La crucifixion
Jusqu'au XIXe siècle le monde chrétien a oublié presque tout du supplice de la crucifixion. Ce supplice très couramment pratiqué auparavant en a été banni en hommage à Jésus. C'est étrangement le suaire de Turin qui au XXème siècle suscita les études les plus pointues sur la question. C'est que, même si le crucifié qui a imprimé l'image de son corps sur ce linge n'est pas nécessairement Jésus, c'est tout de même un vrai crucifié. Il n'y a toujours pas de consensus total sur quelques questions que posent le supplice de la crucifixion en général et la crucifixion de Jésus en particulier: Comment crucifiait-on? Quelle est la cause décisive de la mort sur une croix? Pourquoi Jésus est-il mort aussi rapidement? Quelles était la nature exacte des douleurs sur la croix? Les médecins savent que la vie est la résultante de cent mille équilibres délicats; trop de potassium dans le sang tue, trop peu aussi. Trop d'acidité tue, trop peu tue aussi. Trop de sang tue, trop peu aussi, etc. Il est raisonnable de penser que les supplices mettent à mal beaucoup de ces équilibres naturels. La mort d'un crucifié (et la mort relativement 'rapide' de Jésus a de multiples causes et l'on ne liquidera pas cette questions par un argument médical unique.
Du côté des historiens, le problème est quasi le même; ce n'est pas parce que le suaire nous dit une chose, que tel évangile nous dit autre chose, que telle découverte archéologique nous dit une troisième qu'il y a nécessairement contradictions. Si Jésus, comme nous l'a transmis une certaine tradition fut exécuté d'une certaine manière, cela n'exclu pas que d'autres crucifiés furent maltraités autrement, ne furent pas cloués, furent cloués dans d'autres position, eurent les os brisés par les clous, furent cloués sur un pieux, sur un T, sur un mur ou sur une croix, reçurent un point d'appuis entre les cuisses ou sous les pieds, que cet éventuel point d'appuis fut suffisant pour relaxer les bras et la cage thoracique ou qu'il ne le fut pas... On ne peut même pas exclure que certaines crucifixions ne furent qu'une variante du pilori où les pieds furent en appuis sur le sol, pas nécessairement cloués donc. Le crucifié mourrait alors après de très longues durées d'exposition et la soif n'en serait pas la moindre cause. Etc. La cruauté des hommes est grande et la marge de manouvre du bourreau c'est autant son imagination que l'incomplétude de la loi lorsqu'elle existe.
J'imagine que Jésus, déjà très affaiblis par les mauvais traitements des gardiens et des soldats, fut cloué et suspendue par les bras pendant une durée suffisante pour souffrir sinon de crampes au moins de faiblesses fonctionnelles de la cage thoracique qui l'empêchèrent d'expirer correctement. Il ne pouvait probablement continuer de respirer qu'en détendant la suspension. Pour ce faire, il devait prendre appuis sur ses pieds. À cause du clou, cet appuis était tellement douloureux qu'il cessait aussitôt de pousser sur ses pieds pour retomber en attitude passive de suspension qui faisait renaître les conditions d'étouffement. Le mouvement de bascule entre ces deux positions aussi inconvenantes l'une que l'autre a permis à Jésus de survivre jusqu'à ce que, épuisé, il ne puisse plus demander à ses jambes de le redresser encore pour exhaler l'air inspiré. S'il y eut une dernière phrase, un dernier cri comme le suggèrent les évangiles ce fut les jambes tendues qu'il nous donna ce dernier témoignage. Puis il est tombé pour mourir la cage thoracique en extension et les jambes fléchies. Selon cette approche du supplice de la crucifixion, le bourreau avait le moyen de plus ou moins prédéterminer la durée de la survie sur la croix de sa victime au moment de clouer les pieds: si les jambes sont peu fléchies lorsque les pieds sont cloués, il suffit d'un moindre effort musculaire pour détendre la suspension aux bras, le condamné sera moins vite épuisé et son supplice n'en sera que d'autant plus long. Il pouvait durer plusieurs jours.
Pour précipiter la mort, le bourreau n'avait qu'à donner un coup de masse sur les rotules; le condamné devenait ainsi incapable de retendre ses jambes. S'il n'avait pas de point d'appuis entre les cuisses, il mourait étouffé dans les minutes suivantes (briser les tibias est beaucoup, beaucoup, beaucoup plus compliqué à faire sur un homme en suspension et totalement superflu au regard de l'objectif).
Il reste enfin une dernière hypothèse qui a été aussi évoquée pour expliquer cette rapidité du trépas: l'arythmie (fibrillation). Ma foi, c'est toujours de cela qu'on finit par mourir... Les causes de l'arythmie finale abondent et se renforcent l'une l'autre par les déséquilibres vitaux déjà décris. * Si je me suis bien expliqué, mon lecteur aura compris que ce ne sont pas les plaies causées par les clous qui tuent le condamné. Cela signifie qu'il y a moyen de «sauver» un crucifié jusqu'à la dernière minute qui précède sa mort. Il suffit de le décrocher pour que cessent ses tourments respiratoires. Certes, il gardera irrémédiablement un handicap pour la marche et l'usage de ses mains (le nerf médian ayant par exemple été abîmé ou coupé d'une manière irréversible). Mais si les plaies ne s'infectent pas il pourra survivre quasi normalement. C'est une des raisons pour lesquelles il est convenu que des soldats surveillent les croix jusqu'à ce que la mort soit bien confirmée. Il s'agit d'éviter jusqu'à la dernière minute que des complices viennent décrocher le condamné. Cette dépense logistique seule peut expliquer pourquoi les larrons furent crucifiés dans le même mouvement.
Utilisons cette évidente contrainte logistique (confirmée par les textes Evangéliques) pour comprendre quelque chose d'autre que l'histoire chrétienne a peut-être indûment négligé. Si réellement Jean, comme il nous le dit, a été présent au pied de la croix, alors il n'était encore qu'un jeune enfant lorsqu'il a connu Jésus. Il aurait eut seize ans au moment de la Passion que les soldats se seraient bien gardé de lui accorder cette faveur. Par contre, dans cette société agraire patriarcale, un gamin et quelques femmes en larmes ne sont évidement pas susceptibles de prendre les soldats de court. Les autres observateurs n'ont qu'à le regarder «..de loin...» On ne s'étonne plus alors de l'apparente contradiction entre les synoptiques (dont les auteurs n'étaient probablement pas présents lors des événements qu'ils racontent) et l'Evangile de Jean à propos de la distance entre les spectateurs et les suppliciés « 55 Il y avait là plusieurs femmes qui regardaient à distance ; elles avaient suivi Jésus depuis les jours de Galilée en le servant ;56 parmi elles se trouvaient Marie de Magdala, Marie la mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée.» (Mt27 TOB) « 40 Il y avait aussi des femmes qui regardaient à distance, et parmi elles Marie de Magdala, Marie, la mère de Jacques le Petit et de José, et Salomé, 41 qui le suivaient et le servaient quand il était en Galilée, et plusieurs autres qui étaient montées avec lui à Jérusalem.» ( Mc15 TOB) « 49 Tous ses familiers se tenaient à distance, ainsi que les femmes qui le suivaient depuis la Galilée et qui regardaient.» ( Lc23 TOB ) ...contre. « 25 Près de la croix de Jésus se tenaient debout sa mère, la sour de sa mère, Marie, femme de Clopas et Marie de Magdala. 26 Voyant ainsi sa mère et près d'elle le disciple qu'il aimait, Jésus dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » 27 Il dit ensuite au disciple : « Voici ta mère. » Et depuis cette heure-là, le disciple la prit chez lui.» (Jn19, TOB) Cette grande jeunesse de Jean -qu'un faisceau d'arguments cautionne par ailleurs- permet de résoudre d'autres questions historiques suscitées par les contenus parfois contradictoires des quatre Evangiles. Dans le cadre de la Passion, c'est exactement la même raison qui permit à Jean d'être présent lors de l'instruction chez les Juifs alors que Pierre y a mis sa vie en péril. On ne peut quand même plus se contenter aujourd'hui de simplifications outrancières qui feraient de Pierre un simple lâche là ou Jean aurait osé être tellement plus.
paul yves wery - Chiangmai - Juillet 2008 Version 1.02 - Chiangmai - Février 2011
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