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Brève histoire de la doctrine du "péché de chair" et de la chasteté dans le catholicisme.

À en croire les historiens, les sectes qui n'aimaient pas du tout la sexualité foisonnaient dans le Haut Empire et le Bas Moyen-Age. Quelques fondateurs du christianisme, et pas les moindres (Paul, Origène, Antoine, Augustin, etc.), étaient de cette mouvance. Au bas mot, ils ne toléraient le sexe que dans le cadre de la procréation. Clément d'Alexandrie (martyrisé vers l'an 220), a eut le mérite semble-t-il d'être l'un des premiers à formuler explicitement et clairement ce principe que l'on a donc appelé "Règle d'Alexandrie". Ce fut relativement vite une tendance théorique dominante. Pour ceux qui en douteraient, rappelons qu'il fallut attendre le 4e concile de Latran (1215) pour que la curie romaine ouvre officiellement les portes du paradis aux couples mariés. Ceci présuppose au moins que jusqu'en 1215, cette question fut jugée discutable par certains. C'est dire que la théorie de la chasteté qui reconnaîtrait dans la sexualité la possibilité d'avoir une influence utile pour la croissance spirituelle n'était pas vraiment à l'ordre du jour.

Progressivement c'est donc mis en place le concept de 'péché de chair' qui voyait dans le plaisir sexuel en soi un péché. La doctrine dominante de la chasteté autorisera l'époux à pénétrer sa femme pour la féconder pourvu que ce fut sans recherche de plaisir. De cette tendance, qui fut maîtresse pendant quelques siècles, on retrouve des traces par exemple dans les pénitentiaires (manuel de formation des confesseurs) où sont énumérées les pénitences qu'il convenait d'imposer aux maris qui auraient eu l'outrecuidance de prendre durant leurs ébats avec leur épouse des poses scabreuses voire des pratiques non fécondantes.

Ce point de vue n'était pas partagé par tous les chrétiens bien entendus. L'historien Boswell, spécialisé dans l'étude du Haut Empire, a compilé d'étonnants témoignages à ce propos. Le médiéviste Flandrin a même pu repérer dans le monde très prude des clercs quelques astucieux théologiens qui purent atténuer la rigueur dominante en donnant crédit à une rumeur populaire qui voulait que les meilleurs enfants naissaient des actes fécondants les plus jouissifs. Une tolérance Divine plus grande a donc pu s'imaginer en quelques temps et quelques lieux pour la joie des couples voluptueux!

Il y a toujours un monde entre la théologie de la curie et celle de la rue. De fait, en pratique, ce n'est qu'à partir de la fin du moyen-âge que la règle d'Alexandrie est vraiment devenue une obsession dans la morale des Catholiques. Pour s'en convaincre, Je ne peux que recommander la lecture de Boswell et de Flandrin, mais aussi celle de Delumeaux, d'Aries...

On sait que la fin du 19e et le début du 20e fut l'âge d'or de la pudibonderie bourgeoise à laquelle s'est asservie bien volontiers la catholicité évidemment (mais elle ne fut pas la seule; même le monde médical y mit son grain de sel qui étaya quelques thèses étranges sur les méfaits du plaisir sexuel et les manières de les traiter! Cf. le traitement chirurgical de la masturbation par exemple...). Les conséquences parfois inhumaines de cet extrémisme furent peut-être le principal moteur de la mutation symbolique qui a vraiment pris son envol dans les masses occidentales après la deuxième guerre mondiale et dont l'invention (et l'accessibilité) de la contraception moderne est devenue la consécration dans les «golden sixties». La sacro-sainte union sacrée entre la fécondité et la sexualité a été définitivement rompue par encore d'autres prouesses médicales...

La dernière mutation symbolique en la matière est donc relativement récente.

Depuis lors, dans la rue, même si ce n'est pas toujours explicité, la virginité par exemple suscite plus de la méfiance que de l'admiration. Plus personne ne confond l'abstinence et la vertu. L'abstinence peut encore être vertueuse, bien sûr, mais à condition qu'elle soit le fruit d'une volonté très particulière et non une fuite de tout ce que la sexualité a d'angoissant. Pour n'importe quel collégien d'aujourd'hui, l'abstinence d'un moine sera beaucoup plus crédibilisée s'il peut faire valoir qu'il n'est plus niais et le must serait qu'il puisse même faire état d'une solide expérience passée en la matière. L'anthropologie moderne (la psychologie surtout) a su renverser un système de valeurs qui était devenu presque instinctif à force de siècles. Depuis Freud, l'Occidental moyen n'est plus aussi dupe qu'avant de tout ce qu'il peut y avoir d'anxieux et de faibles aux fondements d'une théorie du "péché de chair". (On peut trouver de beaux témoignages de cette prise de conscience dans la litérature du 20e siècle... Lire par exemple la confession de Mr Pétichon dans "L'imposture" de Bernanos). C'est sans dire que les effets positifs du plaisir sexuel se sont aussi laissés théoriser...

La valeur positive du plaisir sexuel dans la maturation de la personne va progressivement venir à l'ordre du jour même chez les activistes catholiques. Au milieu du XXe siècle les forces en présence dans la sphère chrétienne d'Occident commencent à s'inverser. Même aux plus hautes strates de la curie romaine, le «Principe d'Alexandrie» n'est plus cité que sous la contrainte, du bout des lèvres et avec d'énorme précautions oratoires. Bien avant la révolution contraceptive le besoin se faisait sentir d'une approche de la chasteté plus sophistiquée.

Quelques grands penseurs chrétiens osent déjà dire tout haut ce que d'autres pensent tout bas et qui révolutionnera la vision de la chasteté. Les prémisses du concile VaticanII fermentait en Hollande, en Belgique, en Allemagne...

En gros, la doctrine de la chasteté d'avant le père Teilhard de Chardin avait déjà fini par admettre qu'il y a dans la sexualité, en plus de la fonction procréatrice, une valeur d'épanouissement du couple, mais c'était encore accessoirement, comme par accident. Faut-il rendre au père Teilhard le mérite de la première inversion de cette hiérarchie dans la sphère catholique? Je ne suis pas assez érudit pour répondre mais qu'importe, un pavé a été jeté dans la marre par cette grosse pointure du monde chrétien, quelques années avant l'apparition de la pilule contraceptive.

« ...Que la sexualité ait eu d'abord comme fonction dominante d'assurer la conservation de l'espèce, ceci n'est pas douteux, -aussi longtemps que n'était point arrivé à s'établir en l'Homme l'état de personnalité. Mais, dès l'instant critique de l'Hominisation, un autre rôle, plus essentiel, s'est trouvé dévolu à l'amour, -rôle dont il semble que nous commencions seulement à sentir l'importance: je veux dire la synthèse nécessaire des deux principes masculin et féminin dans l'édification de la personnalité humaine. Aucun moraliste ni aucun psychologue n'ont jamais douté que les deux conjoints ne trouvassent une complétion mutuelle dans le jeu de leur fonction reproductrice. Mais cet achèvement n'était jamais regardé jusqu'ici que comme un effet secondaire, accessoirement lié au phénomène principal de la génération. Autour de nous, si je ne me trompe, l'importance des facteurs tient, conformément aux lois de l'Univers personnel, à se renverser. L'homme et la femme pour l'enfant, -encore et pour longtemps, tant que la vie terrestre ne sera pas arrivée à maturité. Mais l'homme et la femme l'un pour l'autre, de plus en plus, et pour jamais. (...)»

Il va fort le père Teilhard puisqu'il ose même ajouter comme pour excuser la jeunesse incontinente de son temps:

« ...La part largement faite aux phénomènes de régression morale et de licence, il semble bien que la «liberté» actuelle des moeurs ait sa véritable cause dans la recherche d'une forme d'union plus riche et plus spiritualisante que celle qui se limite aux horizons d'un berceau. C'est là un symptôme, que nous interpréterons ainsi:

Il flotte, au sein de la masse humaine, représenté par les forces d'amour, un certain pouvoir de développement qui surpasse infiniment ce qu'absorbent les soins nécessaires à la propagation de l'espèce.»

Cette nouvelle avancée ne sera pas assumée totalement par la curie Romaine qui d'ailleurs va mettre le père Teilhard à l'index (mais déjà à cette époque, mettre un théologien à l'index, c'était le sortir de l'anonymat et propager sa théorie... On devrait oser se poser des questions sur les motivations réelles de cette mise à l'index.).

(La pensée de Teilhard de Chardin et la Chasteté - analyse des textes)

Très peu de temps après, le concile VaticanII va officiellement réhabiliter la sexualité ("Gaudium et spes" § 49 et 50). L'affaire est entendue; le plaisir sexuel n'est plus mauvais 'en soi'. Le 'péché de chair' a été! (Je veux dire ici qu'il a perdu sa spécificité pour être quasi ravalé au rang du péché de gourmandise par exemple.)

À la curie, on refuse encore de dissocier officiellement la fécondité de la sexualité. La rumeur dit que le pape PaulVI eut des nuits difficiles avant la publication de son 'Humanae Vitae'; il souffrait certainement de sentir à quel point cette association de la sexualité de la fécondité devenait spécieuse dans le champ éthique ...mais il devait prendre en considération d'autres réalités sociales des tiers-mondes d'alors! (Ce sujet a été étudié dans l'article sur la contraception)

En pratique, la nouvelle approche de la chasteté (au moins au sein des communautés chrétiennes cultivées d'Occident) ne se préoccupe déjà plus trop de la procréation et cherche à reformuler le compromis optimisant la relation entre sexualité et spiritualité. Mais lorsqu'ils s'agit d'énoncer des idéaux éthiques, les derniers papes ne sont jamais très clairs... A suivre de près donc ...en acceptant tout de même que c'est l'ordre symbolique des pays pauvres qui imposera ses propres nécessités sociales au pape lorsqu'il y aura incompatibilité d'intérêt entre les pays pauvres et les pays riches... (Des conflits d'ordres symboliques abondent de fait!)