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Version 1.0 - Novembre 2017

 

Commentaire sur "Après la Finitude" de Q. Meillassoux

Quatrième partie

 

Copernic, Kant et Meillassoux

 

Abstract : Quoi qu'en pense Meillassoux, Kant est un philosophe Copernicien.

 

Une bille blanche tourne autour d'une bille bleue. Mais, au fait, n'est-ce pas plutôt la bille bleue qui tourne autour de la bille blanche? On peut tourner la question dans tous les sens, on ne trouvera pas de réponse car pour y répondre, un troisième acteur, un référentiel, est nécessaire. Il est donc vain de dire que c'est la terre qui tourne autour du Soleil plutôt que l'inverse si l'on ne décide pas arbitrairement et préalablement de placer le trépied de sa caméra ici plutôt que là. Il y a au moins un référentiel pour lequel c'est clairement la terre qui tourne autour du soleil ; le soleil lui-même. Et il n'y a au moins un référentiel pour lequel c'est clairement le soleil qui tourne autour de la terre : la terre elle-même. Il y a même des points de vue pour lesquels il n'y a plus de rotation entre terre et soleil : tous les points situés sur la droite comprenant le soleil et la terre! Si je place ma caméra n'importe où sur cette droite-là, la terre va s'éloigner et se rapprocher du soleil mais jamais tourner autour de lui.

Et la rotation de la Terre autour de son propre axe? Même chose! Pour parler d'une rotation de la Terre sur elle-même, il faut la prise en considération de deux points distincts (par exemple Paris et Bangkok), et d'un référentiel. Si je place ma caméra sur la surface de la terre (ou sur un satellite géostationnaire) le vecteur Paris-Bangkok n'est pas en train de tourner sur lui-même. Si je place ma caméra sur le soleil, le vecteur Paris-Bangkok tourne autour du soleil dans une espèce de spirale bouclée sur elle-même, etc.
Les variations possibles sur le thème des rotations par rapport à un référentiel sont innombrables. Ce sont ces spéculations de pure géométrie qui, lorsqu'elles sont corrélées à nos observations, donnent une explication claire des couchers de soleil, des phases de la Lune, ...de la direction les vents alizés ou de l'utilité du dérailleur de mon vélo!

Si je me suis bien fait comprendre, je peux indifféremment décrire le système solaire par un modèle héliocentrique ou par un modèle géocentrique... Si donc, pour faire plaisir à un prêtre idiot, je veux m'en tenir à une description géocentrée des mouvements de Vénus ou de Mars, eh bien il ne tient qu'à moi de considérer dans un premier temps que toutes les planètes tournent autour du soleil et puis, dans un deuxième temps de faire tourner l'ensemble du soleil et ses planètes autour de la terre... ce qui donne in fine une description géocentrée exacte des trajectoires de Vénus et de Mars (mais pas aussi simple à déchiffrer et utiliser qu'un texte écrit à partir du choix d'un référentiel hélio-centré)...

L'astronome danois Tycho Brahe (1546-1601) a pris le temps de faire cet exercice mental qui réconcilie Copernic avec le géocentrisme... À l’époque, cela avait même enthousiasmé quelques savants Jésuites inquiets de voir quelques clercs pas bien membrés intellectuellement (mais haut gradés dans la catholicité) intenter une action contre les travaux de Copernic...
Pour nous, il est difficile de comprendre pourquoi un génie comme Brahe a accepté de perdre son temps à de telles spéculations, mais ce serait oublier ce que signifiait l'immobilité de la terre avant Galilée (qui relativise le concept d'immobilité) et avant Descartes (qui formalise mathématiquement les référentiels). À cette époque, les outils intellectuels manquaient encore cruellement pour comprendre pourquoi l'idée d'une immobilité "absolue" (sans point de référence) est une absurdité. Il est donc possible que Tycho Brahe crût sincèrement à l'immobilité "absolue" de la terre. Il est d'ailleurs tout aussi possible que Copernic ait pensé une immobilité absolue du soleil... Il faut se replacer mentalement dans la sphère de ce qui était pensable avant l'arrivée des référentiels et de l'inertie.
Notons enfin que même si les curés géocentristes sont devenus rares, il y a encore beaucoup d'intellectuels hélio-centristes qui devraient en parler moins parce qu'ils n'ont pas encore compris, aujourd'hui, au XXIe siècle, que la substantifique moelle de la révolution copernicienne, ce n'est pas l'héliocentrisme mais la subordination des centres à des choix.


Soyons clairs, mais restons nuancés : un savant peut évidemment dire qu'un cercle ou un rectangle a un centre géométrique "absolu" (indépendant des référentiels)! C'est un autre débat. Selon tel ou tel géométrie, le centre d'un rectangle (ce point où se croisent ses deux diagonales) ou le centre d'un cercle (ce point équidistant de tous les points de sa périphérie), sont des absolus parce qu'ils restent les mêmes quels que soient les points d'observations choisis. Ce sont là des considérations purement géométriques.

Mais ce qu'il faut éviter, c'est de sous-estimer la différence entre un problème de pure géométrie et un problème de sciences naturelles. La différence entre le centre d'un cercle et le centre du système solaire, c'est qu'un référentiel a subrepticement été placé entre le réel et la géométrie pour définir le deuxième centre. C'est par la corrélation entre chaque objet et un référentiel que l'on peut produire des nombres et des figures utiles aux savants. C'est par l'analyse de ces quantités-là que l'on peut se mettre en recherche d'un centre géométrique de la masse de l'univers connu, de la rotation d'une galaxie, des orbites planétaires, de la terre, du corps humain, de la cellule, ...peu importe (mais je ne descendrai pas plus bas pour esquiver lâchement les considérations quantiques:-).

Le centre d'une galaxie ne tombe pas du ciel si j'ose dire, mais d'un calcul qui se nourrit de distances spatio-temporelles elles-mêmes produites par une machination algorithmique de coordonnées elles-mêmes subordonnées au choix de référentiels! C'est le prix de l'objectivité des sciences. Que cette méthode de travail soit appliquée pour étudier le mouvement d'un neurotransmetteur ou d'une étoile revient au même.

*

Pour un penseur du XXIe siècle, c'est donc, me semble-t-il, cette arbitrarité du point de référence qui est le cœur de la révolution copernicienne et évidemment pas la signification morale ou métaphysique de l'héliocentrisme lui-même. Copernic ne se préoccupe pas des intentions du Créateurs ou de la primauté de l'Homme. Il se contente de remarquer que si l'on fait les mesures à partir d'ici plutôt que de là, les relations entre les choses deviennent beaucoup, beaucoup, beaucoup plus simples à étudier, point à la ligne.

Les trajectoires des planètes deviennent par exemple de belles ellipses plus facilement mises en formules mathématiques. Dans cette affaire, il n'y a pas tant l'humilité d'un décentrement que la lucidité et le pragmatisme d'un explorateur qui ne veut plus se casser la tête avec des calculs impossibles...

Les spéculations morales répétées ad nauseam lorsqu'on parle de révolution copernicienne sont comme ces feuilles de vigne en plâtre que les puritains collaient aux statues antiques pour essayer de faire croire que la beauté du statuaire grecque n'était qu'angélique. Pour expliquer la puissance révolutionnaire de Copernic, ce n'est pas d'humilité qu'il faut parler, mais de la liberté incroyable qu'il accorde au savant de placer le tripode de sa caméra ici plutôt que là! Ce serait donc, en termes moraux, une prétention plutôt orgueilleuse, non? De ce jugement, en fait, je m'en fous comme de ma première culotte! Mais en revanche, en usant de ce droit à ME situer dans le calcul du monde, je me mets dans le rang de Copernic et pas dans celui de Ptolémée. Ces amplifications vaguement morales autour du décentrement, dont Meillassoux a voulu tartiner la dernière partie de son livre sont inutiles voire nuisibles à la clarté de son propos.

On s'étonnera d'autant plus de cet exercice de style de Meillassoux qu'il est inutile pour établir sa thèse principale qui touche à la contingence et qui elle seule suffit à l'incruster durablement dans l'histoire de la philosophie!

En termes plus philosophiques, on dira que la révolution copernicienne opère la scission symbolique entre la caméra et ce que la caméra regarde, ... C'est cette manière de penser l'observation et l'observateur que Kant reprendra en philosophie pour la sortir de ses contradictions.

Qui est le sujet qui peut prétendre à une connaissance chez Kant? Eh bien, celui qui accepte, pour le temps de son étude, de n'être rien de plus qu'un simple référentiel spatio-temporel recevant des données spatio-temporelles (donc d'être en conformité avec la leçon plus ou moins actualisée de l'esthétique transcendantale). Celui-là, évidemment, assume ipso facto de ne pouvoir traiter que de ce qui est géométrisable dans sa perception du monde.

Dans la mesure où ce sujet-référentiel purement géométrisé est corrélationé avec les événements de la nature (son expérience du monde), il dispose de données/coordonnées dont il pourra tirer une connaissance objective. Encore faut-il qu'il "machine" ces données/coordonnées en objets... C'est là qu'interviennent les catégories de l'entendement (dont le versant scientifique serait le principe de relativité et les transformations qui en découlent (transformation de Galilée, transformation de Lorentz et sa descendance dans les géométries courbes... )


Après la "machination" de l'expérience du monde par les catégories, le philosophe corrélationiste disposerait de données objectivées, c'est-à-dire de connaissances non pas absolues mais acceptées par tous les philosophes qui utiliseraient le même protocole pour travailler.

La différence entre l'absoluité supposée des affirmations des dogmatiques (Descartes...) ou des réalistes spéculatifs (Meillassoux) et l'objectivité des affirmations machinées par le transcendantalisme est le cœur de la finitude kantienne.


Ceci étant dit, moi, paul yves wery, je ne suis pas du tout convaincu que la méthode transcendantale puisse nous offrir une connaissance de choses qui ne nous seraient déjà accessibles par les sciences. Je ne suis donc pas convaincu que la théorie transcendantale soit plus qu'une manière de dire d'une manière certes nuancée, mais aussi très compliquée, ce que les théories scientifiques nous disent plus clairement et précisément.

Je me permets d'être suspicieux parce que lorsque Kant essaye de faire de la morale une affaire objective (Critique de la Raison Pratique), l'impératif qu'il dit "catégorique" n'est catégorique que pour le moraliste moralement immature (c'est en tout cas ce que moi j'ai compris et que j'ai d'ailleurs essayé d'argumenter dans une étude dédiée qui n'a pas sa place ici puisque le but de cet article c'est simplement de dire qu'après la lecture du dernier chapitre de "Après la Finitude", je reste convaincu que Kant est copernicien!)...

paul yves wery – Chiangmai
Version 1.0, novembre 2017

 

    1. Premier commentaire de "Après la finitude" accessible en bas de page de la BD "Du Prozac et de l'Hélium"
    2. Deuxième commentaire accessible ici.
    3. Troisième commentaire accessible ici.
    4. Quatrième commentaire accessible ici.
    5. Cinquième commentaire accessible ici

 


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