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Version 1.03 - Novembre 2017

Commentaire de "Après la finitude"

Deuxième partie :

Le temps, la durée et le corrélationisme.

Abstract: La distinction entre le temps et la durée invalide le pseudo "paradoxe" de l'ancestralité dénoncé par Meillassoux...

 

Meillassoux essaye d'élargir les prétentions de notre savoir qui a été strictement délimité au «pour-nous» par Kant et sa postérité. Son raisonnement nous trouble et nous oblige à changer la position de notre caméra. Mais son argumentaire souffre d'une confusion entre le temps et la durée...

Je m'explique :

Meillassoux affirme que si l'on assume pleinement ce que le criticisme a introduit sur la scène philosophique, toute étude scientifique portant sur les événements qui précèdent ou qui suivent la présence de l'homme dans l'univers devient inconsistante. Le "big-bang", l’accrétion de la terre, l'apparition de la vie sur terre... de tout cela, le savant ne pourrait rien en dire qui vaille parce que, selon le criticisme, les sciences ne traitent pas des choses elles-mêmes, mais des relations que ces choses entretiennent avec les savants (d'où les mots "corrélation" & "corrélationisme" pour désigner ces philosophies). Si la relation est compromise par l'absence d'un de ses deux termes appariés, alors plus rien ne peut être dit qui soit une connaissance. Or l'accrétion de la terre ou la naissance de la vie sont des événements qui ont eu lieu avant l'apparition de l'homme, à une époque où il n'y avait pas la possibilité d'établir une quelconque relation "chose/savant", donc pas de relation, donc pas de connaissance, etc.

Cette supposée exclusion du champ de la science de tous les événements antérieurs ou postérieurs à la présence de l'homme, Meillassoux la refuse évidemment et il préfère renoncer au criticisme. Pour rendre au savant une légitimité en philosophie (ou, plutôt, pour rendre au philosophe une légitimité scientifique, car le savant n'a pas besoin de la légitimation du philosophe pour travailler alors que l'inverse n'est pas vrai!) il préfère donc mettre en péril la finitude kantienne qui a assez fait en massacrant la métaphysique... D'où le titre de son livre.

Pour le dire autrement: tout le monde comprendra que si je dis que tel camembert pue mais qu'il est savoureux, je ne parle que de moi, de mes goûts, ...et si je disparais, cette puanteur et cette saveur n'existent plus puisqu'elles caractérisent non pas le camembert mais la relation entre le camembert et moi.  Toujours selon Meillassoux, un philosophe critique rigoureux affirmera que toute chose dont une science parle, n'est que (ne peut être que) du même ordre, du même genre, que la puanteur ou de la saveur. Du camembert lui-même la science ne peut pas parler parce qu'elle n'a accès qu'à ce que l'homme est susceptible de percevoir dans ce que le camembert lui offre à percevoir (la fameuse "donation" des phénoménologues).

La supériorité du savant sur le commun des mortels, c'est qu'il est capable, lui, d'isoler dans tout ce qu'il perçoit de la donation, la formule que tous les savants pourraient écrire, quelques soient leurs positions et leurs goûts... C'est la question de l'objectivité qui va isoler le discours scientifique du commun des discours et lui donner la puissance que l'on sait...

Cette objectivité, selon Kant, le savant ne l'obtient qu'après avoir rigoureusement distillé ses perceptions dans l'alambic transcendantal : espace, temps, principe de non-contradiction, catégories (qui ne sont pas déduites, mais factuelle rappelle Meillassoux)... L'informaticien dirait ici que sans ce «formatage» transcendantal, l'objectivité s'évapore au profit de sensations subjectives inutilisables. Donc, toujours pour Kant et sa descendance intellectuelle, tout ce que la science nous dit a ce caractère objectif, mais cette objectivité n'efface pas l'inaccessibilité de ce que «le camembert» ne nous donne pas et de ce que notre perception est incapable de capter dans ce qu'il nous donne. Contre cette supposée finitude (contre Kant donc), Meillassoux oppose que le discours scientifique (entendons ici: la part «numérisable» de l'étude de la nature) parle aussi du camembert lui-même et pas uniquement de la relation que nous entretenons avec lui. En jargon philosophique, Meillassoux affirme contre l'avis de Kant que le savant accède à un «absolu» et que lorsqu'il parle de l'accrétion de la terre ou de l'apparition de la vie, il dit quelque chose d'une réalité qui ne dépend pas de notre relation à notre planète.

Contre Meillassoux, le philosophe critique répondra simplement que le criticisme bien compris accepte comme une connaissance, sans la moindre réserve, ce que le savant dit de l'accrétion de la terre ou la naissance de la vie sur terre. Ce qui le différencie de Meillassoux, c'est seulement son refus de dire que la science a accès à un absolu. Pour une philosophie critique, les plus belles affirmations scientifiques restent balisées par nos finitudes. L'accrétion de la terre peut être une succession d'événements décrits par la science mais n'est certainement pas une description des choses qui sont derrière ces événements (de la chose "en soi" dit le jargon). Le mystère de la chose, pour le philosophe critique, est maintenu par-delà ce qu'en dit la science. Il restera toujours dans la chose (l'accrétion de la terre, l'apparition de la vie, et toutes les  autres choses) un mystère irréductible à une simple énigme. Le criticisme revendique un accès à une véritable connaissance de l'accrétion sans pour autant revendiquer un quelconque absolu.

Dans cette querelle entre les criticistes et Meillassoux, il faudra comprendre en quoi Meillassoux se trompe ou ne se trompe pas sur la possibilité d'accéder à un absolu... Ce n'est pas le sujet de cette deuxième partie du commentaire. Par contre, il est relativement facile dès maintenant de montrer en quoi il s'est trompé en affirmant que le criticisme n'est pas en mesure d'assumer l'approche scientifique des événements antérieurs ou postérieurs à l'histoire de l'homme.

Dans son argumentaire, Meillassoux entretient une confusion entre le temps (singulier) et les durées (pluriel). Pour le dire d'une manière lapidaire, pour le scientifique la durée est au temps ce que la distance est à l'espace. L'espace ne se situe pas, il situe. De la même manière, le temps ne se situe pas, il situe. Pour un scientifique relativiste – mais on sait combien cette engagement est discutable et discuté hors de la sphère des physiciens ! – il n’y a même pas de raison solide pour séparer le temps de l'espace, ...ils parlent donc d'espace-temps, récipient des durées et des distances... qui peuvent s'exprimer en unités identiques (une année-lumière exprime une distance ou une durée? :-)

Un énoncé scientifique sur l'accrétion de la terre (Dieu sait combien il dépendant de l'astronomie et donc de la relativité!) donnera éventuellement une datation: elle a eu lieu il y a autant de milliards d'années... Entendez qu'il y a une durée d'autant de milliard d'années entre cette accrétion (1er événement) et le moment où je parle (2e événement).
Examinons maintenant l'observateur qui correspond au 2e événement. «Depuis quand cet observateur est-il dans le temps?» (entendez : «depuis quand est-il dans le sac qui réunit toutes les durées?») Depuis «toujours» évidemment... Depuis «toujours» et pour toute «l'éternité» il y a dans l'espace-temps ce que le savant appelle une «ligne d'univers» correspondant à l'observateur! (Cette «ligne d'univers» est dessinée dans le référentiel par la succession des points dont chacun correspond à un des événements qui fait l'observateur). En fait la question «Depuis quand cet observateur est-il dans le temps?» est absurde à la base: cette formulation mêle des étages d'appartenance qui sont irrémédiablement distincts en science. «Depuis quand?» demande une réponse en durée et est donc en aval du temps. Le temps n'est pas dans le sac des durées, il est le sac. Cela veut dire tout simplement que lorsque le temps «formate» l'affirmation scientifique, ou la pensée du philosophe, il fait que chaque événement dans l'univers comprend «déjà» toutes ses relations avec le passé et le futur.

Dans ces conditions, ce que Meillassoux appelle «le paradoxe de l'ancestralité» s'estompe. (Ce paradoxe devrait être traité par Meillassoux exactement comme il traite l'événement extrêmement éloigné dans l'espace au chapitre 1 page 37...). Pour un scientifique et pour un philosophe critique, le réel nous fait une «donation» qui est toujours faite d'une série d'événements déjà prisonnière d'un environnement spatio-temporel; chacun de ces événements naît avec dans ses bagages déjà toutes les distances et les durées qui le séparent des autres événements inclus dans le sac «espace-temps». (Il reste des chaudes controverses sur le statut du futur mais cela ne nous intéresse pas pour le moment.) La question de la finitude kantienne relève de ce qui n'est pas inclus dans le sac. «L'archifossile» de Meillassoux est dans le sac sinon déjà reconnu, au moins connaissable depuis toujours et pour toujours par le savant et le philosophe critique qui voudrait investiguer.

Pour un physicien relativiste, le passé et le futur ne sont que des catégories taxinomiques établies à partir de la notion de simultanéité qui, elle, relève du point de vue d'un référentiel arbitrairement choisit. Appelons ce point de référence 'r'. Pour 'r' les événements 'a' et 'b' ne sont simultanés que si 'r' se trouve exactement au milieu de la distance qui sépare 'a' et 'b'. Si 'r' est plus proche de 'a' que de 'b', alors, pour 'r', 'a' est antérieur à 'b' (car 'a' sera annoncé à 'r' comme existant  avant que 'b' ne vienne à son tour lui annoncer son existence...).

En physique relativiste, un objet (en ce inclues sa naissance et sa mort) est en quelque sorte «éternel», mais, par contre, dans ce sac de distances spatio-temporelles qu'est l'espace-temps, le «pouvoir d'interagir» qu'a tel objet sur telle autre objet est éventuellement encore en marche vers ce deuxième objet dont il serait encore trop loin. Pour le dire brutalement, l'interaction ne se transmet pas «instantanément» mais se propage à sa vitesse propre au sein de l'espace-temps... La simultanéité définie à partir de ces interactions, est un concept qui permet de séparer un avant et un après, donc un passé et un futur. Il n'y a pas de passé en soi ou de futur en soi... Il y a un passé personnalisé pour chaque observateur. Deux observateur situé en deux positions différentes ne classent pas nécessairement de la même manière l'événement 'a' dans les catégorie "passé/futur» puisque 'a' peut très bien ne pas encore "exister" pour le premier observateur (parce que trop distant) alors qu'il "existe" déjà pour le second et commence à interagir avec lui. (j'ai mis "existence" entre guillemets parce que l'ontologie scientifique n'est pas nécessairement celle qu'utilise le philosophe...)

 
La numérisation d'une position va évidemment varier selon le point de référence choisi, mais si l'on parle des distances spatiotemporelles, les règles qui lient coordonnées et distances sont bien répertoriées, formalisées et expérimentées par les physiciens (transformation de Lorenz et sa descendance dans les espaces courbes).


Pour éviter un grand malentendu qui pourrait avoir des conséquences intellectuelles désastreuses, précisons ici que ces quantités de mètres (ou de secondes, ou d'années-lumière... c'est selon l'unité choisie !) restent bien sûr immuables pour l'observateur s'il reste fidèle à son point de référence. Si je me choisi, moi, paul yves wery, comme référentiel, il va de soi que toutes les distances et les durées que je vais mesurer entre moi et d'autres choses sont des "absolus". Je veux dire ici que la durée et la longueur de mon jogging matinal sont des quantités fixes ; ce nombre de kilomètres qui a défilé sous mes pieds ne variera jamais (pour moi) ainsi que le nombre de minutes consacrées à cet exercice physique. Mais attention ! Cela ne préjuge en rien des quantités de kilomètres et de vieillissement qui seront mesurées à partir d'autres référentiels qui me regardent courir, ...et cela me conduit directement au paradoxe de mon frère jumeaux qui est partit il y a quarante ans pour faire un voyage intergalactique et qui est revenu hier soir sans une ride au front, sans un poil gris sur le crâne ...et qui m'affirme, avec sa montre à l’appui, dont il n'a pas dû changer la batterie, n'avoir été séparé de moi que pendant quelques mois. Il s'étonne donc de me retrouver si vieilli en si peu de jours. Ce paradoxe-là (parfaitement identifié sous le nom du «paradoxe de Langevin» par les savants), est peut-être un peu plus difficile à admettre par le sens commun. Il n'est pas utile de l'approfondir pour dissoudre le «paradoxes de l'ancestralité", mais je le cadre déjà parce qu'il sera certainement utile pour réfléchir sur la thèse de Meillassoux concernant l'accessibilité à un absolu. A suivre donc....

paul yves wery - Chiangmai - octobre 2017
version 1.02 -1.04 – Novembre 2017

 


 

    1. Premier commentaire de "Après la finitude" accessible en bas de page de la BD "Du Prozac et de l'Hélium"
    2. Deuxième commentaire accessible ici.
    3. Troisième commentaire accessible ici.
    4. Quatrième commentaire accessible ici.
    5. Cinquième commentaire accessible ici

 


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