Version 1.04 Bruxelles - Mars 2016 "L'intime contre le sacré" ou "Le sacré obsolète? "
Des millénaires furent nécessaires pour séparer les religions de la magie, les religions de la philosophie, les religions de la médecine, les religions de la science... Il fallait aussi que les religions prennent leurs distances par rapport aux cataclysmes, par rapport aux angoisses... La discrimination symbolique est encore à l'oeuvre. La spiritualité elle-même est en train de prendre ses distances par rapport aux religions! La maturité est un grand alambic qui n'a pas finit de purifier la spiritualité de toutes ses scories. Dans sa quête de la quintessence du spirituel, nous découvrons de nouvelles catégories dont les destinées peuvent être aussi misérables que lumineuses.
Certains mariages de catégories sont particulièrement rétifs à l'oeuvre de l'alambic. Ainsi la politique ou la morale qui collent décidément mieux qu'une peau à la chair du religieux. Mais le processus de dissociation est inéluctable et, en ce qui concerne la morale et la politique, le divorce est d'ailleurs déjà consommé dans les populations les plus instruites; l'homme mûr, croyant ou non, y fustige le zélote qui confond le parlement et le temple. L'homme mûr y boude le prêche du prêtre qui se mêle trop de ce qui ne le regarde plus... Une spiritualité toujours un peu plus autonome se dégage d'un magma primitif fait d'instincts et de pulsions égocentriques qui tiennent lieux de savoirs chez l'immature. L'angoisse de la mort, la peur de l'altérité et la soif d'ordre s'écartent progressivement de l'autel pour laisser place à de plus subtiles intimités.
Ce qui, dans ce grand mouvement de maturation, me semble très utile, c'est la désacralisation du spirituel (ou la sacralisation du profane, ce qui revient au même!) initiée par Jésus lui-même au sein du Judaïsme. De plus en plus, on se rend compte que le sacré nous handicape plus qu'il ne sert notre maturation spirituelle. Oui, le sacré est de plus en plus inadéquat pour traiter des affaires métaphysiques! Il faudra bien que nous nous rendions à l'évidence: le sacré n'est pas d'essence spirituelle! Il est, comme la peur ou le plaisir physique, radicalement anthropologique, psycho-dépendant, symptomatique... Tout comme la peur ou le plaisir physique, le sacré a tendance à mettre des filtres devant nos yeux et dans nos coeurs. Le sacré peut empoisonner notre lucidité en matière spirituelle comme la sexualité peut empoisonner notre lucidité dans les relations humaines. Le sacré est comme un écrin qui nous cache ce qu'un orfèvre antique aurait jugé préférable de cacher. Il faudra bien qu'un jour nous acceptions de desceller la pierre précieuse pour en voir d'autres facettes: l'autre visage de la spiritualité. En Occident, il y a déjà quelques siècles que le sacré ne protège plus Dieu mais nous protège de Dieu. Il faudra oser s'en passer parce que Jésus lui-même osait appeler Dieu «papa», et soumettre la loi révélée au diktat de nos consciences personnelles, et insulter, et donner des coups de fouet, et ironiser... Ce n'est pas tant le sacré qui fait l'étoffe de la spiritualité que sa faculté de glisser dans l'intime de l'intime. Et c'est très probablement là, au coeur de notre coeur que Celui qui nous appelons Dieu dans notre ordre symbolique aime que nous nous laissions toucher. Il n'y a dans cet espace rien d'intouchable, rien de pur, rien d'absolu, rien d'infini... mais de l'indicible qui se laisse palper même par des mains sales. Pas besoin de prêtre; nous sommes tous prêtre! Si, victime de vos propres pulsions sacralisantes, vous me dites que notre Dieu est immaculé, qu'il est parfait, qu'il est infini, qu'il est absolu, vous me dites aussi ce qu'Il n'a plus le droit d'être, selon vous. Vous l'emprisonnez dans le dualisme de votre langage, dans votre terreur de ce qui pourrait, justement, vous toucher à l'intime de votre intime et qui n'est évidemment pas fait que de vent transcendantal. Est-ce avec ce langage ampoulé depuis quelques siècles déjà que vous prétendez rendre compte du Dieu des chrétiens? Cessez donc de répéter inlassablement que votre Dieu est «parfait», qu'il est d'une «infinie» bonté, qu'il est «tout» puissant et «omniscient» ...alors que vous n'oseriez pas faire l'affront d'aimer votre meilleur ami d'un aussi pauvre amour. Le Dieu faible, le Dieu blessé, le Dieu impuissant sur la croix, est bien plus attachant, bien plus aimable et aimant... Ne parlez plus de salut... Jetez vos angoisses... Déshabillez-vous, déshabillez-vous, déshabillez-vous... Il est temps de passer à l'oeuvre! Il est temps d'aimer et de se laisser aimer sans bouclier...
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