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Version 1.2 - Juin 2017

Ce texte fait partie d'une série d'articles consacrés à la description de la méditation pratiquée dans le Bouddhisme Théravada. Le premier article (présentation générale du Vipassana) est vivement conseillé avant d'aborder cette étude.

 

Le Vipassana et le corps

 

Dans le Maha-Satipatthana-Sutta, Bouddha propose 6 angles d'approches du corps:
1. Approche par la respiration (corps dynamique)
2. Approche par la posture (corps spatial)
3. Approche par la 'Compréhension claire' (corps actif)
4. Approche par sa composition en parties (corps organique)
5. Approche par son appartenance à la matière (corps cosmique)
6. Approche par la décomposition cadavérique (corps temporel)

Dans le Maha-Satipatthana-Sutta, ce que Bouddha met sous le label «corps» ne correspond pas exactement à ce que l'Occidental contemporain place derrière ce mot. Lorsque le Bouddha y parle du corps, il ne pense pas à la douleur physique par exemple, ni à la fatigue, ni à la sexualité, ...autant de sujets qui sont devenus typiquement corporels pour le penseur occidental qui aimera aujourd'hui faire valoir l'importance des endorphines, de l'acidose lactique, de la testostérone...
Remarquons aussi que par l'angle de ce que Bouddha appelle la 'Compréhension Claire' (le corps serti dans le monde et interagissant avec lui), les effets écologiques du corps sont d'emblée pris au sérieux (ce qui n'est qu'un acquis relativement récent de la pensée occidentale).

La respiration (ou le corps dynamique) (retour à la table du corps)

L'attention sur la respiration est, en pratique, la principale approche du corps et l'exercice méditatif le plus utilisé dans les stages de méditation intensive, et pour cause! Je jette ici en vrac quelques considérations qui expliquent ce privilège de la respiration:

  • Elle se situe à la frontière entre la volonté et l'automatisme.
  • Elle est par excellence le symptôme de notre incomplétude, de notre dépendance par rapport à un milieu (ici l'atmosphère).
  • Elle est révélatrice de notre fluidité (et donc de notre impermanence).
  • Elle est intime.
  • Elle est aussi un excellent indicateur de l'imprécision de nos frontières.
  • Etc.

Autant de caractéristiques qui, si elles passent par notre méditation du statut de simples spéculations intellectuelle à celui d'expériences, nous rapprochent de la 'Vision Claire' ('Vipassana' ) et, surtout, dans la 'Vision Claire', de 'Anicca' (impermanence de tout) et de 'Anatta' (illusion du moi).

En théorie, le rythme respiratoire ne devrait pas être modifié par cette contemplation. Si les maîtres de stages proposent parfois deux trois inspirations et expirations profondes, c'est uniquement pour réinstaller le méditant en déroute dans un état méditatif plus sérieux. Je pense pourtant qu'il est quasi inévitable qu'on modifie un peu ce rythme parce que la volonté de ne pas interférer est simultanément réactive et ...active! Cette volonté est elle-même à comprendre comme une stimulation mentale générant des flux de neurotransmetteurs ou d'hormones impliquant le mouvement de la cage thoracique. Il n'existe pas en la matière une neutralité absolue qui pourrait servir de référence, on est toujours dans un équilibre mouvant entre forces contraires. C'est en tout cas ce que j'observe sur mon propre corps.


Si, comme Bouddha le demande, on doit accorder une attention particulière aux causes de l'inspiration ("...Il demeure contemplant les facteurs d'origine dans le corps...") on découvre vite un petit stress souvent facile à expliquer médicalement. Ce microstress, qui entre ou sort volontiers du champ de la conscience, est, par exemple, une surcharge de CO2 dans le sang, une anxiété avec son lot d'hormones, la volonté, etc. Je laisse à mon lecteur le soin de bien positionner l'importance de la conscientisation de ces microstimulations dans le cadre de la contemplation. Qu'il apprécie combien ces toutes petites prises de conscience inscrivent, indirectement peut-être, mais d'une manière très convaincante, nos fondations existentielles dans une logique globale de "souffrance" comme Bouddha ne cesse de l'affirmer (cf. "Quatre Nobles Vérités"). On marche bien vers Vipassana!


La posture (ou «le corps spatial») (retour à la table du corps)

La neurologie nous a appris que nous possédons tout un arsenal de récepteurs nerveux proprioceptifs (angulation de nos articulations, tensions de nos tendons...). Il s'agit maintenant d'exploiter ces récepteurs pour les besoins propres de la méditation. Ce qui est en jeu ce n'est rien de moins que l'inscrivabilité de notre corps dans un espace. La contemplation de cette spatialité révèle d'une manière lumineuse quelques 'mises en inconscience' de qualités corporelles qu'il s'agit ici de ramener à la conscience. La contemplation de la posture est la matière principale d'un exercice bien connu et pratiqué dans les centres de méditation: la «Walking Meditation». Cet exercice consiste à marcher très lentement en s'efforçant de prendre conscience de toutes les informations sensorielles récoltées et analysées d'une manière algorithmique par le cervelet pour pouvoir marcher correctement : pressions sur la plante des pieds, tensions musculaires aux mollets, angulations des genoux, mouvement du bassin, bascule des épaules, etc. Cet exercice est donc une mise en perspective de l'action de ce cervelet qui, parce qu'il permet des actions automatisées (inconscientes...), est un adversaire redoutable pour le méditant. (L'examen de l'activité cérébelleuse par la conscience n'est pas une mince affaire! Je vous invite à entrer dans ce passionnant sujet en cliquant ici.)

Je ne voudrais pas passer sous silence deux remarques pratiques plus personnelles qui sont liées à la contemplation de la posture et qui auront peut-être une certaine importance pour l'un ou l'autre débutant en méditation:

D'abord, je remarque qu'il y a des postures particulièrement bien adaptées à la démarche méditative. Le lotus est le plus bel exemple évidemment. (Nyanaponika n'hésite pas à dire qu'une telle posture s'impose pour atteindre les absorptions.) Ce n'est pas trop étonnant puisque la position du lotus, une fois qu'elle est bien maîtrisée, demande extrêmement peu de travail pour maintenir l'équilibre. Elle a aussi l'avantage d'être moins soporifique que la position couchée. C'est sans dire que cette pose autorise la relaxation musculaire et tendineuse puisque même si elle dure de nombreuses heures, elle ne semble toxique ni pour les genoux, ni pour la circulation du sang dans les jambes, ni pour la colonne vertébrale.
Il faut aussi mentionner ici que la verticalité presque parfaite de la colonne dans cette pose, pour des raisons que j'ignore, favorise incontestablement la concentration. Last but not least, la pose du lotus est douloureuse pour le débutant. Cette douleur est de la plus grande utilité lorsque le débutant apprend à déconstruire et se libérer de ses distractions. (Cliquez ici pour une analyse plus détaillée de la gestion de la douleur physique en Vipassana)...

L'autre remarque importante à mes yeux, a trait à «l'extase» de l'esprit par rapport au corps. La remarque semble plus spécieuse, mais je ne veux pas esquiver ce sujet parce qu'il devient vite une distraction récurrente dans l'activité mentale du méditant. Dans le Maha-Satipatthana-Sutta, Bouddha semble d'ailleurs prendre très au sérieux cette «extase».
Au début de la contemplation de la posture, tout est bon pour nous révéler la texture spatiale de notre corps. Non seulement les sensations proprioceptives mais aussi toutes les impressions 'de surface' (sensibilité cutanée au froid, à la pression des vêtements, au taux d'humidité etc.) sont utilisables et souvent utilisées. Goenka par exemple, ce 'grand gourou' du Vipassana contemporain, demande à ses nouveaux méditants de "tartiner" de la conscience sur la surface du corps zone après zone, et puis de plus en plus globalement, et puis de faire même entrer cette conscience à l'intérieur de la chair... On s'empêtre alors dans des sensations probablement aussi «virtuelles» (autosuggestion) que «réelles», mais la nature spatiale du corps est incontestablement prise en charge et l'exercice nous conduit vite à ressentir comme un vide qui se creuse entre ce corps et notre esprit qui y pense (extase).
Guenka n'invente pas cet exercice puisque dans le Maha-Satipatthana-Sutta, Bouddha demande explicitement que l'esprit qui médite «sorte» et «entre» dans ce corps contemplé, comme une caméra qu'on entre et qu'on sort d'une maison. À propos de cette intériorité/extériorité, le Maha-Satipatthana-Sutta rappelle 42 fois en vingt pages qu'il faut s'intéresser à ces deux points de vue (non seulement pour analyser le corps mais aussi la sympathie, l'état d'esprit et les objets mentaux). «...Ainsi demeure-t-il, pratiquant la contemplation du corps sur le corps, intérieurement ou extérieurement, ou à la fois intérieurement et extérieurement...»

Le premier Occidental à avoir vraiment analysé ce qu'est le Vipassana, Nyaponika (un juif Allemand réfugié au Sri Lanka pour échapper à la barbarie nazie), parle ici d'une amusante impression de manipuler une poupée.

«...En ce qui concerne le but ultime de Satipatthana (établissement de l'attention), l'Attention sur les Postures apportera une conscience initiale de la nature impersonnelle du corps et conduira vers une aliénation intérieure de ce corps. Au cours de la pratique on arrivera à regarder les postures d'une façon détachée comme on regarde les mouvements automatiques d'une marionnette grandeur nature. Le jeu des membres de la marionnette évoquera un sentiment d'aliénation complet et même un léger amusement comme celui qu'éprouve le spectateur devant un spectacle de marionnettes. En regardant les poses avec une telle objectivité détachée, l'habituelle identification au corps commencera à se dissoudre...» (Traduction de Mireille Benoît - Page 65).

Cette invitation à l'extase plus ou moins virtuelle ne gêne plus l'esprit rationnel dès qu'il considère, comme Bouddha le suggère, que si l'esprit n'est qu'une propriété passagère du corps, l'inverse est tout aussi vrai. Le vertige s'installe et Vipassana s'approche!

La 'Compréhension Claire' ou le corps actif (retour à la table du corps)

Ici Bouddha semble d'abord nous laisser devant une énorme imprécision ; il nous suggère de soumettre absolument toutes nos actions (il parle même de déféquer et d'uriner!) au filtre de la 'Compréhension Claire' ('sampajanna') sans nous expliquer ce qu'il faut comprendre par cette expression.

Après lecture du Maha-Satipatthana-Sutta, il me semble pourtant que cette imprécision n'en n'est pas vraiment une; si Bouddha se contente de dire «Compréhension Claire» c'est simplement parce que cette expression est à prendre à la lettre. Il n'utilise pas ici un vocabulaire savant réservé à des initiés. J'ouvre donc le dictionnaire et, pour une fois, je ne chercherai pas midi à quatorze heures: Bouddha me demande de "comprendre" et de comprendre "clairement". Il m'est demandé d'intégrer dans ma vie mentale le pourquoi et le comment j'agit chaque fois que j'agis. Je devrais plus systématiquement tourner sept fois ma langue dans ma bouche avant de parler, réfléchir avant d'agir, mesurer les conséquences à court et long terme de mes actes dans tous les champs de ma vie... Cela revient donc à investir plus d'attention et moins d'automatismes dans toutes mes actions (changement de posture durant la méditation intensive, décision d'un investissement financier, réparation de la toiture, uriner...). A ce jour, il ne me semble donc pas utile de m'appesantir sur les subtilités exégétiques de la Tradition (analyse du 'But', de la 'Convenance', du 'Domaine' et de la 'réalité'... Etc.).

Le corps composé (ou le corps organique) (retour à la table du corps)

Ce corps-là, c'est la matière des sciences dites 'molles' (biologie, médecine, etc.). Des traductions parlent du corps 'rempli d'impuretés' mais alors il faut, me semble-t-il, rejeter préalablement la connotation morale du mot 'pur' et se limiter strictement à sa signification première ('dépourvu de mélange', comme lorsqu'on parle 'd'eau pure' ou d'un 'diamant pur' ou 'd'Attention Pure'...). En disant cela, je prends donc une légère distance par rapport à l'esprit de certaines traductions et de certains commentaires (pas tous).

J'ai été étonné en effet de lire des traductions/commentaires qui, à partir de cette organicité, suscitent un vague dégoût, un vague mépris, du corps. Après analyse globale du Maha-Satipatthana-Sutta dans plusieurs traductions, je reste convaincu pour ma part qu'y lire une invitation au dégoût serait une erreur. Bouddha ne m'invite ni au dégoût, ni au mépris. Ce n'est pas son style. C'est contraire à l'herméneutique, à l'esprit global de sa doctrine. Pour le moment, je crois tout simplement que ce que Bouddha me propose ici, c'est la prise en compte de l'équilibre fragile qui unifie en mon corps une multitude de composants. En d'autres mots, Bouddha me convie à regarder aussi mon corps avec un oeil de médecin attentif à la question de la santé. Imaginerait-on un bon médecin révulsé par le contenant du corps?

C'est plus la fragilité que l'obscurité de l'agencement de nos parties qui, me semble-t-il, est importante dans cette contemplation. Ce fragile équilibre qui rassemble nos constituants (y compris notre cerveau mais, selon les philologues, ce serait un ajout plus tardif au texte) me renvoie de nouveau à l'impermanence et l'inconsistance que la la contemplation de la respiration nous indiquait déjà. Pas de substance «une et insécable» mais un ensemble de relations et de coïncidences plus ou moins heureuses. L'impression de n'être qu'une bulle fragile dans la grande savonnée organique du cosmos ne peut que profiter au méditant... en tout cas au méditant bouddhiste. Vipassana s'approche!

Le corps matériel (ou le corps 'cosmique') (retour à la table du corps)

C'est le corps des sciences "dures" de l'époque qui est proposé ici à notre contemplation. La matière serait faite du mélange subtil du feu, de la terre, de l'eau et de l'air (les quatre "particules élémentaires" à l'époque du Bouddha).

Il n'y a pas lieu d'être décontenancé par cette analyse; qu'il nous suffise d'imaginer que dans pas même cent ans, certains souriront de ce que nous appelons aujourd'hui des particules 'élémentaires'. Nos scientifiques sourient déjà de ceux qui il y a moins de cent ans donnaient aux atomes ce statut. Aujourd'hui, Bouddha nous aurait peut-être parlé de neutrons, de photons... voire de bosons... mais reconnaissons que pour nous, simples ignares, traiter des ultimes constituants du cosmos en termes de feu, d'eau, de terre et d'air garde, somme toute, une pertinence descriptive. Le fait que la connaissance produite par cet ordre symbolique archaïque ne soit pas en mesure de nous offrir une bien grande maîtrise de la matière est sans importance majeure pour un méditant. Ce qui importe ici, c'est que cette contemplation nous conduise aussi bien que les photons et autres neutrinos à la perception de notre nature cosmique. La respiration nous faisait déjà sentir l'imprécision de nos frontières. Avec la déconstruction de notre corps en ces constituants les plus élémentaires (les plus impersonnels donc) du cosmos, on en revient au même constat. Vipassana s'approche!

Les cadavres en décomposition (ou le corps temporel) (retour à la table du corps)

La contemplation des fosses communes semble d'abord destinée à nous faire assimiler d'une manière impitoyable l'inscription du corps dans la temporalité. «...Vraiment mon corps aussi est de la même nature, il deviendra pareil et n'en sera pas épargné...»

Attention! Restons bien dans le champ de la méditation proposée par Bouddha. Malgré quelques trompes l'oeil, il me semble que ce qui est important dans cet exercice, ce n'est pas tant la mort que l'impact qu'un mort a sur notre corps. Certes, cet impact est très lié à une certaine interprétation du temps qui passe, mais ici, soyons aussi attentifs à toute la corporéité des révulsions, étonnements, curiosités, craintes, angoisses, malaises, sueurs, impassibilité, agacement, amusement, exaltation éthique... Bouddha semble se délecter de réciter ces détails piquants qui exacerbent nos réactions viscérales! (Rappelons tout de même que la pensée est le sixième sens pour Bouddha et que donc l'idée de la mort peut malgré tout, par ce biez indirect, nous revenir comme une donnée corporelle...)

Évitons aussi la dérive "moralisatrice" classique qui invite au mépris du corps (et qui a déjà été mentionnée à propos de la contemplation de notre organicité). Bouddha n'est pas un grand contempteur du corps. Le Bouddhisme Théravada ne demande à ses moines ni d'être dégoûté par ce qu'ils observent, ni par leur propre nature charnelle vouée à la décomposition.
Cet exercice cherche surtout à tirer profit du très puissant pouvoir que possède le cadavre humain pour nous révéler combien notre corporéité «monte à la tête» pour corrompre notre équanimité.

J'ai personnellement vu beaucoup de personnes agoniser. J'ai vu quantité de cadavres. Je les ai vus dans les divers degrés de putréfaction... Je suis endurci à ce genre de spectacle. J'affirme pourtant haut et fort que l'habitude n'y change rien; le cadavre humain garde malgré tout un pouvoir d'interpellation irréductible que ne possède pas une quelconque charogne. Le cadavre humain réclame toujours de nous un effort de lucidité! Je comprends donc parfaitement pourquoi Bouddha invite ses moines à dépasser leurs répulsions pour entrer dans cette contemplation. Il n'est pas nécessaire de préciser, je suppose, comment par elle aussi Vipassana s'approche!

Par mon curriculum particulier je suis en mesure d'offrir à mon lecteur au moins partiellement ce spectacle que Bouddha recommande. Je vous invite donc à entrer dans cet exercice en cliquant ici (nouvelle fenêtre).

 

paul yves wery - Chiangmai - Octobre 2009

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