Mes frères,
Nous venons de l’entendre, nous sommes invités à écouter, à incliner doucement l’oreille de notre cœur afin de percevoir le murmure de l’Esprit Saint, de saisir et de comprendre ce qu’il veut nous dire aujourd’hui tout spécialement quand nous entrons dans une année nouvelle, une année qui sera une année de grâce pour chacun d’entre nous et pour le corps que nous constituons.
Car cette année, comme l’a demandé explicitement notre Saint Père le Pape, sera placée toute entière dans la lumière du Christ ressuscité des morts. Voilà que s’allume en nos cœurs une immense espérance : nous ne mourrons pas, nous avons vaincu la mort, nous sommes déjà entrés dans la vie.
Et si nous devons comme toute chair nous endormir un jour, ce n’est qu’un endormissement . C’est le passage obligé pour que nous puissions nous éveiller totalement à la vie éternelle, à la propre vie de Dieu, à Dieu lui-même.
Nous laisserons donc le Christ ressuscité affiner notre foi et nous ouvrirons tout grand notre cœur pour accueillir les cadeaux qu’il nous a préparé. Et quels sont ces cadeaux ? Ce sont des cadeaux qui viennent des profondeurs de la divinité car c’est là que se trouve le Christ ressuscité des morts. C’est cela qu’il est ! Il est Dieu tout en étant homme, nous venons encore de le chanter à l’instant dans l’antienne du Bénédictus.
Ces cadeaux sont entre autre un surcroît de vie divine. Nous vivrons moins de nos convoitises charnelles, nous vivrons davantage du désir de Dieu, cette vie divine qui est l’amour et qui doit dilater notre cœur à l’infini.
Un autre cadeau sera une confiance accrue dans notre vocation. Nous ne sommes pas ici simplement pour nous mettre à l’abri des difficultés du monde et pour sauver notre âme, comme on disait autrefois. Nous sommes venus ici pour être en première ligne d’un combat, du combat contre l’égoïsme, contre les convoitises, contre l’orgueil, contre tout ce qui peut dénaturer la nature de l’homme.
Et lorsque nous remportons une victoire, c’est le corps tout entier de l’humanité qui devient meilleur. Lorsque nous aimons davantage, il y a plus de santé parfaite. Telle est notre vocation ! Nous ne sommes pas ici seulement pour nous, nous sommes d’abord et surtout pour les autres.
Un autre cadeau sera le regard plus pur que nous porterons les uns sur les autres, un regard de bienveillance, un regard de charité, un regard d’accueil, un regard de respect, un regard d’admiration. Oui, nous devons nous admirer les uns les autres parce que chacun d’entre nous tel qu’il est, derrière l’enveloppe charnelle qui se présente à nous, chacun d’entre nous est un trésor parce qu’il est un sanctuaire, un temple dans le cœur duquel vit la Sainte Trinité.
Voilà, mes frères, ce que cette année, cette année sainte va nous apporter si nous nous ouvrons à la grâce qui nous est offerte. Le Christ est la manifestation incarnée de l’amour qui est Dieu et il s’offre à nous sans s’imposer. Si nous acceptons, nous le comblerons de joie, lui, et lui nous enrichira de tout ce qu’il est.
Mes frères, ce Jubilé de l’an 2000, dont on nous parle assez bien ces derniers temps, est la fête de l’incarnation du Verbe de Dieu. Ce n’est pas un anniversaire quelconque. Dieu s’est fait homme et, à cet instant-là quelque chose a basculé à l’intérieur de la création.
Nous allons donc nous préparer de notre mieux à ce fameux Jubilé. Et déjà, nous avons posé deux actes que je rappelle : le 8 décembre, nous nous sommes consacrés au Cœur Immaculé de Marie. Car il n’est pas possible de célébrer l’anniversaire de l’Incarnation de Dieu sans en même temps acclamé Marie, la mère qui l’a accueilli, qui l’a formé, qui a fait de lui un homme. Dans ce mémorial de l’Incarnation, je le rappelle, Marie occupe une place centrale. Nous devons donc la fêter elle aussi.
Et le second acte, qui est plus matériel celui-là, est la pose d’un cierge sur le lampadaire, un cierge qui nous rappellera chaque jour pendant trois ans cette date de l’an 2000.
Eh bien, qu’allons-nous faire de concret au plan de notre communauté ? Je propose diverses démarches qui éveilleront notre esprit, qui le rendront attentif :
Deux fois par mois, à un jour libre, nous pourrions célébrer une messe votive ayant trait au Christ. Par exemple, une messe votive en l’honneur du Nom de jésus, ou du Saint Sacrement, ou de la passion de Jésus, ou du Sacré-Cœur, etc, il n’en manque pas. C’est au calendrier de décider les deux jours libres. Ce sera prévu.
Et à la même occasion, le même jour au soir, à 18h40, on pourrait exposer le Saint Sacrement pour une adoration libre, spontanée. Il n’y aurait pas de chants, il n’y aurait pas de bénédiction. Il y aurait l’occasion d’être là et de prier jusqu’au moment de conclure. Il y aurait ainsi une sorte d’inclusion : la journée ouverte par une messe en l’honneur d’un mystère du Christ et la journée clôturée par une adoration silencieuse qui serait libre. Chacun peut venir au moment qui lui est le plus facile.
Maintenant le dimanche de la récollection, en principe le premier dimanche du mois, au cours du salut le soir, on lirait à l’ambon la prière que le Pape a composé pour l’année 1997. Mais comme nous sommes aujourd’hui le premier janvier et que nous ouvrons cette année, nous lirons cette prière ce soir au salut pour la première fois. Nous ne la lirons pas le jour de l’Epiphanie ( récollection ) mais les autres mois, ce sera le jour de la récollection. Ce sera ainsi une belle façon de clôturer ce jour de récollection.
Maintenant, comme le Pape le rappelle, en relation avec l’Incarnation du Verbe de Dieu se trouve le sacrement du Baptême. C’est ce sacrement qui nous greffe sur la personne du Christ ressuscité. C’est grâce à lui que nous devenons membres de son corps. Et ce sacrement du Baptême est affermi par la collation, le don de l’Esprit Saint dans le sacrement que nous appelons la confirmation.
Donc, au cours de l’année, nous pourrions écouter des causerie qui nous rappelleraient la nature profonde du baptême et de la confirmation en nous basant surtout sur le rituel du sacrement. Et cela, je pense que nous pouvons le confier au frère Gilbert.
Et enfin, comme le Pape aussi nous le demande, nous réfléchirons ensemble sur la foi, sur la vertu de foi, sur sa nature et sur son exercice. Et çà, je pourrais le faire comme ça au cours du Chapitre, à l’occasion. Je pourrais peut-être commencer le jour de notre récollection dimanche prochain. Mais qu’est-ce que la foi au juste ? Et comment alors vivre cette foi ?
Ainsi, mes frères, nous serons exactement dans la ligne de ce que le Saint Père nous demande et de ce qu’il attend de nous. Nous l’avons vu, le Saint Père, ces derniers soirs. Nous l’avons encore vu hier soir de tout tout près. Et nous avons remarqué que lorsqu’il s’agissait de rappeler la présence du Christ dans l’Histoire, et puis les droits des hommes qui sont tous ses enfants, droits qui sont trop souvent bafoués, alors il retrouve toute son énergie. Il devient vraiment un autre homme, il rajeunit si je puis dire.
Donc voilà, mes frères, nous devons nous aussi profiter de cette année pour rajeunir, c’est à dire pour mieux savoir qui nous sommes et pourquoi nous sommes dans le monastère. Ainsi l’année 97, elle sera fructueuse pour chacun d’entre nous et pour la communauté. Et c’est le souhait que je forme de tout mon cœur.
Frères et sœurs,
« Il est né d’une femme » vient de nous préciser l’Apôtre. C’est concis, c’est clair, net, précis ! Inclinons-nous devant ce mystère ! Une femme a façonné à Dieu un corps au départ de sa propre chair. Elle l’a attendu ; elle l’a senti grandir en elle au long des mois ; elle l’a mis au monde ; elle l’a serré sur son cœur. Ses yeux le contemplaient, l’admiraient, l’adoraient. Et elle savait qui était cet enfant !
Elle l’a nourri, choyé, protégé. Elle a surpris ses premiers mots après ses premiers pas. Elle a été une mère comme toutes les mères mais avec un plus. Ce plus venait de leur parfaite pureté à tous les deux. Et ce plus, nous devons le respecter au creux d’un profond silence.
Frères et sœurs, cette femme, la douce Marie, …?…mais qui était tout dans son cœur. Elle ne pouvait tout comprendre, tant de choses la dépassaient. Mais elle faisait confiance, elle se savait la comblée de Dieu. Elle n’en tirait aucune vanité. Elle était trop proche de ce Dieu pour ne pas se savoir la plus faible de toutes les créatures même si elle était la plus grande.
Elle a enfanté dans les moindres prescriptions de la loi et Jésus fut circonci au huitième jour comme tous les jeunes garçons en Israël. Il appartenait à son peuple et il s’incorporait à lui. Jamais il ne renierais ses attaches juives. Il était d’abord le Messie d’Israël, le Sauveur si ardemment espéré, si longuement attendu.
Marie pouvait-elle pressentir la grandeur de son destin ? Sans aucun doute ! N’avait-elle pas hautement proclamé que toutes les génération la diraient bienheureuse. Elle est la Mère de Dieu, mais elle est aussi la Mère du Corps immense de l’humanité, du premier homme jusqu’au dernier ; la Mère d’un Corps appelé à être divinisé, à devenir pure lumière dans la lumière.
Elle est la mère de chacun d’entre nous et elle attend que nous nous laissions enfanter par elle à notre véritable destinée qui est, comme je le disais, de devenir lumière, d’être transparent, d’être ouverture, d’être le contraire de tout repli sur soi, de vivre des autres et pour les autres, totalement désapproprié, parfaitement libre, dégagé de tout même de la mort physique, déjà entré pleinement dans la vie du monde à venir.
Voilà ce que Marie veut faire ! Voilà ce que signifie que Marie est la Mère de Dieu ! L’ensemble du grand Corps qu’est le Christ total, l’ensemble de ce Corps comme le moindre de ses détails reflète la beauté de Marie. A nous d’avoir des yeux pour le voir et pour l’admirer.
Mes frères, salir ce Corps, salir une seule cellule de ce Corps même en pensée, c’est faire injure à Marie sa Mère. Par contre, rien ne lui fait plus plaisir que lorsque nous admirons ses enfants, lorsque intérieurement nous la félicitons d’être la mère d’un tel, et d’un tel, et d’un tel quel qu’il soit. Car dans le secret, là où pénètre le regard d’un cœur pur, là luit une lumière. C’est le germe qui a été déposé par Marie et qui au jours de l’éternité se déploiera dans toute sa splendeur.
Frères et sœurs, voilà ce que Marie attend de nous, que nous admirions ses enfants. Alors cette année, si vous le voulez bien, nous serons attentifs à la présence de Marie dans la chair du monde. Et ainsi, ce sera une façon très délicate de rendre gloire à Dieu, lui qui est tellement heureux de sa Mère et qui sera aussi heureux de nous.
Tel est le souhait que je formule pour chacun d’entre vous. Puissiez-vous l’accueillir dans votre cœur et le laisser fructifier jour après jour.
Mes frères,
Suivant de savants exégètes contemporains, le récit des rois mages, le massacre des enfants seraient des midrachim d’inspiration chrétienne nés dans des cercles judaïsants. Ils aideraient à voir dans Jésus le nouveau Moïse, un prophète qui le dépasse, un prophète qui réalise dans sa personne et dans sa vie ce que Moïse avait lui-même vécu de manière initiatique.
Un midrach, pour ceux qui ne le savent pas, c’est un récit construit autour d’un personnage qu’on veut comparer à un héros des temps anciens. C’est une recherche théologique réelle destinée à faire sentir la continuité de l’Histoire. Ces midrachim sont nombreux dans l’Ancien Testament. C’est un procédé qui est étranger à notre culture moderne mais qui était courant dans les milieux pieux et fervents du monde israélite.
Qu’en est-il exactement pour le récit de cette étoile, de ces mages qui viennent de l’orient lointain, du massacre des enfants ? Pour nous, pour nous qui avons reçu de Dieu le privilège d’entrer un petit peu, mais tout de même bien réellement, dans les secrets de son agir, de sa personne et de son univers, pour nous, ces récits, ces événements ont une valeur réelle.
Ils répondent à quelque chose qui est arrivé mais qui a été enjolivé et, ils nous ouvrent des perspectives inouïes sur le mystère de Dieu, sur sa beauté grande et redoutable. Mais pour entrer dans cette révélation, nous avons besoin d’une lumière spéciale. Et cette lumière, c’est la foi.
L’intelligence de l’homme est une faculté dont la puissance est pratiquement illimitée. Elle atteint le cosmos à son point le plus éloigné, un cosmos qui est en expansion continue, une expansion qui s’accélère à mesure qu’elle s’éloigne. Eh bien, notre intelligence atteint ce monde immense et elle l’enferme à l’intérieur d’elle-même.
De même, elle pénètre jusqu’au cœur le plus intime des composantes de ce monde. L’homme a mis au point des instruments qui lui permettent par exemple - c’est arrivé, mais c’est pas facile à comprendre, pourtant c’est comme çà – de fabriquer de l’antimatière. Oui, et cela pendant un temps infiniment petit, mais tout de même !
Donc, l’intelligence de l’homme a une puissance qui nous sidère. Mais c’est notre intelligence à nous. Elle peut tout explorer, tout maîtriser, tout inventer. Cependant, elle a des limites, celles même de l’univers matériel. Elle est comme prisonnière de cette matière dont elle est la conscience. Grâce à elle, l’univers réfléchit sur sa nature, il réfléchit sur lui-même et il oriente d’une certaine manière son évolution, du moins ici sur terre.
Mais au-delà de cet univers, l’intelligence n’a aucun accès. Pour elle, c’est l’inconnu et c’est l’inconnaissable. Ce n’est pas son domaine. Son domaine à elle, c’est le naturel et ce n’est déjà pas mal. Donc, je veux dire ceci, que l’intelligence de l’homme, elle est enfermée à l’intérieur de l’univers.
C’est comme si l’univers était cette table-ci. L’intelligence peut explorer absolument tout, mais elle ne saurait aller ailleurs. C’est au-delà de ses capacités. Elle est elle-même matière, issue de la matière et elle est liée à la matière.
Mais pour franchir alors les frontières du cosmos, elle a besoin d’un supplément d’être. Et ce supplément d’être, c’est la foi. La foi est une vertu, comme on dit, mais il faut prendre vertu dans le sens étymologique.
La foi est une force, elle est une puissance d’origine divine qui permet à l’intelligence de franchir tous les naturellement impossibles, de participer à l’être de Dieu, de connaître Dieu comme il se connaît, de pénétrer le projet de Dieu, de l’explorer, de s’en nourrir, d’y collaborer ; elle permet de se découvrir soi-même, sa vie et sa destinée.
Donc, la foi nous place en dehors de l’univers, elle nous fait entrer chez Dieu qui est le créateur du cosmos. Et à partir de ce point de vue, l’intelligence peut regarder l’univers de l’extérieur, tandis que laissée à ses propres forces, elle ne peut le contempler que de l’intérieur.
Mes frères, la foi surélève l’intellect au-dessus de lui-même et elle lui confère une incomparable grandeur. Voici donc l’homme qui par la pointe de son être est capable de scruter les profondeurs de Dieu. Il est capable de recevoir Dieu en lui-même, de devenir un temple, un sanctuaire, un ciel pour Dieu.
Car à la fois, chaque homme s’il s’ouvre à cette lumière, chaque homme devient l’endroit où Dieu habite et l’endroit où Dieu se révèle. Le véritable révélateur de Dieu, c’est l’homme, l’homme revêtu de cette noblesse, de cette grandeur, de cette valeur qui est celle même de Dieu. Et tout cela grâce à la foi !
Frères et sœurs,
Frère René nous a quittés à la manière d’un voyageur arrivé à la gare de destination. Il nous laisse là tandis qu’il va explorer des paysages nouveaux. Peut-être sera-t-il pressé de nous voir à notre tour partager ses découvertes ? Peut-être attend-il que nous venions le rejoindre ?
Nous savons que nous le reverrons et, une chose est dès à présent certaine : il ne se désintéresse pas de nous. Chaque jour, il notait minutieusement les moindres événements communautaires ; et à présent, il les observe avec un regard de lumière. Soyons-en certain, il est plus proche que jamais de chacun d’entre nous.
A la suite des vénérables anciens qui l’ont précédé sur les chemins de l’éternité, frère René avait gardé quelque chose de la ferveur de son noviciat. Jusqu’au dernier jour, jusqu’au jour de son envol, il a suivi avec attention les Chapitres de son Abbé, et jamais il ne manquait une conférence.
Nous ne le verrons plus balayer le cloître de l’hôtellerie ; nous ne le verrons plus évacuer les poubelles le samedi. Il faut dire qu’il attendait avec une certaine impatience l’heure de son départ. Il s’y tenait prêt. Il savait que ce pouvait être d’un instant à l’autre. Il m’en a parlé quantité de fois.
Et moi-même, j’avais le sentiment qu’il se préparait quelque chose. Je voyais frère René mûrir comme un fruit prêt à se détacher de l’arbre. Il me parlait presque chaque semaine et ses propos devenaient de plus en plus bienveillants et même admiratifs à l’endroit de la communauté.
La veille de son décès encore, samedi dernier, il m’a dit combien les frères avaient été gentils pendant mon absence. C’est son expression : gentils. Chacun, disait-il, avait fait son travail calmement à la place où Dieu l’avait appelé. Et lorsqu’il venait me parler, même lorsqu’il me rencontrait dans le cloître ou ailleurs, il ne me quittait jamais sans me remercier pour tout ce que je faisais pour lui et pour chacun des frères.
Cela, c’est le véritable frère René sous des dehors un peu originaux. Mais qui parmi nous n’a pas ses originalités ? C’est cette mosaïque de tempéraments divers qui fait la beauté d’un groupe, qui fait la séduction d’une communauté. Dieu nous a créés dans son amour et c’est son amour qui nous a voulus tel et tel.
Mes frères, le corps que nous formons, la petite Eglise que nous sommes, la grande Eglise à l’intérieur de laquelle nous sommes des cellules vivantes n’est-elle pas un paradis où se rencontrent une foule de tempéraments non seulement divers mais unis. Et c’est cette unicité que Dieu aime, que Dieu admire, que Dieu ne cesse d’embellir jusqu’au jour où il peut venir nous cueillir et nous repiquer – alors parfaitement cette fois – à l’intérieur de son être qui est amour et beauté.
Et ce que je pressentais à propos de frère René est arrivé brusquement au jour et à l’heure où personne ne pouvait le prévoir. Ce n’est pas sans raison que Saint Benoît nous recommande de nous préparer chaque jour à accueillir la mort. La mort est tout ensemble un point d’aboutissement et un commencement nouveau. Elle est une porte qui s’ouvre sur d’indicibles beautés.
Il y avait chez frère René une curiosité très vive. Il était avide de savoir ce qu’il allait découvrir derrière le voile de la mort. Il s’en réjouissait. Il allait rencontrer les saints qu’il priait chaque jour avec tant de ferveur. Il allait pouvoir leur parler, il allait pouvoir enfin les connaître. Il serait en leur compagnie, dans leur communion pour toujours. Et puis il y avait le Christ ressuscité, il y avait la Vierge Marie.
Le frère René vivait déjà dans cette atmosphère, à l’intérieur de cette communion. Si bien que l’accident qu’il a eu ne l’a pas surpris, ne l’a pas pris en défaut. Il était prêt. Soyons en certains, frères et sœurs, selon le mot magnifique de Saint Augustin à propos de sa mère : frère René nous a quittés mais il est parmi nous.
Alors oui, l’amour fraternel va jusque là, il ne recule jamais. Ayons donc confiance en Dieu, confiance en notre frère, confiance en nous-mêmes, en notre vocation d’homme, de chrétien, de moine. Dieu nous a appelés. Efforçons-nous d’être vrais, efforçons-nous d’être purs de manière à ce que à travers notre corps mortel transparaisse déjà quelque chose d’une présence, qu’apparaisse déjà la beauté d’un visage, celle de notre Christ ressuscité d’entre les morts.
Et ainsi à notre tour, nous serons accueillis lorsque notre heure sera venue. Et cette heure sera pour nous la bienvenue.
Amen.
Mes frères,
Il serait incongru de parler de ma petite personne quand nous avons entendu ce matin la plus belle page de l’Evangile et sans doute de la Bible entière. Il est donc tout normal que je vous dise en quelques mots les échos que ce récit a éveillés en moi cette année. Mais je veux tout de même vous remercier de votre patience et de votre indulgence qui, je l’espère et j’en suis certain, va se poursuivre ?
Nous remarquons que Marie de Béthanie demeure silencieuse sous les sarcasmes de Judas. Elle se tait comme Jésus se taira lui-même plus tard devant ses juges. Elle poursuit son geste de folle beauté et elle l’achève ; elle l’accomplit sans peur jusqu’au bout. Elle est dérangeante car elle ouvre des horizons nouveaux.
Elle est en connivence, en harmonie avec Jésus qui va ouvrir des espaces nouveaux du Royaume de Dieu. Il y a entre eux deux une véritable complicité qui se révélera dans les jours qui suivent et qui apparaîtra dans toute sa lumière lorsque le Corps du Christ sera entièrement constitué, lorsque tous les hommes seront passés de la mort à la vie.
Mais l’éternité est déjà présente aujourd’hui parmi nous qui mystiquement assistons à cette fête extraordinaire de Marie qui verse sur les pieds de Jésus un parfum hors prix et qui les essuie avec ses cheveux. Elle a posé là un geste prophétique au retentissement immense. C’est comme si soudain le ciel était présent sur la terre.
Et en fait, il est présent dans la personne de Jésus qui est là, de Jésus qui est Dieu. Et nous savons de mieux en mieux que le ciel n’est pas un lieu quelconque, utopique, non localisable ; nous savons que le ciel, c’est la personne de Dieu dans son unicité et sa Trinité. Eh bien, ce Dieu, il est là dans la personne du Seigneur Jésus présent.
Et Marie le fait savoir dans un non-dit sublime. Elle est à la tête de ces femmes et de ces hommes qui au cours des siècles vont tout sacrifier par amour du Christ, par amour de Dieu et par amour des hommes. Au moment où Marie verse le parfum et l’essuie de ses cheveux, elle a attiré mystiquement à l’intérieur de son cœur l’humanité entière. Nous devons aller jusque là !
Elle est donc une personne, une personnalité corporative, comme on disait à l’époque, donc une personnalité qui condense en elle un corps ; et ici le corps de toute l’humanité qui est pécheresse, mais qui espère et qui, en Marie, sacrifie tout.
Et par son silence, Marie nous dit que nous devons nous taire, nous, quand nous sommes objet de critiques, de paroles blessantes, ou d’accusations fausses, ou de soupçons déplacés. Nous devons nous taire, nous n’avons pas à nous défendre ou à nous disculper. Dieu entend, Dieu sait et Dieu juge. Ce n’est pas à nous de nous justifier. C’est lui qui nous prend en charge. Nous lui appartenons, nous lui avons donné notre confiance, nous lui avons remis notre vie. C’est donc lui qui au temps voulu et de la façon la meilleure apportera la réponse. Pour le Christ, la réponse fut la résurrection et la collation du nom qui est au-dessus de tout nom.
Il est vrai que pour nous, il est pratiquement rare que nous soyons l’objet d’accusation comme ça fausses, de paroles déplacées, mais cela peut arriver ! Mais encore une fois, n’essayons pas de nous défendre. Faisons comme Marie qui n’a rien dit devant les accusations et les propos déplacés de Judas ; faisons comme Jésus qui n’a rien dit. Nous avons remis notre vie entière à Dieu. Eh bien, soyons logiques jusqu’au bout ! C’est à Lui de prendre notre défense.
Saint Benoît dira – avait-il à l’arrière plan de sa pensée cette scène de l’onction de Béthanie ? C’est possible ! – il dira : tacita conscientia, 7,95. Quoi qu’il arrive, il faut se taire mais jusqu’à l’intérieur de sa conscientia. C’est à dire un silence qui n’est pas seulement un silence des lèvres, mais qui est aussi le silence des passions. Il peut y avoir un bouillonnement à l’intérieur de nous, mais il faut le laisser s’apaiser, il faut que le silence s’empare de tout notre être.
C’est ça que Saint Benoît dit : tacita conscientia, jusqu’au bout, jusqu’au plus profond de notre être, il faut se taire, garder le silence. Je sais bien que ce n’est pas facile parce que instinctivement on peut rendre la pareille, on peut dire que c’est pas vrai ou quoi ? Mais non ! Saint Benoît dit : taisez-vous, taisons-nous !
Marie est donc là notre incomparable et insurpassable modèle : elle n’a rien dit ! Elle a certainement entendu les propos de Judas ; et pas seulement ceux de Judas parce que un récit parallèle de l’onction de Béthanie nous dit que les autres Apôtres aussi frémissaient, grinçaient des dents contre elle. Finalement, elle se trouvait seule et elle n’a rien dit.
Dans ces minutes de l’onction, Jésus et marie étaient seul. Ils étaient étrangers, c’était dans un autre univers. Et entre eux se décidait l’avenir du monde. A l’instant de ce geste, nous sommes au dernier jour. Il y a là une présence, la présence de Dieu, la présence du Rédempteur, la présence du juge, la présence de Celui qui est la tête d’un Corps, le corps de toute l’humanité.
Et nous avons à ses pieds une femme qui représente, qui est elle, Marie, mais qui est aussi, comme je le rappelais il y a un instant, une personnalité corporative. En elle, il y a l’humanité pécheresse, il y a l’humanité qui se repent, il y a l’humanité qui fait confiance malgré tout, il y a l’humanité qui espère.
Et il y a l’humanité qui, à travers biens des allées et venues, des avancées et des régressions, une humanité qui se donne, qui s’est donnée. Il n’est pas nécessaire que les hommes aient confiance de ça, il suffit que Marie ait confiance ; cela suffisait ! Il y avait donc là le Rédempteur et les sauvés, déjà sauvés ! Nous étions là vraiment au dernier jour.
Et nous voyons aussi se réaliser une admirable union sponsale dans le partage de la mort et dans le don réciproque de la vie. Jésus le dit : Elle a gardé ce parfum pour son ensevelissement. Marie entre avec Jésus à l’intérieur de la mort. Elle sait très bien ce qui va se passer. Et au même moment, Jésus lui fait don de sa propre vie. Il y a là une union sponsale.
Et cette union-là, elle nous est promise à nous aussi si nous consentons à laver les pieds de notre Sauveur Jésus dans la personne de nos frères. A ce moment-là nous recevons la vie. C’est un paradoxe de simplicité, de pauvreté, d’humilité, de confiance. Eh bien, nous devons nous y engager.
Et remarquons encore une fois : Le parfum emplit la maison. Et il emplit, au delà de cette maison, il emplit l’univers entier. Si bien que le péché est évaporé dans la ferveur de l’amour. Et la bonne odeur du Christ chasse tous les miasmes délétères. C’est cela qu’il faut voir dans ce petit trait qui nous est rapporté. Le parfum emplit toute la maison, tout l’univers, chacun des hommes.
L’amour est tellement puissant qu’il n’y a plus de péché. Le péché est évaporé à l’instant même. Il n’y a plus de mauvaises odeurs, il n’y a plus que la bonne odeur du Christ qui se répand partout.
Vous allez dire ou penser que ça ne paraît guère dans le concret de la vie courante ? mais nous n’en savons rien. Nous ne savons pas ce qui se passe à la racine de chaque être vivant, là où Dieu travaille. Là, la bonne odeur du Christ est à l’œuvre dans le cœur d’absolument tous les hommes et, il arrive toujours un instant où cette bonne odeur triomphe de tout. Cela peut être après la mort !
C’est en ce sens, dans cette optique qu’il faut voir le purgatoire. C’est un mot un peu bizarre qui fait un peu peur. Mais non, c’est la bonne odeur du Christ qui achève ce qui n’a pu être totalement accompli ici sur terre.
Eh bien, mes frères, nous remarquons encore une fois que l’amour est vainqueur de toutes les morts. Il les anéantit et il les annule. Et la vie contemplative condensée à l’intérieur de son amour a une fécondité sans limite, absolument sans limite. Et c’est la raison pour laquelle nous devons nous y donner de tout notre cœur.
Encore une fois, nous sommes très opaques à cette dialectique parce que le poids de la chair pécheresse aveugle notre intelligence. Mais faisons confiance, laissons travailler en nous le parfum, la bonne odeur du Christ. Et le jour arrive où on s’aperçoit qu’on porte soi-même à l’intérieur de son propre corps l’univers entier, tous les hommes du premier jusqu’au dernier.
Mes frères, cela arrive lorsque la vie du Christ a finalement triomphé. Ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi et qui achève en moi tout son mystère. C’est cela le sommet de la vie contemplative. Nous y arriverons, pour moi, c’est une certitude !
Alors Marie reçoit du Christ la divine tendresse d’une communion éternelle. Et tel est l’avenir et déjà le présent de l’Eglise. Et nous, mes frères, nous devons le croire, nous devons le vivre pour nous-mêmes, pour l’Eglise naturellement et pour l’humanité entière.
Mes frères,
Il aura fallu la Pentecôte et l’effusion de l’Esprit Saint pour que les Apôtres commencent à percer le sens des événements qu’ils avaient vécus avant la mort de Jésus. Dieu seul en effet peut introduire l’homme dans le mystère d’amour et d’agonie qu’il a connu dans la personne du Christ.
N’allons pas nous représenter Dieu comme un être impassible, un être impunément au-delà de toute souffrance. Non, Dieu est dans l’humilité, la pauvreté, la douceur et l’amour. Sa capacité de souffrance est infinie et, lui seul peut nous aider à saisir par l’intérieur ce qu’il a pu vivre au cours des années des années où Jésus a dû affronter ses disciples d’abord qui ne comprenaient rien, puis ses adversaires surtout, et finalement pour affronter la mort.
Il faut se laisser prendre par la main - cette main de Dieu, c’est son Esprit – et alors sous cette conduite, effectuer un passage du dehors vers le dedans, d’une vue superficielle des choses à une saisie spirituelle.
Il est nécessaire pour connaître Jésus, pour vibrer au diapason de son mystère, pour se laisser séduire par lui et accepter de le suivre, il est nécessaire d’être arraché au biologique avec ses instincts, avec ses étroitesses, avec ses limites.
Il faut être élevé au niveau de Dieu, au niveau des émotions qui font vibrer le cœur de Dieu. Ces émotions ont toutes leur source dans l’amour de Dieu et qui lui ouvre toutes les audaces.
Car il fallait vraiment être audacieux pour accepter – je vois ici le Verbe de Dieu, la seconde personne de la Trinité – pour accepter de s’engager dans l’Histoire des hommes avec l’espérance, l’espérance folle, tout à fait folle qu’il serait possible de se laisser reconnaître et de métamorphoser l’homme, et de lancer l’Histoire dans la bonne direction.
Nous savons ce qu’il en est advenu. Les hommes étant rivés à leur biologique n’ont jamais connu Jésus que de l’extérieur. C’était un homme, un galiléen, Un homme de rien ou presque. Et alors, il n’était pas possible qu’il fut Dieu.
Mes frères, les Apôtres eux-mêmes ont dû parcourir un chemin qui est un chemin de conversion. La chair, c’est à dire l’intelligence la plus subtile, la plus aiguisée, cette intelligence laissée à elle-même ne sert à rien. L’Apôtre Paul en a fait lui-même l’expérience.
Il était certainement un des hommes les plus remarquable de son temps dans le milieu pharisien qui était le sien. Il était versé dans tous les secrets de l’Ecriture. Mais c’était de sa part une approche charnelle. Et lorsque dans un éblouissement il a reconnu la personne du Christ dans la lumière qui se montrait à lui, à ce moment, il y a eu un retournement en lui et tout ce qui était de la chair, il l’a laissé tomber. Cela ne servait plus à rien. Il recevait un autre savoir, une autre connaissance qui lui était donnée par Dieu lui-même.
Il y a donc là une conversion à opérer car nos raisonnements les plus subtils sont déjà empêtrés dans les lacets de la mort. Ce sont des raisonnements humains et l’humain va vers la décomposition, la corruption et la mort. Et les raisonnements humains s’en vont aussi dans le gouffre de la mort.
Il faut donc une autre faculté de raisonner. Et cette faculté, c’est celle de l’Esprit Saint, c’est celle de Dieu lui-même. Et c’est l’Esprit qui ouvre notre cœur à la vérité et qui dégage la route de la vie.
Les premiers moines, les tout premiers, ils le savaient. Ils l’avaient senti et, c’est pourquoi ils avaient renoncé à tout savoir humain. Ils s’appuyaient sur cette Parole de l’Ecriture qu’ils entendaient dans leur langue : J’ai renoncé au savoir tiré des sciences humaines et c’est la raison pour laquelle il m’est donné dans tous les mystères de la vie divine. Le renoncement devait aller jusque là !
Cela ne veut pas dire qu’aujourd’hui nous ne devons pas faire des études de théologie. Mais prenons bien garde ! Ces études de théologie ne sont pas une fin en soi. Elles doivent ouvrir davantage notre cœur. Si elles nourrissent uniquement notre intelligence, elles ne servent à rien.
Par contre, si dans l’humilité, dans l’accueil, elles ouvrent davantage notre cœur à l’accueil du Christ et à l’influence de l’Esprit en nous, alors elles ont leur raison d’être.
Judas est la pointe extrême de l’antithèse, de cette antithèse chair-esprit. Et à l’autre extrémité, c’est la Vierge Marie. Marie, ne l’oublions pas, la maternité de Marie était étrangère au biologique. Marie n’est pas une mère comme une autre. Marie a accueilli en elle de manière ineffable, unique ; elle a accueilli en elle la personne du Verbe de Dieu et cela, en s’ouvrant toute entière à l’Esprit, à l’Esprit Saint qui allait reposer, qui reposait déjà sur elle.
Et Marie dès le premier instant de sa conception est ordonnée à cette maternité divine. Cela ne veut pas dire qu’elle n’a pas dû traverser toutes les étapes normales d’une existence humaine . Mais au fond d’elle, elle était portée par un désir qui était en elle. Elle ne savait pas d’où il venait, mais il y était.
Et ce désir, c’était de pouvoir rencontrer Dieu, de pouvoir le recevoir en elle et de devenir un seul être avec lui. Il fallait donc que Marie fut parfaitement pauvre, pauvre d’elle-même, et que cette pauvreté soit vraiment constitutive de son être. A ces conditions-là, l’Esprit pouvait réaliser en elles les actions les plus merveilleuses.
Et de l’autre côté, vous avez Judas, Judas et la chair. Eh bien Judas, c’est le contraire. Judas, il lui faut quelque chose en main, il lui faut trente pièces d’argent. Et s’il avait pu même, eh bien, il aurait été prendre le parfum de Marie de Béthanie pour le vendre pour trois cent pièces. Mais il s’est contenté de trente pièces. Et au lieu d’accueillir en lui l’Esprit de Dieu et le Christ-Dieu, eh bien, il a tout vendu et il a tout perdu. Vous avez là vraiment l’antithèse chair-esprit.
Ne nous imaginons pas Judas comme un bête type, un homme borné ! Loin de là ! Il était suprêmement intelligent. Et si le Christ lui-même l’avait nommé gestionnaire de l’avoir du petit groupe, c’est parce qu’il avait pu jauger sa valeur. Mais voilà, c’était une intelligence empêtrée dans la chair et qui finalement a glissé dans la mort. Tandis que Marie, c’était une intelligence ouverte à l’Esprit et tout le mystère de Dieu pouvait entrer en elle. Vous avez là les deux extrémités de l’antithèse chair-esprit.
Et les autres Apôtres, et nous-mêmes, prenons bien garde ! Nous-mêmes aujourd’hui, nous sommes les cousins de Judas. Nous sommes les enfants de Marie mais les cousins de Judas. Prenons bien garde ! Soyons sincères : nos réactions, elles sont toujours bassement charnelles avant d’être spirituelles, toujours !
Si bien que le moine – tout chrétien d’ailleurs mais surtout le moine – doit être un neptique, c’est à dire un homme qui se tient toujours en garde et qui opère sans cesse les corrections indispensables. Nous devons donc veiller sur nos pensées et sur nos réflexes pour ne pas nous laisser enliser dans des réactions charnelles, mais pour toujours sauter, rebondir à l’intérieur du spirituel.
Ce n’est pas facile, mais enfin, c’est la gymnastique à laquelle nous nous sommes voués dès l’instant où nous sommes venus dans le monastère. Car nous sommes appelés à aller où Jésus va et, nous ne pouvons y aller seul. Là où je vais, disait Jésus, eh bien, vous ne pourrez pas venir. Et puis alors Pierre, réaction charnelle, dira : Mais pourquoi, pourquoi ? Où vas-tu ? Moi, je suis capable d’y aller ! Et Jésus corrige : Non, même toi tu ne peux pas venir. Plus tard !
Cela signifie que c’est Jésus lui-même, que c’est Dieu lui-même qui doit venir nous prendre et nous emmener. Inutile de vouloir y aller par nous-mêmes. Mais faut-il que nous consentions à le suivre ? Et c’est là que vient se greffer le mystère de l’obéissance. Obéir, c’est entendre la voix du Christ, c’est l’écouter et puis le suivre. C’est cela l’obéissance !
L’obéissance n’a rien de dégradant, l’obéissance est une réaction de noblesse. Je perçois la voix du Christ. Cette voix, j’écoute ce qu’elle me dit et puis je la suis. Je m’en vais à la suite du Christ et la liberté qui est la personne même du Christ deviendra la mienne.
J’ai entendu dernièrement cette réflexion, oui, c’était à propos d’un engagement à l’intérieur d’une œuvre, un groupe qui veut se former pour œuvrer à l’avènement du Royaume de Dieu. Et la réaction : je ne veux pas me laisser prendre là-dedans car je ne veux pas risquer d’être étouffé ! Comme si le fait d’entrer en communion avec le Christ, comme si le fait d’entrer à l’intérieur de son Eglise, grande Eglise ou petite Eglise, pouvait étouffer quelqu’un ? C’est exactement l’inverse qui se produit. Des espaces s’ouvrent et on peut librement respirer.
Vous voyez, c’est ça le mystère de l’obéissance ! Et il ne peut être perçu que par des personnes qui en reçoivent le pouvoir, le pouvoir de l’entendre et le pouvoir de suivre. Nous sommes des voyageurs, nous sommes des migrants et notre vie, c’est Dieu lui-même dans la personne du Christ. La caravane humaine, elle s’étire sur le chemin. La quitter, c’est la mort !
C’est un peu ce que le Cardinal nous dit au réfectoire. Il nous l’a dit aujourd’hui avec d’autres termes, mais c’est cela. Il y a un choix, le choix d’une caravane qui, en principe, devrait être l’humanité entière, mais qui pour nous sera la fidélité au Christ, qui sera l’Eglise. Cette caravane, cette communion de personnes, c’est elle qui est la sécurité, c’est elle qui est la vie, c’est elle qui nous donne la liberté. Quitter cette caravane pour aller prendre un chemin à soi, eh bien, c’est se perdre et c’est la mort ! Obéir, c’est donc opérer sa Pâque, c’est entrer dans la vérité et comprendre la vie.
Au fond, mes frères, tout se ramène à l’amour. Il faut accepter d’être aimé, et puis accepter d’aimer soi-même sans retour sur soi. Tout se joue là. Il est très difficile d’accepter d’être aimé. Accepter de se laisser aimer, c’est ce qu’il y a de plus difficile peut-être ici sur terre ? Nous ne nous en rendons pas compte parce que nous n’y réfléchissons pas.
Mais faisons bien attention dans les jours qui vont venir , observons-nous, auscultons-nous discrètement et nous remarquerons combien de fois il nous est difficile de sortir de nous, de croire en l’amour et de s’abandonner à lui. C’est très, très, très difficile ! C’est toute la conversion de la vie humaine et surtout de la vie chrétienne. Oui, c’est vrai, c’est la première et c’est encore la dernière conversion. C’est l’alpha et l’oméga de toute vie digne d’être vécue.
Mes frères, Dieu est amour et le moine, et le chrétien, et tout homme doivent finalement être amour. C’est ça l’essentiel ! Dieu dans sa Trinité, et puis le Christ Dieu-homme avec nous, l’Esprit Saint qui fait de nous un seul Corps, l’Esprit Saint qui diffuse l’amour partout et qui nous permet de devenir nous-mêmes amour, c’est cela l’éternité, c’est cela la vie, et c’est cela le ciel !
Eh bien, mes frères, prions les uns pour les autres afin que nous soyons dignes jusqu’au bout et de mieux en mieux de notre belle et grande vocation.
Mes frères,
Le drame de Judas restera une interrogation, une interpellation jusqu’à la fin des temps. Ne condamnons pas trop vite cet homme ! Au fond de chacun de nous sommeille un Judas. Nos relations avec nos frères nous diront s’il se réveille parfois ?
Dans le monde, on sacrifie volontiers l’autre, le prochain sur l’autel des ambitions, des rancunes, des déceptions et, le moine n’est pas meilleur que ses frères. Il est un homme du monde qui a été retiré du monde par Dieu. Et cet homme, le moine, entreprend un chemin de conversion. Soyons donc d’une prudence extrême ! Je disais hier que le moine, et même le chrétien, devait être un neptique, toujours se tenir sur ses gardes. Ce ne doit pas devenir une obsession, loin de là, mais c’est prudence. Le douzième degré d’humilité est peut-être le sentiment aigu, alors qu’on est devenu pur amour de Dieu et des autres, que Judas est toujours là, tapi quelque part au fond du cœur.
Le moine du douzième degré d’humilité est devenu source intarissable de vie éternelle. Il le sent et il le sait. Il y a une voix en lui qui lui en donne l’assurance. Il est un fleuve de générosité. Il est un sanctuaire où personne n’est jugé, où chacun est aimé et, ses yeux sont des fontaines de lumière qui purifient tout et qui ne souillent rien. Tel est le moine parvenu au sommet de la fameuse échelle ! Ce n’est plus lui qui vit, c’est le Christ qui vit en lui.
Il est sous la mouvance de l’Esprit. Et pourtant, pourtant il se voit enfoncé dans le péché sans pouvoir en sortir. Il y a là un paradoxe qu’il faut expérimenter, qu’il faut vivre pour le comprendre. Il n’est pas possible de …?… au sujet de ce paradoxe.
Mais en quoi consiste le péché qui tient prisonnier le moine qui est devenu un saint ? Nous allons dire que ce sont de buées, ce sont des poussières. Oui, c’est vrai ! Mais tout au fond, tout au fond du cœur reste le sentiment lourd, constant de la présence du vieil homme parent de Judas. Alors le moine se confie éperdument à l’amour et c’est sa paix et sa force.
Mes frères, nous ne devons pas prendre à la légère ce que Saint Benoît nous dit du moine parvenu au sommet de l’échelle. Non. Et n’allons pas non plus nous imaginer qu’il parle de nous, que nous y sommes arrivés ? Non, celui qui est parvenu sur ces sommets, il a conscience d’être un pécheur, et une conscience permanente. Et vraiment il connaît le péché.
Encore une fois, n’essayons pas de trop scruter ce mystère. Peut-être aussi est-il en lien avec le mystère du Christ qui, en étant de condition divine, s’est enfoncé au plus bas dans la chair. Il a été reconnu comme un homme à son comportement et les péchés de la multitude ont été déposés sur lui.
Le Christ avait pris conscience d’être un pécheur. Soyons très prudents ! Dans sa conscience d’homme, dans sa conscience charnelle, il devait sentir le poids du péché du monde. Jean l’avait désigné : Voici l’Agneau de Dieu qui porte le péché du monde, qui le porte et puis qui va l’évacuer.
Donc, Jésus qui est Dieu, et qui est absolument sans péché, devait certainement avoir conscience d’être le Péché avec un grand P. Et ça, vraiment, c’est le mystère des mystères et nous ne devons pas trop nous y arrêter parce que c’est un terrain difficile, un terrain mouvant et, nous risquons très fort de glisser dans l’erreur.
Nous n’allons pas épiloguer sur le sort de Judas. Il a trahi le Christ mais le Christ qui est Dieu est demeuré fidèle. L’amour ne revient jamais en arrière. Que ce soit là notre sécurité, il ne revient jamais en arrière.
Alors, mes frères, remarquons encore une chose à laquelle personne à mon sens n’a jamais pensé. C’est que le premier sauvé de la mort par Jésus, c’est Barabbas. Il s’est produit là un prodigieux échange : la mort de Jésus a sauvé Barabbas de la mort. N’oublions pas que Barabbas se traduit : fils du père. C’était un nom prédestiné : Jésus est le fils de l’homme, il est le fils de Dieu et Barabbas est le fils du père. Il y a là une sorte de complicité entre Jésus et Barabbas. Vraiment, vraiment il est le premier des sauvés !
C’est une parole prophétique ! La mort de Jésus a délivré de la mort tous les hommes et Barabbas est, comme l’était Marie de Béthanie, une personnalité corporative. Tous les pécheurs, tous les criminels étaient ramassés dans la personne de Barabbas.
Si bien que ce qui s’est passé pour lui est un davar mystérieux, une parole mystérieuse et voilà que nous devons rester silencieux ! Mais nous devons comprendre aussi que le Judas qui sommeille au fond de notre cœur, le Barabbas qui sommeille au fond de nous n’est pas un condamné. Il était né de Dieu, il était né du Christ qui ne peut rien faire d’autre qu’aimer.
Et c’est pourquoi, où que nous tombions, eh bien, regardons Barabbas et disons-nous qu’il est notre grand frère. Et s’il a été sauvé de la mort, eh bien, nous le serons aussi.
Il n’est rien, mes frères, dans la passion de Jésus qui soit sans signification. Nous essayerons d’y être attentif les jours qui suivront. Prenons garde de ne pas faire de sentimentalisme, de ne pas faire non plus d’intellectualisme, mais laissons l’Esprit de Dieu entrer et murmurer tout bas : Viens vers le Père !
La vie monastique est une entreprise démesurée où chaque jour on fait, on reproduit les mêmes gestes. La vie des hommes dans le monde est bien souvent un véritable drame. Mais ne soyons pas ici des hommes qui se protègent des coups que le monde, que le démon peut porter contre nous. Soyons ouverts, soyons ouverts sur le mystère et ne nous laissons pas désarçonner par ce que nous voyons, par ce que nous entendons et par ce que nous souffrons.
Voilà, mes frères, nous essayerons d’être attentifs à ce mystère dans les jours qui viennent. Et je pense que nous serons heureux de pouvoir dire, de pouvoir proclamer silencieusement que nous sommes un seul esprit avec le Christ. Même si nous sommes encore pris dans les lacets du péché, dans le fond cela n’a pas d’importance parce que l’amour est plus fort que tout, et l’amour est une personne. Et lorsque nous aimons, nous sommes en communion avec cette personne.
Voilà donc, mes frères, essayons de retenir ceci : que nous avons à aimer, à aimer tous nos frères, à aimer tous les hommes et à nous laisser porter par l’Esprit Saint jusqu’à ce que nous soyons devenus vraiment la présence du Christ sur la terre.
Frères et sœurs,
Vous excuserez ma voix caverneuse, sépulcrale. Elle est peut-être providentiellement en accord avec cette journée. Nous sommes entrés dans le grand, l’océanique impressionnant silence de Dieu. Où donc est Dieu ? Dieu est mort, il est réduit à l’état de cadavre et l’homme est arrivé à ses fins. Il a supprimé Dieu et maintenant, il est le maître, le seul maître de sa destinée.
Il va pouvoir partir seul à la conquête de l’univers. Il va pouvoir tout se soumettre. Il va pouvoir tout transformer, manipuler à sa guise. Il est devenu le seul vrai dieu.
Mes frères, en cet instant, nous sommes encore et toujours dans l’éternel aujourd’hui de Dieu, cet aujourd’hui que nous célébrons chaque nuit à l’heure des Vigiles. Et nous sommes attentifs à une voix, la voix de cet aujourd’hui. Nous remarquons que nous sommes toujours en train de bafouiller sur le …?…, une antinomie où s’abîme notre esprit.
Le monde, le monde des hommes, le monde soumis à l’homme, le monde soumis au prince de ce monde, ce monde-là se construit sans Dieu. Nous ne le savons que trop. Et pourtant, le monde ne subsiste que par Dieu.
Dieu est inexistant et Dieu est omniprésent. Dieu est mort et Dieu est la vie du cosmos. Vie et mort sont comme les deux faces d’une même réalité. Jésus dans son tombeau est le dévoilement de ce mystère.
Jésus, ne l’oublions jamais, Jésus est Dieu. Il est Dieu tout autant qu’il est homme. Et il est là, couché, mort, sur une dalle de pierre, dans un tombeau de pierre ; scellé d’une pierre trop grande qu’un seul homme ne saurait rouler. Il est là, gardé par une escouade de soldats. On garde un cadavre !
Oui, Jésus est mort dans son humanité, mais il est vivant dans sa divinité et, les deux se confondent au plus intime de son être. Ce mystère se projette sans fin sur nous et sur le monde.
Remarquons-le bien, ne l’oublions jamais : la mort sous toutes ses figures est l’unique accès à la vie. Celui qui veut garder sa vie la perdra, a dit Jésus. Par contre, Celui qui prend le risque de la perdre, celui-là la sauvera pour jamais !. Oui, la mort colle à la vie, elle est un avec elle.
Nous sommes au monastère pour anticiper notre mort, pour en faire notre alliée, pour accéder par elle à la vie sans déclin. Nous le savons que trop, il n’existe pas qu’une seule mort. Ne pensons pas d’abord à notre mort biologique, pensons à tous les renoncements qui se présentent à nous chaque jour…….
Arrêt accidentel de l’enregistrement !
Mes frères,
A l’occasion des solennités pascales, Dieu distille dans notre cœur une lumière qui nous vaut le privilège d’être mystérieusement et activement présent à toutes les heures de l’Histoire. Nous devons non seulement le croire, mais nous devons adapter notre vie à ce qui au regard de la foi est une évidence.
N’avons-nous pas été choisis par Dieu dans le Christ dès avant la création du monde ? Et l’Apôtre ne nous dit-il pas que notre vie est cachée avec le Christ en Dieu ? Tout cela peut paraître extravagant au regard de la raison pure, et pourtant, c’est la réalité la plus concrète qui soit.
La résurrection du Christ a pour effet premier, si nous la laissons agir sans entraves en nous, de nous arracher au biologique avec ses pulsions et ses répulsions, avec ses convoitises et ses peurs, et de nous établir dans notre vérité entière, dans notre être d’enfant de Dieu pour une vie nouvelle, pour une vie autre sous la mouvance de l’Esprit.
Alors, on devient ce que Dieu est. On est arraché à soi-même, on dépasse ses limites et on fait de son être entier une existence de lumière et d’amour. Vraiment à ce moment-là, on est passé de la mort à la vie, d’une existence larvée à une existence comblée. Et c’est cela ressusciter des morts avant même de mourir.
Et on est pour les autres une présence qui ouvre toutes les portes, qui fait tomber toutes les barrières. Et les hommes ont alors le sentiment lorsqu’ils nous rencontrent d’être accueillis dans une cathédrale de lumière où ils peuvent respirer et découvrir enfin la vérité de leur être.
Mes frères, lorsque on dit ces choses, lorsque on les entend, on peut avoir l’impression que c’est une théorie extrêmement belle mais qui ne répond à rien, et qui ne nous concerne pas. Et pourtant, si nous sommes dans le monastère, si nous avons été appelés par Dieu à vivre dans cette solitude de Saint Remy, c’est précisément pour que nous puissions incarner dans toute notre vie cette réalité de la résurrection du Christ.
Car la résurrection du Seigneur Jésus nous touche au plus profond de notre intimité. Elle est notre présent et elle est notre avenir, non seulement le nôtre, mais celui de tous les hommes et, il faut qu’il y ait sur terre des hommes qui soient là pour en témoigner, non pas tant de bouche, mais par leur vie en devenant transparent à cette résurrection.
Il faut que ceux qui nous rencontrent puisse le penser sinon dire : il y a là quelque chose que nous ne comprenons pas mais quelque chose qui nous attire, quelque chose que nous espérons pour nous et qui est la métamorphose de notre cœur.
Vivre ainsi dépouillé de soi, pure oblation à Dieu et aux autres, c’est être contemporain du commencement, de tous les commencements et surtout de ce commencement absolu qui est la résurrection du Seigneur. Nous ne devons pas loger la résurrection du Christ 2000 ans en arrière, à une époque que nous ne pouvons atteindre sinon par l’Histoire ou par la foi.
Non, la résurrection du Christ, elle est d’aujourd’hui. Le Christ par sa résurrection récapitule en lui absolument toute la durée de l’Histoire. Et nous-mêmes nous devons de plus en plus, c’est cela la beauté de notre vie contemplative, prendre conscience que le Christ ressuscite aujourd’hui, que nous sommes contemporains de sa résurrection. Et mieux que cela encore, que nous sommes entraînés en elle, et que nous-mêmes nous sommes en train jour après jour de ressusciter.
Cela peut durer longtemps, cela peut durer des années et des années ? Peut-être, mais on ne sait pas ce qui se passe dans le secret des cœur car c’est là que la résurrection s’opère en premier.
Mes frères, efforçons-nous donc de laisser agir en nous les énergies de la résurrection. Et puis, n’attendions pas d’avoir vu pour croire. C’est en croyant et c’est en vivant que nous verrons. Communier à tous les temps, communier à tous les devenir. C’est la grâce des enfants de Dieu, c’est la grâce des fils de la résurrection !
Et l’obéissance monastique, la nôtre, elle n’a pas d’autres buts que de nous vider de nous-mêmes pour nous introduire dans les espaces nouveaux que le Christ nous a ouvert. Et notre cœur devient alors un ciel, le ciel de Dieu, le ciel où tous les hommes se sentent chez eux.
Ce matin encore, je me disais que la naïveté, la candeur, l’innocence, c’est peut-être la plus belle qualité du chrétien, du fils de la résurrection. Car Dieu est le grand naïf, Dieu est le grand innocent, Dieu est celui qui un a priori de confiance à l’endroit de chacun.
Eh bien, mes frères, si nous sommes fils de la résurrection, il doit en être de même de nous. Mais alors, nous nous exposons à tous les périls. Car les hommes, nous-mêmes aussi d’ailleurs par une partie de nous, les hommes sont méfiants, les hommes ont peur ; et puis, les hommes sont rusés et il s’en trouve qui sont des profiteurs de tout et de tous.
Nous sommes depuis quelques mois rassasiés de scandales de corruption dans les sphères les plus hautes des gens auxquels nous avions donné justement notre confiance et qui ont profité de leur situation pour s’emplir les poches.
Mes frères, ça ne doit pas nous décourager car ces hommes sont aussi des enfants de la résurrection. Il y a une partie en eux, une partie secrète qu’eux-mêmes ne connaissent pas, à laquelle ils n’ont pas accès, une partie qui est restée naïve, une partie qui est restée innocente parce que là dans le secret se cache l’Esprit Saint, se cache la Trinité qui agit et qui, au jour voulu, au jour que seul la Trinité connaît, au jour voulu fera éclater toutes les résistances, anéantira tous les péchés et fera de chacun de ces hommes, de chacune de ces femmes, aussi un astre de lumière.
Mes frères, si nous vivons dans cette foi, donc dans cette espérance, nous comprenons mieux la première des Béatitudes : Bienheureux les pauvres en esprit car le Royaume des cieux est à eux !
Alors, mes frères, Pâques, le Temps Pascal aujourd’hui particulièrement en ce dimanche, eh bien, c’est notre fête ! C’est notre fête et c’est la fête de l’humanité toute entière, de l’humanité dans sa totalité, de l’humanité récapitulée dans notre personne et dans notre cœur.
Alors, laissons-nous submerger, laissons-nous emporter par cette immense espérance que nous-mêmes nous participons dès maintenant à la résurrection du Christ, et avec nous tous les hommes, et que personne, absolument personne ne soit laissé en dehors.
Ac. 9, 26-31 * 1Jn. 3, 18-24 * Jn. 15, 1-8
Mes frères,
Nous venons de l’entendre de la bouche du Seigneur Jésus ressuscité. Oui, il est ici parmi nous dans la gloire de son être nouveau, de son être éternel, de son être de Dieu. Il est homme et il est Dieu et, nous sommes greffés sur lui. Il est la vigne et nous sommes les sarments.
Nous venons de l’entendre de sa bouche, nous devons donner du fruit, beaucoup de fruits, un fruit qui réjouira le cœur de notre Père, un fruit qui dilatera notre propre cœur et qui nous fera goûter dès ici-bas les saveurs de la vie éternelle.
Dans l’immense jardin de la création de Dieu, chaque chrétien devrait être un arbre, un arbre unique en son genre et donnant un fruit, un fruit toujours nouveau, un fruit de chaque saison, un fruit comme on aimerait regarder pour se réjouir, pour que le regard soit captivé par cette beauté, et un fruit dont on devrait pouvoir se nourrir à satiété, sans aucune crainte, en toute liberté. Voilà le véritable chrétien !
Mais quel est donc ce fruit ? C’est un fruit de conversion totale, un fruit de transfiguration, un fruit de résurrection. Car si le Christ est mort et ressuscité, nous sommes ressuscités avec lui à condition que nous acceptions dès maintenant de participer à sa mort. Comment ? Mais en donnant notre vie pour les autres, en leur donnant la première place dans notre cœur.
Oui, ce fruit est de pouvoir être vrai dans toute sa vie, c’est de pouvoir aimer dans l’oubli de soi, c’est de pouvoir être pour Dieu des témoins irrécusables. Nous porterons du fruit si nous sommes et si nous restons greffés sur la personne du Christ ressuscité. Il ne suffit pas de porter le nom de chrétien, il ne suffit pas d’être baptisé, d’être inscrit en bonne place sur le registre des paroisses.
Non, il faut s’offrir une métamorphose qui doit faire de nous des êtres nouveaux, des hommes qui vivent non pas selon les normes de ce monde-ci et de son prince, mais des hommes qui vivent selon la puissance qui agit dans la personne du Christ ressuscité.
Or, cette puissance, c’est celle de l’amour, d’un amour humble, doux, patient, compatissant, généreux, désintéressé. Une telle puissance est invisible car rien, pas même la mort, ne peut lui porter atteinte. C’est la puissance de l’amour. Elle est vainqueur de la mort et de toutes les formes de mort, même de cette forme subtile de mort qu’est l’égoïsme, l’égocentrisme, le narcissisme tout ce qui replie l’homme sur lui-même, qui l’emprisonne dans son petit moi et qui l’empêche de vivre. Oui, cette puissance de l’amour a vaincu dans le Christ et aujourd’hui encore, elle vainc en chaque véritable chrétien.
Demeurer dans le Christ comme le sarment dans la vigne, se nourrir heure par heure de la volonté du Christ, grandir en charité, porter un fruit de grâce, voilà qui nous ouvre un avenir, voilà qui nous plonge dès maintenant au-delà du voile dans la lumière, dans une joie et une paix indicible.
Rappelons-nous qu’avant de quitter ce monde pour retourner à son Père, le Seigneur jésus nous a laissé sa joie et nous a laissé sa paix. Il ne donne pas la paix et la joie avec mesure, non, il la donne sans limite, il ne garde rien pour lui. Il nous introduit dans tout ce qu’il est, dans tout ce qu’il a.
Prendre le risque de la confiance en Dieu, prendre le risque d’aimer, c’est ce qui nous est plus particulièrement proposé en ce temps de Pâques. La résurrection du Christ n’est pas une pieuse légende. Elle est un fait qui nous saisit au plus intime et qui nous transplante au plus secret du cœur de Dieu. Nous sommes enfants de Dieu, nous vivons de sa vie, nous sommes déjà par le meilleur de nous-mêmes dans l’éternité.
Eh bien, frères et sœurs, que cela transparaisse en toute notre conduite ! C’est là mon souhait pour chacun de vous, c’est là ma prière, c’est là mon espérance.
Amen.
Mes frères,
Que pouvons-nous retenir de la retraite que nous avons vécue pendant la semaine dernière ? Volontiers je vous proposerais deux points. Nous avons visité le désert de Scété. En fait, Scété était un immense monastère rempli de cellules habitées par des hommes originaux, des hommes dont la stature spirituelle nous étonne encore aujourd’hui, des hommes qui sont nos Pères dans la vie monastique, des initiateurs.
Et ce monastère de Scété avait une clôture. Et cette clôture, c’était le grand désert, le désert rempli de danger, le désert d’où pouvait surgir à tout moment les brigands qui ne se sont pas privés de se lancer leurs assauts contre les Pères, de dévaster leurs demeures et même d’en tuer quelques-uns. Scété et son monastère n’était donc pas le lieu de la sécurité suprême.
Il y avait pourtant une sécurité, une seule. C’est que le monastère de Scété était un jardin, une sorte d’éden, un paradis dans lequel grandissaient et s’épanouissaient des arbres, des plantes dont la beauté ravissait le regard et des arbres qui donnaient du fruit en toutes saisons, des fruits de vie. Tel était Scété et tel doit être tout monastère. C’est là que je veux en venir !
Un monastère est peuplé d’hommes appelés par Dieu, retirés du monde par Dieu, transplantés du monde dans un terreau nouveau. Ce terreau est un terreau vivifiant, un terreau riche parce que c’est un terreau d’un jardin, le jardin même de Dieu. Dans le monastère, nous ne sommes pas chez nous, je ne le répéterai jamais assez. Nous sommes chez Dieu. Et nous avons le droit chacun d’être nous-mêmes. La beauté d’un jardin est faite de la variété de ses arbres, de ses plantes, de ses fleurs. La monotonie, l’uniformité serait mortelle ; on prendrait la fuite.
Donc, n’ayons pas peur, mes frères, d’être ce que nous sommes. Nous en avons le droit. Dieu s’arrangera pour nous faire grandir et pour nous revêtir de sa sainteté mais à l’intérieur de ce que nous sommes. Portons sur les autres un regrad attentif, un regard d’admiration parce que derrière les écorces, derrière les croûtes, il y a de la beauté. Et cette beauté, nous devons l’admirer et en rendre grâce.
Et la deuxième chose que nous pourrions conserver de cette retraite, c’est que il est indispensable de donner un sens à notre vie. Et le sens profond de la vie monastique, nous ne devons jamais le perdre de vue. Mais quel est-il ? La vie monastique est une migration, elle est un passage, elle est une pâque. Ce n’est pas un transfert d’un lieu dans un autre, ce n’est pas seulement ce transfert. Il s’agit d’un transfert spirituel qui se passe à l’intérieur du cœur.
Chacun de nous doit devenir , être et rester un témoin irrécusable de cet univers mystérieux, de cet univers merveilleux qu’est Dieu dans son être le plus profond. Car au terme de l’Histoire, au terme de l’évolution, Dieu sera tout en toutes choses. Cela signifie que la matière elle-même sera transparente de l’être de Dieu. Et les hommes, les êtres intelligents, les êtres qui participent à la vie de Dieu se rassasieront sans fin de cette beauté.
Eh bien, mes frères, il faut que chacun d’entre nous pour sa part devienne une apparition de ce qu’est Dieu. Nous devons être des témoins même si personne ne le sait, même si personne ne vient nous admirer. Cela pourrait nous induire en tentation ! Dans le secret mais les uns pour les autres car nous sommes dans un monastère cénobitique, nous devons être des apparitions de ce qu’est Dieu. Tel est le sens profond de la vie monastique !
Il ne faut jamais, mais au grand jamais, on n’en a pas le droit, ce serait quasiment profanateur et criminel, on n’a pas le droit de mettre Dieu au service des ambitions humaines quelque soit leur noblesse. Au contraire, il faut que notre être entier, cœur, intelligence, volonté et même le corps, existe, vive, réagisse et respire pour Dieu.
Nous devons lui laisser toute la place en notre être, absolument toute. Nous devons la lui céder. Nous devons lui permettre d’entrer en nous. Et ainsi, nous devenons le ciel de Dieu. Nous devenons son sanctuaire, son temple, sa présence, quasiment sa personne.
Et lorsque nous sommes devenus un seul esprit avec Dieu, lorsque ce n’est plus nous qui vivons mais lorsque c’est le Christ qui vit en nous, à ce moment-là, étant divinisé, c’est quasiment la personne de Dieu qui est présente ici sur terre. Il faut que en nous voyant, on voit Dieu dans son amour, dans sa lumière et dans sa beauté.
Voilà, mes frères, le sens de la vie monastique. Pour le comprendre vraiment, il faut déjà avoir une certaine maturité spirituelle. Mais je pense que chacun de nous est déjà depuis un certain temps ici , donc il a ouvert son cœur à cette intelligence. Mais il faut que nous entretenions cette vision de notre vocation. Et comme le disaient beaucoup de Pères, nous devons ainsi nous faire violence en tout.
Car le pondus carnis, le poids de la chair nous entraîne ailleurs et, nous devons nous faire violence pour toujours redresser le gouvernail pour maintenir notre cœur orienté vers cette beauté qui est Dieu, et vers cette extraordinaire aventure qu’est la vocation monastique.
C’est la lutte de tous les jours. Et nous devons reconnaître que chaque jour nous trébuchons. C’est cela le péché ! Mais ce n’est pas important du moment que chaque fois nous redressons la barre et que nous nous resituons dans la droite ligne de ce que nous sommes. Et alors, nous entrons en communion avec une multitude de saints et de saintes qui sont autant de révélations de Dieu.
Cela ne veut pas dire que nous méprisons le monde. Au contraire, nous devons l’aimer comme Dieu l’a aimé. Nous ne le méprisons pas, mais nous essayons de le saisir par l’intérieur pour le faire avancer vers son véritable destin. Nous sommes nous aussi des cellules du monde, des fragments du monde. Ce n’est pas parce que nous avons été retirés du monde que nous n’en faisons plus partie.
Le monastère aussi fait partie du monde. Dieu fait partie du monde aujourd’hui puisque le monde est sorti d’une intuition et d’un vouloir de son amour. Mais notre place dans ce monde , c’est d’être la conscience éveillée, la conscience surnaturelle du monde.
Et c’est pourquoi nous devons demeurer aussi en relation étroite avec les saints et les saintes, les saints du désert et les saints de tous les temps, ceux qui sont déjà pleinement dans la lumière de Dieu, ceux qui ici-bas avec nous cheminent encore et, ils sont certainement plus nombreux que nous ne le pensons.
Le monde a besoin, mes frères, de telles colonnes sur lesquelles reposer, des colonnes qui lui rappellent sa véritable destinée qui est, comme je le disais tout à l’heure, que Dieu soit finalement tout en toutes choses. Eh bien, qu’il soit tout en chacun de nous et, en chacun de nous alors, le monde aura déjà trouvé, il aura touché et reçu son ultime récompense.
Mes frères,
Que d’amoncellements de souffrances dans notre monde d’aujourd’hui ! Comment entendre encore et toujours ces cris, ces pleurs, ces gémissements ? A quoi bon vivre dans un monde peuplé de cauchemars ! Nous n’avons pas le droit d’élever des barrières, des blindages autour de notre monastère ; nous n’avons pas le droit de nous boucher les oreilles et d’obstruer notre cœur. Il faut que tout cela d’une manière ou d’une autre parvienne jusqu’à nous et nous interpelle avec vigueur.
Voici un exemple d’aujourd’hui : cinquante mille, quatre-vingt mille, cent mille, des dizaines de milliers de réfugiés Ruandais se sont mis en route pour traverser le Zaïre d’Est en Ouest pour essayer de gagner le Congo-Brazaville à travers la forêt équatoriale. Il en meurt chaque jour des dizaines et des centaines de faim et d’épuisement. Ce sont des hommes, des femmes et des enfants.
C’est quelque chose qu’il nous est difficile d’imaginer mais que moi j’ai vu pendant la guerre. C’est aujourd’hui l’anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale. J'ai vu des convois, des colonnes sans fin. Il y avait certainement des milliers et des milliers de personnes sur les routes du nord de la France. Vous voyez une route ordinaire de l’époque, eh bien, dans les champs des deux côtés encore, c’était sans fin, ça avançait, ça descendait vers le sud essayant de trouver le repos, de trouver une issue. Et ces gens et moi, on n’avait rien à manger, rien à boire que l’eau de pluie qui tombait.
Eh bien voilà, mes frères, on aurait pensé que c’était fini, à jamais fini toutes ces choses-là. Mais non, c’est encore comme ça aujourd’hui. Et la déléguée des Nations-Unies pour les questions de l’Afrique Centrale vient de révéler à Bruxelles que l’est du Zaïre était devenu un véritable abattoir. On massacre les gens ou on les laisse mourir comme ça sans rien ! Et celui qui est devenu le nouveau maître du Zaïre en est pratiquement responsable. Il n’est pas digne de diriger un pays. Voyez où nous en sommes !
Un autre exemple : en Corée du Nord, il y a pour l’instant une famine absolument invraisemblable. Il n’y a plus rien, mais rien, rien, rien à manger à tel point que les gens vont jusqu’à déterrer les morts pour essayer de s’en nourrir. Et impossible d’acheminer des secours parce que les dirigeants qui sont des staliniens à l’état pur interceptent tout pour eux.
Et alors, ne courrons pas si loin. Dans nos régions ici, on me faisait remarquer dernièrement que dans les villes, les gens étaient vêtus de plus en plus pauvrement. Le paupérisme s’étend dans nos régions qui sont tellement riches. Alors à côté de cela, il y a des fortunes immenses, incalculables presque, mais qui sont dispersées par toute la terre. C’est le phénomène de la mondialisation.
Voilà, mes frères, la situation aujourd’hui. Nous ne pouvons pas tenir nos cœurs fermés devant ces misères. Mais alors, mes frères, quelle réponse donner ? Et la réponse à tout cela ne peut être des discussions, des raisonnements, des démonstrations. Les paroles de l’homme ne peuvent rien contre les faits qui crèvent les yeux et qui assourdissent les oreilles. Alors il faut autre chose que des paroles. Mais quoi ?
Eh bien, mes frères, il y a une réponse, une réponse unique. Et cette réponse, elle ne peut être qu’une personne, une personne vivante, une personne qui descend au plus profond et au plus dur de cette misère, une personne qui compatit, une personne qui souffre avec et qui ne se dérobe pas ; non pas une personne qui souffre, qui compatit de l’extérieur, mais qui est enfoncée à l’intérieur de cette misère et qui en souffre avec les autres et qui, finalement, peut délivrer et donner un sens.
Et cette personne, nous le savons, notre foi nous le dit, c’est la personne du Seigneur Jésus bafoué, torturé, rejeté, crucifié, tué ; le Seigneur Jésus qui est l’amour sans défense, qui est la pauvreté, qui est pure offrande et pure attente ; le Seigneur Jésus qui est aussi l’éternel invaincu parce que il est le Prince de la vie ; et ce Seigneur Jésus qui est plus intime à nous-mêmes que le plus intime de nous et qui attend notre oui pour nous ressusciter avec lui.
Eh bien, mes frères, nous devons laisser les sentiments du Seigneur Jésus devenir nôtres. Nous devons évacuer notre jugement, notre vision, notre écoute pour être entièrement à la disposition de ce Sauveur du monde ; nous devons lui donner, lui remettre tout ce que nous sommes, lui permettre d’évacuer de nous tout égocentrisme pour que à partir de nous ici dans notre monastère, il puisse mystérieusement mais bien réellement rayonner sur le monde et à travers toutes ces horreurs le conduire malgré tout à une issue.
C’est cela, mes frères, le mystère de l’Ascension qui ne fait qu’un avec le mystère de la Résurrection. Alors, laissons-nous absorber par ce mystère ! Qu’il ne soit pas pour nous un objet sur lequel travaille notre intellect ou notre imagination, et qui au fond ne nous touche pas vraiment. Il est si commode de regarder les choses de l’extérieur, de pouvoir en discourir, de pouvoir même épater un public. Mais dans le fond, on n’y croit pas. On n’y croit pas parce qu’on n’y est pas engagé.
Eh bien, il ne peut pas en être ainsi de nous, mes frères ! Que ce mystère soit le cœur, la raison d’être, la respiration de notre vie la plus concrète. Et notre vie la plus concrète, eh bien, c’est ce qui nous est demandé chaque jour ici, de toutes petites choses.
Rappelons-nous que Thérèse de Lisieux, qui n’a jamais quitté son Carmel, qui a passé toute sa vie à faire des choses de rien du tout, faire le ménage, composer de petits poèmes, confectionner de petites roses de papier pour les fêtes, et toutes choses ainsi, eh bien, elle avait un cœur aux dimensions du cosmos parce qu’il était devenu pur amour.
Et à partir de là, à partir de ces petites choses où elle mettait tout son être dans la lumière de Dieu, eh bien, elle transformait l’univers, elle le conduisait à la plénitude de son destin. Car si Dieu a réussi dans un homme, eh bien, nous le savons, il réussira finalement dans le cœur de tous les hommes.
Je l’ai déjà dit et je le répète : nous portons dans notre cœur tous les hommes, absolument tous. Eh bien, si notre cœur devient un sanctuaire de lumière, tous les hommes en sont éclairés et cela, encore une fois, dans le concret de notre vie en faisant la cuisine, en prenants des densités, en fabriquant du pain, en arrangeant le réfectoire, en nettoyant les couloirs, et tout cela !
Voilà, mes frères, ne rien demander de choses au-delà de nos forces, mais tout simplement par amour, faire avec beaucoup d’amour de toutes petites choses comme le Christ les a faites quand il était dans ce petit trou perdu de Nazareth, inconnu de tous.
Mes frères, nous devons aussi apprendre à tout voir, tout entendre, tout juger en référence à la Passion, à la Résurrection et à l’Ascension du Seigneur Jésus. C’est un homme comme nous qui a vécu toutes ces petites choses de la vie, mais un homme qui était également Dieu.
Eh bien, ouvrons-lui tout notre être pour que nous-mêmes nous puissions être divinisés et qu’il puisse achever en nous ce qui a manqué à sa passion lorsqu’il était ici-bas. Notre gloire est immense parce que Dieu nous a égalé à lui. Bafouer l’homme, le mépriser, l’humilier, l’anéantir, c’est toucher Dieu lui-même au plus intime, au plus personnel de son être.
Et attention, mes frères, nous pouvons aussi mépriser quelqu’un dans notre cœur. Et ça, il ne faut pas que ça arrive ! Et si cela peut s’insinuer en nous, eh bien comme le dit Saint Benoît quelque part, saisissons immédiatement le rejeton de cette pensée diabolique et brisons-là d’un seul coup contre le Christ, 4,48 & 7,120.
La souffrance de l’homme, toute souffrance de l’homme, c’est une souffrance de Dieu ; l’humiliation de l’homme, c’est l’humiliation de Dieu. Ah, si on pouvait le savoir ! Mais au moins que nous, nous le sachions. C’est pour cela que Saint Benoît a voulu fonder une école où l’on serve le Seigneur, une école où il se passera dans les cœurs, dans les regards, et aussi dans le paroles et dans les gestes, des choses qu’on ne verra pas ailleurs et qui seront des reflets de sa présence, et de son Royaume, et de son amour. Nous devons ainsi apprendre à vivre en permanence à l’intérieur de cette vision de foi.
Alors, mes frères, nous serons de vrais chrétiens, nous serons des hommes authentiques et nous serons une lumière et une réponse pour les autres.
Mes frères,
Nous laisserons de côté l’Abbé et les devoirs que lui impose notre Père Saint Benoît et nous ferons un petit saut en arrière jusqu’à l’exorde de notre Règle. Un détail m’a frappé qui va éveiller votre attention en ce temps de Pâques qui s’achève et qui va bientôt se couronner par le don de l’Esprit Saint, un don permanent, un don toujours nouveau, un don qui doit, à terme, nous rendre semblable à Dieu.
Saint Benoît nous dit que nous avons été engagés pour combattre sous l’étendard du Seigneur Christ notre véritable Roi, Pr.9. Une évidence s’impose donc : Jésus est Roi. Il est le Roi d’Israël, il est le Roi de l’univers, il est tout simplement le Roi, le Roi par excellence. Il l’est du fait de sa nature humano-divine ; il l’est davantage encore par sa résurrection, par tout ce qui lui a été remis par son Père. Tout pouvoir m’a été donné, a-t-il dit, au ciel et sur la terre.
C’est lui qui décide, qui organise, qui conduit, qui dirige. Et cela, il le fait uniquement pour le bien des hommes ses frères et pour le bien du monde en général. Il n’existe en son cœur aucun retour sur lui-même, absolument aucun. Il est de tout son être pur oubli de soi et pur don aux autres. Il a poussé l’abnégation jusqu’à se vider de son être de Dieu et se faire l’esclave de tous.
Au moment d’entrer dans sa passion, il a fait son apparition dans sa ville à lui, Jérusalem. Il est venu, non pas en grand équipage, mais monté sur un âne. Et la foule dans son instinct infaillible ne s’y est pas trompée : elle l’a acclamé pour son Roi, elle a jubilé, elle a crié sa foi. Les gens bien-pensants auraient voulu les faire taire ; mais s’ils avaient gardé le silence, les pierres elles-mêmes se seraient mises à crier.
Nous nous rappelons aussi que quelques jours plus tard, Jésus Dieu, Jésus le Roi a manifesté sa Royauté en s’agenouillant aux pieds de ses disciples. C’est là que nous devons le contempler et l’admirer : chevauchant sur un âne et à genoux aux pieds de ses disciples, aux pieds de chacun d’entre nous, offrant tout ce qu’il est et attendant avec patience, avec confiance notre accord.
Nous savons que pour l’accepter dans notre vie, nous devons lui faire place, nous devons nous vider de notre moi, notre moi égocentrique, notre moi peuplé de convoitises, notre moi hanté de peurs. Et nous devons prendre le risque d’aimer, de l’aimer lui d’abord et puis, dès qu’il a pris possession de nous, d’aimer nos frères, d’aimer tous les hommes jusqu’à la folie, jusqu’à la déraison. Et cela peut se manifester de façon très concrète.
Jésus est le véritable Roi parce qu’il est Amour. Et ici, nous touchons le mystère le plus secret et le plus beau de Dieu et, ce mystère nous dépasse à l’infini. Il nous dépasse et en même temps il est là et il veut que nous le comprenions, ce mystère. Et nous ne pouvons le comprendre, ce mystère d’amour, nous ne pouvons le comprendre que si nous devenons nous-mêmes un mystère, que si nous devenons nous-mêmes amour.
Car un homme qui aime est un homme mystérieux car il a des comportements qui ne sont pas normaux, qui ne sont pas naturels, qui ne sont pas humains. Ce sont des comportements de fils de Dieu. Cet homme obéit au mystère qui l’habite, au secret qui habite son cœur et qui ne cesse de le transformer et de le nourrir.
Etre mystère pour les autres et aussi mystère pour nous-mêmes car nous nous surprenons à faire des choses auxquelles nous n’aurions jamais oser penser autrefois.
Et si Jésus est Roi, s’il est notre Roi, c’est pour nous introduire dans les espaces merveilleux de l’amour qu’il est. Alors, mes frères, pourquoi hésiter ? Pourquoi résister ? Eh bien, c’est parce que nous avons peur d’être livrés à tout ce que lui-même a dû endurer. Nous avons peur d’être dévorés, d’être moqués, d’être conduits à la mort.
Ne dramatisons pas ! Ce n’est rien de spectaculaire, mais tout se passe à l’intérieur de notre cœur. Nous devons mourir à nous-mêmes pour devenir amour ; nous devons devenir pure communication, pure relation, pure don. A ce moment-là, nous devons être vidés de tout ce qui fait notre faux moi. Nous devons accueillir en nous notre véritable moi, un moi que Dieu seul connaît, un moi qui devient source de vie éternelle pour nous-mêmes et pour les autres.
Voilà, mes frères, restons ce matin sur cette note de beauté que Jésus est Roi, Jésus est Dieu, Jésus est amour et nous croyons en lui. Durant cette octave préparatoire à la fête de la Pentecôte, lorsque aux Vêpres nous chantons le Veni Creator Spiritus, à ce moment-là, ouvrons largement notre cœur ! Essayons de ne pas être distraits, mais offrons-nous à cet amour qui doit faire de nous pour le monde des flammes d’espérance !
Mes frères,
En écoutant la lecture de notre Règle, mon attention a été accrochée par une phrase de Saint Benoît. Et si vous le voulez, je vais vous partager en toute simplicité ce que j’ai ressenti. Il était question de l’Abbé, comme aujourd’hui encore, ou l’Abbé ne doit pas faire acception des personnes dans le monastère, 2,44, etc.
Mais pour Saint Benoît, l’Abbé est un visage, un visage qui condense toutes les beautés que Saint Benoît a contemplé dans les Abba du désert, ces grands hommes, ces grands Maîtres spirituels, tous issus de notre Père Saint Antoine, l’ancêtre commun. Et ça vraiment, c’est l’Abbé, ce sont les Abbés !
Et pour nous, l’Abbé par excellence, c’est Saint Benoît lui-même. Mais attention ! Quand nous voyons Saint Benoît, rappelons-nous toujours que dans sa personne, dans son cœur, il porte déjà une longue Tradition d’hommes qui ont cherché Dieu, qui l’ont rencontré, et qui maintenant sont entrés dans la lumière où ils nous attendent.
Car l’Abbé pour Saint Benoît, comme pour les premiers Abbés, doit être le réceptacle de la sagesse, de cette sagesse qui est une expérience, une tradition qui s’est petit à petit sédimentée dans les cœurs, et puis qui a affleuré, et puis qui doit être partagée. Elle ne peut pas être retenue jalousement.
Et cette sagesse, sagesse des anciens moines, elle remonte encore plus haut, elle remonte jusqu’au trône de Dieu d’où elle coule à flots parmi les hommes ; et elle recherche des cœurs qui soient ouverts à sa présence et qui soient ouverts à son action. Ce seront les Sages !
Et les premiers moines s’appelaient les vrais philosophes. Ils recherchaient cette sagesse. Il faut dire qu’ils l’ont trouvée. C’était la Sagesse incarnée alors qui est le Verbe de Dieu et qui s’est mise à notre disposition pour nous communiquer ce qu’il a de plus riche, ce qu’il a de plus beau, sa nature divine. A ce moment-là, on est devenu un véritable spirituel, un véritable homme de Dieu.
Eh bien, voici la petite phrase de notre Père Saint Benoît. Il s’agit donc de l’Abbé. Il dit que l’Abbé par ses instructions doit répandre dans les âmes de ses disciples comme un levain de la divine justice, 2,12. C’est cela !
Donc, l’Abbé doit enseigner, docere, il doit organiser la vie de son monastère, il doit donner à ses disciples les instructions. Et notez bien que instruction, c’est le contraire de destruction. L’instruction, c’est ce qui fait grandir ; la destruction, c’est ce qui fait périr.
L’Abbé doit donc par ses instructions, il doit conspergere. C’est traduit ici en français par répandre. En fait, il faut voir le geste : il doit asperger, il doit arroser, il doit, oui, disons répandre dans le cœur de se disciples, dans le mens. Saint Benoît dira que notre mens au moment de la psalmodie doit comporter avec nos paroles,19,12.
Il ne faut pas qu’il y ait dans nos paroles le contraire de ce qui est dans notre cœur. Cela ne veut pas dire qu’on n’a pas le droit d’avoir des distractions, loin de là ! Mais il faut que nos paroles soient en harmonie avec ce que nous croyons, ce que nous vivons au plus profond de nous. Il y a donc là une exigence de vérité, c’est cela que ça veut dire !
Donc ici, c’est le mens, c’est le cœur, c’est cet organe qui permet au moine d’entrer en relation consciente avec Dieu. Donc c’est là qu’il va ensemencer le fermentum, 2,11, le levain, le ferment de la divine justice.
Eh bien, mes frères, quand j’ai entendu ça, j’ai tout de suite pensé à d’autres levains, à d’autres ferments dont nous parle le Christ lorsqu’il nous dit : Attention ! Soyez prudents, mettez-vous à l’abri du ferment des pharisiens et du ferment d’Hérode, le levain des pharisiens et le levain d’Hérode !
Il existe donc des levains qui sont pervers, des levains qui feront tourner la pâte, des levains qui empoisonnent le cœur et qui, par le poison qu’ils distillent, le feront mourir, des levains qui conduisent à la perdition. Il y a le levain des pharisiens et le levain d’Hérode. Ce sont deux levains antagonistes, mais ils sont aussi mauvais l’un que l’autre. Oui, c’est ça ! Et alors, lequel choisir, ils sont tous les deux mauvais ? Et Saint Benoît dira : il y a le levain de la divine justice.
Mais voyons un peu le levain des pharisiens, ce que ça peut bien être ? Eh bien, les pharisiens étaient vraiment les « saints » de l’époque (entre guillemets naturellement), des hommes irréprochables. On ne trouve aucun défauts en eux. Leur vie est en conformité parfaite avec la Parole de Dieu, avec la Loi de Moïse, avec toutes les prescriptions de la Loi et aussi de la Tradition orale. Ce sont des hommes qui peuvent se montrer partout, on n’a rien à leur reprocher.
Voilà, ce sont les pharisiens ! Et ce sont des gens honnêtes. Les Evangiles nous donnent des pharisiens parfois une image un peu grotesque qui nous fait un peu peur. Oui, mais en général les pharisiens étaient tout de même des gens sérieux, sincères. Et pourtant, le levain des pharisiens, il faut s’en écarter, il ne faut pas devenir comme eux.
C’est que le pharisien tombait dans le piège qui guette les gens parfait : une certaine autosuffisance. Ils étaient vraiment des gens bien, quoi ! Ils n’étaient pas comme ceux-là ! Pensez à cette parabole du pharisien et du publicain.
Et puis, il y a le levain d’Hérode. C’était l’Hérode qui avait fait condamner Jésus. Ce n’était pas le vieil Hérode, lui aussi naturellement, mais le jeune ne valait pas mieux que son père. Il était pire encore peut-être ?
Et le levain d’Hérode, c’était les vues et les ambitions charnelles. C’était le succès, c’était la réussite, c’était les relations, c’était la puissance financière, c’était la puissance économique et politique, c’était le levain d’Hérode !
Et ça donnait, ce levain donne une illusion de valeur. Aujourd’hui on dirait : j’ai une voiture avec une plaque signalétique spéciale, et comme ça, j’ai le sentiment que je suis quelqu’un. Le levain d’Hérode, quelqu’un qui a réussi !
Mais ce levain-là fait illusion et rapetisse l’homme et, finalement, il le rend abject. Le levain d’Hérode est exactement le contraire du levain des pharisiens. Ils sont aussi dangereux l’un que l’autre. Mais à choisir entre les deux, je préférerais encore – je ne sais pas – je préférerais encore le levain des pharisiens parce que là, il y aurait encore une possibilité, disons à la suite d’un choc, une possibilité de conversion. Tandis que le levain de la magouille politique, et financière, et charnelle, et aussi les intrigues et les corruptions, là je pense que quand on est dedans, il n’est plus possible d’en sortir.
Voilà, mes frères, les deux levains. Ces deux levains mortels, l’Abbé doit les rejeter avec vigueur, c’est certain ! Mais alors, il y a le levain de la divine justice. Eh bien, nous reviendrons là-dessus une autre fois.
Mes frères,
En ce jour de Pentecôte, nous allons faire un petit saut à l’intérieur de notre Règle pour nous retrouver au sommet de l’échelle de l’humilité. A ce moment-là Saint Benoît nous dit : C’est la grâce que notre Seigneur daignera manifester par le Saint-Esprit dans son serviteur purifié de ses défauts et de ses péchés, 7,186. Le texte latin est un peu différent.
Là, il n’est pas question de serviteur mais d’operarius, 7,187, son ouvrier. La vie monastique est un opus, elle est un travail, elle est un labeur. Elle n’est pas pour des rentiers ou des hommes qui ont peur de vivre. Non, et il nous dira ailleurs qu’elle est une lutte, un combat . Le moine est un soldat.
Et Saint Benoît ne parle pas de la grâce. Il emploie, je dirais, une expression indéfinie : toutes choses que le Seigneur daignera manifester par l’Esprit Saint dans son ouvrier purifié de ses défauts et de ses péchés.
A ce moment-là, mes frères, remarquons-le, Saint Benoît s’arrête. Il n’ose pas aller plus loin. Il s’arrête dans une attitude de respect, d’admiration et de crainte. Il remet son disciple à l’Esprit Saint. Il le lui confie tout entier, sans regret. Il l’a conduit jusqu’où il pouvait le conduire. Maintenant le disciple aura un autre guide, l’Esprit Saint lui-même.
Il sait, Saint Benoît, qu’il va se passer des choses inouïes, des choses prodigieuses à l’intérieur du cœur de ce disciple et il ne peut en parler. Il se cantonne dans l’ignorance. Il se tait dans l’ignorance, mais c’est une sainte ignorance pleine d’espérance, de joie et de …?…
Saint Benoît se rappelle que le Christ a dit à Nicodème : L’homme qui est né de l’Esprit, on ne sait d’où il vient et on sait encore moins où il va ! Le but, l’intention de Saint Benoît est de conduire son disciple jusque là, jusqu’à ce point extrême où on ne peut plus rien savoir que le …?…
C’est un conte de beauté, mes frères, une beauté qui rassasie Dieu, qui rassasie le Christ, qui rassasie le monde angélique et qui, peut-être, rassasie les hommes qui ont les yeux pour voir, des yeux suffisamment purs.
Mais, remarquons-le, l’Esprit Saint est à l’œuvre dans le cœur du moine. Depuis le seuil de la vie monastique, il accompagne le moine à toute heure, il l’accompagne dans une discrétion parfaite, un effacement qu’on voudrait parfois bousculer. Il ne force rien mais il conduit.
Certes, le moine peut opposer des résistances, mais l’Esprit est confiant. Si malgré tout le moine est docile, s’il ose croire, s’il ose prendre le risque de l’espérance, alors l’Esprit Saint malgré tout parviendra à le purifier de tout ce qui fait obstacle à l’emprise de Dieu sur un homme. Mais ce n’est pas une emprise tyrannique, c’est une emprise d’amour. Dieu prend l’homme par le poignet – comme il nous l’a été rappelé le jour de l’Ascension – il le prend par le poignet comme il a pris le Christ par le poignet pour l’élever là où il devait aller et, où il ne pouvait pas aller seul.
C’est vrai, mes frères, tout ce que le Christ a vécu, le moine le vit à l’intérieur de son mystère, ou plutôt, c’est le Christ qui le revit dans son moine, dans son disciple, dans son fidèle.
Et cette œuvre de l’Esprit Saint dans le cœur d’un homme est attachée à l’essence même du christianisme. Le chrétien est un homme né de l’eau et de l’Esprit, un homme baptisé dans l’Esprit Saint, plongé dans le feu. Le Christ là encore nous avait prévenu : Jean-Baptiste baptisait dans l’eau. Eh bien d’ici peu, vous, vous serez baptisé, plongés, immergés, noyés dans l’Esprit Saint qui est une personne, ne l’oublions pas, une personne qui est l’amour.
Mais alors, mes frères, à quoi va-t-on reconnaître la présence de l’Esprit Saint dans le cœur d’un frère ? Eh bien, c’est très simple ! On le reconnaît à l’amour qui meut se frère ; l’amour qui lui permet de s’oublier de plus en plus jusqu’à un oubli total parfait ; l’amour qui lui donne de devenir une source d’amour intarissable, et pour lui-même, et pour les autres.
Et cela, encore une fois, dans l’incognito. Il faut des yeux purs pour reconnaître la pureté d’un autre, il faut des yeux déjà spiritualisés pour reconnaître la présence de l’Esprit Saint dans l’amour que rayonne un frère.
Mes frères, l’humilité, eh bien, elle consiste tout simplement à être de plus en plus entraîné par l’Esprit Saint, et immergé en lui jusqu’à ne plus faire qu’un seul souffle avec lui, véritable révélation de Dieu pour les hommes.
Si nous voulons bien y regarder avec attention, nous verrons que cela se passe ainsi dans notre vie. Et mon souhait, mes frères, en ce jour de fête, c’est que cela se réalise parfaitement pour chacun d’entre nous.
Mes frères,
Nous étions restés sur les deux levains que le Christ notre Dieu proscrit absolument : le levain des pharisiens et le levain d’Hérode. S’introduisent-ils dans les monastères ? Je préfère me taire car je ne voudrais pas vous exposer à des jugements qui pourraient être erronés.
L’Apôtre Paul nous parle lui aussi des levains que nous devons absolument proscrire. Il nous dit de nous débarrasser des vieux levains, les levains de la malice et de la corruption et de nous contenter d’un pain sans levain, le pain de la Pâque, qui est un pain de simplicité et de vérité. Et c’est le pain, ce pain sans levain que l’Esprit Saint va ensemencer.
Il va l’ensemencer d’un germe divin pour qu’il devienne déjà ici sur terre une apparition de l’univers de Dieu. Et lorsque Saint Benoît demande à l’Abbé de saupoudrer le cœur de se disciples du levain de la divine justice, c’est cela qu’il veut dire. C’est ce levain qui doit faire du cœur de chacun un temple où Dieu se sente chez lui pour faire de chacun un ciel.
Mais pour que l’Abbé puisse faire cela avec succès, il est nécessaire que lui-même soit ensemencé de ce levain, ce levain qui est la divine justice, qui est la justice même de Dieu. Quand nous parlons de justice, ne pensons pas à un tribunal, à un juge, ou à une sentence qui est prononcée. ( passage inaudible, racine hébraïque)
Mais pour que l’Abbé en soit pénétré, il faut donc que sa parole, que son enseignement déborde de l’abondance du cœur. Ce ne peut pas être livresque, purement livresque parce que dans les lèvres on ne trouve pas le ferment de la divine justice. Les lèvres peuvent aider à exprimer une pensée, à la dégager, à la préciser, éventuellement à la corriger mais le levain proprement dit se communique d’homme à homme. Et ce doit être le charisme de l’Abbé.
Il faut donc toujours prier pour l’Abbé pour qu’il réponde vraiment à la vocation qui est la sienne et qui est unique dans le monastère. Ce que je dis maintenant le précise encore.
Alors, l’Abbé aura besoin à l’intérieur de sa mission d’une patience infinie, d’une patience à la mesure de la patience de Dieu. Il doit se contenter, comme dit Saint Benoît, de conspergere, de saupoudrer, d’asperger, d’arroser, d’ensemencer. Le reste ne lui regarde pas, cela se fait tout seul. Saint Paul le dit aussi à propos de la prédication. Il dit : Moi, j’ai planté ; Apollos a arrosé ; et c’est Dieu qui a donné la croissance. C’est la même chose ici, l’Abbé ne doit pas attendre de voir le résultat de son travail. La divine justice qui va être semée dans le cœur des frères, elle se développe dans le secret sous l’action de Dieu ;
Donc l’enseignement de l’Abbé, ce n’est donc pas un dressage, ce n’est pas comme dans une compagnie militaire où tout le monde doit faire le même geste au même moment, au même commandement. Non, c’est un travail secret dont Dieu seul est l’auteur, le seul !
Et maintenant, quel est donc ce levain de la divine justice ? Eh bien, mes frères, ce sont des choses comme Dieu le voit, comme il les aime et comme il les veut. L’Abbé ne peut, comme le dit Saint Benoît, ne rien faire, ni ne rien disposer, ni ne rien enseigner qui soit en dehors de ce que Dieu désire. Il faut donc que l’Abbé soit constamment à l’écoute de ce que Dieu veut.
Il doit capter des ondes ou des harmoniques qui viennent de l’univers de Dieu. Il doit donc être branché en permanence sur Dieu, être sur la même longueur d’onde, et puis les recevoir dans son cœur et les disperser, les répandre sur le cœur de ses disciples.
Et cette justice est radicalement différente de celle de scribes et des pharisiens. D’ailleurs le Christ le dit sans cesse : Si votre justice ne dépasse pas celle-là, vous n’entrerez pas dans le Royaume de Dieu. C’est à dire qu’il ne faut pas être meilleur que ces hommes qui sont absolument parfaits. Il n’est pas possible d’être meilleurs qu’eux.
Non, il faut décrocher et monter à un autre étage. C’est l’étage d’une simplicité qui est totale ouverture et totale confiance et qui permet alors à l’Esprit Saint de métamorphoser un homme, d’en faire un fils de Dieu et non pas un fils de la Loi. Alors cela, c’est impraticable, c’est impraticable en dehors de la foi.
Il faut vraiment se laisser prendre par le poignet ou par la main et se laisser tirer à l’étage du Seigneur comme les primitifs représentaient l’Ascension du Seigneur. C’est vraiment cela, il faut monter ailleurs.
Alors, Saint Benoît nous donne un exemple au quatrième degré de l’humilité et il reprend les termes mêmes du Seigneur Jésus dans son discours sur la montagne. C’est le praeceptum Domini, 4,113, un seul précepte sans restrictions aucunes. Ils doivent être conduits à la perfection mais avec patience dans les adversites et les iniuriae. C’est traduit par injures, mais ce ne sont pas des injures.
Il ne faut pas penser qu’on va s’insulter les uns les autres, qu’on va nous traiter de tous les noms pour voir si nous sommes au quatrième degré de l’humilité ! Non, ce sont des choses qui nous heurtent personnellement et qui nous donnent l’impression d’être placés dans une situation injuste qui nous fait du tort, une impression ? Donc on demeure passif !
Et alors, en quoi cela consiste-t-il ? Si on nous a fait quelque chose, un frère peut-être sans le savoir, ou l’Abbé lui-même, ou n’importe qui, au lieu de crier, de riposter, d’écrire à Rome, de se plaindre au Père Immédiat, d’attendre la Visite Régulière pour raconter l’affaire. Non, pas de problème, patience !
Et alors, dit-il, si on leur enlève leur tunique, eh bien ils abandonnent leur manteau. Ils ne prendront ni l’un ni l’autre une fois qu’ils seront dans la tombe. Ils n’emporteront ni leur tunique ni leur manteau au ciel. Ils emporteront uniquement leur poids de patience et leur poids d’amour, leur poids de charité.
On leur enlève leur emploi, ils ne vont pas s’endormir une demi minute plus tard à cause de cela. Ecoutez, j’ai encore ceci, j’ai encore cela, si vous voulez les prendre avec le reste ? Et alors si on les réquisitionne pour faire mille pas, eh bien, ils en font deux mille. Ils donnent une bonne mesure qui déborde. Ils n’en font pas neuf cent nonante neuf, non, ils en font deux mille.
Et alors, avec l’Apôtre Paul, ils supportent les faux frères. Il sait très bien que ce frère-là a raconté des histoires sur lui à la Visite Régulière. Il le supporte. Et alors, ils disent du bien de ceux qui disent du mal d’eux. C’est traduit : ils bénissent ceux qui les maudissent, 7,118. Mais il faut voir cela dans le sens littéral : ils disent du bien de ceux qui disent du mal d’eux.
Eh bien voilà, mes frères, c’est ça la divine justice ! Et sans aller si loin que ce qui est dit, essayons tout de même d’agir et même de penser en conformité avec la manière dont Dieu qui est l’amour voit et …?… . Essayons !
Et notre devise devrait être que l’amour devrait être découvert en tout et partout parce que dans le monastère, c’est la seule chose qui est importante, et c’est la seule chose qui est importante dans notre vie personnelle car c’est le seul et unique trésor que nous emporterons et qui nous constitue déjà maintenant dans notre être de fils de Dieu. L’homme vaut ce que vaut son cœur.
Mes frères,
Le Seigneur Jésus, alors qu’il se tenait à genoux devant chacun de ses disciples et qu’il leur lavait les pieds, a eu à l’adresse de l’Apôtre Pierre une perole énigmatique qui nous interpelle encore vivement aujourd’hui. Plus tard, lui dit-il, tu comprendras !
Mes frères, qu’avons-nous à comprendre ? Le geste du Seigneur ? Voyons-le en train de laver les pieds poussiéreux de ses disciples, de tous sans exception, même ceux de Judas ! Et ce geste qui devait, et qui a surpris d’ailleurs les cœurs déjà inquiets de ses disciples, ce geste nous clame dans un non-dit magnifique, saisissant, l’être le plus secret et le plus intime de Dieu.
Car ne l’oublions jamais, Jésus, l’homme-Jésus, c’est Dieu. Et Jean, l’Apôtre Jean, à la fin de sa vie a compris et il s’est exclamé : Dieu est amour ! Et s’il est amour, il n’est pas monnayable, il n’est pas rentable puisque l’amour est gratuité absolue. Et s’il est gratuit, il est inexistant, il est inutile à l’intérieur de notre monde qui est construit sur le rendement, sur les cours de Bourse, sur la rentabilité, sur les taux d’intérêt.
Alors, que vient faire Dieu là-dedans ? Il est inutile et pourtant tout vient de l’amour, tout subsiste dans l’amour et tout converge vers l’amour. Mais qu’est-ce que l’amour ?
L’Apôtre Paul nous l’a dit à sa manière. Il l’a dit d’abord aux convertis de Corinthe. Il vivait et il a vécu jusqu’à son dernier instant dans l’éblouissement de l’apparition et de la révélation de Damas. Il avait vu le Seigneur Jésus et, dans un éclair, il avait compris : Dieu dans le Christ jésus s’est vidé de soi.
Et si Dieu s’est vidé de soi jusqu’à prendre la condition de serviteur, jusqu’à s’agenouiller devant les hommes pour leur laver les pieds, si Dieu s’est vidé – mais sa substance divine tout en restant Dieu – alors Dieu n’est pas exigence, Dieu est offrande, il est obéissance, il est service et il est à nos pieds encore aujourd’hui pour nous partager tout ce qu’il est.
Mes frères, avons-nous compris tout cela ? Avons-nous compris à notre tour ? Commençons-nous à comprendre ? Dieu est aux antipodes de ce que nous imaginons. Nous avons un passage à effectuer, nous avons une Pâque à subir, nous avons une conversion à accomplir pour enfin le percevoir tel qu’il est.
Et s’il nous invite à le suivre dans le désert qu’est notre monastère, c’est pour nous donner la grâce de l’expérience de pouvoir à notre tour comprendre et le percevoir tel qu’il est. Mais c’est en lui devenant semblable, c’est en vivant de sa vie que nous le connaîtrons et que nous le rayonnerons. Ce n’est pas au niveau du cerveau, ce n’est pas au niveau des traités de théologie, ce n’est pas au niveau de toutes les subtilités exégétiques que nous le connaîtrons. Non, c’est lorsqu’il aura saisi tout l’espace qui se trouve en nous, lorsqu’il nous aura vidés de nous-mêmes pour occuper toute la place et nous faire participer à sa propre vie, à sa liberté, à l’amour qu’il est, c’est alors que nous le connaîtrons.
Oui, l’Apôtre Jean a magnifiquement chanté ces merveilles dans les lettres qu’il nous adresse. Ayons à cœur de l’écouter, de l’entendre et surtout de le croire. Il n’est pas d’autre chemin pour aller à Dieu que notre métamorphose en ce qu’il est. Un des tout premier Saint Irénée l’a dit : Dieu est devenu homme pour que l’homme puisse devenir Dieu. Et à ce moment-là, c’est nous qui occupons la première place ; ce n’est plus lui, car lui est à nos pieds.
Alors, mes frères, ne devons-nous pas, nous, être aux pieds de chacun de nos frères. Nous n’avons rien à exiger d’eux pas plus que Dieu n’exige rien de nous. Il attend simplement qu’ils s’ouvrent pour se donner à eux.
Et c’est pourquoi, mes frères, il nous a donné sa chair à manger et son sang à boire. Il ne pouvait pousser plus loin le dépouillement, la désappropriation et l’anéantissement. Il se fait pain et il se fait vin ou plutôt, il fait du pain et du vin sa propre substance pour que nous puissions, en mangeant ce pain et en buvant ce vin, l’assimiler lui-même, être absorbé en lui et devenir ce qu’il est.
Mes frères, le mystère de l’Eucharistie est indissociable du lavement des pieds et de la question du Christ : Tu comprendras un jour, et de la réponse que nous a donné l’Apôtre. Et si Dieu nous a aimés jusque là, nous devons nous aussi aimer jusque là chacun de nos frères et chacun des hommes.
Si nous n’opposons aucune résistance à cette offrande que Dieu nous fait de lui-même dans le pain et dans le vin devenus son corps et son sang, nous sommes entraînés dans le même dépouillement que lui. Nous passons insensiblement de l’opacité à la transparence, de l’égocentrisme à la charité et de la crispation au don total de nous-mêmes.
Mes frères, ainsi le mystère du lavement des pieds, le mystère de l’amour, le mystère du corps et du sang du Christ s’achève en nous et, nous-mêmes, nous pouvons devenir nourriture pour le salut de chacun de nos frères et pour le salut de tous les hommes.
En ce premier jour du nouveau mois, mes frères, en cette solennité du Corps et du sang du Christ, réfléchissons à ces choses, c’est notre jour de récollection. N’allons pas nous casser la tête, mais exposons-nous avec confiance au rayonnement de cette réalité qu’est notre Dieu, présent, et s’offrant, et se donnant à nous. Et le soir venu, nous serons plus proches de lui parce que nous lui serons devenus un peu plus semblable.
Frères et sœurs,
Le départ d’un frère vers la plénitude du Royaume nous replace chaque fois devant la pureté et l’exigence de notre vie chrétienne et monastique. Nous n’avons pas de demeure permanente ici bas sur cette terre traversée par tant de souffrances, de gémissements et de pleurs.
Nous allons ensemble en cortège vers la cité nouvelle dont le Seigneur jésus est la lumière et la joie. Une porte s’ouvre et nous sommes accueillis, recueillis, fêtés par le Seigneur lui-même et par la multitude des saints.
Cette porte, nous l’appelons la mort dans notre langage humain diminué d’audace, paralysé par une peur que nous devons bousculer, que nous devons jeter loin de nous.
Pour comprendre cette merveille, pour comprendre ce mystère, il faut tourner le dos à la sagesse étriquée de ce monde et s’agréger au peuple des humbles et tout petits. Le Seigneur vient de nous le dire, il a rendu grâce au Père d’avoir caché cela aux sages et aux savants et de l’avoir révélé aux petits qui s’avancent vers lui sans prétention aucune.
C’est le geste qu’a posé le frère Julien en venant au monastère et en y persévérant durant plus de soixante années jusqu’au seuil de l’éternité. Il a fait confiance à la voix du Christ. Il a cru à la douceur et à l’humilité de son Seigneur et il a trouvé le repos. Mais ne nous y trompons pas, ce n’était pas un repos de paresse, mais c’était déjà le repos d’une victoire, la victoire de la foi et de l’espérance, la victoire de l’amour qui à travers bien des vissicitudes est toujours resté ouvert aux vouloirs imprévisibles de Dieu.
S’attacher au Seigneur Jésus et le suivre avec fidélité, c’est le fait des âmes fortes, des âmes bien trempées comme celle de frère Julien. Pour suivre le Seigneur, il faut apprendre à renoncer à soi, à se dépouiller pour les autres, à aimer encore et toujours. Il faut croire en l’incomparable noblesse de l’homme. Il faut reconnaître en chacun le visage caché du Christ Sauveur.
Il faut donc s’ouvrir à une lumière qui, par des moyens qui lui sont propres, qui sont bien souvent déroutants, qui purifie le cœur de tout égoïsme, de toute malice et lui donne un regard de pureté qui permet de reconnaître Dieu toujours et partout. Alors tout devient facile à porter, tout devient léger selon la parole encourageante que nous venons d’entendre tomber de la bouche de Jésus.
Oui, son joug est doux et son fardeau léger à condition, encore une fois, que nous osions prendre le risque de croire et de nous ouvrir à ce qu’il nous propose, à ce qu’il nous offre. Car Dieu dans la personne du Seigneur Jésus est pure offrande, il est pur don, pure communication. Il ne veut qu’une seule chose, nous prendre avec lui là où il est. Cela peut durer longtemps, non parce que nous serions récalcitrants, mais parce qu’il n’achève jamais de purifier un cœur car il veut produire un chef-d’œuvre dont il pourra être fier pour jamais. Alors, il prend son temps.
Et ainsi, frère Julien a traversé toutes les étapes de la vie spirituelle, toutes les étapes de son pèlerinage sans jamais dire non. Je l’ai connu bien longtemps, et c’est vrai ! Sur ses lèvres, je n’ai jamais entendu non, ce fut toujours oui. Il est passé d’un emploi à l’autre la main toujours dans celle de Dieu et, il ne la lâcha pas. Et finalement, il avait un cœur d’enfant même sous des dehors parfois un peu brusques.
Je me souviens des heures vécues avec lui devant une cuve de fromage, lui d’un côté et moi en face de lui. Nos bras étaient plongés jusqu’aux coudes dans le caillé qu’il fallait lentement travailler, qu’il fallait lentement transformer en fromage. Et nous étions dans l’humidité d’une cave faiblement éclairée.
J’étais tout jeune, j’étais tout nouveau ici et il m’apparaissait comme un ancien , un ancien respectable dont il fallait recueillir les avis avec reconnaissance. Et il me partageait son expérience, son savoir sans rien retenir pour lui. Et aujourd’hui encore, je lui en suis reconnaissant.
Maintenant nous avons là-bas dans la lumière, nous avons au cœur de la véritable Jérusalem, nous avons un frère et un ami qui nous attend, qui nous protège, qui nous garde et qui nous aide.
Avançons donc avec confiance vers la porte que lui a franchie, cette porte, je le rappelle, que nous appelons la mort ! Mais à l’intérieur de cette porte qui s’ouvre devant nous, il y a le Seigneur Jésus qui nous a dit : Moi, je suis la porte, qui entre par moi jamais ne périra !
Eh bien, frères et sœurs, cette porte qui est le Seigneur Jésus lui-même dans sa beauté, dans son amour, eh bien, confions-nous à elle et attendons avec confiance l’heure, l’instant où elle s’ouvrira devant nous. Comme nous le recommande Saint Benoît, préparons-nous chaque jour à cet instant. Tenons les yeux fixés sur cette porte. Et lorsqu’elle s’ouvrira, ce sera pour nous un émerveillement sans fin.
Mes frères,
Ce fut court et bon ! Mais est-ce qu’il n’est pas bon d’être parfois un peu sot ? C’est une question de nuances. Et voilà pourquoi aujourd’hui je vais vous donner connaissance d’une lettre reçue de notre Père Immédiat. Elle est datée du 2 juin.
Cher Dom Hubert,
La Visite Régulière étant en vue, je vous propose de donner à chacun de vos frères une copie de la feuille ci-jointe en signe de mon affection et de mon souci pour votre communauté. Je regrette vivement de ne pas avoir réussi à passer une journée parmi vous pour exprimer cette affection mais, n’ayant qu’un seul chauffeur, mes possibilités de mouvement sont forts réduites.
Il ne sais pas conduire de voiture, ce qui est une grande qualité pour un Abbé car il reste plus facilement chez lui. Vous voyez, il ne sait pas venir. Maintenant un petit mot à l’adresse du frère Paul-Michel :
Dans notre video-montage, il nous manque absolument une bonne diapositive de votre nouvelle église. Est-ce qu’il y aurait moyen de nous en faire parvenir une sans tarder ? Je me réjouis de vous revoir sous peu.
Ce sous peu bien concrètement, c’est le dîner du 12 juin. Il nous arrivera dans la matinée pour le dîner. Donc avis au frère Jean : pour le dîner du 12 juin, nous avons le Père Immédiat.
Maintenant, voici le petit papier et je pense que c’est très bien. C’est donc la façon dont il va procéder pour la Visite Régulière. Vous allez en recevoir chacun un exemplaire. Peut-être bien que le frère Nicolas qui est très subtil pourrait en faire la distribution….
Chers frères,
En ce temps de préparation à la Visite Régulière, point n’est besoin de vous rappeler que le nouveau Statut de la Visite Régulière préconise que chacun s’y prépare par la prière, demandant les lumières de l’Esprit Saint pour la communauté elle-même, et pour le Visiteur, ainsi que la grâce d’un véritable discernement et celle du bon zèle.
C’est vrai ! L’esprit de la Visite est donc bien rappelé ici en quelques mots. Donc, une grâce pour la communauté ! C’est l’occasion d’un nouveau progrès, une nouvelle ouverture à Dieu et à sa grâce. Et il faut demander à l’Esprit Saint d’habiter le cœur de chacun d’entre nous pour que la Visite Régulière atteigne ses objectifs.
Je vous propose ici quelques questions qui pourraient vous aider dans votre discernement :
Voici donc les questions auxquelles chacun devra répondre lorsqu’il paraîtra devant le Visiteur :
1. Quand je présente la communauté, mes frères, moi-même devant Dieu, qu’est-ce qui me rend heureux ?
Et bien mes frères, c’est la toute première question qu’il faut vraiment se poser. La Visite Régulière, ce n’est pas un champ clos où l’on règle le compte de l’Abbé ou de l’un ou l’autre frère. Non la communauté est une cellule du grand Corps qu’est le Christ mystique. Elle est une petite église et elle doit s’épanouir dans l’amour, dans la charité, dans le respect mutuel.
Ce qui est beau, mes frères, c’est ceci qui est sous-entendu ici. Et je vous pose la question : Est-ce que j’ai en moi, est-ce que je porte en moi la faculté d’admiration ? Est-ce que je sais m’étonner ? Est-ce que je sais admirer ? Est-ce que je sais percevoir la beauté qu’il y a non seulement dans les choses qui m’entourent, mais aussi dans les frères parmi lesquels je passe ma vie ? Est-ce que je puis admirer le dévouement d’un tel ? Est-ce que je puis admirer la perfection avec laquelle il rempli sa tâche ? Est-ce que j’ai l’occasion d’admirer l’un ou l’autre petit fait grâce à son dévouement ?
Voilà, vous savez, comme je l’ai dit je pense au moment de l’enterrement du frère Julien que je connaissais depuis toujours, depuis que je suis novice, tout petit, enfin tout petit monastiquement parlant, je travaillais avec lui ici à la fromagerie. Mais c’est un garçon qui n’a jamais dit non. Pourtant, c’était le frère julien bourru et rude. Oui, mais on pouvait lui demander n’importe quoi et il n’a jamais dit non. Eh bien, admirer cette chose-là ! Derrière la croûte du frère Julien, voir cette beauté ! Eh bien, il faut faire ça pour chacun d’entre nous, avoir en nous cette faculté d’admiration.
Et alors, est-ce que quand je présente ma communauté, mes frères devant Dieu - voilà, devant Dieu, nous sommes ici chez lui – qu’est-ce qui me rend heureux ? Et qui me rend reconnaissant d’être ici à Saint Remy ? Voilà, quoi ? Et c’est la première question ! Et est-ce capital ? Est-ce par là que vraiment il faut commencer ? C’est par là qu’il faut commencer une Visite Régulière.
2. Est-ce que je ressens alors comme une invitation du Seigneur à la croissance spirituelle de tous et de chacun de nous ?
Voilà, qu’est-ce qui dans la lumière de Dieu pourrait favoriser la croissance spirituelle de chacun d’entre nous ? Qu’est-ce que je ressens alors ? Est-ce que ça pourrait encore être plus beau, ça pourrait être meilleur ? Il pourrait y avoir plus encore de don de soi, de dévouement, d’oubli de soi.
Voyez cette deuxième question qui coule de la première ! Mais tout ça, c’est toujours évidemment devant Dieu parce que, ne l’oublions pas, nous ne sommes pas ici chez nous, nous sommes chez Dieu.
Maintenant vous avez une question qui a sa place aussi, mais sa place en troisième lieu. Ce n’est pas la première, c’est la troisième !
3. Quand je présente la communauté devant le Seigneur, est-ce que je vois des choses qui lui font de la peine ? des situations qui me posent question ?
Oui, tout n’est pas clair, tout n’est pas blanc. Il y a des taches sur le visage de chacun de nos frères. Eh bien ces taches, elles font de la peine à Dieu parce qu’elles sont de petites blessures à la charité. Eh bien, est-ce que j’en vois ? Peut-être bien que je n’en vois pas ? mais est-ce que j’en vois ?
Il ne faut pas commencer maintenant à scruter et à en trouver à tout prix. Non, quand j’en vois, je les vois toujours. Donc il y a des choses qui, me semble-t-il, dans notre communauté chez tel ou tel frère doivent faire de la peine à Dieu. Peut-être bien que le frère ne s’en aperçoit pas ?
Peut-être bien que la communauté comme telle ne s’en aperçoit pas pas. Bon, elle est ce qu’elle est aujourd’hui, nous ne savons pas ce qu’elle sera demain. Donc en sa croissance, dans son évolution, voilà, est-ce qu’il y a encore des choses maintenant qui font de la peine à Dieu, qui sont contraire à ce que Dieu désirerait ?
Et alors, il y a-t-il des situations qui me posent question ? des situations qui sont là et qui sont incrustées qui me posent question. Elles ne devraient pas être donc, soit chez un frère, soit dans la communauté comme telle. S’il y en a, eh bien alors, je les expose au Visiteur. Parce que il faut arriver à rendre la communauté plus belle aux yeux de Dieu et puis qu’elle puisse continuer sa croissance.
4. Comment est-ce que je vois les effets de la Visite précédente ? Il y a-t-il des effets de la Visite précédente ?
Oui, la Visite précédente, elle est déjà loin. C’était en octobre 1994. C’est presque trois ans. Nous avons gagné un an. Les effets de la Visite Régulière ont pu se confirmer et s’approfondir. Un des effets, par exemple, de la Visite précédente serait ceci : il y a-t-il dans notre communauté plus de paix ? Il y a-t-il pacification plus grande à l’intérieur de notre communauté ? Peut-on dire que depuis deux ans et demi notre communauté est plus paisible ? plus pacifiée ?
5. Comment ai-je vécu la rencontre de chacun de mes frères ?
Vous savez, quand il est venu la première fois, il avait suggéré que tout le monde se rencontre personnellement. Bien sûr, il y en a qui l’ont fait consciencieusement. Pour le Visiteur, c’est une affaire faite. Mais voilà, comment ai-je vécu la rencontre de chacun de mes frères ? Cela a-t-il été pour moi une découverte ? Cela a-t-il été pour moi un enrichissement ? Ou bien, cela a été pour moi une surprise. Enfin répondre à cette question.
Je vous suis bien de cœur et d’esprit dans le Seigneur.
Eh bien voilà, mes frères, quand vous irez, quand nous irons pour la Visite Régulière, nous prendrons notre petit papier. Il aura le sien et nous suivrons ce schéma. Et je pense que c’est très, très, très bien parce que non seulement cela va créer pour le Visiteur une uniformité de questions, mais d’un autre côté on commence à l’essentiel : Qu’est-ce qui est bon dans notre communauté ? Et puis on termine par ce qui est capital aussi : ce qui pourrait encore être amélioré dans notre communauté.
Voilà, mes frères, je pense qu’avec ça, nous sommes bien armés pour accueillir notre nouveau Père Immédiat et, je pense que ça ira très bien !
Mes frères,
Il y a sept jours exactement, la dépouille mortelle de notre frère Julien était descendue dans la tombe. En rentrant du cimetière dans l’église tandis que nous chantions encore quelques psaumes, j’ai eu une illumination. Ce n’est rien d’extraordinaire, ce n’est pas une extase ? Oh non ! Quelque chose de tout naturel mais en même temps très riche et très beau. C’est une petite perle que j’ai découverte et je vais vous la partager bien simplement.
J’ai saisi pour la première fois le sens d’une des paroles les plus énigmatiques que le Christ ait prononcée. Je ne voudrais pas affirmer que ce qui m’a été donné de comprendre est la seule et unique interprétation. Loin de là ! Mais enfin c’en est une et elle a le mérite d’exister.
Vous vous rappelez certainement que Jean le Baptiste en prison entend parler de tout ce que fait Jésus, ce Jésus qu’il avait baptisé dans le Jourdain. Il envoie deux de ses disciples pour lui poser une question : Est-ce toi celui qui doit venir ou bien devons-nous en attendre un autre ?
Alors Jésus, qui à ce moment-là était en train d’opérer toutes sortes de guérisons, il répond aux envoyés de Jean : Eh bien, allez dire à Jean tout ce que vous avez vu ! Et quand les envoyés sont partis, il pose une question à la foule : Qu’êtes-vous donc aller voir dans le désert ? Un roseau agité par le vent, un homme vêtu de vêtements somptueux ? Il ironise un peu !
Mais il conclut en disant ceci : Parmi les enfants des femmes, il n’y en a pas eu de plus grand que Jean. Et il ajoute : Et pourtant, le plus petit dans le Royaume de Dieu est plus grand que lui ! Eh bien, voilà une parole qui a fait couler beaucoup d’encre et je vais vous livrer la petite lumière que j’ai reçue au retour entre le cimetière et l’église.
Il y a toujours eu et il y a encore dans l’Eglise des théologiens , de grands théologiens qui scrutent les mystères de l’Eglise, les mystères du Christ et qui parviennent – c’est leur charisme – qui parviennent à couler ce qu’ils ont découvert en des paroles, en des mots qui sont alors mis à notre disposition. L’un d’entre eux est le Cardinal Ratzinger que nous apprenons à connaître ici. Mais il y en a bien d’autres et il y en aura encore.
Et à côté de çà, il y a le frère Julien qui n’a pas fait de hautes études théologiques. Non, il connaissait son catéchisme, il a fait ses lectures spirituelles, il a entendu les instructions de ses Abbés, et voilà, c’était le frère julien ! Et il n’a pas laissé publier dans la Nouvelle Revue Théologique ou ailleurs.
Eh bien, tous ces grands hommes parlent dans le fond de ce qu’ils ne connaissent pas. Ils le connaissent, oui, mais à travers l’obscurité de la foi. Ils ont des yeux, oui, mais comme des yeux affligés d’une puissante cataracte. Ils voient comme dans un brouillard et alors ce qu’ils disent, c’est à peu près çà, mais c’est encore tout autre chose.
Tandis que dans le Royaume de Dieu, notre brave frère Julien, lui, devient tôt ou tard le fruit d’une serre chaude. Il est passé à travers les ténèbres lumineuses de la foi et il voit directement. Il sait maintenant, il le sait, il n’y a plus besoin de lui enseigner, il le voit. Il est au ciel, c’est à dire à l’intérieur même de Dieu. Il est en plein dans le cœur du Christ et là, il lui suffit de regarder pour savoir.
Mais il ne lui est pas nécessaire d’exprimer cela en mots ni en pensées. Il fait un avec ce qu’il découvre. Et çà, c’est la véritable connaissance ! Et dans ce sens-là, lui qui est tout petit, eh bien, il est plus grand que tous les théologiens. Il est plus grand que Jean le Baptiste qui, lui, parvenait encore à éduquer.
Eh bien voilà, mes frères, ce que je voulais partager avec vous. Je pense que ça nous met fameusement à notre place. On vient de terminer le chapitre de notre Règle sur l’humilité. Ici dans notre condition actuelle, notre place vraie est celle d’hommes pécheurs, pas d’hommes qui savent parler d’un mystère qui les dépasse. Non, d’hommes pécheurs !
Ils doivent tenir leur regard non pas vers un ciel à scruter mais vers la terre, vers une terre dans laquelle ils seront un jour descendus. Et c’est à ce moment-là qu’ils commenceront vraiment à vivre parce que alors ils seront un seul esprit avec Dieu. C’est la vie de Dieu qui aura triomphé en eux, c’est la connaissance de Dieu de lui-même qui sera leur propre connaissance. Et alors ils seront de véritables théologiens. Tous les saints, ceux qui habitent là-bas au ciel, même les plus petits d’entre eux, ce sont les vrais théologiens.
Voilà, mes frères, ce que je voulais vous dire. Ce n’est pas extraordinaire, mais enfin je pense que ça peut tout de même nous aider à réfléchir sur notre condition et sur l’avenir merveilleux qui nous est préparé.
Je vous rappelle aussi cette réflexion du frère René, pas une fois mais souvent : il avait hâte de mourir pour rencontrer Saint Thomas d’Aquin et pouvoir apprendre de lui les mystères de la théologie. Vous voyez, c’est un peu la même intuition !
Et elle doit habiter notre cœur aussi. Cela ne veut pas dire que nous devons nous précipiter dans la mort ? Elle viendra à son heure. Mais savoir que le plus petit dans le royaume des cieux, il est le plus grand.
Mes frères,
Chaque année, les ouvriers de toutes les entreprises sont soumis à un contrôle sanitaire qui a pour but de voir si le travail qu’ils effectuent ne porte pas atteinte à leur intégrité physique. En cas de besoin, des mesures de sécurité sont prescrites à l’employeur et l’ouvrier lui-même peut être soumis à d’autres contrôles plus poussés qui le conduiront éventuellement à un traitement qui lui permettra de rétablir sa santé ou de mieux la protéger.
Nous connaissons tous le car-radio qui vient ici. Certains même de notre communauté travaillant à la brasserie bien volontiers se présentent devant l’opérateur. On a même pour l’un d’entre nous découvert à cette occasion qu’il avait quelque chose de sérieux. Vous voyez, mes frères, que cet examen annuel est extrêmement bienvenu.
Nous-mêmes, si nous sommes prudents, nous nous soumettons aussi, chaque année si possible, à un examen de notre denture pour prévenir des caries ou l’apparition de tartre, ou à un examen de nos yeux pour rééquilibrer notre acuité visuelle. Pratiquement tout le monde dans notre communauté, à un moment donné, porte des verres correcteurs.
Moi-même, mes frères, ces derniers temps, vous le savez, j’ai été soumis à une foule d’examens et de tests. Dernièrement encore, j’ai subi des tests qui ont duré une heure au moins. Il fallait découvrir l’origine d’un mal ou d’un malaise. Certains n’étaient pas très agréables. On m’avait prévenu pour certains d’entre eux qui étaient même très pénibles.
Il faut dire qu’ils étaient terminés et je ne m’en étais pas encore aperçu. Il paraît que je suis un phénomène dans ce domaine-là. Je ne sais pas pourquoi, mais il est probable que c’est pour cette raison-ci : je reste parfaitement détendu, non pas par un effort de volonté, mais tout simplement parce que je fais confiance à ceux qui me triturent de tous côtés.
Je sais qu’ils font ça pour gagner leur vie naturellement et puis pour mon bien à moi. Alors, je laisse faire les choses et je ne sens rien. Rien n’est plus néfaste que d’être tendu pour ce genre d’examen et en toutes circonstances. Pourquoi, pourquoi être tendu ? C’est un réflexe qui est incontrôlable chez certains. Alors il faut l’admettre, et le fait de l’admettre apporte déjà une certaine détente.
Et le résultat, mes frères, vous le connaissez. Ce fut une intervention chirurgicale grâce à laquelle je sens revenir en moi une nouvelle jeunesse. C’est vraiment ce que dit le Psaume 42 : le Seigneur qui chaque matin réjouit ma jeunesse. Auparavant on récitait ce psaume au début de chaque Eucharistie. Maintenant, c’est fini, peut-être pour simplifier parce que ce n’était pas entièrement dans la tradition.
Tout cela, ce sont d’excellentes raisons, mais enfin, retenons tout de même cette évidence : c’est que lorsque on s’approche du Seigneur, lorsque on le reçoit dans son cœur, on entretien en soi une jeunesse qui est la jeunesse même du Christ ressuscité.
Et le but, mes frères, de tous ces examens auxquels on est soumis, c’est pour un mieux être, c’est pour être mieux après, c’est pour définir une règle de vie mieux adaptée à l’état auquel on est arrivé à tel moment de sa vie.
Eh bien, mes frères, tout cela pour vous dire que dans une communauté monastique, que toute communauté monastique – je l’ai déjà répété si souvent – est un corps, un corps vivant. Et chacun de nous est membre de ce corps. Et pour que ce corps reste en bonne santé, pour qu’il connaisse un épanouissement prometteur et qu’il porte des fruits qui réjouissent le cœur de Dieu et le cœur des hommes, il est nécessaire que ce corps soit soumis à un examen périodique, un examen qui établit un bilan spirituel, matériel, économique. Vous avez déjà compris que je parlais de la Visite Régulière.
C’est un mot barbare et je ne sais pas si on saurait le remplacer par un autre. Voilà, c’est un mot un peu effrayant, inquiétant. On appréhende la Visite Régulière comme on appréhende le fait de se présenter dans une clinique pour y rester quelques jours et y subir toutes sortes de tests. C’est normal !
Mais enfin, il faut savoir pour ce qui regarde la Visite Régulière, c’est un peu le regard du Christ qui se pose sur son épouse qu’il désire belle et féconde, le regard du Christ qui veut son bonheur, qui veut sa paix, qui veut sa joie et qui veut aussi son avenir.
La Visite Régulière est donc une marche normale, une démarche bienvenue. Si elle n’était pas là, il manquerait quelque chose dans la vie d’une communauté. C’est la raison pour laquelle dès l’origine, nos premiers Pères, nos Fondateurs l’ont prévue. Ils avaient un sens très sûr d’une réalité que nous n’avons pas le droit de laisser s’échapper de notre cœur. Et cette réalité est que nous constituons un Corps.
Alors, la Visite analyse le positif d’abord. C’est ce que le Visiteur actuel a bien soin de faire. D’abord le positif, puis détecter le négatif, il y en a toujours. Comme un corps physique, il peut être en excellente santé, mais enfin il faut le surveiller car l’entropie est toujours à l’œuvre. Les agents extérieurs sont là pour porter atteinte à l’équilibre du corps physique, et la même chose à l’équilibre du corps monastique.
Et alors, le Visiteur distribue ses encouragements. Il conseille quelques ajustements. Voilà, il agit comme un sage médecin, sapiens medicus, comme dit Saint Benoît de l’Abbé en 28,9. Et le Corps qui s’abandonne aux regards de ce médecin, il fait confiance. Et le Visiteur reçoit grâce à cette confiance, en bonne partie, les lumières de l’Esprit Saint, les lumières spéciales, les lumières d’écoute. Il voit, il juge, il aide, il recherche le bien. Alors on peut dire que c’est un Visiteur qui connaît son métier.
Eh bien voilà, mes frères, la Visite Régulière est une grâce à exploiter sans peur et ainsi le Corps monastique reçoit une meilleure santé et devant lui s’ouvre un avenir plus large et plus beau. Nous sommes cette année-ci dans l’année de la foi, cela nous a été rappelés hier soir encore au cours de la lecture de Complies. Eh bien, laissons grandir en nous cette foi à l’occasion de la Visite Régulière.
Ne montrons pas de jugements trop humains, mais que notre façon d’entendre, que notre façon de répondre soit toujours dictée, soulevée, portée par notre foi. Et ainsi nous réussissons un double, d’abord pour nous. La communauté sera encore plus motivée dans sa recherche de Dieu et nous aurons répondu à notre façon à l’appel du Saint Père.
Et à partir de la foi que nous aurons manifestée maintenant, il se passera quelque chose dans la grande Eglise. Si notre petite Eglise est en meilleure santé, eh bien, la grande Eglise le sera aussi.
Mes frères,
Je voudrais vous faire sentir le mystère de la prière. J’aimerais vous faire goûter l’ineffable beauté de cette rencontre la plus intime qui soit entre Dieu et. l’homme. Nous devons comprendre qui nous sommes.
La philosophie nous dit que l’homme est un animal raisonnable. C’est la philosophie païenne qui énonce cet axiome. En réalité, l’homme est bien plus qu’un animal raisonnable. Il est une créature de Dieu.
Et si Dieu a créé l’univers, c’est pour que le monde matériel dans son déploiement quasi infini soit le cocon à l’intérieur duquel prend naissance cet être extraordinaire, merveilleux qu’est l’homme, l’homme qui est appelé à devenir dieu.
Et pour que cette merveille se réalise, Dieu lui-même est devenu homme. Et maintenant, l’homme est un fils de Dieu, l’homme quel qu’il soit, ce privilège n’est pas réservé aux disciples du Christ. Il est le droit fondamental de chaque être humain aujourd’hui.
Donc, à l’intérieur de nous se développe insensiblement un organisme divino-humain qui nous permet de voir, de sentir, de goûter, de penser, de juger et d’agir sur un mode qui est proprement divin. Il nous est possible de tout voir et de tout toucher exactement comme Dieu juge et voit. C’est Dieu lui-même par son Esprit, par la personne de son Esprit Saint qui façonne avec un amour infini – l’amour qu’il est – qui façonne cet organisme, ce que Saint Paul appelle le corps spirituel.
Et ce corps spirituel nous délivre de nos pulsions in…?… . Il nous rend libres. C’est l’Esprit de liberté. C’est le propre Esprit de Dieu. Et s’abandonner à lui, c’est entrer dans les espaces sans limites de la liberté. Nous ne sommes plus esclaves de nos pulsions, nous ne sommes plus dépendants de nos raisonnements humains. Non, il nous est possible de tout voir, je le répète, de tout juger à la manière de Dieu.
Eh bien, mes frères, ce corps spirituel est en relation directe avec Dieu, immédiate, sans intermédiaire et, il nous installe déjà dans l’univers de la résurrection. Vous êtes ressuscités avec le Christ, dira l’Apôtre Paul. Notre demeure est déjà dans les cieux aujourd’hui.
Nous sommes encore attachés par notre pesanteur à la terre, mais le meilleur de nous est déjà au plus profond et au plus haut des cieux. Eh bien, la prière, je l’ai déjà dit, la prière nous permet de vivre en plénitude notre citoyenneté céleste, notre nature d’enfant de Dieu.
Le corps maintenant, le corps charnel par lequel nous sommes présents ici-bas les uns aux autres, ce corps charnel, il n’est pas naturellement le tout de l’homme mais il est un instrument, un outil qui permet au corps spirituel de s’épanouir. Le corps charnel est comme une main qui nous permet d’œuvrer à l’intérieur du monde de Dieu. Il est donc nécessaire que ce corps charnel devienne de plus en plus pur, de plus en plus léger, de plus en plus transparent, de plus en plus souple.
C’est la raison de notre vœu de chasteté qui n’est pas, je dirais, de nature négative. Naturellement il y a des choses, ça et ça, qu’on ne peut pas faire ! Mais le vœu de chasteté a pour objectif de nous rendre léger, je le répète, de nous rendre transparent à la lumière de Dieu, cette lumière qui est devant nous, dans laquelle nous baignons et qui pénètre à travers les pores de notre être charnel, si je puis m’exprimer ainsi.
Et puis transparent à la lumière qui nous habite, à l’Esprit Saint qui est pure lumière et qui nous rend semblable au Christ et qui doit pouvoir apparaître à travers notre carnalité.
Donc, mes frères, voyez un peu vraiment qui nous sommes et qui est l’homme. Et notre corps, je ne dois pas oublier de le dire, notre corps charnel est donc un sanctuaire. Il est un temple, il est un tabernacle pour prendre une expression qui est plus proche de nous peut-être, de nos habitudes. Il est le sanctuaire de Dieu. L’Apôtre le disait : Vous portez l’Esprit Saint, vous portez Dieu dans votre corps !
Donc voyez un peu, mes frères, lorsque nous nous rencontrons, lorsque nous nous croisons quelque part ou n’importe où, nous-mêmes ici ou bien d’autres hommes, eh bien, nous croisons un temple, nous croisons un sanctuaire, nous croisons Dieu lui-même.
Et nous devrions avoir le regard suffisamment pur, suffisamment perçant que pour, à travers l’emballage, à travers l’enveloppe charnelle, nous puissions reconnaître et adorer le Seigneur qui est porté par cette enveloppe, qui est porté par ce corps.
Auparavant, quand j’étais gamin, il y a longtemps – maintenant ça ne se fait plus – lorsque une personne, un habitant du village allait mourir, il recevait l’extrême-onction. Et le curé lui portait le Saint Viatique, il lui portait la communion pour une dernière fois. Et le curé marchait dans les rues du village précédé d’un enfant de chœur, portant une lampe et qui sonnait avec une petite clochette. Alors tous ceux qui étaient sur la route, sur la rue et qui le voyaient, tout le monde s’agenouillait au moment où passait le prêtre avec le Corps du Christ.
Eh bien, ce devrait être notre réflexe lorsque nous nous rencontrons, lorsque nous nous croisons. Un réflexe qui devrait être, qui devrait devenir spontané chez nous parce que vraiment, vraiment en nous dans notre cœur, nous portons le Christ, nous portons l’Esprit, nous portons le Père, nous portons la Sainte Trinité.
Et en rencontrant le frère, je devrais chaque fois lorsque je le salue, saluer son image, l’homme que je rencontre, mais aussi profondément sans gestes spectaculaires, non, mais discrètement du fond de mon coeur saluer et adorer la présence divine à l’intérieur de ce frère.
Eh bien, mes frères, cet organisme spirituel, je prends spirituel dans le sens vraiment le plus vrai du terme, cet organisme spirituel qui grandit en nous, il vit et il respire. Et sa respiration, c’est la prière ! Il aspire en lui la vie divine et puis il l’expire hors de lui, cette vie divine. Et cette respiration permanente lui permet d’être en bonne santé, de s’épanouir, de grandir et d’aller vers sa taille adulte.
Donc, retenons ceci, mes frères, pour aujourd’hui car nous devons aller à l’Office, retenons que la prière est la respiration de notre corps spirituel. Voyez un peu à quel niveau déjà elle se situe ! Demain et les jours suivants, nous ferons un petit pas de plus.
Mes frères,
Avec le mois de juillet, nous sommes entrés dans la période des vacances. Les écoliers, les étudiants, les travailleurs déposent leurs soucis, prennent le large, se mettent au vert, se reposent, reprennent leurs forces, retrempent leurs énergies. Et nous, mes frères, quel type de vacances pouvons-nous prendre ?
Eh bien, c’est très simple ! Il nous suffit d’appliquer correctement le programme qui nous a été légué depuis l’origine même de la vie monastique et qui se résume en deux petits mots : vacare Deo. Il est utile d’y réfléchir en ce dimanche de récollection. Nous en serons plus heureux, plus dispos à servir et à aimer.
Voyons un peu ce que signifie vacances. Nous avons là une racine reprise dans l’expression que j’ai cité il y a un instant, la racine vacare d’où vient aussi vacatio et qui éveille l’image d’un vide, d’une vacuité. Il y a donc dans l’image de vacances l’idée d’un vide qu’il convient de remplir. Nous savons que la nature a horreur du vide.
Voyons donc ce que notre vocation, ce que Dieu attend de nous en ce domaine du vide ? Nous devons vider notre cœur de tout ce qui l’encombre. Saint Benoît place devant nos yeux un bel idéal, la puritas cordis, la pureté du cœur, un cœur désencombré, un cœur vidé. Notre cœur doit devenir le sanctuaire de la divinité, le temple de l’Esprit, le ciel de Dieu.
Il est bon de nous y arrêter en ce jour anniversaire de la Dédicace de notre église, de notre temple. Il importe de vider notre cœur de tout ce qui l’oppose à Dieu, de tout égoïsme, de toutes formes de saletés. Notre cœur doit être net, il doit être propre. Il doit être un récipient vide et propre, un vase bien nettoyé.
Mais reconnaissons-le, c’est un travail qui dépasse nos capacités naturelles. Nous devons laisser Dieu opérer le travail. Nous devons donc pour cela nous ouvrir à la volonté de Dieu, car ce que Dieu désir, c’est rendre notre cœur pur pour qu’il puisse y établir sa demeure et y être heureux. Nous devons donc obéir à Dieu de mieux en mieux, nous prêter à son action, nous laisser faire, nous abandonner entre ses mains.
Et ainsi, dans l’idée de vide s’introduit une nouvelle idée, celle d’ouverture. Pour se vider, il faut s’ouvrir. Oui, notre cœur a des portes et il a des fenêtres en grand nombre. Eh bien, il faut tout ouvrir et tout laisser ouvert afin que l’Esprit de Dieu puisse pénétrer et qu’il puisse mettre dehors tout ce qui doit être jeté à la rue.
Remarquons que Saint Benoît dès le début de sa Règle – c’en est d’abord le premier mot – nous avertit d’une chose. Nous devons ouvrir nos oreilles, ausculta dit-il. Nous devons les ouvrir pour écouter le murmure d’un chant et nous accorder à ce chant, devenir ainsi pure louange de Dieu. Car Dieu seul peut mettre dans notre cœur ce qui peut lui rendre gloire.
Et ce qu’il veut y déposer, c’est un chant. Le chant résonne à l’intérieur de son être qui est tripersonnel. Et ce chant qui est extrêmement beau, ce ne peut être que le chant de l’amour, un amour vrai, l’amour qu’il est.
Il nous faut aussi ouvrir notre bouche pour accueillir en nous l’Esprit Saint. J’ai ouvert ma bouche et j’ai laissé entrer en moi l’Esprit Saint, nous dit le Psaume. J’ai attiré en moi l’Esprit, car lorsque Dieu remarque que notre bouche est ouverte, aussitôt il nous envoie son Esprit.
Et ensuite, nous devons expirer ce souffle, l’expirer dans une incessante louange, l’expirer en devenant nous-mêmes comme la source de l’Esprit Saint, comme une fontaine, une fontaine inépuisable, une fontaine qui répand partout la lumière et l’amour. Mais nous devons pour cela d’abord ouvrir notre bouche.
Nous devons aussi l’ouvrir bien large pour nous nourrir des vouloirs divins. Ouvre bien large ta bouche pour que je l’emplisse, nous dit encore le Psaume. Voici donc que Dieu veut nous nourrir. Il veut nous nourrir à la cuillère. Et dans chacune des cuillères qu’il nous présente, il y a une dose infinie d’amour, une dose infinie de sa propre vie, de l’amour qu’il est.
Donc, nous devons ouvrir notre bouche et nous nourrir, je l’ai déjà dit tantôt, nous nourrir des vouloirs divins. C’est lui qui se charge d’emplir notre bouche. Il importe donc que nous restions toujours des nourrissons, des tous petits enfants. Jésus lui-même nous a dit que c’est aux tous petits enfants qu’est permis l’accès au Royaume de Dieu, pas aux grandes personnes ! Ayons donc soin de rester des nourrissons.
Saint Benoît nous dit que nous devons ouvrir no yeux, les ouvrir à la lumière qui divinise, P,25. Et cette lumière, c’est Dieu en personne, Dieu dans sa beauté qui transcende tout. Le moine est un visionnaire qui reconnaît Dieu partout.
Je rappelle, et ça nous a été redit lorsque au réfectoire nous avons entendu ce livre sur Les sources de la vie monastique, je rappelle qu’Evagre le Pontique et son ami avaient remonté le Nil jusque en Haute Thébaïde, un voyage de dix-huit jours, pour y rencontrer Jean de Licopolis et lui poser la question : Qu’est donc cette lumière que nous regardons, cette lumière que nous voyons ?
Et Jean n’a pu leur répondre car il n’y avait pas de mots pour exprimer cette beauté. Car la lumière que ces moines voyaient, c’était la propre lumière de Dieu. C’était Dieu dans sa beauté.
Eh bien, Saint Benoît nous demande d’ouvrir les yeux à cette lumière qui va faire de nous des dieux, une lumière déifique, une lumière qui divinise, qui rend semblable à ce qu’elle est.
Nous devons aussi ouvrir les mains, les ouvrir pour recevoir le cadeau sans prix de la vie divine, et les ouvrir pour partager sans limite à tous ce que nous recevons gratuitement. Le moine doit être un pauvre, un pauvre qui reçoit, qui vit de ce qu’il reçoit et qui n’accapare pas ce qu’il a reçu, mais qui le partage avec les autres pauvres qu’il rencontre. Voilà, mes frères, ce que signifie Vacare Deo, être libre pour Dieu, être vide pour Dieu.
Voilà, mes frères, ce que doivent être nos vacances. Ce sont des vacances qui durent toute l’année, qui durent toute la vie et qui nous introduisent dans l’éternel repos qu’est notre Dieu.
Pensons-y au cours de cette récollection, pensons-y au cours de notre Eucharistie quand nous chanterons la splendeur de notre église, la splendeur de l’Eglise que nous sommes tous et chacun, la splendeur de l’Eglise, de notre petite Eglise de Saint Remy qui est ouverte à tout ce que Dieu lui demande, à tout ce que Dieu lui offre.
Voilà, mes frères, me semble-t-il, un beau sujet de réflexion pour notre jour de récollection.
Mes frères,
Nous allons poursuivre notre méditation sur le mystère de la prière. Je dis bien mystère car la prière est la respiration la plus pure, la plus légère, la plus profonde aussi de cet organisme spirituel qui prend naissance à l’intérieur de notre corps charnel ; organisme qui est en voie de divinisation, celui qui définit notre qualité d’enfant de Dieu, celui qui nous ouvreaux plus folles espérances, qui nous met déjà dès maintenant, dès cette vie en possession de la résurrection bienheureuse.
Et la respiration de notre corps spirituel, c’est la prière. Et cette prière garantit la présence de la Vie en nous et, elle lui permet de se développer et de s’épanouir jusqu’à une plénitude, une complétude que nous ne pouvons imaginer. La prière est vraiment un mystère car elle participe au mystère de notre destinée divine ; elle participe, nous le verrons un jour, à l’être même de Dieu.
Et la prière peut prendre les formes les plus variées, et aucune de ces formes ne peut être méprisée, et aucune de ces formes ne peut être exaltée. De l’extérieur, nous ne percevons que l’enveloppe. Nous ne voyons pas ce qui se passe à l’intérieur du cœur de chacun. Je disais tout au départ que nous devions accepter les portions d’inconnaissance qui se trouvent en nous et chez les autres.
Eh bien, la prière, elle est une des ses fractions d’inconnaissance. Ne nous arrêtons jamais à ce qui peut paraître à l’extérieur. C’est le signe, cet extérieur, de quelque chose qui est là mais qui nous échappe totalement. Et devant ce mystère, il faut toujours revenir au même mot, nous ne pouvons que nous incliner avec infiniment de respect.
L’essentiel de cette prière, c’est que un contact est établi entre Dieu et l’homme. Un courant passe qui accomplit ce qui nous échappe absolument. Nous devons donc nourrir une profonde admiration devant chaque forme de prière. Je ne puis jamais dire que ma prière à moi est supérieure à celle de mon voisin ! Je n’en sais rien !
La prière, ne l’oublions pas, est une respiration. Et c’est une respiration qui est parfumée, c’est à dire qu’elle est porteuse de toutes les fleurs qui se trouvent à l’intérieur du cœur. Elle est le meilleur de ce qui se trouve en nous. Et ce meilleur, moi je le vois, moi je le sens et je le goûte comme un parfum.
Lorsque nous pratiquons au cours de la liturgie des encensements, il nous est dit, nous le chantons que notre prière doit s’élever devant Dieu comme un parfum d’agréable odeur !
Soyons attentifs, mes frères, aux gestes que nous posons dans la liturgie, et aux paroles, et aux chants qui les accompagnent. Ils sont les vecteurs, les porteurs de réalités et de vérités qui nous dépassent et dans lesquelles nous sommes entraînés.
Maintenant, il y a un moine des origines qui a très bien parlé de la prière. Peut-être que personne jusqu’aujourd’hui n’a dépassé ce qu’il a dit ? Il s’agit d’Evagre le Pontique. Il a écrit un petit Traité sur la prière. Ce Traité compte 153 chapitres, autant qu’il y avait de poissons dans le filet ramené par Pierre lors de la pêche miraculeuse après la résurrection du Christ.
Chapitre est un grand mot car ce sont plutôt des petites sentences, des aphorismes, de petits tableaux qui sont placés les uns à côté des autres. Et leur ensemble nous permet de pressentir ce qu’est la véritable prière. Il y a parmi eux une sentence qui nous dit en quelques mots, qui essaye d’évoquer en quelques mots ce que doit être la prière.
Je vais l’extraire du reste. Mais pour bien en comprendre le sens, il faudrait pouvoir disposer comme dans une grande toile, disposer les 153 tableaux pour mieux comprendre ce que signifie ce petit trait, ce petit dessin qui fait partie d’un ensemble.
Evagre nous dit, en grec, que la prière est une homélie, un discours, un entretien, un commerce mais un commerce amoureux du nus, c’est à dire du cœur, de ce qu’il y a en nous de plus personnel, de plus secret, de plus profond, ce qui définit notre être dans son unicité, dans sa vocation d’éternité, ce qui est inaccessible en nous à tout le monde et même à nous, ce qui nous est inconnaissable et qui est ouvert seulement aux regards de Dieu.
Et ne l’oublions pas, aux regards de Dieu qui est amour. Ce n’est pas un Dieu espion, ce n’est pas un Dieu gendarme, ce n’est pas un Dieu pharaon, c’est un Dieu qui est amour et qui est tellement amour qu’il est à nos pieds. Lui seul peut connaître le secret de notre cœur. Et ce secret, c’est un nom.
C’est notre nom véritable, notre nom d’éternité ; ce petit nom qui est écrit sur un caillou blanc que nous recevrons. Nous le recevrons dans l’éternité et, à ce moment-là, nous découvrirons avec stupéfaction, et avec joie, et avec reconnaissance notre véritable nom. Eh bien tout cela, c’est notre nus, c’est notre cœur, c’est ce qu’il y a en nous de plus beau et de plus porteur d’avenir.
Eh bien, c’est un commerce, un échange amoureux de notre cœur avec son Créateur qui est amour. Et ici, Evagre a une petite note qui est extraordinaire et qui va nous entraîner infiniment loin. Il emprunte cette petite note tout au début du Prologue de Saint Jean où Jean dit : Au commencement était la Parole, était le Verbe, était le Logos. Et le Logos était prospontheon. Le latin a traduit ………….. . Je ne sais pas comment le traduire en français !
Il était vers Dieu ; c’est un mouvement, c’est un élan vers Dieu. Tel est le Logos. Et nous qui sommes avertis du mystère de la Sainte Trinité, nous comprenons mieux, nous voyons que à l’intérieur de la Trinité il y a un mouvement. Chacune des personnes est portée vers l’autre. Elle se vide totalement de soi pour se donner à l’autre qui l’accueille. Et l’autre personne fait de même. Il y a donc là un mouvement vers. Et le Logos, lui, il est le pur mouvement, il est ce mouvement-là vers le Dieu, donc vers la source, vers le Père. Eh bien, Evagre a repris exactement la même formule. Il s’agit donc dans la prière d’un mouvement, d’un élan vers Dieu.
Donc la prière, ce n’est pas quelque chose de statique, la prière est plus que dynamique. La prière est saisie, elle est emportée dans le propre mouvement qui projette le Verbe de Dieu vers le Père. Alors là, c’est la véritable prière ! Elle est prise, elle prend naissance dans notre cœur, elle est saisie par le Verbe de Dieu et avec lui elle est emportée vers la source, vers Dieu le Père, et cela sans arrêt. Donc la prière, la vraie prière, elle est divinisée. Elle vient de nous, mais elle est de suite saisie par le Verbe de Dieu.
Je dis déjà tout de suite – je vois qu’il est temps de nous rendre à l’église – mais je dis déjà tout de suite que nous terminons toutes les oraisons par : par Jésus- Christ ton fils notre Seigneur ! Par Jésus-Christ, toujours par. C’est ça la vraie prière ! La prière vient de nous mais elle est de suite saisie par le Christ et portée jusqu’à Dieu. Et elle est un mouvement, elle est un élan, elle est une extase à la limite. Elle nous arrache à nous, elle nous fait nous décoller de nous et elle nous emporte jusqu’à chez Dieu.
Voilà, mes frères, nous en resterons là pour ce soir. Vous voyez comme c’est beau ! Il ne faut pas tellement laisser jouer son intellect, mais il faut sentir, il faut avoir une sensibilité de poète, une sensibilité d’artiste pour bien comprendre ce que c’est que la prière. Cela fait partie de notre vocation contemplative et c’est un encouragement pour nous.
Mes frères,
Nous venons d’entendre une phrase de notre Père Saint Benoît qui me semble la plus belle de toute sa Règle : Que personne ne soit troublé ni contristé dans la maison de Dieu, 31,41.
Une telle sentence lui a certainement été inspirée par son expérience et surtout par la communion qu’il entretient avec son Créateur, et avec son Rédempteur. Car Dieu ne nous a pas créés pour faire de nous des êtres frustrés. Il veut nous combler, nous rassasier au-delà de tout l’imaginable.
Lorsque dans un monastère quelqu’un est troublé, quelqu’un est contristé, il y a là une sorte de contradiction dans les termes. C’est une chose qui ne doit pas, qui ne peut pas arriver. C’est un paradoxe insoutenable : chez Dieu, dans la maison de Dieu, on ne peut pas être triste !
Notons que Saint Benoît insiste bien sur le caractère, j’ose dire, divin du monastère. C’est une maison de Dieu. Ce n’est pas un lieu quelconque où sont réunis des hommes qui ont le même projet qui est de chercher Dieu. Non, c’est un endroit absolument sacré.
Rappelons nous que cette expression maison de Dieu se trouve pour la première fois dans les Ecritures sur les lèvres de Jacob qui a passé la nuit à Béthel, qui signifie maison de Dieu et qui au cours d’un songe a vu une échelle dressée jusqu’au ciel avec des anges qui montaient et qui descendaient.
A son réveil, surpris, étonné, rempli d’admiration et de crainte, il se dit : Mais je suis ici dans une maison de Dieu, l’endroit est sacré. Et il élève la pierre qui lui a servi d’oreiller, il en fait une stèle et la consacre en versant de l’huile sur son sommet. Et il dit : Voilà, ce lieu est une maison de Dieu.
Eh bien, mes frères, le monastère est une maison de Dieu et, dans la maison de Dieu, on doit être heureux. Attention ! Il ne s’agit pas ici d’un bonheur facile ; c’est un bonheur qui doit se payer. C’est un bonheur, je ne dit pas que c’est un bonheur qu’on doit mériter car il n’est pas possible de le mériter, c’est un cadeau qu’on reçoit de Dieu. Mais notre nature pécheresse, notre nature blessée, notre nature malade doit le payer.
Il se cache derrière des renoncements, il se cache derrière un dépouillement. Et ce bonheur est atteint de manière inébranlable, imperturbable lorsque le dépouillement est achevé, lorsque on s’est tellement vidé de soi que c’est le Christ lui-même avec tout son mystère qui a pris possession de la personne et qui vit à l’intérieur du moine.
Tout peut arriver alors, tout, absolument tout, cela ne change rien à la paix profonde, au bonheur immense qui est là parce que c’est le propre bonheur de Dieu qui se déverse sans fin et sans limite à l’intérieur du cœur. Même si on doit rencontrer la croix, des souffrances très dures, ça ne change rien à cet état de bonheur et de paix parce que c’est le Christ qui souffre tout cela dans le moine qui va dire comme l’Apôtre Paul : C’est vrai, mais j’achève en ma chair ce qui manque à la passion du Christ. Ce n’est pas du masochisme, non c’est du mystère.
Eh bien pour Saint Benoît, le moine ne peut être troublé ni contristé par les circonstances du lieu, c’est à dire par des négligences, par une organisation qui ne serait pas bonne, par un défaut d’amour de la part ……
Et ici, remarquons que Saint Benoît ne met pas en cause le cellerier. Au contraire, c’est le cellerier qui ne doit pas être troublé ni contristé. Et pour cela, il faut que les frères lui demandent ce dont ils ont besoin aux heures convenables, pas n’importe quand, pas à n’importe quel moment. Ils ne doivent pas le déranger à tout propos.
Et c’est réciproque ! Il faut à ce moment-là que le cellerier donne de bon cœur ce qui est demandé. Et si le frère demande une chose hors de portée, à ce moment-là, il faut lui donner une bonne parole plutôt que de lui dire un peu brutalement qu’il ferait mieux de s’adresser ailleurs.
Mes frères, je pense que nous devrions toujours avoir présent à notre conscience cette parole de Saint Benoît. La charité qui règne entre nous et qui est bien réelle s’épanouirait davantage encore et on goûterait mieux encore le bonheur de vivre chez Dieu, de vivre dans sa maison. Mais tout cela ne peut se réaliser que si nous sommes de plus en plus enracinés dans la foi. Il faut oser croire, il faut prendre le risque de la foi.
La raison, le cerveau, tout ce qui se passe dans la tête peut être vrai à un certain niveau. Dans la maison de Dieu, tout n’est pas parfait ; à l’intérieur de notre vie, tout n’est pas parfait. Si on se laisse entraîner par des raisonnements purement humains, on peut très bien petit à petit sombrer dans un désarroi qui rend la vie insipide, qui peut la rendre odieuse. Car il n’est pas possible de vivre correctement dans la maison de Dieu si on se laisse conduire par des rêves et des jugements humains.
Mes frères, nous allons fêter Saint Benoît après demain. Ici, il nous permet de toucher la beauté et la tendresse de son cœur. Saint Benoît n’est pas mort, il est entré dans la plénitude de la vie. Il veille sur chacun de nous. Il est notre guide, il est un ange gardien pour chacun.
Donc, n’ayons pas peur de le remercier, n’ayons pas peur de lui demander ce dont nous avons besoin. Et surtout, qu’il nous donne à chacun un cœur semblable au sien, un cœur de tendresse, un cœur de tendreté comme on disait en vieux français, un cœur sensible, un cœur qui sait aimer, un cœur qui sait aider.
Voilà, aussi je pense que lui-même sera heureux de pouvoir nous accorder ce que nous espérons de sa bonté. N’oublions pas qu’il est le Père de notre vocation.
Mes frères,
Nous allons revenir à notre Carte de Visite qui nous faisait remarquer que la présence d’un groupe important d’ouvriers au sein de notre communauté pouvait porter préjudice à la vérité de notre vie monastique.
Je rappelle le schéma marxiste sur lequel était construit notre société d’aujourd’hui, et cela depuis plus d’un siècle. C’est celui de la lutte des classe. Je ne vais pas revenir sur le détail mais je rappelle, nous le savons, que tout le monde est contaminé et il vaut mieux être attentif à cette réalité.
Maintenant, pour en venir à notre personnel salarié, remarquons d’abord, ce n’est pas un reproche mais un constat, qu’il y a chez eux une absence quasi totale de culture religieuse. Cela n’affecte en rien leur qualité d’honnêteté et leur compétence professionnelle. Mais ils sont, comme beaucoup de nos contemporains, sans aucune références à un monde, à un univers dont Dieu serait le Roi, dont Dieu serait la vie. Leur vision est totalement horizontale, vision de événements, vision des personnes. Mais comment faire ?
Avant la guerre, avant la dernière guerre – je n’ai pas connu cela, mais j’ai connu celui qui l’organisait – le personnel ouvrier recevait ici des cours de religion. Ils étaient donnés par un prêtre, le Père Emmanuel qui était un ancien Frère des Ecoles Chrétiennes. Frère Antoine l’a peut-être connu ? oui. Mais voilà, c’était aussi dans l’air du temps. On n’imagine pas aujourd’hui que nous réunissions chaque semaines nos ouvriers pour leur donner un cours de religion ! Pourtant, ils en auraient bien besoin !
Mais voilà, pour que la présence de collaborateurs laïcs parmi nous ne soit pas un obstacle mais qu’elle devienne plutôt une croissance dans la vie divine, je pense que nous pouvons prendre en considération deux grands principes. Le premier, c’est que nous sommes ici chez Dieu ; et le second que nous aborderons une autre fois, c’est que nous devons apprendre à reconnaître le Christ dans chacun de nos ouvriers. Mais voyons d’abord le premier.
Je l’ai déjà dit tant de fois, mes frères, et dernièrement encore à propos du fait que personne ne peut être contristé ni troublé dans la maison de Dieu [5] : nous sommes ici chez Dieu. Même si au plan civil, nous sommes propriétaires de l’ensemble et que nous sommes des patrons, au regard de la foi nous sommes le gérants d’un domaine qui appartient à Dieu.
Et si nous faisons appel à des collaborateurs laïcs, ceux-ci sont gérants avec nous. Ce sont des cogérants. Il existe entre nous et notre personnel un lien de subsidiarité, un lien de subordination qui exclut tout esprit de domination. Nous sommes tous au service d’un même Seigneur.
L’économie monastique et la relation qui gère tous les agents de cette économie obéissent à des normes qui sont étrangères aux mœurs du monde. Je ne vais pas rappeler l’expérience que j’ai faite moi-même lorsque je travaillait dans le monde, des choses que j’ai vues ou que j’ai entendues depuis que je suis ici, la façon dont les affaires sont conduites dans le monde.
Je ne vais pas revenir là-dessus, mes frères, vous les connaissez. Mais les mœurs du monde n’ont rien à faire ici dans notre monastère. Elles ne sont pas à leur place. Je ne veux pas dire qu’elles y sont car elles n’y sont pas. Elles n’ont pas le droit d’entrer chez nous. Nous obéissons aux lois du Royaume de Dieu et nous nous efforçons de les incarner dans notre vécu quotidien.
Et ces lois, c’est le respect de l’autre, c’est l’amour du prochain, c’est la patience, c’est l’écoute, c’est une justice plus humaine. Ce qui anéantit dans une entreprise tout esprit, même dans une entreprise d’inspiration chrétienne, ce qui anéantit toute vie profonde, toute vie intérieure réelle, c’est le souci du rendement, c’est le souci de la rentabilité.
Si une entreprise est construite sur ce principe qui est celui de l’économie du siècle, alors tout se perd. On n’est plus chez Dieu qui est générosité, qui est surabondance de gratuité. Non, on est dans une entreprise qui doit distribuer des bénéfices.
Mais le principe est très beau, il est juste, mais il y a une difficulté. Chez nous, ici, il fonctionne à sens unique. Il fonctionne de nous vers notre personnel mais notre personnel, lui, il voit les choses autrement. Il est enfoncé dans le système de la lutte des classes.
Mais ça ne fait rien, mes frères, inconsciemment nos ouvriers sont influencés par la vision surnaturelle que nous avons. Ils sont incapables de l’exprimer, cela s’inscrit à l’intérieur de leur subconscient. Mais une chose est certaine, ils sentent qu’ici ce n’est pas comme ailleurs et ils s’en trouvent bien.
Encore une fois, nous ne devons pas commencer à prêcher, nous ne devons pas commencer à faire la leçon, mais nous devons être vrais, savoir que nous sommes chez Dieu, que nous sommes des gérants et que nous avons des aidants.
Il s’agit donc, mes frères, de créer à l’intérieur de notre communauté et d’entretenir un climat de saine liberté entre nous, dans nos relations avec notre personnel. Mais il importe que chacun d’entre nous – j’insiste encore – que chacun d’entre nous soit pénétré de cette vue initiale de foi : nous sommes dans la maison de Dieu. Il faut le croire et le savoir, pas seulement sur le lieu de travail !
C’est une conviction qui doit pénétrer au plus intime de notre cœur. Et à ce moment-là, quasi naturaliter comme dit Saint Benoît, tout à fait naturellement notre conduite personnelle, nos relations avec les personnes étrangères, elle seront transformées : ça se fera tout seul, sans effort, ça coulera de source comme on dit.
Mais ce n’est possible, mes frères, cette certitude de foi permanente n’est possible que si notre cœur est ouvert à la confiance, confiance en Dieu, confiance dans les autres.
Donc, que si notre cœur est ouvert à un véritable amour, que si nous acceptons de nous laisser vider de tout égoïsme et que notre réaction ne soit pas d’abord une réaction de défense, de protection puis une seconde réaction d’agressivité. Mais non, que nous soyons libres intérieurement parce que nous ne vivons plus pour nous, et nous ne vivons plus de nous. Nous vivons pour Dieu et nous vivons du Christ.
Et ainsi, mes frères, si nous exprimons dans notre conduite la vérité et la beauté de notre vie monastique, à ce moment-là quelque chose se fera dans nos relations avec nos ouvriers qui au lieu de nous porter préjudice nous permettra de grandie dans cette vision de foi de manière à ce que elle devienne le moteur unique de notre vie.
Voilà, mes frères, ce que je voulais vous dire à propos de ce premier principe. Mais ne l’oublions jamais, nous ne sommes pas ici chez nous, nous sommes ici chez Dieu. Et si nous accueillons des collaborateurs laïcs, nous sommes certes des patrons, mais pas des patrons comme tout le monde. Nous avons un patron qui est le même pour tous et qui est Dieu et, chacun à notre place, nous faisons notre devoir. Et comme dit Saint Benoît, ainsi tout le monde dans le monastère vivra et respirera dans la paix. Et ce sera tout profit, non seulement pour nos ouvriers, mais aussi pour nous.
Mes frères,
Nous avons vu que nos relations avec l’extérieur, particulièrement avec notre personnel ouvrier, devaient être régulées à partir de deux principes qui sont le fondement même de notre vie monastique. Le premier principe est de ne jamais perdre de vue que nous sommes ici non pas chez nous mais chez Dieu. Nous habitons la maison de Dieu, nous sommes les gérants de son domaine et nous devons rendre compte de notre gestion.
Le second principe que nous allons aborder ce matin est que nous devons reconnaître le Christ dans la personne de chacun de nos ouvriers. Si nous vivons en harmonie avec ce principe, la promiscuité – je le prends dans le sens étymologique du terme – la promiscuité avec notre personnel ne sera jamais un préjudice pour notre projet monastique.
Bien au contraire, elle deviendra l’occasion de mieux l’intégrer. Je le rappelle, nous ne vivons pas seulement avec Dieu dans sa maison, mais nous vivons avec Dieu rencontré à chaque instant dans la personne de nos frères et dans la personne de nos ouvriers. Notre vie peut donc se couler dans une concrétude nouvelle, une concrétude surnaturelle, proprement spirituelle.
Ne nous y trompons pas, mes frères, le concret, le véritable concret n’est pas ce qui est quantifiable, ce qui est mesurable, ce que nous pouvons voir de nos yeux de chair, ce que nous pouvons juger d’après nos catégories charnelles. Non, le véritable concret est ce que perçoivent nos yeux éclairés par la foi. L’Apôtre lui-même l’avait déjà dit : Le Royaume de Dieu, il n’est pas dans le boire et le manger. Il est dans la paix, la justice et la charité.
Le véritable concret, c’est ce qui peut nous aider à faire de notre monastère un véritable paradisus claustralis, un jardin où fleurit ce qu’il y a de plus concret au monde et ce qui est éternellement concret, à savoir l’amour, la paix, la patience, la joie, la compassion, l’humilité, l’écoute mutuelle. Voilà, mes frères, ce qui est destiné à durer pour toujours.
Tout le reste concret va disparaître. C’est quelque chose qui est là et qui pourrait être autrement ; mais ce n’est pas sur cela que nous pouvons construire notre vie. Nous devons la construire d’abord sur la foi, et cette foi bien éclairée : nous sommes ici chez Dieu et, dans la personne de nos frères, c’est le Christ ressuscité qui vient à notre rencontre. C’est cela ! Il n’y a rien de plus concret que cela !
Il s’agit donc de cultiver en nous un esprit de foi toujours plus vivant et de le cultiver vraiment, de le cultiver dans la fréquentation des Ecritures d’abord. Ecouter à l’Office, écouter les paroles que nous entendons prononcer ou que nous énonçons nous-mêmes au cours de l’Office. L’Office divin, c’est d’abord une écoute.
Nous écoutons les paroles que Dieu nous adresse, nous écoutons les paroles que lance à travers l’univers le grand Corps mystique du Christ qui est en voie de croissance, qui souffre, qui gémit dans les douleurs d’un enfantement qui n’en fini pas. C’est le grand cri de la création toute entière.
Eh bien, mes frères, c’est cela ! Ecouter d’abord cela ! Et puis alors cultiver notre esprit de foi dans la prière, dans la supplication, dans la louange. Si vous pouviez retenir cela jusqu’à la fin de vos jours, je pense que ce serait extraordinaire ! Le fondement et le sommet, l’alpha et l’omega de notre vie, d’une vie monastique réelle, d’une vie spirituelle authentique, c’est l’écoute !
Ecouter ! Dieu lui-même dans sa Trinité est pure écoute. Eh bien, nous devons, nous, laisser cette écoute prendre possession de notre être, que nous ne soyons plus qu’une oreille pour écouter. D’ailleurs Saint Benoît le sait, lui qui inaugure sa Règle par ce mot : Ecoute !
Voilà, mes frères, c’est cela que nous devons cultiver. Et nous ne devons pas nous laisser rebuter par ce qui se voit en façade. Je pense ici à nous qui ne sommes pas de purs esprits. Nous sommes des chairs, des êtres de chair et d’os, et de même nos ouvriers. Ne nous laissons donc pas rebuter par ce qu’on aperçoit en façade.
Car la Parole de Jésus, elle est irréfragable et, c’est cela quelque chose qui n’est rien de plus concret : Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’aurez fait. Si vous touchez à un des hommes avec lesquels vous vivez, c’est moi-même que vous atteignez, c’est moi que vous blessez.
Et cette parole-là, mes frères, elle est définitive. C’est sur celle-là que nous serons jugés et, c’est elle qui définira notre valeur réelle.
Ce sont des choses auxquelles nous ne réfléchissons pas peut-être assez ? Une telle vision perpétuelle de foi est difficile. Le Visiteur nous le disait : C’est aussi facile à dire que difficile à vivre ! Mais non, ça ne doit pas nous décourager, ça ne doit pas nous faire reculer, au contraire ! Cette vision de foi, elle exige que nous ne nous protégions plus, que nous laissions tomber nos murailles, nos barrières, nos forteresses, que nous soyons une place ouverte.
L’autre quel qu’il soit, il nous fait instinctivement peur surtout quand il est différent, différent par l’éducation, différent par l’âge, différent par le niveau de culture, différent pour une quantité de motifs. Nous sommes tous différents les uns des autres, c’est certain ! Mais lorsque cette différence s’accuse, à ce moment-là nous avons instinctivement peur.
Et alors, nous nous barricadons. Notre réaction, c’est de nous fermer. Et alors, la seconde réaction qui est le plus dangereuse, c’est que nous essayons de devenir ce qu’ils sont pour nous protéger.
Prenons bien garde, mes frères, car si nous ne vivons pas avec nos ouvriers dans un rapport de foi, à ce moment-là, il va se produire un glissement ; c’est à dire que fatalement nous finirons par adopter leurs façons de penser, leurs façons de juger, leurs façons de voir, leurs façons d’agir et, sous l’habit monastique, nous serons des séculiers.
Attention ! Il y a une petite tendance un peu naturelle de copiner avec eux, avec les gens de l’extérieur. Ne nous laissons pas prendre à ce piège ! Restons à notre place, chacun à sa place, chacun dans sa vérité. Et attention, attention de ne pas prendre les attitudes de nos ouvriers ! Nous vivons avec eux, nous les entendons et finalement on arriverait à penser comme eux et à juger comme eux.
Et je vous assure, ça roule parmi notre personnel ouvrier, ça roule. Je veux dire qu’il ne faut pas penser qu’ils ont les yeux fermés ni la langue dans leur poche. Non, non, loin de là, la langue, ils la font marcher. Et à partir d’un rien, ils savent construire un roman, un roman des plus invraisemblable qu’ils colportent, qu’ils diffusent même à l’extérieur. Eh bien alors, si nous entrons dans ce jeu, nous n’en sortirons jamais plus.
Non, ce sont leurs défauts, leurs défauts d’hommes du monde. Mais nous devons derrière cette façade percevoir la lumière qui est au fond de leur cœur, la présence du Christ qui nous appelle, et qui appelle au secours, et qui nous dit : Je suis là malgré tout, reconnais-moi dans cet homme !
Voilà mes frères, il faut donc renoncer à une approche charnelle, à une approche minimaliste, frileuse des hommes. Nous devons absolument laisser le divin triompher en nous car ça, c’est ce qu’il y a – encore une fois – de plus concret ; même si ce n’est pas perceptible, même si ce n’est pas mesurable, nous devons le laisser triompher en nous de manière à ce que nous puissions recevoir un regard de lumière qui voit ce qui est caché.
A ce moment-là, les relations avec les autres, les relations entre nous, les relations avec notre personnel, mais elles deviennent toutes naturelles, elles deviennent vraies même si c’est à sens unique, même si eux ne peuvent pas accéder à ce niveau. Je veux dire en général, parce qu’il y en a tout de même l’un ou l’autre qui ont une valeur spirituelle certaine. Eh bien voilà, ça doit être, nous devons être vis-à-vis d’eux comme Dieu vis-à-vis de nous.
Et ainsi, mes frères, il nous sera donné de voir le Christ dans chacun de nos frères et dans chacun de nos collaborateurs, même chez le plus rustre de tous. Et ainsi, nous pourrons servir le Christ en leur personne, l’aimer en vérité alors. Mais je le rappelle, n’attendons pas de réciprocité ; si elle vient, tant mieux ! Il est possible qu’elle vienne parce que l’exemple, le surnaturel est contagieux. Mais soyons, nous, toujours établis dans la gratuité. Donnons le meilleur de nous, le meilleur de notre vie surnaturelle. Laissons-là rayonner dans notre regard, dans nos paroles, dans notre conduite et fatalement, elle produira son effet, peut-être pas tout de suite, mais certainement à long terme.
Voilà, mes frères, il me semble ainsi avoir bien défini ce que le Père Immédiat proposait, un art spirituel à cultiver dans l’écoute du Christ présent dans les personnes à l’extérieur qui nous abordent.
Voilà donc un petit programme et, je vous assure, mes frères, je suis sur la voie de garage, je n’en ai plus pour longtemps, donc ce que je dis, ce n’est pas pour le dire ainsi, non, je le tire de ma propre expérience.
Donc vous pouvez croire que c’est ainsi même si ça vous paraît hors mesure pour l’instant. Eh bien, si ce l’est aujourd’hui, cela ne le sera plus demain. Car c’est à cela que nous sommes appelés, si nous sommes fidèles, si nous savons écouter, si nous savons construire notre vie sur l’assise solide, la plus solide qui soit, d’une foi éveillée.
Jer. 23, 1-6 * Eph. 2, 13-18 * Mc. 6, 30-34
Frères et sœurs dans le Christ,
Nous venons de l’entendre de la bouche de l’Apôtre : il y a ceux qui sont loin et il y a ceux qui sont proches ; il y a les familiers de Dieu, et nous en sommes puisque nous sommes ici réunis, et il y a ceux qui ne connaissent pas Dieu.
Le Seigneur Jésus par sa mort sur la croix et sa résurrection a balayé tout cela. L’importance n’est pas d’être proche ou loin, l’important c’est d’être un homme nouveau, un homme nouveau en lui, un membre de son corps, un membre qui vit de son Esprit, qui ne réagit plus à la façon du monde, mais qui possède un cœur plein de tendresse et qui réagit à la manière de Dieu.
Le mystère de la réunion de tous les hommes en un seul corps se déploie à travers les siècles et il est encore présent et agissant aujourd’hui. Il y a l’histoire visible que l’on peut comptabiliser au jour le jour et il y a une histoire invisible que façonne l’Esprit Saint dans le secret des cœurs.
La première, l’histoire visible, est fugitive et elle s’effacera à la fin des temps. La seconde par contre, elle est inébranlable et elle apparaîtra un jour avec le Christ en pleine lumière. Et nous serons éblouis par sa beauté. Nous sommes les artisans de l’une et de l’autre, surtout nous les chrétiens qui avons reçu la grâce de savoir. Laissons donc agir en nous la puissance de l’Esprit Saint et devenons des hommes nouveaux, des hommes vraiment nouveaux.
L’Apôtre nous dit aussi quelque part : Quiconque est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Alors je le répète : Soyons-le ! Nous devons donc laisser les sentiments du Seigneur Jésus nous envahir et nous transformer en colonnes de vérité et de justice, en foyers d’amour, en sources d’espérance, en réserves inépuisables de douceur et de patience.
Nous venons de l’entendre, nous venons de le voir, de le contempler dans la petite péricope évangélique qui nous est rapportée ce matin. Le Seigneur n’est pas un bourreau de travail, il n’est pas un despote sans pitié qui exige l’impossible de ses sujets. Voyons ! Les apôtres ont parcouru le pays deux par deux. Ils ont enseigné, ils ont guéri et maintenant les voici de retour et ils racontent tout ce qu’ils ont vécu.
Et ils sont fatigués ! Le Seigneur le remarque : il le voit sur leurs visages, il l’entend au son de leurs voix. Et que fait-il ? Il va les charger d’une nouvelle mission ? Loin de là ! Il leur conseille une période de repos et il les emmène avec lui à l’écart de tous. Il est urgent d’annoncer le Royaume de Dieu, mais pour Jésus, ne l’oublions jamais frères et sœurs, les besoins de l’homme sont prioritaires.
Et quand ils arrivent à destination, ils aperçoivent une grande foule qui les attend, des milliers et des milliers. Jésus ne l’avait pas prévu, mais il ne s’impatiente pas. Il est remué jusqu’au plus profond de ses entrailles car ces gens sont là devant lui comme un troupeau sans berger. Ils ne savent où aller. Ils ne trouvent aucune nourriture, personne ne s’occupe d’eux. Et alors, que fait Jésus ?
Remarquons un détail magnifique qui lance un éclair sur les profondeurs cachées du cœur de notre Dieu : Jésus s’expose seul. Il met ses apôtres à l’abri ; il leur assure, il leur permet le repos dont ils ont besoin. Et lui, tout seul, il instruit longuement cette foule apeurée, cette foule affamée.
Il instruit longuement ces gens avides d’une parole qui leur ouvrira les portes de la vie éternelle. Car c’est de cela que nous avons besoin, pouvoir enfin vivre en plénitude, librement, non pas en faisant ce que nous voulons, mais en étant enfouis, ensevelis dans l’amour de notre Dieu qui, lui, est la parfaite liberté.
Frères et sœurs, Dieu est notre Père. Et il est un Père attentif aux besoins de chacun, un Père compatissant, désireux de nous partager sa vie. Ne lui imputons jamais rien de mauvais. La source du mal, le mal est chez nous, il n’est pas chez lui. Alors pour notre part, faisons notre possible pour devenir des hommes nouveaux, des hommes dans lesquels auront triomphé les sentiments qui habitaient le cœur du Seigneur Jésus.
Lui qui était dans la condition de Dieu, il s’est vidé de lui-même, il n’a pas revendiqué les honneurs auxquels il avait droit, mais il est devenu le plus humble de tous les hommes. Il s’est abaissé, il s’est rendu obéissant jusqu’à mourir pour chacun de ses hommes, pour chacune de ses créatures.
Voilà, frères et sœurs, le modèle d’un homme nouveau ! Essayons de croire en cette beauté. Demandons chaque jour que grandissent en nous la foi, l’espérance et la charité, c’est le thème de l’oraison d’aujourd’hui. Que ce désir, ce besoin soit ancré dans notre chair : devenir en tout point l’image ici sur notre terre, l’image du Seigneur jésus. Et alors, nous pourrons être les uns pour les autres de véritables bergers.
Amen.
Mes frères,
Venons-en, si vous le voulez bien, à notre réflexion sur la nature profonde de la prière. Nous avons vu que la prière est un mouvement. Elle est un mouvement vers Dieu, Dieu qui est notre Père, Dieu qui est amour, Dieu qui veille avec une sollicitude de chaque instant sur chacun d’entre nous.
Nous savons que le Verbe de Dieu est, lui, dans sa nature même de Verbe, est entièrement tourné vers la source, vers son Père et qu’il est lui aussi un élan vers le Père. Toute prière authentique sera donc prise, assumée à l’intérieur de ce mouvement du Verbe de Dieu vers son Père.
A la limite, dans sa perfection, la prière sera l’incarnation de ce mouvement, non seulement dans le cœur du moine mais aussi dans tout son être. Il est littéralement emporté par ce mouvement, emporté comme un oiseau est emporté par le vent qui le porte.
Toute prière se trouve donc à l’intérieur de la personne du Christ, le Christ qui est le Verbe de Dieu devenu homme justement pour nous saisir là où nous sommes et nous emporter là où il est. C’est à l’intérieur du Christ que la prière atteint sa perfection, qu’elle touche à son but, son but qui est de faire de l’homme saisi dans sa globalité une manifestation du Verbe de Dieu incarné.
A ce moment-là, ce n’est plus nous qui vivons, c’est le Christ, c’est le Verbe, c’est Dieu, c’est l’Esprit Saint qui vit en nous. C’est le sommet de notre existence, il n’est pas possible d’aller plus loin. C’est cela la béatitude éternelle ! Et cette béatitude, elle peut et elle doit même nous être accordée dès cette vie, à l’intérieur de cette vie mortelle.
C’est une des raisons pour lesquelles Dieu nous a appelés ici, c’est pour nous faire ce cadeau ; mais un cadeau qui n’est pas seulement pour nous mais qui est aussi pour l’ensemble du grand Corps. Car le Verbe de Dieu devenu homme est la tête d’un Corps immense dont nous sommes les membres chacun pour notre part.
Si bien que toute prière – ça, c’est à retenir ! – toute prière est donc en Eglise, elle est à l’intérieur de l’Eglise. Et ce Corps, c’est l’Eglise. Et quand nous disons l’Eglise, ne voyons pas le Pape et les Evêques, c’est infiniment trop étroit. Ils sont aussi membres de l’Eglise dans leur fonction, dans leur mission. L’Eglise est le grand Corps de l’humanité assumé par la personne du Verbe et se trouvant déjà pour une bonne partie de son être, se trouvant déjà au cœur de la Trinité.
Car ceux que nous considérons comme des défunts, ceux dont nous sommes séparés par un abîme, un abîme mystérieux que nous un jour, que nous-mêmes nous franchirons, tous ces morts-là sont la partie la plus belle et la meilleure de l’Eglise.
Donc, la prière authentique est toujours à l’intérieur de ce Corps. Si bien que nous ne prions jamais seul même lorsque nous faisons, comme on dit, oraison tout seul n’importe où. Si tu pries, disait le Christ, entre dans l’arrière cuisine, là où il n’y a personne et ferme toutes les portes, ferme les fenêtres et prie seul ; et ton Père qui voit dans l’obscurité, il accueille ta prière !
Eh bien, même lorsqu’on se trouve dans cette situation-là, nous ne sommes pas seul, nous ne sommes jamais seul. Notre prière est toujours ecclésiale, nous prions toujours à l’intérieur de l’Eglise, à l’intérieur de ce grand Corps. Et une telle prière s’inscrit dans l’élan de ce Corps vers la Trinité qui sera son accomplissement quand Dieu sera tout en toutes choses.
Nous sommes donc pris à l’intérieur d’un courant, un courant contre lequel nous ne luttons pas, un courant qui nous porte. Nous sommes un esquif sur ce courant. Et ce courant nous conduit jusqu’au cœur de la Trinité. Et lorsque tout sera accompli, lorsque la Sainte Trinité sera tout en toutes choses, à ce moment-là notre prière sera arrivée à son sommet. Car la prière ne s’achève pas, n’a pas un terme ici bas ; la prière se poursuit toute l’éternité. Nous ne sommes plus que prière et c’est ça qui est beau !
Donc, la prière est une activité qui n’est pas attachée à notre condition mortelle. Elle est attachée à notre condition humaine, à notre condition de fils de Dieu, à notre condition de membre du Christ. Donc elle est pour toujours et on peut dire que c’est l’occupation première et l’occupation dernière. Et l’occupation principale de l’homme, c’est de pouvoir prier, c’est de devenir prière c’est à dire pur élan vers le Dieu qui est amour et qui nous assume en lui. Et cela se poursuivra ainsi toute l’éternité.
Saint Grégoire de Nysse a très bien expliqué cela. Il voit Moïse dans son ascension quand il gravit le Sinaï. Dès qu’on a découvert une immensité devant soi et qu’on s’y est engagé, il y a une seconde, une autre et enfin une infinité d’immensité qui se déploient devant nous. Et on s’y engage, on est porté toujours plus loin. C’est cela la prière, c’est cela la vie éternelle, c’est cela la béatitude éternelle.
Alors nous avons l’exemple du Seigneur Jésus lui-même qui lui a prié. Et il nous apprenait ainsi que notre fonction essentielle, c’est d’arriver à ce stade où toute notre activité ne sera plus que prière et notre être entier un pur élan vers Dieu qui est amour. C’est ce que je viens de dire, mais je le dis avec des termes peut-être un peu différents.
Nous sommes donc vraiment homme, quand nous sommes pur élan vers Dieu, que nous ne faisons plus qu’aimer sans retour sur nous-mêmes. On est attiré vers l’avant et on ne regarde plus jamais en arrière. Regarder en arrière, c’est regarder vers soi, c’est se retourner vers soi. Mais non, c’est fini ! On a décroché de soi et c’est toujours vers l’avant. C’est cela la véritable prière.
Mais voilà, mes frères, nous en resterons là pour ce soir !
Mes frères,
Je vais vous mettre au courant d’une décision que j’ai prise la semaine dernière. La plupart d’entre vous sont déjà au courant, mais il est utile que vous connaissiez les détails de cette affaire.
Vous n’êtes pas sans savoir que la quasi totalité de nos ressources financières proviennent de notre exploitation brassicole. Il est donc vital pour notre communauté que la brasserie soit gérée dans des conditions optimales.
Or, depuis un certain temps, et cela s’est confirmé de plus en plus depuis quelques semaines, le frère Antoine ne parvenait plus à assurer correctement la direction de la brasserie. Frère Antoine est âgé de 68 ans. Si c’était dans le monde, il serait déjà pensionné depuis trois ans.
Mais vous allez me dire : et le frère Nicolas qui a largement dépassé les septante ? Et le frère Marc ? Mais voilà, ce sont d’autres tempéraments !
Le frère Antoine en est arrivé au point qu’il ne comprenait plus la nature et le sérieux des problèmes qui se présentaient. Or, ces problèmes deviennent de plus en plus nombreux et aigus. Ils ne viennent pas de l’intérieur de la brasserie, ils nous sont imposés de l’extérieur. L’Etat, les Compagnies d’Assurances, les Organismes de Contrôle de la sécurité nous rappellent des normes d’organisation et de travail dans lesquelles nous devons entrer.
Or, frère Antoine, en ce domaine, est totalement dépassé. Il se réfugie instinctivement dans le passé : on a toujours fait ainsi et il n’est jamais rien arrivé. Il n’y a pas de raisons de faire autrement. C’est là une inconscience, et presque une négligence, et une peur qui mettent sérieusement et réellement en danger le présent et l’avenir de notre brasserie.
N’oublions pas que nous ne vivons plus au niveau régional. La Belgique n’est plus qu’une province d’un immense ensemble qui compte plus de 350 millions d’habitants. Je pense à l’Europe. Et les Instances Européennes édictent des lois et des règles dans lesquelles nous sommes obligés d’entrer. J’en rappelle quelques unes : le HAPPT * FOST+ pour le traitement des déchets * l’entreposage des produits, car on ne peut plus aujourd’hui les entreposer comme ça n’importe comment.
Ces règles et ces lois valent pour le marcher intérieur – donc pour le marché Belge – autant que pour le marché extérieur. Cela impose des contraintes dans lesquelles nous devons entrer de bon cœur car ces lois ne sont pas lancées dans le vide. Non, elles veulent préserver la santé du consommateur et, nous sommes des consommateurs comme les autres ; elles veulent garantir la sécurité des travailleurs et nous sommes aussi des travailleurs.
C’est donc toujours pour notre mieux être même su au moment même cela crée une certaine gêne. Mais une fois que nous sommes entrés dans ce qui nous est demandé, nous nous sentons mieux.
Or, frère Antoine n’a plus la résistance psychologique nécessaire pour supporter les stress quotidiens. Alors pour y échapper, pour les fuir, pour les oublier, vous le savez comme moi, il se réfugie dans la boisson, ce qui aggrave encore son incapacité d’assumer le réel et de prendre les dispositions qui s’imposent.
Il s’agit donc ici d’un problème humain : il faut aider frère Antoine ; mais aussi d’un problème économique : il faut veiller sur la sécurité de la brasserie. J’ai parle de tout cela bien franchement avec le frère Antoine et je lui ai proposé une solution qu’il a accepté non pas de mauvais gré, mais il m’a dit qu’il était content. Il se rend bien compte par lui-même qu’il est arrivé au bout de certaines de ses capacités.
Alors, j’ai retiré à frère Antoine la responsabilité de la brasserie et je l’ai envoyé se reposer un mois à Soleilmont. Et cette responsabilité, j’ai pensé pouvoir et devoir la confier à Vital Streignard. Pourquoi Vital Streignard ?
Dans notre communauté, il y a bien l’un ou l’autre jeune qui pourrait bien prendre la succession de frère Antoine, mais chacun est déjà surchargé. Nous sommes une toute petite communauté et alors, les tâches doivent être partagées pour un mieux ; or nous arrivons à un point critique. On ne peut plus demander davantage aux frères, sauf de petites choses.
Faire appel à un ingénieur de l’extérieur, c’est prendre un risque, le risque de dérapage : dérapage au niveau des ouvriers qui l’auraient certainement mal accueilli et, dérapage au niveau de la communauté et de la brasserie. Car n’oublions pas que nous avons – voici 45 ans maintenant – fixé un plafond de production, ce qu’un ingénieur étranger pourrait difficilement accepter.
Oui, il l’accepterait parce qu’il faudrait bien mais il y aurait toujours de sa part, j’en suis sûr, une pression plus ou moins forte pour élargir le rayon de vente et pour augmenter la production. Je rappelle que nous recevons, je ne dis pas chaque semaine mais certainement chaque mois, des demandes pour vendre en France, en Italie, en Espagne, en Angleterre, aux Etats-Unis et même en Chine.
Alors, mes frères, il est tentant de répondre à toutes ces sollicitations et il faut une volonté de fer pour ne pas y céder. Je ne vois pas cette volonté dans le chef d’un étranger. Par contre Vital, lui, est un garçon qui est intelligent, qui a de grandes compétences techniques et qui, dans la pratique, faisait déjà bien des choses qui incombaient au frère Antoine.
De plus, il aime beaucoup notre Abbaye et fait tout vraiment dans les intérêts de l’Abbaye. C’est un garçon de bonne composition, gentil, avec lequel il est possible de parler ; de plus, il est le poussin de frère Antoine. Ce qui a fort contenté le frère Antoine, c’était le fait que je prenais Vital pour le remplacer. A ce moment-là, il n’y avait plus de problèmes véritables.
Vital va donc faire tout ce que faisait le frère Antoine. Et comme je le disais, il le faisait déjà en bonne partie. Il ne s’immiscera pas dans le laboratoire, ni dans la vente toujours réservée à Frère Nicolas. Mais il s’établira entre ces trois sections une saine et sincère collaboration, ce qui devenait de plus en plus malaisé avec frère Antoine.
Voilà, mes frères, ce que j’ai pensé devoir faire. Quant à frère Antoine, eh bien, il va devenir ce qu’était devenu le frère Paul. Dès que le frère Paul n’a plus été en état de s’occuper de la brasserie, c’est le frère Antoine qui l’a remplace et le frère Paul est resté à la brasserie pour faire de petites choses. Mais le frère Antoine fera davantage : il continuera à brasser, il brasse très bien.
Il s’occupera aussi des relations avec les accises, les déclarations de brassage par exemple. Et puis, il y a chaque jour du courrier, du courrier qui vient aussi de tous les coins du monde presque. Ce sont des collectionneurs qui demandent des étiquettes, des sous-bocks, toutes sortes de choses. Frère Antoine pourra s’en occuper. Eh bien voilà, mes frères, où les choses en sont !
Est-ce que vous avez peut-être une question à poser ? un éclaircissement à demander ? Il me semble que j’ai été assez clair.
Mais il ne faut pas oublier que Vital, lui, sera responsable devant quelqu’un et ce quelqu’un, c’est moi. Donc le véritable directeur et chef de la brasserie, c’est moi. Et je peux l’être car elle est partie de rien cette brasserie. Peut-être que frère Nicolas a encore connu cela, lui seul ici ? Elle est partie de rien et c’est moi – je le dis sans forfanterie – qui avec des collaborateurs naturellement, l’ai conduite à ce qu’elle est maintenant.
Donc, je connais tout dans la brasserie. Je suis donc déjà une grande sécurité pour Vital. Il le sait et je l’ai déjà initié à certaines choses qu’il ignorait, et je continuerai. Il y a maintenant des priorités dans les travaux à effectuer. Et ma foi avec lui je prendrai les décisions qui s’imposent.
Voilà, mes frères, nous n’avons plus qu’à prendre dans notre prière notre brave frère Antoine parce que malgré tout, il le sentira tout de même passer. Mais c’est un peu le lot de chacun. C’est le mien entre autre aussi car encore quelques semaines et je serai comme lui au stade de la retraite.
Et attention ! A ce moment-là, je le dis et je préviens, quoi qu’il arrive, il faudra tout de même que je continue à m’occuper de cette brasserie en attendant que d’autres ici soient capables d’embrasser l’ensemble et les détails. Il y a tellement de choses ! Mais enfin, abandonnons tout ça à la grâce de notre Dieu !
Mes frères,
Nous avons droit ce soir à un petit chapitre d’informations. A la fin du mois d’avril, Jimmy nous a quittés pour aller travailler à Namur dans un Institut qui s’occupe principalement de sourds-muets. Il y est très heureux, très contant, tout à fait dans la ligne de son charisme.
Il a été remplacé par Bernard, le portier actuel que vous connaissez tous, qui remplit très bien son office. Les personnes qui l’entendent au téléphone disent qu’il a une voix agréable, et qu’il est très poli, et qu’il sait donner une réponse comme le demande Saint Benoît.
Et voilà maintenant que c’est Mickaël qui nous quitte pour des raisons de convenance personnelle. Mickaël s’occupait en premier lieu de l’hôtellerie et il faisait aussi des passages, des prestations à la cuisine. A l’hôtellerie, il sera remplacé par Hervé qui était cuisinier jusqu’à présent.
Hervé était un peu, et parfois même beaucoup, dépassé par le travail qu’il devait effectuer. Hervé, de bonne volonté, s’était présenté comme cuisinier. En fait, il avait travaillé dans une cuisine mais pas comme cuisinier, si bien qu’il rame parfois pour préparer la nourriture.
Et voici que sans rien chercher s’est présenté ici, sur une recommandation qui vaut la peine mais que par discrétion je préfère tenir secrète, un véritable cuisinier. Il s’appelle Marcel Thomas, Thomas comme nom de famille. Il est âgé de 42 ans mais en fait davantage. Il est marie et a une petite fille de 12 ans. Il est originaire des environs de Jemappes, pour ceux qui connaissent. C’est donc un brabançon.
Il a fait l’école Hôtelière au CEREA à Bruxelles durant trois ans. Le CEREA est le centre d’études et de recherches de l’industrie alimentaire avec lequel nous-mêmes nous avons travaillé des années durant ; mais avec le secteur brasserie du CEREA et entre autre le Professeur Debreux qui nous a rendu de bons services.
Donc, le CEREA est une école de très haut niveau et au plan brassicole, c’est le même niveau que l’université de Louvain. Marcel y a donc terminé ses études au CEREA avec le diplôme de cuisinier, le diplôme A2 qui correspond aux Humanités. Après cela, il a suivi des cours du soir pour se perfectionner comme traiteur. Donc le traiteur, c’est celui qui prépare les grands dîners, les grands banquets.
Il a fait son service militaire comme certains ici et, il l’a fait comme instructeur cuisinier. On cuisine aussi à l’armée et il paraît qu’on y mange très bien ! Oui, oui ! Donc il l’a fait comme instructeur cuisinier ; je ne savais pas que ça existait ! Enfin, vous voyez, on trouve de tout à l’armée.
Après cela, il a fait des stages dans des restaurants en Suisse et en France. En France, en particulier au Cap d’Antibes pour ceux qui connaissent. C’est un lieu de villégiature très réputé où il a appris à travailler le poisson.
Je connais quelqu’un qui a fait l’école des Traiteurs à Namur en cours du soir pendant trois ans. Eh bien, pendant toute une année, on apprend à faire les sauces. Oui ! Et pendant une autre année, on apprend à faire des pâtes ; pas des pâtes alimentaires, mais toutes sortes de pâtes pour les gâteaux, pour tout. Vous voyez, c’est çà les traiteurs !
Il a travaillé à Bruxelles dans divers restaurants. Pourquoi ? Parce que chaque établissement à sa spécialité. On va dîner à tel endroit parce que à tel endroit on mange telle chose ; on va à tel autre endroit parce que à cet endroit-là on va manger autre chose. Donc les gourmets peuvent choisir.
Alors un cuisinier, il fait un peu comme au Moyen Age, les compagnons qui allaient comme ça de ville en ville et qui se perfectionnaient dans leur profession auprès de maîtres réputés. C’est ce qui se passe aussi dans le domaine de la cuisine.
Alors il s’est marié et ils se sont installés à Jemelle. Il a travaillé à Marche à l’Hôtel de la Cloche et dernièrement, il travaillait à la Tour de la Famenne. C’est cette tour qui se trouve juste en face de la douce quiétude. Mais voilà, ce restaurant a fait faillite et il s’est retrouvé sur la rue, au chômage. C’est ainsi qu’il est arrivé ici.
Donc voilà, je pense que depuis longtemps, longtemps, longtemps, on voulait un véritable cuisinier. C’est très difficile d’en trouver un. Enfin en voici un. Maintenant il doit s’initier non pas à la cuisine mais au matériel qui est ici. Il faudra donc essayer de briser un peu la routine qui était ici et de faire de la variété. Un véritable cuisinier, c’est un créateur. Avec pas grands chose, il peut faire des histoires appétissantes. Nous verrons !
J’ai regardé passer les plats aujourd’hui et je me disais que c’était tout de même malheureux que j’étais au régime ! Je vais voir le médecin à Bruxelles jeudi et peut-être qu’il dira : écoutez, vous pouvez recommencer tout doucement maintenant que vous avez un cuisinier ! Nous verrons !
Alors nous verrons aussi pour un horaire précis. Par exemple ceci : le dîner préparé, consommé et la vaisselle faite, finie, que faisaient les autres ? Eh bien, ils préparaient le souper puis ils le mettaient au four. Et ça restait dans le four pendant trois ou quatre heures ; et puis on le sortait.
Mais non, maintenant il retournerait chez lui et il reviendrait ensuite pour préparer le souper. Il habite Jemelle et pour lui il n’y a pas de difficultés. Il préfère faire ainsi et que ce soit quelque chose de valable. Et toutes choses ainsi qu’on va devoir étudier, mais nous avons le temps. Il faudra organiser, innover, créer.
J’espère que ce sera une réussite pour tout le monde, car vous connaissez le proverbe : dans un monastère l’ordre dépend en grande partie de la valeur de la cuisine. Il faut que ce soit bon ce qui ne veut pas dire que ce doit être quelque chose hors de notre portée. Si c’est bien, on est mieux disposé, on est plus optimiste, on fait mieux son travail et la louange de Dieu s’élève avec plus de ferveur.
Alors Hervé, lui, il devra encore cuisiner un jour. Mais il y a sept jours dans la semaine et c’est la semaine de cinq jours. Alors voilà ce que nous allons faire. Nous avons notre portier Bernard. Et notre portier Bernard sans être un cuisinier professionnel fait aussi très bien la cuisine et de la très bonne cuisine.
Alors quand Marcel sera bien rodé, nous mettrons Bernard près de lui en stage pour qu’il apprenne aussi un peu de tout. Et quand Marcel ne serait pas là, ce serait Bernard ou ce serait Hervé pour faire la cuisine. Et alors le frère Nicolas pourra prendre sa retraite. Il l’a bien méritée après 26 ans de continuité.
Alors voilà, la brasserie, c’est parti avec Vital qui a pris les responsabilités avec beaucoup de sérieux. Hier après None et jusque 16h30, on a fait le tour des caves en dessous de l’église. Nous y avons découvert des antiquités, des inutilités, toutes sortes de choses qui sont là dedans. Et qu’est-ce qu’on va faire ? On va vider ce qui doit être vidé pour avoir des espaces propres et des espaces disponibles pour stocker différentes choses en réponse aux prescriptions techniques concernant la sécurité, la santé, etc.
Et lorsque les inspecteurs viendront, on leur dira : regardez un peu là, on y mangerait par terre. Mais c’est un gros travail, c’est assez urgent et on va commencer par ça. Autant profiter qu’il y a des gamins ici pendant les vacances. C’est plus intéressant pour eux que de mettre des bouteilles dans les casiers.
Voilà, mes frères, quelques informations. Portons tout cela dans notre prière, et pour les personnes, et pour nous-mêmes aussi.
Mes frères,
Le mois d’août est parmi les mois de l’année un mois particulièrement riche. Il est traversé en effet de part en part d’un axe qui nous indique avec netteté la dimension eschatologique de l’existence humaine et de l’univers dans son ensemble.
La Transfiguration du Seigneur, l’Assomption de la Vierge Marie, la solennité de Saint Bernard tracent la direction dans laquelle nous devons engager nos pas si nous que notre passage sur la terre ne soit pas un tourbillon dans le vide mais qu’il soit une marche assurée vers un accomplissement, une plénitude qui mettra en lumière l’absolue noblesse de notre personne.
Nous sommes chair, c’est vrai, mais infiniment plus qu’une chair ! Nous sommes – nous ne devrions jamais l’oublier – nous sommes le ciel de Dieu. Ne cherchons pas Dieu en dehors de nous. Dieu est à l’intérieur de notre cœur et c’est là qu’il se révèle en premier lieu. Si nous avions une oreille assez fine et des yeux assez purs, nous le reconnaîtrions à sa voix, nous le reconnaîtrions à sa parole et à sa beauté. Et tout cela à l’intérieur de nous.
Cela nous a encore été rappelé au cours de l’Office de nuit ; Le Seigneur n’était pas dans le fracas de la tempête qui fendait les montagnes et qui brisait les rochers. Il n’était pas à l’intérieur du feu, il n’était pas dans le tremblement de terre. Il était dans le murmure infiniment doux d’une brise légère.
Et cette brise, mes frères, c’est à l’intérieur de notre cœur qu’elle souffle. Mais hélas, nous sommes tellement distraits par ce qui se passe autour de nous, à l’homme d’aujourd’hui. Si vous allez à Rochefort, si vous traversez la ville, mais vous entendez de la musique du matin au soir. Il paraît que c’est pour créer de l’animation ! Dieu n’est pas à l’intérieur de ce bruit !
Nous sommes le réceptacle d’un faisceau d’énergies divines qui tendent à faire de nous des astres lumineux. Et si nous collaborons avec ces énergies dans une pleine confiance, dans une sage humilité, dans une remise entière de nous, nous devenons insensiblement par grâce ce que le Seigneur Jésus est par nature. Nous devenons des dieux dans le sens le plus vrai et le plus beau du terme. Dieu n’est pas content, il ne sera jamais content aussi longtemps qu’il n’aura pas fait de nous ses enfants, des êtres qui partagent en plénitude sa vie divine.
Notre réussite humaine n’est pas, encore une fois, dans l’escalade de performances qui sont toujours et encore toujours charnelles, qui ne nous permettent pas de nous élancer hors de notre univers égocentrique. Non, nous serons pleinement nous-mêmes lorsque arrachés à l’attraction, à la fascination de notre moi, nous serons devenus des parfaites images de ce que Dieu est.
Et le but de l’agir de Dieu en nous et sur nous, c’est cette transfiguration , notre transfiguration ; c’est à dire de nous donner la forme de Dieu, la propre forme de Dieu au point que nous ne pouvons plus rien faire d’autre qu’aimer, et aimer toujours, aimer inconditionnellement, aimer gratuitement, aimer sans mesure car Dieu est amour et il n’est rien d’autre qu’amour.
C’est à partir de ce centre amour que toutes les autres qualités – j’utilise ce mot – qualités de Dieu nous permettent d’être vues dans leur vérité. Et alors, mes frères, si nous laissons ainsi Dieu agir en nous, nous accomplirons notre véritable destinée d’homme et nous serons mûrs pour être cueillis et assumés totalement à l’intérieur de la Trinité.
C’est à cela que nous invite Marie, Mère de Dieu et notre Mère. Elle est là devant nous, au-devant de nous pour nous tracer, pour nous ouvrir le chemin. Et c’est elle, mes frères, du sein même de son Assomption qui nous enfante à la transfiguration. Ce mystère de beauté est très bien figuré dans le labyrinthe qui orne le pavement de notre église.
Au centre de ces entrailles de miséricorde qui sont figurées par l’entrelacement du chemin, il y a une fleur, il y a une rose, une rose mystique, le sein de la Vierge Marie à l’intérieur duquel grandit, vit, s’épanouit la Jérusalem nouvelle. Et nous sommes chacun pour notre part une pierre de cette Jérusalem. Et dans chaque pierre de cette cité merveilleuse, il y a la totalité. Le tout se trouve à l’intérieur du fragment.
Et Marie qui est vraiment notre Mère, vraiment une véritable Mère, elle nous connaît par notre nom. Elle nous aime dans notre unicité personnelle. Nous ne sommes pas pour elle des atomes d’une masse anonyme. Non, pour elle, chacun est seul au monde avec elle. Rien ne peut la détourner de l’amour qu’elle nous porte.
Et nous hélas, encore une fois, nous divaguons de côté et d’autre au lieu d’être attentif à cet amour. Mais voilà, ce que nous voudrions faire, nous ne parvenons pas à le faire. Il y a en nous des forces contraires et nous gémissons en attendant notre délivrance. Même Marie nous délivre parce que elle est la toute première à avoir été le ciel de Dieu.
Et là où elle est, mes frères, là, nous sommes déjà aussi en elle et avec elle. Voilà la réalité la plus belle et la plus réconfortante qui soit. Nous sommes déjà arrivés au terme, en espérance certes mais déjà bien réellement. Mais encore, faut-il le croire et en vivre.
Et c’est là que vient à notre aide Saint Bernard. Il nous dit que tout ce qui a été réalisé en lui par l’Esprit Saint est possible aussi pour nous. Dieu n’est jamais à court de moyens. Notre état de vie monastique, mes frères, n’est pas un leurre, il n’est pas une illusion, il est une réalité infiniment belle. Nous sommes les membres d’une immense famille. Nous ne pouvons en dénombrer l’amplitude.
C’est la famille de Dieu qui s’élargit sans cesse. Je pense à la famille monastique, cette immense famille des moines depuis l’origine jusqu’aujourd’hui, et aussi la famille chrétienne, la famille humaine. Et cette immense famille, elle ne nous permet pas de nous épanouir, de nous fondre dans l’anonymat. Non, chacun dans cette famille est unique , et chacun est beau, et chacun enferme en lui la plénitude de l’ensemble.
Voilà, mes frères, la merveille que Dieu entend réaliser en celui qui lui donne son cœur en toute confiance. Il désire nous transfigurer. Il désire faire de nous exactement ce qu’il est et ainsi nous assumer à l’intérieur de sa propre vie.
Nous aurons dans trois jours cette fête de la Transfiguration. Nous avons entendu en préparation à cette fête la lecture de la façon dont les moines Athoniques vivent cette expérience, cette expérience de la transfiguration. Et puis nous savons que cette transfiguration est aussi une assomption, une assomption jusqu’au centre même de la Sainte Trinité. Et là, dans ce centre, nous sommes déjà parce que nous sommes les enfants de Marie.
Mes frères,
Nous sommes encore dans le rayonnement de la Transfiguration du Seigneur et, si nous avons une foi grosse comme un grain de moutarde, nous sommes établis à l’intérieur de cette lumière. Et la solennité de l’Assomption de Marie, Mère de Dieu et notre Mère, nous conforte dans cette foi et dans cette conviction que notre destinée s’accomplit déjà ici-bas à travers les labeurs de chaque jour.
L’Ecriture nous dit que à la fin des temps, les justes brilleront comme des étoiles dans le Royaume de leur Père. Ils auront accompli leur destinée d’homme. Devenus transparents à la lumière de Dieu qui les habite, ils seront eux-mêmes pure lumière.
Tel est, mes frères, le sens ultime de la purification pour ce qui nous concerne. Et cet état sublime, qui est celui du Christ, sera à ce moment commun à tous. Nous devons nous y préparer aujourd’hui durant notre vie terrestre. C’est la raison d’être des monastères.
Et cette préparation est une œuvre de longue haleine dont l’artisan est l’Esprit Saint. Saint Benoît en esquisse les étapes dans l’échelle de l’humilité. Le but poursuivit par l’Esprit Saint est un décapage par l’intérieur et par l’extérieur de tout ce que nous sommes. Et lui seul est en mesure de l’opérer.
Nous ne devons rêver à rien d’extraordinaire. C’est dans la grisaille des monotones journées que Dieu inlassablement travaille. Et le cœur, et à partir de lui l’être tout entier, se purifie. Ce n’est pas seulement le plus intime de nous, mais c’est aussi notre chair corporelle, c’est notre être entier qui devient pur.
Il y a des hommes, même dans les monastères, qui ne peuvent pas supporter cela. Pourquoi ? Parce que cela les effraie ; parce que ils ne peuvent pas y croire ; parce que ils sont comme séduits par des valeurs purement matérielles, purement charnelles qu’ils qualifient alors de spirituelles. Prenons y garde, je le rappelle, à chaque tournant du cloître !
Et lorsque le cœur ainsi, et l’être entier se purifient sous l’action de l’Esprit, on apprend à ne plus réagir de façon animale, de façon bestiale dans le repliement sur soi, dans la peur, dans l’agressivité, dans la tristesse. On cesse d’être une forteresse pour devenir un espace ouvert, un espace sans murailles et sans frontières où chacun est accueilli tel qu’il est, et aimé tel qu’il est, et jamais jugé.
A ce moment, mes frères, l’amour est vainqueur, et Dieu est vainqueur. Il y a une nouvelle présence de Dieu vivant incarné sur notre terre, et cela dans un homme. Notre transfiguration est donc essentiellement de nature spirituelle. Et Dieu en prenant possession du cœur se révèle aussi à la conscience de l’homme. Les yeux s’ouvrent et ils baignent dans cette lumière de la transfiguration qui est le Christ et qui est Dieu.
Oui, mes frères, la pureté du cœur est la porte d’une éternité de bonheur, éternité qui s’inaugure déjà ici bas. Et le chemin de cette pureté, c’est l’humble et la confiante écoute, l’humble et la confiante obéissance. Il n’y a pas d’autres routes. En dehors de là, tout, absolument tout est illusion.
Alors, ce trésor sans prix, ne le laissons pas nous échapper. Il a été préparé pour nous, pour chacun d’entre nous dès avant la création du monde et il doit, si nous l’acceptons de tout notre cœur, il doit réjouir l’univers entier.
Saint Benoît vient de nous dire que Dieu devait être glorifié en toutes choses, 57,19. Il fait allusion ici bien précisément aux transactions commerciales. Mais attention, il doit d’abord être glorifié en nous dans notre cœur, dans notre vie. Et c’est alors que vraiment il pourra être glorifié en tout.
Ma révérende Mère, mes frères,
Saint Benoît nous dit que son intention est de créer, d’organiser une école où on apprend à servir le Seigneur. Et du coup, il nous renvoie au début de son discours, là où il définit l’attitude qui doit être la nôtre, la posture que nous devons adopter et que nous ne devons jamais quitter jusqu’à la mort. Je rappelle qu’il nous dit : Ecoute, mon fils, les préceptes de ton Maître, incline l’oreille de ton cœur !
Il nous installe donc, et pour lui c’est définitif, dans une attitude de disciple ; c’est à dire l’attitude d’un homme qui a le cœur attentif, un homme qui écoute, un homme qui à l’intérieur de cette écoute recueille des paroles qui lui donnent la vie, des paroles qui l’introduisent dans un univers nouveau, des paroles qui sont un goût d’éternité.
Il y a, dans les propos de Saint Benoît, une allusion discrète à une des scènes les plus belles de l’Evangile, celle où nous voyons Marie assise aux pieds de Jésus, buvant ses paroles. Elle est devenue étrangère à tout ce qui l’entoure. Une seule chose compte pour elle : être là ! Et elle voudrait ne jamais, ne jamais quitter cette place. D’ailleurs, le Christ la confirme dans son intuition : Elle a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée !
Eh bien, nous devons nous aussi rester jusqu’à la fin de nos jours dans cette attitude d’écoute. La qualité d’un homme, surtout la qualité d’un moine se définit par la qualité de son écoute. Je suis vraiment, j’existe vraiment lorsque je sais écouter. C’est là une chose à laquelle on ne pense guère. Saint Benoît nous dit : la place du disciple, c’est de se taire et d’écouter.
Cela va contre toutes les doctrines, toutes les consignes de notre monde actuel où il faut parler, parler sans cesse, faire du bruit. Il faut qu’on sache qu’on est là. On est ainsi aujourd’hui plus que jamais, il suffit de sortir du monastère pour s’en rendre compte. On est immergé dans un univers de bruits, de paroles dont la plupart sont parfaitement vides. Mais voilà, aujourd’hui, on a peur du silence. On ne sait plus se taire et écouter.
Et le Maître, comme nous dit Saint Benoît, le Maître qui dispose de cet enseignement est bien réel. Nous allons, nous, instinctivement penser au Christ. Et c’est vrai, c’est lui qui est le premier des Rabbi, le premier des enseigneurs. Il est, lui, notre véritable Père. Nous n’étions pas, nous écoutons et nous recevons ses paroles, et puis nous commençons à exister. Et grâce à lui, nous vivons.
Mais pour Saint Benoît bien concrètement, bien concrètement il nous le dit dans ses premières paroles. Le Maître, c’est la Règle ! Que tous suivent la Règle comme leur Maître, 3,16, omnes magistram sequantur regulam.
Omnes, dit-il, tous sans aucune exception, tous même l’Abbé, surtout l’Abbé. Il est, lui, l’interprète de la Règle parce qu’il est, lui, le premier et le plus fidèle des disciples. Dans la Règle et derrière la Règle, il y a Saint Benoît , oui, qui est tout de même un homme d’expérience ; et il y a le Christ et il y a Dieu. Lorsque nous sommes unis à la Règle, nous sommes unis à Dieu. Pour le moine, il n’y a pas d’autre route.
Et l’Abbé mérite le nom de Maître et le nom d’enseignant tout comme le Christ, dans la mesure où ce n’est plus lui qui vit mais où c’est la Règle qui vit en lui. Attention ! Il n’est pas un fanatique de la Règle, il n’est pas un fanatique de l’observance, loin de là !
Mais tout ce que la Règle porte en elle d’avenir, ce qu’elle porte de promesses, il l’a accepté dans son cœur ; ça a fructifié et maintenant il peut être en vérité l’interprète de la Règle pour ses frères. C’est la Règle qui vit en lui ; c’est à dire, bien concrètement encore, au-delà d’elle le Christ et Dieu ; le Christ et sa volonté, Dieu et son amour.
Voilà, mes frères, ce que Saint Benoît nous dit aujourd’hui. Mais que pourrions-nous retenir ? C’est aujourd’hui notre jour de récollection. C’est l’occasion de nous reprendre en main. Même si nous sommes toujours dans la droite ligne de notre vocation, c’est l’occasion de corriger de petites choses, de petites bévues qui nous échappent parce que nous sommes chair et que nous sommes extrêmement fragiles et faibles.
Ce que nous pouvons retenir, c’est ce que Saint Benoît nous dit et que j’ai rappelé voici un instant : il convient au disciple de se taire et d’écouter ! Nous sommes venus au monastère, nous y avons été invités et nous nous y sommes établis parce que nous savons instinctivement, ça sort du tréfonds de notre conscience, nous savons que nous sommes appelés à une mission, une mission de service. Nous ne sommes pas ici seulement pour nous comme des embusqués, comme des planqués.
Non, nous sommes ici pour être en première ligne et nous tenir devant Dieu comme le prophète, ce prophète qui nous l’a encore dit à l’Office de nuit. Il n’était rien du tout et voilà que Dieu l’a pris pour le placer devant tout Israël. Et Dieu lui a dit : Tu parleras à mon peuple ! Eh bien, nous devons, nous, nous tenir en face du monde, et nous devons parler au monde, et nous devons parler pour le monde en étant tournés vers Dieu.
Et ce silence ? Ce silence, eh bien regardons ! Nous taire et écouter, c’est la raison pour laquelle nous devons pratiquer le silence dans le monastère, la raison pour laquelle nous sommes dans une solitude. Nous sommes dans un lieu qui est protégé d'une clôture, un lieu qui est séparé du monde tout en étant au milieu du monde et intégré à lui.
Et nous sommes là pour avoir l’occasion de nous taire et de pouvoir écouter dans le silence. Et c’est ainsi que fidèlement, jour après jour, nous permettons à la Parole de Dieu de transfigurer notre cœur et de faire de nous des apparitions de ce que Dieu est, des étincelles de lumière qui savent aimer, qui savent pardonner, qui savent compatir et qui savent aimer. Et ainsi, nous réussirons notre vie parce que nous serons jusqu’au terme de fidèles disciples de la Parole.
Mes frères,
Saint Benoît termine l’allocution qu’il nous adresse ce soir sur un ton sévère qui, pour lui, est définitif. Je pense que nous ne le prenons pas au sérieux ? La Règle de Saint Benoît, c’est un monument, un document qui est réservé à quelques savants, à quelques moines qui n’ont pas autre chose à faire que d’étudier ces histoires, mais ça ne concerne pas le commun, le commun du troupeau.
Et puis voilà, on verra bien ! En attendant, l’Abbé peut toujours parler, c’est son rôle ! Mais ça entre par une oreille et ça sort encore plus vite par l’autre. Et puis, on continue et finalement parfois on le prend en grippe et on voudrait bien qu’une fois il se taise !
Mes frères, je dis ça parce que je crois que c’est ainsi pour certains. Pour l’un ou l’autre d’entre nous ici, c’est comme ça, c’est comme ça ! Oui, haïr son Abbé, le détester, le vouer aux gémonies, ce n’est tout de même pas autre chose que ce que Saint Benoît dit ici en 2,27. Et au terme, mais voilà, ce sera la mort, c’est à dire la condamnation à mort.
A ce moment-là, chacun aura reçu ce qui lui revient. Mais encore une fois je vous le dit, prenons bien au sérieux ce que nous dit Saint Benoît parce que vraiment les choses sont sérieuses et elles sont graves.
Il nous a dit, je l’ai rappelé dimanche, que le moine devait jusqu’au terme de son existence garder une âme de disciple, un cœur de disciple. Et pour cela, il doit être un écoutant. Personne n’est au-dessus de la Règle qui est la Maîtresse de vie du moine. Si on ne la prend pas pour Maîtresse de vie, on n’est pas un moine, tout simplement. On est un intrus dans le monastère. C’est une Maîtresse de vie !
Eh bien, on doit être à son école jusqu’au bout ; personne n’est au-dessus, pas même l’Abbé. Le disciple le plus fidèle, le plus docile, ce doit être l’Abbé ; le meilleur écoutant de la communauté, ce doit être l’Abbé. Et c’est à cette condition-là que les frères peuvent lui faire confiance et écouter ce qu’il dit.
Mais il ne suffit pas, nous dira Saint Benoît aussi, il ne suffira pas d’écouter. Il faut aussi tenir les yeux ouverts. Il ne faut pas les tenir ouverts sur n’importe quoi. Nous n’avons pas des yeux qui filent de tous les côtés pour alimenter le premier degré d’orgueil, comme dit Saint Benoît, qui est la curiosité.
Non, nous avons des yeux pour admirer, pour s’émerveiller ; des yeux qui cueillent la beauté partout et puis qui s’en nourrissent ; des yeux qui ne sont pas, encore une fois, les instruments d’une curiosité malsaine mais plutôt des yeux qui sont aveugles sur le mal ou tout ce qui pourrait conduire au mal.
Il nous faut si nous voulons être de véritables disciples de Saint Benoît, même de véritables chrétiens, il nous faut des yeux d’enfants. Pour ça le Christ, encore une fois, est radical. Si nous n’avons pas ce cœur d’enfant, ces yeux d’enfants, nous n’entrerons pas dans son Royaume. Et ça, il faut bien se le dire, il faut le savoir !
Et s’il nous a appelés dans le monastère, c’est pour que nous puissions passer du stade de la grande personne suffisante, prétentieuse, qui n’a pas besoin d’être instruite et qui doit instruire les autres, donc pour passer de ce stade-là au stade de l’enfant qui est ouvert, qui sait qu’il n’a rien, qui sait qu’il doit tout recevoir ; et puis qui a des yeux naïfs, des yeux innocents qui savent admirer la moindre petite chose.
Il y en a encore un qui est venu ici avec sa maman dernièrement. J’ai eu l’occasion de le voir. Ce petit enfant qui avait cinq ans et demi, mais il s’intéressait à tout. On est allé faire un tour autour de l’étang, mais tout l’intéressait, des choses que nous autres nous ne voyons plus. C’était remarquable !
Eh bien, nous devons être comme ça ! Nous devons avoir un cœur aussi sain, aussi pur que celui d’un enfant. Et voilà, c’est le long et patient travail de l’ascèse monastique. Il faut se prêter à ce travail de purification qui ne peut être pour nous que l’œuvre du Saint Esprit dans notre cœur.
Et Saint Benoît nous dit que nos yeux doivent être ouverts sur quelque chose ou sur quelqu’un. Et c’est, dit-il, sur la deificum lumen, Pr, 25, sur la lumière qui divinise, la lumière qui doit faire de l’homme un Dieu. A quoi bon être un homme parfait si je ne deviens pas un enfant de Dieu ? On ne vient pas au monastère pour être sans péchés, pour être parfait.
Non, on y vient pour être un enfant de Dieu, ce qui est inaccessible aux forces de l’hommes. Il peut simplement s’ouvrir et accueillir. Et pour cela, il garde les yeux sur la lumière qui divinise. Mais cette lumière, quelle est-elle ? Et pourquoi faut-il la regarder ? Eh bien, cette lumière est Dieu lui-même dans sa Trinité.
Je rappelle cette anecdote qui nous a été rapportée par Evagre. Evagre et son ami Amonas avaient remonté le Nil pendant 18 jours pour aller consulter Jean de Nicopolis, le voyant de la Thébaïde, pour lui demander : Mais quelle est cette lumière que cœur commence à percevoir ?
Mais voilà, on ne peut pas donner de réponse, on ne peut pas la décrire parce que cette lumière qui divinise, ce ne peut être que Dieu lui-même. Et le cœur de l’homme, le cœur du moine lorsqu’il est docile, lorsqu’il conserve une oreille de disciple, ce cœur finit par voir cette lumière. Et à ce moment-là, tout peut arriver pour lui, il a franchi un seuil.
Et cette lumière est partout présente et particulièrement elle est présente dans le cœur. Le cœur de chacun d’entre nous est le sanctuaire de la divinité. Et le mouvement qui est attendu de nous, c’est de nous retirer des vanités de ce monde pour entrer dans le lieu du cœur. Ce sont des expressions un peu mystérieuses, oui, se retirer des vanités de ce monde, ça, nous comprenons. Mais entrer dans le lieu du cœur ? Cela signifie, mes frères, acquérir, recevoir la maîtrise de son regard. Les yeux ne s’ouvrent plus sur n’importe quoi !
Les yeux restent ouverts d’abord sur cette lumière qui divinise. Et cette lumière, elle se trouve d’abord dans le cœur. Eh bien, c’est là que les yeux regardent. Et les yeux du cœur qui sont ouverts sur cette lumière ont leur effet jusque sur les yeux physiques. Cela ne veut pas dire que le regard est absent, mais le regard est d’abord, même le regard physique, il est d’abord comme tourné vers l’intérieur.
Rappelez-vous notre frère Gérard, pour ceux qui l’ont connu d’un peu près, rappelez-vous les yeux du frère Gérard ! Eh bien, c’était ça ! Les yeux de son cœur contemplaient une lumière et les yeux de son corps étaient captivés, étaient comme retournés vers l’intérieur.
C’est que voir la lumière de Dieu dans les êtres, dans les hommes, dans les choses, c’est à dire découvrir à partir du cœur, encore une fois ; le cœur étant le ciel de Dieu. Le cosmos tout entier est enfermé à l’intérieur du cœur. On va à la fin de ce mois célébrer le centenaire, surtout dans les Carmels, du décès de Sainte Thérèse de Lisieux. Eh bien elle, elle le savait, elle le disait.
Ce qu’elle faisait dans son petit Carmel, ce qu’elle faisait dans son jardin où elle se promenait, cela avait une répercussion immédiate à l’autre bout du monde parce que tout le monde, le monde entier était enfermé dans son cœur qui était devenu une flamme d’amour.
Mais voilà, mes frères, restons-en là pour ce soir parce qu’il est temps d’aller rendre grâce à Dieu pour tout ce qu’il nous accorde et lui demander pardon pour les faiblesses, les erreurs, les péchés qui nous échappent encore. Mais il est infiniment bon, il est l’amour ; et il est patient, il nous attend toujours. Et il espère que si ça ne va pas aujourd’hui, eh bien, ça ira mieux demain.
Alors, mes frères, essayons de faire notre possible pour ne pas le décevoir !
Révérende Mère, mes frères,
Permettez-moi de revenir sur la magnifique expression de Saint Grégoire le Grand : une découverte, une exclamation, une vérité absolue. C’est sur elle que j’ai terminé ma petite allocution la dernière fois. Je la rappelle : Le ciel de Dieu, c’est l’âme du juste ; le ciel de Dieu, c’est le cœur de l’homme juste !
A l’intérieur de ce cœur, puisque il est le ciel de Dieu, le cosmos tout entier est enfermé. Et la proximité est tellement vraie qu’il n’y a plus d’intervalle entre Dieu, l’homme et l’univers. Tout, absolument tout est unifié dans l’Esprit de Dieu.
Quelle va donc être l’œuvre de Dieu, son soucis ? Eh bien, c’est de purifier le cœur de l’homme afin que ce cœur dans sa totalité, dans tout son espace ne soit plus que son ciel et qu’il y soit chez lui.
Mais alors, mes frères, une conclusion : nous ne devons pas chercher Dieu à l’extérieur de nous. Nous ne devons pas imaginer, penser Dieu comme un objet qui serait extérieur à nous. Si nous faisons cela, il y a grand danger que nous trébuchions dans l’idolâtrie. Non, Dieu est à l’intérieur de notre cœur, là est son ciel. C’est là que nous devons écouter, c’est là que nous devons regarder !
Dieu est lumière, et Dieu est beauté, et Dieu est écoute, et Dieu est voix. Tout cela, c’est une seule et même réalité mais nous la percevons, nous, de manière différente suivant le moment que nous vivons.
Saint Benoît nous demande d’écouter, eh bien, c’est le cœur qui écoute. Il y a une oreille à l’intérieur de notre cœur, une oreille accordée à la voix de Dieu, de ce Dieu qui habite le ciel que nous sommes.
Saint Benoît nous demande de tenir nos yeux ouverts à la lumière qui divinise. Cette lumière, c’est lui-même et cette lumière est dans notre cœur, et ce sont les yeux de notre cœur qui restent ouverts.
Il y a donc Dieu qui entre à travers l’oreille de notre cœur, Dieu qui entre en nous à travers les yeux de notre cœur ; et ainsi, insensiblement il nous transfigure. Il fait de nous une lumière, il fait de nous une voix. Nous ouvrons les yeux pour admirer ou nous émerveiller et non pas pour épier, pour avoir l’occasion de juger. La curiosité s’est éloignée de nous. Et nous ouvrons l’oreille, non pas aux cancans, aux racontars, aux ragots, mais nous l’ouvrons à la Parole de Dieu.
Et si nous ouvrons notre bouche, ce n’est pas pour colporter toutes sortes d’histoires croustillantes sur les uns et sur les autres ; non, si nous ouvrons la bouche, c’est la bouche de notre cœur qui retentit au-dehors, qui résonne au-dehors. Nous l’ouvrons pour la louange, nous l’ouvrons pour la repentance, nous l’ouvrons parce que nous permettons à l’Esprit Saint de s’exprimer à travers nous.
Mais voilà, mes frères, tout ce qu’évoque cette belle parole de Saint Grégoire : Le ciel de Dieu, c’est le cœur du juste ! Alors, nous devons être persuadés d’une chose : nous vivons dans un monde de ténèbres. Nous ne le savons que trop : il suffit d’être un peu introduit dans le monde des affaires, comme nous le sommes ici par la force des choses. Nous devons vivre en symbiose avec le monde. Nous sommes toujours à l’intérieur du monde même si nous n’en faisons plus mystiquement partie.
Si nous sommes un peu instruit des affaires du monde, nous ne savons que trop que c’est un champ de bataille. On ne s’égorge plus maintenant à coups de baïonnettes, ou bien on ne se transperce plus à coup de mitraillettes ou à coups de bombes ? Non, ce qu’on fait ici dans notre monde civilisé, dans notre Europe qui se construit – et c’est un bienfait, cette construction – eh bien, la guerre continue, la guerre entre les hommes, la guerre entre les continents. Et c’est une guerre économique !
Combien de faillites par an dans notre petite Belgique ? Plusieurs milliers chaque années ! Cela veut dire des ruines chez les personnes, dans les familles. Des usines qu’on ferme, pourquoi ? Parce qu’il est plus rentable de faire ça ailleurs où ça coûtera sans doute moins cher ! On ne regarde plus à rien, c’est le plus fort qui l’emporte, c’est le plus malin qui l’emporte !
Eh bien, mes frères, c’est donc un monde de ténèbres ! Eh bien, la lumière qui habite notre cœur, elle est, elle, seule capable de faire reculer les ténèbres. Il faut que notre monastère, il faut que nos monastères soient des lieux d’honnêteté, des lieux de vérité, des lieux de respect, des lieux d’accueil, des lieux où on se comprend, des lieux où on ne fait pas la guerre.
Saint Benoît nous dira que si c’est nécessaire il faudra même vendre à des prix inférieurs à ceux des gens du monde, 57,17. Il faut que Dieu soit glorifié jusqu’à l’intérieur des affaires industrielles, agricoles, commerciales. Eh bien, c’est possible lorsque la lumière habite notre cœur. Et cette lumière crée alors des zones où il y a la vérité, où il y a le respect.
Et n’oublions jamais que nous sommes ici dans la maison de Dieu et que c’est notre devoir d’être lumineux ainsi ; car nous devons projeter notre lumière sur tous ceux que nous rencontrons, qui viennent de l’extérieur et qui sont parfois empêtrés dans des difficultés sans nombre.
Oui, ces ténèbres aussi s’acharnent contre notre cœur, nous ne le savons que trop. La vie monastique est une militia. Saint Benoît nous le dit encore aujourd’hui en 2,52. Nous portons tous les mêmes armes au service du même Seigneur. Nous luttons contre les puissances des ténèbres, mais nous parviendrons à vaincre si nous permettons à la lumière d’envahir tout notre cœur, si nous sommes attentifs à la voix qui sans cesse nous interpelle et nous invite.
Alors bien concrètement, dans le concret de la vie, tout cela se traduit par ce que Saint Benoît appelle l’obéissance. Il faut, il s’agit d’obéir pour se protéger des ténèbres. Obéir, c’est écouter et aussitôt s’adapter à ce qu’on a entendu, c’est à dire obéir. Le but est d’être selon Dieu et non pas selon nos propres règles. Il faut, non pas se régler sur soi, mais se laisser régler par Dieu.
Si nous pouvions procurer à Dieu se bonheur, cette joie d’être ce qu’il rêve de nous. Et ce qu’il rêve de nous, c’est de faire de chacun de nous l’image parfaite de ce qu’il est. Or son image, c’est le Verbe, son verbe qui est devenu homme pour que nous-mêmes nous puissions devenir Dieu.
Eh bien, le rêve de Dieu s’accomplit lorsque ce n’est plus nous qui vivons mais où c’est le Christ, le verbe de Dieu qui vit en nous. Et vraiment à ce moment-là, notre cœur est devenu le ciel de Dieu.
Et voilà, mes frères, voyez ! C’est tout simple, extrêmement simple ! Il suffit de tenir les yeux ouverts à la lumière de Dieu dans sa beauté, et de tenir nos oreilles ouvertes à la voix qui nous appelle, qui nous invite, une voix qui est amour et sainteté.
Mes frères,
Notre Père Saint Benoît est un génie parce qu’il est un saint. Il est un théologien extraordinaire. Il n’a pas écrit de Traités que nous pourrions scruter pour mieux comprendre les mystères du Christ ? Non, il a fait mieux. Il a mis à notre disposition une Règle qui est d’une justesse théologique sans pareille. En voici encore un exemple.
Il nous dit que nous devons ceindre nos reins de la foi et de la pratique des bonnes œuvres, Pr,48. Cela signifie que nos actions sont bonnes lorsqu’elles sont accomplies dans la lumière de la foi. Il y a un échange constant entre la foi et l’agir, une symbiose que rien ne doit pouvoir déranger. La foi s’exprime à travers le concret vécu et la vie n’a de valeur que par la foi qui l’anime.
Il est important de le savoir pour ne pas se fatiguer en vain, pour ne pas perdre son temps et pour ne pas risquer de perdre sa vie. Saint Benoît nous dit quelque part qu’il y a des routes qui paraissent bien droites aux hommes mais dont l’extrémité plonge dans l’enfer. Et il nous dit qu’il y a des actions qui peuvent aussi extérieurement paraître très bonnes mais qui ne sont rien d’autre qu’un aliment de la vaine gloire. Et ces actions-là, elles sont sans valeur !
Oui, mes frères, tout ce que nous faisons ne compte que si nous l’accomplissons dans la lumière de la foi, c’est à dire si nous les faisons parce que Dieu nous le demande. Nous sommes donc toujours avec Saint Benoît renvoyés à l’obéissance, l’obéissance dans le sens noble du mot, c’est à dire une écoute, une écoute attentive, une écoute aimante de la voix de Dieu, de cette parole qui sans cesse chante à l’intérieur du cœur et que l’on reconnaît à l’extérieur dans ce qui nous est demandé.
Le moine doit être un homme d’une souplesse parfaite. Il ne reste pas cramponné à ses idées. Il les abandonne, il les lâche lorsqu’il reconnaît que Dieu, par l’intermédiaire de l’Abbé, par l’intermédiaire d’un frère, par l’intermédiaire d’un événement lui demande autre chose. C’est cela ceindre les reins de la foi !
Nous sommes ici chez Dieu, je l’ai encore rappelé hier. Le but de notre vie, c’est être transfiguré en une image de plus en plus parfaite de Dieu, c’est à dire du Christ qui est Dieu avec nous, di Christ dont notre visage doit refléter la lumière et la beauté.
Il est donc, mes frères, tout à fait aberrant de chercher à faire soi-même sa vie, à suivre les penchants de son cœur. S’il en était ainsi, nos actions je le répète, aussi relevées qu’elles fussent, ne seraient pas bonnes. Pourquoi ? Parce que ne visant pas le but, elles seraient déplacées, donc mauvaises !
Nos actions, je le répète encore, n’ont de valeur que si elles sont animées, portées par la foi ; c’est à dire si elles sont inspirées par Dieu, si nous les recevons à travers une écoute respectueuse, une écoute aimante et si cette écoute met en branle tout notre agir.
Dans le monastère, mes frères, il y a une logique normale mais une logique impitoyable ; c’est la logique de la foi, c’est à dire d’une symphonie avec Dieu, et avec son agir, et avec son projet. Dieu est un chef d’orchestre et chaque moine joue son instrument ; mais il le joue sous le contrôle du chef et en harmonie avec tous les autres. C’est cela la vie monastique dans sa pureté !
Et c’est une action qui ne nous écrase jamais ; au contraire, elle nous ennoblit parce que c’est la vie même de Dieu qui nous soulève, qui pénètre en nous et qui fait de nous tous ensemble un corps qui est une cellule du grand Corps du Christ.
Mes frères, je pense que cette vision, qui est une vision très belle et très juste, elle est encourageante parce que il ne s’agit pas de suivre des observances, il ne s’agit pas d’être carré dans son agir. Non, nous sommes des artistes, nous sommes des poètes et tous ensemble mais chacun à notre place, et toujours sous la mouvance, la motion de Dieu dont l’Esprit est comme à l’extrémité de la baguette de Dieu chef d’orchestre. Donc si ensemble, encore une fois, nous sommes entraînés par ce mouvement de l’Esprit, eh bien, nous réussissons notre vie qui que nous soyons et quoiqu’il nous arrive.
C’est cela la logique de la foi : ça exige un effort, ça exige du courage, ça exige de ne pas regarder en arrière et de ne pas regarder sur le côté mais d’avoir toujours les yeux fixés sur la partition, et sur la baguette de Dieu, sur le doigt de Dieu qui est son Esprit.
Alors, mes frères, c’est cette attitude, c’est cet abandon qui est lié autour de nous comme la ceinture de nos reins, eh bien, c’est la garantie du succès. Et comme le dit Saint Benoît ici : nous verrons Dieu, nous verrons un jour celui qui nous a appelés dans son Royaume, Pr,50. Nous le verrons dans ce Royaume qui a été préparé pour nous avant même la création du monde.
Et voilà, je vous souhaite une bonne fête de la Sainte Croix demain. Nous avons eu de belles Vêpres et nous aurons une belle liturgie demain. Le 14 septembre, c’est une date très importante dans le calendrier monastique, il y a quelque chose qui change. Aujourd’hui on ne le remarque plus guère mais auparavant, ça se marquait très fort. Mais dans notre cœur, il y aura ce désir d’appartenir encore plus à ce Dieu qui nous a appelés de manière à ce que la vie du Christ puisse s’imprimer en nous et que nous lui soyons de plus en plus configurés.
Mes frères,
1. Frère Joël : Depuis le début de l’année séjourne parmi nous le frère Joël. C’est un frère Rédemptoriste, profès perpétuel de cette Congrégation. Nous avons pu admirer sa régularité, sa fidélité à tous les offices depuis les Vigiles jusqu’à Complies. Il est un excellent travailleur. Nos propres ouvriers eux-mêmes le regardent avec admiration. Et puis il est très discret, il ne se fait remarquer nulle part.
Et voilà que le 17 juillet dernier, il m’a adressé cette lettre-ci :
Révérend Père Abbé,
Après plus de 7 mois passé comme hôte de l’Abbaye, mais au cours desquels j’ai pu, grâce à votre accueil charitable, chercher concrètement la volonté de Dieu, je viens vous demander comme je le fais à mon Supérieur Provincial de bien vouloir m’accepter comme familier au sein de l’Abbaye. J’aspire en effet à poursuivre désormais la vie religieuse à l’Abbaye tout en restant canoniquement attaché à la Congrégation du très Saint Rédempteur.
J’ose espérer, Révérend Père Abbé, que vous pourrez m’accorder cette grâce. C’est de tout cœur et dans le désir de servir le Seigneur avec une générosité renouvelée que je vous adresse ma demande. Je tiens de plus à vous remercier ainsi que la communauté pour tout ce que j’ai reçu déjà durant ces 7 mois où j’ai vécu dans une grande paix.
Donc cette lettre, je l’ai reçue le 17 juillet. Le lendemain, j’ai pris l’avis du Conseil et voici le Procès-verbal de cette réunion :
Il y a 7 mois que le frère Joël, frère coadjuteur Rédemptoriste, vit parmi nous. Tous ont pu remarquer les nombreux services rendus, sa discrétion et sa vie de prière. Il désire partager notre vie. Mais âgé de 58 ans, il est né le 2 février 1939, il ne se sent pas capable de vivre pleinement la vie Trappiste.
Désirant toutefois rester religieux, son état actuel, en accord avec son Provincial, il vient de faire sa demande officielle d’être accepté comme familier. Il ne portera pas l’habit cistercien et ne logera pas en communauté. Il quittera toutefois l’hôtellerie et logera dans la chambre opccupée jadis par le frère Benoît à l’ancienne infirmerie.
Il demande à être accepté comme familier, mais attention ! Il faut entendre familier dans le sens où nous l’acceptions autrefois. Nous avons eu Victor, que beaucoup ont connu, comme familier. Mais attention, mes frères ! Victor était ici dans ses meubles. Victor était salarié de l’Abbaye, il avait son salaire mensuel comme les autres. Victor n’était pas religieux.
Pourquoi alors employer le mot familier ? Mais parce qu’il est difficile d’en trouver un autre. On pourrait dire agrégé, on pourrait dire associé. Mais ce statut de familier, tel qu’il est entendu ici, n’est pas extraordinaire à l’intérieur de notre Ordre même s’il n’est pas prévu dans le cadre de nos Constitutions. En fait, c’est une forme d’oblature. Il y a des précédents, entre autre à Westmale.
A l’occasion d’une réunion, notre frère Jacques-Emmanuel a interrogé le Père Abbé de Westmale qui a effectivement confirmé que chez eux il y avait eu deux familiers, entre autre un Père Spiritain qui entre-temps est décédé. Et ces amis font partie de la communauté au même titre qu’un Oblat. C’est une forme d’oblature. Donc voilà quelle serait la situation de frère Joël.
J’ai rédigé un texte de convention a passer entre l’Abbaye, la Province Belgique-Sud des Rédemptoristes et le frère Joël. Cette convention a été lue au Conseil. Je l’ai présentée, et finalement il y a eu un échange de vue et un accord unanime, ceux qui connaissent moins le frère Joël faisant confiance à ceux qui l’ont suivi pendant ces 7 mois.
Je vous donne maintenant la lecture de cette convention qui a été signée hier avant midi par le Provincial qui était venu spécialement. Mais attention ! Cette convention a dû être soumise à l’approbation du Général des Rédemptoristes. Pourquoi ? Parce que les Rédemptoristes sont une congrégation très centralisée. C’est autre chose que notre Ordre.
Dans notre Ordre, chaque maison est autonome. Pas chez les Rédemptoristes : au-dessus il y a le Général et son Conseil qi régente tout même si chaque Province a les coudées franches naturellement. Mais c’est centralisé, toute décision doit être soumise au Général. Alors, celui-ci a marqué son accord sur le texte de la convention en introduisant une petite précision que je vous signalerai au moment voulu ;
Entre la Province Belgique Méridionale de la Congrégation du Très Saint rédempteur, représentée par le Père Boulanger, et l’Abbaye Notre-Dame de Saint-Remy de l’Ordre des Cisterciens de la stricte observance Trappiste, représentée par Dom Hubert, il est convenu ce qui suit :
Le Frère Joël Desauw de la Congrégation du Très Saint Rédempteur poursuivra sa vie religieuse en l’Abbaye Notre-Dame de Saint-Remy de l’Ordre des Trappistes où il sera accueilli en tant que familier.
Donc, c’est familier dans le sens où je viens de l’expliquer !
Frère Joël continuera à appartenir de droit à la Congrégation du Très Saint Rédempteur tout en renonçant à la voix active et passive dans cette Congrégation.
Le texte souligné est l’incise introduite par le Général Rédemptoriste.
Il ne portera pas l’habit des Trappistes. Il obéira à l’Abbé de Saint-Remy comme à son Supérieur. Il partagera la vie de la communauté : Office Divin, Lectio Divina, travail manuel, activités diverses selon les modalités définies par le Père Abbé.
Frère Joël sera pris en charge par l’Abbaye pour tous ses besoins spirituels, intellectuels et matériels. Pour les soins de santé, il sera compté parmi les membres de la section Abbaye Saint-Remy de la mutuelle des religieux de Belgique et l’Abbaye acquittera en son nom les cotisations requises. Lorsqu’il atteindra l’âge prévu par la législation pour la retraite, la rente perçue reviendra à l’Abbaye comme c’est le cas de tous les frères.
Frère Joël aura à cœur de prier spécialement pour la Congrégation du Très Saint Rédempteur.
La présente convention est conclue pour une durée indéterminée et révocable en tout temps mais uniquement pour des raisons graves.
Faite en triple exemplaire, suivent les trois signatures.
Donc, mes frères, à partir d’aujourd’hui, le frère Joël fera partie de notre communauté et, dans le cadre des statistiques qu’il faut remettre à l’Ordre chaque année, il sera compté comme Oblat. Donc c’est de forme oblative, mais arrangée spécialement pour lui. Pour ce qui est de l’assistance aux Offices, il restera toujours à la place qu’il occupe maintenant. Par contre, à partir d’aujourd’hui, il prendra ses repas au réfectoire et il pourrait prendre place à côté de frère Etienne.
Il viendra au Chapitre sauf lorsqu’il y aura des questions plus délicates, par exemple lorsqu’il s’agira de lire la Carte de Visite. Ce qui est normal car alors nous devons être ici vraiment entre nous. Pour ce qui est du travail, il continuera les travaux qu’il fait maintenant. Il est en train de remettre en couleur toutes les fenêtres de l’Abbaye et c’est déjà bien avancé. Et il a du courage, par tous les temps mettre en couleur ! Et il fait ça très, très, très bien !
Voilà, mes frères, nous comptons un membre de plus et j’espère bien que cette semence va porter des fruits, et des germes, et fructifier et proliférer.
Pour ce qui regarde les Rédemptoristes, le Provincial disait hier que chez eux il n’y a plus de novice depuis des temps et des temps. Pour toute la Belgique, ils sont encore une quarantaine, beaucoup de très âgés et il n’y a plus le moindre espoir de recrutement. Par contre dans les pays neufs, le tiers-monde comme on dit, là les noviciats sont bien remplis, mais on ne peut leur demander de venir repeupler ici nos pays, parce que les Cultures, les mentalités, les approches sont tellement différentes. Et puis là-bas, on a besoin d’eux.
Voici réglée la question du frère Joël. Nous rendrons grâce à Dieu et puis nous ferons confiance pour l’avenir.
2. Brassage : Autre chose concernant la brasserie. Auparavant, pour ceux qui ont connu cette époque héroïque et très belle, il y avait toujours à la brasserie, à la salle de brassage, deux ouvriers : il y avait Jules jacquet et Léon Petit, puis Léon Petit et Gunther, et puis Gunther et Patrick Streignard.
Après le départ de Gunther, Patrick est resté tout seul sous la haute vigilance du frère Antoine. Il était jeune et plein d’ardeur. Mais maintenant, il commence tout doucement à prendre de l’âge et il se plaint de fatigues. Il n’a d’ailleurs pas une santé très forte. Il se sent fatigué. Il en a fait la remarque, il a appelé à l’aide et il s’avère nécessaire et utile de remettre à la salle de brassage un second ouvrier. Après avoir parlé, délibéré, réfléchi, prié, j’ai pensé qu’on pourrait initier plusieurs personnes au travail de brassage. Maintenant savent brasser : le frère Antoine naturellement depuis longtemps. Il fait ça quasiment les yeux fermés. Et puis il y a le frère Pierre à l’occasion et Patrick Streignard. Il faudrait initier quelqu’un et je me suis dit qu’il faudrait d’un coup en initier plusieurs de manière à établir un roulement à l’intérieur de la salle de brassage.
Attention ! Je précise qu’il ne s’agit pas ici d’une manœuvre très subtile pour en écarter le frère Antoine. Loin de là ! Frère Antoine demeure le brasseur. C’est lui qui brasse et il brassera toujours, je l’espère bien, jusqu’à…enfin ne faisons pas de pronostics, souhaitons lui une longue, longue vie. Mais enfin on peut mettre des hommes à côté de lui qui peuvent l’aider, et des hommes qui seront à l’aise et qui n’auront pas un poids trop lourd à porter.
Donc, il m’a semblé que le premier qui devrait être initié, ce serait Vital Streignard. Il connaît déjà tout de la brasserie, sauf le brassage ; et ensuite Luc Streignard. Luc est un garçon très fort et puis qui a une intelligence pratique qui est très poussée. Et puis dans le fond, il ne serait pas fâché aussi d’avoir un petit fleuron un peu à sa couronne. Et je me suis dit qu’on pourrait aussi initier le frère Joël qui a accepté. Oui, il le fera bien volontiers.
Maintenant, jeudi après-midi, après None, j’ai donné une sorte de cours à Vital, à Luc, au frère Joël, au frère Etienne sous la vigilance attentive du frère Antoine. Si je disais quelque chose d’un peu de travers, il intervenait pour apporter une précision. Je n’ai rien dit de travers, mais c’était pour apporter une précision. Et tout cela sous la supervision de notre grand savant physicien et mathématicien, le frère Jacques-Emmanuel.
Pourquoi le frère Etienne ? Mais le frère Etienne remplace le frère Jean au laboratoire. Et le frère Etienne, il est tout de même bon de le savoir, n’est tout de même pas le premier venu. Il a fait des études d’ingénieur à l’ETAM, il connaît donc les bases scientifiques et techniques, enfin la chimie et tout ça.
C’est un homme qui sait ! Si bien qu’il est déjà initié depuis quelques jours au laboratoire et le frère Pierre dit que ça va tout seul. Il est très content. Bientôt il pourra là aussi voler de ses propres ailes. Mais il est tout de même bon que travaillant au laboratoire, il sache un peu ce que c’est que la bière et comment on la fabrique. Donc il était là aussi.
Donc on a bien fait tout ça. Tout le monde a été content et à partir de demain, donc déjà lundi, si sa santé est rétablie, frère Antoine va commencer à initier Vital pendant 15 jours. Pendant la première semaine, Vital va travailler avec le frère Antoine qui va bien tout lui expliquer, lui montrer. Et la seconde semaine, c’est Vital qui va travailler sous l’œil vigilant du frère Antoine. Je pense qu’après qinze jours ça pourra aller.
Puis viendra le tour de Luc, même chose ; puis viendra le tour de frère Joël. Et après cela, eh bien, on établira un roulement. Celui qui commence fera ses huit heures puis, c’est un autre qui lui succédera car pour faire un brassin, il faut de douze à treize heures. Et après, celui qui succédera sera le premier et ainsi tout le temps. Et de temps en temps naturellement, chacun brassera dès le début pour ne pas oublier.
Donc, voilà ce que nous mettons en place dans la salle de brassage et je pense que c’est une bonne et excellente solution à tous ces problèmes. Il est bon qu’il y en ait plusieurs qui connaissent le même travail car comme ça on est interchangeable et on ne craint pas la maladie ou l’accident.
Voilà, mes frères, je vous remercie pour votre aimable attention. Et puis, je recommande encore une fois à votre bonne prière le frère Joël et puis tous ceux qui vont devoir s’initier sous la conduite du frère Antoine au travail de brassage qui, vous le comprenez bien, est extrêmement important pour notre communauté.
Mes frères,
Pour Saint Benoît, l’idéal du sage, c’est un homme qui sait écouter. Nous venons encore de l’entendre, c’était implicite dans les conseils que Saint Benoît dispense à l’Abbé. Il doit pouvoir prendre le pouls de la communauté, il doit pouvoir écouter les frères qui s’expriment, non seulement lorsqu’il prend leur avis en communauté mais aussi lorsqu’il entend des remarques qui lui sont faites en privé.
Oui, l’idéal du sage, pour Saint Benoît, est un homme qui sait écouter mais qui ne se contente pas d’écouter. Ce qu’il a entendu éveille des échos prolongés dans son cœur. Et cette écoute met en branle toute la personne : il y a un mouvement qui s’enclenche, il y a une action qui est posée.
Saint Benoît se réfère à la parole du Christ qui dit : Celui qui entend mes paroles et qui les met en pratique, il est semblable à un homme qui a construit sa maison sur le roc. Et puis vous savez tout ce qui suit !
Il s ‘agit donc lorsqu’on écoute de construire sa vie sur une sagesse qui n’est pas de ce monde. Et c’est là le paradoxe et, osons le dire, la difficulté de l’obéissance. La Sagesse de Dieu est identique à l’être même de Dieu. Rien ne peut prévaloir contre elle. L’homme vêtu de cette Sagesse divine peut juger de tout et lui-même échappe à tout jugement.
Mais, encore une fois, c’est là une option qui n’est pas facile parce que nous sommes des êtres repliés sur eux-mêmes et, nous faisons plutôt confiance à notre propre sagesse plutôt qu’à la Sagesse de Dieu. Et nous aurons une multitude de prétexte pour cela car la Parole de Dieu nous est exprimée par la bouche d’un homme, d’un homme fragile, d’un homme qui a ses limites.
Eh bien, nous ne verrons que l’homme parfois et nous penserons que notre sagesse vaut bien la sienne. Nous descendons du niveau, de l’étage de la foi où nous devons toujours demeurer, nous descendons au rez-de-chaussée des considérations purement humaines. Et à ce moment-là, nous décrochons de la réalité, la réalité qui est Dieu lui-même, Dieu qui a son projet, Dieu qui est la Sagesse.
Oui, renoncer à sa sagesse personnelle pour embrasser celle de Dieu, ce n’est pas facile. Mais Dieu nous aide. Et si nous sommes fidèles dans les petites choses qu’il nous demande, nous pourrons être fidèles quand il nous en demandera des plus grandes. Et nous avons tout à gagner !
Car le moine qui sait écouter, il répond à l’attente du Seigneur sur lui. Il lui devient semblable, c’est à dire que ultimement il sera un être de lumière comme Dieu est lumière. L’homme obéissant, l’homme qui sait écouter devient lumière dans la lumière de Dieu.
Il vit, il vit réellement et il a conscience, une conscience très nette, une certitude absolue qu’il est entré dans la vie, dans la vie impérissable, dans une vie qui n’est n’est plus, qui n’est pas la vie biologique. C’est une vie qui est infiniment au-delà. Cet homme est déjà comme ressuscité d’entre les morts. Son corps spirituel qui est en lui devient le plus fort. Il est véritablement vivant.
Tandis que celui qui n’écoute pas, il devient une statue sans vie. Il se pétrifie en idole inanimée, une idole à laquelle il sacrifie tout. Il a des oreilles, il n’entend pas ; il a des yeux, il ne voit pas ; il a une bouche, il ne parle pas ; il a des pieds, il ne marche pas.
Les paroles qu’il dit, ce ne sont pas des paroles de Dieu ; ses pieds courent là où il ne faut pas aller ; ses yeux sont ouverts mais sur la curiosité. Et ses oreilles ? Eh bien, ses oreilles entendent ce qu’elles ne devraient pas entendre. Ce que Saint Benoît nous dit : Il recueillera des paroles qui portent à rire, des paroles qui portent à la dissipation.
Mais cet homme ne vit pas, voyez, il est pétrifié. Dieu peut le secouer, Dieu peut lui envoyer une épreuve, Dieu peut lui tendre la main pour le tirer de ce trou. C’est certain, Dieu ne l’abandonne jamais ! Mais enfin, en attendant, cet homme perd son temps. Oui, car tout ce qui se fait en dehors de cette écoute, en dehors de l’obéissance n’a aucune consistance. Cela n’existe pas, cela relève de la fantasmagorie, c’est pure illusion ! Et cela peut aussi faire beaucoup de mal car ça fonce dans le néant.
Mes frères, écouter, je le rappelle, n’est pas facile. C’est prendre un risque. C’est renoncer à une sagesse humaine, qui paraît solide parfois mais qui sera détruite, pour embrasser la Sagesse de Dieu, qui paraît folie souvent mais qui est porte ouverte sur la vie éternelle.
Alors, nous sommes chacun d’entre nous placés devant nos responsabilités et il faut choisir. Choisis la vie pour que tu vives, est-il dit souvent dans les prophètes. C’est Dieu qui nous a dit cela !
Eh bien choisir la vie, mes frères, c’est écouter, c’est apprendre à écouter ; et puis c’est joindre l’action à l’écoute. Contre un tel homme, aucune tentation ne peut prévaloir car il construit sa vie sur le roc inébranlable de Dieu et de sa Sagesse.
Mes frères,
Pour saisir toute l’amplitude du premier instrument que nous propose Saint Benoît, nous devons le resituer à l’intérieur de son contexte. Le Seigneur Jésus l’a lui-même employé sans l’amputer comme l’a fait Saint Benoît.
Et voici l’injonction que nous devons entendre : Ecoute Israël ! Il s’agit d’écouter. Depuis tout un temps, nous nous appuyons fort sur l’écoute. La qualité d’un homme se définit, je le rappelle, par la qualité de son écoute. Ecouter Dieu naturellement, écouter le Christ, écouter l’Esprit, écouter le chant qui monte du fond de notre cœur, écouter l’harmonie des mondes, écouter la création qui se poursuit et qui s’achève sans jamais s’accomplir.
Il s’agit ici d’écouter, de ne rien faire d’autre qu’écouter. Mais il faut écouter quoi ? Eh bien, il faut écouter la déclaration d’amour la plus belle qui soit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Il s’agit donc d’aimer, et il faut que les moindres parcelles de notre être soient des étincelles, des énergies d’amour qui se dirigent vers Dieu et qui ayant atteint Dieu vont retomber comme une pluie bienfaisante sur tous les hommes et même sur tous les êtres.
Aimer, ce sera donc se mesurer à l’immense et à l’inouï. Et l’amour, c’est la personne même de Dieu. Se livrer à l’amour, ce sera donc se mesurer à Dieu. Et Dieu, c’est l’immense, le sans frontière, le sans limite. Il n’est pas possible d’enfermer l’amour dans des catégories humaines, dans des catégories créées. Non, l’amour dépasse absolument tout ce que nous pouvons concevoir. C’est l’immense, le sans mesure par excellence.
Et Dieu, c’est aussi l’inouï ! Jamais nous n’avons entendu parler de Dieu. Nous ne savons pas qui il esr, on ne nous l’a pas expliqué. C’est impossible d’ailleurs ! Ce que nous pouvons faire, c’est écouter ; et en écoutant, accueillir sa volonté dans notre cœur.
Et à travers cette volonté, à travers les énergies qui se déploient en nous, appréhender quelque peu qui est Dieu. C’est la grande aventure de la vie monastique et ce sont des découvertes extraordinaires. C’est toute la vie spirituelle, toute la vie mystique et toute la vie éternelle.
Aimer, se livrer ainsi à Dieu qui est amour, c’est aussi prendre le large ; c’est se quitter soi-même et partir. Et prendre le large, c’est aussi prendre de l’altitude. Celui qui aime ignore la mesquinerie, les calculs, les comptes d’apothicaire. Il aime et puis c’est tout. Celui qui aime est généreux, chevaleresque, princier. Rappelons-nous les grands mystiques du Moyen Age qui étaient des hommes au cœur sans calcul, au cœur qui ne soupesait pas, au cœur qui s’ouvrait, qui était pure béance et qui devenait un océan. C’était l’époque de la chevalerie.
On pourrait dire, et ce serait très, très, très vrai, très beau si cela se réalisait, que les derniers chevaliers se trouvent aujourd’hui dans les monastères ; des hommes véritablement nobles parce qu’ils se sont donnés à l’amour sans jamais reculer et qu’ils deviennent eux-mêmes des foyers d’où rayonne l’amour. Et l’amour n’avilit jamais ; il ennoblit celui qui aime. Il le rend lumineux, il le rend beau mais il rend beau aussi ceux qui sont aimés.
Voyez, mes frères, tout ce qui est caché à l’intérieur de cet instrument que nous propose Saint Benoît aujourd’hui après le Christ, après Moïse. L’amour n’habite pas chez les hommes frileux. Il requiert des âmes grandes et fières, c’est à dire des âmes humbles, mais humbles à la manière de l’Apôtre Paul, à la manière d’un Saint Jean de la Croix qui se tenait debout en présence de Dieu et qui recevait dans son cœur l’univers entier.
L’amour requiert des âmes possédées par l’appel lancinant à quitter tout pour trouver l’indicible, pour trouver l’ineffable, pour trouver encore une fois l’immense et l’inoui. On ne perd jamais en perdant tout pour l’amour. Pour son amour j’ai tout perdu, disait le saint. Ayant tout perdu, il était arrivé au terme, au terme d’un accomplissement inimaginable au départ.
C’est ce que Saint Benoît nous dira en conclusion de sa Règle, pervenies, 73,26. Si tu sais écouter, si tu sais ainsi t’ouvrir totalement à l’amour, eh bien, tu parviendras, tu arriveras là où tu es attendu.
Et c’est très simple : il suffit de se tenir dans l’amour, sous son souffle, dans sa lumière et la métamorphose de notre être s’opère toute seule. Le seul effort à consentir, c’est à maintenir le cap sur cette lumière, à ne pas quitter la beauté de l’amour, à entrer dans les vouloirs de Dieu, à les accueillir en soi et à les accomplir jour après jour, heure par heure, du mieux que l’on peut.
Et le pire malheur, mes frères, serait de fermer notre fenêtre à l’appel du large et à l’appel de l’altitude. Eh bien, je demande à notre Père Saint Benoît, je demande au Seigneur Jésus et, je demande à celui qui le premier a capté le message, je demande à notre ancêtre, à notre Père Moïse de nous préserver de ce malheur. Et au contraire, de nous ouvrir à ce qui nous est offert de manière à ce que nous puissions ravir de joie notre Dieu, notre Seigneur et tous les saints.
Mes frères,
Si nous voulons y être attentifs, nous remarquerons que tous les instruments déposés par Saint Benoît entre nos mains viennent d’un trésor, d’un trésor d’une richesse inouïe. Et ce trésor, c’est le grand et premier commandement : Aimer le Seigneur Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force.
Ce premier commandement, nous en avons déjà parlé avant-hier, est un noyau de lumière qui éclate en une multitude d’étincelles. Et Saint Benoît détaille à plaisir chacune de ces étincelles. Nous pourrions nous arrêter longuement sur chacune d’elles, mais ce n’est pas possible.
Nous pouvons le faire dans notre privé. On pourrait le faire ici également, mais nous devons peut-être laisser à chacun le loisir de découvrir des choses que lui seul peut voir. Car nous avons chacun nos yeux, nous avons chacun notre regard, chacun notre cœur. Nous recevons chacun notre grâce.
Et c’est pourquoi il serait bon que chacun prenne de temps en temps une de ces étincelles, et puis qu’il l’admire. Elles sont toutes différentes, mais elles sont toutes parentes. Elles sont toutes sœurs car elles découlent toutes de la même source et en expriment les milles et une beautés.
Et cette source, encore une fois, c’est de pouvoir aimer Dieu. Aimer le Seigneur Dieu, c’est cela que dit Saint Benoît exactement. Si nous pouvons vraiment aimer ainsi le Seigneur, nous le désarmons. Je rappelais avant-hier soir que c’était se mesurer à lui. Eh bien, c’est vrai ! Mais il se laisse vaincre. Il est désarmé quand il rencontre quelqu’un qui l’aime vraiment. A ce moment-là, il ne peut pas se retenir de prendre possession de cette personne et de déverser en elle tout ce qu’il est.
C’est alors dans le cœur du moine un trésor fabuleux d’une valeur infinie qui lui est confié, qui lui est remis. Et ce trésor est inépuisable, le Christ l’a dit, cela deviendra en lui une source qui jaillit jusque dans la vie éternelle. Et cette source, elle ne peut jamais se tarir, elle est déjà vie éternelle. Et plus on y puise, plus la source devient puissante. On ne parviendra pas à épuiser cette source à force de s’y abreuver ; au contraire, on en élargit les capacités, le volume.
Et ainsi, mes frères, si nous voyons ces jaillissements d’étincelles à partir de cet amour de Dieu auquel nous nous livrons, nous pouvons dire que le moine est appelé à jouer avec les étoiles, car l’amour de Dieu est un feu d’artifice qui gravit toutes les altitudes, toutes les hauteurs, et puis qui retombe en étincelles. Et chaque étincelle est une étoile.
Maintenant remarquons encore, mes frères, un détail. Saint Benoît dit : Aimer le Seigneur Dieu, Dominum Deum diligere, 4,2. Il ne dit pas amare, il dit diligere. Lorsque nous regardons ce verbe, nous remarquons que le Seigneur Dieu a été l’objet d’un choix. La dilectio, c’est le geste de quelqu’un qui à l’intérieur d’une multitude d’objet en choisit un. Il l’a choisi. Dans ce tracé, il y a aussi en arrière le mot élection. Dieu est l’élu de mon cœur. C’est lui que j’ai choisi et je ne recule pas.
Il y a donc là l’expression d’un sentiment, d’un affectus, d’un affect. On aime Dieu à partir de ses tripes et c’est lui qu’on a choisi. C’est quelque chose qui ne tombe pas sous des analyses de la raison. Le cœur a des raisons que la raison ne connaît pas, disait Pascal. Et c’est ça qu’on retrouve dans ce verbe diligere.
Amare est plus solennel, c’est plus intellectuel, c’est plus en rapport avec la volonté. On pourrait dire que c’est plus humain, et c’est vrai ! On pourrait dire que c’est plus masculin, voilà ! Tandis que la dilectio, il y a une belle petite note féminine.
Eh bien, encore autre chose : il s’agit d’aimer ainsi le Seigneur Dieu. Et rappelons-nous que le Verbe de Dieu n’avait pas retenu jalousement pour lui le fait d’être l’égal de Dieu. Il est l’expression de ce que Dieu est. Dieu se dit à lui-même et dit devant l’univers qui il est : c’est son Verbe. Eh bien, qu’est-ce qu’il a fait ? Il s’est vidé de lui-même, de sa substance, et il est devenu semblable aux hommes, reconnu comme un homme parmi les autres.
Il s’est fait obéissant jour après jour jusqu’à la mort, et la mort sur une croix. Et alors, Dieu l’a souverainement exalté et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom. Si bien que toutes créatures dans les cieux, sur la terre et dans les profondeurs se prosternent devant lui en lui disant : Christ est le Seigneur !
Donc, quand nous voyons ici Saint Benoît qui dit qu’il faut aimer le Seigneur Dieu, nous voyons Dieu le Père, nous pouvons voir la Sainte Trinité, mais aussi et d’abord le Seigneur Christ. C’est lui que nous devons d’abord aimer de tout notre cœur, de toute notre âme, de toutes notre force.
Voilà, mes frères, restons-en là pour ce soir ! Je pense que nous avons de quoi nourrir notre réflexion, notre contemplation et peut-être, ce sera l’occasion pour nous de faire de beaux rêves quelque part dans les étoiles ?
Mes frères,
Permettez-moi de m’arrêter un instant sur ce point. Ayons toujours bien conscience que nous ne sommes pas ici chez nous. Nous sommes chez Dieu, dans sa maison, chez Dieu toujours présent, aimant et agissant. Il travaille dans le secret de nos cœurs : il veut les purifier, il veut en faire des temples de beauté. Et il attend notre collaboration qui est, comme le rappelle le Visiteur, qui est d’abord notre confiance, confiance en sa présence toujours attentive, confiance en son amour qui dépasse tout le concevable.
Et il se fait parfois plus pressant, le Seigneur, comme au temps de la Visite Régulière. Il nous parle plus ouvertement avec une clarté plus grande et, il nous laisse quelques conseils qui sont justesse et vérité. C’est ainsi que nous devons voir la Visite Régulière. Nous ne devons pas penser et encore moins dire que c’est une formalité qui ne rime à rien ! Et de tout ce que dit le Visiteur, penser ou dire : mais voilà, il a été influencé par l’un ou l’autre ! Ce qu’il raconte vient de un tel et alors il ne faut pas en tenir compte, ou alors de loin !
Mes frères, si nous venions à parler ainsi, nous nous établirions en dehors de la foi, d’une vision de foi. Et Saint Benoît nous le dit, la Tradition nous le dit, tout nous dit que la vie monastique en dehors d’une telle vision de foi, elle ne ressemble plus à rien. Celui qui a perdu cette vision de foi, il peut encore être présent corporellement dans le monastère ; mais réellement dans ses profondeurs, il a quitté la vie monastique.
Il faut faire attention ! Lorsque la tentation se présente, eh bien il faut, comme le dit Saint Benoît, en parler tout de suite au Père Spirituel pour l’évacuer, ou bien la chasser soi-même. Mais restons toujours bien accroché à cette vision de foi qui est fondamentale dans notre vie.
Et le Visiteur nous a dit qu’il aimerait insister sur l’importance du soutien mutuel dans la prière. Et c’est là-dessus que je voudrais un instant appuyer. Il s’agit bien entendu de la prière chorale où nous sommes en coude à coude et où le corps du monastère se nourrit et se construit.
Nous avons besoin du soutien fraternel dans l’effort à fournir car l’Opus Dei n’est pas une sinécure. C’est un pensum comme dit Saint Benoît, c’est une charge, c’est un fardeau, c’est un poids ; et nous ne pouvons seul le porter, c’est ensemble que nous le portons.
Et si je m’absente sans motif de l’Office Divin, sans motif sérieux naturellement, eh bien, je prive mes frères de mon aide, une aide à laquelle ils ont droit. Je les affaiblis, je risque de les pousser dans le découragement. Et puis, si je faisais cela, je manquerais à la charité ; je me replierais sur moi et je ferais passer mes aises avant l’amitié due à mes frères.
Certes, il existe des situations où il n’est pas possible d’être présent au chœur. Il y a des problèmes de santé, de santé physique, de santé psychologique aussi, tous les problèmes de santé qui peuvent se présenter. Il y a l’urgence de certains travaux. Il y a des imprévus qui soudain sont là. Toutes ces absences sont légitimes ; elles ne portent pas préjudice à la communauté parce que à ce moment-là Dieu supplée.
Alors, mes frères, soyons toujours fidèles à ce que le Christ attend de nous, à ce que nous attendons les uns des autres.
Mes frères,
Voici deux ou trois jours, j’ai reçu de la maison générale une lettre signée conjointement par le Procureur Général de notre Ordre et le Procureur Général de l’Ordre de Cîteaux. Cette lettre se réfère à une décision du dernier Chapitre Général. Le plus simple est que je vous en donne lecture.
Les Chapitres Généraux des Cisterciens de la stricte observance ont exprimé le désir qu’à l’occasion du neuvième centenaire de la fondation du Nouveau Monastère à Cîteaux se tiennent une réunion des représentants de toutes les branches de la famille cistercienne en vue de suggérer des moyens pour améliorer la communication et favoriser la collaboration entre tous.
Pour ce faire, il a été proposé que la dite réunion rédige une Carta unanimitatis, donc une charte d’unanimité, adressée à tous les Chapitres Généraux, indiquant quelques pistes pour l’avenir.
Donc, une commission se réunira au mois de mars à Cîteaux pour élaborer cette Carta, la soumettre aux Chapitres Généraux des deux Ordres. Ces Chapitres alors essayeront de dégager des pistes communes pour favoriser un rapprochement et construire un avenir d’espérance.
Dans cette perspective, un groupe restreint, mais représentatif des moines et des moniales, a rédigé le texte ci-joint comme base de discussion dans les communautés en vue de proposer un document de travail qui sera discuté et approuvé à la réunion de mars prochain. Bien entendu, il appartiendra à la réunion elle-même de donner au texte définitif son caractère propre, la version présentée ici ne peut être que le début du processus.
On enclenche donc un processus qui trouvera son aboutissement au mois de mars prochain lors de cette réunion générale. Maintenant ils s’adressent à l’Abbé.
Vous êtes invités à présenter ce texte à votre communauté et à en faire une évaluation et ensuite à compléter le petit questionnaire qui suit.
1. J’accepte cet avant-projet pour la réunion générale.
2. Je n’accepte pas cet avant-projet comme document de travail.
3. J’accepte le texte présent moyennant les modification suivantes.
Donc, je dois vous soumettre ce texte. Je l’ai déjà lu et je vous assure que ce n’est pas mal fait. Pour moi, je n’y trouve rien à reprocher. Mais peut-être vous qui êtes des hommes perspicaces à l’esprit critique, vous trouverez encore à améliorer.
Donc ce texte a pour titre : Carta unanimitatis inversitate. Ce n’est plus la Charte de Charité, c’est la Charte d’Unanimité dans la Diversité. Donc il faut voir ici derrière un texte qui pourrait peut-être être éventuellement approuvé tel quel par la réunion du mois de mars prochain. Cette réunion va grouper des représentants et représentantes du Saint Ordre de Cîteaux, de notre Ordre et des bernardines d’Esquermes.
Nous, cisterciens et cisterciennes représentants toutes les différentes branches de la famille cistercienne, nous sommes ici réunis pour célébrer le neuvième centenaire de Cîteaux notre Mère à tous. Nous rendons grâce à Dieu pour le don fait à l’Eglise du charisme cistercien dont nous sommes tous de diverses façons les bénéficiaires.
On pourrait ici, mais dire que nous en sommes aussi responsables. Il ne s’agit pas de l’édulcorer et de le dénaturer. Nous devons le conserver pur et le transmettre dans sa pureté ;
Réfléchissant à cette heure et en ce lieu sur les diverses expressions qu’a connu ce charisme au cours des siècles, nous cherchons à bien discerner la communion profonde qui nous lie tous ensembles et nous voulons réaffirmer notre solidarité et notre volonté de réaliser l’unité spirituelle de la famille cistercienne.
Non pas l’unité canonique, juridique, mais l’unité spirituelle !
C’est ici, donc à Cîteaux, que nos Pères sont venus vivre il y a neuf siècles mus par le désir d’une plus authentique suite du Christ dans la fidélité à la Règle de Saint Benoît. L’Abbé Robert, puis Albéric son Prieur puis successeur quittèrent Molesmes dans la foi avec un petit groupe de compagnon guidés par une vision claire de la vie monastique mais sans savoir quels seraient les fruits de leurs efforts.
Après des années de labeur patient, la nouvelle plante se mit à produire, sous la direction de l’Abbé Etienne, une récolte abondante. Grâce à Bernard de Clairvaux et à d’autres Maîtres de vie monastique, l’expansion géographique de l’Ordre n’eut d’égal que l’approfondissement de sa spiritualité.
La première chose à faire, c’est de remonter aux sources, de bien situer l’origine de ce grand mouvement cistercien. C’est ce qu’on s’efforce de faire aussi dans les recherches œcuméniques. On essaye toujours de retrouver la racine commune et, à partir de cette racine, de réfléchir sur les différentes branches qui se sont développées ; et essayer de comprendre pourquoi certaines branches sont entrées en conflit.
C’est cela le travail des historiens, c’est le travail aussi spirituel que je pense tous les chrétiens, et ici il s’agit de tous les moines, doivent opérer. Il y a donc une origine commune et alors, pourquoi, pourquoi ces divergences? C’est la fatalité de l’histoire sans doute !
Le projet de réforme qui animait les fondateurs incarnait les aspirations les plus profondes de leurs contemporains.
Si cela n’avait pas été vrai, ils n’auraient pas rencontré un tel succès !
Les premiers cisterciens désiraient être pauvres avec le Christ pauvre et vivre en conformité substantielle avec la Règle de Saint Benoît, libres de tout ce qui pouvait être un obstacle à une vie cachée au service de Dieu.
C’est le désir qui hante encore notre cœur, que nous essayons toujours d’incarner dans notre société d’aujourd’hui malgré les difficultés que l’on peut rencontrer. L’époque de la fondation de Cîteaux était tellement différente de la nôtre que nous nous ne pouvons à peine maintenant l’imaginer. Il faudrait pour cela être retourné dans des pays, et encore dans des pays qui émergent aujourd’hui un peu de leur chaos. Mais voilà, c’est difficile de l’imaginer !
C’est pourquoi, nous ne devons pas rêver d’un retour aux sources, un retour matériel car de toute façon nous serions à côté de la vérité parce qu’il n’est pas possible de vivre aujourd’hui matériellement comme on vivait à l’époque de l’origine.
Pour sauvegarder l’intégrité de ce charisme, le premier collège d’Abbés promulgua la Charte de Charité qui donna à l’Ordre sa structure et procura aux communautés locales des instruments efficaces de sollicitude pastorale et d’adaptation continue.
A partir de ce moment, les Chapitres Généraux se réunirent réguliè-rement pour réfléchir sur l’état de l’Ordre et prendre les mesures pratiques nécessaires pour corriger les abus et assurer le bien spirituel des moniales et moines cisterciens.
Au cours de cette longue histoire, l’Unité envisagée par la Charte de Charité fut souvent compromise. Les troubles sociaux, impliquant un déclin général de la ferveur durant les 14° et 15° siècles, empêchèrent l’assistance aux Chapitres Généraux et conduisit à la formation de Congrégations nationales.
Une telle évolution, même si elle offrait la possibilité de réformes locales en réaction contre la détérioration de l’observance monastique, mettait en péril l’unité de l’Ordre. Au 16° et 17° siècles, répondant à des situations locales différentes et à divers courants de spiritualité, les observances commencèrent d’acquérir des identités distinctes.
Donc, non seulement au plan juridique, mais aussi au plan beaucoup plus profond de la vie : cela devenait des Ordres différents. Et d’ailleurs le malheur s’est produit.
Malheureusement cela conduisit souvent à des rivalités et à des hostilités. En 1892 ce mouvement aboutit à la division de l’Ordre en deux entités séparées.
Ce fut une décision du Saint Siège. Les trois Congrégations qui se réclamaient de la Trappe ont été réunies pour former un Ordre distinct de tout le reste et, c’est la situation d’aujourd’hui.
Eh bien, nous en resterons là pour ce matin. Demain ou plutôt le premier jour libre, nous continuerons cette lecture, cette présentation. Est-ce que vous avez des remarques à faire sur ce qui vient d’être présenté ?
A mon sens, c’est un texte qui est tout de même bien fait. Il a été bien réfléchi. Il reflète bien la vérité. Il n’est pas compliqué. Il dit les choses telles qu’elles sont.
Une toute petite remarque, mais attention, ce n’est pas une critique ni rien du tout ! Mais c’est pour montrer l’évolution du vocabulaire et l’évolution dans l’esprit. Remarquez qu’on parle de la fidélité à la Règle de Saint Benoît. Saint Benoît, alors qu’après on n’utilisera plus le vocable saint. C’est l’Abbé Robert, c’est l’Abbé Albéric, c’est l’Abbé Etienne, c’est Bernard de Clairvaux. On ne dit plus Saint Bernard de Clairvaux.
Cela ne veut pas dire qu’ils ont été jetés bas de leur piédestal. Ce n’est pas une nouvelle révolution, mais c’est une nouvelle façon de voir les choses. Et je me demande si ce n’est pas un peu une influence du mouvement œcuménique où, du côté Protestant, on ne parle jamais du mot saint. On dira Bernard de Clairvaux, mais on ne dira pas Saint Bernard.
Ce sont, voilà, un signe des temps. Nous verrons ce que cela représentera en l’an 2000 et au-delà !
Nb 11, 25-29 * Jc 5, 1-6 * Mc 9, 38…48
Frères et sœurs,
Les paroles que nous venons d’entendre, qu’elles soient du Seigneur Jésus ou de l’Apôtre Jacques, ont de quoi nous secouer. Nous ont-elles atteints ? Nous ont-elles touchés ? Nous portent-elles à la réflexion ?
Pour les comprendre dans leur sens profond et pour en expérimenter vraiment toute la puissance, nous devons les distiller dans la lumière toute crue de notre destinée ultime. La mort biologique ne marquera pas le terme de notre existence. Nous sommes promis autant que nous sommes à la vie même de Dieu au cœur de son mystère, au creux de l’amour qu’il est.
Si nous sommes ici ce dimanche, c’est parce que nous le croyons, c’est parce que le Seigneur ressuscité est au centre de nos vies. Mais nous sommes des êtres instables, fragiles et nous pourrions très bien nous assoupir, nous endormir, nous laisser distraire et même nous laisser tenter par des valeurs purement terrestres. Nous avons besoin sans arrêt d’être tenus en éveil.
L’esprit est subtil, il est enthousiaste mais la chair est faible. Et c’est pourquoi aujourd’hui le Seigneur Jésus veut nous éveiller. De même l’Apôtre Jacques avec son tempérament, lui, frappe encore plus fort. Il nous invective.
Mais en contrepoint de ces malédictions, car ce sont d’authentiques malédictions, nous voyons se dessiner le portrait du véritable disciple. Depuis l’irruption de l’Esprit Saint sur la toute première Eglise, nous sommes devenus un peuple de prophètes et le souhait de Moïse s’est réalisé.
Chaque chrétien, oui, devrait être un prophète pour son temps. U prophète, c’est à dire un homme habité par l’Esprit Saint ; un homme vivant sous la motion de l’amour et non pas entraîné par les pulsions de ses convoitises ; un homme juste en toutes ses voies et non pas un individu tortueux dans toute sa conduite ; un homme doux, patient, miséricordieux, compatissant et non pas un être dur et intraitable, un être injuste.
Nous devons, chacun à notre place, être une apparition, une révélation du Royaume de Dieu. Nos contemporains ont plus que jamais besoin de repères fiables qui leur rappellent leur vérité d’homme, leur véritable vocation. Oui, leur vocation d’homme appelé à un autre bonheur que le bonheur qui peut être distillé en eux par l’assouvissement de leurs désirs.
Nous devrions être des hommes, des femmes possédant en elles la clef d’un autre univers, un univers où régnerait la vérité, l’amour et la justice. Et cette clef, nous devrions pouvoir la distribuer à tout le monde. Mais hélas, il y en aura toujours qui refuseront car ils préfèrent une autre clef. Mais cette autre clef leur ouvre les portes d’un esclavage dont ils ne pourront malheureusement pas sortir seul.
On a parfois l’impression que notre monde se meurt d’inanition spirituelle. Il y a trop de misères, trop de crimes, trop de souffrances, trop de malheurs aussi, trop de corruption. Nous en sommes abreuvés presque chaque jour. Nous apprenons des choses qui nous étonnent, des choses qui parfois nous font peur, des choses qui, à la limite, nous feraient douter de tout le monde.
Mais alors, nous du moins, nous qui nous glorifions d’être des disciples du Christ, nous qui avons reçu le germe de l’Esprit Saint, nous, soyons du moins dans notre petit cercle, notre cercle familial, notre cercle professionnel, notre cercle communautaire, soyons du moins des hommes, des femmes de droiture, de vérité, d’honnêteté et de lumière.
Soyons des personnes sur lesquelles on peut s’appuyer, des personnes sur lesquelles on peut construire. Oui, essayons d’être cela et, de proche en proche tout peut changer car la contagion du bien est plus puissante que la contagion du mal.
Le Christ nous charge aujourd’hui de prendre des options cruciales. Il nous le dit : mieux vaut sacrifier son œil, mieux vaut sacrifier sa main, mieux vaut sacrifier son pied si tout cela nous entraîne vers le mal, si tout cela nous pousse sur une route dont le fond s’enfonce, dont l’extrémité se perd dans les profondeurs de la géhenne !
N’allons pas naturellement nous éborgner, nous amputer ! Mais s’il y a des choses qui nous paraissent extrêmement précieuses mais qui nous sont absolument pernicieuses, n’ayons pas peur de nous en séparer. Nous en serons plus libres, nous en serons plus beaux, nous en serons plus vrais. Et un avenir, un véritable avenir s’ouvrira devant nous, pour nous et pour tous les hommes.
Oui, faisons le bon choix, le choix de la vie de Dieu en nous, le choix de l’amour inconditionnel, le choix de la communion des saints !
Et pour en revenir aux invectives de l’Apôtre Jacques, la justice sociale est solidement établie dans nos sociétés occidentales, c’est vrai ! Mais elle est toujours perfectible. Il y a des hommes qui s’y attellent chaque jour pour qu’il y ait sans cesse une croissance de la justice dans notre société.
Mais il y a une justice au-delà de toute justice, et c’est l’amour. Et cet amour doit se manifester à travers nous par de petits gestes de rien du tout qui ne nous coûtent rien : un sourire, un regard, une parole qio font comprendre aux autres qu’ils sont nos frères. Et n’oublions pas qu’il y a une immensité de régions où l’arbitraire et le despotisme règnent encore en maître.
Mais si nous sommes ce que nous devons être, c’est à dire de véritables disciples du Christ, des enfants de Dieu, des prophètes du Royaume, à partir de nous, dans l’invisible, il se passera quelque chose à l’extrémité de la terre. Nous ne le verrons peut-être pas maintenant ? Mais un jour, lorsque nous aurons atteint en toute réalité le Royaume de Dieu, nous contemplerons le bien qui se fait à partir de quelques petites personnes qui vivent dans la vérité de leur vocation chrétienne.
Ces jours-ci, nous allons célébrer, nous rappeler cette petite fille qui fut la plus grande sainte des temps modernes : Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Elle disait : la petite chose que je fais, le petit pas que je fais a un retentissement à l’autre bout du monde. Elle le savait, elle le vivait.
Eh bien, frères et sœurs, que cet exemple nous encourage et quie la puissance de la résurrection agissant en chacun de nous puisse finalement chasser bien loin toutes les injustices.
Amen.
Mes frères,
Nous allons ce soir poursuivre la lecture du projet de Charte qui sera présenté aux Chapitres Généraux de tous les Ordres Cisterciens en son temps et, qui devra être mis au point et achevé à Cîteaux au mois de mars.
Depuis plus d’un siècle, nos Ordres ont fait des fondations sur tous les continents. Moines et moniales ont cherché à exprimer leur charisme d’une manière adaptée à la Culture locale et ouverte à des authentiques valeurs spirituelles.
Les communautés monastiques ont été ainsi conduites à s’impliquer dans la mission ecclésiale du dialogue avec les autres traditions religieuses. Dans quelques cas, des cisterciens et cisterciennes ont été appelés à témoigner de l’Evangile dans la persécution et même jusqu’au martyr.
C’est surtout le cas en Chine pendant la guerre et immédiatement après.
Aujourd’hui, la famille cistercienne est composée de divers Ordres et Congrégations juridiquement autonomes. A l’occasion de ce neuvième centenaire, nous voulons réaffirmer notre héritage commun et nous engager tous ensemble à vivre les valeurs permanentes de la réforme cistercienne.
On va maintenant détailler quelles sont ces valeurs permanentes, donc ce qui est en-dessous, le soubassement au-dessus duquel peuvent fleurir des diversités qyui en soi doivent être enrichissante pour l’Ordre comme tel.
Nos Pères désiraient avant tout une vie substantiellement conforme à l’Evangile aussi bien pour eux-mêmes que pour ceux qui viendraient après eux. Aujourd’hui, nous affirmons de nouveau que les Ecritures sont au cœur de la vie monastique à la fois comme guide de vie et comme source de prière.
Nos Fondateurs envisageaient des communautés cisterciennes n’ayant, sur le modèle des Actes des Apôtres, qu’un esprit et qu’un cœur, possédant tout en commun dans la disponibilité à tout partager au sein de la communauté, avec les autres monastères et avec les pauvres.
Il s’agissait ici des biens matériels. Donc en communauté, tout appartient à tout le monde. Comme le prescrit Saint Benoît, personne ne peut dire qu’un objet quelconque est sa propriété. Mais nous devons aussi être disposés à partager avec les autres monastères. Donc il y a une entraide mutuelle qui était prévue dès l’origine de l’Ordre. Et puis naturellement le partage avec les pauvres.
Aujourd’hui, nous sommes appelés à avoir un sens plus large de l’Ordre et à partager non seulement nos biens matériels mais aussi nos ressources spirituelles. Cela se manifeste déjà dans l’apparition de communautés de laïcs associés à tel ou tel monastère et vivant selon la grâce cistercienne.
Je vous l’ai déjà dit, c’est le cas aux Etats-Unis. Voici encore un exemple de partage de biens matériels avec un autre monastère : c’est notre maison-mère d’Achel. Le frère Paul-Michel doit de nouveau s’absenter deux jours en France et puis, de là, remonter sur Achel car Dom Marc lui demande encore de nouveaux services. Il a de nouvelles idées pour l’aménagement de son église et il a demandé au frère Paul-Michel de vouloir bien le conseiller en la matière et, même de lui procurer les matériaux nécessaires.
Voilà une façon de partager un savoir qui est disponible chez nous et qui ne l’est pas à Achel. Mais ça va coûter tout ça ! Et ce n’est pas notre pauvre maison-mère qui pourra payer tout ce que nous allons devoir acheter. Voilà un exemple bien concret dans lequel nous sommes engagés.
L’élément le plus sensible de la réforme cistercienne était l’insistance sur l’observance intégrale de la Règle de Saint Benoît. Aujourd’hui, nous sommes invités à nous adonner à une lecture sérieuse de la Règle en vue de son application concrète dans la vie tant de chacun des moines et moniales que de la communauté.
Vous m’êtes témoins que c’est cela que je m’efforce de faire depuis tant et tant d’années : voir comment vivre notre Règle de Saint Benoît aujourd’hui, dans le contexte d’aujourd’hui. Ce n’est pas toujours facile. Mais voilà, nous devons nous efforcer à vivre sérieusement notre Règle, l’essentiel de notre Règle aujourd’hui. Et nous devons alors transmettre ce dépôt à d’autres, à ceux qui viendront après nous.
En particulier, les premiers cisterciens se sentaient appelés à une grande simplicité de vie et à une austérité radicale.
Tout ça est peut-être difficile à imaginer pour nous aujourd’hui ! Ceux qui ont déjà un certain âge, qui ont vécu dans les campagnes, surtout les campagnes ardennaises, savent ce que c’est que de vivre sans électricité, sans eau courante, sans allocations familiales, avec des semaines officielles de 48 heures.
Pendant la guerre, quand j’étais là-bas dans le cantonnement en France, il y avait là avec moi un jeune garçon qui avait 17 ans et qui travaillait encore 14 heures par jour. Un contexte pareil, nous ne pouvons plus l’imaginer aujourd’hui !
Alors, quelle était l’austérité de vie des gens du monde à l’époque dans les campagnes ? Mais c’était tout naturel que ça se trouve dans les monastères. Aujourd’hui, nos santés n’y résisteraient pas longtemps.
Aujourd’hui ce fondement, dans une société complexe et technologique, nos communautés ont à chercher le moyen d’éliminer le superflu de leurs biens et d’éviter les tentations de la société de consommation.
Les tentations de la société de consommation ! Là aussi c’est tellement difficile ! Tout est relatif, les besoins d’aujourd’hui, les besoins des jeunes d’aujourd’hui et même des moins jeunes ! Ces besoins sont là, on ne peut pas les contourner. Ils s’imposent même s’ils étaient encore hors de portée il y a 40, 50 ans. Mais voilà, comment évaluer la chose ? Comment éviter les tentations de la société de consommation ?
Je me rappelle – je l’ai peut-être déjà dit ici – nous sommes à la fin du mois de septembre. Donc, je suis en train de collationner tous les comptes pour l’ASBL. Je vois les comptes du cellerier par exemple, puis les comptes de la brasserie, puis les comptes de la caisse. Je vois tout ça et il y a des lignes et des lignes, des choses et des choses. Je détaille.
Eh bien, il y a de ça 50 ans à peine, les dépenses de tout un mois y compris le salaire des ouvriers, ça prenait çà d’inscription dans un registre. Voyez un peu ! Pour aujourd’hui, c’est invraisemblable et pourtant c’était ainsi ! On vivait en autarcie, on produisait tout ici. On n’achetait jamais de souliers, ils étaient fabriqués ici. Tout se faisait sur place et on n’avait besoin de rien, quelques petites bricoles peut-être ? Mais pour un mois de dépenses, pour la communauté il y avait 5 à 7 cm d’inscrit ! Vous direz que c’est invraisemblable et pourtant c’était ainsi !
Et aujourd’hui, ce sont des listes ! Et aujourd’hui, ce n’est pas du gaspillage, et ce n’est pas du superflu, et ce n’est pas céder aux tentations de la société de consommation. Ce sont les besoins d’aujourd’hui !
On avait besoin d’une paire de chaussures, mettons ! Aujourd’hui, on va chez Ballaux, ou je ne sais pas où ? Mais quand les chaussures étaient faites sur place, elles duraient déjà longtemps. Mais avant de faire une nouvelle paire, on allait voir dans celles de ceux qui étaient morts pour voir s’il n’y en avait pas une qui allait aux pieds. C’était comme ça ! Frère Antoine s’en rappelle peut-être ?
Voilà, mes frères, on vivait comme ça mais, on vivait comme ça dans le monde aussi. On ne dépensait presque rien. Un bon ouvrier à la fin de la guerre gagnait 4 F de l’heure, 30 F pour une journée. Et aujourd’hui, il faut aller dans les pays du tiers-monde pour trouver des salaires pareils.
Cela se fait encore maintenant de redonner des habits des défunts par exemple. Mais attention, je pense que tout le monde ne serait pas d’accord parce que, voilà, chacun a son idée là-dessus.
Mes frères,
Il va de soi que ce soir nous allons quelques instants contempler la figure de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Voilà déjà cent ans qu’elle est morte, voyez comme le temps passe vite ! On a l’impression, quand on la connaît, que c’est arrivé hier, que ça vient d’arriver, oui, et que nous allons pouvoir nous rendre à ses obsèques.
Sainte Thérèse, durant les années vingt à cinquante environ, a été la coqueluche de l’Eglise. Il y avait pour elle un engouement inouï. On la connaissait par l’Histoire d’une âme, par des peintures, des reproductions de la peinture que sa sœur avait faite. Sainte Thérèse se trouvait partout.
Il y avait une grande part de sentimentalisme dans cette ferveur. La vie de Thérèse semblait un roman, mais un roman vrai, tragique et beau. Et puis, chacun se sentait encouragé par son contact, meilleur. Elle avait dit qu’elle passerait son ciel à faire du bien sur la terre. Eh bien, elle en faisait.
Après la guerre, l’esprit critique s’est éveillé. On a voulu en savoir davantage sur elle, sur sa famille, sur le Carmel où elle avait vécu durant neuf années. Et puis, on réclamait autre chose que l’Histoire d’une âme. On a donc commencé à publier ses écrits à elle.
Et on a très bien fait les choses car ils étaient mis à la disposition du public sous forme originale, sous forme de photocopie. On pouvait voir l’écriture de Thérèse. Il n’était pas possible de tronquer ses écrits ; ils étaient là et on pouvait entrer directement en communion avec elle.
Et on a aussi scruté la vie du Carmel, de son Carmel à son époque. Et on a appris ainsi qu’elle avait durant de longues années vécu sous l’autorité d’une Prieure qui était une névrosée. On a aussi vu comment elle réagissait vis-à-vis de ses sœurs. Elle est morte alors que cette fameuse religieuse était Prieure.
Elle avait eu comme Prieure un petit temps sa sœur aînée mais voilà, Dieu a arrangé les choses pour qu’elle mourut sous l’autorité d’une Prieure qui n’était pas tout à fait juste dans sa tête.
Et aujourd’hui, tout ce qu’on voulait savoir est épuisé et, l’intérêt pour celle qu’on appelait la petite Sainte s’est peu à peu apaisé. L’année dernière, je pense, ou déjà un peu l’année d’avant, ses reliques ont été promenées à travers la France, à travers la Belgique aussi. Mais il faut dire que ce ne fut pas l’explosion d’enthousiasme et de ferveur qui se serait produite si l’événement s’était passé dans les années trente.
Et maintenant, réfléchissons un peu ! Le contexte économico-social et même religieux a énormément changé en cent ans et, nous pouvons nous poser une question : comment Thérèse aurait-elle vécu aujourd’hui, dans un Carmel d’aujourd’hui ?
Eh bien, à mon avis, elle aurait vécu fondamentalement de la même manière car son intuition spirituelle avait fait d’elle une prophétesse. Elle était des décennies si pas des siècles en avance sur son temps.
Même aujourd’hui, nous ne réalisons pas ce qui s’est passé dans ce petit Carmel : nous sommes habitués maintenant aux actes de Thérèse, nous sommes habitués à entendre les échos d’une spiritualité qui est parfaitement vraie, parfaitement belle. D’une certaine manière, nous l’avons faite nôtre mais à l’époque de Thérèse, c’était une véritable révolution.
Et cela s’est fait dans l’inconnu. Ce n’est qu’après sa mort que l’explosion a eu lieu. Mais cette explosion-là s’est d’abord produite à l’intérieur du cœur de Thérèse et à partir de là, je pense bien pour toute l’éternité, elle va diffuser ses ondes partout dans l’univers.
Je pense aussi qu’à notre époque où l’homme maîtrise de plus en plus puissamment tout l’univers matériel et même l’univers psychologique, on pénètre jusque dans les profondeurs les plus obscures de l’homme. Aujourd’hui, on va de l’infiniment grand à l’infiniment petit. Et il me semble qu’à l’intérieur de cette ambiance nouvelle et extraordinaire, nous avons un besoin très urgent du message de Thérèse de Lisieux.
Car pour elle, la meilleure façon de grandir et de conquérir, c’est de redevenir pur, simple et confiant comme un tout petit enfant. Si Dieu nous appelle dans le monastère, c’est pour nous permettre de parcourir ce chemin, de toucher à une beauté qui est cachée à l’intérieur de notre cœur et qui demande à s’épanouir et à porter des fruits : devenir un tout petit enfant.
Il ne s’agit pas de sombrer dans l’infantilisme mais de devenir ce que Dieu est. Car le grand enfant, le grand innocent, le grand pur, le grand confiant, c’est Dieu lui-même dans la Trinité de ses Personnes. C’est là que Thérèse est entrée et c’est là qu’elle nous invite, et c’est là qu’elle nous attend, et c’est là qu’elle nous aide à arriver. Saint Benoît ne nous dit rien d’autre quand il dresse devant nous l’échelle de l’humilité.
La route à parcourir est longue et pourtant elle est extrêmement courte. Lorsqu’on entre dans l’univers de Dieu, dans le monde de l’Esprit, les paradoxes ne cessent d’affluer. Dieu est infiniment loin, mais c’est lui qui est le plus proche ; il est plus proche à nous-mêmes que nous le sommes.
Mais nous sommes empêtrés par ce que Saint Benoît appelle les vices des pensées. Nous sommes secoués par des peurs et sans cesse nous tentons de nous protéger. Nous protéger des autres d’abord ; nous protéger de nous-mêmes aussi alors qu’il suffirait de se laisser porter bien simplement par l’Esprit de Dieu afin de devenir ce que nous sommes vraiment, des enfants de Dieu, des dieux bien réels.
J’ai eu le privilège, la grâce presque de voir un petit garçon de 14 mois. Frère Pierre l’a vu aussi. Eh bien, ce petit garçon était d’une confiance quelque chose de renversant. Il n’avait peur de rien. Il était gentil, tout innocent, tout pur, de si beaux yeux et de si beaux gestes. Et voilà, j’ai pensé à ce moment-là, je pense même que je l’ai dit : Voilà ce que nous devons devenir si nous voulons entrer dans le Royaume de Dieu. Eh bien, c’est cela le message de Thérèse !
Nicodème disait : Mais enfin, quand on est vieux, comment peut-on naître à nouveau ? Et le Christ lui disait : Ce n’est pas difficile, il te suffit de naître de l’eau et de l’Esprit. Et à ce moment-là, tu seras un homme nouveau, tu seras un enfant de Dieu, et tu seras beau et il ne te manquera jamais rien.
Eh bien, mes frères, demandons à la petite Thérèse de nous ouvrir le cœur et les yeux afin que nous comprenions et que nous fassions, et que son message devienne la règle de notre vie. La lecture de l’Evangile d’aujourd’hui nous l’a encore rappelé. C’est une Parole du Christ, c’est une Parole de Dieu ; il est impossible de tourner autour, elle est devant nous. Si vous ne devenez pas comme de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume de Dieu.
C’est net, n’essayons pas d’y échapper ! Lorsque nous arriverons, nous devrons montrer notre carte d’identité. Et s’il est écrit dessus : petit enfant, alors la porte s’ouvrira. S’il est écrit un grand homme, la porte restera close et on dira : Ecoutez, attendez, ce que vous n’avez pas fait sur terre, eh bien, vous allez le faire maintenant dans des conditions autrement difficiles.
Donc voilà, mes frères, avec confiance, avançons sur cette route !
Mes frères,
Nous allons terminer ce soir la présentation de la Charte de l’unanimité dans la diversité qui nous est proposée par une commission mixte et même triple : cisterciens des deux Ordres et Esquermes.
En particulier, les premiers cisterciens se sentaient appelés à une grande simplicité de vie et à une austérité radicale. Aujourd’hui, dans une société complexe et technologique, nos communautés ont à chercher le moyen d’éliminer le superflu de leurs biens et d’éviter les tentations de la société de consommation.
Il y a ici une expression qui me paraît un peu déplacée : éliminer le superflu comme si on éliminait des toxines, comme si habituellement nous vivions dans le superflu ? Encore une fois, la frontière est difficile à délimiter. Plutôt que superflu qui a un sens péjoratif, ce serait peut-être plus indiqué de parler de surplus. C’est une question de nuances.
En ce moment d’action de grâces, nous, membres de la famille cistercienne, sommes unanimes dans notre volonté de nous rapprocher les uns des autres.
Pour vous donner un exemple de ce qu’était l’esprit il y a une trentaine d’année, au début des années soixante, le Père Abbé Général du Saint Ordre de Cîteaux était venu, s’était présenté à la Maison Généralice de notre Ordre pour présenter ses vœux de Noël et de nouvel an. Eh bien, l’Abbé Général n’a pas prétendu qu’on lui ouvre la porte et il a pu retourner !
C’était comme ça allait à l’époque ! Oui, ça allait ainsi. Voilà, c’était comme ça et ça a bien changé.
La grâce sans précédent de cette synaxe nous donne l’espoir et la détermination de faire ensemble tout ce qui peut être fait ensemble, d’être unis dans la prière et de nous assister mutuellement dans l’expression de la richesse du charisme cistercien en sa diversité.
C’est un éventail d’une extrême ampleur ! Vous avez l’Abbaye de Berchem, par exemple, où ils sont encore trois ou quatre dans le monastère lui-même, mais il y en a qui sont curés dans les paroisses environnantes, titulaire de la paroisse. Et ce sont des cisterciens aussi ! La différence alors, le fossé avec nous ! Malgré tout, il faut pouvoir se rencontrer, se parler, être unis dans la prière et s’assister mutuellement.
Nous demandons donc à nos Chapitres Généraux respectifs, et à ceux et celles qui ont charge de leur préparation, de prévoir une coopération dans des domaines tels que le liturgie, la formation, l’étude du patrimoine cistercien, les réunions conjointes de Supérieurs et la collaboration au sein de diverses aires géographiques.
Donc, ce seront les Chapitres Généraux qui devront encourager cette forme de rencontre !
Peut-être serait-il utile d’établir une commission inter-congrégations ?
Car du côté du Saint Ordre, il y a beaucoup de Congrégations Cisterciennes, mais qui sont unifiées. Il y a un Abbé Général commun.
…une commission inter-congrégations ayant pour tâche de faciliter la communication, le dialogue et la collaboration entre les diverses branches.
Maintenant écoutez ceci, c’est autre chose !
De plus, les monastères d’une branche pourraient être jumelés avec des monastères d’une autre branche pour favoriser leur rapprochement.
Imaginons un jumelage entre Rochefort et ValDieu. Ce serait d’autant plus, comment dire ça ? d’autant plus bienvenu qu’aujourd’hui même on a inauguré et béni la brasserie du ValDieu à l’intérieur des murs de l’Abbaye. Oui, oui, oui, les voici brasseurs maintenant !
Donc vous voyez, s’aider comme ça sur le plan brassicole ? Donc jumelage, on parle de jumeler. Cela se fait entre communes. Je ne sais pas avec quoi Rochefort est jumelé. Il est jumelé avec une localité, mais laquelle ?
Le temps est peut-être venu aussi d’envisager une fonction créatrice au sein de la famille cistercienne dans la préparation et la réalisation de nouvelles fondations.
Donc, on pourrait imaginer que Rochefort et ValDieu étant jumelés travaillent à une seule et même fondation quelque part en Asie. Imaginons ça ! Ce sont de très grands pas qui peuvent favoriser un rapprochement et une communion des esprits et des cœurs ; et puis finalement, peut-être un jour, la reconstitution d’une unité au plan juridique.
Daigne Marie, Reine du ciel et de la terre et Mère de Cîteaux, nous aider à réaliser l’unité pour laquelle son Fils a prié et qu’aujourd’hui nos communautés désirent si ardemment.
Voilà, mes frères, je pourrais vous demander ce que vous pensez de ça ? Mais moi, je trouve que c’est bien. C’est un très beau texte qui dit les choses telles qu’elles sont, qui ouvre des espoirs pour l’avenir. Une petite chose ou l’autre pourrait être précisée ou modifiée, mais je pense que c’est bien. Cela peut être un document de travail sur lequel devront plancher les experts au mois de mars de l’année prochaine. Alors un texte définitif et commun serait présenté aux trois Chapitres Généraux.
Mais voilà, mes frères, une toute petite chose que j’avais oublié de vous dire la dernière fois à propos de la simplicité de vie telle qu’elle était pratiquée, ici, auparavant, que moi j’ai connue encore. C’est au plan des soins de santé.
Eh bien, le médecin venait lorsque quelqu’un était malade. Il faisait une prescription magistrale et c’est le pharmacien de l’Abbaye, c’est à dire un frère de l’Abbaye, qui faisait les préparations. J’ai été moi-même pharmacien pendant tout un temps. Il fallait préparer des petites pilules, puis des potions dans des bouteilles. Et je pense que je n’ai jamais tué personne ? Voilà comment cela fonctionnait !
Maintenant pour les soins dentaires, le dentiste venait sur place. Il y avait une fraise qui était manœuvrée au pied par le dentiste. Et voilà, il vous travaillait comme ça ! C’était ainsi !
Et alors une opération chirurgicale, elle se faisait ici. Moi-même, étant novice, j’ai du subir une petite intervention chirurgicale ici même à l’Abbaye dans un lit de l’hôtellerie telle qu’elle était alors. La simplicité !
Mais on pourrait très bien rêver du retour d’une simplicité pareille. C’est un peu romantique, c’est un peu bucolique, mais est-ce que ce serait encore admis aujourd’hui ? Est-ce que vous risqueriez le coup d’être opéré ici ? Voilà, dans quelles conditions d’hygiène et tout. Pourtant alors c’était partout comme ça ! C’est pour vous dire, voilà, moi j’ai connu ce temps-là ; j’en ai été, pas la victime, mais enfin !
Et alors, lorsqu’il a fallu réformer la brasserie, la remettre en route et mettre au point un laboratoire, Dom Félicien s’est dit : Celui-là, il a bien fait comme pharmacien, mais il ferait bien aussi de la bière. Et c’est comme ça que ça fonctionnait. Et c’est ainsi que j’ai eu la responsabilité de la brasserie et de monter un laboratoire.
Donc, voilà la simplicité de l’époque ! Et je suis certain que nos premiers Pères vivaient encore plus simplement que cela. Mais voilà, aujourd’hui, je pense qu’il ne faut pas rêvasser au passé et qu’il faut voir les choses telles qu’elles sont maintenant ; et telles qu’elles sont, il est possible de pratiquer une saine pauvreté.
Tout ça, c’est une question évidemment personnelle, de choix personnel, d’option personnelle et de vivre avec les moyens qui sont les nôtres aujourd’hui. Il y a même des choses, et ça le frère Marc doit le savoir mieux que quiconque, des choses qu’on ne trouve plus aujourd’hui dans le commerce. C’est fini, on n’en trouve plus et on est obligé de prendre des produits d’aujourd’hui.
Voilà, mes frères, ayons une petite pensée pour ceux qui préparent ces documents et pour notre part, essayons de vivre dans la mesure du possible, et selon nos moyens et nos capacités, la pureté de notre vocation.
Mes frères,
Le mois d’octobre nous rappelle que vivent à nos côtés des saints, des saintes dont le bref passage sur notre terre a marqué de façon définitive le visage de l’Eglise. Je pense à Sainte Thérèse de Lisieux, à Saint François d’Assise, à Sainte Thérèse d’Avila. Ce ne sont pas des étrangers ; ils vivent, comme je viens de le dire, à nos côtés. Nous ne leur sommes pas indifférents. Ils désirent rendre notre cœur semblable au leur ; ils désirent nous tenir la main et nous emmener là où ils sont.
Nous ne sommes pas suffisamment attentifs à leur présence. Nous sommes distraits par toutes sortes de futilités parce que nous les considérons comme des devoirs plus urgents. D’abord vivre, dit-on, et puis réfléchir ! Non, l’essentiel c’est d’être dans leur société, c’est d’entrer toujours plus profondément dans leur communion.
La vie monastique est un apprentissage de cette communion à une immensité qui doit, non seulement nous ravir, mais qui doit devenir notre lieu. Il faut que notre cœur devienne, comme était le cœur des saints, le sanctuaire de Dieu ; un cœur qui enferme en lui la totalité de l’univers.
Il est dit que Saint Benoît avait eu un jour la vision de l’univers enfermé dans un rayon de lumière. Eh bien, c’est cela qui doit devenir notre vision habituelle. Il ne s’agit pas ici de choses qui vont au-delà de notre vocation, non, c’est jusque là que Dieu veut nous élever. Et c’est ainsi que vivaient les trois saints qui se trouvent toujours à côté de nous et que le mois d’octobre rappelle à notre attention.
La vie monastique consiste à libérer en nous des espaces où l’amour pourra jaillir en rayons ininterrompus de lumière. La petite Thérèse avait un cœur dont la luminosité atteignait les confins du cosmos. Elle le savait, elle le croyait, elle l’expérimentait, elle le vivait. Il n’était pas nécessaire qu’elle resta plus longtemps sur terre, elle avait en quelques années atteint les sommets de la sainteté.
Nous autres, je ne veux pas dire que nous sommes plus paresseux, mais notre route est différente. La route de chacun est éminemment personnelle. Nous ne devons pas envier notre voisin, nous ne devons pas envier ces saints et ces saintes. Non, soyons ce que nous sommes et soyons-le pleinement. Et pour ça, permettons à l’amour de Dieu de dilater notre cœur.
Chacun de nos renoncements, chacune de nos oblations doit devenir un chant d’admiration, un chant de louange, une hymne de joie, une hymne de fête. Le terre à terre le plus banal en sera transfiguré. Nous pourrons alors comme Sainte Thérèse d’Avila sentir Dieu et sa vie palpiter en nous. Nous le sentirons aussi palpiter dans l’univers. Ce fut le cas de François d’Assise.
Un frère parmi nous – pour ne pas le faire rougir devant tout le monde, je ne citerai pas son nom – me disait pas, plus tard que hier, la joie qu’il avait de contempler la beauté de la nature, la beauté de la création, une fleur, un oiseau, un rien. Mais tout ça emplissait son cœur de reconnaissance et de joie.
Eh bien, ce frère malgré tout ses défauts, heureusement qu’il en a, heureusement que chacun de nous avons nos défauts, eh bien ce frère, j’en suis certain, il n’est pas loin du cœur du Christ, pas loin de ces saints dont nous faisons mémoire au cours de ce mois. Encore une fois, mes frères, ça ne veux pas dire qu’il faut le canoniser, loin de là ! Mais enfin, il est sur la bonne route et la vie monastique agit en lui.
Eh bien, Dieu est déjà tout en toutes choses au regard pur de l’amour. C’est lui que nous devons admirer dans la beauté des êtres, c’est lui que nous devons chanter. Ce serait si encourageant si notre regard reflétait sans arrêt la beauté qu’il contemple, ce serait un encouragement pour chacun. Et encore une fois, c’est là que nous devons arriver, c’est là que l’Esprit veut nous conduire, c’est là que nous escortent les saints et les saintes.
Et il est une personne qui a réalisé à la perfection cet idéal, et c’est la Vierge Marie. Elle est la première des saintes, elle en sera aussi la dernière, pas dans l’ordre du classement mais parce qu’elle fermera la marche. Elle nous ouvre la route et elle la ferme. Elle enveloppe tout en elle. Et c’est à l’intérieur de son cœur que nous grandissons et que nous parvenons à notre taille adulte, notre taille adulte qui est la sainteté.
Voilà ce que nous pouvons méditer dans notre cœur en ce mois d’octobre et particulièrement aujourd’hui en notre jour de récollection. Et puis, permettons à toutes ces merveilles de s’incarner parfaitement en nous !
Mes frères,
Si nous jetons un regard rétrospectif sur l’échelle dressée par Saint Benoît pour permettre aux moines d’accéder au Royaume de Dieu, nous remarquons des choses surprenantes, quasi scandaleuses. Nous observons dans la personne du moine qui s’engage sur cette échelle des colorations plutôt négatives.
J’en rappelle quelques-unes. Il est dit que le frère doit se soumettre à un maior, 7,91, un homme qu’il estime supérieur, qu’il estime plus grand que lui. Et il doit en tout se soumettre à ce que cet homme décidera pour lui.
Il est dit qu’il devra embrasser des choses dures, des choses contraires, des choses qui le contrarient. Il devra se contenter de toute extrémité, de toute pauvreté, de toute vilitate, 7,131, de tout ce qu’il y a de plus bas, de plus commun. Il devra se trouver maladroit, incapable, indigne de se trouver dans le monastère.
Et finalement, lorsqu’il arrivera au sommet de l’échelle de l’humilité, il se verra du haut en bas, dans toutes ses profondeurs et dans toutes ses superficies, immergé dans le péché.
Alors, nous pouvons nous poser une question : l’exercice de l’obéissance dans des conditions difficiles, le fait de s’en remettre totalement à un autre n’entraîne-t-il pas finalement une détérioration du psychisme et un avilissement de la personnalité ? N’y a-t-il pas là de quoi détruire un homme, de le réduire à l’état d’objet ? N’est-ce pas à cela que visaient les techniques misent en œuvre dans les camps de concentration, ou dans certaines prisons, ou dans certains milieux, des techniques qui visent à l’anéantissement de la personne ?
Mes frères, si on veut porter sur la vie monastique et son déroulement pratique le regard d’un homme charnel, d’un homme du monde, eh bien, nous devons donner raison à toutes les questions qui se sont dressées, que j’éveille ici devant vous. Nous aurons encore un exemple bien frappant aujourd’hui dans le récit évangélique :
Voilà un jeune homme plein de bonne volonté, un jeune homme qui observe la Loi du seigneur dans tous ses détails et de tout son cœur. Et voilà que ce jeune homme voudrait bien posséder en plénitude la vie éternelle, la vie impérissable, la vie au cœur même de la divinité.
Et Jésus alors lui fait une remarque. Il lui propose une chose qui fait reculer le postulant et qui le met en fuite. Il lui dit : Eh bien, si tu veux la vie éternelle, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, réduis-toi à rien, sois un homme qui ici bas sur terre n’a plus aucune sécurité matérielle, et puis alors, viens et suis-moi ! Que toute ta vie soit accrochée à ma personne. Et alors, si tu demeures dans cette vision jour après jour, tu entreras avec moi dans la vie éternelle, car la vie éternelle, c’est moi !
Mes frères, tout ce que Saint Benoît nous propose de pénible dans la vie monastique, ça revient à ce que le Christ proposait à ce jeune homme. Et remarquons que saint Benoît dit aussi au quatrième échelon de l’humilité : non lassescat vel discedat, 7,97. Il ne faut pas se lasser, il ne faut pas reculer, il ne faut pas partir ! Pourquoi ? Mais parce que c’est dans la persévérance que se trouve la vie.
Oui, mes frères, nous devons sur notre vie porter un regard clair, un regard pur ; nous ne devons jamais nous arrêter ni nous bloquer sur les apparences. La vie monastique est un phénomène d’ordre surnaturel même si elle se présente sous un jour naturel. Il faut, encore une fois, percer les apparences. Le moine monte insensiblement mais sûrement de la terre au ciel. Il passe de l’obscurité à la lumière.
Et au fur et à mesure qu’il quitte le monde des hommes et approche de l’univers de Dieu, tous ses points de référence se modifient. Il ne voit plus ce qui lui arrive, il ne le voit plus à la manière des hommes ; il le voit du point de vue de Dieu, de Dieu qui à sa manière à lui est en train de le purifier, est en train de le transfigurer, est en train de le diviniser.
Voilà, mes frères, le petit message que nous pouvons accueillir aujourd’hui. Dès qu’on s’approche de Dieu, il y a comme un fossé qui s’élargit et qui se creuse sans fin et sans mesure. D’un côté se trouve Dieu dans son infinie pureté, mais aussi Dieu qui est amour et rien qu’amour.
Et de l’autre côté de ce fossé, il y a l’homme avec ses passions, avec ses vices, avec ses peurs, avec ses péchés, avec tous ses manquements ; et alors l’homme qui par le meilleur de lui-même est déjà introduit dans cet univers de Dieu alors qu’il est encore malgré tout dans son corps de chair. Il y a en lui comme un distancement qui fait que certaines choses peuvent encore lui paraître dures et pénibles.
Mais voilà, mes frères, encore une fois la vie monastique, c’est la sequela Christi, oui, vraiment ce que le jeune homme riche aurait dû faire. Et cette sequela Christi, même si elle passe par une authentique crucifixion, elle débouche tout de même sur la joie inextinguible de la résurrection.
Voilà, mes frères, le petit message de ce soir !
Mes frères,
Remarquons une fois encore l’insistance de Saint Benoît sur le nombre de douze psaumes qui doivent être dits au cours des Vigiles nocturnes. Pourquoi ce nombre douze ?
Les Anciens avaient beaucoup plus que nous le sens de la symbolique des nombres, les Anciens dans toutes les Cultures. Et ce besoin de vivre dans un univers de symboles était pour le monde Judéo-chrétien basé sur une constatation du Livre de la Sagesse : que Dieu avait tout créé avec mesure et avec nombre.
Jusqu’au Moyen-Age, on a été très attentif à la richesse du fameux nombre d’or. Et c’est sur lui, d’après les règles de ce nombre, d’après les jeux multiples de ce nombre qu’étaient construits les édifices voués au culte.
Aujourd’hui, on s’efforce de retrouver cette symbolique, du moins les poètes, les artistes, les vrais artistes. Mais pour Saint Benoît, les choses allaient de soi, pour lui, pour ses disciples et pour toute l’Eglise.
Mais que signifie justement ce nombre 12 ? Eh bien, remarquons, je l’ai déjà expliqué mais il est toujours utile de le rappeler, et puis il y a des nouveaux qui ne sont pas encore initiés. Donc, 3+4, une addition, nous donne le chiffre 7 ; et 3x4, une multiplication, nous donne le chiffre 12.
Le chiffre 3 exprime Dieu et son univers. Dans l’Ancien Testament et cela pendant des siècles, Dieu se révélait par sa Parole, par sa Sagesse et par son Esprit. Je ne vais pas reprendre les textes hébreux, ils sont connus pourtant. Ces termes ont été repris, traduits en grec textuellement. Et dans le Nouveau Testament, nous trouvons à nouveau le chiffre 3 qui nous donne la plénitude de la révélation sur Dieu. Dieu est Père, et Fils, et Saint Esprit.
Le chiffre 4, de son côté, représente le monde des hommes. Les quatre éléments primordiaux constituent l’univers : la terre, l’eau, l’air et le feu. Vous allez penser que c’est assez rudimentaire ? Pour nous, les physiciens d’aujourd’hui, c’est infiniment plus complexe. Mais enfin, pour les Ancêtres, c’était ainsi ! Et pour nous, gens très simples, nous adoptons leurs manières de voir et de sentir.
Il y a aussi les 4 vents, il y a les 4 tonnerres, il y a les 4 fleuves du paradis. Il y a les 4 animaux qui portent le char de Dieu. Ils ont une face d’homme, une face de lion, une face d’aigle et une face de taureau, 4 faces.
Maintenant le chiffre 7, 3+4, signifie l’union des deux univers, de l’univers de Dieu et de l’univers de l’homme. Ils sont dans la continuité. Le monde le l’homme est porté par le monde de Dieu. L’homme vit par Dieu et il vit pour Dieu. C’est tout le mystère de la création, de l’évolution, de la destinée finale de chaque homme et de l’humanité dans son ensemble. Il y a donc une société entre l’homme et Dieu.
Nous aurons ainsi près de nous les 7 sacrements qui nous permettent de vivre cette alliance avec Dieu. Il y a les 7 Esprits de Dieu ou les 7 dons de l’Esprit Saint répandus sur toute la terre. Et tout ça pour marquer qu’il y a une continuité entre l’univers de Dieu et l’univers des hommes.
Maintenant, si nous pouvons user d’une image, nous pouvons nous représenter l’univers de Dieu comme un trépied – toujours ce chiffre 3 – et ce trépied porte un quadrilatère. C’est ce que nous verrons dans l’Apocalypse où nous voyons Dieu, la Jérusalem Nouvelle qui descend d’auprès de Dieu. Et cette Jérusalem est en forme de cube. C’est extraordinaire ! Vous voyez toute cette symbolique !
Pour nous, nous nous demandons : mais pourquoi la Jérusalem doit-elle avoir la forme d’un cube ? Mais ça va de soi ! Pour les Anciens, ça allait de soi, elle ne pouvait pas avoir une autre forme que la forme d’un cube. Elle descendait d’auprès de Dieu et elle apparaissait au regard étonné et ébloui du voyant de l’Apocalypse.
Maintenant le nombre 12, c’est 3x4. Ce n’est pas ici une juxtaposition ; c’est une compénétration, une interpénétration qui va jusqu’aux frontières de la fusion. Il n’y a plus d’un côté Dieu et de l’autre côté le monde matériel, mais il y a un dans l’autre. Et tout cela se réalise par l’Incarnation du Verbe de Dieu. Dieu a crée l’univers par sa Parole et il l’anime par son Esprit. Et voilà que la Parole, le logos est entré dans la matière. Il l’a épousé, il est devenu chair, il est devenu homme. Cela ce marque, cela ce signifie par le nombre 12.
Lorsque le Verbe de Dieu voudra étendre à l’humanité entière le don de sa personne, il enverra 12 apôtres. En souvenir d’une autre alliance, une alliance bien réelle, déjà des épousailles entre Dieu et un Peuple cette fois-ci qui s’étaient concrétisées quelque par dans un désert au Sinaï : Dieu d’un côté et les 12 tribus de l’autre qui maintenant étaient comme mariés et ne pouvaient plus se séparer.
Mais avec l’avènement de Jésus, du Christ, là ça se réalise mais poussé à son extrême limite. Nous avons devant nous un homme qui est Dieu. Les épousailles sont vraiment ici poussées, conduites à leur perfection. Alors, grâce à ça, l’homme participe à la nature de Dieu.
Nous comprenons maintenant que la destinée ultime de l’homme, c’est la divinisation. Dieu connaît l’homme parce que l’homme devient Dieu. Il connaît Dieu par l’intérieur de lui-même. Il n’est pas à distance de Dieu pour le contempler, pour l’adorer, pour l’aimer ? Non, il est devenu avec Dieu un seul esprit. Et finalement au terme de l’Histoire, l’univers entier sera assumé en Dieu. Dieu sera tout en toute chose. Et tout cela est signifié par le nombre 12.
Voilà, mes frères, nous pouvons nous en souvenir ! Dans la tradition chrétienne, judéo-chrétienne et dans la tradition monastique, rien n’est laissé au hasard. Et avant de toucher à un des éléments de cette tradition, nous devons toujours être extrêmement prudents car nous pouvons laisser se perdre des trésors.
Ici, grâce à Dieu, nous avons conservé ce trésor des 12 psaumes à l’Office de nuit. Cela peut parfois nous paraître un peu lourd, un peu long ? Je ne sais pas ? Mais non pourtant, une heure est tellement vite passée.
Mais gardons à la mémoire cette beauté du chiffre 7 d’abord où on est avec Dieu. Il est notre compagnon de route, il est celui qui nous appelle, celui qui nous guide. Jésus l’a dit : Je suis la porte, je suis le berger, je suis le Rabbi, je suis le Maître. C’est moi que vous devez écouter, personne d’autre !
Et puis plus loin alors, nous avons le nombre 12 où alors Dieu entre en nous, il prend possession de nous. Il nous transfigure, il nous métamorphose, il fait de chacun de nous des enfants qui partagent sa vie. Le sang même de Dieu circule en nous. Encore une fois, c’est un sang divin, c’est un sang d’une autre nature que le sang matériel, mais c’est tout de même le sang de Dieu qui bat dans notre cœur.
Et tout cela, mes frères, nous devons nous le rappeler. Cela ne veut pas dire que cela doit devenir une obsession, mais enfin savoir que tout cela est inclus dans cette symbolique du nombre 12.
Mes frères, ma sœur,
Nous remarquons que Saint Benoît s’attarde longuement sur la structure qu’il entend donner à l’office Divin. Il y consacre une bonne dizaine de chapitres de sa Règle. Il entre dans tous les détails, il entend que l’Opus Dei soit exécuté avec soin. Il fixe des règles bien précises et il enchâsse l’Office dans un groupe d’observances qui conviennent à la vie monastique.
Il y a le travail manuel : les moines doivent vivre de leur travail ; la Lectio Divina : ils doivent se laisser pénétrer de la Parole de Dieu qui est sanctifiante, qui est purifiante ; le monastère doit baigner dans une atmosphère de silence, d’un silence habité par lui et à l’intérieur duquel il nous invite pour que nous puissions le rencontrer.
Saint Benoît et ses contemporains vivaient dans un univers de symboles qui nous est devenu bien étranger aujourd’hui. Je vous ai parlé dernièrement de la symbolique du chiffre 7 et du nombre 12. Remarquons que s’il demande 12 psaumes pour l’Office de nuit, il en place 7 à l’aube, 3 aux petites Heures et 4 aux Vêpres. Il ne veut pas sortir de ce schéma symbolique de 3, de 7, et de 12.
Il veut, je pense aussi, nous entraîner plus loin. Mais alors, nous entrons dans un univers qui nous est aujourd’hui absolument étranger. Il veut que la vie du moine, grâce surtout à l’Office Divin, soit en harmonie avec le mouvement des 7 planètes et des 12 constellations. Et ce souci n’était pas seulement propre à Saint Benoît, il était général et, on le trouve même dans le monde islamique.
Aujourd’hui, on a mis les pieds sur la lune, on a déposé un vaisseau explorateur sur la planète Mars, on a démythifié tout ça. Et pourtant, pourtant vous savez que la pleine lune empêche certains humains de dormir. Certains, par contre à la pleine lune s’enfonce dans un sommeil parfait, meilleur qu’en autres temps.
Eh bien, Saint Benoît et tous ses moines étaient très sensibles à tous ces mouvements cosmiques. Ce qu’il a voulu faire ici dans la structure de son Office, je vous l’ai déjà expliqué il y a de cela déjà bien des années, ce qu’il a donc voulu, c’est nous faire revivre, nous faire parcourir chaque semaine et même chaque jour les étapes de la Vigiles Pascale.
Car la vie du moine, c’est descendre avec le Christ dans une kenose qui n’est pas voulue pour elle-même mais qui doit être le tremplin vers une ascension qui alors projette le moine jusque dans le cœur même de la Trinité. C’est le mouvement de la Vigile Pascale ! On est plongé avec le Christ dans sa mort pour participer en plénitude à la gloire de sa résurrection. C’est le mouvement de la vie monastique et tout, dans notre vie, est organisé en vue de cette réalité qui est la plus belle qui soit.
Il ne faudrait pas – attention, il y a un piège ! – il ne faudrait pas que les Observances, l’Office dans tous ses détails, le travail, la Lectio, enfin tout ce qui fait notre vie bien concrète, il ne faudrait pas que cela devienne une fin en soi. Non, les Observances qui nous saisissent du matin jusqu’au soir et auxquelles nous nous soumettons de très bon gré, ces Observances doivent nous disposer à la grâce de la contemplation ; elles doivent nous ouvrir à ce cadeau splendide et nous permettre, lui permettre plutôt qu’il déploie en nous toutes ses potentialités, toute sa beauté.
Les Observances ne sont pas une technique non plus, comme le pourrait être le Yoga ou le Zen. Non, les Observances sont plutôt l’expression concrète d’une attente, d’une attente amoureuse. On attend que se révèle pleinement celui qui nous a appelés à partager sa vie.
Les Observances sont ainsi l’expression d’un choix préférentiel affirmé avec toujours plus de force ; elles disent aussi notre décision de ne jamais regarder en arrière. Les Observances nous portent, elles nous poussent en avant, elles nous obligent à tenir les yeux dirigés vers le but qui est la rencontre de Dieu.
Et puis, les Observances font que notre vie entière chaque jour et à longueur d’années, que notre vie monastique est une immense et magnifique liturgie. Elle est un service. Saint Benoît le dit aussi, elle est un pensum servitutis, 50,10. C’est donc l’obligation que nous avons librement assumée d’un service. Et ce service, c’est le service de Dieu.
Et comme ce sont des détails bien concrets, nous pouvons saisir les Observances comme marquant, indiquant le réalisme de l’Incarnation. Le Verbe de Dieu s’est incarné dans notre chair, dans notre matière. Et nous, en mettant notre corps, et notre esprit, et notre cœur au service de la grande liturgie cosmique, en entrant dans le concret des Observances avec tout notre être, nous marquons, nous professons et nous confessons l’Incarnation de Dieu.
Ce sont des aspects qui peuvent parfois nous échapper mais qui sont pourtant très beaux et qui sont encourageants. Les observances ne sont jamais fermées sur elles-mêmes, elles débouchent toujours vers l’extérieur et, elles sont toujours, toujours en relation avec une personne. Et cette personne, c’est la personne de Dieu, c’est la personne de Dieu devenu homme et que nous rencontrons dans chacun de nos frères, et même dans tout ce qui nous est demandé.
Maintenant Saint Benoît, lui, qui est tout de même un excellent pédagogue, dans sa Règle, il nous parle du contraire. C’est tout au début où il nous dit qu’il existe un genre de moine détestable entre tous, 1,15 ; ils n’ont jamais été éprouvés par la pratique d’une Règle, à la grande école de l’expérience, 1,17.
Ils n’ont donc pas d’Observances, mais ils vivent sans Pasteur, renfermés dans leur propre bergerie et non dans celle du Seigneur, 1,22. Leur unique loi, c’est la satisfaction de leurs désirs ; ils tiennent pour saint tout ce qu’ils pensent ou préfèrent et regardent comme illicite ce qui leur déplaît, 1, 25.
C’est exactement la contrepartie de notre vie qui est tissée, qui est portée, qui est enrichie par une multitude de petites Observances qui nous conduisent et qui nous solidifient.
Ma sœur, mes frères,
Hier soir, nous avons durant quelques instants contemplé la structure de notre vie monastique telle que l’a ordonnée notre Père Saint Benoît après déjà toute une longue tradition. Nous avons vu que par elle, nous étions entraînés dans un processus de transformation car on ne peut pas vivre de manière insensible en accord constant avec la volonté de Dieu. Et cette transformation qui s’opère, c’est une authentique conversion.
Il faut entendre conversion dans le sens premier du mot : une volte-face, un tête-à-queue. Au lieu de vivre replié sur soi, on apprend à vivre tourné vers les autres : tourné vers Dieu d’abord dont on recueille avec soin les moindre volontés, et puis tourné vers les autres dans lesquels la foi nous permet de percevoir la personne même du Christ qui a dit : ce que vous avez fait, ce que vous faites au moindre d’entre les miens, c’est à moi-même que vous le faites !
La vie monastique est donc une conquête sur les pulsions narcissiques qui habitent les profondeurs de notre inconscient. Et ces pulsions sont paralysantes, elles sont défaisantes, à la limite elles peuvent être mortelles. Car à vivre selon ses désirs, selon ses instincts, on finit par étouffer à l’intérieur de ceux-ci.
Ils deviennent nos maîtres et on ne vit plus. On n’accède jamais à la liberté qui doit être le propre d’un fils de Dieu, un propre de tout homme. J’entends la liberté intérieure qui nous permet d’aimer et d’aimer avec toujours plus de délicatesse et de force.
Nous comprenons mieux à partir de là l’importance d’une vie commune tissée d’observances. Ce n’est pas seulement une sorte de règlement de police qui nous permet de maintenir l’accord entre nous pour qu’il n’y ait pas d’accident, comme il faut un règlement de police pour régler la circulation en ville. Non, c’est autre chose ! C’est une sollicitation permanente à ce que j’appelais une conversion : être attentif aux autres et cesser d’être toujours à se regarder.
Et ce qui disparaît alors, c’est la peur, la peur de l’autre. Il est dit dans une Epître de Saint Jean que l’amour chasse la crainte. Et Saint Benoît affirme que au sommet de l’échelle de l’humilité, tout ce qu’on observait, tout ce qu’on faisait auparavant par crainte, tout cela c’est fini, 7,181. On le fait parce qu’on trouve dans la volonté de Dieu un attrait délectable qui comble le cœur et qui rassasie la chair. Et c’est là que nous conduisent les Observances quand elles sont bien comprises et bien suivies.
Elles constituent donc l’ossature et la musculature de la vie monastique. Elles font partie de notre être de moine et sans elles, nous n’existerions pas. Je rappelle ce que Saint Benoît nous disait hier : Ces hommes qui prétendent servir Dieu mais qui vivent selon leurs désirs, la satisfaction de leurs passions, ces hommes sont des menteurs. Ils mentent à Dieu. 1,20.
Eh bien nous autres, en étant fidèles à ce que la Tradition, à ce que Saint Benoît, à ce que nos Pères nous proposent, en étant fidèles à tout cela nous entrons et nous nous établissons à l’intérieur de la vérité, et une vérité qui nous rend libres.
Mais attention ! Ces Observances ne constituent pas la vie monastique. Elles sont le corps, elles sont la matière à travers laquelle s’exprime et se manifeste une âme. Et cette âme, c’est elle qui constitue le contenu, le corpus monasterii ; et cette âme, c’est la grâce de l’Esprit Saint. Et c’est une grâce de divinisation : Dieu veut faire de nous des répliques de ce qu’il est. Et la contemplation telle qu’on l’entend habituellement n’est rien d’autre que la conscience de l’action des énergies divinisatrices en nous.
Et voilà, frères et sœur, ce que nous pouvons retenir aujourd’hui et, dans toute la mesure du possible, essayons de nous entraider dans cette fidélité à nos Observances. Le père Immédiat dans la Carte de Visite avait fait remarquer à propos de l’Office Divin – laissons de côté naturellement des raisons sérieuses qui autorisent et qui expliquent une absence à l’Office – que lorsque un n’est pas là par négligence, à ce moment-là il affaiblit le Corps entier.
C’est pourquoi, mes frères, notre fidélité est une fidélité qui fortifie chacun d’entre nous !
Ma sœur, mes frères,
Vous allez peut-être me juger original ou rétrograde mais pour moi, je trouve regrettable qu’on néglige d’examiner avec attention le texte latin original de la Règle de Saint Benoît.
Saint Benoît n’est pas un théoricien fumeux. Il sait très bien ce qu’il dit, ce qu’il fait ; il est porteur d’une expérience personnelle et traditionnelle extrêmement forte, et puissante, et vivante et il parvient à la couler à l’intérieur de mots dont la signification est très précise pour lui.
Son vocabulaire est un vocabulaire que je qualifierais quasiment de technique, bien détaillé et nous devons, nous, essayer de comprendre ce que Saint Benoît veut nous dire. Lorsque ces détails sont traduits dans une autre langue, dans la langue française, il y a quantité de choses qui s’évanouissent et qui échappent.
Alors, si vous le voulez, aujourd’hui je vais vous donner un exemple qui nous permettra de voir, de mieux comprendre ce que l’Office Divin représente pour Saint Benoît, comment il entend le pratiquer lui-même et demander à ses disciples de le pratiquer à leur tour.
Saint Benoît utilise un mot qui, j’ai contrôlé, ou bien il n’est pas traduit car on le laisse tomber parce que on ne sait pas quoi en faire, ou bien on le traduit...? Il utilise ici le mot Agenda, 8,10. Et ce mot Agenda, quand il l’utilise à propos de l’Office Divin, il est toujours écrit avec un A majuscule. C’est donc pour lui quelque chose d’extrêmement important !
C’est un Agenda avec un A majuscule et c’est vraiment malheureux qu’on ne parvient pas à le traduire. Et je ne vois pas comment le traduire ? Il faudrait presque le laisser tel quel. Pourquoi ? Parce que ça correspond à ce que nous appelons, nous, un agenda.
Qui aujourd’hui n’a pas son agenda ? On vous demande : permettez que je consulte mon agenda pour voir si je suis libre à cette heure-là ! Ou si je n’ai pas des engagements pour ce jour-là ! J’inscris dans mon agenda tout ce que je dois faire, tout ce qui m’est demandé, tout ce à quoi je me suis engagé. Ce sont des choses que je dois faire et que j’ai pris l’engagement de faire. C’est un programme arrêté !
Donc, le mot agenda suppose un donné qui oblige, qui demande aussi une détermination et un effort. Je prends une décision aujourd’hui par rapport à quelqu’un d’autre. La plupart du temps, c’est ainsi, c’est une sorte de contrat. Eh bien, je dois m’acquitter de ce que j’ai décidé. Il y a donc là une décision volontaire qui m’engage.
Eh bien, Saint Benoît dit par exemple lorsqu’il parle que l’Abbé doit chanter tout haut le Notre Père à Laudes et aux Vêpres : ceteris vero Agendis ultima pars eius orationis dicatur, 13,30. Et alors on traduit : aux autres heures ! On va traduire Agenda par heure ? Non, c’est autre chose que ça, autre chose. Il y a là une nuance et il faut connaître, bien connaître le latin pour la sentir.
Et encore une fois, pour la rendre en langue française, il faudrait presque une périphrase. Voici : pour ce qui regarde les autres obligations auxquelles je me suis engagé, on dira seulement la dernière partie de l’Oraison Dominicale, si bien que tout le monde répondra : Mais délivrez-nous du mal, 13,30.
L’Office, pour Saint Benoît, n’est donc pas un délassement. Il est, il dépasse presque une prière. Il est plus que cela : il est une obligation, il est un labeur, il est un travail, il est une obligation, il est un Agenda ! Il est une collection, un ensemble de chose que nous devons faire, que nous devons nous acquitter et que nous nous sommes engagés à aller jusqu’au bout.
C’est aussi le sens de la profession monastique. On va faire profession d’obéissance secundum Regula, selon la Règle de Saint Benoît. Donc, je m’engage, je prends sur moi d’exécuter tout ce qui m’est prescrit dans cette Règle. Je l’inscris dans mon Agenda, dans la collection des choses que je dois faire.
L’Office est donc une partie du protocole qui règle la façon de vivre à l’intérieur de la Maison de Dieu. Il y a un protocole, ce n’est pas laissé à l’imagination de chacun, au bon plaisir de chacun. Cela, c’est bon pour les sarabaïtes, mais on est chez Dieu et il y a donc un protocole.
Si on est reçu chez le roi, on nous a déjà présenté des séquences télévisées sur la journée du roi, si je me souviens, on voit le roi qui reçoit un ambassadeur qui lui présenter ses lettres de créance. Eh bien, c’est toute une cérémonie ! Il y a un protocole et on l’accepte dès l’instant où on reçoit une mission qui est de représenter un pays auprès d’un autre pays où il y a un protocole quand on est reçu par le roi.
Eh bien ici, on est chez Dieu. Il y a un protocole qui nous lie dès l’instant où nous acceptons d’entrer au service de Dieu. Et ça fait donc partie de la vie du moine dans sa relation avec Dieu. Et ça contient une multitude de détails.
Maintenant, comme nous voyons un peu mieux ce que Saint Benoît met sous le mot agenda, il y a des détails, une multitude de détails. C’est un mot pluriel agenda : toutes les choses, tous les détails auxquels je me suis engagé. Et ça ne peut être accompli avec négligence, ça requiert une initiation, une éducation, un apprentissage.
Et cet apprentissage, il est quasiment à reprendre tout le temps. C’est aussi ce qu’on appellera aujourd’hui un recyclage. Il faut toujours se tenir à jour. On ne peut pas dire que c’est acquis une fois pour toutes. C’est cela le protocole des Agenda ! Et j’ai contrôlé, dans toute la Règle de Saint Benoît, le verbe agere, donc faire, revient 32 fois et 17 fois rien que pour l’Office Divin.
On parlera aussi dans un autre domaine de l’Action iturgique. La liturgie est une action et elle fait partie aussi d’un agenda. Et dans l’ancien missel latin de la messe Pie V, comme on disait, quand on arrivait au canon, au-dessus il était écrit : infra actionem. Mais pourquoi ?
Eh bien, on entrait au cœur de l’action liturgique, on commence le Canon proprement dit : c’est la Préface, c’est l’action, infra actionem ! Un peu comme si à ce moment-là on devait prendre sur soi une attention nouvelle, réveiller en nous des harmoniques qui sont là, des vibrations spirituelles et mystérieuses qui nous font entrer dans le mystère, le mystère de la mort et de la résurrection du Christ qu’on va évoquer, dont on va faire mémoire, dont on va faire le zicarôn à ce moment-là. C’est infra actionem et ça rejoint notre Agenda de Saint Benoît.
Mais voilà, il ne faut donc pas s’étonner si l’Office Divin exige de la peine. On doit se donner de la peine et on ne doit pas s’étonner s’il entraîne une certaine fatigue. Ce sont des choses que l’on doit faire et qui engagent tout le corps, tout le psychologique et tout le spirituel.
Mais voilà, j’espère que je ne vous ai pas trop effrayé ? Mais à partir de là nous pouvons, mais d’un tout petit mot, voyez, d’un détail de rien du tout, nous pouvons mieux saisir ce qu’est l’Office Divin à l’intérieur de notre vie.
Mes frères,
La solennité de la Toussaint nous révèle qui nous sommes. Nous sommes les éléments d’une construction qui s’édifie dans l’invisible. Les saints sont nos frères et nous-mêmes sommes des saints. Nous sommes des saints parce que nous avons été mis à part dès avant la création du monde, mis à part pour être purs et irréprochables en présence de Dieu. Et ce que nous sommes n’apparaît pas encore clairement ; ce sera manifesté au grand jour lorsque le Seigneur apparaîtra dans la plénitude de sa lumière.
Nous sommes encore en croissance, nous sommes en germes, nous sommes des embryons, nous sommes de jeunes pousses ; et patiemment, l’Esprit Saint travaille notre cœur, ce qui en nous est le plus profond. Il atteint des endroits situés en de ça de notre conscience et il imprime là-bas sa propre image qui est amour, qui est lumière, qui est beauté.
Il se peut que rien ne paraisse jamais à l’extérieur. Cela n’a pas d’importance ! Au jour que lui seul connaît, ce sera manifesté. Et alors, ce sera l’étonnement, l’émerveillement et la joie de tout l’univers.
N’allons pas nous imaginer que nous sommes des inconnus, que nous sommes imperceptibles dans l’immensité du cosmos ? Non, les saints ont une activité visuelle qui est celle même de Dieu. Ils nous aiment chacun en privé, chacun personnellement comme si nous étions seuls dans l’univers.
Mes frères, portons en nous cette conviction, cette foi : ce sera une puissance, ce sera une force sur notre route. Les saints qui ont franchi toutes les étapes de leur croissance nous encouragent ainsi. Ils ne sont pas loin de nous, ils vivent avec nous ; et nous autres, nous vivons au milieu d’eux.
C’est là le mystère de cette cité bienheureuse qui est le grand Corps mystique de notre Christ ressuscité. Et les saints qui sont ici présents et au milieu desquels nous vivons, ils nous appellent nous aussi, ils nous appellent saints parce que nous sommes leurs amis. Je rappelle que l’Apôtre Paul, que les premiers chrétiens se saluaient les uns les autres du nom de saint.
C’est une habitude, c’est une coutume qui s’est totalement évanouie. On parlera maintenant des fidèles ou des croyants ; on ne parle plus de saints. N’ayons pas peur de revenir, au moins dans notre pensée, à cette appellation. Nous sommes tous des saints parce que nous sommes les amis des saints et que nous sommes comme eux promis à la sainteté, à devenir un seul esprit avec le Christ.
Et les saints ne s’effraient pas de nos péchés, de nos erreurs, de nos chutes. Ils sont passés par là eux aussi. Ils savent d’expérience que la miséricorde de Dieu est inépuisable, autant que sa patience, autant que son amour.
Et un jour nous pouvons, si Dieu le permet, faire une expérience extraordinaire : nous découvrons que les saints habitent notre cœur. Notre cœur est devenu un ciel où Dieu habite avec la multitude de ses anges et de ses saints. Et encore un rien, une chiquenaude et nos yeux s’ouvrent, et nous sommes pour jamais auprès d’eux.
Frère Gilbert me faisait remarquer justement à l’entrée de Laudes qu’aujourd’hui le frère Gérard assistait pour la dernière fois à l’Eucharistie. Il était resté jusqu’au bout assis dans le sanctuaire. Il n’avait plus eu la force de descendre seul. Et le lendemain, il était conduit à Saint François où il allait remettre à Dieu son dernier soupir.
Eh bien c’est cela, mes frères, à un moment donné nous sommes recueillis chez Dieu. Et comme Saint Benoît nous le recommande, pensons-y tous les jours, plus encore aujourd’hui où de façon plus intime nous sommes avec les saints, nous sommes avec nos frères qui nous ont précédés dans la plénitude de la vie.
Les hymnes que nous chantons aujourd’hui déploient ces merveilles sous notre regard. Laissons-nous porter par elles. Elles sont notre avenir et elles sont notre présent. Rien n’est trop beau pour Dieu, rin ne doit jamais être trop beau pour nous. Croyons-le, mes frères, et soyons, et vivons dans la joie quoiqu’il arrive.
Frères et sœurs,
La péricope évangélique dont nous venons d’entendre la proclamation est appelée communément la charte du Royaume de Dieu. Frères et sœurs, cette appellation n’est pas usurpée. Elle nous présente en effet huit portes magnifiques qui ouvrent l’accès à ce Royaume de lumière et de paix où nous espérons tous entrer un jour, le jour où le Seigneur nous appellera. Chacune de ces portes est couronnée d’une bénédiction : Heureux ! Heureux ! Heureux !
Il y a huit portes et il y a une seule porte que nous reconnaissons en chacune d’elles. Et cette porte, c’est le Christ Jésus lui-même, lui qui a dit : Je suis la porte des brebis. Celui qui entre par moi pourra aller et venir et il se rassasiera de la vie éternelle. Oui, le Seigneur Jésus a imprimé son empreinte, son visage, sa beauté sur chacune de ces portes.
Heureux les pauvres ! Qui fut plus pauvre que lui ? Les oiseaux du ciel avaient leur nid, les renards dans la campagne avaient leur tanière et lui, il n’avait même pas un endroit où reposer sa tête.
Et il nous a ouvert largement une porte lorsqu’il a glissé dans le creux de notre oreille ce conseil : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. Et depuis lors, la carte d’identité du saint, c’est la douceur et la compassion et, c’est cette douceur qui devient maîtresse de la terre entière.
Et lui, n’a-t-il pas longuement pleuré sur Jérusalem, la ville sainte, le joyaux de toute la terre, le marchepied du trône de Dieu ? N’a-t-il pas pleuré sur son ami Lazare ravi à l’affection de tous, à son affection à lui par cette ennemie redoutable, implacable qu’est la mort ? Mais il savait qu’une Jérusalem nouvelle était toute prête là-bas et que bientôt elle descendrait du ciel et qu’elle recueillerait tous les pleurs, et qu’elle essuierait les larmes de tous les yeux.
Qui plus que lui a eu faim et soif de la justice ? Non pas de n’importe quelle justice, non pas de la justice des hommes qui ne comprend rien, mais de la justice à lui, la justice de l’amour qui va infiniment plus loin que toute justice. Il en a eu tellement faim et soif qu’il en est mort car les hommes ne peuvent s’accoutumer de la justice de Dieu. Mais s’il est mort, c’est pour ressusciter et être intronisé juge du cosmos entier.
Et il est par excellence le miséricordieux, lui qui comprend chacun des hommes par son intérieur et qui jamais ne condamne. Il s’est proclamé la lumière du monde, une lumière d’une pureté au-delà de toute pureté. Et en elle, nous pouvons enfin nous baigner, nous pacifier, nous régénérer, obtenir un cœur pur qui enfin pourra contempler les merveilles de Dieu.
Et n’est-il pas le pacifiste par excellence, lui qui dans sa paix a réconcilié l’univers du ciel et de la terre et qui attend que nous soyons avec lui des artisans de réconciliation et de paix. Non pas des pétroleurs qui allument des incendies, qui attisent les discordes, qui jettent le discrédit ; mais des artisans de paix qui savent réconcilier parce qu’ils possèdent dans leur cœur la propre paix de Dieu.
Quant aux persécutions, aux insultes, aux calomnies, qui en a été abreuvé autant que lui ? Et c’est encore lui aujourd’hui qui souffre dans ses disciples torturés. Il n’est pas un endroit au monde où il n’y ait toujours une attaque ou l’autre contre sa personne.
Eh bien, frères et sœurs, quelle porte allons-nous choisir pour entrer dans le Royaume de Dieu ? Eh bien, nous répondrons à la manière de la petite Thérèse de Lisieux que nous les choisissons toutes ; toutes, même la dernière, même cette porte toute petite, toute étroite à l’intérieur de laquelle nous devrions nous glisser, la porte de l’incompréhension, la porte des soupçons, la porte des ragots, la porte des regards que l’on sent juger, et déjà condamner, et déjà rejeter.
Mais pour être certains de ne pas nous tromper, nous aurons soin de choisir l’unique porte. Nous serons comme notre Sauveur : tout amour ; nous aimerons de tout notre être, nous aimerons de toutes nos forces sans mesure et sans fin, sans jamais nous laisser rebuter.
Nous ouvrirons notre cœur à l’admiration, à l’émerveillement devant les hommes, devant leurs travaux, devant l’univers, devant la nature. Devant le plus petit et devant le plus grand, nous serons accueil.
Et en accueillant en nous la beauté que Dieu sème partout, à ce moment-là, nous entrerons par l’unique porte qui a marqué sa beauté sur chacune des huit portes. Et ainsi, nous serons accueillis.
La grande épreuve, la toute grande épreuve que nous devons tous traverser, n’est-ce pas le déroulement de notre vie semées de grands échecs parfois, de souffrances, de deuils, de peines, de travaux, de labeurs ?
Oui, cette vie, elle est vraiment la toute grande épreuve que chacun doit affronter. Mais nous laverons nos vêtements dans le sang de l’Agneau. C’est la raison pour laquelle nous sommes ici pour partager l’Eucharistie, pour devenir mystiquement un seul corps qui nous permettra de grandir et de repartir plus fort et plus sûr.
Ainsi, la vie du Christ bouillonnera en nous et déjà sur cette terre le Royaume de Dieu sera pour nous. Nous en serons les témoins et notre vocation de chrétien, notre vocation d’homme sera accomplie.
Amen.
Mes frères,
Le mois de novembre avec son cortège de saints nous projette au cœur de notre vocation chrétienne et surtout monastique. Nous ne sommes jamais, mais au grand jamais, seul. Notre univers, si nous avons des yeux pour voir, notre univers s’élargit sans limite, sans mesure au-delà de tout ce que nous pouvons essayer de soupeser, de mesurer.
C’est l’univers de Dieu qui est à notre disposition, c’est Dieu lui-même qui s’offre à nous dans la personne des saints et qui nous dit par leur exemple, par leur enseignement, par leur vie que pour Dieu rien n’est impossible.
Le mois de novembre est une invitation pressante à ouvrir nos yeux et nos oreilles ; mais aussi à les fermer, à fermer nos oreilles à tous les bruits qui ne peuvent que nous troubler, à toutes paroles qui ne peuvent que jeter sur nous le désarroi, le doute, le soupçon. Nous devons aussi fermer les yeux à tout ce qui n’est que vanité, à tout ce qui ne peut que nous détourner de notre but qui est la rencontre du Christ ressuscité.
Il y a donc là tout un effort d’ascèse auquel les saints se sont soumis de bon gré et qui leur a permis d’arriver là où ils sont. Ils se sont ouverts à la grâce de Dieu. Ils n’ont été qu’une écoute, qu’une oreille, qu’un œil, qu’un cœur ; et ainsi, Dieu a pu accomplir en eux de belles et grandes choses. Nous sommes invités à marcher, non pas à la remorque de nos instincts animaux, mais la tête haute à la suite du Christ notre véritable Roi.
L’année liturgique est clôturée sur la Solennité du Christ, Roi de l’univers, Roi du cosmos. C’est une forme d’apothéose triomphale, un cri de victoire, un cri d’espérance. Et du coup, nous sommes resitués en face de la vérité toute entière et de la beauté parfaite. Comme l’affirme Saint Benoît, nous sommes appelés à militer aux côtés du Christ et à régner avec lui dans son Royaume.
Nous sommes peut-être trop facilement attirés par des succès terrestres ? Non, nous devons franchir le charnel, le matériel et avoir sans cesse sous les yeux du cœur la personne du Christ ressuscité des morts.
Aujourd’hui, nous célébrons, nous commémorons tous les fidèles défunts. Eh bien, eux doivent être nos enseignants ; ils savent, eux, aujourd’hui ce qu’il en est. Et parmi eux, il y a nombre de nos frères qui ont vécu ici parmi nous, qui se sont assis dans cette salle de Chapitre. S’ils pouvaient revenir, eh bien, ils nous diraient ce qu’il en est exactement. Et j’ai la conviction que ce sont eux qui s’expriment en cet instant par ma bouche. Ils nous disent : Ne nous arrêtons pas à des choses purement terrestres ! Le but de notre vie est dans le cœur même de Dieu.
Notre dignité et notre noblesse sont incomparables. Nous sommes en possession de la perle la plus pure qui soit et ne la jetons pas aux pourceaux, mes frères, Nous sommes enfants de Dieu, frères du Christ, membres de son Corps. Nous sommes des dieux en devenir.
Eh bien, ne gaspillons pas ce trésor, ne le laissons pas de côté pour courir après des désirs ! Notre fierté, notre gloire, notre bonheur, c’est de couler notre être dans celui de Dieu ; c’est de ne plus faire qu’un seul esprit avec lui ; c’est de respirer l’amour ; c’est de rayonner la lumière ; c’est de nous perdre dans sa beauté.
Il est pénible, mes frères, de rencontrer un regard dur, un regard noir, un regard qui juge et qui condamne. Non, mes frères, il ne peut pas en être ainsi parmi nous. Notre regard doit toujours être un regard qui rayonne une lumière intérieure, la lumière du Christ ressuscité, la lumière de Dieu, la lumière de l’Esprit Saint et la lumière de l’amour et de l’accueil.
Notre vie, c’est d’accueillir sans cesse à l’intérieur de notre cœur les vouloir de notre Père, c’est d’avoir pour seule et véritable nourriture la volonté de Dieu, c’est de nous laisser refaçonner par cette volonté qui n’est qu’amour.
Beaucoup de personnes aujourd’hui dans le monde vont revivre des deuils. Certains ont été extrêmement durs, à la limite du supportable. Ils peuvent engendrer à juste titre, mes frères, dans le cœur des sentiments de révolte. Eh bien, il faut que nous prenions en nous ces détresses, toutes ces questions et que nous les métamorphosions en actes de confiance. Nous devons êtres, nous, la conscience éveillée de toutes ces personnes qui sont désemparées par des pertes irréparables.
Et ainsi, nous serons ce que Dieu attend de nous, sa présence sur la terre, la présence de son Royaume. Nous devons être la réussite de sa création et l’affirmation silencieuse que Dieu est déjà en toute chose. Le moine est un être eschatologique, en lui la fin du monde est arrivée. Et elle est arrivée quand il ne fait plus qu’un seul être avec son Créateur.
Mes frères, si nous voulons bien y réfléchir, il n’y a qu’un seul univers. C’est celui de Dieu, c’est celui des anges, c’est celui des hommes fondus dans une seule et même sainteté. N’ayons donc pas peur de porter nos regards au plus loin, au plus haut, à l’infini. Et alors, nous serons à notre place vraiment pour aujourd’hui et pour jamais.
Frères et sœurs dans le Christ,
Nous devons nous incliner avec respect devant l’Eglise qui nous propose aujourd’hui une réponse aux questions qui tourmentent notre cœur au sujet de la vie, au sujet plus gravement encore de la mort. Nous devons l’accueillir dans la foi et l’action de grâce.
Elle nous affirme par la bouche du Christ lui-même et par celle de l’Apôtre Paul que la mort a une face dure qui nous brise, qui nous torture, qui nous révolte, qui nous ferait douter de tout ; et une autre qui tente de nous arracher aux apparences, qui veut écarter quelque peu le voile, qui s’efforce de verser un baume sur notre douleur et qui entend ranimer en nos cœurs la flamme de l’espérance.
Qui de nous n’a pas été déchiré, broyé par un deuil ? Qui de nous ne le sera pas encore un jour ? Dieu lui-même a pleuré sur la mort de son ami Lazare. Il a été submergé par la souffrance qu’il voyait déferler de partout. Et puis, lui-même a été poussé dans la mort après avoir subi d’épouvantables tortures.
Il a donc le droit de parler, de parler de la mort, de la séparation, du deuil. Il en a le droit et nous devons l’écouter. Il affirme avec puissance que lui, Jésus, est le vainqueur absolu de la mort. Il ne renie rien de la réalité horrible de la mort ; il ne nous aide pas à refouler nos émotions devant l’irréparable.
Non, il nous dit simplement qu’il est dans son être de chair un ..?.. vivant. Il nous dit qu’il est la vie, non pas le prolongement indéfini d’une vie semée d’embûches mais la vie par excellence,, une vie dont rien de ce monde ne peut donner l’idée. Il est la vie éternelle, il est la vie même de Dieu, il est la vie qui est Dieu. Et cette vie, elle nous est donnée gratuitement même s’il nous faut au préalable traverser le tunnel angoissant de la mort.
Frères et sœurs, nous devons faire le saut de la foi ; nous devons accrocher notre foi à la personne du Seigneur Jésus ressuscité d’entre les morts ; nous devons apprendre à vivre dans la perspective de la vie éternelle dont il est le porteur( ? ). Manger sa chair, boire son sang, nous engloutir avec lui dans les vouloirs de Dieu et peu à peu acquérir, ou recevoir, une vision nouvelle qui nous ouvre au monde de l’espérance. Nous pourrons alors goûter la présence mystérieuse mais combien réelle de nos défunts et notre solitude va s’éclairer.
Frères et sœurs, nous allons communier au corps et au sang du Christ. Nous lui dirons silencieusement notre confiance pour nos morts, pour nous-mêmes. Non, la mort n’aura pas, n’aura jamais le dernier mot. La vie de Dieu est pour nous. Elle est acquise à nos défunts, elle est pour nous maintenant et pour jamais.
Amen.
Mes frères,
Nous avons fait mémoire aujourd’hui du grand Saint Hubert comme l’appellent ceux qui le connaissent et qui expérimentent le bienfait de sa présence. Au réfectoire, nous entendons le récit de sa vie, nous entendons une critique bienveillante et positive de sa légende.
Nous savons mieux maintenant qui est notre saint et combien est profond le sillon tracé par sa sainteté. Il était l’apôtre de nos régions, autrefois étendue immense de forêts à peine défrichées et aujourd’hui contrée florissante, fière de son héritage chrétien. L’Ardenne est encore profondément chrétienne.
Que retenir de Saint Hubert, de sa vie et de ses travaux ? En premier lieu d’abord la nécessité que nous avons de nous convertir, de vivre en état permanent de conversion. Nous avons d’ailleurs émis, le jour de notre profession, le vœu de conversion. Nous nous sommes engagés à toujours aller de l’avant, à ne jamais regarder en arrière.
Nous savons que ceux qui mettent la main à la charrue et qui regardent en arrière ne sont pas faits pour le Royaume de Dieu. Ils sont peut-être faits pour les affaires du monde, mais ils sont inaptes au Royaume de Dieu.
Nous n’avons pas à nous arrêter à nos erreurs, à nos défaillances. Saint Hubert n’a pas été de suite le grand Evêque que nous honorons et que nous aimons. Il a dû se convertir d’une vie mondaine à une vie consacrée et, à l’intérieur de celle-ci, il a dû toujours, toujours avancer. Il a commis des erreurs, mais il connaissait celui auquel il s’était donné. Il savait que le Seigneur Jésus est venu non pas pour les biens portants mais pour les éclopés et les malades.
Saint Benoît nous rappelle aujourd’hui que le monastère est une grande infirmerie où on soigne des gens dont la santé n’est pas des meilleures. Et l’Abbé doit être le sapiens medicus, 27,6 & 28,9, le sage médecin qui avec une patience infinie, inlassable, essaye de guérir les maux de ses disciples ; c’est à dire bien concrètement de les ouvrir à la présence du Christ ressuscité qui est, lui, le seul véritable médecin.
Lui seul peut, non pas nous débarrasser de nos défauts puisqu’ils sont notre propriété et qu’ils font partie de notre beauté, mais de notre tendance à nous refermer sur nous et à nous séparer des autres, à nous guérir de notre égoïsme et à nous ouvrir à la charité. C’est cela que l’Esprit accomplit dans notre cœur et c’est à cela que l’Abbé doit préparer ses frères en étant dans la mesure du possible l’exemple de ce que peut réaliser le Christ dans une personne qui s’abandonne à lui totalemnt.
Nous devons aussi sans cesse, à l’exemple de Saint Hubert, nous rappeler la racine qui nous porte. Nous avons reçu la foi et nos ancêtres étaient des païens. Et reconnaissons-le, nous le sommes encore toujours un peu ou même beaucoup. Nous ne savons pas nous changer, c’est ainsi !
Peut-être que dans quelques centaines de milliers d’années, nous aurons ici dans notre coin de véritables chrétiens ? Mais nous autres, nous sommes encore en train de passer du paganisme à la foi chrétienne. Nous ne devons pas nous en effrayer. Nous sommes en état de croissance.
Mais nous avons un héritage à transmettre. Nous devons le garder pur et même l’enrichir. Et pour cela, nous ne devons pas craindre les fatigues de l’ascèse, les fatigues du renoncement. Le Royaume de Dieu, nous a dit le Christ, est pour les hommes violents, qui font violence au Royaume de Dieu. Ils le prennent d’assaut. Eh bien, tel devrait être le chrétien, tels surtout doivent être les moines !
Et enfin, avec Saint Hubert, nous serons large d’esprit et de cœur. L’Eglise aujourd’hui n’a pas besoin de gens frileux, elle a besoin d’hommes et de femmes remplis d’audace, des hommes qui voient au loin, très loin, qui ne s’arrêtent pas à l’immédiat mais qui vont au-delà, qui se laissent porter par l’Esprit Saint.
Je ne veux pas faire du charismatique, non, mais nous devons tout de même savoir que c’est l’Esprit Saint qui est notre guide. Saint Benoît nous le dit : C’est l’Esprit Saint qui nous aide à gravir l’échelle de l’humilité. Et une fois qu’on est au-dessus, Saint Benoît dit : On verra bien ce que l’Esprit Saint va réaliser dans cet homme-là !
Notre temps a besoin d’homme qui n’ont pas peur de la nouveauté et nous serons assez perspicaces pour juger si cette nouveauté vient de Dieu, de l’Esprit Saint ou bien si elle vient de nous. Nous saurons choisir, nous saurons rejeter ce qui doit l’être et garder ce qui nous est réellement inspiré.
Saint Hubert était un créateur. Eh bien, mes frères, nous le serons après lui. Et ainsi la Nouvelle Evangélisation prendra corps en nous. Et prenant corps en nous, elle pourra s’enraciner, elle pourra rayonner. Car je pensais encore tantôt en voyants ces deux pèlerins qui assistaient à nos Vêpres, je me disait qu’il faut tout de même être sérieux et nous présenter tels que nous sommes.
Il y a un petit temps de cela, mais je rappelle que c’est impossible de le contrôler mais que ça doit tout de même être proche de la vérité, en Hollande, ce sont les musulmans qui sont les plus nombreux ! Ce ne sont pas seulement des musulmans venus d’Afrique ou d’Asie, non, ce sont des autochtones qui passent à l’Islam. Les gens ont besoin d’une spiritualité et ils se jetteraient dans les bras de n’importe qui pourvu qu’on leur en présente une.
Eh bien, la nouvelle Evangélisation peut être ça : nous montrer tels que nous sommes. Et puis alors à partir de là, fixer les chrétiens dans leur vocation chrétienne, qu’ils soient fiers et qu’ils sachent que pour eux il y a un avenir comme il y a un présent.
Mes frères,
Nous venons d’entendre quelque chose d’étrange ! Voici un gérant malhonnête, un vrai voleur qui reçoit des éloges parce qu’il s’est montré filou, voleur jusqu’au bout. Il les reçoit, et cela c’est le paradoxe, de son propre patron, de celui qui vient de luis donner son préavis.
C’est le Christ, c’est Dieu lui-même qui nous propose cette parabole. Mais alors, Dieu serait-il du côté des gens malhonnêtes ? Pas la moindre fois, il n’est jamais le complice du mal mais il veut secouer notre torpeur.
Les fils de la lumière, les gens propres et honnêtes ne pourraient-ils pas eux aussi être appelés habiles dans leurs propres affaires, dans la grande affaire de leur vie qui est de pouvoir entré un jour dans le Royaume de Dieu.
Le gérant malhonnête se faisait des amis pour être reçu chez eux. Nous devons nous aussi nous faire des amis, surtout un grand ami. Etre bon avec les autres, leur faire du bien, être charitable, rendre service, payer une fois ou l’autre de sa personne, mais c’est se faire un ami, un ami extraordinaire. Le Christ ne l’a-t-il pas dit : Ce que vous ferez au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le ferez.
Nous connaissons maintenant le moyen infaillible d’approcher le cœur de Dieu. Etre accueillant, patient, compatissant, avoir le cœur sur la main, toujours penser du bien d’autrui, saluer poliment, sourire gentiment, c’est lui, c’est le Christ Seigneur, c’est Dieu lui-même qui le reçoit.
Et au jour du malheur, au jour de l’angoisse, quand se fermeront pour nous définitivement les portes de la vie, il sera là pour nous ouvrir les bras, pour nous installer chez lui dans sa lumière et dans sa paix.
Mes frères, soyons donc ainsi entre nous en toutes circonstances ! Nous sommes ici chez Dieu, nous habitons sa maison, nous y travaillons. Eh bien, cultivons entre nous le respect, la confiance, l’amour. Ainsi, notre présent sera beau et ensoleillé et notre avenir le plus lointain sera garanti, assuré. Et nous aurons été habiles, nous aurons été intelligents et sages comme le Christ l’attend de chacun d’entre nous.
Amen.
Mes sœurs, mes frères,
Nous sommes au mois de novembre et dans ce mois de novembre nous fêtons les saints, les grands saints de l’Eglise universelle et puis les petits saints de notre Ordre, les sans noms, les sans grades, la piétaille qui aura aimé jusqu’au bout avec fidélité sur les sentiers rocailleux du Royaume de Dieu et qui est tout de même arrivée au bout.
On m’a demandé si je ne pourrais pas une fois ou l’autre consacrer un Chapitre à la sainteté de Dieu, non plus à la sainteté des hommes mais à la sainteté de Dieu. Je ne pouvais pas reculer quoique la tâche ne soit pas aisée. Je vais en parler aujourd’hui et puis encore à la fin de la semaine parce que je ne vais pas aborder ce sujet devant ces deux braves sœurs qui penseraient être arrivées ici au milieu de saints au-delà de tout qui parlent de tels sujets.
Mais devant vous, en toute simplicité, je vais dire ce que j’ai sur le cœur. D’abord, ce qui porte l’Ancienne Alliance, ce qui lui donne sa consistance et sa vie, l’atmosphère dans laquelle elle baigne et qu’elle respire, et qu’elle diffuse, c’est la sainteté de Dieu. Elle est omniprésente, exerçant sur les hommes une attraction irrésistible et suscitant la crainte, le tremblement, la peur même.
Le juif pieux vit de la sainteté de Dieu et pour elle. La toute première demande du Pater est la demande qui se trouve dans le cœur de chaque juif totalement donné à son Dieu, et c’est que ton nom soit sanctifié ! C’est cela le but suprême de la vie des hommes qui ont pris au sérieux l’alliance contractée par eux, avec eux par leur Dieu.
Et nous savons que la fleur de l’Ancienne Alliance, cette jeune femme vers laquelle a monté toute la pyramide des saints, le chant qu’elle a lancé vers le ciel au moment où sa cousine reconnaissait en elle la Mère de Dieu, ce chant était : Saint est son nom !
On peut dire que l’Ancien Testament est une hymne à la sainteté de Dieu et cela dans toutes ses parties, mais surtout dans les Livres les plus tardifs. La conscience de la sainteté de Dieu a grandi dans le peuple avec l’expérience et avec le temps. Mais en quoi consiste la sainteté de Dieu ?
C’est une question difficile et à vrai dire une question impossible. La sainteté est l’être même de Dieu et elle est impénétrable. Elle se manifeste à l’extérieur par quelques effets, mais elle reste et elle restera pour jamais inconnue.
L’effet principal qui se manifeste le plus fréquemment dans l’Ancienne Alliance, c’est la gloire, la gloire de Dieu. Cela revient presque sans arrêt. L’homme, le juif, l’israélite vit pour la gloire de Dieu. Il la contemple, il l’admire, il se prosterne devant elle ; il se plie, il se courbe devant elle et en même temps il aspire à la recevoir ans son cœur de manière à être sur la terre le miroir de cette gloire.
Rappelons-nous le Cantique des anges en Isaïe, nous le chantons tous les jours au cours de l’Eucharistie : le ciel et la terre sont remplis de ta gloire. Et le psalmiste : Les cieux racontent la gloire de Dieu. Donc cette gloire, ils l’apercevaient partout et, la contemplant, ils pressentaient, ils sentaient dans leur cœur une intuition de ce que devait être la sainteté de Dieu, inabordable encore une fois, impénétrable.
Et la gloire pour le juif sage et pieux – je me réfère ici au mot de la langue hébraïque – c’est ce qui exerce sur la personne un poids, un poids qui écrase et qui fait plier. Devant Dieu et sa gloire, on s’incline et on se prosterne. Il n’est pas possible de faire autrement parce que cette gloire, elle pèse. Mais elle ne pèse pas pour écraser, ce n’est pas un poids désagréable. Non, elle exerce une pression extrêmement douce mais irrésistible qui fait que l’homme se penche, voilà, il s’incline et il se prosterne.
Vous verrez encore cela aujourd’hui dans le monde Islamique. Si vous voyez des photos, des images de musulmans en prière, n’importe où, mais vous les voyez sur un tapis par terre ; et puis à un moment donné, ils s’inclinent et ils mettent leur front contre terre. Devant le Dieu de gloire, on ne peut que retourner à la terre d’où on a été extrait.
Mais on est devenu une terre vivante et une terre qui est devenue un temple. On se découvre alors en dépendance absolue de Dieu. Car Dieu est. Son nom, il l’a révélé à l’initiateur de l’alliance, du moins du côté des hommes, à Moïse. Son nom est Je suis. Et les hommes, eux, et toutes les choses ne sont que par lui et pour lui. Il est donc l’origine de tout.
Et cette dépendance à son endroit n’est pas un asservissement ? Non, c’est une bénédiction car il est la vie et on la reçoit de lui. Sans lui, on ne vit pas. La gloire de Dieu, dira encore Saint Irénée, c’est l’homme vivant ; et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu. Mais les justes de l’Ancien Testament en avaient fortement conscience.
Maintenant, la gloire qui est la manifestation première et principale dans l’Ancien Testament de la sainteté de Dieu, elle se dévoile surtout dans une lumière où il est possible de percevoir l’être de Dieu. Disons que la gloire est au-dessus de Dieu et elle appuie sur l’homme. Mais cette gloire, elle rayonne une lumière. Rappelons-nous encore, nous l’avons entendu dernièrement dans la vision du Prophète Ezéchiel : c’est une lumière qui se répand partout.
Elle est donc plus accessible que la gloire. Elle peut devenir l’objet d’une sorte de vision. Cette lumière est totalement différente de la lumière du soleil, ou de la lune, ou des étoiles, ou d’une chandelle, de n’importe quoi. Non, elle peut même paraître obscurité à celui qui l’aperçoit. On l’appelle lumière parce que dans notre vocabulaire il n’y a pas d’autre mot et que c’est une analogie par rapport à la lumière que nous connaissons.
Mais cette lumière, elle n’est pas perçue par l’intellect mais par une sorte d’intuition qui procède de l’être entier. Donc, cette lumière peut être vue par les pieds, par les jambes, par les bras, par tout l’être. On pourra, nous, la localiser dans le cœur. Heureux les cœurs purs, dira le Christ, car ils verront Dieu ! Ils voient cette lumière ; c’est donc la pureté du cœur. Mais le cœur, nous le savons, c’est le centre de la personne, c’est la source de la personne et, c’est la personne entière.
Cette lumière laisse l’homme sans parole et sans voix, mais elle éveille une certitude absolue. Elle s’impose. Elle crée un éblouissement qui saisit la personne et qui la transforme. C’est la raison pour laquelle les prophètes étaient considérés comme des possédés. Ils étaient vraiment pris, transformés, élevés à un niveau supérieur par cette lumière.
Mais cette lumière, je le rappelle, c’est l’éclat de la gloire de Dieu et c’est la perception de Dieu dans sa sainteté. Donc, elle est l’attribut que l’homme confère habituellement à la sainteté. D’ailleurs aujourd’hui encore, dans les représentations iconographiques ou dans les icônes où on voit le saint représenté, mais il baigne dans la lumière. Une icône est lumineuse parce qu’elle est le reflet de la sainteté de Dieu.
Mais voilà, mes frères, nous en resterons là pour ce dimanche.
Mes frères,
Voici déjà vingt-quatre heures que sœur Emmanuelle et sœur Pascale sont parmi nous. Leur présence est une bénédiction pour notre communauté et leur séjour sera de trop courte durée. Mais j’espère tout de même qu’elles laisseront derrière elles dans nos cloîtres quelques gouttes de leur sainteté. Rires Mais je n’exagère pas, loin de là ! non, non, non, non !
N’avons-nous pas parlé dimanche de la sainteté de Dieu ? Et nous savons que Saint Benoît lui-même ne craint pas d’attribuer à sa propre Règle l’attribut de la sainteté : il parle de la Sainte Règle. Mais pourquoi la Règle est-elle sainte ?
Elle l’est en elle-même ; elle l’est aussi parce que son propos est de nous élever à la sainteté. Elle est sainte parce que elle est pour le moine l’analogue de la Tora, de la Loi pour l’israélite pieux. Elle est l’expression sage, prudente mais exigeante de la volonté de Dieu sur nous. C’est une sorte de condensé de l’Evangile mis à notre portée.
La volonté de Dieu, mais n’est-elle pas notre nourriture quotidienne ? Nous devons nous nourrir de la volonté de Dieu. L’autre nourriture, Saint Benoît vient encore de nous en parler. Il en parlait hier au Chap. 39 et aujourd’hui au Chap. 40.
Mais cette nourriture, elle est indispensable pour soutenir notre corps, pour lui permettre d’être ce qu’il doit être dans le plan de Dieu sur chacun d’entre nous. Mais cette nourriture, elle va petit à petit, voilà, malgré tout être impuissante à empêcher notre corps de finalement succomber aux lois de l’entropie et de petit à petit se dégrader et retourner à la poussière dont il a été extrait.
Mais si je me nourris de la volonté de Dieu, à ce moment-là mon corps spirituel, lui, se fortifie de jour en jour et il devient ce que je mange. Il devient une apparition encore imparfaite, encore voilée de l’être même de Dieu. Se nourrir de la volonté de Dieu, c’est se nourrir de Dieu lui-même et c’est devenir ce qu’il est. Or, nous sommes dans le monastère pour réaliser notre vocation d’homme et devenir des fils de Dieu à part entière.
Eh bien, la Règle est sainte en elle-même parce que elle met à notre disposition heure par heure cette nourriture métamorphosante, transfigurante qu’est la volonté de Dieu, qu’est Dieu lui-même. Elle se situe tout à fait à part des autres codes de conduite. Il n’en manquait pas dans l’antiquité, il n’en manquait pas à l’époque de Saint Benoît !
Mais la Règle est infiniment plus qu’une philosophie ou qu’une sagesse humaine, elle est de nature spirituelle, c’est à dire qu’elle est inspirée par Dieu et, comme je le disais voilà un instant, elle est porteuse de l’être même de Dieu. Elle est donc source de vie et chemin de sainteté. Voilà une autre raison pour laquelle nous pouvons l’appeler sainte.
La Règle conduit à la sainteté ? Saint Benoît nous dit dans la conclusion de sa Règle en parlant de l’enseignement des Pères, qu’ils sont un chemin qui nous conduit recto cursu ad creatorem nostrum, 73,14, d’une ligne directe jusqu’à notre Créateur. Or, la Règle de Saint Benoît est la quintessence de l’enseignement des Pères. Je n’ai pas besoin de le prouver, nous le savons. Elle nous invite sans cesse à remonter à eux, jusqu’à eux comme à son origine.
Et puis, la Règle de Saint Benoît n’est pas repliée sur elle-même. Elle n’est pas totalitaire, elle n’est pas un enseignement qui est à prendre ou à laisser sinon on est éjecté ? Non, la Règle de Saint Benoît est Sainte parce que elle n’est pas jalouse, elle n’est pas figée, elle n’est pas paralysante, elle n’est pas atrophiante.
Loin de là ! Elle reste ouverte sans arrêt sur la grande, l’immense tradition monastique. Elle n’a pas la prétention de tout nous donner. Elle nous renvoie au-delà d’elle-même et elle ouvre à des enrichissements toujours nouveaux. Elle est sans cesse actuelle.
Certes, il y a dans notre Règle des détails, des prescriptions qui sont démodées par rapport à notre Culture actuelle. Mais derrière ce qui nous est demandé, nous devons voir l’intention, le but. Il y a toujours une visée d’ordre spirituel dans tout ce que Saint Benoît nous dit. Si bien que finalement, si nous voulons bien regarder, rien n’est démodé dans notre Règle. Son but n’est pas de former des hommes parfaits au prix d’une discipline draconienne.
Un monument, une église qui serait parfaitement symétrique dans tous ses détails, elle serait oppressante ; il ne serait pas possible de s’y établir. Une église, c’est ainsi que les anciens la concevait encore au Moyen-Age, une église doit être dissymétrique, elle ne peut pas être parfaite. Elle doit nous ressembler comme un vêtement qui s’adapte à ce que nous sommes dans notre être qui est en train d’évoluer. Nous sommes un maillon dans une chaîne évolutive. Dès l’instant où un surhomme a produit un être parfait, à ce moment-là il s’éteint.
Donc, Saint Benoît ne veut pas construire artificiellement des hommes parfaits. Non, il nous laisse avec notre sac, notre fardeau de défauts ; mais ce qu’il veut faire, c’est de permettre à l’Esprit Saint de façonner des saints au départ d’hommes pécheurs.
Et pour cela, la Règle met à notre disposition tout ce qu’il faut pour que Dieu puisse avec patience et un amour infini purifier notre cœur de manière à ce que nous puissions être en toute vérité un ciel de Dieu, un temple de Dieu, l’endroit où Dieu est Lui dans la Trinité de ses personnes, Lui dans la personne du Christ ressuscité des morts. Et puis en l’univers entier tous les hommes de tous les temps et de toutes les régions peuvent habiter notre cœur si notre cœur est devenu pur.
Eh bien c’est cela ! Par sa Règle, Saint Benoît essaye de nous faire avancer. Il veut nous rendre légers pour que l’Esprit Saint en soufflant puisse faire de nous des anges, des êtres encore qu’ils ne soient pas parfaits, mais qui ne soient plus que des apparitions de la beauté et de la sainteté de Dieu.
Il veut ainsi nous élever à la charité parfaite. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus d’accrocs à la charité, il y en aura toujours. Nous restons jusqu’au bout des êtres fragiles, vulnérables, faillibles, pécheurs. Au début de chaque Eucharistie, nous le répétons : nous sommes des pécheurs et nous le resterons. Mais ça ne fait rien, la charité tout de même s’épanouit dans notre cœur jusqu’à y devenir parfaite. Il veut donc faire de nous des enfants de Dieu vivants de sa vie et rayonnants de sa lumière.
Voilà la raison pour laquelle, mes frères, notre Règle peut être qualifiée de Sainte. Nous devons donc la respecter, nous devons donc la vénérer comme telle. Et toute autre attitude, comme l’indifférence et le mépris, serait proprement suicidaire. Car dans le monastère, il n’y a pas d’autre route pour réussir sa vie, pour aller à Dieu, pour s’épanouir et être heureux, il n’y a pas d’autre route que l’amour et le respect de la Règle. Hors d’elle, pour nous, ce ne serait qu’asphyxie, que mort.
Vous savez, mes frères, que pendant vingt ans presque chaque jour je vous ai parlé de la Règle. Je devrais encore être Abbé pendant vingt ans, eh bien, je ne serais pas encore au bout. Il me semble lorsque j’entends lire un Chapitre, que je l’entends pour la première fois. Et aussitôt, il y a une foule d’impressions, une foule de visions disons, et même une foule d’auditions qui se présentent à moi. Et je n’aurais qu’un désir, c’est de vous le partager.
Mes frères, mes sœurs,
Avez-vous remarqué l’insistance de Saint Benoît ? Il demande à deux reprises, une fois de façon positive et une fois de façon négative, que les repas soient pris toujours en tout temps à la lumière du jour. La lumière ne doit jamais manquer à l’heure des repas, dit-il, 41,18. Ce n’est pas la lumière artificielle mais la vraie lumière, la lumière du jour, la lumière du soleil.
Et il dit que il faut que à la clarté de la lumière, la clarté du jour, tout se fasse ainsi,41,19-21. Cela vaut en carême pour le dîner car il n’y a qu’un seul repas. Les autres temps, cela vaut aussi pour le souper car il y a deux repas. Donc toujours ça doit se faire à la clarté du jour.
Eh bien, pourquoi, pourquoi ? Nous avons, nous, perdu la symbolique de la nuit. Nous l’avons perdue parce que maintenant nous disposons à volonté d’une lumière éclatante, plus brillante que le soleil à la limite. Auparavant on ne disposait que de pauvres lumignons. J’ai encore connu, moi, cette époque. J’ai vécu toute mon enfance sans la lumière électrique. On ne savait pas ce que c’était !
Je comprends un peu mieux ce que Saint Benoît demande ici. Mais aujourd’hui dans notre contexte socioculturel, il nous est difficile de comprendre pourquoi Saint Benoît insiste tellement pour que tout se fasse pour les repas à la lumière du jour. Si je vous le demandais, je pense que vous donneriez tous votre langue au chat !
Eh bien, c’est parce que : pour ce qui regarde les repas depuis la plus haute antiquité, la nuit est le lieu des excès et des débauches. Ecoutez ce que dit l’Apôtre Paul aux Thessaloniciens. C’étaient des gens civilisés. La Grèce à l’époque, c’était la lumière du monde.
Frères, vous n’êtes pas dans les ténèbres, vous êtes tous des fils de la lumière, des fils du jour. Nous ne sommes pas de la nuit, des ténèbres. Alors, ne nous endormons pas comme font les autres mais restons éveillés et sobres. Ceux qui dorment, ils dorment la nuit ; ceux qui s’enivrent, s’enivrent la nuit. Nous au contraire, nous qui sommes du jour, soyons sobres ! Revêtons la cuirasse de la foi et de la charité avec le casque de l’espérance du salut ! 1Th. 5, 4-8.
Lorsqu’il dit que ceux qui dorment, dorment la nuit, ce n’est pas le sommeil paisible des travailleurs qui ont dû peiner pendant la journée ; ce sont ceux qui dorment sous le poids de l’ivresse. ils se cachent, ils sont entre eux, voyez, la nuit !
Les repas doivent être pris à la clarté du jour. Nous sommes des fils du jour, pas des fils des ténèbres. Et il insiste encore dans sa lettre aux Romains où il dit ceci en Rm. 13, 11-14. C’est un texte que nous connaissons parce que nous en entendons la proclamation au cours d’un Office. Je ne sais plus lequel, mais nous l’entendons souvent.
C’est l’heure de vous arracher au sommeil, le Salut est maintenant plus près de nous qu’au temps où nous avons cru. La nuit est avancée, le jour est arrivé. Laissons-là les œuvres de ténèbres et revêtons les armes de la lumière. Comme il sied en plein jour, conduisons-nous avec dignité. Point de ripailles ni d’orgies, pas de luxures ni de débauches, pas de querelles ni de jalousies, mais revêtez-vous du Seigneur Jésus Christ et ne vous souciez pas de la chair pour en satisfaire les convoitises !
Voyez toute cette symbolique de la nuit et de la lumière ! Lorsque nous entendrons proclamer cette Parole au cours de l’Office, maintenant nous en comprendrons mieux le sens. Le moine est un fils de la lumière et du jour, pas un enfant de la nuit et des ténèbres.
Il est un fils de la lumière parce qu’il vit dans la sobriété : il veille, il est vigilant, il est attentif. Vous savez que les anciens moines étaient appelés les Pères neptique, les Pères qui savent veiller, les Pères qui savent vivre comme sont dans l’état qui est le leur en pleine lumière des hommes dont le cœur est pur et qui rayonnent la lumière jusque dans leur regard.
Nous devons aussi marcher dans l’honnêteté comme nous le disait l’Apôtre Paul. Il ne faut pas que notre cœur soit enténébré. Si nous entretenons à l’intérieur de nous des pensées contraires à la charité, nous sommes des gens malhonnêtes. C’est une tentation, je le sais bien, mais nous ne devons pas y céder. Saint Benoît nous en donne le remède.
Lorsque une telle pensée contraire à la charité vient à s’infiltrer à l’intérieur de notre cœur, nous devons de suite la saisir et la briser d’un seul coup contre la pierre, cette pierre étant le Christ, et le Christ étant présent dans l’Abbé ou dans le Père Spirituel.
Il faut être sobre, vigilant parce que nous sommes des combattants. Nous ne sommes pas des embusqués dans le monastère, non, nous sommes dans une citadelle, la maison de Dieu qui est assaillie de tout côtés.
Mes frères, même si la lettre de notre Règle est perdue de ces repas pris à la lumière du jour, nous devons en conserver l’esprit. Plus tard, et ce plus tard peut être très proche car nous ne savons pas, ne connaissant ni le jour ni l’heure de notre mort – n’ayons pas peur d’utiliser le mot – nous entrerons alors dans un autre univers, un univers qui est celui du Christ ressuscité dans la Jérusalem nouvelle. Et là, il n’y a plus de nuit.
Il est remarquable lorsque le voyant de l’Apocalypse décrit la Jérusalem nouvelle qu’il contemple, il n’y a plus de nuit. Il n’y a donc plus de possibilités de commettre le péché. Les fils de la lumière vivent alors sans cesse en toute sécurité au sein d’une lumière qui les nourrit et dont ils sont les enfants.
Eh bien, mes frères, nous devons, nous, porter dans notre cœur cette espérance, cette espérance qui est le ressort, le moteur de notre vie, voir la beauté de Dieu, voir la lumière de Dieu, voir le Christ ressuscité. Et pour cela : ouvrir notre cœur à l’action de l’Esprit ; épouser de tout notre être la volonté de Dieu ; nous plonger à l’intérieur de l’obéissance ; être à l’écoute des cadeaux que Dieu désire nous faire chaque jour.
Et ainsi, petit à petit nous nous préparons et, à l’heure voulue, nous serons plongés totalement à l’intérieur de cet univers où il n’y a plus de nuit. Voilà, mes frères, c’est le souhait que je formule pour chacun d’entre nous.
Mes frères,
La sainteté de Dieu n’est pas un attribut comme la justice, la miséricorde, la bonté, la puissance. La sainteté est la nature la plus intime de Dieu, ce qu’il y a en lui de plus secret, de plus impénétrable, de plus inaccessible, de plus caché, de plus mystérieux. La sainteté de Dieu est absolument hors de notre portée. Notre intellect ne peut concevoir ne fut-ce qu’un rien de la sainteté de Dieu. La sainteté de Dieu demeure, et elle demeurera à jamais hors de notre portée.
Et pourtant, tout ce que fait l’homme, même inconsciemment, c’est pour la trouver parce qu’elle est la source et le sommet de sa vie. Nous sommes donc plongés dans une situation inextricable, torturante, affligeante. Dieu devrait faire quelque chose pour apporter un remède, pour apporter une solution. Il le doit par fidélité envers lui-même et par compassion envers sa créature.
Donc ne l’oublions jamais, la sainteté de Dieu même si elle est indispensable à notre existence, à notre présent, à notre avenir, elle demeure tout à fait hors de nos prises, hors de nos puissances d’intellection.
Mais alors, Dieu ne pouvait pas laisser les choses ainsi et ce fut l’Incarnation. Dieu s’est fait matière. En devenant homme, il est devenu matière. Si bien que en Jésus, Dieu est proche de nous au point de ne plus faire qu’un avec nous. Dans la personne du Seigneur Jésus, il n’y a pas une cloison entre la nature divine et la nature humaine, c’est un seul et même être. Les deux ne se confondent pas mais ils sont absolument inséparables. Il y a deux natures à l’intérieur d’une seule personne. Lorsque l’homme-Jésus dit « je », lorsqu’il dit « moi », ce « je », ce « moi », c’est la personne du Verbe.
Mais alors, maintenant que Dieu dans le Seigneur Jésus s’est fait si proche de nous, serons-nous en mesure de saisir quelque chose de la sainteté de Dieu ? Oui, mais à une condition absolument indispensable. Il faut que ce ne soit plus nous qui vivions mais que ce soit lui qui vive en nous.
Et alors, la sainteté de Dieu ne sera pas connue par mode de conceptuali-sation, elle sera accessible uniquement par mode de participation, par mode de partage. On perçoit intuitivement ce qu’elle est, mais il n’est pas possible de le dire, de le couler dans des mots.
La sainteté de Dieu pourra paraître obscure, une ténèbres opaque, mais malgré tout une ténèbres lumineuse. Et cette ténèbres ne laisse rien voir et pourtant elle est là, et c’est elle qui est l’objet de la vision.
Vous voyez, on est dans une foule de paradoxes. Les saints ont essayé d’évoquer ce qu’ils voyaient, ce qu’ils rencontraient, ce qu’ils sentaient. Ils l’ont fait sous forme de poèmes. Et voilà, ces poèmes nous bousculent. Et lorsqu’on a soi-même une âme de poète, on peut vibrer et se dire que la vibration première qui habite le cœur du saint, elle parvient jusqu’à nous. Mais l’idéal naturellement, c’est d’être soi-même totalement possédé par l’Esprit de Dieu et alors, on devient soi-même vibration pour les autres.
Maintenant, descendons un palier : des auteurs inspirés, c’est à dire des prophètes, des hommes habités par Dieu et mandatés par lui, ont reçu la grâce de projeter en notre monde quelques étincelles de cette sainteté. Et ils l’ont fait pour nous. Je vais, aujourd’hui et demain, vous donner quelques exemples et d’abord celui-ci. C’est le verset 16 du Chapitre 3 de Saint Jean.
Il est considéré par une foule d’exégètes, de savants, de contemplatifs et de saints comme le cœur même de toute la révélation : Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils, non pas pour que le monde soit jugé par lui, mais pour que par lui le monde soit sauvé.
Donc, il y a là un geste d’amour au-delà de l’imaginable. Et si nous nous laissons éblouir par la grandeur, l’immensité, la beauté de cet amour, alors nous faisons une plongée dans l’océan qu’est la sainteté de Dieu. Et encore une fois, nous ne pourrons pas exprimer par des paroles ordinaires ce que nous ressentons, ce que nous expérimentons.
Mai regardons un peu ceci ! Il est dit : Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique. Il l’a donné ! Je pense que nous passons trop facilement sur ce geste de donation. Il a donné son Fils unique. Cela veut dire que le Fils de Dieu est devenu la propriété, le bien du monde, le bien des hommes. Et les dons de Dieu, vous le savez, sont sans repentance, Dieu ne reprend pas ce qu’il a donné.
Et il a donné son Fils unique ! On peut dire, mais nous sommes encore toujours dans le paradoxe, que ce Fils demeure le Fils de Dieu naturellement, le Fils unique de Dieu. Mais il n’appartient plus à Dieu ; maintenant il appartient aux hommes. Et les hommes peuvent alors faire de lui ce que bon leur semble. Et vous savez qu’ils ne s’en sont pas privés.
Et voici encore une étincelle, une lueur de cet amour, donc de cette sainteté : c’est que le Fils de Dieu, donc Dieu lui-même, a été livré par les hommes dans une horreur, il a été précipité par les hommes dans une horreur sans fond. Et d’une certaine manière, les hommes avaient le droit de le faire puisque ce Fils était leur propriété. Dieu le leur avait donné!
Et si les hommes n’avaient rien qui pouvait les intéresser dans ce Fils, eh bien ils le jettent. Si je reçois un tableau qui ne m’intéresse pas, je vais le mettre à la poubelle ou le donner à quelqu’un d’autre. Je vais m’en débarrasser. J’ai le droit de le faire puisque c’est devenu mon bien, ma propriété. Vous voyez, mes frères, jusqu’où va ce geste de donation, de don que Dieu a fait : Il a donné son Fils au monde.
Et alors le Fils de Dieu, donc Dieu lui-même, livré à cette dernière extrémité, il n’a pas jugé les hommes, il ne les a pas condamnés ; mais au contraire il les a sauvés et il les a introduits dans sa propre vie. Il aurait pu les détruire et il n’en a rien fait ; au contraire, il les a élevés là où il est de toute éternité. Voyez un peu ce que représente l’amour de Dieu ! Et à partir de là, nous pouvons un peu sentir ce qu’est la sainteté de Dieu.
Et nous-mêmes, nous pourrons participer à cette sainteté de Dieu. Nous y participons déjà puisque sa vie fait palpiter notre cœur, mais nous y participons pleinement si nous suivons Dieu comme cela jusqu’au bout. Comme il avait aimé les siens, est-il dit, il les aime jusqu’au bout !
Eh bien, nous devons nous aussi nous efforcer d’aller jusqu’au bout. Ce n’est pas possible à nos forces tellement faibles, tellement fragiles, tellement peureuses. Mais nous devons comme fermer les yeux et nous laisser porter jusqu’au bout.
Mais voilà, mes frères, la sainteté de Dieu nous révèle une justice qui est nouvelle, une justice qui est autre : c’est la justice de l’amour. Et cette justice est paradoxale, elle est sublime, elle est folle.
Restons-en là pour ce soir. Demain matin, nous ferons encore un petit pas. Je pense ainsi – je ne dis pas que nous comprendrons mieux ce qu’est la mentalité de Dieu – mais nous lui permettrons d’éveiller à l’intérieur de notre cœur quelques vibrations, comme je le disais tantôt, qui nous permettrons d’être à l’unisson, en sympathie avec Dieu dans sa sainteté.
Mes frères,
L’expression la plus puissamment évocatrice, la plus saisissante, la plus déroutante de la sainteté de Dieu ne peut être que dans la personne du Christ Jésus devenu homme pour nous.
L’Apôtre Paul a été introduit dans le secret de ce mystère, de cette sainteté lorsqu’il avançait vers la ville de Damas pour y arrêter les partisans de cette secte nouvelle qu’on n’appelait pas encore chrétiens à l’époque. Il a vu le Christ soudainement dans l’éclat de sa condition divine. Il en a été aveuglé et il a compris, il a commencé à comprendre l’étonnant mystère qui se dévoilait devant lui.
Et il l’a chanté en des accents immortels, il l’a chanté aux chrétiens de la ville de Philippe. C’étaient des néo-chrétiens, c’étaient des païens récemment convertis à la personne du Seigneur Jésus et Paul, devant eux, célébrait la beauté indicible du mystère qu’il avait vu.
Nous connaissons ce Cantique, mais prenons bien garde de ne pas nous en accoutumer ! Je le rappelle, du moins les premiers mots : Jésus étant de condition divine n’a pas jalousement gardé pour lui la condition qui lui permettait de se soumettre l’univers entier………Et vous connaissez la suite.
La sainteté de Dieu est tout entière inscrite sur le visage torturé du Seigneur Jésus. C’est là que nous, pauvres mortels, nous qui ne sommes pas des aigles à la façon de Paul ou de Jean, c’est là que nous pouvons contempler la sainteté de Dieu aujourd’hui. Et nous sommes immédiatement immergés dans l’inconnu et dans l’inconnaissable.
Nous savons, mais sans pouvoir le dire, que sur ce visage se dévoile Dieu dans sa sainteté, donc Dieu dans sa nature la plus secrète, la plus obscure, la plus séduisante aussi. Nous pouvons seulement regarder, admirer et trembler, mais nous en restons sans voix.
La sainteté de Dieu sur le visage du Seigneur se laisse comme toucher dans le comble inoui de l’amour et en même temps au plus bas de l’anéantissement le plus vil. Il n’y a pas de frontière entre les deux, c’est une seule et même réalité.
C’est nous, encore une fois, dans notre étroitesse, dans notre petitesse, dans notre faiblesse qui introduisons des distinctions pour essayer d’approcher, de comprendre. Mais c’est la seule et même réalité.
Le sommet de l’amour et le vil le plus bas sont une seule et même chose dans le cœur de Dieu. C’est là un des aspects déroutants de la sainteté. Et cette sainteté n’est pas à chercher dans l’immensité du tout, mais dans le rien absolu.
Il est un saint, pas tellement éloigné de nous dans le temps, qui l’a tellement bien chanté. C’est Saint Jean de la Croix qui est le Prince des poètes. Il a décrit la montagne du Carmel, cette montagne qu’il faut gravir en se dépouillant peu à peu de tout. Une fois qu’on est au sommet de la montagne, là se trouve la gloire, la sainteté de Dieu. Et elle se résume en un mot : le rien, le nada, rien. Sur la montagne : rien !
Oui, c’est très difficile pour nous qui avons besoin de sécurités, qui avons besoin de tenir des choses dans les griffes de notre intellect. Non, il faut s’abîmer, rester sans voix et admettre que la sainteté de Dieu, elle se révèle dans le rien !
Et aujourd’hui, pour atteindre Dieu et trouver refuge dans sa sainteté, il y a une seule et unique route : le rien du Seigneur Jésus. Je suis un ver, je ne suis pas un homme, je suis le déshonneur de l’humanité, je suis le rebut des gens. Voilà un éclair de la sainteté qui est Dieu !
Nous devons donc avec le Seigneur Jésus, et derrière lui, suivre le chemin de l’obéissance jusqu’au fond de la kenose. Nous devons nous sentir devenir péché en solidarité, en communion avec lui et avec tous les hommes.
Au sommet de l’échelle, le moine qui s’est dépouillé d’absolument tout, il n’a plus qu’une conscience, c’est d’être un pécheur. Et à ce moment-là, il est enfoncé, il est caché à l’intérieur de la personne du Christ qui s’est fait péché pour nous, et qui s’est fait péché pour Dieu son Père.
Voilà, mes frères, toutes petites notes qui nous permettent d’évoquer quelque peu, bien maladroitement, la sainteté qui est Dieu. L’Apôtre Paul qui est sans doute le chantre inspiré le meilleur de cette sainteté de Dieu, il nous apprend – il dit toujours la même chose vous savez, c’est le même thème qui est repris sous des modes différents – il nous dit où se cache et se révèle la sainteté de Dieu.
Eh bien, c’est dans la folie, à commencer dans la folie de Dieu ! La folie de Dieu, dit-il, est plus sage que les hommes ; et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes.
Déjà les Sages de la première alliance pressentaient que la sainteté devait se trouver quelque part dans la folie. Ils appelaient le prophète : celui qui est fou, celui qui erre, celui qui dit des choses folles. Il est un homme qui n’est déjà plus de ce monde, qui voit les choses par l’envers de ce qu’elles sont et qui, les voyant par cet envers, les voit dans leur vérité radicale. Et on jugeait qu’il était fou.
Rappelez-vous aussi que les propres parents de Jésus avaient entraîné Marie, sa Mère, pour aller enlever Jésus car ils disaient : il est fou ! Ils ne se trompaient pas, il était réellement fou. C’était la folie de Dieu qui transparaissait, qui brillait en lui, mais eux ne pouvaient pas comprendre. Et nous aujourd’hui, sommes-nous encore en état de comprendre ? C’est tellement étrange ! Et pourtant, c’est la réalité la plus belle !
La parole de la croix, dit encore l’Apôtre Paul, elle est folie pour ceux qui vont à leur perte. Mais pour nous, dit-il, qui sommes sauvés, elle est puissance de Dieu. Donc, il y a une folie, la folie de l’avilissement, de l’anéantissement, de la mort qui est puissance même de Dieu.
Le Christ crucifié, donc Dieu crucifié, est la folie suprême de l’amour, elle est la sainteté dans son aveuglante obscurité. Et l’Apôtre Paul encore une fois le crie : Je n’ai rien voulu connaître parmi vous sinon Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié.
Ce n’est pas faire du dolorisme, non, c’est autre chose. C’est approcher le Seigneur Jésus dans sa Royauté. Rappelons-nous ce que disait le bandit crucifié à côté de lui : Souviens-toi de moi Seigneur quand tu viendras dans ton Royaume, quand tu feras possession de ton Royaume ! Et Jésus de lui dire : Eh bien, aujourd’hui même tu y seras avec moi, et tu y es déjà !
Mes frères, essayons de retenir ceci : la sainteté de Dieu, c’est la folie, une folie qui est amour, mais un amour qui dépasse tout le raisonnable, tout le décent même et qui détruit, qui anéantit toute sagesse humaine. Et cet amour, comme je le disais hier soir en conclusion, cet amour est la justice par excellence, une justice nouvelle, une justice qui n’est pas de ce monde-ci, une justice qui est aussi manifestation de la folie de Dieu.
Voilà, mes frères, restons-en là ! Et aujourd’hui, en cette fête où nous célébrons le Seigneur Jésus Roi de l’univers, rappelons-nous, nous nous rappellerons que si il est Roi, c’est parce qu’il a voulu être fou jusqu’à aimer, et aimer jusqu’à mourir sur une croix sans rien dire. C’est cela l’amour, c’est cela la sainteté de Dieu !
Nous ne pouvons pas, encore une fois, la conceptualiser cette sainteté, mais essayons d’avoir le cœur ouvert, ouvert à tout ce que Dieu veut nous présenter, à tout ce qui se passe autour de nous ; essayons de percer l’invisible et d’atteindre ainsi le cœur de notre Dieu et de vibrer à sa sainteté qui est partout présente mais surtout dans le paradoxal, dans tout ce qui peut paraître fou aux yeux de la sagesse des hommes.
Frères et sœurs,
Vous avez entendu proclamer le début de l’Evangile selon Saint Luc. Vous aurez remarqué qu’il est question de Jean le Baptiste, cet homme extraordinaire, le plus grand que la terre ait jamais porté, le prophète qui a montré du doigt Dieu présent parmi nous dans une chair semblable à la nôtre ; cet homme sans pareil dont ses contemporains ont fait de lui ce qu’ils ont voulu et qui est mort misérablement par la cruauté d’une femme dépravée à demi folle.
Jean-Baptiste, devant lequel nous devons aujourd’hui nous incliner dans un geste de respect immense, son être lumineux et sa voix sont toujours présents parmi nous. Accueillons avec attention et reconnaissance son message de grâce !
Tous les grands qui vivaient à son époque, des hommes qui l’ont connu, des hommes qui étaient à leurs propres yeux les maîtres du monde, ils ont été balayés. Aujourd’hui, ils ne sont connus qu’à travers Jean.
Sur le visage de Jean brille la lumière, la lumière de la vie véritable ; sur leur visage à eux s’étend une ombre, une ombre d’une honte éternelle. D’un côté les bourreaux, de l’autre côté la victime et aussitôt nous pensons à celui qu’il annonçait : Jésus, Jésus le Fils de Dieu, Jésus-Dieu qui devait à l’exemple de Jean périr misérablement, lui, Dieu !
Eh bien, écoutons Jean le Prophète ! Il nous exhorte à faire le plongeon dans l’océan de la miséricorde de notre Dieu et de nous convertir. Mais reconnaissons d’abord que nous avons besoin de conversion. C’est le premier pas de notre conversion, une conversion qui est un retournement de tout notre être. Nous allions dans une directions, nous faisons volte-face.
Nous en prenons une autre, une autre qui est opposée à la première. La première conduisait vers le rien, la nouvelle va nous conduire à l’intérieur de la vie éternelle. Nous avons ainsi à fixer notre cœur là où se trouvent les vraies joies. Nous avons à accrocher notre vie à Dieu et à son univers. Nous avons à ne pas rechercher nos propres intérêts, mais plutôt ceux des autres.
Se convertir, frères et sœurs, c’est apprendre à vivre dans la vérité de notre condition. Or notre condition réelle, la voici : nous sommes enfants de Dieu. La vie de Dieu palpite à l’intérieur de nos vies. Nous sommes les temples de Dieu. Il est là présent au plus caché de notre cœur.
Nous sommes promis dès maintenant à une vie impérissable dans la lumière et dans l’amour, cette vie qui brillait – je l’ai dit voici un instant – sur le visage de Jean le Baptiste. Et cette lumière, des hommes, des femmes n’ont pu la supporter. Eh bien nous, cette lumière, nous l’accueillons.
Se convertir, c’est consentir à aimer et, reconnaissons-le, ce n’est pas facile. Il s’agit à l’exemple de Jean et de Jésus d’aimer jusqu’au bout ; il s’agit de se mettre au dernier rang et de ce lieu privilégié, de ce lieu unique d’admirer, de s’émerveiller, d’applaudir à la sainteté des autres, une sainteté en germe mais une sainteté bien réelle ; il s’agit de voir ce que les autres sont déjà dans le secret, de voir ce qu’ils seront un jour en pleine clarté. Se convertir, c’est ne jamais juger même quand il faut blâmer pour établir la vérité.
Frères et sœurs, si chaque chrétien, à commencer par chacun de nous, pouvait ainsi œuvrer avec diligence à sa conversion, la vision du Prophète Baruch prendrait corps pour nous. Ce serait la gloire de Dieu présente au milieu de nous, la gloire de Dieu nous escortant et nous portant, ce serait une fraction de paradis ici sur notre terre.
C’est un rêve, mes frères, c’est un rêve ! Mais il dépend de nous qu’il devienne réalité. Permettons à Dieu de commencer son travail et soyons-en certains, comme l’Apôtre Paul vient de l’affirmer avec force, Dieu continuera jusqu’à l’achèvement de ce travail, il y continuera jusqu’au jour, au jour connu de lui seul où tout sera accompli.
Chapitre du jour de l’an. 01.01.97 1
Les étrennes du Seigneur ! 1
Homélie : Sainte Marie Mère de Dieu. 01.01.97* 4
Admirons-nous les uns les autres ! 4
Chapitre : Récollection de janvier. 05.01.97 6
Réflexion sur la foi. 6
Homélie : Funérailles de frère René. 04.03.97 8
Chapitre du lundi-saint. 24.03.97 10
La bonne odeur du Christ ! 10
Chapitre du mardi-saint. 25.03.97 13
L’espérance folle de Dieu ! 13
Chapitre du mercredi-saint. 26.03.97 17
Judas et Barabbas ! 17
Homélie du samedi-saint. 29.03.97 20
La mort colle à la vie ! 20
Chapitre : Dimanche in albis. 06.04.97 21
Passer de la mort à la vie. 21
Homélie : 5° dimanche après Pâques ; B. 27.04.97 24
La puissance de l’amour ! 24
Chapitre : Conclusions de la retraite. 04.05.97 26
L’éden du monastère ! 26
Chapitre : L’Ascension du Seigneur. 08.05.97 29
Quelle réponse à la misère du monde ? 29
Règle : Prologue.9 : Jésus est le Roi. 11.05.97 32
A genoux à nos pieds ! 32
Règle : 2, 1-28. Quels levains ? 13.05.97 34
1. Les bons et mauvais levains. 34
Règle : 7, 165-fin. L’emprise d’amour. 18.05.97 37
Né de l’eau et de l’Esprit. 37
Règle : 2, 1-28. Quels levains ? 19.05.97 39
2. Le levain de la divine justice. 39
Chapitre de la Fête-Dieu. 01.06.97 42
Plus tard tu comprendras ! 42
Homélie : Funérailles de Frère Julien. 03.06.97 44
S’attacher au Seigneur ! 44
Chapitre : Lettre de Dom Marc. 08.06.97 46
Préparation à la Visite Régulière. 46
Chapitre : Notre frère Julien. 10.06.97 50
La grandeur selon Dieu ! 50
Chapitre : La Visite Régulière. 15.06.97 52
Chapitre : La prière. 19.06.97 55
2. Le mystère de la prière. 55
Chapitre : Récollection du mois de juillet. 06.07.97 58
Quel type de vacances pour nous ? 58
Chapitre : La prière. 07.07.97 61
3. Un élan, un mouvement vers…… 61
Règle : 31,27-fin. Ni troublé, ni ……… 09.07.97 64
Un bonheur qui se paye ! 64
Chapitre : Relations avec nos ouvriers. 13.07.97 66
2. Les mœurs du monde sont proscrites. 66
Chapitre : Relations avec nos ouvriers. 20.07.97 69
4. Voir le Christ dans nos ouvriers ! 69
Homélie : XVI° dimanche. année B. 20.07.97* 73
Proche ou loin de Dieu ! 73
Chapitre : La prière. 23.07.97 75
4. Prier en Eglise. 75
Chapitre : Frère Antoine pensionné ! 27.07.97 77
Chapitre d’informations. 30.07.97 80
Changement de portier et de cuisinier. 80
Chapitre : Récollection du mois d’août. 03.08.97 83
Le ciel de Dieu, c’est nous ! 83
Chapitre : Le sens de la transfiguration. 10.08.97 86
Etre purifié par l’Esprit Saint ! 86
Chapitre : Récollection de septembre. 07.09.97 88
Se taire et écouter ! 88
Règle : 2, 1-28. La lumière qui divinise ! 10.09.97 90
Prendre Saint Benoît au sérieux ! 90
Chapitre : Une parole de Saint Grégoire. 12.09.97 93
Le ciel de Dieu, c’est le cœur du juste ! 93
Chapitre : La logique de la foi. 13.09.97 96
Viser le vrai but ! 96
Chapitre : Informations. 14.09.97 98
Statut du frère Joël * Nouveautés au brassage. 98
Règle : 3. 16-fin. Ecouter ! 17.09.97 103
Ne pas se contenter d’écouter ! 103
Règle : 4, 1-24. Le premier instrument. 18.09.97 105
Il s’agit d’aimer ! 105
Règle : 4,51-78.Aimer le Seigneur Christ.20.09.97 107
Le grand et premier commandement. 107
Chapitre : Encore la Carte de Visite. 21.09.97 109
Vision de foi * Présence aux Offices. 109
Chapitre : Un projet de Carta. 29.09.97 111
1. Lettre aux communautés. 111
Homélie : 26° dimanche ordinaire. B. 29.09.97* 115
Faire le bon choix ! 115
Chapitre : Un projet de Carta. 30.09.97 118
2. Les valeurs permanentes. 118
Chapitre : Contempler Thérèse ! 01.10.97 121
Thérèse jadis et aujourd’hui. 121
Chapitre : Un projet de Carta. 02.10.97 124
3. Suite et fin. 124
Chapitre : Récollection du mois d’octobre. 05.10.97 127
Entrer dans la communion des saints ! 127
Règle : 7. Coup d’œil ! 12.10.97 129
L’anéantissement de la personne ? 129
Règle : 10 ; Douze psaumes aux Vigiles. 13.10.97 131
La symbolique des nombres. 131
Règle : 14. Structure de l’Office. 18.10.97 134
Le mouvement de la vie monastique. 134
Règle : 15. Les Observances ! 19.10.97 136
Sollicitation à la conversion. 136
Règle : 14. Agenda ! 20.10.97 138
Ce qu’est l’Office Divin pour Saint Benoît. 138
Chapitre : Fête de tous les saints. 01.11.97 141
La présence des saints parmi nous ! 141
Homélie : Fête de tous les saints. 01.11.97* 143
Les 8 portes du Royaume ! 143
Chapitre : Récollection de novembre. 02.11.97 145
Le but de notre vie est le cœur de Dieu ! 145
Homélie : Jour des morts. 02.11.97* 147
Le message du Christ. 147
Chapitre : La Saint Hubert. 03.11.97 148
La nécessité de nous convertir ! 148
Homélie : Fête de la communauté. 07.11.97 150
Eloge de la malhonnêteté ! 150
Chapitre : La sainteté de Dieu. 16.11.97 151
1. En quoi consiste la sainteté de Dieu ? 151
Chapitre : La sainteté de la Règle. 18.11.97 154
Règle : 41. Ténèbres ! 19.11.97 157
Symbolique de la nuit et de la lumière. 157
Chapitre : La sainteté de Dieu. 22.11.97 160
2. Elle est hors de notre portée ! 160
Chapitre : La sainteté de Dieu. 23.11.97 163
3. Le visage du Christ crucifié. 163
Homélie : 2° dimanche de l’Avent. 07.12.97 166
Ecoutons Jean le Prophète ! 166
Fin de cette transcription. 167
Table des matières pour l’année 1997. 168
[1] Suite du 13.05.97
[2] Suite à un mauvais enregistrement, le texte de 1. Préambule du 17.06.97 n’a pas été retranscrit.
[3] Suite du 19.06.97 page 55.
[4] Suite du 22.06.97 qui n’a pas été transcrit car l’enregistrement était inaudible !
[5] voir 09.07.97 page 64.
[6] Suite du 17 * 19.06 et 13.07
[7] Suite du 17.06, du 19.06 et du 07.07.97
[8] Suite du 29.09.97
[9] Suite du 29 et 30.09.97
[10] Suite du 16.11.97
[11] Suite du 16.11.97 et du 22.11.97