La salle
Là où j'arrivais, le taux de microbe par unité de volume est sans concurrence. C'est comme une odeur, une aura qui éclaire les bâtiments et les gens d'une mystérieuse lumière et qui impose silence et angoisses aux visiteurs. Pour les entrants, passer le seuil est déjà en soi un risque. Ceux qui meurent le jour de leur arrivée, si ce n'est pour raisons psychologiques, meurent du front septique contre laquelle la chair qui leur reste va s'éclater comme contre un mur. Mais, j'insiste sur ce point, le choc psychologique peut suffire. Lorsque le malade arrive, il passe d'abord devant le stock de soixante-dix cercueils vides placés devant l'entrée, à gauche (on l'a déplacé depuis) Les cercueils en activité sont à main droite. Ils attendent d'être transférés au crématoire (la camionnette passe deux fois par jour), puis on voit des squelettes en train de mourir, puis Vous comprendrez que dans ces cliquetis d'os, les malades sensibles J'ai donc vu quelques malades mourir non pas dans les heures qui suivaient leur arrivée mais dans les premières minutes ! Je me souviens de l'un d'eux, encore dans la chaise roulante, parlant encore vaguement, qui a fait un arrêt cardiaque avant même d'atteindre ce qui aurait été son lit. Et d'un autre à qui l'infirmière faisait un massage cardiaque tant elle assumait difficilement qu'à peine couché sur un lit, devant toute la famille qui l'amenait, il trépasse sans crier gare. La mort vient comme les vagues de la mer. Elle efface des corps comme ces châteaux de sable qui résistent un peu encore. Certains sont pris par surprise, d'autres l'attendaient depuis longtemps (mais pourquoi alors luttent-ils encore ?). Ils ont tous les symptômes, tous vous dis-je. Ils n'ont qu'une chose en commun, le visa d'entrée en quelque sorte : le certificat issu d'un laboratoire agréé prouvant qu'ils ont bien contracté le sida. Ils sont jeunes : entre vingt et trente cinq ans pour la toute grande majorité. *** Mort douce, mort brutale, mort douloureuse, mort triste et presque toujours, mort injuste. Mort d'avoir mal aimé, mort d'avoir trop fait confiance, mort d'ignorance ou, trop souvent, mort simplement pour avoir obéis au devoir conjugal. Tous mort d'une maladie de l'amour Et pourtant, en général, ces malades meurent seuls. Un sur dix, pas plus, reçoit de la visite parfois Il y a plus de jeunes hommes que de jeunes femmes qui viennent mourir parce que, croit-on (et je le crois aussi), ce sont plus les hommes que les femmes qui trahissent les liens conjugaux. Ils sont donc les premiers contaminés Leurs épouses suivront. On les attend pour plus tard. Les mise en bière vont vite. On lave le cadavre sommairement, on bouche tous ses trous avec beaucoup d'ouate, on lui met des habits propres, puis on le met dans une caisse prise au hasard dans le stock. Dans la caisse, le mort a un petit oreiller neuf et un linceul en toile brute. Lorsqu'on ferme le cercueil, le cadavre est encore bien chaud de ses fièvres et autres malheurs. - Vous êtes sûr qu'il est bien mort? J'allais un peu trop vite, oui, trop vite
C'est que, même après quatre mois de travail sur le terrain, je restais nerveux en trop de circonstances. - T'es bien sûr qu'il est mort au moins ? Et moi, lamentable, de répondre : - T'inquiète pas S'il se réveille, il crachera le boulet d'ouate, ça fera " pop ", comme un bouchon de Champagne, et celui d'en face On a été tous les deux pris d'un fou rire ridicule, obscène
Oui, nerveux, trop nerveux malgré des mois d'expérience.
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_______________________________________ paul yves wery - aidspreventionpro@gmail.com |