Une petite remarque éthique s'impose déjà:

Le noyau dur de mon identité, le mystérieux coeur de mon coeur, "vient d'ailleurs": je ne suis pas mon propre créateur. Ma liberté -si liberté il y a- ne se déploie qu'en ma vie accidentelle (même pas en tout mes accidents!), ...et donc aussi dans l'ampleur de mon effort de lucidité pour décrypter mon propre mystère.

Supposons un instant que je découvre en moi une cruauté qui suscite en moi un véritable déplaisir, je serais bien vite -en ce qui me concerne- obligé de constater que ce déplaisir est bien plus révélateur de mon être que ma cruauté. Je ne peux évidemment pas affirmer que ce soit le cas pour tout le monde même si mon expérience du monde me le laisse croire (il ne me faut jamais gratter longtemps pour retrouver un ange sous le masque d'un truand).

Je ne suis jamais éthiquement «coupable» de la singularité de mon «noyau dur», mais j'admets que, tous comptes faits, je pourrais le devenir si j'imposais cette singularité d'une manière blessante à mon environnement. Ici encore il ne faut pas aller trop vite: je suis moi-même une part constituante de la communauté! Faire sortir une singularité de la sphère privée peut être aussi toxique qu'utile (sans être nécessairement indispensable) pour le progrès social. C'est le terrain et le terreau du prophétisme et le moteur des avancées en sciences humaines. Mais c'est aussi le terrain et le terreau de la «chute des petits», de ceux qui seraient incapables de s'y adapter. (C'est ici que nous devrions situer le problème que pose le goût du neuf et du risque, le goût de la mobilité, de la curiosité, de la sexualité en général et de ses expressions marginales puisque la sexualité est l'interface par excellence entre l'altérité et l'être...). On oscille entre la marginalité, la militance, l'incivisme, voire le suicide pour ne pas dire le martyre. C'est toute l'ambiguïté du scandale plus ou moins «nécessaire» ou «utile» ou «inévitable» -c'est selon la traduction- de Mt18,6 et assimilables.

Il est bon de rappeler avec force à l'heure de la légalisation du tout et du rien, que notre monde a probablement plus besoin de prophètes que de légistes s'il reste admis que l'unité dans la diversité est plus aimable que le conformisme. Un chrétien a bien le droit de penser que la structure communautaire doit se complexifier jusqu'à ce que soit assumée l'entièreté de la complexité du genre humain, ...le but in fine étant, entre autres, d'éradiquer toutes les formes d'exclusions.

Le 'noyau dur' ne se négocie pas en terme de "self-contrôle" et de "caractères à forger" (pour changer ce qui déplait en lui). Le 'noyau dur' se découvre et se déshabille; c'est différent. Le caractère à forger vient dans un deuxième mouvement, pour cacher la vérité conflictuelle, si nécessaire (lorsque le monde est incapable de l'entendre), ou au contraire pour la défendre parce que le monde est jugé enfin capable de la recevoir et de l'intégrer dans un accroissement de complexité. En moi par contre, surtout ne jamais, jamais, jamais, nier ce qui est au coeur de mon coeur! Logique de masque éventuellement, mais jamais, jamais, jamais, logique de déni! S'il y a un mouvement très lent et vaguement orientable au sein de ce «noyau dur» -ce dont je suis personnellement convaincu- il est d'une nature infiniment subtile et relève bien plus du travail spirituel que de l'éthique.