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Le père H., trappiste, puis ermite, puis abbé.

Semaine sainte 1979

Dimanche des Rameaux.

Introduction à la célébration

Mes frères,

Nous voici arrivés au seuil de la grande Semaine, grande par le mystère qu'elle resserre, grande par l'ampleur de sa liturgie, grande par les sentiments qu'elle va éveiller et entretenir en nous.

Cette grande semaine se présente chaque année au moment de la pleine lune du printemps, et elle est comme un symbole de l'éternité. En elle, toute la durée se condense avec une force quasi infinie, et le centre, le noyau, c'est la personne du Fils de Dieu, du Christ Jésus, vivant aujourd'hui et ici présent parmi nous dans cette salle.

Et sur ce Christ Jésus nous sommes greffés. En lui nous sommes morts, déjà notre mort appartient à notre passé en lui, en lui nous vivrons et en lui déjà réellement, nous sommes en train de ressusciter.

Le premier geste que nous allons poser au seuil de cette semaine, ce sera le geste de la sequela Christi , marcher à la suite du Christ. Et ce geste, nous le poserons en traversant nos cloîtres, avec en main les palmes de la victoire qu'il nous a acquise en triomphant de la mort.

Mes frères, la Vie du Christ bouillonne en nous, et rien, jamais, ne pourra nous nuire.

 

Homélie après l'Evangile de la bénédiction des rameaux.

Mes frères,

Il est un détail de ce récit qui vient de retenir mon attention. Il est dit que les disciples n'avaient pas compris ce qui arrivait à Jésus, ce qui leurs arrivait à eux. Ils comprirent plus tard !

Aujourd'hui, c'est nous qui sommes les disciples du Christ, et nous ne comprenons pas ce qui nous arrive, ce qui arrive à nos frères, ce qui arrive au Christ en nous, jour après jour, instant par instant. Nous ne comprenons pas !

Nous devrons nous aussi attendre l'heure de notre glorification pour que nous parvenions enfin à lire le livre magnifique que l'Esprit de Dieu aura écrit en nous, qu'il aura écrit en chacun de nos frères, qu'il aura écrit en la personne du Christ vivant et ressuscitant en nous, après être mort et avoir souffert, encore une fois, à travers nous.

Et cette heure de notre glorification, nous devons la hâter. Et nous la hâterons, si nous nous laissons porter par une Parole qui nous est adressée, que nous devons entendre. Nous devons pour cela ouvrir l'oreille de notre coeur, comme nous le recommande Saint Benoît. Et cette Parole , la voici : « Avant que tu fusses né, je t'avais déjà destiné à porter, à glorifier mon nom à la face du monde entier, à la face des anges et à la face des hommes. »

Mes frères, c'est là notre destinée finale. Que les hommes en nous voyant puissent reconna1tre Dieu, lui rendre grâces et le glorifier.

Mes frères, hâter le moment de cette glorification de Dieu en nous, glorification qui est la nôtre, nous le faisons par notre obéissance, c'est à dire en nous insérant, instant par instant, dans cette Parole qui s'articule à nos oreilles et sous nos yeux. C'est là mes frères, l'activité la plus noble de l'homme !

Après celle-là il y en a d'autres, naturellement, mais toutes elles n'ont leur noblesse que dans la mesure ou elles se subordonnent à cette insertion de notre vie dans la Parole de Dieu qui s'adresse à nous, qui nous invite et qui nous forme.

Mes frères, nous allons maintenant nous attacher symboliquement à cette Parole par notre déambulation à travers les cloîtres. Nous allons, comme Abraham, suivre la Parole ; Abraham qui partit sans savoir où il allait, sans savoir où cette Parole le conduirait. Il portait déjà dans son coeur le pressentiment de cette gloire qui serait un jour la sienne, qui serait un jour celle de tous ceux qui seraient ses descendants, ses descendants par la foi qu'ils ajouteraient à cette Parole, de cette gloire qui nimbe l'être même de Dieu.

Mes frères, lorsque nous voyons un homme, pensons toujours que cet homme, tel qu'il soit, est destiné à entendre la Parole de Dieu, à la suivre et à être transformé par elle. Mais nous devons, nous, être pour les hommes des lumières, des références vers lesquelles ils pourront regarder, parce que le Christ pour eux est peut-être tellement loin, est peut-être totalement inexistant.

Et lorsqu'ils nous voient, ils devraient pouvoir savoir comment se conduire et savoir qu'il existe quelque chose, ou plutôt quelqu'un, que ce quelqu'un est une Parole d'Amour, et qu'il suffit de s'abandonner à elle pour, à travers toutes les souffrances, toutes les morts de cette vie arriver au véritable bonheur qui est de regarder et de se laisser animer pour l'éternité par la Vie même de Dieu, qui est notre suprême glorification.

 

Homélie après la lecture de la Passion.

Mes frères, La semaine Sainte s'ouvre sur le récit d'une passion, la passion du Fils de Dieu. Cette passion, est-elle d'hier ou est-elle d'aujourd'hui ? Elle est d'aujourd'hui, comme elle était d'hier. Pascal n'a-t-il pas dit que le Christ serait en agonie jusqu'à la fin des temps.

Jésus, au moment d'expirer, poussa un grand cri. C'est le cri d'un homme, mais c'est aussi le cri de Dieu. Et ce cri est tellement grand, il est sans mesure. Il ébranle les cieux et la terre et il retentit à travers les mondes jusqu'à la fin de la durée, jusqu'au moment où, ayant ramassé tous les cris qui jaillissent du coeur des hommes, les cris de souffrance, les cris de désespoir, aussi les cris de haine et les cris d'amour, tous ces cris il les aura ramassés ; et il pourra alors les présenter à travers le sien et dire à son Père : «  Maintenant, tout est consommé et 1'heure de notre gloire à tous est arrivée. »

Mes frères, le contemplatif est un homme qui entend ce cri. Il le perçoit sans arrêt. Le décrire, le reproduire est impossible, mais en répercuter l'écho est non seulement possible, mais c'est un devoir. Et l'écho de ce cri c'est un geste, mais un geste fou. Il faut être possédé par ce cri, il faut vivre de lui et vivre pour lui. Il faut disparaître en lui jusqu'à devenir soi-même un cri, et ne plus être que pur écho, et poser des gestes de folie.

Nous en avons un exemple encore dans le récit que nous venons d'entendre. Il y avait là une femme. Jésus, lui, n'avait pas encore poussé son cri. Mais cette femme l'entendait déjà gronder dans la poitrine de Jésus. Et ce grondement qu'elle entendait, jette cette femme hors d'elle-même, et elle pose un geste de folie.

Elle prend un vase d'albâtre, matière précieuse déjà, elle le brise et elle en verse le contenu sur la tête de Jésus. Le contenu, c'est un parfum d'une valeur inestimable, et elle le verse sur la tête de Jésus.Et ce parfum coûte plus de 300 pièces d'argent. Une pièce d'argent, c'est le salaire, c'est le gain de toute une journée de travail, et 300 pièces d'argent dans nos francs d'aujourd'hui cela représente 400 à 500.000 francs !

Et voilà qu'en quelques secondes, cette fortune, ce parfum est versé sur la tête de Jésus. L'entourage s'indigne. Ils sont étrangers au geste. Ils ne comprennent pas, ils ne sauraient pas comprendre car ils n'entendent pas le grondement de ce cri dans la poitrine de Jésus. C'est une affaire entre Jésus et cette femme ; tout le reste du monde est étranger.

Mais maintenant, Jésus connaît quelque chose. Cette femme a versé avec son parfum sa propre substance dans le coeur de Jésus, et Jésus sait maintenant que sa mort ne sera pas inutile. Il sait qu'il peut mourir et il sait aussi qu'il ressuscitera car il entend dans son coeur un écho qui lui dit : «  Toi, tu ne peux pas mourir, parce que tu es aimé ! »

Mes frères, l'écho que nous devons à notre tour répercuter, c'est un tel amour, un amour qui fait poser le geste de folie suprême, cette folie qui est Sagesse. La seule vraie sagesse au regard de Dieu c'est le geste de l'amour, c'est de donner sa vie pour ceux qu'on aime, la déverser en une fois ou bien la distiller goutte à goutte.

Et si un jour, mes frères, nous avons le bonheur de rencontrer sur notre route un homme qui ainsi donne sa vie pour les autres, sachons bien que cet homme entend le cri, et que son amour n'est rien d'autre que l'écho qui répercute ce cri à travers le monde. Et c'est ce cri, ce seul cri qui parvient à émouvoir et à ébranler le coeur de Dieu.

En tant que chrétien, mes frères, et en tant qu'appelé à la vie monastique il est de notre devoir de nous préparer à entendre ce cri et à le répercuter. Au cours de cette semaine, nous allons essayer d'en prendre conscience d'avantage encore et de nous convaincre que, si Dieu nous a donné la grâce de vivre aujourd'hui, c'est pour que nous soyons des échos vivants pour tous les hommes nos frères, afin que eux aussi croient, et que de proche en proche l'écho de ce cri se répercute jusqu'aux confins du monde, pour que finalement partout, Dieu soit tout en tous.

Amen.


Lundi Saint.

 

Introduction à la célébration.

Mes frères,

Aujourd'hui la liturgie va nous présenter la fameuse scène de l'onction à Béthanie, où Marie la sœur de Marthe et de Lazare va répandre sur les pieds de Jésus un parfum d'un grand prix, et l'essuyer avec ses cheveu. On pourrait à partir de là, évoquer ce que doit être un véritable amour.

Mais nous pouvons maintenant au seuil de cette Eucharistie, nous demander quelle est la valeur et la vigueur de notre amour à nous ? Chaque jour, à chaque instant, sommes-nous disposés à donner notre vie, à l'exposer pour nos frères ? Ou bien ne nous arrive-t-il pas de les épier et de nous moquer d'eux, même pendant l'Eucharistie, à l'oreille de notre voisin ? Mes frères, ça arrive !

Reconnaissons nos défaillances, mes frères, les failles de notre vie ! Nous sommes pendant la Semaine Sainte. Nous devons être sérieux plus que jamais. L'Eucharistie, ce n'est pas une partie de plaisir, c'est le moment où le Christ revit, reconstitue sous nos yeux sa mort, à cause de nos péchés. Est-il mort pour rien ? Ou est-il mort pour nous ?

 

Introduction à la prière des fidèles.

Mes frères,

Nous allons demander à Dieu de susciter partout, dans tous les milieux, dans toutes les professions, des hommes et des femmes disposés à sacrifier leur vie pour semer un peu de bonheur autour d'eux.

 

Chapitre du soir.

Mes frères,

Voici quelques jours, au cours de l'Eucharistie j'écoutais avec vous la lecture, ou la proclamation plutôt d'un récit Evangélique, tiré de St Jean. Je ne sais plus exactement de quoi il s'agissait. Mais au moment même une pensée m'a traversé l'esprit. Puis elle est revenue et s'est installée et elle a fait son chemin. C'était celle-ci : Comment est-ce possible qu'une chose pareille soit arrivée, la condamnation, la mise à mort, le meurtre, le terme de Jésus-Christ ?

O, je sais qu'on donne beaucoup d'explications. Il était un blasphémateur, il était un gêneur, il était un émeutier, il était un hérétique. Oui, c'est vrai ! Mais ce n'est pas satisfaisant, il y avait quelque chose en dessous de cela. Et je me suis dit : « Mais enfin, est-ce que cela ne pourrait pas nous arriver aujourd'hui ? Le Christ revit aujourd'hui dans les hommes, dans certains plus que dans d'autres naturellement, mais il est dans tous. Est-ce que cela ne pourrait pas m'arriver à moi ? Non, pas tant, je dirais, être la victime comme le Christ, c'est encore assez honorable, mais bien d'être meurtrier du Christ ?

Je me suis dit : « Eh bien voilà, puisque nous sommes dans la Semaine Sainte, je pourrais peut-être vous faire part de mes réflexions à ce sujet Non pas pour me protéger, mais vous allez comprendre.

Les Juifs, à l'évoque du Christ, eh bien nous en avons une image caricaturale. Elle s'est forgée en nous à partir des récits Evangéliques lorsqu'ils sont lus de façon superficielle. Ce sont des hypocrites, ces Juifs, ce sont des arrivistes, ce sont des politiciens. Enfin c'est tout ce qu'on veut !

Et puis alors, il y a tout ce qui s'est accumulé au cours des siècles. Entendez un peu, à titre documentaire, les sermons de Saint Léon à l'occasion de la Passion, cette diatribe terrible contre ces Juifs. Il y a eu au cours des siècles les pogroms contre les Juifs, les génocides ; quand il arrivait quelque chose dans une cité, dans un pays, c'était toujours à cause des Juifs.

Nous l'avons connu, du moins les plus anciens ceux qui étaient dans le monde à cette époque là, les étoiles jaunes des Juifs pendant la dernière guerre, ces hommes traqués. Et puis vous le savez, 5 à 6 millions d'exterminés ! Oui, eh bien ça c'est le juif ! Eh bien nous autres, cette image du juif, nous la reportons sur les juifs à l'époque du Christ.

Enfin, pour avoir une petite comparaison, dans un univers qui nous est plus proche et qui nous touche peut-être de plus près dans notre vie, c'est un peu comme maintenant le patron, l'image du patron, ou bien le capitaliste, ou bien dans les milieux bourgeois, le socialisme. Il y a là toute une affabulation autour de ça, et des murs d1incompréhension s'élèvent entre les hommes.

Je me souviens lorsque je fréquentais non pas l'école du bon Dieu, mais l'école de satan, dès cet instant là j'ai été mis au ban de la société. Mes camarades du village, mais qui eux allaient à l'école du bon Dieu, ne pouvaient plus me parler, c'était interdit ! J'étais devenu un être extrêmement dangereux. Il fallait en éviter la proximité de peur d'en être contaminé ! C'est peut-être pour ça que finalement je me suis réfugié dans une trappe ?

Enfin voilà, voyez, c'est pour dire comment les choses vont, et comment les choses sont. C'est tout récent, moi je l'ai vécu aussi, je l'ai subi.

En fait, ces juifs à l'époque du Christ, mais c'étaient des hommes comme nous, ni meilleurs, ni pires que nous. Ce n'est pas parce qu'on est lié à Dieu par un contrat d'alliance qu'on est exempt de péché. Nous le savons, nous qui sommes aussi liés à Dieu. Et tous les jours, au moment de commencer l'Eucharistie, d'une façon ou d'une autre, nous nous reconnaissons publiquement pécheur. Et d'ailleurs il n'y a pas besoin de le reconnaître, de le dire, nous le faisons bien subir à nos frères, et nous devons aussi porter nous-mêmes notre état de péché.

Eh bien, les Juifs à l'époque du Christ, ils étaient comme nous. Pour être exempt de péché, vous savez, il faut autre chose que d'être lié à Dieu. Il faut être vraiment mort à tout, et puis ressuscité à une vie nouvelle qui est la vie en Christ. Il faut être devenu comme Lui, Lui qui n'a pas connu le péché. Et aussi longtemps que nous ne sommes pas arrivés là, eh bien, nous traînerons toujours des petites choses que les autres devront subir.

Alors pour ces hommes, ces contemporains du Christ, qu'en était-il par rapport à nous ? Il est certain qu'ils étaient profondément religieux. S'ils n'étaient pas exempts de péché, ils étaient certainement exempts de toute contamination idolâtrique. Cela, pour eux c'était fini. Avant Babylone, vous le savez, ils flirtaient volontiers avec les idoles de leurs voisins ; et puis alors, ils les épousaient en devenant infidèles à leur Dieu, qui pouvait alors jeter, pousser des hauts cris par les prophètes.

Et finalement il y a eu le divorce. Il a dit : « Cela ne va plus ! » Il les a renvoyés, il les a envoyés au purgatoire de l'exil. Et lorsqu'ils sont revenus, eh bien ils étaient guéris. Ils étaient tellement bien guéris qu'ils sont devenus farouchement purs dans leur religion.

Ils avaient un culte, un double culte d'ailleurs : ils avaient le culte de la volonté de Dieu dans la loi, la Tora. Ils l'étudiaient, ils l'analysaient, et ce qui mieux est, ils la pratiquaient. Ils avaient le culte de la présence de Dieu, cette présence de Dieu symbolisée dans ce temple, vers lequel affluaient les richesses, non seulement des Israélites habitant sur la Terre Promise, mais de tous ceux qui habitaient au loin, chez les goïyms , chez les païens, et qui versaient leur contribution pour l'embellissement de ce temple qui était une vraie merveille. Pourquoi ? Parce que Dieu y habitait !

Ils avaient le culte de cette présence de Dieu. Voyez un peu ! Exactement ce que nous faisons dans une vie contemplative : vivre avec Dieu et faire sa volonté. C'était leur vie à eux. Mais pas seulement à quelques hommes, mais à tout un peuple. Naturellement ce n'était pas la perfection, loin de là ! C'étaient des pécheurs aussi, mais l'intention y était et la pratique aussi. Ils le faisaient avec toute leur bonne volonté.

D'ailleurs ils avaient à l'endroit de Dieu un attachement inconditionnel et ils le montraient. Lorsque les Grecs ont essayé d'introduire leurs idoles, leur panthéon, leur mythologie, ça a été un fameux soulèvement. Il y a d'abord eu des martyrs.

Nous connaissons tout cela par Les Livres des Maccabées, de vrais martyrs. Je pense que dans l'ancien calendrier cistercien on en fêtait l'un ou l'autre, si j'ai bon souvenir ; ou on en parlait, on en parlai t certainement.

Et puis alors, ils se sont révoltés. Il fallait mourir pour la Loi et mourir pour le Temple, et ils mouraient. Ils se sont battus, ils ont fait du maquis d'abord et puis ils se sont groupés et ils ont mis les Grecs à la porte. Ils étaient devenus à nouveau les maîtres chez eux. Ils ont purifié le temple, purifié leur coeur, purifié tout. Ils étaient farouchement attachés à leur Dieu, à leur Loi, aux coutumes de leurs ancêtres, à leur temple, à leur terre. Que pouvait-on imaginer de mieux pour eux ?

Et alors, ils ont produit des merveilles de spiritualité. Vous savez, nos Livres Sapientiaux que par discrétion et par respect ils ont placé sous le nom d'un grand prophète ou d'un grand roi comme Salomon.

Naturellement, ils ont collationné des proverbes, des sentences qui venaient de beaucoup plus loin, de l'époque de la constitution de leur peuple et puis de la sagesse des nations qui les environnaient. Mais ils avaient purifié tout cela, ils l'avaient digéré, assimilé à leur être spirituel d'homme lié à Dieu.

Nous en connaissons quelques uns, mais enfin le tout dernier, quelques années, pas longtemps, 40 à 50 ans avant notre ère, le Livre de la Sagesse, le plus beau de tous. Voilà n'est-ce pas !

Il y avait aussi, à l'époque du Christ, des Saints qui vivaient, des Docteurs, des Rabbis, dont les sentences nous ont été conservées par les livres Juifs Talmudiques. Ces sentences peuvent être mises, pour la plus part, sur le même pied que les sentences du Christ, tellement elles sont profondes et qu'elles sont belles. Et voilà, telle était leur nourriture

Et alors mes frères, ce que ça donnait ? Cela a donné Marie ; ça a donné Joseph ; ça a donné les parents de Jean-Baptiste et Jean-Baptiste lui-même. Et puis tous ces amis de Jésus : celle dont on a parlé aujourd'hui, Marie, et sa sœur, et son frère, et tant d'autres, tant d'autres encore dont nous connaissons les noms, et puis dont nous ne connaissons pas les noms. Ce n'était donc pas un peuple de réprouvés. Non, il y avait des Saint, et des quantités, sur cette petite terre.

Mais alors, comment est-ce possible ? Toujours cette question: comment est-ce possible? On peut dire que dans l'histoire d'Israël, jamais le niveau religieux n'avait été aussi élevé qu'à ce moment là, jamais n'est-ce pas.

Il y avait chez eux une orthodoxie doctrinale qui était parfaite, et elle était tenue en main. Il y avait une foi vigoureuse qui s'était, encore une fois, exprimée dans cette lutte pour leur foi, dans leurs martyrs, et maintenant dans leurs Docteurs, dans leurs Saints.

Il y avait aussi un élan missionnaire qui était réel, et qui était puissant. Ils savaient très bien qu'ils possédaient un trésor, que ce trésor c'était leur relation avec le Dieu Unique, Créateur, ce Dieu qui les aimait, qui les portait, qui les protégeait. Mais ils ne voulaient pas le garder pour eux seuls, ils voulaient en faire profiter les étrangers.

Vous aviez des prosélytes, ils envoyaient même des shelihim , des apôtres. Ils les envoyaient au loin pour essayer de prêcher un petit peu dans ce monde païen la véritable connaissance de Dieu. Et ça, non seulement à partir de Jérusalem, mais à partir de toutes les communautés qui étaient dispersées à travers le monde connu de l'époque.

Eh bien, on peut dire que les conditions optimales étaient réunies à ce moment là pour l'incarnation du Verbe de Dieu. C'est d'ailleurs à ce moment là qu'il est venu, qu'il s'est incarné. C'est à ce moment là, que l'arbre d'Israël avait produit et sa fleur et son fruit qui était Marie. Cela ne pouvait pas germer sur une racine pourrie, ni sur un tronc vermoulu ? Non, il était un pleine vigueur.

Et alors, quand on voit tout ça, et qu'on sait tout ça, on se demande mais comment est-ce possible que lorsque le Verbe de Dieu incarné soit là, ça se termine sur une tragédie pareille ?

Voilà l'idée, la pensée qui m'est passée à travers la tête. Et si vous voulez, demain et après demain, en attendant le Jeudi-Saint et alors le déroulement pour nous de cette terrible tragédie, nous allons si vous le permettez y réfléchir, parce que encore une fois nous sommes très intéressé par cette chose. Il y a toujours derrière ma tête cette arrière pensée alors qui est là : oui mais, est-ce que aujourd'hui ça ne pourrait pas encore nous arriver à nous ?

Il faut dire que c'est arrivé ! Mais à nous ?

MARDI-SAINT.

Chapitre du soir.

Mes frères,

Dans le procès du Christ il y a un élément troublant, et c'est celui-ci : il est mis à mort non pas par la racaille mais par l'élite intellectuelle et spirituelle de son peuple, et cela contredit toutes les règles du jeu.

Le juste, suivant ces règles, si je puis me permettre cette expression, doit être mis à mort par les impies. Il est pour eux un reproche vivant. Le Livre de la Sagesse a un long développement à ce sujet : les impies ne savent plus le voir, ils ne savent plus le sentir. Il faut l'écarter ce juste, il faut le mettre hors d'état de nuire ! On va lui tendre un piège et on va le tuer.

Il n'en n'a pas été ainsi pour Jésus. C'est plutôt la racaille qui lui courait derrière, et il a été assassiné par l'élite religieuse de son peuple. Et ça, c'est quelque chose d'assez troublant !

Cette élite, c'était des hommes, nous les connaissons, des pharisiens des scribes, des docteurs, des prêtres. C'était l'ossature et la musculature du peuple d'Israël, ce qui lui donnait la santé, le tonus spirituel, et matériel aussi à toute la nation. Ces hommes avaient maîtrisé le phénomène Dieu. Ils n'avaient plus rien à apprendre, ni au sujet de Dieu, ni au sujet de la Loi, ni au sujet du Royaume de Dieu.

Ils avaient tout préparé, et tout était achevé. Dieu pouvait venir chez eux, il y serait bien accueilli. Ils lui avait édifié une maison, un palais, un temple spirituel qui était le Royaume déjà dans toute son organisation. Il ne fallait plus que le roi. Ils lui avaient préparé un trône, tout était là, tout était achevé.

Il suffisait que Dieu l'envoie du ciel, là où il le tenait en réserve car pour eux le Messie était déjà dans le ciel, et il allait venir sur des nuées. Pensez à cette tentation du Christ : « Jette-toi en bas du temple, et tout le monde va t'applaudir, tu seras le Messie qui descend du ciel.

Ils l'attendaient, ils l'accueillaient, il était sur son trône. Et alors, à partir de là il pouvait gouverner au nom de Dieu, non seulement Israël, mais aussi l'univers entier. Et c'était la gloire suprême pour Israël, la gloire suprême pour tous ces sages et justes, dirigeants d'Israël ; et puis gloire suprême aussi pour Dieu.

C'était le plan de Dieu qui s'achevait. Il y avait alors une sorte de complicité qui s'établissait entre Dieu et ces hommes, Dieu devenait leur obligé, Dieu leur devait une rétribution, une récompense. Pensez encore à ces petites choses, pour dire que cela flottait dans l'esprit de tout le monde, même des apôtres. Lorsque la mère des enfants de Zébédée demandait : « Eh bien, un sera à ta droite et l'autre sera à ta gauche dans ton royaume ». C'était toujours là !

Et n'allons pas penser que c'est un phénomène propre aux Juifs, c'est la grande tentation de tous les hommes religieux ; et plus on est religieux et plus cette tentation est violente.

Cela a été la grande tentation des chrétiens. Pour eux, ça c'était réalisé. Cela avait échoué pour les Juifs, mais eux avaient leur Roi, ils avaient leur Messie. Eux avaient partie liée avec Dieu, par une Alliance beaucoup plus intime, beaucoup plus serrée que l'Ancienne Alliance, c'était la nouvelle !

Nous avons eu alors ce phénomène de la chrétienté qui était symbolisé. Cela a commencé avec le fameux Pape Boniface VIII et puis un de ses successeurs, la triple couronne sur la tiare. Le représentant du Christ sur la terre, le Christ gouvernant la terre au divin, au spirituel et au temporel par l'entremise de son Pape, de son premier ministre Pierre. Et si nous voulons bien y réfléchir, nous devons nous dire que cela prend seulement fin maintenant, ce n'est pas si ancien.

C'est Paul VI qui vient de déposer sa tiare, il l'a déposée, il l'a enlevée. Il a dit : « C'est fini ! » Et ses successeurs Jean-Paul l et Jean-Paul II n'en n'ont plus voulu. C'est une affaire classée. On peut dire qu'une page est tournée. Mais que de malheurs et de catastrophes avant qu'on en arrive là !

Et ce n'est pas encore un phénomène propre aux chrétiens. Voilà que ça resurgit aujourd'hui, de nos jours, dans cette année-ci, dans ces républiques Islamiques qu'on voit venir. Il y en a eu une en Libye depuis quelques années, et en voici une en Iran pour l'instant. Et nous avons là. un vieux chef religieux, tout vieux, qui fait marcher combien ? 30 à. 40 millions d'hommes et de femmes ?

Il vient, il y a quelques jours à peine, de menacer ces millions du fouet de Dieu, c'est son expression, du fouet de Dieu s'ils ne voulaient pas marcher selon les strictes lois de l'Islam. On condamne, dans ce pays, des hommes à mort pour le délit de lèse non pas majesté, mais lèse-Dieu, atteinte à 1 'honneur de Dieu.

Or vous voyez des millions et des millions de personnes, d'hommes, de femmes, qui ne sont pas des sous-évolués, qui emboîtent le pas. Voilà de nouveau le règne d'Allah dans ce pays.

Toute la viande congelée par exemple, il faut la jeter. Or c'est un pays qui est déjà assez civilisé, et il faut la jeter parce qu'elle est impure selon les lois de l'Islam. Les femmes, qui sont aussi coquettes là-bas qu'ici, il veut les obliger à porter le voile, fermé jusque en-dessous des yeux, vêtues en noir. Et voilà, sinon attention au fouet de Dieu .

Et le fouet de Dieu c'est le poteau d'exécution, il faut bien savoir ce que c'est. Vous voyez ! Et c'est encore une fois des braves gens qui sont mis à mort par des justes, par des hommes profondément religieux, qui prennent à coeur l'honneur de Dieu. C'est ça un peu l'ambiance en Palestine au moment où le Christ est arrivé.

Mais on trouvera cela aussi dans les monastères. Comment cela va-t-il se traduire alors ? Cela. va se traduire par le triomphe de Dieu par la régularité et la ferveur. Observer la Règle ad litteram , donc la lettre de la Règle. Et puis alors tout ce qui vient autour de la Règle : les lois, les ordonnances, les prescriptions, les rubriques. Tout, tout, tout à la lettre. Alors nous avons là un exemple de ferveur, parce qu'on fait à ce moment là la volonté de Dieu, tout son être est donné dans le cadre. Car c'est vu comme un cadre que Dieu a préparé, dans lequel il faut entrer le Royaume de Dieu sous cette forme.

Et alors en conséquence, il y a une sorte de bilatéralité qui s'installe entre Dieu et le monastère régulier et fervent. Dieu lui doit la prospérité matérielle et aussi un abondant recrutement. Et c'est ça qui arrive !

Mais tout cela, vous voyez, ça fait rêver parce que apparemment ces tentatives, celles des Juifs donc, celles de la chrétienté, celles de ces républiques Islamiques, celles de ces monastères, apparemment c'est très beau, mais il y manque quelque chose, il y manque un rien. Et c'est ce rien qui fait tout claquer ; c'est ce rien qui fait que ces édifices qui apparaissent somptueux et très beaux, et même solides, ils deviennent des instruments de monstruosité et que finalement le Christ est à nouveau mis à mort !

Mais qu'est-ce qu'il manque ainsi ? Quel est ce petit rien qui manque ?

Il est trop tard pour commencer aujourd'hui à en parler. Si vous le permettez, nous le laisserons pour demain soir...

 

MERCREDI-SAINT.

Chapitre du soir.

Mes frères,

A ces Juifs contemporains de Jésus, qui étaient des gens profondément pieux, des gens animés d'un zèle extrême pour Dieu et pour la Loi, Saint Paul qui avait été l'un des leurs leur rend ce témoignage ; à ces Juifs qui étaient irréprochables il leurs manquait quelque chose, un petit rien qui les aurait mis en consonance avec Dieu, et qui leurs aurait permis alors de comprendre le Christ, de l'accueillir, de se donner à lui. Il leurs manquait un oligo-élément.

Vous savez ce qu'est un oligo-élément dans un organisme. Nous portons en nous en quantités infinitésimales des métaux, des métalloïdes : du fer, du zinc, du manganèse, du cobalt, du cuivre, même de l'or. Et si un de ces oligo-éléments fait défaut, s'installe en nous une maladie de carence qui introduit toutes sortes de déséquilibres, et qui peut même si elle s'installe et qu'on ne peut la corriger, elle peut même conduire quelqu'un à la mort.

Il manquait donc à ces Juifs un oligo-élément. Et ce tout petit élément qui les aurait mis en consonance avec Dieu, c'était un petit grain de folie ! C'étaient des gens trop raisonnables. Or vous le savez, les gens trop raisonnables sont atteints d'une double maladie.

D'abord la raideur ! La raideur, oui, une sorte de raideur organique. Ils sont engoncés dans le faux col de leurs raisonnements, de leurs déductions, de leurs conclusions, de leurs habitudes.

Et alors, corrélativement, la seconde maladie c'est la peur de vivre. Rien ne doit déranger des gens trop raisonnables. Il ne faut pas bousculer leurs raisonnements, car c'est trop bien construit. Si on introduit un élément perturbant, alors ils se dressent vous voyez, ils redeviennent raides, ils se raidissent, et ils peuvent devenir méchant !

Voilà les gens trop raisonnables ! Tels étaient ces Juifs parce qu'il leurs manquait ce petit condiment indispensable pour être au rythme de Dieu, condiment qui est un petit grain de folie, n'est-ce pas ! Ils étaient aussi, à cause de cela, trop sûrs d'eux-mêmes. Ils savaient très bien qu'ils possédaient la clef de la sagesse, la clef de la science, la clef du savoir ; et alors ils n'avaient plus rien à apprendre. Ils avaient la clef, lorsqu'ils avaient besoin de quelque chose ils pouvaient entrer, le prendre, l'utiliser. Ils possédaient tout !

Vous savez, là, c'est une race d'hommes qui n'est pas inconnue dans les monastères. Vous savez, les gens qui savent tout, qui possèdent la clef de tout, qui n'ont plus rien à apprendre. Il serait intéressant une fois d'en faire le portrait. C'est extraordinaire, c'est très beau ! Ou bien en faire le portrait après leur décès peut-être, ce qui serait encore beaucoup plus intéressant, on pourrait s'en donner à coeur joie !

C'étaient aussi des gens trop vertueux. Cela est un malheur, ces gens trop vertueux, car ils sont impitoyables. Je ne dis pas les gens vertueux, mais trop vertueux. L'excès nuit dans tout, même dans le domaine de la vertu. Ils sont impitoyables pour les autres, quand ils n'entrent pas dans leur catégorie de vertu, la leur naturellement qui est la norme de tout. Attention hein, ce n'est pas absent non plus dans les monastères !

Un exemple de gens trop vertueux, je ne veux pas parler d'ici, mais il est tiré de récits Biblique. Vous savez, ces gens se scandalisent vite. Pensez à cette histoire des épis froissés : Hé, tes disciples font quelque chose qui n'est pas permis le jour du Sabbat. Ils sont en train de froisser un épi ! Attention, ils n'ont pas assez de vertu pour nous ! Des gens trop raisonnables !

Un autre, c'est tout récent encore, lorsque cette femme veut verser sur la tête ou sur les pieds de Jésus un parfum d'un prix, hors prix ! Que disent les gens trop raisonnables ? « Mais enfin, c'est fou ça, on aurait dû le vendre, quelle affaire ! Qu'est-ce que ça n'aurait pas rapporté si ça avait été bien placé ? Pourquoi le gaspiller à des choses pareilles ? »

Ou encore : « Il fallait le donner à des pauvres, ils en ont plus besoin que les pieds de Jésus, allons ! » Voilà, vous voyez, des gens trop raisonnables ! Mais cette femme, elle avait ce grain de folie, et Jésus l'avait aussi et ils étaient, eux, en consonance, les autres pas. C'est cela, c'est qu'il manquai t aux Juifs !

Car ouvrons bien les yeux, surtout en ce moment de Pâques. Dieu lui-même comme il est Dieu, il n'a pas un petit grain mais un gros grain de folie, parce que Dieu d'abord est créateur. Or un créateur, il doit toujours être marqué à un endroit ou l'autre. Pourquoi ? Parce que la création est un jaillissement continu de nouveautés imprévisibles. Dieu, s'il est créateur, est un improvisateur et, ça veut dire ceci : Dieu, il crée .

Il ne va pas chercher un plan qui a été préétabli et qui se trouve dans ses archives, quelque part. Et puis il voit le plan, c'est bien construit, c'est raisonnable, c'est bien achevé, maintenant passons à l'exécution.

Non ! ça ce n'est pas Dieu, ça c'était les Juifs, mais pas Dieu. Dieu lui, il ne sait pas ce qu'il va faire dans la seconde qui va suivre...il improvise et il le joue, et il le fait sortir et il le fait jaillir au fur et à mesure. Voilà, Dieu est créateur !

Alors c'est imprévisible, ça veut dire que pour les hommes qui, eux, sont entraînés dans cette création divine, il n'y a pas d'installation possible. On ne peut pas dire : « Ah, maintenant je suis tranquille, je sais ce qui va arriver. Ah non ! Il va arriver un imprévu parce que Dieu crée. Il va jaillir quelque chose qui n'était pas au programme.

C'est intéressant des spectacles sans programme, quand on le sait avant ça ne va plus, l'effet de surprise est émoussé, il n'y en a même plus d'ailleurs, on le sait bien, c'est du rejoué. Mais pour vivre avec un Dieu pareil, il faut être ouvert à toutes les surprises.

Et alors, Dieu avait rencontré sur sa route un homme qui lui s'était prêté à ce jeu divin, c'était le Père du peuple, c'était Abraham. Abraham, lui, ne savait pas, c'est bien dit. Il partait comme ça, sans savoir. Il ne savait qu'une seule chose, c'est qu'il était entraîné dans un jeu, dont le maître, le chorégraphe, le Chorègos , était le créateur lui-même.

Eh bien, lui, il y entrait non seulement de bon coeur, mais avec un certain enthousiasme. Dieu pouvait lui demander n'importe quoi. Et même à un moment donné Dieu lui dit : « Je te donne un gosse ». Eh bien, quelques années après, quand il est devenu déjà homme, « Eh bien maintenant, tu vas me le rendre ! »

Voilà, il le fait, mais au dernier moment, à la dernière seconde, il lui dit : « Non, non, non, non, voilà, nous changeons maintenant de décors, et c'est autre chose. Avec celui-là je m'en vais faire... Voilà, vous voyez, ça c'était Dieu, et Abraham jouait tout ça.

Et en langage théologique maintenant, à notre niveau, c'est ça qui s'appelle la Foi . Et c'est la raison pour laquelle, aujourd'hui encore, nous qui sommes ici, nous sommes entraînés dans ce grand drame, dans ce grand spectacle qui a été mis en route par Dieu avec son premier acteur qui était Abraham. Et nous maintenant, nous entrons dans son sillage, nous entrons dans son rythme et nous devons suivre.

Revoyez un peu ici tout le raisonnement que tient Saint Paul lorsqu'il dit : « Les véritables Israélites, mais ce sont ceux qui entrent dans le jeu avec leur Père Abraham. Ce ne sont pas ceux qui se réclament de lui, d'une ascendance charnelle sans le suivre dans ce jeu. Voilà ! Mais pour entrer dans ce jeu, il faut être comme Abraham un peu piqué de folie quelque part !

Et c'est ça qui manquait à ces juifs trop raisonnables, trop sages. Trop de sagesse nuit aussi. Je parle sagesse non pas dans le sens de la Sagesse, vous savez, la Grande Sagesse, non, sage comme on dit : un enfant sage.

Alors je disais tantôt que Dieu était frappé d'une grosse part de folie, pas d'un petit grain. Petit, c'est à l'échelle de l'homme, mais pour Dieu c'est à l'échelle à lui. Et voilà un exemple : c'est que Dieu se contredit tout le temps. Il dit oui aujourd'hui, puis il dira non demain ; non, pour nous, mais pour lui c'est toujours oui !

Dieu à un moment donné décide de se faire homme. Or c'est ce même Dieu dont on ne peut pas s'approcher, on ne peut pas le regarder, on ne peut même pas prononcer son nom, on ne peut faire de lui aucune image taillée, aucune reproduction, rien, rien. Et voilà que du jour au lendemain il se fait homme comme n'importe lequel ; il se laisse toucher, il se laisse élever, il se laisse enseigner. Et voilà, c'est un homme comme un autre.

Mais ça, c'est exactement le contraire de tout ce que Dieu a toujours dit et fait jusqu'alors ! Allez un peu entrer dans un jeu pareil ! Et alors ce Dieu là, scandale, il prend le parti des pécheurs !

Et ça, c'est tout à fait en contradiction ! Lui, le Dieu terrible : on ne peut pas y toucher à ce Dieu et de suite la vengeance, le châtiment est là. Mais non, c'est fini tout ça, maintenant il est l'ami des pécheurs, des receveurs des contributions qui à l'époque étaient le modèle du pécheur. Qui encore ? les filles perdues, les femmes qui n'y regardent pas de trop près, des pauvres types qu'il ramasse le long de la rue. Et voilà, il va manger avec eux et ils sont leur ami. Il est l'ami des pécheurs.

On va dire : « Oui, mais ils ne restent pas pécheurs. Oui, c'est vrai, ils ne restent pas pécheurs, mais enfin s'ils ne le sont plus, ils l'ont été et, ils pourraient tout de même bien le redevenir. Il est l'ami des pécheurs !

Et alors, il fait sauter tous les cadres et toutes les conventions saintes que lui-même a édictées, entre autre la règle du repos du Sabbat. Naturellement ses fidèles irréprochables, eux, ils ont tellement bien précisé le Sabbat que c'est à peine si on ose encore respirer un jour de Sabbat. Oui, mais enfin lui il fait sauter tout cela. Vous voyez cette folie de Dieu !

Et alors il faut, pour comprendre le Christ qui est Dieu, il faut entrer, il faut être piqué un peu de cette folie. Il y en a un qui est une référence pour cela et un modèle pour toujours: c'est l'Apôtre Paul. Hier à la lecture des Vêpres, dans l'Epître au Corinthiens, on n1a fait que de parler de cela et de dire : « Mais enfin, cette folie de Dieu, mais elle est plus sage que toute la sagesse des hommes » . Il a dit : « Mais si vous voulez devenir sage, vraiment sage, mais enfin devenez fou selon Dieu »  ; et alors vous serez en consonance avec Dieu, vous serez en sympathie avec lui, vous marcherez à son rythme, vous comprendrez le Christ et vous l'accueillerez.

Vous voyez, mes frères, si les Juifs pour leur malheur n'ont pas accueilli le Christ, et non seulement ils ne l'ont pas accueilli mais ils l'ont condamné et ils l'ont tué, c'est tout bonnement parce que le Christ était un fou  ! Et c'est bien ainsi !

Vous devez vous en souvenir, lorsque le Christ a comparu devant un juge Juif, c'est à dire Hérode, Pilate le lui avait envoyé, et Hérode l'a tout simplement revêtu de la d6froque d'un fou pour l'envoyer à Pilate. C'était un signe très expressif de dire : « Celui-là, il doit être écarté, il doit être mis hors circuit, il doit être rendu inoffensif en le supprimant car il n'est pas digne de vivre. Il fait injure à Dieu, il fait injure au peuple, il fait injure à l' humanité, à tout le monde. »

Eh bien voilà, si nous voulons, nous, ne pas tomber un jour dans le piège de ces Juifs très pieux, et un jour ou l'autre ne pas non plus condamner et tuer le Christ dans un de nos frères, ce qui est toujours possible, eh bien, nous devons nous aussi être piqué de ce grain de folie qui nous rend alors conforme au Christ, qui nous rend en sympathie, en harmonie avec Dieu et qui nous permet d'accueillir tout l'imprévisible. Imprévisible qui ne l'oublions pas, est un imprévisible qui jaillit de l'Amour. L'Amour ne se répète jamais, l'Amour est toujours neuf !

Et alors, pour entrer dans ce grand jeu, ce grand spectacle, cette grande danse de l'Amour, et bien nous devons nous aussi être amoureux dans notre coeur. Et vous savez que l'amour, comme on dit, c'est la folie suprême. Et puissions-nous en cette période de Pâques en être tous frappé : non pas un petit grain, mais un gros n'est-ce pas !

 

JEUDI-SAINT

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VENDREDI-SAINT.

Homélie de l'Office de la Passion.

Mes frères,

Si nous voulons être sauvés de la mort, si nous voulons échapper à ses griffes même après qu'elle nous aura engloutis et qu'elle paraîtra définitivement victorieuse, nous devons à l'exemple du Christ nous soumettre en tout à notre Père, qui seul connaît le sentier par lequel il nous fera passer, afin d'échapper à cette dévoreuse qu'est la mort.

Mais nous devrons aussi, au préalable, recueillir en nous le cri lancé par le Christ. Le moine doit être la gorge, les lèvres, la langue des hommes qui ne veulent pas mourir. Il doit en être le coeur, ce coeur qui se révolte contre l'absurdité de la mort.

Et le Christ, mes frères, c'est Dieu ayant voulu expérimenter dans une chair d'homme ce qu'est la mort, et la mort dans toute son horreur. Maintenant, nous savons que Dieu peut nous comprendre. Il a vécu lui-même tout ce qui se passe dans l'homme qui doit mourir, dans l'homme qui souffre, dans l 'homme qui refuse.

Il a vécu tout ce qui vient avant la mort : les lâchetés, les trahisons, les compromissions, les égoïsmes, les haines, la cruauté, tout , les milles et milles formes du péché. Il a vécu aussi tout ce qui accompagne la mort et tout ce qui la suit : les séparations, les abandons, l'impuissance, l'anéantisation de l'être, le vide, et aussi toutes les autres formes de mort, tous les désespoirs sans issues et sans amour.

Déjà le prophète avait pressenti qu'un homme devrait un jour récapituler dans son être tout le négatif de l 'humanité. Et cet homme, ce fut le Verbe de Dieu incarné. Jamais on aurait oser imaginer une révélation pareille ; et cela met en notre coeur un tourment aujourd'hui, si nous avons une âme noble s'entend, pas si nous sommes des êtres vulgaires. Les êtres vulgaires aiment de voir souffrir les autres et de les faire souffrir.

Mes frères, il y a en nous un tourment, le tourment d'avoir aggravé le fardeau de cet homme. Et aussi un autre tourment, le désir, le besoin d'alléger la charge qui pèse encore aujourd'hui sur lui. Et cela nous le pouvons ! Nous le pouvons, si nous lui permettons de vivre un peu en nous la mission qu'il doit poursuivre ainsi à travers les hommes jusqu'au moment où tout sera parfaitement accompli.

Et cela nous le ferons, mes frères, si nous affrontons le mal, la souffrance, si nous l'affrontons dans la personne des autres, dans la personne de nos frères, et cela sans céder à l'amertume, mais en absorbant tout ce mal dans le feu dévorant d'un amour ; de l'amour qui le possédait lui, Jésus, et qui maintenant essaye de nous habiter ; un amour qui nous saisit, qui nous brûle et qui voudrait faire de nous des torches qui absorberaient, qui détruiraient tout le mal.

Oui mes frères, le moine doit être ainsi feu, et il doit être cri ; il doit être prière et il doit être amour. Et il doit recevoir, recueillir dans ses mains le souffle, tous les souffles de vie : le sien, celui des hommes, celui de ses proches, celui de ses frères ; et les confier à la main de celui qui seul peut les délivrer de la mort parce que son nom est Amour.

Il y a une incompatibilité absolue entre l'amour et la mort. Si Dieu est Amour, il ne peut pas permettre que nous soyons définitivement absorbés, digérés plutôt, par cette monstruosité qu'est la mort.

Mes frères, nous le savons Dieu est Amour. Et si nous déposons dans sa main notre vie, même si biologiquement nous serons malgré tout détruit par uns sorte de fatalité liée à notre nature, la nature matérielle et charnelle, nous savons que ce souffle nous sera rendu mais animé cette fois par le propre Esprit de Dieu ; nous permettant alors dans un corps neuf, spiritualisé, de partager pleinement la vie de Dieu dans le Royaume qu'il nous a préparés, et où déjà le Christ nous a précédé pour nous préparer une place.

 

Office du soir.

Mes frères, Au stade d'avancement où se trouve notre célébration liturgique, nous sommes arrivés à l'endroit dont il est dit que Jésus est descendu aux enfers, pour reprendre l'expression de notre Credo. Mais qu'est-ce que cela veut bien vouloir dire ?

Ce n'est pas facile à expliquer et ce n'est pas facile à comprendre. Nous sommes introduits au coeur du mystère le plus profond, peut-être, de l'aventure du Christ : cette descente aux enfers.

Nous pouvons dire à première vue, ainsi, que le Christ partage tout bonnement la condition de tous les hommes. Et c'est vrai, l'incarnation n'eut pas été achevée, elle eut été une illusion si le Christ au moment de son décès, de sa mort, n'était pas entré comme les autres hommes dans un état d'anéantissement total.

Le Christ n'existe plus ! Il y a dans ce tombeau un tas, une chose, ce n'est plus une personne ; il est réduit à l'impuissance absolue, il est néantisé. Mais, comme le Christ est la personne même du Verbe de Dieu, on peut dire que Dieu est mort ; plus précisément qu'un état de mort a été introduit au coeur de la Divinité. Et nous sommes alors en plein mystère,

Nous devons prendre garde, ici, de ne pas laisser courir notre imagination affabulatrice, et de projeter sur la personne du Christ nos rêverie, nos illusions, nos évasions, nos fausses espérances, et de voir le Christ, ou une partie du Christ, ou un esprit qui serait le Christ en train de déambuler dans des enfers, allant souhaiter et encourager d'autres esprits qui seraient, là, enfermés.

Pourtant, si les choses se passaient ainsi, le Christ ne devrait pas ressusciter d'entre les morts, il aurait accompli sa mission. Mais non, il est homme.

Nous devons, pour pénétrer un tout petit peu, pour effleurer correctement le mystère, car y pénétrer n'est presque pas possible, nous devons nous référer uniquement à notre foi. Or la foi, comme vous le savez, est obscure. Elle est une percée dans la nuit, elle est une lueur qui nous permet d'appréhender un peu cet univers du Divin qui nous est naturellement étranger.

Or, le Christ au moment de mourir, d'après l'Evangile de Saint Luc, a prononcé une parole qui est une des plus extraordinaire qu'il ait prononcée de toute son existence. Il l'a empruntée au Psaume et il dit :  « Père, dans ta main je dépose mon souffle. »

C'est une parole dont la hauteur, la profondeur, la longueur et la largeur ne sauraient être exploré par un esprit humain, et elle renferme à elle toute seule tout le mystère du Christ, tout le mystère de la création, le mystère de Dieu, le mystère de notre Rédemption et aussi tout notre avenir à nous. Et c'est sur elle que nous pouvons nous reposer pour comprendre un peu, un tout petit peu, ce que signifie cette descente aux enfers à laquelle le Christ s'est soumis.

Le Christ confie à son Père son esprit. Son esprit, c'est la ruah, c'est donc le souffle que Dieu a insufflé dans les narines de l'homme au moment où il l'a créé. Et dès ce moment, l'homme est devenu une respiration de vie. Ce souffle n'appartient pas en propre à l'homme, il vient de Dieu, mais il est donné à l'homme : c'est un cadeau !

Et par ce souffle, l'homme participe déjà d'une certaine manière, certaine et bien réelle déjà à la nature Divine. Ce n'est pas encore la nature Divine proprement elle, mais c'est quelque chose qui le rend déjà semblable à Dieu par une certaine participation qui vient du fait que ce souffle provient lui-même de ce Dieu. Et voilà que ce souffle qui anime, qui fait vivre le Christ Jésus, celui-ci le dépose dans la main de son Père.

Or la main de Dieu, c'est sa toute puissance amoureuse. Et cette puissance, elle est double. D'abord parce qu'elle est puissante, une tautologie. Personne ne peut rien arracher à la main de Dieu, personne ! Dès qu'un dépôt lui est confiée, ce dépôt est en parfaite sécurité. Et, sécurité double du fait qu'il est confié à l'Amour, à cet Etre qui ne peut que rendre au centuple ce qu'on lui a confié une fois.

Lorsque le Christ présente des paraboles où on voit un maître de maison confié à ses esclaves un talent, deux talents, dix talents, suivant les capacités de chacun, que voit-on après lorsqu'il demande des comptes? Un lui rapporte le double, un autre le double et un rien du tout !

Le Christ, là, va chercher son point de référence, son point de comparaison chez son Père. Car, si à son Père, on confie un simple souffle, qu'on a d'ailleurs reçu déjà, au moment où le Père va le restituer, ce ne sera pas au simple mais ce sera, si je puis m'exprimer ainsi, ce sera avec des intérêts, ce sera au double, au quintuple, au décuple, au centuple. Car, dès ce moment, le souffle sera animé lui-même par un autre souffle qui sera l'Esprit propre de Dieu.

Et dès ce moment là, l'homme est parfaitement divinisé et il entre par une nouvelle respiration, par un nouvel oxygène qui n'est plus notre oxygène mais un oxygène Divin. Et cet oxygène Divin fait que son souffle, maintenant, est une respiration Divine et n'est plus une simple respiration humaine. Alors on comprend que le Christ dépose dans la main de son Père son souffle, et il l'y dépose. Le terme qu'il utilise signifie mettre en dépôt, confier pour retirer après, c'est à dire pour le recevoir en retour pour être restitué.

Voyez donc ce que fait le Christ ! A ce moment là , dit l'Evangile, il expire . Cela veut dire que son souffle s'en va, et qu'il va se reposer dans la main de son Père, qui lui le met de côté. Mais le Christ, dès ce moment là, sait déjà qu'il va ressusciter des mort, car le souffle qu'il a confié et qui est dans la main du Père, il lui sera rendu, mais alors dans la plénitude de la vie Divine.

Mais on va dire : « Oui, mais le Christ était déjà le Verbe de Dieu ! » C'est vrai, il est le Verbe de Dieu, mais il est aussi, ne l'oublions pas le péché, c'est à dire qu'il porte en lui tous les crimes, tous les refus des hommes, tous les anti-Dieu des hommes.

La mort, mes frères, nous apparaît maintenant, lorsque nous la voyons ainsi à travers le Christ, pour ce qu'elle est vraiment. Elle n'est pas le contraire de la vie, elle est d'abord le contraire ou le contradictoire de l'Amour et de Dieu lui-même. Et, étant le contraire de Dieu et de l'Amour, elle est alors le contraire de la VIE. C'est la raison pour laquelle les Ecrits Bibliques dès le début, et puis surtout alors le Christ et ses successeurs les Apôtres ont toujours lié la mort au péché.

N'allons pas maintenant encore une fois nous lancer dans toutes sortes de suppositions et dire : « Oui mais, si l'homme n'avait pas péché, que serait-il arrivé ? » Eh bien il serait mort quoi, mais n'allons pas imaginer comment !

Il y a une mort qui est liée à son état biologique, physiologique comme tel. Mais il y a aussi à l'intérieur de cette mort une autre mort, et c'est celle-là qui devait être exterminée, qui devait être annihilée. Mais pour l'annihiler, il fallait que le Christ introduisit à l'intérieur de la Divinité cette annihilation. Et c'est là que se présente le nœud du mystère !

Voici donc le Christ, qui est ne l'oublions pas la Personne du Verbe, qui entre dans un état qui n'est même plus un état, car ce n'est rien ; il est néantisé, il est mort.

Et comme il s'agit ici de Dieu lui-même qui à l'intérieur de son être personnel introduit volontairement comme une rupture, c'est à dire une sorte de lieu où Dieu n'est pas - car la mort, c'est le lieu où Dieu est totalement absent, et étant absent il y a là une sorte d'anti-Dieu - Dieu introduit donc à l'intérieur de son être comme une contradiction. Il partage donc le sort de l'homme qui se condamne à être séparé de Dieu toujours.

A ce moment, Dieu se solidarise dans la personne du Christ mort de tous les damnés, c'est à dire de tous les condamnés, de tous ceux qui doivent subir les conséquences du péché. Mais cette solidarité, elle se produit une fois et elle est achevée en une fois, mais elle va jouer toujours c'est à dire qu'elle va continuer à jouer dès l'instant où le Christ, par l'intervention de son Père qui va lui restituer le souffle qu'il a reçu de sa main, va revenir à la vie.

Et dès cet instant là, tous les hommes dont il s'est rendu solidaire jusqu'à dans l'anéantissement, tous les hommes vont avec lui revenir à 1a vie et, les voilà sauvés !

C'est l'acte que Dieu ne pouvait pas poser s'il n'avait pas été Amour car c'est totalement inimaginable pour un homme de pousser les choses si loin. C'est à dire encore une fois, c'est pour Dieu dans son être Divin vraiment presque s'anéantir en tant que Dieu, pour à partir de là entrer dans ce lieu où il n'y a plus rien de Lui ; donc pour se rendre solidaire à une profondeur encore infiniment plus profonde, que n'importe quel homme, que tous les hommes ensemble, que tous les crimes des hommes ne sauraient pas atteindre, pour se rendre solidaire de tout cela et à partir de ce moment, récapituler tout en lui et rendre la vie lorsqu'il ressuscite à l'humanité entière.

Voilà mes frères ce que nous pouvons peut-être essayer de saisir, mais combien imparfaitement, de ce qu'est cette descente aux enfers pour le Christ qui, ne l'oublions damais, est le Verbe de Dieu.

Et pour nous maintenant ? Eh bien, c'est dans cette perspective que nous devons voir venir notre mort. Car, ne nous faisons pas d'illusions, nous allons bientôt mourir. Qu'est-ce que cela peut faire quelques années de plus ou de moins à l'échelle de la durée du cosmos...c'est demain, c'est bientôt !

Parmi nous, ici, il y en a peut-être qui ne seront déjà plus là l'année prochaine ? Voyons les choses froidement, n'ayons pas peur ! Encore une fois, la meilleure chose à faire, c'est de prendre son souffle et de le confier.

Mais cela signifie ceci, ce que l'auteur de l'Epître aux Hébreux nous a dit aujourd'hui encore : Le Christ , dit-il, a été écouté dans son appel pour être justement sauvé de cette mort grâce à sa SOUMISSION en TOUT . Cela veut dire qu'il y a une sorte de contrat tacite, de convention tacite ou de complicité - voyez là dans le sens étymologique du mot - qui se noue entre Dieu et l'homme.

Le Christ, lui, au moment de mourir dit : « Tout est achevé !  C'est consommé, c'est achevé, c'est accompli. Tout ce que toi, mon Père, tu m'as demandé de réaliser, je l'ai achevé. Je n'ai pas manqué une seule de tes paroles ; d'ailleurs je suis Ta Parole, même dans mon être d ' homme ».

Eh bien, c'est à cause de cela que Dieu ne pouvait rien lui refuser non plus, donc il ne pouvait pas lui refuser son retour à la vie. C'est à dire sa résurrection plutôt, pas un simple retour à la vie, car le Christ ne sera plus après comme il était avant. Maintenant c'est fini, nous ne le connaîtrons plus corporellement, ce n'est plus possible.

Il n'est possible, maintenant, de le voir qu'avec les yeux de la foi, ou bien, avec le regard déjà transfiguré, divinisé, du contemplatif qui étant purifié peut le voir, mais dans son être de ressuscité et de Fils de Dieu, brillant, éclatant de gloire. Dieu, son Père, était en quelque sorte obligé de lui conférer cet état nouveau de résurrection parce que le Christ ne lui avait rien refusé.

Eh bien pour nous, dans la mesure où nous obéissons, nous préparons notre résurrection. L'homme qui ressuscite de suite, c'est un homme qui obéit. Celui qui n'obéit pas, eh bien il freine sa résurrection, il la retarde !

Et c'est pour ça que nos premiers Pères, les tous premiers du monachisme, parlaient d'un état de pré-résurrection. C'est à dire qu'un homme avant de mourir biologiquement, vit déjà sa propre résurrection, si bien qu'il n'y a presque pas de transitus , de passage de l'un à l'autre. Il vit une Pâque au moment de sa mort, mais c'est la véritable Pâques !

Voilà, mes frères, ce que nous pouvons peut-être retenir pour passer notre journée de demain, cette journée du Samedi-Saint sur laquelle aujourd'hui les Spirituels et les théologiens s'attardent de plus en plus. Car c'est dans cette journée que se réalise vraiment, que se réifie, que se concrétise quasi matériellement le mystère le plus grand de notre révélation, celui de l'Incarnation du Verbe venu pour sauver, pour transfigurer, pour introduire à l'intérieur du Royaume, à l'intérieur de sa propre vie, chez Dieu lui-même, toute l'humanité dont nous sommes.


LA VEILLEE PASCALE.

Homélie.

Mes frères,

Le sommet de notre vie, à savoir notre résurrection d'entre les morts se trouve en avant de nous dans un avenir, un futur imprévisible. Mais il se trouve aussi en arrière de nous car déjà nous sommes ressuscités avec le Christ et en lui. Cette nuit, nous sommes réunis pour vivre ensemble ce mystère de notre résurrection en voie d'accomplissement. Chaque dimanche nous allons le revivre, chaque Eucharistie va le reconstituer sous nos yeux et en notre coeur.

Et le moine, c'est un chrétien qui s'efforce de vivre à tout instant sa propre résurrection. C'est là qu'il trouve son équilibre, qu'il trouve sa libération, qu'il trouve son épanouissement. Mais sur cette route qui le conduit vers la plénitude de sa vie en Christ, il traverse des moments extrêmement durs, car sa vie comme celle de tout homme comporte une double face : une face de ténèbres et une face de lumière. Et, sans cesse écartelé entre les deux, il s'avance.

Son être est partagé entre deux univers qui s'y disputent la place. D'abord l'égoïsme, l'autosatisfaction, l'autoexaltation, l'autolâtrie, toutes les formes d'autisme, moi, rien que moi, toujours moi ! Et le palais se trouve tapissé d'une saveur de mort : insatisfaction, amertume, agressivité.

Mais il y a aussi en lui l'amour, l'altruisme, l'ouverture, l'oubli de soi ; me recevoir de l'autre , me recevoir de Dieu, me recevoir de mon frère, et puis me restituer à lui tel que je suis, tel qu'il m'a fait. Je suis son bien. Et cela dégage un parfum de vie : rafraîchissement, jeunesse, paix sécurisante.

Mes frères, sans cesse tiraillée entre ces deux univers, notre vie est ainsi traversée par un grand cri, un cri d'angoisse et de peur, mais aussi un cri d'appel et d'espérance. Et tous ces cris de tous les hommes, ils se sont trouvés fondus dans le cri que Jésus, l'homme-Dieu, a lancé au moment où il expirait. Mais dans ce cri, il déposait dans la main de son Père son souffle. Et il savait que ce souffle lui serait rendu régénéré, transfiguré. Et son cri était déjà un cri de victoire et de joie, n'est-ce pas !

Mes frères, il existe une nuit, et Jésus le savait, il existe une nuit qui est plus opaque que la nuit du péché, de l'illusion, de la désespérance ; et cette nuit, c'est la nuit de l'éblouissement. Cet éblouissement est créé par une lumière d'un éclat insoutenable, c'est la lumière qui a vu la résurrection du Christ, c'est celle qui voit notre propre résurrection. Et cette lumière insoutenable, elle peut être supportée malgré tout par un œil, l'œil divinisé de l'homme qui a déjà franchi la triple muraille, la muraille de la peur, la muraille de la frustration, la muraille de la lassitude et, qui ainsi, s'est échappé des liens de la mort. Il les a définitivement brisés.

La face de ténèbres qui était en lui, elle s'est évanouie. Les ténèbres environnantes ne peuvent plus rien contre lui, car cette lumière le revêt d'un manteau imperméable, d'un manteau indestructible, d'un manteau qui est une nuit pour celui qui n'est pas à l'intérieur de ce manteau. Les ténèbres ne peuvent plus l'atteindre car il est devenu invisible à tous, sauf aux regards de son Père.

Mes frères, la source de cette lumière, cette lumière même, c'est le Christ ressuscité et vivant, lui qui a dit : « Je suis la Lumière du monde » , lui, encore une fois, que peut seul regarder l'œil d'un coeur tout à fait purifié.

Mes frères, s'il nous a appelés à la vie chrétienne, s'il nous a appelés à la vie consacrée, s'il nous a appelés dans ce désert de Saint Remy, c'est pour nous accorder cette faveur de pouvoir un jour le regarder, de pouvoir être en lui et par lui lumière . Il veut faire de nous des astres qui brillent au firmament du monde, au firmament de cette nuit, de ces ténèbres à travers lesquels les hommes péniblement naviguent vers ce port auquel Dieu les appelle.

Mes frères, au coeur de cette nuit prenons bien conscience de l'appel qui est le nôtre. Nous ne pouvons pas décevoir les espoirs que Dieu, les espoirs que le Christ a déposés sur chacun d'entre nous. Nous rendrons compte de ce que nous avons reçu, nous rendrons compte de ce que nous avons négligé. Comme le dit l'Apôtre : « Ne négligeons pas un tel salut »  .

Car de notre réussite, permettez-moi d'employer ce mot, de notre réussite et de notre victoire, ou plutôt, de la réussite et de la victoire du Christ et de son Esprit en nous dépend l'achèvement de cette œuvre extraordinaire qui est sortie de son coeur, qui est la création, qui est la transfiguration, qui est la transformation de l'univers entier.

Mes frères, soyons heureux cette nuit, soyons heureux tous les jours de notre vie. Et par nous, que les hommes dans le monde : ceux qui souffrent, ceux qui ne voient pas, ceux qui ne connaissent pas, ceux qui ne croient plus, ceux qui s'ouvrent, ceux qui désespèrent, qu'ils soient tous dans notre coeur et que tous ainsi participent à la lumière qui déjà nous habite et qui un jour, je l'espère, s'emparera de nous tout entier.

Amen.

 

Monition à la liturgie baptismale.

Mes frères,

Nous savons que le Christ, cette lumière qui nous protège même à notre insu, est ici présent parmi nous. Oh, si nos regards pouvaient s'ouvrir et le voir, nous serions en un instant transformé à jamais. Mais il n'est pas seul ici, il n'est jamais seul, le Christ. Il y a avec lui, sa mère ; il y a avec lui, tous les anges ; et il y a une multitude de saints. Ils sont tous ici.

Vous voyez, le ciel ce n'est pas un endroit clos. Là où quelqu'un est divinisé, là il est partout, n'est-ce pas. Il est ici, et alors lui et tous ceux là connaissent notre faiblesse. S'il a voulu revêtir notre chair, c'est pour savoir à quel point il est dur d'être un homme. Mes frères, nous allons maintenant l'invoquer, lui, les anges, les saints et surtout sa mère. Nous allons les invoquer pour qu'ils nous soutiennent dans notre marche vers son Royaume.


DIMANCHE DE LA RESURRECTION.

Introduction à la célébration.

Mes frères,

Cette nuit, nous avons mangé la Pâque du Seigneur et cette solennité doit s'étendre sur une semaine entière. Nous devons sans cesse y revenir, sans cesse nous y replonger, car nous sommes tellement fragiles, nous sommes si vulnérables, si facilement perturbés, souillés, salis. Nous avons toujours et encore toujours besoin d'indulgence, de miséricorde, de pardon.

 

Homélie.

Mes frères,

Le Christ est ressuscité d'entre les morts et nous ressuscitons avec lui. Il y a dans le récit Evangélique que nous venons d'entendre une notation troublante qui serait peut-être l'occasion pour nous de procéder à un examen de conscience. Il est dit que les disciples n'avaient pas vu que Jésus devait ressusciter d'entre les morts. Et pour nous, mes frères, quel intérêt portons-nous à la résurrection des morts ?

Nous pouvons nous le demander, au moment où nous célébrons cette résurrection du Christ et la nôtre. Eh bien, sincèrement, franchement, nous devons bien avouer que notre intérêt quant à la résurrection de la chair, est nul, ou à peu près.

Nous ne croyons pas réellement à la résurrection d'entre les morts. Nous nous contentons d'une survie spirituelle. Le corps nous apparaît comme quelque chose de superfétatoire, d'inutile, une enveloppe que l'on doit déposer un jour, qui va nous rendre léger, qui va nous rendre pur esprit et qui va nous permettre alors de nous envoler là où Dieu nous attend, nous envoler en Dieu.

Mais quant à savoir que nous devons ressusciter avec notre corps, eh bien, ça présente un intérêt minime. Soyons sincères et reconnaissons-le ! Il suffit d'entendre les réflexions qui jaillissent ainsi de la bouche des chrétiens, de la nôtre parfois !

Eh bien, dans ces conditions là, nous ne sommes pas chrétiens du tout. Oui, nous avons certainement un vernis, une teinture d'éthique, de civilisation chrétienne, mais dans le fond nous ne sommes pas encore convertis. Nous sommes toujours des païens.

Or, vous le savez, pour les païens, la résurrection d'entre les morts, c'est de la foutaise, c'est quelque chose d'absolument impossible, ou bien c'est quelque chose dont on ne parle pas parce que cela ne leur vient même pas à l'idée.

Et pour nous consoler, je rappelle ce que le récit Evangélique vient de nous dire : Les apôtres eux-mêmes ne savaient pas, n'avaient pas encore compris que Jésus devais ressusciter d'entre les morts . C'est une consolation pour nous, n'allons pas nous imaginer que nous sommes meilleurs qu'eux !

Or, mes frères, la Bonne Nouvelle c'est ceci : il n'y a qu'une seule Bonne Nouvelle, il n'y en a pas deux, et c'est sur cette Bonne Nouvelle que toute notre vie, que tout le christianisme est construit.

Cette Bonne Nouvelle, c'est que Jésus le Christ est ressuscité d'entre les morts dans sa chair . Or, s'il est ressuscité, la mort est vaincue . Et si la mort est vaincue, le Royaume de Dieu est déjà parmi nous. Et si le Royaume de Dieu est arrivé, alors la Vie Eternelle est à notre porte ; mais la Vie Eternelle, non pas dans un être éthéré, fantomatique, non , mais la Vie Eternelle dans notre corps, mais notre corps transfiguré, notre corps divinisé.

Le chrétien, c'est quelqu'un qui vit de cette Bonne Nouvelle. Cette Bonne Nouvelle est le moteur de son agir, et c'est ainsi que le chrétien est une créature autre . Il n'est pas différent des hommes, mais il est autre, c'est à dire que son action se déploie au niveau des hommes, au niveau du monde comme celle de n'importe quel autre citoyen de cette terre. Mais son inspiration vient d'ailleurs, son inspiration vient de ce Royaume qui est déjà présent et de ce Christ qui est ressuscité dans la chair, et qui travaille notre propre chair, et qui la prépare déjà maintenant pour la résurrection qui sera sienne un jour.

Et dans ces conditions, il n'est possible d'être vraiment chrétien que si on est pénétré jusqu'au fond du coeur par cette foi dans la résurrection des morts et dans ce besoin de la résurrection de la chair. Mais pour cela mes frères, pour être pénétré ainsi il faut aimer.

Voyez ce qui se passe encore dans ce récit. L'amour donne un pouvoir d'intuition qui se moque éperdument de toutes les lenteurs et de tous les détours des raisonnements. Il va directement là où se trouve le but, là où il est attendu, là où il est attiré. Pour lui, il n'y a pas d'atermoiement, c'est immédiat.

Ce disciple que Jésus aimait et qui de son côté aimait aussi passionnément Jésus, il arrive, il se trouve devant un tombeau vide. Il ne commence pas à réfléchir et à construire toutes sortes de raisonnements pour bien trouver l'explication de ce tombeau vide. Non, mais immédiatement , il voit et il croit . C'est le même acte ! Mais pourquoi cela ?

Mais c'est parce que son coeur aimant qui battait à l'intérieur du coeur du Christ, lui a dit tout de suite : mais il est vivant , il est ressuscité.

Voilà, mes frères, la clef pour croire effectivement à la résurrection des morts à partir de la résurrection du Christ. Il faut que notre coeur vive à l'intérieur du coeur du Christ. Il faut que le coeur du Christ anime le nôtre. Il doit se produire un mystérieux échange que les spirituels connaissent bien, cet échange des cœurs, les cœurs qui s'interpénètrent. Il n'y en a plus deux, il n'y en a plus qu' un , l'amour fait un .

Et à ce moment, il n'y a plus aucun doute, le Christ est vivant dans sa chair et moi qui suis aimé par lui, je vivrai aussi dans ma chair, toujours, même si je dois passer par cet étroit tunnel momentané que nous appelons la mort.

Mes frères, la résurrection de la chair, c'est vrai ! , et la victoire d'un Amour au delà duquel rien de plus grand, rien de plus beau ne peut être conçu ou imaginé. Et alors, si nous ressuscitons dans le Christ maintenant, si cette résurrection déjà à cette heure-ci se prépare en nous, dans notre chair, dans nos cellules, à ce moment, il faut que cet amour nous habite et qu'il nous transfigure insensiblement en ce qu'il est, lui, c'est à dire un foyer de lumière.

Mes frères, en conclusion de cette semaine que nous venons de vivre, cette semaine qui s'est clôturée et qui s'est épanouie vraiment comme une fleur en ce soleil de printemps, épanouie en cette résurrection du Christ prélude de la nôtre, nous pouvons alors retenir ceci :

Essayer de devenir, nous qui sommes des chrétiens, de devenir des lumières, et de porter partout où nous sommes, dans tous nos lieux de travail, partout où nous passons, de porter donc cette lumière et répandre alors ce parfum du Christ, la bonne odeur du Christ comme disait Saint Paul, du Christ vivant , du Christ ressuscité , qui nous attend chez lui, qui nous prépare une place, qui est ici présent au cours de notre assemblée, et qui nous revêt pour que nous puissions remplir, rendre ce témoignage qui nous revêt d'Amour, de force et de paix.

 

Amen.