "deuxième vague" me dit, c'est quelque chose de genre:

"Cesse de me casser la tête avec ton 'intelligibilité', ce truc qui ne veut rien dire, qui flatte l'ego par l'ego ... Regarde les statistiques; ça marche! Tu voudrais que moi aussi je jette l'éponge? Je préfère jeter l'intelligibilité et revenir à l'essentiel! Laisse-la aux poètes, l'intelligibilité! Le seul calcul important c'est le calcul utile! Par ce pragmatisme, l'avenir se dévoile et se plie à nos désirs. Je n'ai rien contre l'intelligibilité moi, mais lorsqu'elle fait défaut, laisse faire le statisticien et ses ordinateurs. Le champ du calculable est bien plus vaste que celui de l'intelligible; tu obtiendras plus de résultats avec moins de migraines...»

Quelque part c'est bien vrai; une probabilité, par définition (!?), rend bien compte d'une régularité observable dans les phénomènes. Elle nous permet d'exploiter une régularité en nous épargnant la nécessité de la comprendre.

De là à la naissance d'une nouvelle secte, il n'y a qu'un pas. Pour le statisticien jusqu'au-boutiste, la théorie c'est la maîtrise des probabilités, point à la ligne.
Et lorsque le boulet retombe sur la machine, c'est l'exception qui confirme que la loi est statistique, deuxième point à la ligne.
La loi serait fondamentalement statistique et n'aurait donc jamais, par définition (!?), besoin d'être remise en cause. Dernier "point à la ligne".

Les philosophes diront ici que ce mécaniste statisticien est un anomiste (ou analogiste) à l'inverse de Super-Thom qui est un anomaliste; Super-Tom nous dit que l'exception, en fait n'est pas une exception, mais le résultat d'une application stricte de sa règle. Il n'y a pas d'exception mais rien que des règles qui sont encore mal rédigées, point à la ligne.
Si on creuse cela ne revient pas du tout à la même chose. C'est (ça devrait être) la différence entre le raisonnement du médecin et celui du pharmacien.

La pensée probabiliste jusqu'au-boutiste, celle du réductionniste-physicaliste "deuxième vague", est une pensée magique. Elle nie la distinction entre l'énigme et le mystère en laissant le mystère bouffer l'énigme alors que le mystère doit lâcher du lest, doit nous lâcher ce qui ne lui appartient pas. Le réductionnisme probabiliste est donc une religion sans le charme des litanies grégoriennes. Mais shuuuuut! Les savants lambda (surtout les darwiniens jusqu'au-boutistes) ne savent pas encore que Super-Thom est à leur trousse! Ça va saigner! Les luttes fratricides sont les plus cruelles!

 

De l'atome à l'athom...

Abstract: Par les vertus de la géométrie, un agrégat peut devenir la condition d'une émergence ("objectivable" et non plus "magique") de propriétés (de tendances directionnelles dans les flux de trajectoires matérielles) qui étaient absentes dans les parties qui composent l'agrégat.

M. Thom avec ses dynamiques critiques et catastrophiques (tout comme M. Prigogynes à partir de travaux "thermodynamiques"), a pu formaliser l'apparition naturelle de discontinuités momentanément stables dans les soupes globalement homogènes, symétriques, fades, informes, continues... Pour le fun et la simplification de la rédaction, j'appellerai dorénavant ces agrégats d'atomes matériels géométriquement stabilisés des "athoms".

Pour moi, un "athom" est donc un ensemble stable "d'atomes" (les particules du physicien, les individus d'une population, les molécules d'eau d'un nuage, les neurotransmetteurs d'un cerveau(?!?), les carbones d'un diamant, les abeilles d'une ruche...) qui s'organisent en "choses" ayant une certaine durée de vie.

Ces athoms respectent scrupuleusement les lois de la physique.
Dans ce genre d'approche de la réalité, si le chat a deux yeux et pas trois ce n'est PAS parce que cet athom-là, l'athom-"chat", a acquis une autonomie suffisante pour se rebeller contre sa parentale atomique mais parce que les trajectoires (physiques) de ses constituants sont stigmatisées par des exigences géométriques qui font "émerger" ce genre d'étrangeté. Les deux yeux du chat, ce serait une de ces surprises qui émergent lorsque l'on prend plus au sérieux les implications des rencontres des innombrables forces micro et macroscopiques qui se disputent les mêmes territoires.

Les deux yeux du chat peuvent aussi (peut-être) être liés à une raison essentielle qui ne sera développée que dans la troisième partie de cette étude : le parcours historique qui à conduit la Vie (avec un grand "V") de l'amibe au chat. Ce parcours est parsemé de "catastrophes" irréversibles ("bifurcations"...) qui sont comme des chaînes aux pieds de certains athoms et qui n'autorisent pas Dame Nature d'aller où elle veut ni d'y faire tout et n'importe quoi, ni de faire marche-arrière.

Prises dans toutes ces mailles, les constituants du chat n'ont pas d'autre choix que d'obéir aux ordres émergents de cette globalité; il n'y a aucun miracle à prendre en considération.

Pour être honnête, il faut tout de même ajouter qu'étudier le chat par des méthodes géométriques comme celles utilisées pour les trois corps de Poincaré ou du trébuchet ne tient la route que si j'avalise le fait que les théories critiques et catastrophistes ont une carrure suffisante pour rester crédible jusqu'à la sphère du biologique... Or cela n'est pas encore tout à fait gagné...

Les propriétés "émergentes" des athoms qui affectent l'écosystème et sont affectées par lui donne aux athoms une autorité comparable à celle des atomes (dont l'athom n'est pourtant qu'un agrégat accidentel).
L'ontologie maigrichonne des réductionnistes, s'étoffe donc enfin car le "quatrième corps" évoqué plus haut existe au même titre que les trois autres par ses propres qualités "dans les éprouvettes"!

Dans cette manière de voir, chaque "tout" (athom) a donc sa propre manière d'agir sur les trajectoires de ses parties (rétroaction d'un pli de l'ectoderme au temps T qui enclenche le repli au temps T+1, par exemple ). Chaque "tout" déforme à chaque instant les attracteurs géométriques qui l'ont conduit à être ce qu'il est déjà... et les parties, comme autrefois, déforment le tout en fonction de l'évolution des attracteurs.

Ce point est important; il est difficile à dire et je le dis mal; il me faut donc encore le dire autrement.
L'athom tout comme l'atome a une identité objective puisqu'il supporte parfaitement d'être "filtré" par l'alambic transcendantal de la "Première Critique" qui exige de l'objet une traçabilité dans l'étendue ("dans les éprouvettes"). Thom ne s'attaque pas à cette intuition kantienne; il se contente de me montrer que cette géométrie qui localise l'objet est une boîte à Pandore dont nous avons sous-estimé la fécondité!

Une fois que cela est assumé, on ne s'étonne plus de ce que les lignes d'inerties des composants d'un athom les obligent, pendant une durée limitée, de rester dans l'athom plutôt que partir vers les confins de l'univers).

 

La galère d'Ulysse

Alors, plus besoin de la "Troisième Critique"?
Eh! Eh!... C'est évidemment plus compliqué que cela! Mes potes potaches ont jeté du sable dans l'horlogerie et ça grince! Dans la cour des grands, ils ont appelé la bonniche pour faire le ménage mais cela lui prendra du temps et, pour tout vous dire, la bonniche (celle qui travaille chez les Meillassoux), c'est ma grande copine, mon agent secret. Après m'avoir révélé ce qu'elle a entendu sur la contingence, je ne crois plus au retour de la propreté dans la cour des grands... Qui vivra verra...

Quels sont les soucis? J'en vois au moins deux mais je n'insisterai dans cette première partie de mes investigations que sur le premier, le deuxième c'est pour plus tard parce qu'il est beaucoup trop grave que pour être liquidé en quelques lignes.


1- Les chats passent leur temps à chasser les souris...
2- Les dinosaures sont de retour...

 

*

Tel le bateau d'Ulysse (qui, je le rappelle à toutes fins utiles, n'a plus une pièce d'origine lorsqu'il arrive à destination), le chat passe son temps à chasser les souris pour remplacer les planches de sa propre coque. Il y a fort à parier que lorsqu'il mourra, il aura déjà perdu depuis longtemps la plus belle part de son carbone originel... (Certains ont vu dans ce recyclage la marque distinctive du vivant.)

A-t-on vraiment démystifié le défit que pose ce recyclage à la raison mécaniste (avec ou sans prise en compte des dynamiques non linéaires)? Ouiiiii, bien sûr!... Mais pour moi toutes les explications sont encore confuses.

Tel carbone du chat est dans une position très précise du corps du chat parce que sa trajectoire l'y conduisait irrémédiablement (une trajectoire orientée par des "attracteurs" émergents de l'ensemble des forces présentes dans un écosystème).
Tel carbone de la souris est tout aussi précisément intégré dans son environnement mais dans le corps de la souris et par les vertus d'autres "attracteurs" que ceux du chat.
Voilà que le carbone-souris prend la place du carbone-chat. Ce changement brutal de l'écosystème du carbone souris a donc exigé une rupture coordonnée de deux équilibres délicats... et la reconstruction d'au moins un nouvel équilibre délicat... Chaque équilibre impliquant une combinaison singulière de beaucoup de points critique, une telle coordination, une telle synchronisation, peut être une belle coïncidence. Mais qu'elle puisse se répéter pendant des millénaires me laisse ...perplexe!


- Eh! Potache! Tu veux savoir pourquoi tu es perplexe? C'est parce que tu penses un athom vivant comme un géologue pense une pierre! La stabilité d'un athom peut être très courte! Lorsque le chat a attrapé la souris, il l'a sorti des conditions minimales de sa pérennité. Avant de se recarboner, l'athom-chat a donc libéré le carbone-souris des forces émergentes qui garantissaient la pérennité de la souris. C'est un carbone déjà libre qui a été capté par les attracteurs du chat!
- Oui, d'accord, mais quand même... il a fallu que le carbone du chat soit évincé au bon moment et que le carbone de la souris soit libéré au bon moment... cette coordination des trajectoires (micro!) qui implique des centaines ou des milliers de coïncidences et d'interactions précises (innombrables points critiques ou catastrophiques) est tout de même hautement improbable... Et c'est sans dire que ce genre de coïncidence a dû se reproduire des milliards de fois pour que la dynamique "chat-souris" perdure des millions d'années...
- Le chat est un athom composé de milliards d'autres athoms (molécules, cellules, organes...) et chacun d'eux a sa propre stabilité (confinée, conditionnée...). La souris est un autre athom composé lui aussi de milliards d'autres athoms... Les chats et les souris forment ensemble encore un autre athom en équilibre (dont la stabilité est cette fois la clé de la pérennité de ces deux populations animales)... Et cet écosystème-là est lui-même partie d'un écosystème qui a ses propres attracteurs, etc. C'est exactement la même chose entre ton corps et les cellules qui te composent. C'est l'univers en entier qui est un système complexe, Potache. L'univers assume tous les écosystèmes, et à ce titre, il n'est évidemment pas le constituant d'un athom plus généralisé; à quel attracteur obéirait-il? Il est libre de toute force extérieure et c'est la garantie de sa stabilité! Mais il est stable sans quoi rien ne le serait et nous ne serions pas ici pour en parler... Les lois de la nature sont éternelles...
- C'est bien là que ça cale... Comment dire? ...En pratique, si cette globalité assure la dynamique de tous ses composants, alors... Eh bien oui, le "Dieu Architecte" est revenu par la porte de derrière!
- Un "Dieu Architecte"? Non! Pas un "Dieu", une boîte à légo dans laquelle les pièces ne sont pas distribuées d'une manière parfaitement homogènes parce que les enfants ont joué hier et avant-hier...
- Cela revient au même: une entéléchie, un idéal régulateur, une finalité, ou un Dieu architecte, c'est toujours la même chose: un déni de la contingence et donc un déni du mystère, un déni de la liberté.
- Je ne sais pas s'il y de la liberté dans l'univers, Potache... La question ne m'intéresse pas parce qu'elle est typiquement épistémologique plus qu'ontologique. Mais qu'il y en ait ou qu'il n'y en ait pas, il n'y a de toute façon pas de prédestination, de finalité. Tout est déterminé en effet, mais rien n'est prédestiné. Donne-moi l'état initial et les formules de Super-Thom et je te dessinerai le futur au jour le jour; à partir du contexte au temps "T" je peux te prédire le contexte au temps "T+1", mais pas au temps T+2 . Il n'y a pas de finalité, d'entéléchie, d'idéal régulateur... Chaque jour, chaque heure, chaque seconde, ce contexte se refabrique en fonction de ce qui est et de ce qui a été. Il n'y a pas de plan préétabli mais une fabrication permanente.
- Quelque chose cloche...
- Non! Rien ne cloche mon cher Potache! Bienvenue dans la secte des physicalistes! Si les carbones du chat et de la souris sont bien irrémédiablement empêtrés dans des attracteurs eux-mêmes empêtrés dans d'autres attracteurs, alors la mécanique ne doit plus, ne peut plus, se penser simplement en "enchaînement de causes et d'effets" mais en "réseaux", ...non pas des "chaînes" causales mais des "réseaux", des "toiles d'araignées" imbriquées les unes dans les autres. À l'échelle micro, pour le carbone qui nous intéresse, c'est aussi la toile d'araignée qui est la bonne métaphore. Lorsqu'un maillon casse dans une toile d'araignée, certes, ce n'est pas bon pour la toile; sa stabilité globale va prendre un coup. Mais elle reste tout de même globalement la toile qu'elle était. Les carbones de la souris ne sont donc pas obligés de prendre exactement les mêmes positions que les carbones remplacés pour que le chat reste malgré tout un chat. Certes il ne sera plus exactement le même chat, mais, c'est bien ce qu'on observe dans la nature; le chat lui aussi prend ses rides, non?...
- Mmmm... Ok, bien vu... Mais...


Mes roues s'embourbent... J'ai l'impression d'être roulé dans la farine pour être mieux distrait de l'essentiel. Mais indéniablement, là il m'a mis sur la défensive. Si je ne trouve pas une solide parade, c'est moi qui suis devenu le naïf de service.
Ce cochon de physicaliste a peut-être raison bon sang!
J'ai heureusement encore quelques arguments dans ma bouche de crapaud, mais ...il me faudra entrer dans les coulisses de la cognition et du langage et çà, ce n'est pas une sinécure!

Là, pour le moment, je ne suis pas sûr de moi. Mais en tout état de cause, que les choses soient claires: il ne sera pas dit que paul yves wery a vendu son cul à la secte des physicalistes; J-A-M-A-I-S! Ils sont vraiment trop ...ridicules!

- Eh! Potache!... Et le dinosaure?
- Après, après, après... je vais d'abord me reposer.

 

paul yves wery - Chiangmai

Version 4 - Janvier 2021

Version 2.0 - Mars 2020

Version 3.0 – Juin 2020

 

 

NB Je n'ose pas trop déclarer mes principales sources parce que ces auteurs-là ne cautionneront peut-être pas mes sottises... Bon, après cette précaution oratoire je vais tout de même les citer:

- "Forme" par Petitot Jean. Accessible gratuitement sur academia.edu

- "La réduction du possible; René Thom et le déterminisme causal" par M. Espinoza. Accessible gratuitement sur accademia.edu

- "Le jeu de la complexité et la théorisation linguistique" par D. Piotrowski & Y.-M. Visetti. Accessible gratuitement sur academia.edu

- Tous les textes en français de Giuseppe Longo et Francis Bailly accessible sur Academia.edu sont aussi purement et simplement exaltants mais seront plus utilisé pour la deuxième partie...

Je dois encore ajouter que ces très utiles lectures (en français!) m'ont été suggérées spontanément par l'ordinateur marketeur de www.Academia.edu... alors que je ne fais pas partie de l'univers académique et que je ne suis pas encore affilié à Academia (payant). Que justice et grâce lui soit rendue! ...Ainsi qu'à Google que je critique tant, mais que, parfois, souvent, j'aime beaucoup (et qui, en l’occurrence, m'a mis sur la piste d'Academia.)

 

 

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