Thonn (...) Il y a une large baie vitrée qui sert d'entrée à l'after dead room. Elle donne d'emblée la bonne perspective sur l'alignement des morts. Cette nuit-là, elle était grande ouverte. A l'intérieur, quatre bonzes s'affairent avec une lampe baladeuse à bricoler quelque chose sur un mur. Les ombres portées des cadavres et des moines caressent parfois le gravier Assis sur un parapet, à deux mètres de la porte, vaguement éclairé de temps en temps par la lumière mouvante, un garçon regarde les bonzes et les cercueils de verre. Dans un mois, ou dans un an, l'orphelin sera lui aussi tout nu dans un de ces bocaux. Il le sait. Il n'a pas l'âge pour pouvoir s'y opposer et ceux qui l'ont accepté dans ce village de la mort l'ont fait parce qu'ils savent, eux, que ce sont les enfants morts qui fascinent le plus Le garçon voit qu'il y en a déjà deux deux fillettes, pas encore de jeune garçon On l'attend. Il sait. Il sait. Il sait Certains imbéciles ont même eu la maladresse de lui en parler Un frisson d'épouvante me parcourt tout le corps. Il me voit en train de le regarder de loin, dans le noir. Il me reconnaît puis tourne la tête. Pour lui, je symbolise la mort, je le sais
Je suis celui qu'il ne voit jamais que dans la salle où l'on souffre et où l'on meurt
Par trois fois, on me l'avait amené de force pour que je traite l'un ou l'autre de ses maux. Il hurlait de terreur
Un jour, une seule fois, hors du mouroir, il est venu et s'est collé à moi Peut-être trente secondes, pas plus Il s'est échangé pendant ces trente longues secondes quelque chose d'inexplicable qui me donne aujourd'hui encore la chair de poule si j'y pense intensément. Trente secondes, pas plus, je vécus un rapprochement absolu Je voudrais revivre cela parce que ce fut pour moi un délice Je me déteste pourtant dans ce plaisir ; je me déteste dans ce délice, parce qu'il est un risque énorme qui me fait peur Cet épisode n'est pas une première dans ma vie relationnelle. Je dégage parfois ce quelque chose qui provoque cette bizarrerie. Il y a quelques années, en ville, j'avais vécu exactement la même chose, dans une salle de consultation d'un très gros hôpital où je m'entretenais avec un autre médecin et un franciscain. Un garçon très beau, un peu plus jeune que Thonn, qui venait d'entrer dans la pièce est tout de suite venu vers moi et rien que vers moi. Il ne me connaissait pourtant pas du tout, alors qu'il connaissait très bien le franciscain et la femme médecin. Il faut attacher ceux qui forcent cette forme de relation avec des malades qui ne sont plus des tout petits enfants. Lorsque j'étais étudiant, dans un service de cancérologie pédiatrique, j'ai croisé le regard épouvanté d'un garçon paralysé ainsi violé par une dame patronnesse . Elle venait donner de l'amour, comme elle disait. Je ne l'oublierai jamais. Elle le collait contre ses seins comme une Américaine hystérique serre son chien adoré (qui lui au moins, ne la déçoit pas !) Le garçon a fini par vomir. Elles sont nombreuses, ces folles et ces fous pleins de frustrations qu'ils ne savent pas nommer. Ils sévissent aux orphelinats, aux refuges d'enfants maltraités, aux salles d'enfants malades
en Europe, en Asie, en Afrique surtout, parce que là, plus qu'ailleurs, le blanc-bec se sent le droit d'être ignoble sans le savoir. Je ne veux pas être de ceux-là. Me sentant arriver, de très loin, elle gémissait déjà. Elle se jetait à mes pieds et exigeait une étreinte voluptueuse à force de petits cris. Lorsque je la lâchais, la chienne sautait pour se coller à ma jambe d'une manière obscène. Toutes les personnes présentes, toutes des femmes, plutôt que de rire, me regardaient rougir en silence. Maintenant, depuis que je suis devenu de glace, ces chiens me craignent. Je suis devenu un dur. 558 morts cette année Je les voyais crever comme des abcès. Un enfant qui meurt au milieu de la salle des agonies réclame que je le masse. Thonn est mort dans d'horribles conditions.
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