L'EXPERIENCE SPIRITUELLE vs OCEANIQUE vs ESTHETIQUE... ET l'EXTASE. (+ Commentaire du "Mémorial" de Blaise Pascal) En ce qui me concerne – mais je ne suis très évidemment pas un saint - je ne peux PAS parler d'extase lorsque je reçois une expérience 'spirituelle'. Ce serait même – pour moi – ce qui fait la principale différence entre l'expérience du 'sublime' en art et l'expérience dite 'spirituelle' ('religieuse'). Si ces deux expériences peuvent conduire aux larmes de joie, elles restent distinctes. Jusqu'ici je ne pouvais expliquer la différence entre ces expériences que par la différence de ce qui les provoque et par la différence de leurs préoccupations. Il me semble aujourd'hui que les procédures mentales et les catégories mise en jeu par le sujet – en l’occurrence, moi – ne sont pourtant pas les mêmes. L'expérience spirituelle n'est pas extatique parce qu'elle laisse rigoureusement ma conscience dans le lieu des cartes géographiques et dans le temps des horloges, …et je n'arrive même pas à m'en distraire! Le temps surtout ne sort pas des préoccupations mentales même au plus fort de la crise! Je vis systématiquement au coeur de l'expérience spirituelle une forme de déception anticipée qui ne fait qu'accentuer l'importance que j'accorde à ce genre de crise: «....Cela ne durera pas longtemps,
hélas!...». Oui, il y a une forme particulière de tristesse au coeur des
expériences les plus intenses et les plus agréables de ma vie.
En cela cette expérience est véritablement et intégralement
'vivante': elle est consciemment inscrite dans la durée et pas
dans l'éternité. Je n'ai donc pas à parler d'extase. Au contraire, l'expérience du sublime sépare momentanément ma conscience de mon existence matérielle. Cette expérience a ceci en commun avec l'orgasme sexuel, de m'extraire mentalement de la durée, de me jeter hors des lieux. (Plus l'orgasme est de bonne qualité, plus il est hors de toute préoccupation spatiotemporelle, physique, charnelle…) La conscience du «moi» sort véritablement de mon corps et s'abîme dans une félicité indifférenciée où le 'je' ne s'oppose plus à un 'il' ou un 'tu'… Il y a bien un rapport de fusion mentale à une globalité qui m'inclus, un cosmos. Lorsque la conscience est plongée dans une expérience de ce type elle est plongée dans une forme d'éternité. Je peux parler d'extase. Dans l'expérience spirituelle, j'observe l'exaltation d'un 'je' par l'exaltation d'un 'tu', ce qui est juste l'inverse de la fusion. (Je n'ose pas parler du 'il' ; je ne suis même pas certain qu'un 'il' puisse exister dans la conscience dans ces moments-là! L'écrasante présence de l'Altérité avec un grand 'A', empêche la disponibilité mentale requise pour prendre en compte une tierce personne inhérente au 'il'…) Ce qui m'étonne sous cet éclairage neuf, c'est que j'assume
enfin verbalement ce que j'ai toujours ressenti sans pouvoir
ou sans oser le dire: l'expérience spirituelle est comme
marquée au fer rouge par une incomplétude qui est aussi son
aiguillon! La principale manifestation de cette incomplétude
est une angoisse temporelle: la crainte qu'Il parte, qu'Il ne
reste pas… Je compte les secondes qui me sont données… Le
Divin est devant moi, en moi, mais pas moi! Ce n'est pas du tout ce qui se passe pendant l'expérience du sublime en art. Lorsque je pleure d'émotion en écoutant une belle musique par exemple, le bonheur est extrême mais il n'y a pas 'l'autre', il n'y a qu'un 'moi' dont les limites semblent me fuir! Ce bonheur-là relève d'une intimité parfaite voire d'une confusion entre le 'moi' et le reste. Il y a bien extension de ma conscience. Pour dire le sublime, certains parlent d'un sentiment 'océanique', ce qui est encore plus suggestif de l'extase vécue par la conscience… Cette expérience 'extatique', il faut encore la distinguer de l'émotion très forte mais pas du tout extatique que chacun de nous a pu ressentir dans une salle de cinéma, lorsque le film est émouvant sans être particulièrement esthétisant. Je ne fais pas allusion ici à la vulgaire expérience d'empathie avec l'acteur dans un temps fort du scénario; je parle de ce remuement d'âme qui nous agite encore lorsqu'on quitte la salle de projection et qui est finalement, à bien y regarder, très égocentré. Cette dernière expérience, contrairement à l'expérience spirituelle ou au sentiment océanique, est une expérience plutôt 'critique': un effet de mise en perspective du 'moi' dont le champ se sature soudainement par ce 'moi'. Cette expérience-là, l'art la suscite bien plus souvent qu'il ne suscite l'expérience océanique (ou spirituelle). Elle n'a pas grand-chose à voir avec la question du beau et ne touche à la question de l'altérité que parce que c'est l'altérité qui dessine mes frontières (j'ai toujours besoin de connaître mes propres frontières pour mieux y rebondir vers moi-même). Ce qui sature alors ma conscience c'est le 'moi' et rien que le 'moi', inscrit dans le temps et l'espace. Je suis bel et bien dans une introspection enflammée, passionnée, aiguë et en excès de vitesse… Dans ces instants-là, l'altérité pourrait bien disparaître que je ne m'en porterait pas plus mal. On n'est ni dans un sentiment océanique ni dans la Présence de l'Autre. L'oeuvre cinématographique (ou, d'une manière plus générale, l'oeuvre qui mise plus sur la narration que sur la forme) peut aussi bien susciter l'expérience océanique que la crise introspective (voire même l'expérience spirituelle), mais je ne peux plus confondre les catégories mise en jeu! Il y a d'ailleurs dans cette inflation ou dissolution du 'moi' dans la conscience du spectateur la clé de la différence entre le roman sentimental et la poésie. Cette distinction n'est pas toujours facile à faire parce que ces expériences ne sont pas toujours très intenses, or, en régime de basse intensité, le sentiment du sublime (comme l'orgasme d'ailleurs) n'exclu pas encore totalement la question du 'je' (c'est peut-être même le contraire qui se passe!). *Blaise Pascal* De toutes ces 'crises', il me semble évident que c'est
l'expérience spirituelle qui est la plus puissante et donc
c'est elle qui est la plus susceptible de transformer une vie
aux racines. L'Histoire en donne mains exemples. L'expérience
spirituelle serait même, selon mon point de vue, la plus forte
expérience qu'un homme puisse subir …après celle de la
souffrance extrême bien entendu! Je ne sais pas si toutes les
expériences que l'on dit 'mystiques' correspondent à ce que
j'appelle ici une expérience 'spirituelle'. J'ai envie de
croire au contraire que certaines sont extatiques et à ce
titre sont plutôt de l'ordre de l'orgastique, de l'océanique
voire même de l'épileptique.
paul yves wery Sarapie - Août 2011 Version 1.2 - Août 2020
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