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Tendance "New Age"?

Version 1.02 - Chiangmai, mars 2011

 

-2- L'âme des plantes

Abstract: Couper une branche peut être un viol ou un acte d'amour. On ne peut pas couper n'importe quelle branche ni la couper n'importe comment. Il y a dans le rapport à toute plante le germe d'un savoir neuf sur la gentillesse; la spiritualité ne peut pas en faire l'économie...

Complicité

J'avais quinze-seize ans lorsqu'un ancien ermite, le père Hubert, m'enseignait un certain art de vivre qui était aussi un art de percevoir l'altérité et la solidarité des vivants:

"Un homme réalisé, m'expliquait-il, ne souffre jamais de la solitude. Un seul brin d'herbe coincée entre deux briques à la fenêtre grillagée d'une cellule et un prisonnier attentif qui se passionnerait pour lui, feraient à la fois l'herbe et le prisonnier plus vigoureux, plus heureux..."

Ce que le père Hubert me disait par la force de son intuition et de son expérience, c'est que cette relation entre un être végétal et un être humain est bien plus interactive que ce que la science d'aujourd'hui nous laisse entendre. Le père Hubert m'affirmait que la plante aimée grandit mieux. En retour de l'affection qu'on lui porte elle nous rend une forme de paix. Elle rééquilibre les rapports de douleurs et de joies.

Ce que le père Hubert me disait à propos des plantes serait donc, toutes proportions gardées, l'équivalent de ce que les pédiatres observent chez les enfants. Un bébé qui n'est pas aimé va souffrir de ce qu'on appelle "l'hospitalisme" dont les symptômes sont très précisément définis (les fameux balancements aux barreaux des lits, les retards staturo-pondéraux, etc.) À l'inverse, l'enfant baigné d'amour va acquérir des avantages mentaux et physiques nets.

J'ai pris cette croyance du père Hubert à mon compte et je suis devenu moi-même un de ceux qui professent que nous sous-estimons la richesse des échanges entre les hommes et le monde végétal. Mais je tiens à dire aussi que je n'ai pas attendu les leçons de l'ermite pour aimer les plantes. Avant de laisser la raison régulariser ma pensée, l'enfant que j'étais a toujours eu quelques végétaux parmi ses amis. J'ai ainsi quelques souvenirs précis de rencontres programmées dans mes loisirs d'enfants avec l'une ou l'autre plante. Il y avait des arbres bien sûr, mais aussi de simples plantes rampantes, des herbes!

Ces rencontres étaient extrêmement solennelles. Étrange d'ailleurs de devoir constater a posteriori que toutes ces rencontres devaient toujours avoir lieu en secret. Ces rencontres intimes avec mes amis du genre végétal devaient toujours se vivre dans la solitude et à l'insu de tous. En fait, ce sens du secret, qui était bien plus qu'une peur de paraître ridicule, ne m'a jamais quitté. Il est toujours requis dans mes relations sensuelles importantes...

Lorsque, plus vieux, je travaillais dans un mouroir de Thaïlande, j'avais encore quelques arbres parmi mes amis. L'un d'eux, un manguier avait une grande place dans mon coeur. Il aimait me consoler et me renforcir lorsque tout allait mal ou que je broyais du noir. J'allais donc régulièrement le voir là où il était, c'est-à-dire dans un endroit désert. J'arrêtais ma moto sur le bord du chemin et marchais lentement vers lui. Chaque pas me calmait un peu plus. Je me sentais toujours très bien dans sa sphère. Si j'entendais soudain qu'un véhicule s'était engagé sur le sentier et déboucherait bientôt de derrière un monticule en me livrant au regard d'un autre, je feignais devoir pisser ou revenir d'une plus longue ballade pour ne pas paraître jouir d'une relation indue ou folle aux yeux des gens normaux.

Plus récemment, à Chiangmai, j'eus une relation intéressante avec un arbre à pain. Cette relation avait ceci de singulier que j'avais l'impression que c'est l'arbre surtout qui m'appelait avec force. Il me demandait d'ailleurs bien plus que ce que j'étais en mesure de lui donner... Il était grand et beau. Il était d'un âge mûr, très bien feuillé. Sa stature forçait l'admiration. Il produisait de nombreux gros fruits comestibles qui n'intéressaient personne.

Cet arbre à pains était surtout extrêmement malmené par une femme que je détestais pour cette raison. Paresseuse entre toutes, elle brûlait des feuilles mortes à son pied deux fois par semaine, espérant ainsi le tuer à la longue. Cette femme était responsable de l'entretien d'un petit parc et l'arbre lui donnait effectivement beaucoup à faire. Il laissait tomber énormément de feuilles ainsi que ses grands fruits pourrissants puisque personne ne voulait les consommer (la consommation de ce fruit demande beaucoup de préparations). Le tronc léché par le feu avait déjà perdu le cinquième de sa chair lorsque j'ai rencontré cet arbre pour la première fois. J'avais beau demander à la dame d'en avoir pitié, j'avais beau la supplier de faire son feu bi-hebdomadaire ailleurs, elle continuait. J'enrageais et, surtout, je ressentais que cette plante souffrait. Des vers énormes attaquaient son bois affaibli. Je ne savais que faire. Je n'étais après tout qu'un étranger louant une maison proche...

Un jour, je me suis rendu compte qu'une plante forte germait dans le parterre de ma terrasse. Je la laissais vivre et grandir sans l'identifier jusqu'à ce qu'un Thaïlandais qui s'en étonnait me fasse remarquer l'improbable: c'était l'arbre blessé qui avait envoyé une racine jusqu'à ma terrasse pour y lancer un rejet puissant. Cet arbre qui certainement savait ma compassion, avait jugé bon de faire ce long déplacement sous la terre. Il pensait certainement qu'en envoyant son rejeton sous mon auspice, à cet endroit quelque peu insolite au regard des logiques botaniques, il aurait plus de chance d'être correctement traité.

Quelques semaines plus tard, un faible vent a suffi pour briser le gros tronc à cinquante centimètres du sol. Le géant s'est écroulé presque sans faire de bruit. C'est alors, en voyant les gros vers s'agiter dans sa chair déchiquetée, que j'ai pu mesurer toute l'ampleur de ce qu'avait été sa souffrance. Il ne restait en vie que quelques-uns de ces rejetons dont l'un avait été confié à mes soins.

La puissance des arbres semble liée à leur âge. Incontestablement les vieux arbres «donnent» beaucoup plus d'énergie apaisante que les jeunes. Mais il n'y a pas que l'âge qui importe. Les arbres sont eux-mêmes des 'collecteurs', des 'concentrateurs' de forces telluriques préexistantes là où ils ont accepté de grandir... Toutes les espèces ne se valent pas et tous les lieux ne se valent pas pour la même espèce.

Il faut revenir à mon ami manguier de tout à l'heure parce que cet arbre m'a dévoilé le caractère quasi objectif de cette aura apaisante que cette espèce est capable de produire.

Pour aller travailler au mouroir, je devais passer tous les jours par un grand champ de maïs, une plaine d'environ un kilomètre carré entourée de petites montagnes rocailleuses. Quelques manguiers magnifiques étaient disséminés çà et là... L'un d'eux dégageait un magnétisme particulièrement puissant qui me le fit aussitôt distinguer des autres. Comme je l'ai déjà dit, j'allais régulièrement m'apaiser contre lui avant ou après le travail. Bien entendu, je pensais être le seul à pouvoir jouir d'une telle complicité avec cet arbre. Quelle fut alors ma surprise de remarquer un matin qu'un Thaïlandais avait entouré son tronc d'une bande de tissus!

C'est une coutume dans ce pays que d'honorer les arbres particulièrement vieux ou particulièrement apaisants par un tel ruban. Tous les monastères ont dans leur enceinte l'un ou l'autre arbre ainsi ceinturé et je soupçonne même qu'on ne puisse construire un nouveau monastère que s'il pousse déjà un tel arbre dans la proximité immédiate car ces arbres semblent tous plus vieux que les monastères qui les hébergent.

J'étais presque choqué de savoir qu'un autre humain ressentait la même chose que moi auprès de ce manguier-là. Il y avait quelque chose de l'ordre de l'adultère. Mais qu'importe ma jalousie; j'aimais comprendre par ce bandeau que ce que je ressentais n'était pas purement subjectif. Si je me sentais bien auprès de cet arbre, ce n'était pas parce que dans mon cheminement, un jour de tristesse ou d'angoisse j'aurais par hasard trouvé du repos sous son ombrage. Ce n'était pas une coïncidence de ma vie qui générait sa valeur à mes yeux. J'avais été touché par une émanation lénifiante qu'un autre homme avait lui aussi ressentie.

L'affaire ne s'arrête pas là. Après quelques années d'heureuse complicité, il s'est fait que l'arbre fut abattu par des pauvres gueux pour en faire du charbon de bois. Pour le coup, lorsque je l'ai vu au sol, j'ai failli pleurer malgré la présence de ces pauvres en train de le démembrer. Ma tristesse a été énorme. Je me désolais de cette mort plus encore que de celle de mes patients qui eux au moins trouvaient dans le trépas un soulagement. Je me désolais aussi de comprendre que certains hommes, dont ces misérables charbonniers, étaient incapables d'entendre la voix des arbres par laquelle ils se seraient interdits au moins de couper celui-ci.

Mais ensuite, repassant par le même endroit, je me suis rendu compte qu'il y avait encore quelque chose de lui qui subsistait là où il avait vécu. Finalement, j'ai bien dû me rendre à une analyse plus logique: ce que cet arbre m'avait donné, il l'avait probablement lui-même puisé en partie dans la terre. Il concentrait par ses racines des fluides dont il n'était pas à lui seul la cause. Il y avait eut complicité de deux forces: celle de l'arbre et celle de la terre. L'arbre partit, le monde tellurique à lui seul, canalisé par les racines désoeuvrées était encore capable de m'interpeller.

J'en suis arrivé à une telle conclusion suite à une autre coïncidence tout à fait extraordinaire: un Allemand qui travaillait lui aussi comme volontaire au mouroir, devait prendre le même chemin que moi pour rentrer chez lui. C'était, il faut le dire, un volontaire particulièrement sensible, presque maladivement sensible. Un jour que je quittais le mouroir, je le vis seul et dans un état vaguement stuporeux à l'endroit précis où le manguier avait vécu.

- Mais qu'est-ce que tu fais là?

- Tu ne sens pas qu'on est bien ici, qu'on est terriblement bien ici? me répondit-il.

Je lui racontai alors l'histoire du manguier coupé et de ses racines sous nos pieds... Je lui expliquais que la terre les utilisait encore pour nous envoyer ces fluides bienfaisants qu'il n'était effectivement pas le seul à ressentir.

*

Toutes les espèces végétales n'ont pas la même puissance. C'est manifeste et cela me conduit à la dernière leçon de mon manguier. La leçon a été lue quelques années plus tard par la bouche de mon fils adoptif. Bountavie est à l'origine un enfant des tribus. Il connaît donc des réalités naturelles que l'on a oubliées dans les agitations de la modernité. J'étais avec lui à Chiangmai devant un vieil arbre que des Thaïlandais avaient honoré par un ruban de tissus couleur safran. Je lui parlais donc de cette tradition et lui demandais si dans sa tribu on honorait aussi des arbres. Il m'a dit que oui. Je n'ai pas vraiment compris si le respect que sa tribu accordait à ce genre d'arbre était ou n'était pas dû à une influence de la culture thaïs. Il est probable que Bountavie fut incapable de répondre à cette question d'ailleurs. Mais il m'expliqua que ces arbres puissants que l'on honore dans sa tribu ne sont jamais des arbres fruitiers. Il ajoutait alors qu'il y avait une exception notoire: les manguiers...

Bountavie m'a aussi parlé d'un autre fruitier, mais ce fruitier-là est tout à fait à part dans les respects qu'on lui accorde. Cet autre fruitier est honoré dans toute cette partie de l'Asie. Même les pauvres charbonniers ne le coupent jamais celui-là puisque le couper ce serait compromettre son propre karma. Il s'agit du 'ficus religiosum' , ce figuier sous lequel le Bouddha reçut son illumination.

Ce figuier est trop puissant! Pour les simples mortels, il est considéré comme préférable de ne jamais en avoir dans leur jardin. Il est dit que seuls les moines peuvent vivre dans sa proximité; l'arbre apporterait plutôt du malheur aux laïcs. Une maison qui toucherait ses racines n'est plus vendable en Thaïlande, et ce n'est pas à cause du risque que peut représenter ces grandes racines pour les fondations. Autrefois il n'y avait d'ailleurs pas de fondations aux maisons puisqu'elles étaient toutes bâties sur pilotis. Les fondations, c'est l'affaire des monastères justement, qui eux cherchent et vénèrent ces figuiers...

Le respect des vieux arbres en Thaïlande tourne parfois à la peur. Il est communément admis que les esprits des morts aiment se réfugier dans leurs branches. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les crématoires sont, comme les monastères, presque toujours construits dans leurs proximités. Lorsqu'une famille qui vit près d'un grand arbre subit quelques revers du destin, qu'elle endosse quelques grands malheurs, et souffre de mauvais rèves, elle juge parfois préférable de couper le grand arbre, malgré le respect qui lui est dû et les risques karmiques...

La science de ce qu'il faut faire ou ne pas faire avec ces géants de bois est très compliquée et je ne prétends évidemment pas la détenir...

Ces histoires de plantes magiques me conduisent tout naturellement au souvenir d'un centre de méditation au Sri Lanka où j'avais été initié au vipassana. On y mangeait strictement sous le mode végétarien bien entendu. La professeur de yoga qui gérait l'intendance avait essayé de nous expliquer que par-delà les arguments nutritifs traditionnellement utilisés par la médecine contemporaine, tous les fruits ne se valaient pas. Certains fruits, telle la papaye par exemple, sont «vides» nous disait-elle. D'autres, telle la mangue sont «pleins». Il fallait en tenir compte pour se constituer un régime végétarien équilibré.

 

Conscience des plantes.

Il est manifeste que la plante a une conscience d'elle-même et de son environnement qui est bien plus complexe que ce que nous en disons habituellement. C'est la lenteur des rythmes végétaux qui nous aveugle.

Certaines plantes élaborent des stratégies de déplacement sophistiquées (direction de la tige, croissance orientée de certaines racines par rapport à d'autres voire adaptation de la croissance à la volonté du jardinier...). Certaines plantes 'pensent' leurs réserves nutritives au regard de l'état du milieu d'accueil pour décider en conséquence de renoncer momentanément à produire des fruits, ...ou au contraire de produire beaucoup de fruits contre toute logique de disette, parce que l'environnement hostile ne laisse plus véritablement espérer une survie à moyen terme. Certaines plantes sont dépressives et se taisent, alors que d'autres crient leur joie de vivre dans un environnement qui semble pourtant parfaitement identique; par-delà l'espèce, elles ont des caractères individuels, des goûts personnels...

Il y a dans la plante comme une intégration mnésique du passé, une connaissance géométrique d'elle-même, une conscience du voisinage vivant et surtout, une connaissance globale de son unité par-delà le nombre de ses cellules. Ses innombrables cellules sont sous la gouvernance d'un 'quelque chose' qui intègre les positions relatives des diverses parties de son corps et peut très bien supporter -voire aimer!- des amputations massives sans y voir une atteinte à son identité globale. On est en face d'une gouvernance 'centralisée'.

La science à beau ne pas repérer de système nerveux dans son anatomie, la rose n'en a pas moins une conscience suffisante de sa propre globalité pour réorganiser l'activité de ses parties dans l'espace en fonction d'un bilan géométrique général. Tailler un rosier correctement, c'est bien plus l'adopter que le sculpter. Le bon jardinier sait utiliser habilement cette conscience qu'a le rosier de sa propre unité pour l'incliner à lui obéir mieux. Le bon jardinier sait que la plante se réserve toujours une part d'initiatives personnelles, un degré de désobéissance, une dose de mystère, un peu d'altérité...

Cette conscience de la distribution spatiale de son propre corps et cette interactivité avec son 'non-moi' est particulièrement spectaculaire chez les plantes grimpantes. C'est un véritable délice de contemplatif que de les observer lorsqu'elles hésitent et calculent encore leurs futures stratégies de déplacement vers d'autres êtres vivants.

Il faut se méfier des anthropomorphismes, mais il reste qu'il y a dans les réactions des plantes quelque chose qui ressemble à une intelligence relationnelle...

*

Tout cela serait sans importance éthique si nous n'étions, dans le même mouvement, invités à considérer que les plantes sont capables aussi de souffrir. Moi, je ens, je vis dans mon propre corps qu'une plante peut avoir mal et je m'en suis déjà expliqué.

Ce que je sens et vis me fait croire que les souffrances végétales ne ressemblent pas toujours à celles qui nous feraient souffrir nous. Couper une branche peut être un viol ou un acte d'amour. C'est une question de manières et une question de choix. On ne peut pas couper n'importe quelle branche ni la couper n'importe comment. Il y a dans le rapport à toute plante le germe d'un savoir neuf sur la gentillesse; la spiritualité ne peut pas en faire l'économie

 

La spiritualité.

Le christianisme ne parle pas beaucoup des plantes pour elles-mêmes. Il semble tacitement accepter que la sphère végétale doive à la sphère humaine une allégeance inconditionnelle, absolue... La plante, telle une esclave, doit nous obéir et il n'est que de notre caprice de décider de sa vie ou de sa mort.

De 'notre' caprice? 

«...Toute plante qui n’a pas été plantée par mon Père céleste sera déracinée...» (Mt15,13 Trad. NBS2002)

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Que ce soit le Père céleste ou notre caprice n'y change pas grand-chose; le discours évangélique est très dur pour le monde végétal, et cela me choque parfois.

«...Déjà la hache est prête à attaquer les arbres à la racine...» (Mt3,10 Trad. NBS2002)

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Les maltraitances infligées au monde végétal y sont le plus souvent consécutives à de vulgaires calculs utilitaires. Cette servilité ou non-servilité des plantes est un thème récurrent dans les métaphores de Jésus.

«...Tout arbre qui ne produit pas de beau fruit est coupé et jeté au feu...» (Mt7,19 Trad. NBS2002)

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Cette approche utilitariste est ipso facto impitoyable pour certaines 'espèces' (chardons, ivraies...) ou 'races' (sélection...) végétales:

«...C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. Cueille–t–on des raisins sur des épines, ou des figues sur des chardons? Tout bon arbre produit de beaux fruits, tandis que l’arbre malade produit de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits, ni un arbre malade produire de beaux fruits. Tout arbre qui ne produit pas de beau fruit est coupé et jeté au feu....» (Mt7,16-18 Trad. NBS2002)

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Le contrat entre l'homme et certaines espèces végétales oblige quelque peut l'homme: il devra travailler s'il veut récolter des fruits. L'homme ayant travaillé, il est attendu de la plante qu'elle en fasse de même! sinon? La hache et le feu... Pas de place ici pour les états d'âme. Pas de place pour la compassion, pas de prise en compte d'une quelconque souffrance. L'éthique n'est pas de mise; il n'y a qu'un vulgaire commerce d'intérêt avec des règles claires et nettes.

*

Les doux, les «New Age», les panthéistes se dressent au fond de la salle et crient que Jésus n'autorise certainement pas la cruauté vis-à-vis du monde végétal; les plantes que le Christ cite et maltraite dans les Evangiles le sont toujours dans le cadre de métaphores. Elles n'y jouent jamais leur propre rôle!

C'est souvent exact (pas toujours). Il n'empêche que ces métaphores n'ont de pertinence que si le public de Jésus et Jésus lui-même cautionnent tacitement un présupposé: la souffrance des plantes soit n'existe pas soit n'est pas à prendre en considération.

Un bon jardinier qui a lu les Evangiles se lève à son tour et crie à l'autre bout de la salle qu'on ne peut passer sous silence la métaphore du figuier stérile qui présuppose pitié et patience.

"- Dans ce texte, un propriétaire terrien impitoyable réclame la hache contre un figuier:

«...Alors il dit au vigneron: 'Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et je n’en trouve pas. Coupe–le donc: pourquoi occuperait–il la terre inutilement?'...» (Lc13,7 Trad. NBS2002)

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"Mais le vigneron qui a pitié ose répondre à son patron que de toute façon ce n'est pas lui qui coupera... Mais en plus il plaide un sursis:

«...Le vigneron lui répondit: 'Maître, laisse–le encore cette année, le temps que je creuse tout autour et que j’y mette du fumier. Peut–être produira–t–il du fruit à l’avenir; sinon, tu le couperas!'...» (Lc13,8-9 Trad. NBS2002)

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"Le vigneron s'engage donc à investir de son propre temps, de son propre travail, de sa propre énergie pour essayer de sauver l'arbre. C'est d'autant plus surprenant que ce n'est pas à un vigneron de s'occuper d'un figuier, et encore moins de le protéger lorsque l'on sait qu'un tel arbre pompe effectivement toute l'énergie du sol jusque très loin de son tronc à cause de ses racines énormes et agressives. Les vignes ne peuvent qu'en pâtir!"

Le jardinier a raison. Il est incontestable que dans cette parabole la plante n'est pas chosifiée dans une logique de comptables. Il y est question d'une affection entre un homme, le vigneron, et un être, le figuier, qui n'appartient pourtant ni à sa propre sphère ni même à la sphère animale. Mais, hélas, on est encore dans une métaphore; de la plante elle-même il n'est pas vraiment question.

«- Et le liseron?» ajoute alors le jardinier...

Ah oui! La parabole de la Providence! Là je m'incline! Contre celui qui ferait du 'Père céleste' un Dieu pragmatique et intransigeant, il y a effectivement, ce texte qui pour l'occasion parle bien de la plante pour elle-même. Et quel texte! L'un des plus poétiques, l'un des plus apaisants de la Bible! Dans cet Evangile la destinée du liseron a beau être le feu, et son statut hiérarchique a beau être clairement inférieur à celui de l'homme, Dieu l'aime assez pour l'habiller 'mieux que Salomon dans toute sa splendeur'. Mais surtout, dans ce texte, le liseron n'est pas le symbole d'autre chose; il est une simple plante qui se donne pour telle afin d'être comparée. N'y a-t-il pas dans l'inutilité de sa belle parure, dans cette délicatesse, le signe poétique d'une affection du Père céleste vis-à-vis des plantes? L'esprit de la lettre va dans ce sens et il faudrait de la mauvaise foi pour le nier.

Me laissant donc porter par cette légère brise plus positive (qui est si légère qu'elle ne semble pouvoir gonfler les voiles que des âmes compliquées -pour ne pas dire tordues- comme la mienne), je me suis rendu compte que les Evangiles parlent réellement du monde des plantes, mais ne le laisse pas s'exprimer. Et s'ils ne le laissent pas s'exprimer, c'est peut-être surtout à cause de notre incapacité de l'entendre, car Jésus, lui, parle aux arbres!

Dans les Evangiles, il y a comme les traces d'un mystère derrière le monde végétal. Ce pourrait n'être qu'une énigme qui n'est pas encore été résolue mais personnellement, je crois plus au mystère: l'essence de chaque plante déborderait donc toujours de ce que l'on en saurait.

La première plante qui intrigue dans le Nouveau Testament, c'est le figuier de Nathanaël :

«...Nathanaël lui dit: D’où me connais–tu? Jésus lui répondit: Avant que Philippe t’appelle, quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu. Nathanaël reprit: Rabbi, c’est toi qui es le Fils de Dieu, c’est toi qui es le roi d’Israël. Jésus lui répondit: Parce que je t’ai dit que je t’ai vu sous le figuier, tu crois? Tu verras des choses plus grandes encore!...» (Jn1,48-50 Trad. NBS2002)

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Je n'ai pas l'impression que Jésus ne cite l'arbre que pour localiser un événement. Il me semble qu'il le cite aussi parce que l'événement auquel ce passage fait allusion et qui n'est pas explicité est vaguement lié à ce figuier. Nathanaël et Jésus savent quelque chose que tous les autres -et en particuliers les évangélistes- ne semblent pas capables de percevoir. Stricto sensu, ce n'est qu'une vague impression il est vrai et je me laisse peut-être trop influencer dans cette lecture par mon environnement Bouddhiste qui, on le sait, fait du figuier un complice particulier du sage. Laissons donc là le figuier de Nathanaël. Et allons tout de go à l'autre figuier qui intrigue, celui que Jésus a desséché.

Il est difficilement contestable que cet arbre-ci soit cité pour lui-même et non pour servir une métaphore comme Matthieu essaye de nous le faire croire. Il suffit de lire attentivement Marc pour ne plus pouvoir se satisfaire de l'interprétation trop simpliste de Matthieu. L'épisode devient pour le coup pour le moins énigmatique.

Il y a eut quelque chose entre Jésus et ce figuier qui nous échappe et qui semble avoir échappé aussi bien aux témoins de l'évènement. Quelque chose d'important. Quelque chose qui fut terrible même puisque l'épisode se conclut par une véritable colère de Jésus suivie d'une mise à mort. Avec Jésus, on était habitué aux colères, mais cette mise à mort... Cette affaire trouvera peut-être une interprétation intéressante dans l'avenir mais aujourd'hui, ça cale! L'affaire a l'air plus complexe que ce que les facultés d'exégèse contemporaines autorisent.

Le figuier incriminé ne portait pas de fruit au moment où Jésus désirait justement en consommer. Jésus s'en approche. Les autres restent probablement un peu en retrait... À la suite de Matthieu, on aurait simplement envie de croire que c'est parce que ce figuier ne donnait pas de fruit que Jésus s'est fâché. L'issue théorique serait alors une ridicule consigne morale de supérette: pas de fruit signifierait non-respect d'un devoir et donc punition. La cognée et le tronc, on avait déjà entendu cela...

Un tel jugement, sans mise en contexte, sans instruction n'est pas vraiment dans le style de Jésus. N'oublions pas qu'on n'est pas dans une parabole mais dans une action de terrain dont la faim de Jésus lui-même fut la seule cause déclarée par les narrateurs. Cette mise à mort concrète va contre l'esprit général de l'Evangile. Jésus s'efforçait habituellement de promouvoir le pardon, l'amour inconditionnel. Il nous manque des données...

On peut résumer le paradoxe du figuier desséché de la manière suivante: l'herméneutique évangélique nous dit que Jésus est par excellence celui qui lie la faute morale à un choix, à une liberté sous-jacente. Or si on lit attentivement les deux versions de cet épisode, on remarque que Marc a une petite phrase assassine qui nous désarme totalement: le figuier n'avait pas de fruit parce que ce n'était pas la saison des figues! Le petit cours de morale que Matthieu construisait autour de l'événement pour essayer de récupérer la sauce serait caduque si Matthieu n'avait préalablement pris soin d'omettre de nous rapporter ce détail embarrassant.

Ce petit mensonge par omission est d'ailleurs à mon sens d'une importance décisive pour une tout autre raison: il est peut-être la preuve intra-scripturaire la plus puissante de la réalité historique de l'événement et par là-même de l'existence historique de Jésus. Si les Evangiles relataient une fable, ils n'encombreraient pas le texte d'une telle épine. Les historiens savent aujourd'hui qu'en général la difficulté de leur métier vient de ce que les rapporteurs de ces époques, qui sont animés par des motivations plus apologétiques qu'historiques, cachent ce genre de détails. Les historiens contemporains sont du coup en permanence à l'affût de ce genre de négligences de certains apologistes. Ces négligences sont en quelque sorte les garants d'une vérité historique qui déborde du texte lui-même, indépendante des goûts, de la volonté et de l'engagement du narrateur. Même une trace gravée dans la pierre ne peut valoir cette preuve-là aux yeux de l'intellectuel moderne puisqu'on grave aussi bien des purs mythes dans la pierre.

Pour contourner la difficulté, Luc et Jean qui n'écriront que beaucoup plus tard, tairont purement et simplement l'épisode. Mais l'évènement avait dû tant surprendre les contemporains de Jésus, à cause du coté spectaculaire du miracle et peut-être à cause aussi de son côté difficilement justifiable, que Mathieu et Marc n'ont pas voulu ou pas pu le passer sous silence à l'époque où ils écrivaient.

Une fois encore, comme avec l'affaire de Nathanaël, on sent bien qu'il nous manque une pièce dans le puzzle; l'épisode du figuier desséché n'est pas 'complet'. Il y a eut entre une plante et Jésus quelque chose de plus, qui n'appartient pas encore au domaine de notre entendement mais qui au moins personnalise une plante assez conséquemment pour l'obliger... On est devant la sentence de mort prononcée par Jésus dans une logique sinon 'éthique' au moins 'hygiénique'. In fine notre ignorance des motivations de Jésus et l'ampleur ponctuelle de sa colère nous invitent à considérer que le but n'est pas ici de nous dire que les plantes ne méritent pas le respect mais qu'au contraire elles appartiennent comme l'homme à un projet interactif de Dieu. Certaines d'entre elles existent d'une manière responsable aux yeux de Dieu et cela me suffit: les doux, la tendance 'New Age' et les bons jardiniers ont ici une porte grande ouverte pour spéculer.

Cette porte encore grande ouverte, ainsi que l'amour trans-espèces du Père dans la parabole de la Providence invitent le chrétien à être doux même vis-à-vis des plantes, qu'elles soient ou non capables de souffrir. Simultanément, l'ambiguïté des autres textes évangéliques sur ce sujet nous interdit la niaiserie: la douceur vis-à-vis des plantes est hiérarchiquement inférieure à l'utilité que nous pouvons en tirer. Dans le christianisme, il n'y a pas lieu de reconnaître à la plante la liberté des oiseaux dans le ciel.

*

Puisse l'âme des grands arbres nous pardonner les immenses déforestations. Et puisse le roseau pardonner à quelques soldats romains de l'avoir utilisé pour humilier le Christ. Puisse le bois nous pardonner l'iniquité de nos systèmes judiciaires... Regardons mieux. Soyons plus attentifs. Notre cruauté vis-à-vis des plantes entre aussi dans ces marécages-là. On est tous bourreau un jour ou l'autre sans le vouloir.

 

paul yves wery - Chiangmai - mai 2008

Version 1.02 - Chiangmai, mars 2011