Version 2.0 - Juillet 2017 La castration chimique Il y a en chacun de nous une production de sympathies ou d'antipathies qui qualifie chaque instant que nous vivons. C'est ce que les bouddhistes appellent le «védana». Cette production fait que chacun de nous a sa manière propre d'aimer les choses. C'est la palette des orientations de ces sympathies qui est probablement la plus révélatrice des spécificités personnelles. Cette palette les révèle bien plus que la palette des désirs qui tombe en aval d'elle (et qu'elle contribue à faire naître). L'abolition ou l'inversion d'un désir n'affecte pas nécessairement le védana, c'est à dire ce qui en chacun de nous dit: «pour le moment, cela me plaît» ou «pour le moment, cela ne me déplaît».
Ce qui est mis mouvement par ce qu'il est convenu d’appeler la «castration chimique» et qui prétend abolir les désirs sexuels, c'est la manière de faire unité, de faire équilibre, entre d'un côté, les plaisirs et les désirs dont la personne à besoin pour simplement vivre et, de l'autre côté, le réquisit du contrat social tout aussi nécessaire pour la survie de la personne. Il va sans dire que la manipulation spécifique du désir risque évidemment d'affecter aussi, mais d'une manière indirecte, par bouclage rétroactif, les racines de la production du plaisir et donc de l'identité de la personne. Malheureusement, cette manière indirecte de manipuler non pas le désir mais le cœur des préférences d'une personne, n'est pas une opération totalement contrôlée et contrôlable; l'évolution du védana reste en bonne partie aléatoire, imprévisible. Ce simple «détail» technique est la source du problème éthique principal que pose toute forme de manipulation du désir (dans lesquelles j'inclus la castration chimique, bien sûr, mais aussi la publicité, les techniques béhavioristes, l'éducation...). La réflexion sur le bien fondé d'une manipulation des désirs d'un adulte relève du domaine de la spiritualité bien plus que de celui du droit, même si je suis bien obligé d'admettre que, parfois, des contraintes de sécurité réclament aussi une action judiciaire. (La manipulation du désir des enfant est évidemment un tout autre sujet qu'il est inutile d'aborder ici) L'équilibre parfois difficile à établir en matière sexuelle entre désirs, plaisirs et histoire personnelle est un problème répertorié dans la sphère médicale autant que dans la sphère pénale. Les médecins ont tous été confrontés un jour ou l'autre à l'un de ces prostatiques plus ou moins adroitement traité par des hormones qui se plaint d'une perte de libido. Un tel patient peut très bien continuer à être fasciné sexuellement par des beaux corps et il peut par ailleurs éventuellement disposer des preuves que son érection est toujours fonctionnelle (érection matinale, etc.); ce qui lui manque, c'est le désir d'avoir une relation sexuelle à court, moyen, ou long terme. Pour lui donc, l'organe ou l'ensemble d'organes qui décrète la compatibilité sexuelle par une affinité première (un régalement des yeux, une odeur plaisante...) est resté intact tout comme la fonction érectile qui travaillera dès que cette première impression aura enclenché la fabrication d'un désir. Pour ce patient, «védana» est intact; seul l'organe (ou l'ensemble d'organes) qui fabrique le désir a été malmené par la soupe médicamenteuse. S'il se plaint, c'est parce qu'il a aimé la sexualité, connaît son utilité sociale et conjugale, sait que les plaisirs que la pratique sexuelle procure lui donnent de l'énergie et le goût de vivre... Bref, par un traitement purement intellectuel des données collectées dans le passé, par acte de volonté donc, il en arrive à vouloir retrouver une libido d'abord puis des activités sexuelles inspirées et stimulées par cette libido. Pour le médecin, il faut donc arriver à manipuler des nuances qui sont trop souvent dissoutes dans une conceptualisation simplifiée voire simpliste. Face à un dysfonctionnement sexuel chez l'homme, il y a au moins trois étiologies possibles qui invitent à des réactions médiales très différentes:
Toutes les figures d'école existent bien entendu, mais très généralement, la pratique sexuelle d'un homme exige un minimum de désirs; la simple fascination sexuelle, le simple plaisir de voir une belle femme au cinéma ou lors d'une soirée, la simple compatibilité «chimique» (phéromones et assimilables), ne suffit pas... Le plaisir de regarder un beau corps peut influencer la volonté dans des directions contraires ou non au désir mais en tout état de cause, la volonté n'est pas le désir, et, ici, ce patient prostatique sans libido en subit une conséquence très concrète!
Après cette épuration des concepts, je peux revenir à la castration chimique. Il ne faudrait pas que le juge agisse comme le médecin incompétent qui prescrirait indifféremment du viagra à tous les patients qui se plaignent d'impuissance.
Le juge qui propose une castration chimique comme condition d'une libération à un délinquant sexuel est loin de proposer un remède miracle parce que ce remède n'affecte pas nécessairement d'une manière bien balancée le «védana», le désir, l'anxiété, l'érection, la mémoire du passé et tutti-quanti... Il ne faudrait donc pas s'étonner des effets paradoxaux d'une telle ordonnance. L'activité de védana (production de plaisirs, de fascinations, de sympathies...) restant éventuellement intacte dans son intensité et son orientation peut aussi bien induire une réaction encore plus déconcertante que ces désirs naturels mal gérés qui ont conduit le délinquant devant le tribunal... et c'est sans dire que cette ordonnance peut conduire le délinquant à la folie pure et simple par l'impossibilité de faire cohabiter une libido brutalement modifiée et une mémoire, une histoire personnelle. Cette schizophrénie artificielle peut susciter des désirs qui ne semblent pas «directement» sexuels mais dont les effets sont bien plus ravageurs que les désirs combattus... Bref, tout est bien plus compliqué qu'il n'y paraît au premier abord... Proposer une castration chimique est une solution discutable mais l'imposer me semble éthiquement impossible. Il existe bien quelques autres pistes de réflexions, mais en pratiques elles se révèlent foireuse pour la majorité des délinquants: l'entraînement de la volonté, l'élargissement de la vie spirituelle (bouddhisme et désir!), dissolution de la frustration par les diverses formes de sublimation (création artistique, activisme social...). Il ne faudrait pas non plus que la toute puissance du «politiquement correct» nous fasse négliger la seule vraie solution qui n'est utopique qu'à moyen et court terme: la complexification du contrat social pour l'adapter mieux encore aux décrets, hélas inflexible, inaliénables, de la nature! C'est la politique des parapets plutôt que celle de la prison. En d'autres mots, l'idéal serait d'arriver à élargir d'une manière ciblée, intelligente et éventuellement bien surveillée, la tolérance à des marginalités sexuelles potentiellement dangereuses. La sphère contemporaine des gays a montré qu'il existe des possibilités d'intégration du sadomasochisme dans des protocoles marginaux (boite «leather» et assimilables), utiles et accessibles aux sadiques gays de bonne volonté. Et pour les pédophiles équilibrés, il faudra se rappeler qu'il existe des enfants demandeurs qui ont besoin de sexualité paul yves wery - Chiangmai - Mai 2010 Version 1.02 - Juillet 2017
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