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(Dernière révision: février 2016)

 

Le procès de Salomon

Abstract: La justice biblique s'oppose nettement aux nouvelles tendences de l'éthique contemporaine. En justice, la gentillesse prévaut sur la transparence et la vérité scientifique.

Il y a dans la Bible, au livre des rois (1Roi3;16-28), une histoire judiciaire édifiante:

Deux prostituées vivent sous un même toit. Chacune a un bébé. Un des deux bébés meurt pendant la nuit. Chacune revendique la maternité du bébé qui vit encore. On n'arrive pas à les calmer. On amène donc les deux mères devant le roi Salomon pour qu'il juge de l'affaire.

Salomon demande qu'on lui amène le bébé et une épée. Il va couper l'enfant en deux, pour en donner une moitié à l'une et la deuxième à l'autre.

C'est à ce moment-là qu'une des deux femme change d'attitude: elle demande au roi de ne pas couper l'enfant et de le donner vivant à la partie adverse.

Le roi décide alors de donner le bébé à cette femme qui refuse qu'on le découpe.

«C'est elle qui est la mère...», dit le roi, auquel, du coup, le narrateur feint de porter crédit. Mais qu'en sait-il en fait? Rien! Il ne sait qu'une chose avec certitude: la femme qui refuse qu'on coupe l'enfant en deux l'aime plus que l'autre femme.

Je construirais moi, sans la moindre difficulté, un contexte qui laisserait à penser que cette prostituée-là n'est pas la mère biologique. ce serait même psychologiquement beaucoup plus cohérent.

Dans ce passage, la 'petite tête' dira que le roi a trouvé le truc pour connaître la vérité. Mais le sage, l'humble et le philosophe comprendront que le roi ne se préoccupe pas tant de la vérité génétique que de celle du coeur, à laquelle il subordonne tout le reste.

Il y a, qu'on le veuille ou non, tout un choix de société derrière ce jugement: celui qui donne à la gentillesse la priorité sur la vérité historique ou légale. Même s'il l'avait pu, Salomon n'aurait pas demandé une analyse génétique pour résoudre ce conflit. Son système de valeur ne le demande pas dans cette occurrence. Salomon, suivant en cela tout ce que le génie de sa culture tente d'insuffler au niveau de la morale, propose que la gentillesse soit la loi de la loi, la loi au dessus de la loi, l'esprit de la loi, le fondement de la conscience. Rien de moins!

Mille ans plus tard, dans le même vent culturel, Jésus à son tour essaiera de faire prévaloir une conscience morale dirigée par la gentillesse (et au dessus de la loi qu'Il ne cherchera d'ailleurs pas à modifier. Il mourra pour avoir, entre autres choses, trop agacé les légistes par de telles idées...).

Il aura fallu encore au moins mille ans de plus pour que le judéo-christianisme fasse de la gentillesse l'impératif dominant des consciences de tout l'Occident.

Mais trois mille ans après Salomon, la gentillesse perd du terrain.

 

*

L'Occident hésite encore mais le ton est donné par la voix de l'Amérique du Nord. La 'petite tête matérialiste' exige l'analyse génétique! La réalité du coeur l'intéresse moins que la preuve ou le doute. Serait-ce par immaturité ou par paresse intellectuelle? Hélas, je crains que, parfois, la cause soit plus profonde: l'impératif dominant de la conscience de l'Occident est en train de changer: la gentillesse cède sa place à la loyauté.

Cette lente mutation de l'Occident s'observe depuis longtemps dans tous les secteurs d'activité du genre étasunien. Les jeunes y sont bien plus honteux d'être surpris en flagrant délit de mensonge qu'en flagrant délit de cruauté, alors que c'est encore l'inverse dans tout le reste de la chrétienté. Ailleurs, les sociétés musulmanes, bouddhistes et hindouistes ne sont pas fondées sur la gentillesse et la compassion, j'en conviens, mais jamais, et pour causes, la loyauté n'y est promue comme le principe suprême du fonctionnement de la conscience morale!

En Occident: l'hypocrisie devient progressivement le pire des péchés. Que cette hypocrisie soit ou ne soit pas au service d'un délicat compromis n'intéresse plus personne.

Ailleurs: on dit et on ne fait pas, on fait et on ne dit pas, ...et eux seuls semblent toujours connaître les règles des jeux interdits, où il n'est même plus question de paraître mais bien de sembler paraître!

En Occident: «Qu'au moins il ait le courage de son vice!»

Et ailleurs: «S'il a un vice, qu'au moins il le cache!»

L'Occident dit aux sages d'ici et d'ailleurs: «La vérité, toute la vérité, rien que la vérité.»

En choeur, tous les sages de l'univers répliquent: «La vérité? Quelle vérité?»

La mesure de notre vérité est celle de notre savoir. Ce qu'on ignore encore peut tout changer. Ceux qui ont un peu d'étoffe savent que le pire de tout, c'est d'ignorer que l'on ignore. Par ce déni, tout, même le sublime, sous certaines perspectives peut sembler un vice. Par manque de modestie, l'occident court à son malheur. Que la loyauté et son enfant chéri, la transparence, soient des lois morales bien sûr, ...mais rien d'autre que des lois morales que la conscience morale surveille et garde sous sa plus haute autorité! Il est en effet des principes plus fondamentaux que la loyauté dont le respect, parfois, autorise ou exige le secret.

N'importe quel impératif pour nos consciences mais pas la loyauté. La charité mal comprise peut faire mal, mais la transparence c'est pire encore. La charité vous fatigue n'est-ce pas? C'est vrai... Et elle ne donne pas toujours de la joie lorsqu'on la pratique... Alors prenez la bonne vieille paix de l'Orient, voire l'ordre de l'Islam, mais surtout pas cette transparence qui expose à la vindicte des 'petites têtes' ceux qui doivent manoeuvrer dans des contextes qui dépassent les possibilités d'entendement de ces 'petites têtes'.

Il est peut-être déjà trop tard. Des sociétés initialement démocratiques sont déjà devenues celles qui enferment le plus. Sur la terre, bientôt plus que cette 'petite tête' suffisamment clonée pour former une majorité! Pour les autres, les fers! La 'petite tête' ne doit surtout pas s'inquiéter. La 'petite tête' doit se reposer. Pierre par pierre, la gentillesse est dépecée pour nourrir le feu de ceux qui lapident. La démocratie, ainsi sapée en l'une de ses principales prémisses, devient la dictature de la norme. Le journaliste de caniveau (non pas l'informateur mais le porte-parole de la 'petite tête') façonne à la fois l'information, l'instruction, la loi et la sentence: «L'élite et ses raisonnements incompréhensibles doit tomber, et la diversité des êtres, et les compromis de cohabitation... Le seul compromis acceptable, c'est la prison! Le comité citoyen est en état d'alerte. La sécurité d'abord! La marginalité ne passera pas! Allumez les caméras de surveillance! Gros plan sur le geste discret! Gros plan sur le geste intime! »

L'entropie jouit. D'ici peu, elle n'aura plus qu'à trouver l'arme contre une seule 'petite tête' pour pouvoir effacer toute l'humanité!

Je n'accorde qu'à l'artiste le droit, le devoir, de la loyauté par-dessus tout, par-dessus la gentillesse. Oui! L'artiste a le droit d'être méchant. Le monde a besoin de ses pamphlets, de ses satires, de ses fables ironiques, de son humour caustique, de son cynisme, de son incohérence même. C'est une question d'hygiène. Mais, pour la savonnée, je paie ce bouffon: je lui donne, en prix de son suicide social, l'immunité de l'art. C'est vital: il ne fait pas que laver, il féconde! L'artiste est le ferment du futur.

 

Dans le même ordre d'idées, lire aussi l'article sur "la maturité morale"

 

 

 

paul yves wery - Lopburi - 2001

Version 1.02 - Février 2016