Mes frères,
L'année qui commence sera témoin de profondes mutations économiques, sociales et politiques, dans notre pays et dans toute l'Europe occidentale. Les mois qui viennent sont les derniers avant l'ouverture du grand marché unique, avant l'abolition des frontières douanières.
Nombre d'adaptations devront prendre place et dans lesquelles nous serons obligés d'entrer. L'harmonisation des taux de TVA par exemple, la révision des droits d'accises, la fusion des sociétés, la constitution de grands groupes transnationaux et l'acquisition de mentalités nouvelles : une autre vision de notre région, de notre pays, de nos voisins, même du monde entier.
De nouvelles relations vont s'établir. Nous allons faire connaissance de nouveaux visages. Nous allons devoir entrer dans une harmonie nouvelle, et plus grande, et plus belle. Et nous ne resterons pas, naturellement, en dehors de ce mouvement général. C’est d'ailleurs tout à fait impossible. Il n'est pas réaliste de nous isoler, de nous enfermer dans une coquille, de vouloir à tout prix maintenir un statu quo qui aurait valeur d'éternité. Non, la vie est la plus forte que tout et elle nous emporte sur ses flots.
Mais dans ces mutations qui s'annoncent, je perçois pour ma part un message que nous devons transposer au plan spirituel. Ne serait-ce pas l'occasion providentielle de ranimer notre voeu de conversion, notre conversio morum, celle que nous avons promise le jour de notre profession ?
Oui, un changement d'approche vis-à-vis de nous-même, de notre destin, de notre entourage, du monde ; une transformation de notre conduite qui obéit à des lois nouvelles ; le désir de nous laisser travailler par des énergies qui viennent en nous, qui sont les propres énergies de Dieu et qui veulent nous élever là où naturellement il ne nous serait jamais possible d'accéder.
Le désir, le besoin, l'espérance de voir un rêve se réaliser, le propre rêve de Dieu sur nous, car nous sommes rêvés par Dieu. Et nous laisser rêver librement par Lui, c'est cela la route la plus directe vers l'épanouissement de toute notre personne. L'Europe évolue vers une unité à laquelle tous aspirent. On espère une plus grande prospérité, une meilleure répartition des richesses, une intégration plus poussée des races et des Cultures. On espère le surgissement lent mais certain d'une âme commune.
Or, notre communauté ne pourrait-elle pas saisir cette occasion pour renforcer sa cohésion autour d'un même idéal. Cet idéal existe déjà, il est vivant. Mais ne peut-il être revitalisé, revigoré? Et cet idéal n'est autre, vous le savez, que l'unions à Dieu, que la sainteté. Osons employer ce mot en y mettant tout ce qui doit s'y trouver, c'est à dire la propre vie de Dieu se réalisant totalement en nous, le partage sans limite de la nature divine, la transformation de notre esprit et de notre coeur, la transfiguration de toute notre vie.
Voilà l'idéal qui est le nôtre et que nous partageons tous du fait que nous sommes ici, que nous avons été appelés par Dieu et rassemblés par l'Esprit pour former un Corps. Et la montée vers cet idéal, la montée en commun, c'est justement cela l'objet du voeu de conversio morum. Il est donc actif et agissant tous les jours. Il est omniprésent dans notre vie tout comme l'obéissance, tout comme la stabilité.
Or, mes frères, nous pouvons voir se matérialiser cet idéal et cette montée vers Lui, donc notre conversio morum, dans la restauration de notre église. En effet, cet édifice - vous n'êtes pas sans le savoir - est le symbole de la grande Eglise qui est le Corps du Christ et de la petite Eglise qu'est notre corpus monasterii. Nous constituons un Corps. Et ce Corps, comme les tout premiers cisterciens, les fondateurs de Cîteaux, l'ont déjà affirmé avec force, est une Eglise.
Or église, vous le savez, cela signifie "ce qui est appelé, ce qui est choisi". L'Eglise est autre chose qu'un groupement purement humain. Non, une Eglise est créée par un appel et cet appel retentit sans arrêt. Et c'est cet appel qui constitue l'Eglise, qui la rassemble, qui la fait vivre et évoluer vers son destin.
Et justement cette Eglise, ce Corps monastique est symbolisé par l'édifice de pierre qu'est l'oratoire dans lequel nous nous réunissons tant de fois par jour. Or, dans cet édifice qui est le symbole de notre communauté, c'est là que Dieu est plus particulièrement présent, plus particulièrement rencontré. C'est là que nous pouvons lui parler dans une intimité, dans une familiarité plus grande.
Et la restauration de notre église, c'est le don à notre communauté comme un visage nouveau, un visage plus jeune, plus frais, plus beau. Nous sommes naturellement toujours dans le domaine du symbole. La beauté que nous essayons de réaliser dans cet édifice de pierre, nous devons la réaliser aussi dans l'édifice de chair que nous formons. Un ne peut aller sans l'autre.
Il n'est pas imaginable d'avoir une église rénovée, restaurée, rajeunie et d'avoir une communauté qui se disloquerait, une communauté dont les éléments s'affronteraient. C'est tout à fait inimaginable. C'est comme si l'église de pierre était construite sur un terrain mouvant et que tout bougerait. Finalement ce serait l'écroulement.
Non, la communauté doit être construite sur le roc comme l'Eglise de Pierre est construite sur le Roc solide. Nous devons donc travailler chaque jour, mes frères, à la rénovation, au rajeunissement de l'Eglise que nous formons tous. Nous aurons donc soin, le soin que nous mettrons à parfaire notre édifice de pierre montre le soin que nous devons apporter à faire de nos personnes et de nos communautés un Temple de Dieu.
Car c'est cela en fait que notre Dieu veut réaliser: que nous soyons personnellement et tous ensemble le temple, le lieu de sa demeure. Alors la communauté devient vraiment une apparition sur terre de ce grand rassemblement des saints que nous voyons être convoqués dans les derniers livres de l'Apocalypse.
C'est ça notre but communautairement parlant, mais tous nous devons y travailler. Si bien que chaque pierre que nous apportons là-bas pour notre église matérielle est le symbole des petites pierres que nous autres nous apportons chaque jour par nos actes de vertu, nos actes de pureté à la construction du Temple de Dieu qu'est le corpus monasterii.
Alors voilà, mes frères, le souhait que je vous adresse pour cette année qui s'ouvre. Nous demanderons au Christ de le concrétiser fidèlement en chacun d'entre nous et dans notre communauté entière.
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Mes frères.
La puissance de la bénédiction déposée par Dieu sur les lèvres d'Aaron et de ses fils s'est trouvée ramassée toute entière sur la tête de Marie, la fleur merveilleuse de la race d'Israël. Le plus précieux, le plus délicat, le plus pur, le plus beau de l'amour qu'est Dieu dans la Trinité de son être mystérieux a été caché dans le coeur immaculé de Marie.
Nous ne pourrons jamais juger à sa juste valeur le geste fou posé par Dieu, posé par Dieu quand il demanda à Marie la faveur de l'avoir tout ensemble et pour épouse et pour mère. Nous sommes en présence d'une beauté vertigineuse qui nous enfonce dans un silence de respect, de vénération et d'adoration.
Il faudrait pouvoir entrer dans l'intimité la plus secrète de Marie pour sentir intuitivement l'inouï d'une telle beauté et pouvoir l'admirer sans mots. Car elle est au-delà de tout ce que notre esprit peut concevoir, au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer.
Il n'est pas monté dans le coeur de l'homme ce que Dieu dans son amour pouvait préparer pour celle qui sera un jour la mère de son fils. Et ne l'oublions pas, mes frères, elle est aussi notre mère. Et cette beauté qui est la sienne, elle ne la garde pas jalousement. Elle veut la partager avec chacun d'entre nous.
N'ayons pas peur de le dire : aux yeux de Dieu, à ses yeux à elle, nous sommes tous beaux, beaux dans notre singularité, dans notre originalité, beaux parce que nous sommes chacun uniques pour lui, uniques pour elle.
Pouvoir ainsi admirer Marie dans ce qu'elle est vraiment, ne serait-ce pas là une grâce accordée au vrai contemplatif ? Les saints pourraient nous le dire.
Oui, Marie a été bénie du Seigneur et gardée par lui. Si le mal s'est précipité sur elle, il n'a pas pu la jeter bas. L'amour de Marie est demeuré invaincu pour jamais. Oui, le Seigneur a fait briller sur elle son visage. Il s'est penché vers elle. Elle chante elle-même que Dieu a remarqué son humilité, qu'il en a été séduit, qu'il s'est approché d'elle et qu'il l'a aimée.
Marie baignait dans la lumière de Dieu, elle le respirait. Elle était elle-même devenue lumière. Et Dieu ne pouvait résister à tant de candeur, tant de naïveté, tant d'innocence, tant de vérité.
Oui, le Seigneur l'a inondée de sa paix, cette paix, ce shalom qui est plénitude de vie, océan de félicité. Oui, Marie a été tellement marquée du nom ineffable qu'elle est devenue enceinte du Verbe de Dieu. Il lui a façonné un corps de sa propre chair.
Aujourd'hui, mes frères, nous savons que si Marie est la Mère de Dieu, elle est aussi notre mère à nous qui par pure grâce partageons la nature divine. Et nous devons permettre à Marie de nous enfanter entièrement.
De sa propre chair, elle a façonné un corps pour Dieu. Et maintenant, de sa propre chair à nouveau, de son être transfiguré, glorifié, entièrement lumière et amour, elle nous façonne, nous, mystiquement et elle permet à Dieu d'avoir, de trouver en nous - comme on l'a dit – une humanité de surcroît.
C'est là la merveille de notre destinée. Nous devrions toujours l'avoir sous les yeux. Et à ce moment, tout ce que nous rencontrons sur notre route - même les épreuves les plus lourdes - deviendrait le chemin qui nous conduit à travers ces épreuves, qui nous conduit vers notre taille d'adulte.
Oui, osons le dire, nous sommes toujours ici en état de naissance, et une naissance n'est pas toujours facile. Mais elle aboutit en l'apparition d'un être nouveau, d'un nouveau fils de Dieu, d'un nouveau Dieu réel. Et alors Marie est comblée car il n'y a pas de plus extraordinaire épanouissement pour une femme que d'avoir d'elle-même façonné un enfant.
Alors essayons de comprendre un peu, un tout petit peu ce qui se passe en Marie lorsqu'elle voit que nous sommes là, nous, en train de nous laisser créer par elle, mettre au monde par elle.
Mes frères, comment dans le sein virginal d'une telle mère ne pas aller jusqu'au bout de notre vocation à la divinisation et à la sainteté ? Encore une fois, c'est tout simple: il suffit de nous laisser enfanter. Notre foi et notre amour iront à cet extrême pour la gloire de Dieu et celle de Marie sa Mère, de Marie notre Mère.
Amen.
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Mes frères,
Nous avons fêté aujourd'hui deux très grands saints, Basile et Grégoire de Nazianze. Ils sont à l'origine de la spiritualité monastique. Je rappelle que Evagre le Pontique, tout jeune, a été confié à Basile pour être initié aux mystères de Dieu et des fonctions sacrées.
Lorsque le moment est venu, Basile a fait de lui un lecteur. Puis, après la mort de son maître, Evagre a rencontré l'ami de Basile, Grégoire de Nazianze qui l’a ordonné diacre et qui en a fait son secrétaire. Et Evagre dans ses oeuvres fait fréquemment allusion à ce maître divin qu'a été Grégoire pour lui.
Alors mes frères, je pense qu'à cette occasion, nous pourrions quelques instants réfléchir à la sainteté. Elle n'est pas le fruit d'une génération spontanée, ne l'oublions jamais. La sainteté est le parfait épanouissement de la vie divine dans un coeur. Elle est donc reçue de Dieu. Et, ce qui est remarquable, cette vie peut se transmettre. Dans l'immense océan qu'est la vie divine - et ni oublions pas que la vie divine n'est pas distincte de Dieu lui-même dans sa Trinité - dans cet immense océan, nous sommes tous frères et soeurs, nous sommes tous pères et mères les uns des autres.
Rappelons-nous ce que le Christ a dit : Celui qui fait la volonté de mon Père, il est pour moi et une frère, et une soeur, et un père, et une mère. Cela peut nous paraître étrange à nous qui sommes limités par la chair, mais dans le monde à venir, c'est un phénomène ordinaire. Et comment cela se fait-il ?
Eh bien, habitant en Dieu, devenant de plus en plus participant à la vie di vine, nous nous recevons les uns des autres et nous nous donnons les uns aux autres exactement comme les trois Personnes divines. Si bien que tous ensemble nous formons un Corps dont les dimensions ne cessent de reculer car ce Corps se construit sans arrêt. Il s'agrège sans cesse de nouveaux membres.
Et dans ce Corps, personne n'est étranger. Pourquoi ? Mais parce que un même Sang spirituel circule en tous. Ce Sang spirituel, c'est le propre Sang du Christ. Lorsque au cours du repas eucharistique nous consommons le Sang du Christ, lorsque nous mangeons le Corps du Christ, c'est ce Sang spirituel qui vient en
nous déjà maintenant. Donc il circule déjà en nous maintenant et ceci fait que nous sommes des frères ou des pères les uns pour les autres.
Si bien que entre nous, il ne peut exister aucune inimitié, aucune envie, aucune jalousie parce que les richesses de chacun appartiennent à tous. Tout nous est commun. Personne ne peut dire : ça, c'est à moi!
Vous voyez, le fondement de notre voeu de pauvreté, il est encré à l'intérieur de la vie divine. Ce n'est pas une option philosophique. Non, c'est autre chose, c'est le retentissement en nous de la propre vie de Dieu. Parce que Dieu lui-même est pauvre, chacune des Personnes divines est absolument pauvre parce que chacune se reçoit des autres. Et cette surabondance de vie nous vient de Dieu le Père, la Source, par l'intermédiaire du Christ qui est Dieu avec nous et par le canal de l'Esprit Saint.
Maintenant, cette expérience qui est d'une beauté extraordinaire, Basile et Grégoire l'ont partagée en plénitude. Ils étaient UN ici-bas, ils étaient UN dans leur vie terrestre comme ils sont UN maintenant à l'intérieur de la création nouvelle.
Vous savez que c'étaient deux amis très dissemblables. Mais cela n'a pas d'importance car la véritable amitié est fondée sur la fraternité dans le Christ. Encore une fois, c'est parce que on partage la même vie en plénitude qu'on peut être de véritables amis.
Un ami dans tout le sens noble du terme, c'est toujours un frère. Mais je parle de l'amitié au plan spirituel, donc dans l'Esprit Saint à l'intérieur de cette vie divine. C'est parce que nous sommes frères en Dieu que nous pouvons être ainsi.
C'est un même sentiment donc qui vit dans le coeur de chacun parce que c'est une même vie divine qui harmonise les différences et qui crée l'unité des coeurs et des esprits.
Basile et Grégoire étaient dissemblables au possible. On nous l'a encore rappelé au cours de l'Office de nuit. Je ne vais pas encore entrer dans ces détails. Mais voilà, en fait ils étaient UN.
Et ce qu'il y a de beau dans des amitiés comme ça vraiment spirituelles, donc fondées sur la fraternité en Dieu, c'est que les différences de caractère, de tempérament, d'aptitude, de niveau de vie, de Culture, de race, tout cela contribue à l'unité ; ça la construit, ça la solidifie, tandis qu'au plan charnel ça pourrait être des obstacles.
Je pense que nous devons bien avoir conscience de cela parce que dans une communauté monastique, c'est ce qui se passe. Nous pouvons être extrêmement différents les une des autres, mais comme nous sommes tous frères, nous sommes tous des amis.
Cela ne veut pas dire que nous devons nous faire toutes sortes de choses un peu spéciales lorsque nous nous rencontrons dans un coin du cloître ou ailleurs. Non, non, non, non, non, non, c'est un sentiment beaucoup plus profond.
Alors, à l'intérieur de cette amitié, Basile et Grégoire se recevaient tout les deux de Dieu et un engendrait l'autre. Cela veut dire que Basile pouvait se dire le père de Grégoire et que Grégoire pouvait se dire le père de Basile.
Je vous assure que ce sont les merveilles qu'on ne peut voir qu'à l'intérieur de la création nouvelle. Mais voilà, eux étaient des saints. Ils y entraient, ils y vivaient et ils faisaient ces découvertes qui sont vraiment extrêmement belles et qui vont constituer un des éléments essentiels de la béatitude éternelle : se recevoir les uns des autres et se restituer les uns aux autres.
Eh bien, mes frères, nous sommes appelés, nous, à faire les mêmes découvertes. Rappelez-vous que Saint Benoît nous donne Basile comme exemple. Il dit : notre Père Saint Basile.
Nous prenons conscience de notre appartenance à une même vie divine dans la mesure où nous permettons à cette vie de tout envahir en nous. Saint Benoît vient de nous le dire maintenant, Pr.22-33. Il suffit pour cela d'ouvrir les yeux à la lumière qui divinise et de tenir les oreilles attentives à la voix de Dieu.
La vie monastique, elle est donc - pour Saint Benoît - essentiellement une vie contemplative. Elle est toute entière enclose dans une audition et dans une vision. Il faut écouter Dieu qui parle et il faut regarder Dieu qui donne sa vie en partage.
Il y a, dit-il, une lumière. Je rappelle - je vous l'ai déjà dit autrefois - qu' Evagre le Pontique avait fait un pèlerinage de 18 jours pour rencontrer Jean de Licopolis en Thébaïde, Jean le voyant, pour lui poser cette question : Mais quelle est cette lumière que je vois ? Il était accompagné de son ami. Voilà, nous voyons une lumière, mais qu'est-ce que c'est cette lumière ? Et Jean de Licopolis n'avait pas voulu leur répondre.
Evagre a compris plus tard. Il n'est pas possible de dire quelle est cette lumière. On peut simplement dire comme Saint Benoît : c'est une lumière qui rend l'homme Dieu. Et cette lumière, même si nous ne la voyons pas distinctement avec les yeux du coeur, notre instinct la voit. Et c'est la raison pour laquelle on persévère à l'intérieur de la vie monastique, c'est la raison pour laquelle on y vient.
Le critère d'une vocation à la vie monastique, donc un appel à cette vie contemplative, c'est le fait de cette vision : on voit la lumière. On ne le sait pas, mais il y a quelque chose en nous qui le sait. Et ce quelque chose fait que quoi qu'il arrive on reste sur place jusqu'à ce que insensiblement notre être se transfigure.
Et c'est cela, vous voyez, le coeur de notre vie : regarder cette lumière, cette lumière obscure, cette lumière mystérieuse, et puis ouvrir les oreilles à la voix qui sans cesse nous invite à aller plus loin et à monter plus haut.
Eh bien, mes frères, le moine est donc toujours en position d'accueil. Il reçoit Dieu par les oreilles et par les yeux. Si bien que la divinisation s'opère dans le secret. Et au terme, on est UN avec Dieu et on est UN avec les autres. Car cette montée à l'intérieur de cette unique recherche qui nous tient ensemble, qui nous rapproche, qui nous soude, qui nous construit en un seul Corps quelques soient les tensions qui arrivent.
Car il faut qu'il y ait des tensions dans le Corpus monasterii. Elles sont salutaires ces tensions parce que elles montrent que la vie se développe, et que la vie avance, et que la vie franchit les étapes et qu'elle bouscule les obstacles, donc que la vie purifie.
Eh bien, toutes ces tensions deviennent salutaires et bénéfiques parce qu'elles sont elles-mêmes portées par cette vie divine qui insensiblement mais irrésistiblement travaille les coeurs, et les envahit, et les transforme.
Voilà, mes frères, telle est notre vocation. Saint Basile, Saint Grégoire et Saint Benoît nous le rappellent ce soir. Essayons d' y être fidèles le mieux possible et surtout n'ayons pas peur de la creuser. Et comment faire pour la creuser ?
Eh bien, il faut entrer en communion de vie avec les saints. Il se découvrir leur frère et leur ami. Il faut devenir de plus en UN avec eux et il faut donc les fréquenter. Il faut lire ce qu'ils ont légué de leur expérience, surtout ces grands moines du passé. Nous en avons dans notre Ordre, nous en avons avant notre Ordre.
Cela ne veut pas dire que maintenant il faut lire toute la patrologie parce que nous n'en sortirons jamais. Mais il suffit, voilà, d'en rencontrer un, puis d'en rencontrer un autre et, au hasard ainsi des rencontres de mieux recevoir d'eux ce que la Trinité veut nous donner justement par leur intermédiaire à l'occasion de ces rencontres.
Maintenant, nous irons remercier le Seigneur pour tout ce qu'il a fait de nous, de tout ce qu'il a fait pour nous et, dans une grande espérance, nous lui demanderons d’accomplir en chacun de nous ce qu’il désire, pour sa gloire et pour notre vrai bonheur.
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Mes frères,
Les jours que nous vivons depuis la Noël et qui gravissent de nouveaux sommets de lumière en cette fête de l'Epiphanie, nous rappellent avec force l'extraordinaire richesse de notre destinée humaine. Nous sommes des êtres amphibies. Par une partie de nous-mêmes nous rampons ici sur terre, par une autre partie nous voguons parmi les étoiles.
Nous sommes des êtres de chair et de sang asservis à une foule d'instincts innés ou acquis. Nous sommes faibles, fragiles, vulnérables, inconsistants et le péché nous guette à chaque tournant. Des peurs viscérales irraisonnées nous tiennent et nous replient sur nous-mêmes comme à l'intérieur de fortin.
Et le regard que nous portons autour de nous n'est pas un regard de pure confiance. Il y a toujours en lui un éclair de peur. Et quant à notre égoïsme si puissamment enraciné en nous, il corrompt les plus nobles de nos actions. En fait, il s'insinue partout et nous ne sommes pas parfaitement libres. La vraie liberté nous est étrangère.
Mais nous savons très bien aussi que notre réalité ultime n'est pas ce produit caricatural. Nous sommes aussi et d'abord des fils et des frères de Dieu. La Trinité a déposé en nous un germe, un germe d'une puissance irrésistible. Et cette semence nous travaille, elle se développe, elle nous envahit jusque dans les plus cachées de nos cellules et petit à petit elle nous établit dans la vérité de l'amour. Nous nous éveillons insensiblement à notre être véritable et éternel et nous devenons Dieu. N'ayons pas peur de le dire.
Tel est le prodigieux destin dans lequel nous sommes invités à entrer consciemment. Dieu est devenu homme - on ne le répétera jamais assez - Dieu est devenu homme pour que nous puissions devenir Dieu. Et devenir Dieu, c'est recevoir une nature nouvelle, une nature qui nous est étrangère, la propre nature de Dieu et cela, sans quitter notre nature d'homme.
Devenir Dieu, c'est devenir amour, c'est devenir lumière et ainsi voir tout le péché anéantir en nous. Devenir Dieu, c'est se découvrir solidaire de tous les hommes et même de l'univers matériel entier, c'est reconnaître en chaque homme un frère, un compagnon. Il existe une consanguinité spirituelle divine qui nous lie à tous et qui nous permet de grandir et de nous épanouir ensemble.
Nous formons tous un Corps immense. Et à l'intérieur de ce Corps, chacun d'entre nous, chaque homme a sa place. Et tout homme, tout petit d'homme qui arrive dans notre monde est inséré dans ce Corps et lui aussi est appelé à devenir en plénitude une cellule de cet être mystérieux que nous appelons Dieu.
Car Dieu ni est pas jaloux. Lorsqu'il nous donne sa nature, il nous donne tout de lui. Il ne retient pas pour lui un petit quelque chose qui serait caché dans un coin et qu'il se réserverait. Non, il partage absolument tout, et il peut le faire. Il peut le faire parce qu'il est habité par la pauvreté.
Dieu est tel qu'il ne veut absolument rien retenir pour lui lorsqu'il se trouve en présence de sa créature, de cette créature qu'il a suscitée, qu'il a créé justement pour en faire sa compagne. Et devenir Dieu, c'est aussi commencer à voir Dieu dans sa beauté, dans sa merveilleuse beauté et dans sa providence universelle.
Mes frères, le plus bouleversant est peut être, est sans doute, est certainement la vision de cette beauté. Oui, la beauté de Dieu nous saisit aux entrailles et elle nous retourne de fond en comble. Ce qui nous attire en lui, ce n'est pas sa bonté, ce n'est pas sa grandeur, ce n'est pas sa bienveillance, ce n'est pas même le fait qu'il est amour, c'est uniquement sa beauté. Nous allons vers Dieu, nous ne pouvons pas nous passer de Dieu parce que Dieu est beau.
Et cet instinct est inscrit dans la surnature de chaque homme. Et c'est pourquoi l'homme est tellement avide de beauté. Chaque homme tout au fond de lui -même, à son insu, est un artiste et un poète. Pourquoi ? Mais parce que il est déjà un fils de Dieu. Et si on voit Dieu ainsi dans sa beauté, il n'est plus possible de vivre replié sur soi, il n'est plus possible de vivre pour soi. Immédiatement on s'ouvre pour accueillir cette beauté en elle-même et dans toute sa manifestation.
On vit en état d'extase, c'est à dire on vit hors de soi. On a déménagé de soi. On a laissé derrière soi toutes ses peurs et on se lance en avant vers cette beauté. Oui, la beauté de Dieu arrache l'homme à lui-même, à toutes ses mesquineries. La beauté de Dieu le projette dans tous les espaces immenses, infinis de la gratuité. Alors vraiment on arrive au paroxysme de la vie et on sait que c'est pour jamais.
Mes frères, l'Epiphanie de Dieu, la manifestation de Dieu dans la personne du Christ Jésus nous dit vraiment qui nous sommes et elle nous invite à l'être totalement. Le Christ et Dieu dans sa Trinité attendent de nous une réponse. Cette réponse doit être positive. Elle sera affirmative. Jour après jour, instant par instant, nous épousons la volonté de Dieu et ainsi sa vie se transfuse en nous.
Notre métamorphose, notre transfiguration est lente, elle est extrêmement lente. Pourquoi ? Mais parce que ce qui est fait pour durer croît, grandit toujours lentement. Elle est lente, mais nos peurs et nos résistances sont tenaces et, c'est pourquoi elle doit être lente. Petit à petit elle doit les ronger, elle doit les user et ainsi les faire disparaître. Un jour, sans savoir pourquoi, elles ne sont plus là !
Notre naissance à notre être nouveau, mes frères, elle ne peut être arrêtée. On peut dresser des obstacles devant elle, on peut en freiner le développement, mais l'arrêter est impossible. Et là est notre force, et là est la source de notre confiance. Nous devons le savoir.
Maintenant, écoutez mes frères : le chrétien, il est dans le monde la conscience éveillée de l'humanité en voie de divinisation. La plupart des homme ne pensent pas à cela, cela ne leur est même jamais venu à l'idée. Ils ont d'autres soucis. Ils sont enfoncés, comme dit l'Apôtre, dans les soucis de la chair, dans les soucis de la vie de tous les jours, dans les soucis de la survie pour certains. Mais encore une fois, avec nous ils forment un seul Corps. Et dans ce Corps, le chrétien, le vrai chrétien doit être la conscience.
Il doit être une conscience éveillée qui sait que l'humanité est en train de passer d'un stade purement animal, psychique, humain, à un stade qui est celui même de la Trinité, un stade de divin. Il le sait ainsi pour tous les autres. Et sa mission est sublime, et sa responsabilité est grande.
Quand au moine, lui, eh bien, il est la fine pointe de cette conscience. Il doit le savoir et ne jamais l'oublier. Le moine contemplatif est donc appelé par devoir d'état à s'ouvrir totalement à Dieu, à le rencontrer, à se laisser posséder par lui, à se laisser métamorphoser, transfigurer par lui et finalement à le voir.
Mes frères, si nous sommes dans le monastère, nous avons une fonction sociale, même une fonction cosmique. C'est précisément celle-là, c'est d'être la fine pointe de la conscience de l'humanité en voie de transfiguration. Et lorsque nous avons reçu de Dieu la grâce de le voir, à ce moment nous sommes presque la fine pointe, l'étrave d'un navire qui s'avance dans les flots du monde et qui fait sa route vers ce Dieu qui l'attire.
Alors mes frères, pensons-y - si vous le voulez bien - demain en cette fête de l'Epiphanie et demandons les uns pour les autres, demandons à la sainte Trinité, demandons au Christ qui est Dieu avec nous, demandons que l'amour, la compassion, la beauté, la gratuité soient le plus profond de notre respiration dès maintenant comme elle le sera pour l' éternité dans la création nouvelle.
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Mes frères,
Notre Père Saint Benoît est un saint et, comme tout saint qui se respecte, il est aussi un poète et un artiste. Il se permet donc de temps à autre d'user d'artifices stylistiques qui rendent son texte plus beau, plus attrayant et qui permettent à son disciple de mieux retenir et de mieux saisir ce que Saint Benoît veut inculquer.
Nous avons ainsi aujourd'hui une antithèse en forme de chiasme. Je vais d'abord le donner en latin. Nous avons fugientes - pervenire - gehennae poenas et vitam perpetuam, Pr. 100.101. Il trace donc une croix en forme de X.
Il nous demande de tourner carrément le dos à un malheur qui serait sans remède : le châtiment de la géhenne et à parvenir sans tarder à un bonheur sans mélange qui est la vie éternelle. D'un côté, nous avons donc des tourments sans fin dans un corps pourri et, de l'autre côté, nous avons la vie en plénitude dans un corps transfiguré.
Mais en quoi consiste cette vita perpetua, cette vita aeterna ou, comme il dit parfois simplement, cette vita, la vie par excellence ? Poser cette question, c'est déjà entrer à l'intérieur d'un mystère parce que nous entrons chez Dieu.
La vie éternelle n'est pas une vie d'une durée illimitée, ni une vie qui serait analogue à la nôtre mais infiniment meilleure. Non, avec la vie tel que l'entend Saint Benoît, tel que l'entend aussi la révélation divine, c'est la vérité absolue. Rien ne peut en donner l'idée. Pour la connaître, il faut en avoir l'expérience. Et pour ça, il faut avoir franchi le seuil d'un autre univers.
La vie dont il est question n'est pas une chose, elle n'est pas une expérience qu'on ferait. Non, elle est une Personne. Elle est celle de Dieu dans sa Trinité. Elle est Dieu dans sa Trinité, elle est le Christ dans son Corps ressuscité. Le Christ - ne l'oublions jamais - est Dieu avec nous. C'est Dieu qui est venu à nous, ce n'est pas nous qui sommes allés à Dieu.
La vie est donc une personne. Il nous faut donc entrer en communion avec cette personne pour connaître cette vie. Mieux encore, nous devons recevoir cette personne en nous et, la recevant en nous, nous sommes introduits en elle. Alors, nous entrons dans la vie, c'est à dire dans une participation pleine, entière et sans retour à l'être même de Dieu.
On nous l'a lu au cours de l'Octave de la Nativité. On nous a dit, on nous a répété que Dieu nous avait rendus participants de sa propre nature. Eh bien, c'est cela la vie ! C'est celle-là que nous propose Saint Benoît et toute la Tradition monastique. Elle est donc une participation consciente à l'être de Dieu. Et c'est cette prise de conscience qui constitue la contemplation.
Il ne s'agit pas, attention, de faire une expérience sensationnelle qui nous placerait à part du restant des hommes. Non, c'est bien autre chose. Elle est l'humble accueil d'un cadeau, un cadeau que personne ne connaît, que personne ne peut remarquer parce qu'il n'apparaît pas au-dehors.
Il ne faut donc pas imaginer des phénomènes étranges qui attireraient l'attention sur une personne et qu'on se dirait : mais celle-là, quoi ? Il se passe quelque chose d'étrange, de nouveau, ça doit être un saint.
Non, ce n'est pas cela. C'est extrêmement caché, extrêmement discret, c'est aussi invisible que Dieu lui-même est invisible. Et celui qui en est le sujet, celui qui la reçoit, il lui faut tout un temps pour s'en apercevoir.
Et cette vie entraîne dans l'homme un changement radical et permanent. Radical en ce sens que l'homme est changé à sa racine. Il reçoit donc en lui une racine nouvelle, une racine autre. Et sur cette racine se développe une plante, un être qui est nouveau.
Dans ce sens-là, cette vie entraîne un changement radical et permanent. Cela veut dire que c'est irréversible. Une fois que c'est arrivé, on ne peut plus l'arrêter, on ne peut pas la supprimer. La personne qui reçoit de Dieu ce cadeau devient donc un peu - c'est inchoatif naturellement - dans la situation qui sera la sienne après sa résurrection d'entre les morts.
On peut donc dire - les anciens le disaient - que c'est une expérience inchoative de la résurrection, la petite résurrection en attendant l'autre, la grande, la définitive. Car celui qui participe de façon consciente à la vie de Dieu, il sait très bien qu'il ne mourra pas. La mort biologique est un simple accident.
C'est un peu ce qui se passerait – attention ! c'est une comparaison qui peut donner une petite idée mais qui est quand même très éloignée de la réalité - c'est un peu ce qui se passerait avec une chenille qui entre en léthargie, qui devient une chrysalide, qui est comme morte et puis qui tout à coup se retrouve à l'état de papillon. Mais ici, c'est une simple métamorphose.
Pour nous, ce n'est pas une métamorphose, je dirais, dans le même sens que cela. C'est un changement radical, c'est autre chose, c'est une altérité absolue. Et qu’arrive-t-il comme changement par exemple ? Alors, c'est ça qui peut se remarquer à l'extérieur et dans la personne aussi elle-même naturellement qui en a conscience, c'est que l'égoïsme disparaît. Il fond, il disparaît, il n'y en a plus.
Et c'est l'amour, c'est la charité qui s'installe. Elle s'installe comme dans une maison dont elle ne sortira plus. Elle est maintenant chez elle car l'égoïsme est parti. Et puis, il y a alors une autre façon de voir, une autre façon de juger, une autre façon de comprendre, une autre façon de réagir. Pourquoi ?
Mais parce que on a acquis des moeurs nouvelles. Ce sont les moeurs mêmes de Dieu. Et c'est assez désagréable parfois de se porter en porte à faux par rapport aux autres. Et c'est pourquoi l'homme qui fait une telle découverte, il sera naturellement un silencieux. Il ne donnera pas facilement son avis. Il va réagir comme le recommande Saint Benoît, il va se taire jusqu'à ce que on l'interroge. Il ne s'imposera pas.
Si on l'interroge, si on le questionne sur quelque chose de bien précis, alors il donnera son avis. Et il pourrait très bien se faire qu'il soit exactement le contraire des autres. Mais ça, c'est parce que il voit comme Dieu voit. Par exemple ceci : il ne mettra pas en évidence un cas, une situation dans des cadres disons juridiques. Non, il va d'abord voir les personnes parce que ce qui est intéressant pour Dieu, ce n'est pas la situation, c'est la personne.
Dieu s'est fait homme pour les personnes et non pas pour stabiliser un état qui se trouvait là. C'était la grande confusion ! Et il a fallu longtemps, il a fallu qu'il soit ressuscité d'entre les morts, et encore, il a fallu que les Apôtres aient reçu l'Esprit Saint dans leur coeur pour que enfin ils réalisent que la primauté absolue était celle des personnes et que c'était cela justement le coeur de la mission du Christ, que c'était sauver des personnes et non pas garantir une situation qui était là, qu'il fallait restituer ou protéger.
Alors, un tel homme qui reçoit cette vie divine, il devient pauvre, extrêmement pauvre. Ce n'est pas une pauvreté qui dépendrait du CPAS, ce n'est pas ça que je veux dire. Il devient entièrement pauvre. Mais ça se comprend. C'est un excès de richesse. Il a chez lui la propre vie de Dieu de façon consciente. Il sait, il voit qu'il devient comme Dieu, qu'il devient Dieu lui-même et qu'il est dans la création nouvelle.
Mais alors, il n'est plus attaché à rien du tout. Il en dispose parce qu'il doit encore en disposer. Il est encore ici sur terre dans un corps de chair. Mais pour le reste, non, il ne s'y attache pas. Et il respire la gratuité, l'innocence et, comme je l'avais expliqué un jour, la naïveté. Il devient naïf comme Dieu est naïf, pur comme Dieu est pur. Alors, à l'intérieur de lui, il commence à voir Dieu et la lumière qui est Dieu.
Et voilà, c'est cette vie que Saint Benoît nous propose. C'est ça la vie éternelle, la vie perpétuelle. Alors en regard, pour lui en opposition, il y a le contraire, c'est la géhenne. Et la géhenne, c'est justement l'absence de cette vie, ce qui est le malheur suprême. Il n'yen a pas de plus grand que celui-là. C'est le malheur par excellence comme l'autre est le bonheur par excellence.
Alors nous comprenons à partir de là la question que les moines posaient à leur Abba. Ils leur demandaient : Allez, dis-moi une parole pour que j'en vive ! Ou bien : Que faut-il faire pour avoir la vie?
Alors je pense, mes frères, que cette question devrait toujours flotter en nous et nous devrions nous demander : Mais que dois-je faire pour recevoir cette vie, pour qu'elle soit mon partage et qu'elle me transfigure sans délai.
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Mes frères,
Saint Benoît nous indique ce soir le lieu où nous pourrons trouver une réponse à la question que nous posions hier : Que faut-il faire pour avoir en partage la vie, la vie éternelle, la propre vie de Dieu ? Que faut-il faire pour la sentir palpiter dans notre coeur et nous transformer de jour en jour ?
Saint Benoît a fondé une école, une scola Dominici servitii, Pr.lO7, une école où nous apprenons à nous ouvrir à Dieu, à sa grâce, à son amour. Nous apprenons à briser les portes et les cloisons de notre égoïsme pour laisser la lumière de Dieu pénétrer notre âme, notre coeur et l'irriguer de manière à le purifier jusque dans ses cellules les plus secrètes.
Une école où nous apprenons à nous habituer à la compagnie de Dieu car vivre avec Dieu ne va pas de soi. Nous sommes habitués à vivre avec nous-mêmes et non pas avec Dieu. Donc s'ouvrir à Dieu et s'habituer à Dieu.
S'ouvrir à Dieu, comment ? Mais en pratiquant ses vouloirs, en le louant, en le priant. S'habituer à Dieu en écoutant parler de lui, et en le reconnaissant, et en l'admirant dans la beauté de ses œuvres. Nous avons donc là les grandes œuvres monastiques par excellence : l'obéissance qui épouse le projet de Dieu sur nous ; l'obéissance qui n'est pas aliénante, qui n'est pas dégradante, qui n'est pas déshumanisante mais plutôt facteur de liberté ; l'obéissance qui est justement la porte, la fenêtre que nous ouvrons pour permettre à Dieu de venir en nous avec tout son être, avec sa Trinité qui est amour.
Et puis la Lectio qui nous informe des lois qui régissent l'univers de Dieu. La Lectio nous met en communion existentielle avec l'univers de Dieu. Si bien que lorsque nous fréquentons cet univers fidèlement chaque jour, petit à petit nos façons de vivre se modifient. Nous abandonnons presque sans le savoir les lois de ce monde-ci et nous faisons nôtre les lois de la création nouvelle. Nous passons ainsi d'une vie qui est condamnée à la mort à une vie qui est promise à l'éternité.
Il y a aussi l’oratio que nous devons prendre dans son sens étymologique « oraison/oratio » qui répond à Dieu. Nous écoutons Dieu, nous nous informons à son sujet dans la Lectio et puis dans l'oraison nous lui répondons. L'oraison est quelque chose de très personnel. Là nous parlons à Dieu et nous lui répondons, nous lui donnons notre accord.
Et le tout, voilà, est scandé par l'Opus Dei, cette œuvre de Dieu qui est communion, mais communion aussi à l'univers de Dieu. Je disais tout à l'heure que nous nous habituions par la Lectio aux lois de cet univers. Dans l'Office Divin, nous communions à cet univers, nous le laissons pénétrer en nous.
Le dernier soir où je me suis trouvé à Laval, on m'a encore demandé de m'adresser aux sœurs le lendemain matin, le jour même de notre retour. Et alors, j'ai expliqué aux sœurs en quoi consistait essentiellement la psalmodie, et puis l'oraison. je ne l'ai jamais fait ici, je ne l'ai pas encore fait.
Il faudra une fois que je le fasse parce que c'est quelque chose qui est fondamental dans notre vie. Je le ferai, si Dieu nous conduit jusque là quand Saint Benoît nous parlera de l'Office Divin. On comprendra mieux alors ce que c'est que l'Opus Dei.
Et puis alors ce qui scande encore toute notre journée, c'est le travail, le travail des mains qui est collaboration avec Dieu, qui est collaboration à son œuvre de création. Le monastère est un endroit où on accélère le travail de la création. On dirait que c'est dans ces lieux qu'il se passe des choses qui permettent à Dieu de hâter son avènement final. Donc nous allons vers une plénitude de beauté à l'intérieur du cosmos. C'est extrêmement lent. Nous ne pouvons pas le mesurer. Nos instruments de mesure sont déficients à cette échelle-là.
Mais si nous avons des yeux nouveaux qui pénètrent dans l'univers que Dieu investit de sa présence, de son amour et de sa lumière, à ce moment-là nous voyons que le mouvement de création peut être accéléré, c'est à dire le moment où Dieu sera tout en toute chose. Et cela peut se faire à l'intérieur du monastère lorsque nous permettons à Dieu d'être tout à l'intérieur de nous.
A ce moment-là, il s'est passé quelque chose d'unique, c'est à dire que dans un homme la création est tout à fait achevée, elle est parfaite, elle est accomplie. C'est ça le saint ! Eh bien voilà ce que notre travail manuel, notre travail qui touche la matière, peut nous permettre de réaliser. O, ce doit être pris dans un ensemble. Mais le travail manuel n'est pas uniquement pour nous permettre de gagner notre croûte, mais c'est aussi grâce à notre activité corporelle de permettre à Dieu de faire de nous des saints et d'achever en nous sa création.
Mes frères,
Si on regarde le texte latin, on remarque des verbes et des substantifs extrêmement évocateurs de ce qui constitue l'essence même de la vie monastique, à savoir un combat, une guerre. On va militare, et puis pugnare à trois reprises. Cela ne paraît pas dans le texte français. Nous devons bien avoir conscience de cette lutte qui est sans merci.
Et ce qui est bien, mes frères, c'est de porter des cicatrices. Vous savez que un bon soldat qui a fait son devoir, qui est en première ligne, qui a fait partie de missions spéciales, il porte des chevrons de blessures. Il a été blessé autant de fois. Le Père Roland pourrait nous donner toute une instruction à ce sujet. Mais voilà, dans la milice monastique, il en va de même.
N'ayons pas peur de donner des coups et d'en recevoir. Pas aux confrères naturellement, mais à notre égoïsme, au démon, à la chair, à tous ces vices dont nous parle ici Saint Benoît. Et si nous recevons nous-mêmes des coups, et si nous sommes blessés ça ne fait rien, ce sera notre honneur et notre gloire. Le Christ lui-même a été blessé, vous le savez. Il avait des blessures dans sa chair. Et ces blessures, maintenant nous les adorons, elles sont sa gloire à lui.
Nous ne devons pas craindre nous-mêmes de recevoir des blessures, pas nécessairement dans notre chair physique, mais dans notre chair spirituelle, dans notre coeur, dans notre esprit. Certains Pères du désert ou certains Docteurs de l'Eglise sont entrés dans le détail de ce combat.
A l'occasion, nous pouvons rencontrer ce qu'ils nous disent. Nous devons toujours l'accueillir avec respect et - encore une fois - bien savoir que nous ne sommes pas des rentiers, nous ne sommes pas des planqués ni des embusqués. Nous sommes ici vraiment en première ligne.
Et pour en revenir à ce que je disais hier, que pour avoir la Vie il fallait être fidèle à la scola, à l'école qu'est le monastère, nous apprenant à nous ouvrir à Dieu, à nous habituer à ce Dieu mystérieux qui veut se saisir de nous pour nous faire participer à sa vie ; eh bien, on reste dans cette école jusqu'à la mort, Saint Benoît le dit, Pr.ll7, jusqu'à la mort.
Il n'y a pas, je pense, une école au monde où on reste aussi longtemps. Quand on a bien étudié, quand on a reçu ses diplômes et ses grades, on peut même devenir professeur. Mais un élève, un étudiant perpétuel, ça paraît un peu étrange quoique aujourd'hui il faille sans cesse se recycler, toujours se tenir à la hauteur des nouveaux acquis de la science et du savoir.
Mais dans le monastère, c'est autre chose. On n'a jamais fini de s'initier aux mystères de la création nouvelle. Il y a toujours à apprendre, il y a toujours à se réformer, il y a toujours à s'adapter. Car les mœurs divines qui doivent devenir les nôtres ne sont pas à circonscrire cérébralement, spéculativement. Il faut les apprendre en les laissant nous travailler.
C'est comme une chorégraphie - je l'ai déjà expliqué - où le khorêgos, le Maître de chœur, c'est le Christ. C'est lui qui donne le mouvement. Il faut donc épouser son mouvement. Et en épousant son mouvement, on le connaît et on s'accorde. Ce n'est pas en regardant comme ça le thème de la chorégraphie qu'on pourra l'exécuter.
Et alors, il faut toujours s'initier aux meilleures façons de répondre et de s'adapter. On n’aura donc jamais fini. Si bien que le vrai moine conserve sa vie durant le cœur d'un novice. Il est toujours avide de s'informer, avide de chercher, avide d'apprendre, avide de découvrir. Et c'est cela l'exercice permanent de notre vœu de conversion.
C'est cette conversio morum justement qui fait que nous abandonnons les mœurs du monde et les mœurs de la chair. Nous leur opposons même un refus absolu et nous adoptons les mœurs divines qui - encore une fois - sont très difficiles pour notre être qui est blessé. Il est blessé, non pas par suite de son combat, mais blessé par son péché, blessure innée qui fait que voilà, nous devons toujours, toujours nous reprendre, et toujours, toujours nous réformer.
Il y a donc aussi un accueil sans réserve des notions spirituelles que l'Esprit, le Christ essaye d'imprimer en nous. Et nous ne sommes pas statiques, nous ne sommes pas immobiles. Cette impression, cette empreinte en nous s'effectue lorsque nous bougeons, lorsque nous répondons à chacune de ces motions.
Plus on devient léger, mieux ça vaut, plus on devient impalpable, mieux on s'adapte à ce léger souffle de l'Esprit Saint. Je dis impalpable, non pas que l'on doive devenir désincarné, loin de là. Mais on est impalpable parce que on ne possède plus rien. On ne peut plus que nous toucher au cœur parce que nous avons tout perdu.
Le Christ est formel à ce sujet. Je pense que nous passons très facilement sur ce qu'il nous dit : Il faut perdre tout pour gagner tout. Mais voilà, il faut tout de même une certaine audace, cette audace de la foi.
Et c'est la raison pour laquelle à travers cet écolage perpétuel du monastère, nous rencontrons la fameuse Parole du Christ sur laquelle je me suis attardé un peu dans la période de Noël. C'est que le Royaume de Dieu est uniquement ouvert aux petits enfants. Il est fermé à double tour, à triple tour aux adultes.
C'est inutile, les adultes n'y entrent pas. Ils n'y ont pas leur place. Il y a autre chose pour les adultes. Il y a un paradis terrestre pour les adultes peut-être, mais pour les petits enfants il y a le Royaume de Dieu. Et pourquoi ?
Mais parce que ces petits enfants sont largement ouverts. Ils croient tout, ils espèrent tout, ils osent tout. Et seuls les enfants savent aimer vraiment. Les enfants désarment tout le monde par leur candeur. Ils savent répondre.
Un petit enfant n'a pas peur. C'est lorsqu'il grandit, lorsqu'il devient, disons un grand enfant, un adolescent qu'il commence à prendre peur. Il se rend compte que le monde est méchant. Il y a de la malice dans le monde et il prend peur, il se protège.
Eh bien le moine, lui, il voit la malice du monde mais il n'en a pas peur parce que comme le dit Saint Benoît, il est un lutteur, lutteur mais petit enfant. Et les petits enfants sont les meilleurs combattants parce qu'ils sont totalement désarmés. Leurs seules armes, c'est leur naïveté, leur candeur, leur innocence, leur pureté. Et contre de telles armes, il n'y a aucune parade. Ils sont toujours vainqueurs comme le Christ a été vainqueur.
Alors voilà, mes frères, je pense que c'est ainsi que nous pourrons le mieux être de véritables écoliers dans notre monastère en restant toujours ainsi avec une âme de novice, avec un coeur d'enfant. Car Dieu lui-même, ne l'oublions pas, est le premier de tous les enfants et c'est la raison pour laquelle il est amour.
Mes frères,
Il apparaît, à travers ce que Saint Benoît nous dit ce soir que la qualité première, fondamentale, de l'Abbé dans l'exercice de sa mission, c'est la vérité. En principe, il ne doit pas avoir de discordance entre son enseignement et sa conduite, entre ses paroles et ses actes. Naturellement il faut quelque peu nuancer le caractère abrupt d'une telle affirmation car l'Abbé est un homme faible, fragile, vulnérable, exposé lui aussi à toutes les tentations et à toutes les erreurs. Mais ça n'empêche pas que son devoir est d'être un homme vrai.
L'adéquation entre son discours et son agir ne sera jamais parfaite. Tout en étant foncièrement vrai, il sera toujours à la recherche de la vérité car celle-ci n'est pas une abstraction métaphysique. Elle est une personne. Elle est l'être même de Dieu venu à nous dans la chair du Christ Jésus qui nous a dit : Moi, je suis la vérité: Moi je suis venu sur la terre pour rendre témoignage à la vérité. Et le témoignage que j'en donne, c'est ma propre personne.
Que doit donc faire l'Abbé ? Il doit, me semble-t-il, s'il veut rester dans la ligne de ce que lui propose Saint Benoît, il doit proposer à ses frères l'idéal monastique le plus élevé et le plus beau. II ne peut pas transiger avec cet idéal. Il n'a pas le droit de l'édulcorer. Saint Benoît ne le fait pas. L'Abbé qui est son fils et son successeur n'a pas le droit de le faire.
Cela ne signifie pas naturellement qu'il ait déjà atteint lui-même cet idéal, mais qu'il le recherche de tout son être et qu'il en a déjà tout de même une certaine expérience. Car s'il en parle, ce ne peut pas être de façon purement spéculative car alors ses paroles ne porteraient pas. Il y aurait en elles quelque chose d'artificiel que les frères sentiraient. Il est donc nécessaire qu'il parle exabudantia cordis c'est à dire que ça doit sortir des profondeurs de son coeur qui sait déjà un peu de quoi il s'agit.
Voilà, le devoir de l'Abbé, c'est donc de permettre au Christ d'être la vérité à l'intérieur de son coeur. Cette assimilation au Christ, elle s'opère dans le secret. Elle ne paraît pas au-dehors. Si elle paraissait au-dehors, elle ne serait pas réelle. L'être profond d'un homme est transformé. Il subit une mutation, mais c'est une affaire toujours entre la Sainte Trinité et cet homme. Cela concerne aussi ses compagnons de vie.
Cela concerne même l'humanité entière, celle d'aujourd'hui, celle d'hier et celle de demain. Mais ce n'est pas un spectacle qui est donné. Dieu est invisible. L'action de Dieu est tout aussi invisible et il arrive bien souvent, pour ne pas dire toujours, que le saint est totalement inaperçu même de ceux qui lui sont le plus proche.
Eh bien voilà, il faut donc que l'Abbé s'ouvre à la vérité qu'est le Christ. Et s'il le fait, ses frères croiront plus facilement qu'il est dans le monastère le vicarium Christi, le vicaire du Christ, le représentant du Christ. Et ainsi leur foi sera plus facile.
Maintenant, à partir de ces prémices que sont la vérité, on peut déduire un corollaire. C'est que les rapports entre l'Abbé et les frères doivent être régis par l'honnêteté et la bonne foi. Donc, il faut que la vérité ne soit pas seulement dans le coeur de l'Abbé, mais aussi dans le coeur des frères. A ce moment-là, on peut se fier les uns aux autres.
Si on veut commencer à jouer au plus malin, que ce soit du côté de l'Abbé ou du côté des frères, mais tout est perdu. On n'est plus dans un monastère, on est dans le monde. On aurait l'impression que le Christ a déserté le lieu et que le monde l'a envahi. Dans le monde, on joue toujours au plus malin ; dans le monastère, ce n'est pas possible.
Naturellement cela ne signifie pas de la part de l'Abbé qu'il doive tout raconter à ses frères, qu'il doive tout dire. Il y en a aujourd'hui qui exigent une transparence totale de l'Abbé, comme on dit. C'est le terme qu'on utilise. Mais ça non plus ce n'est pas sain car il est des choses qui doivent demeurer confidentielles. Et cela, les frères doivent le comprendre.
Et une telle discrétion n'entame nullement la confiance réciproque. Au contraire, elle l'affermit car le frère sait très bien que les choses qui le concernent ne seront pas divulguées.
Alors, retenons encore ceci : ce qui est destiné à durer, à perdurer, à grandir, à se développer, à s'épanouir, ce qui est destiné à durer se construit sur le terrain de la vérité. Car le Christ est la vérité première et dernière. Tout part de lui et tout s'édifie en lui, même la création matérielle.
J'irai même plus loin, je dirai même les affaires, même une brasserie, j'irai jusque là. Il faut donc que cette vérité du Christ pénètre tout notre agir à l'intérieur du monastère. La vérité a en effet les promesses de l'éternité. Celui qui fait la vérité, est-il dit, il demeure éternellement.
Par contre, ce qui est bâti en dehors de la vérité finit par se disloquer et périr. Cela vaut pour notre vie personnelle, cela vaut pour la vie d'une communauté. Mais tout ça, encore une fois, part au premier chef de l'Abbé dont la responsabilité est énorme parce que, comme le dit ici Saint Benoît, comme il le donne à entendre, sa qualité première doit être d'être vrai.
Attention ! lui dit-il : Pourquoi annonces-tu mes justices et déclares-tu mon alliance par ta bouche, toi qui hais la discipline et rejettes mes Paroles, 2,40 Toi qui apercevais un fétu dans l’œil de ton frère, tu ne voyais pas la poutre dans le tien, 2,43. Et à ce moment, comme le dit Saint Benoît, après avoir prêché aux autres, il sera lui-même réprouvé, 2,37.
Alors, mes frères, ça ne peut pas arriver, ni pour moi, ni pour personne ici. Essayons donc de construire toute notre vie sur la vérité et que nos rapports fraternels soient dominés par un besoin, un désir de vérité. Car encore une fois la vérité, c'est le Christ, la vérité est Dieu et, dans un monastère, il n'y a rien qui tienne, il n'y a rien qui se construise, il n'y a rien qui puisse durer si ce n'est pas totalement imprégné de vérité.
Nous demanderons cette grâce, elle est déjà ici, c'est pour ça que je puis parler avec tellement de liberté. Nous allons demander pour qu'elle s'affermisse et qu'elle avance toujours plus près de son idéal qui est la Personne même du Christ dans son être de vérité.
Mes frères,
Durant l'année jubilaire du 9° centenaire de la mort de notre Père Saint Bernard, nous avons essayé de découvrir à travers son courrier quelques traits de son visage. Vous savez que dans une lettre, on est beaucoup plus spontané que dans un sermon. Je ne suis pas arrivé au bout de ce que j'avais découvert à l'époque et, si vous le voulez, nous allons reprendre notre étude qui, vous le verrez, s'avère passionnante.
Nous allons voir aujourd'hui une lettre qu'il écrivait en 1125 - il était donc âgé de 35 ans - à un écolâtre de nationalité anglaise qui étudiait probablement à l'université de Paris et qui s'appelait Henri Murdac.
Cette lettre est une des plus connues, des plus célèbres de Saint Bernard car elle renferme une réflexion qui a fait la fortune de l'Ordre Cistercien. Nous n'allons pas examiné celle-ci aujourd'hui car il y en a encore une autre qui est très belle également et sur laquelle nous allons nous arrêter.
Cette lettre, qui porte le n° 106 de la collection, est vraiment typique de la mentalité de Saint Bernard car, il accumule les arguments, les citations scripturaires - disons les séductions - il use de tous les artifices pour attirer Henri Murdac à Clairvaux.
Aujourd'hui, je pense qu'on serait beaucoup plus réservé, infiniment plus discret. Mais enfin voilà, Saint Bernard était de son temps et nous sommes du nôtre. Respectons sa façon d'agir qui, en l'occurrence il faut bien le reconnaître, a été une réussite car Henri Murdac est finalement entré à Clairvaux.
Et puis après il est devenu Abbé de Claire vallée qui est sans doute une fille bien-aimée de Saint Bernard. Et puis après, il est devenu Abbé de la célèbre Abbaye de Fontenay qui est encore intacte et qui est une merveille de l'art cistercien. Et finalement, il est devenu évêque.
Donc attention, n'allons pas nous imaginer maintenant que la vie monastique à l'époque était une carrière qui permettait à quelques uns de recueillir des charges éminentes. Non, l'Abbé Murdac était un des fils préférés de Saint Bernard et, vraiment s'il est arrivé à ces sommets, c'est parce que l'âme de son Père habitait vraiment en lui.
Je ne vais pas reprendre tous les argument ici que Saint Bernard assène sur le coeur de son ami, mais je viens directement à ce qui doit attirer notre attention aujourd'hui.
Ô, si je pouvais jamais mériter de t'avoir pour compagnon dans la schola pietatis sub magistro Jesus. Dans l'école de piété disons - mais je mets piété entre guillemets - avec pour Maître Jésus, Jésus qui est le pilier magister, le pius magister.
Attention ! Donc pour Saint Bernard, le monastère est une schola pietatis. Mais attention ! Il ne faut pas entendre pietas dans le sens dévotionnel d'aujourd'hui. On va parler d'objets de piété, d'exercices de piété. Non, il s'agit de tout autre chose.
Pour Saint Bernard, le monastère est une école. Non pas qu'on y apprend des notions abstraites mais l'art très difficile de la bonté. Car la pietas dans son sens premier, dans le sens qu’entend ici Saint Bernard, c'est une disposition intérieure qui relève du zèle pour le service de Dieu et le service des frères.
Elle est sentie comme un attachement affectueux à la personne du Christ Jésus et, à travers ce Christ Jésus a chacun des frères, à chacun des membres de ce grand Corps qu'est le Christ. Et cet attachement est générateur de respect, de bienveillance, de dévouement, d'attachement. C'est cela la pietas.
Et le monastère est donc une école où on apprend l'art de cette bienveillance qui n'est pas naturelle mais qui est divine. Elle est incarnée, pleinement incarnée jusque dans le sentiment, jusque dans l'affectus, mais elle n'est pas un mouvement de sympathie charnelle. Non, c'est une sympathie à l'intérieur d'une même vie divine partagée. Cette pietas doit surtout se porter sur la personne du Christ Jésus qui est - comme il le dit ici - le magister.
Il y a donc une école qui est très différente de l'université que fréquente Henri. Dans une université, mais on accumule des notions abstraites de théologie, de philosophie ; on emplit sa tête de sciences profanes même si c'est de sciences de théologie.
Tandis que dans la schola qu'est le monastère, on convertit son coeur. On l'ouvre à la personne de l'Esprit qui infuse alors dans tout l'être - pas seulement dans la tête mais dans tout l'être - la science, la scientia Christi, la science du Christ, la science de Dieu. Mais non pas une acquise à force d'études livresques, mais la science que seul l'Esprit de Dieu peut donner car il crée une communion entre l'homme et lui-même.
C'est dans la mesure où l'homme se divinise qu'il connaît Dieu, c'est dans la mesure où il partage la vie divine qu'il connaît Dieu. Et alors il pourra en parler de façon certaine même s'il doit inventer, même s'il doit improviser des images nouvelles. C'est ce que fait Saint Bernard au long de tous ses sermons et même de ses lettres. Et alors on comprend qu'il ait hâte de voir son ami venir le rejoindre dans cette fameuse école où lui-même reste toujours un disciple même s'il est l'Abbé.
Voilà, mes frères, ce que nous pouvons retenir ce matin. Il est beaucoup plus connu le fait que Saint Bernard appelle le monastère une schola caritatis, une école où on apprend à aimer. L'expression schola pietatis est moins connue : c'est une école où on apprend à être bon, être bon comme Dieu est bon.
Vous vous rappelez ce jeune homme qui était attiré par Jésus et qui l'appelait « bon Maître ». C'est cela, c'est le pius magister, c'est celui qui est foncièrement bon parce qu'il est Dieu qui alors, lorsqu'on entre en communion avec lui, communique au coeur sa propre bonté.
Et dans le monastère, c'est cela qu'on apprend. On l'apprend parce que on s'ouvre à Dieu. Et puis on l'apprend par l'exercice car il n'est pas toujours facile d'être bon parce que nous sommes nous-mêmes mauvais. Comme le dit Dieu lui-même, nous ne sommes pas naturellement bons, nous sommes naturellement égoïstes, fermés sur nous.
Et voilà, il faut donc apprendre à s'ouvrir comme une fleur, à recevoir en soi la lumière qu'est Dieu et puis, alors insensiblement devenir bon. Voilà, mes frères, ce sera mon souhait pour chacun d'entre vous ce matin. Et j'espère que ce souhait, vous l'aurez également pour ma pauvre personne.
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Mes frères,
Saint Benoît use aujourd'hui d'une expression sur laquelle nous ne pouvons glisser à la légère. Il nous dit que la Règle est une magistra, 3,16, qu'elle est une Maîtresse de science et de sagesse, une Maîtresse de vertu et de vie. Et un peut plus haut, il dit que l'Abbé est un magister, 3,14, en face de ses frères qui sont en réalité des disciples.
Que signifie donc ce mot magister ou magistra ? Et bien magister signifie étymologiquement parlant : celui qui possède un plus, magis. Il a donc un plus qui n'est pas le bien des autres. Et ce plus de science, ce plus d'expérience, ce plus de vie, il ne peut pas le garder jalousement pour lui. Il doit le partager avec ses disciples qui en sont démunis et qui l'attendent de lui parce qu'ils en sont avides.
Il va donc de son plus donner un plus à ses frères. Et ainsi de jour en jour, tous vont grandir à l'intérieur d'un univers qui ne cessera de les enrichir. Mais il faut toujours que l'Abbé ait un plus que ses frères ne possèdent pas. C'est toujours - ne l'oublions pas - un plus de sagesse, un plus d'expérience, un plus de vie.
A partir de là, nous comprenons mieux tout ce que Saint Benoît attend d'un Abbé, tout ce qu'il exige d'un Abbé. Nous comprenons aussi que la sagesse spirituelle, que la vie spirituelle se transmettent. Elles sont le fruit d'un engendrement. C'est un trop-plein qui déborde du coeur de celui qui est le Père de la communauté et qui se répand dans le coeur des disciples qui en ont faim et qui s'en nourrissent.
Les deux, Abba et magister, vont toujours ensemble. L'Abbé est Abba, donc il est père. Il est engendreur parce qu'il est magister, parce qu'il est le dépositaire de ce plus. Vous allez peut-être dire qu'il y aurait chez moi tout de même une certaine prétention d'affirmer cela parce que je suis tout de même l'Abbé. La journée d'aujourd'hui nous le rappelle (anniversaire de la bénédiction Abbatiale).
Mais voilà, je pense que la bénédiction Abbatiale, donc cette invocation de l'Esprit qui est prononcée sur l'Abbé est efficace jusqu'à la fin de la mission de cet Abbé à condition naturellement qu'il soit lui-même ouvert à cet influx spirituel.
Il n'est donc pas Abbé pour lui. Il ne possède pas ce plus pour lui mais parce qu'il doit le partager. Il lui est donné non pas comme une possession personnelle, privée, sur laquelle il devrait se fermer mais comme un dépôt, un depositum, le depositum fidei, le depositum de la vie monastique qu'il doit libéralement, généreusement partager avec tous.
Or, voici que Saint Benoît a l'audace d'affirmer que sa Règle est Maîtresse absolue de la vie véritable. Et tous doivent recevoir d'elle, même le magister qu'est l'Abbé, omnes magistram sequantur regulam, 3,17, TOUS, à commencer par l'Abbé.
Il y a donc ici un absolu auquel absolument tout le monde dans le monastère doit se soumettre. Et n'oublions pas que cette Règle est l'oeuvre de Saint Benoît. Et voilà qu'il lui donne ce caractère vraiment, allez, omnipotent. Je ne dirais pas dictatorial, ni despotique - quoique un esprit mal tourné pourrait très bien le comprendre de cette façon-là - mais plutôt une plénitude de service à partir de cette Règle.
La Règle n'est donc pas un code élaboré par les hommes et qui serait sujet à révision. Non, elle est un tout qu'il faut prendre. La Règle est un trop-plein de vie, le trop-plein d'une expérience mais pas celle de n'importe qui, l'expérience d'un saint. Et alors davantage encore, l'expérience d'une foule de saints. A l'origine de la Règle se trouve Dieu dans son amour et dans sa providence.
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Et nous rencontrons maintenant le premier de tous les moines, a savoir Antoine. Lui n'a pas eu de Règle comme magistra. Il n'en a pas eu. Tous les autres en ont eu mais pas lui.
Il est donc l'origine - comment dire ça ? - il a été en contact direct, immédiat, sans intermédiaire avec la première de toutes les Règles qui est la Parole de Dieu. Et non pas une parole - je dirais - nue, comme ça, mais une parole portée, une parole habitée par l'Esprit Saint. Si bien qu'il a expérimenté le tout premier ce que Saint Benoît appellera l'unctio magistra.
Il faudra que je vous explique cela. Unctio, on va dire : c'est L'onction, Mais l'onction, c'est la Christmation. L’onction, c'est le déversement de l'Esprit de Dieu sur un homme. Nous chantons cela dans un Psaume, je pense que c'est le 133 où on dit que la grâce que Dieu accorde à Sion est semblable à l'huile d'onction qui est versée sur la tête d'Aaron, le grand prêtre, et qui descend sur tout son visage, jusque sur les bords de son vêtement. C'est cela l'unctio magistra.
L'unctio, c'est l'Esprit Saint qui prend possession de la personne et qui, à ce moment-là, devient le guide et l'enseigneur de cette personne sans qu'il y ait le moindre risque d'erreur. Eh bien, ce fut l'expérience de Saint Antoine.
Si bien que nous trouvons chez Antoine une parole qui peut être considérée comme fondatrice et qui l'est vraiment. C'est la toute, toute première parole qui est porteuse de toute l'aventure monastique pour Saint Antoine et pour tous les moines jusqu'aujourd'hui sans aucune exception, pour tous les vrais moines :
Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et puis viens et suis-moi ! ! Voilà, c'est tout !
Je pense qu'il est trop tard pour continuer aujourd'hui ? Je n'irai pas plus loin. Je vais essayer de continuer demain.
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Mes frères,
Hier, nous avons entendu de la bouche du Christ la Parole fondatrice de l'aventure monastique. Cette Parole a déployé toutes ses virtualités dans le coeur de ce jeune homme qu'était Antoine et dans le coeur des moines jusqu'à la fin du monde. Elle est une Parole germe, une Parole oeuf qui contient en elle tout l'arbre monastique pour tous les temps et pour tous les lieux.
Si vous voulez bien, ce soir nous allons brièvement en analyser les diverses articulations. On pourrait s'attarder longuement à chacune d'elles, mais nous avons autre chose à faire. La vie monastique et son expérience sont inépuisables.
Dans la pratique, on revient toujours à cette Parole première qui est la Règle par excellence pour toutes les générations de moines sous l'unctio, sous l'onction très sage, et très prudente, et toute simple de l'Esprit Saint.
Donc, Antoine entend le Christ lui dire : Si tu veux être parfait. Il y a donc là un choix. Le Christ n'impose rien. Il propose à Antoine une expérience, l'expérience de la perfection. Voilà : Si tu veux ! Tu peux très bien ne pas vouloir, tu peux très bien ne pas accepter. D'ailleurs, cette Parole, avant d'être adressée à Antoine l'avait été à quelqu'un d'autre, un jeune aussi qui avait reculé et qui n'avait pas voulu. Il était habité par une velléité, un désir sincère mais qui n'a pas été jusqu'au bout.
Et il est parti avec sa tristesse car, dans son subconscient, il sentait bien qu'il avait laissé passer la chance de sa vie. Donc il y a là un choix parfaitement libre. C'est ce qui est un peu - comment dire? - déroutant chez Dieu. Nous voudrions parfois qu'il violente un peu notre liberté car elle est tellement faible. Mais non, il nous laisse toujours libres.
Cela ne veut pas dire que de façon très délicate encore par son action spirituelle il ne nous pousse pas, il ne nous attire pas, soit par derrière, soit par devant, vers le choix libérateur. Mais il le fait avec tellement de discrétion que si nous ne répondons pas à son attente, il en est triste aussi mais il ne nous en veut pas. Il ne cesse pas de nous aimer.
Si tu veux être parfait ! Il s'agit ici d'être parfait. Il n'est pas question ici d'une perfection d'ordre moral, ou d'ordre psychologique, ou d'ordre spirituel. Ce n'est pas une perfection qui serait refermée sur elle-même comme si l'homme était là et qu'il devrait travailler à devenir parfait. C'était l'objectif des philosophes de l'époque dans le monde hellénistique et même des sages dans le monde juif.
Non, c'est tout autre chose. Ce que le Christ propose ici, c'est sa propre perfection. Et cette perfection est la perfection de notre Père. Si tu veux être parfait, cela signifie : si tu veux être parfait comme ton Père qui habite les cieux. Soyez parfaits, était-il déjà dit, comme votre Père est parfait ! Et cette perfection, elle est de nature divine.
Il s'agit donc ici de s'aventurer dans un domaine absolument nouveau, tout à fait inconnu, qui est le domaine de la personnalité même de notre Dieu. Dans le fond, il faudrait donc s'ouvrir à lui pour qu'il vienne en nous, qu'il nous métamorphose et que nous devenions comme des Dieux.
Attention! Il ne s'agira pas d'une désincarnation, il ne s'agira pas de cesser d'être un homme avec ses limites, avec ses capacités restreintes, avec ses défauts ; mais ce qui va partir, c'est toute la partie vicieuse, c'est toute la partie égoïste, c'est toute la partie peureuse.
Et on ira même plus loin. Il y aura cette divinisation de l'être jusque dans la chair. Mais alors, nous sommes déjà au-delà de notre avenir même le plus éloigné au plan humain. Nous sommes déjà au-delà de la mort, nous sommes vraiment devenus comme Dieu.
Voilà, si tu veux viser cette perfection-là, que dois-tu faire ? Eh bien, vends tout ce que tu possèdes !
Il s’agit donc ici de se détacher d'absolument tout. Il s'agit de passer du domaine de l'avoir au domaine de l'être. Il faut donc se déposséder. C'est plus qu'un détachement platonique - disons encore une fois - comme les sages anciens le professaient. Non, il s'agit d'un véritable dépouillement. Il faut vendre tout ce qu'on a et ne plus avoir rien.
Il ne suffit pas de le vendre, parce que je pourrais le vendre et le produit de la vente je pourrais très bien le placer quelque part et vivre de mes rentes. Ce serait encore plus facile. Non, il faut le donner aux pauvres. Il faut donc devenir pauvre soi-même.
Vous aurez donc des gens pauvres qui vont s'enrichir de mon dépouillement et, moi qui était riche, je vais devenir pauvre. Il faut donc entrer dans la sphère du rien, ne plus rien posséder et, à la limite, ne plus être rien.
Vous avez donc là déjà quelque chose qui pointe. C'est ce qu'on appellera l'obéissance. Je ne puis exister que par le vouloir d'un autre, cet autre qui est le Christ, cet autre qui est Dieu, mais qui bien concrètement dans la réalité de tous les jours sera un homme, qui sera celui auquel je remettrai le tout de ma vie. Car je vais donner aux pauvres non seulement les biens que j'ai vendu, mais je vais donner aussi à ce pauvre qu'est le Supérieur, je vais lui donner ma propre vie.
Et bien voilà, il est déjà temps d'aller à l'église et nous sommes arrivés à la moitié. Eh bien, je poursuivrai à une autre occasion.
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Mes frères,
Nous allons revenir auprès de Saint Bernard qui est en train de déployer tout le génie de son art et de sa sainteté pour attirer à Clairvaux son ami Henri Murdac. Il a aujourd'hui une trouvaille géniale que nous allons essayer de pénétrer afin de la comprendre et de la faire nôtre. Voilà, je traduis le plus littéralement possible :
O, s'il m'était permis de présenter le vase au préalable purifié de ton coeur à l'onction qui instruit de tout.
Nous avons ici le geste ample et magnifique de la vie contemplative. Il se déploie en trois mouvements qui se succèdent selon un ordre rigoureux. Le premier mouvement est le travail du frère, le second mouvement est celui de l'Abbé et le troisième est celui de l'Esprit Saint.
D'abord le mouvement du frère : il doit travailler à la purification de son coeur. Le vase au préalable purifié de ton coeur, de ta poitrine dit Saint Bernard littéralement, c'est à dire de l'endroit où ton coeur est logé. Ce n'est pas seulement le coeur qui doit devenir pur, mais c'est l'être entier à partir du coeur.
Le frère doit donc se prêter à l'action de Dieu qui a pour seul et unique but de faire du coeur le temple de sa présence. Et pour ça, il doit le rendre propre. Il doit faire de ce coeur un coeur sans malice, un coeur tout ensemble et donné et ouvert ; un coeur, comme dit Saint Benoît mundum a vitii et peccatis, 7,187, entièrement purifié des vices et des péchés ; un coeur qui attend l'arrivée en lui de Dieu, Dieu dans la Trinité de son être, et avec Dieu le ciel tout entier.
Puis vient le mouvement de l'Abbé : S'il m'était permis de présenter le vase de ton coeur. Il doit présenter ce coeur purifié à la grâce la plus extraordinaire qui soit. Le coeur est vu ici comme un vase parfaitement propre, resplendissant, lumineux. Et ce coeur est dans la main de l'Abbé qui le supponit comme dit Saint Bernard, c'est à dire qu'il le place en dessous d'un liquide qui coule et qui va l'emplir.
Voyez ! C'est un geste extrêmement beau. Il tient donc le coeur du frère et il le place en dessous de quelque chose qui va se répandre à l'intérieur de ce coeur et l'emplir. Et ce liquide, comme dit Saint Bernard, c'est l'unctio, c'est l'huile embaumée de l'Esprit.
Nous avons parlé à propos d'une expression de Saint Benoît justement de cette unctio, de cette onction qui est l' Esprit Saint. Et maintenant nous avons le mouvement de l'Esprit lui-même, cette onction spirituelle qui instruit de tout.
En effet, l'Esprit Saint seul peut scruter les profondeurs de Dieu. Il les explore et alors il les révèle aux coeurs purs. Et il leur révèle qui est Dieu dans le mystère de son être. La vie éternelle, a dit le Christ, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ.
La vie éternelle est donc dans un savoir, dans une science, dans une vision, dans une contemplation. Et ce savoir est révélé par l'Esprit qui emplit le coeur et qui le rend totalement spirituel, qui le divinise.
C'est par une participation à l'être de Dieu dans son Esprit que nous pouvons connaître Dieu et entrer ainsi dans la vie. Il instruit de tout comme nous dit Saint Bernard. Il introduit dans les secrets du projet de Dieu, dans tous les mystères de son agir et, il conduit le moine au sommet de sa destinée dans une plénitude de science et d'amour.
Voilà donc ce que Saint Bernard propose à son ami et voilà ce qu'on apprend dans la schola pietatis sub magistro Jesus, ce qu'on apprend dans l'école de la piété sous la direction de ce maître incomparable qu'est Jésus. Jésus est donc le maître par excellence et, il envoie son Esprit qui conduit l'homme, qui conduit le frère dans la vérité toute entière et, qui l'instruit de tout, de toutes choses dit Saint Bernard, c'est un pluriel. Donc, tout le savoir accessible à un homme est donné par cet Esprit.
Jésus est donc le magister comme le dit Saint Bernard, et l'unctio est la magistra. Jésus est le maître et l'onction - ici nous sommes au féminin - elle est la maîtresse de vie et tous les deux donnent la science suprême qui est vie éternelle et béatitude absolue.
Mes frères, telle est pour Saint Bernard l'expérience monastique et sa récompense, mais à condition que le moine consente à la purification de son coeur. Car c’est une grâce, c'est un cadeau, c'est une faveur mais il faut que le coeur s'y ouvre. Il faut donc que le coeur soit propre et qu'il se prête à l'action de Dieu qui va le nettoyer.
Voilà, mes frères, ce que Saint Bernard nous dit ce matin. Vous voyez que c'est très beau. Et vous remarquez qu'il est vraiment le fils de Saint Benoît et, au-delà plus haut que Saint Benoît, qu'il est dans le droit fil de la tradition monastique la plus vraie, la plus juste et la plus belle.
Eh bien, mes frères, puissions-nous être vraiment son disciple et nous laisser conduire sur ces sommets que Saint Bernard connaissait et où il nous attend.
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Mes frères,
Hier, des choses bien affligeantes nous ont été révélées par Dom Emmanuel Lanne au sujet des divisions qui séparent les chrétiens et qui les dressent inconsciemment ou consciemment les uns contre les autres. Nous prenons conscience de la suffisance et de l'étourderie des catholiques. Nous connaissons la peur et les crispations qui habitent les orthodoxes. Nous avons aussi entendu parler du comportement quelque peu désinvolte des anglicans.
Et voilà que les relations fraternelles entre chrétiens deviennent de plus en plus difficiles. On accepte encore de se parler, mais on se méfie les uns des autres et une sorte d'angoisse grandit. On se demande ce qui va arriver dans l'avenir ? Ce n'est pas encore une impasse, mais c'est un étroit goulot et on ne sait pas trop bien où tout cela va nous conduire. Il est certain qu'au terme, à la clôture de l'Histoire, tous les chrétiens et même tous les hommes ne seront plus qu'un dans le Christ dont ils sont membres, qu'ils le veuillent ou non.
Mais en attendant, il faut travailler à se rencontrer, à se comprendre, à s'estimer et à s'aimer. Or, cela n'est pas facile et on peut se demander la cause de tout cela. Certes, il y a des circonstances historiques, il y a beaucoup de facteurs qui sont entrés en ligne de compte et qui ont abouti à la situation d'aujourd'hui.
Mais pour ma part, j'estime qu'il faut aller bien plus profondément que cela. L'origine de toutes ces divisions et de tous ces malaises,elle est dans le coeur des hommes. Le coeur lui-même est divisé. Il n'est pas totalement donné à son Créateur et à son Rédempteur. Le coeur est habité par des passions qui ont leurs racines profondément enfoncées dans l'égoïsme. L'homme est fermé sur lui-même, il est tout entier centré sur son ego, sur son moi.
Nous l'avons entendu aujourd'hui dans la lecture du réfectoire. La grande devise, le mot d'ordre d'aujourd'hui est : Moi d'abord ! C'est tout à fait normal quand on sait ce qui se passe dans le coeur de chacun.
Mes frères, il nous est demandé de prier pour l'unité des chrétiens non seulement pendant la Semaine qui est spécialement consacrée à cette prière, mais à tout moment car cette division des chrétiens est un scandale, non seulement pour les croyants, les non pratiquants mais aussi pour les non chrétiens.
Il y a aujourd'hui - il y a fait allusion quelque peu hier - de terribles affrontements ouverts ou souterrains entre les religions. Le Frère Jacques nous a fait quelques allusions à ces questions. Il les a connues, il les a vécues, il en a souffert là-bas en Israël. Mais c'est un peu partout dans le monde. Alors, comment faire ?
Il faut prier, c'est certain. Mais il ne suffit pas de prononcer une formule ou de lancer une invocation ainsi, et puis dire : voilà, j'ai fait mon devoir. La véritable prière, celle qui est souverainement efficace, est la reconstruction de l'unité à l'intérieur de notre coeur. Là est le véritable travail, là est la véritable prière.
Nous devons demander à Dieu de nous convertir, de faire de nous non plus des animaux qui ont peur et qui sont fermés sur eux, et sur leurs désirs et leurs convoitises, et qui sont dominés aussi par des pulsions agressives pour se défendre contre les autres ou bien pour les dominer. Nous devons demander à Dieu de purifier notre coeur.
Vous savez que les premiers moines - et Saint Benoît à leur suite - voyaient comme objectif premier de la vie monastique la puritas cordis, la pureté du coeur. Donc, un coeur qui est vide de son moi, qui est débarrassé de l'égoïsme et qui est totalement ouvert à l'autre : à l'autre-Dieu et à l'autre qui est le frère, qui est l'homme ; un coeur qui n'est pas rapace, mais un coeur qui est donné, un coeur généreux, un coeur en voie de christification et de divinisation, un coeur de Dieu, un coeur de Christ.
Voilà un coeur pur, un coeur qui ne peut plus rien faire d'autre qu'aimer et un coeur qui souffre de voir que autour de lui il n'y a pas d'amour du tout, ou bien qu'il n'y en a pas assez et qui tout au fond en lui sent encore malgré tout qu'il y a toujours des racines, qu'il y a toujours une possibilité qu'en lui l'amour soit une fois ou l'autre blessé.
Mais voilà, mes frères, je pense, la grande prière que nous devons offrir à Dieu : le travail de notre vie monastique pour que nous puissions recevoir de notre Dieu, de notre Christ, la grâce d'un coeur pur. Et alors, si chacun dans la communauté est pris vraiment par cet opus, par cette oeuvre de purification et de sainteté, à ce moment la communauté devient une.
Car, comment voulez-vous reconstruire une communauté chrétienne au ni veau du monde s'il n'est pas possible de construire une communauté chrétienne au niveau de quelques hommes qui se sont tous donnés à Dieu dans ce but-là ? Donc, il faut que l'idéal de chaque communauté monastique soit vraiment un microcosme idéal, mais d'un idéal qui est réalisé, concrétisé, où on s'aime vraiment, où on ne fait plus qu'un seul Corps, qu'une seule âme, qu'un seul esprit, où c'est la même charité qui fait battre les coeur. Mais à ce moment-là, une merveille est opérée, une merveille d'union, de communion et d'unité.
Donc, ce n'est pas seulement le travail sur nous, mais c'est le travail en commun pour que la communauté soit une. Et comme le Christ a dit, à ce moment-là il se passera quelque chose, il se passera que le monde croira. Voilà, mes frères, je pense ce que nous pouvons retenir cette année de cette croisade pour l'unité.
Il est des choses qui sont extrêmement pénibles et qui sont dangereuses, et qui lèsent gravement l'unité dans ses fondements. Ce sont non seulement les paroles de jugements lancées contre un frère, mais même les pensées contre un frère. Le Christ l'a bien dit, on peut tuer quelqu'un d'un regard comme on peut lui donner vie. Tout part du cœur ! Et si cela se transpose dans les actes, il a fallu que ça parte d'une source.
Et pour nous, voilà, nous n'en venons pas aux actes, mais attention à ce qui se passe dans nos pensées, dans notre coeur. Cela fait partie de notre projet monastique de ne plus avoir les uns sur les autres que des pensées de bienveillance.
Oui, il y aura toujours des choses répréhensibles. Nous ne sommes pas encore des saints ? Nous ne sommes pas encore totalement transfigurés même si nous sommes en route vers cette transfiguration. Donc il y aura toujours des erreurs, il y aura des accidents, il y aura des heurts, il y aura des tensions, il y aura des choses - comme je le disais - répréhensibles qu'on ne pourra pas ne pas voir.
Mais attention ! Ce n'est pas le moment de se poser en juge, c'est le moment de se poser en homme compatissant parce que nous sommes tous plus ou moins complices du mal. Voilà, mes frères, je pense que - encore une fois - cette Semaine de prières est l'occasion d'un sursaut de charité entre nous et d'une remise, voilà, de nous dans l'axe véritable et juste de notre vocation monastique qui est cette pureté du coeur.
Et ainsi voilà, il y aura tout de même dans la chrétienté quelques hommes qui auront retrouvé l'unité en eux-mêmes et l'unité entre eux. Et je vous assure que ce sera vraiment alors un grand, un très grand pas vers l'unité, car si la maladie est contagieuse, la santé l'est aussi.
Eh bien voilà, je vous remercie au nom de ceux qui travaillent à la restauration de cette unité. Car je pense que ce que nous ferons ainsi sera pour eux une aide extrêmement efficace et bienvenue et de laquelle ils nous seront reconnaissants.
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Nous allons revenir auprès de notre Père Saint Antoine. Et en faisant cela, nous ne causons aucun tort à Saint Benoît, bien au contraire. Car Antoine a reçu du Christ lui-même la parole fondatrice de la merveilleuse aventure monastique.
Et s'il lui a été donné de la comprendre et puis de la mettre en pratique jusqu'à la fin de ses jours, et de la léguer à sa descendance jusqu'à la fin des temps, c'est parce que son coeur a été baigné par ..?. ..?. ..?. qui est la Personne même de l'Esprit Saint.
Vous vous rappelez cette parole : Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes et donnes-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. Et puis, viens, suis-moi ! Si tu veux être parfait, va ! Le Christ dit à Antoine qui est tout jeune - rappelons-le - cette petite locution de rien du tout : va. Va, dit Dieu à Abraham, va vers un pays, une terre que je te montrerai et que je te donne. Il dira aussi, à Abraham : Va vers la montagne que je te montrerai et là, tu m'offriras ton fils en sacrifice.
Voici donc que la vie monastique est établie au départ sur une attitude qui est de confiance absolue. Il partit - nous dit l'auteur de l'Epître aux Hébreux - sans savoir où il allait. Et c'est vrai !
Lorsque le moine répond à cette injonction : va, lui aussi il ne sait pas sur quelle route il s'engage. Il ne sait pas où va aboutir son voyage, sa randonnée. Il n'a qu'une certitude, c'est que Dieu va lui montrer des choses extraordinaires. Il va lui montrer un pays, il va lui montrer une montagne où il se donnera à lui.
Voici donc, mes frères, le fondement inébranlable de notre vie qui est la foi. Attention! Il s'agit d'une foi vivante, d'une foi pratique. C'est une foi qui soulève le coeur et qui donne une énergie inlassable à travers toutes les épreuves, toutes les nuits, toutes les dérélictions, toutes les peurs, toutes les morts pour aller jusqu'à l'endroit où Dieu va se donner, parce que le pays c'est Dieu, parce que la montagne c'est Dieu lui-même.
Lorsque Saint Jean de la Croix veut dessiner cette montée vers Dieu, il a donc une montagne et un tout petit sentier. A gauche et à droite il y a des chemins qui tournent autour de la montagne et qui n'arrivent jamais au-dessus. Il n'y a rien, rien, rien, et au sommet de la montagne, rien. Vous voyez, c'est ça !
Parce que c'est une chose à ne jamais oublier : Dieu et rien, c'est une seule et même réalité. Dieu n'est rien pour la partie charnelle de notre être, pour la partie jouisseuse, voluptueuse de notre être qui a besoin de sentir, qui a besoin d'avoir bon comme on dit. Mais par contre, pour la partie immortelle de notre être, celle qui est ordonnée à la vie impérissable, alors Dieu est absolument tout.
Voilà, c'est une expérience, c'est concomitant et nous devons bien le savoir. Et c'est à cela aussi que Antoine était appelé. Car va, dit-il et puis vends tout ce que tu as. Tu t'engages dans la logique du rien car tu dois tout donner aux pauvres et devenir pauvre toi-même.
Donc maintenant ta richesse à toi, c'est le rien. Mais attention ! Ce rien a une autre face qui est la personne même de la Trinité. Et il lui dit ceci : tu auras un trésor dans le ciel. Mais quel est donc ce trésor que Antoine aura dans le ciel tout de suite, dès qu'il aura tout abandonné? .
Eh bien ce trésor, c'est la parole que le Christ lui a dite. Car à l'intérieur de cette parole se trouve caché la personne même du Verbe de Dieu, c'est à dire la seconde personne de la Trinité à travers laquelle et grâce à laquelle nous pouvons connaître Dieu. Il n'y a pas d'autre route que le Christ pour aller chez Dieu.
Et voilà que ce trésor, il est dans le ciel. C'est très important cette nuance que ce trésor sera situé dans le ciel parce que le Christ lui-même dira plus tard : Là où est ton trésor, là sera ton coeur.
Voilà donc le coeur d'Antoine qui va être fixé là dans la ciel. Il va donc par son coeur habiter déjà à l'intérieur de ce ciel. Et n'oublions pas que le ciel, c'est la personne même du Christ, du Christ ressuscité dans lequel se trouve toute la plénitude de la divinité. Voilà donc ce qui est promis à Antoine.
Mais ce n'est pas tout. Viens, dit-il. Viens, il y a donc un mouvement. Va, fais tout cela et tu auras un trésor dans le ciel et puis viens ! Il y a donc un mouvement de retour : viens près de moi de nouveau.
Tu as dû t'éloigner de moi pour aller mettre de l'ordre dans tes affaires, c'est à dire pour entrer dans le rien. Et puis, tu opères un mouvement de retour vers moi : viens, parce que maintenant toute ta vie va se passer dans ma compagnie, dans ma communion et puis, suis-moi !
Voilà donc la fameuse sequela Christi qui est le mouvement de la vie monastique : marcher à la suite du Christ. Et Saint Benoît ne l'a pas oublié. Il faut marcher à la suite du Christ jusqu'à l'intérieur de la résurrection. Car pour Antoine, et pour Saint Benoît après lui, la résurrection d'entre les morts, il faut la connaître avant de rencontrer la mort biologique. Le moine doit savoir qu'il est ressuscité d'entre les morts avant de mourir : la ……… anastasis.
Et nous l'avons déjà ici chez Saint Benoît. Ecoutez ce qu'il nous dit à la fin du Prologue : Participons par la patience aux souffrances du Christ et méritons d'avoir une place dans son Royaume. C'est du français, très beau français, mais c'est pas fidèle au latin. Voilà : Il faut, dit-il, que nous participions passionibus Christi, Pr .118. C'est autre chose que les souffrances, ce sont les passions du Christ.
Donc il faut subir. Et vous avez là d'un côté la patientia qui est la faculté qui nous permet de subir, de pâtir, et puis nous avons les passiones qui sont l'objet de cette patience. Donc toutes les passions du Christ, car le Christ n'en a pas souffert qu'une seule, il en a souffert une quantité tout au long de sa vie, rien déjà que dans le fait de sa naissance dans les circonstances que nous connaissons, et ainsi jusqu'au bout.
Donc cette sequela Christi à travers les passiones Christi pour, dit Saint Benoît, et voici la ……… anastasis : ut et regno eius mereamur esse consortes, Pr.120. Pour que nous puissions mériter d'être consortes, c'est à dire de partager le sort du Christ dans son Royaume. Or le sort du Christ, c'est sa résurrection et sa glorification dans son Royaume.
Et le Royaume, il nous le dira lui-même, le Royaume que vous cherchez, il est à l'intérieur de vous. C'est là qu'il se trouve. Ce n'est pas du subjectivisme mais c'est l'être entier qui se transfigure, qui se métamorphose et qui participe de plus en plus à la vie divine jusqu'à être au-delà de la mort avant même de mourir.
Donc, .voilà ce que Saint Antoine a entendu, voilà ce qu'il a suivi, qu'il a pratiqué pendant une bonne centaine d'années. Et voilà ce que Saint Benoît nous propose et que tous, ici, nous avons l'intention de réaliser, c'est à dire en fait de permettre à l'Esprit - encore une fois - à cette unctio magistra de le façonner, de le prendre et de le rêver en chacun d'entre nous.
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Mes frères,
Si nous nous référons à l'étymologie du mot obéissance, nous constatons que l'obéissance est l'exercice d'un art très beau et très difficile, l'art d'écouter. La vie dans l'Esprit consistera donc d'abord à écouter. Mais écouter quoi et écouter qui ? Il s'agit d'écouter la voix de Dieu. Il s'agit d'écouter Dieu lui-même qui invite à un dépassement et à une communion.
Dieu ne lance jamais des paroles dans le vide. Lorsque Dieu nous demande quelque chose, c'est toujours pour notre avantage à nous. Mais ce peut être pour son détriment à lui car, n'oublions pas, n'oublions jamais que la parole de Dieu, c'est la Personne du Christ Jésus. Et nous savons par où il a dû passer, le Christ, pour nous apprendre ce chemin de l'écoute, ce chemin de l'obéissance. Et c'est à travers le canal de l'écoute que parvient jusqu'à nous l'onction qu'est l'Esprit.
Ce canal est étroit, très étroit, mais il est extrêmement puissant. Cela veut dire qu'à l'intérieur de ce canal, il existe une pression qui est irrésistible si nous lui permettons de s'exercer librement. Et ce canal est parfaitement propre car il est vérité et il est pureté. Donc, lorsque j'écoute, je me mets dans la vérité de mon être tel que Dieu le voit, tel que Dieu me désire, tel que Dieu le rêve. Et en même temps j'accueille en moi toute la pureté de Dieu, sa splendeur, sa lumière, tout l'amour qu'il est.
Et le contraire de l'écoute, mes frères, comme nous le rappelle Saint Benoît ce soir, c'est le murmure, 5,39. Le murmurateur entend mais il n'écoute pas, son cœur demeure fermé. Et cette occlusion est volontaire. Le murmurateur ressemble au serpent du psaume qui se bouche l'oreille pour ne pas entendre la voix du charmeur expert en incantation. Vous savez que, est-ce vrai ? je n'en sais rien ! Le psalmiste voyait le serpent qui mettait l'extrémité de sa queue dans son oreille et comme ça il n'entendait pas la voix du charmeur.
Eh bien Dieu, il est un charmeur. Et nous savons très bien - notre instinct charnel nous le dit - que si nous écoutons ses incantations, nous allons devoir nous y abandonner. Nous ne pourrons pas y résister. Non pas que Dieu essaye de nous prendre dans un filet pour nous asservir, mais il désire nous attirer, presque nous séduire par la beauté se sa personne. Car ne l'oublions pas, ce qui nous attire chez Dieu, c'est sa beauté.
Il y a une part en nous - disons notre nom, notre portion d'éternité - qui peut être totalement inconsciente mais qui est pourtant bien éveillée. Et c'est elle qui est appelée à voir Dieu, et qui commence déjà à l’apercevoir, et qui est éblouie par sa beauté. La vie contemplative réussie sera alors la prise de conscience de plus en plus forte de cette vision de la beauté qu'est Dieu. Mais cette vision est au départ et c'est elle déjà qui nous attire ici et nous y maintient.
Maintenant, Saint Benoît parle de la peine des murmurateurs. En quoi consiste cette peine ? Ce n'est pas un châtiment qui serait infligé par l'Abbé ? Non, Saint Benoît le dirait. C'est infiniment plus grave. C'est la peine qui a frappé Israël lorsqu'il s'est mis à murmurer aux portes même de la Terre Promise. Inutile de rappeler toute la scène.
Mais le résultat a été que Dieu les a faits tourner quarante ans à l'intérieur du désert jusqu'à ce que tous les murmurateurs soient morts. Ils ne sont pas entrés dans la Terre. Donc, la peine du murmurateur, c'est de se voir interdire la Terre bénie du Royaume de Dieu, là où le Christ est Roi et où ses fidèles, ses écoutants sont des Princes.
A l'arrière-plan de ce que nous dit ce soir Saint Benoît, il y a tout le drame de l'humanité depuis l'origine jusqu'à l'accomplissement de l'Histoire. Rappelez-vous ce qui s'est passé avec Adam et Eve, et puis voyez tout le déroulement, voyez l'aboutissement où vous aurez le partage entre ceux qui ont écouté et ceux qui n'ont pas écouté, entre les écoutants et les murmurateurs.
Il s'agit donc, mes frères, pour nous bien concrètement ici dans le monastère, il s'agit donc d'écouter ou bien de ne pas écouter ; il s'agit d'entrer dans le projet de Dieu ou bien de nous accrocher à notre petit projet personnel ; il s'agit de réussir sa vie monastique et humaine ou bien de la rater lamentablement. On peut persévérer dans le monastère jusqu'à la mort et rater sa vie. C'est pourquoi, mes frères, nous voyons Saint Benoît insister tellement sur cette peine qui frappe les murmurateurs. Je pense que nous devons la prendre très au sérieux.
Maintenant, à partir de là nous pouvons mieux savoir en quoi consiste l'obéissance. Elle est donc une remise de soi totale et confiante à une personne qui est l'amour, non pas à un gendarme, ni un tyran, ni un despote mais à l'amour même, à la beauté même, à la lumière. L'obéissance n'est donc pas cantonnée dans l'exécution matérielle des ordres reçus, mais elle est une qualité.
Elle est la qualité d'un cœur noble qui par l'écoute se met et se maintient en communion avec le cœur de Dieu. L'obéissance est donc une qualité du cœur qui est ouvert, un cœur qui écoute et qui par le fait même de cette écoute entre en communion avec le cœur de Dieu. Et par le canal de cette écoute passe la vie divine avec toute sa richesse.
Mes frères, l'obéissance est donc la porte de la vie impérissable, de la transfiguration et de la résurrection. Saint Benoît nous dira qu'elle est la route. C'est une autre image qui est une image dynamique car, sur cette route, il faut marcher, il faut avancer. Cette route peut être longue. On peut dire aussi qu'elle est une porte. Là, l'image à une autre qualité. La porte s'ouvre et on voit alors les merveilles de la création nouvelle qui se trouvent derrière cette porte ou derrière ce voile.
Eh bien voilà, mes frères, à quoi nous sommes invités. Je pense que notre intention est de devenir expert dans l'art d'écouter. C'est un long apprentissage. Il y a des essais, il y a des erreurs mais cela ne doit pas nous décourager. Le véritable artiste, ce n'est pas un génie comme ça tout à fait exceptionnel, qui ne doit rien apprendre. Au contraire, les grands artistes sont de grands appreneurs. Ils sont appelés à cette vie, mais le don qu'ils ont reçu, ils doivent le cultiver, ils doivent le conduire à sa perfection.
De même, lorsque nous sommes appelés à la vie monastique, nous avons reçu le don de l'écoute. Nous sommes prédisposés à cette écoute. A nous maintenant de cultiver ce don et de devenir de véritables écoutants qui pourront alors partager en plénitude la vie de la Trinité à laquelle nous sommes invités.
Mes frères,
Saint Benoît durant deux semaines va nous parler de l'humilité qui est la vertu maîtresse du moine bien né, du moine qui porte en toute vérité son nom. Mais nous devons savoir que l'humilité n'est pas un préalable à la vie de l'Esprit. Elle en est la fleur. Elle ne la précède pas, mais elle la manifeste.
Il n'est donc pas possible de conquérir l'humilité par nos propres forces. Elle est une grâce à recevoir, une grâce infiniment précieuse. Pourquoi ? Mais parce qu'elle est une participation de plus en plus consciente à la propre humilité de Dieu, Dieu qui est l'humble par excellence, Dieu qui est le Prince des humbles.
N'allons pas nous forger de Dieu des images qui ne correspondent pas à la réalité. Ne l'affublons pas de toutes sortes d'oripeaux qui conviennent à des idoles mais pas à lui.
Nous devons savoir pour comprendre un peu intuitivement en quoi consiste l'humilité de Dieu, nous devons bien savoir que Dieu, au plus profond de sa conscience de Dieu, se considère inférieur à sa créature. Cela renverse un peu les approches que nous avons instinctivement de Dieu.
Nous le considérons comme étant notre supérieur, comme étant au-dessus de nous ; nous le cherchons dans un ciel qui nous dépasse. Mais non, nous devons chercher Dieu en dessous de nous. Dieu nous porte. Dieu est notre créateur. Mais par le fait même qu'il nous a créés, il s'est mis à notre service.
Nous devons, nous, en retour servir Dieu. C'est certain ! Il nous donne l'exemple et nous devons marcher à sa suite. Nous devons être comme lui puisque nous sommes ses enfants.
L'humilité est donc une communication avec cette humilité de Dieu qui vient en nous par le fait même que nous sommes ses créatures et ses enfants. Il suffira donc de nous ouvrir à elle et de la laisser de plus en plus nous travailler jusqu'à ce qu'elle ait totalement triomphé.
Voyons un peu la façon dont Dieu se comporte dans le concret. Il nous a donné 1'exemple et il l'a dit : il est venu non pas pour être servi mais pour servir et même pour donner sa vie. Il la donne dans le détail et il l'a donnée jusqu'au bout parce que étant l'amour, il a aimé jusqu'au bout du service.
Rappelez-vous à l'occasion du dernier repas qu'il a pris avec ses disciples, il leur a lavé les pieds et leur a dit : je vous ai donné un exemple pour que vous fassiez ce que moi j'ai fait, que vous le fassiez entre vous pour que vous soyez tous aux pieds les uns des autres.
Mes frères, si nous voulons, nous, être à notre place, nous devons être à côté de Dieu en dessous. Saint Benoît nous dit que nous devons prendre garde, que tout élèvement est une espèce d'orgueil. Il dit dans le texte original : exaltatio, 7,5.
Donc je m'exalte. C'est autre chose qu'un élèvement. Je sors de moi non pas pour me placer aux pieds des autres et me donner à eux dans un service gratuit, désintéressé, mais je sors de moi pour me placer au-dessus des autres, exaltatio. Je tente une ascension qui va me mettre au-dessus.
Il faut dire que c'est le réflexe habituel dans le monde. On commence comme porteur de dépêches et on devient chef de gare. Nous avons connu un tel exemple avec le frère Ghislain. Je dis cela sans malice parce que c'est tout à fait bien, c'est tout à fait logique. Dans le monde, ce doit être comme ça, voilà !
Ou bien pour prendre un autre exemple, on est d'abord un tout petit potache à l'école primaire et puis on finit professeur d'université. Ou on est un simple électeur, et puis voilà, on finit ministre ou Maïeur. Donc, dans le monde, il est normal qu'on tente toujours de monter plus haut.
Eh bien chez Dieu, ce n'est pas comme ça. Dieu, lui, c'est exactement l'inverse. Nous devons toujours, toujours avec lui descendre plus bas jusqu'à être avec lui au plus bas de tout, en dessous de tout, au service de tous et portant tout.
Il dit : omnis exaltation (je le mets à l'indicatif) genus esse superbiae, 7,6. C'est un genre de superbe. Ici, il faut toujours bien saisir l'intention de Saint Benoît, revenir au sens étymologique. Le mot superbia, superbe, en français nous avons orgueil, mais le terme se retrouve dans superbe : la superbe.
Eh bien, nous avons là aussi le super. La superbia ou la superbe, c'est disons la qualité – attention ! dans le sens philosophique du terme - de celui qui se place toujours super, au-dessus. C'est cela la superbe ! Il va se placer tellement au-dessus qu'il sera même au-dessus de Dieu. Il n'aura pas besoin de lui. Pourquoi ? Parce qu'il est lui-même son propre dieu.
Et attention ! Pour les premiers moines qui étaient des spirituels extraordinaires et en même temps des psychologues très, très avertis, la superbia, la superbe n'est pas le péché des commençants mais elle est le péché des presque parfaits. Oui, arrivé tout au-dessus, ayant été élevé par Dieu au-dessus de l'échelle de l'humilité et me découvrant en compagnie de Dieu en dessous de tous, tout à coup j'opère un retour sur moi et je me dis : « J'ai tout de même bien réussi ! »
Ce que je mets en évidence, c'est le je. Je ne dis pas : « Tu as réussi en moi de grandes choses », comme disait la Vierge Marie, mais : « J'ai tout de même bien réussi ». C'est ça la superbe ! Je décroche d'un seul coup de Dieu et puis me voici vraiment en adoration devant mon ego.
C'est un péché extrêmement subtil, cette superbe. Et encore une fois, pour les Anciens, c'est le péché des presque parfaits. Je ne dis pas des parfaits parce que le parfait a évacué la superbe. Et n'oublions pas que dans la liste de ce que nous appelons les péchés capitaux la superbe est le dernier à cause de cela.
Donc mes frères, prenons bien garde et essayons de retenir pour ce soir, pour aujourd'hui que si nous voulons vraiment réussir notre vie, nous ne devons pas nous attribuer à nous le mérité de cette réussite, mais nous devons nous ouvrir, nous ouvrir entièrement à ce Dieu qui veut nous épanouir et nous conduire à un sommet de perfection tel que ce ne soit plus nous qui vivions, mais que ce soit Lui qui vive en nous. Il y a donc là une perte totale du je, de l'ego.
C'est Lui qui triomphe en notre personne. Mais attention, il ne triomphe pas en despote, il ne triomphe pas en imperator, en empereur. Non, il triomphe en serviteur. Il s'est tellement mis en dessous qu'il me porte et que par en dessous il me pénètre jusqu'au sommet de toute ma personnalité. Encore une fois, Dieu est d'abord serviteur et, c'est dans la mesure où nous-mêmes acceptons de servir que nous devenons humble, que nous serons alors princes au niveau de l'humilité comme lui il l'est.
Mes frères,
Lorsque l'humilité de Dieu prend possession de notre cœur, elle éveille dans notre corps et dans notre âme, dans notre chair jusqu'au plus profond de notre psychisme des effets qui sont spécifiques de chacune des parties qui nous constituent.
J'entends par chair la nature humaine dans sa globalité. Nous verrons donc notre intelligence et notre volonté affectées par l'humilité, surélevées. Pourquoi ? Mais parce qu'elles vont être purifiées et désencombrées. De même, notre psychisme va être corrigé, redressé, rééquilibré. Si bien que notre être entier va devenir, comme Saint Benoît vient de nous le dire, va devenir parfait, c'est à dire tel que Dieu le veut, tel que Dieu le rêve.
Dieu ne nous a pas créés pour que nous soyons des êtres bancals, estropiés. Mais non, il désire que nous soyons parfaits comme lui-même, parfaits non seulement au plan moral, mais aussi au plan physique.
Le Christ était un homme parfait. On ne donne pas une description de son être, il ne nous est donc pas possible d'imaginer ce qu'il était. Mais nous pouvons être certains qu'il n'y avait pas en lui de vices, il n'y avait pas en lui d'erreurs, il avait toujours la réaction correcte.
Il était toujours dans le droit fil de la volonté de Dieu sur lui. Il ne pouvait rien faire d’autre que d'aimer et cela parce qu'il était possédé par l'humilité de Dieu. Il était Dieu et Dieu, nous l'avons vu hier, est le Prince des humbles.
Saint Benoît nous parle ailleurs d'un autre type de moines qui sont de faux moines. Il s'agit des sarabaïtes, 1,16. Si vous voulez, nous allons y revenir un instant. Or, le sarabaïte demeure absolument étranger à l'humilité. Il ne vit pas dans la maison de Dieu mais dans sa propre bergerie comme le dit Saint Benoît en 1,22. Il n'a pas de pasteur. Il sert une idole qui est son ego, son moi. La satisfaction de ses désirs lui sert de loi, dit Saint Benoît en 1,23. Il est donc tout à fait en dehors de l'humilité, il ne cultive que son moi.
Et maintenant, mes frères, je voudrais à ce sujet attirer votre attention. Nous devons bien prendre garde car notre propre bergerie, nous pouvons très bien la construire à l'intérieur du monastère où nous vivons et être des sarabaïtes secrets.
Non pas que nous cacherions notre jeu, mais nous pouvons être des sarabaïtes sans même nous en apercevoir. Nous pouvons cultiver notre propre projet monastique selon nos idées, selon nos passions, le construire en dehors de la volonté de Dieu et cela sous des couleurs faussement spirituelles. Je vais vous donner quelques exemples.
Nous pouvons très bien nous imaginer être des moines vraiment sérieux, et nous nous livrons à des jeûnes, de grands jeûnes. Ou bien nous devenons des veilleurs, nous allons coucher tard, nous veillons tard. Nous nous éveillons avant les autres. Ou nous passons de longs moments d'oraison dans notre cellule. Nous nous livrons à toutes sortes de pratiques comme ça plus ou moins pénibles, plus ou moins dures, plus ou moins pénitentielles.
Et voilà, nous construisons ainsi notre propre maison dans laquelle nous vivons, dans laquelle nous nous enfermons, dans laque]le nous nous encensons. Car dans la pratique, nous ne faisons que cultiver notre chair. Tout cela est faussement spirituel. Pourquoi ? Mais parce que c'est en dehors de la volonté de Dieu, c'est en dehors du consentement que donne l'Abbé, que donne le Christ. Et alors, on se ferme à l‘unctio, à cette fameuse onction qui est l'Esprit lui-même, on se ferme à l’humilité de Dieu et on se dessèche. On devient un bois sec, un beau bois peut-être, mais il est sec. Et vous savez que le bois sec, c'est ce qui est le meilleur pour brûler.
Mes frères, prenons bien garde à cette auto exaltation qui est, elle aussi, une espèce d'orgueil. Je vous disais hier que l’orgueil, la superbe, était le péché par excellence des moines presque parfaits. C'est lui qui à la dernière minute peut très bien le précipiter dans l'abîme.
Mais attention ! Cet orgueil nous égratigne tout au long de notre existence monastique. Nous devons bien faire attention à de petites choses qui en fait sont contraires à cette humilité que Dieu infuse en nous et qui doit nous transfigurer en ce qu'il est, lui.
Mes frères,
Les textes primitifs de notre Ordre sont avares de détails au sujet de nos Saint Fondateurs. Ils nous disent bien tout ce qu'ils ont fait, tout ce qu'ils ont réalisé, mais ils ne nous disent pas qui ils étaient, ou du moins si peu. Il est cependant une expression que nous retrouvons en termes quasiment identiques à une nuance près au sujet d'Albéric et d'Etienne.
D'Albéric il est dit : amator Regulae et fratrum, il était un amant de la Règle et il aimait les frères. Et d'Etienne on dit : amator Regulae et loci, il était un amant de la Règle et du lieu où était édifié le monastère.
Ils étaient donc tous deux des amatores, des hommes remplis d'amour. L'âme, le moteur de leur vie était l'amour. Ce n'était pas l'ambition, ce n'était pas la convoitise, c'était l'amour.
Et cet amour se répandait largement sur les frères et sur le lieu. Ils aimaient leur monastère, l'endroit où les bâtiments étaient construits, l'environnement ; ils aimaient les pierres, ils aimaient enfin tout ce qui constituait la domus Dei, la maison de Dieu. Ils aimaient aussi les frères qui peuplaient le monastère et qui y cherchait Dieu.
Etant un amator, donc un homme possédé par l'amour, il n'y a rien d'étonnant qu'Etienne ait voulu étendre cet amour aux maisons qui naissaient de Cîteaux pour que l'amour soit le ciment qui les unisse et pour que une même vie dans l' Esprit d'amour anime tous les frères en tout lieu et en tout temps. Il ne faut pas chercher ailleurs la source profonde et secrète de cette Carta Caritatis, de cette Charte de Charité.
Et aujourd'hui encore, mes frères, ce qui doit nous animer, nous qui sommes les descendants de Robert, d'Albéric et d'Etienne, c'est la Caritas ou l'amour, plus précisément l'Amour de Charité. Et cet Amour de Charité, c'est la personne même de l'Esprit Saint, mais cette personne vit en nous. Elle est quasiment incarnée en nous. Elle doit animer tout de nous. Il n'est pas un secteur de notre personne qui soit étranger à cet amour.
Donc, notre sensibilité, notre affectivité, notre coeur doivent être engagés dans cet Amour. Ils doivent non plus agir et réagir suivant des motivations purement naturelles, purement humaines, purement charnelles mais suivant des motivations d'ordre spirituel. Donc, la grande règle de notre vie, son âme, ce doit être l'Amour de Charité, et cela dans nos rapports mutuels et dans une optique de progrès communautaires. Car ce qui nous fait croître, c'est précisément cet Amour.
A la fin de notre vie, nous aurons atteint notre taille optimale - espérons-le - et elle sera notre degré d'amour. Nous n'emporterons absolument rien avec nous, rien que cet amour qui sera nous. Il est donc urgent de tout laisser pour cultiver en nous cet amour, enlever tous les obstacles, tout ce qui peut gêner sa croissance, toutes les mauvaises herbes qui pourraient prendre, puiser, sucer en nous une énergie qui doit être consacrée à l'amour.
Et cette même Caritas, dans l'esprit de nos Fondateurs, doit régner entre Abbayes. Il n'est rien de plus pénible que d'entendre raconter des histoires sur les autres Abbayes. On peut parfois échanger des confidences entre personnes averties pour, voilà, regretter une situation ou éventuellement essayer d'y trouver un remède. Mais ce ne doit pas faire une alimentation pour ragots car alors la Caritas s'évanouit.
Donc, nous devons toujours avoir dans notre coeur, dans toute la mesure du possible, les pensées même de Dieu qui sont toujours des pensées d'amour et de paix. Si nous sommes attentifs à la parole de Dieu dans la Lectio Divina, au cours de la Liturgie, nous entendrons que bien souvent il nous est dit que Dieu a des pensées de paix et des pensées justement de caritas.
Et ainsi, lorsque nous sommes habités par cette charité, qu'elle règne entre nous, le monastère présente l'image d'une Eglise qui est une dans la diversité de ses membres.
Et à partir de là, nous pouvons mieux comprendre la grande Eglise alors, le grand Corps du Christ, cette Eglise qui elle aussi est une, doit être une dans la diversité de ses composantes. Nous savons que cette unité a été endommagée aux cours, des siècles et qu'on essaye par tous les moyens de la reconstruire, de la retrouver.
Comme je l'ai expliqué il y a quelques jours, nous devons nourrir cette unité ici à l'intérieur de notre communauté de manière à ce que dans l'invisible, à partir de ce petit îlot où l'Esprit Saint qui est amour est le maître, cette unité puisse, voilà, se diffuser dans l'environnement proche et de plus en plus loin. Car l'invisible de la création nouvelle ne connaît pas de distances spatiales.
Maintenant, mes frères, quelque chose de très beau et de très important. Si nous sommes des amatores, donc des hommes emplis d'amour, des hommes possédés par l'Esprit Saint, nous serons à la sui te de nos Pères aussi des fundatores, des fondateurs. Cela ne veut pas dire que nous allons nous mettre en tête de fonder un monastère à Hoûte-si-ploût. Non, non, ce n'est pas ça.
Il faut bien savoir que chaque moine habité par l' Esprit Saint devient, dans l'invisible de la création nouvelle, un engendreur. L'amour, en effet, est la seule réalité qui possède une fécondité inépuisable car elle est participation à l'être de Dieu qui est amour. Et Dieu ne cesse de multiplier les êtres, Dieu ne cesse pas de créer, Dieu ne cesse pas d'engendrer, Dieu ne cesse pas de fonder.
Donc, un moine qui est vraiment devenu un temple de l'Esprit, un temple de l'amour, dans l'invisible de cette création nouvelle il est en train de fonder des monastères - pas seulement un mais plusieurs et ces monastères sont habités et ils prospèrent pour la joie de Dieu. Et un jour, ils seront contemplés dans leur réalité. Mais ils existent.
Mes frères, je pense que cette vision qui est très belle et qui est la réalité qui, elle, est promise à l'éternité, je pense qu'une telle vision est un encouragement pour nous. Pour les gens du monde, les gens qui vivent selon les lois de la chair, la vie monastique est quelque chose qui conduit à une impasse au plan humain. Le moine est - du fait de son voeu de chasteté - au terme d'une lignée. Elle n'ira pas plus loin. Il est condamné à la stérilité.
Oui, disons au plan de la chair. Mais nous savons que ce qui est semé dans la chair est condamné à la décrépitude comme tout ce qui est charnel. Tandis que ce qui est semé dans l'Esprit, lui, est promis à l'éternité.
Voilà mes frères, ce que nous devons espérer. Et demandons les uns pour les autres que cet idéal puisse se réaliser en chacun de nous.
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Mes frères,
Notre Père Saint Benoît s'étend longuement sur le premier degré d'humilité. A partir de lui, de ce premier échelon, les autres degrés vont s'élever et, si cette crainte de Dieu possède notre cœur jusqu'au bout, nous parviendrons au sommet de la fameuse échelle. Et là, enfin, nous découvrirons les espaces immenses de la création nouvelle, de la charité, de la Trinité elle-même qui, par sa grâce et dans son amour, nous aura élevés jusque là. Mais il faut que nous collaborions.
Et si vous le voulez, nous nous arrêterons ce soir sur deux qualificatifs dont use Saint Benoît et qui sont de significations diamétralement opposées. Ils seront pour nous tout à la fois un encouragement et une mise en garde.
Le premier est utilis, utilis frater , nous dit Saint Benoît, 7,49. Et il est en relation avec une vie sans tache, immaculée. Le second est inutilis, 7,78, et il est mis en relation avec une vie dans le mal.
Nous verrons tout à l'heure comment les traduire de manière à rendre le mieux possible leur sens strict. Car nous ne devons pas les extraire de leur contexte, nous devons entrer dans la sensibilité de Saint Benoît qui use de ces vocables dans une intention bien précise.
Nous devons les prendre vraiment dans leur sens étymologique qui est en rapport avec un travail, avec une capacité qui existe ou qui n'existe pas, qui a peut-être été perdue. Utile ou inutile, cela se dit d'un objet ; ça peut se dire aussi d'un moine : un moine inutile ou un moine utile.
Vous sentez déjà qu'il y a là un jeu de nuances sur lequel nous devons appuyer. Si bien que pour les comprendre, nous devons remonter jusque auprès de Dieu. C'est à partir de Dieu que nous devons regarder ces deux termes de manière à les saisir par l'intérieur d'eux-mêmes tels que Dieu les saisit.
Or Dieu, nous le savons, a un projet grandiose, merveilleux, magnifique, tout auréolé d'amour. Ce qui sort de Dieu ne peut être qu'enrobé d'amour puisque Dieu est amour. Non seulement c'est enrobé, mais à l'intérieur même de ce projet il n'y a finalement que de l'amour.
Et ce projet nous a été longuement décrit par l'Apôtre Paul et on peut le résumer en une expression qui est de lui : c'est récapituler toutes choses, celles du ciel et celles de la terre sous une seule tête, le Christ. Et le Christ, ne l'oublions jamais, c'est Dieu devenu homme.
Voilà donc un corps immense dont la tête est Dieu et dont nous sommes les membres. Et il faut que vraiment l'univers global, le nôtre ici, celui du ciel c'est à dire tout cet univers invisible que nous connaîtrons seulement lorsque nous serons pleinement détachés du pondus carnis, du poids de la chair de péché. Eh bien tout cela est réuni sous une seule tête, le Christ Dieu avec nous. Eh bien, tous les hommes doivent être unis dans ce corps et participer pleinement à la vie de Dieu.
Restons ici sur terre, laissons de côté l'univers qui ne tombe pas sous nos perceptions immédiates. Dieu veut donc que l'humanité et le cosmos qui lui est accessible deviennent pur resplendissement de ce qu'il est. Nous en avons un exemple dans la personne du Christ ressuscité des morts. Naturellement il n'est pas possible de nous imaginer ce que peut être le Christ ressuscité. Nous savons qu'il est ressuscité, mais c'est un univers encore qui nous échappe.
Cependant, l'Apôtre Paul nous en donne une toute petite idée lorsqu'il dit : Lorsqu'il se rendait sur Damas, soudain il a été entouré d'une lumière et que cette lumière l'a aveuglé, l'a même jeté à terre. Et de cette lumière sortait une voix qui lui parlait : pourquoi me persécutes-tu ?
Il avait donc vu le Christ ressuscité. Il le voyait, il avait entendu sa voix. Il en avait été bouleversé. Il en avait été métamorphosé d'un seul coup. Vous voyez, c'est ça ! L'humanité entière sera un jour telle qu'est le Christ ressuscité, et avec l'humanité tout le cosmos matériel.
Eh bien, Dieu est tellement amour qu'il nous appelle au monastère pour faire de nous ses ministres, pour faire de nous ses collaborateurs les plus proches, ceux avec qui il partage tout, ceux sans lesquels il ne peut rien faire. Je pense que nous devons voir notre vie monastique sous cet angle de vérité. Il s'agit de bien autre chose que de notre petite perfection ou de notre petite sainteté personnelle.
Non, il s'agit d'être des hommes sur lesquels Dieu peut s'appuyer pour faire avancer son idée, pour faire avancer son plan. Sans nous, il ne pourrait rien faire. Nous devons bien nous mettre ça dans la tête. Et à partir de là, nous comprendrons un peu mieux ce que signifie l'obéissance.
L'obéissance, c'est répondre à notre véritable vocation qui est d'être des princes pour Dieu, d'être plus que des ouvriers. Saint Benoît utilise le mot operarius, Pr,25, qui veut dire : celui qui travaille, donc l'ouvrier.
Mais il ne faut pas prendre ouvrier dans le sens vulgaire du mot comme on a un peu tendance à l'utiliser aujourd'hui. On distingue les ouvriers et les employés, les travailleurs intellectuels et les travailleurs manuels. Non, c'est autre chose.
Dans le sens étymologique auquel se réfère toujours Saint Benoît, l'ouvrier, c'est celui qui façonne un opus, c'est à dire une œuvre d'art qui lui a été mise entre les mains par Dieu lui-même qui lui dit : J'ai commencé, toi tu vas achever et de tes doigts il va en sortir quelque chose d'extraordinaire.
Eh bien, voilà ce que Dieu attend. Il doit pouvoir donc se servir de nous en toute confiance pour faire avancer son projet. Eh bien, en d'autres termes, il attend que nous lui soyons utiles. Le frater utilis, c'est le frère sur lequel Dieu s’appuie en toute confiance car il a à faire à un serviteur bon et fidèle. Voilà le sens réel de ce mot qui est beau et que Saint Benoît utilise ici.
Voilà, mes frères, demain nous verrons ce qui se trouve en face. C'est le frère inutilis, c'est celui dont on ne peut rien tirer. Il est devenu bon à rien. Maintenant, n'allons surtout pas penser à notre voisin. Laissons ce petit examen de conscience pour demain. Et je pense que, comme je le disais au début, ce que Saint Benoît nous rappelle ces jours-ci, c'est tout à la fois une mise en garde et un encouragement.
Mes frères,
Nous avons entendu hier que Saint Benoît parle aussi du frère inutilis, du frère qui est devenu inutilisable. Il n'a plus aucune utilité aucune ni pour Dieu, ni pour la communauté, ni pour lui-même. Comment peut-on en arriver là ?
Mais pour bien saisir la nuance qu'attache Saint Benoît à ce terme inutilis, bon à rien, faisons un petit retour dans le monde. Là, vous le savez, il y a des catégories de personnes qui sont inutiles pour la société : les handicapés et les personnes âgées. C'est quelque chose qui vous tombe dessus comme un couperet de guillotine.
Lorsque vous avez atteint un certain âge qu'on appelle pudiquement l'âge de la retraite, vous êtes inutile à votre entreprise, inutile à la société. Le mot est vraiment bien dit : vous êtes à la retraite. On vous retire de la circulation, des circuits de production.
Mais vous êtes encore un consommateur et vous coûtez cher. Voici qu'on doit vous entretenir. Mais oui, on vous donne une pension, une rente. Vous vivez aux crochets de la société, vous creusez le trou de la sécurité Sociale. Vous devenez presque un parasite, vous êtes un être inutile.
Cela se remarque très fort lorsque on regarde les vieillards – pas dans nos communautés - dans le monde. Ils gênent la qualité de la vie parce que à cause d'eux, mais voilà, on ne peut pas aller en vacances, on ne peut pas aller à une réception, on ne peut pas aller ici ou là. Et qu’est-ce qu'on fait ? Mais on les pousse dans une maison de vieux .
Mes frères, voilà l'image qu'on a de l'être inutile dans le monde. C'est presque la même chose pour un Abbé parce que lorsque vous avez atteint l'âge fatidique de 75 ans, bon, vous devez laisser la place à un jeune. Vous n'êtes plus utilisable pour la communauté sauf, voilà, pour un petit cours ou un petit conseil spirituel. C'est la face humaine de la chose.
Saint Benoît, lui, utilise le mot de bon à rien dans un tout autre sens. Pour lui, le moine senex, le moine ancien, celui qui est chargé d'années et d'expériences, c'est un trésor. Celui-là, il est vraiment utilis parce qu'il est devenu un seul esprit avec le Christ. Lorsque sa vie a évolué normalement, c’est vrai !
Mais voilà, nous avons donc notre moine qui est devenu bon à rien. Eh bien, Dieu ne le rejette pas, Dieu ne le classe pas. Dieu est Dieu, il est amour. Dieu est toujours un peu fou sur les bords et même beaucoup.
Et ce frère devenu inutilisable, Dieu laisse encore son regard se poser sur lui. Il l'a dit : « Quand il y a une brebis sur cent qui se perd, et bien les 99 autres, elles tireront bien leur plan toutes seules. Et alors Lui, il va partir à la recherche de cette brebis devenue bonne à rien. »
Il espère, comme le dit aussi Saint Benoît, il attend que nous nous corrigions. Oui, c'est traduit, c'est du bon français, mais c'est pas ça que Saint Benoît veut dire. Il dit : expectat nos converti in melius. 7.80. Il attend notre retour au bien, il attend notre conversion, il attend que nous opérions une volte-face et que nous rebroussions chemin sur la route du mal.
Car le frère n'était pas inutilis dès le départ. Il l'est devenu peu à peu. Declinantes in malum, dit Saint Benoît, 7,77. Il était sur le bon chemin et insensiblement il a quitté ce chemin. Il a declinare. Il faut pour bien faire connaître toutes les nuances de la langue latine pour voir l'image. C'est un accident qui s'est produit presque sans que le frère le remarque. Mais c'est arrivé et le voilà part dans la direction du mal.
Il faut voir le tableau, l'image et les deux mouvements : declinare in malum, donc dévier vers le mal et puis converti in melius, revenir au bien. Mais là en dessous, il y a la grâce de Dieu, il y a son Amour qui n'abandonne jamais le pécheur à son sort, mais qui s'arrange pour le faire revenir sur la bonne route qu'il a malencontreusement quitté. C'est un tableau saisissant, mes frères, qui nous interpelle vigoureusement. Et comme bien souvent avec Saint Benoît, nous sommes invités à choisir : ou bien être le frater utiles, ou bien devenir un frater inutiles ?
Et remarquez encore ce tout petit détail mais qui en dit long, qui en dit long aussi sur l'humilité de Saint Benoît, sur le regard qu'il porte en homme lucide sur sa propre conscience. Il part du frater utilis un peu dans l'abstrait. C'est un idéal, c'est une beauté vers laquelle il faut tendre. Mais quand il parle du frater inutiles, alors il s'explique sur le mode du nous et il se met du côté du frère inutile, du frère devenu sans utilité. Il se met de son côté.
Ecoutez : craignons, dit-il, que Dieu ne nous surprenne à quelque moment dévoyé dans le mal et devenus bons à rien, 7,77. Ne nous surprenne ! Et puis : s'il use d'indulgence en ces temps-ci, c'est parce qu'il est bon et qu'il attend que nous nous corrigions. 7,79.
Saint Benoît n'est pas un pharisien qui regarde les autres de loin et qui dit : « Oui, tout ça, ce sont des gens condamnables et condamnés qui sont devenus bons à rien. Mais moi, je ne suis pas comme eux ». Saint Benoît ne fait pas ainsi.
Saint Benoît se mêle à la troupe des pécheurs et il sait qu'il l'est. Et nous verrons que lorsqu'il arrive au sommet de son échelle, là il dit : Prends pitié de moi qui suis un pécheur, 7,176. Car si je suis toujours dans le bon chemin aujourd'hui, qui me dit que je ne vais pas trébucher et m'écarter de ce chemin demain.
Donc, mes frères, nous avons encore ici quelque chose de vraiment spirituellement et même psychologiquement très beau parce que ce que Saint Benoît dit ici est juste. Et vous voyez qu'il ne décourage pas ses moines, il ne les écrase pas. Il dit: « Faisons attention. Nous sommes tous des pécheurs et prenons garde ! Veillons à être toujours utiles à Dieu et faisons en sorte qu'un jour il n'ait pas à regretter, à regretter de nous avoir appelés à son service. »
C'est une éventualité, ça pourrait arriver ? Mais enfin Saint Benoît, je pense, tout au fond de son cœur l'écarte. Et comme lui s'est vraiment donné à Dieu dans l'état où il était, à l'intérieur de son cœur il prend tous ses frères et les présente à Dieu tels qu'ils sont. Et ainsi, par l'amour qu'il leur porte qui est l'amour même du Christ pour les hommes, il les sauve tous. (suite au Chapitre du 03.02.92)
Mes frères,
Depuis le début de l'année, Saint Benoît avec une simplicité désarmante - celle des saints - nous livre le plus secret de son expérience spirituelle. Il nous ouvre le plus intime et le plus caché de son coeur.
Il est un Abba, il est un Père et ses disciples sont pour lui des enfants. Il leur communique sa propre vie dans l'Esprit, cette vie qui bouillonne en lui et qu'il ne peut se réserver pour lui seul. Etant un saint, il est un engendreur.
Et comme vient de nous le dire le cardinal Ratzinger à propos de la Vierge Marie, sa fécondité à lui possède une fécondité absolument inimaginable pour l'homme charnel. Saint Benoît n'a jamais fini de créer, d'engendrer de nouveaux enfants. Et nous, ici dans ce monastère, nous dépendons de lui pour tout. .
Il est Père et il entend que nous, ses enfants, nous partagions tout de lui. Il veut d'un désir tout à la fois véhément et doux nous introduire dans les espaces de sainteté et de liberté qui sont les siens. Car la vraie liberté n'est pas de pouvoir tout faire sans contrôle. Non, cela ce n'est rien d'autre qu'un esclavage. On est soumis à ses instincts quels qu'ils soient. Non, la vraie liberté, elle se déploie en plénitude dans la sphère de la gratuité qui est celle de la sainteté.
La Règle qu'il nous a laissée n'est pas un code sec et froid. Elle est la propre vie de celui qui nous l'a donnée, et une vie qu'il nous offre en nourriture. Car en vrai Père, il se donne en nourriture pour ses enfants.
Il nous dit que la sainteté qui est la sienne - il a le droit d'en parler - que cette sainteté est une participation plénière au mystère du Christ, ce Dieu devenu homme, pleinement homme afin que nous puissions partager en tout sa nature divine. Encore une fois, Dieu n'est pas jaloux et lorsqu'il se donne, ce n'est pas en se réservant quelque chose. Non, il se donne tout entier, il ne garde rien pour lui. Dieu est pauvre jusque là.
Maintenant, comprenons bien qu'un saint est un homme accompli. N'allons pas chercher un idéal de vie au niveau de la sagesse humaine. Allons plutôt regarder du côté qu'est la folie qu'est notre Dieu.
Le saint est un homme accompli parce qu'il est un homme divinisé. Sa respiration, ce n'est pas une quelconque ambition, ce n'est pas la poursuite d'un idéal purement humain qui se trouverait devant lui. Non, sa respiration, c'est la personne même de l'Esprit Saint. Un saint est un homme accompli parce que sa seule occupation, c'est d'aimer.
Eh bien, mes frères, c'est à une telle réussite de notre vie d'homme que nous invite Saint Benoît. En entrant dans le mystère du Christ, nous entrons dans notre propre mystère qui est participation au sien. Et c'est là le commencement de la vie éternelle. Rien ne peut être conçu de plus beau !
Oui, Saint Benoît veut nous introduire à l'intérieur de la beauté. Si Dieu nous attire, c'est parce qu'il est beau. Et en prenant possession de nous, il veut nous rendre beau de sa propre beauté. Et celle-ci, nous ne pouvons pas en concevoir l'étendue, ni la délicatesse, ni le fini.
Mes frères, nous devons croire en la puissance créatrice et réformatrice de la beauté, en sa force d'unification et de rassemblement. Il a été dit que c'est la beauté qui sauverait le monde. Et c'est normal puisque la beauté, c'est Dieu pour nous.
Aujourd'hui dans le monde, partout on se préoccupe de créer de la beauté. On restaure les vestiges du passé et lorsqu'on édifie du neuf, on exige que ce soit beau. Lorsque une entreprise atteint une certaine taille, elle doit posséder en son sein un comité, une commission groupant les directeurs et les travailleurs, une commission qui doit veiller à l'embellissement des lieux de travail. Aujourd'hui l'usine doit être belle.
Et alors, mes frères, à combien plus forte raison le monastère doit-il être beau, la maison de Dieu doit-elle être belle. Ce doit être un de nos soucis de la rendre belle, et toujours plus belle. Etre un artisan de beauté, n'est-ce pas cette sorte de folie que Dieu attend du moine ?
Si nous y regardons d'un peu près, nous constatons que c'est là précisément le propos de Saint Benoît. Il ne fait que reprendre une intuition bien plus ancienne que lui, l'intuition première et fondatrice du monachisme. Le monachisme a été inspiré par Dieu afin d'installer l'homme au centre de la beauté.
Car en effet, qu'y a-t-il de plus beau qu'un coeur parfaitement pur, un coeur devenu temple de la lumière, un coeur dans lequel il n' y a plus la moindre trace de malice, un coeur qui ne fait plus - comme je le disais au début - que respirer l'Esprit Saint, c'est à dire respirer l'amour.
Et à partir d'un tel coeur, c'est le tout de l' homme qui devient beau, et même l'alentour de l'homme. Car un moine dont le coeur est entièrement purifié a un regard qui rend beau tout ce qu'il touche et, tout ce que ses mains approchent devient immédiatement apparition de beauté.
La Règle de Saint Benoît est précisément une cathédrale qui nous détaille les mille et un secrets de la beauté. Pourquoi ? Mais parce qu'elle nous chante, elle ne cesse de nous chanter l'indicible beauté d'un coeur pur et qu'elle nous ouvre patiemment le chemin qui nous conduit à cette pureté.
Et ce chemin - je l'ai rappelé dernièrement encore - est situé tout entier dans l'art sublime de l'écoute. Savoir écouter, en d'autres termes, savoir obéir. Entendre la voix de Dieu qui invite et immédiatement, laissant là tout le reste, là suivre.
Ne l'oublions jamais, mes frères, Dieu est caché à l'intérieur de ses vouloirs. Si bien que l'endroit secret où nous découvrons la beauté et la pureté, c'est la volonté de Dieu, volonté qui n'est pas distincte de Dieu, volonté amoureuse qui est source de vie, et de vie impérissable.
Saint Benoît avec la patience d'un Père bon et aimant, un pius Pater, comme il dit, nous apprend à nous nourrir de Dieu et à nous transfigurer en image de Dieu. Et il nous encourage à aller jusqu'au bout, à ne pas nous arrêter avant que nous ne soyons devenus beaux de la beauté de Dieu. C'est un cadeau à recevoir. C'est la grâce la plus belle qu'il puisse donner à un homme.
Mes frères, à nous donc d'écouter avec confiance totale en tournant résolument le dos aux illusions. Le Cardinal Ratzinger vient de nous parler de Marie qui est une créature unique. Pourtant elle est un être humain comme nous. Mais voilà, elle avait un coeur qui était capable d'enfanter charnellement le coeur même de Dieu dans la personne du Christ.
Et alors, pourquoi Marie était-elle si belle ? D'où vient la beauté de Marie ? Car lorsque l'ange la salue, il ne lui dit pas : Salut, Marie, mais il lui dit…. Comment traduire ce mot extraordinaire ? En langue française ce n'est presque pas possible. Mais enfin, il voulait dire ceci : Salut la toute belle. Car aucune beauté, ni sur la terre, ni au ciel ne pourra jamais atteindre celle de Marie. Mais alors pourquoi ? Mais tout simplement parce que Marie ne s'est jamais nourrie d'autre chose que de Dieu caché à l'intérieur de sa volonté.
Voilà, mes frères, le secret, le secret sublime que nous devons accueillir, que nous devons faire nôtre et que nous ne devons jamais cesser de faire fructifier en nous. Et si vous le voulez, nous nous aiderons à cela les uns les autres avec sagesse et patience, et dans une douce charité.
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Mes frères,
Le Prophète Malachie vient de nous le rappeler : le Seigneur est semblable au feu du fondeur, à la soude des blanchisseurs. Et il en est bien ainsi. Le Seigneur est amour et l'amour purifie tout ce qu'il touche. Il ne tolère rien qui ne soit lui. Heureux, trois fois heureux celui qui en fait la souveraine expérience.
Elle aurait pu en parler, cette jeune épousée qui entrait dans le temple pour y présenter à Dieu son enfant, son premier né. Elle était chez elle dans l'amour, dans la pureté, dans la lumière, dans la beauté. Il devait rayonner d'elle quelque chose de pas ordinaire.
Et voilà qu'un homme, un vieillard sans doute, un homme au coeur et au regard de prophète et saisit d'étonnement s'approche et reconnaît Celui qui lui parle dans le secret depuis si longtemps. Et voici qu'une vieille femme de 84 ans se joint à lui. Et tous deux se mettent à chanter l'indicible dont ils sont les témoins.
Et les autres, mes frères, les autres, ils n'ont rien vu, rien reconnu. Et les autres, c'est le prêtre qui a officié avec ses acolytes ; les autres, c'est la foule des fidèles et des marchands.
Il y a là quelque chose de banal et de tragique. La plus haute sainteté possible, Marie, est présente et personne ne la remarque. Dieu entre dans sa maison et personne ne le reconnaît, personne sauf ces deux vieillards.
Nous touchons ici, mes frères, le réalisme terrible de l'incarnation. Dieu est tellement homme qu'on oublie qu'il est Dieu et on passe à côté dans l'indifférence la plus totale.
Dieu s'est soumis à tout ce qui est de l'homme et il a fallu que sa mère obéisse à la même loi. Quelques fussent les méprises, ils sont allés tous les deux jusqu'au bout. Pour l'un, ce fut la mort la plus cruelle et pour l'autre, ce fut un glaive dans son coeur.
Aujourd'hui, mes frères, Dieu se présente à nous dans le frère, dans l'homme, dans la femme, dans le petit, dans le vieillard que nous rencontrons. Je frémis en pensant que nous pourrions passer à côté de lui sans le reconnaître.
Siméon et Anne avaient un coeur d'enfant accordé au coeur de Dieu. Ils étaient de ces petits, de ces naïfs qui sont de pleins pieds dans le Royaume de Dieu. Eux seuls pouvaient reconnaître la toute pure tenant Dieu dans ses bras.
Mes frères, demandons à tous les acteurs de cette scène humble et grandiose de nous obtenir la grâce d'un coeur pur, d'un coeur qui voit, d'un coeur qui reconnaît.
Amen.
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Mes frères,
C'est toujours très difficile de rendre exactement avec précision les nuances de la langue latine. Saint Benoît ne nous dit pas que quelqu'un se trouverait satisfait de tout ce qu'il y a de vil et de bas, mais il dit que ce moine est contentus, c'est à dire qu'il en est heureux, il en est comblé, il en est rempli, il ne désire rien d'autre. C'est bien plus que satisfait.
Saint Benoît usera de la même expression à propos du moine étranger qui vient se fixer dans le monastère. On pourra l'admettre à la vie de la communauté s'il est contentus quod invenerit, 61,7, s'il est content, vraiment s'il trouve tout ce qu'il cherche, tout ce qu'il désire à l'intérieur de cette communauté. Il n'a rien à ajouter. Il est rempli. Son contenu, sa capacité est remplie.
Eh bien, est-ce que nous sommes, nous, à ce niveau d'être contentus sit de toutes sortes, de viIitas, de tout ce qu'il y a de plus vil, vel extremitate, donc on est réduit à la dernière extrémité à tous les niveaux, un peu comme le Rabbi Hamina (?). Il n'avait rien, rien du tout. Il était plus pauvre que pauvre. Il était un peu innocent. Il n'avait pas trop le sens du réel. Et voilà, il en était parfaitement heureux car son coeur avait trouvé son lieu ailleurs. Il était un intime de son Dieu et ça lui suffisait amplement. C'est à cette condition-là qu'on peut être installé, vraiment établi au 6° degré d'humilité.
Mais revenons un peu à ce que Saint Benoît nous disait plus haut. Il parlait, vous le savez, du frère utilis et du frère inutiIis, du frère qui sert tout de même à quelque chose et de celui qui est devenu inutilisable. Mais où passe la ligne de démarcation entre les deux ? Qu'est-ce qui peut donc bien les départager ? Nous ne devons pas juger d'après les critères mondains, les critères charnels, aller chercher cette ligne de partage dans des considérations d'ordre matériel.
Comme par exemple l'emploi qu'on peut confier à un frère mais qu'on ne peut pas confier à un autre frère parce qu'il n'a pas les capacités du premier. Le second pourrait bien se juger inutile en regardant le premier. Non, ça ce sont - encore une fois - des jugements charnels, mondains. Dieu, lui, ne regarde pas ainsi.
Pour bien comprendre, nous devons nous situer dans la sphère du spirituel pur, c'est à dire de la vie de l'Esprit, de la vie de Caritas, de la vie d'Amour en nous, donc de la vie divine qui bouillonne à l'intérieur de notre coeur et qui va être étouffée ou bien qui va pouvoir nous envahir totalement et même déborder à l'extérieur.
Eh bien, qu'est-ce qui va donc dans la pratique - pas seulement au regard de Dieu mais aussi dans la pratique concrète - qu'est-ce qui va permettre à un frère d'être utilis ou bien ce qui va le faire devenir inutiIis ? Voici, la ligne de partage se situe au niveau des pensées de convoitise auxquelles on résiste ou bien auxquelles on succombe. Ce n'est que cela !
Pour le frère utilis, Saint Benoît dit qu'il se tient en garde contre les cogitationes perverse, 7,49, contre les pensées perverses. Attention ! Là aussi nous devons bien comprendre. Ce sont donc les pensées qui vont centrer le frère sur lui-même et qui vont le détourner de Dieu.
La perversion seulement ici au plan moral mais surtout - encore une fois - au plan spirituel, ce sont des pensées qui vont être génératrices de comportements qui vont situer le frère en dehors de la route qui conduit à Dieu. Il ira sur sa route à lui qui est une route de convoitise.
Et quand nous parlons de convoitises, ne pensons pas encore une fois à des choses bassement matérielles, mais à une convoitise faussement spirituelle. Car Saint Benoît reconnaît une convoitise saine, la concupiscentia spiritualis, 4,53, la convoitise spirituelle, donc que sont les énergies du concupiscible, donc de l'appétit concupiscible en nous, qui sont dirigées vers Dieu parce que elles sont pilotées par l'Esprit Saint.
Il y a à côté de cela les pensées de convoitise qui ne sont plus pilotées par Dieu mais qui sont pilotées par le moi, par l'ego. On a son idée, on va la faire avancer, triompher en vers et contre tout. C'est ça qui va conduire le frère dans l'inutilitas. Il deviendra bon à rien pour Dieu. Dieu ne peut plus rien en faire. Et il aura l'illusion d'être un génie spirituel !
Vous voyez, c'est la plus épouvantable des illusions parce que vraiment alors le satan vous a mis un anneau dans le nez et il vous conduit où il veut. Osque ad profundum inferni, dit Saint Benoît, 7, 59, cette route qui conduit jusqu'au plus profond des enfers.
Voilà, mes frères, la ligne de démarcation. Il faut bien savoir que la convoitise charnelle - et j'entends charnel dans le sens très large du mot - donc la convoitise qui devient vraiment de l'égoïsme et qui est l' auto exaltation, cette convoitise est allégeance à une idole, l'idole du moi. Et on devient inutile pour Dieu.
Tandis que le rejet de cette convoitise, donc l'oubli de soi et la remise de soi entre les mains de Dieu qui, dans la pratique bien concrète, sont les mains de l'Abbé, eh bien, le rejet de cette convoitise mauvaise est allégeance à Dieu. Et on est alors un frère utilis, un frère dont Dieu va pouvoir se servir pour réaliser des grandes choses.
Maintenant au plan de la pratique, je dirais, matérielle dans le monastère, ce frère utilis peut être le tout dernier. Cela peut être un genre de Rabbi Hamina (?) pas tout à fait bien sur ses pieds. On ne peut pas trop lui demander parce que on sait que ce sera gâché avant de commencer. Un maladroit, vous voyez, il y en a ainsi ! Mais il peut très bien être totalement utile pour Dieu dans l'invisible de ce Royaume que Dieu est en train d’édifier. C'est ça, n'est-ce pas.
Tandis que on peut très bien avoir un frère qui occupe de très hautes charges dans la communauté. On peut lui confier des tas de choses et on les lui confie d'ailleurs parce que voilà, il sait faire. Mais dans la réalité, il peut très bien être imbu de lui-même à un tel pont qu'il est devenu tout à fait inutilis, inutilisable pour le Royaume de Dieu. Là toujours est la ligne de partage.
Et quand nous méditons la Règle de Saint Benoît, nous devons toujours bien avoir ça présent sous les yeux. Benoît, lui, nous parle toujours de nos relations à Dieu et il veut nous conduire à la plus grande intimité avec Dieu en mettant à notre disposition les moyens qui permettrons à l'Esprit Saint de purifier notre coeur.
Ainsi, mes frères, vous comprenez l'importance de la lutte contre les pensées dans la Tradition monastique. Ce n'est pas seulement les petites pensées qui arrivent, les petites pensées de gourmandises, enfin toutes les petites choses, les petites pensées de colère, les choses qui viennent comme ça. Naturellement elles sont là. Il faut lutter contre celle-là aussi, certainement.
Mais ce sont les pensées, les autres, les cogitationes perverse, les pensées qui nous font dévier hors de la route qui conduit à Dieu. Et c'est là que se situe le noeud de la lutte monastique et dans toutes les finesses de l'art spirituel. Celui qui peut déjouer cela !
Vous savez que la grande vertu que les moines, les premiers moines poursuivaient avec ardeur, c'était le discernement des esprits, c'est à dire le discernement des pensées. C'est toujours là !
N'allons pas nous imaginer maintenant que c'est quelque chose de tout simple ? Non, n'est-ce pas, c'est l'art spirituel par excellence et on ne peut pas s'improviser ainsi artiste spirituel. Non, il faut y être investi par Dieu.
C'est donc au terme d'un long, long apprentissage, et puis après avoir franchi beaucoup d'étapes, réussi beaucoup d'examens – attention ! ce ne sont pas des examens publics devant la communauté, non, non, mais des examens devant Dieu - après bien des erreurs, bien des chutes, bien des redressements, bien des conversions, bien des reprises de soi qu'on arrive à discerner comme ça si la pensée vient de Dieu, si la pensée vient d'un autre que Dieu. Et puis alors, il faut choisir.
Voilà, mes frères, essayons de retenir cela. Vous voyez que la Règle de Saint Benoît est un véritable trésor dont on peut toujours tirer et de l'ancien, et du nouveau.
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Mes frères,
Au septième degré d'humilité, Saint Benoît introduit le moine dans l'ineffable. Comment en effet est-il possible qu'un homme sain d'esprit croit au plus profond de son cœur qu'il est le dernier et le plus vil de tous ? Et par tous, ce n'est pas seulement les frères du monastère, mais c'est de tous les hommes. Je vais essayer de vous expliquer ce mystère et vous m'excuserez s'il m'arrive de bafouiller.
Eh bien, il arrive un moment où le moine commence à voir Dieu dans sa lumière. C'est à dire que Dieu se manifeste à lui dans une lumière d'abord ténue, puis de plus en plus forte, de plus en plus belle, mais sans jamais l'éblouir. Toujours le moine peut en toute liberté et dans la plus profonde paix contempler Dieu-lumière.
Mais alors, dans cette lumière qui agit comme un miroir, le moine se voit exactement tel qu'il est et son réflexe est alors de se cacher à l'intérieur d'une certitude qui s'impose à lui et qui lui sert d'abri. A l'intérieur de cette certitude, il est seul avec Dieu et en même temps il est protégé de Dieu.
Et cette certitude est celle-ci : c'est précisément qu'il est inferior et vilior, 7,139. Cela signifie qu'il est en dessous. Il n'est pas le dernier comme on l'a traduit ici. Il est en dessous. Et là, de façon très mystérieuse il rejoint, il retrouve la personne du Christ qui, lui, est descendu comme nous l'explique l'Apôtre au plus profond des profondeurs infernales.
C'est le mystère par excellence du Samedi Saint où Dieu, dans la personne du Christ-Jésus mort sur la croix, est englouti. Et il descend au plus bas. Il descend jusqu'au pavimentum, donc jusqu'au pavement, ce pavement qui supporte absolument tout, toute l'humanité pécheresse.
Il est donc l'homme - Dieu est devenu homme, véritable homme - il est donc l'homme qui se trouve en dessous de tous les autres. Cela signifie que s'il regarde en dessous de lui, il n'y a personne ; s'il regarde au-dessus de lui, il y a tous les hommes.
Il est donc, le Christ, à ce moment-là, le plus pécheur de tous les pécheurs. N'oublions pas que Dieu son père l'a fait péché, il l'a rendu péché pour faire condenser en sa personne absolument tous les péchés des hommes, le péché du monde.
Mais le péché du monde, ce n'est pas une abstraction, c'est véritablement tous les péchés, tous les crimes que tous les hommes ont perpétrés du commencement du monde à la fin. Tout cela est dans la personne du Christ-Jésus et c'est pourquoi il est en dessous de tout.
Or, le moine qui arrive à ce degré d'humilité, il est inferior, il est vraiment en dessous de tous les autres. Et là, il est en compagnie du Christ. C'est, disons, le Christ qui de façon mystique revit dans cet homme son mystère de Rédemption, mais de Rédemption ultime, ce fameux mystère du Samedi Saint sur lequel les théologiens se sont penchés ces derniers temps.
Mais alors, cette certitude-là se complète du fait qu'il se voit vilior, le plus vil de tous. Mais attention. Il ne faut pas entendre vil ici comme l'adjectif qui caractérise la vilenie. Non, il est le plus vil, c'est à dire que il est absolument sans valeur. Il est un objet de rebut, comme il le dit : « Moi, je suis un ver et non pas un homme. » Et là aussi il est en compagnie du Christ qui a été jugé sans valeur.
Et la preuve, c'est qu'on l'a mis sur une croix et on l’a laissé mourir. Et quand il était mort, eh bien, on a encore violé son corps et son cœur en le transperçant. Il est devenu une chose, il n’était plus un homme.
Mais voilà la certitude à l'intérieur de laquelle le moine s'est établi. Et il s'est créé à l'intérieur de lui un vide. En effet, pour être en dessous de tout et absolument sans valeur par rapport aux autres, il faut qu'on soit vraiment en creux, il faut qu'on soit vide. Il n'y a dans le cœur plus rien.
Et quand je pense à vide, ce n'est pas vide de péchés, vide de malices. Non, c'est un vide existentiel aussi, une sorte de fait d'être suspendu vivant à l'intérieur de la mort. Eh bien, ce vide est créé dans le cœur par cette lumière qui est Dieu. Et il a ceci d'extraordinaire, c'est qu'il agit à la manière d'un voile protecteur qui permet à la fragilité de l'homme de supporter la vision de Dieu.
Il y a donc les deux à la fois. Ce vide est créé par la lumière mais il est comme un voile qui permet à l'homme - l'homme est toujours bien vivant - de supporter la vision de cette lumière, et de pouvoir y tenir, et de pouvoir s'en nourrir et de ne plus pouvoir s'en passer.
Car ne l'oublions pas, l'Ecriture nous le dit fréquemment : Dieu est un feu, et un feu qui dévore, un feu tout à la fois extrêmement doux et épouvantablement terrible. Les deux se conjuguent.
Et ce feu mystérieux qui est Dieu, il ne cesse de détruire jusqu'aux plus infimes impuretés. Et en même temps, il transforme le cœur en ce qu'il est. Il fait du cœur de cet homme un feu. Il n'est pas possible qu'il en soit autrement.
Donc, voyez un peu tout le complexe de cette situation. Il y a là une lumière qui est en train de creuser un vide de plus en plus large, de plus en plus profond. Et cette lumière agit à la manière d'un feu qui anéantit tout ce qui lui est contraire et qui finalement transforme le cœur lui-même en feu.
Et tout cela, c'est une sorte de voile qui entoure ce cœur et qui permet alors de supporter cette vision de Dieu. Car il est bien dit : on ne peut pas voir Dieu sans mourir. Il faut donc qu'il y ait un élément protecteur. Et cet élément protecteur, c'est ce voile.
Je raconte peut-être des choses difficiles ? Mais enfin, je prêche peut-être des convertis et il est possible que vous soyez tous ou à peu près déjà élevés à ce septième degré d'humilité. Alors ce que je raconte c'est, comme on dirait vulgairement, pour vous de la petite bière.
Je vous le souhaite de tout cœur, sinon demandons bien sincèrement les uns pour les autres à Dieu de nous accorder cette grâce de nous élever à ce septième degré qui est le plus haut de tous. Saint Benoît parle de douze degrés. Mais quand on est à celui-ci, on est au-dessus et, le reste alors, ça va être des conséquences de ça que Saint Benoît va détailler. Car le moine qui est là va avoir un comportement nouveau, différent de celui qu'il avait avant et qui montre que ce qu'il vit est bien réel.
Suite à la deuxième partie du Chapitre du 07.02.92
Mes frères,
Je vais vous raconter une petite histoire qui a trait à ce dixième degré d'humilité. Hier, j'ai appris qu'une cousine habitant les hautes Ardennes, mon lieu d'origine, une fille de 18 ans, avait eu une syncope au volant de sa voiture. Si bien qu'elle s'est retrouvée après plusieurs tonneaux dans un fossé assez profond. La voiture était sur le toit avec la jeune fille ceinturée, la tête en bas et les pieds en l'air.
Enfin un passant est arrivé. Elle a pu s'échapper de la voiture et elle n'avait que des contusions. On l'a conduite à l'hôpital et elle doit pendant six semaines porter un corset en cuir. Et c'est ceci : c'est une fille, elle a dix huit ans, et pendant six semaines, elle ne peut pas rire. Vous voyez !
Sans doute que le rire, comme il est dit ici par Saint Benoît, ça secoue le tout. Elle doit rester corsetée sans rire. Voilà !
Eh bien, ce qu'on doit faire pour se remettre d'un accident de voiture, Saint Benoît demande qu'on le fasse sur la route qui conduit à Dieu. Disons, là-bas pour cette fille, c'est une contrainte tandis que chez le moine, ça devient une attitude habituelle.
Saint Benoît dit ailleurs que le moine doit éviter le risum excussum, 4,64, le rire qui secoue toute la bedaine. Ici, il ne peut pas être enclin ni prompt à rire, 7,157. Sa nourriture, ce devrait être les larmes. Mais le don des larmes n'est pas accordé à tout le monde.
Ce n'est pas parce qu'on a facilement la larme à l’œil qu'on possède le don des larmes. Il y a des natures, surtout féminines, qui sont très fort enclin aux larmes dans les monastères. Mais c'est beaucoup plus rare chez les moines et ça n'a rien à faire avec une très haute vertu. C'est simplement des réflexes liés au système nerveux.
C'est d'ailleurs quelque chose, je ne dis pas curieux mais tout de même, de voir dans un chœur de moniales une sœur qui pleure. Nous autres, on serait ému. On dirait : « Mais enfin la pauvre malheureuse, qu'est-ce qu'elle a ? » Mais non, c'est quelque chose de tout à fait habituel, ce sera une autre un autre jour, voilà !
Mais pour le rire, là je pense que ici Saint Benoît nous donne un symptôme d'un moine qui est arrivé déjà à un beau petit degré d'humilité, celui dont nous parlons, où il se juge inférieur à tous et absolument sans valeur. C'est la lumière de Dieu qui le pénètre, qui lui montre les moindres petites failles spirituelles qui se trouvent encore en lui. Si bien que lorsqu'il regarde les autres frères, il les juge bien meilleurs que lui, ou bien mieux encore, il ne les juge pas du tout. Il fait comme Dieu.
Et vous savez bien que Dieu jugera les vivants et les morts, nous le chantons dans le Credo. Mais dans le fond, comme il est amour, son jugement n'en sera pas un, c'est à dire que ce ne sera pas un jugement de condamnation, ce sera toujours un jugement de pardon et d'accueil.
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Et bien, je terminais la dernière fois en disant que le vide créé dans le moine par la lumière était une sorte de voile qui permettait à la fragilité du moine de supporter une certaine vision de Dieu.
Et ce Dieu qui est amour, il va donc s'attacher à créer dans le moine ce vide, mais un vide toujours plus large, un vide toujours plus profond, un vide qui finalement sera total. Il ne restera plus du moine qu'une enveloppe et à l'intérieur ce sera vide.
Mais ce vide ne concerne pas seulement le cœur, mais aussi le tout du moine : son intellect, sa volonté, sa sensibilité, son affectus et quasiment sa chair aussi. Il est toujours bien vivant parmi les autres mais en fait ce qu'on voit de lui n'est qu'une apparence. La réalité qui, elle, est promise à la vie éternelle, c'est un vide total.
Mais au fur et à mesure que Dieu creuse et vide, il occupe la place. Il occupe toute la place. Il ne laisse pas un petit coin qu'il n'occuperait pas. Non, il occupe tout. Et une fois qu'il a occupé, il ne revient pas en arrière. Le moine pourrait commettre des péchés, ce n'est pas ça qui va faire partir Dieu. Une fois qu'il a occupé une place, il n'en recule plus.
Mais attention. Comme l'Ecriture le dit : Le cœur du moine est profond. Si bien qu'il y aura toujours de la place et pour la peur chez le moine, et pour le péché. Mais ce que Dieu a pris, il ne le lâche pas.
Et ce vide lorsqu'il est ressenti - car il arrive un moment où on le ressent - lorsqu'il est ressenti, il est le signe indubitable de la présence et de la proximité de Dieu. Donc Dieu qui est présent dans le moine et qui en est tout proche, tellement proche qu'il n'est pas possible d'être plus proche que ça.
Et ce vide est comme la face négative de Dieu, la face positive de Dieu étant sa lumière, cette lumière qui crée le vide. Si bien que le vide est comme la face négative de Dieu, mais il trahit la présence de Dieu. Il est là. Donc Dieu sera perçu d'abord comme un vide, comme un rien ou comme un inexistant.
Nous allons retrouver ici toute cette théologie qui a été mise en évidence par Maurice Zundel qui présente Dieu comme l'être le plus pauvre et le plus impuissant qui existe. Finalement à la limite, Dieu n'existe pas. C'est à dire qu'il n'existe pas comme nous pourrions l'imaginer. Il est au-delà de toute existence concevable pour nous. Mais lorsqu'il se manifeste, notre sensibilité va le percevoir à l'intérieur d'un vide et comme un vide.
Vous comprenez que dans des situations pareilles, le moine n'a pas trop envie de rire parce qu'il se demande ce qui lui arrive, et où il va, et ce qu'il devient ? Car ce travail de Dieu dans tout l'être du moine est à la fois délectable et redoutable. C'est vraiment le purgatoire sur terre. Le purgatoire ne sera rien d'autre que cela.
Nous n'avons pas à imaginer le purgatoire comme un lieu où on subirait toutes sortes de tourments. Non, le purgatoire est ..?.. , le purgatoire est à l'intérieur de nous et il est cette rencontre, cette proximité entre l'impureté de l'homme et la lumière de Dieu.
Eh bien, ce travail est délectable parce que Dieu est perçu, Dieu est vu dans l'ombre toujours mais bien réellement. Et c'est la félicité suprême car la vie éternelle, c'est de connaître Dieu et celui qu'il a envoyé, Jésus-Christ. Donc, c'est de les voir et d'être entièrement saisi, captivé par eux.
Or, c'est ce qui se passe déjà lorsque Dieu investit un homme. Et à l'intérieur de ce vide - encore une fois - on commence à percevoir ce Dieu. Et en même temps, c'est redoutable parce que l'esprit de l'homme et sa chair grésillent sous l'ardeur de cette lumière qui est comme un feu.
Voilà, mes frères, nous essayerons demain de voir pourquoi soumis à cette purification, le moine va se sentir, se découvrir et s'accepter inférieur à tous et absolument sans valeur au plan de Dieu toujours, pas au plan des réalisations concrètes, mais dans sa relation à Dieu, à cette création nouvelle, à cet univers auquel il est invité, auquel il est appelé et dans lequel il est déjà entré sans le savoir.
Mes frères,
Nous avons vu hier que le propos de Dieu était de créer dans le cœur du moine, et même dans tout son être, un vide de plus en plus large et profond que lui-même va occuper. Car le projet de Dieu, c'est de faire du moine un saint, c'est à dire un homme qui ne vit plus selon les lois de la chair mais selon les lois de l'Esprit qui sont tout à fait étrangères aux manières du monde.
Le vide, Dieu le creuse en utilisant une foule de moyens qui sont mis à sa disposition par l'organisation de la vie monastique. Il agit aussi directement de manière mystique. Mais il ne laisse rien passer et tout ce qui nous arrive dans le monastère a toujours un sens, même ce qui nous paraît contraire.
Je rappelle que au quatrième degré d'humilité, Saint Benoît parlait des choses dures et contraires, 7,94. Ici il est dit : contrariant. C'est encore un peu édulcoré. Non, ce sont des choses qui nous heurtent de front, que nous ne pouvons pas admettre au plan de la raison. Cela peut être des injuriae, donc elles sont contre le droit. Eh bien, cela fait partie des moyens que Dieu utilise pour sauver un homme, c'est à dire pour le conduire au sommet de la sainteté. Nous devons bien le savoir et ne pas l'oublier.
Les petites épreuves qui nous arrivent aussi, celles de la vie commune, celles que l'on rencontre dans son emploi, les petits malentendus et les grands malentendus, eh bien, tous ça aussi a un sens. Cela veut nous détacher de nous, c'est à dire creuser ce trou que Dieu va remplir de toute sa vie, de tout son amour et de toute sa béatitude. Eh bien, le moine qui est soumis à cette épreuve purificatrice, il se croit de plus en plus sincèrement inférieur à tous et le plus vil de tous.
Il s'agit là, mes frères, d'un réflexe purement spirituel, un réflexe que l'on peut même qualifier de divin, car j'entends spirituel dans le sens noble du terme, un réflexe sous la motion de l'Esprit Saint. Ce n'est pas calculé, ce n'est pas le fruit d'une réflexion, d'une méditation, d'une conviction qui est acquise à force d'y réfléchir, d'y penser, non ! Ce n'est pas de l'autosuggestion, non ! C'est un réflexe, donc c'est quelque chose qui est quasiment instinctif mais d'un instinct surnaturel, d'un instinct spirituel, d'un instinct divin.
Et le moine peut très bien occuper le premier rang de la communauté, il peut avoir des compétences multiples, il peut rendre une foule de services, il se verra inférieur à tous et sans valeur, pas pour la communauté, mais sans valeur au regard de Dieu. Toute sa sufficientia, comme dit Saint Paul. Il ne le dit pas en latin mais en grec, tout ce qu'il a de soutien, l'homme, tout ce qui fait sa valeur au plan de Dieu lui vient du Christ.
C'est dans la mesure où il est un membre du Christ qu'il a de la valeur au plan de Dieu et qu'il peut réellement agir. Non pas d'une action que les hommes peuvent mesurer, mais d'une action que Dieu seul peut comptabiliser dans l'invisible de la création nouvelle. C'est là que nous sommes efficaces d'abord et surtout.
Il va donc, ce moine, se juger inferior, inférieur à tous, en dessous de tous. C'est exactement le contraire du superbes, du superbe, de celui qui se croit au-dessus de tous et qui regarde les autres du haut de sa grandeur. C'est le contraire !
Et encore une fois, attention !, ici ce n'est pas de la comédie, ce n'est pas de l'autosuggestion, ce n'est pas de la fausse humilité, c'est un réflexe d'ordre divin. Il se verra vilior, le plus vil de tous.
Donc vraiment, lui, il n'a aucune valeur, aucune en lui-même, aucune. Et il ne se fait pas d'illusion sur le compte des autres. Les autres n'en ont pas plus que lui, mais lui en a encore moins que les autres.
Et quand Saint Benoît dit inferior et vilior, 7,139, ce n'est pas seulement de ses frères, des occupants du monastère, mais c'est de tous les hommes. Donc, quand il se trouve devant un homme du monde, devant lui il se sent en dessous. Il pourrait se trouver devant des gens qui au plan de la moralité, au plan de l'honnêteté ne valent absolument rien du tout, il se verra en dessous d'eux.
Mes frères, je vous dis, voyez, c'est quelque chose là que on ne peut singer, on ne peut pas le jouer ! Il verra que toute sa consistance - voilà sufficientia, elle est de pure grâce, c'est un pur cadeau qu'il reçoit de Dieu dans la mesure où il est devenu un membre du Christ, mais un membre vivant. Toute la vie du Christ l'anime, donc la vie de Dieu, la vie de l'Esprit.
Mes frères, c'est là quelque chose encore une fois qui est difficile d'expliquer : comment en approchant de la sainteté, on se voit plongé dans le péché, tous les autres hommes étant supérieurs en vertu. C'est là quelque chose encore une fois qu'il ne faut pas expliquer. C'est pas possible de l'expliquer. Je pense qu'il faut le vivre ou commencer à le vivre.
Ce qui va se passer alors, c'est que on aura un immense respect pour tous les hommes, une estime pour tous les hommes, pour tout le monde. C'est très étonnant, mais c'est ainsi. Cela ne veut pas dire qu'on ferme les yeux sur les défauts des autres. Non, on les voit avec une lucidité divine encore une fois mais derrière cette façade, on voit autre chose.
On voit l'homme qui est en train de devenir un fils de Dieu, et on voit Dieu, et on voit l'Esprit. Et alors devant cette beauté, mais on s'abîme dans l'adoration.
Alors, mes frères, je pense que nous devons demander à Dieu de nous conduire jusque là, car c'est pour ça que nous sommes venus au monastère. Ce n'est pas pour y faire une brillante carrière dans quelque domaine que ce soit, que ce soit la technique, que ce soit le commerce, que ce soit la gestion, que ce soit la finance, que ce soit la théologie, que ce soit la spiritualité.
Non, on était venu pour permettre au Christ de triompher en nous, que ce ne soit plus nous qui vivions mais que ce soit lui qui vive en nous. Et imaginons un petit peu un monastère où tous les moines seraient comme ça ? Mais ce serait la fin du monde parce que ce serait vraiment, vraiment une cellule de la création nouvelle qui serait présente.
Ceci est un rêve et nous ne devons pas nous attarder dans les rêves, nous devons voir le présent et encore une fois demander à Dieu de tout notre cœur qu'il le réalise pour nous personnellement. Et ainsi par contagion, ça se répandra entre frères. Et alors dans l'invisible, Dieu fera de nous ce qui lui semblera le meilleur.
Mes frères,
C'est une coutume quasi immémoriale qu'au début de l'année notre Père Abbé Général adresse à l'Ordre une lettre collective à l'intérieure de laquelle il partage ses soucis du moment. Nous venons de recevoir celle de 1992. Elle est datée du 26 Janvier en la fête de nos Saints Fondateurs. Et le Père Abbé Général choisit comme point de départ la Nouvelle Evangélisation annoncée d'abord en Amérique Latine par le Pape Jean-Paul II, puis en Europe, et finalement proclamée au monde entier.
Et il se demande comment un moine, une moniale peuvent dans leur solitude participer à cette évangélisation qui est un devoir aujourd'hui ? Alors, il nous dit que si nous voulons être acteurs dans ce dessein évangélisateur, nous devenons devenir chaque jour disciple de la discipline que nous enseigne le Maître, le Christ-Jésus dans son Ecole Cistercienne de la Charité.
Il faut savoir que cette lettre est certainement traduite de l'espagnol. Il aurait fallu dire plutôt : disciple de la doctrine ou du genre de vie que nous enseigne le Maître, le Christ-Jésus dans son Ecole Cistercienne de la Charité.
Il va donc maintenant nous expliquer ce qu'est dans la théorie et la pratique l'Ecole Cistercienne de la Charité. Mais auparavant, comme c'est devenu une habitude pour lui, il fait un acte de foi et il dit :
- Je crois, sans le moindre doute, que la vie cachée avec le Christ en Dieu…..
- Je crois qu’en vivant la dimension de la transcendance et en la semant dans l’ethos culturel…..
- Je crois que notre vie cénobitique…..
- Je crois sans hésitation, que notre conversion et notre adhésion de tout cœur à Dieu…..
Voilà quatre témoignages de Foi ! (page 2)
Maintenant, comment va-t-il présenter l’enseignement de la Schola Caritatis ?
Il dit :
Je pourrais le faire en analysant et en expliquant le Miroir de la Charité, œuvre maîtresse de notre frère Aelred de Rievaulx……..
On pourrait aussi commenter le programme que nous offrent les Nouvelles Constitutions……..
Mais je vais suivre un autre chemin. Je proclamerai sans plus mon propre évangile : celui que j’ai reçu, assimilé et mis en actes, avec plus ou moins de résultats selon la manière dont j’ai correspondu à l’action de l’Esprit du Seigneur. Je serai bref car je veux proclamer en criant……..Il y aura de la passion dans ce que je vais dire, mais la raison sera aussi présente. (page 3)
Il dit qu'il sera bref, mais en fait c'est long ! Mais tout est relatif. Les latino-américains et les espagnols, je pense que quand on les connaît un petit peu, la brièveté pour eux est autre chose que pour nous.
Alors, mes frères, cette lettre se veut donc être un témoignage. Elle est entièrement subjective, donc c'est la façon dont lui vit les choses. Elle est même intimiste, dirait-on.
Si bien que je dois renoncer à ce qui était mon habitude depuis longtemps de présenter, non pas un commentaire, mais de m'appuyer sur cette lettre pour dégager des enseignements spirituels qui pourraient nourrir notre foi et notre manière de vivre notre engagement monastique.
C'est un témoignage, il faut le respecter pour ce qu'il est. Il faut le prendre tel qu'il est et, ma foi, l'accueillir, l'écouter. Mais personne d'autre ne peut inférer dedans, ce serait l'adultérer - voilà le mot et il faut le prendre -.
Si bien que demain matin, chacun trouvera à sa place au réfectoire une copie de la lettre. Et alors, vous pourrez à votre aise la parcourir, la méditer, la revoir. Ne soyez pas effrayés de certaines expressions qui sont parfois un peu osées. Il dit, il prévient qu'il y aura de la passion mais que la raison sera aussi présente.
Vous allez sentir qu'on se trouve en présence d'une autre culture religieuse. Il y a certainement là aussi une inspiration à partir de la théologie de la libération. Voilà, vous verrez. Maintenant, ne voyez pas ça avec curiosité, mais prenez-le comme un message venant de l'Abbé Général. Et puis adaptez-le, adaptons-le à notre condition ici occidentale qui est la façon dont nous sentons, nous, la vie monastique contemplative.
Il n'y a pas d'hérésie, loin de là ! Mais je le répète, c'est un document intimiste que nous devons accueillir ainsi. Ce n'est pas la première fois parce qu'il a déjà envoyé comme ça d'autres documents. Je pense qu'il en envoie ainsi pas seulement à tout l'Ordre, mais à certaines fractions de l'Ordre. Je dois en avoir eu un en main comme ça qui avait été envoyé aux Abbés espagnols et traduit ensuite en français.
Les Abbés Généraux précédents nous avaient habitués à des Lettres, vraiment des Lettres pastorales qui étaient lourdes, pesantes de doctrine et sur lesquelles on pouvait vraiment prendre appui pour soi-même préciser un peu sa propre vision des choses et puis sa propre façon de vivre.
Mais voilà, je pense que ça nous encouragera chacun à nous évangéliser nous-mêmes par un plus grand amour, un plus grand respect les uns des autres. Et puis ainsi, nous aurons davantage réalisé notre vocation.
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Mes frères,
Lorsque Saint Benoît nous a conduit au sommet de la mystérieuse échelle, il nous parle de la delectatio virtutum, de la délectation que produisent les vertus, 7,186.
La vertu n'est donc pas quelque chose de froid, de sec, d'austère, de rigide. Elle ne rend pas l'homme dur. Elle ne dessèche pas son cœur. Les vertus, car Saint Benoît utilise le pluriel, les vertus ne sont pas acquises au terme d'une ascèse effrénée. Elles sont plutôt des fleurs au parfum délicieux qui grandissent toutes seules sur le terreau d'un cœur purifié.
Saint Benoît, et à travers Saint Benoît l'Esprit Saint - comme il est précisé ici - va donc s'attacher à purifier le moine de ses vices et de ses péchés. Cela ne signifie pas que le moine ne commettra plus de péchés. Il lui en échappera encore, c'est inévitable, mais il ne sera plus possédé par des vices, c'est à dire par des inclinations perverses.
Non, il sera devenu un jardin, un jardin clos à l'intérieur duquel toutes sortes de fleurs peuvent pousser librement sans que personne, sans qu'aucun animal impur ne vienne les souiller, les piétiner, les arracher ou les détruire.
Il s'est opéré au-dessus de cette échelle de l'humilité, il s'est opéré dans le moine un transfert, le transfert d'une enstase vers une extase. Les énergies vitales de l'homme ne sont plus dirigées vers la satisfaction des désirs, vers l'assouvissement des passions.
Un cercle a été brisé, une prison a été ouverte. Le moine n'est plus enfermé sur lui-même. Ses yeux regardent ailleurs. Son intérêt n'est plus dans ce qu'il va goûter, mais son intérêt est dans ce qu'il découvre à l'extérieur de lui.
A partir de son environnement le plus proche, à partir de ses frères, à partir des choses qu'il voit, des événements qu'il vit, il y découvre la présence aimante, amoureuse de la Trinité, cette Trinité qui est venue avec lui toute entière dans la personne de cet homme qui est le Christ Jésus.
Voilà maintenant où se trouve son cœur. Il n'est plus un petit bloc hermétique. Non, il s'est dilaté, il a fondu, il est maintenant tout entier à l'extérieur du moine dont toutes les énergies sont maintenant à la poursuite de ce que Dieu lui offre gratuitement, libéralement, généreusement et sans arrêt.
Les forces instinctives qui constituent l'homme sont donc attirées par des réalités qui lui viennent d'ailleurs, d'un autre univers. Et ces réalités constituent le cortège qui escorte l'Esprit Saint et qui en manifeste la présence.
Encore une fois, il ne faut rien imaginer d'extraordinaire. Non, ces réalités divines sont à l'intérieur des choses et surtout à l'intérieur des frères avec lesquels il nous est donné de vivre.
Ces vertus, dont nous parle ici Saint Benoît, ne sont donc pas purement naturelles. Il y a en elles un plus divin. Et à leur sommet, en tête, se trouvent les deux grandes vertus chrétiennes et monastiques qui sont la compassion et la douceur. Mais non pas à la manière des hommes, mais à la manière de Dieu qui pousse ces vertus jusqu'à la folie, jusqu'à poser des actes qui sont contre la raison raisonnante de l'homme.
C'est ce qui a poussé Dieu à se faire homme et, devenu homme, à se laisser faire et à se laisser mettre à mort dans les conditions que nous savons. C'est cela la compassion et la douceur à la manière de Dieu. Et c'est ce qui doit devenir notre bien. La delectatio virtutum, donc cette délectation qui est cachée à l'intérieur des vertus, l'est d'abord et en premier lieu à l'intérieur de ces deux vertus cardinales qui, je le répète, sont la compassion et la douceur.
Et les autres vertus sont là aussi. Elles sont dans le regard, le regard que l'on porte sur les autres, que l'on porte tout autour de soi. Et ce n'est jamais un regard de voyeur, d'épieur, de curieux ! Non, c'est un regard d'admiration et, tout au fond de lui, un regard d'adoration.
Et ces vertus alors brillent dans le regard du moine. Et c'est la bienveillance, c'est l'accueil, c'est la paix, c'est la confiance, c'est l'optimisme, c'est la joie. Et ce sont toutes ces vertus qui créent ce que j'appellerais la bonne foi. Et cette bonne foi permet d'entretenir avec les autres des relations vraies, des relations justes, des relations constructives parce que on se fait une confiance mutuelle.
Et tout cela, mes frères, s'opère au sein d'une délicatesse, je dirais presque d'une tendresse, qui trahit le cœur de Dieu. Vous voyez que ce n'est pas purement naturel. Il faut qu'il y ait là un plus d'origine divine qui est la signature d'une vie monastique réussie.
Tout au cours de l'ascension de notre échelle, l'Esprit Saint s'est employé, comme je vous l'ai expliqué, à créer un vide dans le cœur du moine. Et ce vide a été rempli tout entier par l'Esprit Saint qui est amour. C'est ce que Saint Benoît nous dit encore ici : daignera manifester par le Saint Esprit, 7,188.
Maintenant tout est perçu autrement par le moine et il expérimente un vrai bonheur, non pas dans la recherche de soi, mais dans une mort à tout ce qui n'est pas Dieu et son univers.
Et encore une fois, mes frères, on n'insistera jamais assez : l'univers de Dieu est tout proche de nous, il est parmi nous, il est dans notre cœur, il est dans le cœur de nos frères, il est dans le lieu que nous habitons, il est dans le cœur de chaque homme que nous rencontrons.
Et le moine, qui a maintenant des yeux nouveaux, le contemple chaque fois qu'il se présente à lui, et il se présente à lui toujours. Et c'est cela la source d'un bonheur que personne, absolument personne, ni rien, ne peut atteindre.
Les vertus dont nous parle ici Saint Benoît comblent donc l'âme et même le corps du moine de délices. C'est cela la delectatio virtutum. L'être entier est accordé à l'univers de Dieu si bien que c'est le paradis sur terre.
Nos Pères cisterciens expérimentaient tout cela, pas tous naturellement du moins au début. Mais ils en parlaient avec tellement de conviction, avec tellement d'assurance et tellement de justesse qu'ils prouvent par là que c'était leur vie, l'essence même de leur vie. Etre dans le paradisus qu'est le cloître, dans ce paradis qu'est le cloître. C'est pourquoi, mes frères, nous devons nous attacher à ce qu'il en soit réellement ainsi.
Et il en sera ainsi lorsque nous serons nous-mêmes devenus des paradis pour Dieu. Et nous le sommes alors les uns pour les autres. Tout ce que demande Dieu alors va de soi. Il est exécuté velut naturaliter, dit Saint Benoît, 7,183, tout naturellement. L'accord, l'harmonie de tout notre être avec l'univers de Dieu, avec Dieu, avec sa volonté, avec son amour est devenu notre seconde nature et, j'ose même dire notre première nature. Car à ce moment, l'être est devenu sur terre vraiment ce que Dieu est dans le ciel. Il est devenu pur amour et pure lumière.
Mes frères, notre véritable nature, ne l'oublions pas, c'est Dieu lui-même. Et Saint Benoît nous dit aujourd'hui que le deificum lumen, Pr.25, la lumière déifique, la lumière divinisante peut tout métamorphoser, tout transfigurer dans un homme quel qu'il soit. Au début, il y avait des vices et des péchés.
Le moine sous la conduite de l'Esprit Saint a lentement, patiemment, gravi la fameuse échelle de l'humilité. Et au-dessus, son cœur n'est plus qu'un miroir qui reflète l'amour de Dieu, sa lumière, sa bonté, sa douceur, sa compassion, enfin tout ce que Dieu est. Si bien que la vocation de l'homme s'est réalisée. Et si nous sommes dans le monastère, c'est uniquement pour cela.
C'est pourquoi nous devons nous y aider les uns les autres. Et s'il arrive que nous trébuchions ou que nous fassions trébucher un frère, nous devons lui demander pardon, nous devons nous en excuser. C'est ce que Saint Benoît nous rappelle lorsqu'il demande à l'Abbé de réciter à Laudes et aux Vêpres l'oraison dominicale. Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes nous les avons remises généreusement à ceux qui nous ont fait du tort.
Voilà, mes frères, essayons de retenir ces beautés, de les faire nôtre de manière à ce que, comme le dit Saint Benoît, la delectatio virtutum, la délectation des vertus devienne notre bien.
Mes frères,
Je vous avais promis de parler de la psalmodie quand j'en aurais terminé avec le chapitre de l'humilité. Mais je préfère attendre encore un peu, pas longtemps, une semaine, que nous soyons arrivés à l'endroit où Saint Benoît en parle, de disciplina psallendi, de la façon de psalmodier, au chapitre XV°.
A ce moment-là, nous essayerons à la lumière de la Tradition la plus ancienne de mieux comprendre ce que nous faisons au choeur des heures durant. Car - ne l'oublions pas - si nous nous réunissons chaque soir, ce n'est pas pour spéculer sur la Règle de Saint Benoît ou sur un sujet d'ordre spirituel. C'est beaucoup trop facile car ça ne nous engagerait à rien du tout.
Non, nous nous réunissons pour mieux comprendre les racines de notre vie et pour, en les comprenant mieux ou les dégageant, nous permettre de mieux vivre notre engagement vis-à-vis du Christ et vis-à-vis de Dieu.
N'oublions pas que nous faisons partie d'une grande, d'une immense famille qui comprend le ciel aussi bien que la terre et que les rapports, les relations qui existent entre nous sont l'image des relations idéales qui sont établies dans le monde à venir, dans la création nouvelle.
Et c'est ça que nous essayons jour après jour de mieux comprendre et de mieux vivre...
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Mes frères,
Notre Père Saint Benoît nous parle aujourd'hui de la psalmodie et demain il nous parlera de l'oratio, de la prière. Ce sont deux chapitres qui sont complémentaires. Ils sont insécables. Ils forment un tout que nous ne devons jamais séparer. Il n'y a pas de psalmodie sans prière, et la prière prend toujours naissance à l'intérieur de la psalmodie.
Je vais commencer ce soir à vous parler de cette psalmodie. Je pense qu'ils sont très rares dans notre Ordre et en dehors de l'Ordre à savoir en quoi consiste exactement la psalmodie. Je ne pense pas à l'Opus Dei, à l'Office Divin qui a été mis au point par Saint Benoît. C'est autre chose, c'est le fait tout simple de chanter des psaumes ou de les réciter. C'est cela la psalmodie.
Nous allons remonter à la Tradition la plus ancienne pour essayer de comprendre. Et je vous fais de suite remarquer que pour la rédaction de ce chapitre sur la psalmodie et du suivant sur la prière, Saint Benoît s'est inspiré d'Evagre le Pontique quasi textuellement.
Alors, la psalmodie est donc composée de psaumes. Un psaume, les psaumes sont une partie de l' Ecriture. Nous ne pouvons les en extraire pour en faire une entité distincte qui jouirait d'un régime spécial. Non, ils font partie intégrante de l'Ecriture et comme tout le reste de l'Ecriture, ils sont Parole de Dieu.
Donc, Dieu s'adresse à nous à travers ces psaumes que nous chantons ou récitons. Or une parole, que ce soit une parole d'homme, que ce soit une Parole de Dieu, elle est faite d'abord pour être entendue, puis pour être écoutée.
Nous touchons maintenant le point essentiel de la psalmodie. La psalmodie est donc d'abord et uniquement une écoute. Les psaumes ne doivent pas être priés, ils doivent être écoutés.
Il y a quelques temps, je vous ai déjà dit un petit mot au sujet de l'écoute en général. Nous devons bien savoir que l'homme, surtout le petit d'homme, le petit enfant qui n'est pas encore corrompu par une éducation scolaire, donc le petit de l'homme qui est encore tout vivant tout spontané, tout naturel, qui émerge à peine de l'animalité, il nous dit, il nous montre comment nous devons pratiquer l'art de l'écoute.
Car c'est un art. Il est spontané chez l'homme. L'homme naît avec cet art. Mais voilà, par après que se passe-t-il ? On va à l'école et on commence à apprendre quantité de choses. Si bien que insensiblement le fait d'apprendre passe de l'oreille à l'oeil. On apprend à lire. Le petit enfant, lui, il aime qu'on lui raconte des histoires et il les écoute de tout son être. Il n'est plus dans le monde réel. Il est dans le monde de la légende, de l'histoire qu'il entend. Tout entier il est parti ailleurs. Il est en extase.
Plus tard il ira à l'école, il sera assis devant un pupitre, un banc. Il sera là. On va lui apprendre à lire. C'est tout à la fois un progrès mais c'est aussi l'amorce d'une dégénérescence car l'art de l'écoute n'étant plus cultivé va s'atrophié et on ne pourra plus entendre ni écouter. On ne fera que voir !
Maintenant, comment faire pour écouter ? Eh bien, l'organe premier de l'écoute, c'est l'oreille. Cela va de soi ! Mais attention ! Si nous regardons le petit enfant, ce n'est pas seulement l'oreille, c'est tout le corps qui écoute. On écoute par tout son corps. On pourrait presque à la limite se boucher les oreilles qu'on entendrait encore !
Pourquoi ? Parce que l'environnement, tous les bruits, tous les sons viennent frapper notre ossature, notre squelette, si bien que nous vibrons. Nous enregistrons des vibrations, mais sur tout notre être. Faites-en l'expérience une fois. Voilà, nous allons retourner à l'Office tout à l'heure. Nous allons chanter. Faites un peu, essayez, ce ne sera pas une distraction. Non, nous allons nous initier à l'art de l'écoute.
Et vous remarquerez que pendant que nous chantons - pas pendant que seulement nous écoutons le choeur d'en face, mais quand nous chantons - il y aura des choses qui se passeront presque dans nos jambes. C'est tout notre squelette qui vibre, oui des vibrations. On pourrait les mesurer, elles ne sont pas très larges. La fréquence est très petite et la fréquence varie suivant la' qualité du son, les sons graves, les sons aigus. On sait par exemple que les sont aigus, c'est surtout ici (?) qu'ils sont enregistrés, les sons graves iront ailleurs.
Il faudrait vraiment un spécialiste pour bien expliquer cela. Je me souviens que Monsieur Reznikoff était très fort là-dedans. Et lui, quand il chantait, il vibrait de tout son être et il essayait de faire vibrer ses auditeurs. C'est cela apprendre à écouter et nous ne savons pas écouter.
Voilà, encore quelque chose : on localise un son, on localise donc un objet bruyant, ou une personne qui marche, ou qui parle. On la localise avec l'oreille d'abord. Puis après, en un second temps, on pourra diriger son regard vers l'endroit d'où vient le bruit. Mais on sait de suite si c'est devant ou derrière, à gauche ou à droite, en haut ou en bas. On localise par l'ouïe et, encore une fois, on écoute avec tout son corps.
Voilà donc, mes frères, une première chose à retenir, c'est que les Psaumes sont Parole de Dieu qui nous est adressée. Cette Parole doit être écoutée. Ce n'est pas plus difficile que cela. C'est tout un apprentissage, c'est toute une éducation. On va dire : oui, il y aura pendant l'Eucharistie ce qu'on appelle des lectures. On dira plus justement une proclamation de la Parole. Donc la Parole de Dieu est proclamée et tout le monde l'écoute. Oui.
Eh bien dans une psalmodie, la Parole de Dieu est proclamée d'une manière différente mais aussi réelle. Elle est proclamée par le choeur d'en face. Elle est proclamée par mon propre choeur et par moi personnellement lorsque je la prononce. Donc je dois l'écouter même lorsque c'est moi qui la prononce.
Allons, pour vous dire que c'était bien ainsi chez les anciens moines. Eux, ils étaient des solitaires. Ils vivaient dans de petites maisons, de petites cellules comme ils disaient. Elles devaient être situées à une distance telle les unes des autres qu'on ne pouvait pas s'entendre d'une cellule à l'autre.
Eh bien, chaque moine qui était tout seul chantait, récitait son Office tout haut. Il s'écoutait lui-même. Et il en était ainsi, ils s'écoutaient tous. Ils ne s'écoutaient pas les uns les autres, mais ils disaient l'Office à haute voix et ils l'écoutaient.
De même - ce n'est pas seulement propre au christianisme - mais les juifs, les anciens, encore maintenant probablement, lorsqu'ils lisent l'Ecriture, lorsqu'ils chantent les psaumes, même lorsqu'ils sont tout seuls, ils le font à haute voix en se balançant.
Ils écoutent la Parole de Dieu, ils la laissent pénétrer en eux et ils la laissent vibrer à l'intérieur de leur corps. La Parole est faite pour être écoutée et pour être incarnée dans le corps entier de celui à qui elle est adressée.
Mais voilà, mes frères, nous en resterons là pour ce soir. Nous continuerons demain et après et voilà, nous verrons un peu comment faire pour écouter. Cela ne va pas de soi. Mais déjà peut-être à l'Office de Complies, vous pourrez commencer à mesurer soit la difficulté, soit la facilité suivant les tempéraments.
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Mes frères,
Hier je vous ai dit que la psalmodie, donc le chant ou la récitation des psaumes, était une écoute. Les psaumes étant Parole de Dieu doivent être écoutés, doivent être reçus avec un respect infini pour ce qu'ils sont.
Dieu nous parle à travers les Psaumes comme à travers l'ensemble de l'Ecriture. Il nous parle par la bouche des prophètes, par la bouche des Sages, par la bouche de pécheurs aussi. Et cette Parole est prononcée une seule fois par Dieu. Elle vient de son coeur, elle vient de son éternité. Pour Dieu, il n'y a pas de durée, tout est donné en une fois.
Si bien que nous pouvons à longueur de semaines chanter les 150 psaumes jusqu'à les connaître par coeur et dans le fond, nous ne les entendons, nous ne les écoutons qu'une seule fois car Dieu n'a qu'une seule Parole et il la prononce une fois. Mais, elle retentit à travers notre durée, sans cesse, jusqu'à la fin du monde. Donc, le locuteur, c'est Dieu.
Mais nous pouvons encore aller beaucoup plus loin et beaucoup plus profond. Car cette Parole que Dieu nous adresse, pour qu'elle soit plus proche de nous, que vraiment elle nous devienne comme consubstantielle, qu'elle fasse partie de nous, pour qu'il en soit ainsi, cette Parole de Dieu a voulu devenir homme.
Car il faut savoir que cette Parole de Dieu, elle est elle-même vivante. Ce n'est donc pas un message que Dieu nous adresserait et puis qui en resterait là, que nous recevons, que nous faisons nôtre. Non, cette Parole de Dieu est Dieu elle-même. Et pour qu'elle soit, dirait-on, tellement proche de nous qu'elle devienne notre propre chair, cette Parole de Dieu a voulu devenir chair.
Et il a poussé tellement loin qu'elle a voulu devenir notre nourriture, non seulement par l'écoute, mais aussi par la manducation. Nous mangeons la Parole de Dieu et nous mangeons Dieu au cours de l'Eucharistie.
Voilà donc le Christ-Jésus, Parole de Dieu, qui est à notre disposition. Donc dans les psaumes, c'est lui que nous entendons, c'est lui que nous écoutons. Encore une fois, ce n'est pas une Parole impersonnelle - même si elle vient de Dieu - qui arriverait jusqu'à nous. Non, cette Parole est une Personne qui est devenue homme, et qui a une identité humaine, et qui s'appelle Jésus de Nazareth.
Maintenant, nous pouvons aller encore plus loin. Ce Jésus de Nazareth donc Parole de Dieu entièrement vivante à l'intérieur des Psaumes, elle est devenue la tête d'un corps, d'un corps immense composé d'une infinité de cellules qui partagent toutes la même vie, vie qui découle de cette tête - qui est la Parole de Dieu encore une fois - et puis voilà, qui emplit tout le corps, qui l'anime et qui le fait participer à la vie divine. Et ce corps dont la tête est le Verbe de Dieu, on l'appelle l'Eglise.
Donc, lorsque nous écoutons la Parole de Dieu qui vient à nous dans les psaumes, nous recevons par l'ouïe le Christ-Jésus et avec lui l'Eglise entière. Voyez un peu tout ce que nous sommes appelés à écouter ! Mais nous sommes nous-mêmes chacun pour notre part cellules de ce corps. Cette Parole de Dieu nous constitue. Nous devenons nous-mêmes Parole de Dieu du fait que nous sommes insérés, greffés sur ce corps.
Et que se passe-t-il alors ? Eh bien, nous avons le droit d'énoncer nous-mêmes la Parole de Dieu. Et ce droit est d'autant plus vrai que nous sommes devenus Parole.
Voyez ici l'importance unique, capitale, essentielle de l'obéissance, l'obéissance qui n'est rien d'autre qu'une écoute. Dans l'obéissance j'écoute la Parole de Dieu, cette Parole qui vient à moi par d'autres canaux que l'Ecriture, à laquelle je m'ouvre, à laquelle je me donne, et qui me transforme petit à petit, et qui me fait devenir de plus en plus cellule de ce grand Corps donc vraiment Parole de Dieu incarné.
Vous avez donc l'incarnation de la Parole qui se poursuit et qui s'achève en chacun d'entre nous. Donc, lorsque je chante les psaumes je suis - à ma place naturellement, et à mon niveau, et à ma capacité je suis moi -même locuteur, orateur de la Parole et en même temps je l'écoute.
Maintenant, allons encore un peu plus loin. Cette Parole qui retentit dans les psaumes, elle me vient de Dieu, elle me vient du Christ-Parole de Dieu devenu homme, elle me vient de l'Eglise-Corps du Christ. Elle me vient donc d'ailleurs. Elle me vient d'un univers qui n'est pas le mien. Ce n'est pas l'univers de la chair, ce n'est pas l'univers de la matière. Ce n'est pas l'univers que je peux mesurer, que je peux maîtriser.
Non, ça me vient d'un autre univers qui est l'univers dans lequel Dieu vit, dans lequel le Christ règne et dans lequel une bonne partie, la plus grande partie des cellules du Corps sont déjà véritablement entièrement transfigurées. Il nous vient, disons si j'emploie un langage imagé un peu mystique, ça nous vient du ciel. Donc, ça nous vient de là.
Je suis donc ici à l'Office, au choeur, et j'écoute la Parole de Dieu à travers les psaumes. Et bien cette Parole, elle vient à moi de cet ailleurs. Lors donc que je l'écoute, que je la reçois en moi, c'est cet ailleurs, c'est cet univers qui entre vraiment à l'intérieur de moi. C'est une communion par interpénétration. Tout l'autre univers vient à moi. Donc, je dois être ouvert, je dois être disponible, je dois l'accueillir avec humilité, avec respect, avec confiance. Et voilà toutes les dispositions qui seront les qualités de mon écoute.
Maintenant dans la pratique, comment faire ? Eh bien dans la pratique, il ne faut pas opérer de retour sur soi. Il ne faut pas dire : tiens, ça s'applique bien à ma situation d'aujourd'hui, ce psaume ; et celui-là, mais ma foi ce sera pour demain, il ne me dit rien. Non, il faut faire abstraction de soi. Il faut être un pur appareil récepteur.
Et si vous faites cela, donc si vous êtes à l'écoute de cet autre univers, si vous l'accueillez en vous à travers les paroles, eh bien vous remarquerez que vous n'aurez presque plus de distractions pendant l'Office.
Il faut donc, et il suffit, de faire attention aux mots, à la phrase sans vouloir faire d'exégèse, ni de théologie, ni de spiritualité, rien du tout. Il faut recevoir la Parole. Il ne faut pas vouloir prier, elle n'est pas une prière. L'attitude de prière en moi sera simplement cette ouverture toute naïve, quasi enfantine à ce que j’entends.
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Mes frères,
Nous avons compris que la psalmodie, c'est à dire le chant des psaumes au cours de l'Office divin, était pour chacun d'entre nous l'occasion d'une écoute. Nous écoutons la Parole de Dieu, une Parole qui n'est pas dite mais qui est chantée.
C'est une Parole qui nous vient d'un ailleurs qu'est la création nouvelle, cette création dont le Christ est la lumière et qui regroupe tous les membres du Christ qui ont achevé leur purification, des hommes et des femmes dans lesquels l'Esprit a totalement triomphé et qui sont transfigurés, qui deviennent à part entière participant de la nature divine.
Mais ce Corps regroupe aussi tous les hommes qui sont encore sur cette terre, des hommes que Dieu aime, qu'il façonne avec infiniment d'amour et de patience, à son image et qu'il agrège comme ça à son Corps, à ce grand Corps mystique.
Lorsque nous psalmodions au cours de l'Office, nous entendons un chant qui nous vient de cet ailleurs. C'est un immense concert. Et nous sommes là et nous l'écoutons. Ce concert nous dépasse à l'infini mais, en même temps, nous en sommes partie prenante car nous sommes aussi des hommes en route vers la création nouvelle, des hommes en voie de purification et de transfiguration.
Mais ce que nous entendons, ce que nous écoutons devient nôtre dans la mesure précisément où nous l'écoutons, où nous n'y mettons pas exagérément du nôtre, lorsque nous recevons en nous tout ce qui est chanté. Car si la psalmodie n'est pas une prière, les psaumes qui la composent sont tout de même pour une bonne part des prières.
Parmi les psaumes, nous le savons, il y a des supplications, il y a des implorations, il y a des imprécations; il y a aussi des méditations, il y a des lamentations, il y a l'audition de récits. Mais toujours, toujours, ne l'oublions pas, c'est la Parole de Dieu.
Alors, si nous écoutons, que se passe-t-il ? Eh bien, nous entendons des paroles de sagesse, nous entendons des paroles de contrition, des paroles de confiance ; nous entendons proclamer la vérité, nous entendons le récit des merveilles de Dieu, nous entendons des chants de louanges. Lorsque nous écoutons avec foi, nous recevons tout cela en nous. Cela pénètre en nous, cela nous fait vibrer, non seulement physiquement mais aussi spirituellement. Nous devenons écho de ce que nous écoutons.
Donc, si nous sommes fidèles à cette écoute, si nous recevons, nous accueillons en nous toute cette beauté qui s'offre à nous et qui, je le répète, est Parole de Dieu et donc est Dieu lui-même, à ce moment-là nous devenons un jour louange, nous devenons action de grâce, nous devenons confiance, nous devenons sanctification, nous devenons tout ce que le Christ est en lui-même.
Et à la limite, nous devenons nous-mêmes Parole de Dieu parce que cette Parole que nous entendons, elle nous fait tellement vibrer que nous le restituons. Donc, par tout notre être, nous devenons aussi proclamation de ce qu'est Dieu.
Voilà, mes frères, la réalité la plus belle de notre Office. Et écoutez ce que dit Saint Benoît, et il emprunte cette expression à Evagre le Pontique. Il dit : Conduisons-nous dans la psalmodie de manière que notre esprit concorde avec notre voix, 20,12.
Donc, cela veut dire ceci : Nous chantons et en chantant nous proférons la Parole de Dieu. Nous la rendons présente, nous la rendons agissante. Il nous est possible de l'entendre et de l'écouter. Nous la laissons pénétrer en nous, nous réagissons à elle.
Et à ce moment-là, nous devons nous trouver en état d'accueil, en état d'ouverture, en état d'écoute. Il faut que notre esprit, donc le plus profond de nous, soit en accord avec cette Parole que nous proférons et que nous écoutons. Vous voyez, c'est extrêmement beau ! Si nous voyons notre Office dans ce sens-là, c'est bien autre chose que, qu'un devoir, voilà, auquel nous devons nous soumettre parce que c'est lié à notre état monastique.
Vous allez comprendre aussi pourquoi notre Office doit être chanté. A la rigueur, lorsqu'il n'est pas possible de faire autrement pour des raisons de maladie ou autres - c'est déjà arrivé ici : il y avait tellement de maux de gorge qu'il n'était plus possible de chanter - alors on le récite. Mais alors, il faut le réciter sur le mode du chant, c'est à dire recto tono. Voilà, c'est un chant sur une seule note qui est aussi très beau.
Eh bien, pourquoi notre Office doit-il être chanté ? Parce qu'il nous vient de la création nouvelle, il nous vient du monde nouveau, là où toute parole est chantée. Dans le monde de Dieu, on ne parle pas, on chante, toujours, toujours, toujours. Pourquoi ? Mais parce que Dieu lui-même est musique, Dieu est mélodie, Dieu est harmonie, Dieu est rythme, Dieu est chant. Tout cela parce qu'il est Amour, parce qu'il vit.
Regardez en nous ! Nous avons un rythme cardiaque, nous avons un rythme respiratoire. Eh bien, nous sommes donc prédisposé au chant, le chant qui encore une fois est rythme et harmonie, surtout le chant modal qui est expression et qui crée en nous différents états d'âme, et qui équilibre. Le chant est équilibre. Et puis chez Dieu ce ne peut être que chant, encore une fois, parce que Dieu est amour et il est lumière.
Alors, encore un détail. Lorsqu'on est empêché de venir à l'Office, il faut le dire en privé, surtout quand on est prêtre. Le prêtre, là vraiment, il est tenu, lui, à l'Office tel qu'il est au choeur. Il doit le dire tout seul. Mais attention ! Il doit le dire articulata voce, il doit le dire en prononçant tous les mots. Il ne peut pas le dire mentalement avec la bouche fermée. Non, il doit le proférer de façon articulée, c'est à dire qu'il doit entendre ce qu'il dit. Encore une fois, la Parole est faite pour être écoutée et non pas pour être récitée mentalement.
Voilà, mes frères, je pense que cette fois-ci j'en ai fini avec la psalmodie. Nous verrons demain l'autre volet qui est inséparable du premier et que Saint Benoît et les Anciens appellent l'oratio, donc la prière.
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Mes frères,
Lorsque au cours de l'Office divin nous écoutons la Parole de Dieu qui descend sur nous, qui nous enveloppe, qui nous pénètre, qui nous imbibe, nous sommes malgré nous transportés dans un autre univers. Nous entrons en communion avec le monde des saints, avec le Christ lui-même, avec Dieu dans sa Trinité et aussi, ne l'oublions jamais, avec le monde des pécheurs.
Car le Corps du Christ est UN et nous ne pouvons pas le scinder. Nous sommes tous, comme le disait Saint Paul, nous sommes tous des saints ; soit que nous le soyons déjà pleinement lorsque dans le monde de Dieu nous sommes totalement, transfigurés, soit que nous soyons en train de le devenir quelque soit notre état. Tout homme est appelé à la divinisation et aucun homme ne peut être méprisé. Voilà donc notre situation au cours de la psalmodie.
Mais ce n'est pas tout. Nous écoutons la Parole de Dieu, nous devons aussi lui répondre. Nous ne sommes pas passifs comme des spectateurs au théâtre, ou au cinéma, ou devant la télévision.
Non, nous sommes auditeurs mais nous sommes aussi acteurs. Et notre agir va se manifester surtout par une réponse, une réponse que Dieu attend, une réponse que Dieu éveille en nous. Et cette réponse, les moines, les tout premiers moines savaient déjà que c'est la prière.
Donc, ne l'oublions pas, la psalmodie n'est pas une prière. Même s'il y a des psaumes de prière, elle n'est pas une prière, elle est une écoute. Mais après la psalmodie vient une réponse qui est la prière.
Voyons donc ici, par exemple, ce que Saint Benoît nous en dit. Mais avant Saint Benoît, voyons ce qui se passait chez les tout premiers moines égyptiens. Cassien nous le raconte dans le détail.
Donc il y avait deux Offices, un la nuit et un le soir. Chacun de ces deux Offices était composé de 12 psaumes. Comment cela se passait-il ? Eh bien, tous les moines étaient assis sauf un qui debout chantait un psaume. Et tous les autres écoutaient. Voyez l'écoute, ils écoutaient.
Lorsque le psaume était terminé, au signal du Supérieur, tous se prosternaient pour répondre à ce qu'ils avaient écouté, répondre par leur prière, une prière personnelle alors. Comment réagissaient-ils à ce qu'ils avaient entendu ? C'est leur secret et celui de Dieu, mais ils répondaient à cette Parole de Dieu par leurs paroles à eux. Encore une fois, que disaient-ils ? Nous n'en savons rien.
Et alors, après un certain temps - ça ne durait pas longtemps au signal du Supérieur, tout le monde se levait, reprenait sa place. Le même moine ou un autre frère chantait le second psaume, et ainsi de psaume en psaume jusqu'au bout.
Ecoutez ce que nous dit Saint Benoît lorsqu'il parle de la prière.
Il nous dit ceci : en communauté - donc lorsque le communauté est réunie pour l'Office - la prière sera très courte et sur le signal du Supérieur tous se lèveront en même temps, 20,12. Donc, à l'époque de Saint Benoît, l'Office se célébrait encore sur le modèle des déserts égyptiens.
Les moines, pour Saint Benoît, probablement, quasi certainement chantaient tous ensemble comme nous le faisons maintenant. Mais après le gloria où tous s'étaient levés, pendant un bref instant ils se prosternaient, où ils se couchaient, où ils se mettaient à genoux, ou bien ils se mettaient dans une position qui était celle des orientaux que nous voyons encore chez les musulmans aujourd'hui et parfois aussi chez certains de nos jeunes.
Mais attention, ils le faisaient mieux. Il est probable qu'ils se mettaient le front contre le sol. Et puis alors au signal du Supérieur, tous se lèvent en même temps, omnes pariter surgant, 20,12. Donc, il fallait répondre.
Il Y a des monastères, j'y ai été au cours des Conférences Régionales, j'ai vu ça. Cela ne veut pas dire que maintenant nous devons commencer à l'introduire ici. Lorsque le psaume est terminé, avant le gloria, il Y a mettons une demi minute de silence, puis après c'est le gloria, et on reprend le psaume suivant. C'est en continuité avec ce qui se faisait et de ce qui, voilà, pourrait encore se faire aujourd'hui. Mais enfin, ça, il faut le laisser à la sensibilité de chacune des communautés.
Ecoutez encore ce que dit Saint Benoît ailleurs, au chapitre 52, lorsqu'il parle de l'oratoire du monastère après l'Oeuvre de Dieu : expleto opere Dei, 52,4, l'Oeuvre de Dieu étant terminée, tous les frères sortiront dans un profond silence et ils auront pour Dieu la révérence qui lui est due.
Donc, l'Office terminé tout le monde sort. Mais le profond silence, pourquoi ? Parce que chacun à ce moment-là répond à Dieu. Ils auront à Dieu la révérence qui lui est due. Chacun répond. On a écouté, on répond. Il y en a même, voilà, un frère peut rester à l'oratoire alors pour prier plus profondément. Et bien voilà, qu'il le fasse en paix.
Donc, mes frères, nous autres, comment faisons-nous ? Eh bien, après l'Office des Vigiles, après l'Office des Vêpres, nous avons notre quart d'heure d'oraison. C'est cela la réponse. Donc il n'y a rien de plus aberrant que de prendre la fuite de suite après l'Office, vous voyez !
Non, nous devons répondre à cette Parole que nous avons entendue. Et je vous garantis que lorsque on a vraiment écouté Dieu nous parler à travers les psaumes, on n'a plus du tout envie de partir. On est saisi, on est introduit dans l'univers de Dieu et on doit lui répondre. Cela devient un réflexe.
Mais alors, que lui dire ? Cela, encore une fois, c'est laissé à l'appréciation et à la sensibilité spirituelle de chacun. Mais ce qu'on peut lui dire, même sans relatio verborum, sans paroles, par tout le désir et l'intensité de son élan vers lui, on peu lui dire dans un profond silence qu'on désire être toujours là où lui se trouve, d'où nous vient cette Parole. Et lui dire qu'il nous purifie de tout ce qui nous attache encore à nous-mêmes, qu'il nous débarrasse de notre égoïsme pour que, voilà, nous soyons transportés, enlevés, saisis par lui et établis là où il est.
Donc voilà, mes frères, en quoi consiste dans la plus pure Tradition monastique et la psalmodie et la prière. Maintenant, l'objectif des premiers moines était l'oratio continua, c'était la prière continue. Donc, le moine doit être dans un état habituel de prière.
Cela veut dire qu'il répond sans cesse à Dieu, que tout son être devient réponse à la Parole qu'il entend. Et cette réponse est un appel, c'est l'expression d'un désir, c'est la traduction d'un besoin, d'un manque. On est pécheur et on voudrait être chez Dieu, devenir un seul esprit avec lui.
Et on peut être animé par ce désir à tout moment de la journée, même dans les occupations les plus banales. Alors, on est en état de réponse à la Parole entendue et on est établi dans la prière continuelle.
Voilà, mes frères, ce que je voulais vous dire déjà depuis longtemps. Maintenant, nous n'avons plus qu'une chose à faire, c'est demander à Dieu qu'il nous accorde cette grâce de l'écoute et de la réponse qui est prière.
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Mes frères,
La proximité du carême est une invitation à méditer quelques instants sur un mystère qui constitue ossature de toute vie humaine et qui est, vous le pensez bien, un joyau de notre vie monastique. Saint Benoît et Saint Bernard en parlent abondamment chacun à leur manière. Mais pour comprendre, rappelons-nous que le terme vers lequel nous nous élevons lentement, progressivement, est la transfiguration de notre être entier. Le Cardinal Ratzinger vient encore d'y faire allusion.
Nous devons permettre à Dieu de restaurer en nous son image déformée par le péché. Et vous savez qu'il ne se passe pas un seul jour sans que nous trébuchions dans le péché. Dieu s'est fait homme pour que notre splendeur d'enfant de Dieu apparaisse finalement dans tout son éclat. Et Saint Benoît nous dit que nous devons retourner par le labeur de l'obéissance à Celui dont nous avait détourné la lâcheté de la désobéissance.
Car vraiment, ne pas épouser la volonté de Dieu, choisir la sienne propre à la place est une véritable lâcheté dans le sens que c'est un lâchage. Dieu nous offre le meilleur qu'il puisse nous offrir, c'est à dire sa propre vie, le partage de tout ce qu'il est et nous le refusons. C'est cela la désobéissance, c'est cela le péché.
Nous savons que dans la pratique ce retour à Dieu consiste à gravir une échelle mystérieuse au sommet de laquelle on devient pur amour de Dieu et des hommes. L' Esprit Saint est devenu la respiration du moine. Et voilà que Dieu a poussé la ressemblance si loin que l'homme lui-même est capable de participer à la spiration de l'Esprit.
Saint Bernard de son côté nous enseigne que nous avons à quitter la région de la dissemblance pour revenir, pour retourner à la région de la ressemblance. Car notre véritable nature, c'est de ressembler en tout à Dieu.
Vous voyez, mes frères, que notre Père Saint Benoît et notre Père Saint Bernard sont d'accord. Ils usent d'images différentes mais ils nous disent la même chose. Nous devons opérer une conversion, nous devons opérer une volte-face pour nous retrouver face à Dieu et nous laisser comme aspirer par lui.
Maintenant, à partir de ces évidences, nous ne devons nous étonner de rien. Tout peut survenir à l'intérieur de notre vie car Dieu qui est amour fait tout coopérer à notre véritable bien. Et ce bien, nous ne le connaissons pas. Nous ne le situons pas là où il se trouve. Il faut pour le découvrir et pour le poursuivre être déjà possédé en bonne partie par l'Esprit Saint.
Il faut que l'intelligence, le nus ait été rétabli dans sa vigueur originelle pour que nous puissions comprendre où se trouve notre véritable bien. Mais Dieu, lui, le sait. Et c'est pourquoi tout ce qui peut nous arriver de faste ou de contraire, il le fait converger vers ce qui doit être notre bien véritable et unique. Dieu, ne l'oublions pas, est un artiste sans égal et nous abandonner à ses doigts est le gage de réussite d'une vie.
Or, mes frères, il est une loi que nous devons toujours avoir sous les yeux afin de ne pas être pris au dépourvu. Et cette loi ne souffre absolument aucune exception. Dieu lui-même a voulu s'y soumettre lorsque il a pris une chair d'homme. Et cette loi, la voici :
Toute transfiguration exige au préalable une défiguration. Il n'avait plus aucune apparence humaine, nous dit du Christ le prophète. Je suis un ver, pas un homme, gémit le moine parvenu au quatrième degré de l'humilité.
Voilà, mes frères, la défiguration. Mais attention ! Cette défiguration ne nous est pas infligée par Dieu. Elle est tout simplement l'apparition de ce que nous sommes en vérité, à savoir des êtres défigurés.
Le Christ était défiguré sur la croix parce qu'il avait accepté d'être fait péché. Et nous qui sommes pécheurs, nous découvrons, nous devons découvrir tôt ou tard que nous sommes des êtres tordus, rendus difformes par les passions, réduits à l'état de sauterelles disloquées, aplaties à même le sol. Et je vous assure que ce n'est pas beau à voir.
Et pourtant, cette défiguration recèle une beauté secrète et tragique qui est porteuse d'espérance. Et c'est la raison pour laquelle nous devons absolument passer par cette défiguration, absolument tous les hommes mais surtout ceux que Dieu a choisi pour reproduire en eux tout son mystère.
Cette défiguration recèle une beauté tragique parce que elle est le lieu d'une rencontre sublime, la rencontre de l'incroyable misère humaine et de l'invincible miséricorde de Dieu. Il faut vraiment dans cette défiguration, dans cet aplatissement, il faut toucher le fond du fond pour se laisser alors saisir, restructurer, réformer, guérir, métamorphoser et transfigurer.
Lorsque Saint Benoît nous détaille cette fameuse échelle de l'humilité que nous devons gravir si nous voulons réussir notre vie monastique et notre vie humaine, il ne fait rien d'autre que de détailler le mystère de cette défiguration. Mais au sommet de l'échelle, le moine est transfiguré. Il ne peut plus rien faire d'autre que de contempler la lumière de Dieu car devant lui se déploient les espaces sans limite de l'agapè, de la caritas, de l'amour.
Et Saint Benoît nous dit : on ne sait pas ce qui va arriver de cet homme. Dieu seul est capable de le montrer. Personne ne le saura peut-être ? Mais il y a cet autre univers dont je vous parlais ces trois, quatre derniers jours, cet autre univers dont nous vient la Parole de Dieu et Dieu lui-même. Et alors, les habitants de cet univers, eux, voient et connaissent.
Je viens ces derniers jours de parcourir la vie d'un jeune garçon, tout jeune, qui est mort après cinq années de vie monastique, mais il y a de cela bien longtemps. C'était dans le désert de Gaza. Peut-être que l'un ou l'autre l'a peut-être parcourue aussi ? Moi, je l'ai revue avec beaucoup de plaisir. C'est la vie de Dosithée, le disciple préféré de Dorothée de Gaza.
Et voilà que ce jeune garçon qui était arrivé de rien - il n'avait jamais entendu la Parole de Dieu au moment où il est arrivé dans le monastère - et voilà que après cinq années, il meurt. Et le Grand Vieillard lui dit : Va en paix ! Et puis quand tu seras auprès de la Trinité, prie pour nous, souviens-toi de nous !
Eh bien, mes frères, ce jeune garçon, personne dans le monastère ne le connaissait, c'est à dire ne connaissait la profondeur, et la vérité, et la pureté de son cœur ; personne, sauf l'Abbé, son Père Spirituel Dorothée et le Grand Vieillard. Si bien que en entendant cette parole de celui qui était le prophète par excellence, voilà que tous étaient indignés. Ils avaient pendant des années et des années et des années pratiqué l'ascèse, et tout et tout, et ce gamin - car il était tout jeune - après cinq ans était arrivé là où aucun d'entre eux n'était encore parvenu.
Voilà, mes frères, mais ce garçon avait été totalement défiguré. Et à travers cette défiguration, il avait atteint, Dieu avait dessiné en lui, redessiné en lui la perfection de son image. Et ce garçon était devenu lumière. Mais encore une fois, personne ne le savait.
Mes frères, nous ne savons jamais à côté de qui nous vivons. C'est pourquoi nous devons nous respecter, nous estimer les uns les autres, et nous aimer. Eh bien, voilà ce à quoi nous pourrions réfléchir durant le carême qui est précisément l'élucidation de ce mystère de défiguration qui nous ouvre à la transfiguration de notre personne.
Et pour cela, nous essayerons de nous initier davantage encore à la gratuité. Faire les choses comme ça pour rien, simplement parce que Dieu nous le demande, simplement sous son regard afin qu'il en soit heureux et qu'il nous reconnaisse pour ses fils.
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Mes frères,
Les paroles que nous venons d'entendre de la bouche du Seigneur Jésus sont, vous le savez, fondatrices de la spiritualité du carême. Elles définissent trois grandes observances: l’aumône, la prière et le jeûne. Et nous devons nous y attacher avec plus d'intensité au cours de ce carême.
Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas les pratiquer en d'autres temps. Non, le chrétien est toujours un homme adonné au jeûne, à la prière et généreux dans ses aumônes.
Il pratique le jeûne parce qu'il se nourrit en premier de la volonté de Dieu son Père. Il s'adonne à la prière parce qu'il vit déjà en espérance dans le monde à venir. Et il fait l'aumône parce qu'il se sait solidaire de tous les hommes, surtout des plus malheureux d’entre eux.
Mais il sait qu'il est lui aussi un homme faible, fragile et qu'il lui arrive souvent d'oublier sa noblesse de chrétien et de négliger son devoir. Le carême est ainsi l'occasion de se reprendre, de réparer ses erreurs, de repartir dans une fraîcheur nouvelle. Il doit être, mes frères, comme le raccourci de notre vie entière. Il débouche sur l'allégresse de Pâques.
Il est donc porté, comme nous le dit Saint Benoît, par une profonde et secrète joie spirituelle. Et, il est une prophétie. Il est lui aussi une parole, celle qui trace le mouvement de toute notre vie, notre vie qui monte vers la mort qui, elle, est le porche de la résurrection.
Car, mes frères, nous n’avons pas ici bas de cité permanente. Notre véritable patrie, elle est située au coeur de la Sainte Trinité. Elle est construite jour après jour par notre Dieu qui est amour.
Voilà pourquoi, mes frères, le carême est anticipation, prophétie de notre véritable destinée. Et Saint Benoît, vous le savez, nous dit que la vie du moine doit être carême ainsi tous les jours. C'est dans cette optique, c'est dans cette vision d'un avenir qui nous est déjà donné maintenant, si nous voulons ouvrir les yeux de notre coeur.
Mais pour cela, nous ne devons pas nous attacher à de petites jouissances charnelles terrestres bien humaines certes, et qui en soi ne sont pas mauvaises ni méchantes. Mais nous devons être emportés ailleurs, dans cet ailleurs d’où nous sommes venus et vers lequel nous retournons.
Et dans les propos du Christ-Jésus, nous remarquons une petite note qui caractérise l'agir de tout chrétien. Et c'est l’absence de mercantilisme. Le jeûne, la prière et l'aumône n'ont de valeur que par la gratuité qui les anime : ne pas se faire voir, ne pas se produire, éviter tout étalage en paroles ou en gestes, et puis rester en communion avec Dieu dans le secret.
Telle est, mes frères, la conduite d'un chrétien digne de ce nom et cela en tout temps. Nous allons en reprendre conscience en recevant les cendres. Comme Saint Benoît nous le conseille, nous allons mettre à profit ce temps précieux du carême pour réparer toutes les négligences de notre vie passée.
Nous saurons ainsi que l'amour qu'est Dieu est toujours le plus fort et que ses miséricordes sont inépuisables.
Amen.
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Mes frères,
Il existe une spiritualité monastique du carême. Pour la comprendre et la vivre de notre mieux, nous devons nous rappeler que nous ne sommes pas dans le monastère pour conquérir à la force du poignet un certain niveau de perfection humaine fut-elle "spirituelle", entre guillemets. Non, nous sommes ici chez Dieu, dans sa maison. Nous vivons selon ses lois et nous devons de plus en plus grandir dans notre état d'enfant engendré de Dieu.
La perfection vers laquelle nous aspirons est de nature divine. Nous devons devenir des temples de l'Esprit. Ce n'est plus nous à la limite qui devons vivre, mais le Christ doit vivre en nous. Tel est l'objectif de notre vie. La spiritualité du carême va donc essayer de nous resituer sur le droit fil de notre vocation qui, je le répète, n'est pas surhumaine mais qui est divine.
Or, que se passe-t- il ? C'est que au gré des jours, et des nuits, et des semaines, et des mois, insensiblement et fatalement nous glissons dans un certain relâchement. Appelons cela ainsi. Notre attention s'émousse. Il y a une certaine accoutumance qui s'introduit jusqu'à l'intérieur du sacré et on en vient à faire les choses machinalement. On est bien présent de corps, mais le nus, le mens, l'esprit vogue ailleurs. C'est une fatalité, nous ne devons pas nous en étonner.
Saint Benoît l'a bien prévu et c'est la raison pour laquelle il entend que au cours du carême on se secoue, on se réveille et on se redresse. L'idéal naturellement serait de conserver toute sa vie la fraîcheur des débuts. La vie d'un moine devrait être en tout temps aussi observante que durant le carême, 49,2.
Et ce n'est pas impossible, mais c'est très difficile. Il en est peu, dit Saint Benoît, qui possède cette perfection, 49,4. Eh bien, si cette fraîcheur des débuts s'est estompée, s'est assoupie, eh bien nous devons nous efforcer de la recouvrer au cours du carême.
Mes frères, il n'y a rien à mon sens de plus horrible qu'un moine voltairien. Il a fait le tour des choses. Il n'a plus rien à apprendre. Il sait tout. Il est blasé. Il est devenu ironique, cynique. Il ne croit plus en la vie qu'il mène. Mes frères, ça existe, ça existe ! Eh bien le carême, c'est un coup de fouet qui nous replace dans la vérité et qui nous empêche de glisser dans un tel gouffre.
Le vrai moine par contre, c'est un être qui vit en état continuel d'émerveillement, je vous l'ai déjà dit. Il est avec Dieu, il est chez Dieu, il converse avec Dieu toute la journée. Au cours de l'Office, il écoute Dieu qui lui parle et qui parle à l'univers entier. Tout lui est révélation de la beauté et de l'amour de Dieu.
Si bien que en tout ce qu'il touche, en tout ce qu'il entend, en tout ce qu'il voit, il perçoit toujours la saveur délicate, délicieuse de la toute première fois comme s'il était venu au monde à l'instant même. C'est exactement le contraire de l'homme blasé. Eh bien, un tel moine est un petit, il est un enfant, un de ceux auxquels le Royaume des cieux est promis.
Il est comme Dieu lui-même. Il est pur, il est naïf, il est innocent, il est souverainement heureux. Car au fond le Royaume de Dieu est à de tels hommes, mais aussi la possession de la terre, ne l'oublions pas. Un tel homme n'est pas dominé par le monde, ni par les passions, même si il peut parfois être quelque peu ébranlé superficiellement. Mais c'est Dieu qui vit en lui.
Le carême, mes frères, va donc nous replacer dans la vérité de notre état. Saint Benoît parle ici de la puritas vitae, 49,6, la pureté de la vie. Il faut vivre en toute pureté. Or le carême dans cette perspective est synonyme de lumière et d'espérance.
Si nous nous donnons un peu de mal, eh bien, nous récolterons de beaux fruits. Qu'est-ce que ça représente de sentir un petit désagrément - il n'est tout de même pas mortel - soit au plan de la nourriture, au plan de la loquacitas, comme dit Saint Benoît, 49,18, toutes sortes de choses comme ça qui peuvent arriver pendant le carême et aussi pendant toute l'année.
Qu'est-ce que ça représente à côté de la merveille qu'est ce conviviurn avec Dieu, cette vie avec Dieu ? Mais voilà, mes frères, je pense qu'il faut le savoir et surtout le croire. Alors, pour arriver à des choses bien concrètes, il y a au plan du carême des pratiques qui sont soit privées, soit communautaires.
Au plan des pratiques privées ? Eh bien, comme Saint Benoît le dit, il ne faut rien faire par soi-même. Dans ce chapitre-ci, c'est le seul endroit où il est question dans un sens positif de la propria voluntas, de la volonté propre. Mais attention !
Saint Benoît corrige immédiatement en disant : Oui, voilà, de par ma propre volonté je veux offrir quelque chose à Dieu. Mais je la fais contrôler par quelqu'un qui est placé par Dieu au-dessus de moi et qui va me dire si c'est valable ou non.
C'est donc l'Abbé, ou le confesseur, ou un conseiller spirituel. Mais il faut soumettre ce qu'on a envie de faire pour savoir si ça vient de l'Esprit de Dieu, ou bien si ça vient d'une illusion. Au plan communautaire, suivent quelques pratiques concrètes pour ce carême 1992.
Voilà, nous allons bien prier les uns pour les autres afin d'être fidèles et d'attendre pâques, et au-delà de Pâques notre mort et notre résurrection dans l'allégresse du désir spirituel.
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Mes frères,
Le soir de la récollection, j'ai fait une allusion discrète à un certain Dosithée, ce jeune garçon qui s'était présenté au monastère de l'Abbé Séridos dans le désert de Gaza. Il avait été confié à celui qui allait devenir le Bienheureux Dorothée de Gaza.
Ce Dosithée était le page d'un général de l'armée impériale. Il menait une vie très large, luxueuse à la table du général. Et voilà qu'il entend des soldats parler de la Ville Sainte et de ce qu'on pouvait y voir. Il demande alors au général la permission de s'y rendre et celui ci la lui accorde.
Le général le confie à un ami qui devait se rendre là-bas. Ayant reçu le garçon des mains du général, cet homme le traite avec beaucoup d'égards et de ménagements, le faisant manger avec lui et sa femme.
Dosithée était chrétien, mais on ne lui avait jamais parlé de Dieu. Vous voyez que ça ne date pas d\aujourd'hui cette ignorance crasse chez beaucoup de jeunes. Parvenu à la Ville Sainte et vénérant les Lieux Saints, ils se rendirent à Gethsémani.
Or, il y avait là une représentation de l'enfer. Tandis que le jeune homme regardait attentif et surpris, il voit une femme majestueuse vêtue de pourpre qui se tenait près de lui et lui donnait des explications sur chacun des damnés. Donc cette femme portait le vêtement impérial pourpre. Et, comme d'elle-même, elle l'instruisait encore sur différents autres points. Le garçon l'écoutait dans l'admiration et l'étonnement. Comme je l'ai dit, jamais il n'avait entendu dire un mot de Dieu, ni qu'il y eut un jugement.
Il lui demanda donc : Madame, que faut-il faire pour échapper à ces châtiments ? Elle lui répondit - et voilà où je veux en venir - elle lui répondit : jeûne, ne mange pas de viande, prie continuellement; et tu échapperas aux châtiments. Après qu'elle lui eut donné ces trois commandements, il ne la vit plus, mais elle devint invisible.
Et puis alors, naturellement, Dosithée resta pénétré de componction et il gardait les trois commandements qu'elle lui avait donné. L'ami du général le voyant jeûner et s'abstenir de viande s'inquiétait à cause du général car il savait en quelle estime celui-ci le tenait. Et puis voilà, ça continue....
Cf. Dorothée de Gaza * Oeuvres Spirituelles pg.25 * Sources Chrétiennes.
Il y a donc ici une consigne qui est donnée par cette Dame à ce jeune garçon qui est très ouvert, qui est très bien disposé et qui veut échapper aux châtiments qu'il voit représentés sur cette fresque. Nous trouvons déjà ici une des motivations de la vie monastique. Saint Benoît la reprend : échapper aux peines de l'enfer, Pr.100.
Vous allez dire : Mais aujourd'hui, à quoi est-ce que ça ressemble ? Est-ce qu'on entre dans un monastère aujourd'hui pour échapper aux peines de l'enfer ? Il n'y a pas tellement longtemps, on entrait au monastère pour sauver son âme, ce qui revenait au même. Mais c'est une autre façon de l'exprimer.
Saint Benoît dit : Il faut entrer au monastère pour y chercher Dieu, 58,15. C'est vrai ! Voyez, tout ça, ça se rejoint, même ça se recoupe. Mais échapper aux châtiments de l'enfer ?
Quand on avance dans la vie monastique, au fur et à mesure qu'on s'approche de Dieu, je me demande si cette préoccupation d'échapper aux châtiments de l'enfer ne s'impose pas de plus en plus à la conscience ? Peut-être pas de façon simpliste, brutale, mais d'une façon très fine et très délicate ?
Car on s'aperçoit que la chair, la vie facile, la vie délectable même à l'intérieur du monastère, toutes les satisfactions qu'on peut recueillir du monde et qu'il ne faut pas négliger car - disons - en soi elles sont belles, elles sont bonnes, mais on finit par s'apercevoir que dans le fond tout cela c'est de l'illusion. Pourquoi ? Mais parce que ça n'a qu'un temps. Un jour, ça s'évanouit de soi-même. Et de toute façon, il faut tout laisser là au moment de la mort.
Par contre, si on s'attache à Dieu, si on communie à ses volontés, si on devient de plus en plus un seul esprit avec lui, on s'aperçoit qu'on se trouve vraiment plongé dans une paix, dans un bonheur qui est inaltérable, qui s'impose à la conscience comme étant éternel, comme ne devant jamais cesser, comme étant - disons - le sommet de tout ce qu'un homme peut espérer recevoir non seulement dès cette vie, mais pour jamais.
Voici le raisonnement instinctif qui se passe alors et qui est purement spirituel : se laisser aller aux satisfactions de la chair, aux plaisirs mondains, mais dans le fond c'est déjà maintenant se ligoter, s'entraver et même s'enchaîner à un état qui prive de l'immense bonheur, de l'immense paix de l'union à Dieu et qui dans le fond est un analogue des peines de l'enfer où il y a la privation totale de Dieu et la conscience permanente d'avoir perdu l'essentiel, d'être passé à côté.
Donc, il y a ça ! Mais laissons tomber ici l'imagerie que Dosithée ici voyait représentée en cette fresque et pensons à la réalité qui est bien là : c'est que notre véritable bonheur, c'est d'être uni à Dieu. Et sacrifier cette union à Dieu pour les satisfactions purement charnelles et mondaines, c'est voilà déjà s'enfoncer, c'est déjà expérimenter tout de suite un analogue du châtiment qui est l'enfer parce que c'est la séparation absolue de Dieu.
Donc, cette Dame veut répondre à la préoccupation de Dosithée d'échapper à ce tourment. Je n'ai pas le temps maintenant de présenter la petite consigne qu'elle lui donne, mais je vais tout de même présenter comment les choses se sont passées par après.
Les soldats qui l'accompagnaient le voyant vivre ainsi - donc jeûnant et ne prenant plus de viande - lui dirent : Petit, ce que tu fais ne convient pas à qui veut rester dans le monde. Si tu y tiens, va dans un monastère et tu sauveras ton âme. Mais lui n'avait pas la moindre idée de Dieu, ni de ce qu'était un monastère. Il observait seulement les commandements de la Dame, les trois commandements. Et pour le reste, il n'avait pas la moindre idée de Dieu et encore beaucoup moins d'un monastère.
Il leur dit donc : Menez-moi au lieu que vous connaissez car moi, je ne sais pas du tout où aller. Or, quelques uns d'entre eux étaient amis de l'Abbé Séridos et ils vinrent au monastère amenant le garçon avec eux. Envoyé par l'Abbé pour parler avec lui, le Bienheureux Dorothée l'examina avec grand soin. L'enfant ne savait dire que ces seuls mots : je veux être sauvé.
Dorothée revint donc dire à l'Abbé - c'est tout de même un dilemme - si tu es vraiment d'avis de le recevoir, n'aie aucune crainte, il n'y a rien de mauvais en lui. Eh bien, dit alors l'Abbé, fais-moi la charité de le prendre avec toi pour son salut car je ne veux pas qu'il soit mêlé aux frères. Donc, c'est un enfant, pas question de le mettre comme ça avec les frères en communauté. Mais voilà, c'est Dorothée qui va le prendre en charge.
Rappelez-vous que Saint Benoît dit qu'il faut confier celui qui se présente à un Ancien apte ad lucrandas animas, 58,14, à faire prospérer, à faire grandir, à faire s'épanouir les âmes.
Bon, ça c'est institutionnalisé, c'est devenu le Magister noviciorum, mais au début ce n'était pas comme ça. L'Abbé confiait celui-là à un tel qui était le meilleur pour s'occuper de lui.
Mais voilà, mes frères, nous verrons un peu demain, nous réfléchirons un peu à cette consigne de la Dame car elle est vraiment, vraiment ce qui nous convient en cette période du carême. C'est pour ça que je m'y suis arrêté.
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Mes frères,
Je dois préciser que Dorothée de Gaza et Saint Benoît sont contemporains. Ils ne se sont pas connus, mais ils s'abreuvent tous deux à une source commune qui est l'expérience des grands Maîtres des déserts Egyptiens. Leur doctrine parvient à travers des canaux que nous connaissons. Pour Saint Benoît, c'est surtout Cassien et les apophtegmes ; pour Dorothée, ce sera les apophtegmes et Evagre.
Et nous voyons que leurs doctrines sont très proches l'une de l'autre. Nous n'avons pas entendu Saint Benoît s'adresser à ses moines. Nous possédons sa Règle, mais que devait-il leur dire ? Eh bien, je pense que si nous voulons l'apprendre, nous pouvons nous référer par exemple aux instructions que Dorothée donnait à ses frères et qu'il a certainement, et en privé alors avant d'être lui-même Abbé, donné à son disciple Dosithée.
Nous avons donc ce garçon qui écoute la Dame majestueuse vêtue de pourpre. Il l'écoute dans l'admiration et l'étonnement et finalement il lui demande : « Madame, que faut-il faire pour échapper à ces châtiments ? » Elle lui répondit : « Jeûne, ne mange pas de viande, prie continuellement, et tu échapperas aux châtiments. » Mais alors la garçon était pénétré de componction et il gardait les trois commandements qu'elle lui avait donnés.
Si je regarde le texte grec, je m'aperçois que le français ne le rend pas parfaitement, pour des raisons de correction littéraire certainement. Les trois commandements sont : Jeûne, ne mange pas de viande, prie continuellement. Le grec dit : Jeûne, et ne mange pas de viande, et prie continuellement. Ils sont donc cumulatifs. Ils s'ajoutent. Tu ne jeûneras pas, de plus tu ne mangeras pas de viande, et de plus tu prieras continuellement. Mais en français naturellement ce n'est pas possible de le traduire ainsi.
Il y a une chose, mes frères, qui est remarquable chez ce garçon. Cette Dame inconnue qui disparaît comme ça - elle n'est plus visible - cette Dame inconnue lui donne ce conseil. Mais qui était cette Dame ? On ne nous le dit pas, nous n'avons pas à le chercher. Laissons ça de côté. C'est l'affaire de Dorothée, de Dosithée et de la Dame, ce n'est pas la nôtre.
Mais nous voyons que Dosithée ne demande pas d'explication, il ne pose pas de question. Il reçoit le conseil et il le garde. Pour lui, ça ne fait pas de problème. Si vous voulez lire sa vie, vous verrez que par la suite il agit toujours de la même manière. Dorothée lui dira : fais ceci ou ne fais pas ça, et il ne demande pas pourquoi. Donc il ne discute pas, il ne remet pas en question, cela ne le travaille pas. Non, il le met a exécution tout de suite sans problème.
Eh bien, nous voyons ici dans ce jeune une disposition qui est essentielle, capitale dans une vie spirituelle : c'est de faire confiance. Et à mon avis, s'il y a tellement peu de saints, c'est parce que il y a tellement peu d'hommes ou de femmes qui savent faire confiance.
Pourquoi ne peut-on pas faire confiance ? Ce doit être une des séquelles du péché. On a confiance en soi parce qu'on est dans sa peau. On connaît ses limites, on a son expérience, on se fie à soi. Mais comment peut-on donner sa confiance à un étranger ?
On peut dire : Oui, mais il tient la place du Christ, il tient la place de Dieu. Et c'est vrai, c'est vraiment ainsi. Donner sa confiance à un Supérieur, c'est la donner à Dieu lui-même. Mais c'est là, je pense, une disposition extrêmement précieuse, mais extrêmement rare. Cette disposition relève de la vertu de Foi.
Je pense que celui qui peut ainsi donner sa confiance est déjà un contemplatif en ce sens que l'oeil de son coeur, sans qu'il le sache, sans qu'il en ait conscience, l'oeil de son coeur voit déjà quelque chose que l'oeil de sa chair ne perçoit pas.
Il y a déjà une communion qui s'est établie entre lui et l'autre univers, l'univers dans lequel il espère entrer, qui est l'univers de Dieu, qui est Dieu lui -même. Il y a donc là une communion qui s'est établie et un courant qui passe dans les deux sens ; mais qui vient d'abord de Dieu, et puis la réponse est donnée dans la confiance.
Voilà, mes frères, je pense, ce que nous devons d'abord retenir. Voyez, il gardait les trois commandement que la Dame lui avait donné et dans des circonstances difficiles car il était l'hôte de l'ami de son général.
Et alors cet ami, comme il est dit ici, il le traitait avec beaucoup d'égards et de ménagements. Il le faisait manger avec lui et sa femme. Donc il mangeait à la même table et on lui préparait sans doute des petits plats. C'était un jeune, donc il avait bien de l'appétit ce Dosithée, surtout du milieu où il venait où il vivait dans le luxe et la mollesse.
Et voilà que sans aucun scrupule et sans aucune peur, il commence à jeûner à la table de cet ami. Et puis voilà, il ne mange plus de viande. On lui en sert, et il dit : non merci, je n'en prends plus. Alors, l'ami du général, il s'inquiète à cause du général.
C'est un peu le même phénomène que l'intendant de Nabuchodonosor auquel on avait confié ces trois jeunes juifs. Mais si jamais vous ne mangez pas de viande comme les autres, vous allez maigrir, vous allez tourner à rien. Et moi, voilà, je risque ma place et même plus. C'est la même chose ici pour notre général, mais Dosithée ne bronche pas.
Retenons ceci, mes frères, et nous en resterons là pour ce soir : c'est que la disposition capitale, première à mon avis pour une vie monastique qui est appelée à aller jusqu'au bout de sa perfection, c'est la confiance. Voilà, confiance à un homme, pas confiance en soi ; pas une confiance qui est en l'air comme ça, mais une confiance bien incarnée à un homme qui tient au regard de la foi la place de Dieu. Et avec Dieu on ne discute pas.
Voilà, par exemple ceci encore, ça me passe à l'esprit tout de suite. Dosithée ne demande pas d'explication, il ne demande pas pourquoi. Et la raison pour laquelle il ne demande rien, nous ne devons nous non plus demander.
Je ne vois pas bien pourquoi je dois faire ça plutôt qu'autre chose ; mais celui qui me le propose, il le sait et il n'est pas requis qu'il me le dise. Il le sait et ça suffit. Voyez jusqu'où doit aller la confiance ! Eh bien, restons-en là pour ce soir, mes frères, et demandons au Seigneur de nous donner cette vertu qui est, je pense et j'en suis certain, fondamentale dans notre vie.
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La charge de cellérier est vraiment redoutable. Quel est le moine qui peut réunir toutes les qualités que Saint Benoît attend d’un homme fragile, vulnérable, soumis aux passions, aux humeurs comme chacun d’entre nous ?
Et pourtant, la grâce de Dieu peut opérer un tel prodige. Il suffit, comme je le rappelais hier, de recevoir l’obédience en toute confiance, tel qu’on est, sachant que lorsque Dieu confie une mission, il donne toujours en surabondance la grâce pour pouvoir l’accomplir.
Il y aura toujours des failles, il y aura toujours des faiblesses, mais c’est uniquement pour nous rappeler et pour rappeler au cellérier en premier lieu qu’il est un homme et que connaissant sa propre fragilité, il comprendra celle des frères.
Et la comprenant, il compatira à leur demande qui tombe parfois mal à propos et, il trouvera dans son cœur et dans son humilité la parole de réconfort, la bonne parole, la parole de vie qui dépasse les dons les meilleurs.
Mes frères,
Hier soir, je voulais vous dire une chose et, voilà, elle m'a échappé. Je m'en suis souvenu par après. Et si vous le permettez, je vais vous l'exposer ce matin. Notre Père Saint Benoît et Dorothée de Gaza ont puisé leur doctrine spirituelle dans la vie et la parole des Fondateurs de la vie monastique. Ils ont donc été des relais dans une transmission.
Ils se sont ouverts à un trésor qu'ils découvraient et dans lequel ils sont entrés avec un respect infini. Ils ont alors produits des oeuvres qui sont des Instructions, des Catéchèses, une Règle. Ils ont remis à leurs successeurs ce qu'ils avaient reçu.
Tout enseignement donc, mes frères, est une paradosis, une tradition, une transmission. Ce n'est pas la répétition mot à mot d'une leçon qui serait apprise par coeur, mais c'est plutôt une élucidation et une adaptation à la Culture du moment, aux hommes bien concrets qui sont là. Mais c'est toujours la même veine, c'est toujours la même inspiration.
Et aujourd'hui encore, il doit en aller de même. Un Abbé, un Enseignant ne peut pas aller chercher son inspiration en-dehors de cette source. Et c'est là qu'on reconnaîtra la vérité d'une parole et sa qualité lorsqu'elle est un chaînon qui la relie à cette origine première.
Et au-delà même de ce que nos Pères de la vie monastique ont reçu de Dieu, il y a le fait fondateur unique, irremplaçable, la Personne du Christ-Jésus, donc de Dieu fait homme, et de son Evangile.
Il n'y a donc rien de plus étrange et de plus aberrant, et de plus dangereux, que d'aller chercher son inspiration au-dehors de la Tradition chrétienne, ce qui aujourd'hui est une tentation à laquelle on pourrait facilement succomber. A ce moment-là, on n'est plus porteur de Vie et on n'est plus soi-même porté par la Vie, mais on tire cela de son propre fond.
Or le fond de l'homme, nous le savons, est extrêmement petit, extrêmement - osons le dire - mesquin parce que l'homme est chair, l'homme est viande et il est condamné à retourner à la poussière dont il est sorti.
Donc, un enseignement qui n'est pas une Tradition et qui n'est pas existentiellement, et par la vie de l'Enseignant et par sa parole, relié à la source, un tel enseignement est pure illusion. Je pense que nous devons le savoir.
Et nous-mêmes alors, chacun pour notre part, en-dehors de tout enseignement maintenant mais pour notre nourriture personnelle, nous devons toujours aller chercher cette nourriture là où elle est vraiment saine, là où elle est vraie, là où elle est porteuse de santé, c'est à dire dans les oeuvres de nos pères.
Et puis aussi attention ! Nous ne devons pas être étroitement centrés sur notre Tradition monastique tout à fait pure. Il y a aussi comme Saint Benoît nous le recommande dans le dernier chapitre de la Règle, il y a la parole des Pères de l'Eglise. Or, les Pères de l'Eglise, ce ne sont pas seulement ceux qui sont répertoriés à l'époque de Saint Benoît. Il en est encore aujourd'hui : tous les théologiens, tous les spirituels, les saints et même ceux qui ne le sont pas mais dont la doctrine est approuvée par l'Eglise et qui est vraiment alors quelque chose de solide. Mais nous pouvons aller y puiser.
Un moine doit faire sa nourriture de tout ce que l'Evangile, de tout ce que la Personne du Christ diffuse dans le monde, dans le monde de notre Eglise à longueur de jours et à longueur de siècles. Mais surtout, surtout toujours malgré tout, nous devons être en tout premier lieu reliés à nos premiers Fondateurs.
Et alors, lorsque nous sommes bien nourris par eux, bien fortifiés par eux, que nous comprenons vraiment la spécificité de notre vocation, de notre mission, alors nous pouvons nous enrichir des Traditions chrétiennes parallèles mais qui malgré tout viennent toutes de la Parole du Seigneur Jésus.
Voilà, mes frères, ce que je voulais vous dire. Eh bien, nous allons vraiment maintenant entrer dans la période de carême puisque aujourd'hui c'est notre premier dimanche. Nous allons suivre toute cette montée qui va nous révéler de mieux en mieux qui est le Seigneur Jésus jusqu’à l'apothéose de Pâques.
Et ce sera comme le raccourci de notre propre vie, car nous devons laisser ce Christ, ce Dieu fait homme prendre possession de tout notre être pour le conduire à la transfiguration et à la petite résurrection le plus vite possible. Ce qui ne veut pas dire que nous devons hâter l'heure de notre mort.
Mais la petite résurrection - vous le savez - c'est le sommet de toute vie chrétienne et surtout de toute vie monastique, parfois même bien longtemps avant que ne tombe sur nous la nuit, le sommeil de la mort biologique.
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Mes frères,
La dame qui avait un comportement majestueux, qui était vêtue comme une impératrice, elle a donc donné à Dosithée un conseil : « Jeûne, et ne mange pas de viande, et prie continuellement. »
Je pense que le et qui se trouve dans le grec et qui n'est pas rendu en français, est extrêmement important car il marque que ces trois observances sont indissociables et qu'elles ne font qu'un. La Dame lui donne un seul conseil et à l'intérieur de ce conseil, il y a trois choses qu'il doit observer.
Et il en est bien ainsi. Il ne peut donc pas choisir une des trois. Il n'est pas possible de prier continuellement si on ne jeûne pas et si on ne s'abstient pas de viande. Il n'est pas possible de jeûner si on ne prie pas continuellement.
Pourquoi ? Parce que le jeûne qui est recommandé ici, c'est le jeûne dont parle Saint Benoît et qui, comme il le dit, doit s'étendre sur toute l’année et non pas pendant les quarante jours du carême. 49,2.Et si on se nourrit de viande, mais on ne jeûne pas.
Naturellement il faut laisser de côté ici le cas de malades tout à fait affaiblis, d’infirmes ou de vieillards. Enfin vous voyez, il faut voir avec les nuances qui s'imposent.
Mais notre Dosithée ici, c'était un enfant, c’est un jeune homme quoi, ce n'était pas un adulte encore. Mais cinq ans après, il était mort. On peut dire que ça va de soi, il a jeûné, etc. Non, il n'est pas mort de ça, Dosithée a dû mourir de phtisie. Donc il est mort de tuberculose.
Jadis, c'était courant. Je me souviens quand j'étais gamin, les tuberculeux étaient fréquents. J'en ai connu, même des tout jeunes qui mourraient de tuberculose. C'était quelque chose difficile à extirper. Maintenant on n'en parle pratiquement plus, mais il y a quelques temps je vous assure que c’était une véritable plaie.
Voilà donc notre Dosithée qui se lance dans le jeûne, l'abstinence de viande et la prière continuelle. Mais d'abord, que faut-il entendre par jeûne ? Et pourquoi la Dame donne-t-elle ce conseil ? Pourquoi jeûner ?
Il faut d'abord remarquer ici que le jeûne est différent de l'abstinence de viande puisque la Dame recommande les deux. Nous autres, dans notre mentalité un peu laxiste - disons-le ainsi, c'est général, je me place dans la mentalité du bon chrétien - jeûner, c’est ne pas manger de viande. Pendant le carême on va se priver de viande. Auparavant, on ne prenait pas de viande pendant le carême, donc on jeûnait !
Mais non! On peut très bien se priver de viande et ne pas jeûner. On peut très bien prendre de la viande et jeûner. Donc, c'est différent de l'abstinence de viande. Ce n'est pas non plus manger peu ! Voilà, pour vous donner un exemple toujours pris ici chez notre ami Dosithée : eh bien, Dosithée jeûnait avant d'arriver au monastère puisque son hôte commençait vraiment à avoir des scrupules et voyant que, voilà, Dosithée ne mangeait pas comme tout le monde. Il jeûnait. N'oublions pas qu'il était toujours assez jeune lui-même.
Eh bien Dosithée, lui, il mangeait, entré au monastère, tous les jours deux kilos de pain. Et il jeûnait avec ça ! Donc jeûner n'est pas manger peu. Il en avait besoin, il était jeune, il mangeait. Mais encore avec ça, il jeûnait. Mais dans le même monastère, il y avait des ascètes chevronnés qui mangeaient une fois tous les deux jours. Voyez un peu ! Et il fallait trouver un jeûne à la mesure de notre Dosithée.
Et son Père Spirituel - car vraiment Dorothée était son Père Spirituel qui l'a engendré spirituellement - donc Dorothée avec beaucoup, avec une immense bonté et une discrétion vraiment extraordinaire, et une méthode vraiment éprouvée, après un certain temps il a ramené la ration de Dosithée à 300 gr. par jour. Donc, c'est un peu ce que nous mangeons ici, 300 gr. par jour.
Je ne vais pas vous expliquer comment il s'y est pris. Mais en tout cas c'était très astucieux et mon Dosithée est arrivé à 300 gr. sans s'en rendre compte et sans en être incommodé. Et puis voilà, il mangeait à son appétit. Donc jeûner, cela signifie dans la pratique, rester un peu en dessous de son appétit.
C'est ce qu'a fait Dorothée avec Dosithée. Rester un peu en dessous de son appétit, c'est une règle élémentaire de diététique : il faut quitter la table avec un reste d'appétit. Donc, il ne faut pas se gaver. On mangerait bien encore un petit peu, mais on ne mange pas, on en reste là. On digère beaucoup mieux d'ailleurs.
Et puis jeûner, aussi, ce n'est pas rechercher les plaisirs de la table. Cela ne veut pas dire que nous devons maintenant mettre du vinaigre ou je ne sais pas tout quoi dans du sucre. Nous ne devons pas rendre les aliments ou la nourriture vraiment à ne pas manger pour ne pas avoir le plaisir de manger.
Non, notre organisme, notre corps doit sentir une satisfaction au goût à la nourriture. C'est une condition essentielle pour que nous puissions assimiler cette nourriture. Mais attention, on ne doit pas manger pour le plaisir. Parce que c'est bon, on a une bonne prière pour le cuisinier qui fait les choses toujours bien. Tout le monde y gagne, et au physique, et au spirituel.
Mais on ne va pas à table dans un monastère pour faire un bon dîner. C'est peut-être bien dans le monde, ça, entre gens d'affaires, représentants, etc. Il faut payer un bon dîner pour enlever l'affaire. C'est une ruse de guerre habituelle. Mais dans le monastère, non, ce n'est pas comme ça !
Mais alors le jeûne n'est pas tellement facile parce qu'il exige dans le chef du moine un bon équilibre psychique, du discernement, de la prudence et aussi de la charité. On doit s'aimer soi-même ; on doit aimer les autres. Donc, la charité dans ce sens-ci, qu'on ne doit pas comme faisaient certains pharisiens jeûner pour que les autres disent : Tout de même, c'est un gaillard, il jeûne !
Et quand je dis charité, cela veut dire que nous devons nous aimer nous-mêmes dans la lumière de Dieu et non pas sous le regard des hommes. Donc, cela exige beaucoup de qualités spirituelles.
Et voilà, il faut donc trouver une mesure adaptée à la capacité et à la réalité de chacun. Le jeûne, c'est une question de vérité. Nous ne devons pas regarder ce que fait le voisin. Non, c'est ce qui nous convient à nous. Et c'est pourquoi Saint Benoît dit qu'il faut prendre l'avis soit de l'Abbé, soit du conseiller spirituel pour ne pas qu'on se trompe.
II peut même arriver que, voilà, en guise de jeûne on demande à quelqu'un de manger plus, ou de manger mieux, de mieux équilibrer son alimentation. Tout ça, c'est une question de bon jugement.
Nous allons en rester là pour ce soir et nous nous rendrons à l'Office de Complies en ayant au coeur une bonne pensée pour ceux qui nous soignent : les cuisiniers, les infirmiers, le cellérier, etc.
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Mes frères,
On vient de nous parler non seulement des malades et des infirmes, mais aussi de l'infirmier. Or notre ami Dosithée était dans son monastère au service des malades car il était le disciple de Dorothée qui cumulait les emplois de portier, d'hôtelier et d'infirmier.
Et nous avons vu que Dosithée, tout jeune encore et possédé par une belle naïveté qui venait dans son coeur directement du coeur de Dieu, n'avait présenté aucune objection lorsque la Dame aux vêtements de pourpre lui avait conseillé de jeûner. Mais nous savons que ce jeûne de Dosithée était relatif puisqu'il se nourrissait de deux kilos de pain par jour. Mais grâce au savoir-faire de son Père Dorothée, il avait ramené cette ration à trois cent grammes.
Le jeûne est donc une observance relative aux capacités de chacun. D'ailleurs, il n'est pas une fin en soi. Il doit acheminer l'homme, le moine, il doit le disposer à recevoir la grâce ultime de la transfiguration du coeur.
Aujourd'hui, nous entendrons proclamer l'Evangile de la Transfiguration. Pensons bien à cela : que le moine parvenu au sommet de sa perfection est un être transfiguré. Cela n'apparaît peut-être pas au-dehors comme ça n'apparaissait au-dehors pour le Christ. Mais il l'était. Donc, c'est l'Esprit Saint qui l'habite, qui le meut et qui à l'intérieur le rend déjà parfaitement lumière.
Maintenant Dosithée est mort très jeune et dans des circonstances assez spéciales. C'était un garçon très obéissant. Il avait entièrement fondu sa volonté dans celle de Dieu. Et cette volonté de Dieu s'exprimait par la bouche de Dorothée, ou de l'Abbé, ou de celui qu'on appelait le Grand Vieillard, c'est à dire Barsanuphe qui est très connu dans la littérature monastique.
Nous sommes dans la région de Gaza et nous voyons que Barsanuphe devait être de l'endroit parce qu'il portait un nom arabe: le fils du couronné.
Et Dosithée ne pouvait pas mourir comme n'importe qui. Il a demandé au Vieillard : Maître, je suis à bout de forces ! Cette fois-ci, c'était l'extrémité. Car il lui avait déjà posé la question auparavant. Il lui avait dit : Laisse-moi partir, je n'en peux plus ! Et le Vieillard lui avait répondu : Patience mon enfant car la miséricorde de Dieu est proche ! C'est à dire que bientôt tu seras accueilli chez Dieu.
Mais voici que le moment était venu et le Grand Vieillard répond : Va en paix, prends place auprès de la Sainte Trinité, et intercède pour nous. Mais alors, en entendant la réponse du Vieillard, les frères se mirent à s'indigner et à dire : Franchement qu'a-t-il fait ? ou quelle était sa pratique particulière pour qu'il se soit entendu dire cela ?
Donc, vous voyez que les monastères sont peuplés d'hommes aux visions limitées. Et tels nous sommes aujourd'hui, tels ils étaient à cette époque. En vérité, les frères ne le voyaient ni jeûner un jour sur deux comme certains le faisaient dans ce monastère. Donc ils mangeaient un jour sur deux. Ils ne le voyaient pas veiller avant la Vigile nocturne. Il ne se levait donc pas avant l'heure pour veiller ou, même, il ne passait pas toute sa nuit entière à prier. Il ne faisait pas tout ça !
Au contraire - tenez-vous bien ! - il ne se levait pour ses Vigiles qu'après le deuxième Nocturne. Donc, il arrivait pour le troisième Nocturne. Voyez un peu, ce n'était pas un garçon très édifiant ! Jamais ils ne le voyaient accomplir une seule mortification. Donc il était épié. Vous voyez, les Anciens dans les monastères, ils n'ont pas changé. Quand il y a là un jeune, on le regarde pour voir comment il se comporte. C'était déjà alors !
Donc, jamais ils ne le voyaient accomplir une seule mortification, pas une. Ils l'apercevaient plutôt mangeant à l'occasion un peu de bouillon des malades, une petite tête de poisson qui était de reste ou quelque chose d'analogue. Or il y en avait là, comme je l'ai dit, qui depuis longtemps jeûnaient un jour sur deux, doublaient leurs veilles et se mortifiaient.
Eh bien, vous voyez que Dosithée jeûnait vraiment ; il n'est pas resté un seul jour sans jeûner. Ce que la Dame lui avait dit, il l'accomplissait. Mais vous voyez que son jeûne à côté de ces ascètes extraordinaires n'était absolument rien du tout.
Il servait les malades. Et à cette époque-là comme à l'époque héroïque de la Trappe, époque que j'ai connue ici, quand on était malade, on recevait du bouillon. C'était comme ça. Il y en avait un qui préparait du très bon bouillon. II est encore ici parmi nous.
Eh bien Dosithée, s'il en restait, plutôt que de le jeter, il le buvait. C'était normal. Et puis s'il restait une petite tête de poisson, il la mangeait. Car on servait du poisson, on ne servait pas de viande. C'est à l'époque de Saint Benoît qu'on a commencé à servir de la viande.
Mais dans ce désert de Gaza, ils étaient en bordure de la mer et ils mangeaient du poisson lorsqu'ils en avaient. Alors quand il reste un peu de poisson, mais il le mange.
Vous voyez un peu, mes frères, que le jeûne, ce n'est pas exactement ce que nous pensons. Ce n'est pas faire des prouesses, ce n'est pas disons se mortifier, c'est à dire se conduire à la mort. Non, le jeûne, c'est autre chose et je pense que nous devons bien y réfléchir.
Et nous nous demanderons le pourquoi pour mieux comprendre la raison du jeûne. Je rappelle ce que j'ai dit la dernière fois : jeûner consiste essentiellement à manger selon ses besoins, sans les dépasser et sans chercher dans le fait de manger un plaisir sensuel déplacé.
Notre énergie - Saint Jean de la Croix l'a très bien dit en se servant d'un verset de psaume - notre énergie, nous devons la réserver toute entière pour Dieu et non pas la laisser se perdre dans de petites choses, dans de petits plaisirs qui n'aboutissent à rien du tout. Notre énergie ne nous appartient pas. Nous devons la centré vers un seul objectif : rencontrer Dieu, nous ouvrir à lui, lui permettre de nous transformer, de nous métamorphoser à son image.
Eh bien, mes frères, la prochaine fois nous verrons un peu, si vous le voulez bien, pourquoi nous devons pratiquer le jeûne et pourquoi cette Dame avait donné ce conseil le tout premier à notre ami Dosithée.
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Mes frères,
En cette période de carême, nous réfléchissons sur la nature du jeûne à partir de l'expérience de notre ami Dosithée. Nous avons compris que jeûner consiste essentiellement à ne pas manger, à s'abstenir de nourriture en tout ou en partie.
Les Anciens savent ici que auparavant on ne pouvait pas communier, on ne pouvait pas célébrer l'Eucharistie si on n'était pas à jeun depuis minuit. On ne pouvait rien manger, on ne pouvait rien boire, pas même une goutte d'eau, par respect pour le Corps et le Sang du Christ. C'était peut-être exagéré ? Mais enfin, ça nous permet de comprendre en quoi consiste le jeûne Eucharistique.
On peut jeûner donc totalement ou bien en partie, ce que nous faisons, ce que le moine doit faire, comme Saint Benoît le lui recommande, à longueur d'année. Donc, ne pas aller jusqu'au bout de son appétit, ne pas assouvir son appétit, se modérer dans la nourriture. Ne rien prendre entre les repas par exemple, manger aux heures canoniques.
Si on est un jeune tout jeune, si on est un vieillard très vieux, on peut pour Saint Benoît prévenir les heures des repas parce que ça pourrait être dur pour ces personnes très méritantes par ailleurs, les jeunes aussi méritants que les Anciens.
Mais voilà, pour nous, nous nous efforçons de pratiquer le jeûne dans les limites qui sont les nôtres. Mais alors pourquoi, pourquoi ce jeûne qui est traditionnel dans toute l'Eglise mais surtout chez la race des moines ?
Eh bien pour les Anciens, pour nos Pères de la vie monastique, le fait de beaucoup manger épaissit le coeur, il engraisse le coeur. Il le recouvre d'une carapace de graisse. Si bien que ce coeur devient insensible, insensible à Dieu, insensible aux autres. Il devient dur pour finir.
Nous avons à la chapelle un gong que le frère Bonaventure manoeuvre avec une dextérité sans pareille. Ce gong rend un son très clair et puis une vibration très longue avec des harmoniques qu'on pourrait analyser. C'est très beau. Mais plaçons sur ce gong une très grosse couverture de laine. Et puis voilà, on pourra frapper tant qu'on veut, on n'entendra plus rien ou un son très sourd. Mais la beauté du gong se sera évanouie.
Eh bien, c'est l'effet de l'abondance de nourriture, de l'excès de nourriture sur le coeur. Il ne sait plus réagir, il ne sait plus rendre un son clair, pur, celui que Dieu attend. La sensibilité du cœur ? Il s'agit naturellement non pas du coeur de chair mais du coeur qui est le centre de la personnalité, le centre de l'affectivité et le centre de la réflexion aussi.
Si la sensibilité du coeur s'émousse, le coeur finit par perdre le sens de l'autre, le sens du prochain. Il ne peut plus aimer. Il est entouré d'une protection qui est cette graisse et, voilà, il vit sur lui-même. il devient de plus en plus égoïste.
L'abondance, l'excès de nourriture entretien aussi la peur du renoncement. Si j'ai peur de me priver d'un peu de nourriture, je ne saurais pas me priver du reste. Et la passion de la gourmandise fait monter au niveau de la réflexion une foule de raisons pour manger encore, pour aller jusqu'au bout et même un peu au-delà de son appétit.
Ce n'est pas sans raison que les Anciens depuis l'origine placent la gourmandise, donc cette passion qui nous fait manger beaucoup au-delà de nos véritables besoins, qu'ils la placent en tête de toutes les passions parce que si on y est asservi, on l'est aussi à toutes les autres.
Par contre si on y résiste et si on parvient à pratiquer un jeûne normal, raisonnable, dans la mesure d'une saine prudence, à ce moment-là on maîtrise tout ce qui peut arriver à partir des autres passions.
Nous pouvons maintenant vite voir quelques effets positifs du jeûne. Si le fait de trop manger épaissit le coeur, le fait de jeûner affine l'esprit et le coeur. Les Anciens avaient une expression latine extrêmement belle, mais qu'il est pratiquement impossible de traduire en français. Ils parlaient de l'extenuata mens.
Ce n'est pas un esprit exténué dans le sens qu'il serait épuisé, mais qui est devenu tellement fin, tellement délicat, tellement transparent, tellement limpide que Dieu peut s'y refléter. La lumière peut le pénétrer, elle peut se réfracter. Il devient vraiment un vase, une sorte de Val Saint-Lambert parfait dans lequel la lumière peut jouer. Et puis un tel coeur rend toujours un son pur comme notre gong ici.
Et Dieu aime jouer sur le coeur d'un saint. Car le coeur du moine qui est totalement purifié entre autre par le jeûne, un tel coeur ne rend pas seulement un seul son comme notre gong, mais une multitude de son. Il est un peu comme la manne que Dieu donnait comme cadeau aux Israélites dans le désert, ce fameux pain dont se nourrissaient les anges et qui s'ouvrait à tous les goûts.
Eh bien, le coeur qui est devenu extenuatum, il est ouvert à tout ce que Dieu peut lui demander. Et alors c'est un instrument avec lequel Dieu joue et qui enchante le coeur de Dieu, mais aussi qui enchante les anges et les autres saints.
Et vous le savez, nous sommes déjà - et nous devons le devenir de plus en plus - des temples de l'Esprit Saint. Eh bien, le coeur affiné par le jeûne est un lieu de prédilection dans lequel l'Esprit Saint peut vraiment fixer sa demeure et ne jamais la quitter.
Or l'Esprit Saint, il possède toutes les qualités de Dieu ; l'Esprit Saint, c'est Dieu avec nous. Vous savez que le Christ est parti, qu'il est retourné auprès de son Père. Mais il a dit : Je ne vous laisse pas seul, je vous envoie l' Esprit Saint. Donc, l' Esprit Saint, c'est Dieu avec nous, mais toujours.
Alors voyez un peu, lorsqu'un coeur est devenu parfaitement pur au départ du jeûne toujours, à ce moment il commence à remarquer, et à savoir, et à sentir de façon spirituelle que l'Esprit l'habite. Alors on entre dans la vie contemplative juste qui est d'expérimenter la présence de l'Esprit dans une vie et son habitation dans le coeur. Le coeur va donc devenir le lieu de la prière continuelle, celle qui avait été recommandée à Dosithée par la Dame.
Mais voilà, mes frères, tout cela, il faut bien le savoir, c'est au départ du jeûne. Maintenant n'allons pas dire: c'est très bien, à partir de demain je m'en vais jeûner, c'est à dire me lancer dans toutes sortes d'expériences.
Non, ce n'est pas ça. Le jeûne lui-même est subordonné - il ne faut pas l’oublier - il est subordonné à l'accord, à l'aval de l'Abbé ou bien du Conseiller Spirituel, toujours ! Ce jeûne doit être béni par Dieu, inspiré par lui et béni par lui.
Mais si dans notre monastère nous pratiquons le jeûne sans nous faire remarquer, sans nous distinguer des autres, à la mesure de nos capacités, jour par jour ainsi à longueur d'années, à longueur de vie, eh bien cela suffit, nous deviendrons maîtres de nos passions, nous serons maîtres chez nous. Et notre coeur va devenir ce cristal parfaitement pur à partir duquel Dieu va pouvoir lancer dans le cosmos des mélodies les plus belles.
Donc, ne l'oublions pas : tout dans la vie monastique - et c'est bien ainsi - tout dans la vie monastique part d'un seul point qui est la maîtrise de la bouche. Donc, ça, ne l'oublions pas !
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Mes frères,
Revenons à notre ami Dosithée. Je voulais vous dire quelque chose d'intéressant aujourd'hui. Je ne sais pas si j'aurais le temps de tout dire, mais je m'accroche à ce que Saint Benoît dit ici :
Prenez garde, dit-il, que vos coeurs ne s'appesantissent par une grossière intempérance ! C'est le Christ qui nous dit ça et c'est beaucoup plus expressif en latin : ne graventur corda vestra crapula, 39,20. Ce n'est pas à traduire littéralement en français. C'est une grossière intempérance, donc trop manger.
Qu'arrive-t-il alors ? Eh bien le coeur s'appesantit, le cœur devient lourd. C'est certain, le coeur est bardé de graisse. Alors, comme je l'ai expliqué, vraiment il s'alourdit et on ne peut p]us rien en faire. C'est fini !
Alors le jeûne, lui, va créer l'effet contraire. Le jeûne, lui, va rendre le coeur de plus en plus léger. On aura un extenuata mens, donc un coeur, un esprit qui devient de plus en plus ténu. Il se vide, il est de plus en plus léger. Il devient transparent, il devient comme un ballon, un petit ballon et il peut s'envoler, il peut partir vers le haut. C'est cela que le jeûne produit.
Et - voici où je veux en venir - c'est que grâce au jeûne, et je vous assure que c'est une expérience vraie ceci, je peux me baser sur ma propre expérience et elle rencontre celle d'autres. On y a fait une allusion au cours de la célébration Talmudique.
Cela m'a frappé et je me suis dit : Tiens, c’était déjà comme ça ; pour ces vieux Maîtres Juifs, c'était déjà ainsi. Eh bien, grâce au jeûne, l'esprit se vide et il devient tellement léger, tellement vide de tout souvenir inutile.
Vous aurez le cas de Dosithée encore. Voilà un garçon qui était le page d'un général de Byzance. Il a mené une vie fastueuse et il s'est appliqué au jeûne comme la Dame le lui a recommandé. Eh bien, mais jamais au grand jamais il n'est revenu sur sa vie antérieure. Pour lui, elle était oubliée.
Il n'a conservé aucun souvenir de sa vie passée : je faisais ceci, je faisais ça et maintenant je pourrais encore faire ceci, et ça, et ça. Vous voyez un petit peu ! Vivre dans un monde fantasmagorique de souvenirs qui sont embellis, qui sont enjolivés et qui, voilà, empêchent le moine d'être à son travail, à son Opus, à son devoir.
Eh bien, le jeûne vide le coeur de tout souvenir inutile. Il y a des choses qu'il faut retenir. Il faut retenir la Table de Multiplication quand on travaille dans les comptes, mais pour le reste, c'est oublié. Et alors, oubliant ainsi tout ce qui est en arrière, il est libre pour être tendu vers l'avant, comme dit l'Apôtre Paul. Il est donc devenu léger. Il peut courir, il peut s'envoler. Il n'est pas alourdi, il est libéré de tout.
Et alors, le jeûne créant dans le coeur l’oubli de tout l'inutile, il y introduit l'espérance. Donc les trois sont liés existentiellement : jeûne oubli de l'inutile espérance. Car l'espérance, c'est la possession déjà bien réelle mais sur un mode divin de ce que nous appelons l'avenir.
Donc, notre destinée finale, notre résurrection, notre transfiguration est déjà possédée bien réellement en espérance lorsque le coeur est vide de tout souvenir inutile, de toute graisse, de toute attache à la chair. A ce moment-là, il est libre de recevoir en lui la plénitude de Dieu, et de son mystère, et de son univers.
Voilà ce qu'opère le jeûne et on comprend pourquoi Saint Benoît demande que le jeûne ne soit pas seulement pendant le carême mais tout le temps à l'intérieur de la vie du moine. Mais attention ! II s'agit du véritable jeûne. Je ne vais pas revenir sur ce que c'est. Ce ne sont pas des performances ascétiques car ça, ce n'est rien du tout et il peut y avoir là-dedans une extraordinaire recherche de soi. Non, non, non, le jeûne est toujours lié à l'oubli.
Donc voilà, mes frères, vous voyez, c'était bien tombé ce que le Christ nous a dit aujourd'hui : Prenez garde, que vos coeurs ne s'appesantissent pas par une grossière intempérance. Pourquoi ? Parce que alors, vous n'êtes plus bon à rien. On risquerait de devenir inutilis, inutile. On ne peut plus rien faire d'un coeur bardé de graisse.
Mais voilà, maintenant nous irons à l'église demander au Seigneur de nous accorder cette grâce du jeûne, de la tempérance, de l'oubli, de l'espérance et, de nous pardonner tous nos écarts car nous sommes des êtres faibles. Et lorsque nous reconnaissons notre erreur, Dieu l'oublie tout de suite...
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Mes frères,
Si nous portons sur Saint Joseph un regard superficiel, un regard de malveillance, nous découvrons en lui un homme sans relief, un être falot, sans parole. Il n'a pas de consistance propre. Il est uniquement bon à être une sorte de paravent derrière lequel pouvaient s'abriter Marie et son enfant. Et puis, lorsqu'on n'a plus besoin de lui, on le retire de la scène.
Voilà, mes frères, une vision qui n'est pas rare dans le monde des libertins. Et je vous assure que ces hommes ont beau jeu de tourner en dérision Joseph. Quand j'étais aux études et encore après, je l'ai entendu. Vous aussi peut-être ?
Mais voilà, en fait, si nous nous plaçons maintenant du côté de Dieu, nous devons savoir que Joseph est - après Marie - le plus grand saint que l'humanité ait jamais donné à l'Eglise. Et jamais aucun saint ne pourra parvenir à la taille de Joseph.
Et à ce titre, il nous livre un enseignement très beau qui est valable pour toutes les générations, donc pour la nôtre aussi. Et Joseph nous dit par sa conduite, par tout son comportement, par son être, il nous dit où se situe la vraie sainteté et où nous devons nous-mêmes la chercher. Je vais essayer de vous l'expliquer.
Eh bien, Joseph a été et restera pour jamais le plus grand de tous les sains - après Marie son épouse naturellement - parce qu'il a laissé Dieu libre d'être lui-même. Et je vous assure qu'il n'y a pas de chose plus belle, de plus extraordinaire.
Laisser Dieu libre d'être lui-même ? Ne pas interférer dans les affaires de Dieu ; lui permettre d'être Dieu, et ça dans notre vie. Avec une confiance absolue, avec une simplicité désarmante et dans une naïveté d'enfant, Joseph a épousé corps et âme le projet de Dieu.
Pourtant il faut bien savoir qui était Joseph. Joseph n'était pas un chrétien. Le christianisme n'existait pas à ce moment-là. Joseph était un juste, c'est à dire un juif irréprochable au regard de la loi. Nous entendons parler de ces Maîtres, de ces Rabbins qui étaient des saints à leur manière, et puis qui avaient des défauts. Et bien, c'était cela l'univers de Joseph. Nous ne devons pas l'oublier.
Alors, voyez un peu quelle révolution en lui et aussi quelle foi et quelle naïveté lorsqu'il accepte sans se poser de questions, sans discuter que l'enfant de Marie son épouse est aussi l'enfant de Dieu. C'est tout à fait inimaginable pour un juif juste. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Dieu, Jésus lui-même, sera violemment attaqué et que finalement il devra en mourir. C'était inadmissible, ce n'était pas possible.
Et Joseph, lui, entre dans ce projet de Dieu. Que Dieu puisse devenir un homme, que cet enfant qui était là, qu'il a vu naître, qu'il a vu grandir, c'est un homme qui est de la race des hommes mais aussi de la race de Dieu. Et lui, il entre là-dedans et il permet à Dieu d'aller jusqu'au bout de son projet.
Il est entré dans les moindres détails de la volonté de Dieu. Dieu lui parle, Dieu lui demande une chose, il l'exécute. Mais il ne faut pas penser que cela allait de soi, Joseph était un homme comme nous. Mais voilà, il était - et je pense qu'on n'insistera jamais assez - Joseph étai t un naïf mais dans le sens où Dieu est naïf. Il ne se posait pas de question.
Notre Dosithée était de la même race. Lorsque la Dame lui propose un programme, lorsque Dorothée lui proposait aussi un petit programme, mais il le faisait tout de suite. Sans demander pourquoi, ni rien, il ouvrait son coeur.
Tel était Joseph le premier et le plus grand de tous les saints à cause de cela justement. Il n'interférait pas dans le plan de Dieu mais il collaborait de toute son âme. Il permettait à Dieu d'être lui-même sans opposer d'obstacles. Mais encore mieux : Joseph a laissé Marie libre d'être elle-même. C'était peut-être encore plus difficile parce que Marie était là et qu'ils vivaient ensemble.
Eh bien, avec Joseph, à l'intérieur de leurs relations sponsales, nous sommes vraiment sur un sommet inégalé d'amour humain. Et c'est parce qu'il aimait Marie qu'il la laissait libre d'être elle à l'intérieur de celle mission unique que lui acceptait, dans laquelle il entrait et à laquelle il coopérait.
Il aimait Marie de son coeur d'homme comme un époux aime son épouse, mais cet amour était fait d'admiration, de respect, de pudeur, de chasteté, de passion aussi, de tendresse, d'humble service.
On peut dire - et je suis certain de ne pas me tromper - que cet amour de Joseph pour Marie était sur notre terre l'amour parfait tel que nous le connaîtrons à l' intérieur de la création nouvelle. C'est ainsi que nous devons aimer, c’est ainsi que nous devons nous aimer. L'amour comporte toujours de l'admiration et du respect, les deux premières qualités. Quand il n'y a pas d'admiration ni de respect, on n’aime pas entre nous. Je parle ici dans nos relations fraternelles.
Et grâce à cet amour, Joseph donnait à Marie la sécurité parfaite dont elle avait besoin pour être elle dans sa vocation de Mère de Dieu, dans sa vocation de femme et dans sa vocation de vierge. Car ça ne devait pas être facile tous les jours pour elle. Marie vivait dans un petit village rempli de commères. Alors, qu'est-ce qu'elle ne devait pas entendre ? Qu'est-ce qu'elle ne devait pas voir ?
Eh bien, son coeur demeurait pur. Elle avait besoin de sentir reposer sur elle le regard de Joseph et cet amour pour pouvoir alors accepter toutes ses voisines et au-delà telles qu'elles étaient.
Et bien, je pense que nous avons là vraiment dans Joseph un homme qui a permis à Dieu d'être Dieu et qui a permis à Marie d'être Marie. Il n'est pas un paravent derrière lequel s'est dissimulé l'honneur de Marie et la qualité de l'enfant. Non, Joseph a été vraiment celui dont Dieu lui-même ne pouvait se passer pour réaliser son projet.
Maintenant, mes frères, notre sainteté à nous, celle vers laquelle nous devons nous élever, elle n'a pas d'autres normes que celles-là. Nous devons dans notre vie laisser Dieu libre d'être Dieu, ne pas vouloir prendre sa place. Et puis, je vais aller plus loin, nous devons laisser les autres libres d'être eux. Et nous devons les laisser par notre conduite mais aussi dans notre coeur. Cela va très loin, savez-vous !
Donc, ne pas porter de jugement sur les autres. Oui, juger un acte peccamineux, bon, juger l'acte mais ne pas porter de jugement sur la personne. On voit quelqu'un qui parle quand il ne devrait pas. On peut dire : il parle, c'est pas bien ! Mais si je vais dire : celui-là, c'est un bavard ! Vous voyez la différence.
Je porte un jugement sur la personne. Je ne lui permets pas d'être tel qu'il est. Je ne pose pas sur lui un regard d'amour. Je le condamne. Je m'assieds à la place de Dieu, je prends sa place. Je ne permets pas à Dieu d'être lui-même et je ne permets pas au frère d'être lui-même.
Eh bien voilà jusqu’où nous devons monter tout doucement avec la grâce de Dieu naturellement parce que nous sommes pécheurs et nous avons besoin de cette grâce pour que notre coeur devienne comme celui de Joseph, un coeur d'enfant qui permet à Dieu d'être Dieu, qui permet à Marie d'être Marie, qui permet au frère d'être tel qu'il est.
Cela a été ainsi pour le Christ. Cela a été très loin pour le Christ ! On peut dire que le Christ, non pas pour ce qui regarde maintenant disons le lieu dans lequel il vivait, mais lui personnellement, c'est de ça qu'il est mort. Il a permis à Judas d'être Judas. Il aurait très bien pu l'empêcher. Il savait, il l'avait vu dans son regard, dans son attitude en tout. Et voilà, il lui a permis d'être le traître.
Et c'est cet amour, je dirait, de fou que le Christ a déposé sur cet homme, Je pense, qui a sauvé aussi Judas. Mais alors nous sommes dans le mystère, nous sommes dans le mystère.
Eh bien voilà, mes frères, je pense que ce que je vous ai dit pourrait nous être utile. Vous comprenez que notre obéissance ce n'est rien d'autre que cela, c'est de permettre à Dieu d'être Dieu. Ce n'est rien d'autre que cela.
Mais maintenant que nous le savons, je pense que nous comprendrons mieux la valeur de notre vie, sa beauté, et surtout je dirais son caractère irremplaçable au sein de l'Eglise et au sein de l'humanité.
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Mes frères,
Hier et avant-hier, nous avons entendu parler le Père Herr s.j. qui est spécialiste dans les questions économico sociales, qui est professeur d'université d'ailleurs dans ce domaine. Nous avons pu mieux saisir la gravité et la complexité des problèmes qui se posent aujourd'hui aux dirigeants, aux responsables des nations dans les domaines de l'économie, du social et de la politique.
Ces problèmes se complexifient sans cesse et nous devons, nous, apporter notre petite contribution à la place où nous sommes. Car il ne nous est pas possible, même pas permis, d'établir un limes, donc une frontière autour de notre monastère.
Nous ne pouvons pas nous garantir de ce qui se passe à l'extérieur car nous sommes poreux à tous ces événements qui, pour l'instant, bouleversent et restructurent le monde des hommes. Nous sommes en effet et des producteurs et des consommateurs.
Je me permets de rappeler que cette année-ci 1992 est le quarantième anniversaire, c'est la quadragesimus annus du jour où notre communauté a décidé de reprendre en main notre brasserie et de lui fixer un programme, à savoir de fixer un plafond de production qui à aucun prix ne devrait être dépassé.
Ce plafond est atteint depuis très longtemps. Et je pense que nous pouvons rendre grâce à Dieu d'être restés fidèles à ce programme. Jamais nous ne l'avons enfreint et pourtant les tentations ont été énormes, les pressions sur nous aussi. Mais voilà, nous sommes restés inflexibles.
Le but que nous avions à ce moment-là poursuivi - regardez, c'est en 1952 – était d'assurer à notre communauté ce qui lui fallait pour vivre de façon décente et en même temps pour entretenir les bâtiments, l'environnement, pour les embellir et en même temps pour nous protéger contre l'envahissement du monde. Et nous ne voulions pas entrer à l'intérieur d'un processus qui aurait pu à la limite devenir oppresseur.
Nous savions que nous devions aussi partager avec les moins nantis le surplus de notre avoir. Et c'est ce que nous faisons encore très fort quoique depuis un an ou deux, nous avons été obligés de freiner. Car cela dépassait nos possibilités physiques, matérielles et ça atteignait les limites de nos possibilités financières.
Mais nous sommes tout de même restés fidèles à ce programme. Et nous devons bien savoir qu'il y avait à la base des résolutions qui ont été prises alors - je le rappelle - par la communauté, pas seulement par Dom Félicien mais par la communauté comme telle.
Car je me rappelle très bien, Dom Félicien a consulté tout le monde et chacun a remis sa réponse par écrit. Donc cela a été un choix unanime qui a engagé chacun des frères et qui nous lie encore maintenant.
Mais il y a là aussi un propos, une intention de pauvreté, non pas la misère - loin de là - mais de pauvreté. C'est à dire de ne pas aller au-delà de nos véritables besoins. Vous savez, lorsque on dispose de beaucoup de ressources, fatalement on est tenté d'adopter un mode de vie qui est en rapport avec ces ressources que je dirais exagérées. Mais tandis que si nous nous heurtons toujours la tête contre un plafond, nous sommes toujours rappelés à l'ordre et nous devons rabaisser le niveau de nos exigences.
Et ici, il faut faire appel à la conscience de chacun. Il ne faut pas se dire : mais voilà, nous avons tout de même de quoi payer, donc ne nous privons pas. Car si je me procure une chose dont je peux très bien me passer, eh bien, j'enlève cette chose à quelqu'un d'autre. Je ne le connais peut-être pas, mais un jour il se présentera devant moi et je devrais le reconnaître, et je devrais lui demander pardon.
Je veux dire que un des grands problèmes - le Père y a insisté - c’est le partage des biens. Donc nous ne sommes pas propriétaires dans le sens exclusif de tout ce qui nous arrive, de tout ce qui est le fruit de notre travail. Nous devons naturellement en user mais non pas de façon égoïste et, toujours bien savoir que si nous cédons à cet égoïsme, à ce moment-là nous soustrayons une partie de ses biens à leur autre légitime propriétaire.
Il y a donc le travail et puis la répartition universelle des biens. Je pense que c'est un principe que nous devons bien retenir et qui nous permet de mieux comprendre la valeur éthique et même spirituelle de notre voeu de pauvreté. Ce n'est pas pour se martyriser, non, c'est pour rester dans la vérité et, étant installé dans la vérité, vivre dans une sphère plus large de justice.
Mais voilà, mes frères, je pense que ça tombe bien, ces deux causeries que nous avons entendues. Et portons dans notre coeur aussi le souci de tous les responsables qui doivent prendre les décisions. Il y a - il nous l'a été bien rappelé - le mythe marxisme-léninisme a prouvé son inefficacité et il s'est écroulé.
Mais alors dans ces pays de l'Est, il y a un vide énorme car la plupart des gens qui sont là n'ont jamais connu un autre système que celui-là el ils doivent être initiés à une économie nouvelle dont ils ne connaissent rien. Donc, il nous faut beaucoup de patience, nous ici en Occident, pour les accueillir, et lentement les instruire, les éduquer.
Mais alors nous, ici dans notre monastère qui est la Maison de Dieu, je le répète, qui doit être donc ici sur terre une apparition de la création nouvelle où domine la Loi de la Charité, nous devons dans notre coeur porter le souci de ceux qui doivent décider, de ceux qui doivent aider, qu'ils soient de l'Ouest ou qu'ils soient de l'Est.
Et maintenant, il y a le Nord et il y a le Sud, tous ces pays défavorisés à la suite de circonstances qu'il est, ma foi, très difficile d'analyser. Mais enfin, c'est un fait aujourd'hui!
Voilà, mes frères, portons tout cela dans notre coeur et nous serons vraiment efficaces à notre place si nous respirons de plus en plus la charité entre nous. Car nous sommes tous aussi en état de manque, en état de besoin et il doit y avoir entre-nous un partage très généreux au plan de la justice, de la vérité et de l'amour.
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Mes frères,
Nous avons célébré aujourd'hui la solennité de l'Annonciation. Et je voudrais attirer votre attention sur un détail qui, me semble-t-il, est capital pour ne pas dire essentiel dans notre vie chrétienne et monastique.
Le danger qui nous guette - soyons-en bien conscient - est un arianisme larvé, c'est à dire que nous perdons de vue que le Christ-Jésus est Dieu en personne. Nous ne voyons en lui que l'homme. Nous nous apitoyons sur ses souffrances, nous sommes émus devant sa naissance, nous réagissons devant ses paroles, nous nous indignons...
Enfin, nous avons pour lui des sentiments qui sont humains, qui sont logiques, qui sont bons. Une, communion s'établit avec lui au plan d'homme à homme. Mais n'oublions pas aussi que c'est Dieu qui vit tout cela.
Le Christ-Jésus, c'est Dieu avec nous, donc c'est Dieu qui s'est mis à notre portée. Comme le dit l'Apôtre Jean ici : Ce qui était au commencement, donc au commencement du monde. Rappelons-nous que l'Agneau qu'est le Christ a été immolé avant même la création du monde.
Donc Dieu prévoyait que s'il se lançait dans la folie de la création, ça finirait par mal tourner pour lui. Et il a pris le risque. Pourquoi ? Parce qu'il était l'Amour.
Mais il savait aussi que en prenant ce risque il allait souffrir terriblement, mais que il était tellement l'Amour qu'il parviendrait, à tout récupérer, et à tout résumer, et à tout récapituler en lui.
Eh bien, l'Apôtre Jean nous dit encore, on nous l'a lu encore je pense à l'Office des Vêpres : La Vie est apparue. Ce n'est pas n'importe quelle vie. Il précise plus loin que nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père, littéralement qui était tournée vers le Père, et qui nous est apparue.
Le Christ-Jésus est donc la vie. Mais la vie n'est donc pas une abstraction, la vie est une Personne. Voilà, nous vivons, nous vivons d'une vie humaine, nous vivons d'une vie qui est végétative, qui est animale, qui est intellectuelle, qui est spirituelle. Eh bien la vie qui est en nous, c'est une Personne. Et cette Personne, c'est ce qui était dès le début, c'est à dire c'est Dieu !
Donc, nous avons aujourd'hui une fête qui est en vérité la fête de l'Incarnation de Dieu. Oui, je sais bien, nous connaissons la scène. Elle a été mise en peinture par des artistes très nombreux. Nous voyons Marie, nous voyons l'ange. C'est l'annonciation. Et c'est vrai, on annonce à Marie qu'elle va devenir mère.
Mais attention - encore une fois - à cet arianisme larvé qui nous ferait nous arrêter à l'humain de la scène. Non, c'est Dieu qui devient homme à ce moment-là. C'est la fête de l'Incarnation de Dieu.
Mais si Dieu maintenant devient une personne humaine, s'il devient une chair comme nous, et devenant chair s'il devient mortel exactement comme nous, il se passe quelque chose d'assez étonnant et c'est ceci. Et c'est à cela que je voulais en venir dès le début.
C'est que Dieu en prenant chair dans le sein de Marie, en devenant un humain comme nous, il s'incarne dans l'humain comme tel, il s'incarne dans l'humanité comme telle, il prend l'humanité sur lui. Si bien que l'Incarnation de Dieu, c'est disons un fait, un événement ponctuel qui est arrivé tel jour à telle heure, mais qui est aussi de valeur éternelle.
De la part des hommes, il s'inscrit dans la durée, dans la temporalité. Du côté de Dieu - n'oublions pas que c'est Dieu qui s'incarne - du côté de Dieu, il est éternel en ce sens qu'il est de ce moment-là mais qu'il est de tous les moments par rapport à nous. Donc, l'Incarnation de Dieu se poursuit tous les jours, tous les jours, tous les jours. Elle est arrivée une fois et pour nous et pour Dieu. Mais dans, je dirais, la partie du côté de Dieu, elle épouse tous les temps et elle embrasse l'humanité entière.
En s'incarnant dans Marie, il s'incarne dans tous les hommes, il les appelle tous à partager sa propre vie. Donc, la Vie Eternelle qui était auprès du Père, elle nous est apparue. Si bien que du fait de l'Incarnation de Dieu, nous devenons éternels. C'était prévu dès le début. Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce qui nous a été dit, ce que lui-même a dit : Je suis la résurrection et la vie.
Donc, mes frères, lorsque nous nous regardons les uns les autres, lorsque nous nous regardons nous-mêmes, lorsque nous rencontrons des étrangers à notre communauté quelque soit le nom qu'ils portent, en eux si nous sommes assez éveillés, nous voyons Dieu. Dieu est en train de s'incarner en eux.
Nous comprenons mieux alors ce que l'Apôtre Paul dit : Il y a une tête qui est le Christ-Jésus, puis il y a un Corps dont nous sommes, nous, les membres. Nous sommes membres les uns des autres. Nous sommes tous, tous des fils de Dieu. Nous sommes donc tous en train d'être divinisés de plus en plus. Si bien que la résurrection d'entre les morts, notre résurrection est en route maintenant. Donc nous sommes déjà au-delà de la mort parce que le Christ s'incarne en nous.
Et notre résurrection devient un événement quasi naturel, comme dit Saint Benoît : quasi naturaliter, 7,183. Il est appelé par le fait même que Dieu est devenu l'un d'entre nous. Et je pense que c'est extrêmement important parce que ça nous permet de mieux comprendre la beauté unique de notre vie contemplative. Quelle différence y aura-t-il entre le moine contemplatif et, disons, le bon chrétien ou même le païen ?
Eh bien, le moine contemplatif, c'est un homme qui sait cela et qui le vit de façon consciente, tandis que les autres ne le savent pas. Ils en ont peut-être une intuition parce qu'ils s'aiment les uns les autres, mais ils ne le vivent pas de façon perpétuellement consciente.
Donc l'art spirituel va consister à laisser purifier son coeur de façon à ce que de mieux en mieux on puisse savoir que Dieu est en train de prendre chair en nous, en chacun d'entre nous. Et quel sera le signe que nous le comprenons de mieux en mieux ? C'est le respect que nous aurons les uns pour les autres. Car en chacun de ceux que nous rencontrons, nous croisons Dieu lui-même et nous devons vraiment nous humilier devant lui et presque l'adorer.
Saint Benoît dit : lorsqu'un hôte arrive, que faut-il faire ? Que doit faire l'hôtelier ? Eh bien, l'hôtelier doit se prosterner devant l'hôte parce que, dit-il, le Christ est reçu dans la personne de cet homme, 53,15.
Eh bien, mes frères, nous allons demander au Christ naturellement, à l'Esprit Saint, à notre Père et à la Vierge Marie de nous aider à comprendre de mieux en mieux cette beauté unique de notre vocation et de notre mission. Nous comprenons mieux alors que nous sommes la conscience de l'humanité, que nous sommes l'oeil de l'humanité, que nous sommes l'oreille de l'humanité. C'est cela la mission du moine contemplatif.
Oui, ce n'est pas un homme qui a peur de la vie, qui vient s'enfermer dans le monastère pour se protéger. Non, il vient dans le monastère parce qu'il va devenir un oeil, une oreille et un coeur. Et toute l' humanité va être avec lui, va être derrière lui parce que lui pénètre le premier là où tous les autres doivent entrer.
Voilà, mes frères, ne l'oublions pas et demandons les uns pour les autres cette grâce qui est vraiment une des plus belles que Dieu puisse donner à quelqu'un.
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Mes frères,
Saint Benoît nous dit que les frères ne doivent pas se désoler s'ils doivent travailler eux-mêmes aux récoltes. Il faut savoir que les anciens moines allaient travailler à l'extérieur du monastère. Ils allaient travailler chez les paysans des environs aux récoltes justement pour recevoir en guise de salaire leur part de cette récolte.
Il est possible que c'était encore la même chose à l'époque de Saint Benoît parce que il n'y aurait tout de même rien d'extraordinaire à ce que les moines qui auraient une exploitation agricole y travaillent. Il ne faut pas s'imaginer que à l'époque de Saint Benoît il y avait des ouvriers dans les monastères et que les moines devaient donc exceptionnellement travailler aux récoltes.
Non, je pense bien que c'est dans la ligne de la tradition que aux moments les plus difficiles de l'année, ils allaient travailler à l'extérieur chez les voisins en plus de leur propre exploitation parce qu'ils n'auraient pas eu assez.
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Mes frères,
Revenons, si vous le voulez bien, à l'enseignement que la Dame mystérieuse a donné à notre frère Dosithée s'il voulait échapper aux châtiments. Je pense que nous devons prendre cette expression très au sérieux. Il ne s'agit pas ici d'un châtiment éternel comme il voyait peint sur une fresque ou sur un tableau dans une église de Jérusalem, mais c'est un châtiment qu'on reçoit tout de suite dès cette vie-ci à l'intérieur du monastère où la vie devient pour le moine qui ne sait pas respecter ceci, où elle devient vraiment comme un enfer, intérieur naturellement.
Etant entièrement centré sur lui-même, étant privé de plus en plus de la relation avec le Christ et avec Dieu, il s'asphyxie spirituellement et finit par étouffer spirituellement. Et ce qui est tragique dans cette situation, c'est qu'il n'est pratiquement pas possible d'en sortir. C'est une sorte de cercle vicieux et on est toujours enfoncé plus loin.
Il faut vraiment un accident, une secousse, un événement très fort venant de l'extérieur pour éveiller la personne et la faire sortir alors de son état spirituel désespéré et désespérant. Attention ! Il s'agit ici de choses spirituelles, pas de choses psychologiques ou autres même s'il y a toujours un retentissement au niveau du psychisme.
La Dame lui disait donc qu'il devait d'abord jeûner. Nous nous sommes déjà arrêtés longuement sur ce jeûne, mais je voudrais pour terminer attirer l'attention ou rappeler les connexions, les liens qu'il y a à partir du jeûne vers d'autres réalités spirituelles.
Le jeûne est comme une porte qui ouvre sur un chemin. Et ce chemin alors conduit le moine dans des espaces de plus en plus larges de la vie spirituelle, de la vie avec Dieu sous la conduite de l'Esprit Saint.
Donc le jeûne, mais le jeûne bien pratiqué tel que la Tradition l'a toujours donné, ce jeûne - comme je l'ai dit - vide le coeur, ce coeur se désencombre. Car, faites bien attention, regardez votre propre expérience, ce qui touche le plus aux viscères de l'homme, à ces entrailles, c'est la nourriture.
Donc, lorsque la question de la nourriture est réglée, eh bien tout le reste se met en place. Le coeur du moine est désencombré du souci fondamental parce que il a maîtrisé ce besoin instinctif de manger. Il l'a mis à sa place, il n'en est plus l'esclave. Il mange, c'est certain, mais ce n'est plus pour lui un souci.
Et le coeur étant désencombré, il devient léger. Le pondus carnis, donc le poids de la chair est parti. Alors le coeur étant léger, le moine peut courir, comme dit Saint Benoît, sur la route des commandements de Dieu, Pr.116.
Il peut même s'envoler, il devient léger comme un oiseau. Et sous le souffle alors de la volonté de Dieu et de l'Esprit Saint, il peut alors être emporté là où Dieu veut le conduire, toujours plus loin et toujours plus haut dans l'univers de Dieu.
Et ce coeur désencombré devient pur. Il devient pur, il devient transparent. Il n'y a plus de graisse autour de lui, il n'y a plus de crasse. Et Dieu peut le polir, le nettoyer avec un soin et avec un amour jaloux, car nous avons encore entendu dire dernièrement que son nom, à Dieu, était : jaloux.
Jaloux, attention ! Ce n'est pas la jalousie qui est un péché, mais Dieu est jaloux en ce sens que il veut avec une volonté terrible, il veut faire de sa créature son temple, son palais, sa demeure. Il veut que chaque homme devienne un saint, devienne un Dieu.
Alors ce besoin possède Dieu tout à fait, si bien que dans ce sens-là il est jaloux. Il ne faut pas y toucher, il fait tout son possible. Alors, quand il trouve un moine qui a jeûné, dont le coeur devient pur, alors il le nettoie, il le nettoie sans fin, sans fin.
Et je me demande même si ce travail de Dieu sur le coeur du moine, ou du chrétien, ou de l'homme, ne va pas durer toute l'éternité et si ça ne ferait pas partie et en même temps du purgatoire et de la béatitude. Car le coeur ne sera jamais égal à la pureté qu'est Dieu lui-même. Il faudra donc toujours aller plus loin. Et ça fera partie de notre bonheur de sentir Dieu qui, sans fin avec la jalousie qui est la sienne, conduit plus loin cette pureté et élargit alors le coeur à une plus grande vision et à un plus grand bonheur.
Eh bien, tout ça commence dans le coeur d'un moine qui peut jeûner convenablement, pas dans un qui veut faire de l'acrobatie.
Et alors, ce qu'il y a encore, le jeûne est la porte de l'oubli. On oublie. Je pense vous l'avoir déjà dit. On n'a plus de préoccupation du côté de la nourriture, du côté de la chair et on finit par oublier tout ce qui doit être oublié. On n'est donc plus encombré, encombré de souvenirs, encombré d'images. Tout ça est fini !
On n'est plus encombré de son passé. On peut avoir un passé très, très chargé. Imaginons un moine qui a un passé très chargé. Mais dès l'instant où il s'adonne bien au jeûne, et que son coeur se dégage, que la graisse s'en va, le passé aussi est oublié. C'est un homme nouveau qui naît avec le jeûne.
Et cet homme nouveau peut alors vraiment être possédé par une vertu qui l'oblige presque - je dis obligé parce que c'est quasiment plus fort que lui - qui l'oblige à regarder en avant. Et c'est l'espérance.
Car la vertu d'espérance est liée à l'oubli, et elle est liée à la pauvreté. J'oublie, tout le passé est oublié parce que je suis tendu vers l'avant de plus en plus et je vis déjà en espérance, mais je vis déjà bien réellement chez Dieu.
Car l'espérance, c'est la façon je dirais terrestre de posséder Dieu et d'être possédé par lui, c'est la façon terrestre d'être déjà entré dans le ciel, c'est la façon terrestre de déjà voir Dieu.
On dit : c'est en espérance ! Cela ne veut pas dire que c'est un vague espoir que ça arrivera un jour. Non, c'est déjà bien réel tout de suite, mais ce n'est pas encore la réalité - comme dit l'Apôtre Paul - face à face. Mais c'est déjà exactement la même mais adaptée à notre condition mortelle et c'est donc déjà la possession de l'ineffable.
Eh bien, mes frères, la porte de toutes ces merveilles, c'est le jeûne. Mais encore une fois, soyons bien prudents. Il ne s'agit pas d'un jeûne d'acrobaties, il ne s'agit pas d'un jeûne de performances. Non, c'est un jeûne parfaitement équilibré qui nous maintient en bonne santé mais qui ne permet pas à l'avidité, à la gourmandise et disons à la chair de prendre le gouvernail de la vie.
Eh bien, tout ça c'est fini, le jeûne encore une fois fait le vide, il fait le désencombrement, il introduit dans la liberté. Un moine qui sait bien jeûner est un moine libre vis à vis de tout. Donc voilà, c'est pour ça que les premiers moines plaçaient toujours le contraire du jeûne, à savoir la gourmandise, comme le premier de tous les défauts. Si bien que lorsque la gourmandise est vaincue et que le jeûne est installé, c'est la porte ouverte sur la vie en Dieu.
Voilà, mes frères, j'allais dire : essayez pour voir, puis vous m'en donnerez des nouvelles! Mais je suis certain que vous le faites déjà même s'il y a encore toujours des hauts et des bas. C'est fatal. Ce qui est premier là-dedans, c'est l'intention. Et petit à petit on devient un expert, puis on devient vrai.
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Mes frères,
L'épisode de l'aveugle-né, Jn. 9,1-41, que nous entendrons encore exposé de façon dramatique au cours de l'Eucharistie, est une forêt de mystères à l'intérieur desquels nous ne pouvons pénétrer sans un guide sérieux qui peut nous expliciter ce que Dieu a voulu nous enseigner à travers cet événement. Au cours de la nuit, nous avons entendu Saint Augustin. Et ce qu'il nous a dit nous a encouragés à mieux vivre et à mieux oser nous confier à l'amour qu'est notre Dieu.
Mais je voudrais ce matin, bien modestement, resituer le drame de cet aveugle et le drame de Jésus à l'intérieur du cadre qui nous a été présenté ces dernières semaines dans le livre dont nous avons entendu la lecture au réfectoire. Nous comprendrons mieux quel était le milieu politique, social, même économique de l'époque.
On nous a présenté des sages, des savants, des juristes, même des saints dont l'unique souci était Dieu et sa Torah, Dieu qui s'était révélé à Moïse sur la montagne du Sinaï et, à travers Moïse, au peuple d'Israël tout entier, ce peuple qui était sur la terre la part privilégiée de Dieu.
Et ces hommes passaient leur temps - je ne dis pas ça de façon méprisante, bien au contraire - ces hommes occupaient leur temps à l'étude de la Torah, donc de cette volonté de Dieu. Ils s'en nourrissaient. Et cette Loi devenait le lieu où le peuple d'Israël reprenait vie, reprenait courage chaque jour, et ainsi jour après jours dans les circonstances les plus terribles.
Car nous l'avons entendu, à certains moments il n'était pratiquement plus possible d'être juif. Cela nous rappelait ce qui s'est passé durant la dernière guerre lorsque le fait d'être juif était un crime contre l'humanité. Et notre aveugle a été conduit devant un tribunal composé par ces hommes, composé de ces hommes. Et ce tribunal Rabbinique devait statuer sur son sort et celui de Jésus car il s'était passé quelque chose d'extrêmement dangereux pour la survie même du peuple.
Car un homme, un certain Jésus, avait osé ouvrir une brèche à l'intérieur de la gaine protectrice qu'est la Torah. Et si une brèche était ouverte, par cette brèche pouvaient s'introduire les ennemis d'Israël qui alors auraient achevé, auraient parfait l'anéantissement du peuple.
Je pense que nous devons bien voir ce milieu. Ces hommes dirigeaient des écoles - nous l'avons entendu - et leur enseignement faisait loi. Ils étaient des piliers, ils étaient les piliers d'Israël. Et ils étaient profondément humains. Ne pensons pas que c'étaient des hommes mauvais, des hommes cruels. Non, ils étaient profondément, foncièrement honnêtes. Et ce sont ces hommes qui ont condamné Jésus comme profanateur. Ils l'ont condamné à travers l’aveugle et, plus tard, ils l'ont condamné quand ils l'ont eu en face d'eux.
Or, mes frères, Jésus était Dieu. Et en condamnant Jésus, c'est leur Dieu qu'ils condamnaient, ce Dieu qu'ils servaient avec une fidélité dont nous n'avons aucune idée aujourd'hui. Nous sommes vraiment, mes frères dans un abîme d'absurdité. Comme Jésus l'a dit en mourant : Ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Et c'est pourquoi, nous ne pouvons pas porter un jugement sur eux. Nous sommes étrangers à leur approche spirituelle, nous devons bien le savoir.
Mais nous devons faire l'effort d'entrer à l'intérieur de leur mentalité, de leur Culture et essayer de les comprendre. C'est ainsi que Dieu les a compris. Et Dieu, j'en suis certain, Dieu qui a été mis à mort par eux ne les a pas condamnés.
Mais, mes frères, revenons un peu ici dans le réel concret quotidien. Nous, mes frères, comment accueillons-nous Dieu dans la personne de notre Abbé et dans la personne de nos frères ? Est-ce qu'il ne nous arrive pas de les citer devant le tribunal de nos pensées, de nos façons de voir, de nos façons de sentir ? Nous sommes nous aussi des gens honnêtes, sérieux, qui désirent servir Dieu, le glorifier, qui désirent le bien de la communauté.
Mais attention ! Notre jugement est fatalement emprisonné dans ces limites de notre chair et il nous arrive de ne pas reconnaître Dieu dans la personne de nos frères. Alors, mes frères, soyons tout de même extrêmement prudents ! La sagesse nous recommande d'adopter, de faire nôtre la naïveté de l'aveugle. Voilà un homme qui ne comprend pas, mais il fait confiance et ainsi il entre à l'intérieur du Royaume de Dieu. Il reçoit la guérison et une vie nouvelle.
Jésus le dira, il l'avait dit déjà au moment où il guérissait l'aveugle : Le Royaume des cieux n'est pas accessible aux savants, aux sages, à ceux qui sont sages à leurs propres yeux, mais il l'est aux petits, aux tous petits qui ont un coeur d'enfant.
Mes frères, si vous le voulez bien, aujourd'hui en ce dimanche qui peut être considéré comme le dimanche de la naïveté de Dieu, et de la naïveté des saints, demandons les uns pour les autres la grâce d'une foi vivante, une foi illuminée, une foi lumineuse qui nous fait passer de la cécité de la chair à la vision selon l'Esprit.
La vie contemplative, c'est un éveil à cette vision, à une vision toujours plus claire, vision de Dieu, vision de son projet, vision du monde, vision de nos frères, vision de notre propre personne. Et tout cela, dans une lumière qui est Dieu, dans une lumière qui est l'amour. Car Dieu ne veut pas nous rendre malheureux. Dieu veut que nous vivions de sa propre vie à lui et que nous goûtions son propre bonheur et sa propre paix.
Eh bien, mes frères, quand nous entendrons tantôt au cours de l'Eucharistie le récit de cette scène qui est véritablement dramatique, et qui est le prélude à la condamnation de Jésus, eh bien, sachons que cela se passe aujourd'hui.
Nous sommes dans l'éternité de Dieu. Nous sommes les témoins, et les acteurs, et les victimes de cette scène. Et ne reculons pas devant nos responsabilités. Prenons-en conscience et - encore une fois - demandons à Dieu de nous ouvrir notre coeur totalement à sa lumière de façon à ce que nous puissions participer de mieux en mieux et pour toujours à sa vie.
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Mes frères,
Nous sommes auprès de notre ami Dosithée, nous entendons la Dame mystérieuse lui confier une seconde consigne. Ne mange pas de viande, lui dit-elle.
Remarquons que Dosithée n'est pas encore moine, il ignore tout de la vie monastique. Il n'a jamais entendu parler de Dieu, encore bien moins d'un monastère. Mais voilà, il écoute et il ne mange plus de viande.
Et ses compagnons - je le répète - lui font remarquer que ce ne sont pas là des moeurs qui conviennent à un homme du monde et ils lui conseillent de se rendre dans un monastère. Et ils le conduisent auprès de l'Abbé Séridos dont le disciple de prédilection est celui qui allait devenir le grand Dorothée de Gaza.
Voilà donc la Dame qui donne à un jeune homme de bonne volonté une règle monastique de vie. Mais remarquons d'abord le terme utilisé par le grec. Il est traduit par manger. Pour ceux qui connaissent le grec, ici, c'est un verbe du grec tardif mais qui est utilisé d'abord pour les animaux.
Donc, cela signifie ronger, un chien qui ronge un os ; brouter, une vache qui broute de l'herbe ; ou bien broyer, écraser, un fauve qui dévore sa victime. Vous sentez déjà qu'il y a là quelque chose d'intentionnel dans le choix de ce mot.
Mais l'abstinence de viande est une prescription très, très ancienne, elle est à l'origine même de la vie monastique. Nous la trouvons chez Saint Benoît qui est radical à ce sujet. Il fait une exception - parce que c'est un homme compatissant - en faveur de tous ceux qui sont tout à fait faibles, qui ne tiennent plus sur leurs jambes, et puis pour les malades, les grands malades.
Mais ce commandement, appelons-le ainsi, repose sur une motivation de nature spirituelle. et elle-même est fondée sur l'expérience comme nous le verrons, mais aussi sur le modèle qu'ont donné les deux grands premiers moines de la Tradition qui sont Elie et Jean-Baptiste.
Nous savons que Jean-Baptiste se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. Il paraît que la sauterelle est un met très recherché en Palestine, de grandes sauterelles. Et puis ces hommes ne mangeaient pas de viande, c'étaient des solitaires. Ils étaient totalement sous l'emprise de l'Esprit. Ils parlaient à Dieu. c'étaient des prophètes, c'étaient des saints. Ils ne mangeaient pas de viande. Donc le moine qui s'engage sur leurs traces ne va pas lui non plus manger de viande. Cela va de soi !
Mais enfin, il y a tout de même une raison, une raison d'un autre genre. Un homme de Dieu ne mange pas de viande parce qu'il ne vit pas selon la chair, mais parce qu'il vit selon l'Esprit, l'Esprit saint naturellement. Il est mû par l'Esprit Saint. Il vit de cet Esprit qui est lumière, et qu'il voit, et puis qu'il respire, dont il se nourrit. Et voilà, il ne flatte pas sa chair, mais il permet à son corps spirituel de grandir, de se développer, de s'épanouir.
La chair, la nôtre, a une parenté de nature avec la viande. Ce sont deux mots différents en français et dans le grec. Mais tout de même, nous sommes des êtres viandeux, nous avons de la graisse, nous avons de la moelle, nous avons de la viande. Alors la viande des animaux, ma foi, elle est parente avec la nôtre.
Si bien que se nourrir de viande - dans un monastère naturellement - c'est fortifier sa propre viande, c'est fortifier sa chair au lieu de la mortifier. Cela ne veut pas dire que nous devons nous suicider, mais nous devons maîtriser notre chair. Elle ne doit pas dominer sur nous.
Et il est d'expérience que la chair, que la domination de la chair même sur l'esprit, sur le spirituel en nous, s'affirme davantage chez l'homme qui se nourrit de viande. C'est d'expérience, cela !
On pourrait avancer toutes sortes de raisons d'ordre diététique. Mais enfin, je ne vais pas me lancer là-dedans car je ne suis pas tellement compétent. Mais c'est tout de même un fait d'expérience. J'en parlerai un peu plus tard.
L'homme animal en nous - celui dont parle l'Apôtre Paul - est donc entretenu par la viande. Et les passions de l'animal que nous sommes demeurent puissantes si elles sont nourries par cette viande.
Et le corps spirituel ? Mais il est étouffé, il est asphyxié, il ne peut pas se développer. Il va rester nain, il va s'atrophier au lieu de devenir cette beauté qui doit apparaître le jour de la résurrection. Et l'Esprit de Dieu n'a pas sa place dans un corps dominé par la chair.
Donc, voilà toutes considérations qui sont de nature spirituelle et qui ont été définies par la Tradition monastique toute ancienne.
Il est temps d'aller à l'église. Nous verrons une autre fois ce qui arrive lorsque un moine qui n'en a pas besoin - attention ! - se nourrit de viande. Quand je dit un moine, on peut même dire un homme en général.
Naturellement, n'allez pas maintenant commencer à regarder non pas dans le monastère mais en dehors et dire : mais voilà, celui-là, il est comme ça parce qu'il mange de la viande. Non, il ne faut pas pousser les choses jusque là. Nous devons rester dans la discrétion et la modestie.
Mais tout de même, nous verrons la fois prochaine ce qu'il en est si on se nourrit de viande. Je connais quelqu'un qui mangeait de la viande. Il lui fallait de la viande rouge, donc un gros, gros bifteck comme ça à chaque repas, au matin, à midi et au soir. Je vous dirais un peu ce qu'il en est si nous devions tomber dans ce travers.
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Mes frères,
Lors de notre dernière rencontre, nous disions que la Tradition monastique unanime marque son aversion pour la consommation de la viande. Nous nous sommes demandés pourquoi ?
Nous avons vu que la viande lorsqu'elle était consommée nourrissait en nous l'homme animal. Si bien que si ça devait se poursuivre, l'Esprit Saint perdrait le gouvernail de notre vie.
Naturellement, Saint Benoît qui est un modèle de discrétion, précise que l'usage de la viande peut être permis en faveur des malades ou bien des moines arrivés à un état extrême de faiblesse. Et ça, c'est une petite parenthèse qui est dans la logique des choses.
Maintenant, remarquons aussi que ces moines connaissaient la Parole de Dieu. Voyez, lorsqu'ils recevaient un hôte, la première chose qu'ils devaient faire, c'était lui lire la Parole de Dieu. On n'imagine plus ça aujourd'hui. Mais enfin, ça nous marque alors tout un contexte religieux.
Et ils avaient entendu, et ils savaient que dans le désert, les Israélites étaient tombés dans les pires désordres parce qu'ils avaient ressenti une fringale terrible de viande. Voilà, cela les avait frappés, pas les Israélites mais les moines, et ils s'étaient dits : cela ne nous arrivera jamais.
Maintenant, encore une petite chose que nous savons tous, c'est que nous devenons ce que nous mangeons. Il importe donc de surveiller son alimentation. C'est là un principe auquel on est très attaché aujourd'hui dans le monde même. On recherche les aliments biologiquement sains et les gouvernements édictent des mesures très sévères contre les falsificateurs de l'alimentation. Il y a eu la guerre des hormones qui gonflent les animaux, qui leur donnent un bel aspect mais qui empoisonnent les consommateurs.
Certains ont connu Victor qui a été familier ici pendant tout un temps. Avant de devenir peintre, il avait été boucher à Liège. Et je me souviens bien qu'une fois à Bruxelles, on était arrêté à un feu rouge juste en face d'une boucherie. Et il m'a dit : regardez ! Vous voyez, vous pouvez très bien reconnaître la viande aux hormones de la viande saine. Et il me donnait des explications. Et voilà, je regardais et je me disais que c'était tout de même vrai. Et puis le feu est passé au vert et on est parti.
Donc voilà, aujourd'hui on est très attentif à ces détails-là.
Maintenant, si un moine se nourrit de la Parole de Dieu, que va-t-il devenir ? S’il se nourrit de la volonté de Dieu, si c'est sa nourriture première, essentielle, sa nourriture de tous les jours, de tous les instants, eh bien il va devenir semblable à Dieu dans tout son être, dans toutes ses pensées, dans ses jugements, dans sa conduite, et il va avancer vers la transfiguration. Ce n'est plus lui qui vivra, c'est la volonté de Dieu qui vivra en lui. Il va devenir un pneumatophore, un théophore, un homme vraiment spirituel.
Par contre, s'il se nourrit de viandes, eh bien il va devenir semblable à la bête qu'il mange. Il va devenir un boeuf, il va devenir un veau, il va devenir un cochon suivant ce qu'il mange. Et c'est vraiment ainsi avec tous les instincts de la bête. Et le résultat ?
Eh bien, le résultat, il sera agressif, ou bien il sera agité, ou fébrile, ou impur, ou peureux, ou lâche. Enfin tous les défauts de la bête qu'il aura ingurgité vont prendre possession de lui. C'est de ça que les premiers moines avaient peur. Cela nous paraît un peu drôle, nous, mais tout de même il y a là un fond de vérité.
Car, je vous avais parlé d'un homme que j'ai connu et qui tous les jours mangeait trois gros biftecks saignants. Eh bien, cet homme était malheureux mais c'était devenu une passion chez lui. C'était un véritable carnivore et ça se voyait dans son comportement, dans toute sa vie.
Alors voilà, je ne dis pas cela pour vous effrayer. Je sais bien que nous ne mangeons pas de viande ici, donc je suis bien libre pour en parler. Retenons-le quand même et sachons que c'est une des raisons pour lesquelles les moines n'en voulaient pas.
Et retenons encore ceci : c'est que le fait de s'abstenir de viande est distinct du jeûne. C'est autre chose.
La viande, je dirais ça pour conclure, elle est incompatible avec la douceur qui caractérise le vrai spirituel. Un consommateur de viande ne sera pas un homme doux au plan psychologique, même au plan physique. Mais dans notre vie qui est une vie spirituelle, le physique et le psychologique ont tout de même leur importance.
Donc, l'abstinence de viande marque le propos d'un moine qui désire soumettre sa chair à l'Esprit de Dieu. Notre corps, notre chair doit devenir un temple de cet Esprit divin jusqu'à ce que un jour, au jour de Dieu, elle ressuscite chair spirituelle.
Elle s'éteint chair corruptible, elle se réveille dans l'incorruptibilité. Car si nous avons un corps charnel, nous avons aussi un corps spirituel qui est en train de se construire maintenant. Donc voilà, retenons ceci à la veille de notre retraite.
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Mes frères,
Dans un raccourci hallucinant la liturgie nous présente à quelques minutes d'intervalle : Jésus au faîte de son humble gloire, Jésus aux portes de Jérusalem acclamé par une foule en délire et Jésus dans une déchéance à peine imaginable, Jésus pendu à une croix hors des murs de Jérusalem.
Mes frères, ces événements ont valeur d'éternité. Jésus - Dieu avec nous - est à toute heure et acclamé et conspué. Et nous, de quel côté sommes-nous ? Du côté des fidèles ou du côté des bourreaux ? Ne l'oublions jamais, c'est notre relation à notre frère qui nous jugera !
Contemplons un autre contraste inquiétant et terrible. Jésus vient de donner son corps et son sang de lumière en nourriture à ses disciples. Et voici que ces mêmes disciples se mettent à se disputer pour savoir lequel d'entre eux était le plus grand. Où avaient-ils donc leur tête ?
Et où avons-nous notre tête quand nous les imitons à propos de tout et de rien. La bêtise, l'inconscience humaine sont décidément sans limite. Mais cela s'explique, cela se comprend. Il y a une inadéquation foncière entre l'homme et Dieu, entre des êtres égocentriques fermés, barricadés dans leurs peurs et Dieu qui est pure extase d'amour.
Mes frères, nous devons absolument franchir une passerelle si nous voulons être sauvés. Il nous faut mourir à notre égoïsme et naître à la charité. Nous devons entrer dans la sphère de la gratuité, du désintéressement, du don de soi, de l'amour. Ne risquons-nous pas trop souvent de l'oublier ?
Mais arrêtons-nous maintenant au plus terrible. Le même Jésus quelques heures plus tard subit une mort atroce, une mort misérable. Et il est seul, affreusement seul. Ils voulaient être les premiers, ses fameux disciples, mais ils se sont tous envolés.
Mes frères, nous sommes confrontés à la solitude de Dieu et nous nous demandons : comment faire pour la briser ? C'est possible, nous pouvons la briser, mais pour cela nous devons prendre nos responsabilités. Dieu n'est plus seul quand nous le laissons libre d'être Dieu. Il n'est plus seul quand nous ne nous acharnons plus à régler toutes les choses à sa place. Il n'est plus seul quand nous le respectons dans son être de Dieu, quand nous l'aimons, que nous lui faisons confiance jusqu'au bout, sans limite, à perte de vue.
Dieu n'est plus seul lorsque nous ne prenons pas sa place. Or, c'est cela la tentation la plus dangereuse qui soit : faire entrer Dieu dans nos catégories, le réduire à un veau, un veau d'or mais un veau quand même, le veau que nous sommes. Et alors Dieu se retrouve seul.
Il nous a été parlé ces jours-ci de la relation la plus intime qui puisse exister ici-bas entre Dieu et un homme, une relation d'ordre sponsal où l'homme pénètre en Dieu et où Dieu envahit tout de l'homme. Et dans cette union ineffable, l'homme connaît enfin la joie, il connaît la vérité de son être qui est fait pour un échange d'amour.
A ce moment-là, Dieu n'est plus seul. Et c'est là qu'il nous attend. Il nous attend sur la route qui conduit à lui, mais c'est encore lui qui vient à notre rencontre. Et dès qu'il nous voit, dès qu'il voit notre bonne volonté, il ne peut se contenir. Il nous transforme, il nous transfigure, il nous revêt de ce qu'il est.
Si bien que nous ne nous reconnaissons plus, mais lui se reconnaît en nous et, encore une fois, il n'est plus seul. Mais notre propre solitude à nous, elle est brisée et à travers Dieu et en lui, nous reconnaissons tous nos frères.
Nous les reconnaissons comme ses enfants, nous les reconnaissons comme faisant partie de nous. Et au terme, nous ne formons plus qu'un seul Corps avec lui pour le partage d'une même vie, la sienne.
Mes frères, le drame du calvaire est de chaque jour parce que nous ne laissons pas Dieu libre d'être lui. Si dans le monastère nous prononçons un voeu d'obéissance, un voeu d'écoute et un voeu de remise de soi, c'est parce que nous voulons permettre à Dieu d'être lui pour nous, d'être lui dans notre vie.
Il y a une grande passerelle à traverser, comme je le disais tout à l'heure, celle de notre égoïsme qui doit disparaître. Mais cette passerelle, encore une fois, c'est lui qui la lance et c'est lui aussi qui est la passerelle. Si bien que ce qui est impossible à l'homme est possible à Dieu et la pierre que nous sommes, elle peut commencer à crier et à chanter.
Mes frères, ne l'oublions jamais, tout ce joue pour nous à l'intérieur de notre coeur, tout ce joue dans notre pensée, dans notre jugement. C'est pourquoi au cours de cette semaine, reprenons conscience de ce que nous sommes, de la sublimité de notre vocation d'homme car nous avons été créés pour aimer. Nous avons été créés pour partager la joie de notre Dieu.
Alors, prenons garde à nous, convertissons-nous, repentons-nous et ainsi nous parviendrons à briser toute solitude, celle de Dieu, celle de nos frères et la nôtre.
Amen.
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Mes frères,
En compagnie de Guillaume de Saint Thierry nous avons exploré les sommets les plus élevés de la vocation contemplative. Nous nous sommes promenés sur les culmina scientiae et virtutum dont nous parle Saint Benoît, les sommets de la gnose et de la pratique si nous empruntons le langage d'Evagre. Il n'est pas possible d'aller plus haut dans cette vie.
Ce sont de tels adorateurs en esprit et en vérité que recherche le Père. Il désire des hommes qui se nourrissent de lui, qui deviennent lumière en lui et dans le coeur desquels l'Esprit Saint peut fixer sa demeure. Si bien que ces hommes sont ici sur la terre d’authentiques temples de l'Esprit Saint, plus encore, des temples de la Trinité. Il faut dire que là où est une des Personnes de la Trinité, les deux autres s'y trouvent.
Comme Guillaume nous l'a expliqué à la suite de Saint Bernard, Dieu veut s'unir à l'homme dans une relation sponsale dont les épousailles humaines sont le reflet, sont le symbole. Ce qui est premier, mes frères, ce n'est pas le mariage humain, ce qui est premier, c'est le mariage entre Dieu et un homme ou une femme.
Cette union sponsale, cette union nuptiale entre Dieu et le moine est première. Elle est présence du monde à venir et elle est l'accomplissement de la création. Le mariage humain est l'image charnelle de cette relation sponsale parfaitement spirituelle entre Dieu et une créature.
C'est ainsi depuis l'origine, c'était déjà ainsi pour les Apôtres surtout pour l'Apôtre Paul et aussi l'Apôtre Jean lorsqu'ils en ont pris conscience. Nous devons pouvoir déchiffrer leurs Epîtres à travers cette lunette qui permet de saisir la vérité toute entière.
Et naturellement, les moines ont repris cette intuition et ils ont voulu refaire pour leur compte cette expérience. Et ils l'ont exprimé de différentes manières suivant les époques et les Cultures. Mais c'est toujours, toujours le même désir qui brûle leur coeur et qui est allumé par le désir qu'a Dieu lui-même de devenir un seul être avec sa créature.
Et naturellement cet homme ou cette femme, à travers cette créature humaine, c'est le cosmos entier que Dieu s'unit et qu'il transfigure. Au terme de la création, Dieu sera tout en toute chose. Mais quand il est déjà tout dans un être humain, à cet endroit-là, il réalise son projet à la perfection. Le reste suivra.
Eh bien, si nous sommes au monastère, c'est pour cela et pour rien d'autre. Et quand on l'a compris, on ne se laisse plus distraire par rien du tout. On est possédé par ce besoin, par ce désir, par ce feu. On se laisse dévorer par lui et tout ce qui est à l'extérieur dans le fond n'intéresse plus.
Cela présente un intérêt dans la mesure où c'est la volonté de Dieu, si c'est un endroit, une chose, un événement, un acte, une pensée, un jugement à l'intérieur duquel Dieu est caché et à l'intérieur duquel il se révèle et il se donne.
Il y a donc là une chose très belle parce que l'être de l'homme tout entier se restructure et s'unifie. Il n'est plus dispersé dans tous les sens, il n'est plus distrait dans le sens étymologique du mot, il n'est plus tiré dans tous les sens. Il s'unifie.
Si bien que l'homme est alors sur les traces de la beauté suprême et d'un bonheur sans fissure, si bien que toutes ses énergies vitales sont consacrées à marcher et à courir sur cette route. Saint Benoît, remarquez-le, il a toujours des mots qui signifient qu'on ne perd pas son temps. C'est currere, festinare. On y va, on se débarrasse de tout et on court.
C'est ça, toutes les énergies sont focalisées sur un seul objectif qui est de rencontrer Dieu, de devenir avec lui une seule respiration. Voilà, on n'a donc aucun repos aussi longtemps qu'on n'a pas trouvé Dieu et qu'on n'a pas été introduit dans le secret de son intimité. C'est donc une question d'amour prêt à toutes les audaces et à toutes les folies.
C'est ce que nous admirons aujourd'hui dans Marie de Béthanie. Voilà une femme, une jeune fille, qui ose afficher en public, mais dans un geste fou, son amour non moins fou pour Dieu qu'elle a reconnu dans cet homme dont le nom est Jésus de Nazareth. Et alors, à l'intérieur de ce geste, elle affiche encore en public devant toute une assemblée, son union sponsale accomplie avec Dieu dans la personne du Christ.
Il faut savoir ce que signifie dans cette culture, à cette époque, le fait pour une femme de laver les pieds de l'homme, d'un homme ? Eh bien, c'est le geste symbolique par lequel on signifie qu'on l'épouse et que on devient avec lui une unité indissoluble.
Alors elle a donc son parfum, un parfum qui est d'une valeur quasiment à ne pas mesurer, comme il est dit en grec. Il est dit à un autre endroit que ce parfum est dans un vase d'albâtre, l'albâtre qui est une pierre qu'on trouvait communément en Egypte à l'époque, une pierre précieuse quand même. Les plus belles statues de l'Egypte ancienne sont taillées dans l'albâtre. Et ce flacon n'a pas de bouchon.
Il faut bien se rendre compte ce que c'est. C'est un flacon entièrement fermé. Donc c'est un vase, puis on y met ce parfum qui ne peut absolument pas s'altérer ni se corrompre. Il ne faut pas l'infecter, il est parfaitement pur. Et puis alors le sommet de ce vase est bouché, soudé par un système quelconque. Si bien que lorsque on veut utiliser le parfum, il faut briser le col du vase. Voilà ce geste de Marie !
Et ce parfum alors, elle le répand sur les pieds de Jésus et elle essuie les pieds avec ses cheveux. A ce moment, Marie passe toute entière en Jésus et Jésus passe tout entier en elle. C'est donc par le moyen d'un parfum que cette union nuptiale s'opère. Nous l'avons entendu durant la retraite, les premiers cisterciens utilisaient aussi ce symbole du parfum.
Maintenant, le parfum de cet échange nuptial se diffuse, dit-il, à travers toute la maison. Mais au-delà - nous sommes maintenant dans le spirituel - il se diffuse à travers le cosmos entier et il en chasse tous les miasmes délétères du non-amour. De même qu'une lumière au sein de la plus profonde obscurité est plus puissante que cette obscurité et la dissipe, de même le parfum d'un véritable amour dissipe dans le cosmos entier toutes les odeurs fétides de l'absence d'amour.
Eh bien, mes frères, quand nous rencontrons à notre tour le Christ et que nous devenons avec lui un seul esprit, lorsque cette union sponsale s’accomplit avec lui, à ce moment-là le même parfum devient spirituellement perceptible et c'est lui qui achève de purifier et de transfigurer notre coeur.
Marie de Béthanie est donc dans l'Histoire la première sponsa Verbi, la première épouse du Verbe. Et toutes les épouses subséquentes du Verbe jusqu'à la fin des Temps participent à la grâce de Marie, cette grâce qui est première et dont toutes les autres dérivent comme de leur source.
Nous avons donc là, nous sommes donc là à l'origine même de cette nuptialité, de cette sponsalité avec la personne du Verbe qui est présente à nous dans le Seigneur Jésus. Eh bien, mes frères, telle est notre vocation après celle de Marie, après celle de Guillaume, après celle de Bernard et de tant et tant d'autres.
Maintenant, le Prédicateur y a fait allusion, mais je voudrais un peu préciser ce qu'il a dit à propos justement de cette grâce de contemplation.
Dans notre Culture, pour nous, spontanément l'organe de la contemplation, ce sont les yeux. Nous la réduisons à la vision. Pour Saint Benoît, l'organe de la contemplation, c'était plutôt l’ouïe. Et arrivé à l'époque de nos premiers Pères, la contemplation, c'était aussi le toucher, c'était le sentir, c'était le goûter.
Eh bien, l'acte de contemplation, mais véritable alors, il saisit l'homme tout entier dans sa totalité, dans sa globalité. Si bien qu'on peut indifféremment le localiser dans la vision, dans l'audition, dans le fait de sentir un parfum, dans le fait de toucher, dans le fait de goûter.
C'est tout l'être qui est imprégné par Dieu, par la Sainte Trinité. Et suivant les circonstances, ce sera un organe plutôt qu'un autre qui sera mis en évidence. Mais en réalité, aucun n'est privilégié et c'est tous. Nous le voyons encore ici avec Marie.
Voilà, Marie de Béthanie, il faut la voir aussi pas seulement maintenant, mais disons dans sa vie entière. Nous savons que peut-être bien, c'est peut-être bien à la même occasion parce qu'il est dit ici que Marthe servait ce repas. Et vous vous souvenez qu'elle se plaignait un jour auprès de Jésus : « Mais tu vois tout le travail que j'ai. Je suis seule à faire le service. Dis à ma sœur de m'aider ! »
C'était peut-être à cette occasion-là que Marie était aux pieds de Jésus parmi ses disciples, qu'elle buvait du regard et puis qu'elle se nourrissait de sa parole. Et puis nous voyons la même Marie qui touche ce Jésus, ses pieds, qui les frotte de parfum, qui les essuie avec ses cheveux. Donc, c'est l'être entier de Marie qui s'unit au Christ et qui devient avec le Christ quasiment une seule chair, mais une seule chair spirituelle.
Eh bien, mes frères, c'est vraiment là la vocation la plus sublime de toute, la plus nécessaire. Cette vocation unit le ciel et la terre. Elle unit Dieu et l'homme et elle accomplit la divinisation du cosmos. C'est ça la véritable vocation monastique !
Eh bien voilà, il faut que nous demandions à Dieu au cours de cette Semaine Sainte en couronnement, disons, de notre retraite, de nous accorder la grâce de la foi qui nous permettra de comprendre ce mystère d'un Dieu qui veut devenir un seul être avec sa créature dans la gratuité la plus absolue et dans la liberté totale.
Voilà, mes frères, nous allons demander cela les uns pour les autres et, dans une grande espérance, nous saurons que ça nous sera accordé tôt ou tard. Mais je dirais un peu comme sous-entend Saint Benoît, au plus tôt sera le mieux ! Mais il faut y mettre le prix !
Mes frères,
Hier, avec Marie de Béthanie, nous nous sommes trouvés sur un sommet d'amour dans une nuptialité mystique parfaite. Aujourd’hui, nous l'avons entendu au cours de l'Eucharistie, nous nous sommes retrouvés sur un sommet de lâcheté et de bêtise, un comble d'aveuglement sinistre et criminel.
Mais attention ! Ne portons pas de jugement sur les personnes. Nous devons condamner le comportement de Judas et de Pierre, mais prenons bien conscience que Judas et Pierre, c'est nous avec notre péché et avec notre misère.
Or, nous qui sommes pécheurs, et qui sommes lâches, et qui sommes instables, toujours au bord du reniement et de la trahison, nous devons devenir des êtres purs, forts et saints comme l'était Marie.
La vie chrétienne est une conversion, un retour en arrière. Nous avons quitté la région de la ressemblance, comme dit Saint Bernard. Nous nous sommes égarés dans les marais de la dissemblance et nous devons revenir à Dieu pour qu'il puisse reconstituer en nous son image.
La vie chrétienne est donc un bouleversement dans le sens étymologique du terme, un retournement. Elle est une métamorphose, une transformation. Le prédicateur nous avait dit que pour Guillaume de Saint-Thierry, nous devions revêtir la forme de Dieu, superindui dit l'Apôtre Paul. Et c'est vrai, mais je pense qu'il faut aller encore beaucoup plus loin.
Il faut que notre for intérieur change. Ce n'est pas quelque chose qui nous est appliqué de l'extérieur, c'est une véritable transformation, c'est une transfiguration. Nous restons toujours homme mais nous devenons Dieu parce que nous sommes fils de Dieu. Et il faut que cette filiation divine apparaisse dans toute sa splendeur.
La vie chrétienne et surtout la vie monastique qui est la vie chrétienne dans ce qu'elle a de plus beau - la vie avec le Christ et avec Dieu - est aussi un choix périlleux pour la chair. Et le centre autour duquel va se déterminer ce choix, c'est Dieu lui-même dans la personne du Seigneur Jésus. Je dis que ce choix que nous devons poser est un choix périlleux, dangereux et nous allons le voir.
D'un côté, d'un côté il y a Judas avec ses convoitises, avec son astuce, avec son absence de pitié. Maintenant derrière Judas, il y a la puissance politico-religieuse de la théocratie Juive qui avait pouvoir jusque sur les consciences. Nous verrons encore demain cette accointances entre Judas et, disons, l'establishment Juif de l'époque.
Maintenant plus loin encore derrière, il y a la superpuissance d'un empire cruel, Rome et ses satellites. Car ce qui dominait à Rome, nous ne devons pas l'oublier, c'était la cruauté. Dans le livre que nous avons entendu dernièrement au sujet de la formation du Talmud, il nous a été bien expliqué encore par certains récits certains légendaires mais avec une bonne part de vérité le caractère cruel de la domination romaine.
Car c'est vraiment la chose la plus terrible qui se puisse imaginer. Nous l'avons connu un peu pendant la guerre de loin malgré tout avec le nazisme. On l'a connue dans l'empire soviétique, la cruauté.
Maintenant plus loin encore à l'arrière, car ce n'est pas tout, mais dominant et dirigeant l'ensemble, il y a le satan et ses hordes sans nombre, tout le non-amour, le non-amour absolu et grimaçant. Nous l'avons entendu ce matin. Dès que Judas eut pris la bouchée, satan entra en lui.
Nous avons tout : Judas, les dirigeants juifs, Rome qui va intervenir et qui va faire crucifier Jésus, et puis le maître du jeu, le satan. Voilà donc, voyez l'homme-Jésus au milieu et d'un côté vous avez tout ça. Maintenant de l'autre côté et en face, il n'y a rien qu'une Jeune fille avec son flacon de parfum. Et c'est tout. Et cette jeune fille, elle est seule, tout à fait seule.
Quand elle a posé son geste de gratuité absolue, Judas a réagi tout de suite. Il ne pouvait pas supporter cela. Il se trouvait devant le contraire de ce qu'il était. Mais enfin, elle est là toute seule, un abîme de faiblesse, d'insignifiance, de dérision. On se moque d'elle. Mais Marie possédait en elle l'amour, et la lumière, et la douceur. Et contre elle viennent se briser toutes les puissances, et toutes les superpuissances cosmiques et infernales. Et c'est elle, elle seule qui est le sens de l'Histoire et qui est déjà la réussite finale de la création.
Donc, voyez les deux pôles, le Seigneur Jésus au milieu, un homme, mais un homme qui est Dieu, et d'un côté Judas - Judas c'est presque tout l'univers - et de l'autre côté une jeune fille toute fragile, toute seule avec son flacon.
Mais retenons bien cela ! Nous devons bien nous en rendre compte : le sort du monde et le sort de Dieu lui-même dépendent d'un flacon de parfum. Je dis aussi le sort de Dieu, car si le projet de Dieu, son projet d'amour dans la création vient à échouer, le sort de Dieu est réglé en même temps.
Eh bien, mes frères, notre présence dans le monastère dit que nous avons choisi le rien de Marie contre le tout de Judas. Nous l'avons choisi. Nous avons choisi d'être un parfum qui se perd et non pas un pouvoir qui conquiert, qui s'installe, qui domine, qui s'exalte et qui finalement écrase. Car un pouvoir s'installe toujours sur des cadavres, il y a toujours des victimes.
Eh bien, mes frères, ce choix unique, il est à ranimer chaque jour et à chaque heure. Il est posé une fois. Ce une fois revient fréquemment dans l’Epître aux Hébreux. Le Christ s'est donné une fois. Et c'est même un superlatif dans le grec, une seule fois.
Mais ce une seule fois à une valeur d'éternité et lorsque chaque jour nous confectionnons à nouveau l'Eucharistie, c'est ce choix, c'est ce une fois qui est actualisé là devant nos yeux et qui, d'une certaine façon, est répété.
C'est dans ce sens-là que je veux dire que le choix doit être réanimé chaque jour et à chaque heure. C'est ça un peu qui se joue à l'intérieur de l'obéissance, c'est toujours ce choix. Si bien que on peut dire que la vie monastique est la concrétisation et la réanimation permanente de ce choix.
Donc, comprenons le bien et ne l'oublions pas : être parfum, être amour, être lumière, être douceur, telle est notre raison d'être dans le monastère. Mais attention ! Je disais que ce choix était périlleux et il l'est vraiment. Il est périlleux pour nous personnellement et il est périlleux au niveau de la communauté.
Il est périlleux pour nous parce que nous devons vraiment, comme l'a fait Marie de Béthanie, tout perdre et nous perdre avec. Il faut renoncer à tout pour ne plus avoir en main rien d'autre qu'un parfum qui va partir. Il va s'évaporer. Mais en s'évaporant il va, comme je le disais hier, il va purifier l'univers.
Et alors c'est dangereux, c'est prendre un risque au niveau de la communauté parce que on court le danger d'être seul, c'est à dire d'être un petit nombre. Parce que comprendre la vocation monastique dans, je dirais, dans ce paroxysme de beauté n'est pas donné à tout le monde. Il y a, disons, des paliers inférieurs qui sont plus à portée de la chair.
Mais voilà, je pense que ce que le Christ et ce que Dieu attend, c'est de prendre le risque total sinon, je dirais, la vie monastique ne vaut pas la peine d'être courue, d'être vécue. Lorsque ce risque est pris et qu'il est tenu jusqu'au bout, alors mes frères, c'est vraiment une victoire de la foi en celui qui a dit : « Ayez confiance, moi, j'ai vaincu le monde. »
Il y a le moi. Il n'a pas dit : « J'ai vaincu le monde » mais « MOI, j'ai vaincu le monde. » Cela veut dire : Personne d'autre ne peut le vaincre que moi. Il a dit aussi qu'il était venu non pas pour condamner le monde mais pour le sauver.
Il s'agit ici naturellement de deux acceptions du mot monde. Le monde qu'il a vaincu, c'est celui de Judas, c'est celui de tous les pouvoirs établis, c'est celui de la cruauté des empires superpuissants et, finalement, c'est le satan qui est meurtrier depuis l'origine. Tout cela, il l'a vaincu !
Eh bien, nous devons prendre le risque comme Marie l'a pris de nous donner entièrement à ce Christ. Et ainsi par notre foi, soudés à sa Personne, nous pourrons aussi l'aider à vaincre le monde. Car, c'est cela qui est remarquable, il ne veut pas, et même il ne peut pas le vaincre sans nous parce que il faut que sa victoire acquise par sa mort sur la croix et sa résurrection soit réactualisée à tout moment de l'Histoire. C'est arrivé une fois, mais ça se revit dans ceux qui s'offrent à lui pour cette mission.
Mes frères,
Le contraste violent, abrupt entre la personne de Judas et la personne de Marie de Béthanie nous permet de saisir par le dedans la nature et la beauté de cette vertu extraordinaire qu'est la chasteté. La chasteté est radicalement, fondamentalement une qualité, et elle va transfigurer la chair.
La chasteté est aussi insaisissable qu'un parfum. On ne peut la cerner dans des concepts bien rationnels. Ce n'est pas possible. En fait, elle imprègne et elle transforme tout. Un homme, et à fortiori un moine, vaut ce que vaut sa chasteté. Elle est en lui, en tout lui jusque en ses cellules charnelles naturellement et spirituelles les plus intimes. Elle est un parfum extrêmement précieux.
Et le parfum que Marie de Béthanie avait généreusement versé sur les pieds de Jésus était l'expression matérielle, l'expression sensible de la chasteté qui imprégnait l'être entier de Marie. C'est cette chasteté qui permettait à Marie de toucher les pieds de Jésus, de les frotter de parfum, de les essuyer de ses cheveux. Et par ce geste très pur de chasteté, elle s'unissait sponsalement à Jésus, donc à Dieu.
Nous pouvons donc voir déjà que la chasteté est pureté, innocence, naïveté, audace, respect infini, gratuité. Tout cela est à l'intérieur du geste de Marie, et tout cela habite son coeur. Et c'est cela qui était le moteur de toute sa conduite et en particulier de ce geste qu'elle avait posé spontanément. Ce geste n'a pas été réfléchi, il n'a pas été raisonné. C'était la spontanéité de la chasteté.
Elle est donc, cette chasteté, l'amour dans ce qu'il a de plus délicat, de plus lumineux, de plus humble, de plus dépouillé. Et nous comprenons alors pourquoi elle va définir notre véritable qualité d'homme, de chrétien, de moine.
Maintenant en Judas, nous voyons surgir son hideux contraire. Il n'existe pas de nom pour cerner le contraire de la chasteté. Ce contraire est un monstre aux cent têtes et on le reconnaît aux ravages qu'il exerce.
On peut commencer par dire que le contraire de la chasteté est la convoitise, donc l'appétit désordonné de la possession et de la jouissance. Et ce contraire se situe au niveau le plus bas de l'avoir tandis que la chasteté se situe au niveau le plus élevé de l'être. Il y a donc une distance infinie entre les deux et ils ne se rencontre pas. L'un exclut l'autre.
Le contraire de la chasteté, nous pouvons aussi le voir comme une fuite en avant dans une recherche éperdue de puissance, de pouvoir, de richesses, d'honneurs, de plaisirs, la recherche de l'argent, cet argent qui procure tout. On achète tout avec de l'argent, même les consciences.
Alors, un coeur possédé par ce besoin, ce désir, cet appétit de puissance ? Eh bien, un coeur pareil n'a aucune considération des autres, aucun respect. Les hommes, pour lui, ce sont des objets, ce sont des éléments d'un prix de revient, ce sont des machines à produire. Et lorsque leur rendement baisse, lorsque ils deviennent moins utiles, on les éjecte et on les remplace par d'autres. Ils sont interchangeables. Ce sont des objets, des objets de production.
Mes frères, retenons bien ceci : la qualité de nos relations avec les autres est révélatrice de la qualité exacte de notre chasteté. C'est terrible, cela ! La façon dont je traite les autres, dont je les juge, dont je vis avec eux va révéler mon degré de chasteté. Chez Judas, il n'y en avait aucune ; chez Marie, elle était dans sa totalité. Mais il y a naturellement tous les niveaux intermédiaires.
Le contraire de la chasteté est donc l'absence d'amour, la dureté du coeur, et j'ose dire la cruauté car il est possible d'être cruel. Ce n'est pas une cruauté sadique qui va avoir plaisir à faire souffrir les autres, mais un défaut de considération des besoins des autres qui fait que on est cruel avec eux.
Que voulez-vous, il ne peut pas en être autrement car dans le contraire de la chasteté rien ne compte que l'affirmation de soi : moi, rien que moi. Alors là, on glisse très vite dans le satanisme.
Donc nous avons ici vraiment un contraste absolu entre Judas et Marie et nous voyons mieux ce qu'est cette chasteté. Donc, ne la cantonnons pas au corps. Oui, elle est aussi une qualité du corps, de la chair, mais elle est infiniment plus. Et pour mieux le comprendre, sachons que la source de la chasteté, c'est Dieu lui-même parce que Dieu est parfaitement chaste. Peut-être que c'est la toute première qualité de Dieu ?
Si bien que l'homme parfaitement chaste - s'il existe sur terre ? - il est devenu tout à fait semblable à Dieu. Ce sera notre qualité après la résurrection d'entre les morts. Lorsque notre corps spirituel sera parfaitement construit, à ce moment-là il sera parfaitement chaste.
Pourquoi ? Parce que le coeur de ce corps nouveau, ce sera le temple de l'Esprit. Et notre respiration, ce sera cet Esprit Saint exactement comme il est la respiration de Dieu. Et le mystère de la Trinité sera totalement accompli et vécu en chacun d'entre nous. A ce moment-là, nous serons chastes comme Dieu est chaste.
Mais aussi longtemps que nous sommes ici sur terre dans notre condition de pécheur, nous devons nous élever insensiblement vers cet état de perfection, c'est à dire nous laisser prendre par Dieu et nous laisser purifier jusqu'à ce qu'il nous élève jusqu'à lui. Et à ce moment-là, nous sommes, voilà, déjà dans la résurrection, dans l'univers de la résurrection.
Et Dieu lui-même est parfaitement chaste parce qu'il est la gratuité absolue. Il est dépossession totale. Il est parfaite extase d'amour. Voilà Dieu ! Dieu ne vit pas pour lui, Dieu vit pour autre que lui. Et c'est la raison pour laquelle il a été littéralement poussé à créer un être totalement différent de lui pour qu'il puisse se donner à cet être créé et en faire un autre lui-même.
Donc, le mystère qu'il vit à l'intérieur de son être et qui fait qu'il est Trinité de Personnes, il a voulu le projeter à l'extérieur et y englober une créature, ou des créatures autant qu'il y en aura.
Le démon par contre est le contraire de la chasteté parce qu'il est repliement sur soi. Il est fermeture aux autres et il est solitude hermétique. Donc absolument le contraire de nouveau.
Alors mes frères, nous devenons chastes, nous, dans la mesure où nous nous unissons à Dieu dans un abandon confiant, dans la mesure où nous lui permettons d'être Dieu en nous. Je pense que c'est tout de même une aventure qui vaut la peine d'être courue : devenir vraiment chaste comme Dieu l'est, lui permettre de réaliser cette merveille en nous jour après jour en chacune des choses qu'il nous demande.
Et dans le monastère, on n'est pas chez soi, on est chez Dieu. Et on vit toujours cette dépendance amoureuse vis-à-vis de Dieu, Dieu qui se donne à nous et puis qui veut nous rendre semblable à son être de chasteté.
C'est donc, mes frères, une grande chose que la chasteté. Elle est vraiment Dieu triomphant en nous. Il avait triomphé en Marie de Béthanie, oserais-je dire qu'il avait échoué en Judas ? Oui, à ce moment-là, au moment qui nous a été rapporté. Ici, c'était l'être de Judas, le contraire parce qu'il était vraiment possédé par le satan.
Mais nous ne savons pas ce qui s'est passé après. Cela ne nous regarde pas. Dieu n'a pas besoin d'une longue vie pour métamorphoser quelqu'un. Il peut le faire en un instant. C'est pourquoi, ne perdons jamais confiance.
Et si nous rencontrons bien des déboires sur la route, ne pensons jamais que nous n'y arriverons jamais, ne pensons jamais que nous n'arriverons pas à être un jour vraiment comme Dieu est. Ce serait faire injure à Dieu. Mais disons-nous que le chemin de Dieu n'est pas le nôtre et que ce qu'il veut réaliser dans son amour, il y arrivera. Pourquoi ? Parce qu'il est Dieu et qu'il est amour précisément.
Mes frères,
Quand nous parlons de Jésus, nous ne devons jamais perdre de vue que nous avons à faire avec Dieu. Nous serions facilement tentés de nous arrêter à l'humain de sa personne. Certes, cet humain est primordial mais il n'est pas unique. Le Seigneur Jésus, c'est Dieu. Les Apôtres ont dû souvent tomber dans le même travers de ne voir en lui que l'homme. Ce n'est qu'après avoir reçu l'Esprit Saint qu'ils ont enfin compris.
C'est donc à partir de l'éternité de Dieu que nous entrons dans l'épisode d'aujourd'hui. Cela signifie que cette scène du lavement des pieds nous est présente et que nous lui sommes présents. Elle n'appartient pas au passé, elle est d'aujourd'hui, elle est de tous les aujourd'hui de notre vie.
Nous avons vu le Seigneur, le Maître se mettre aux pieds de chacun de ses disciples. Eh bien, mes frères, nous devons comprendre que Dieu se tient toujours à nos pieds. Il n'est pas devenu homme pour se faire servir - il nous l'enseigne encore aujourd'hui - mais pour servir et donner sa vie.
Et nous alors, nous répugnerions de nous mettre aux pieds de nos frères, de nous mettre à leur service ? Mais c'est à l'intérieur de ce service que nous recevons la vie et que cette vie petit à petit fait de nous des dieux.
La scène extraordinaire que nous venons de contempler renferme un détail extrêmement révélateur du comportement instinctif de l'homme dans sa relation à Dieu. Il s'agit de ce réflexe de Pierre et, c'est un réflexe de refus : « Non, tu ne me laveras jamais les pieds ! » Jésus, nous l'avons entendu, savait que son Père avait tout remis entre ses mains, c'est à dire que le projet de Dieu dans sa totalité reposait entre les mains de Jésus.
Et voici que Pierre par son refus fait obstacle au plan de Dieu. Il ne laisse pas Dieu libre d'être lui-même dans la folle beauté de l'amour qu'il est. Il ne peut supporter que Dieu se mette à ses pieds. Et pourtant, l'unique route qui peut conduire l'homme au salut, c'est de se laisser servir par Dieu. C'est dans ce sens que le Seigneur Jésus a aimé jusqu'au bout.
Mais du même coup, par son refus Pierre s'excommunie. « Dans ces conditions, dit le Seigneur, tu n'auras pas de part avec moi. » Voilà, mes frères, jusqu'où cela peut aller.
Mais ce qui est relaté nous révèle aussi par contraste la nature du véritable comportement chrétien. Celui-ci a pour souci de laisser Dieu libre d'être lui-même dans nos vies. Ce comportement vrai est fait de confiance absolue, de respect, d'abandon, d'adoration.
Oui, mes frères, l'obéissance, la véritable obéissance qui est donc remise de soi à Dieu, l'obéissance qui permet à Dieu de faire en nous ce qu'il entend - or, ce qu'il entend, c'est de nous rendre semblable à lui jusqu'à la racine même de notre être - l'obéissance véritable est un sommet d'admiration. Elle est l'adoration par excellence.
Dans ces conditions, manger le corps du Christ, boire son sang de lumière ne doit pas devenir pour nous un geste de routine. En communiant à l'être même de Dieu, nous lui disons implicitement que nous le laissons libre d'être Lui à l'intérieur de nos vies, comme je le disais tout à l'heure, à la racine même de notre être.
Et ainsi nous le laissons libre de nous conduire jusqu'au terme de notre évolution humaine, à savoir la transfiguration, la divinisation et la résurrection. « Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, ce n'est plus lui qui vit, c'est moi qui vit en lui » dit le Seigneur. Et si je vis en lui, je le transfigure et je fais de lui, ici sur terre déjà, un autre moi-même.
Mes frères, le chemin de la vérité, le chemin de la réussite humaine, de la véritable et parfaite réussite d'une vie d'homme, elle passe par ce chemin. Ne le perdons pas de vue ! A nous maintenant d'être sincères, d'être logiques jusqu'au bout. La mort du Seigneur et sa résurrection sont présentes dans chacune de nos respirations. Puissions-nous ne jamais, ne jamais l'oublier.
Amen.
Mes frères,
Ce que nous venons d'entendre ne nous rappelle pas un événement d'un passé lointain. Non, la condamnation et la mise à mort de Jésus est un événement d'actualité. O, je ne pense pas à toutes les tortures infligées à des innocents aujourd'hui partout dans le monde. Non, je vais plus loin.
L'événement qui s'est passé alors est inscrit à l'intérieur de l'éternité de Dieu, si bien qu'il est de tous les instants. Nous devons savoir cette évidence, nous devons sans cesse y penser. Non pas de manière à en être obsédés, mais elle doit être à l'intérieur de nous comme le moteur qui nous permet d'avancer vers le Royaume et comme une clef d'interprétation de ce qui nous arrive à nous-mêmes, et de ce qui arrive aux autres.
Car nous sommes tous des dévoyés, nous sommes tous des infirmes, des malades et nous devons être redressés, et nous devons être guéris. Et ce n'est possible qu'en nous unissant, nous pécheurs, à celui qui a pris sur lui le péché de tous les hommes, lui qui était l'innocent parfait, lui qui était la pureté dans son expression la plus extraordinaire car divine.
Et en nous unissant ainsi au Seigneur Jésus qui est notre Père, et en le faisant de façon de plus en plus consciente, à ce moment nous faisons progresser l'univers vers sa santé, vers son salut, vers sa transfiguration.
Dès l'instant où nous donnons à Dieu toute liberté d'être lui-même et d'achever en nous et dans le monde son œuvre de création ou de recréation, dès l'instant où nous lui permettons d'être Dieu, alors nous obtenons de lui tout ce que nous voulons.
Notre liberté en effet épouse la sienne et nous entrons avec lui dans les espaces sans limites de ses vouloirs mystérieux qui convergent tous dans une visée unique : faire de nous ce qu'il est, faire de nous des saints, des êtres transfigurés, des êtres divinisés.
Et cela, à partir d'hommes pécheurs et même d'hommes qui vivent sans savoir ce qu'ils font, sans savoir que lui est là et que notre être repose entre ses mains.
C'est ce que vient de nous dire l'Apôtre. Le Christ, a-t-il dit, a présenter sa prière à Dieu qui pouvait le sauver de la mort. Et parce qu'il s'est soumis en tout, il a été exaucé. Conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel.
L'Apôtre ne pouvait pas être plus clair. La merveille que Dieu a réalisé dans le Christ comme dans la tête d'un corps immense, il entend la réaliser en chacun de nous. Mais la condition est toujours là : nous devons permettre à Dieu d'agir dans notre coeur par les moyens qui lui sont bons.
Mais, comme je l'ai dit il y a un instant, lorsque nous épousons ainsi son vouloir qui est amour, nous devenons libre de sa liberté et, comme le Christ nous échappons à tout, même à ce qui en nous essaye toujours de nous attirer vers le mal.
Le récit que Jean nous fait de la passion nous montre à l'évidence que Jésus était en possession d'une liberté intérieure qui lui permettait de maîtriser les événements. Il n'était pas un être écrasé par eux comme cela pouvait apparaître à des témoins voyant les choses de l'extérieur. Non, l'homme-Jésus accepte en effet que Dieu son Père soit le maître de son destin.
Il ne peut en être autrement. Jésus, ne l'oublions jamais, je l'ai encore rappelé hier, Jésus est Dieu. Il est le Verbe de Dieu, il est l'expression même de la volonté de Dieu. En lui le Père et sa volonté coïncident. Mais attention, tout cela à l'intérieur d'une chair d'homme.
Attention encore ! Dans le chef de Jésus-homme, ce n'est pas une abdication servile de sa part, mais c'est l'entrée noble et souveraine dans le fait que Dieu a le droit d'être Dieu.
Alors, Dieu aurait-il voulu positivement la passion de son fils ? Dieu organiserait-il les maux et les malheurs qui frappent aveuglément les hommes ?
Non, nous ne pouvons pas succomber à cette pensée sacrilège. Dieu est amour et il veut nous faire participer à son propre bonheur. Mais alors, la réponse est toujours à la mesure de ce qu'est Dieu.
Si Dieu attend que nous le laissions libre d'être Dieu dans tout son agir, lui de son côté nous laisse totalement libres d'être nous, dussions-nous sombrer dans les aberrations les plus folles et les plus désastreuses. Dieu est amour jusque là, il nous respecte jusque là.
Mais n'allons pas nous imaginer qu'il nous laisse aller à notre perte, à notre malheur. Non, il a tout pris sur lui. Il est comme un immense récipient à l'intérieur duquel tous les maux, tous les malheurs viennent se ramasser pour être transfigurés.
Vous allez dire : « Mais ça n'apparaît guère, ça ne change rien à la situation du monde. » Peut-être, mais il y a tout de même quelque chose qui change. Nous ne le voyons pas parce que nous avons encore des yeux trop charnels.
Mais le saint, l'homme qui est en possession de son corps spirituel, celui-là, des yeux de son coeur il voit. Il voit la métamorphose qui s'opère et tous ces hommes, toutes ces femmes, tous ces enfants, tous ces vieillards, tous ceux qui souffrent, il les voit en train de recevoir une forme nouvelle qui sera leur forme pour l'éternité.
Jésus est venu, comme il l'a dit lui-même, il est ainsi venu pour rendre témoignage à la vérité totale, et sur Dieu et sur l'homme. Dieu est allé chercher l'homme au plus bas de ses refus, au plus profond de ses malheurs. Il a voulu expérimenter lui-même l'horreur de la souffrance, son caractère injuste, toutes nos répugnances qui sont en nous vis-à-vis de la souffrance. Vraiment, mes frères, là au moins l'homme a permis à Dieu d'être Dieu jusqu'au bout.
Et maintenant, nous lui permettrons d'être lui à l'intérieur de notre vie. Ce sera un sommet d'adoration, ce sera un sommet de respect, ce sera le sommet de notre amour. Et à ce moment, l'expérience est là pour le prouver, tout s'éclairera à nos yeux et nous verrons notre vie se construire, nous verrons la création s'achever et nous la verrons déjà déboucher sur sa transfiguration.
O, si nous pouvions seulement avoir le regard d'un saint, à cet instant même nous verrions notre Christ, et sa Mère, et la foule de tous les hommes, de tous les humains qui ont traversé les souffrances de cette vie. Nous verrions ceux qui sont en train de souffrir maintenant dans des situations sans issue, nous les verrions déjà vêtus de lumière.
Mes frères, telle est la vision que nous devons retenir des célébrations de ces jours très saints. Nous ne devons jamais séparer le vendredi-saint du lendemain, de Pâques. Pour le Christ, cela a duré trois jours, pour l'Histoire du cosmos, cela s'étend sur les jours de Dieu que nous ne pouvons compter. Mais l'issue est la même, c'est la victoire totale de Dieu sur tout ce qui est mal, sur tout ce qui peut faire souffrir.
Alors, en vénérant la croix de notre Christ, humblement nous chanterons notre repentance et notre désir de conversion, celui-ci se concrétisant par la remise de tout notre être entre les mains de notre Dieu qui est amour.
Amen.
Mes frères,
Je ne pensais pas du tout vous adresser quelques mots ce soir. Mais en entendant le Cardinal Ratzinger nous parler de la mort de Dieu, je me suis rappelé une chose, celle-ci : Si nous voulons atteindre les sommets dont nous parle Saint Benoît, sommets de contemplation et sommets de vertus, nous devons arriver à un point au-delà duquel Dieu est mort.
Il ne s'agit pas là d'une façon de s'exprimer. Non, c'est une sorte de point de non-retour. Pour le moine, pour le saint, Dieu est réellement, véritablement, existentiellement mort. C'est à dire qu'il n'y a plus de Dieu, on n'a plus à s'en occuper, c'est fini !
Et pourtant, il faut à l'intérieur d'un cadre monastique continuer à tout faire comme si Dieu était. C'est ce comme si qui est le vêtement d'une foi et d'une espérance qui sont absolument nouvelles.
C'est à ce moment-là que l'Esprit de Dieu s'empare d'un homme et l'introduit dans une nuée - la nuée qui est lumineuse mais qui malgré tout est une nuée - à l'intérieur de laquelle il révèle son être véritable.
Car ce qui doit mourir pour l'homme appelé à la sainteté, ce sont toutes les idoles. Or nous sommes des idolâtres invétérés, nous ne sommes pas encore convertis. Le fond de paganisme est toujours extrêmement puissant à l'intérieur de notre coeur et de notre raison. Or il faut que ça disparaisse.
Il est donc nécessaire d'arriver à un point qui, je le rappelle, est de non-retour, au-delà duquel absolument plus aucune représentation de Dieu ne devient possible. Dieu est parti des sens. Il est parti de l'imagination. Il est parti du coeur. Il est parti de la raison et il est même parti de l'esprit. On est vide.
Il faut donc vivre la réalité du samedi-saint, c'est à dire descendre dans le fond du fond. Car Dieu - le Dieu véritable pas l'idole derrière laquelle nous courons - mais le Dieu véritable ne se révèle jamais tel qu'il est que dans le vide et dans le rien.
Ce sont là des réalités déroutantes et, pour les affronter il faut être extrêmement fort, non pas d'une force humaine mais de la force de l'Esprit. Il faut que on ait été vidé de toutes ses capacités humaines pour redevenir un petit rien, car le rien qu'on devient est seul capable de rencontrer le rien qu'est devenu Dieu.
Mes frères, le mystère que nous vivons en ces jours, qui est le mystère de la mort de Dieu mais aussi de la résurrection d'un homme, du Seigneur Jésus qui est tout à la fois et Dieu et homme, ce mystère-là, c'est le nôtre. Il faut qu'il y ait quelque chose en nous qui meure.
Il faut qu'il y ait quelque chose en nous qui reçoive une vie nouvelle, une vision nouvelle, une connaissance nouvelle, un vouloir nouveau, un coeur nouveau adapté à l'univers de Dieu, cet univers que nous ne pouvons pas saisir, que nous ne pouvons pas connaître naturellement.
Vous vous souvenez, il nous a été dit au cours de la retraite que au Moyen Age encore, les grands Spirituels étaient adversaires farouches de la théologie rationnelle. Soit, ils étaient en retard sur leur Temps et cette théologie a tout de même fini par triompher, par s'imposer. Et aujourd'hui, on n'imagine plus une théologie qui ne soit pas scientifique. Voilà ce qui nous a été dit, vous vous en rappelez certainement ?
Eh bien, je pense que nous devons mettre un bémol à cette affirmation. Nous devons savoir que la véritable théologie, c'est à dire que la véritable science de Dieu, la véritable parole sur Dieu est une parole qui n’est pas rationnelle.
Elle est construite sur rien du tout. Elle est simplement une intuition qui part du coeur et qui traverse toutes les obscurités pour rencontrer une certitude qui est la vision d'une lumière.
Car Dieu est lumière et c'est dans la lumière qu'il se révèle. Mais ce n'est pas une lumière qui éclaire la raison, c'est une lumière qui la plonge dans l'obscurité mais qui la pacifie, qui la rassure. Car la raison, grâce à son intuition, sait qu'elle a rencontré Dieu.
Et peu à peu alors, le visage et puis tout le corps du Christ ressuscité apparaissent et on est entré dans ce monde et on n'en revient jamais. Car une fols que les morts sont morts, on ne les revoit plus et une fois qu'un saint a traversé, a atteint ce point de non-retour, il est mort et on ne le reconnaît plus.
Voilà, mes frères ce qu'il m'est venu à l'idée en entendant parler le Cardinal Ratzinger. Il dit peut-être autre chose. Pour lui, la mort de Dieu, c'est le grand cri de Nietzsche : « Vraiment nous avons tué Dieu dans le Christ et Dieu est disparu. »
Mais attention, ne l'oublions jamais, ne le perdons pas de vue, c'est que notre Dieu est un Dieu caché, c'est un Dieu qui se révèle uniquement lorsqu'on lui permet d'être Dieu, lorsqu'on se cache à l'intérieur de ses vouloirs bien concrets de tous les jours, à tel point qu'on le laisse envahir toute la personne, nous mettre vraiment à la porte de nous-mêmes, devenir un être extatique parce que on ne vit plus en soi mais on vit en lui.
Et alors, entraîné dans sa mort et dans son rien, on peut finalement le découvrir tel qu'il est et commencer à être rassasié d'un rassasiement qui durera toute l'éternité.
Mes frères,
Notre vision de l'Histoire ne peut être à court terme comme si elle était hypnotisée par le présent fugace tronqué de ses origines et de son avenir. Si nous sommes enfants de Dieu, nous sommes contemporains des origines du monde et de ses ultimes accomplissements. C'est là une évidence qui devrait nous pénétrer à toute heure de notre vie car la veillée de cette nuit nous ramène à cette vérité.
Oui, nous sommes éternels. Et le contemplatif entré dans cet univers nouveau dont le Christ est la tête et le Prince - lui qui sait car il voit - il a conscience d'avoir toujours existé et d'exister pour toujours. Il est né dans le coeur de Dieu de toute éternité et il sait qu'à présent, la vie qu'il possède, il ne la quittera jamais.
Oui, notre noblesse est dans notre nature divine qui nous permet de dominer le monde et d'en diriger secrètement la marche. Dieu n'est pas jaloux de ses pouvoirs, il les partage en totalité avec ses enfants.
Oui, mes frères, nous n'avons pas suffisamment la perception de ce que nous pouvons. Mais rappelons nous ce que le Seigneur Jésus nous a dit un certain moment : « Si vous avez un grain de foi, mais pas plus volumineux qu'une graine de moutarde, à ce moment-là vous pouvez dire à cette montagne : Change de place et jette-toi dans la mer. Et elle vous obéira. »
Mes frères, n'allons pas maintenant penser à des choses fantasmagoriques. Non, la montagne à soulever et à engloutir dans la mer, c'est la montagne de nos péchés, c'est la montagne de tout ce qui nous étreint et qui nous empêche d'être pleinement nous.
Cette maîtrise radicale sur le monde dans son ensemble, elle dépend en fin de compte de nous, de notre réponse à Dieu et de notre foi. Nous laissons-nous travailler par les énergies de la résurrection ? Sommes nous des ressuscités dégagés des séductions du péché et de la peur de la mort ?
Nous le sommes, si notre nourriture première est Dieu lui-même caché à l'intérieur de ses vouloirs. Nous le sommes, si Dieu a le champ libre dans notre coeur et dans tout notre être. Nous le sommes, si nous devenons un seul esprit avec le Christ ressuscité.
L'homme en voie de résurrection est un homme doté d'organes spirituels nouveaux. Cet homme voit Dieu dans sa lumière et il entend le chant très mélodieux de sa voix. Cet homme est dévoré par l'amour, c'est un homme au coeur dilaté aux dimensions de .....
Et cet homme, fut-il le plus insignifiant des êtres, le plus inconnu, le plus méprisé, cet homme est en réalité le moteur de l'Histoire et le gouvernail du monde. Il est le maître de l'univers car ce n'est plus lui qui vit, c'est le Christ créateur, et rédempteur, et divinisateur qui vit en lui.
Il a comme le Christ et avec lui d'abord touché le fond du fond dans un dépouillement qui a été sa façon de mourir, de disparaître, de ne plus être. Il a permis à Dieu d'être Dieu en lui. Il s'est vidé de tout lui pour laisser toute la place à Dieu et il s'est retrouvé possédé par Dieu, animé par Dieu, passé tout entier dans la vie impérissable. Il sait que tout pouvoir lui a été donné. Mais attention, c'est un pouvoir de service pour conduire chaque être, chaque chose à son achèvement.
Mes frères, telle est la sublimité de notre vocation chrétienne dans l'effacement, dans l'humilité, dans la douceur, dans la bienveillance, dans la compassion. Permettons à Dieu, permettons au Christ ressuscité de nous acheminer jusque là, c'est son plus grand désir et notre plus grand bonheur. Oui, notre Dieu a besoin de nous et il nous attend. Amen.
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Mes frères,
Nous venons d'entendre l'Apôtre nous chanter notre gloire de ressuscités. C'est à nous qu'il s'adresse. Partageons-nous son enthousiasme ou bien sommes-nous distraits ? Notre coeur n'est-il pas en train de vagabonder ailleurs ? Cette joie de la résurrection est-elle vraiment l'acte de notre vie ?
Sa parole est bien autre chose qu'un thème d'homélie. Ces paroles sont Esprit et elles sont Vie. Elles nous disent notre réalité d'aujourd'hui et de toujours car nous sommes déjà ressuscités avec le Christ, lui qui est notre tête.
Ne voyons-nous pas, mes frères, que chacun d'entre nous est lumière en lui ? Ne voyons-nous pas que le ciel tout entier est en nous et parmi nous ? Si Saint Benoît se hâte de purifier notre coeur, c'est pour que nos yeux de ressuscités soient pleinement ouverts et contemplent les beautés qui sont nôtres comme elles sont celles de Dieu.
Le but de notre vie n'est pas la corruption et le retour au néant. Le but de notre vie est une gloire sans nom, celle même du Christ. Et cette gloire est déjà présente mais nous la portons dans le vase d'argile de notre corps. Est-il possible de voir à travers les parois de ce vase ? Oui, c'est possible, car le regard de notre foi, les yeux de notre coeur spirituel percent tous les obstacles.
Alors, mes frères, admirons sans réserve la gloire secrète de chacun d'entre nous. Telle est la source de l'estime, du respect, de l'amour que nous devons à chacun et à tous. Nous vivons ainsi en ressuscité témoignant par toute notre conduite que le ciel est en nous. Les hommes ont tellement besoin de cette espérance et de cette certitude. Alors, mes frères, n'hésitons pas à leur donner.
Nous devons bien savoir que cette résurrection du Christ est non seulement un fait attesté historiquement, mais nous devons savoir qu'elle est un fait inscrit dans l'éternité même de Dieu, là où la temporalité est comme ramassée, condensée à un degré absolument inimaginable au point qu'elle est devenue le présent absolu.
Eh bien, c'est à l'intérieur de ce présent que nous devons vivre car c'est là notre véritable lieu. Puisque nous sommes des ressuscités en Christ, là est le lieu d'où nous pouvons tout contempler, d'où nous pouvons tout comprendre.
Car il n'est rien dans notre vie, il n'est rien dans la vie des autres, ni dans la grande histoire cosmique, il n'est rien qui ne soit orienté vers ce lieu qui est premier et qui est dernier, rien qui n'ait son sens en lui. Même ce qui nous paraît absurde, même ce qui nous paraît vraiment contraire à toutes les lois de la raison ou de l'équité, tout cela a un sens.
Nous ne devons pas séparer la résurrection du Christ de sa passion, les deux forment un tout. Nous ne devons pas dans notre vie séparer ce qui peut nous atteindre au plus intime de nous et nous faire souffrir de ce qui est déjà pour nous le germe de la résurrection.
Mes frères, l'étonnement et l'émerveillement de Marie-Madeleine, puis de Pierre et de Jean devrait être nôtre à toute heure car le chrétien est un homme émerveillé. La résurrection du Christ est la nôtre, je le répète, non pas pour demain mais pour tout de suite. Nous sommes en voie de résurrection.
O, si nous pouvions être attentifs à cette réalité merveilleuse, je pense que notre vie serait métamorphosée dès cet instant même. Laissons donc Dieu libre d'être amour en nous jusque là ! C'est, mes frères, mon souhait de Pâques à l'adresse de chacun de vous, c'est ma prière pour chacun d'entre vous.
Amen.
Mes frères,
Je pense là-dedans que il faudrait d'abord bien préciser qu'il ne s'agit pas de l'exercice de l'autorité en général, dans l'abstrait, mais à l'intérieur d'un monastère cistercien qui vit selon les préceptes définis par Saint Benoît.
On parle de l'exercice de l'autorité aujourd'hui, donc dans les circonstances actuelles, mais doit-on en déduire que les principes posés par Saint Benoît seraient dépassés et qu'il faudrait aujourd'hui se fonder sur d'autres critères mieux adaptés à notre Culture et à notre mentalité.
C'est peut-être cela qui est sous-jacent surtout que on fait appel à une Etude de ce Centre-Sèvres qui est un haut lieu de la réflexion Jésuite. Mais l'exercice de l'autorité chez les Jésuites ou dans un Institut Apostolique est tout différent de ce qui se passe à l'intérieur d'un monastère.
Imaginons deux ou trois missionnaires, là, perdus au loin, n'importe où en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud. Est-ce que l'exercice de l'obéissance pour eux sera la même chose que pour un moine dans son monastère ?
L'autorité donc d'un Supérieur qui pourrait être extrêmement lointain, quasi inexistant est-elle la même que celle d'un Abbé qui est en contact quotidien, en coude à coude avec ses frères ? Je pense qu'il faut d'abord bien rester à l'intérieur du monastère.
A mon avis, l'exercice de l'autorité dans un monastère repose toute entière sur un principe qui a été posé par Saint Benoît et qui, à mon avis, va durer toute l'éternité aussi longtemps qu'il y aura des moines. Et c'est celui-ci : studeat, dit-il, prodesse magis quam praeesse, 64,23.
C'est très difficile, c'est quasi impossible de le traduire correctement en français. Donc, qu'il fasse, qu'il s'ingénie à être utile à ses frères plutôt que de se tenir au-dessus d'eux.
L'Abbé est donc, dans son autorité d'Abbé, un homme qui doit être utile, qui doit apporter quelque chose à ses frères. Et que doit-il leur apporter ? Eh bien il doit leur apporter la vie, et pas n'importe quelle vie, mais la vie éternelle.
Et dans ce sens, c'est un ...?... . Il faut recourir toujours à l'étymologie latine qui est très importante. C'est à dire, c'est un homme qui fait croître. Il est, je dirais, comme un soleil - appelons ça ainsi qui au printemps, regardez un peu en quelques jours comme les marronniers ont donné leurs feuilles, voyez, il fait croître par la puissance de la vie qu'il porte dans son coeur. Ce n'est pas la sienne, c'est la vie même de Dieu.
Donc voilà, il est donc nécessaire que l'Abbé soit le tout premier dans le monastère à croire qu'il tient la place du Christ. Et ça doit aller plus loin, il doit permettre au Christ d'occuper toute la place en lui. Ce doit être un homme mort à lui-même.
Cela ne veut pas dire qu'il n'a pas de personnalité, loin de là ! Sa personnalité est extrêmement puissante parce que ce n'est plus lui qui doit vivre, c'est le Christ qui vit en lui et qui s'exprime par lui.
Donc ça, vous voyez, c'est l'idéal, naturellement ! Et il ne s'agit pas de n'importe quel Christ. Ce n'est pas un Christ abstrait, c'est le Christ ressuscité, c'est à dire qui possède la plénitude de la vie.
Donc il faudra que l'Abbé présente toujours à ses frères les principes d'une vie nouvelle, de jugements nouveaux, de visions nouvelles, de normes nouvelles. Il doit donc être pour eux un agent et une source de nouveauté.
Il doit donc dans sa vie et dans son agir, il doit abandonner toute approche charnelle. Donc, l'approche charnelle, c'est ce qui vient de la nature comme telle, qui n'est donc pas travaillée, métamorphosée par le divin. C'est donc condamné à disparaître. C'est quelque chose de provisoire, ce n'est pas quelque chose d'éternel.
Maintenant, il n'y aura pas d'approche charnelle en lui s'il abandonne tout esprit de domination. Encore une fois, comme le défini Saint Benoît, il ne doit pas praeesse en premier lieu. Il ne doit pas dominer et puis du haut de la place qu'il occupe régenter tout ce qui se passe dans le monastère et même dans la conscience de ses frères. C'est loin de là !
Mais en lui doit être, doit régner un esprit de service. Il doit prodesse, il doit servire multorum moribus comme dit aussi Saint Benoît, 2,85. Il doit être au service des caractères d'un grand nombre.
II doit s'attendre à heurter les frères qui seront encore dominés par la chair, donc par une approche naturelle de leur personne et des choses. L'autorité doit donc toujours être armée de patience, mais ne pas céder à la compromission. Ce qui est vrai est vrai, au plan de Dieu. Cela peut heurter au plan de la nature. Dès lors, il faut donc patienter pour que la vision du frère s'ouvre à la surnature, mais il ne faut pas céder sur le principe qui ne dépend pas de lui mais qui vient de plus loin que lui, qui vient de Dieu.
Maintenant, l'autorité de l'Abbé doit être toujours saisie en même temps que l'obéissance des frères. Dans le fond, autorité de l'Abbé et obéissance des frères, ce sont les deux visages d'une même réalité intérieure qui est une liberté consciente de ses engagements. L'idéal est que l'Abbé soit libre et que les frères soient libres. Mais ils ont bien conscience de ce à quoi ils se sont engagés en répondant à l'appel de Dieu.
Maintenant, dans le chef de l'Abbé, il faut qu'il y ait l'accueil des autres tels qu'ils sont, et cela dans le respect et la confiance. Le frère est ce qu'il est, mais il est appelé par Dieu. C'est ça qui est premier. Il faut donc, puisque Dieu fait confiance en ce frère qu'il appelle, il faut donc que l'Abbé entre dans la confiance que Dieu fait.
Alors instinctivement il va respecter le frère, tel qu'il est dans sa faiblesse et sa fragilité, dans ses défauts, dans ses péchés, dans ses complexes. C'est la première chose. Et puis il doit petit à petit ouvrir les frères à leur potentialité explicite et implicite parce que les frères ne se connaissent pas tels que Dieu les connaît.
Alors Dieu a de très grandes vues sur eux. Dieu veut les conduire à la sainteté. Il y a donc des potentialités, des possibilités qui sont là bien réelles, qu'on voit et puis d'autres qui sont comme cachées. Et il faut faire tout, tout grandir, encore une fois comme au printemps il y a toutes les potentialités de la nature qui vont se développer, qui vont apparaître à nos yeux pour notre joie.
Il faut donc que l'Abbé conduise chaque frère à l'épanouissement spirituel et humain le plus élevé. Humainement aussi parce que c'est l'humain qui doit être spiritualisé et métamorphosé. On ne peut pas le laisser de côté. On ne peut pas le brimer. Il faut donc que l'Abbé n'ait pas peur de mettre en valeur les qualités humaines et les talents, les talents qu'il découvre chez un frère.
Voilà, et maintenant du côté du frère ? Eh bien le frère, il lui faut chez lui une écoute confiante de la parole qui veut le diviniser et le transfigurer. Et cette parole lui vient par l'Abbé, l'enseignement public de l'Abbé, l'enseignement privé de l'Abbé et puis tout ce qui se fait à l'intérieur du monastère.
Car tout ce qui se fait, tout ce qui se dit est aussi une parole. Cela vient des frères, cela vient des circonstances, enfin cela vient d'une quantité de choses. On est ici chez Dieu et tout baigne dans le divin. Il faut avoir cette vue de foi.
Donc ce sera un esprit de foi toujours en éveil. Et dans le frère, ce n'est pas une démission de soi, mais c'est une croissance dans la liberté. Encore une fois, il faut que chacun grandisse dans la liberté, et l'Abbé, et le frère.
Il y a donc de part et d'autre une exigence de vérité de plus en plus entière et cela dans l'accueil mutuel, à travers les infirmités, les faiblesses, les erreurs aussi, les péchés. Personne n'est parfait et il faut que tout le monde s'accueille vraiment dans la vérité de sa faiblesse. Nous sommes tous des pécheurs qui doivent être rachetés, qui doivent être sauvés et métamorphosés. Dans le fond, ce qu'il faut, c'est qu'il y ait de part et d'autre une sincère recherche de Dieu et un oubli de soi.
Et alors pour clôturer, ceci qui peut-être ne ferait pas plaisir à des Abbés, je ne sais pas? C'est qu'il faut bien se dire ceci : Le premier responsable de toutes ces choses là, c'est l'Abbé. Saint Benoît dit bien : il devra rendre compte de l'obéissance de ses disciples.
Donc, lorsque vous aurez un Abbé devant le tribunal de Dieu et puis sa communauté, Dieu ne va pas demander à chacun des frères: comment avez-vous obéi mes amis ? Mais il demandera à l'Abbé : Comment vous êtes-vous arrangé pour que vos frères puissent obéir ? Voilà !
Et je pense que ça pourrait être le mot de la fin. C'est que l'exercice de l'autorité aujourd'hui engage la responsabilité de l'Abbé vis-à-vis de l'obéissance des frères. Et l'obéissance des frères sera toujours conditionnée par l'obéissance de l'Abbé à l'Esprit de Dieu.
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Mes frères,
Au lendemain des célébration Pascales, nous retrouvons notre ami Dosithée. Nous avons déjà avec lui réfléchi aux deux premières consignes que la Dame mystérieuse lui avait confiés, à savoir jeûner d'abord et ensuite ne pas manger de viande. Nous allons maintenant analyser la troisième de ces consignes. La Dame lui avait dit : Prie continuellement. C'est le fameux précepte de la prière continuelle.
Le terme grec utilisé pour rendre cette continuité dans la prière est ............ Cela signifie que la prière ne peut pas connaître d'interruption. Toutes les parties de cette prière se tiennent, s'enchaînent. Il n'y a pas de solution de continuité. L'homme tout entier devient prière de nuit comme de jour, pendant son sommeil comme pendant ses périodes de veilles.
Ce n'est possible, vous le comprenez, que si on est totalement assimilé au Fils de Dieu, au Verbe de Dieu, au Christ Jésus qui, lui, étant Dieu, étant la seconde Personne de la Trinité, était toujours en communion et avec le Père, et avec l'Esprit Saint et en même temps avec les hommes, et à travers les hommes avec le cosmos entier. Donc, l'homme-Jésus était la prière par excellence.
Mais nous autres, quand nous parlons de prières, nous pensons instinctivement à la prière de demande. Il faut revenir toujours aux termes qui ont été utilisés par ceux qui nous ont transmis cette Tradition.
Le latin, c'est l'oratio. Cela signifie que l'on est toujours en conversation avec Dieu. La prière, comme dira le grec cette fois-ci, est une homilia. Donc c'est un discours, un entretien, un commerce, une communion permanente avec Dieu.
Certes, il y a des moments d'intensité plus grande, il y aura des fléchissements comme pendant le sommeil par exemple. Mais l'être du moine étant divinisé, il est lui mystiquement mais bien réellement aussi au coeur de la Trinité et en communion avec les autres hommes et le cosmos.
C'est donc cela la prière vraiment continuelle. On prie autant qu'on existe. On a été transféré à l'intérieur de la création nouvelle et, voilà, on est exactement comme le Christ, mais par grâce et de façon participée. Et on est une oraison ou bien une homilia permanente qui ne connaît pas d'interruption.
C'est vraiment là le sommet de tous les sommets possibles et on peut même se demander s'il est accessible dans sa perfection ici sur terre ? Nous n'en savons rien. Nous devons le croire que c'est possible parce que c'est ce sommet que nous devons gravir, ou plutôt, c'est sur ce sommet que nous devons être élevés.
Lorsque nous sommes devenus tout légers, comme je l'expliquais, quand nous n'avons plus de poids, le pontus carnis est réduit à rien. C'est là, c'est à cet état que conduit le jeûne. On est tout à fait vidé de soi, c'est à dire que le jeûne de nourriture matérielle et le symbole d'un autre vide qui est celui de toute prétention, de tout orgueil, de tout retour sur soi. Etant vidé de soi, on est devenu tellement léger que l'Esprit Saint qui est un Souffle extrêmement ténu peut nous élever sur ces sommets.
Voilà, mes frères, en quoi consiste la prière continuelle qu'ambitionne tout moine digne de ce nom. Maintenant, pour parvenir là au-dessus, il y a tout de même des sommets intermédiaires. Et lorsque la Dame donne cette consigne à Dosithée, elle lui donne un conseil qu'il va appliquer scrupuleusement et qui est à la portée de ce jeune garçon.
Elle ne lui enjoint donc pas de s'envoler tout de sui te là tout au-dessus. Non, mais elle l'invite à se mettre en route et à gravir cette montagne, et puis à se laisser entraîner, à se laisser porter petit à petit vers ce sommet final.
Voilà, il est déjà 19h05. Nous verrons demain dans la pratique comment cela s'est présenté pour Dosithée et comment cela peut se présenter pour nous.
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Mes frères,
Avant d arriver sur les tous hauts sommets de la montagne spirituelle, nous qui sommes encore dans les marécages de la terre, nous devons nous attacher à gravir avec courage de petites collines qui, à notre échelle, sont déjà de beaux sommets.
C'est le conseil qu'avait donné cette brave Dame à Dosithée et ça lui donne une méthode qui est à l'usage de la gens monastique depuis l'origine je pense. N'oublions pas que Dorothée de Gaza et Dosithée donc sont encore contemporains de Saint Benoît. C'est déjà assez tard donc.
Eh bien, ce que l'on retrouve dans la littérature monastique, c'est le devoir que doit se faire le moine de répéter sans cesse une petite formule qu'il lance vers Dieu. On appellera ça plus tard des oraisons jaculatoires. Jacula, c'est un trait, un javelot.
C'est une formule d'imploration, une formule de louange, appel au secours, c'est un cri, c'est un gémissement, c'est un chant d'enthousiasme. Mais le moine est ainsi toujours en relation de confiance avec Dieu et, Dieu n'est pas sourd.
C'est Dieu qui éveille d'ailleurs ce besoin de contact dans le coeur du moine. Dieu va donc répondre à sa manière, pas à la manière d'un homme. Il ne faut pas attendre de Dieu un miracle par exemple. Saint Paul nous dit bien que les miracles, c'est pour les incroyants, c'est pour éveiller leur attention.
Mais pour le croyant, lui, celui qui connaît Dieu, qui sait que la réponse qu'il reçoit échappe aux prises de la conscience, aux prises de la sensibilité mais que une transformation, une croissance s'opère dans le secret.
Il s'agit là un peu d'une - comment dire cela ? - d'une initiation, voilà le terme. Un moine, un Père Spirituel confie à son disciple une formule que le disciple reçoit alors comme un trésor et qu'il va faire fructifier.
Il y a donc une Tradition. C'est comme un secret qu'on se confie de bouche à oreille. On ne le livre pas à celui qui n'est pas capable d'en profiter. Le Christ dit la même chose. Il dit : Ne jetez pas vos perles devant les chiens ni devant les pourceaux. Pourquoi ?
Parce que, eux, ce qui les intéressent, c'est des épluchures de pommes de terre, ou bien c'est un petit morceau de viande pour un chien, mais pas des perles parce qu'ils ne seront pas contents et ils sont capables alors de vous mordre et de se retourner sur vous. Donc c'est la même chose dans la race des moines, il y a des choses qu'on ne confie pas à tout le monde.
Eh bien, voici ce que faisait Dosithée, voici ce qui lui avait été confié : Dorothée, donc son Père Spirituel, Père dans le sens strict du mot parce que c'est vraiment Dorothée qui l'a engendré à la vie divine, Dorothée lui avait transmis l'usage de dire sans cesse - vous avez là la Tradition, la paradosis en grec - c'est bien çà.
Dorothée lui avait dit : « Voilà ce que tu dois faire. Tu dois dire sans cesse Seigneur, aie pitié de moi ! Donc, c'est le Kyrie eleison ; ou bien Fils de Dieu, viens à mon aide ! et cela par intervalle. Telle était sa prière continuelle.
Donc, c'est ainsi que Dosithée obéissait à la Dame. Il répétait sans cesse soit Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi ! soit Fils de Dieu, viens à mon aide ! Ce n'était pas une répétition machinale, c'était vraiment une prière. Lorsqu'il dit cela, il a conscience de s'adresser à quelqu'un. Ce n'est pas quelque chose de machinal. Non, il parle au Fils de Dieu, il parle au Seigneur Jésus-Christ et il demande d'être pris en pitié ou bien d'être aidé. Viens à mon aide !
C'est - nous le verrons quand nous aurons terminé avec ceci - c'est ce que Macaire aussi avait conseillé à Evagre. Cassien, lui, reçoit d'un Père du désert une autre formule, celle que nous récitons au début de l'Office : Seigneur, viens à mon aide, hâte-toi de me secourir. Mais c'est toujours un appel à l'aide. Je vous assure que ce n'est pas si simple que cela.
C'était peut-être plus facile à l'époque parce que on était moins dispersé. Maintenant, nous sommes devenus des gens savants. Nous faisons de la théologie, de l'exégèse, de la philosophie, enfin toutes sortes de choses bien dans le domaine, disons, de la vie avec Dieu, mais dans le sens large du terme. Cela fait que nous avons l'esprit trop rempli, trop rempli.
Ces gens-là n'avaient rien. Ils n'avaient pas de livres, un peut-être ? Un manuscrit qu'on se passait de l'un à l'autre. Mais voilà, c'étaient des gens qui vivaient encore de l'écoute. Rappelons-nous que la psalmodie, c'est l'écoute par excellence de la Parole de Dieu.
Ils avaient donc le coeur beaucoup plus libre et, d'instinct, ils se tournaient vers ce Dieu qu'ils écoutaient sans cesse, et puis ils lui parlaient. Donc vous aviez l'écoute au cours de l'Office et ceci, c'était la réponse, c'était la part. C'était cela l'oratio, l'homilia, c'était leur réponse.
Vous aviez donc alors là la respiration, la double respiration. On aspire la Parole de Dieu et puis on expire sa réponse qui est un appel à l'aide. Parce que ce Dieu qu'on entend, ce Dieu qu'on reçoit en soi, on veut devenir un seul esprit avec, lui. Donc voilà, mes frères, en quoi consistait cette prière continuelle.
Nous verrons un peu le résultat, le résultat atteint chez Dosithée et le résultat atteint si nous-mêmes nous avons, je dirais, appelons-le loisir, le quies, le repos intérieur suffisant que pour être toujours comme ça suspendu au Christ, lui demandant de nous aider à réaliser pleinement notre vocation de moine, et notre vocation de chrétien, et notre vocation d'homme.
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Mes frères,
Nous allons revenir à la consigne donnée par la Dame au petit Dosithée. Elle lui avait donc dit qu'il devait s'attacher à prier continuellement. Nous avons vu quel était le sommet de cette prière continuelle, et puis les degrés intermédiaires, donc la répétition constante, permanente d'une formule qui est un appel.
Ainsi, en nous adressant continuellement au Christ, nous prenons de plus en plus conscience que nous sommes dépendants de lui. Et ce n'est pas une dépendance qui serait humiliante, qui serait dégradante. Non, c'est une dépendance - encore une fois - à l'intérieur d'un organisme dont Lui est la tête et dont nous sommes les membres.
Nous devons nous adresser à lui parce que nous sommes extrêmement démunis pour ce qui regarde le surnaturel, mais totalement, absolument démunis. Or, nous devons entrer dans cette création nouvelle où nous serons totalement divinisés.
Il faut donc que nous appelions en nous cette force, cette puissance qui vient imprégner notre faiblesse et qui nous permet de poser des actes qui sont des actes divins. Et le plus divin de tous, c'est l'agapè, la caritas, c'est la charité, c'est l'amour.
Car ça ne va pas de soi d'aimer les autres. Nous pensons parfois les aimer, mais en réalité ce n'est pas encore de l'amour. Cela peut être une forme très basse presque dégradée de ce qu'est en réalité l'amour.
Et c'est pourquoi il est bon de prendre conscience ainsi de notre incapacité foncière et en même temps du secours qui peut nous venir d'ailleurs, c'est à dire de Celui qui a pris sur sa propre personne toutes les misères des hommes, toutes nos infirmités, tous nos péchés, toutes nos lâchetés, toutes nos peurs pour que nous puissions être revêtus de son humilité, de sa nature divine et alors de pouvoir aimer en toute vérité.
Car aimer ne ressortit pas du sentiment. Non, l'agapè, donc l'amour divin, l'amour qui est Dieu, nous ne pouvons pas le sentir. Nous pouvons observer en nous et autour de nous les effets de cet amour dans le comportement, dans la conduite, mais il est toujours hors des prises du senti.
Et c'est une des raisons pour lesquelles nous devons passer par ce que Saint Jean de la Croix appelait des nuits, c'est à dire par un chemin où il n'existe plus rien de sensible, de sensitif, même d'intellectuel, de conceptualisable. Il n'y a plus rien.
A ce moment-là, comme on continue à vivre et à faire tout son devoir et, comme il est demandé ici à Dosithée, à travers tout quand même à nous adresser le plus souvent possible, et idéalement sans arrêt, au Christ et à Dieu même quand ils sont totalement disparus, qu'ils sont tout à fait hors de notre prise, à ce moment là, nous ne vivons plus selon des motivations naturelles mais c'est vraiment le moteur divin qui agit 'en nous, et qui nous fait fonctionner, qui nous fait marcher, qui nous fait vivre, qui nous fait poser des actes.
A ce moment-là, on pose de véritables actes d'amour. Ils ne viennent plus de nous, mais c'est vraiment l'Esprit Saint en nous qui les pose. Et il est indispensable de traverser ce qu'on peut appeler une épreuve, parce que c'est assez dur quand même, mais qui nous purifie et nous fait accéder à cet univers nouveau qui est le monde de l'Esprit, le monde du Christ, le monde de la Trinité.
Et puis alors après, lorsque les sens et lorsque l'intellect, et la volonté, et tout, sont devenus adaptés à cet univers nouveau alors, et seulement alors, nos sens métamorphosés, notre intellect métamorphosé peuvent commencer à percevoir et, disons, à « sentir » entre guillemets, l'action de Dieu et sa présence. Et on entre alors vraiment dans la vie contemplative consciente.
Donc voilà, mes frères, une des raisons pour lesquelles nous devons nous attacher à cette pratique d'appeler sans cesse le Christ - donc d'abord Lui - à notre secours. Il y en a encore d'autres, on le verra à une autre occasion.
Mais voilà, j'ai établi un petit contact entre ce que nous dit Saint Benoît, entre ce que ici la Dame mystérieuse recommande et en ce que un théologien plus proche de nous et Docteur de l'Eglise a réussi à systématiser quelque peu et à mettre à notre portée pour aujourd'hui.
Voilà, mes frères, il reste maintenant à mettre ça en pratique. Mais nous en avons l'occasion tous les jours dans nos contacts fraternels - c'est surtout là - j'en reviens là. Nous sommes un seul corps et, voilà, la bonne santé de l'ensemble dépend de chacun d'entre nous.
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Mes frères,
Pourquoi devons-nous nous obéir les uns les autres ? Eh bien, c'est parce que nous sommes au service les uns des autres. Chacun de nos frères est notre supérieur, chacun de nos frères peut nous demander un service.
Et nous devons le lui rendre avec empressement dans la mesure naturellement où cela ne contredit pas des instructions qui ont été données à un niveau plus élevé, soit celui de l'Abbé, soit celui d'un responsable subordonné à l'Abbé.
Mes frères, je pense qu'il est très important pour nous de prendre conscience que nous sommes solidaires, que nous formons un seul corps. Et à l'intérieur d'un corps humain, tous les organes sont interdépendants. Ils sont tous au service les uns des autres. Il n'y en a pas un qui soit supérieur à l'autre même si dans la pratique il nous apparaît à nous que certains organes soient plus précieux.
Et la science, la médecine nous apprend aujourd'hui que les organes les plus précieux sont dissimulés, ils sont cachés, ils sont à l'intérieur de notre corps. Une toute petite glande de rien du tout comme un petit pois est indispensable pour réguler tout le fonctionnement de notre organisme. Et cette petite glande, personne ne la voit. Elle est là inexistante, inconnue, invisible, mais c'est elle qui dirige le fonctionnement de tout notre organisme.
Eh bien, dans le monastère, il peut en être ainsi. C'est peut-être le frère auquel personne ne pense, le frère auquel on ne prend pas garde, qui est loin d'être l'Abbé dans le monastère, c'est peut-être grâce à lui que le corps entier est en bonne santé.
Voilà, je pense que ce petit chapitre de Saint Benoît est très éclairant à ce sujet et nous en retirons une petite leçon ce soir.
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Mes frères,
Nous n'aurons jamais fini de comprendre, de creuser, de contempler la richesse de l'événement Pascal. Nous la comprendrons dans la mesure où nous nous laisserons investir, comprendre par elle. Elle doit nous envelopper et comme nous digérer car, notre vocation humaine, et à fortiori notre vocation chrétienne et monastique, c'est de mettre en oeuvre la plénitude de ce mystère.
Si Dieu nous a appelés, s'il nous a invités à vivre dans l'intimité de sa maison, c'est à fin de pouvoir mettre en oeuvre à l'intérieur de notre existence mortelle une réalité que nous devons alors révéler à nos frères les hommes par toute notre conduite, une réalité qui est l'amour.
Comme vient de l'expliquer le cardinal Ratzinger, l'Amour qui est Dieu lui-même, est un amour qui à travers une mort mystique d'abord, puis la mort physique par après, va nous faire entrer en nous divinisant dans une existence impérissable, la propre éternité de Dieu, la vie éternelle.
Mais attention ! Comme vient encore de le préciser le Cardinal, ce n'est pas un lieu qui serait en continuité avec notre état présent. Non, il s'agit d'une métamorphose radicale qui est l'équivalent d'une nouvelle naissance. L'ancien meurt et disparaît pour laisser la place à un état nouveau, l'état qui fut celui du Christ ressuscité, lui le premier né d'entre les morts. Et ainsi nous devenons des Dieux en étant totalement transfigurés.
Vous allez peut-être penser que ce sont là des mots qui ne veulent rien dire ? Prenons bien garde tout de même, mes frères, c'est beaucoup plus que des mots !
Tout au long de cette semaine, nous avons ouvrant notre Eucharistie chanté cette merveille : quasimodo genitus infantes. Nous devenons semblable à des enfants qui viennent juste de naître. Nous sommes des infantes, nous ne pouvons pas encore parler. Nous ne disposons pas d'un vocabulaire pour dire, pour expliquer ce qui nous arrive. L'entrée dans l'univers de Dieu, dans l'univers de la résurrection ne peut se dire. Elle peut uniquement se vivre.
Et voilà le paradoxe auquel nous sommes affrontés : cette impossibilité à laquelle faisait aussi allusion le Cardinal. Il est reconnaissable, disait-il, et aussi non reconnaissable. On le touche bien qu'il soit intouchable. Il est le même et pourtant il est tout autre.
Eh bien, mes frères, telle est notre aventure. C'est à cela que nous sommes appelés à un moment donné de notre existence mortelle. Il faut que suite à la transfiguration qui s'opère en nous par pur cadeau, nous ne nous reconnaissions plus et que les autres ne nous reconnaissent plus. On est toujours le même et pourtant on est devenu autre. On peut s'approcher de nous et pourtant nous sommes à une distance infinie.
Mes frères, notre métamorphose qui est une divinisation, est quelque chose de bien réel. Et ce devrait être, ce doit être l'expérience fondamentale de toute vie monastique contemplative surtout, de toute vie chrétienne aussi c'est certain. Mais disons que dans le monastère on n'a rien d'autre à faire que de se prêter à ce travail fondamental, radical de Dieu en nous.
Oui, cette entrée dans une existence pauvre apporte un changement qu'il n'est pas possible d'expliquer avec des mots humains. On peut simplement en constater les effets. Si autrefois on vivait comme des hommes fermés sur eux-mêmes, barricadés dans leur égoïsme, dans leurs méfiances, dans leurs peurs, aujourd'hui on est devenu une ville ouverte à un réseau immense de relations. On n'a plus peur de rien ni de personne. On ne doit plus se protéger. On est entièrement livré parce que on devient de plus en plus amour.
On devient un être relationnel sur le modèle de la Trinité. C'est à dire que on se reçoit des autres et qu'on se restitue aux autres sans fin. On n'a pas d'existence en dehors de cette relation. On n'est plus des individus les uns à côté des autres. On devient des personnes dans la mesure exacte où on ne se possède plus et où on se reçoit totalement des autres.
Voyez, mes frères, jusqu'où doit aller cette transformation. Vraiment, à ce moment-là, on ne sait plus ce que signifie la peur. Si bien qu'on vit dans un état constant de naissance comme des infantes, des petits enfants, des nouveaux nés qui n'ont aucun langage. Il peuvent seulement se laisser aimer et se laisser nourrir. Ils dépendent totalement des autres pour leur survie.
Eh bien, l'homme parvenu à cette métamorphose dépend totalement de Dieu, et dépend totalement de ses frères. C'est naturellement l'état céleste anticipé dès cette vie. On est donc en état permanent de naissance, de fraîcheur, d'innocence, de candeur, de naïveté, de pureté, avec le sentiment très fort qu'on est devenu immortel.
La mort biologique ? Eh bien, on a l'impression qu'elle appartient au passé. On a franchi le seuil. On est vraiment - par pure grâce - devenu semblable au Christ ressuscité. Certes il y a toujours l'apparence extérieure charnelle qui est là. Mais sous cette enveloppe, il y a un être nouveau, ce fameux corps spirituel qui atteint petit à petit sa taille adulte.
Et lorsque sa croissance sera achevée, tout naturellement l'enveloppe extérieure va être déposée et le corps nouveau apparaîtra à ceux qui ont le regard assez pur pour le reconnaître, c'est à dire les saints, les anges et naturellement la Vierge Marie, le Christ et notre Dieu.
Mes frères, cette expérience pascale constitue le coeur et la récompense d'une vie contemplative menée inlassablement dans la confiance, dans l'oubli de soi, dans une fidélité éperdue. Et ainsi, le moine est un homme de désir, un désir unique qui ne le lâche à aucun moment et qui lui fait tout supporter, tout endurer.
Et ce désir est celui-ci : devenir comme Dieu, devenir Dieu pour le connaître, pour l'aimer, pour partager tout de lui, pour partager son éternité. Et quand on parle d'éternité, ne croyons pas encore une fois à une durée indéfinie. Non, l'éternité, c'est Dieu lui-même.
Et ce désir spirituel - vous savez que Saint Benoît nous en parle ce désir spirituel est pure gratuité comme les Trois Personnes Divines sont pure gratuité quand elles se désirent mutuellement et se donnent l'une à l'autre totalement.
Mes frères, tel est notre idéal, tel est notre chemin. Pâques est notre vie, Pâques est notre respiration de chaque instant. Et ainsi, en tous nos instants est enclose notre éternité. Nous devons racheter le temps comme nous dit l'Ecriture, nous devons prendre garde de ne pas glisser dans l'oubli, d'être des gens distraits.
Et c'est là peut-être l'ascèse la plus difficile dans une vie chrétienne et dans une vie monastique surtout, ne pas être distrait, c'est à dire être toujours ouverts à la lumière qui divinise et à la voix qui appelle et qui séduit.
Mes frères, en ces jours de récollection, en ces jours de grâces, demandons au Seigneur de nous aider à être fidèles. Qu'il inspire, qu'il glisse à l'intérieur de notre coeur une foi sans défaillance, mais une foi qui doit être purifiée à l'extrême, une foi qui devient parfaite transparence à l'être même de Dieu qui est offert à nous dans la Personne du Christ Jésus ressuscité des morts.
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Mes frères,
Si nos Saints Fondateurs Robert, Albéric et Etienne sont nos pères, les Saints Abbés de Cluny dont nous allons faire mémoire demain sont nos grands-pères. Le dernier d'entre eux, Pierre le Vénérable, était contemporain et ami de Saint Bernard. C'était un homme pondéré, équilibré, ami de la paix, un bâtisseur de pont comme on dit aujourd'hui.
Vous savez que de graves oppositions s'étaient dressées entre Cluny et Cîteaux. L'apologie adressée par Saint Bernard à Guillaume de Saint Thierry nous en renvoie quelques échos. Il y a eu des outrances de part et d'autre. Que voulez-vous, mes frères, c'est la côté humain des saints, c'est leur face de faiblesse et de péché.
Et c'est pour nous un encouragement, un encouragement à croire à la possibilité de la sainteté pour nous aussi, pour nous qui sommes tellement fragiles, vulnérables, et si facilement inclinés au péché, au péché en pensées, en paroles et en actes comme nous le disons si bien dans notre acte de confession.
Mais dans ces événements douloureux du moyen âge, nous pouvons tirer une leçon pour notre temps aujourd'hui. La vie monastique s'incarne nécessairement dans les éléments qu'elle trouve. Elle est extrêmement souple et dynamique et depuis l'origine, elle a revêtu bien des formes.
De nos jours, on s'attache à définir l'identité cistercienne de notre Ordre. Mais où trouver des points de repère valables ? Il y a les tout débuts ; puis il y a ce qu'on appelle l'âge d'or. Il y a l'expansion extraordinaire au niveau du monde connu de l'époque. Il y a Rancé, il y a la Trappe. Où nous situer là dedans ?
Il y a eu des glissements, des déviations. Il y a eu une évolution. Elle était inévitable et elle était heureuse.
Il existe cependant un esprit monastique fondamental auquel nous pouvons et devons nous référer pour mesurer l'authenticité et la vérité d'une forme de vie. Ce charisme est vécu aujourd'hui sous des formes diverses sur tous les continents. Il est essentiellement vivant. Donc il est à l'opposé du statisme, de l'immobilisme. Si l'évolution s'arrêtait, ce serait fatalement sous peu la nécrose et la mort.
Ce charisme monastique, il lui faut donc une extrême souplesse pour ne pas devenir anachronique et, il lui faut l'audace de la foi pour être vrai, toujours suivant les lieux et les personnes.
Mes frères, cette constatation de bon sens nous incline à la modestie, au respect et à l'humilité. Nous n'avons pas le monopole de la vérité cistercienne mais seulement un fragment. Mais ce fragment renferme le tout si nous sommes vrais pour ici et maintenant. Ce que nous y étions hier ne peut pas être la norme de ce que nous serons demain. La vie est là qui s'impose à nous.
Quand on a 25, 30 ans, on ne voit pas du tout la vie et on ne la vit pas comme lorsqu'on en a 50, 60 ou 70. Et pourtant c'est la même vie, mais elle retentit dans le coeur de chacun suivant les époques.
Nous sommes les produits d'une culture, une culture humaine - et aussi une culture monastique, d'une culture chrétienne. Mais cette culture elle non plus n'est pas figée.
On nous lit Les souvenirs et espérances du Cardinal Suenens. Nous pouvons à partir de là mesurer le chemin qui a été parcouru depuis une trentaine d'années à l'intérieur de l'Eglise, à l'intérieur de la société. Et, mes frères, nous devons nous dire qu'un très long chemin a été parcouru aussi à l'intérieur de notre vie personnelle, et notre vie communautaire depuis la même époque.
C'est pourquoi nous devons toujours être solidement enracinés dans le présent, car c'est là que jaillit la source de la vie. Non pas hier, non pas demain, mais aujourd'hui avec ce qui nous est donné. Là est caché Dieu dans son vouloir de chaque heure.
Mais je disais qu'il y avait à l'origine de la vie monastique une intuition, un charisme comme je disais. Eh bien, mes frères, ce charisme, lui, il est éternel, il prend des formes diverses. Je ne dis pas qu'il est immuable. Il est vivant plus que jamais. Mais étant la vie, pour nous il s'incarne suivant les lieux, suivant les époques, suivant les personnes.
Et ce charisme, mes frères, qui porte chacun d'entre nous, qui porte aussi chaque monastère, c'est le mystère de Pâques. Il n'y en a pas d'autres. C'est le mystère chrétien par excellence, c'est le mystère humain par excellence, c'est le mystère cosmique par excellence et c'est lui que nous devons incarner. Ce mystère de Pâques nous fait passer d'une vie animale et stérile à une vie éternelle dans la résurrection et l'Esprit Saint.
Et la route que nous devons suivre et qui a été bien définie depuis l'origine de la vie monastique, c'est l'écoute, l'écoute de Dieu, l'écoute de sa Parole, c'est l'abandon, c'est la remise de soi, c'est la confiance, c'est l'humble attente de l'amour, l'attente de cette résurrection pour nous tout de suite, maintenant, là où nous sommes, et puis alors à travers nous pour l'univers entier.
Mes frères, cette route, elle est parcourue par chacun selon ce qu'il est, et là où il est. Je pense que voilà une vision claire des choses et, comme je le disais encore il y a un instant, qui nous appelle au respect vis-à-vis de tous les autres où qu'ils soient dans le monde, et à l'accueil, et à la confiance. Nous n'avons pas à juger de la façon dont l'Esprit de Dieu travaille les coeurs. Nous devons simplement admirer ce qu'il fait et accepter qu'il le fasse de telle manière pour nous aujourd'hui.
Je pense que c'est là la route, comme je le disais, qui nous est offerte, qui est ouverte devant nous et sur laquelle nous allons encore faire un pas aujourd'hui.
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Mes frères,
Nous ne pouvons pas laisser passer la fête de Saint Pacôme - c'était avant-hier - sans nous y arrêter quelques instants. Nous savons par l'Histoire que sa vocation à la vie monastique a été définie dès le départ comme un service du genre humain, un service de la race des hommes.
Nous voici donc dès le premier instant et pour jamais projetés hors de nous. La vie monastique ne se définit pas comme une crispation sur soi. Non, le moine est d'abord un être extatique. Cela signifie que la source et l'accomplissement de sa vie ne sont pas en lui mais en dehors de lui, à savoir dans la race des hommes.
Et par la race des hommes il faut entendre l'ensemble de la race humaine, l'ensemble des hommes rassemblés dans l'unique corps dont la tête est le Christ Jésus ressuscité, et dont l’âme est l'Esprit Saint, l'Esprit qui est Amour.
Le moine est donc établi dès l'abord dans l'éternité. Sa mission consistera donc à capter la vie divine et à la diffuser partout. Mes frères, à partir de là nous comprenons que dès que nous répondons à l'invitation de Dieu, nous devons savoir que tout nombrilisme est radicalement exclu.
C'est à dire que le moine ne peut plus se regarder, il ne peut plus chercher sa vie en lui. Mais son regard doit être dirigé ailleurs et en tout premier lieu sur les frères parmi lesquels il est appelé à vivre, non pas pour les épier, pour les espionner, pour les juger, non, mais parce que c'est dans les frères que se trouve l'origine de sa vie. Ce n'est pas en lui.
Lorsque l'ange dit à Pacôme tu vas maintenant servir la race des hommes, c'est cela qu'il entend dire. Pacôme ne vit plus pour lui, il vit pour les autres, et ce sont les autres qui sont le ferment de sa Vie.
Mes frères, c'est là quelque chose d'excessivement important. Nous n'avons donc pas à vivre pour nous seuls. Nous n'avons donc pas à veiller uniquement à notre propre perfection. Le moine est un être décentré. Son point d'équilibre se trouve non pas en lui mais dans les autres.
Et depuis Pacôme, la vie cénobitique est organisée pour permettre justement au moine de se recevoir de la communauté et, à travers la communauté de servir tous les hommes. Car une communauté monastique est un microcosme, un monde en miniature, mais un monde complet, achevé car la vie du Christ est totalement en lui. Lorsque Saint Benoît parle du corpus monasterii, du corps que constitue le monastère, il a probablement en vue ce monastère tel que l'a rêvé, tel que l'a organisé Pacôme, ce monastère qui est comme le coeur même de Dieu.
Car c'est la vie Trinitaire et, au-delà de la vie Trinitaire, la vie du Corps mystique tout entier qui est comme projeté mystiquement dans une communauté bien concrète dont l'âme - comme je le disais tout à l'heure - est l'Esprit de sainteté, est l'Esprit d'Amour.
C'est pourquoi, mes frères, n'oublions jamais ceci : toute marginalisation est une négation de la vie monastique. Si un moine commence à organiser sa vie sur le côté pour lui-même, il est toujours dans la communauté mais, voilà, intérieurement il n'en fait plus partie. Ce n'est plus de la communauté qu'il puise sa vie, mais il la cherche en lui. Il se marginalise.
Donc, toute marginalisation est la négation même de la vie monastique et elle est une régression à un état pré monastique. Un moine marginal est un moine qui est retourné dans le monde. Et si cela se durcit, c'est finalement l'asphyxie et la mort.
Mes frères, nous comprenons maintenant mieux que le service est le devoir de tous dans une communauté et au premier chef naturellement de l'Abbé qui est pour ses frères et parmi eux le rappel permanent du Christ serviteur.
Alors, si vous le voulez bien, prions les uns pour les autres, mes frères, et demandons à Dieu de nous éclairer, de nous fortifier ; de nous éclairer au sujet de notre vocation, de sa beauté et de nous fortifier dans l'exercice de cette vocation.
Car être décentré, être extatique, cela ne va pas de soi - je l'ai déjà dit fréquemment mais il faut toujours le rappeler - car nous sommes habités par la peur. Et notre sécurité, il nous semble qu'elle se trouve en nous quand en réalité elle se trouve hors de nous, elle se trouve chez l'autre. Car l'autre est toujours pour nous apparition du Christ et de Dieu.
C'est très difficile à vivre dans un premier temps. Mais lorsque on a franchi le pas, lorsque on est sorti hors de son orbite personnelle, à ce moment là on est comme un satellite artificiel, plus qu'un satellite, une fusée qui est lancée dans l'espace et qui peut tout découvrir. On connaît la liberté et plus rien ne peut nous atteindre, plus rien ne peut nous affecter parce que justement le sens de notre vie est déjà chez Dieu.
Et Dieu peut alors réaliser en nous ce qu'il désire, c'est à dire faire de nous des hommes déjà ressuscités d'entre les morts qui, alors, vont pouvoir dans le Corps entier du Christ disperser des flots de plus en plus forts, de plus en plus puissants de vie divine. Et c'est cela, vous voyez, dans sa perfection, le service de la race des hommes et être, voilà, le moine dont Dieu rêve.
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Mes frères,
Le premier instrument des bonnes œuvres consiste, comme nous le rappelle ici Saint Benoît, en ceci : avant, in primis, en tout premier lieu, aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de toute sa force, 4,2. Qu'est-ce que ça peut vouloir dire ? Cela peut être creusé à l'infini.
Mais ce que nous pouvons d'abord retenir, c'est que aimer le Seigneur Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de toute sa force - mais tout, c'est tout - ce n'est pas encore suffisant. Ce n'est jamais qu'une étape, qu'un étage. Il faut aller plus loin encore, infiniment plus loin.
Nous sommes encore ici à l'intérieur de nos capacités. Nous les épuisons puisque c'est tout de nous qui aime Dieu. Mais c'est encore un amour à la mesure de l'homme. Or nous devons ultimement, finalement, lorsque nous sommes parfaitement accomplis, nous devons aimer Dieu de l'amour dont lui-même s'aime.
Ce n'est donc plus nous qui aimons. C'est l'Esprit Saint qui a pris possession de nous dans notre totalité et qui aime alors à travers nous. C'est une sorte d'incarnation de l'Esprit en nous, si bien que nous respirons l'Esprit Saint, nous respirons Dieu en tant qu'il est amour. Si bien que Dieu s'aime lui-même à travers nous. Mais on pourrait dire : Mais alors Dieu est égoïste, il s'aime à travers nous ?
Mais non, Dieu est amour. Il ne peut pas être autre qu'amour puisqu'il est Trinité, puisqu'il est une communion à l'intérieur de relations qui constituent les Personnes dans leur identité vraiment la plus intime.
A ce moment-là, lorsque nous sommes arrivés à l'étage supérieur où tout de nous aime Dieu, à ce moment-là l'Esprit nous prend et nous élève à l'intérieur même de la Trinité. Si bien que c'est nous, totalement nous encore qui aimons Dieu, mais nous sommes devenus Dieu, entièrement divinisés.
Saint Benoît le dit, ça, dans ses termes à lui, mais ailleurs. Il le dit au sommet de la fameuse échelle de l'humilité, où il dit que après avoir gravi tous ces degrés d'humilité le moine parviendra bientôt à cet amour de Dieu qui, s'il est parfait, bannit la crainte.
Donc à ce moment-là, le premier instrument des bonnes œuvres est accompli par nous à la perfection : amour parfait. Alors, il va plus loin. Voici le plus loin auquel je faisais allusion : C'est la grâce que notre Seigneur - Dominus - daignera manifester par le Saint Esprit dans son serviteur purifié de ses défauts et de ses péchés. 7,188.
Donc. mes frères, n'allons pas trop vite nous imaginer que nous sommes parvenus au sommet de notre vie monastique parce que vraiment nous pouvons nous rendre témoignage que nous sommes au service de nos frères, que nous les aimons, que nous n'avons pas une pensées contre eux, que vraiment notre être le plus vrai de nous est à leur service, si bien que nous nous recevons d'eux dans tout ce que nous sommes. Et à travers eux, nous aimons le Christ, en eux nous aimons Dieu. N'allons pas penser que nous sommes parvenus au sommet.
Non, c'est la plate-forme de lancement qui va nous permettre alors de partir plus haut, de nous laisser happer par Dieu, de nous laisser emporter par Lui. Là, dit-il, on le verra bien, il n'y a plus rien à dire. Le Saint Esprit, dignabitur demonstrare, 7, 188, va pouvoir le montrer.
Donc, je pense que c'est pour nous, ces considérations-ci, c'est pour nous un sujet encore supplémentaire d’humilité. Mais ça ne doit pas non plus nous décourager parce que cette prise de possession de nous-mêmes par l'Esprit Saint en fait commence dès le début. Mais lorsqu'on est arrivé à la plate forme supérieure, l'Esprit Saint est totalement libre de nous emporter là où naturellement nous ne pourrions jamais arriver.
Il y a encore bien d'autres choses à dire, mais voilà, ça ne sera pas pour aujourd'hui. Je continuerai demain ou après, nous verrons bien, parce que il est tout de même intéressant de voir un ou l'autre détail auquel on ne pense pas et qui nous permettrons vraiment d'aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme et de toute notre force. C'est ce tout qui est important.
Mes frères,
Ce que Saint Benoît nous dit ici, se reconnaître toujours comme auteur du mal qui est en soi et se l'imputer, 4, 50, est un sommet de pratique spirituelle. Il s'agit de rejeter sur soi le blâme et ne jamais dire : Oui, c'est arrivé, mais c'est de la faute de telle ou telle circonstance. Non, c'est prendre sur soi le blâme. En soi, ce n'est rien d'extraordinaire, mais dans la pratique c'est très difficile car instinctivement nous voulons protéger à nos propres yeux notre image de marque.
Le Christ Jésus, lui, n'y a pas été par quatre chemins. Lui qui était dans la forme de Dieu, qui était absolument étranger à l'univers du péché, il a pris sur lui tous les blâmes, tous les péchés des hommes. Il s'est fait vraiment péché. Eh bien, quand nous serons arrivés à ce niveau, je pense que nous serons prêts à être cueillis pour être transplanté dans ce magnifique jardin clos qui est son coeur, qui est le ciel.
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Si vous le voulez bien, ce soir, nous allons descendre des hauteurs célestes sur lesquelles nous nous étions élevés hier en espérance. Et nous allons nous demander comment dans notre condition actuelle d'être fragile, vulnérable, pécheur, il nous est possible d'aimer Dieu de tout notre coeur, de toute notre âme et de toute notre force ? Puisque Dieu nous le demande, puisque Saint Benoît nous le présente, ce doit être possible. Mais comment nous y prendre ? Et d’abord , qu'est ce que cela signifie ?
Notre être entier doit être saisi par l'amour de Dieu. Il ne peut pas y avoir de place en nous pour un autre amour. Mais alors, comment concilier avec ce que Saint Benoît nous dit encore : aimer le prochain comme soi-même, 4,4 ? Je dois aimer mon prochain pour lui-même, tel qu'il est, en toute lucidité. Je dois être prêt à me sacrifier pour lui. Je dois lui donner toujours la première place. Je dois me placer à la seconde place, toujours derrière lui. Mais alors, comment en même temps aimer Dieu de tout son coeur ?
J'ai entendu un jour ce reproche qui m'était fait à moi, à moi en tant que chrétien : Vous, les chrétiens, vous aimez le Christ dans les hommes ; mais nous, les incroyants, nous aimons l'homme pour lui-même. Oui, mais comment alors concilier les deux ?
Eh bien, l'homme, le frère qui se présente à nous et que nous aimons pour lui-même sans même penser à Dieu, ce frère, cet homme, c’est une apparition du Christ ressuscité, du Christ de nouveau en voie de résurrection. Si bien que lorsque j’aime mon frère d'un amour total - même si je n'en ai pas conscience - c'est le Christ que j'aime en lui, c'est le Christ que j'atteins, c'est Dieu que j'atteins. Il n'y a absolument aucune distinction possible entre l'amour de Dieu et l'amour du frère. C'est un seul et même acte.
Maintenant attention ! Si je n’aime pas le frère, si dans mon cœur je le déprécie, je le méprise, je le condamne, si je me juge supérieur à lui, attention, à ce moment-là je me juge supérieur au Christ. C'est le Christ que je condamne, c'est le Christ que je méprise.
Je pense que à cela tout de même nous devons réfléchir. Et ce sera un stimulant qui nous mettra en garde contre les faux pas dans ce domaine de la relation fraternelle, et qui en même temps nous apprendra à prendre peu à peu conscience que le frère quel qu'il soit, c'est toujours le Christ en voie de résurrection qui se présente à moi et que je dois aimer de tout mon cœur, de toute mon âme et de toute ma force.
Donc, c'est Dieu que l'on aime toujours partout en tous et en tout. Et cet amour ne cesse pas de se dilater. Car puisque c'est un véritable amour, cet amour vient de Dieu, il est Dieu lui-même, il est l'Esprit qui prend possession de mon cœur, de mon âme, de ma force et puis qui, insensiblement, leur donne une force nouvelle.
Les anciens cisterciens ont été attentifs à ce phénomène de la forma, de la forme. Donc, notre forme primitive qui était exacte image de Dieu, elle a été déformée par le péché, par l’égoïsme, par la crispation sur soi, par la peur. Il faut donc que nous permettions à l'Esprit de nous réformer, et puis de nous transformer de manière à ce que nous retrouvions non seulement notre forme primitive qui était d'être à l'image de Dieu, mais que nous soyons même au-delà et entièrement divinisés.
Donc, il faut aller jusqu'à une métamorphose qui fait de nous vraiment ce que Dieu rêve, c'est à dire d'autres Lui. Alors l’Esprit Saint devient notre respiration comme il est la respiration de Dieu.
Et voilà, l'amour atteint en nous sa perfection et Dieu est lui-même présent dans notre cœur, dans notre âme, dans toutes nos puissances spirituelles, intellectuelles et mêmes physiques. Donc, tous les gestes qu'on pose, tous les actes qu'on pose, toutes les paroles qu'on dit, tout cela devient amour. Le moteur, l'origine et l'accomplissement de tout cela, c'est l'Esprit Saint, c'est l'amour.
Attention ! Nous sommes toujours à notre niveau, à notre petit niveau, donc faillible et pécheur. Il y a toujours des erreurs, il y a toujours des fautes, mais je dirais presque qu'elles sont sans importances parce qu'elles sont toujours dans l'axe de la vérité. C'est la vérité de notre être actuel.
Nous ne sommes pas des anges, nous sommes des hommes. Et aussi longtemps que nous serons des hommes ici, eh bien nous serons exposés à l'erreur, c'est à dire au péché. Donc, nous sommes bien dans notre vérité. Et Dieu en est contant, et Dieu en est heureux.
Alors voilà, cet amour qui prend ainsi possession de nous et qui nous réforme en nous transformant, en nous métamorphosant, il est donc vraiment l'essence de notre béatitude éternelle. Il est le commencement et l'accomplissement de ce que Grégoire de Nysse appelait une epekthase, une epekthase sans fin.
Donc, quand on a atteint un certain niveau, il y a devant nous de nouveaux espaces qui s'ouvrent. Et puis on est de nouveau attiré par eux, et puis on se lance en eux. Et ainsi d'epekthase en epekthase, de montée en montée, d'ascension en ascension on arrive à l'intérieur de Dieu.
Et ça dure ainsi toute l'éternité parce que la dilatatio, la dilatation de notre cœur et de notre être, de notre âme, de notre force, elle se dilate sans cesse à la mesure de Dieu, c'est à dire à l'infini. Et c'est justement en cela que consistera notre bonheur éternel. Eh bien, autant commencer tout de suite. Je pense que c'est une des raisons pour lesquelles nous sommes ici.
Mes frères,
Saint Benoît nous parle d’une obéissance agréable à Dieu et douce aux hommes, 5,30, je traduis littéralement. Acceptabilis peut se rendre par agréable si nous prenons ce terme dans son sens étymologique, c'est à dire en ce qui rencontre l'agrément, ce qui peut être agréé ; mais il y a aussi dans le mot agréable une nuance lumineuse.
C'est une obéissance qui plaît à Dieu, une obéissance qui réjouit le coeur de Dieu, une obéissance qui est un parfum qui embaume les sens, qui rafraîchit les sens, qui ravive leur vitalité, et cela chez Dieu lui-même.
N'oublions pas, n'oublions jamais que pour nous, Dieu, c'est le Christ Jésus. C'est donc un homme qui est peiné, un homme qui se réjouit encore maintenant tout comme nous. Il faut donc que notre obéissance soit agréable au Seigneur.
Mais le moine apporterait-il ainsi par son obéissance quelque chose à Dieu ? Mais certainement, car écouter Dieu, c'est être attentif à sa présence, c'est être éveillé à son amour. C'est donc le réjouir, c'est faire que d'une certaine manière il est davantage Dieu certainement pour nous et aussi pour lui. Car il s’aperçoit que sa Parole éveille un écho dans le cœur de son fidèle.
Et à ce moment-là, Dieu est davantage ce qu'il est, et pour le moine, et pour lui. Il y a ainsi - ne l'oublions jamais - dans l'obéissance une relation de réciprocité entre Dieu et l'homme, un véritable partage presque comme si les deux partenaires étaient sur le même palier, comme s'ils étaient d'égal à égal.
C'est là une façon très audacieuse d'envisager l'obéissance, mais je pense que nous ne devons pas craindre d'aller jusque là. Encore une fois, n'oublions jamais que Dieu s'est abaissé jusqu'à notre niveau jusqu'à être un parmi nous. Et quand il était parmi nous, on ne le reconnaissait pas tellement il nous était semblable.
Eh bien, il est encore comme ça aujourd'hui. Et nous vivons ici chez lui, il est parmi nous. Si nous avons le cœur suffisamment pur, si nos yeux sont suffisamment clairs, limpides, à ce moment-là nous le reconnaissons parmi nos frères, nous le reconnaissons chez les uns et chez les autres.
Nous devons donc situer l'obéissance, non pas au niveau de la soumission, parce que il n'y a pas moyen de faire autrement, mais à l'étage d'une relation de confiance, d'une relation d'amour entre deux amis. On ne peut rien refuser à Dieu parce que il ne nous refuse rien non plus.
En entrant dans ses vouloirs, nous recevons tout de lui et cela le comble de joie. Voilà, mes frères, pourquoi notre obéissance peut être agréable à Dieu.
Mais Saint Benoît nous dit aussi que l'obéissance peut être douce aux hommes. Elle est comme une huile qui pénètre notre être jusqu'au plus intime et qui le rend autre. Le Cantique des cantiques nous dit tout au début que le nom de l'Epoux, que le nom de Dieu, que le nom du Christ est une huile qui se répand, donc une huile qui atteint jusqu'au plus intime de notre être. Et elle pénètre très, très lentement.
Elle produit en nous un effet de douceur. Et cette douceur n'est pas seulement dans le moine qui obéit, mais elle est aussi dans le moine qui commande. L'obéissance est douce pour les deux partenaires. En effet, les deux communient à l'intérieur de la même douceur et celle-ci a son origine dans la volonté de Dieu, dans l'amour qui est Dieu.
C'est donc la douceur même de l'amour qui entre en nous et cet avant-goût de douceur est comme les prémices de la béatitude que nous goûterons un jour. Qu'il est bon et qu'il est doux d'habiter comme des frères tous ensemble, dit le Psaume.
Et c'est bien ainsi. Nous ne sommes pas les uns à côté des autres comme des billes dans un sac. Nous partageons la même vie divine, la même vision de Dieu, la même douceur à l'intérieur d'une volonté commune. Et par l'obéissance, c'est cet immense courant de vie qui passe de l'un à l'autre, qui irrigue tous les cœurs et qui les unit de plus en plus. Si bien que l'obéissance construit une communauté de saints. Et c'est cela que doit être un monastère.
Voilà, mes frères, ce que je voulais vous dire ce matin à partir de ces deux petits mots de Saint Benoît. L'obéissance bien comprise, la véritable obéissance qui est tout à la fois écoute et réponse, elle répand partout l'amour, la douceur, la béatitude. Alors à nous de ne jamais l'oublier !
Mes frères,
Dans la lettre que l'Eglise de Jérusalem adresse aux païens convertis de l'Eglise d'Antioche, nous remarquons un détail assez déconcertant. Les trois obligations que les Apôtres leur imposent ne sont pas des préceptes positifs mais ce sont des choses à ne pas faire. Il faut s'abstenir de manger des aliments offerts aux idoles, de manger de la viande non saignée, et il faut s'abstenir des unions illégitimes.
Cela parait un peu court et vraiment trop simple. Et pourtant, cette lettre des Apôtres est la toute première charte de la liberté chrétienne, cette liberté qui sera revendiquée haut et clair tout au long de l'Histoire.
Mais la liberté du chrétien n'est pas du libertinage. C'est ce qui est affirmé à travers les interdits posés aujourd'hui. La limite de ma liberté personnelle est celle de mon frère fut-il plus faible, fut-il moins bien informé que moi.
Il faut toujours marcher au pas du plus petit, ne rien imposer qui ne soit dur. Comme Saint Benoît le dit si bien, il faut que les forts aient envie de faire davantage et il importe que les plus faibles ne soient jamais découragés. Voilà le grand principe de la vraie liberté chrétienne que l'Apôtre Paul ne cessera de proclamer et qui est encore notre loi aujourd'hui.
Au fond, cette loi, c'est la loi de l'Amour, ce code qui régit Dieu lui-même. Car Dieu ne nous demande rien d'autre que ce que lui-même est. Et s'il est devenu homme et s'il a voulu connaître tous les aléas de notre condition mortelle, s'il a voulu être condamné injustement à une mort cruelle, et finalement s'il est ressuscité dans une vie transfigurée et s'il a été emporté jusqu'au sein de la Trinité dl où il était venu, c'est afin de nous montrer qui nous sommes et ce à quoi nous sommes appelés dès maintenant et pour jamais.
Rester fidèle à la Parole du Christ, c'est devenir semblable à Dieu, c'est devenir soi-même et à l'intérieur d'une grande communauté devenir un temple de Dieu. C'est cela la vie éternelle et c'est cela la source d'une imperturbable paix, cette paix, la sienne, qu'il nous a donnée et qu'il nous a laissée.
Le Christ part, mais il ne s'éloigne pas de ses disciples. Il habite toujours sa Parole, il lui est identique. Et lorsque nous recevons cette Parole en nous, nous devenons un avec lui. Nous sommes alors en plein à l'intérieur de la vie Trinitaire. Le Christ par sa Parole nous revêt de son Esprit et nous introduit auprès de son Père.
Telle est notre vie, telle est la source de notre liberté, telle est la source de notre paix. Un chrétien ne peut jamais être un homme de conflit, ce doit toujours être un homme qui réconcilie, un homme qui aplanit les difficultés, un homme qui répand la paix partout où il se trouve.
Rien n'est plus contraire à l'esprit chrétien qu'un homme batailleur, qu'un homme qui s’efforce de tromper les autres, de les attirer dans des pièges, de les dépouiller de leurs biens matériels ou de leur dignité d'homme.
Mes frères, si nous sommes ainsi de véritables disciples du Christ, nous devenons des pierres de la Jérusalem nouvelle, de cette cité construite au coeur même de la Trinité. Nous devenons un avec l'Agneau qui en est la lumière et nous sommes nous-mêmes lumière en lui et par lui.
Tel est, mes frères, l'accomplissement de notre vie et nous l'inaugurons, cette vie, dès maintenant. Accueillir le Christ dans sa Parole, se nourrir de sa chair et de son sang, c'est devenir lumière. Telle est la sublimité de notre destinée chrétienne, de notre destinée d'homme.
Puissions-nous le croire vraiment et ainsi, par notre vie jour après jour, heure par heure, nous laisser transfigurer.
Amen.
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Mes frères,
La retenue dans les paroles est extrêmement difficile surtout aujourd'hui où nous vivons dans un monde interpersonnel, dans un monde où la communication constitue vraiment l'essentiel du tissu social. Même dans un monastère, il n'est plus possible aujourd'hui de vivre les uns à côté des autres sans rien se dire.
Maintenant, comment faire dans la pratique pour être de véritables moines, pour pratiquer une retenue effective de la parole et en même temps d'être un homme social ? C'est une affaire de discernement. Et à mon avis, la mesure de cette retenue, c'est la mesure de la charité que nous devons nourrir les uns pour les autres.
Seulement voilà : la recherche de soi, le besoin d'évasion, une certaine peur de la solitude peuvent très bien se maquiller sous les formes de la charité. Ce n'est donc pas alors de la charité, ce n'est rien qu'une recherche de soi extrêmement subtile. Mais alors, comment savoir si je suis dans la charité ou bien si je suis à côté de la charité ?
Eh bien, mes frères, le critère qui nous permet de discerner, c'est l'utilité du prochain. Si je dois dire quelque chose, cela va-t-il apporter un surcroît de vie divine à mon frère ? C'est la question qu'il faut se poser.
Certes, dans un monastère, il y a des endroits où on ne peut pas parler. L'église, les cloîtres, le réfectoire, le scriptorium, ce sont des lieux où le respect de Dieu et le respect des frères imposent un silence qui n'est pas la retenue dans les paroles, mais qui est le silence. On n'y parle pas sauf naturellement en cas de nécessité ou, comme on dit habituellement, s'il y a une raison proportionnée.
Mais en dehors de cela, comment faire pour pratiquer cette retenue ? Eh bien mes frères, je le répète, je dois être habité par une charité véritable.
Maintenant, comment cultiver cette charité, comment la faire croître ? Eh bien, il y un moyen. Et pour pratiquer cette retenue dans la parole, il faut passer même au-dessus de tout et arriver à ce moyen-là. Et c'est que nous sommes dans le monastère, nous sommes chez Dieu. Nous sommes des moines, nous cherchons Dieu. Nous nous exposons à sa Parole, au Feu, à la Lumière, à la douceur de sa Parole pour être peu à peu transformés en ce qu'il est Lui, l'Amour.
Il est donc normal, il est donc requis que je sois le plus souvent possible, toujours même, en conversation avec Dieu. Donc ma parole, je la réserve d'abord pour Dieu, pour le Christ, pour la Vierge Marie, pour Saint Bède le vénérable dont c'est aujourd'hui la fête, je la réserve aux habitants de ce Royaume dont le Christ, là, est la Lumière et je leur parle de façon habituelle.
Or, c'est cela la prière, nous le savons bien. La prière, c'est un entretien, une conversation, un commerce habituel, permanent avec Dieu. Je dois être en état de prière, je dois être un homme de prière, je dois devenir prière. Attention ! Il ne faut pas entendre prière dans le sens de demander quelque chose. Non, c'est être habituellement en communion comme ça avec Dieu et son univers. Et à ce moment-là, que va-t-il se passer en moi ?
Eh bien, en moi va s'installer un équilibre, mais un équilibre surnaturel, mais aussi un équilibre humain qui va me permettre de choisir lorsque je suis amené à prendre la parole. Je saurais, suite à une intuition intérieure qui est d'origine surnaturelle, je saurais si je dois parler ou si je dois me taire et dans quelle mesure je dois parler.
Je ne parlerai pas pour ma satisfaction personnelle parce que j'éprouverais une démangeaison, un besoin de parler. Je ne parlerai pas pour me mettre en évidence. Je ne parlerai pas parce que je m'ennuie. Je ne parlerai pas sous prétexte d'exercer une sorte de paternalisme, voilà, sur un frère m'imaginant être déjà quelqu'un de bien qui doit partager ses richesses avec les autres.
Non, je ne serai pas un donneur de conseils, mais je parlerai lorsque Dieu avec lequel je suis en rapport permanent m'inspirera sans erreur possible que je dois dire quelque chose. Et alors, c'est sa parole qui sortira de mon cœur, une parole qui portera. Et cette retenue de la parole, elle s'exercera toute seule.
Donc vous voyez, mes frères, être en communion avec Dieu, être vraiment un homme d'oraison, quelqu'un qui parle à Dieu, qui vit de façon de plus en plus consciente avec lui, et puis la charité grandit dans le cœur. Et cette charité alors est une véritable charité, un véritable amour parce que il n'y a plus de place dans l'être pour un retour sur soi et pour l’égoïsme.
Mais voilà, mes frères, une petite recette que - me semble-t-il - nous devons appliquer parce que dans notre vie ça forme un tout. Il n'y a pas de petits compartiments, quand on grandit d'un côté, c'est tout le reste qui grandit. C'est comme ça dans notre organisme physique. Nous avons été tout petits et nous avons toujours eu la même proportion, et nous avons grandi de façon harmonieuse. Eh bien, il en est de même dans le monde surnaturel.
Alors, ayons toujours grande confiance et s'il nous arrive ma foi de trébucher, de tomber, eh bien, nous ne devons pas le prendre au tragique parce que nous sommes toujours de petits enfants dans le Royaume. Et un petit gosse qui tombe, il ne se fait pas beaucoup de mal. Il se ramasse, il pleure un peu et puis il recommence à courir.
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Mes frères,
Existe-t-il une relation entre l'humilité et le mystère de l'Ascension ? Les deux semblent se situer aux antipodes l'un de l'autre. L'humilité, c'est le ras du sol et même le sous-sol. L'humilité, c'est descendre au plus bas qui est le fond du fond. L'Ascension par contre, c'est l'élévation suprême, c'est l’endroit le plus élevé au plus haut des cieux.
Il nous est nécessaire dans notre condition charnelle d'user ainsi d'images spatiales pour sensibiliser notre coeur à ces réalités qui sont si belles même si elles paraissent opposées.
Car les deux contraires se rencontrent dans la Personne du Seigneur Jésus. Dieu s'est vidé de lui-même pour s'abîmer au plus profond des enfers, tandis que l'homme ressuscité, transfiguré est établi au-dessus de toute la création.
Voilà, mes frères, le mystère de l'Ascension dans son essence. Nous devons nous y reconnaître car il dessine les grands traits de notre destinée personnelle. Cette conjonction, en effet, du plus bas et du plus haut vécue par Dieu dans le Christ Jésus, lui qui est un homme comme nous, nous rappelle que l'humilité est le lieu de l'audace, cette audace qui est une vertu essentielle du moine contemplatif.
Etre audacieux, c'est oser, c'est prendre des risques. Ce n'est pas de la témérité, c'est toujours un risque calculé. C'est un risque qui est pris en toute lucidité, dont on connaît l'enjeu, dont on connaît l'issue. Il s'agit d'une audace engendrée dans le coeur par la foi.
Elle est la mise en oeuvre d'une réalité mystique qui nous constitue dans notre être de chrétien, c'est à dire de membre vivant du Christ. Comme on vient encore de nous le lire à l'instant à l'Office des Laudes, nous sommes déjà ressuscités et nous sommes déjà établis au sein de la Trinité dans ce qu'on appelle le ciel. Nous y sommes déjà ! Nous n'y serons pas demain, nous y sommes déjà !
Eh bien, dans ces conditions, plus rien ne peut nous arrêter et plus rien ne peut nous faire peur car notre destinée est accomplie. Et c'est là que se situe l'audace. L'audace est inscrite, je dirais elle est exercée par notre être charnel. Notre être nouveau, notre être spirituel est déjà là, établi avec le Christ dans la Trinité.
Il est déjà transfiguré, il est déjà ressuscité, mais notre être charnel, notre être mortel, lui, doit faire son parcours ici sur la terre dans les conditions que nous connaissons. Eh bien, l'audace, c'est surtout notre être mortel qui va devoir l'assumer.
Regardons par exemple par l'obéissance, mais la vraie obéissance, quand elle est poussée à fond, nous nous précipitons dans l'abîme du rien. Nous acceptons de ne plus être à nos propres yeux. La direction de notre vie, même les détails de notre vie, nous les remettons à un autre, cet autre qui est Dieu, cet autre qui est le Christ, mais toujours à travers des personnes bien concrètes. Si bien que c'est un véritable saut dans le vide.
Mais attention! Lorsque nous touchons le fond du fond qui est la perfection de l’humilité, nous ne nous écrasons pas, non, nous atterrissons. Nous sommes réduits à rien naturellement, mais c'est à ce moment-là que nous rencontrons surtout et d'abord le Christ qui est là, qui est descendu jusque là pour nous y attendre.
Par l'obéissance, nous nous laissons marteler, ciseler, nous nous laissons polir. Voyez les pierres que nous utilisons là pour la réfection de notre église. Il faut une fois regarder travailler ces tailleurs de pierre, ces sculpteurs.
Mettons-nous un peu dans la situation de ces pierres qui vont être placées dans un édifice qui sera le temple de Dieu. Eh bien, c'est ce qui nous arrive. L'obéissance nous conditionne, elle nous façonne pour que nous y trouvions notre place à l'intérieur de Dieu.
Et puis, par l'obéissance, et c'est là peut-être le sommet de l'audace, plus aucune mort ne nous effraie. Le véritable obéissant ne connaît plus la peur. Il y aura peut-être encore des réflexes épidermiques mais de courte durée à la surface donc de la peau, de la chair de l'être mortel, mais ils ne durent pas. La peur, l'obéissant ne la connaît plus. C'est ça vraiment l'audace de la foi.
Et puis, nous savons aussi que dans le renoncement, dans le dépouillement nous revêtons. notre être d'immortalité. Et dans l'abaissement, nous touchons le sommet de l'exaltation céleste. Saint Benoît en parlait hier, exaltatio illam caelesti, 7,15. C'est la condition même qui est la nôtre aujourd'hui.
Et c'est pourquoi nous devons nous respecter nous-mêmes et nous respecter les uns les autres. Nous sommes des êtres ressuscités, nous sommes des êtres déjà là dans le ciel. Mais nous sommes aussi des êtres qui se laissent achever, accomplir, ici sur terre par cette obéissance qui est justement l'expression pratique de l'audace.
Mais voilà, mes frères, ce n'est donc pas l'un après l'autre que nous vivons, c'est à dire d'abord une descente et puis une montée. Non, les deux sont toujours conjoints. Ils se retrouvent toujours ensemble à chaque instant de notre vie.
Et voilà, telle est notre foi, telle est notre audace et telle est la gloire de notre propre ascension.
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Mes soeurs, mes frères,
En écoutant l'Apôtre Paul, nous avons le sentiment que les premiers chrétiens vivaient l'Ascension de leur Seigneur dans l'univers de la Trinité avec une intensité qui s'est malheureusement bien relâchée depuis lors.
Pourtant, un sursaut ne pourrait-il s'éveiller en nous ? Pourquoi ne pas retrouver cette foi, cette espérance, cet élan ? La Pâque du Seigneur, n'est-elle pas au coeur de notre vie humaine ? Mieux encore, n'en est-elle pas le cœur ?
Nous sommes tout de même plus qu'un amoncellement de molécules, plus que des animaux destinés à la cadavérisation. Tout de nous aspire à une forme impérissable de vie. Pourquoi ne pas espérer au-delà de toute espérance ? Pourquoi ne pas rêver au-delà des rêves les plus fous ? Ne sommes-nous pas faits pour des dépassements sans fin, pour des epekthase sans mesure ?
Laissons donc en toute confiance l'Esprit Saint pousser en nous des gémissements ineffables. Il ne demande qu'une seule chose, celle précisément que le Christ, que Dieu veut nous donner : notre transfiguration, notre propre assomption dans la lumière de la Trinité.
L'Apôtre nous parle d'une gloire sans prix qui est notre héritage. Nous sommes ressuscités avec le Christ, nous sommes avec lui au plus haut des cieux, nous sommes les enfants de la lumière et de l'amour. Tout est remis entre nos mains. Alors, pourquoi encore avoir peur ?
Pourquoi encore nous laisser écraser par le doute ? Ne devons-nous pas comme un saint, un grand saint nous le conseille, sortir au grand jour et nous draper dans notre gloire. Elle est nôtre. Nous ne devons pas hésiter à le dire, nous ne devons pas hésiter à le vivre.
N'attendons pas demain pour être de vrais chrétiens, des témoins d'un avenir promis à tous les hommes. Un philosophe athée disait qu'il n'était pas possible de devenir chrétien tellement ceux qu'il voyait avaient toujours l'air triste. Est-il permis qu'un chrétien soit triste ?
Quoi qu'il lui arrive, mais son coeur a déjà traversé tout, son coeur est déjà là où est son avenir. Il n'y a plus en pratique de différence, il n'y a plus de cloison, il n'y a même plus de voile entre le présent et le futur. Il est accompli déjà dans tout son être, en espérance certes, mais pourtant de façon bien réelle.
Oui, mes soeurs, mes frères, chaque être de chair quel qu'il soit est un Dieu en puissance, un Dieu en devenir. Mais parmi eux, parmi tous les hommes, le chrétien et entre parenthèses surtout le moine, le chrétien ose dire : c'est arrivé ! c'est accompli ! Il le dit par sa vie qui est déjà l'éternité présente. Il le dit parce qu'il ne veut rien faire d'autre que d'aimer envers et contre tout.
Ce n'est pas facile, je le sais, mais ce n'est pas impossible. Il suffit de laisser l'amour qui nous habite, l'Esprit qui nous habite devenir en nous le plus fort, de laisser les énergies divines se déployer librement afin que finalement nous ne puissions rien faire d'autre que d'aimer.
C'est à cela qu'on reconnaîtra que nous sommes disciples du Christ, si à travers toutes les épreuves, à travers tout ce qu'on peut nous faire, tout ce qui peut nous tomber dessus, nous ne cessions pas d'aimer.
Nous sommes tous membres d'un Corps que Dieu comble totalement de tout. Voilà ce que vient de nous dire l'Apôtre. Et ce Corps dont le Christ ressuscité est la tête est déjà la vie éternelle. C'est un Corps qui est totalement divinisé et nous en sommes les membres. Et cette vie, elle bat dans nos artères et elle nous rend transparents de Dieu. Tels étaient les premiers chrétiens, tels nous sommes. A nous maintenant de le croire et de le manifester.
Dans cette Eucharistie, nous recevrons une fois encore la plénitude du mystère que nous sommes. A nous de rayonner humblement ce mystère sur tous les hommes nos frères, sur tous ceux que nous rencontrons, sur tous ceux qui sont au loin, sur tout ceux qui sont près. Car à l'intérieur de ce Corps, rien ne se passe qui ne soit répercuté jusque dans les plus infimes cellules.
Amen.
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Mes frères,
Chaque fois que j'entends Saint Benoît nous parler de l'humilité, il y a une foule de questions qui se lèvent dans mon esprit. Et puis lorsque la lecture du chapitre s'est terminée, elles s'évanouissent pour resurgir quatre mois plus tard.
Mais elles tournent toutes autour de ceci : eh bien l'humilité, qu'est-ce que c'est que l'humilité ? Elle ne peut avoir sa source en nous, ce serait trop facile. Il s'agit d'autre chose.
On ne peut pas dire non plus que l'humilité est une grâce reçue de Dieu, qu'elle est un cadeau auquel nous devrions nous ouvrir et qui pourrait tomber ainsi dans notre cœur sans effort de notre part.
Certes, elle est une grâce, une des plus belles, mais nous devons tout de même apporter notre part au travail. Saint Benoît nous dit par exemple aujourd'hui : a voluntatibus tuis avertere, 7, 54. On a traduit : renonce à tes volontés.
En fait, ce n'est pas tout à fait ça. Il faut s'écarter de ses volontés, il faut vraiment prendre la fuite devant elles. Pourquoi ? Parce que elles sont un danger et un danger très grand. Le plus grand des dangers, ce sont nos volontés propres.
Si bien que lorsque elles se présentent à nous, nous devons prendre la fuite devant elles, ne pas essayer de composer avec elles, de trouver un accommodement entre notre volonté propre et la volonté de Dieu. Non, avertere dit l'Ecriture et nous rappelle Saint Benoît. Il faut vraiment s'en écarter comme on s’écarte d'un serpent venimeux. On ne joue pas avec, c'est trop dangereux !
Mais alors, ce que nous avons à faire, ce sera d’abord justement de nous tenir sur nos gardes vis-à-vis de nos désirs propres. Et puis, ce n'est pas suffisant, il faudra aussi entrer dans ce que Dieu nous propose car, chaque fois qu'il nous offre sa volonté, c'est l'humilité qu'il nous donne.
Saint Benoît nous dit quelque part que le premier degré de l'humilité, c'est à dire le principal de la route de l'humilité, c'est l'obéissance. Donc, c'est de pouvoir écouter, entendre la volonté de Dieu, la recevoir de suite, ne plus faire qu'un avec elle. A ce moment-là, la grâce de l'humilité entre en nous.
Mais pour pouvoir ainsi être attentifs et ouverts à ce que Dieu nous demande et à ce qu'il nous offre, nous devons - mais vraiment alors - prendre la fuite devant nos volontés propres, donc s'en écarter.
Nous avions vu - et je n'ai pas encore fini - que le tout premier instrument des bonnes œuvres, c’est d’aimer le Seigneur de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa force, 4, 2. Il y a là une totalité qui exclu le partage. Tout notre être doit être saisi par Dieu et remis à Dieu. Nous voici ramenés encore une fois à cette fameuse écoute, à cette fameuse obéissance.
Eh bien, la perfection de l'humilité, c'est cela, lorsque tout notre être n'est plus qu'un appel permanent à Dieu, n'est plus qu'une prière à Dieu, qu'une invocation à Dieu et en même temps un accueil de Dieu, une réception de Dieu en nous.
Lorsque toute notre force, toute notre âme et puis tout notre cœur sont ainsi captivés par Dieu - mais c'est une captivité volontaire, c'est une remise totale de nous - à ce moment-là il n'y a plus place en nous pour des volontés propres, il n'y plus place en nous que pour Dieu et son être.
Si bien que l'humilité - il me semble vous l'avoir déjà dit une fois ou l'autre - l'humilité, mais la vraie, l'humilité dans son essence la plus secrète, c'est Dieu lui-même, c'est Lui. Il n'y a que lui qui est humble. Lui, il est l'humilité. Comme il est l'amour, comme il est la vérité, comme il est la lumière, comme il est la beauté, comme il est la douceur, il est l'humilité.
Et lorsque, voilà, lorsque nous nous ouvrons à la lumière de Dieu, lorsque nous nous ouvrons à la compassion et à la douceur - dans nos rapports fraternels par exemple - en même temps, encore une fois, là aussi nous nous ouvrons à l'humilité et nous la recevons.
Car lorsque Dieu nous fait un cadeau, le cadeau de sa personne, il vient avec tout ce qu'il est. Il ne va pas par exemple nous donner, voilà, la douceur, sa douceur sans nous donner son humilité, sans nous donner sa lumière.
C'est lui qui nous donne et c'est nous qui dans notre être limité devons établir comme ça des distinctions par rapport à nous. Mais enfin, c'est une seule unité, c'est lui dans son être le plus pur et le plus vrai. Et si nous sommes dans le monastère, eh bien, c'est pour ça et rien d'autre que cela.
Je viens d'entendre il y a deux minutes une information au sujet d'un homme qui à l'intérieur de sa profession est vraiment extraordinaire. Il épouse sa profession avec une telle vérité que, où qu'il soit et quoi qu'il fasse, il faut qu'il l'exerce en perfection. Non pas pour se mettre en valeur, mais pour apporter le réconfort nécessaire à son interlocuteur, à celui qui s'adresse à lui.
Eh bien nous, à l'intérieur de notre vocation, de l'aspect social de notre vocation, nous devons faire la même chose. C'est à dire nous recevoir de Dieu avec une telle intensité de cœur - ce n'est pas de la crispation nerveuse mais un tel abandon plutôt - que nous pouvons à ce moment-là, à partir de nous, laisser cette vie divine surabonder et se répartir à l’extérieur, et atteindre ceux qui en ont besoin. C'est tout l'aspect social de l'humilité.
Mais voilà, il est temps d'aller à l'église et de remercier Dieu pour la grâce qu'il nous fait et pour lui demander une autre grâce, celle de nous permettre d'aller vraiment jusqu'au bout de ce qu'il attend de nous.
Mes frères,
Comment peut-il se faire que Dieu soit l'humilité ? L'humilité n'est-elle pas liée à notre condition charnelle, à notre être de péché ? Eh bien non, mes frères, un homme véritablement humble ne commet plus de péchés. Il échappe encore de petites choses qu'il étale devant Dieu, qu'il confesse, qu'il reconnaît ; mais de véritables péchés, chez lui, il n'y est plus possible qu'il en ait.
Voyez ce que nous dit ici Saint Benoît. Il nous dit que nous devons nous garder du désir mauvais parce que le mort est placée à l'entrée même du plaisir. 7,67. Cela signifie ceci, mes frères : le désir peut être bon si il ouvre mon cœur à la lumière. Je désire voir Dieu.
Thérèse d'Avila à l'âge de cinq ans se rendait au pays des Maures pour y subir le martyre et voir Dieu tout de suite. « Je veux voir Dieu », disait-elle. C'est un désir noble, un désir saint, mais il y a un désir mauvais.
Et ce désir mauvais, c'est justement la delectatio, la délectation, le plaisir qui au lieu de nous ouvrir à Dieu nous replie sur nous-mêmes. Il nous enferme en nous. Nous trouvons un plaisir, une délectation et nous l'entretenons, nous la cultivons. Elle occupe tout notre être, toute notre attention, tout notre désir. Et nous étouffons, nous nous asphyxions, nous mourons.
Tandis que si je m'ouvre de plus en plus à cette lumière qui est Dieu, à cet amour qui est Dieu, mais à ce moment j'émigre. Je sors de moi, j'émigre et je me retrouve ailleurs. Je me retrouve là où est Dieu l'objet de mon désir. Je le rencontre puisque c'est Dieu lui-même qui éveille ce désir en moi. Et s'il l'éveille, c'est pour le satisfaire à perte de vue, en démesure.
Eh bien ça, c'est le réflexe de l'homme humble. Et encore une fois, comme vous l'aurez sans doute remarqué, ce réflexe est éveillé dans le cœur du moine par Dieu, par Dieu qui est amour, par Dieu qui est lumière, mais par Dieu qui est humilité.
Car, que se passe-t-il chez Dieu ? Eh bien Dieu est trois Personnes. Il est d'abord trois Personnes, puis ensuite il est un seul. Nous autres, je dirais, nous devons établir ainsi des sortes de mouvements en Dieu comme si il y avait un avant et un après.
Non, chez lui, il n'y a pas ni avant, ni après. Mais nous, pour la facilité de la réflexion, nous devons bien introduire un avant et un après. Donc IL est UN parce qu'IL est TROIS. Il n'y a pas de mathématique là dedans, attention !
Eh bien, que se passe-t-il ? Chaque Personne de la Trinité a ainsi totalement émigré chez les autres. Chaque Personne de la Trinité ne trouve pas la moindre délectation, le moindre plaisir en elle-même.
Tout ce qu'elle est, tout ce qu'elle désire être, elle le reçoit des autres. Et comme elles sont trois, il y a donc là tout un courant, un courant de relation, un courant d'amour qui circule avec une intensité qui ne fait que croître.
Car enfin - c'est mon opinion ici et j'espère qu'elle est théologiquement exacte - c'est que chez Dieu, il n'y a rien qui est statique, rien qui est immobile. Si je puis en langage humain traduire une réalité que je soupçonne, dont j'ai l'intuition, c'est que Dieu lui-même est en expansion infinie.
Donc, étant l'amour, ce n'est pas un amour statique, c'est un amour qui à l'image de Dieu ne fait jamais que grandir. Donc, chacune des Personnes de la Trinité se reçoit des autres comme si elle venait - enfin il faut bien avoir des expressions - comme si elle venait de naître à ce moment-là.
Eh bien, c'est justement là que se situe l'humilité chez Dieu. Dieu est l'humilité à cause de ça parce que aucune des Personnes n'existe par elle-même.
Donc pour nous, mes frères, si maintenant nous voulons accueillir en nous ce Dieu qui est humilité, et si nous voulons aussi grandir, nous développer, nous dilater comme lui à l'infini dans notre être le plus personnel, eh bien, nous devons renoncer à placer en nous l'origine de ce que nous sommes.
Et Saint Benoît ici dit que le premier degré d'humilité consiste à se remettre toujours devant les yeux la crainte de Dieu, 7,30. N'allons pas penser ici qu'il s'agit de quelque chose de terrifiant. Non, mais c'est simplement d'avoir toujours devant les yeux qui est Dieu.
Non pas pour prendre la fuite devant lui, non pas pour trembler devant lui, être terrorisés devant lui, mais pour nous ouvrir à lui de plus en plus. Sinon cette crainte de Dieu ne pourrait pas être la crainte de l'humilité.
A la limite, crainte de Dieu - telle qu'elle est dans la réalité - et contemplation, donc début de vision de Dieu, sont une seule et même chose mais qui, à l'intérieur de notre être limité, retentit de façon différente. Mais c'est la même chose !
C'est parce que je commence à voir Dieu que je me tiens correctement devant lui, puis que je vais m'ouvrir à lui, que je vais le laisser entrer en moi de manière à ce que je devienne moi aussi humble. Mais alors, pas d'une humilité à la mesure de l'homme, mais l'humilité à la mesure de Dieu qui, lui, est humilité comme il est amour, et lumière, et douceur, et compassion, et vérité, et paix, etc.
Voilà mes frères, je pense, des perspectives qui sont encourageantes et qui nous font mieux comprendre en quoi consiste notre obéissance, donc cette écoute, cette écoute qui permet à Dieu, à l'humilité qu'est Dieu d'entrer en nous et de nous transfigurer.
Parce que au stade ultime - c'est toujours là qu'il faut aller pour bien voir les choses dans leur vérité - au stade ultime, je n'existe plus du tout par moi, exactement comme chaque Personne de la Trinité n'existe pas par elle-même. J'existe uniquement par Dieu qui se donne à moi à travers mes frères, à travers les événements et aussi directement.
Si nous pouvions retenir cela, je pense que ce serais très beau et que nous comprendrions mieux un peu tout ce qui nous arrive, tous les déboires qui nous arrivent dans la vie commune où nous nous heurtons à nos limites, où nous nous heurtons à la liberté des autres, où nous sommes toujours d'une certaine manière remis à notre place, comme on dit, où nous entrons dans notre vérité.
Eh bien, nous voyons toujours les choses en face et disons-nous que c'est une grande grâce de vivre en frères comme ça dans une société qui est à l'image de ce qui sera notre lot dans la création nouvelle. Donc des hommes qui sont tous destinés à devenir des saints, c'est à dire à accueillir en eux l'humilité même de Dieu et à devenir à ce moment-là transparence de ce qu'est Dieu.
Eh bien, pendant cette neuvaine où nous invoquons l‘Esprit Saint chaque jour avant l'Office de Tierce, pensons à cela et demandons les uns pour les autres la grâce de comprendre et de vivre de mieux en mieux notre vocation.
Mes frères,
Dans la Carte de Visite qu'il nous laissait en Novembre 86, notre Père Immédiat posait une question : envisage-t-on le rétablissement sous quelque forme que ce soit de la correction fraternelle ?
Au Chapitre Général de 87, je m'étais informé auprès de quelques Abbés pour savoir comment cette correction fraternelle se pratiquait chez eux. Et à ma grande surprise, je n'ai reçu aucune réponse. C'était donc quelque chose qui s'était soit évanoui, soit très difficile à réaliser.
Mais voici qu'au retour de la Conférence Régionale, le frère Jacques nous a fait une remarque qui est tombée dans mon coeur. Il a dit que chez les moniales, l'exercice de l'autorité passait bien souvent par le biais de la correction fraternelle.
Cette parole est tombée dans mon coeur. Elle a germé très lentement, l'Esprit Saint certainement y a mis son petit grain. Et voilà qu'après des années Dieu m'a donné une petite lumière sur cette question délicate. Il me semble avoir trouvé une forme originale, simple, pratique, respectueuse de correction fraternelle.
Si vous le voulez, on pourrait en faire l'expérience à l'occasion de notre récollection mensuelle, non pas le samedi soir mais le dimanche matin. Le samedi soir, ça pourrait peut-être donner des cauchemars à quelques uns. Le dimanche matin on est en plein soleil et puis les choses se voient et se vivent autrement, surtout au printemps et en été.
Alors, voici comment nous procéderions. Nous aborderions, du moins pour commencer, un point précis au sujet duquel nous pourrions nous examiner. Car, comme il s'agit de correction fraternelle, il serait permis de mettre en cause l'un ou l'autre frère - donc de citer des noms - mais toujours naturellement avec charité et un immense respect. Ce ne peut être l'occasion d'un règlement de compte.
Et puis, le frère qui éventuellement serait cité, recevrait la remarque avec gratitude car l'intention ne serait pas de le blesser ou de l'humilier, mais bien d'attirer son attention sur un comportement défectueux. C'est donc quelque chose de tout à fait ordinaire. Cela se pratique dans les familles, cela se pratique tout aussi simplement me semble-t-il - dans une famille religieuse.
On pourrait aussi s'examiner en commun, c'est à dire la communauté comme telle dans son ensemble peut très bien commettre une erreur. L'un ou l'autre peut remarquer cette erreur et la signaler. Saint Benoît nous dit que c'est souvent au plus jeune que l'Esprit donne la réponse juste. La sagesse n'est pas le monopole des anciens.
Et naturellement comme le ton fait la chanson, il n'y aurait aucune agressivité dans les paroles, mais toujours la politesse et la douceur. Nous sommes tout de même entre gens civilisés. Oui, et puis nous sommes dans un monastère, nous sommes des frères. Ce qui habite en nous, ce n'est pas l'esprit du monde, mais c'est l'Esprit de Dieu, Esprit de réconciliation, Esprit de paix et puis Esprit de concorde.
Eh bien, nous pourrions inaugurer cela dimanche prochain qui est le jour de notre récollection. Et nous aborderions la question de notre comportement au réfectoire surtout au cours des repas. Mais attention ! Il ne s'agit pas ici de critiquer les réfectoriers ni les cuisiniers. Il n'est pas question de cela. C'est la façon dont nous nous tenons au réfectoire, ce qui se passe au réfectoire pendant les repas.
Que la nourriture soit ce qu'elle soit - elle est toujours ici excellente naturellement - mais ce n'est pas de ce côté-là que nous regardons : c'est nous-mêmes, et puis peut-être, avec beaucoup de discrétion, nos voisins.
Alors, mes frères, si vous le voulez bien, réfléchissez. Voyez ce qui pourrait être corrigé chez certains ou bien dans la communauté comme telle. Il y a certainement des choses.
En tout cas, pour vous tranquilliser, c'est moi qui ouvrirait le feu. Cela veut dire que c'est moi qui commencerait, c'est moi qui signalerait un petit quelque chose qui n'est pas tout à fait juste.
Et puis comme ça vous serez encouragés. s'il y a quelque chose à dire, et bien vous le direz, même à mon sujet. Il ne faut pas vous gêner. J'espère que j'ai été suffisamment clair. Est-ce que vous avez un petit éclaircissement à demander ? Je ne sais. Ecoutez, c'est une affaire qui devrait être rodée aussi. Il y aura certainement des petits ratés au départ, mais je pense qu'après quelques mois nous aurons trouvé notre vitesse de croisière.
Intervention du frère Jacques :
Puisque vous m’avez mis en cause en parlant des moniales, elles ont donné quelques renseignements intéressants à mon avis. Par exemple, quand il y a une correction fraternelle en groupe, il n’y a pas de Président et on change un peu les sièges. C’est autre chose, ce n’est pas tous les jours.
C’est une conversation, pas à bâton rompu, mais où chacun a la liberté en gardant la charité de dire égal à égal à un frère ou bien à l’ensemble ce qu’on a à dire. C’est peut-être des nuances qui ne sont bonnes que pour les femmes ou les moniales, mais il me semble que ce n’est pas bête quand même.
Donc, ce n’est pas à nouveau le Supérieur, l’Abbé qui préside quelque chose mais c’est un groupe de frères qui cherchent ensemble. Et naturellement on a tout le respect qu’il faut pour l’Abbé et pour les frères, mais c’est une fois autre chose.
C'est très, très juste, c'est très bien, et il est possible qu'après un certain temps nous y arrivions. Mais je pense que au départ, il faut tout de même mettre l'affaire en route.
Et nous sommes aussi dans une situation quelque peu anormale du fait que nous n'avons plus de chapitre. Ici, par exemple, qu'est-ce que ça peut faire de changer d'endroit ? Vous voyez, c'est difficile, c'est difficile !
Nous devons donc roder la chose, mais je pense que c'est juste. Il s'agit de correction fraternelle ici, donc c'est une ambiance toute autre que celle d'un chapitre, ou que celle d'une conférence où il y a quelqu'un qui préside. Mais il faut malgré tout, malgré tout qu'il y ait ce qu'on appelle un modérateur. C'est quelqu'un qui dirige les choses et puis qui les maintient dans les normes reçues.
Mais je me demande pourquoi ça se pratique beaucoup plus facilement chez les moniales ? Est-ce que c'est dans leur tempérament ? Vous savez, les femmes ensemble, ça cause beaucoup plus facilement que les hommes. Entre voisines, entre amies, entre commères, tout ça, ça se pratique. Tandis que les hommes sont beaucoup plus individualistes.
Mais ça ne fait rien, dans le Royaume de Dieu il n'y a plus ni homme, ni femme et nous pourrions un jour arriver à une formule qui soit vraiment typique de notre communauté.
En attendant, essayons de demander à l'Esprit Saint tout de même puisque nous sommes dans sa semaine à lui et que nous commençons cela le jour de la Pentecôte. Cela vaut la peine qu’il nous aide de faire de notre mieux.
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Mes frères,
Quand nous entendons ce que Saint Benoît demande de son moine, nous avons un sursaut, du moins moi qui suis encore à marcher à quatre pattes sur la terre. Vous, vous êtes peut-être avec les ailes du grand Aigle en train de voleter dans les hauteurs ? Et je me demande : « Mais enfin, se faire obéissant jusqu'à la mort, est-ce vrai, ça, pour nous ? Est-ce possible ? Est-ce permis ?
J'ai le sentiment que nous nous trouvons en présence d'une parole dont la profondeur abyssale ne peut être sondée. Nous n'en voyons pas le fond. Et il me semble que si nous voulons être de véritables moines tels que Dieu le désire certainement en nous appelant au monastère, nous devons nous laisser choir dans cet abîme même si nous n'en voyons pas le fond, et atteindre ce fond, ce fond invisible qui est le fond du fond. Et c'est là que le Seigneur Jésus s'est laissé tomber.
Lorsque on dit : il s'est fait obéissant jusqu'à la mort, qu'est-ce que ça peut signifier ? Nous savons que lui, réellement, il est mort sur une croix. Etre obéissant jusqu'à la mort serait donc jusqu'à mourir, jusqu'à perdre sa vie dans des circonstances, voilà, qui ne dépendent pas de nous et qui peuvent être assez dures ?
Ou bien, cela signifierait-il être obéissant jusqu'à l'article de la mort, ce qui est beaucoup plus rassurant. On peut comme ça mourir centenaire dans son lit entouré de ses frères, comme on raconte dans les légendes des saints. C'est même très honorable !
Mais pour mieux comprendre, me semble-t-il, il faut retourner, il faut reconstituer l'ensemble de cette parole inspirée. Il est dit que le Seigneur Jésus s'est vidé de lui-même, qu’il s'est kénosé. Et cette vidange - appelons ça une vidange - cette vidange de soi est vraiment l'équivalent d'une mort. Car ce qu'il était, il ne l'était plus tout en le restant.
Il était Dieu. Il s'est vidé, il s'est kénosé de tout ce qui faisait de lui un Dieu pour devenir une chair humaine et puis se laisser conduire par les hommes à la mort qui a été la sienne. Il était Dieu, c'est certain. Il ne pouvait pas ne pas être Dieu, pourtant d'une certaine façon il ne l'était plus.
Eh bien, je pense que la solution pour nous se situe là. Et alors, ce qui nous est demandé devient moins inquiétant. Il s'agit au fond de permettre au Seigneur Jésus d'être obéissant en nous et cela jusqu'à la mort. Le type de mort, alors, ne nous intéresse plus. Nous lui permettons d'être Dieu jusque là, d'être incarné jusque là, d'être homme jusque là. Et c'est sa propre obéissance alors qui pénètre dans notre cœur et qui devient le moteur de tout notre agir.
Il s'agit donc de bien autre chose que ce qu'on appelle habituellement l'obéissance qui, pratiquement, est peut-être beaucoup plus contraignante dans le monde qu'au monastère. Ceux qui ont travaillé dans des ateliers, sur des chantiers, dans des bureaux, dans des administrations le savent.
Il suffit de voir - ne regardons pas nos ouvriers à nous car ils sont vraiment dans le beurre - mais de voir les ouvriers qui travaillent sur le chantier, eh bien, ils travaillent 9 heures par jour et ils ne relèvent pas le dos.
Et si jamais un de ces ouvriers commençait à tirer au flanc, à flâner un petit peu, à traîner, on ne lui ferait peut-être pas la remarque, mais le patron l'appellerait à la fin de la semaine pour lui remettre son C4. Voilà, vous pouvez aller pointer. Il ne nous faut pas d'ouvrier comme ça.
Oui, mes frères, l'obéissance dans le monde est plus dure, plus contraignante que chez nous. Donc, chez nous, l'obéissance est autre chose que ce habituellement on verrait par obéissance. Elle est une expression de l'amour. Elle ne peut être que ça. Si bien que à la limite, je n'ai plus le sentiment d'obéir.
Je fais tout parce que j’aime et je laisse le Seigneur Jésus pénétrer - encore une fois - mon cœur, ma pensée, mon imagination, ma mémoire, mon esprit, ma chair. Parce que je l'aime, je m'ouvre à lui, je veux l'imiter, je veux lui permettre d'être lui en moi.
A ce moment-là, mon obéissance devient quelque chose qui n'est plus rebutant, qui a toujours son caractère pénible peut-être parfois, mais c'est une obéissance qui est embrassée exactement comme le Christ embrassait la volonté de son Père. C'était sa nourriture !
Donc tout Dieu lui-même dans sa volonté devient ma nourriture. A ce moment-là vraiment je suis factus oboediens, 7,92. Je suis devenu un obéissant, un écoutant. Ce n'est plus moi qui vis, c'est Dieu qui vit en moi et qui, voilà, poursuit son mystère jusqu'à l'endroit où il veut me conduire. Eh bien, mes frères, la sainteté, ce n'est rien d'autre que cela, rien d'autre.
Saint Benoît naturellement sait très bien de quoi il s'agit. Demain, au quatrième degré d'humilité, il va nous prévenir que malgré tout il peut y avoir, il y aura certainement des accrocs, des pièges, parce que le démon, parce que la chair seront toujours là pour nous empêcher, pour empêcher Dieu de faire de nous un saint. Eh bien voilà, restons-en là pour aujourd'hui et demandons-lui les uns pour les autres la grâce de comprendre ce qu'il nous demande et de vaincre grâce à lui toutes les peurs qui peuvent parfois faire frissonner la chair de notre cœur.
Mes frères,
Suis-je né sous une bonne ou sous une mauvaise étoile ? En me voyant assis dans ce fauteuil majestueux, vous devez penser : Celui-là au moins son étoile était bonne. Enfin, quoi qu'il en soit, je suis né à l'ombre du quatrième degré d'humilité et vous venez d'entendre de quoi il s'agit.
Dois-je parler de ma propre expérience en parlant de ce degré ? Au moment de ma naissance, je ne savais pas du tout que j'étais déjà pris dans ce filet. Je ne l'ai découvert que beaucoup plus tard et je pense que je le découvre encore chaque jour. Mais c'est un filet qui n'est pas du tout désagréable, loin de là, car ce filet n'est rien d'autre que l'amour de Dieu qui se dépose dans le cœur d'un homme et qui le réjouit à travers toutes les tribulations qui peuvent survenir.
Attention ! N'allons pas maintenant nous imaginer que tout ce que dit ici Saint Benoît va nous tomber ensemble sur le dos. Non, il énumère une série d'épreuves qui peuvent survenir, mais elles n'arrivent pas ensembles. C'est une, c'est l'autre. Mais pourquoi surgissent-elles, ces épreuves ?
Eh bien, c'est parce que nous ne cessons d'opposer une sourde opposition au travail de la grâce en nous. Nous avons vu hier que nous devions laisser dans tout notre être la totalité de la place à l'obéissance du Christ lui-même. C'est le Christ qui doit être obéissant en nous.
Notre petite obéissance d'homme, c'est bon, c'est bien, c'est gentil, mais c'est encore malgré tout très fort empêtré dans la chair. Nous obéissons, ma foi, quand ça nous plaît. La chose qui nous est demandée nous plaît, eh bien voilà, nous avons de l'entrain. Si ça ne nous plaît pas trop, nous traînons la patte mais nous obéissons quand même. Non, c'est l'obéissance du Christ qui doit triompher dans toute notre vie.
Et alors, avec l'obéissance du Christ, c'est Dieu lui-même qui devient la loi de notre existence, qui devient notre respiration, car l'amour de Dieu va jusque là. Il nous permet de respirer l'Esprit Saint comme l'Esprit Saint est respiré au sein de la Trinité. Eh bien, l'épreuve vient très, très, très souvent de nous.
N'allons pas trop vite nous imaginer qu'elle nous vient des autres. Non, elle vient de nous. Naturellement il y a d'autres épreuves qui peuvent survenir, comme des épreuves de santé. Nous en avons un exemple maintenant parmi nous, le frère Gilbert, qui n'a pas cherché cette histoire malencontreuse. Voilà, elle lui est tombée dessus et il doit s'adapter.
Ce n'est pas cela le quatrième degré d'humilité. Le quatrième degré d'humilité a trait toujours à l'obéissance. C'est à l'intérieur de l'obéissance que nous éprouvons des difficultés, soit par le fait de l'obéissance, soit - encore une fois - par la misère qui est en nous. Mais la plupart du temps, c'est notre misère charnelle qui fait obstacle à la volonté de Dieu, qui fait obstacle à l'amour que Dieu veut nous donner à flots.
Et pourquoi ? Mais parce que nous sommes vraiment bien en sécurité à l'intérieur de notre chair, de nos petites limites, alors que dans l'obéissance, Dieu nous sollicite à sortir de nous, à nous lancer dans une aventure à sa suite. Mais nous savons bien où nous allons, que c'est pour devenir un seul esprit avec lui.
Mais malgré tout, nous ne savons pas expérimentalement ce que c'est avant d'y être. Nous devons donc le croire, nous devons l'espérer et, de là vient toute la misère. Notre foi est trop faible, notre espérance est racornie. Et alors, toutes les choses dont parle ici Saint Benoît nous assaillent.
Donc n'allons pas, comme l'Apôtre nous le dit, n'allons pas nous imaginer que c'est Dieu qui nous tente, que c'est Dieu qui tombe sur nous. Non, nous sommes mis à l'épreuve par notre propre concupiscence.
Je pense que lorsqu'on a compris cela, on a une clef qui nous permet de déchiffrer tout ce qui peut nous arriver à l'intérieur de notre vie. Dans le fond, nous sommes des êtres compliqués à des degrés divers. Et voilà, nous ne sommes jamais contents, nous nous posons toujours des questions.
Mais ça, c'est une façon très, disons, très élégante à nos propres yeux, de nous débiner, de nous défiler, d'essayer d'échapper à la volonté de Dieu qui est là présente et qui nous sollicite. Et voilà, nous essayons de passer en dessous, au-dessus ou à côté. Tandis que la simplicité, elle, accueille tout ce qui se présente.
Et nous comprenons alors que nous devons redevenir, absolument redevenir de petits enfants, des petits enfants, des petits garçons de quatre ans - je vous l'ai déjà dit - de quatre ans, pas au-delà, parce que au-delà, on commence déjà à être un peu corrompu par la société, comme disait Jean-Jacques Rousseau.
Non, tout recevoir, tout croire, tout espérer parce qu'on est tout petit et qu'on n'imagine pas que le rêve que l'on a ne puisse pas se réaliser. Eh bien, voyez que nous devons recouvrir une simplicité de petit garçon et, c'est encore un cadeau que nous devons recevoir de Dieu.
Donc, n'ayons pas peur de nous laisser dépouiller de toute notre suffisance d'adulte pour redevenir en toute simplicité des enfants de Dieu. Nous naissons à la vie divine, eh bien laissons-nous mettre au monde.
Imaginons maintenant le tout petit enfant qui est en train de venir au monde et qui dirait : « Moi, je ne veux pas, je voudrais quand ça me plaira ! » Imaginez les catastrophes qui arriveraient pour la maman, pour l'enfant, pour tout le monde. Non, non, non, la nature a bien fait les choses. Quand le moment est arrivé, voilà, ça s'arrange.
Eh bien, ce doit être comme ça pour nous chez Dieu. Nous naissons à la vie divine avec autant de rapidité, autant de facilité, avec autant de simplicité si nous n'y mettons pas d'obstacles. Mais alors si nous commençons à en mettre, nous trébuchons dans ce quatrième degré d'humilité qui est vraiment là pour nous rappeler : attention, attention, reste tout de même le petit enfant que tu dois être !
Eh bien, essayons de retenir cette leçon et je pense que nous en tirerons un grand profit pour aujourd'hui, pour demain, pour tous les jours de notre vie. Et nous verrons à quel point la vie est facile parce que, ma foi, elle a sa source en Dieu qui est amour et qu'elle reflue sans cesse vers cette source qui est encore toujours l'amour.
Et s'il y a - encore une fois - des épreuves, des difficultés, des souffrances, on sait pourquoi ça arrive, on sait comment les maîtriser et s'en servir comme de montures pour encore aller plus vite jusqu'au cœur de Dieu.
Mes frères,
L'attitude que nous décrit ici Saint Benoît au sixième degré d'humilité définit vraiment le moine qui a rencontré Dieu, qui est entré dans l'intimité des trois Personnes divines. Il n'a pas décroché du monde, ça lui est impossible. Il est une cellule du cosmos, il en a de plus en plus conscience.
Mais il est tellement ébloui par la beauté de ce qu'il voit dans la personne de Dieu lui-même, dans la lumière de l'Esprit, dans l'amour qui se manifeste à travers le Christ ressuscité, que tout lui devient indifférent pour ce qui le touche personnellement. Il passe à travers tout, tout, tout, tout.
Qu'il soit estimé, qu'il soit méprisé, qu'il soit félicité, qu'il soit grondé, qu'on lui donne tort, qu'on commette une injustice, qu'on l'oublie, mais tout ça, c'est tout à fait accessoire. C'est tout aussi accessoire que la pluie ou le beau temps, des choses qu'on ne sait pas éviter, qu'on ne sait pas maîtriser et dont on s’accommode.
Eh bien, c'est la situation de notre moine, ici. Il est satisfait de tout ce qu'il y a de vil et de bas. Ce n'est pas ça qui l'intéresse. Ce qui l'intéresse, c'est d'être avec Dieu, c'est de vivre avec lui, c'est d'être de plus en plus pénétré par sa vie, par l'amour. Il est dans la même situation qu'un mort, c'est à dire d'un homme qui est déjà passé de l'état, voilà, mortel dans la béatitude éternelle.
S'il n'en était pas ainsi, ce serait la marque d'un dérèglement psychique, une sorte de masochisme, qu'on aime, qu'on recherche ce qui peut humilier, ce qui peut avilir. Non, c'est autre chose. Et dans ce que Saint Benoît nous disait hier, il y a caché toujours, mais il faut avoir des yeux pour le voir, pour le découvrir, il y a caché dans l'attitude du moine la toute première apparition d'une communion consciente avec Dieu.
Ici, la vie contemplative est devenue consciente. Jusqu'à présent, elle ne l'était pas. Elle était vraiment subie comme quelque chose à laquelle on ne peut échapper. Ici, il y a un dialogue amoureux conscient qui s'établit entre le moine et Dieu. Mais à travers quoi ? Eh bien, à travers ceci : toutes les pensées mauvaises qui montent dans son cœur, il les révèle par un humble aveu à son Abbé, 7,119.
Mais attention ! Son Abbé, ce n'est pas un homme Qui serait un psychologue averti et qui parviendrait à exercer une thérapie quelconque qui permettrait au cœur de ne plus avoir ces pensées mauvaises.
Non, l'Abbé, c'est pour le moine à ce moment-là la personne du Christ à laquelle il se remet totalement. Il remet toute sa vie jusqu'à l'intime de son cœur et il parle. C'est la première fois dans l'échelle de l'humilité que le moine parle. Et il parle au Christ, il parle à Dieu.
Il faut donc pour exercer ce cinquième degré d'humilité, il faut donc que la foi soit déjà bien éveillée, mais éveillée au point que derrière le voile de l'homme qu'est l'Abbé, on voit apparaître une autre figure qui est celle du Christ ressuscité.
Maintenant, quand on dit l'Abbé, ici, il faut certes voir l'Abbé dans le sens juridique du terme ; mais aussi, n'oublions pas que Saint Benoît est tout pétri de la tradition primitive du désert.
L'Abbé, l'Abba, c'est aussi le Père Spirituel, ça peut être un autre que celui qui occupe le siège Abbatial, ça peut être un frère de la communauté qui mérite le titre d'Abba, c'est à dire de Père capable d'engendrer à la vie divine. Donc quelqu'un dans lequel aussi resplendit le visage du Christ ressuscité et auquel on peut se donner.
Donc, ici, il y a pour la première fois un dialogue entre le moine et le Christ. Et c'est un dialogue à propos du mal qu'on commet ou du mal qui serpente dans le cœur. Il n'est donc pas nécessaire pour être un vrai contemplatif déjà, d'être arrivé au sommet. Non, on l'est au départ, on l'est dès le premier échelon. Et à mon sens, c'est très encourageant !
Mais une fois qu'on est arrivé là, qu'on est à ce degré de foi, et qu'on s'ouvre alors à Dieu dans la personne de l'Abbé ou du Père Spirituel, à ce moment-là, à travers ce dialogue, il y a - mais vraiment - la personne de Dieu qui pénètre l'être entier, qui en prend possession.
Et c'est alors - naturellement çà ne se fait pas en huit jours de temps - mais c'est alors que finalement, finalement tout ce qui sera étranger au Christ, à l'Esprit, à Dieu, à l'univers de Dieu, ça ne comptera plus dans la vie. Cela ne comptera plus, ce sera sans importance.
Ce seront des accidents, ce seront des occasions de pénétrer plus loin dans ce détachement, dans ce dépouillement et de s'ouvrir de plus en plus à cette vie nouvelle qui est celle de Dieu en nous.
Mais voilà, mes frères, de petites choses qui à mon sens sont vraiment encourageantes parce que nous voyons que notre vie profonde, donc notre vie d'intimité avec Dieu, elle est une croissance. C'est quelque chose qui grandit. Et pour la faire grandir, dans un monastère il n'y a rien qui puisse être un obstacle, mais tout est un avantage, absolument tout.
Il en va de la vie divine de l'homme comme la vie de la nature. Il faut du soleil, il faut de la pluie, il faut de la nuit, il faut que les plantes se reposent. Il faut que les plantent poussent aussi et cela suivant les lieux, suivant les climats, suivant les saisons. Et regardez quelle efflorescence maintenant !
J'ai rencontré dernièrement une personne qui rentrait du Canada. Nous savons que le Canada a connu un hiver très, très dur, qui a duré très longtemps puisque à Pâques au monastère des Prairies, ils étaient encore sous une belle couche de neige.
Eh bien, cette personne a vu le phénomène : la neige qui était là et puis tout à coup la chaleur qui a monté et la neige qui est partie. C'est presque incroyable, la nature avait de quinze jours à trois semaines de retard. Et là-bas dans ce pays, la bonne saison dure trois mois.
Eh bien, en trois semaines de temps, on a vu les érables verdir, les feuilles venir et en trois semaines les fruits de l'érable étaient là et les petites hélices tournaient. En trois semaines de temps ? Voilà !
Eh bien, c'est la même chose vous voyez, ici dans la vie spirituelle mais c'est un peu plus de trois semaines naturellement. Mais c'est pour dire que la vie spirituelle si on s'abandonne, elle est, comme un arbre, comme une plante, elle est irrésistible et on arrive à maturité. Et un jour, les petites hélices se détachent et vont fructifier partout...
Mes frères,
Nous l'avons bien compris, Dieu nous replace devant la réalité du monde d'aujourd'hui. Ce monde tel que nous le connaissons et le monde nouveau tel que Dieu le prépare sont absolument hétérogènes même s'ils ne cessent de se compénétrer.
Le premier est sous la coupe d'un prince qui pratique le meurtre depuis le commencement. Le second évolue sous la mouvance de l'Esprit, d'un Esprit qui le pénètre, qui le féconde et qui le conduit vers la vie éternelle.
Et cette vie éternelle n'est rien d'autre que l'Esprit Saint, l'Esprit qui à ce moment nourrira constamment le cosmos dans sa totalité et, surtout la conscience de ce cosmos qui est l'homme, l'homme ressuscité, l'homme transfiguré, l'homme divinisé.
Le premier de ce monde est le lieu de la confusion. C'est une immense cité dont le nom est Babel. C'est le lieu de la duplicité, du chantage, le lieu de la peur, de la guerre et de la haine. Et le second est le lieu de l'unité, de la vérité, de la sécurité, de la paix et de l'amour. Et nous savons que ces deux univers se disputent notre coeur. Et c'est pourquoi notre coeur gémit, et notre coeur crie.
Nous entendons la création entière crier en nous sa souffrance et la nôtre est l'écho lancinant de la sienne. Nous avons soif d'une vie authentique, d'une vie qui ne serait plus que jaillissement spontané de lumière, une vie qui nous unirait dans une communion de plus en plus étroite.
Et cette vie authentique, nous ne parvenons pas à croire vraiment en celui qui est capable de nous la donner, le Seigneur Jésus ressuscité d'entre les morts. Mes frères, si nous pouvions le croire, chacun de nos monastères seraient vraiment un paradis, chacune de nos églises serait le lieu vers lequel afflueraient toutes les nations du monde et la grande Eglise deviendrait identique à l'univers renouvelé.
Mais voilà, cette lutte est toujours là et notre faiblesse demeure. Cependant notre espérance ne peut pas faiblir, elle ne peut pas fléchir car Celui qui nous habite - cet Esprit qui nous a été donné - est plus fort que le prince du monde et il finira par l'emporter. Réfléchissons, si vous le voulez bien mes frères, un instant à notre condition de chrétien, à notre condition de moine contemplatif.
Ne devrions-nous pas, mes frères, être l'indéfectible espérance du monde? Le moine contemplatif, le véritable chrétien aussi - naturellement, il ne faut pas établir de cloisonnement entre les deux - le véritable chrétien est un oeil qui voit la lumière qu'est l'Esprit Saint.
On dit toujours que l'Esprit Saint est impossible à définir correctement. Laissons cela aux théologiens et demandons-lui d'ouvrir les yeux de notre coeur pour que nous le voyions dans la lumière qu'il est car cette lumière est bien réelle.
Vous savez que les tout premiers moines s'enfonçaient dans le désert parce que là se trouvait pour eux le lieu d'où jaillissait cette lumière. Et remontant ainsi jusqu'à la source, ils se laissaient ainsi transfigurer par elle et ils la voyaient. Et cette lumière, c'était l'Esprit.
Le véritable chrétien est aussi une oreille qui écoute la voix d'un souffle mystérieux. Et ce souffle peut parfois prendre les apparences d'une tempête, cela nous sera rappelé demain. Cet Esprit a soufflé sur des ossements desséchés et il y eut un grand fracas. Oui, il y a quelque chose qui pour la foi se disloque quand l'Esprit de Dieu agit, et qui se reconstruit. Et aucune reconstruction ne peut se faire sans mal.
Lorsque les pierres de notre église sont taillées, qu'elles sont façonnées, qu'elles sont sculptées, même si le sculpteur agit avec beaucoup de délicatesse, la pierre souffre. La pierre entend les coups qui éclatent à sa surface mais elle se laisse faire car elle sait qu'au terme elle sera un petit chef d'oeuvre.
Le véritable chrétien est aussi un coeur qui traverse les espaces et qui se donne sans retour à celui qui n'est pas complice du mal mais qui en est le vainqueur. Oui, le coeur franchit tous les espaces qui peuvent nous séparer de Dieu. Et ces espaces, ce sont, vous le savez, des obstacles, des murailles qu'il faut escalader, qu'il faut même abattre. Il nous est dit que Morse monta vers Dieu jusqu'au sommet d'une montagne sur laquelle était descendu Dieu dans le feu.
Eh bien, voilà l'itinéraire du chrétien, l'itinéraire du moine : gravir cette montagne, aller de dépassement en dépassement d'epekthase en epekthase pour finalement rencontrer celui qui est le vainqueur de tout mal.
Mes frères, nous venons maintenant à notre situation plus personnelle. Dans le silence de notre retraite monastique, nous devons attirer invinciblement à nous tous les hommes. O il n'est pas nécessaire de les voir accourir. Non, nous sommes dans une retraite. Mais dans l'invisible, il doit se passer quelque chose. Et pourquoi ?
Mais parce que le moine contemplatif qui voit la lumière de Dieu, qui entend sa voix, celui dont le coeur monte jusqu'au sommet de la montagne mystique du Sinaï, celui-là, il est présence permanente en ce monde-là du Christ ressuscité. Et l'Esprit Saint lui a donné de renaître à toute heure. Si bien qu'il ne connaît pas la décrépitude, l'entropie du vieillissement.
Si son corps s'en va inévitablement vers la tombe, à l'intérieur de lui l'Esprit Saint chaque jour lui donne un regain nouveau de jeunesse jusqu'à ce qu'il ait retrouvé sa source est la jeunesse éternelle, celle qui même de Dieu.
Et puis, mes frères, le moine contemplatif, s'il a été fidèle, à un moment donné des fleuves d'eau vivante jaillissent en lui. Et alors dans l'invisible - ça, c'est toujours dans l'invisible - des multitudes viennent s'abreuver et viennent puiser à leur tour une vie qui les régénère.
Mes frères, serait-ce là utopie ? Serait-ce là rêverie ? Mais non, c'est une réalité contre laquelle tout vient se briser. Les apparences extérieures ne doivent pas nous décevoir car chacun d'entre nous conserve ses défauts. C'est sous une apparence de faiblesse - encore une fois même une apparence de péché, reconnaissons-le, que les merveilles de Dieu se déploient en toute liberté. Ce qui compte, c'est ce qui ne se voit pas et qui relève uniquement de Dieu.
Mes frères, nous devons oser dire que la personne de l'Esprit Saint est omniprésente et qu'elle mine par l'intérieur toutes les puissances de destruction. Elle délivre l'univers asservi. Elle a l'avenir pour elle.
Cette présence de l'Esprit doit être notre joie. Nous pouvons traverser bien des épreuves - épreuves de santé, épreuves spirituelles, épreuves affectives - c'est vrai, mais tout au fond de notre coeur doit toujours régner et la paix, et la joie, la paix que le Christ nous a donnée, la joie qu'il nous a laissée et qui est la sienne. Et c'est la paix et c'est la joie de l'Esprit qui a l'avenir pour lui.
L'Art spirituel, mes frères, consiste - nous le savons - à s'abandonner avec confiance à cet Esprit, cet Esprit qui a toujours la fraîcheur de la jeunesse ; il consiste à respirer profondément la lumière rassasiante de l'amour ; il consiste à disparaître dans cette lumière en entraînant avec soi l'univers entier.
Telle est la vocation du chrétien, telle est la vocation du moine contemplatif surtout. Et alors, si nous sommes fidèles, le monde ancien s'en va. Il s'en va de notre coeur d'abord, il s'en va de notre entourage et il fini par s'en aller du monde. Il s'en va avec son cortège de misères et le monde de nouveau apparaît dans sa beauté, ce monde qui est celui même de notre Dieu, notre Dieu qui est Père, qui est Parole et qui est Esprit, Lui qui règne pour jamais et qui attend d'être le tout de notre coeur.
Amen.
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Mes frères,
Que devons-nous penser de ce que nous venons d'entendre ? Saint Benoît serait-il un rabat-joie ? Ne serait-ce pas le rôle d'un Abbé d'insister sur le côté pénitentiel de notre vie, sur son côté pénible ? Est-ce que le moine ne doit pas avoir une mine d'enterrement à tout moment ? Est-ce que la joie lui serait interdite ? Le rire lui serait-il défendu, ce rire qui est pourtant le propre de l'homme ? Les animaux ne rient pas, seul l'homme rie.
On pourrait presque dire que Dieu s'est fait homme afin de pouvoir rire. Je trouve cette idée très belle et très proche de la vérité. Car, un homme qui ne sait pas rire, ce n'est pas un homme. Il lui manque quelque chose. Il faudrait le faire soigner. Mais attention ! Soyons tout de même prudents ! Rappelons-nous que le moine doit être un homme qui possède dans son cœur la plénitude de la joie. Mais ce n'est pas n'importe quelle joie, c'est la joie même de Dieu.
Comment Dieu peut-il être joyeux ? Mais s'il n'était pas joyeux, il ne serait pas Dieu. Mais faisons bien attention ! Cette joie de Dieu se trouvait dans le cœur du Christ qui est Dieu avec nous, qui est Dieu devenu homme. Mais cette joie n'est pas nécessairement une joie sentie.
C'est cette joie que le Christ nous a donnée, c'est cette joie qu'il nous a laissée. Et tous les jours, chaque jour au cours de l'Eucharistie, nous le répétons. Dieu nous donne sa paix et il nous donne en même temps sa joie. Il a fait ce cadeau aux hommes en même temps pour que vous ayez en vous la plénitude de ma joie.
Or, cette joie de Dieu est absolument inaltérable. Rien, rien ne peut l'entamer. Lorsque le Christ disait : « Mon âme est triste à en mourir », cette joie habitait tout de même son cœur. Les deux sont compatibles. Et c'est une grâce, une belle grâce déjà dans la vie spirituelle lorsque on peut en faire l'expérience que la joie et la paix habitent le cœur au moment où les sens, au moment où la chair, au moment où le psychisme sont plongés dans la tristesse.
Et cette tristesse peut avoir son fondement dans l'homme ou à l'extérieur de l'homme. Enfin, il ne faut pas trop analyser ces choses. Mais le fait est certain, il est d'expérience, vous l'avez peut-être déjà faites, vous la faites peut-être à tout moment. La joie du moine ne peut pas lui être enlevée même au sein des plus dures épreuves.
Mais pourquoi garde-t-il cette joie ? Mais parce que cette joie n'est pas la sienne. C'est une joie qui a été déposée en lui par Dieu et, c'est Dieu qui veille sur elle. La joie, elle est le signe indubitable d'une présence, la présence de l'Esprit Saint. On pourrait presque dire que l'Esprit Saint est la joie commune et du Père, et de son Fils.
Lorsque nous avons chanté pendant toute une semaine, pendant neuf jours, une neuvaine de jours, l'hymne à l'Esprit Saint, on a détaillé toute une série de qualités, de noms de cet Esprit. Eh bien on peut dire qu'il est, chez Dieu, en Dieu, qu'il est la joie.
Eh bien, cette joie de Dieu en nous, c'est une joie qui est incarnée, il faut bien le savoir. Donc, il est tout à fait normal, il est requis qu'elle s'exprime à l'extérieur, qu'elle s'exprime au niveau de la chair, mais de notre chair purifiée, pas de la chair sensuelle, pas de la chair malade, pas de la chair morbide, pas de la chair complexée. Non, mais de la chair dans son état de beauté.
Et cette répercussion au niveau de la chair, ce sera le rire. Mais attention ! Il s'agit d'un rire pur, d'un rire sain, d'un rire chaste et d'un rire qui est empli de charité. Je pense que la qualité qui définit le mieux le rire qui doit être le propre du moine, c'est la chasteté. C'est un rire chaste. Donc, il n'y a rien en lui qui ne soit de trivial, qui ait sa source dans quelque chose d'impur qui soit dans l'homme ou à l'extérieur de l'homme.
La chasteté, c'est le reflet, c'est la lumière d'une beauté dans un être humain, dans un être charnel. Donc, ça va transparaître aussi dans son rire. C'est un rire sans malice, c'est un rire qui est sans mépris des autres. Il ne faut jamais rire des autres, il ne faut jamais se moquer des autres.
Attention ! Nous avons nos petits travers, oui, et ces travers peuvent éveiller en nous un certain amusement qui n'est pas du mépris, loin de là, mais qui peut être l'expression d'une affection, d'une sympathie de l'autre qui est reconnu dans ce qu'il est. C'est donc un rire qui n'est pas malicieux. .
Mais voilà, c'est comme ça, il y en a qui ont le don de faire rire les autres, non par leurs bouffonneries parce que Saint Benoît n'en veut pas en entendre parler. Mais voilà, c'est parce qu'ils sont ainsi, ils sont tels. Ils n'en peuvent rien, c'est lié à leur être.
Mais ce rire sans malice et ce rire sans mépris, c'est le rire d'un enfant, d'un tout petit enfant. Car pourquoi rie un enfant ? Eh bien, un enfant rie spontanément parce qu'il est aimé, parce qu'il est heureux, parce qu'il est en confiance. Et c'est la raison pour laquelle le rire d'un moine doit être le rire d'un enfant.
Vous savez que le Christ a dit : A la porte de mon Royaume, il y a une frontière et il y a là des postes de police. Et cette frontière, pour la franchir, il faut exhiber son passeport. Et le passeport doit porter notre âge. Si vous êtes un personnage, vous n'entrez pas ; mais si votre passeport renseigne que vous êtes un petit enfant, à ce moment-là, vous franchirez la frontière.
Le Christ a dit cela, ne, l'oublions jamais ! Ne jouons jamais aux grandes personnes parce que ç'a pourrait tourner mal pour nous. Au contraire, soyons toujours dans l'intime de notre coeur ces petits qui sont chez eux dans le Royaume et qui n'ont pas peur de rire. Mais attention je le rappelle, il s'agit d'un rire de bonne santé spirituelle, un rire qui est dans le coeur la présence même de l'Esprit Saint.
Et Saint Benoît nous dit : ni enclin, ni prompt à rire, 7,157. Il faut tout de même combiner les deux. Il ne dit pas qu'il ne faut pas rire. Il ne défend pas le rire mais, vous savez, ce fait qu'on rie de tout et qu'on rie de rien. C'est la façon du sot, du stultus, 7,158. Il ne sait pas trop bien ce qu'il fait. Et voilà, il pense qu'on va le prendre pour un homme intelligent si il rie à propos de tout et de rien. C'est ce rire-là que Saint Benoît proscrit.
Voilà, mes frères, vous voyez, il est temps d'aller à l'église et je n'ai pas fini. Ce sera pour demain si vous le voulez bien. Il est toujours intéressant ainsi de fouiller, d'aller un peu voir ce qui se trouve derrière les paroles de Saint Benoît. Il ne dit pas cela comme ça en l'air, mais il parle toujours de son expérience et il a toujours l'oeil sur la personne du Christ, le Christ qui vit en lui, le Christ qui a pris possession de lui.
Et c'est pourquoi, dans ce qu'il nous dit, nous devons toujours rencontrer, toucher du doigt avec amour la personne du Christ et nous ouvrir le plus grand possible à la lumière de son Esprit.
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Mes frères,
Hier, Saint Benoît nous parlait du rire et aujourd'hui il nous parle de la parole. Mais il fait tout de même encore une petite allusion au rire. Le moine s'exprime doucement et sans rire. 7, 160. Nous avons parlé hier du rire chaste, du rire pur qui peut parfois monter ainsi sur les lèvres et dans le regard aussi du moine qui vit habituellement avec Dieu et qui a ouvert son cœur à la beauté et à la spontanéité de l'Esprit.
Mais attention ! N'allons pas nous imaginer que nous sommes arrivés sur ces sommets. Soyons plus modestes, plus prudents et tenons-nous en à ce que Saint Benoît nous conseille. Il proscrit dans le Chapitre VI, là où il parle de la retenue dans les paroles.
Il proscrit absolument les bouffonneries, les paroles oiseuses qui portent à rire. Nous les bannissons à jamais et en tout lieu et nous ne permettons pas au disciple d'ouvrir la bouche pour de tels propos, 6,23. Donc, dans un monastère, on ne raconte pas des blagues pour faire rire les autres. Saint Benoît, ça, il n'en veut absolument pas.
Il dit aussi ailleurs que le moine doit éviter le risum multum aut excussum, 4,64. Il ne doit pas rire à tout propos et d'un rire débridé, d'un rire débraillé. Cela ne convient pas du tout dans un monastère. Mais pourquoi, pourquoi ? Parce que le moine communie à la souffrance de Dieu. Et la souffrance de Dieu, elle est à la mesure de Dieu, elle est donc infinie. Et lorsqu'elle entre dans le cœur du moine, ce cœur qui se dilate, elle y produit une sorte d'inhibition à l'endroit du rire.
Le moine communie à la souffrance de Dieu parce qu'il connaît Dieu, Dieu qui est amour. Et parce que Dieu est amour, il est totalement démuni devant la bêtise et la méchanceté de ses enfants. La souffrance des hommes, elle est immense et, bien souvent, les hommes souffrent par leur faute.
Les hommes se font souffrir les uns les autres. On n'ose presque pas y penser tellement ces choses-là sont atroces. Il y a trente-six mille manières de faire souffrir les autres, volontairement, involontairement aussi parfois. On ne se rend pas compte qu'on a blessé un autre, qu'on a ouvert une souffrance dans son cœur. On ne sait pas.
Eh bien, voyez-vous, c'est cela la bêtise. Et puis il y a la méchanceté aussi. Eh bien Dieu, lui, il voit tout cela, il sait tout cela et il est impuissant devant ce spectacle. Pourquoi ? Parce qu'il est amour. Il respecte sa créature jusque là.
Or, le moine qui vit habituellement avec Dieu, qui voit Dieu, qui est à l'intérieur de Dieu, il communie à cette souffrance et il perd toute envie de rire inconsidérément. Cela ne lui est plus possible. Il ne lui est même plus possible de se dissiper.
Et c'est une autre manière de se trouver dans une situation analogue à celle des saints dans le ciel. Parce que n'allons pas nous imaginer que dans le ciel, les saints sont là en dehors de tout, libres de tout, séparés de tout et jouissant d'une béatitude absolue.
Non, les saints participent à tout ce qui est de Dieu, donc aussi à la souffrance de Dieu. C'est une souffrance d'un ordre tout à fait spécial, et qui est tout de même bien réelle, et qui ne prendra fin que lorsque le monde sera arrivé à son terme et que Dieu sera tout en toute chose. Il n'y aura plus de pleurs, plus de cris, plus de larmes, plus de souffrances, plus rien. Il n'y aura plus que Dieu partout.
Eh bien, mes frères, le but de la vie monastique, c'est que Dieu soit partout en nous, dans tous les coins, les recoins de notre chair, de notre esprit, de notre cœur. Et alors voilà, nous devenons, nous, un petit ciel où Dieu est le maître et où tous les saints peuvent se reconnaître. Mais à ce moment-là, nous participons à la souffrance de Dieu et il n'est plus question alors de rire comme ça sans raison.
Alors, il y a d'un autre côté aussi le fait que nous ne sommes pas sans pécher aussi longtemps que nous sommes ici sur terre. Et nous sommes plus ou moins complices des péchés de l'humanité. Il y a une solidarité qui existe à ce niveau et qui est très, très, très, très réelle.
Le mal, le péché que je commets ici, par ricochet il produit des effets à l'autre extrémité du monde. De même, l'acte de vertu que je vais poser va aussi produire des effets à l'extrémité du monde. Le moine se trouve à un point critique du cosmos, à un endroit vraiment névralgique et tout ce qu'il fait se répercute partout.
Mais quand on le sait, mais à ce moment-là on est tout petit, tout petit parce que on n'a pas assez d'union à Dieu et qu'on a encore trop, trop de péchés en soi. Ce sera une des raisons pour lesquelles le moine se tiendra tellement petit au sommet de l'échelle de l'humilité. Il a trop conscience de cela.
Alors le rire, le rire malsain, le rire qui procède de la malice, du mépris, etc, eh bien c'est un acquiescement au péché. Le péché m'échappe tous les jours. C'est impossible qu'il ne nous échappe pas dans notre condition actuelle.
C'est tout petit, parfois des bêtises de rien du tout. Mais enfin, il y a tout de même là des choses qui ne sont pas tout à fait dans la vérité de Dieu. Cela arrive encore, ce n'est pas voulu, c'est presque subit. Cela fait partie de notre ..?.. ..?..
Mais lorsque je commence à rire vraiment de façon malsaine parce que j'ai vu ou entendu une ou l'autre chose, alors j'acquiesce au péché. Et ça, c'est grave ! Ce n'est pas un péché mortel, attention ! mais c'est grave dans le chef d'un moine.
Il ne faut jamais rire d'une erreur que commet un autre ou bien d'une faute que commet un autre. Non, parce que je me place vraiment alors du côté de celui qui est le maître du péché, c'est à dire le satan. Je ne peux faire cela. Alors ici, Saint Benoît parle du rire du sot. Le sot élève la voix en riant, 7,158. Eh bien le sot, c'est un homme sans consistance. Le rire comme ça, le rire ridicule, qui est presque un peu drôle, c'est un rire qui fait rire, c'est le rire du sot.
Faisons bien attention, parce que ça peut trahir ce qu'il y a à l'intérieur d'un homme ! Il n'y a rien, rien ! C'est un homme sans consistance. Et c'est pour ça que l'Ecriture dit : Faisons bien attention de ne pas nous faire prendre pour des sots. Mais nous le serions vraiment. Qu'on nous prenne vraiment pour ce que nous sommes. Alors, soyons des sages dont le projet, l'intention est de toujours être dans la vérité que Dieu nous offre.
Et puis, mes frères, ceci encore : nous ne devons jamais perdre de vue que la vie monastique, elle n'est pas un théâtre où on joue la comédie. Voilà, on est bien dans une peau de moine, on remplit son rôle de moine d'après une certaine image qu'on a, qu'on s'est forgée. Oui, mais ce n'est pas possible de faire ça pendant longtemps.
Ce n'est pas possible parce que le milieu monastique est un milieu extrêmement dur en ce sens qu'il est impitoyable. C'est un lieu psychanalytique effrayant où il ne faut pas longtemps avant que les profondeurs les plus psychologiques, les plus intimes de l'homme arrivent à la surface.
Il n'est pas possible de les cacher longtemps. Cela arrive, cela arrive et après un certain temps, on connaît tout les uns des autres. On connaît les défauts, on connaît les qualités, on est vraiment à nu devant les autres. Dans un milieu monastique, c'est inévitable. Dans le monde, on pourrait encore camoufler, maquiller beaucoup de choses. Dans un monastère, on peut le faire un petit temps, mais pas toujours.
Alors voyez - c'est encore ça - pour le rire, faisons bien attention de ne pas être un sot ou bien un complice du péché mais, comme Saint Benoît nous le recommande, ne soyons ni enclin ni prompt à rire. Et alors, nous serons toujours dans la vérité de notre état. Et si nous nous enracinons dans cette vérité, le rire sain, le rire de bonne santé spirituelle, le rire pur, le rire chaste dont je parlais tout à l'heure deviendra notre partage parce que l'Esprit nous habitera, lui qui est - me semble-t-il - chez Dieu, le rire, le rire de Dieu.
Mes frères,
A l'issue de son chapitre consacré à l'humilité, Saint Benoît nous ramène à la case de départ. Mais cette case est transformée, illuminée, transfigurée, glorifiée. C'est toujours la crainte de Dieu, mais une crainte qui est devenue respect sans mesure. Que se passe-t-il ?
Eh bien, le moine voit Dieu. Il est encore sur cette terre, mais il a été introduit dans la création nouvelle. Il est encore dans sa chair corporelle, mais son cœur est transfiguré, son cœur est devenu lumière.
Il continue encore à commettre des péchés, et c'est ça qui est le plus extraordinaire. Il se voit présent au tribunal redoutable de Dieu, mais ça ne l'effraye pas. Non, il sait qui il est et il voit qui est Dieu. Et c'est cette vision de Dieu qui lui fait découvrir qui il est.
Et quand je dis vision, il faut le prendre au pied de la lettre. Les yeux du cœur bien réellement voient quelque chose - je mets cela entre guillemets pour ne pas dire quelqu'un - quelque chose qui est Dieu. Jamais il ne saurait en parler, jamais il ne saurait le décrire, mais pour lui c'est une certitude absolue.
Et alors, se trouvant comme ça en présence de ce Dieu qui est la beauté suprême, lui, il se voit comme dans un miroir. Mais il voit tout de lui, de sa chair, de son esprit, de son cœur. Et il se voit tout rempli de poussières.
Et cette poussière, ce sont tous les petits grains d'imperfection, de lâcheté, de péché, de tout ce qui lui arrive à longueur de journées. Car quelque soit sa bonne volonté, il demeure un être charnel et à tout moment il trébuche.
Mais il découvre ceci qui est peut-être le plus beau : c'est que cette noirceur qui est la sienne non seulement n'écarte pas Dieu, mais attire Dieu à lui. Il y a là comme une mutuelle attirance. Lui est totalement attiré par Dieu comme le fer par un aimant, et Dieu est attiré par cet homme qui s'est donné tout entier à lui, mais qui reste un homme avec toutes ses misères, et toutes ses faiblesses, et toute sa fragilité, et toute sa vulnérabilité. Et voilà, il y a une rencontre. Et cette rencontre, c'est véritablement un avant-goût du ciel.
Et je me demande - naturellement, ici, je m'aventure peut-être un peu loin ? - mais je me demande si après la résurrection des morts, quand nous serons vraiment alors tout à fait possédés par Dieu, si nous ne porterons pas encore sur tout notre être les cicatrices de nos fautes ?
Et je pense que oui, car le Seigneur Jésus, lui, là où il est maintenant dans son corps de ressuscité, il porte encore les cicatrices de nos fautes. Il les porte et il les a montrées. Voilà, regardez mes mains, regardez mes pieds, regardez mon côté. C'est ça les cicatrices de nos fautes.
Eh bien, je pense que nous, dans la mesure où il va vivre en nous, et il vivra totalement en nous, nous porterons aussi les cicatrices de nos propres fautes. Mais ce ne sera pas des cicatrices qui nous effrayeront. Au contraire, elles seront chacune resplendissantes de la miséricorde de Dieu, et de son amour, et de sa bonté. et de sa lumière. Elles seront un peu notre gloire.
Cela ne veut pas dire, maintenant péchons et repêchons, et allons-y pour en avoir le plus possible. Non, ce n'est pas ça. mais voilà, c'est inhérent à notre état d'homme ici dans notre condition actuelle. Et voilà, cette miséricorde de Dieu qui à partir de pécheurs fait des saints, elle sera toujours présente en quelque chose de nous que j'appellerai alors les cicatrices de notre état d'homme fragile et pécheur. Encore une fois, chacune sera une perle qui chantera la miséricorde de Dieu.
Et nous voyons ici le moine qui se tient comme le publicain de l'Evangile. Et il répète : je ne suis pas digne, moi, pécheur de lever mes yeux vers le ciel. On sent que ce publicain n'a pas peur du tout. Il se tient devant Dieu en toute confiance.
Eh bien, il en est de même pour le moine. Le moine à ce moment-là n'a pas peur. Dès l'instant où il voit Dieu et où il se voit mais vraiment pécheur comme le publicain, dans sa vérité d'homme, il n'a pas peur. Et c'est ce que Saint Benoît dit : La peur, la frayeur a été mise dehors, elle a été chassée, 7,181.
Attention ! Il ne s'agit pas ici de témérité. Non, il s'agit ici de sainteté. C'est par l'intérieur que quelque chose a été changé, c'est à l'intérieur du cœur. Et maintenant, tout ce que le moine fait, il le fait velut naturaliter, 7,183, il le fait comme naturellement. C'est à dire que l'exercice de la charité, l'exercice, disons, de la vertu en général est devenu sa nature à lui.
Donc, pour aller plus loin, le surnaturel est devenu sa nature à lui. Donc, à ce moment-là, il est métamorphosé. Ce n'est plus lui qui vit, c'est le Christ Jésus qui vit en lui. Le moteur de sa respiration, de toute sa vie, ce n'est plus un mouvement naturel, c'est l'Esprit Saint. Et c'est la raison pour laquelle tout ce qu'il fait, il le fait de soi. Il est habité par Dieu, il est habité par l'Esprit et, voilà, il est arrivé au sommet de sa vie humaine, de sa vie d’homme.
Ce matin, par un pur hasard, j'ouvre comme ça le Livre des Apophtegmes et je tombe sur un très bel apophtegme. Je vais essayer de le retrouver et je vous en donnerai lecture en l'expliquant un peu. Et vous verrez, c'est une très belle illustration de ceci.
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Mes frères,
Demain, nous entendrons Saint Benoît nous dire : mox omnes cum reverentia surgant, 11,10, et cela dit, tous se lèveront avec révérence. Et pourquoi ?
Il nous dit un peu plus haut que au moment où le chantre commence le gloria, tous se lèveront de leur siège par honneur et révérence envers la Sainte Trinité. 9,17. C'est le seul endroit où Saint Benoît fait allusion explicitement à la Sainte Trinité.
Nous pouvons en déduire deux choses importantes. D'abord, nous devons avoir conscience de ce que nous entendons. Il ne s'agit pas de se lever comme un automate, de répondre à une sorte de commandement comme un moteur ou comme un animal qui réagit à une impulsion. Non, nous devons savoir pourquoi nous nous levons.
Donc, nous entendons le chantre ou bien nous-mêmes à la fin de chaque psaume. Nous entendons un cri, un chant, un cantique lancé en l'honneur de la Sainte Trinité et, à ce moment-là, nous nous levons.
Et ensuite, nous devons bien savoir que Dieu dans la Trinité de ses personnes a droit à un respect inconditionnel. Nous ne devons pas nous laisser entraîner dans une familiarité déplacée à l'endroit de Dieu.
Dieu n'est pas une entité abstraite, il n'est pas un principe notionnel. Dieu, c'est trois personnes dans l'intimité desquelles nous sommes invités à entrer. Et ces trois personnes, elles ont droit au respect à cause de l'honneur et de la révérence qui leur sont dues.
Mes frères, il me semble que si nous vivons toujours, dans la mesure de nos capacités, en présence de ces trois personnes en leur rendant l'honneur et la révérence qui leur sont dues, il me semble qu'alors nous aurions un immense respect aussi pour chacun de nos frères. Les deux vont de pair.
Lorsque on honore Dieu, mais vraiment alors, et pas seulement au moment du gloria mais toujours, à ce moment on rendra de soi le même respect à chaque homme qui se présentera, à chaque frère. Rappelez-vous ce que Saint Benoît nous dit : lorsqu'un homme se présente au monastère, on doit accourir, on doit se prosterner devant lui car c'est le Christ qu'on adore en lui. 53, 1-15.
Nous devons nous mettre en garde contre la routine. Il y a des choses que nous faisons et dont nous perdons la signification. Et c'est pourquoi il importe de nous exercer toujours dans l'art de l'écoute. J'ai expliqué un jour que la psalmodie est essentiellement, fondamentalement, radicalement une écoute. Nous devons nous exercer à écouter, c'est tout un art. Et c'est un art spirituel très élevé et très beau.
A l'intérieur de la Trinité, les trois personnes s'écoutent mutuellement. Et c'est parce qu'elles s'écoutent qu’elles se reçoivent les unes des autres et qu'elles se donnent les unes aux autres. La Trinité est un chant à trois voix et chacune écoute les deux autres.
Et nous devons, nous, entrer dans cette écoute. Nous sommes des enfants de Dieu. Notre écoute sera donc toujours de nature spirituelle, physique aussi car nous devons écouter, mais le spirituel englobe, disons, le corporel et le divinise. Notre écoute doit à la limite devenir une écoute divine.
Donc, nous devons toujours être à tout moment vigilants et attentifs et cela sans tension nerveuse. Il est fatal que nous ayons des moments de fatigue, des moments disons, appelons cela de dépressions, ou d'un défaut de pression. Mais à ce moment-là, il y aura un relâchement d'ordre physique qui sera en nous et le spirituel y sera entraîné.
Donc, nous pouvons très bien - ça arrivera - réciter tout un office sans même savoir ce que nous avons dit, ce que nous avons fait. Mais ça, ce sont des cas exceptionnels, ça ne doit pas devenir une habitude. Non, nous devons être vigilants et attentifs.
Et alors, remarquez ici le tout petit mot qu'affectionne Saint Benoît, ce mox, 11,10. Il n'est pas traduit ici dans le français parce que voilà, ce ne serait peut-être pas tout à fait correct. On devrait traduire : dès le début du gloria, tous immédiatement aussitôt se lèveront avec révérence.
Moi, je pense que le mox de Saint Benoît est capital. Nous ne devons donc pas nous lever avec nonchalance, avec langueur, parce qu'il faut bien. On est beaucoup mieux assis que debout à certains moments surtout.
Mais non, il faut se lever avec ferveur et empressement parce que voilà, à ce moment-là, plus que jamais on a conscience de se tenir devant cette Trinité qui nous investit ; et puis voilà, on se dresse avec empressement, on va à la rencontre du Christ.
Est-ce que nous aurions peur de mourir ? C'est une drôle de question, mais nous ne devons pas avoir peur parce que la mort, eh bien, c'est pour la dernière fois qu'on se lève ainsi avec empressement, avec ardeur parce que le moment est arrivé. Pour la dernière fois on se lève, et puis voilà, on court, on se précipite et on est dans la Trinité.
C'est çà, mes frères, la mort du moine. Et nous devons nous y exercer comme ça chaque fois que nous entendons le gloria. Mais nous en resterons là pour ce soir.
Mes frères,
Nous avons vu que Saint Benoît nous prescrit de nous lever avec révérence dès que nous entendons le gloria. Il est normal que cet honneur soit rendu à Dieu.
Mais attention ! Nous ne lui rendons pas cet honneur parce que Dieu serait un être tyrannique, despotique qui exercerait sur nous un pouvoir absolu et devant lequel nous devrions nous aplatir, même en nous levant, pour nous le concilier, pour ne pas nous faire châtier. Non, nous nous levons lorsque nous rendons gloire aux trois personnes de la Sainte Trinité parce que tout simplement Dieu est amour. Et s'il est amour, il se place - mais vraiment - en dessous de nous. Et c'est ça qui force notre respect.
Nous respectons une personne qui nous est supérieure par le rang, par l'âge, par la science, par la vertu. Nous la respectons si elle ne nous écrase pas. Si au contraire nous sentons qu'elle se met à notre service et que, à la limite, nous pouvons l'exploiter - je dis ça entre guillemets - c'est à dire que nous pouvons tout lui demander, alors une telle personne, on la respecte. Et tel est notre Dieu.
La vie monastique, Saint Benoît le dit, est une scola dominici servitii, Pr.106, une école où on apprend à servir le Seigneur. Saint Bernard dit que le monastère est une scola caritatis, une école où on apprend à aimer.
Je pense, pour ma part, qu'on peut dire aussi que le monastère est une école où on apprend à vivre avec les trois personnes de la Trinité. Je dis bien vivre avec, entrer en communion avec chacune d'elles de façon consciente, de manière confiante et aimante.
Attention maintenant ! Il ne s'agit donc pas de se servir de Dieu comme d'un talisman pour réussir dans la vie. Il y a une approche magique de Dieu. Je sers Dieu, je m'acquitte de tous mes devoirs pour me le concilier, pour l'avoir de mon côté et ainsi pour être certain d'arriver à mes fins qui peuvent être très nobles.
Ce sont là, mes frères, des pratiques magiques. Je traite Dieu, les trois personnes de la Trinité, je les traite comme une idole que je puis mettre à mon service. A l'époque de l'ITIM, le frère Pierre a reçu tout un cours sur ce sujet, sur la démystification de Dieu. Donc démystifier toute approche magique de Dieu.
Et attention, c'est inviscéré en nous, inviscéré en nous ! La purification du cœur passe par cette élimination de toute image idolâtrique de Dieu. Si nous devons passer par une très pénible nuit de la foi par exemple, c'est justement pour anéantir en nous jusqu'aux germes de la magie, jusqu'aux germes de l'idolâtrie.
Prenons bien garde à l'animal religieux en nous; cet animal doit mourir avec le reste. Ce qui doit rester, ce qui doit naître, ce qui doit se fortifier, c'est le fils de Dieu en nous. Nous sommes de la race de Dieu, nous sommes de sa famille. Et c'est la raison pour laquelle nous avons un droit de cité à l'intérieur de la création nouvelle.
Mes frères, si nous n'avons pas le droit d'utiliser Dieu comme un talisman, nous avons le devoir en tant que chrétien, en tant qu’homme et surtout en tant que moine d'entrer amoureusement dans son intimité. Car ce que Dieu veut établir avec nous, c'est une relation de nature sponsale. Voilà quelque chose qui est étrangement lointain de la mentalité contemporaine.
Mais remarquons que dès le début de la réflexion chrétienne, les Pères de l'Eglise ont commenté avec passion le Cantique des cantiques. Cela commençait avec Origène et puis ça a duré jusque encore plus près de nous Saint François de Sales.
Mais on ne s'imagine pas aujourd'hui un théologien qui spontanément, spontanément tirant de son cœur, du plus profond de son cœur, de sa propre relation sponsale avec Dieu dans la personne du Christ d'abord, se lancerait dans un commentaire du Cantique des cantiques. C'est en dehors de notre mentalité d'aujourd'hui.
Et pourtant, c'est là que nous devons arriver : non pas à commenter le Cantique des cantiques, mais à établir avec la Sainte Trinité, avec les trois personnes de la Sainte Trinité, en passant par la personne du Christ, une relation d'ordre sponsale ; c'est à dire, comme le disait Saint Bernard, l'anima devient sponsa Verbi.
Et, étant devenue l'épouse du Verbe, Verbe incarné en la personne du Christ, à ce moment-là elle est capable de s'acquitter de la mission qui lui est confiée, c'est à dire d'engendrer pour le Verbe ce qu'elle conçoit du Verbe, c'est à dire devenir féconde non pas en production littéraire mais en personnes qu'elle engendre à Dieu dans l'invisible de la création nouvelle.
C'est ainsi que un homme, une femme toute ordinaire, un moine ou une moniale dans un monastère, le plus méconnu, mais qui a établi cette relation de sponsalité avec Dieu, est capable alors d'avoir une descendance spirituelle dans l'invisible; descendance qui fera notre surprise, et notre étonnement, et notre stupéfaction quand nous arriverons nous-mêmes dans cette création nouvelle.
Car si nous sommes dans un monastère, ce n'est pas seulement pour nous personnellement, pour sauver notre âme. Non, nous sommes venus dans le monastère, nous avons été appelés dans le monastère afin d'engendrer.
Eh bien, mes frères, voilà ce que je voulais vous dire ce soir. Et j'ai dit beaucoup de choses auxquelles je ne pensais pas en entrant. Mais ça ne fait rien, je pense qu'elles sont justes, et qu'elles sont belles, et qu'elles peuvent nous encourager. Parce que il y a dans l'homme, dans son cœur, dans sa chair un besoin absolu, violent, élémentaire d'aimer.
Et nous devons aimer Dieu de cette façon-là, c’est à dire comme un homme dans le monde aimerait une femme. C'est cela la relation sponsale et c'est ainsi que nous devons aimer Dieu, que tout notre être soit pris par lui et que le tout de lui soit pris par nous ; et que, à l’intérieur de cette relation, nous puissions dans sa vigueur à lui engendrer d'autres personnes. Puisse-t-il nous accorder cette grâce à chacun d'entre nous !
Mes frères,
Nous habitons la maison de Dieu, nous sommes les hôtes de son palais. Nous faisons notre possible pour que cette habitation qui ne nous appartient pas soit propre, avenante, qu'elle soit belle.
Et nous devons toujours garder au cœur cette certitude : la maison que nous habitons est le symbole éloquent d'une autre demeure, d'un autre habitat dans lequel nous sommes invités à entrer et qui est la Trinité elle-même. Car là se trouve notre demeure d'éternité.
Lorsque nous nous levons et que nous nous inclinons pour chanter le gloria, nous devons à ce moment-là remercier Dieu d'être non seulement chez lui ici dans cette demeure de pierres et de bois, mais aussi d'être invités et d'être admis dans sa demeure à lui qui est son être propre. La Trinité, ses trois personnes sont ce qu'on appelle en terme vulgaire le ciel. C'est là que nous pouvons entrer dès maintenant.
Il nous faut donc opérer un passage ; nous devons nous prêter à une pâque ; nous devons entreprendre un exode. Nous devons renoncer à tout ce qui est charnel, à tout ce qui est terrestre, à tout ce qui est matériel. Nous devons nous en détacher afin que notre cœur puisse pénétrer là où nous sommes invités à nous rendre.
Nous ne devons pas rester frileusement accroché à tout ce qui nous entoure ici. C'est pourquoi quand Saint Benoît nous dit que nous devons chaque jour avoir la mort suspendue devant les yeux, 4,55, c'est uniquement pour ça. C'est pour nous dire que nous ne devons pas nous accrocher à ce que nous voyons, à ce que nous sentons. Non, il faut nous en séparer maintenant.
Mais comment faire ? Eh bien, dans la pratique, si j'entretiens correctement tout le matériel qui m'est remis, si comme le recommande Saint Benoît, 31,21, je traite tous les objets du monastère comme les vases sacrés de l'autel, à ce moment-là, je sacralise absolument tout. Et le sacralisant dans un esprit de foi, j'opère le passage et j'entre jusqu'au cœur de la Trinité. Je me laisse comme saisir et emporter là-bas.
Il s'agit donc de bien autre chose que de gérer un domaine pour le faire rapporter. Si nous entretenons la maison, ce n'est pas pour nous, ce n’est même pas pour nos successeurs, c’est pour la gloire de Dieu. Saint Benoît nous dit aussi qu’il faut que en toute chose Dieu soit glorifié, 57,18, c'est dire que la Sainte Trinité soit honorée, respectée, révérée.
Mais si tout mon agir dans le monastère est inspiré par cette vision de foi, c'est la preuve que je suis déjà passé ailleurs, que je ne suis déjà plus ici tout en étant toujours dans mon corps de chair et dans cet environnement matériel.
Pour maintenant avoir plus facile, il y a un chemin, il y a une porte d'entrée. Et ce chemin, et cette porte, c'est la personne du Verbe de Dieu devenu chair. Donc, c'est le Christ Jésus qui est un homme comme nous. Il a dit : « Je suis je chemin, donc, je suis la porte. » Il n'est pas possible d'entrer dans la Trinité par ailleurs, il faut passer par cette porte qui est Lui.
Maintenant, si - encore une fois - mon esprit de foi est éveillé, si dans l'Abbé je vois le Christ, si dans le frère je vois le Christ, si dans l'hôte qui se présente je vois le Christ, à ce moment-là mon comportement pratique reçoit une teinte toute autre. Je n'agis plus selon des réflexes humains, selon des instincts ni des pulsions charnelles. Non, j'agis vraiment comme l'Esprit Saint me pousse à le faire en présence de Dieu qui m’apparaît dans le frère, qui m'apparaît dans le Christ que je reconnais.
Mes frères, en nous attachant ainsi à la personne du Christ par la foi, nous opérons réellement ce passage, cette Pâque, ce transfert dans l’univers de Dieu. Nous pénétrons avec lui au cœur de la Trinité. C’est ça la vie contemplative, ce n’est rien d’autre que ça ! Un contemplatif est un homme qui vit de façon consciente au cœur de la Trinité. Il faudra peut-être que j’explique un peu ça de façon plus précise.
Et l’obéissance, cette fameuse obéissance qui est parfois pénible à notre nature égoïste, cette obéissance, c’est l’acte pratique par lequel je me fixe à la personne du Christ. Et ainsi par elle, je me trouve dans la Trinité.
Car, ne l’oublions pas, le Christ ressuscité est toujours resté l’homme qu’il était. Il est un homme. C’est notre chair à nous qui est dans la Trinité. Même si nous ne sommes pas encore ressuscités comme lui, nous pouvons déjà ressusciter par la foi, nous pouvons ressusciter par l’amour. A ce moment-là, notre chair actuelle, elle est dans la Trinité. Notre chair se purifie.
Mais voilà, mes frères, lorsque nous chantons cette doxologie, essayons d’avoir ces merveilles sous les yeux de notre cœur. Ne récitons pas cela de façon machinale. Non, essayons d’être éveillés, d’être attentifs. Et ainsi, nous comprendrons mieux la valeur et la beauté de notre vie.
Mes frères,
Nous avons vu, nous avons compris que la vie monastique contemplative était une école où on apprenait à vivre de façon de plus en plus consciente dans l'intimité des trois personnes divines. Ces personnes divines prennent possession de notre être, de notre chair, de notre intellect, de notre volonté. Elles en prennent possession par le canal de l'obéissance, donc dans la mesure où nous nous abandonnons à elles.
Mais ce serait encore trop peu qu'elles prennent possession de nous car nous pourrions toujours rester malgré tout étranger à elles. Je veux dire que ce qu'elles nous promettent, ce qu'elles nous proposent, c'est que nous soyons absorbés en elles, que nous devenions, que nous devenions par grâce, par cadeau, par participation, que nous devenions nous-mêmes Trinité, que nous devenions et le Père, et le Fils, et l'Esprit Saint, mais cela par pur cadeau et en restant toujours â notre place.
Lorsque l'Apôtre nous dit que nous devenons participant de la nature divine, c'est cela qu'il veut dire. La nature divine n'est pas distincte des personnes. Et lorsque ce n'est plus moi qui vit, que c'est le Christ qui vit en moi, à ce moment-là comme la personne du Christ, je me reçois totalement du Père et, avec Lui je respire l'amour, je respire l'Esprit Saint. Je deviens tout cela tout en restant à ma place de créature. C'est cela la béatitude !
Naturellement, dans la Trinité, le Christ n'est pas le Père et le Père n'est pas l'Esprit. Ils sont toujours bien formellement distincts et moi, je serai toujours bien distinct des personnes divines.
Auparavant le dimanche, on chantait le Symbole très élaboré de la foi : le Verbe est tout entier dans le Père ; le Père est tout entier dans le Verbe ; et l'Esprit tout entier - voyez - dans l'un et dans l'autre. Il y a là un interpénétration qui est vraiment le mystère de l'unité à l'intérieur de cette prière. Eh bien, c’est ce qui nous est proposé.
O, tout ce que je dis ici, ça peut paraître de la théorie. Mais c'est un mystère qui est quasiment inexprimable correctement au niveau conceptuel. Et on comprend que les tout premiers théologiens de l'Eglise ont été comme ça vraiment sur des lignes de crête et, il n'était pas extraordinaire que l'un ou l'autre ait un peu glissé du côté de l'erreur ou de l'hérésie.
Mais pour en revenir à des choses un peu plus à notre niveau, n'oublions pas que la Trinité, elle est le substrat du monde. Elle est le substrat du monde matériel parce que c'est la Trinité qui le porte. C'est sans arrêt, sans arrêt, à chaque seconde, à chaque instant que le cosmos est créé par cette Trinité qui le veut, qui le désire, qui l'aime, qui veut le transfigurer, qui veut le transformer. Et la clef de notre avenir, eh bien, c'est encore une fois cette Trinité, c'est cette société.
Il me semble - naturellement ici c'est toujours une impression très personnelle qui vient quand même un peu de mon expérience - lorsqu'on est pénétré de cette évidence - qui pour moi est une évidence - et lorsque on se laisse porter par elle, on peut passer à travers tout, à travers absolument tout ce qui peut arriver, parce que on est déjà au-delà de toutes les contingences que nous pouvons rencontrer au cours de notre vie. Nous sommes passés au-delà. Donc, ça peut paraître étrange !
Mais notre vie actuelle, c'est comme si elle appartenait déjà à notre passé. C'est très, très étrange, mais d'un autre côté, c'est très logique. Car si on est entré dans cet univers, dans cet univers de la Trinité, on a déjà comme traversé la mort et, tout ce qui arrive jour après jour, c'est comme si c'était déjà fini depuis longtemps.
Voilà, c'est peut-être une grâce un peu déjà élevée qu'on peut recevoir mais qui introduit dans un univers de paix dont, voilà, nous ne pouvons même pas soupçonner.
Lorsque le Christ a dit : « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix, c'est la mienne que je vous donne, pas celle que le monde donne. » eh bien, il disait cela et quelques instants après, quelques heures après il allait être arrêté, il allait être torturé, il allait être crucifié. Eh bien pour lui, ça appartenait déjà à son passé parce que il était dans la paix. Eh bien nous, nous sommes entraînés dans ce mystère.
N'oublions pas que l'Esprit Saint, que l'Esprit Saint emplit l'univers. Je ne sais plus quel jour on le dit à l'office de nuit, mais on le dit : l'Esprit Saint emplit l'univers et lui donne son sens et sa beauté. Mais l'Esprit Saint, c'est l'amour.
Donc l'univers, tel qu'il se présente maintenant avec cet orage, eh bien, il est un rappel, un rappel de cet amour qui nous attend, qui nous porte, qui veut nous transfigurer, qui veut nous faire devenir, nous, tout entier amour et lumière.
Et le Verbe, le Verbe de Dieu, le Créateur qui est devenu chair, mais c'est lui qui confère au cosmos, à l'univers, sa noblesse, sa beauté et qui confère à l’homme sa mission. L’homme doit être le chantre de la beauté. De cet univers qui est beau, il doit en être le chantre. Mais ce Christ, ce Verbe s'exprime à travers des artistes, à travers des poètes, à travers des chorégraphes, à travers tout ce qui est beau, et quelque soit la personne.
Eh bien, ça arrive et c'est possible parce qu'il y a dans le monde des hommes, des femmes, disons des moines, des moniales qui ne s'appartiennent plus et qui sont, étant devenus un seul esprit avec le Christ, qui deviennent inspirateur des autres. C'est pour dire que s'il n'y avait pas de saints sur la terre, il n'y aurait pas d'artistes. C'est ça que je veux dire.
Voilà, ce Verbe qui est devenu homme nous dit aussi que c'est par le canal de l'homme que tout sera divinisé. Et lorsqu'une œuvre de beauté est produite, eh bien, il y a un degré de divinisation supérieur qui s'est installé dans le monde.
Il faut donc ici que notre monastère soit quelque chose de beau et, la beauté n'a pas de prix. Cela ne veut pas dire qu'il faut gaspiller l'argent. Ce n'est pas ça que je veux dire. La beauté n'a pas de prix, elle ne s'évalue pas. Il n'est pas possible d'évaluer la beauté parce que elle est au-delà de toute valeur. Elle est la valeur suprême.
Donc, nous devons toujours faire du beau autour de nous et, nous devons faire du beau de notre personne aussi parce que - encore une fois - c'est par l'homme que le monde est divinisé, que le monde sera finalement beauté suprême, celle de la Trinité.
Et alors, la source de ce mouvement général, eh bien c'est le Père. Et le Père, nous ne parviendrons jamais à le voir. Nous ne le connaîtrons jamais qu'à travers, disons, ses œuvres. Et la première de toutes ses œuvres, c'est son Fils, c'est le Christ, c'est sa Mère et puis tous les saints. Et il resplendira comme ça sur la face de chacun. Et par tous ces canaux multiples, eh bien, nous remonterons à la source mais sans pouvoir jamais l'atteindre.
Eh bien voilà, mes frères, la vie contemplative. Nous pouvons dire qu'elle consiste à se laisser emporter dans cet océan de beauté de manière à ce que la Trinité triomphe en nous. Et je le rappelle encore, chaque fois que nous chantons la doxologie Gloire au Père.... eh bien, essayons de nous rappeler ce mystère qui est le nôtre et qui donne un sens à tout ce que nous vivons, à tout ce que nous sommes appelés à vivre.
Mes frères
Cette année, nous célébrons le Huitième Centenaire de la naissance de Sainte Julienne de Cornillon, (au pied du Thier de Robermont) elle qui fut l'initiatrice de ce qui allait devenir la Solennité du Saint Sacrement, Corps et Sang du Christ. Elle fut un instrument choisi pour cette mission et le livre du réfectoire va nous instruire de la genèse de cette fête.
Nous entendons déjà que Julienne était une fille orpheline très jeune qui a naturellement été terriblement traumatisée par la mort de ses parents et puis, vraiment façonnée jusqu'au plus intime par l'éducation qu'elle a reçue dans l'annexe de la léproserie de Cornillon.
Et puis sa vocation : elle a souffert pendant des années d'anorexie mentale. Donc elle n'était pas un bloc de santé physique. Mais vous voyez que Dieu se sert de n'importe qui pour réaliser ses desseins. Nous ne devons donc jamais nous-mêmes nous décourager si nous ne sommes pas parfaits au plan de notre structure humaine. C'est dans la faiblesse que se déploie la puissance de notre Dieu.
Et la fête du Saint Sacrement a subi bien des vicissitudes au cours de l'Histoire. Ce livre nous a rappelé aussi qu'avant l'époque de Julienne, le sacrement de l'Eucharistie était considéré comme un talisman puisque on le déposait dans la bouche des morts, même dans leur cercueil car, comme ça, on allait certainement leur permettre de ressusciter dans la gloire.
Et n'oublions pas que cette tendance à la magie existe encore aujourd'hui très, très, très fort dans le peuple. Et attention qu'elle ne prenne aussi possession de notre coeur à nous ! Et c'est la raison pour laquelle nous pourrions peut-être aujourd'hui nous arrêter quelques instants à un aspect du sacrement eucharistique qui, à mon avis, à l'intérieur de notre vie monastique nous touche de très près.
Pour comprendre ce que je vais dire, il faut revenir aux paroles même du Christ qui sont fondamentales, qui sont fondatrices d'ailleurs du sacrement : Qui mange ma chair, qui boit mon sang a la vie éternelle et moi je le ressusciterai au dernier jour. Puis il a dit aussi : Faites cela en mémoire de moi !
Il s'agit donc, mes frères, de retrouver le sens de la Pâque Eucharistique. Il s'agit de nous laisser engloutir dans la mort et la résurrection du Christ. Et quand nous plongeons dans cette mort, prenons bien garde de ne pas nous décourager aussi pénible que ce soit parce que être enfermé, emprisonné dans la mort du Christ, c'est la plus grande grâce qui puisse nous arriver ici sur terre. Car nous savons que la résurrection est le complément obligé de cette mort.
Il s'agit dans le sacrement eucharistique d'accueillir en nous la vie éternelle qui est Dieu lui-même et il ne s'agit pas de poursuivre indéfiniment une vie que nous menons aujourd'hui sur cette terre mais tout à fait exempte de tout souci, de peines, de souffrances, plus de larmes, plus de pleurs, plus d'angoisses, plus de questions, plus rien du tout.
Non, il s'agit d'autre chose. C'est la vie de Dieu dont nous ne pouvons avoir aucune idée, mais que nous pouvons déjà expérimenter justement dans la mesure où nous n'avons pas peur de nous laisser envahir par la mort. C'est dans la mesure où nous commençons à ressusciter que nous expérimentons cette vie éternelle. Et il s'agit aussi d'entrer pour jamais dans la Lumière de la Trinité. J'ai encore essayé d'en parler hier soir avec des mots bien pauvres, tellement insuffisant. Mais vraiment, c'est cela, c'est participer pleinement à la vie Trinitaire.
Attention ! Cela ne se passe pas au niveau de l'intellect comme si il fallait être un théologien à la Saint Thomas d'Aquin pour entrer dans ce mystère. Non, c'est existentiel, c'est tout notre être qui y est de façon consciente.
Maintenant, mes frères, j'en arrive au point crucial. Le sacrement de l'Eucharistie ne produit pas son effet automatiquement. Ce serait de la magie si c'était automatique et ça, c'est totalement exclu. Mais il produit son effet si nous nous ouvrons à lui par la foi. Mais qu'est ce que ce la veut dire?
Cela veut dire qu'il y a donc une logique dans la vie chrétienne et à fortiori dans la vie du moine. Et cette logique, là voici : Si nous sommes entraînés dans une sorte de mort à la suite d'une épreuve physique, ou morale, ou spirituelle, nous devons laisser jouer en nous un réflexe de foi.
Ce réflexe de foi doit devenir plus fort que le réflexe de peur. La chair a peur. La chair voudrait échapper. La chair voudrait repousser l'épreuve et la souffrance. Mais le réflexe de foi, c'est justement laisser jouer en nous le mystère eucharistique. C'est à dire que la mort, la souffrance que nous pouvons endurer sont précisément l'actualisation en nous du mystère eucharistique. Nous participons alors existentiellement, réellement par tout notre être à la mort du Christ qui est le prélude de sa bienheureuse résurrection et de la nôtre.
C'est là, mes frères, justement la logique qui doit se saisir de nous. Manger la chair du Christ, boire le sang du Christ, c'est accepter que le mystère de mort et de résurrection se déploie dans notre vie, c'est accepter que la puissance de Dieu se manifeste dans notre faiblesse et nous fasse passer d'une approche charnelle des événements et des personnes à une réalité spirituelle, surnaturelle et divine.
Donc, mes frères, lorsque nous participons à l'Eucharistie, lorsque nous communions, lorsque nous recevons en nous le corps et le sang du Christ, lorsque nous les consommons, qu'ils deviennent notre substance, par ce simple geste, et bien nous acceptons dans la foi que Dieu fasse de nous ce que bon lui semble, qu'il permette que les événements s'arrangent de manière à ce que nous ayons l'occasion de vivre alors vraiment dans tout notre être ce que nous vivons déjà sacramentellement dans l'Eucharistie.
II y a là une logique qui est implacable mais à laquelle nous ne faisons pas attention parce que nous vivons peut-être l'Eucharistie trop au plan - encore une fois - je ne dirai pas de la routine, mais d'une approche. qui est trop intellectuelle, qui n'est pas suffisamment existentielle. Nous devons aller jusqu'au bout, jusqu'au bout de la logique.
Eh bien si vous le voulez, aujourd'hui nous allons demander les uns pour les autres cette vision de foi, cette grâce, et qu'elle s'inscrive dans notre vie. Alors nous serons vrai dans tout notre être et nous goûterons - quoi qu'il nous arrive – la propre paix du Christ.
N'oublions pas qu'il a dit, je l'ai rappelé je pense hier encore : Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix. Il disait cela au moment même où il allait passer par la souffrance, par la torture, par la mort. Mais avant cela, juste avant cela, il avait donné son corps et son sang à ses disciples qui l'avaient consommés et qui, par ce geste, étaient déjà intégrés à la passion du Christ et à sa résurrection.
Eh bien, mes frères, c'est là la logique et nous devons aujourd'hui - si vous le voulez bien - y réfléchir et demander, encore une fois, la grâce d'y entrer totalement dans la mesure toujours de nos capacités naturelles, l'un n'est pas l'autre. Mais l'essentiel est que nous nous laissions absorber et que sans crainte aucune nous allions vers la bienheureuse résurrection.
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Mes frères,
Nous venons d'entendre une parole que j'estime merveilleuse. C'est la toute dernière : Préparer au Seigneur un peuple capable de l'accueillir. Eh bien, mes frères, ce que Dieu visait par le ministère de Jean-Baptiste, à savoir préparer Israël à l'accueillir quand il viendrait dans une chair d'homme, Dieu le projette pour chacun d'entre nous. Il est bon de nous le rappeler aujourd'hui.
Il veut en effet, comme l'a dit une sainte carmélite, que nous lui soyons chacun une humanité de surcroît. C'est parfaitement dit et c'est parfaitement juste. C'est cela le projet de Dieu : que ce ne soit plus nous qui vivions, mais que ce soit lui qui vive non seulement dans notre coeur, mais aussi dans notre esprit et dans notre corps tout entier.
Nous devons donc accueillir Dieu en nous, Dieu qui désire faire de nous des images de ce qu'il est, à savoir : lumière, et amour, et compassion, et bonté. Et Dieu patiemment nous prépare à cet accueil.
Je pense que nous aurions été plus pressé que lui. Voyez, il vient annoncer à Zacharie qu'il aura un enfant, un garçon. Et voilà, il faudra donner le temps pour que d'abord cet enfant soit engendré, et puis qu'il grandisse et qu'il se développe. Il faudra pour cela des dizaines d'années, une trentaine d'années.
Voyons, mes frères, mesurons la patience de Dieu. Dieu a toujours bien le temps et nous, nous sommes toujours des gens pressés. Le signe que Dieu commence à vivre en nous, c'est quand à notre tour nous commençons à ne plus être précipités et à avoir le temps, que nous donnons aux choses, aux événements, aux personnes le temps de grandir et de mûrir.
Et voilà que Dieu ainsi patiemment nous prépare à l'accueillir. Cela ne va pas tout seul car nous sommes tellement bien chez nous que nous occupons toute la place. Et voilà, nous devons lui céder le meilleur de nous et finalement nous devons lui laisser tout de nous.
Il ne veut pas nous anéantir, non, il veut nous élever, nous introduire là où il est. Et il nous prépare par les prophètes qu'il nous envoie car, aujourd'hui encore, il envoie des prophètes, il envoie des anges, il envoie de nouveaux Jean-Baptiste. Et ces prophètes, ce sont les hommes qu'il place à nos côtés, ce sont les événements que nous avons à décrypter.
Il reprochait à ses compatriotes de savoir lire les signes des temps. Voilà, ils savaient s'il allait pleuvoir, s'il allait y avoir de l'orage, enfin quantité de choses, et les gens ne se trompaient pas. Mais voilà, pour les temps du Royaume, pour ceux-là, ils étaient aveugles.
Eh bien, mes frères, nous devons, nous, apprendre à décrypter les événements, à voir leur sens profond et à comprendre qu'à travers eux, une fois encore, Dieu nous prépare à l'accueillir. Ne l'oublions pas, ne sommes-nous pas tous des Jean-Baptiste les uns pour les autres ?
Mais si nous le croyons vraiment, alors nos relations mutuelles changent de couleur. Nous sommes pénétrés de respect devant les autres et nous sommes affamés de vérité. Les foules accouraient auprès de Jean pour apprendre de lui ce qu'elles étaient et, elles acceptaient bien simplement ce qu'il leur disait.
Et il en venait de tous les horizons, depuis des soldats jusqu'à des receveurs des contributions, jusqu'à des gens tout ordinaires. Et ils demandaient : qui sommes-nous ? Que devons-nous faire ? Et ils acceptaient ce que Jean leur disait et ils se plongeaient dans les eaux du fleuve pour se laver de leur péché.
Et nous-mêmes, mes frères, nous devons attendre des autres une parole de libération car seule la vérité nous donne la liberté. Et alors nous sommes heureux de savoir afin de mieux nous convertir. Etre prophète pour son frère n'est pas une mission facile. Il faut pour cela consentir à être un enfant qui ne sait pas parler.
Pourquoi ? Mais parce que alors seulement les paroles de Dieu sont placées dans notre bouche. Et si nous devons abattre, et arracher, et détruire, et démolir, c'est afin de pouvoir bâtir et de pouvoir planter.
Nous devons, comme Jean-Baptiste, naître du miracle, c'est à dire de l'humilité. Car le plus grand miracle vraiment, je le pense, pour un homme, c'est l'humilité, la propre humilité de Dieu qui le pénètre et qui le transfigure. A ce moment, il vient au monde, au monde de la création nouvelle, au monde de la beauté, au monde de l'amour, au monde de Dieu.
Et puis, nous ne devons jamais nous arroger des droits qui ne sont pas les nôtres. C'est cela l'humilité toute simple, savoir rester à sa place et attendre.
Et ainsi, mes frères, nous serons des prophètes les uns pour les autres par notre conduite, par notre être même, sans dire un mot. Le silence alors devient parole et devient prophétie la plus vraie, la plus juste et - sans le dire - la plus percutante et la plus efficace.
Alors, mes frères, en cette veille de Saint Jean-Baptiste, espérons et demandons cette grâce les uns pour les autres. Et puisse le Seigneur nous garder toujours pur dans notre intention et éloigner de nous à jamais toute forme de perversité.
Amen.
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Mes frères,
Nous avons eu le privilège d'assister à un récital de violoncelle qui était vraiment extraordinaire. Nous pouvons aisément nous imaginer la somme de discipline, de persévérance, de ténacité qu'il a fallu à cet homme pour conquérir une telle virtuosité. Chaque jour, pendant des heures, il doit continuer à s'exercer. C'est sa profession, c'est son gagne-pain, c'est son charisme aussi. C'est sa joie et c'est son tourment.
Mais alors, je me demande : nous, que faisons-nous pour conquérir la maîtrise de notre art spirituel ? Avons-nous à l'intérieur de nous ce même feu, ce même désir, ce même besoin de toujours reprendre jusqu'à devenir Maître en l'art spirituel comme Monsieur Leroy est Maître dans l'art du violoncelle?
Je pense qu'il nous a donné hier encore une fameuse leçon de vérité. Il faudrait que nous puissions nous présenter, nous, comme cela devant la Sainte Trinité, et devant toute la Cour céleste pour combler de joie tous ces êtres qui sont des saints, qui sont tous divinisés, qui sont d'abord la Trinité-Dieu elle-même, pour les combler de joie à l'audition et au spectacle de la beauté que nous sommes devenus.
C'est cela le fin fond de la vie monastique. Nous devons en arriver là, mais cela dans la plus totale gratuité. Ne pas nous étaler devant les hommes, mais simplement nous exposer devant Dieu, devant la Trinité, ses anges et ses saints. C'est ce que Saint Benoît nous dit, on va nous le rappeler ces jours-ci : nous psalmodions en présence des anges.
Mais ce n'est pas seulement au niveau de la psalmodie, mais c'est du concret de notre vie quotidienne. C'est notre coeur qui doit devenir un instrument parfait. Et puis, nous devons pouvoir nous en servir pour le service de Dieu et celui de nos frères. A ce moment-là, eh bien nous avons réalisé notre vie.
Et alors, un autre détail encore qui m'a frappé hier. Voilà, il fait partie d'un quatuor de cordes, donc des instruments à cordes. Et alors là, vraiment, pour que le concert soit une réussite, pour que ce soit parfait, chacun doit s'oublier pour entrer dans un projet commun. Personne ne peut imposer son mouvement aux autres.
Il faut que tous soient d'accord, que tous soient en harmonie. Et il m'a bien dit : C'est extrêmement difficile. Et habituellement après quelques années, la discorde s'introduit et il y a des tensions. Et finalement parfois, tout se disloque.
Eh bien nous, dans le monastère, nous devons comme cela arriver sous, disons, l'inspiration de l'Esprit de Dieu, arriver à une parfaite harmonie, que chacun s'oublie en vue du projet commun qui est, non pas de faire du monastère le pinacle de l'Ordre et de l'Eglise, non, mais encore une fois, s'oublier pour que Dieu parvienne à réaliser son projet au niveau de la communauté.
Mais pour cela, il faut que chacun s'oublie, il faut que chacun donne la préférence à l'autre, et ainsi la charité peut grandir. Et l'Esprit Saint, lui qui est le Maître de choeur, lui qui est l'organisateur de tout, peut alors librement jouer de chacun des instruments.
Si bien que notre concert devient aussi une merveille. Ce n'est plus chacun en particulier, mais c'est le Corpus Monasterii, c'est le Corps du monastère qui réalise sa vocation. Essayons de retenir cela, mes frères, du passage parmi nous de Monsieur Leroy.
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Mes frères,
Ce Chapitre sur la révérence à garder dans la prière est emprunté à Evagre le Pontique quasi textuellement dans presque sa totalité. Remarquons que Saint Benoît parle à trois reprises de la puritas. Ce doit être notre dévotion, c'est à dire la remise de nous, de notre être au Christ, à Dieu. Elle doit être pure, donc ne peut pas être mêlée de scories qui seraient une sorte d'idolâtrie. Donc nous devons être établis dans la gratuité entièrement désintéressée.
Alors la puritas cordis, le cœur doit être pur, et c'est justement cela le plus difficile d'avoir un cœur qui soit devenu lumière. C'est un cadeau que nous devons recevoir de Dieu. Et s'il nous met dans toutes sortes de situations, c'est justement pour purifier notre cœur, pour le nettoyer.
Si le linge qu'on met dans les machines à laver devait être conscient, je suis certain qu'il aurait beaucoup de choses à raconter sur ce qu'il doit subir avant de sortir pur, immaculé. Et encore, alors il doit passer dans un appareil, une calendre qui va l'étaler, qui va en faire une nappe parfaitement sans aucun pli, sans aucune fissure.
Eh bien nous, voilà, c'est notre sort dans le monastère. Nous devons aussi passer par toutes sortes d'épreuves justement pour purifier notre cœur.
Je lisais dernièrement dans Dorothée de Gaza quelque chose qui est très beau. Si on voulait, on pourrait indéfiniment comme ça en parler, et puis on ferait du sur place, on n'avancerait plus, pas au plan spirituel mais au plan de ce qu'on a à dire. Il disait ceci à un frère qui se plaignait d'avoir beaucoup d'épreuves à supporter dans le monastère. Il lui disait : « Eh bien, écoute, tout ce qui t'arrive des autres, des autres qui te font subir toutes ces choses-là, et bien ce sont des médecins qui portent remède à ta patience. »
S'il ne m'arrive jamais rien du tout, je vais m'installer dans l'illusion. Je me dirais : je suis un homme qui a une patience d'ange. Mais, si je reçois des coups à gauche et à droite, si un frère me met à l'épreuve parce qu'il chante trop vite, ou pas assez vite, ou toutes sortes de choses comme ça, à ce moment-là le véritable état de mon cœur se manifeste et je m'aperçois que ma patience, elle n'est pas ma vertu principale, que je suis plutôt énervé, plutôt impatient.
Eh bien, le frère qui est là et qui ne se doute sans doute de rien, il est le médecin placé par Dieu pour soigner et guérir ma patience. Voyez un peu ! La puritas cordis, la pureté du cœur, c'est ainsi qu'elle nous arrive grâce à des lessives que nous inflige Dieu directement, ou bien par les circonstances, et même par les frères.
Et alors la pura oratio, la prière pure ? Donc, c'est vraiment la prière qui monte vers Dieu et qui ne recherche rien d'autre que sa gloire à lui, qu'il se manifeste à travers notre cœur, à travers notre esprit, à travers notre corps même, que nous devenions son temple. C'est la seule demande valable. Les autres demandes, c'est bon, Dieu les accepte. Mais ce n'est pas alors la prière pure. c'est une prière plus ou moins intéressée.
Ecoutez ce que dit Evagre et vous allez vous rappeler immédiatement ce que nous venons d'entendre : Qui approche d'un roi fait sa demande avec crainte et tremblement, et grande attention. La sobriété, la maîtrise de soi, car il ne s'agit pas à ce moment-là d'être impoli, grossier. Non, il faut savoir se tenir, il faut faire attention à soi, attention à ce qu'on dit, attention à sa tenue.
Alors ne faut-il pas, à bien plus forte raison, se présenter de semblable façon à Dieu, le Seigneur de toute chose, et au Christ, le Roi des rois et le Prince des princes. Il dit exactement la même chose que Saint Benoît. Saint Benoît ne parle pas d'un roi, mais des puissants de la terre.
Maintenant, ce matin, j'ai traduit à partir du grec la définition qu'Evagre donne de la prière. C'est impossible de traduire littéralement car les mots grecs sont beaucoup plus proches de leur racine concrète et, il faut parfois deux, trois mots français pour rendre ce mot grec :
La prière est un commerce amoureux du cœur avec Dieu, du cœur tout entier tendu vers Dieu...
Donc, la situation de ce cœur est la même que la situation du Verbe de Dieu au sein de la Trinité où, là, le Verbe de Dieu est tendu vers le Père. Et c'est la même chose pour le cœur qui est en état de prière. Donc, il est toujours tourné, tendu vers le Père. Alors, encore une exclamation, ce n'est pas rare chez Evagre parce que ça traduit l'étonnement, l'admiration, la surprise et aussi, dans le fond, un souhait :
Quel ne doit donc pas être l'état de ce cœur au moment de la prière pour que, reposant dans une paix immuable, il soit ravi dans le Seigneur qui en a fait sa demeure et s'entretienne avec lui sans que rien ne s'interpose.
Est-ce que vous avez compris ? Dans le grec, c'est une seule phrase. Donc, la prière est un entretien aimant, un commerce amoureux du cœur, du nus - c'est ce qu'il y a de plus personnel, là où s'inscrit notre nom nouveau - avec Dieu. Mais le cœur est à ce moment-là tout tendu vers Dieu. Ce n'est pas une tension nerveuse. Il est comme un miroir qui est vers Dieu, et puis qui reçoit l'image de Dieu, et qui la renvoie. Alors, quel ne doit pas être l'état de ce cœur ?
On introduit ici la puritas cordis, la pureté du cœur. Car reposant dans une paix immuable, donc voilà, ce cœur est dans la paix, ce qui signifie dans la pratique que le moine est mort à lui-même. Il ne vit plus pour lui, mais il vit uniquement et entièrement pour Dieu. Et à partir de Dieu, il est dans une paix immuable. Et alors, il est ravi dans le Seigneur, en grec ………. Il est en extase, il est ravi, il sort de lui-même. Voyez, c'est le mouvement vers. Il est ravi dans le Seigneur, le Seigneur qui est le Christ ici donc, mais le Christ Dieu, le Christ ressuscité, le Christ qui est lui- même en mouvement toujours vers son Père.
Alors, ce Seigneur qui en a fait sa demeure. Donc ce ravissement est Verbe. C'est quelque chose d'assez paradoxal, car le Christ est dans le cœur et le cœur est en mouvement vers le Christ, ravi, en extase vers le Christ. Alors ils s'entretiennent. Voici la prière. Il s'entretient avec lui sans que rien ne s'interpose, personne, ni rêve, ni aucune chose. Sans intermédiaire, il s'entretient comme ça avec Dieu.
Eh bien ceci, c'est vraiment la quintessence de la Tradition monastique primitive. C'est ça que les moines recherchaient dans l'oratio continua. Quand Cassien dit : « Il faut que le moine dans la totalité de son être, en entier, soit une seule et unique prière » c'est ça qu'il veut dire. Et voilà ce que Saint Benoît reprend aujourd'hui lorsqu'il parle de la pura oratio.
Eh bien, mes frères, nous n'avons plus qu'à souhaiter une chose, c'est que le Christ notre Dieu nous conduise jusque là le plus vite possible. Si nous savions que le gros lot, c'est tel numéro, eh bien nous irions acheter ce numéro-là. Dussions-nous parcourir tout le pays, nous le trouverions car nous savons que c'est celui-là qui va sortir. On se serait donné bien du mal.
Et alors pour nous, mes frères, quand ce gros lot, c'est d'être là vraiment devenu un seul esprit avec Dieu, un seul esprit avec le Christ, je pense que ça vaut bien la peine tout de même de se donner du mal et de ne pas se laisser trop distraire par des babioles, et des balivernes, et des carabistouilles.
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Mes frères,
Nous allons faire un petit retour en arrière et essayer de dégager un des aspects très beau de la solennité du Sacré-Coeur. Cette solennité veut nous rappeler que l'amour qu'est Dieu, dans la Trinité de ses personnes et l'unité de son être, est venu à nous dans une chair d'homme.
Donc, quand nous voyons le Seigneur, nous voyons l'amour ; quand nous suivons le Seigneur, nous suivons l'amour. Et Dieu, dans la personne du Christ, a voulu saisir l 'homme dans sa totalité afin que le tout de l'homme et que tout homme puissent devenir amour.
Le saint, chaque saint est une nouvelle apparition de l'amour. Et à la limite, tout chrétien devrait être une apparition de l'amour. C'est à ça qu'on reconnaîtra que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres.
Mes frères, il y a là une exigence qui est inflexible. Le chrétien, c'est un homme qui aime. Fut-on le plus renommé des théologiens, fut-on l'homme le plus célèbre du monde chrétien, si on n'aime pas, on n'est rien.
Attention, mes frères, parce que là est notre identité vraie. Le chrétien est un homme qui aime. Et lorsqu'il est parfaitement chrétien, il est une apparition de l'amour exactement comme le Christ l'était. Et si nous sommes dans un monastère, eh bien, c'est afin de nous laisser engloutir par l'amour.
Mais alors, il faut que nous soyons bien malades pour résister à une telle aventure. Et cette maladie, elle porte un nom : le péché. Et le péché se dissimule sous le couvert de l'égoïsme et de la peur. Et alors que faisons-nous pour sortir de ce filet ?
Eh bien, mes frères, il faut tout simplement faire confiance au Christ et répondre à ses appels. Dans la pratique, il suffit de l'écouter, de lui obéir et de nous laisser soigner par lui. Qu' y a-t-il en effet de plus rassurant, de plus doux et de plus exaltant que de suivre l'amour et de devenir soi-même amour ?
Attention ! Nous ne savons pas, nous, ce que c'est que l'amour. Nous avons de petits points de repère comme ça dans notre vie personnelle. Il nous semble parfois aimer, mais est-ce cela vraiment de l'amour ? Ce peut être des illusions d'amour, peut-être des contrefaçons d'amour ? Le véritable amour, le seul amour, c'est Dieu lui-même. Et Dieu, encore une fois, se présente à nous dans la personne du Christ.
Eh bien, reconnaissons-le, cet amour-là nous fait peur et il nous enfonce encore, d'une certaine manière, plus profondément à l'intérieur de notre péché parce que nous reculons devant l'amour.
Le sommet, disons, de cette peur de l'amour a été la crucifixion de l'amour. Les hommes n'ont pas pu supporter que l'amour soit au milieu d'eux. Ils l'ont rejeté, ils l'ont tué. Les hommes ne veulent pas aimer et ne peuvent pas aimer, cela va jusque là. Et nous sommes nous aussi de cette race.
Donc, il n'est pas étonnant que l'amour nous soit tellement difficile. Et encore une fois, si nous sommes dans le monastère, c'est pour nous laisser dévorer par l'amour. Il faut donc oser prendre ce risque. La résurrection du Christ est la victoire définitive, absolue de l'amour sur toutes les forces du mal, sur toutes les puissances du péché.
Donc, nous sommes certains de remporter finalement la victoire à condition, encore une fois, de nous laisser séduire par la personne du Christ Jésus. Et la première, la plus grande des victoires que nous remportons, c'est la victoire sur nous-même, sur notre égoïsme et sur notre peur.
Voilà mes frères, pour nous, devenir amour, c'est avoir part à cette résurrection. Et il n'est rien donc ici-bas de plus noble, il n'est rien de plus beau que de ressusciter.
Or ressusciter, dans la pratique, pour nous, c'est obéir au Christ, c'est permettre à l'amour d'agir en nous et de nous métamorphoser, de nous transfigurer. Là est la noblesse de l'obéissance. Je pense qu'il faudrait toujours avoir cela sous les yeux, mais hélas nous sommes encore toujours des gens distraits.
Je me souviens qu'autrefois quand je suis arrivé ici, les anciens s'en rappellent, dans tous les coins il y avait de petites pancartes sur lesquelles était écrite une sentence. Finalement on ne les voyait plus, mais c'était toujours là. Que fait-on maintenant le long des autoroutes ? Eh bien, on affiche de grands panneaux "sécurité routière", une image et une sentence pour apprendre à faire son possible pour éviter les accidents.
Eh bien, mes frères, nous devrions, nous, non pas remettre des pancartes partout, mais toujours avoir sur les lèvres et dans notre coeur le nom du Seigneur Jésus, le nom de l'Amour.
Vous aviez les premiers moines qui répétaient toujours : Seigneur Jésus fils de Dieu, prends pitié de moi pécheur. C'était ça, je m'ouvre, je me donne à l'amour mais, voilà, je suis un pécheur et j'ai peur. Alors prends pitié de moi et viens quand même me prendre et me transfigurer.
Voilà, mes frères, telle est notre vocation monastique chrétienne et humaine. A nous maintenant, avec la grâce de Dieu, de la parcourir jusqu'au bout.
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Mes frères,
Les paroles que nous venons d'entendre sont toutes paroles de Dieu et elles ont bien de quoi nous secouer, nous donner le frisson. Et pourtant, elles sont la porte de la liberté, de la vraie liberté. Dieu, en effet, ne nous appelle pas pour nous asservir mais pour dilater notre coeur, nous faire participer à sa propre vie, nous faire entrer dans tout ce qu'il est et partager avec nous sa propre liberté.
Car la liberté ne consiste pas à faire arbitrairement ce qu'on veut. Non, faire ce qu'on veut ainsi à l'aveuglette, c'est être tout simplement l'esclave de ses instincts, de ses pulsions, de ses égoïsmes et même de ses angoisses. Non, la vraie liberté, c'est d'être possédé par l'amour, c'est d'être devenu amour jusque dans les cellules de sa chair, c'est vivre hors de soi dans les espaces immenses de la création nouvelle, c'est d'être emporté là où Dieu vit, où tous les saints sont groupés autour de lui et chantent sa louange. Etre libre, c'est sentir vibrer dans son coeur les accents toujours jeunes de la vie éternelle.
Voilà, mes frères, ce qui nous est promis aujourd'hui derrière le voile un peu rude de toutes ces paroles. La liberté est, dans le fond, la récompense d'une vie chrétienne pleinement vécue. Et la vie chrétienne, c'est une vie en union parfaite avec le Christ Jésus.
Et cette union va si loin que ce n'est plus nous qui vivons, mais que c'est lui qui vit en nous. Mais à ce moment-là, nous nous reconnaissons vraiment tels que nous sommes car notre personnalité n'est pas fondue dans la sienne. Non, elle est portée à son sommet.
La vraie liberté dans cette union au Seigneur Jésus est donc le corollaire d'une dépossession totale, d'un plongeon sans retour dans le rien. Il s'agit dans la pratique de suivre le Christ partout, en tout sans jamais regarder en arrière. Il y en a-t-il ici qui ont eu l'occasion de travailler avec une charrue à un bras ? Ils savent très bien, ceux-là, que si on lâche du regard la trace du cheval, si on commence à regarder en arrière, on est perdu.
Mes frères, nous devons suivre la trace du Christ et elle s'imprime dans notre vie à tout heure. Nous ne devons jamais la quitter des yeux et alors nous ne courons pas le risque de rater l'entrée dans le Royaume de Dieu.
Oui, suivre le Christ, c'est accepter à l'avance tous les risques. Non pas des risques pendant quelques jours, mais des risques jusqu'à la fin de ses jours. Mais attention, ces risques sont des risques heureux car il n'est rien de plus rassurant, de plus réconfortant, de plus pacifiant que de tomber à tout moment dans les bras de notre Christ.
Suivre le Christ, c'est aussi renoncer à l'avance à toutes les sécurités charnelles. Mais que sont-elles, ces sécurités, au regard de cette puissance qui prend possession de nous, et qui nous porte, et qui nous rend de plus en plus libre, et qui nous fait franchir tous les obstacles. C'est aussi ne plus vivre pour soi mais pour lui et pour sa cause. Et il n'est rien de plus noble ici bas et pour l'éternité.
Mes frères, l'amour et la confiance doivent être tellement puissant qu’ils maîtrisent et brisent en nous tous les réflexes d’inquiétude et de peur. Mais attention, il ne peut y avoir de demi-mesure et de compromission. C’est tout ou rien !
Voyez déjà Elie et Elysée : Elie lance son manteau vers Elysée. C’est le fameux manteau qui allait un jour tomber du char de feu et qu’Elysée allait ramasser. Et ce manteau allait lui permettre de devenir le successeur d’Elie. Et voilà ce que déjà maintenant Elie nous propose.
Elysée court vers Elie, mais il a un instant de recul. Il hésite, il pense aux siens et à tout ce qu’il va devoir laisser. Et Elie lui réplique : Bon, retourne chez toi, je n’ai rien fait, c’est rompu entre nous. Et heureusement, Elysée se reprend. Il sacrifie, il détruit, il brûle tout et le donne, et il part.
Mes frères, notre destinée chrétienne dépend aussi parfois d’un seul instant : ou nous choisissons pour, ou nous choisissons contre. Et ce radicalisme est encore bien plus terrible lorsqu’il s’agit du Christ. Celui qui met la main à la charrue et qui regarde en arrière, il n’est pas fait pour le Royaume de Dieu. Encore une fois, c’est le Christ tout entier ou rien du tout.
Mes frères, nous nous trouvons en face du mystère de Pâques. Pour entrer dans la vie véritable, pour connaître la vraie liberté, il faut passer par la mort à soi, à ses idées, à ses vouloirs. Et Dieu nous présente le marché, à nous de choisir.
O mes frères, puissions-nous toujours choisir la vie.
Amen.
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Mes frères,
Je vous avais promis un apophtegme illustrant le 12° degré d'humilité. Vous savez que le moine qui est arrivé là-haut au sommet de l'échelle, il se juge le dernier de tous, mais sincèrement et du fond de son coeur. Ce n'est pas une pieuse formule. Non, pour lui, il est le dernier de tous. Et voici une belle illustration :
Un Ancien a dit : Il y avait un Ancien qui demeurait dans le désert…..
Nous ne sommes pas dupes de l'artifice, l'Ancien parle ici de lui-même. Comme c'est un homme humble, il ne dit pas : à l'époque où j'habitais dans le désert. Et il n'était pas au désert pour mener une vie de retraité mais pour lutter contre les vices de la chair et de l'esprit, et pour permettre à l'Esprit Saint de purifier son coeur.
Il était donc là dans le désert durant de nombreuses années. On ne connaît pas le nombre de ces années, mais elles sont nombreuses. Ce peut être 20, 30, 40, 50 ans dans le désert. Et on ne connaît pas le nom de cet Ancien.
Il faut dire que ce genre d'apophtegme n'est pas le seul dans la collection. Il y en a d'autres qui lui sont semblables. Pour d'autres apophtegmes, on connaît le nom de la personne ; ici, on ne le connaît pas.
Après avoir servi Dieu durant de nombreuses années, il dit : Seigneur, fais-moi connaître si je t'ai plu?
Nous retrouvons ici un genre de question qui n'est pas tellement rare dans les collections Talmudiques. Nous avons entendu que ces Sages d'Israël étaient d'une très grande familiarité avec Dieu. Ils lui parlaient et puis Dieu leur répondait.
Attention ! Si nous étions le Chanoine Cottiaux, nous entreprendrions, ici, une étude du milieu, de la Culture. Nous irions rejoindre des exemples tout autour et nous pourrions alors nous approcher de la vérité. C'est donc ici une question qui n'est pas extraordinaire dans le milieu monastique.
Et dans le milieu des Sages d'Israël, là aussi, ces hommes s'adressaient à Dieu et mettaient littéralement Dieu au pied du mur. Voilà : il trace un cercle autour de lui et il dit : Je ne sortirai pas de ce cercle aussi longtemps que tu n'auras pas fait ceci ou cela. Et alors Dieu, il est vraiment mal pris et il est obligé de céder. C'est un peu le même univers que celui-ci.
Fais-moi connaître si je t'ai plus ?
Sous-entendu, sous-entendu n'est-ce pas, j'espère que tu répondras Oui.
Et il vit un ange qui lui dit :
Donc Dieu envoie quelqu'un.
Et il vit un ange qui lui dit : Tu n'es pas encore arrivé à la hauteur du jardinier qui habite à tel endroit.
Il ne faut pas oublier que c'est un homme qui vit dans le désert depuis des années. c'est à peine s'il sait encore qu'il existe un monde autour du désert. Son univers à lui, c'est l'univers de Dieu ; il est entré dans la création nouvelle. Alors voilà, lui, il n'a à faire qu'avec Dieu et ses anges. Voilà : Fais-moi savoir si je t'ai plu ?
Et voilà que Dieu le renvoie dans le monde. A tel endroit, il y a là un jardinier et tu n'es pas encore arrivé à sa hauteur.
L'Ancien fut dans l'étonnement et se dit : j'irai à la ville pour le voir. Que peut-il bien faire pour surpasser le travail et ma peine de toutes mes années.
Donc le labeur: son ascèse, ses prières, ses jeûnes, ses veilles, son renoncement, enfin tout ce qu'il a fait pour être de plus en plus dépouillé de lui et proche de Dieu. Eh bien, qu'est ce que l'autre a bien pu faire pour surpasser tout mon travail? Il y a là une question qui est d'une saine curiosité.
Attention ! Cet Ancien, ce n'est pas un pieux novice qui dirait : je suis arrivé déjà tellement loin ! Non, vraiment c'est un homme extraordinaire. Nous le verrons, c'est un saint. Mais il se dit : comment est-ce possible ? Il y a là un mystère qu'il faut absolument élucider. Il se dit donc: j'irai à la ville pour voir cet homme. Il ne connaît pas le nom de cet homme. Il sait simplement que c'est un jardinier qui habite à tel endroit.
Eh bien, pour partir et aller à la ville, pour un moine qui est dans le désert depuis tant d'années, il faut l'faire. Nous autres, ce n'est plus rien du tout d'aller à la ville. Le désert n'existe plus pour nous. Il y a le désert monastique, c'est certain. Il y a la clôture, il y a la stabilité, mais c'est tout de même une autre ambiance que dans cette Egypte, là où il fallait faire des dizaines, et des dizaines de Km à pied pour trouver une maison.
Il partit et parvint à l'endroit indiqué par l'ange.
Donc voilà, il est arrivé. Et nous, maintenant nous sommes arrivés à l'heure de Complies. Eh bien, nous irons à l'église en portant dans notre coeur cette question, en nous demandant : nous, nous, où en sommes-nous, où en sommes-nous ?
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Mes frères,
Nous avons entendu cet Ancien demander au Seigneur : Fais-moi connaître si je t'ai plu ? Il y a quelques années est paru un livre qui recueillait des notices biographiques,et puis des extraits de Lettres Circulaires, de Chapitres, de sermons de Dom Gabriel Sortais. Et le titre de ce livre était : Les choses qui plaisent à Dieu.
Mais ici, notre Ancien va plus loin. Il demande si sa conduite a plu à Dieu ? Si Dieu trouve en lui son plaisir ? Si Dieu est heureux quand il le regarde ? Si Dieu se sent encouragé dans l'amour qu'il est et content d'avoir créé le monde, et d'avoir créé l'homme ? Dieu trouve sa complaisance dans un moine. Et alors ici, notre Ancien demande : Fais-moi connaître si je t'ai plu ? L'opinion des hommes ne l'intéresse pas, mais c'est savoir s'il fait plaisir à Dieu.
Mes frères, est-ce cela notre objectif à nous de faire plaisir à Dieu ? De faire plaisir à nos frères ? Vraiment pour en arriver là, il faut s'oublier, il faut être entré dans la sphère de la gratuité.
Et voilà qu'un ange lui dit : Tu n'es pas encore arrivé à la hauteur du jardinier qui demeure à tel endroit. Si l'ange lui avait dit : Tu n'es pas arrivé à la hauteur de tel grand Vieillard, ou bien de tel Evêque, ou du Pape d'Alexandrie, il aurait dit : Bon, ça ne m'étonne pas. Je m'en vais reprendre mon ascèse et mes prières, et mon dépouillement, et je vais essayer de les rejoindre. C'eut été même un peu flatteur.
Mais un jardinier ? Un jardinier qui habite à tel endroit ? C'est même assez surprenant et inquiétant. Mais l'ange lui a dit ça, rien que ça. Il ne lui a pas dit : va voir, essaye de le rencontrer. Non, il ne l'invite pas à sortir de sa clôture. Mais mon Ancien, ici, il fut dans l'étonnement et il se dit: J'irai à la ville pour le voir.
C'est donc lui qui prend l'initiative d'aller le voir. Il veut se rendre compte tout de même de ce que ce jardinier peut bien faire.
Que peut-il bien faire pour surpasser le travail et la peine de toutes mes années ?
Oui, la vie monastique est un labeur, un travail. Il faut se donner de la peine pour devenir un moine. Il faut se donner de la peine pour cueillir un petit diplôme dans une école. Mais pour devenir un moine, pour devenir expert dans l'art spirituel, alors là vraiment il faut se donner de la peine.
Cela ne vient pas tout seul. Il faut mourir à soi, il faut s'oublier et c'est le plus difficile. Il faut aimer être ignoré et compté pour rien, ce qui est exactement le contraire de ceux qui dans le monde se donnent de la peine pour arriver, comme on dit, pour décrocher quelque chose.
Il partit et parvint à l'endroit indiqué par l'ange.
Donc le voilà arrivé !
Il vit un homme occupé à vendre des légumes.
Il s'est dit : c'est sans doute lui. Il vend des légumes qu'il a cultivés car c'est un jardinier. Ce n'est pas un marchand de légumes qui va acheter quelque part sur un marché et puis qui revend après avoir pris sa part de bénéfice. Non, c'est un homme qui vend ses légumes à lui.
Il s'assit près de lui le reste de la journée.
Donc il ne bouge pas, il le regarde. Il s'assit près de lui. Quelle a dû être la réaction de ce jardinier de voir un moine vénérable s'asseoir à côté de lui sans rien dire, sans rien faire, sans rien acheter ? Voilà, il n'achète rien, ce moine, il ne bouge pas !
Et au moment où il partait, il lui dit : Pense-tu, frère, me recevoir cette nuit dans ton logis ?
Il l'appelle frère, pourquoi ? Mais parce que c'est un chrétien comme lui et tous les chrétiens sont frères ; et tous les chrétiens reçoivent la même vie de la même tête qui est le Christ. Ils partagent tous le même Esprit. Ils sont appelés tous à la même vocation dans le Royaume de Dieu. Donc, c'est un frère et il l'appelle frère : Pense-tu, frère, me recevoir cette nuit dans ton logis ?
Il faut tout de même oser le demander ! Mais à cette époque, ce n'était pas extraordinaire. Surtout les moines, ils avaient de ces audaces !
L'homme plein de joie accepta…
C'est un honneur pour lui de recevoir un moine, et un Ancien encore.
…et arrivé chez lui se mit à tout préparer pour le repas de l'Ancien.
Donc, il lui prépare son repas. Donc cet homme vit seul puisque c'est lui qui prépare le repas. Il prépare tout.
Et celui-ci lui dit : Par charité, frère, dis-moi ta conduite?
Dis-moi un peu, explique moi un peu comment tu vis, ce que tu fais. O, il ne vient pas pour un reportage qui paraîtra dans le journal du coin. Non, non, non, il vient pour savoir, il vient pour connaître la raison pour laquelle ce jardinier est arrivé plus haut que lui.
Par charité, frères, dis-moi ta conduite ? L’autre ne voulut pas le dire.
Voilà, il ne répond certainement pas ça ne te regarde pas, mais il ne veut pas le dire.
Et l'Ancien resta longtemps à le supplier.
Il n'en démord pas ! Il aurait fallu être une araignée, ou une mouche, ou une souris pour entendre la discussion.
Finalement, ennuyé il dit :
Il est ennuyé ! L'Ancien met ici en pratique le conseil que donne le Christ : Si tu veux demander quelque chose, eh bien, ennuie Dieu qui, finalement pour avoir la paix, il t'accordera ce que tu lui demande.
C'est comme l'ami qui arrive en pleine nuit. Tout le monde dort déjà et lui dit : donne-moi deux pains ! J'ai quelqu'un qui est venu et je n'ai rien à lui donner. Et comme il insiste, pour avoir la paix, il lui donne tout ce dont il a besoin. C'est la même chose ici !
Finalement, ennuyé, il dit :
Ecoutez, mes frères, il est temps d'aller à l'église. Si Dieu nous prête vie, nous verrons demain ce que le jardinier lui répond.
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Mes frères,
Il nous reste encore dix minutes, allons dire bonjour à notre jardinier. Il y a donc l'Ancien qui est là :
Et le jardinier plein de joie se met à lui préparer le repas. Et l'Ancien lui dit : Par charité, frère, dis-moi ta conduite !
Par charité, pas par ostentation, non, ça ne l'intéresse pas. Rappelez-vous le pharisien dans le temple, il disait : Tu dois être content de moi. Moi au moins je te plais par tout ce que je fais. Regarde un peu, je fais ça, et ça, et ça pour ta gloire. Tu dois être content de moi.
Mais ce n'est pas dans cet esprit que le jardinier doit parler. Non, c'est par charité, par charité pour ce pauvre Ancien qui a fait des kilomètres et des kilomètres pour lui rendre visite, faire sa connaissance et savoir un peu ce qu'il faisait.
L'autre ne voulu pas le dire et l'Ancien resta longtemps à le supplier. Finalement, ennuyé, il dit : Je ne mange que le soir lorsque je termine.
Donc, il fait son travail, il cultive ses légumes ; puis il en récolte et se rend au marché, et il vend ses légumes. Lorsqu'il a tout vendu, lorsqu'il a tout terminé, au soir, c'est alors qu'il mange. N'allons pas dire maintenant : c'est bien, c'est bien ! Nous allons faire la même chose. Attention à tous ces pièges ! C'est plus admirable qu'imitable ! Puis il faut dire aussi que dans ces pays, à cette époque, ce n'était pas extraordinaire.
Pour moi personnellement je me souviens très bien, et les anciens peut-être aussi, lorsque auparavant, il y a bien longtemps, il fallait dire la messe en fin d'avant-midi, on mangeait pour la première fois à 12H30, et jusque là le jeûne était absolu.
Eh bien, le dimanche on le sentait un petit peu, le lundi moins et à partir du mercredi on ne le sentait plus. On ne pensait même plus à manger. C'était tout naturel, le corps s'y était fait et on n'avait pas faim. Cela aurait encore pu durer une heure ou deux.
Donc, je pense qu'ici il y a une habitude qui se crée et finalement c'est comme l'âne, on diminue sa ration, et puis il s'habitue jusqu'à ce qu'il meure. Attention pour nous !
Je ne mange que le soir lorsque je termine. Je ne garde que ce qu'il faut pour ma nourriture et je donne le reste à ceux qui en ont besoin.
Donc de ce qu'il a gagné, de l'argent qu'il a gagné, il ne garde que ce qu'il lui faut pour sa nourriture. Et tout le reste, il le donne à ceux qui en ont besoin.
Si je reçois un serviteur de Dieu, je le lui donne.
Donc un moine, un prêtre. L'Ancien peut donc se dire : s'il a de trop, ce sera pour moi, je vais le recevoir. Mais ce n'est pas pour ça qu'il est venu. Et puis d'ailleurs ici, il a dû préparer de la nourriture pour deux. Et comme c'était un Ancien qui venait de loin, il lui a sans doute préparé un bon repas et il est probable qu'il ne lui reste plus rien.
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Mes frères,
Depuis quelques temps, une question flotte dans mon esprit. Je pense que notre récollection serait l'occasion de la préciser devant vous, de l'élucider, d'en tirer quelques enseignements, quelques considérations pratiques.
Ce que nous venons d'entendre de Saint Benoît m'y encourage d'ailleurs. Nous allons fêter notre Fondateur d'ici quelques jours et il est bon de voir, de repérer l'endroit où nous arrivons sur la route qu'il nous a ouverte vers la sainteté.
Et la question, là voici : Je me demande si nous sommes meilleurs que nos Pères ? Eux qui ont rejeté Dieu et qui lui ont préféré leurs idoles, eux qui ont traqué les Prophètes et les ont mis à mort, eux qui se sont moqués du Christ, ils avaient peut-être une excuse ?
Un homme qui était Dieu, c'était tellement nouveau pour eux. C'était inouï, c'était incroyable. S'ils avaient su, ils n'auraient pas crucifié le Seigneur de la gloire, nous dit l'Apôtre.
Et nous aujourd'hui, mes frères, nous savons. Nous avons derrière nous des siècles d'enseignement, de catéchèse, de théologie. Nous vivons dans un environnement imbibé par la personne même du Christ Jésus.
Mais voilà, il nous arrive parfois d'envier la chance de ces hommes, de ces femmes qui étaient contemporains du Christ. Ils le voyaient, ils l'entendaient, ils s'en approchaient, ils le touchaient !
Ah! Pensons-nous, si nous avions été là, les choses se seraient passées tout autrement. Le Christ, ce Jésus, Dieu avec nous, mais nous l'aurions écouté, nous l'aurions suivi, nous l'aurions servi, nous l'aurions honoré, nous l'aurions fêté, nous l'aurions aimé. Il aurait pu faire de nous des saints, faire de nous les princes de son Royaume d'amour, de bienveillance, de douceur, de compassion, de paix.
Eh bien, mes frères, voici mon interrogation et elle me fait peur : Est-il bien sûr que nous aurions agi ainsi à l'endroit du Christ ? N'aurions-nous pas vu en lui simplement l'homme avec ses limites, disons même avec ses défauts exactement comme le voyaient ses contemporains qui ne voulaient pas de lui.
Mes frères, la réponse à cette interrogation, elle est à portée de main et, elle me bouscule violemment. Le Christ nous apparaît en chacun de nos frères. Alors, comment l'accueillons-nous ? Ce que vous faites à chacun de ces petits, dit-il, c'est à moi que vous le faites. Il n'y a pas à en sortir : tels nous sommes avec nos frères, tels nous sommes avec le Christ aujourd'hui, tels nous aurions été avec le Christ autrefois.
Ceci est une certitude absolue. Elle nous juge ou bien elle nous disculpe, ou bien elle nous condamne. A chacun de nous de voir !
Mais attention ! Je sais que le discernement n'est pas facile. Nous devons nous donner entièrement au Christ présent en chacun de nos frères. Mais attention ! Cet amour ne doit pas dégénérer en un sentimentalisme affectif qui ferme les yeux sur tout, qui ne veut rien voir, ne rien entendre, qui permet tout, qui applaudit tout.
Non, agir ainsi, ce ne serait pas voir le Christ dans la personne du frère. Il faut parfois être inflexible et prendre le risque de faire souffrir le frère justement afin qu'il devienne vraiment ce que le regard de notre foi reconnaît en lui, à savoir la personne du Christ.
Mes frères, nous pouvons alors nous poser une autre question : Qui sommes-nous vraiment ? Que sommes-nous vraiment ? Sommes-nous les dignes fils des meurtriers du Christ ? Ou bien sommes-nous des êtres nouveaux capables de le voir, de le reconnaître, de l'entendre, de l'accueillir, de le suivre ?
Quelle est la qualité de nos yeux, des yeux de notre cœur ? Savons-nous percer le voile des apparences parfois bien décevantes pour remarquer chez l'autre, chez le frère, la flamme spirituelle qui est là et qui danse, et qui est précisément la personne du Christ en train de naître, en train de grandir lentement peut-être, mais toujours présente et qui, au jour de Dieu, éclatera dans sa plénitude, dans toute sa beauté dans un corps nouveau, un corps ressuscité, un corps transfiguré. C'est cela que nous devons voir maintenant, et c'est cela qui se présente à nous.
Mes frères, cette nouveauté de notre être visionnaire, de notre être voyant, de notre être qui croit, de notre être qui fait confiance et qui se donne, cette nouveauté, elle ne nous est pas innée. Nous devons la recevoir comme un cadeau, un cadeau splendide ; nous devons la recevoir comme une joie à entretenir avec soin, avec fidélité. Il faut la recevoir à la manière d'un enfant, dans l'émerveillement et l'action de grâce.
Alors, nous serons exactement ce que Dieu attend de nous, ce que nos frères attendent de nous. Nous serons les révélateurs de ce qu'ils sont. Et cela, à travers une patience qui parfois peut un instant vaciller mais qui toujours se reprend, et qui les reconnaît pour ce qu'ils sont, c'est à dire présence du Christ parmi nous.
Alors, mes frères, nous n'avons plus à envier ceux qui étaient contemporains du Christ, car nous sommes ses contemporains aujourd'hui. Nous le reconnaissons, nous l'aimons, nous le suivons, nous le servons.
Voilà, mes frères, je pense que le problème est clairement posé. A chacun de nous maintenant de s'examiner, et à moi le premier. Personne ne peut échapper à ce questionnement.
Mais nous devons être sincères et prendre nos dispositions pour que finalement nous nous retrouvions du bon côté. Il n'est jamais trop tard, il n'est jamais trop tôt. Tous les instants qui nous sont donnés contiennent ce cadeau de la nouveauté qui nous permettra, qui nous permet de reconnaître aujourd'hui le Christ en chacun de nos frères, le Christ avec nous, et d'être à son service.
Maintenant, mes frères, un jour nous ne savons quand, mais un jour certainement, Dieu nous rappellera ce dimanche de récollection et il nous demandera : Qu'en as-tu fait ?
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Mes frères,
Ecoutons notre jardinier. L'Ancien lui a donc demandé : Par charité, frère, dis-moi ta conduite ? Et finalement, le jardinier se laisse convaincre et dit :
Je ne mange que le soir lorsque je termine. Je ne garde que ce qu'il faut pour ma nourriture et je donne le reste à ceux qui en ont besoin. Si je reçois un serviteur de Dieu, je le lui donne.
Il faut dire que ne manger que le soir, ce n'est pas du tout extraordinaire dans ce milieu. Les moines du désert, les grands ascètes mangeaient une fois tout les deux, ou tous les trois jours. Donc ici, notre jardinier fait quelque chose de tout à fait ordinaire.
Mais attention ! N'allons pas l'imiter, nous, ici dans nos régions. Les fakirs font beaucoup mieux que ces ascètes sur la nourriture. Ils sont là, assis sur des picots. Ils ne bougent pas, ils ne mangent pas et ils maigrissent de plus en plus. Et tout le monde vient les vénérer.
Mais ce n'est pas ça que nous devons faire. Nous n'allons pas jouer au fakir. D'ailleurs l'Ancien ne prend pas garde à ça. Pour lui, c'est rien du tout. Alors il continue et ça devient un peu plus mystérieux.
Lorsque je me lève le matin, avant de me mettre à l'ouvrage, je me dis que toute la ville, du plus petit au plus grand, entrera dans le Royaume à cause de leurs bonnes actions ; tandis que moi seul j'hériterai du châtiment à cause de mes péchés. Et le soir avant de me coucher, j'en dis encore autant.
Voilà, vous avez de suite compris que le jardinier est installé, établi dans le 7° degré d'humilité où il se juge le dernier, le plus vil, le plus mauvais de tous. Et de tous, ce n'est pas seulement de tous ceux du monastère mais de tous, de tout le monde. On est seul dans l'univers à être en balance sans trop savoir si on sera du bon ou du mauvais côté. Et tous les autres sont au-dessus, et soi-même on est en dessous. Et voilà, il se dit cela le matin quand il se lève. C'est sa première pensée. Et c'est encore sa dernière avant de se coucher. C'est presque sa prière.
Et alors il se met à l'ouvrage. Donc cet homme, ce jardinier travaille toute la journée. Il cultive ses légumes, puis il les arrache et les met dans des paniers. Puis il va les vendre, puis il revient. Il mange un peu au soir et avant de se recoucher il se dit : Mais enfin, je suis tout de même le dernier de tous dans la ville, de tous ces braves gens que j'ai rencontré, qui sont venus, que je vois, que j'entends. Et moi, qu'est-ce que je vais devenir ?
L’ayant entendu, l’Ancien lui dit : Cette conduite est belle, mais elle ne peut surpasser mes travaux de tant d’année.
Voilà, nous autres, qu'aurions-nous dit ? Cela veut dire que notre Ancien - c'est tout de même aussi quelqu'un de bien - cela veut dire que notre Ancien fait peut-être la même chose ou quelque chose d'analogue.
Comme ils allaient manger, l'Ancien entendit des gens sur la route qui chantaient des chansons, car le logis du jardinier était dans un endroit fréquenté.
Ils chantaient des chansons ? Ce n'était pas des cantiques pieux, ce n'était pas des hymnes à la gloire du Créateur. Quand on dit comme ça des chansons, ce sont des chansons obscènes. Voilà, ils chantaient ça, les gens de la rue. Ils sont peut-être avinés, ces gens ? très probablement. Au lieu de prendre un repas frugal le soir, ils sont passés au café, au bistro et puis ils ont bu, ils ont discuté. Et puis ils sortent et ils chantent des chansons, comme ça dans la rue, en dessous de la fenêtre du jardinier.
Imaginons en dessous de nos fenêtres, ici ! Nous imaginons ça ! Ou bien nos ouvriers ? Mais non, ils ne chantent pas nos ouvriers. Il n'y a plus personne qui chante aujourd'hui. Quand j'étais gamin - les anciens doivent s'en souvenir peut-être ? - tout le monde chantait. Ils chantaient au travail.
Au soir, à la soirée, il n'y avait rien à faire, ils chantaient. Maintenant tous les gens sont tristes. Mais oui, ils ne savent plus ce que c'est que de chanter. Ils n'ont plus que la TV. Que voulez-vous, ils ont perdu le goût de chanter et le goût de vivre.
Mais l'Ancien, lui, l'Ancien qui entend ça, il n'en est guère édifié. Nous, nous ne le serions peut-être pas plus?
L'Ancien lui dit alors : Frère, puisque tu vis ainsi pour Dieu, pourquoi demeures-tu ici ?
Tu veux vivre pour Dieu, mais tu te considères comme le dernier de tous les hommes. Tous sont excellents sauf toi. Tu manges au soir,
tu donnes tout, tu ne gardes rien pour toi. Mais comment peux-tu demeurer ici ? Mais ta place, elle est dans le désert comme moi, là au moins tu pourras servir Dieu comme tu l'entends. Mais ici, dans cette ville et dans cette rue ?
Alors l'autre lui répondit : Je t'avoue, Abbé, que je n'en suis ni troublé, ni scandalisé.
Voilà, il l'appelle Abbé, Abba, donc Père, mon Père, toi qui est le Père d'une multitude dans le visible et dans l'invisible, eh bien, je n'ose presque pas te le dire mais je dois l’avouer. C’est peut être un péché ce que je vais avouer. Je me le demande quand même : Je ni en suis ni troublé, ni scandalisé.
Eh bien, qu'est-ce que nous aurions pensé, nous ?
A ces mots, l'Ancien lui dit :
Ecoutez, il est temps, plus que temps de nous rendre à l'église. Et nous entendrons demain la réponse de l'Ancien. Et puis ma foi, nous porterons dans notre coeur ce mystère de la sainteté que nous commençons à entrevoir et que nous découvrirons davantage demain. Et puis, nous espérerons que l'Esprit Saint - qui voit malgré tout notre bonne volonté - nous conduise jusque là.
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Mes frères,
A entendre la question que l'Ancien pose à notre jardinier alors que dans la rue retentissent des chansons qui ne sont probablement pas très édifiantes, nous pouvons conclure que l'Ancien est agacé par ces chansons. Elles lui écorchent les oreilles. Il préférerait ne pas les entendre et il pense que notre jardinier ressent les mêmes sentiments que lui.
Pourquoi demeures-tu ici ? N'es-tu pas troublé ?
C'est bien la preuve que lui est troublé et qu'il voudrait bien se trouver à cent lieues de là dans son désert. Et pour vous donner une idée de ce que les moines attendaient dans ce désert, je vais vous donner en contraste un apophtegme qui est attribué à Saint Arsène, lui qui est considéré comme le Père des hésychastes.
Un hésychaste, c'est un homme qui vit dans la tranquillité dans un endroit calme de manière à ce qu'il puisse connaître la paix du coeur et écouter, entendre la voix de Dieu. Notre Ancien devait être un moine de cette qualité car il parlait à Dieu et Dieu lui répondait.
Donc, il était capable d'entendre la voix de Dieu. Alors vous comprenez, entendre ces chansons au lieu de la voix de Dieu, ce devait être quelque chose d'atroce pour lui.
Ecoutez maintenant Abba Arsène qui connaissait le monde puisqu'il avait été le professeur des deux fils de l'empereur Théodose qui, eux-mêmes, allaient devenir empereur à Constantinople. Il était un Grand des Grands hommes du palais.
Abba Arsène vint un jour en un endroit où il y avait des roseaux agités par le vent.
On dirait ici, en un endroit où il y avait des peupliers agités par le vent. Vous savez que les feuilles des peupliers sont musicales. On les entend de très loin.
Et le vieillard dit aux frères : Quel est ce mouvement ? Ils dirent : des roseaux. Alors le vieillard leur dit : Si quelqu'un demeure dans le recueillement et qu'il entende un chant d'un petit moineau, son coeur ne goûte pas la même paix. Combien plus lorsque vous subissez le mouvement de ces roseaux.
Alors, voyez un peu : pour Arsène, on ne devait entendre aucun bruit, pas même le pépiement d'un petit moineau, pas même le mouvement des roseaux. C'était ça l'idéal d'un hésychaste : être dans un endroit absolument tranquille de manière à ce que son coeur puisse lui-même jouir d'une paix intérieure parfaite, être entièrement absorbé par la vision de Dieu, par l'écoute de sa voix.
Si j'entends des roseaux, je vais être distrait. Il y a une autre voix, la voix des roseaux qui va interférer dans la voix de Dieu. Je ne goûterai plus la même paix. Si j'entends un oiseau qui commence à pépier, moi dans mon désert, , mon attention va être éveillée et être détournée de la vision de Dieu. Je vais être distrait, je vais quitter l'hesychia et, ma foi, je ne serai plus dans le recueillement.
Attention ! Il ne s'agit pas ici de yoga, ni de rien du tout ! C'est un homme qui est vraiment plongé dans l'univers de Dieu, et qui entend y demeurer, et qui est tiré hors de cet univers par le chant d'un petit moineau.
Vous comprenez que c'est beaucoup plus admirable qu'imitable à cette perfection. Et ce n'est pas pour nous, nous ne devons pas la chercher. Nous sommes habitués à bien d'autres bruits et bien d'autres mouvements et nous ne pouvons pas y échapper.
C'est notre lot ici dans notre univers. Nous ne sommes pas dans les déserts d'Egypte à 50 ou 100 Kms de toute habitation. Nous sommes ici et nous ne devons même pas fuir notre environnement parce que notre route est différente.
Mais c'est pour vous montrer, vous faire comprendre quel pouvait bien être la réaction de cet Ancien - qui devait être du même calibre, ou à peu près, qu'Abba Arsène - lorsqu'il entend ces chansons. Pour lui, c'était presque la fin du monde. C'était tout à fait inimaginable qu'on puisse en entendant des chansons être en communion avec Dieu. Alors, on comprend sa question :
N'es-tu pas troublé en entendant ces chansons ? Et l'autre de répondre : Je t'avoue, Abbé, que je n'en suis ni troublé, ni scandalisé.
Il avoue cela comme s'il l'avouait en confession, comme s'il avouait un péché, comme s'il avouait en lui quelque chose qui n'est pas conforme à ce que Dieu peut attendre d'un chrétien : qu'on ne soit pas troublé ni scandalisé en entendant des choses qui ne conviennent pas.
On va dire : oui, mais aujourd'hui ce serait bien notre cas. Il est vrai que nous sommes plongés dans un univers où la distinction entre le bien et le mal, entre le permis et le défendu s'estompe de plus en plus. On peut trouver des situations absolument aberrantes, des personnes qui commettent les choses les plus répréhensibles en toute bonne conscience, sans avoir même conscience de faire du mal. Cela peut nous arriver à nous !
Nous avons dimanche parlé un petit peu du silence, de la retenue dans les paroles. Nous pouvons aussi, nous, parfois en toute bonne conscience faire beaucoup de mal sans même nous en rendre compte par le mouvement de notre langue.
Mais voyons un peu ici notre Arsène. Il y a tout de même quelque chose que nous pouvons retenir et qui pourrait nous aider à mieux justement pratiquer ce silence. Si le mouvement des roseaux, si le pépiement d'un petit oiseau peut déjà troublé un homme qui est plongé dans l'univers de Dieu, qui peut déranger sa communion à Dieu, le détourner de la vision et de l'écoute de Dieu, qu'est-ce que ça ne doit pas être alors des paroles inutiles qu'on entend, qui viennent vous troubler, qui viennent vous déranger, auxquelles il faut faire face comme un assaut, vous voyez, qui viennent vous assiéger et qui vous empêchent de vivre ?
Prenons donc bien garde, mes frères, de ne pas tirer nos frères de leur recueillement, de leur communion à Dieu. Je pense que nous pourrions peut-être retenir cela de ce petit apophtegme.
Quant à l'autre de notre jardinier, vient la question de l'Ancien : Mais que penses-tu en toi en entendant tout cela Toutes ces chansons, quelles sont tes réactions en toi ?
Tu en as tout de même. Que penses-tu quand tu entends ça ? Tu n'es pas troublé, tu n'es pas scandalisé, je veux bien le croire. Mais tout de même tu l'entends et que penses-tu ?
Eh bien, mes frères, nous verrons cela à la prochaine occasion.
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………………………………………………………..il manque le début !
………..le jardinier disait : Je t'avoue que je n'en suis ni troublé, ni scandalisé. Et maintenant l'Ancien lui dit : Pardonne-moi !
C'est un véritable assaut d'humilité, mais c'est le jardinier qui l'emporte. Mais malgré tout, attention, l'Ancien est tout de même proche de ce sommet, mais il ne l'a pas encore atteint.
Et alors, sans manger, il retourna au désert.
Attention ! On est au soir, on n'est plus au matin. Il y a eu toute une journée. Mais non, il ne mange pas, il retourne au désert. On va dire: Mais c'est impoli, l'autre a tout préparé. Mais non, ce sont des saints qui sont là ensemble. Alors ils peuvent se permettre des choses qui pourraient nous étonner, mais qui en soi sont très belles. Maintenant, n'allons tout de même pas faire la même chose. Nous n'en sommes pas arrivés à ce degré de perfection.
Je dis ça, mais il y en a peut-être ici, peut-être chacun d'entre vous, que si vous voyez des choses qui en soi ne sont guère édifiantes, ni à imiter, que vous vous dites : Où suis-je, où suis-je, tout ceux-là sont déjà avec un pied dans le Royaume, et moi je suis toujours là.
Voilà, mes frères, il faut vraiment que nous atteignions ce degré de perfection. C'est ça le douzième degré d'humilité. Et à ce moment-là, eh bien, nous vivons dans la paix. Une paix divine emplit notre coeur et nous pouvons dire comme le jardinier : je t'avoue que je n'en suis ni troublé, ni scandalisé. Non, pas de trouble, rien !
Eh bien, mes frères, cette fois nous sommes arrivés au bout de notre apophtegme. Qu'allons-nous en retenir ? Eh bien, nous pouvons en retenir ceci : c'est que nous autres, nous sommes troublés et scandalisés pour infiniment moins que cela.
Si nous voyons un frère qui fait une chose qui ne nous paraît pas, d'après notre idée, comme ça devrait être, nous disons : mais enfin ! Voilà un petit trouble ou peut-être un petit scandale. Mais il ne nous vient jamais à l'idée de nous dire : Quel saint frère ! Il est déjà presque entré dans le Royaume et moi, moi, je piétine devant le seuil, devant la porte.
Mais voilà, mes frères, si nous pouvions toujours porter un regard comme ça, comme le regard du jardinier, et avoir les oreilles du jardinier, mais je pense que notre vie deviendrait l'avant-goût du ciel ici sur terre. Ce serait vraiment le paradisus claustralii de nos Pères, un paradis qui est, voilà, dans ce cloître ; ce serait l'anticipation de la béatitude, de la vie des saints et des anges entre eux.
Eh bien voilà, espérons que ce sera bientôt notre lot, et nous le demanderons les uns pour les autres demain à l'occasion de la fête de notre Père saint Benoît.
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Mes frères,
Pendant plusieurs jours, nous avons tenu compagnie à un jardinier qui est devenu notre ami. Nous ne savons rien de lui sinon ce qu'il a bien voulu nous en dire. Nous aimerions en connaître davantage. C'est là un mal de notre temps dont nous sommes nous-mêmes infectés. Aujourd'hui, il n'y a plus de respect de la vie privée. Tout de nous doit être su, doit être partagé, doit être étalé jusque dans les journaux, jusque dans les magazines.
D'ailleurs c'est une préoccupation de nos gouvernants. Comment aujourd'hui protéger la vie privée des citoyens ? Car il se constitue un peu partout ce qu'on appelle des "banques de données", à commencer naturellement par l'Etat lui-même où tout ce qui le concerne est collationné. Pour ce qui concerne l'Etat, ces banques de données sont confidentielles, en principe ?
Mais alors, les banques de données que constituent des Sociétés ? Là, je doute très fort que la confidentialité soit respectée. On reçoit par exemple des réclames adressées à notre nom personnel. Et quand on ouvre, on s'aperçoit qu'il y a des choses là-dedans sur nous. On nous connaît bien.
Mais alors, notre jardinier, lui, nous allons respecter son anonymat. Nous le connaîtrons un jour quand nous arriverons dans la création nouvelle. Il sera là pour nous accueillir.
Mais cependant nous pouvons, me semble-t-il, en toute honnêteté et sans vaine curiosité, poser une question, lui poser une question. Mais qu'a-t-il bien pu faire pour en arriver à un tel degré de détachement, un tel degré d'humilité, un tel degré de sainteté ?
Sous-entendu : nous voulons connaître sa réponse parce que nous désirons nous aussi arriver sur ces sommets ; et alors, quel est le chemin qu'il a emprunté ? Et quand nous le connaîtrons, sous-entendu, nous l'emprunterons à notre tour. Voilà
Vous vous rappelez que l'Ancien s'était levé et qu'il était parti sans manger, sans lui poser cette question. Mais il n'était pas nécessaire qu'il la lui pose car il connaissait d'avance la réponse. Il était aussi, lui, sur la route. Et son seul problème était là : le jardinier le devançait, le jardinier était avancé plus loin que lui. Mais pour l'Ancien, il n'y avait pas de problème, aussitôt il retourna dans son désert. Et puis il va se remettre avec un courage renouvelé.
Mais voilà, nous, pour notre part, puisque nous ne pouvons pas poser la question au jardinier en personne, nous allons interroger notre Père Saint Benoît dont nous avons célébrer hier la mémoire. Saint Benoît doit aussi connaître la réponse, certainement! Et comme il veut la partager avec nous, il l'a consignée quelque part dans sa Règle.
Saint Benoît est un excellent pédagogue. Il nous instruit d'abord des rudiments de la vie monastique. Ecoutons-le : Si tu te hâtes vers la patrie céleste, accomplis avec l'aide du Christ cette toute petite Règle écrite pour les débutants, 73,22. Voilà, il nous initie aux rudiments de notre vie consacrée.
Et puis, lorsque voilà nous avons été bien sages dans l'école et que nous avons réussi nos examens, alors il nous confie aux Maîtres dont il a lui-même été le disciple. Là, nous reconnaissons la modestie de Saint Benoît. Il ne veut pas se poser en un moine, en moine qui serait habilité à introduire ses disciples au plus secret des mystères de la vie divine. Aucune spéculation là dedans, mais une union, une communion existentielle avec l'être même de Dieu.
Il dit : Voilà, allez maintenant à l'université. Et voici vos professeurs. Il les nomme ici, 73,6, mais nous les connaissons et je ne vais pas les rappeler. Mais cela suppose que nous ayons au coeur une flamme, que nous n'ayons pas l'intention de faire les choses à moitié, mais que notre intention la plus sincère, la plus vraie soit de devenir des saints et pour ça, d'y mettre le prix.
Alors, pour Saint Benoît, si nous avons cette flamme au coeur, il n'y a aucun problème. Si nous sommes fidèles, nous arriverons. Dea prategente pervenies, 73,26, avec la grâce de Dieu, avec la protection de Dieu, tu parviendras. Voilà, pour lui, l'affaire est entendue.
Maintenant, le secret du jardinier comme celui de Saint Benoît, et comme celui de tous les saints, le voici : il faut accepter de se laisser aimer. Et je vous assure, faites une petite descente dans votre conscience, accepter de se laisser aimer, c'est une chose extrêmement difficile parce que - encore et toujours - nous sommes habités par la peur.
Et accepter de se laisser aimer, c'est s'abandonner à un autre, lui faire confiance, remettre tout de soi à cet autre qui est l'amour mais qui alors va nous conduire sur une route qui n'est pas nécessairement la nôtre, mais qui est la sienne. Et alors, cela nous fait peur et nous préférons nos petits sentiers personnels plutôt que la grand route de l'amour.
Il faut donc accepter de laisser Dieu libre d'être l'amour dans notre vie. Et il faut lui laisser une liberté totale. Notre sainteté est à la mesure de la liberté que nous accordons à Dieu, ça c'est certain !
Mais où ça se trouve-t-il dans la Règle de Saint Benoît ? Eh bien, mes frères, c'est partout présent. Tout dans sa Règle est saupoudré de cette évidence. C'est un assaisonnement sans lequel sa Règle serait indigeste, nous ne pourrions pas la digérer. Mais si elle est saupoudrée de cet amour auquel nous devons nous abandonner, alors elle devient vivace.
Mais concrètement maintenant, nous voyons que c'est aussi écrit en toute lettre dans la Règle de Saint Benoît à certains endroits bien précis. Concrètement, nous laisser aimer, cela signifie épouser en tout la volonté de Dieu, c'est à dire obéir. Etre à l'écoute de cette volonté, la faire nôtre, ne faire plus qu'un avec elle, c'est cela nous laisser aimer ! Et c'est pourquoi Saint Benoît nous dit qu'il n' y a pas d'autre route pour arriver là où se trouvait le jardinier que la route de l'obéissance.
Mes frères, c'est bien vrai ! Retenons ceci, si vous le voulez bien : il n'est rien de plus noble, il n'est rien de plus beau que de permettre à Dieu de nous aimer. Et c'est cela le secret de notre jardinier.
Maintenant que nous le connaissons, nous allons le conserver précieusement, et puis nous allons le mettre en valeur. Car il ne s'agit pas comme le serviteur paresseux de le cacher dans un mouchoir et puis de l'enterrer quelque part.
Non, nous devons le placer dans la banque de notre coeur et, là, lui permettre de fructifier en sainteté jusqu'à ce que un jour, nous nous retrouvions là où était notre Ancien d'abord, et surtout là où était notre jardinier.
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Mes frères,
Je pense que ce ne serait pas mal si nous descendions des hauteurs vertigineuses sur lesquelles nous a entraîné notre jardinier pour explorer pendant quelques jours les plates-bandes de notre bas monde. Une âme compatissante m'a remis trois extraits de la revue "Globe" d'Avril-Mai 92. Je ne connais pas cette revue. C'est une revue française qui traite de questions sociopolitiques et économiques.
J'ai ici l'extrait d'une interview. On a posé une question au sujet de la démocratie à Monsieur Jacques Attali. Je me demande si vous le connaissez ? Eh bien, Monsieur Jacques Attali, il est le Président de la Banque Européenne de Recherche et de Développement.
Cette Banque a été créée tout récemment pour venir en aide aux pays de l'Est, pour leur permettre de passer - non sans grandes difficultés d'une économie d'état à une économie de marché, pour se rapprocher de nous et éventuellement plus tard entrer dans le concert européen.
Ce Monsieur Attali Jacques - parce qu'il y en a un autre qui s'appelle Bernard et qui, lui, est le président d'Air France - est donc un français comme il convient, un juif de surcroît, ce qui est une référence supplémentaire. Il est sorti des Hautes Ecoles en France et, il paraît que c'est un des hommes les plus intelligents de notre temps, une intelligence foudroyante. Il est d'ailleurs le grand conseillé du président Mitterrand. Vous voyez le personnage. Et il est encore jeune, 40 ans.
Eh bien, on a posé à Jacques Attali cette question : La démocratie sans frontière ou avec, vous paraît-elle susceptible de fournir un projet collectif pour le monde ? C'est une drôle de question, vous allez dire, mais il faut bien d'abord savoir ce qu'est la démocratie.
Eh bien, la démocratie, dans un régime démocratique le pouvoir est exercé par le peuple, le pouvoir réside dans le peuple. Alors le peuple, c'est à dire les citoyens, ils choisissent parmi eux des personnes compétentes auxquelles ils délèguent leur pouvoir de manière à ce que le pays soit gouverné. Ces hommes, ce sont les représentants du peuple ou les députés comme on dit. Donc, ils agissent et gouvernent comme les citoyens le désirent.
Donc, si on augmente les impôts, si on introduit le permis à points, et toutes sortes de choses ainsi, c'est moi qui le fait parce que, le pouvoir, il est chez moi et c'est moi qui l'exerce par l'intermédiaire de ces hommes que j'ai choisi. Je n'ai donc pas à crier si on augmente les impôts parce que c'est moi qui les augmente.
Donc, c'est ça la démocratie, disons dans son idéal. Elle a été mise au point auparavant dans les Cités grecques, donc longtemps avant notre ère. Mais c'étaient des Cités, c'était petit et maintenant ce sont des Etats. Imaginez alors la démocratie à l'échelle de l'Europe, à l'échelle des Etats-Unis, à l'échelle demain de la Russie. Donc, c'est quelque chose qui fonctionne de façon tout de même assez complexe.
Il y a d'autres systèmes de gouvernement. Il y a par exemple la théocratie. En régime théocratique, c'est Dieu qui exerce le pouvoir, la divinité qui exerce le pouvoir par entremise alors d'une classe cléricale ou sacerdotale qui gouverne au nom de Dieu et suivant la loi de Dieu. C'est ce qui se passait dans l'Islam pur et dur de l'ayatollah Khomeiny.
On avait ce régime-là aussi dans l'ancien Israël tout au début de l'époque de Moïse et un peu après. Vraiment, c'était Dieu qui gouvernait par l'intermédiaire de ses prêtres et de ses prophètes. Et il fallait marcher droit.
Il y a aussi l'aristocratie, le système. Alors là, ceux qui gouvernent, ceux qui ont le pouvoir et qui l'exercent, ce sont les meilleurs. C'est l'élite. Naturellement, quel critère pour maintenant définir, pour choisir, pour déterminer le meilleur dans un groupe, dans un pays ?
Est-ce que ce sont les meilleurs au plan de la vertu ? En principe oui, cela devrait être ainsi. Le meilleur au plan du savoir ? N'oublions jamais ceci : c’est que en fait, quelque soit le régime politique, le pouvoir est toujours exercé par ceux qui savent. Donc ça, attention, par ceux qui savent ! Il y a encore d’autres systèmes, mais voilà, il faut aller à l'Office.
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Mes frères,
Revenons un peu à notre histoire de hier. Le pouvoir aux mains des meilleurs, c'est la grande illusion des révolutionnaires. En effet, ils veulent jeter bas un régime décadent ou pourri - c'est toujours ainsi. Mais la nature humaine est ainsi faite que dès qu'ils sont le pouvoir effectif, petit à petit insensiblement s'installe l'intolérance, le fanatisme et finalement la persécution. Il n'y a rien de plus intolérant que les gens qui se pensent être meilleurs que les autres, détenir toute la vérité.
Alors voilà, les exemples ne manquent pas dans l'Histoire. Les grands philosophes des lumières, donc à la fin du XVIII° siècle, n'ont jamais imaginé qu'ils seraient les pourvoyeurs de la guillotine au moment de la révolution française. De même, les grands théoriciens marxistes qui étaient des idéalistes, n'ont jamais imaginé qu'ils seraient les pourvoyeurs des goulags. Donc voilà, le gouvernement, le pouvoir aux mains des meilleurs, ce n'est pas encore l'idéal.
Il existe encore autre chose, c'est la ploutocratie, le pouvoir aux mains des gens riches. Ici, attention, nous entrons dans des zones plus obscures où le pouvoir s'exerce de façon occulte. Dans la pratique ici, pour aujourd'hui dans notre société actuelle, vraiment une bonne partie du pouvoir est aux mains de la haute finance, des multinationales, de quelques hommes qui sont immensément riches et qui possèdent les moyens d'agir sur la conduite du monde.
Vous avez, par exemple, les trafiquants de drogues en Amérique du Sud. Ils sont plus puissants que les gouvernements qui se succèdent, ils sont plus riches que les gouvernements. Et, le véritable pouvoir effectif, réel, concret, il est en leurs mains. Mais il ne faut pas courir en Amérique du sud.
Il existe un peu partout dans nos pays - actuellement en Belgique encore - des scandales liés à des affaires de corruption. On trafique avec l'argent. On a l'argent et on achète les gens, on achète les choses. Cela peut même aller jusqu'au crime.
De temps en temps en France, en Allemagne, ailleurs, des scandales éclatent. On découvre le pot aux roses. Alors, la classe politique, comme on dit, perd son crédit. On ne fait pas confiance surtout lorsque la richesse s'allie au pouvoir politique. Ce n'est pas nécessairement des personnes, mais ça peut être un parti.
Mais disons de façon plus concrète, les gens riches, donc immensément riches, les hauts financiers, il faut tout de même tenir compte de leur présence car de façon très occulte, ils détiennent une grosse partie du pouvoir. Donc ça, il faut le savoir. Maintenant, ça pose un problème au plan éthique pour nous ici, pour tous, pour tous les chrétiens, pour les communautés monastiques, pour les communautés religieuses en général.
Donc, on épargne de l'argent. On épargne, c'est normal ! Il faut épargner, autrement on ne peut pas vivre comme notre jardinier qui gardait de son travail, jour après jours, ce qu'il lui fallait pour manger. Et le reste, il le donnait jour par jour. Nous ne sommes plus à cette époque-là. Nous devons donc gérer un bien et puis épargner.
Mais alors, que faire avec l'argent qui est là, cet argent qu'on épargne ? Et bien, le problème est celui-ci : Où le placer justement pour qu'il ne devienne pas un instrument d'oppression dans la main de ploutocrates. Que faire? Vous voyez !
Cela a été soulevé dernièrement à une réunion ici en Belgique de Supérieures féminines. Cela a jeté un peu l'affolement dans les consciences de ces braves Révérendes Mères. Que faire ?
Comme nous faisons ici de notre mieux en bon père de famille. Mais il y a tout de même des endroits où il ne faut pas placer son argent parce que on sait bien que, voilà, il ne sera pas très correctement utilisé.
Maintenant, il y a encore une autre forme de pouvoir qui est peut-être encore plus subtile tout en étant plus honnête. C'est celle-ci, ce sont les technocrates, le pouvoir aux mains des technocrates, de ceux qui dirigent tout le monde de la technique, tout le monde du savoir scientifique au plan pratique.
Et ça, c'est un pouvoir extrêmement redoutable car il peut jeter le trouble dans des régions entières. Voilà, par exemple, imaginons une grève de l'électricité. Les technocrates disent : Nous ne gagnons pas assez, nous ne travaillons plus. On coupe le courant et le pays est paralysé. Ce n'est pas extraordinaire.
Il y a donc tout un groupe, les technocrates, qui détiennent en main une arme dont ils peuvent se servir. Et alors, devant des situations pareilles, mais les gouvernements eux-mêmes sont démunis. Ils sont dépendants.
Vous voyez tous les genres de pouvoir qui existent aujourd'hui. Il y en a même encore un dont on commence à parler. Ce sont les eurocrates, les eurocrates qui siègent à Bruxelles. Et voilà, du haut là-bas du ..?., ils dictent des mesures au niveau de l'Europe et puis, tout le monde doit s'y plier.
Ils font sentir leur pouvoir. Et les gouvernements nationaux doivent baisser la tête. Ils doivent ratifier toutes les directives qu'on leur envoie. On appelle ça pudiquement "directives", mais ce sont des ordres. Voilà les eurocrates.
Eh bien, vous ne voyez peut-être pas bien où je veux en venir avec tout ça ? Eh bien, c'est ici : Dans un monastère, quel est le genre de pouvoir qui doit être exercé parmi tous ceux-là ? C'est lequel ? Et c'est justement une question qui se pose aujourd'hui.
Beaucoup, beaucoup surtout parmi les jeunes - dans certains monastères, c'est très affirmé - veulent que le pouvoir soit celui d'une démocratie, donc que le pouvoir réside dans chacun des membres de la communauté comme dans une démocratie le pouvoir est exercé par le peuple. Et alors, on choisit un homme représentatif de tout ça. Donc c'est l'Abbé.
Mais l'Abbé tient son pouvoir des frères qui l'ont choisi et il est là pour mettre à exécution ce que les frères ont décidé. Donc ils se réunissent. On organise des réunions, des petits groupes. On échange dans les groupes, puis on met ça ensemble et finalement on arrive à une décision qui sera communautaire. Et puis alors l'Abbé est là, lui, pour mettre ça en oeuvre. Donc le pouvoir démocratique à la base de la communauté monastique.
Voilà, je ne vais pas en rester là, attention, mais je vous dis déjà où je voudrais en venir. Je fais un bond dans le temps, j'arrive à la fin et je pose le problème. Naturellement la réponse viendra plus tard parce que maintenant nous allons voir la critique que fait Monsieur Attali de la démocratie et nous verrons si la démocratie peut être appliquée à une communauté monastique.
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Mes frères,
Je vous ai parlé de différentes formes d'exercice du pouvoir qui sont toutes le fait d'un groupe d'homme. La démocratie, c'est un pays entier : les riches, c'est tout de même une caste à l'intérieur de la société, de même que les technocrates. Mais j'ai réservé pour aujourd'hui le fait que l'autorité est parfois exercée par un seul homme, le pouvoir dans un seul homme.
Ce n'était pas rare autrefois. Vous connaissez la parole de Louis XIV : L'état, c'est moi ! Plus de discussions ! Ce sont donc des autocrates et, l'exemple le plus récent que nous connaissons est celui de Hitler.
Donc nous, ici dans notre royaume démocratique, lorsqu'on entre au service d'une administration publique ou n'importe laquelle, on doit jurer fidélité à la Constitution et aux Droits du Peuple Belge. C'est la formule, c'est obligatoire.
Tandis que dans l'Allemagne hitlérienne, il fallait jurer fidélité au Führer qui pouvait tout demander à n'importe lequel des allemands. C'était lui, et lui seul, et tous les allemands lui avaient juré fidélité. Voyez un peu et imaginez tout un peuple qui marche comme un seul homme.
Il y a eu des résistants parmi les allemands, c'est certain il y en a eu. Mais tout de même, l'immense majorité, disons les 98%, était un seul homme. Ils avaient juré fidélité et ça ne bougeait pas. C'est ça, vous voyez, l'autocrate !
Maintenant nous allons un peu voir ce que Attali pense de la démocratie parce que, je le rappelle, dans notre Ordre - et surtout dans l'un ou l'autre monastère - flotterait l'idée que le pouvoir dans les monastères est un pouvoir démocratique.
Mais il y a l'autre côté. 0, ce n'est pas le petit moine qui aura cette idée-là, mais ce sera plutôt dans la sphère des Abbés qu'on dira : Ah non, le pouvoir est autocratique, il est tout dans la personne de l'Abbé. Ce n'était pas rare autrefois. Il n'y a pas tellement longtemps, mettons 50 ans, où vraiment l'Abbé était une sorte d'autocrate. Cela dépendait de la personnalité de chacun. Pas Dom Félicien, savez-vous, mais d'autres, d'autres encore avant lui, c'était comme ça.
Donc voyez, il y a là les deux extrêmes. Et alors la nature du pouvoir à l'intérieur d'une communauté monastique... ?..., ça, ce sera la finale, la conclusion. Nous les laisserons se dégager.
Mais maintenant, nous allons un peu voir, liquider le compte de la démocratie, ce qu'en dit Attali. Donc le journaliste lui demande, je le rappelle : La démocratie sans frontières ou avec frontières vous paraît-elle susceptible de fournir un projet collectif pour le monde ?
Donc la démocratie à l'intérieur de l'Europe ou il n'y a qu'un seul pays, ou bien à l'intérieur des frontières dans chacun des pays européens, je prends cet exemple-là. Est-ce que alors toute la démocratie pourrait générer, fournir un projet collectif pour le monde ? Donc, est-ce que à partir d'un pays d'Europe ou de l'Europe, de la France entre autre, est-ce que voilà ça pourrait fournir un projet pour le monde, un projet collectif pour le monde ?
La réponse d'Attali : Non, ce n’est pas possible ! Ce n’est pas possible !
Pourquoi ? Eh bien, la démocratie en elle-même n'est qu'un mécanisme, une procédure de décision qui affirme la liberté. L’électeur dans l’isoloir, il est souverain. Il décide souverainement. Je choisis tel homme qui répond à mes idées et qui va les défendre. Donc là, c’est vraiment l’exercice de la liberté. Il n’y a pas de pression extérieure qui vous dit : Il faut voter pour un tel sinon quand vous sortez de l’isoloir, on vous fusille.
On ne dit pas : Vous devez en public dire : je vote pour un tel parce que si vous ne le dites pas, si vous votez pour un autre, on vous attend à la sortie pour vous mettre en prison dans un camp de concentration. Ce sont là des gens dangereux.
Donc, nous sommes en démocratie. C’est une procédure de décision qui affirme la liberté des citoyens. On est libre en démocratie. Il y a les limites de la décence toujours, mais ça ne fait rien, je suis libre. Je peux dire au premier ministre ce que je pense de lui.
Mais attention ! Elle contient un grave danger qu'elle a en commun avec l'économie de marché.
L’économie de marché, vous savez tous ce que c’est puisque nous avons une brasserie. L’économie de marché, c’est aussi la liberté dans les transactions commerciales à l’intérieur de règles naturellement. Ce sont des règles de déontologie, on ne fait pas ce qu’on veut. On ne brade pas les prix, on ne pratique pas de dumping, on ne fait pas couler son concurrent. Non !
Mais dans l’économie de marché, il y a tout de même une concurrence saine : le meilleur produit à meilleur compte. La Trappiste de Rochefort, la cathédrale des bières, c’est la moins chère ! Mais oui ! Aux autres d’essayer d’avoir une bière aussi bonne que la nôtre et un peu descendre leur prix pour être à notre niveau. C’est ça la saine concurrence et c’est ça un peu l’économie de marché. C’est une économie de saine liberté.
Et l’opposé de l'économie de marché, c’est l’économie d'état. C’était cela sous le régime soviétique. Là, il n’y a pas de choix. Les usines vont fabriquer tel genre de costume et on va remplir les magasins d’état, tout étant étatisé. On ne peut trouver que ça, on n’a pas le choix. Il y a différentes tailles, mais ils sont tous les mêmes. Et ainsi pour tout. Car dans l’économie d’état, il n’y a pas de liberté de choix.
Mais attention, la démocratie contient un grave danger qu’elle a en commun avec l’économie de marché : l'une et l'autre sont fondées sur l'apologie de la réversibilité.
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Mes frères,
Avant de poursuivre notre réflexion sur la démocratie, en guise de petit intermède, il existe encore un autre type de pouvoir qui est vraiment extrêmement puissant aujourd'hui même dans nos régions, c'est la bureaucratie.
Elle était l'ossature du régime soviétique où là, vraiment le citoyen était totalement démuni devant une masse énorme de fonctionnaires et d'employés qui avait tout le pouvoir de décision en tout domaine.
Nous n'en sommes pas à ce point dans nos régions, mais tout de même. Les administrations ont cette faculté de générer sans fin de nouveaux bureaux, comme on dit, que l'on peuple, qu'on emplit et qui, voilà, traitent des dossiers. Et ils les digèrent, et ils les transforment, et puis ils prennent des décisions. C'est très, très valorisant d'apposer sa signature au bas d'un dossier.
De mon temps, c'est à dire quand j'avais une vingtaine d'années, il y avait en Belgique 40.000 agents de l'état. Maintenant il y en a 700.000. C'est le plus formidable employeur qui existe. Imaginez quel gouffre dans le budget parce que il n'y a pas seulement les traitements, mais il y a aussi les pensions. Voilà, mes frères, la bureaucratie ! Nous devons nous y heurter de temps en temps.
Pour vous donner encore un exemple pris sur le vif et qui nous concerne, il y a trois ans déjà. Il y a eu de formidables tempêtes en janvier ou février 1990, des tempêtes qui ont fait des ravages, qui ont abattu beaucoup de nos arbres du côté du Vesty. Et voilà, le dossier a été introduit.
J'ai dû me rendre à Namur au Gouvernement Provincial pour apposer ma signature. On m'a dit : C'est clôturé, c'est fini, c'est décidé, mais maintenant vous devez attendre pour recevoir votre indemnisation. Et nous attendons toujours. Voilà, c'est enseveli, c'est entré dans la vis sans fin des bureaux et puis, voilà, un jour ce sera décidé. C'est çà la bureaucratie et on ne peut rien faire contre !
Maintenant, revenons à la réversibilité. Il nous est dit que la démocratie, tout comme l'économie de marché, contient un grave danger. L'une et l'autre sont fondées sur l'apologie, donc sur la défense de la réversibilité. Qu'est-ce que la réversibilité ? Eh bien, c'est la qualité d'une chose qui est capable de changer à tout moment sous l'influence d'une cause parfois minime.
Pour mieux comprendre, voyons son contraire : l'irréversibilité. Cela, c'est l'état d'une chose qui est engagée dans une situation ou une direction sans possibilité de changement ni de retour en arrière. C'est irréversible, comme on dit. Il n'y a plus rien à faire.
Je vais vous donner un exemple d'une situation irréversible qui est définie par la Loi. Vous avez un ouvrier, un employé auquel vous remettez son préavis. Donc voilà, il n'y a plus de travail pour vous, ou bien on n'est plus content de vous, voilà un papier, je vous le remets.
Dès l'instant où l'ouvrier - ou l'employé - l'a pris en main, c'est irréversible. Le préavis a donc échappé au pouvoir et de l'employeur et de l'employé. Il est devenu une chose en soi qui va poursuivre son cours et que personne ne peut arrêter.
Bon, et si dix minutes après on se dit : Tout de même, j'ai fait une bêtise, rendez-le moi, c'est fini. Ce n'est plus possible. Une fois qu'il a quitté ma main pour arriver à l'autre, c'est fini. Voyez, c'est une situation irréversible, il n'y a pas de possibilité de changement.
Eh bien, la démocratie et le marché sont fondés sur la réversibilité. Vous allez voir comment. La démocratie postule qu'on peut changer la vie, qu'on peut élire quelqu'un d'autre. Donc le pouvoir est dans le peuple, le citoyen est roi dans l'isoloir. Donc je peux changer d'avis et élire quelqu'un d'autre. Un nouveau parlement va être constitué qui ne va pas nécessairement suivre la politique du précédent. Il va changer.
Auparavant, les catholiques étaient au pouvoir. Bon, voilà maintenant que ce sont les socialistes. Ils vont dire : Qu'est-ce que tout ça veut dire? On va enlever les subsides aux écoles catholiques, on va supprimer ceci, on va arranger ça. C'est cela la démocratie, elle possède en elle-même la faculté de changer la vie. On élit quelqu'un d'autre qui change les choses.
Maintenant le marché, l'économie de marché est fondé sur le fait qu'un consommateur peut consommer autre chose. Je suis amateur de la trappiste de Rochefort. Mais voici que grâce au festival du rire, qu'une brasserie concurrente trappiste sponsorise, on inonde Rochefort de sa publicité et finalement je me dis : Mais enfin, je vais un peu goûter cette bière dont on parle tant. 0, elle est formidable, elle est bonne, je ne veux plus de la trappiste de Rochefort. Je vais prendre la trappiste y. Voilà, je consomme autre chose.
Voyez, c'est cela ! L'économie de marché postule que le consommateur peut consommer autre chose. C'est cela, on se dispute les parts de marché. C'est cela la concurrence. C'est un jeu et, voilà, il faut essayer de fidéliser la clientèle par toutes sortes de moyens. Pour nous personnellement, la seule façon de fidéliser, c'est la qualité du produit.
Donc, vous voyez maintenant un peu ce qu'est la réversibilité pour la démocratie et puis pour le marché. Nous verrons une fois prochaine les conséquences de cela au niveau de la vie et d'un projet à long terme.
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Mes frères,
Pendant trois soirées, le Père Duncan nous a parlé des difficultés qui torturent la conscience de l'Eglise aujourd'hui. Nos pères, voilà bien longtemps, ont commis des erreurs, des erreurs qui auraient pu être évitées.
Et voilà, des siècles plus tard, des antagonismes se sont tellement durcis que le rétablissement d'une unité sincère est extrêmement difficile. Il faut vraiment que l'Esprit Saint travaille le coeur des hommes pour les ouvrir à ce que le Christ a promis, c'est à dire la vérité toute entière.
Attention ! Il nous a promis de nous y introduire ensemble et non pas individuellement.
Je pense que de ces entretiens, nous pouvons retenir une chose qui est valable pour les relations ecclésiales mais aussi pour les relations à l'intérieur de notre communauté, de toute communauté d'hommes.
Nous devons faire notre possible pour cultiver la vertu de tolérance. Même si je suis en possession de la vérité, mon frère, lui qui est autre que moi, qui a une autre éducation, qui a un autre âge calendrier ou un autre âge spirituel, mon frère qui est travaillé par l'Esprit Saint d'une façon différente de moi, il aura de la même réalité une approche différente.
Je dois m'ouvrir à cette approche, je dois l'accueillir avec reconnaissance comme un don que Dieu me fait, car elle m'enrichit moi-même. Je ne puis pas, je n'ai pas le droit de me fermer à ce que voit mon frère et de m'imaginer que je suis seul en possession de cette vérité.
La vérité est tellement riche, elle est tellement vaste. La vérité, c'est la personne même de Dieu, c'est la personne de la Sainte Trinité. Et le Père l'a bien dit. Comment voulez-vous que mon intellect de petit homme puisse embrasser cette vérité qui est merveilleuse et qui est en même temps la vie.
Non, la vérité a été confiée à l'Eglise. Elle a été confiée ultimement à tous les hommes et, dans notre communauté, elle a été partagée en chacun d'entre nous. Mais nous devons avoir l'humilité de le savoir, de le croire et de mettre tout en commun, d'accepter que la vérité se construise et que chacun y apporte sa pierre.
Retenez ceci, mes frères, la tolérance est la vertu d'un homme intelligent. C'est certain ! L'intolérance est le défaut d'un homme borné. Il s’agit certes d'abord d'une intelligence humaine, un homme donc qui est ouvert, qui est humble, qui est équilibré, qui voit les choses comme elles sont, un homme qui n'a pas peur.
Mais c'est aussi et d'abord la vertu d'un homme intelligent au niveau spirituel ; non pas l'intelligence que peut donner la chair, mais l'intelligence que confère l'Esprit de Dieu. C'est donc l'intelligence de la foi qui ouvre les yeux, qui donne un regard beau, un regard neuf, un regard pur et qui fait voir chacun dans sa vérité, chacun dans sa beauté, chacun dans sa singularité, et son originalité, et alors sa richesse.
Voilà, mes frères, si nous pouvions cela, je pense que ce serait . . .? . . ; et ce serait un encouragement dans des situations concrètes qui sont nôtre chaque jour ; ce serait une porte ouverte sur les autres, ouverte sur la vérité, et puis ouverte naturellement et d'abord, surtout ouverte sur le Christ et sur la Sainte Trinité.
Voilà, mes frères, essayons de retenir cela ! Je pense que alors, le Père n'aura pas parlé en vain. Même si nous oublions tous les détails qu'il nous a raconté, retenons cela : nous devons être tolérants. Et nous serons tolérants si nous sommes des hommes intelligents.
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Mes frères,
Nous avons vu que la démocratie et l'économie de marché ont en commun un caractère assez spécial qui est la réversibilité. Les élections peuvent amener un autre parti au pouvoir ; le consommateur peut changer de goût ; on peut revenir à une situation antérieure. Les affaires donc ne sont pas dans une seule direction. Elles peuvent instantanément, inopinément prendre une toute autre forme. C'est là que nous étions arrivés.
Si l'on fait l'apologie de la réversibilité, on fait immanquablement l'apologie de l'éphémère. C'est à dire que si on admet que des choses peuvent changer du tout au tout inopinément, si on fonde la vie sociale sur cette certitude, à ce moment-là immanquablement on fait en même temps l'apologie de l'éphémère, de ce qui ne dure pas, de ce qui est sujet à des séismes qui peuvent remettre tout en cause, qui peuvent conduire des entreprises à revoir du tout au tout leur politique de vente, ou leur politique de production.
Apologie signifie prendre la défense. C'est donc en soi l'apologie de la démocratie qui est en soi le système politique le meilleur jusqu'à nouvel ordre, et l'apologie d'une économie de marché qui est aussi jusqu'à nouvel ordre la meilleure.
C'est donc faire son possible pour que les choses durent de cette façon-là, une sorte de contradiction : faire durer la possibilité de la réversibilité, du changement, et non pas un changement dans la même direction, mais une bifurcation, autre chose.
Donc, apologie de l'éphémère, ce qui ne peut pas durer. Et on en est content, et on en est heureux! Et c’est dans cet univers-là qu'on évolue.
Maintenant, c'est un raisonnement très strict : et qui fait l'apologie de l'éphémère ne peut pas avoir de projet. Et c'est vrai ! Ephémère étymologiquement signifie un jour. Donc, si je vis comme ça au jour le jour, changeant au gré de mes humeurs, au gré du temps, je ne peux pas avoir de projet. Ce n'est pas possible. Le seul projet que je puisse avoir, c'est de me plaire comme ça dans la fluctuation du changement.
C'est un peu la maladie des jeunes d'aujourd'hui qui, dans le monde, sont déboussolés, désaxés parce qu'ils sont soumis à tellement d'influences qu'ils ne peuvent pas se structurer, ils ne peuvent pas se construirent, se solidifier en vue d'un projet. Alors que font-ils ? Ils vont se réfugier dans des paradis artificiels pour échapper à tout cela, pour oublier tout cela. Ce sera l'alcool, ce sera la drogue, ce sera le sexe, ce seront même les troubles, les révolutions, semer la pagaille partout où ils sont quand ce serait sur des terrains de football, n'importe quoi, faire des choses. Ils s'enferment là-dedans.
Attention ! Tous les jeunes ne sont pas comme ça, mais il y en a tout de même une bonne fraction aujourd'hui.
Donc qui fait l'apologie de l'éphémère ne peut avoir de projet. Donc tout le problème de l'économie de marché et de la démocratie, c'est qu'elles ne peuvent pas être porteuses d'un projet long puisque elles le nient.
C'est pas possible d'avoir un projet long puisqu'elles le nient. C'est éphémère ! Impossible de construire un projet qui peut durer. C'est comme ça ! C'est une analyse très bien faite.
Nous remarquons çà très bien en brasserie. Nous avons la chance, nous, d'avoir une toute petite brasserie et un produit unique en son genre. Le peu que nous produisons, nous parviendrons tout de même toujours à l'écouler tellement c'est peu. Mais les géants brassicoles, eux, ils doivent être à l'affût du désir des consommateurs.
Par exemple dernièrement, il y a deux, trois ans de cela, on a lancé sur le marché les bières sans alcool soit disant, donc une densité de rien du tout qui allait avoir soit disant un succès fou. Il y avait ce qu'on appelait la "Tourtelle", une bière française. les grands groupes brassicoles belges se sont lancés là-dedans. Chacun voulait avoir sa bière sans alcool.
C'était la panacée, il n'y aurait plus d'accidents de circulation, etc. Vraiment, c'était la solution de beaucoup de problèmes. Ils ont investi là-dedans des sommes pour nous inimaginables pour mettre cette bière au point, pour la lancer, pour les casiers, les bouteilles, la publicité, tout, tout, tout.
Eh bien, c'est déjà fini. On n'en parle plus. Je ne sais pas si on en fait encore ? Peut-être encore un peu, mais c'est fini. Cela a duré deux, trois ans, pas plus puis c'est évanoui. C'est çà l'économie de marché : éphémère, impossible de faire un projet long puisque elle le nie. Cela ne va pas ensemble.
Maintenant, mes frères, pour conclure et c'est fini, écoutez bien ça : La démocratie est un système qui privilégie la génération présente au détriment de la génération future.
C'est tout à fait ça ! Et c'est le système politique le moins mauvais ! Donc ma génération pourrait même avoir un projet. La génération des hommes politiques, dans le fond, ce sont toujours les mêmes qui reviennent, un petit roulement. Et ils privilégient le moment présent, la génération présente, la leur, au détriment de la génération future.
Et c'est une des raisons encore pourquoi les jeunes, et mêmes plus que les jeunes, disons la plupart des citoyens se dégoûtent de la politique. Parce que on ne voit pas comment la génération future, la génération qui grandit, pourra être bénéficière de ce que fait la génération d'aujourd'hui.
Donc voilà, est-ce que vous avez compris? C'est pas difficile pourtant. Et alors demain, si Dieu nous prête vie, nous verrons un petit peu alors si le système démocratique peut conduire à quelque chose de bon dans un monastère ? Voilà, j'abandonne ça à votre méditation. Et vous allez me dire : oui, mais nous connaissons la réponse à l'avance. Mais il faut tout de même réfléchir pour bien se mettre les idées en place.
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Mes frères,
Maintenant, nous devons essayer de répondre à une question : La démocratie peut-elle être considérée comme un système de gouvernement adapté à une communauté monastique?
Pour donner une réponse qui soit dirimante, comme on dit, qui clôture le débat, nous devons remonter extrêmement haut. Nous devons remonter jusqu'à Dieu, Dieu qui est la source de la vie monastique.
Or Dieu, nous le savons, à un projet tout à la fois grandiose et humble à la mesure de son être qui est amour. Car l'amour ne peut produire que des choses qui sont belles parce qu'elles sont humbles et aussi parce qu'elles sont grandes. Ce sont des choses qui n'écrasent pas mais qui encouragent et qui élèvent. .
Or Dieu, du sein de son éternité et de sa Trinité, a un projet qu'il nous a révélé. Nous le connaissons. C'est un projet à long terme qui s'étend sur l'Histoire entière, pas seulement l'Histoire des hommes mais l'Histoire de la création qui a eu un commencement et qui aura un terme.
N'essayons pas de situer ces deux extrêmes dans le Temps, même si les savants s'y essayent. Pour nous, qu'il nous suffise de savoir que ce projet est né dans le coeur de Dieu et que, c'est à partir de là qu'il mûrit et qu'il se déploie à travers notre durée.
Et ce projet, le voici: le cosmos doit atteindre un stade où Dieu sera tout en toute chose. Cela signifie que à la fin des Temps - pour prendre une expression classique - l'univers sera pure transparence du Dieu-Trinité car il sera tout entier lumière et amour même dans ses éléments matériels.
N'oublions pas que l'univers forme un tout. Nous en sommes une partie. Chacun d'entre nous est un élément de ce cosmos. Et il arrivera un temps où tout cet univers ne sera plus que lumière. Comment cela va-t-il se faire ? N'essayons pas encore une fois de le creuser, croyons-le tout simplement.
Je faisais allusion à la science tout à l'heure. Et c'est vrai, il ne faut pas la négliger. Elle nous permet de voir à travers la matière une montée lente et continue vers la conscience. L'homme est la conscience que l'univers a de lui-même. Nous ne sommes pas à côté de l'univers, nous sommes l'univers ayant pris conscience de son existence et de son avenir.
Nous avons donc chacun pour notre part une responsabilité car, nous le verrons par après, sans doute demain, que le projet de Dieu, donc ce projet qui veut conduire la création à un état de perfection qui est la divinisation, il est confié à chacun d'entre nous, surtout à chacun d'entre nous qui sommes appelés par Dieu dans le monastère précisément dans ce but d'aider Dieu à avancer à l'intérieur de son projet, non pas vers un échec, mais vers une réussite.
Nous pouvons prévoir le surgissement d'une surconscience, donc d'un état qui est au-delà de la conscience, qui est plus que la conscience, qui est une conscience disons à une puissance double. Nous pouvons le prévoir. Nous pouvons déjà l'observer. Nous l'observons dans les saints.
C'est donc l'apparition d'une conscience qui n'est plus simplement une conscience d'homme, mais qui est une conscience de Dieu mais dans une chair d'homme. Et là, nous retrouvons la personne du Christ qui était en possession de cette surconscience, lui de parfaite puisqu'il était la connaissance parfaite que Dieu a de lui-même, devenu homme.
Eh bien, le saint participe à cette surconscience du Christ. C'est donc l'expérience, disons la perception que on n'est pas seulement un fragment de matière animée, réfléchie, réfléchissante, mais qu'on est déjà un fils de Dieu. Donc, on ne voit plus les choses seulement de façon humaine, mais on commence à les voir de façon divine. Et à partir de cette vision qui est plus que humaine, on commence à avoir des jugements et des actions qui sont aussi plus que humaines, qui sont déjà marquées du sceau du divin. C'est cela que j'appelle une surconscience. Alors, ce projet de Dieu se réalise aujourd'hui à travers les hommes.
Et nous devons maintenant nous demander: Quelle est la place du moine et quelle est la place d'une communauté monastique à l'intérieur de ce projet ?
Je disais tout à l 'heure que Dieu choisissait des hommes. Il les tirait de la société des hommes pour les placer dans un jardin, un jardin clos qu'est le monastère. Et là, il les cultive, c'est à dire qu'il les fait grandir à ce stade de surconscience qu'est la sainteté. Et à ce moment, dans la personne du saint, le projet de Dieu se réalise. Le saint est donc un homme des derniers temps.
Mais, si vous le voulez, nous essayerons de creuser cette idée demain. Puisque c'est dimanche, ça tombera bien !
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Mes frères,
Nous avons vu hier que notre Dieu et Créateur a mis en route un projet long. Il en porte le secret dans son coeur. Lui seul en connaît le terme. Mais il nous a révélé la teneur de ce projet. Il veut que finalement, à la fin des jours, à la fin des Temps, il soit tout en toute chose. La création toute entière ne sera plus que flamboiement de lumière et cela, à partir de la conscience qu'elle a d'elle-même, à savoir l'homme.
Et s'il a appelé certains de ces hommes dans des monastères, c'est afin de précipiter en eux l'achèvement de son projet comme s'il voulait régulièrement présenter à la création des exemples de ce qu'il désire accomplir.
Le moine achevé, le moine parvenu au faîte de son évolution spirituelle et humaine est donc une parousie de l'eschaton. Il est une révélation, une apparition de la fin des Temps. Il est la création achevée parce que Dieu est devenu tout en lui, parce que ce n'est plus lui qui vit, c'est le Christ ressuscité, c'est Dieu qui vit en lui.
Le moine achevé est devenu amour, douceur, tolérance, patience, lumière. Il est devenu ce que Dieu est, non pas d'une façon naturelle mais d'une façon divine, son naturel à lui ayant été totalement transfiguré. Il est plus que jamais un homme parce que il est plus que jamais un fils de Dieu. Voilà donc la création accomplie.
Le moine, donc l 'homme parvenu à la sainteté - je parle du moine parfait - ce n'est pas quelque chose qui se produit en une fois. Un tel homme est lui aussi entraîné dans un projet de longue durée. C'est une naissance, une naissance progressive qui ne procède pas par à-coup, mais qui comme tout le reste de la création avance lentement. Et cette naissance s'étend sur toute la vie. Elle a Dieu pour auteur et pour conducteur.
Voilà donc un projet qui s'étend sur toute la vie d'un homme depuis sa naissance physique jusqu'à sa résurrection d'entre les morts. Et le moine collabore à ce projet extraordinaire magnifiquement beau. Il y collabore par son ouverture, par sa docilité, par sa confiance, par son écoute, donc en un mot - comme nous le dit Saint Benoît - par son obéissance.
C'est cela l'obéissance ! Il n'est rien de plus attirant, de plus séduisant au monde que cette obéissance au projet de Dieu. Car vraiment, chaque fois que le moine obéit, c'est Dieu qui en lui réalise quelque chose d'unique que l'homme par ses propres forces ne saurait jamais atteindre. C'est le projet de Dieu qui avance plus loin, le projet de Dieu qui se réalise, qui approche de son achèvement.
C'est ainsi que le moine apporte la preuve que le projet de Dieu sur le cosmos est réalisable et qu'il est splendide. En ce sens, le moine est un témoin. Il est témoin du projet de Dieu. Est-ce que ça va changer quelque chose dans le comportement des autres hommes ?
Eh bien oui. Peut-être pas à l'extérieur mais certainement dans le secret parce que chaque moine est une cellule d'un grand Corps. Et lorsque lui avance vers sa divinisation, toutes les autres cellules de ce Corps avancent également. Il est donc aussi un moteur à l'intérieur de cette évolution.
Alors, mes frères, nous voyons que dès qu'un homme entre dans un monastère, il entre aussi et volontairement dans un long terme, dans un projet long dont il est tout à la fois le support et le coauteur. Et ce qui vaut de chacun, vaut ici de la communauté dans son ensemble parce que cette communauté est constituée par des hommes qui sont tous appelés au partage de la même sainteté, mais chacun selon des modalités strictement personnelles.
Nous pouvons déjà pressentir alors que la démocratie qui est un système qui privilégie l'éphémère, qui ne peut être porteuse d'un projet long, que la démocratie n'est pas le système de gouvernement adapté à un monastère. Pourquoi ? Mais parce que - encore une fois - elle n'est pas porteuse de longue durée. Elle privilégie la génération présente au détriment de la génération future et ça, même dans le coeur de l'homme.
La génération future pour moi, disons personnellement, dans ma vie personnelle, privée, c'est moi devenu un fils de Dieu parfait. Si je m'attache à l'éphémère, je bloque quelque part cette évolution et je la fais avorter.
Mais si vous le voulez, dans une prochaine rencontre, nous essayerons de mieux comprendre cette incompatibilité entre démocratie et vie monastique. Et nous verrons comment, bien dans le concret dans le monastère, il est possible d'établir des projets longs qui regardent la communauté et qui regardent chacun d'entre nous. Et c'est ainsi, nous verrons, que la vérité de notre vie se manifeste toujours dans le concret de chaque jour.
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Mes frères,
Revenons à notre moine. Nous avons vu hier qu'il était engagé dans un projet long qui maîtrise et dirige les moindres détails de son existence et qui s'étend sur la vie toute entière jusqu'à son dernier souffle. Il ne lui est pas permis d'en dévier sous peine de courir à l'échec. Car la réussite de la vie monastique coïncide avec la réussite du projet de Dieu dans le moine.
Il doit donc exister une collaboration confiante, aimante entre Dieu et le moine. Et ce projet, je le rappelle, c'est la sainteté, c'est à dire monter lentement vers le moment où Dieu sera tout dans le moine. Pas seulement tout pour le moine, mais que le moine soit vraiment transfiguré dans son coeur, dans son corps et dans son esprit.
Maintenant, la vie du moine peut connaître bon nombre d'aléas, des changements d'emplois, des travaux divers, des périodes plus calmes où rien ne semble bouger. Mais tout ça, ce sont des épiphénomènes. La réalité profonde, elle, demeure stable. Et cette réalité profonde, c'est cette croissance vers l'heure où le moine ne fera plus qu'un avec le Christ.
C'est cela donc le projet de Dieu qui est dans les profondeurs. Il s'inscrit dans les détails concrets de la vie. Mais en superficie, beaucoup de choses peuvent évoluer et changer. La réalité est cachée, elle est invisible. Elle peut même échapper au sujet, elle peut même échapper à la conscience du moine. De temps en temps peut-être il en reprendra conscience ? Mais enfin, dans la foi, il doit savoir qu'il en est ainsi.
Or, cette vision des choses va à l'encontre de la mentalité moderne. Aujourd'hui, on ne sait plus attendre, il faut tout, tout de suite. C'est la devise des jeunes aujourd'hui, tout, tout de suite ! Si bien qu'il est très difficile pour un jeune d'imaginer quelque chose qui doive durer, et qui doive durer longtemps. La grande, grande difficulté de la vie consacrée aujourd'hui, c'est précisément ce toujours, toujours apparemment la même chose et ça, jusqu'à la mort.
Ce n'est pas tout, tout de suite, mais c'est tout au terme d'une longue attente. Ce n'est pas une expérience ponctuelle qu'on va épuiser comme ça dans la frénésie. Non, c'est une expérience cachée, secrète, mystérieuse. C'est la vie divine qui prend possession de la personne et, voilà, qui se manifeste parfois, qui parfois se cache mais, voilà, qui doit insensiblement porter l'homme jusqu'à la pleine réussite de son identité, de son nom.
Attention, quand je parle des jeunes d'aujourd'hui, je n'ai pas subrepticement le cher André qui est là devant moi ; même si je le regarde, ce n'est pas ça que je veux dire. Mais vous savez très bien ce qui se passe. C'est le grand problème des éducateurs aujourd'hui même dans les écoles, et parfois aussi des parents. On ne peut pas faire autrement.
On me racontait ceci : vous avez un petit enfant de trois ans, trois ans et demi. Il sait parfaitement comment manipuler un poste de TV. Il sait, c'est un instinct qui est chez lui - je ne sais pas, un peu comme le retour des hirondelles - mais il sait bien qu'à telle heure il y a un spectacle pour enfant. Eh bien, il va chercher la commande TV, il pousse sur un bouton et aussitôt ça s'allume. Et il a tout, tout de suite.
Un tout petit geste de rien du tout et il a le spectacle espéré, attendu. Alors, que faire pour les parents ? Eh bien, si ce sont de bons éducateurs, ils vont laisser faire mais ils diront ceci : C'est bien, mais tu vois l'horloge, eh bien, quand l'aiguille sera arrivée là, tu arrêteras.
Et le petit enfant voit l'aiguille arriver là et il arrête. Alors ça, c'est une victoire énorme, énorme, énorme parce que, voilà, il y a quelque chose qui se passe et qui détache l'enfant du tout, tout de suite. Cela ne veut pas dire que ce sera un moine ou une moniale plus tard, mais tout de même il aura appris quelque chose qui lui sera utile.
C'est la Culture contemporaine ! Oui, elle favorise vraiment aussi l'éphémère. C'est le grand secret de la publicité. Je lisais dans la Libre Belgique que aujourd'hui, une marque n'est plus la garantie d'un succès long, de longue durée.
Donc vous avez une marque. Voilà, c'est LA marque. On va toujours demander cette marque parce que il y a une sorte d'auréole magique autour du nom. C'est fini tout ça, c'est fini ! Il y a des marques qui subsistent encore ainsi, mais ça s'étiole, ça s'évanouit, c'est à dire que la clientèle va ailleurs.
Donc, il faut aujourd'hui un nouveau système de publicité qui s'adapte au goût du consommateur et qui le devance un peu. Donc, il faut changer ! Toujours, toujours l'éphémère, s'adapter, laisser tomber la marque, en mettre une autre sur le marché, une marque qui frappe. Alors les gens vont se jeter dessus mais, après, ça devra encore être une autre.
Voilà, il n' y a que la marque Trappiste qui, elle, a la garantie de l'éternité à condition que la qualité soit aussi à la hauteur du nom.
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Mes frères,
Nous avions vu que la Culture contemporaine favorisait l'éphémère et la recherche de sensation ponctuelle fortes. C'est ce qui explique entre autre le succès de la drogue. Cette Culture n'est donc pas porteuse d'avenir. Il faut tout épuiser, tout de suite, en un instant. Si bien que elle est tout à fait étrangère à la vie monastique.
De plus, le contexte économique qui est en pleine évolution - pour ne pas dire en pleine révolution - pour l'instant, ce contexte donc ne favorise guère les projets longs pour les personnes. Car aujourd'hui, il est courant de changer de profession deux ou trois fois au cours de son existence professionnelle. On organise même des cours de recyclage.
Nombre d'entreprises sont en, faillites ; ou bien elles fusionnent avec d'autres ; ou bien on pratique un audit et on restructure tout pour que ce soit plus rentable. Il faut s'adapter au grand marché européen. Si bien que là aussi pour les personnes, il est aujourd'hui difficile de faire des projets vraiment long où on se heurte alors à des inquiétudes.
On n'a pas l'esprit, disons, libre comme on l'avait auparavant. Si bien que on est tout naturellement porté vers une forme démocratique de gestion, de gouvernement. Faire le plus possible en le moins de temps possible, quitte à changer d'orientation par après.
Eh bien, mes frères, il y a un ou l'autre initiateur de vie religieuse nouvelle qui entre dans ce mouvement. Par exemple, on propose à des jeunes de consacrer six mois, un an, deux ans, trois ans de leur vie au Christ. Donc, ils s'engagent pour une durée limitée puis après, c'est fini, ils reprennent leur existence et ils font ce qu'ils veulent. Mais ils gardent le souvenir qu'ils ont consacré une fraction toute petite de leur vie totalement au Christ.
On trouve même la formule dans un monastère qui se trouve en Belgique : être moine huit jours, être moine un mois, être moine six mois! On fait une expérience de vie monastique et puis on rentre dans le monde. C'est ça, il faut s'adapter aux temps modernes. Alors je suppose que dans un tel monastère, il y a toujours un peu de mouvement?
Eh bien, mes frères, est-ce que, voilà, un gouvernement de forme démocratique est-il possible pour une communauté monastique ? A priori, nous pouvons répondre par la négative car la démocratie, nous l'avons vu, ne peut pas être porteuse d'un projet long parce que elle le nie. Mais si vous le voulez, une autre fois à une autre occasion, nous approfondirons un peu cette question pour voir si ce qui est vrai des personnes peut l'être aussi de l'ensemble de ces personnes qui forment une communauté, qui forment un Corps.
FIN
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Mes frères,
L'arrivée de ce chapitre sur le travail manuel de chaque jour est vraiment providentiel car j'ai été le témoin aujourd'hui après-midi d'une chose assez extraordinaire. Je faisais visiter le chantier de l'église à Dom Emmanuel Lanne que j'avais par hasard rencontré à la porterie au moment où j'y déposais le courrier. Et alors, j'ai vu monter un chapiteau et sa colonne.
Eh bien, c'est vraiment extraordinaire. J'ai vraiment, à ce moment là, touché du doigt un adage auquel je tiens beaucoup, que Saint Benoît ne dit pas mais qui sous-tend toute le vie monastique : c'est que le travail manuel unit. Le travail manuel est facteur d'unité. ,
Il y avait là six hommes : nos deux ouvriers, Louis Leroy et Luc Streignard qui étaient sur la hauteur ; puis il y en avait quatre au rez-de-chaussée, Monsieur Remacle avec ses deux fils et son frère. Ils avaient monté un système très ingénieux pour hisser d'abord la colonne, ensuite le chapiteau pour le placer au-dessus de cette colonne.
Eh bien, j'ai compris une chose et je l'ai vue, et je vous assure que c'était extrêmement beau. Vous aviez ces six hommes, plus naturellement - j'oubliais le principal - le frère Paul-Michel qui était là et qui donnait aussi un coup de main. Ce n'était pas un spectateur comme moi.
Et vous aviez ces sept hommes en tout qui posaient les gestes qu'il faIlait, au moment voulu, dans un ensemble parfait, sans un mot de trop. Oui, parce que le bobcat était là qui travaillait et il faisait du bruit. Il fallait échanger parfois et Louis Leroy, il a vraiment une voix comme celle de son père qui domine tous les bruits.
Eh bien ceci : le moindre désaccord entre ces hommes, eh bien c'était l'accident. Ils ne peuvent pas se permettrent d'avoir leur idée à eux. Non, ils épousent tous la même idée, le même projet, le même plan et ils le mettent à exécution chacun à sa place dans un ensemble, je vous dis, on ne pouvait pas imaginer mieux. Et je le répète, la moindre, je ne dis pas erreur, mais le moindre accroc à cette unité de vision et de travail, eh bien il n'y a rien à faire, c'est l'accident.
Eh bien, j'ai encore compris autre chose : que nous devons regretter de ne pas faire ça nous-mêmes. On va peut-être dire : Oui, mais nous sommes trop bêtes ! Oui, peut-être bien, peut-être bien ? Nous n'avons pas cette expérience qu'ils ont.
Mais au moyen âge, lorsqu'il y avait trois, quatre cent moines et cinq à six cent convers dans un monastère, ils construisaient eux-mêmes tout. Ils faisaient tout eux-mêmes. Et c'était ça qui soudait la communauté, qui en faisait un corps. Eh bien aujourd'hui, ce n'est plus possible, ce n'est plus possible. Alors, il faut le regretter mais tout de même retenir la leçon.
Ce que j'admirais aussi, mais une admiration sincère, c'était l'habileté, l'ingéniosité et l'intelligence pratique de ces hommes. Prenons nos deux ouvriers : ils sont des garçons très frustes et ils ont dans leurs mains une intelligence extraordinaire. Ils pensent avec leurs mains autant et si pas plus qu'avec leur tête. Et leurs gestes sont toujours justes, ils ne se trompent pas.
Eh bien, je vous assure que c'est une fameuse leçon, une fameuse leçon d'humilité pour nous, et une fameuse leçon de charité et de concorde parce que ces hommes qui travaillent avec une telle harmonie, s'ils ne s'estimaient pas les uns les autres, ils ne pourraient pas réussir.
Imaginez un peu toutes les qualités qui sont requises au plan humain et, j'oserais ajouter, au plan surnaturel. Même s'ils ne mettent les pieds à l'église que le jour de la fête de la communauté, cela ne fait rien, il y a en eux un potentiel d'oubli de soi et de renoncement qui fait qu'il leur est possible de travailler ensemble à un projet commun.
Et alors nous, nous ne devons pas placer une colonne avec un chapiteau au-dessus, nous devons construire un temple spirituel. C'est ça une communauté. Et c'est ça le projet long auquel nous sommes attelés, auquel nous nous sommes voués : un temple dont le Christ est la tête et dont l'Esprit Saint est le cœur. Il faut donc que nous soyons tous parfaitement unis. Alors, imaginez un petit peu le malheur qui peut se produire si s'introduit un désaccord.
Attention ! Ce désaccord peut prendre des formes extrêmement subtiles auxquelles nous ne prenons pas garde. Si je dis du mal d'un autre, que je porte un jugement catégorique : c'est un ci, c'est un ça et, si en prononçant ce jugement défavorable je fais baisser un autre frère dans l'estime à laquelle il a droit vis-à-vis des autres, eh bien je provoque, je risque de provoquer un accident, de démantibuler le travail commun.
Là-bas, quand ils travaillaient, il était inimaginable qu'ils disent : Mais enfin, tu n'es qu'un imbécile. Non, ils faisaient tous ce qu'ils devaient faire et ils le savaient. Et je suis certain qu'ils ont une très grande estime les uns pour les autres. Voyez ce travail qui unit des cœurs, et qui unit les esprits autant que les corps.
Alors, mes frères, soyons extrêmement prudents pour ce qui nous regarde, nous, dans la construction du corps du Christ, dans ce temple spirituel que doit être une communauté monastique. Gardons-nous ! Et je vous dis : les péchés de la langue et même les péchés des pensées peuvent faire beaucoup de tort. Quand on possède un temple spirituel, même la pensée contre le frère peut introduire une discordance, une disharmonie, un désaccord qui fait branler l'édifice.
Mais voilà, vous voyez, c'était bien tombé qu'on parle aujourd'hui du travail manuel de tous les jours. Eh bien voilà, ce qu'il faudrait, c'est construire une église comme ça tout le temps. Il faudrait que ce travail n'ait jamais de fin pour avoir ainsi l'occasion d'admirer tellement de belles choses. J'ai vu ça parce que c'est tout de même un peu spectaculaire, mais il y a bien d'autres choses que nous pouvons admirer chez ces hommes qui sont nos frères et qui - encore une fois - qui peuvent très bien être nos maîtres.
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Mes frères,
En ce premier jour du mois d'Août, nous prenons notre élan pour nous lancer à la rencontre de deux fêtes particulièrement chères à notre coeur de moines consacrés intégralement à la vie contemplative : la Transfiguration du Seigneur Jésus - dont vient de nous parler le Cardinal Ratzinger - et l'Assomption de la Vierge Marie. Ces deux mystères, nous les chanterons avec foi et vigueur.
Oui, car en eux nous découvrons l'étrange et fascinante beauté de la destinée humaine. Nous sommes appelés à être métamorphosés et à entrer à l'intérieur de la création nouvelle, cette création qui habite déjà le centre le plus secret de la Trinité et qui est la personne même du Seigneur Jésus ressuscité.
Etre transfiguré, cela signifie être devenu lumière sans trace ni ombre de rides, sine macula et sine ruga comme disaient nos Pères de Cîteaux. Et quand nous serons ainsi transfigurés - et il faut espérer que nous le serons dès cette vie, mes frères - à ce moment-là nous serons devenus divine douceur et totale compassion à l'image du Christ le premier des transfigurés.
Et n'allons pas placer plus bas le terme de notre existence terrestre. Comme le Cardinal vient de nous le rappeler, nous sommes en voie de métamorphose. Il suffit de ne pas faire obstacle aux énergies divines qui habitent notre être, qui veulent le transformer de fond en comble en le faisant participer à l'être même de Dieu.
Et puis, lorsque nous regardons du côté de la Vierge Marie, être assumé en Dieu, cela signifie être passé par la mort et avoir revêtu la forme de Dieu ; c'est avoir des yeux nouveaux, un coeur nouveau, une écoute nouvelle ; c'est avoir connu la seconde naissance, celle dont la Vierge Marie est la providentielle auteur.
Mes frères, tel est le terme de notre croissance humaine, chrétienne et monastique. Le processus est extrêmement simple mais, malheureusement, il va être vécu par des hommes rendus compliqués par le péché qui les aveugle et qui les paralyse.
Or, si Dieu s'est fait homme, c'est pour nous présenter la vérité de notre être dans toute sa splendeur et, c'est pour nous libérer de nos phantasmes. Oh, si facilement, si volontiers nous courons derrière ce qui nous passe par la tête. Et à ce moment-là, nous perdons lamentablement notre temps.
Non, Dieu s'est fait homme pour nous dire qui nous sommes. Et ce que nous sommes, c'est lui car il prend possession de notre être pour le rendre en tout semblable au sien.
Mes frères, si nous savons cela, si nous le croyons, si nous le vivons, il ne nous est plus possible de porter notre regard sur un autre homme sans y reconnaître l' apparition de ce Christ, sans y reconnaître notre propre image.
Cet homme peut être aussi dégradé qu'il soit au plan physique, au plan moral, au plan spirituel, cela n'a pas d'importance. C'est le Christ qui nous apparaît en lui, ce Christ qui, au moment de sa passion, n'avait plus de figure d'homme. Il était devenu un ver, il n'était plus un homme.
Mes frères, il nous suffit donc d'ouvrir notre coeur à l'agir de Dieu en nous. Lui, il se charge de tout. Il nous suffit tout simplement de nous ouvrir à lui comme une fleur, comme une plante s'ouvre au soleil, boit le soleil, devient fleur et porte fruit.
Dans ces conditions-là, la mort, la mort physique j'entends, elle devient facile car elle est le portail d'une vie qu'on expérimente déjà comme impérissable. Le cardinal vient encore de nous le rappeler. Ce sont des choses tellement belles, mes frères, nous devrions nous en nourrir à longueur de jours et de nuits.
Maintenant quelque chose de très pratique : A quel symptôme peut-on reconnaître qu'un homme a franchi définitivement le seuil de la mort ? Car il est possible de mourir sans connaître la mort biologique. Il s'agit d'une mort mystique mais bien réelle qui introduit l'homme déjà à l'intérieur de l'univers divin. Et quel est le symptôme qui va permettre de reconnaître avec certitude que c'est arrivé?
Eh bien, mes frères, c'est très facile. Ce symptôme, c'est la disparition dans un homme de toute forme de curiosité. Saint Bernard nous dit que la curiosité est le tout premier degré de l'orgueil. Et bien, l'absence de curiosité indique qu'un homme est entré dans les espaces infinis de l'humilité, qu'il a été assumé en Dieu et qu'il vit enfin en plénitude.
Cela s'explique facilement. Un homme établit au-delà de la mort ne regarde plus en arrière. Il ne détourne plus les yeux des beautés qu'il découvre : la beauté de Dieu, la beauté du Christ, la beauté de la Vierge Marie, la beauté des saints et des saintes, la beauté de la création qui est un immense livre qui nous raconte qui est Dieu et qui nous dit combien Dieu est beau.
Eh bien, ses yeux sont fascinés par cette beauté et il ne lui est même plus possible de regarder autre chose. Il ne cherche plus à savoir ce qui se passe. Il n'attend même pas d'en être informé. Il n'ouvre pas l'oreille aux racontars, aux ragots, aux histoires qui circulent, qu'elles soient vraies ou qu'elles soient fausses. Non, tout cela, c'est fini pour lui. Il se contente de ce qu'il doit savoir quand on le lui dit. Et alors, il le prend et il le porte dans sa prière.
Car vous l'avez compris, cet homme qui est mort et en qui la curiosité n'existe plus, cet homme est devenu prière continuelle. Il est toujours en communion avec Dieu. Exactement comme la Vierge Marie qui ruminait dans son coeur tout ce qui concernait l'univers de Dieu et son projet sur elle et sur le monde, et sur son fils Jésus, Marie qui alors était, commençait à être et est pour l'éternité prière continuelle et toute puissante intercession.
Mes frères, nous connaissons maintenant notre programme. Vous voyez, il est extrêmement simple, il est trop simple pour les pécheurs que nous sommes. Mais nous ne devons pas perdre confiance, au contraire. Car Dieu est devenu homme aussi pour connaître notre faiblesse, pour sonder nos incapacités, pour avoir peur et pour pleurer comme nous et avec nous.
Mais alors, lorsque nous lui faisons confiance et que nous nous ouvrons à sa lumière et à son amour, comme je l'ai dit tout à l'heure, il se charge de tout. Et il nous suffit de nous laisser faire bien simplement pour nous laisser conduire là où il veut nous élever, à cette métamorphose qui fait de nous alors l'image de plus en plus conforme de ce qu'il est.
Voilà, mes frères, nous allons, si vous le voulez bien, nous aider mutuellement à réaliser notre programme jusqu'au bout.
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Mes frères,
Ces paroles sont des paroles que nous préférerions peut-être ne pas entendre. Mais attention ! Elles ne sont pas paroles d'homme, elles ne flattent pas nos intérêts, nos ambitions, nos calculs. Elles vont à l'encontre de ce que nous recherchons instinctivement: les richesses, les honneurs, les plaisirs. Elles nous dépassent, elles bousculent nos illusions. Elles nous placent devant la vérité et elles attendent notre réponse.
Elles sont paroles de Dieu. Elles veulent notre véritable bien, ce bien qui nous accompagnera dans l'au-delà, ce bien qui dès ici bas - si nous le recevons - nous garantira un bonheur sans mélange. Vanité des vanités ! Vapeur, évanescence, néant absolu ! Cette nuit même on te redemande ta vie.
Telle, mes frères, est la question première et dernière. Nous n'y échapperons pas. Mais alors, oui, chacun est affronté à sa propre conscience. Puissions-nous ne pas lui imposer silence !
L'Apôtre nous propose une solution à notre portée, oui, à notre portée parce que nous sommes des chrétiens, parce que nous sommes greffés sur la personne du Christ ressuscité. L'Apôtre nous ouvre les yeux sur des réalités cachées au regard de la chair.
Vous êtes morts, nous dit-il, mieux encore vous êtes déjà ressuscités. Prenez-en conscience, le but de votre vie, il est en haut, il n'est pas sur cette terre. Revêtez donc votre être nouveau, lui qui est étranger à toute forme de cupidité, de mensonge, de malice.
Mes frères, il s'agit en pratique de mourir à notre égoïsme, de nous ouvrir à Dieu, de nous ouvrir aux autres. En un mot, il suffit d'aimer à la manière de Dieu, gratuitement, inlassablement, lumineusement.
Cette mort mystique qui nous est promise et que nous devons accueillir, cette mort nous arrache à la mort physique. En effet, elle lui enlève son dard venimeux si bien qu'elle devient inoffensive ; mieux encore, elle en fait pour nous une soeur, comme chantait si bien François d'Assise.
Mes frères, si nous acceptons de mourir à nous-mêmes, si nous acceptons de nous laisser prendre par la main et d'être introduits dans le Royaume de Dieu dès maintenant, si nous acceptons de ressusciter d'entre ces désirs qui sans cesse torturent notre coeur et qui nous conduisent à rien, si nous acceptons tout cela, à ce moment-là nous goûtons les prémices de la vie impérissable.
Voilà, mes frères, ce qui nous est proposé ce dimanche. Puissions-nous accueillir avec confiance, avec foi les paroles du Christ, les paroles de l'Ecclésiaste; puissions-nous les laisser porter en notre coeur tout le fruit dont elles sont prégnantes. Et à ce moment-là, je pense que notre vie prendra une coloration nouvelle. Elle sera ce qu'elle doit être et chacun d'entre nous sera pour les autres une lumière, un exemple, un encouragement.
Amen.
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Mes frères,
Ce matin, pendant la proclamation de l'Evangile, une intuition a soudainement traversé mon esprit. J'ai mieux compris encore pourquoi le moine devait être un neptique, un éveillé, un vigilant.
Les Apôtres dormaient. Lorsqu'ils se sont éveillés, ils ont vu le Christ transfiguré s'entretenant avec Moïse et Elie. Ils l'ont entrevu un instant car c'était la fin de cette apparition extraordinaire.
S'ils avaient été attentifs, s'ils ne s'étaient pas assoupis, s'ils avaient prié avec le Christ, ils auraient contemplé la transfiguration de bout en bout et, quelles merveilles n'auraient-ils pas vues. Mais non, la condition charnelle est telle : on s'endort.
Et nous qui sommes des moines, nous dont la vocation est de regarder sans cesse la beauté du Christ ressuscité et d'être transformés en ce qu'il est, nous devons être des vigilants. Nous devons rester éveillés, nous devons être des neptiques. L'essence même de la vie contemplative, c'est de faire des hommes appelés par Dieu des voyants.
Il est donc indispensable, mes frères, d'être vigilant : vigilant sur notre conduite, vigilant sur notre langue, vigilant sur nos yeux, vigilant sur nos pensées. Comme l'exprimait si bien Saint Jean de la Croix en se référant au Ps 59 : Toute ma force, toute ma vigueur, toutes mes énergies vitales, je les garde pour toi. Et c'est cela être vigilant !
Et alors, si nous obéissons à cette consigne, j'allais dire à ce devoir, eh bien, nous contemplerons aussi des merveilles. Non pas de façon intellectuelle, ce serait beaucoup trop facile, mais existentiellement d'une façon indicible comme les Apôtres qui, eux, par leur négligence n'ont vu qu'un petit bout.
Car nous sommes appelés à la transfiguration – comme je l'ai rappelé le jour de la récollection - et ce n'est pas trop beau pour nous, loin de là ! Mais n'allons pas rêver à des phénomènes paranormaux. Un transfiguré n'est pas un illuminé.
Saint Paul écrivait aux Corinthiens. Et ces Corinthiens étaient fraîchement convertis. Et vous le savez, c'étaient les gens les plus malhonnêtes et les plus dépravés de la Grèce. Ils étaient connus pour çà, des menteurs ! Voilà, c'étaient çà les Corinthiens !
Et Paul les avait conduit au Christ et il leur écrivait des choses extraordinaires. On l'a lu à l'Office de None, mais je le reprends ici : Nous tous à visage découvert reflétant la gloire du Christ Seigneur, nous sommes transfigurés en son image de gloire en gloire comme par l'Esprit du Seigneur.
Eh bien voilà, mes frères, à partir de là nous pouvons comprendre que la transfiguration est le destin normal de tout chrétien. Il ose dire ça à ces fameux Corinthiens. Il était tout de même audacieux. On n'imagine plus cela aujourd'hui.
Oserait-on aujourd'hui tenir un langage pareil du haut d'une chaire de vérité ? Ce n'est pas un discours moralisant, non, il les lance de suite dans la plus haute mystique qui est leur patrie, qui est la patrie du Chrétien : être métamorphosé en l'image même du Seigneur.
La Transfiguration, mes frères, nous le comprenons ici, elle est une iconographie. C'est le mot grec eikona. C'est une iconographie dont l'auteur, dont l'artiste est l'Esprit Saint. Que fait cet Esprit ? Eh bien, il nettoie notre coeur et il y installe l'amour, l'amour qu'il est, l'amour qu'est la Trinité.
Et alors, à partir de ce coeur purifié, le comportement de l'homme est modifié de fond en comble. Il n'agit plus de façon humaine mais de façon spirituelle, c'est à dire divine mais pleinement incarnée. Ce n'est pas une évasion hors de la chair, c'est une transfiguration de la chair.
Dieu a voulu devenir chair pour que nous puissions, nous, devenir ce qu'il est. Il y a là un mouvement dont il faut saisir la beauté. Le logos de Dieu, le Verbe de Dieu, lui qui est prostheon, donc qui est tourné vers son Père et qui est en mouvement vers lui, le voilà qui devient chair.
Mais il ne cesse pas pour autant d'être en mouvement vers la source qui est le Père. Dès l'instant où il devient chair, il nous saisit dans notre chair et il nous entraîne avec notre chair dans ce mouvement vers le Père.
C'est cela la vie chrétienne, c'est la vie contemplative et c'est la vie humaine tout court. Mais si nous sommes au monastère, c'est pour en avoir conscience, pour nous laisser saisir puis emporter par lui jusqu'au plus secret de la source qu'est Dieu le Père.
Si bien que lorsque le coeur est purifié, la métamorphose va paraître dans tout l'homme, dans son comportement et surtout, surtout dans son regard. Un tel homme aura un regard de lumière parce que ses pensées procèdent toutes de Dieu qui est lumière et qui est amour.
Donc, le réflexe de cet homme, quelque soit la situation devant laquelle il se trouve, ne sera pas un haut le coeur de dégoût ou n'importe quoi. Non, ce sera un jaillissement de lumière. Lorsqu'on dit d'un homme qu'il est lucide - il faut voir ça dans le sens étymologique - cela veut dire qu'il a un regard de lumière.
Le terme a été dévalué dans le langage commun pour dire: c'est un homme auquel on ne peut pas en raconter, il est lucide. La lucidité serait le contraire de la naïveté. mais non, la véritable lucidité, c'est comme un laser, un appareil à résonance magnétique qui va qui va au fond des choses, et puis qui les voit telles qu'elles sont pour être éternelles. Le reste, c'est de l'accident qui s'en va, c'est de la vapeur qui va disparaître. L'homme lucide, c'est le naïf, c'est le semblable au Christ qui, étant devenu lumière, voit la lumière chez l'autre.
Eh bien voilà, mes frères, je pense que notre vocation, elle est vraiment belle. Elle consiste à nous laisser transfigurer par l'Esprit de Dieu comme nous le rappelle l'Apôtre aujourd'hui. Et cet Esprit qui est l'Esprit même du Christ, petit à petit nous accoutume, nous habitue à vivre avec Dieu.
Donc, à ce moment-là, nos yeux s'ouvrent comme s'ouvrent les yeux d'un nouveau né qui peut-être au début n'aperçoit pas grand chose, que des ombres qui bougent ; et puis des yeux qui deviennent de plus en plus conscient. Et alors la pleine conscience ce sera, comme le dit l'Apôtre à ces fameux Corinthiens, à visage découvert, sans voile, pouvoir contempler la gloire du Christ, pouvoir la refléter de manière à être transfiguré en cette gloire.
Voilà notre destinée d'homme ! Et puisque nous allons à Complies, demandons les uns pour les autres que cette destinée se réalise parfaitement pour chacun d'entre nous.
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Mes frères,
Autrefois, dans le temps très saint de nos Fondateurs, et auparavant encore à l'époque des Pères qui construisaient l'Eglise par leurs paroles et par leur sainteté, les homélies et les sermons étaient de longue, de très longue durée et, les fidèles écoutaient debout sans jamais se lasser. Dans les monastères, les frères étaient assis comme leur Abbé, autour de lui.
Mais aujourd'hui, on a tout à fait changé d'orientation : au plus court, c'est le mieux ! Nous connaissons un univers culturel différent. Nous privilégions la vision plutôt que l'audition. Nous sommes submergés d'images. Nous ne savons plus ce que c'est que de recevoir par l'oreille. Nous préférons recevoir par les yeux.
Mais voilà, du moment qu'une chose est vraie et qu'elle est bien dite, si elle peut comme cela être transmise en peu de mots, ce n'est pas plus mal. Soyons des hommes de notre temps et gardons-nous des homélies fleuves. Nous n'avons pas le génie de nos Pères et contentons-nous d'être de pauvres hommes.
Hier, il n'a donc pas été possible de tirer les choses en longueur. Parler de Marie et de son mystère pourrait prendre une vie car la théologie mariale est inépuisable. Mais je voudrais aujourd'hui attirer votre attention sur un petit détail.
Le Livre des Chroniques nous parlait de l'intronisation de l'Arche dans la tente que David avait dressée sur le mont Sion. Cette tente - nous le savons - symbolise le temple qui allait être construit plus tard par Salomon. Elle symbolise la demeure de Dieu, le ciel donc, Dieu lui-même dans sa gloire, car Dieu est à lui sa propre demeure. Et cette Arche contenait les Tables de l'Alliance qui avaient été écrites par le doigt de Dieu et confiées à Moïse et au peuple d'Israël.
Or Marie, dont le corps virginal a contenu le Verbe de Dieu, Marie qui de sa propre chair a donné chair à Dieu, mais Marie est cette Arche définitive, cette Arche véritable dont toutes les autres n'étaient jamais qu'une approximation prophétique.
Marie a donc été ainsi intronisée chez Dieu sur un mode mystérieux que nous appelons l'Assomption. Il ne pouvait en être autrement, Dieu en parlait depuis toujours. Si nous étions plus attentifs à écouter la Parole de Dieu avec les oreilles de notre coeur, et d'un coeur de plus en plus pur, nous entendrions Dieu nous raconter toute son histoire, tout son projet depuis toujours.
Mais nous devons pour cela - comme je le disais hier - avoir toujours le sentiment que nous l'entendons pour la première fois. Alors nous sommes vraiment éveillés, nous sommes attentifs et nous percevons des choses absolument inouïes, c'est à dire qui n'ont jamais été entendues avant. C'est cela que signifie Marie.
Or, Marie est notre mère. Notre chair de ressuscité, nous la tenons d'elle ; et notre corps spirituel que l'Esprit Saint façonne en nous, nous le tenons d'elle, de son corps qui maintenant se trouve là quelque part dans ce que nous appelons le ciel et qui est le centre même de la Trinité.
Eh bien, mes frères, nous ressuscitons, nous, dans la mesure où nous avons une chair mariale. Et une chair mariale, c'est une chair de pureté. Donc il faut pour bien faire que notre chair, notre viande actuelle soit comme le voile de lumière qui recouvre notre chair de demain, notre chair spirituelle, notre chair mariale. Un des sens de notre voeu de chasteté, c’est celui-là. Essayons de nous en souvenir aujourd'hui !
Et notre chair mariale, elle nous est donnée par Dieu lui-même dans la mesure où nous acceptons qu'il purifie notre coeur. Cette purification est l'oeuvre de l'Esprit Saint qui est l'Esprit de sainteté, l'Esprit de pureté, l'Esprit de chasteté, qui est l'Esprit de charité. Et c'est cet Esprit qui a pris sous son ombre la Vierge Marie. Et ainsi, à ce moment-là, il l'introduisait déjà dans l'univers de Dieu.
Eh bien, mes frères, nous sommes aussi pris sous l'ombre de l'Esprit, sous les ailes de l'Esprit. C'est le sens du sacrement de confirmation. Ce jour-là, l'Esprit Saint nous a pris sous son ombre et il commence à nous transfigurer, à nous ressusciter, à nous assumer chez Dieu.
Mais si nous sommes de vrais contemplatifs et que nous vivons ainsi dans un monastère ordonné à cette vie contemplative, nous devrons toujours avoir le sentiment de ce que nous vivons, donc de cette ombre de l'Esprit sur nous et du travail qu'il désire effectuer en nous. Et là, ce sera encore surtout le fruit de l'écoute, de la vision aussi, mais une vision qui est dépendante de notre écoute, donc de notre docilité.
Mes frères, essayons de retenir ça pour aujourd'hui. Notre écoute, notre obéissance, notre docilité, notre naïveté à l'exemple de ce qui a été chez Marie, elles nous font participer de suite, immédiatement au destin merveilleux de notre Mère. Essayons de nous en souvenir aujourd'hui et portons dans notre coeur tous ceux et toutes celles qui partagent notre vocation.
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Mes frères,
Si vous voulez, restons encore aujourd'hui dans le rayonnement du mystère de l'Assomption. Nous savons en effet que l'Ordre de Cîteaux est placé sous le patronage de la Vierge Marie dans son mystère de l'Assomption. Et ainsi est nettement défini le tissu de notre vie. Nous avons à vivre en notre chair le mystère de l'Assomption et, corrélativement, le mystère de la résurrection du Seigneur Jésus.
Le but de notre vie n'est donc pas une quelconque réussite humaine. Il se situe à l'intérieur de la création nouvelle, là où est entrée Marie à la suite de Jésus et là où nous devons entrer, non seulement après notre mort physique mais dès maintenant. C'est cela typiquement la vocation contemplative cistercienne.
On va en parler beaucoup au prochain Chapitre Général. Nous devrons peut-être en débattre ici lorsqu'il nous sera demandé d'établir, de rédiger le rapport de notre communauté qui devra être présenté au Chapitre Général. Mais essayons déjà dès maintenant de bien retenir ceci : le but de notre vie n'est pas ici-bas, mais il est ailleurs.
Il faut donc opérer un transfert, une translation, une transhumance de la terre qui est nôtre aujourd'hui, que nous ne pouvons pas renier, à la terre nouvelle dans laquelle Marie est déjà entrée comme Reine. Ce n'est pas là des choses symboliques, ça doit se vivre mystiquement. Et n'oublions pas que la mystique est la véritable réalité.
Il faut donc, comme nous le recommande l'Apôtre, oublier tout ce qui est derrière nous et courir en avant vers l'heure de notre assomption en Dieu et de notre transfiguration en un être nouveau dont la conduite n'est plus régulée par des vues charnelles mais uniquement par la gloire de Dieu qui doit prendre possession de toutes nos facultés.
Saint Benoît emploie souvent ce terme de courir, currere, festinare, recto cursu. Nous n'avons pas de temps à perdre parce que la durée de notre vie est très courte. Cela peut nous paraître long, mais en réalité c'est un éclair dans une nuit. C'est pourquoi ne perdons pas notre temps, la fin de notre vie est peut-être pour aujourd'hui ? Nous n'en savons rien, un accident est si vite arrivé.
Alors, mes frères, en est-il bien ainsi dans le concret de notre vie quotidienne ? Et je voudrais poser une question : Est-ce que nous croyons vraiment, mais vraiment, en le réalité de l'Assomption ? Quelle est la qualité de notre foi ? Est-elle une adhésion cérébrale qui n'engage à rien ? Ou bien notre être en est-il profondément remué et totalement retourné ?
Une foi sans les oeuvres est bel et bien morte et, comme le dit l'Apôtre : Moi, c'est par mes oeuvres que je vais te montrer ma foi. Il s'agit alors dans ce cas d'une foi vivante, dynamique, généreuse, conquérante. Sinon c'est une foi faible, maladive, moribonde et finalement morte.
Dans notre contexte culturel hérité de Rome et de la Grèce, nous vivons beaucoup trop au niveau de notre cerveau et de notre intellect. Nous en avons encore parlé le dimanche de notre récollection à propos de la liturgie. Tout se passe là. Et, dès l'instant où nous avons affirmé quelque chose, une croyance, ou chanté un symbole de notre foi, eh bien c'est fini, nous sommes contents.
La Culture monastique est tout autre. La Culture monastique saisit l'homme aux entrailles si bien que la foi est une réalité existentielle, concrète, charnelle, matérielle, corporelle. C'est les fibres les plus profondes, les plus secrètes comme les plus superficielles de notre corps qui sont saisies et qui sont conduites vers un être nouveau.
N'oublions jamais que la toute grande réalité, c'est l'Incarnation de Dieu. C'est donc par notre chair, c'est par notre conduite bien concrète que nous allons chez Dieu. Et la foi doit être incarnée à ce niveau-là sinon c'est, comme dit l'Apôtre, des cymbales retentissantes et une trompette qui sonne. Et puis c'est fini !
Alors, mes frères, nous devons croire entre autre que la foi en l'Assomption de Marie - entre autre, c'est un des aspects - doit nous amener à voir les hommes et les choses comme elle les voit maintenant. Elle les voyait comme ça dans son existence terrestre, elle les voit encore comme ça maintenant.
Si donc nous croyons vraiment que Marie a été assumée corporellement là-bas dans le coeur même de la Trinité nous devons, nous, nous efforcer de voir tout comme elle le voit. Cela signifie voir nos frères les hommes, voir les choses, les événements dans leur vérité totale, dans leur lumière, dans l'amour dont ils sont imprégnés et dans la douceur qui rayonne d'eux-mêmes. Si ce sont des choses ou des personnes très carrées, très piquantes - il y en a de toutes les sortes - eh bien non, il y a en dessous d'elles, en dessous il y a la douceur, il y a de l'amour.
Eh bien, mes frères, nous pouvons encore maintenant procéder à un petit examen de conscience très pratique. Quelle est la nature des pensées qui montent dans notre cœur ? Sont-ce des pensées positives ou des pensées négatives ? Est-ce qu'elles condamnent les personnes ou bien est-ce qu'elles les excusent ?
Eh bien là, mes frères, est la ligne de partage, là est la ligne de partage de ma foi. Je suis un cérébral ou bien je suis un croyant. C'est à ce niveau-là que nous sommes jugés. Nous n'avons pas besoin de le savoir, ça se fait tout seul. Nos pensées en effet d'abord, puis nos paroles, puis notre comportement sont le thermomètre de notre foi.
Mes frères, pensons bien à ceci : à quoi bon célébrer Marie dans son Assomption, ou dans un quelconque de ses mystères si je la défigure dans ses enfants. Voilà, voyez un peu !
Eh bien, mes frères, ces petites considérations pratiques, veillons à ce qu'elles retiennent notre attention non seulement aujourd'hui, mais à chaque instant de notre vie. Et notre foi - je le sais - elle ne sera jamais parfaite ici bas. Elle est toujours en croissances : elle est parfois malade, elle a des crises.
Ce n'est pas tragique aussi longtemps que humblement, humblement nous en prenons conscience. Et alors, confions-là à Marie pour qu'elle la purifie, pour qu'elle la fortifie et qu'elle la rende de plus en plus vraie et vivante.
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Eminence, mes frères,
En la fête de notre Père Saint Bernard, nous pourrions nous poser une question qui me tient personnellement très à coeur. Je la formule sous cette forme: Qu'est-ce qu'un saint ? Et je vais vous donner une définition qui me semble correcte même si elle est quelque peu originale sur les bords. Un saint, c'est un homme qui croit en ce qu'il fait.
Attention ! Il ne s'agit pas d'une croyance formelle, superficielle, épidermique qui permet de poser des actes de piété et même de vertu quand en réalité l'esprit et le coeur sont ailleurs, au loin. Non, il s'agit de la foi qui constitue l'être le plus secret, le plus intime de la personne, une foi qui est une source intarissable de méditation, de contemplation, d'action parce que cette foi est participation à l'être même de Dieu.
Cette foi est le lieu d'une communion avec l'invisible. Et l'homme qui en est possédé ne peut faire autrement que de croire en tout ce qu'il fait. Alors là, nous avons à faire à un saint.
Eh bien, Bernard était l'un de ces hommes. Et n'oublions jamais qu'il est notre Père et, mieux encore, qu'il est notre frère. Au lieu qu'il occupe maintenant, son plus grand désir, c'est que nous soyons sur terre maintenant ce que lui était mais chacun à notre place, chacun selon notre vocation personnelle ; et mieux encore, que nous soyons maintenant ce qu'il est lui maintenant, c'est à dire vraiment des saints.
Alors, si vous le voulez bien, nous allons écouter ce soir ce qu'il nous dit, ce qu'il nous dit plutôt en la fête de la dédicace de son église car à Clairvaux, il y avait aussi une église, et une église de belle dimension que Bernard avait construite. Et quand il l'a construite, il était un tout petit troupeau, mais il savait, il pressentait que ce troupeau serait multiplié à l'infini. Et il a donné à son église les dimensions qui convenaient à la vision qu'avait déjà son coeur du Clairvaux de demain, demain pour lui. Ecoutez donc ce qu'il dit :
Quel bon échange vous avez fait, mes bien-aimés. En laissant tout ce que vous pouviez avoir dans le monde, vous avez mérité d'appartenir en propre au Créateur du monde et d'avoir en possession propre celui qui sans aucun doute est la part et l'héritage des siens.
Mais quel message extraordinaire, mes frères ! Alors, faisons nôtre ses paroles, faisons nôtre sa conviction et, laissons-les se distiller en nous. Saint Bernard nous secoue, il nous provoque, il nous veut semblable à lui.
Réfléchissons un instant ! En abandonnant tout pour suivre le Christ, non seulement nous n'avons rien perdu au change, mais nous avons fait une excellente affaire. En effet, nous avons acquis - comme Saint Bernard nous le dit lui-même à partir de son expérience personnelle - nous avons acquis en possession propre le Créateur du monde. Nous lui appartenons et Lui nous appartient.
Et cette mutuelle et réciproque possession est le signe d'une sponsalité. Nous ne formons plus avec lui qu'un seul esprit. Vous avez mérité, dit-il, d'appartenir en propre au créateur du monde et d'avoir en possession propre celui-là qui sans aucun doute est la part et l'héritage des siens.
C'est une union sponsale accomplie. Mais pour nous, elle est, disons, à un état inchoatif. Il faut lui permettre alors de se développer, de s'épanouir pour que finalement le Créateur du monde, ce Verbe de Dieu par qui tout a été fait, qui a pris notre chair d'homme, pour que finalement nous ne fassions plus qu'un avec lui et lui ne fasse plus qu'un avec nous. On s'appartient mutuellement.
Alors, mes frères, je me permets de poser une seconde question : Avons-nous bien tout abandonné ? Non seulement ce que nous avions, mais aussi ce que nous pouvions avoir, tout ! C'est l'implacable logique du " tout ou rien ". Nous ne pouvons pas mettre quelque chose en balance avec la personne de notre Créateur.
Celui, dit-il, qui me préfère son père, ou sa mère, ou ses frères, ou ses soeurs, etc, même sa propre vie, et bien il n'est pas digne de moi. C'est dur, c'est presque cruel, cela, mais en fait, c'est extrêmement doux et c'est extrêmement vrai parce que dès l'instant où j'abandonne tout cela, où je donne la préférence exclusive à mon Créateur présent dans la personne du Seigneur Jésus, à ce moment-là je reçois en retour et mon père, et ma mère, et mes frères, et mes soeurs, et cela dans une infinitude qui ne fait jamais que se dilater et s'élargir.
Alors, mes frères, Saint Bernard nous demande aujourd'hui : Allons, soyons sérieux, où en êtes-vous ? L'union sponsale que lui a atteint ? Pour lui, le moine est une anima sponsa Verbi, c'est une âme qui est devenue épouse du Verbe de Dieu et qui alors commence à lui enfanter des enfants.
Eh bien cette union sponsale, elle est à notre portée comme elle était à la sienne. Mais pour cela, nous devons croire d'une foi qui nous empoigne et qui nous fait nous vider de tout et de nous-mêmes. C'est la condition sine qua non et, vraiment aujourd'hui, Bernard nous met au pied du mur.
Mais il ne faut pas que ça nous secoue un peu maintenant et puis que, dans deux ou trois jours, les impressions nouvelles auront chassé tout ça. Non, nous sommes ici vraiment à la racine de notre vocation monastique et cette racine, elle est gratuité. Certes, il y a un échange, comme le dit Bernard, un bon échange. Mais il n'en retire aucun avantage au plan terrestre, aucune réussite au plan humain. La seule réussite ambitionnée, c'est cette union sponsale avec le Seigneur Jésus.
Alors, mes frères, nous travaillons à la restauration de notre église qui sera consacrée un jour qui paraît si éloigné au fur et à mesure qu'on avance. Mais ce n'est qu'une illusion car en fait il se rapproche. Mais nous voulons que tout soit bien achevé, que tout soit bien propre, que tout soit net au moment où nous demanderons à l'Esprit Saint de descendre sur notre église et sur notre autel.
Mais alors vous voyez, je suis toujours aux questions et je me demande : à quoi bon consacrer notre église de pierre si le temple de notre coeur ne l'est pas vraiment. Or, ce qui consacre le temple de notre coeur, ce qui attire en lui l'Esprit de Dieu qui y établit sa demeure - et avec l'Esprit, c'est la Trinité toute entière - eh bien c'est la vérité, l'authenticité de notre foi.
Encore une fois, il ne s'agit pas d'une foi spéculative mais de la foi théologale qui nous unit à la personne même de Dieu, qui permet alors aux forces, aux énergies divines d'agir en nous et petit à petit de nous transfigurer jusqu'à ce que nous soyons vraiment aussi un temple de beauté.
Alors, mes frères, en conclusion, puisse le Seigneur ainsi prendre possession de chacun d'entre nous, prendre possession de notre communauté qui est un corps, le Corpus monasterii. Et alors, il pourra alors vraiment en toute vérité prendre possession de notre église parce que nous serons tout entier à lui, et lui sera tout entier en nous.
Alors voilà, c'est mon souhait pour la fête de demain et, je vous demande de vouloir bien aussi demander cette grâce pour le pauvre Père que je suis.
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Mes frères,
La lumière que Saint Bernard a déversée sur nous le jour de sa fête n'est pas encore éteinte. Si seulement elle pouvait sans fin briller dans notre coeur.
Aujourd'hui, nous allons à nouveau contempler sa splendeur et nous la laisserons nous pénétrer. Je la retrouve dans quelques mots de la lettre adressée par Saint Bernard à Henri Murdac. Nous avons déjà parlé de cette lettre. Bernard était âgé d'environ 35 ans à cette époque. Il dit ceci :
Tu peux en croire mon expérience, tu trouveras dans les forêts quelque chose de plus que dans les livres. Le bois et la pierre t’enseigneront ce que tu ne pourrais pas apprendre des maîtres les plus experts.
Mes frères, Saint Bernard connaît donc un savoir mystérieux qui ne se trouve ni dans les livres, ni sur les lèvres des professeurs. La science livresque, la science cérébrale est uniquement charnelle. Elle n'a pas accès au monde de l'Esprit, elle n'a pas accès au monde de Dieu et elle disparaît en même temps que la chair. On ne l'emporte pas avec soi.
Par contre, comme le dit ici Saint Bernard, la science infuse par Dieu dans le coeur, elle se trouve dans les bois et dans la pierre. Cela signifie que ces matériaux les plus simples et les plus nobles sont chargés d'une énergie qui est proprement divine car le Verbe de Dieu, donc le Christ Jésus, les habite. Il leur donne consistance, il leur donne vie car la pierre vit, et le bois vit.
Nous devons donc être éveillés à cette présence de Dieu dans la matière et la laisser exercer sur nous une influence bénéfique. Naturellement, pour découvrir cette présence, il faut se dépouiller de toute prétention, de toute prétention intellectuelle, de toute prétention humaine.
Et, il faut l'accueillir avec un coeur d'enfant, un enfant qui regarde, un enfant qui touche. Les enfants touchent. C'est par le toucher que les enfants apprennent d'abord. Et puis, un enfant qui admire, un enfant qui laisse vibrer en lui ces énergies divines avec lesquelles il est en communion. Car Dieu le façonne lui aussi et il le met en symbiose avec tout son environnement.
L'enfant doit toucher, l'enfant doit apprendre en manipulant. Je dirais ici - ça me passe à l'instant à l' esprit - on trouverait là le bienfait de ce que aujourd'hui on appelle l'ergothérapie. C'est par le toucher que nous devenons nous.
Voyez un petit enfant de trois ou quatre ans, donnez-lui une feuille de papier et des crayons de couleur, il est au paradis. Il va commencer à tracer des choses qui vont peu à peu prendre forme. Il participe à l'oeuvre du Créateur.
Car le Créateur, que nous ne pouvons imaginer naturellement, mais nous pouvons tout de même essayer de saisir intuitivement par l'intérieur de nous, par notre propre expérience, ce qu'il a pu faire au moment où il créait. Eh bien, il a agit comme ça aussi comme un enfant.
Il y a eu des ratés, il y a eu des essais, il y a eu des reprises. Et finalement, c'est le chef d'oeuvre que nous connaissons aujourd'hui.
Eh bien, comme Saint Bernard l'a expérimenté lui-même, c'est en entrant en communion avec cette création que nous allons découvrir une science qui n'est pas inscrite dans les livres. C'est par tout nous que nous entrons en communion avec Dieu et tout de nous baigne dans la matière. Nous sommes nous-mêmes matière. C'est pour ça que le Verbe de Dieu s'est fait matière. C'est pour nous montrer la route que nous devons suivre pour aller chez Dieu.
Mais voilà, pour en arriver là, il faut faire preuve d'humilité. Il faut pousser cette humilité jusqu'à devenir un ignorant aux yeux des hommes, jusqu'à devenir un fou aux yeux des sages. La Sagesse inconnue qui est l'être même de Dieu n'est pas révélée aux savants, comme le dit le Seigneur, mais aux tous petits.
Alors, mes frères, il me semble qu'ici dans notre monastère, nous travaillons depuis un certain temps dans cette optique bernardine. Voyez, nous avons aménagé un jardin clos qui est surtout de pierres, qui est de terre, qui est de plantes, qui est d'arbres, qui est de fleurs. Et ce jardin est pur symbole de l'univers Trinitaire.
Et lorsque nous le visitons, lorsque nous le parcourons, lorsque nous reposons dans ce jardin, il suffit de le laisser agir sur nous pour apprendre qui est Dieu. Et cette science que nous aurons reçue, nous ne pourrons pas l'exprimer dans des mots, nous ne pourrons pas la couler dans des lettres. Mais nous saurons, comme nous saurons un jour lorsque nous serons dans le grand jardin clos qu'est le paradis.
Ce jardin est l'évocation du paradis qui était aussi un jardin clos avec une porte à l'entrée de laquelle Dieu a placé un ange avec un glaive tournoyant, une flamme de feu. Eh bien, dans le petit paradis qui est là-bas, il n'y a pas un ange qui en interdit l'entrée. Non, la porte est ouverte, c'est à dire que nous devons nous-mêmes ouvrir la porte.
Et alors, mes frères, ensuite nous avons reboisé notre environnement. Et cela, c'est aussi d'une importance primordiale. Cela, vraiment, c'est un projet à très long terme. Dans dix ans, nous en verrons déjà l'ébauche, dans vingt ans, dans cinquante ans, dans cent ans, eh bien nous aurons là vraiment cette forêt dont nous parle Saint Bernard.
Mais déjà maintenant en espérance, pour nous, nous pouvons laisser notre corps plonger dans la vie qui est là et qui est en train de pousser. Et nous pouvons déjà en espérance y toucher le Dieu Créateur qui y est omniprésent.
Et enfin, nous restaurons notre église dans le plus pur style monastique primitif. Il n'y a que pierre, il n'y a que bois qui deviennent nos maîtres, comme le dit encore Saint Bernard, et qui sont imprégnés de vérité et de beauté. Ces matériaux soulèvent l'âme, l'esprit et le coeur et les élèvent en Dieu. Laissez venir les choses, nous ne sommes pas encore au bout.
Nous sommes en train dans cette église de faire des découvertes que nous allons essayer, de nouveau encore, d'exprimer dans le matériau que nous utilisons. Des personnes extérieures au monastère sont déjà attentives à cette réalité et elles pourront sans doute nous aider à mieux les saisir afin de pouvoir mieux les vivre. Car nous n'avons pas le monopole de la science du bois et de la pierre. Nous devons aussi nous recevoir des autres et nous enrichir.
Eh bien voilà, mes frères, il me semble que notre Père Saint Bernard se retrouverait bien ici dans cet environnement qui, d'après son expérience, lui avait ouvert le coeur à une science secrète, mystérieuse, mystique, cachée.
Et voilà, nous avons reçu, nous, cette grâce. Nous l'avons comprise. Eh bien, laissons-là nous porter jusqu'au bout de l'intuition de Saint Bernard et par son expérience. Et ainsi, nous serons vraiment ses disciples, nous serons vraiment ses frères et cela dans la gratuité.
Car ce qu'il y a de beau dans cette science reçue des forêts, des arbres, des pierres, c'est la gratuité. Tout cela est là pour rien, c'est à dire pour Dieu et pour nous. Et nous devons nous-mêmes être aussi pour rien ; c'est à dire pour nos frères et pour Dieu.
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Mes frères,
Les vrais maîtres de la vie, ne l'oublions jamais, les vrais maîtres de la vie sont la vieillesse, la maladie et la mort. Voilà, et c'est vrai ! Nous devons toujours avoir cela sous les yeux - Saint Benoît nous le dit - tous les jours, tous les jours.
Et maintenant, voyez notre frère Bonaventure : il est là et il va mourir. On nous a lu ce midi l 'histoire de ce frère qui avait attendu le retour de son Abbé pour mourir. L'Abbé de Rancé avait quitté l'assemblée pour revenir chez lui parce que ce frère était à toute extrémité. Et le frère avait tenu.
Il a vu son Abbé et était transporté de joie, non seulement parce qu'il voyait son Abbé mais parce que enfin il allait pouvoir mourir, c'est à dire partir totalement chez Dieu. Voyez un peu le bonheur de ce frère, quelle grâce il a reçue.
Et le frère Bonaventure, lui, il va mourir comme ça sans rien savoir. Donc, mes frères, nous devons être prêts à mourir. Attention, lui l'était. Nous le savons, c'était un très brave garçon, tout simple, sans malice, mais enfin !
Alors, je vous propose ceci : puisque le frère Bonaventure est comme ça tout à fait dans les nuages, qu'il ne sait plus du tout ni quoi ni rien, eh bien que nous soyons sa conscience maintenant. Et ce que lui ne peut plus faire, eh bien, que nous le fassions.
C'est à dire, que nous restions en présence de Dieu à le regarder, à l'admirer, et aussi à lui rendre grâce et à le supplier - parce que nous sommes tous des pécheurs - qu'il nous prenne en pitié et qu'il nous accueille chez lui. Donc, vivre le mieux possible, sans arrêt, en présence de Dieu, pour le frère Bonaventure qui n'est plus capable de le faire.
Si bien que lorsqu'il succombera à toutes ses maladies, qu'à ce moment-là nous puissions dire à Dieu : Voilà, maintenant c'est fait, nous l'avons ainsi accompagné jusqu'au bout. Et je pense que c'est le meilleur service que nous puissions lui rendre. Et moi, je vous l'assure, je m'en vais le faire et je compte que chacun d'entre nous pour sa part s'efforcera d'entrer dans ce que je propose maintenant.
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Mes frères,
Si vous le voulez bien, nous réfléchirons encore quelques instants sur la situation de notre frère Bonaventure. Je me demande si Dieu, à travers elle, ne nous adresse pas une parole prophétique ?
Notre frère ne sait plus lui-même s'il est mort ou s'il est vivant. D'un instant à l'autre, il peut rendre son dernier souffle et ce sera fini. Ce qu'il aura semé dans la chair s'en ira avec la chair dans la corruption. Ce qu'il aura semé dans l'esprit, c'est à dire dans l'amour, partira avec lui, le structurera, sera sa forme et sa vie pour l'éternité.
Donc, notre être véritable, c'est uniquement, uniquement notre être d'amour. Absolument tout le reste disparaît.
Lorsque nous regardons notre frère dans cet état, nous pouvons aussi comprendre une parole de notre Père Saint Benoît qui nous dit exclure, excommunier pour jamais toute forme de plaisanterie.
Quand on est dans un état, une situation pareille, quand on est devant un homme qui est en train là de périr misérablement, on ne peut pas rigoler. On est devant quelque chose d'extrêmement sérieux, ce qui a de plus sérieux en cette vie, le passage d'un homme d'un état de vie biologique à un état de mort biologique.
Mes frères, Saint Benoît nous dit aussi que nous devons toujours avoir la mort présente devant nous, notre propre mort, la mort des autres.
Eh bien, mes frères, nous l'avons présent devant nous maintenant dans la personne de notre frère Bonaventure. Donc, un moine qui est attentif à sa propre situation et à son véritable avenir qui est la fosse, c'est à dire le terre, le tombeau, un tel homme ne peut pas être un homme de plaisanterie. C'est beaucoup trop sérieux.
Si je plaisante, si je rigole, c'est bien la preuve que je vis en dehors de moi. C'est la preuve que je ne suis pas encore parvenu à être un moine ! Car un moine, depuis l'origine, c'est un homme qui fait attention. C'est un neptique, il veille, il est éveillé. Et il est éveillé à quoi ?
Mais il est éveillé d'abord à son propre sort. Il est éveillé à Dieu certes, mais en étant éveillé à Dieu, il est éveillé à lui, à ce qui va lui arriver, à ce qui lui arrive déjà parce que les forces d'entropie sont déjà en train de le désagréger. Et en même temps, les énergies de vie éternelle sont déjà en train de le transfigurer.
Attention ! Ce n'est pas un retour sur soi, ce n'est pas une introspection ! Non, c’est autre chose, c'est l'attention au projet de Dieu. Voyez tout ce que nous pouvons entendre de la bouche muette de notre frère !
Il n' y a qu'une seule chose qui compte dans le monastère - mais dans la pratique concrète de tous les jours - c'est la vision du Christ ressuscité, vision dans la foi, une vision qui est de tous les instants, qui doit être de tous les instants.
Il y a les distractions, c'est absolument sûr ! Elles sont inévitables, elles sont liées à notre fragilité. Mais il arrive un moment où la puissance de l'Esprit dans le coeur fait que au-delà des distractions, il y a toujours l'attention à cette présence vivante et agissante du Christ ressuscité.
Et alors, à partir de là, il y a cette métamorphose qui s'opère et qui peu à peu purifie le coeur. Si je vis comme cela suprêmement attentif à cette beauté du Christ ressuscité qui a bien promis : je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. Donc, il est avec chacun d'entre nous comme si nous étions seuls au monde.
Eh bien à ce moment-là, sans que je le sache, cela se fait tout seul. La lumière qui vient de lui vers moi pénètre en moi et transfigure mon coeur. A ce moment-là, petit à petit tout ce qui est contraire à la charité, tout ce qui fait obstacle à l'amour est évacué. Si bien que ne monte du coeur que des pensées de bienveillance, des pensées d'accueil, des pensées de compréhension, des pensées d'indulgence, des pensées de douceur, tout ce qui fait la beauté et l'attrait d'une vie en commun.
Et c'est à partir de cette réalité profonde que nous allons tous ensemble constituer un Corps car, ce qui se passe en moi se passe en chacun des autres et nous rassemble, et nous soude en un seul être. C'est cela une communauté monastique, ce Corpus dont parle Saint Benoît, dont le Christ est la tête et dont l'Esprit Saint est l'âme.
Mais voilà, mes frères, voyez tout ce que nous pouvons encore apprendre de notre frère qui n'a jamais eu l'occasion de prendre la parole en public. Eh bien voilà, je pense qu'il le fait maintenant par ma pauvre bouche. Et son message, son dernier message, nous sommes heureux de l'accueillir. Et voilà, nous remercierons.
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Une communauté monastique, mes frères, le corpus monasterii est étroitement lié à Dieu qui accomplit en lui son projet. Nous voyons donc un Corps et, Dieu a un plan sur ce Corps, non seulement sur les frères qui le composent mais sur le Corps comme tel.
C'est ainsi que chaque communauté monastique a sa physionomie. Ce n'est pas interchangeable. Il y a une saine diversité entre les différentes communautés. C'est une richesse car l'Ordre entier constitue aussi un Corps. Et ce Corps doit être le lieu où se manifeste le Royaume de Dieu.
Dans le fond, c'est cela le projet de Dieu : qu'il y ait dès maintenant sur la terre une présence de son Royaume, c'est à dire de lui dans son Incarnation, de lui en train de métamorphoser la matière, car c'est là qu'il veut arriver.
Cette après-midi après None, j'ai été faire un petit tour. Je suis passé dans le jardin clos et je me suis assis 5 minutes là. Et je voyais des papillons, et je voyais un épervier au-dessus. C'était magnifique cette danse de l'épervier. Et je voyais les plantes, les arbres ; je voyais le bois ; je voyais la pierre ; je voyais tout et je me disais : je suis parent avec tout ça !
Nous sommes de la même famille, nous sommes de la même race car je suis matière et je retournerai à la matière. Mais la partie de moi qui aura aimé, qui aura été en communion avec les autres hommes, qui aura été en communion aussi avec toute la création de Dieu, cette partie de moi est éternelle et déjà, elle est en train d'être transfigurée, d'être divinisée.
Et c'est cela le monastère ! C'est un endroit où se révèle aux hommes la présence de Dieu et de son Royaume. C'est donc un lieu où on s'aime. C'est un lieu qui est la parousie de l'amour. Le monastère n'a pas d'autres raisons que celle-là.
Une autre Congrégation, elle a un but apostolique. Nous autres, nous n'avons rien d'autre que d'être manifestation de l'amour. C'est un lieu où des hommes s'aiment, où ils donnent leur vie les uns pour les autres, où ils se reçoivent les uns des autres.
Et la communauté, le Corps, part d'un état de péché pour arriver à un état de sainteté. La communauté est donc porteuse d'un projet long, très long. Elle doit faire preuve de patience, de persévérance, de confiance, d'endurance. Nous devons nous porter les uns les autres. Il y en a qui sont plus forts, il y en a qui sont plus faibles. Il y en a qui courent plus vite, il y en a qui sont plus lents.
Mais ça ne fait rien. Nous devons tous nous rencontrer, nous soutenir, nous porter et il ne faut pas qu'il y en ait un qui arrive avant les autres. 'est le Corps comme tel qui entre dans l'univers de Dieu et qui manifeste cet univers.
Voilà, mes frères, pensons à cela si vous le voulez bien, parce que nous touchons vraiment ici l'essence de notre vie. Et encore une fois, nous voyons bien que un gouvernement démocratique où il n'[13]y a pas de projet à long terme n'est pas adapté à ce Corps qui grandit, dont la tête est déjà dans le ciel mais dont les pieds sont encore sur la terre.
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Mes frères,
Dans un mode démocratique de gouvernement, l'autorité réside dans la nation. La nation exerce cette autorité par l'entremise de représentants qu'elle s'est choisie, d'un gouvernement que ces représentants ont constitué et qui va diriger les choses pour le bien de l'ensemble.
Il en va pas ainsi dans une communauté monastique. La communauté monastique n'est pas détentrice de l'autorité. Celle-ci lui est extérieure. Elle réside toute entière dans la personne du Christ Jésus qui gouverne son Corps comme il l'entend, suivant un projet que lui seul connaît et auquel chacun à l'intérieur de la communauté est invité à collaborer. Nous sommes donc tout à fait aux antipodes d'un régime démocratique.
Ce n'est pas non plus une théocratie. C'est infiniment différent de toute forme humaine de gouvernement. Nous avons dans la façon de conduire une communauté monastique l'analogue de ce qui se vit à l'intérieur de la Trinité. Ce mode de gouvernement est étranger à toute forme de pouvoir exactement comme entre les trois personnes de la Trinité. Et c'est là un mystère de foi. Creditur dira Saint Benoît, là est la hauteur sur laquelle nous devons nous élever pour comprendre.
Oui, le Christ exerce son autorité par le moyen d'un lieutenant qui est l'Abbé. Les frères doivent le croire et surtout, l'Abbé doit le croire. Ce n'est pas parce qu'il a été choisi par les frères qu'il possède une autorité quelconque. Non, il n'en possède aucune. Toute son autorité lui vient de la personne du Christ.
Et, c'est la raison pour laquelle il gouverne par abdication de soi, donc renoncement à soi, par abnégation, par humilité. Il est au service des frères, il est le dernier de tous, il est en dessous de tous. Pourquoi ? Mais parce que il doit les porter tous. Or, celui qui porte est toujours en dessous. Celui qui est au-dessus, il écrase. Dieu n'écrase pas ; Dieu s'efface ; Dieu se rend invisible. Dieu se rend comme inexistant parce qu'il porte chacun des hommes. Même chacune des parcelles de sa création, il la porte.
Mes frères, ce n'est pas seulement, disons, le fait de l'Abbé cette humilité poussée à l'extrême, ce devrait être le fait de chacun des frères comme Saint Benoît vient de nous le rappeler. Les hommes qui composent une communauté monastique sont au service les uns des autres quelque soit l'emploi qu'on ait reçu. Tout dans une communauté est service, C'est le servitium caritatis, c'est le service de la charité. J'aurais l'occasion d'en dire un petit mot demain à propos de Saint Bernard.
Alors, mes frères, tous doivent s'efforcer de connaître toujours mieux le projet de Dieu sur soi, sur la communauté et y entrer. Personne ne peut avoir un projet personnel c'est à dire, disons, individuel plutôt. Si ça se présentait, alors ce frère ne serait pas un vrai moine, ce serait un sarabaïte comme dit Saint Benoît, quelqu'un qui est là pour profiter des autres et construire quelque chose qui va répondre à ses instincts égoïstes, égocentriques.
Non, la devise de chacun en communauté doit être, comme le dit Saint Benoît ut in omnibus glorificetur Deus, 57,19, pour que Dieu soit glorifié en toute chose, à commencer par le coeur du moine qui doit être aux yeux de Dieu d'abord, et puis peut-être des frères, qui doit être la révélation de ce que Dieu est.
Donc, mes frères, je pense que maintenant nous avons bien compris qu'une communauté monastique ne peut être régie comme l'est une démocratie dans le monde.
Et au plan pratique, maintenant ? Eh bien, il y a des choses qui à mon avis ne doivent pas se faire et qui pourtant se font dans certaines communautés. C'est ceci par exemple :
Vous avez des communautés où on établit ce qu'on appelle une tournante. C'est à dire que chacun reste deux ans dans le même emploi, et on tourne, et on tourne. Pourquoi ? On dit que personne ne s'attache ainsi à son emploi et que, en outre, comme ça chacun est au courant de tout, interchangeable.
Oui, tout ça, ce sont des vues humaines. Mais dans la pratique le résultat - même si c'est efficace, s'il y a une efficacité au plan humain - dans la pratique personne ne s'engage parce qu'il faudra tout de même un peu après que je change. On ne sait pas faire des choses à long terme parce que le suivant va faire autre chose. Cela met de la vie dans la communauté, peut-être ?
Mais alors on reste à un niveau humain et ce n'est pas vraiment alors la personne du Christ qui a un projet sur les personnes, sur le Corps comme tel, et puis qui lentement le fait avancer. Il n'y a pas de projet à long terme. Ce sont toujours des projets à court terme, deux ans. Il faut dire que cela répond à la mentalité d'aujourd'hui très, très fort.
On m'a encore cité un exemple aujourd'hui : on va acheter aujourd'hui dans le domaine de l'électronique, de la robotique, on va acheter un appareil. Mais on doit bien savoir que au plus tard dans deux ans, il sera totalement déclassé. Il y aura quelque chose d'autre. Cela change, cela change. C'est la société de consommation : toujours mieux, toujours mieux, toujours plus perfectionné. Et voilà, quand c'est consommé, on le jette et on prend autre chose.
Voilà, mes frères, ce n'est pas comme ça dans une communauté monastique, ni dans notre vie personnelle, ni entre nous. Et demandons à Dieu de nous faire comprendre que nous sommes ici pour lui d'abord. Et c'est dans la mesure où nous vivons pour lui que nous entrons dans son projet, que nous nous laissons régir par lui, que nous nous épanouissons et que nous réussissons vraiment notre vie.
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Mes frères,
Nous allons découvrir une magnifique illustration de ce chapitre que Saint Benoît nous a fait cadeau ce matin et qui est un des plus beau de sa Règle. (72°). Nous allons trouver cette illustration dans une lettre de notre Père Saint Bernard. Il l'a écrite vers 1124 à un certain Oger qui était Chanoine Régulier d'Argouès. C'est encore une congrégation différente de celle des Prémontrés.
Nous allons à travers les mots de notre Père Saint Bernard pouvoir palper ses profondeurs, les secrets de son coeur, son âme de contemplatif. En 1124, il est âgé de 34 ans et est déjà Abbé depuis près de dix ans. C'est encore un bon gamin, mais vous allez voir ce qu'il pouvait écrire. C'est un tout petit extrait que je vous donne :
Que nos esprits se reposent de dicter - ingenia –
parce que pour dicter une lettre, il faut beaucoup réfléchir, il faut être ingénieux.
nos lèvres de converser, nos doigts d'écrire, nos messagers de courir,
les messagers monastiques qui portent les lettres.
mais que nos coeurs ne se reposent pas de méditer jour et nuit sur la loi du Seigneur qui est la charité. Plus nous nous reposons de cette occupation, moins nous sommes en repos ; plus nous nous y appliquons, plus nous nous sentons tranquilles (c'est à dire en repos). Aimons et soyons aimés. Songeons à cela en nous-mêmes, en ceci à nos amis.
En cela, cela veut dire à aimer ; en ceci, à être aimé.
Car nous, nous trouverons assurément la paix en ceux que nous aimons et nous la préparons en nous à ceux qui nous aiment. Or aimer en Dieu, c'est avoir la charité. S'attacher à être aimé à cause de Dieu, c'est servir la charité.
Nous voyons, mes frères, que Saint Bernard avait un coeur sensible, avide d'aimer et d'être aimé, mais pas n'importe comment. Aimer en Dieu et pour Dieu, aimer déjà de l'amour qui sera notre respiration lorsque nous serons tous réunis dans la création nouvelle.
Ce qui compte pour Bernard, c'est le triomphe de la caritas, de l'amour qui est Dieu. Tout dans notre vie doit être subordonné à cet objectif unique. Bernard ne connaît qu'une loi du Seigneur, l..? Domini, c'est une allusion au Ps 1. Et cette loi du Seigneur, c'est la caritas, c'est la charité, c'est l'amour.
Et nous devons ruminer cette loi jour et nuit. Donc nous devons jour et nuit nous employer à scruter la charité, à essayer de voir en quoi elle consiste. Et en la ruminant, nous unir à elle pour que nous puissions nous-mêmes devenir charité, que se montent en nous des réflexes qui soient toujours des réflexes d'amour.
Nous devons nous-mêmes devenir charité et puis alors éveiller à cette charité le coeur des autres. Comment ? Mais par l'exemple. Pas par les paroles, parce que les paroles, il se glisse tellement de recherche de soi et de vanité dans nos discours, mais par l'exemple. En aimant l'autre, je vais éveiller en lui le désir et le besoin d'aimer.
Saint Bernard joue sans arrêt sur des mots, les mots latins quiescere, quietus, quies, c'est à dire se reposer être en repos, le repos, la tranquillité, la paix. C'est un jeu de mots qu'il est impossible de rendre en français. Et alors, il nous demande de donner congé à nos esprits, à nos lèvres, à nos doigts, à nos messagers, donc à toute notre agitation, à tout ce qui en nous est comme un besoin de nous exprimer. Et dans le fond, est-ce vraiment nécessaire ? N'est-ce pas de la perte de temps ? Voilà ce qu'il se demande ?
Mais par contre, il est une occupation dont notre coeur ne devra jamais cesser, jamais quiescere comme il dit, c'est de méditer sur la Loi du Seigneur, cette Loi de Dieu qui est la charité. Seul l'amour qui est Dieu apporte au coeur et au corps le repos. C'est bien ainsi !
Et alors, il Y a chez Saint Bernard une dialectique entre le repos dans l'amour donné et dans l'amour reçu, car l'idéal est d'être aimé autant que d'aimer. C'est ce que Dieu attend de nous : que nous l'aimions comme il nous aime. Et c'est ce que nous devons attendre les uns des autres dans une communauté monastique qui forme un Corps.
Toute vie gravite autour de cet amour dont la source est Dieu, dont le terme est Dieu, cet amour qui est Dieu dans son mystère. Aimer en Dieu, dit-il, c'est avoir la charité. On l'a, elle est devenue notre bien, elle constitue notre être le plus vrai.
Maintenant s'attacher à être aimé à cause de Dieu, c'est servir la charité. C'est être à son service.
Attention ! Nous ne nous attacherons pas à être aimé à cause de Dieu en distribuant des petits cadeaux pour nous faire des amis, ou bien en allant faire parlotte pour essayer de conquérir le coeur des autres. Non, tout ça, c'est de la chair, c'est du charnel, ce n'est absolument rien du tout.
S'attacher à être aimé à cause de Dieu, c'est servir la charité. Encore une fois, c'est en me mettant au service de cette charité, en aimant vraiment que je vais apprendre aux autres à aimer et que finalement je serais moi-même aimé à cause de Dieu. Voyez cette communion, cette vie qui circule entre les membres d'une communauté et qui les soude en un seul Corps.
Si bien que le but de toute vie, c'est le service de la charité. Le monastère, comme le dit d'ailleurs Saint Benoît, c'est une schola caritatis, c'est une école où on apprend la charité, où on apprend à aimer. Et on n'a jamais fini d'apprendre et de se perfectionner.
Je pense même que ce sera l'essence de notre béatitude éternelle, c'est de ne jamais cesser à apprendre à aimer. On peut toujours croître dans la charité puisque la charité est Dieu. Et nous n'aurons jamais fini d'épuiser cette charité qui est Dieu.
Et au terme, mes frères, notre unique occupation doit être d'aimer. C'est Saint Jean de la Croix, je crois, qui a dit cela. Maintenant, dit-il, je n'ai plus d'autre occupation que d'aimer. Et le jour où nous pourrons dire ça à notre tour, je pense que vraiment nous serons heureux et que rien ne pourra troubler notre bonheur, notre paix, notre tranquillité, notre repos. C'est ça quiescere, se reposer, c'est avoir pour unique occupation : aimer.
Alors, se laisser aimer de Dieu, mes frères ? En nous laissant aimer de Dieu, nous apprendrons nous-mêmes à devenir amour. Et c'est tout simplement d'épouser tous ses vouloirs. Il ne fait que ça. Il ne fait que nous solliciter pour que nous l'écoutions, pour que nous nous laissions aimer, pour qu'il infuse en notre coeur sa propre vie qui est amour.
Mes frères, cette obéissance - voilà, appelons-là par son nom c'est le seul moyen d'apprendre nous-mêmes à aimer et de préparer pour les autres un lieu de repos dans notre coeur. Car il me semble que c'est vraiment beau lorsque les autres peuvent trouver dans notre coeur un lieu où ils ne seront jamais trahis, où ils ne seront jamais trompés, où ils seront toujours aimés.
Mais voilà, pour en arriver là, nous devons nous-mêmes savoir ce que c'est qu'aimer. Il y a là une sorte d'apprentissage mutuel. Et essayons alors, si vous le voulez bien, de faire confiance à notre Père Saint Bernard et comme il le dit, jour et nuit ne jamais relâcher notre occupation qui est de méditer sur la qualité de la charité.
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Mes frères,
Le dimanche de notre récollection doit être pour chacun de nous un jour de lucidité. Nous devons porter sur nous-mêmes un regard venu d'ailleurs, un regard venu des profondeurs de l'amour, le propre regard de Dieu. Et pour cela, nous devons permettre à Dieu d'habiter nos yeux comme il habite notre coeur.
La lucidité n'est pas vaine complaisance, elle n'est pas non plus complicité cynique. Elle est vérité entière, elle est vérité libérante parce qu'elle infuse en nous une vie nouvelle, la propre vie de Dieu, la vie éternelle.
Si vous le permettez, je vais parler à la première personne, c'est plus facile. Je parlerai au nom de chacun et je serais ainsi la voix de notre conscience, la vôtre et la mienne.
Si je me regarde, je m'aperçois que je vis à l'intérieur de frontières qui délimitent un territoire dont je suis le seul et unique souverain. Là, je suis à l'abri des incursions étrangères et je connais la paix. Non pas la paix que le Christ donne, mais ma paix à moi. Et cela se traduit par une expression que tout le monde connaît : « Qu'on me fiche la paix ! » . Ma paix, je la connais, c'est celle-là que je préfère. Tout autre forme de paix m'inquiète et je préfère la tenir à l'extérieur.
Il est donc à l'intérieur de moi des zones que personne ne peut toucher sans déclencher les ripostes les plus violentes. Que voulez-vous, je protège mes frontières, je protège l' inviolabilité de mon moi. Certes, la civilité autorise des échanges, elle les favorise même, mais à l'extérieur de ces fameuses frontières, dans des régions neutres, dans des zones de touristes.
Mes frères, un Abbé avisé sent jusqu'où il peut aller trop loin dans la relation avec les frères. Il touche les frontières. Il essaye parfois, non pas de les forcer, mais de les tester. Tout cela c'est affaire chez lui de jugement, de bienveillance, de patience, de charité.
Maintenant un moine accompli, un moine qui a réussi sa vie, c'est un homme qui n'a plus de frontières. Il est devenu une ville ouverte, un espace immense dans lequel on peut s'enfoncer à l'infini en parfaite sécurité sans craindre des représailles. Un tel homme peut tout entendre sur lui et sur les autres. Il peut tout supporter, il peut tout croire, tout espérer, tout endurer.
Vous avez déjà compris, mes frères, que l'Apôtre Paul était un homme de ce genre. Il n'y avait plus chez lui de frontières. Et naturellement avant lui, bien avant lui, un être qui lui n'a jamais connu ces frontières, c'est la Vierge Marie. C'est pourquoi elle a pu recevoir en son sein celui qui ignore absolument les frontières, son propre Dieu.
Voyez, mes frères, l'échelle que nous devons gravir, où plutôt que nous devons descendre. Du haut de notre suffisance, du haut de nos peurs, nous devons lentement descendre la fameuse échelle de l'humilité, toucher nos profondeurs et là, savoir qui nous sommes et ne pas en être effrayés. Mais alors dans une lucidité nouvelle nous offrir à Dieu pour qu'il démantèle, pour qu'il dissolve nos fameuses frontières.
Car le moine qui est arrivé au sommet de sa vie, il était comme les autres. Il avait aussi dressé des frontières. Il ne valait pas mieux que n'importe qui. Mais voilà, il a permis à Dieu, à l'Esprit de Dieu qui est lumière et qui est amour de travailler en lui et de tout disloquer.
Il lui a semblé mourir car toutes ses sécurités s'évanouissaient. Il était exposé tout nu à tout ce qui pouvait arriver de l'extérieur et de l'intérieur. Il lui semblait parfois qu'il allait vraiment être broyé, être écrasé. Mais il n'a pas hésité, il n’a pas reculé, il a fait confiance.
Et voilà, en s'abandonnant à cet agir mystérieux, il a comme ressuscité. Il est entré dans un univers qu'il soupçonnait mais qu'il ne connaissait pas. Et maintenant il est libre n'étant plus barricadé l'arme au poing. Etant débarrassé de toute peur, il connaît la joie sans pareille de la liberté de l'esprit.
Son royaume qui était minime à l'intérieur de ses toutes petites frontières, un royaume qui était toujours aux aguets et qui était toujours miné par la peur, voilà que ce royaume s'est enfin dilaté, que les frontières ont disparu.
Et maintenant, il est élargi aux dimensions du monde. Cet homme peut enfin aimer sans mesure et sans fin. Plus rien ne l'agresse, absolument plus rien. Il est pur accueil et pur don à la manière de Dieu.
Mes frères, si nous regardons la Vierge Marie, nous pouvons pressentir ce que signifie cette liberté, nous pouvons la toucher du doigt. Lorsque nous la voyons au pied de la croix, elle ne dit rien, elle ne se révolte pas. Elle souffre, elle souffre atrocement comme jamais mère n'a souffert ici-bas. Mais elle est là, elle n'a aucune frontière.
Et tout ce que Dieu demande là à son fils, tout ce que Dieu lui demande à elle, et bien elle accepte. Elle entend les sarcasmes et les moqueries de tous ceux qui entourent, mais elle ne bronche pas. Elle n'est pas agressée, elle est au-delà, elle est libre.
Mes frères, Marie dont nous allons fêter la naissance dans quelques jours, elle est notre mère et elle veut nous enfanter à cette merveille de la liberté parfaite, à cette merveille de l'amour qui n'a plus de frontière, à cette merveille d'un coeur qui est dilaté et qui se dilate sans fin parce que il devient de plus en plus capable d'aimer.
Alors si vous le voulez, nous pourrons lui faire plaisir, à Marie, et c'est le plaisir de croire qu'elle est capable de nous enfanter à cet univers merveilleux qui était le sien. Nous allons lui demander d'enlever de nous toute peur et puis tout réflexe de défense pour que nous soyons vraiment ouvert à tout ce que l'Esprit de Dieu nous demande et que, comme elle, nous puissions un jour que nous espérons très proche jouir de cette liberté qui était sienne et qu'elle veut partager sans réserve avec nous.
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Mes frères,
Nous venons de l'entendre : on peut faire route avec Jésus et ne pas être son disciple. La qualité de disciple exige un plus qui est un absolu de préférence. Mais attention, les paroles de Jésus sont piégées si on les entend dans un sens bassement charnel. Elles doivent être comprises dans leur sens spirituel profond. Et ce sens, le voici :
Adopter le tout de Jésus en devenant son disciple, c'est adopter le tout de Dieu et entrer dans une logique nouvelle qui, ne l'oublions jamais, est celle d'un amour poussé à son extrême. Devenir disciple de Jésus, c'est entrer à l'école de l'amour, ce qui entraîne la mort à toute forme de possession et d'égoïsme. Le disciple de Jésus est donc appelé à être le témoin d'un amour qui est Dieu lui-même.
Il opère ainsi un échange merveilleux auquel tout le monde gagne, lui d'abord et puis ses proches qui ne sont plus aimés pour ce qu'ils apportent. Ils sont aimés gratuitement pour eux-mêmes tels qu'ils sont et tels qu'ils seront et cela, dans un respect, dans une délicatesse qui les valorise, qui les épanoui, qui leur donne un bonheur insoupçonné, un bonheur qui est déjà l'avant-goût du bonheur qui nous unira tous lorsque après la résurrection nous serons ensemble dans la création nouvelle.
Tout est donc affaire d'équilibre, de discrétion, de choix dans une lumière qui est Dieu lui-même habitant le coeur et lui inspirant le meilleur. C'est une entreprise magnifique, mais il s'agit de bien réfléchir avant de s'y engager. L'enjeu en effet est énorme. Il ne s'agit pas en effet de lâcher prise après s'être engagé. Il faut aller jusqu'au bout du don de soi, jusqu'au bout de l'amour.
C'est le sens de la parabole de la tour inachevée et du roi qui part en guerre. Il faut s'asseoir, il faut calculer, il faut s'informer, il faut prendre conseil, il faut prier et puis alors, en toute lucidité poser un choix qui sera de par sa nature irrévocable. Mieux vaut ne pas commencer que de caler en route. On ne peut jouer à la légère avec les siens, avec soi-même, avec Dieu en fin de compte. Et même si au terme on expérimente une métamorphose extraordinaire en soi et rayonnant à partir de soi sur les autres, il y a au départ un renoncement à tout qui est une véritable ..?. Inutile donc de se lancer dans une telle aventure si on n'y est pas nettement appelé.
Il existe aujourd'hui des situations extrêmes comme les persécutions ouvertes ou occultes que connaissent certains chrétiens, tant de chrétiens même en divers pays. Pour eux, vous le comprenez, les paroles du Christ sont brûlantes comme une fournaise.
Eh bien, mes frères, au cours de cette Eucharistie, demandons au Seigneur de nous donner la grâce de vivre chacun à notre place la vérité de notre foi.
Amen.
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Mes frères,
Voici un extrait de notre Règle - Pr.60-80 - que devait aimer l'Abbé de Rancé. Il n'y allait pas par quatre chemins lorsque il s'agissait de corriger un frère et de l'enfoncer dans l'humilité. Mais les hommes qui habitaient ce monastère de la Trappe, il faut bien les comprendre. Ils étaient soutenus, ils étaient portés par un besoin, un désir lancinant de faire pénitence.
Beaucoup étaient allés jusqu'au bout du crime et ils voulaient maintenant aller jusqu'au bout de la conversion quoiqu'il leur en coûte. Nous n'avons pas à les juger, ni eux-mêmes, ni leurs manières de vivre. Ils étaient profondément marqués par l'esprit de leur temps très différent du nôtre.
Mais attention ! Gardons-nou's tout de même de transposer aujourd'hui ce qui était plus ou moins normal à leur époque. Nous ne devons pas les copier. Nous devons simplement les admirer, les accepter et savoir qu'ils sont nos frères. Là-bas, ils sont dans la création nouvelle et nous autres, nous y entrons tels que nous sommes aujourd'hui, avec les moyens qui sont les nôtres aujourd'hui.
Et pourtant, il y a une chose qui me frappe et vous aussi certainement, c'est que dans la Culture laxiste et permissive qui est la nôtre, le sens du péché s'est émoussé au point de disparaître de bien des consciences.
Or, le péché est toujours un refus, c'est à dire un mauvais choix. On se choisit soi-même en priorité et en exclusivité. Les autres sont repoussés à la périphérie, ils deviennent inexistants ou bien ils sont utilisés. Au fond, tout péché a une saveur de meurtre.
Toujours le prochain est blessé par le péché, soit directement, soit indirectement. Même le péché le plus secret lèse le Corps tout entier. Il est bon de le savoir, nous sommes tous solidaires les uns des autres. Nous sommes tous les membres d'un seul Corps et ce que nous faisons de mal rend le Corps tout entier malade. Par contre, ce que nous faisons de bien lui donne un surcroît de santé, un sursaut de santé.
Mes frères, je pense qu'il y a là quelque chose dont nous devrions de plus en plus être pénétrés : nous sommes responsables les uns des autres. Je n'aurai pas seulement à répondre de ma conduite personnelle, j'aurai à répondre des effets qu'elle aura produit sur les autres, loin, très loin, pas seulement dans le monastère, mais jusqu'aux extrémités du monde.
Et encore quelque chose d'autre d'assez étrange, c'est que plus un homme s'approche de Dieu, plus il voit ses péchés. C'est vraiment paradoxal. Subjectivement le saint est le plus grand pécheur. C'est pourquoi il se sent coupable et il implore sans cesse son pardon. C'est la raison pour laquelle il ne peut pas se dissiper dans la vanité.
Cela ne veut pas dire que c'est un homme triste, que c'est un homme confit en dévotion. Non, le saint est un homme joyeux, la propre joie de Dieu le possède. Mais tout au fond de son coeur, là où personne ne peut entrer sauf l'Esprit de Dieu, là il pleure sans arrêt car il découvre la masse de ses péchés. Il ne reste pas cinq minutes sans commettre un péché, au moins en pensée. Il en a conscience et pourtant c'est un saint. C'est là quelque chose de vraiment paradoxal, dans le même homme les deux contraires se trouvent réunis.
Mais c'est, me semble-t-il, le retentissement de l'état qui était celui du Christ fait pécheur pour sauver la multitude. Ce n'est pas seulement son propre péché que le saint découvre, mais c'est aussi tout le péché des hommes dont il est complice, dont il est solidaire.
Et ce fut la situation du Seigneur Jésus, et ce doit encore être sa situation aujourd'hui. N'oublions pas qu'il est plus que jamais maintenant la tête de ce grand Corps qui est un Corps de pécheurs. Et c'est pourquoi il est infiniment compatissant, infiniment doux, infiniment ouvert à toutes les misères des hommes.
Les moines de la Trappe pensaient-ils à tout cela, je n'en sais rien ? Peut-être l'un ou l'autre ? Mais enfin, lorsqu'ils poussaient jusqu'à la dernière leur soif de pénitence, ils devaient tout de même bien sentir ce que leur situation était par rapport au Corps de l'Eglise et au Corps de l'humanité. Elle devait tout de même être assez spéciale: ils avaient à refaire en eux de la santé pour que tout le corps devienne meilleur.
Alors, mes frères, que pouvons nous retenir de ce que Saint Benoît vient de nous dire et de ce qui se passait à la Trappe au temps de Rancé ? D'abord, me semble-t-il, ranimer en nous le sens du péché, ce sens du péché qui n'est pas quelque chose d'innocent, donc le sens de ce refus, de ce mauvais choix que nous posons parfois.
Et puis, ne jamais juger ni mépriser les autres, cela va ensemble. Lorsque j'ai conscience du péché auquel je suis exposé, du péché que je commets, il m'est impossible de juger les autres et de les mépriser. Et puis, nous savoir solidaires de tous les crimes du monde. Je vous assure que aujourd'hui il s'en commet de toutes les catégories. Eh bien, nous en sommes solidaires.
Et enfin, mes frères, nous exercer à aimer et à aimer gratuitement : tout simplement aimer pour aimer. C'est cela l'amour. Il rayonne de lui-même. Comme dit l'adage : "Le bon (ce qui est bon) se diffuse de soi-même." Comme le soleil, voilà, il est là et il chauffe de lui-même sans rien attendre en retour. C'est cela l'amour. Nous devrions être chacun un petit soleil dans notre communauté.
Et alors encore quelque chose : nous ne devons jamais désespérer de personne, jamais. Voyez ces hommes de la Trappe ! Je vous assure que certains, nous l'entendons à la lecture au réfectoire, c'étaient tout de même de fameux brigands. Et voilà, maintenant on les traite de saints. Donc, ne désespérons jamais de personne et, à commencer par soi-même.
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Mes frères,
La Croix glorieuse que nous célébrons aujourd'hui est comme la synthèse de la vie monastique. Ne pensons pas à Rancé, ni aux pénitences effrayantes qu'il s'imposait à lui-même et à ses frères. Il s'agit de bien autre chose. La réalité est plus simple, elle est plus humaine, elle est plus belle.
La Croix glorieuse est aujourd'hui à l'intérieur de notre Culture, de notre quotidien transfiguré par l'amour. Si nous sommes lucides, nous savons que les événements de chaque jour sont le lieu où notre égoïsme reçoit des coups qui le conduisent insensiblement à la mort.
Il ne s'agit pas certes de souffrances spectaculaires mais d'un dépouillement parfois très douloureux qui se passe dans le secret du coeur et auquel on ne se refuse pas. La difficulté consiste à tenir sans se lasser, ni reculer, comme le dit Saint Benoît : elle consiste à persévérer dans la patience. Participons, dit Saint Benoît, par la patience aux souffrances du Christ, Pr.119.
On n'en finit pas, mes frères, de mourir à soi et d'être métamorphosé. Que veut réaliser Dieu ? D'un être centré sur soi, il veut faire un être ouvert à tous. Et il procède avec une science extraordinaire, unique qui est la sienne.
Il procède au démantèlement des frontières derrière lesquelles on se barricade. Et alors peut s'élever dans tout l'être - l'être spirituel, l'être sensible, l'être corporel - une grande, une énorme peur. Et cette peur se saisit de la personne et la broie toute entière.
Le réflexe alors, c'est de prendre la fuite. C'est pour cela que Saint Benoît dit qu'on ne doit pas reculer. C'est la raison pour laquelle les premiers moines demandaient à leurs disciples de rester à l'intérieur de leur cellule quoi qu'il arrive.
La croix sur laquelle Dieu lui-même est mort est synonyme de mort. On ne peut pas y échapper. Il faut oser le regarder en face et le dire. Un chrétien est un homme qui a accepté à l'avance d'être configuré au Christ mort sur une croix.
Cela ne veut pas dire que nous allons nous-mêmes subir ce genre de supplice. Mais nous ne devons pas nous étonner lorsque nous sommes comme poussés à l'intérieur d'une mort qui est une mort mystique, mais qui peut être plus pénible encore qu'une mort physique. Mais cette mort, elle est libération de soi et elle est entrée dans une vie nouvelle.
Mes frères, la croix est glorieuse parce qu'elle est la porte de la liberté et de la royauté. Celui qui ne se dérobe pas à son mystère finit par régner sur ses propres passions et à connaître la joie de ce que les Anciens appelaient la "petite résurrection".
Quand on est libéré de ses passions, mais on a le sentiment - qui n'est pas une illusion - d'être entré dans un univers qui est absolument nouveau, un univers à l'intérieur duquel on exerce une espèce de royauté. C'est cela le Royaume de Dieu !
Dans le Royaume de Dieu, tous les hommes sont rois. Il n'y en a pas un qui serait Dieu et puis qui commanderait aux autres, qui disposerait les choses selon son idée. Non, Dieu vit en chacun des hommes, la Trinité habite chacun des hommes, si bien que chacun des hommes est roi. Et chacun exerce cette Royauté.
Dieu ne veut absolument rien faire sans y associer ses enfants, les enfants que nous sommes. Alors, lorsque on a conscience de cela parce que on est passé à travers la mort, mais c'est le paradis sur terre. Eh bien, le monastère devrait être l'endroit où on fait cette expérience.
Il s'agit donc, mes frères, de permettre à Dieu d'achever en nous cette oeuvre magnifique de transfiguration. N'oublions pas que la Croix Glorieuse est quarante jours après la Transfiguration. Ne l'oublions jamais, les deux sont liées, les deux sont indissociables. La Croix Glorieuse est comme une apothéose de la Transfiguration et la porte de la Transfiguration en même temps.
Alors, mes frères, si nous avons été appelés au monastère, c'est pour cela et pour rien d'autres. Nous devons être les prémices de la transfiguration du cosmos. Nous devons être cela. Alors, nous avons à répondre à ce projet. Et y répondre par une obéissance confiante à ce que Dieu nous demande, c'est tout simplement faire notre devoir.
Alors, mes frères, puissions-nous aller ainsi jusqu'au bout de ce que Dieu attend de nous. Voyons un peu la confiance qu'il nous fait. Nous sommes des êtres de rien du tout, extrêmement fragiles, vulnérables, faibles, et puis tout au fond de nous pécheurs, égoïstes.
Et à partir de là, il veut faire une apparition de ce qu'il est. Mais pour y arriver, il faut passer par le tunnel de cette croix que lui a voulu emprunter, et le suivre. Il l'a dit : Il faut prendre sa croix et me suivre. Mais alors de l'autre côté, on débouche dans son univers à lui et, voilà, c'est là que nous sommes attendus.
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Mes frères,
Comme le frère Jean l'a dit ce matin en ouvrant l'eucharistie, la fête de ce jour, pas plus que celle de hier, ne peut être le prétexte à des effusions de sentimentalisme doloriste. Quand nous contemplons le Seigneur Jésus dans sa passion, lorsque nous admirons la force d'âme de Marie et sa souffrance, nous devons plutôt puiser dans leur exemple et dans la grâce qui les habitait la force d'assumer nous-même le quotidien dans tout son réalisme.
Le calvaire fut certainement le sommet de la souffrance de Marie. Mais nous ne devons pas oublier que cette Mère toute pure a dû gravir bien d'autres pics au cours de sa vie et que le glaive qui a été planté dans son coeur dès les premiers jours n'a jamais été retiré. Le Sage nous dit que la vie de l'homme est une militia, qu'elle est un combat perpétuel.
Et c'est bien vrai ! Mais cela, à condition de vouloir répondre aux visées de Dieu sur nous. Car il y a dans notre coeur des forces antagonistes : les passions, les démons et les pensées comme disent les Anciens. Il y a en nous des forces antagonistes qui s'opposent aux projets de Dieu. Et si nous voulons résister, c'est alors que les difficultés peuvent surgir et bien des souffrances. Mais voilà, Dieu veut nous introduire chez lui mais le péché nous cloue sur place.
N'oublions jamais, mes frères, que c'est le péché, le nôtre et celui des autres qui est la source de toute souffrance car le péché nous fragilise et il nous ôte une partie de nos moyens. Je suis même persuadé pour ma part que le péché peut être à l'origine de troubles physiques, de maladies, maladies psychiques, maladies physiques même.
Il faut dire que ce péché fait vraiment partie de nous puisque dès l'instant où nous apparaissons sur cette terre, il est déjà inscrit en nous en une tendance à nous écarter de Dieu. C'est ce qu'on appelle le péché originel.
Mais voilà, Marie, elle a souffert. Il est certain que après le Christ-homme, c'est elle qui a le plus souffert. Et pourtant, elle était sans péché mais elle vivait dans un environnement qui était infecté par le péché.
Rappelons-nous cet épisode qui nous montre la qualité morale des habitants de Nazareth puisque quand leur compatriote, leur parent s'est présenté à eux pour ce qu'il était, pour le prophète par excellence, ils ont voulu le mettre à mort. Ils ne pouvaient pas supporter ça.
Eh bien Marie, elle a vécu parmi ces gens. Et combien de fois n'a-t-elle pas été blessée dans son coeur si pur ? Nous ne le saurons jamais. Nous ne pouvons même pas l'imaginer, nous dont le coeur n'est pas pur. Elle devait vraiment être blessée chaque jour, et plusieurs fois par jour.
Mais enfin, ne faisons pas de sentiment, c'était sa vocation à elle comme c'était la vocation du Christ de prendre sur lui tous les péchés de l'humanité. Mais Marie souffrait et sa souffrance était innocente comme celle de Dieu. Et pour ma part, je suis persuadé que maintenant encore elle souffre. Il ne peut pas en être autrement. C'est la propre souffrance de Dieu qui continue à retentir en elle.
Eh bien, mes frères, à l'exemple de Marie, nous devons nous efforcer d'affronter les personnes et les choses telles qu'elles sont. Non pas telles que nous les voudrions, mais les accepter tout bonnement telles qu'elles sont avec leurs péchés, avec leurs impuissances, avec leurs frontières, avec leur agressivité, enfin vraiment avec leur moi préfabriqué et tout, et puis les événements aussi. Tout accepter comme Marie les acceptait.
Quand elle était là sur le calvaire, qu'elle voyait son enfant dans des souffrances absolument terribles, et qu’elle entendait toutes les moqueries des gens autour, elle n'a rien dit. Elle n'a jamais rien dit, elle n'a jamais répliqué. Elle n'a jamais cherché à se vengé, à se rattraper. Non, elle est toujours restée pure.
Eh bien, nous devons lui demander la grâce de partager avec elle sa douceur et sa compassion. C'est un pur cadeau. Nous ne pouvons pas, nous, avec nos propres forces arriver sur ces hauteurs. Non, mais nous devons nous ouvrir à ce cadeau qu'elle veut nous faire. Car n'oublions pas qu'au plan surnaturel, au plan de la vie divine, elle est notre mère, et bien réellement, non pas de façon analogique, de façon symbolique, mais bien réellement.
Alors voilà, la vie qui est la sienne et qu'elle transfuse en nous, eh bien, nous devons nous y ouvrir. Nous ne devons pas la laisser couler sur nous ou la laisser s'échapper de nous. Nous devons l'accueillir, la garder et lui permettre de se développer et de nous transformer.
Alors je crois que nous pourrions retenir ceci en ce jour : nous efforcer de croire, mais de croire vraiment, qu'elle est notre Mère et qu'elle nous enfante à son image. Et c'est là la porte de l'espérance et de la paix, et la source d'une joie secrète même à travers toutes les souffrances que nous pouvons rencontrer, souffrances qui viennent de nous, souffrances qui viennent des autres, souffrances qui viennent des événements. Souvent c'est le hasard, ça nous tombe dessus sans que nous l'ayons cherché.
Donc voilà, essayons d'être toujours en communion avec elle de façon à ce que sa paix, sa douceur, sa compassion et aussi sa joie habitent notre coeur et, à partir de là, puissent rayonner sur tout le monde.
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Mes frères,
Nous allons donc entrer dans la semaine de notre Visite Régulière. C'est là une grâce immense dont nous devons tirer le meilleur profit. Prenons garde tout de même, la Visite Régulière ne peut jamais être l'occasion d'un règlement de compte avec l'Abbé ou entre frères. Ce serait tout bonnement indigne non seulement de moines mais de chrétiens.
La Visite Régulière est une remise de soi devant Dieu. C'est un peu l'application du premier degré d'humilité, car le Visiteur qui se présente devant nous, c'est le Christ en personne qui vient visiter son domaine et voir s'il n' y a pas des choses à reprendre, des choses à corriger. Et en même temps, il vient pour nous encourager.
Et ça, c'est le regard de la foi. C'est celui que nous devons poser sur la personne qui vient à nous ; que nous devons poser sur nous-mêmes et les uns sur les autres.
Voici ce que nous dit la Constitution 75 en son paragraphe 2 : Le propos de la Visite Régulière est de renforcer, compléter et le cas échéant corriger l'action pastorale de l'Abbé local ainsi que de stimuler les frères afin qu'ils suivent la vie cistercienne avec une vigilance spirituelle renouvelée. La Visite concerne donc l'Abbé et les frères.
L'Abbé va être conforté dans sa mission. Le Visiteur va peut-être compléter le travail de l'Abbé car il y a des choses pour toutes sortes de raisons qu'il ne faut pas essayer de comprendre, il y a des choses devant lesquelles un Abbé local peut être impuissant.
Il doit toujours en premier lieu respecter les personnes. Il doit toujours placer la miséricorde avant la rigueur du jugement. Il doit se souvenir qu'il est lui-même un être extrêmement faible et pécheur. Donc il sera peut-être porté à un peu trop d'indulgence ?
Et voilà, le Visiteur qui arrive va compléter éventuellement ce qui manquerait à l'action pastorale de l'Abbé. Il va peut-être aussi la corriger ? Car on ne sait jamais, il peut y avoir des erreurs involontaires à rectifier. Nous sommes tous des hommes faibles et, voilà, nous devons l'accepter. Cela fait partie de notre état et c'est un acte d'humilité.
Il y a aussi de l'autre côté les frères. Eh bien les frères, il faut qu'ils se laissent stimuler par la Visite Régulière, qu'ils en sortent plus vigilant, comme le dit la Constitution, une vigilance spirituelle renouvelée. Donc, il faut que l'intentio cordis, que l'intention du coeur soit à nouveau bien orientée dans la bonne direction.
Enfin, vous le savez comme moi, un laissez aller est toujours possible, il y a l'usure du temps qui joue. Après une accoutumance, on s'installe. Les choses les plus sacrées peuvent devenir comme les choses profanes à la limite. Alors voilà, il faut que la Visite Régulière nous secoue.
N'oublions pas que la vie cistercienne n'est pas une quelconque vie religieuse. Il est fini le temps où les Abbés eux-mêmes - pas seulement les frères - allaient chercher leur inspiration en dehors de l'Ordre. On était quasiment interchangeable. On pouvait bien être cistercien, on aurait pu être n'importe quoi à l'extérieur. C'était la vie religieuse en général.
Non, maintenant depuis quelques années, depuis le Concile surtout, on prend bien conscience de son identité. D'ailleurs, ce sera probablement le thème principal de la Visite Régulière comme du prochain Chapitre Général : notre dimension contemplative, notre identité propre au sein de l'Eglise. Il faut que nous en reprenions conscience et que nous soyons bien décidés à aller dans cette direction.
Mais le travail du Visiteur requiert la collaboration active de la communauté. Oui, cette collaboration active, ce n'est pas seulement au cours du scrutin secret de dire à l' Abbé Visiteur certaines choses qu'on remarque et qui pourraient être rectifiées.
Non, c'est la collaboration active surtout après. C'est ce qu'on appelle le suivi de la Visite. Il faut que chacun y aille de son mieux dans un esprit de foi et toujours dans l'intention première qui est de chercher Dieu, de se laisser façonner par le Christ et de devenir vraiment un temple de l'Esprit.
C'est notre mission au coeur du monde. Nous ne sommes pas des planqués, ici, nous ne sommes pas des embusqués, nous sommes ici vraiment en première ligne dans le grand combat entre le Christ et les puissances sataniques.
Le Visiteur, dit encore la Constitution, observe fidèlement les prescriptions du Droit, l'esprit de la Charte de Charité et les normes du Chapitre Général. Donc, nous voici maintenant dans le Droit. Mais le Droit soutient toujours le spirituel, il ne va jamais contre. Il est un adjuvant. C'est lui qui détermine le cadre dans lequel nous devons évoluer, grandir et nous épanouir jusqu'à devenir - encore une fois - un seul esprit avec le Christ.
Donc, mes frères, cette collaboration de chacun d'entre nous exige, il faut bien s'en rendre compte, un fameux oubli de soi. Il ne faut pas chercher son propre avantage mais plutôt toujours celui de Dieu, celui du Christ, celui de la communauté comme telle, de ce Corps que nous formons. Et pour ça, il faut un bon jugement.
Attention ! Le Visiteur n'est pas un imbécile et, il doit avoir un air bonhomme, vous verrez, très jovial, extrêmement bon au fond de son coeur. Mais il ne faut tout de même pas le prendre pour ce qu'il n'est pas. Il faut donc que nous ayons nous-mêmes un bon jugement. Et nous serons vite jugés, vite classés d'après ce que nous disons, d'après ce que nous racontons.
Il y a, disons, des échantillons d'hommes en général. Eh bien, ces échantillons, on les trouve partout. Donc toutes les communautés sont composées des mêmes types d'hommes. Si bien que quand on connaît sa propre communauté et que on va dans une autre, on peut dire : tiens, celui-là il ressemble à un tel, donc il doit en avoir les mêmes réactions. Et alors, on écoute ce que dit l'autre d'après ce qu'on sait, ce qu'on a expérimenté dans sa propre communauté de moines qui sont de ce type-là!
Donc, prenons bien garde, mes frères, montrons que nous avons un bon jugement - c'est cela l'essentiel - et puis alors de la pondération. Les exagérations ne mènent jamais à rien. Tout ce qui est exagéré, c'est un principe, il ne faut pas en tenir compte du tout parce que c'est en-dehors de la vérité !
Donc de la pondération et puis énormément de charité, naturellement. C'est ça qui compte. Il faut que nos paroles soient portées vraiment par un amour sincère de Dieu et des frères. Et puis alors, on doit sentir qu'on est en communion avec le monde à venir, avec ce monde surnaturel, donc qu'on est un homme de prière.
Alors, si on a toutes ces qualités-là qui sont des qualités normales, chez un moine, un vrai moine comme dit ici Saint Benoît - cela veut dire qu'il y en a d'autres qui ne sont pas vrais - alors dans ces conditions-là, la Visite Régulière, elle est un plaisir pour le Visiteur, pour chacun des frères et pour toute la communauté. Et tout le monde en retire des grands fruits.
Il peut arriver que à la Visite Régulière, il y ait des choses un peu désagréables qui doivent se passer en conclusion de la Visite Régulière. Mais enfin, cela aussi fait partie du scénario. Le Christ n'a pas grandi dans l'ouate et le coton. Non, il a eu pour naître une mangeoire d'animaux et, il a eu pour mourir, non pas la paille et la cendre de l'Abbé de Rancé, mais une croix. C'était bien autre chose !
Donc, ne soyons pas étonnés si peut-être il y a une petite piqûre qui nous atteigne personnellement au cours de la Visite. Cela fait partie de notre chemin vers notre transfiguration.
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Frères et Soeurs,
Bonaventure, le nom d'un saint et prestigieux évêque franciscain du Moyen Age, un homme que l'Eglise a élevé au rang des Docteurs ; Bonaventure, le nom d'un humble frère trappiste qui, pendant plus de cinquante ans, a vécu fidèlement son engagement dans une modeste Abbaye.
Remarquons ceci : frère Bonaventure a été introduit dans la lumière de la création nouvelle le jour de la fête de Saint François et un dimanche. Il me semble à travers ces coïncidences entendre un message que Dieu nous adresse par l'entremise de notre frère qui devient ainsi un prophète pour chacun d'entre nous.
Nous allons ensemble essayer de décrypter ce message, cette parole qui est pleine de mystère. N'oublions pas que Dieu nous parle à travers les événements qui se rapprochent, qui se touchent, qui s'éloignent et qui sont porteur d'une vie qu'il nous offre. Et c'est à nous de la saisir, de la comprendre, de l'accueillir et de l'assimiler.
Frère Bonaventure - dont le nom signifie : promis au bonheur - n'était pas un intellectuel de haut vol comme son illustre patron. Il n'a pas eu accès aux sphères réservées de la philosophie, de la théologie, de l'exégèse, du droit.
Non, toute sa vie a été celle d'un homme simple, d'un naïf dans le bon sens du terme, naïf de cette naïveté qui est celle même de Dieu, une naïveté qui fait confiance à priori, qui parfois est étonnée, peut-être blessée, mais qui toujours reprend vie. Car une telle disposition ne vient pas de la nature charnelle, mais elle vient d'une inspiration que Dieu verse avec abondance dans un coeur qui le cherche.
Frère Bonaventure a mené la vie d'un homme heureux, d'un homme aussi profondément fidèle, et heureux précisément à cause de sa fidélité. Car Dieu ne déçoit jamais. C'est nous qui parfois nous faisons de Dieu une certaine idée et nous réduisons alors notre Dieu au rang d'une idole dont nous attendons tout. Mais quand on s'est donné à l'amour et qu'on y demeure fidèle, on ne peut qu'être heureux.
Et c'est pourquoi les portes de l'éternité lui ont été ouvertes par un autre pauvre que nous connaissons tous. Elles lui ont été ouvertes par Saint François d'Assise qui, lui aussi, a osé faire confiance et qui n'a jamais repris le don qu'il avait fait de lui-même au Christ.
Et c'est parce que frère Bonaventure est resté pauvre, qu'il est resté un petit, que sans le savoir il a été introduit au coeur d'une connaissance mystérieuse que les études les plus poussées ne peuvent absolument pas conférer.
Rappelons-nous ce que le Christ vient de nous dire. Je te rends grâce, a-t-il dit, je te rends grâce, ô mon Père, d'avoir révélé aux tout petits ce que tu as caché aux sages et aux savants. Cette indicible connaissance de Dieu, frère Bonaventure l'a reçue tout au long d'une vie de fidélité, une vie sans prétention, une vie toute entière nourrie de la volonté divine et d'une prière assidue.
Il n'est donc pas étonnant qu'il soit entré dans la lumière le jour même où nous célébrions la résurrection du Seigneur. Il nous est dit par là que frère Bonaventure connaît déjà de quelque manière la joie immense de la transfiguration. Son pauvre corps charnel qui a tant souffert ces dernières semaines, son pauvre corps charnel va être livré à la terre, mais son corps spirituel est déjà tout resplendissant de beauté. Le Christ auquel il s'est donné a le pouvoir de transformer notre corps nouveau en un corps semblable au sien, son corps de ressuscité, son corps de transfiguré.
Notre frère nous délivre un message extrêmement précieux et le voici. Il nous dit que l'essentiel est précisément là dans ce passage obligé par la mort corporelle pour accéder à la vie impérissable ; que tout de nous, à toute heure, en toute circonstance doit être orienté vers cette heure-là, vers cette heure dont le Christ veut faire une apothéose.
Frères et soeurs, notre eucharistie sera donc aujourd'hui ce qu'elle doit être, une action de grâce au nom de frère Bonaventure et en notre nom à nous. Et puis, nous cultiverons chacun pour notre part la ferme espérance d'arriver un jour là où est entré maintenant notre frère. N'allons pas nous imaginer qu'il est séparé de nous, jamais il ne nous a été aussi proche que maintenant.
Et cette proximité, il va la maintenir, il va la cultiver amoureusement, il va l'affermir jusqu'à ce que nos yeux s'ouvrant finalement eux aussi à la lumière, nous le reconnaissions. Il était là qui nous attendait et qui toujours nous aimait. Voilà notre espérance ! Nous allons l'entretenir en nous dès maintenant et chaque jour.
Amen.
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Mes frères,
Aujourd'hui, nous avons fêté au cours des principaux Offices de la journée, de l'eucharistie, mais surtout dans l'intime de notre coeur, les mystères qui ont jalonné l'existence de Marie et qui ont fait d'elle ce qu'elle est devenue.
Et parmi ces mystères, il en est un qui est fondamental, qui sous-tend tous les autres et qui est tellement immense en sa simplicité qu'il n'est pratiquement pas possible d'en parler dignement.
Et ce mystère, c'est l'humilité de Marie, cette humilité qui était tellement vraie, tellement belle, qu'elle a irrésistiblement attiré le regard de Dieu. Marie le reconnaît elle-même. C'est elle qui l'affirme.
Dieu est ainsi fait. Il abaisse son regard sur ce qui est humble dans le ciel comme sur la terre. L'humilité rend l'homme capable de recevoir Dieu et de lui devenir semblable. Elle attire Dieu comme un paratonnerre attire la foudre ; et en même temps, elle est totalement inaccessible au démon.
Celui qui est vraiment humble, il entre dès ici-bas dans ce que nous appelons le ciel, c'est à dire chez Dieu. Et là, personne ni rien ne peut l'atteindre. Il peut sentir le froid, il peut sentir le chaud, c'est à dire qu'il peut sentir la peine, il peut sentir la joie, mais tout cela est épidermique.
En réalité, il goûte au fond de son coeur le propre bonheur de Dieu parce que il est devenu semblable à Dieu. Et alors là, le reste, il le reçoit comme ça lui est donné, mais son être le plus profond est déjà passé ailleurs.
Et Marie qui est la femme par excellence, qui est unique dans la splendeur de son être, elle était la plus petite, la plus cachée, la plus insignifiante, la plus ignorée, la plus inconnue de toutes les femmes.
Ce n'était pas même chez elle un réflexe, c'était un état. Elle étai t comme ça. C'étaient les constituantes de son être. Et pourtant elle était - comme je viens de le dire - la femme par excellence.
Et quand elle est devenue la Mère de Dieu, elle s'est enfoncée davantage encore dans son rien. Car le lieu de Marie, c'était le vide et le rien, si bien qu'elle en était comme inexistante.
Il en est peut-être parmi vous qui ont déjà visité ce lieu du vide et du rien ? L’effet est assez étrange. Au début, on en est passablement effrayé. Et puis, on s'y fait en ce sens que on remarque, on reconnaît finalement qui est ce rien, car c'est une Personne. L'Etre de Dieu nous apparaît comme le vide et le rien car il n'y a rien en nous qui lui soit accordé.
Si bien que lorsque Dieu prend possession de nous, notre être purement humain, notre être charnel est privé de ses objets, de son objet naturel. Il a l'impression de baigner dans le rien, ce qui peut être extrêmement angoissant.
Enfin, Marie était chez elle dans le vide et dans le rien parce que elle était établie chez Dieu. Mais, on ne la remarquait pas. Elle était devenue, elle était inexistante pour les autres. Il n'y avait rien d'elle en elle parce que tout d'elle était occupé par Dieu.
Et elle était ainsi établie au sommet de son nom et de sa beauté, son nom étant son être le plus secret, le plus personnel, ce fameux nom que personne ne connaît sinon celui qui le reçoit, et qui est prononcé par Dieu.
Et les yeux de chair de ses voisines, de ses compagnes, de ses amies ne pouvaient pas la remarquer - c'était impossible - pas plus qu'ils ne pouvaient voir Dieu. C'est ça qui est extraordinaire, ils ne voyaient de Marie qu'une sorte, je n'allais pas dire, de fantôme, mais une apparition, oui. Il fallait tout de même bien avoir des relations avec elle. Mais elle dans sa vérité, ils ne la voyaient pas. Ils ne pouvaient pas la voir comme on ne peut pas voir Dieu.
Alors, mes frères, voilà où Marie veut nous entraîner. Et voilà où elle nous enfante, à cet état extraordinaire qui était le sien. Car elle est notre mère et elle veut nous rendre semblable à elle.
Vous savez qu'il n' y a pas de plus grand plaisir à une maman de lui dire : ô comme votre petit vous ressemble ! Il est vous tout craché ! A ce moment-là, elle entre en extase de joie, de bonheur.
Eh bien, il en est surtout ainsi pour Marie lorsque au terme de son enfantement de nous, on lui dit autour d'elle : mais celui-là, c'est vous !
J'ai encore bien des choses à dire à ce sujet, mais nous allons arrêter pour ce soir.
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Mes frères,
Les réalités de la création nouvelle sont obstinément irréductibles à toute pénétration psychologique aussi pénétrante soit-elle. Elle relève d'une autre logique qui n'est pas celle de notre monde. C'est la difficulté à laquelle se heurtait Nicodème lorsqu'il demandait à Jésus : Tu as dit que nous devrions naître à nouveau ? Mais alors moi qui suis âgé, devrais-je pour connaître cette naissance nouvelle entrer dans le sein de ma mère pour de nouveau en sortir ?
De même nous pouvons nous demander : Mais comment Marie peut-elle nous enfanter à notre être nouveau ? Elle est une femme comme toutes les autres femmes. Comment peut-elle être ma mère, la vôtre, à un point tel que ses traits se dessinent sur notre visage ?
Nous sommes là vraiment en présence d'un mystère, en présence d'une réalité devant laquelle nous devons nous incliner, que nous devons accueillir en nous quoiqu'il nous en coûte.
Car, pour arriver à naître correctement, gentiment de Marie, nous devons mourir à tout nous-mêmes. Et ce n'est pas pour rire ! Et à certains jours, cela peut paraître épouvantable. Ce sont des minutes, des heures, des jours, des semaines de grâces, pour ne pas dire des années de grâces.
On se trouve devant un choix : ou bien le raisonnement humain qui dit : mais pourquoi, qui cherche des raisons ? Ou bien alors l'accueil surnaturel. Si je ne comprends pas, je n'aurais jamais fini de comprendre, mais l'heure viendra où étant vécue cette naissance et regardant en arrière, je verrai le pourquoi de tout ce qui m'est arrivé..
C'est la raison pour laquelle des saints qui sont parvenus à cet état de renaissance, des saints dont vraiment Marie est devenue la mère, peuvent après expliquer - si Dieu leur en donne naturellement le pouvoir - peuvent expliquer cette route. Ce sera le cas d'un Jean de la Croix par exemple, auquel les soeurs demandaient : mais pourquoi ceci ? Pourquoi cela ? Qu’est-ce qui se passe ?
Alors lui, ayant traversé ce tunnel de la nouvelle naissance, il pouvait dire : mais voilà ce qui s'est passé, ce qui se passe, à partir de son expérience personnelle, en jetant un regard en arrière. Ce n'est donc pas une construction cérébrale, c'est toujours le fruit de quelque chose qu'on a vécu parce qu'il est impossible de parler de ces réalités de la création nouvelle si on n'y est pas entré. Mais alors, on ne peut user que d'images mais suffisamment évocatrices que pour éveiller dans le coeur des autres le désir d'en savoir davantage.
Eh bien, pour naître de notre mère Marie, il faut au moment même un accoucheur, c'est à dire quelqu'un qui peut aider le frère à mourir et à naître en même temps. Car ce n'est pas une succession, c'est une simultanéité : chaque fois qu'on meurt à soi, on naît à la création nouvelle.
Mais cette naissance peut s’étendre dans la durée pendant des années. Mais ça ne fait rien, chaque fois que c'est bien, que cette mort est bien vécue, aussitôt il y a un apport de vie divine qui façonne notre être nouveau. Et, à mon avis, tel doit être le rôle de l'Abbé à condition, mais c'est une condition dirimante, à condition que le frère s'y prête.
On peut avoir pour Abbé un saint, un super saint, on pourrait avoir pour Abbé le Christ en personne, si je ne me prête pas à son travail d'accoucheur, il ne peut rien faire. C'est ça la tragique condition de Dieu, c'est que Dieu respecte tellement notre liberté qu'il est démuni devant elle. Il capitule devant elle. Et il est amour jusque là, vous comprenez, il ne force rien. Il nous laisserait aller en enfer si nous voulions y aller. Prenez le cas de Judas :
Il a essayé, il a tout fait pour ouvrir les yeux de Judas. Il n'a rien épargné jusqu'à la dernière seconde, mais il ne l'a pas empêché. Il aurait pu dire aux autres : allons, mettez-le un peu hors d'état de nuire ! Mais non, il a laissé aller les choses, il n'a rien forcé ni exercé aucune pression sur la liberté de Judas.
Eh bien, c'est ça, il faut que le frère s'y prête. Mais alors des merveilles peuvent s'opérer, sinon on ne peut rien faire. Car naître de Marie à l'univers mystérieux de Dieu ne peut s'opérer aussi longtemps qu'on reste livré à soi-même. On ne peut pas opérer ce passage à travers le sein de Marie, on ne peut l'opérer seul. C'est un autre qui doit nous aider à le faire.
Alors, naître de Marie, cela signifie perdre sa condition charnelle, ses façons de penser, de juger charnelles. C'est perdre tout cela pour devenir ici sur terre un autre Christ, c'est à dire un homme qui ne réagit plus de façon instinctive qui est de se défendre, d'agresser, mais qui agit à la façon de Dieu, c'est à dire qui a un réflexe qui est l'agapè, qui est l'amour.
Lorsque la naissance est opérée et que l'être nouveau est là, aussi petit qu'il soit encore, aussi fragile qu'il soit, il devient invulnérable parce que si on le pique, si on l'agresse, si on le frappe, si on le tue à la limite, il ne sort plus de lui que de l'amour.
C'est ce qui s'est passé avec le Christ. C'est pour ça que je dis qu'il doit être un autre Christ sur la terre. Parce que, qu'a essayé le démon ? Jusqu'à la dernière seconde il a essayé que de la bouche du Christ - pour que tout de même ce soit perceptible de l'extérieur - mais d'abord du coeur du Christ, qu'il y ait un mouvement, une parole qui ne soit pas de l'amour.
Non, il n'y est pas arrivé et c'est cela qui a opéré la rédemption. Et c'est à ça que nous sommes appelés, nous, à cette même condition. Mais lorsque nous nous trouvons dans des situations pareilles, demandons au moins à Dieu la grâce de réagir comme Lui a réagi, que plus on nous attaque, plus il sorte de l'amour.
Eh bien ça, c'est pas naturel ! C'est contre la logique humaine. Eh bien c'est là que nous devons finalement arriver.
Alors je pense qu'on peut en conclusion dire qu'il est heureux celui qui est appelé à vivre ce mystère qui est le mystère même de la vie monastique. C'est celui-là ! Donc, je veux dire, naître à nouveau, naître de cette femme unique qu'est Marie et puis devenir pour elle un nouvel enfant qui est le portrait de son premier enfant, dans lequel elle le reconnaît en se reconnaissant elle-même. C'est cela !
Et puis alors voilà, Dieu sait ce qu'il doit faire, c'est ce que Saint Benoît nous dira ici : quae Dominus Spiritu Sancto dignabitur demonstrare. 7,188. Ce que par le Saint Esprit le Seigneur pourra manifester dans son serviteur, nous ne le savons pas.
Alors, mes frères, puissions-nous quand se présente la grâce qui est celle de cette naissance douloureuse, quand elle se présente, eh bien, puissions-nous aller jusqu'au bout, péniblement, petitement, pauvrement, tout ce que vous voulez mais en croyant, en sachant qu'il se passe quelque chose de grand et de divinement beau parce que c'est la naissance d'un fils de Dieu sur notre terre.
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Mes frères,
Ce qui est évoqué aujourd'hui, c'est la valeur unique, la valeur sur éminente de la foi. Nous voyons cette foi à l'oeuvre chez le païen Naamân le Syrien et chez un étranger, un samaritain dont nous ignorons tout.
Mais ayons confiance, nous le connaîtrons lorsque à notre tour nous entrerons dans le Royaume de la foi, ce Royaume dont la clef est la foi. Oui, et Naamân, et le samaritain ont été guéris de la lèpre, la lèpre de la chair mais aussi certainement la lèpre du péché.
Oui, mes frères, la foi est le remède universel, le remède absolu. Elle purifie l'être entier en le rendant semblable à Dieu. C'est elle qui nous branche sur Dieu et qui permet à la vie divine de passer de Dieu en nous.
Nous allons voir, si vous le voulez bien, le mécanisme de la foi. Il y a une personne, Dieu ou Jésus, plus précisément Dieu dans la personne du Seigneur Jésus. Accueillir leur parole, c'est accueillir eux, c'est s'attacher à eux.
Mais attention ! Accueillir, ce n'est pas laisser le son de leurs paroles frapper le tympan de nos oreilles. Non, c'est faire confiance à cette parole, c'est la laisser entrer dans notre coeur et nous refaçonner à son image.
Alors, cette communion qui s'établit entre Dieu et nous produit dans notre coeur des effets merveilleux. Elle y apporte la lumière jusque dans les recoins les plus obscurs. Et cette lumière, c'est celle de l'Esprit-Saint, c'est la propre lumière de Dieu car, au terme, notre coeur doit devenir lui-même un foyer de lumière.
La propre vie de Dieu déferle en nous sans compter, car Dieu est généreux. Nous autres, les hommes, nous enfermons toujours notre générosité dans des limites. C'est une quasi fatalité liée à notre nature limitée ; mais chez Dieu il n'en est pas ainsi, sa générosité est sans fin.
Si bien que la divinisation s'opère en nous et nous transfigure. Car c'est cela le terme de notre destin, nous devons devenir des enfants de Dieu, nous devons devenir pleinement les enfants de Dieu que nous sommes déjà. Ce n'est plus nous qui devons vivre, c'est Dieu qui doit vivre en nous, et par nous, et à travers nous.
Et finalement, lorsque cette métamorphose s'est opérée, l'amour règne en souverain dans nos moindres pensées, dans nos moindres gestes, dans nos moindres paroles.
Mes frères, les deux guérisons qui nous sont rapportées aujourd'hui sont le symbole de la guérison du coeur et de sa métamorphose. Mais attention ! Il doit s'agir de la véritable foi et non pas d'une croyance quelconque. Attention encore ! La foi n'est pas un paratonnerre, elle n'est pas une garantie, elle n'est pas un brevet de réussite dans cette vie.
Non, la foi est participation à l'être de Dieu et, il nous est demandé de nous abandonner tout entier à cette participation qui, naturellement, risque de bouleverser beaucoup de choses en nous. Car Dieu s'attaque à notre égoïsme et il ira jusqu'à le détruire.
La véritable foi est donc celle qui s'exprime dans nos actions. Mes actes à l'endroit de mon prochain trahissent la qualité de ma foi. Si je crois vraiment dans le Christ, ses paroles à lui, son agir à lui à travers ses paroles sera le moteur de ma vie. C'est elles qui vont guider, orienter mes pensées, mes paroles et mes oeuvres.
Ce ne sera donc plus des motivations purement charnelles, purement humaines, des motivations d'ambition, de besoins et de désirs qui vont lancer ma vie vers l'avant. Non, ce sera la Parole de Dieu, ce sera son amour. Ses paroles finiront par s'inscrire en moi au point que je deviendrai une parole vivante.
Il y a en effet une sorte d'enregistrement qui s'opère à l'intérieur de la personne qui croit. Ce n'est peut-être pas conscient, ce n'est même pas possible que ce soit toujours conscient, mais cela s'exprime, cela s'inscrit, cela s'imprime dans les moindres actions.
C'est de ce qui sort du coeur que l'on reconnaît l'homme. Eh bien, il ne peut plus sortir du coeur que des paroles de pacification, de réconciliation, des paroles de concordes et des paroles d'amour. Ce sont là les fruits de la véritable foi. On devient alors un relais de vie divine pour les autres.
Mes frères, il n'y a aucun avantage à retirer de la foi, sinon un seul, celui d'une gratuité toujours plus étendue, toujours plus belle. La foi est gratuite. Elle est reçue gratuitement et elle éveille dans le coeur la gratuité. On aime pour aimer sans attendre de contrepartie.
Mes frères, dans cette optique, l'autre, le frère que je reconnais en tout homme sera toujours le premier. Je le ferai toujours passer avant moi fut-ce à mon détriment. L'intention qui m'habitera sera toujours comme c'était le cas pour l'Apôtre Paul, il vient encore de nous le dire, sera toujours de le conduire à l'extase de la résurrection.
Car finalement, il n'y a que cela qui compte : la vie éternelle dans un coeur nouveau, dans un corps nouveau. Et cette foi doit se nourrir. Et elle se nourrira dans un attachement toujours plus grand à la personne du Seigneur Jésus, à chacune de ses volonté exprimées jour par jour à travers ce qui m'est demandé.
Mes frères, c'est le Seigneur, c'est son mystère, c'est sa gloire de ressuscité que nous recevons avec l'Eucharistie aujourd'hui. Alors, demandons-lui d'éveiller en nous une foi toujours plus vigoureuse, toujours plus vraie, toujours plus vivante, toujours plus donnée de manière à ce qu'elle se saisisse de nous et qu'elle aille jusqu'au bout de son agir qui est un agir de transfiguration.
Amen.
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Mes frères,
Je vais ce matin vous dire quelques mots au sujet de notre frère Bonaventure, surtout pour les jeunes qui ne l'ont pas connu si ce n'est dans les dernières années de sa vie. Frère Bonaventure était entré ici en 1938 comme choriste. Il était issu d'une famille qui comptait des médecins, des notaires, des prêtres. Il avait fait des humanités anciennes. Et auparavant, tous les choristes étaient destinés au sacerdoce.
Mais il est apparu après un certain temps, assez long tout de même, que voilà, le frère Bonaventure était inapte aux études cléricales. Si bien qu'il est devenu convers et cela veut dire qu'il a dû recommencer son noviciat. Je vais expliquer tantôt comment la communauté, l'Ordre était structuré. Donc il a repris son noviciat à zéro et il a recommencé.
Eh bien, le frère Bonaventure est entré tout simplement dans la volonté de Dieu. Il n'y a pas eu chez lui d'amertume. Je me souviens - j'étais encore tout jeune et lui tout de même un peu plus âgé que moi - qu'il m'a dit un jour : c'est arrivé parce que peut-être j'aurais été un prêtre orgueilleux ! Voilà, vous voyez ! Il a vu là une disposition de la providence et il l'a embrassée avec beaucoup de générosité. Je pense que de ce côté là, il doit être pour nous un exemple.
Nous ne devons jamais nous accrocher à quoi que ce soit. Non, ça n'a pas d'importance, l'essentiel c'est la volonté de Dieu c'est notre nourriture - qui veut nous conduire à la sainteté, pas moins ! Le reste, c'est de la fumée et, si nous nous attachons à de la fumée, nous devenons nous-mêmes fumée et nous disparaissons.
Mais quel était le sort des convers à l'époque ? Il y en a encore ici quelques uns qui l'ont vécu. Eh bien en pratique, dans toutes les communautés de l'Ordre, il y avait deux groupes juxtaposés, qui n'étaient pas tissés mais qui étaient juxtaposés.
Il y avait donc deux communautés l'une à côté de l'autre. Chacune avait son chapitre, son scriptorium, son dortoir, son choeur à l'église. Et au réfectoire, il y avait aussi une séparation, même au cimetière, jusque là !
Alors les convers, eux, s'occupaient des choses matérielles : la ferme, la porcherie, la fromagerie, la brasserie, le jardin, la cuisine, mais, attention, sous la haute direction du cellérier qui en principe organisait tout.
Ils avaient un Maître des convers, donc un choriste, qui leur donnait des instructions spirituelles quelques fois par semaine et auquel ils pouvaient se référer lorsqu'ils avaient un petit problème qui les touchait plus personnellement. Ils avaient aussi deux noviciats séparés dans des locaux séparés et les instructions n'étaient pas données en commun. C'était vraiment, vraiment cloisonné !
Maintenant, voilà, tout cela a été changé un peu après le concile, à peu près en 1965. Ici, cela s'est fait sans problème, il n'y a pas eu de problème du tout. Du jour au lendemain, on n'a plus vu de brun, on n'a plus vu que du blanc. Voilà, c'était fini comme ça. Dans d'autres communautés, on n'a plus vu de blanc, on n'a plus vu que du brun ; dans d'autres, on a utilisé le brun comme habit de travail. Voyez un peu ! C'est pour vous situer un peu le frère Bonaventure, ce qu'il a vécu dans son coeur de passer comme ça d'une catégorie dans l'autre.
Maintenant, si nous regardons le frère Bonaventure, il avait deux grandes qualités sur lesquelles nous pouvons méditer, faire un examen de conscience : c’était un fidèle de la vie commune. Et cela, depuis toujours, pas seulement en le voyant maintenant dans ses dernières années, mais depuis toujours. Il était partout avec la communauté même s'il ne comprenait pas tout.
Il venait aux conférences ces derniers temps, que ce soit n'importe quoi, ça n'avait pas d'importance pour lui ; il écoutait, il ne comprenait peut-être que quelques bribes, mais c'était sans importance car il était avec la communauté. Il avait un sens aigu très fort de la communion, du Corps, du corpus monasterii, du Corps que constitue la communauté. Et c'était extrêmement beau!
Il a été jusqu'à la dernière minute, jusque il y a un an, il a été un fidèle du scriptorium par exemple. Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là ! Je ne dis pas ça par malice, non, mais c'est cette fidélité à être là où la communauté se trouvait ou devait se trouver.
Et alors, il avait aussi un sens aigu du service. Cela, c'était remarquable, je l'ai expérimenté combien de fois. Jusqu'à son premier accident, donc sa première chute où il s'est cassé le col du fémur pour la première fois, tous les jours après Vigiles il faisait la vaisselle. C'était à faire, il le faisait. Il n'a jamais manqué l'épluchage, jamais sauf lorsqu'il était malade.
Il voulait aider au soutirage même quand il était infirme et qu'il ne pouvait presque plus rien faire que de redresser les bouteilles qui tombaient. Mais il faut savoir que pendant tout un temps, il mettait les casiers sur les palettes, les casiers remplis. Il avait une force herculéenne, il fallait le voir!
Et puis voilà, il est toujours resté fidèle à l'aide qu'il pouvait donner là-bas jusqu'au dernier moment. Et sa seconde chute, c'était encore à la brasserie quand il mettait les nouvelles bouteilles dans les casiers.
Alors, quand on lui demandait de l'aide, il n'a jamais répondu par la négative, jamais. C'était oui, oui, oui, puis il le faisait de son mieux, à sa manière, mais enfin il répondait toujours oui.
Mes frères, ce sens de la vie donnée, ce sens du service, je pense que c'est extrêmement beau dans une vie comme la nôtre. Vous savez qu'il n'a pas brillé par se qualités intellectuelles mais bien par celles du coeur. Or la valeur d'un homme, c'est la valeur de la qualité de son coeur, ce n'est pas celle de son cerveau. Non, l'homme vaut ce que vaut son coeur.
Eh bien, à ce niveau-là, le frère Bonaventure avait une grande valeur parce que la vie, je vous l'assure, ne lui a pas épargné les humiliations. On n'a pas cherché à l'humilié, loin de là ! Mais enfin, il était dans une situation telle au plan intellectuel que bien souvent il se heurtait à de véritable humiliations, des situations qui étaient humiliantes en soi. Eh bien, il a tout accepté. Cela faisait partie de son chemin, cela faisait partie de son lot et il ne l'a pas rejeté.
Alors, c'est pourquoi, mes frères, je suis persuadé que Dieu l'aimait beaucoup et qu'il lui a tout pardonné. Car il avait aussi ses faiblesses, le frère Bonaventure, des faiblesses comme nous, comme chacun d'entre nous, plus ou moins grandes. Mais nos faiblesses ne font-elles pas partie de notre visage, de notre portrait, et notre beauté ?
Il était un petit, je l'ai dit le jour de ses obsèques, un pauvre, un petit. Eh bien, plus les petits ont des défauts, plus ils sont aimables, vous le savez bien. C'est pour ça, nous devons toujours essayer de rester petits. Et lui, il l'est resté. Et je suis certain, même persuadé, que le Christ l'a accueilli dans sa lumière.
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Mes frères,
Nous avons appris par le frère Jean que le bienheureux Aelred, alors qu'il était encore Maître des novices, avait rédigé à la demande de Saint Bernard un opuscule appelé "Le miroir de la charité" dans lequel il s'efforçait de répondre aux détracteurs qui affirmaient que l' austérité de l'observance cistercienne empêchait les moines de s'épanouir au plan spirituel. Le corps et l'esprit étant trop accablés par ces austérités ne pouvaient pas se développer normalement, ne pouvaient pas arriver facilement à la rencontre avec le Seigneur.
Aelred va donc prouver que bien au contraire, les observances cisterciennes libèrent le coeur, libèrent l'esprit, libèrent l'âme et libèrent même le corps. Si bien que tout l'homme peut facilement courir sur les routes du Royaume et rencontrer le Christ sans difficultés majeures. C'est donc là deux thèses opposées et, voilà, nous devons, nous, savoir ce qu'il en est.
Maintenant, nous avons - il n'y a pas tellement longtemps - entendu parler de celui qui de son temps on appelait le Saint Abbé de la Trappe, Jean Armand le Bouthillier de Rancé. Nous en avons entendu de toutes les couleurs sur son compte depuis sa naissance jusqu'à sa mort. Nous avons suivi cette biographie malgré tout passionnante avec un intérêt mitigé chez certains, passionné chez d'autres.
De toute façon, nous pouvons dire que jamais personnalité monastique n'aura été aussi controversée que celle de notre héros qui ne laissait vraiment personne indifférent. Ou bien, on lui vouait une haine parfaite, ou bien une admiration sans borne. En tout cas une chose est certaine, si nous sommes ici ce soir, c'est à lui que nous le devons.
Or, l'Abbé de Rancé avait pour intention de revenir à l'Observance primitive de cîteaux. Il affirmait vivre ce que vivaient Saint Bernard, Saint Aelred et les autres et, il allait jusqu'à dire que c'était encore bien autre chose à l'origine et qu'à son époque, c'était déjà même à la Trappe une certaine mitigation.
Qu'en est-il exactement? Je pense que nous ne pouvons pas être juge en la matière. Il est certain que notre brave Abbé tirait un peu la couverture de son côté. Je ne sais pas? Mais de ce que nous avons entendu, je voudrais tout de même tirer une leçon car nous avons toujours à apprendre des autres pour mieux connaître afin de mieux servir.
Quoi qu'on pense de l'Abbé de Cîteaux et de ses moines, il est un fait sur lequel nous serons tous d'accord et c'est celui-ci : ces hommes savaient ce qu'ils voulaient. Et, c'est le secret de leur réussite. Ils savaient ce qu'ils voulaient et, ils ne déviaient en rien de la ligne qu'ils s'étaient tracée. Ne nous arrêtons pas aux exagérations, aux outrances qui étaient beaucoup liées à la Culture de l'époque, mais admirons plutôt honnêtement leur noblesse d'âme.
Ils ont certainement exagéré, du moins de notre point de vue, mais c'étaient des hommes généreux. On va dire que c'est une générosité mal placée, mal éclairée ? Bon, peut-être, peut-être ? Mais encore une fois, ils étaient de leur temps. Aelred disait que l'austérité cistercienne était facteur de liberté, mais il avait tout de même bien soin de préciser qu'il ne fallait tout de même pas tomber dans des excès, que cette austérité devait toujours être modulée par un sain discernement.
Et la règle d'or qui permettait de rester dans la vérité de cette austérité était celle-ci, qui est définie par Saint Benoît : il faut vivre ce que la communauté vit dans son ensemble. Il ne faut pas chercher à se singulariser, ni à vouloir faire plus que la communauté. Il y a une règle qui est définie par l'Abbé, par la coutume locale. Entrer dans cette coutume et la suivre honnêtement, la suivre généreusement comme ça jour par jour, c'était cela le coeur et aussi la totalité de la véritable observance. C'était cela !
Maintenant, l'Abbé de la Trappe, lui, avait défini pour sa communauté aussi une ligne. Et ce qui faisait sa force, c'était ceci : c'est que il était le premier à faire ce qu'il demandait aux autres. Il pouvait dire ce que l'Apôtre Paul demandait aux Philippiens : Ce que vous entendez de moi et ce que vous voyez en moi, faites-le ! Soyez mes imitateurs jusque là ! Il se donnait en exemple et il avait le droit de le faire.
Mes frères, je pense que la question qui se pose à nous de suite, c'est ceci, et je vais en rester là pour ce soir. Vous pourrez y réfléchir. Et nous, savons-nous ce que nous voulons ? Est-ce que nous le savons ? Je pense que c'est une question capitale.
Je vais glisser une petite observation qui ne nous concerne pas directement, nous. Le prochain Chapitre Général va se pencher sur l'identité cistercienne, la dimension contemplative. Est-ce que ça ne prouve pas par là que nous-mêmes, au niveau de l'Ordre, on ne sait pas ce qu'on veut ? Si on le savait, on ne poserait pas des questions pareilles. On dirait : c'est ça, c'est ça !
Eh bien, voyez un peu ici à l'intérieur de notre communauté. N'allons pas voir à l'extérieur ce qui se passe, mais ici, ici dans notre communauté, personnellement et communautairement, savons-nous ce que nous voulons?
Voilà, je vous pose la question. Je ne vous demande pas d'y répondre, mais tout de même, elle pourrait peut-être demain à l'occasion de la fête de cette sainte extraordinaire que fut Thérèse d' Avila qui, elle, est une femme qui savait ce qu'elle voulait - les femmes, elles le savent plus volontiers que les hommes ce qu'elles veulent - eh bien nous pourrions peut-être y penser de temps en temps et nous dire : Est-ce que nous savons ce que nous voulons?
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Ma révérende Mère, ma soeur, mes frères,
Aujourd'hui nous avons célébré notre Mère Sainte Thérèse comme le disent les contemplatifs. C'était une femme de poigne, mais elle avait un coeur liquide parce qu'elle était une sainte. Et elle savait ce qu'elle voulait, c'est là que nous étions arrivés hier.
Il faut dire que tous les réformateurs inspirés par Dieu savent ce qu'ils veulent ; ce fut le cas des fondateurs de cîteaux. Ils ne reculaient devant rien et ils n'ont pas transigé avec leur idéal même lorsque pendant années, et des années, et des années personne ne venait s'adjoindre à eux. Ils allaient mourir sur place plutôt que de renoncer à ce que Dieu leur inspirait. Ils savaient ce qu'ils voulaient jusqu'à la mort si nécessaire.
Il en fut de même pour l'Abbé de Rancé. Ne portons pas de jugement sur sa façon de vivre, voyons simplement le fait. Il savait ce qu'il voulait et ses frères avec lui. Il en a été de même pour Thérèse.
Et nous, ici, personnellement et communautairement, savons-nous ce que nous voulons ? Je pense que c'est une question, ça, que nous devrions nous poser de temps en temps.
Mais sachons bien une seule chose. C'est que l'Abbé fut-il un saint, eut-il dans son coeur un projet monastique qu'il réalise avec la grâce de Dieu pour lui personnellement, si les frères autour de lui demeurent sourds - si je puis dire ainsi - s'ils ne comprennent pas cet idéal, s'ils ne le reçoivent pas en eux, s'ils ne sont pas inspirés comme leur Abbé, il ne se passe rien.
Notez bien que ce fut l'expérience du Christ. On peut dire que humainement parlant, il a échoué dans sa mission. Il a été seul. C'est peut-être le lot, c'est toujours le lot des saints, c'est d'être seul. Mais ce n'est qu'après sa mort, après que ses disciples aient reçu d'en haut cette force qui les a transformés, qui leur a ouvert le coeur et qui leur a ouvert l'esprit, qu'ils se sont retrouvés mystiquement unis à lui. Et alors, ils sont partis à l'aventure. Ils savaient alors ce qu'ils voulaient parce que c'était le Christ ressuscité qui voulait en eux, qui savait.
Donc, nous ne devons pas nous étonner si notre cheminement est parfois au plan communautaire chaotique parce que précisément nous ne sommes pas ouverts tous de la même façon à l' Esprit-Saint qui doit nous porter. Ce qui s'est passé au commencement de l'Eglise peu après la résurrection du Christ, c'est un fait unique qui ne se reproduit pas automatiquement en chaque communauté chrétienne.
Alors, remarquons encore ceci : c'est que lorsque il y a ainsi une réforme, que ce soit celle de Cîteaux, que ce soit celle de Rancé, que ce soit celle de Thérèse, on revient toujours à des observances. Ce n'est pas quelque chose d'éthéré, ce n'est pas quelque chose de désincarné.
Non, les premiers cisterciens voulaient revenir à l'observance Iittérale pour eux de la Règle de Saint Benoît ; Rancé voulait revenir à l'observance du Cîteaux primitif ; Thérèse voulait revenir à l'observance du Carmel primitif. C'est toujours quelque chose qui doit être concrétisé dans des gestes, presque dans des déglutitions au plan de la nourriture, au plan du sommeil, au plan de la posture, enfin dans des tas de détails qui montrent que le spirituel d'origine est à nouveau incarné.
Et ce qui fait un peu la difficulté aujourd'hui, c'est que dans la pratique nous n'avons plus d'observances. C'est à dire que dans les monastères, on vit encore sur l'acquis antérieur, l'acquis d'il y a une vingtaine d'années. Chez les anciens, c'est entré dans leur façon de vivre, dans leurs moeurs et ils ne peuvent pas faire autrement. Et les jeunes qui arrivent, ils voient cela et ils font la même chose. Mais, je dirais que l'esprit n'est plus à l'intérieur pour les animer, à mon avis. Il me semble qu'on a perdu le sens spirituel des gestes que l'on pose, des gestes bien concrets.
Enfin, restons-en là à ce sujet et revenons à notre question : Savons-nous personnellement et communautairement ce que nous voulons ? Or, la réussite d'un projet monastique personnel ou communautaire dépend de la réponse à cette question. Rancé et ses frères étaient seuls, ils étaient seuls à côté de tous et ils étaient aussi seuls contre tous. Mais voilà, ils sont arrivés au sommet de leur vocation et de leur projet.
Rappelons-nous ceci - vous vous en souvenez peut-être ? - on n' y croyait pas. Ceux qui étaient à l'extérieur n'y croyaient pas. Et le Vicaire de la Stricte Observance a voulu faire personnellement la Visite Régulière pour voir ce qu'il en était, pour entendre des moines qui n'étaient pas d'accord avec leur Abbé qui leur en faisait trop voir, qui était trop exigeant, etc.
Il les a entendu et pas un seul, mais pas un seul, n'a élevé la moindre critique contre l'Abbé. Au contraire, ils ont dit qu'il était encore beaucoup trop bon mais que eux voudraient encore aller plus loin, mais que il les ménageait. Il y avait une unanimité... des gens qui voulaient.
Naturellement, encore une fois, cela ne veut pas dire que j'approuve tout ce qui se passait là-bas. Loin de là ! Comme je vous l'ai déjà dit, et certainement à certains en privé, aujourd'hui Amnesty International interviendrait certainement pour mettre un peu d'ordre là dedans. Mais enfin, à l'époque c'était ainsi, c'était bien. N'en parlons plus.
Eh bien, pour avoir une petite transition car il sera temps d'aller à l'église, ces hommes - je parle de la Trappe maintenant puisque nous avons entendu longuement cette histoire au réfectoire - ces hommes, ils avaient un appui solide, ils avaient un stimulant de chaque heure, ils étaient des convertis. C'étaient des convertis.
Ils venaient d'une vie de débauche, d'une vie de brigandage, d'une vie d'exploitation des autres. Et voilà, ils avaient introduit un bouleversement dans leur vie. C'était autre chose, ils étaient des convertis et ils devaient alors expier pour ce qu'ils avaient fait.
Eh bien, c'est une remarque que je fais pour moi et, la faisant pour moi je la fais au nom de tous, ce qu'il nous manque peut-être, ce qui nous manque peut-être c'est cette composante essentielle de toute vie monastique : le sentiment cuisant d'être des convertis.
Cela n'e veut pas dire qu'il faut avoir eu même auparavant une vie comme celle de l'Abbé de Rancé et de ses compagnons. Non, mais dans toute vie monastique, si on n'a pas le sentiment d'être des convertis, je pense bien qu'il nous manque quelque chose et que nous ne parvenons pas à savoir ce que nous voulons. C'est cela le ressort.
Eh bien, si vous le voulez, nous verrons demain ou après comment ce que je viens de dire est justifié et comment nous pouvons, nous qui sommes tout de même, qui étions dans le monde des angelots, nous verrons un petit peu comment nous pourrons dans le monastère à partir de ce que nous sommes - pas des brigands - vivre ce sentiment d'être des convertis.
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Mes frères,
Est-ce que nous prenons au sérieux ce que Saint Benoît nous dit ce soir ? Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons, 13,28. Et ainsi, on se purifie des fautes que l'on commet en scandalisant, comme dit Saint Benoît, les autres. Moi, je pense que c'est très important. Et cela fait partie de ce processus de conversion dont je vous parlais encore hier.
Nous sommes certes bien différents des convertis qui entouraient l'Abbé de Rancé mais, nous pouvons très bien, et nous devons, entrer dans le réalisme de cette conversion par le bief de la Culture religieuse et monastique qui est la nôtre aujourd'hui.
Je vous disais que cette composante essentielle de notre vie qu'est la conversion devait s'exprimer dans une approche des événements qui nous touchent, une approche qui ne soit pas purement rationnelle, animale, charnelle, mais qui soit une vision de foi ; c'est à dire que nous nous exercions à voir dans les événements une main qui agit sur nous.
La vie monastique - ne l'oublions jamais - est l'actualisation quotidienne du mystère pascal. Elle n'est rien d'autre que cela. Nous ne sommes pas ici au niveau de la spéculation mais de l'existentiel, du concret, du matériel. Les événements de nos journées sont le char, le véhicule qui nous permet de traverser l'épaisseur et qui vont nous introduire dans l'univers de la résurrection.
Au début, cette vision sera très obscure. Pourquoi ? Mais parce que nos yeux ne sont pas encore ouverts. Et nous devons donc nous appuyer sur le témoignage d'un autre qui, lui, a déjà des yeux qui sont des yeux d'enfant. Je ne dirais pas encore d'adulte parce que la stature d'adulte est acquise lorsque vraiment au moment de la mort biologique, au terme comme ça d'une vie de recherche, d'une vie d'ouverture à Dieu, on entre mais en plein dans la création nouvelle et que le corps nouveau enfin est délivré et peut apparaître alors devant le Christ et ses saints.
Mais je parle d'un homme qui a des yeux d'enfant, c'est à dire des yeux purs, des yeux clairs, des yeux lumineux qui sont accordés à la lumière de Dieu. Et alors cet homme peut dire : voilà exactement ce qui se passe, voilà celui qui est à l'oeuvre derrière les choses et qui les manoeuvre. Non pas comme un tyran, un despote mais comme un Père qui n'est qu'amour et qui, petit à petit, nous introduit dans son univers à lui. C'est cela, vous voyez, le coeur et l'essence même de la vie monastique. Il ne faut pas la chercher ailleurs.
Au début, les yeux sont donc comme ça encore fermés comme ceux d'un tout petit enfant qui ne voit pas. Et puis alors petit à petit ils s'ouvrent. L'obscurité devient la pénombre et puis alors finalement soi-même on commence à voir la lumière dans la mesure toujours naturellement où le coeur se purifie. Car les yeux qui s'ouvrent, c'est un coeur qui devient pur.
Alors, je pense que le jeu en vaut tout de même la chandelle et que il ..?. ..?. cette logique qui était celle de l'Abbé de Rancé à son époque, dans sa Culture : savoir ce que l'on veut. Et alors, sachant ce que l'on veut, donc vivre ce mystère pascal jusqu'au bout. Alors voilà, on fait comme Saint Benoît, on ne marche pas, on court.
Et naturellement le mystère pascal, lui, il est lié intimement au mystère de la croix. Et il est plus que lié à ce mystère de la croix, il est le mystère de la croix en œuvre ; mais non pas une croix sinistre, mais une croix qui est toute entière porteuse de gloire déjà.
Et alors, je me suis rappelé tout à l'heure ce que nous avons entendu ce matin de la bouche de l'Apôtre Paul, et c'est très bien choisi pour célébrer ce tout grand évêque qu'était Saint Ignace d'Antioche. Je pense que cela vaut la peine de le rappeler : Beaucoup se conduisent comme je vous l'ai dit souvent et comme je vous le redis maintenant en pleurant, beaucoup se conduisent en ennemis de la croix du Christ.
Eh bien mes frères, parfois moi aussi j'ai envie de pleurer lorsque j'en vois un qui se conduit en ennemi de la croix du Christ. Qu'est-ce que cela veut dire ça : se conduire en ennemi de la croix du Christ ? Il l'explique : Eh bien, ce sont ceux-là dont leur dieu est leur ventre. C'est à dire que leur Dieu, c'est eux, c'est leur réussite personnelle, c'est leur ambition, c'est leur égoïsme, c'est leurs petits intérêts. C'est cela leur ventre. C'est leur nombril qu'ils regardent, on ne peut pas toucher. .
Et alors, ce sont ceux-là aussi qui se préoccupent des choses de la terre. Ce n'est pas facile à traduire, il faut sentir les nuances du texte grec. Ce sont ceux dont l'intelligence, dont l'imagination, dont tout ce qui est eux - donc ce sont les choses de ce monde-ci - donc ce sont ceux qui refusent le mystère pascal parce que ils s'accrochent aux intérêts de cette terre. Ils ne vont pas plus loin.
Alors, l'Apôtre dit : Leur fin, c'est leur perte. C'est à dire qu'ils n'arriveront à rien du tout. Donc ils seront de ceux-là qui ont péri dans le désert. Ils n'entreront pas dans l'univers de Dieu.
C'est cela que l'Apôtre veut dire. Il a toujours à l'arrière plan cet événement extraordinaire de l'exode et du passage de cette terre d'esclavage où on est rivé, rivé à la chair et au terrestre, et à l'ambition et, de l'autre côté il y a la terre promise, c'est à dire le Royaume de Dieu qui est celui de la liberté, celui de l'amour, de la compassion, celui de la communion, et celui de la liberté et de la plénitude parce que on est devenu un seul être avec Dieu.
Alors il dit : nous, notre citoyenneté, elle est dans les cieux. C'est à dire notre cité, c'est là que nous habitons. Elle n'est donc pas ici sur terre. C'est à dire qu'on vit ici sur terre bien concrètement, bien réellement. On n'est pas des utopistes qui vivent dans l'air comme ça, des désincarnés. Non, on est vraiment, vraiment des hommes de la terre parce que nous sommes de la terre, mais nous sommes des citoyens du monde à venir.
Voilà, il faut tout de même arrêter. Eh bien, je pourrais peut-être continuer demain martin et puis, voilà, nous en ferons notre profit avec la grâce de Dieu. Et nous demanderons à Saint Ignace qu'il mette un tout petit peu dans notre coeur et dans notre esprit un grain de sa foi, lui qui sentait en lui, à l'intérieur de lui, une voix qui toujours lui disait : viens vers le Père ! Il sentait cette eau qui bouillonnait dans son coeur et c'était l'eau de l'Esprit.
Eh bien voilà, mes frères, c'est cela notre vocation, c'est cela notre vie et, c'est aussi notre mission.
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Mes frères,
Le mystère Pascal est l'essence même de notre vie monastique. Et au creux de ce mystère est caché - nous l'avons vu hier - le mystère de la croix. Et quand nous parlons de croix, nous ne devons pas encore une fois commencer à spéculer sur ces réalités théologiques extrêmement belles, mais nous dire que ce mystère nous heurte de plein front chaque jour, dans les moindres de nos activités. Pourquoi ?
Mais parce que nous sommes des êtres pécheurs et nous ne parvenons pas à nous accorder aux autres qui sont aussi des pécheurs, ni à percevoir dans les événements qui nous touchent la beauté de ce mystère qui, à travers la mort à notre égoïsme, nous permet d'entrer dans la lumière de la véritable vie. Et cela tout de suite, il ne faut pas attendre la mort. Nous devons y aller le plus vite possible.
Et nous avons ainsi l'occasion d'exercer notre foi et de nous convertir. Les disciples de Rancé s’imposaient toutes sortes de pénitences, de mortifications pour bien prouver à leurs yeux qu'ils voulaient sincèrement se convertir. Eh bien, je pense qu'aujourd'hui c'est peut-être encore plus pénible qu'à l'époque de Rancé car là, malgré tout, c'étaient des choses qu'ils s'imposaient.
Donc, quand on s'impose quelque chose, il y a tout de même là-dedans, je ne dis pas une petite recherche de soi, petite oui, et puis voilà, cela ne nous paraît pas tellement dur parce que c'est nous autres qui le disposons ainsi. Vous savez, quand on se donne des disciplines jusqu'au sang, lorsqu'on porte des instruments de crin sur la peau, oui, c'est pénible. Mais enfin, il y a là-dedans une petite satisfaction.
Tandis que nous aujourd'hui, nous devons supporter les contrariétés que nous ne cherchons pas et qui nous tombent dessus de la part de nos frères, de la part des événements, de la part de Dieu lui-même qui voyant notre bonne volonté ne se gêne pas alors pour nous pousser toujours plus loin sur la route qui nous conduit à la pureté du coeur.
Eh bien, l'exercice de notre conversion à nous, c'est précisément cela, c'est d'avoir les yeux ouverts et de bien comprendre que c'est Dieu qui est à l'oeuvre. Et nous passons ainsi de réactions purement charnelles, naturelles, des réactions de défenses, des réactions d'agressivité, des réactions de n'importe quoi à une vision de foi qui nous fait accueillir ce que Dieu nous offre pour notre bien, pour notre salut comme on dit en termes plus techniques.
Si bien que petit à petit notre citoyenneté, notre patrie, notre séjour, il est dans les cieux. Et c'est de là, nous dit Saint Paul, que nous attendons comme Sauveur le Seigneur Jésus-Christ. Vous voyez, je disais il y a quelques secondes que nous allions vers notre salut, c'est à dire que nous accueillons dans notre vie un Sauveur, c'est à dire un homme comme nous mais qui va nous libérer de nous, de tout ce qui nous empêche, allons disons, d'être pleinement heureux.
Parce que la source de nos difficulté, il ne faut pas aller la chercher a l'extérieur de nous. Elle est à l'intérieur de nous. Et ce qui nous touche de l’extérieur, ça ne fait que révéler ce qui est nous. Eh bien, lorsque ce qui est en nous est délivré,
alors nous sommes parfaitement libres quelque soit le milieu dans lequel nous nous mouvons. Et celui qui peut ainsi nous délivrer, c'est le Seigneur Jésus-Christ, lui qui est devenu homme pour que nous puissions devenir Dieu. Il participe à notre misère de chair pour que nous puissions participer à sa gloire de Dieu.
C'est un admirable échange, comme nous le chantons dans l'une de nos antiennes. Lui, dit l'Apôtre, qui va métamorphoser, qui va transfigurer notre pauvre corps ; littéralement, c'est le corps de notre humilité, le corps qui nous réduit à l'état de rien du tout. Notre pauvre corps, il va le rendre semblable. Donc, ce sera une apparence, une forme qui sera unie à la sienne. Il n' y aura pas, je dirais, nous ne serons pas devant lui comme devant un miroir qui nous renverrait notre image. Non, nous formerons un seul être avec lui, nous serons parfaitement les membres de son corps.
Il y a ici chez l'Apôtre Paul une particule qui revient souvent. C'est sun en grec et c'est cum en latin et il n'est pas possible de la rendre parfaitement en français. On peut dire conforme, mais attention alors ! Nous devons bien savoir, et étymologiquement, que ça veut dire une forme qui devient une avec la sienne. Nous devenons vraiment lui. C'est lui qui vit en nous et c'est nous qui vivons en lui.
Et alors, ce pauvre corps de misère va devenir semblable, conforme à son corps de gloire à lui, à son corps de ressuscité. C'est donc cela. Nous devons être transfigurés, nous devons connaître la gloire de sa résurrection avant notre mort biologique. C'est à ça qu'il faut insister. Il ne faut pas attendre après, c'est tout de suite. Naturellement à l'extérieur, il ne paraîtra rien, mais notre corps nouveau, notre corps spirituel sera bien là, déjà bien vivant, C'est lui qui dirigera toutes nos pensées, toutes nos imaginations, toute notre sensibilité. Et c'est lui conforme au sien.
Si bien que à notre dernier jour, ce sera comme pour une chenille, une chrysalide qui laisse tomber ce qui est là, ce qui ne peut pas durer et puis alors, le papillon que nous serons va alors pouvoir se manifester dans toute sa couleur, dans toute sa beauté. Voilà, c'est ça que nous devons vivre ici dans le monastère.
Et il pourra réaliser cela, dit-il, grâce à l'énergie, à ce qui travaille dedans, à l'énergie,à la puissance par laquelle il peut, lui, se soumettre tout. Voilà, tout. Il est tellement présent en tout, caché en tout, pauvre en tout, impuissant en tout, invisible en tout que, en réalité grâce à l'amour qu'il est, il dirige tout et il se soumet tout. Et alors, c'est cet amour agissant en nous qui va nous métamorphoser et faire de nous ce qu'il est.
C'est pourquoi, mes frères, mes bien-aimés, vous que je désire tellement, vous qui êtes ma joie et ma couronne, ainsi tenez ferme dans le Seigneur, mes bien-aimés.
Vous voyez un peu ce qu'il dit ! Tenez ferme, cela veut dire tenez-vous debout, ne vous laissez pas abattre par ce qui vous arrive et, alors vraiment, vous exercerez votre vocation de chrétien, votre vocation d'homme et, nous ici, notre vocation de moine.
Mais 'voilà, mes frères, pour en revenir à cette affaire de conversion, nous sommes des convertis ici dans le monastère lorsque nous faisons attention à nous et que toujours nous avons à l'esprit ce désir, ce besoin de passer d'une approche charnelle des choses à une approche spirituelle.
Donc, de ne plus réagir comme des hommes, des animaux instinctifs qui ont peur, qui se défendent mais comme des fils de Dieu qui s'ouvrent à tout ce que leur Père leur présente. C'est cela notre conversion. Ce n'est pas facile. C'est beaucoup plus dur que ces affaires de Rancé, vous le savez aussi bien que moi.
Alors voilà, nous devons nous y prêter et au delà, je dirais de ce tunnel, c’est l'ouverture sur les espace infinis de l'agapè, de la caritas, de la charité comme nous le dit lui-même Saint Benoît.
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Mes frères,
Voir partir un postulant qui a passé onze mois parmi nous est toujours traumatisant pour une communauté, surtout quand pendant des années on n'a accueilli personne. Cependant nous ne devons pas sombrer dans le découragement. C'est le moment de pratiquer cette conversion tellement chère à Saint Benoît et à notre Père l'Abbé de Rancé, à savoir comme je l'expliquais : passer d'une approche rationnelle de la situation à une vision de foi.
Et cette vision de foi est celle-ci : c'est que nous ne sommes pas chez nous. Nous sommes dans la maison de Dieu. Nous sommes les gérants d'un domaine, nous sommes les économes d'un palais. Et alors Dieu, il peut appeler qui il veut à remplir ce palais. Nous n'avons pas de compte à lui demander. La seule chose que nous devons faire, c'est rendre sa maison belle, propre, pure, attrayante.
Mais n'oublions pas que d'abord, c'est nous-mêmes en tant que personne et en tant que communauté qui constituons ce temple de Dieu. Donc, si chacun d'entre nous travaille à la purification de son coeur, s'il s'offre à la lumière de l'Esprit et à son feu, à ce moment le temple spirituel se construit et Dieu peut alors en toute sécurité agréger d'autres pierres à ce temple, mais s'il le désire ! Parce que là nous ne sommes pas juges. C'est lui qui en définitive doit veiller sur nous et sur notre avenir.
Il le fait certainement mais, encore une fois, à sa façon. Il a des manières d'agir qui sont extrêmement déroutantes. Et pourtant, à travers toute l'Histoire de l'humanité, nous les découvrons. Il a laissé des jalons qui nous permettent de déchiffrer ses manières d'agir. Et en voici une, par exemple, qui est constante : Lorsqu'il veut réaliser de grandes choses, il fait attendre, il laisse aller jusqu'à presque un point de catastrophe.
Prenons le cas de tous ces prophètes de l'Ancien Testament, tous ces saints de l'Ancien Testament. Mais la plupart sont nés de parents qui avaient presque perdu l'espoir d'avoir des enfants. On dirait que Dieu veut attiser le désir ? C'est ça ! Il veut éveiller le besoin et cela au sein d'une attente qui ne s'achève pas, une attente qui semble durer toujours.
C'est pourquoi, mes frères, nous ne devons pas perdre conscience, ni perdre courage. Le troupeau est petit, mais l'essentiel est que le troupeau soit en bonne santé, que le troupeau soit bon, que chacun d'entre nous marche dans la même ligne c'est à dire poursuive le même but qui est la sainteté, pas la réalisation personnelle.
je le disais encore à un frère aujourd'hui : nous ne sommes pas ici pour nous réaliser à notre manière mais, nous devons permettre à Dieu de nous réaliser. Lui, il veut nous réaliser. Alors si on se laisse faire par lui, mais à ce moment-là, on est vraiment un avec lui. Et alors, je dirais, c'est à lui à faire le reste.
Et puis attention ! Il y a une tentation lorsqu'il y a une petite communauté, c'est d'ouvrir les bras à tout le monde, à n'importe qui ! Et c'est très dangereux. Je me souviens au Chapitre Général de 1980 je pense que je ne l'oublierais jamais - on pouvait choisir de faire partie de petits groupes qui discutaient de sujets qui intéressent.
J'avais choisi l'économie et puis le recrutement. Il y avait des Abbés de toutes les langues là-dedans. Eh bien, j'entendais l'Abbé de Mepkin, un Américain, qui disais ceci : plutôt périr que d'accepter un seul postulant qui ne serait pas certainement appelé à partager notre vie. Et je me disais : il a raison. Nous n'avons pas le droit.
Eh bien, je vais vous raconter une petite histoire pour vous montrer quelque chose, une histoire vraie qui est arrivée cette année-ci et qui m'a été racontée par un Père Spirituel très connu. C'est dans un monastère. Voilà qu'avant l'Office de None se présente à la porterie un espagnol qui dit qu'il voudrait bien parler au Père Abbé.
Mais le Père Abbé est occupé et il envoie un Père à sa place, ce fameux Père Spirituel qui est vraiment quelqu'un de bien. Il voit donc cet espagnol qui lui dit : voilà, j'arrive d'Espagne. Là-bas j'ai eu une apparition de la Sainte Vierge et elle m'a dit que je devais entrer dans votre monastère. Eh bien je viens, je suis là.
Bon, que faire ? Heureusement, c'est l'heure de None. Il lui montre la place des retraitants et va lui-même à l'Office. Après None, il voit le Père Abbé et lui dit : il y a quelqu'un qui est là, mais c'est pour vous, c'est pas pour moi.
Donc l'Abbé y va et l'espagnol lui raconte la même chose. L'Abbé écoute davantage parce qu'il n'y a plus de None. Il avait plus de temps et l'autre raconte les détails de son apparition et les messages de la Vierge Marie. Arrive l'heure des Vêpres. Qu'est-ce que voit le Père Spirituel ? Il voit l'espagnol à l'Office, au choeur, au noviciat ! Voyez-vous, comme ça d'un seul coup.
Et voilà notre espagnol qui est là au noviciat. Enfin, après un peu de temps, on apprend qu'il est marié. Oui, il est marié et il a sa famille en Espagne. Et après une huitaine de jours, il a tout de même fallu lui dire qu'il était préférable qu'il parte. Vous voyez comme ça va !
Eh bien, nous pourrions bien faire la même chose ici. On pourrait dire : tant mieux, car comme cela il y a quelqu'un au noviciat. Cela ferait un petit roulement mais il y aurait tout de même quelqu'un. Mais ce serait en opposition à ce que disait cet Abbé Américain. Vous voyez la différence !
Voilà, mes frères, nous allons aller à l'église. J'ai encore une autre histoire du même genre qui nous touche de plus près, mais si vous le voulez, ce sera pour demain. Et encore une fois, faisons confiance à Dieu et que surtout, surtout nos intentions soient pures.
Et alors voilà, encore une petite chose qui me vient à la tête, nous avons tous notre caractère, nous avons tous notre tempérament, nous avons tous nos défauts. Et le défaut, ce qui apparaît défaut pour l'autre apparaît pour moi une belle qualité. Ce qui est de moi, c'est toujours bien. Auparavant, à la belle époque, donc avant le Concile, à l'Office de Sexte, tous les jours, tous les jours il y avait le même Capitule : Portez les fardeaux les uns des autres et ainsi vous accomplirez la Loi du Christ.
Porter les fardeaux les uns des autres, ça veut dire qu'il faut nous porter, pas nous supporter, mais porter disons les faiblesses, les vulnérabilités, aussi les défauts, les failles de caractère, tout çà, les uns des autres. Mais si on fait ça, on porte les siennes mais aussi celles des autres, et de tous les autres. Et ainsi tout est en commun. C'est cela accomplir la Loi du Christ, c'est cela vraiment, dans la mesure du possible, le Royaume de Dieu sur cette terre.
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Hier soir, mes frères, je vous posais cette question : A qui doit-on donner la priorité, à la personne ou à la communauté ? A mon sens, il s'agit là d'un faux dilemme car lorsqu'on procure le bien de la personne, on fait croître en sainteté la communauté entière composée de personnes. Il est vrai aussi que l'Esprit repose sur la communauté, qu'il l'anime, qu'il la fait croître en tant que corps.
Il y a donc une interaction constante entre les frères et le Corps qu'ils forment. Nous comprenons que la vie de l'Esprit - comme ce fut le cas au début de l'Eglise - descend sur le groupe, descend sur le Corps, descend sur la Communauté et se répand parmi tous les frères. Etre séparé de la communauté serait donc mortel. C'est la raison pour laquelle la peine de l'excommunication à l'époque de Saint Benoît était tellement terrible.
Mais d'un autre côté, dans la pratique concrète de tous les jours, l'Abbé doit tout de même donner à la personne une priorité absolue, non pas au détriment de la communauté mais toujours pour la croissance de la communauté. Il doit veiller à ce que chacun des frères puisse grandir dans la ligne que Dieu définit pour lui.
Les frères dans une communauté ne sont pas interchangeables, ce ne sont pas les éléments d'une construction mécanique. Non, ils sont chacun porteurs d'un projet qui ne dépend pas d'eux mais qui dépend de Dieu qui les a appelés. Chacun doit devenir une icône parfaite du Christ. Mais le Christ a tellement de faces que chaque icône tout en étant extrêmement originale représente aussi la figure du Christ. Voilà, mes frères, ce qui me semble être la vérité !
Maintenant, voyons encore un peu ce que dit Saint Benoît dans un cas extrême. Le cas extrême, lorsque comme le dit notre législateur il faut user du fer qui ampute, 28,20. Donc, voilà un membre, un frère qui par son endurcissement devient de plus en plus malade et risque de contaminer tout le troupeau par une sorte de contagion.
A ce moment-là, dit Saint Benoît, quand on a épuisé tous les moyens mis à la disposition de l'Abbé et des frères pour rendre la santé à ce membre malade, s'il s'avère qu'il n'y a plus rien à faire et que Dieu lui -même en juge ainsi puisque on a tous prié Dieu pour que le frère retrouve sa santé, à ce moment-là il faut le retrancher du groupe et le chasser.
Maintenant, ici encore, c'est le bien du frère qui est recherché. Il faut protéger la communauté, certes, mais rappelons-nous ce que dit l'Apôtre dans un cas semblable et certainement que Saint Benoît y pense : Que cet homme soit livré à satan pour qu'il périsse dans sa chair, mais afin que son esprit soit sauvé au jour du Seigneur.25,8.
Oui, c'est cela ! Le frère qui a été chassé n'est pas abandonné pour autant. Dieu le prend lui-même en charge à ce moment-là de façon mystérieuse mais bien réelle et, il va veiller à ce que l' esprit de ce frère, l'esprit de cet homme soit sauvé au jour du jugement.
Donc ce n'est jamais, je dirais, un choix contre. On ne choisit pas un frère contre la communauté ; on ne choisit pas la communauté contre un frère. Ce sont tous les deux qui, ensemble, sont propulsés en avant vers le Royaume de Dieu.
Pour prendre un cas bien concret que nous avons vécu dernièrement, le postulant André, on aurait très bien pu le garder ici, et le traîner ici indéfiniment. Mais c'eut été pour son malheur et celui de la communauté. Il fallait donc ici aussi se séparer de lui, non pas parce qu'il avait f ait quelque chose de mal, mais parce que Dieu ne le voulait pas ici. Mais comment faire pour s'y prendre ?
C'est là qu'il a fallu user vraiment de patience et de véritable charité. Il fallait l'amener insensiblement au jour où il allait lui-même découvrir qu'il n'était pas à sa place parmi nous. Si on avait usé de rigueur, à ce moment-là le garçon eut été humilié, il eut été blessé, il eut été traumatisé. Tandis que maintenant, il s'est détaché de la communauté comme un fruit tout mûr et il est parti content.
Voyez, mes frères, ici on a veillé tout à la fois au bien de la personne et au bien de la communauté même si la communauté a dû en souffrir. Mais cela fait partie aussi de son rôle de porter dans la charité le membre qui, voilà, doit petit à petit se détacher d'elle.
Je pense, mes frères, que nous devons tous bien réfléchir à ça. Et vous comprendrez alors combien la tâche de l'Abbé est difficile, délicate et redoutable parce que dans le fond, c'est lui qui doit être dans le Corps le réceptacle et l'instrument de la volonté de Dieu, de l'Esprit de Dieu.
Et c'est pourquoi, je pense, il faut avoir une grande commisération pour lui parce que bien souvent, pour ne pas dire toujours, il ne peut pas dévoiler son projet justement par respect pour la personne qui ne peut pas être alertée, qui doit être aimée et protégée jusqu'au bout.
Eh bien voilà, merci de votre aimable attention. Une semaine est terminée et nous allons en commencer une autre, celle qui va nous conduire à la fête de la Toussaint qui sera, je l'espère, de plus en plus et de mieux en mieux notre fête.
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Mes frères,
Ce matin, je voudrais poser une autre question : Pouvons-nous espérer voir un jour notre noviciat repeuplé ? Si nous nous fondons sur des critères purement humains, on pourrait en douter. Nous vivons en effet dans une société tellement paganisée, surtout la société des jeunes, que je pense bien que l'Histoire n'en a jamais connu de pareille. C'est une sorte de paganisation scientifique, c'est à dire technicisée. Le livre dont nous entendons la lecture au réfectoire nous en donne une petite idée.
Il serait intéressant d'analyser un peu le monde paganisé des jeunes à partir de ceux qui fréquentent notre monastère. Donc il n'est pas question de courir bien loin. Mais voilà, je pense que ce serait extrêmement délicat vu qu'on serait tenté de placer des noms sur les différents types de nouveaux païens.
Alors, il y a aussi un autre point de vue qui est le point de vue de la foi. Et là aussi, nous devons opérer une véritable conversion. Il faut passer d'une approche purement humaine à une vision de foi, nous évader du monde des hommes dont les vues sont nécessairement courtes et étroites pour nous engager dans l'univers de Dieu, pour demander à Dieu qu'il nous prête ses propres yeux, son propre coeur et, à partir de là voir la situation.
A mon sens, ce que Dieu a opéré autrefois, il peut encore très facilement l'opérer aujourd'hui. Dans le monde qui est le nôtre, il y a un besoin urgent, un besoin criant de saints et de saintes. Notre monde a besoin de saints et de saintes plus que jamais peut-être ?
Le monde a besoin d' hommes et de femmes qui soient ses poumons, qui respirent la lumière de Dieu, qui respirent l'amour de Dieu et qui ainsi le diffuse à travers tout le grand Corps cosmique. Et ainsi, la paganisation est comme neutralisée car dans les profondeurs l'humanité poursuit son évolution. Ainsi l'humanité marche vers la plénitude de sa divinisation.
Mais il faut qu'il y ait des hommes qui soient, eux, bien consciemment en voie de transfiguration. Et Dieu a besoin de tels hommes. Il va donc s'arranger pour en susciter. Et alors, il va les placer dans des jardins, des jardins clos où il va pouvoir les cultiver, c'est à dire les remodeler à l'image de son fils le Seigneur Jésus.
Eh bien, mes frères, je pense que nous devons voir les choses ainsi et nous dire que les véritables vocations monastiques seront toujours extrêmement rares. cela ne veut pas dire qu'elles n'existeront pas. Non, mais elles seront rares.
Quand je parle de vraies vocations monastiques, je pense à des hommes qui savent ce qu'ils veulent et qui sont prêts à tout pour se laisser métamorphoser en l'image de Dieu. Ils sont prêts à mourir à leur égoïsme, à leurs instincts pour acquérir de nouvelles façons d'être, de nouvelles façons de voir, de juger, de se comporter avec les autre : des hommes qui n'ont pas peur.
Il y aura peut-être une sorte de peur physique, une angoisse, une anxiété ? Cela fait partie de la métamorphose, c'est le vieil homme qui a peur. Et s'il reste sur place, cette peur est comme peu à peu transformée en une crainte qui est sainte alors, une façon propre, pure de se tenir devant Dieu et de se tenir devant les autres.
Eh bien, mes frères, je pense que si nous sommes dans ces dispositions, Dieu ne pourra pas ne pas venir à notre aide. Pour moi, c'est une certitude. Des vocations, de vraies vocations, il en suscitera pour nous si nous sommes de véritables moines. Alors, l'enjeu est là !
Maintenant, prenons bien garde ! Il y a nos passions à nous, il y a nos faiblesses, nos fragilités, mais il y a aussi l'adversaire par excellence: il y a le mauvais. Il y a celui qui veut faire échec au projet de Dieu sur le monde. Car il est - ne l'oublions pas - le souverain de ce monde, il est le prince de ce monde. Il doit être mis dehors.
Il va donc faire l'impossible pour faire autre chose, c'est à dire pour attaquer ces forteresses que sont les monastères. Et les attaques du démon sont multiformes mais il veut arriver à ceci : la première chose, il veut chasser le moine hors du monastère.
Lorsqu'il est parvenu à en chasser un, il a remporté une victoire extraordinaire contre Dieu. Je parle de chasser un moine qui a vraiment la vocation. Pour lui, ça, c'est le sommet de tout. Il y a des apophtegmes qui sont très beaux à ce sujet. Peut-être nous aurons un jour l'occasion d'en analyser un ou l'autre?
Ou bien, il va s' y prendre autrement : il va s'arranger pour faire sombrer le moine dans la grisaille de la médiocrité. Alors ça, ce n'est pas si grave, mais ça ne vaut guère mieux car il n' y a plus de ressort dans cet homme. Un tel homme ne croit plus à ce qu'il vit. Il se laisse, je ne dis pas qu'il se laisse aller, extérieurement il va suivre le mouvement parce que ça lui donne une certaine activité, mais pour le reste à l'intérieur le ressort est comme brisé. Encore une victoire pour le démon.
Ce qu'il pourra faire aussi - et ça, c'est encore plus subtil - c'est perdre un homme de bonne volonté dans les milles et mille illusions de la chair. Et quand je pense à la chair, je vois l'intellectuel aussi bien que le bassement charnel. Que va-t-il arriver à ce moment-là? Il serait intéressant encore d'analyser chacun de ces types de moine en voie de dégringolade. Mais la plus dangereuse des trois, c'est la dernière, c'est perdre quelqu'un dans l'illusion. Je connais des cas ainsi qui sont absolument, j'allais dire, hallucinants.
Et prenons bien garde parce que ça commence très bien. L'illusion est toujours très apparemment pure au début. Et puis petit à petit ça fermente. Et puis voilà, ça arrive à une catastrophe qui est irréversible alors.
Eh bien, mes frères, nous comprenons à partir de là que nerf de la vie monastique, c'est la lutte - ne l'oublions jamais - je l'ai déjà dit tant de fois. Le moine n'est pas un embusqué, le moine est un lutteur, un soldat de première ligne. Et cette lutte, elle est de tous les jours. Cela ne doit pas nous effrayer, cela ne doit pas nous inquiéter. Au contraire, cela doit nous rassurer.
Lorsque un moine est attaqué, lorsque en lui il sent la lutte, n'importe laquelle, c'est un bon signe. C'est signe qu'il est sur la bonne route, c'est signe qu'il est une proie désirable pour satan. Et alors il doit lutter. S'il ne rencontrait pas cette lutte, mais ce serait bien la preuve qu'il est sur la pente glissante. Il n'est pas nécessaire de lutter, ça se fait tout seul !
Donc voilà, mes frères, ne perdons pas courage. Pour moi, il n'y a pas de doute, le Seigneur Jésus est à l'affût. Lui aussi cherche sa proie à dévorer. Mais il veut la dévorer pour la digérer et la faire ressusciter en ce que lui est.
Notre communauté est petite. Aujourd'hui, partout, on privilégie les petite communautés. Il est inimaginable aujourd’hui qu'il y ait des communauté d'une centaine d'hommes comme c'était le cas autrefois. Il faut qu'il y ait, je dirais, plutôt des commandos, des petites communautés mais qui sont efficaces. C'est ainsi qu'on fait la guerre aujourd'hui.
Ce n'est plus avec d'immenses armées. Non, c'est avec de petits commandos d'hommes qui savent ce qu'ils veulent et contre lesquels le démon ne peut rien parce qu'ils sont soudés entre eux et qu'ils poursuivent tous le même but. Puisse le Seigneur nous accorder cette grâce à chacun et à nous tous !
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Mes frères,
Nous remarquons que Saint Benoît nous dessine aujourd'hui un trait essentiel de notre Office, certainement le plus beau et le plus engageant : c'est la présence de Dieu et de ses anges. Notre Office ne peut jamais être une récitation mécanique et formaliste. C'est chaque fois une prière authentique devant des spectateurs qui sont Dieu et ses anges. Ne nous plaignons pas si parfois nous ne voyons pas de retraitants dans les bancs. Cela n'a pas d'importance car Dieu est là avec ses anges.
Il s'agit, mes frères, d'être pénétrés de cette réalité et de veiller à ce que tout soit exécuté dans l'ordre, dans l'harmonie et dans la beauté. Le laisser-aller dans la tenue, dans les gestes, dans la voix, ce serait une incorrection, ce serait une impolitesse grave. Nous ne pouvons pas nous le permettre.
Et c'est aussi à partir de l'Office que nous prenons conscience que notre église - pour l'instant notre petite chapelle - sera vraiment ce que nous chantons le jour de la Dédicace : Domus Dei et porta caeli, la maison de Dieu et la porte du ciel. C'est à partir de l'église et surtout à partir de l'Office divin célébré dans l'église que tout le monastère est propriété, possession, domaine de Dieu.
Naturellement, une telle vision, seule la foi peut la donner. Nous
avons peut-être un penchant un peu, je ne dirais pas mauvais, il n'est pas mauvais, mais trop naturel d'être attentifs aux défauts de notre Office. Ou bien on va trop vite, ou bien on va trop lentement ; ou bien c'est trop haut, ou bien c'est trop bas ; ce n'est jamais parfait.
Eh bien, ce n'est pas nécessaire. Comme le frère Pierre l'a dit dans son homélie, un cycliste va beaucoup plus vite qu'un piéton, mais un avion supersonique à côté de ces deux-là, c'est tout autre.
Eh bien là, c'est la même chose. Au regard de cette inimaginable, inconcevable beauté de Dieu, de sa cour, de son univers, même si nous exécutions l'Office à la perfection au plan technique, ce ne serait tout de même rien du tout.
Donc, ne soyons pas fâchés des petits défauts de notre Office, c'est alors qu'il est vrai. Ce sont des hommes, ce sont des hommes faibles, fragiles, vulnérables, des hommes pécheurs qui célèbrent cet Office devant leur Dieu. Et Dieu qui nous aime est heureux, très, très heureux parce qu'il nous voit dans notre naturel, dans notre spontanéité. Et bien souvent, les psaumes font appel à la miséricorde de notre Dieu. Nous pouvons être certains que son oreille à ce moment-là est plus ouverte que jamais parce qu'il nous aime.
Et voilà, c'est la foi qui nous donne cette vision de notre Office. Et il faut encore toujours revenir à ce que je vous expliquais il y a quelques jours : c'est notre effort de conversion. Nous sommes, nous devons être des convertis d'une approche charnelle des choses et des personnes à une vision divine, surnaturelle de la réalité. Non pas une réalité fugace, mais une réalité qui est déjà éternelle.
Alors cette conversion, c'est un mouvement, un mouvement constant, le mouvement fondamental de la vie monastique. Alors, s'il n' y avait plus dans notre vie ce besoin de conversion, ce désir de changement et de progrès, de passage, ce serait fini. Nous aurions perdu notre vie qui est la réalisation dans de pauvres coeurs d'hommes du mystère Pascal, donc du mystère d'un passage.
Alors nous devons ainsi arriver à être capable au cours de l'Office, et puis à partir de l'Office de vivre toujours dans la compagnie de Dieu et de ses anges. Et quand nous serons arrivés à ce stade-là, il n'y aura plus jamais de difficultés entre nous. Ce sera fini. Alors, dépêchons-nous d'y arriver, c'est mon souhait et je sais, c'est notre prière à chacun d'entre nous.
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Mes frères,
C'est à partir d'un Chapitre comme celui-ci, le 20°, que nous constatons combien Saint Benoît est dans la vérité lorsqu'il dit que sa Règle est écrite pour de débutants. C'est une minima inchoationis Regula, une toute petite Règle écrite pour les débutants, 73,23. Et c'est vrai !
Il nous parle aujourd'hui de la prière. Elle doit être brève, elle doit être pure, 20,9 ; elle doit être présentée à Dieu avec la puritas devotione, la pureté de dévotion, 20,6. Cela signifie que l'intention de cette prière ne doit pas être de satisfaire nos besoins égoïstes, notre appétit d'être, mais nous devons demander à Dieu qu'il nous prenne tout entier.
C'est cela que signifie la devotio, nous ne vivons plus pour nous, nous vivons uniquement pour lui et nous nous recevons de lui. Voilà quel doit être l'objet de nos prières.
Et Saint Benoît en reste là. Si nous désirons pénétrer plus loin dans le secret de la prière, il nous dirige vers ses propres Maîtres à lui et particulièrement Cassien qui a enquêté auprès des grands Docteurs du désert et qui nous a dit en quoi consistait la prière, la grande prière pour le moine.
Il nous dit que nous devons arriver à l'oratio continua, à la prière continue, constante. Il explique en quoi ça consiste. Ce n'est pas à traduire en français, c'est très difficile. Il évoque ce que doit être un homme qui est devenu tout à fait prière.
La volutatio cordis, dit-il, c'est à dire tout ce qui roule dans le cœur, ce qui virevolte dans le cœur, tout ce qui tourne dans le cœur, tout ce qui bat dans le cœur, ce n'est plus que l'Esprit Saint. A ce moment, il n'y a plus rien d'autre qui intéresse le moine que le Christ ressuscité, la Trinité, l'univers de Dieu. Il y est déjà entré et, à ce moment-là, tout son être est devenu une oratio. Mais attention ! Maintenant, il ne demande plus, il est en conversation perpétuelle avec Dieu.
Donc Saint Benoît, ici, nous parle de la prière de demande. Cassien en parle aussi, mais il nous élève jusqu'au sommet où l'être même dans un silence d'une profondeur abyssale est devenu une parole qui reflète la Parole de Dieu, le Verbe de Dieu. Et voilà, le moine, alors, est arrivé au sommet de sa vocation et de sa mission ici sur terre. Maintenant, comment cela peut-il se faire ? Eh bien, en soi c'est extrêmement simple. C'est nous qui sommes effroyablement compliqués.
Lorsque le Christ ressuscité - car dans le fond il s'agit toujours de Lui, de Lui et de son Esprit - lorsqu'il rencontre un homme qui est décidé à se laisser saisir et à se laisser refaçonner, à se laisser transformer, à ce moment-là, il travaille jusque dans les parties les plus profondes de l'être spirituel, dans la partie charnelle aussi car rien n'échappe à son action. Et voilà qu'à l'heure où l'assainissement à l'intérieur du moine est déjà très, très avancé, à ce moment-là, le Seigneur Jésus se montre dans son être de ressuscité.
Si bien que l'homme le voit, non pas avec les yeux de la chair mais avec les yeux du cœur. Et cette vision de lumière entre en lui et de plus en plus, de plus en plus transforme jusqu'à sa chair, jusqu'à sa viande. Si bien que le moine à ce moment-là connaît de façon très réelle sa propre transfiguration.
Il est donc devenu une sorte de miroir dans lequel le Seigneur Jésus ressuscité se reconnaît, dans lequel il s'admire. Il est heureux d'avoir conduit un homme à ce niveau, à ce niveau de lumière - je ne dis pas de perfection parce que quand on parle de perfection, il y a encore des connotations païennes - à ce niveau de ressemblance. Et il en est heureux.
Eh bien, mes frères, vous allez dire : tout cela c'est très beau, mais ce n'est pas vrai. Peut-être ? Mais je pense que nous pouvons faire confiance à ceux qui ont fait cette expérience et qui nous invite à la faire. Mais pour en arriver là, il faut avoir toujours, comme nous dit Saint Benoît, la puritatis devotio. Donc, il faut que tout notre être soit rendu à Dieu, que notre intention soit uniquement, uniquement de lui appartenir sans qu'il n'y ait plus en nous le moindre retour sur des besoins qui en réalité sont factices.
Je vais prendre un exemple qui est au niveau alors plutôt communautaire. Nous serions très, très heureux naturellement si quelques postulants sérieux pouvaient se présenter. Nous pouvons demander au Christ de nous en envoyer. Mais quelle est réellement notre intention ?
Est-ce que, voilà, c'est pour être encouragé et pouvoir se dire qu'il y a des jeunes ? Ou bien est-ce par une certaine peur ? Car voilà, on commence tout doucement à devenir un petit peu âgé. Et de se dire : qu'est-ce qui va arriver si nous prenons de l'âge et que nous diminuons de nombre ? Et les charges, comment allons-nous les remplir ? Donc, une sorte de désir qui n'est pas pur parce que c'est à partir de nous que nous le formons.
Mais il y a aussi une autre façon de présenter les choses. Alors nous sommes dans la puritatis devotio. C'est de dire : il en faudrait pour que ces hommes puissent devenir des saints ! Alors c'est vrai ! C'est de cette façon-là que nous devons prier, mais sans arrière pensée. Dussions-nous mourir, pour nous tant pis, c'est l'affaire de Dieu. Mais que Dieu tout de même s'arrange pour que il y ait des saints sur cette terre de Saint Remy. A ce moment-là, moi je suis certain que il ne pourra pas résister à une telle prière. Comme le dit Saint Benoît ici en 20,8 : nos exaudiri sciamus, sachons que c'est de cette façon-là que nous sommes exaucés.
Voilà, mes frères, merci d'avoir écouté mon petit laïus. Nous allons maintenant nous rendre à l'église et nous essayerons, voilà, d'avoir dans notre cœur cette puritatis devotio. Et si nous ne l'avons pas encore tellement, nous lui demanderons de nous l'accorder.
Mes frères,
Je terminais une des dernières fois en disant que nous devions arriver à être capable de vivre dans la compagnie de Dieu et de ses anges car c'est en leur présence que nous devons célébrer l'Office divin. Dès que nous entonnons cet Office, nous ne sommes plus des hommes, nous commençons à devenir des être en voie de transformation, de métamorphose.
Nous devons acquérir ce que les anciens moines appelaient le statut angélique. Pour eux, la vie monastique, c'est une vie angélique, c'est une vie semblable à celle des anges. Non pas par une sorte d'angélisme qui nous mettrait dans un état de désincarnation, mais par une vie qui est toujours suspendue à Dieu, à sa beauté, à son amour, qui se reçoit de la Sainte Trinité et puis alors qui ne fait que se restituer à elle.
Si bien que nous pouvons en voyant cet idéal qui nous est proposé et qui n'est rien moins que la sainteté, nous comprenons que l'Office divin nous dépasse de tout côté. Ce n'est pas une fonction purement humaine. Elle est exercée par des hommes naturellement et nous sommes entourés de leurs faiblesses et habités par leurs peurs. Non, c'est autre chose que cela.
C'est exécuté par des hommes mais ça nous dépasse en ce sens que ça se saisit de nous. L'Office divin doit se saisir de nous et nous emporter avec lui. Voilà ! Or, cela n'est possible que si nous nous ouvrons à cette vertu mystérieuse qu'on appelle la foi. Je me répète mais on ne le dira jamais assez, la foi n'est pas une croyance. La foi est une participation à l'être même de Dieu. C'est une façon de connaître les choses qui est la façon même de Dieu.
Avant d'aller à la chapelle, je lisais quelques mots dans l'Epître aux Colossiens et je me disais : c'est tout à fait ça. Je demande pour vous, dit l'Apôtre, que vous soyez emplis de la connaissance de Dieu. Emplis !
Le mot qu'il utilise est une sorte de plénitude. Le mot grec veut dire que c'est rempli jusqu'au dessus, on ne saurait plus en ajouter. Que vous soyez emplis de la connaissance de Dieu - et c'est ceci - en toute sagesse et intelligence spirituelle.
Donc, il y a une connaissance qui est une intelligence qui est spirituelle en ce sens que elle est de l'Esprit-Saint. Donc, l'intellect est habité par l'Esprit-Saint qui ouvre les yeux sur les réalités profondes, les réalités vraies, les réalités éternelles. Tandis que l'intelligence charnelle purement humaine, elle ouvre les yeux de l'intellect sur l'aspect extérieur des choses même si nous avons l'impression de pénétrer leur intérieur. Non, c'est toujours une connaissance superficielle, ce n'est pas la façon dont Dieu les voit, ce n'est pas la façon dont Dieu les travaille.
Or, le chrétien est un homme qui a reçu la faculté de voir les choses, les événements, sa propre personne, celle des autres de façon dont Dieu, lui-même les voit. C'est ça la foi ! Ce n'est rien moins que cela. Et cette grâce, nous devons la demander.
Maintenant quand il dira perdre la foi, cela ne veut pas dire que je ne crois plus à la Trinité, etc. Non, j'ai perdu cette faculté de voir les choses comme Dieu les voit et je dégringole au niveau purement naturel.
A ce moment-là, j'ai perdu la foi. Cela ne veut pas dire que je suis en état de péché. Rien du tout, mais voilà, je vois les choses comme dira l'Apôtre ailleurs de façon psychique, c'est à dire de façon purement humaine, ou de façon animale ou charnelle. Et c'est remarquable parfois, mais je ne vais pas citer d'exemples parce que c'est trop délicat.
Mais tout de même, à la fin de l'oraison j'ai reçu un coup de téléphone. C'était une chose urgente, une autorité civile. J'ai reçu une plainte concernant l'Abbaye. Et voilà, j'ai dit : c'est juste, mais voilà la situation telle qu'elle est réellement, dans laquelle l'Abbaye est engagée par obéissance. Et il m'a dit : bon, je comprends très bien, je vais rassurer. Maintenant que j'ai la réponse, je vais dire les choses comme elles sont.
Donc, il y a chez les gens du monde une vision purement, disons, naturelle, superficielle des choses et puis alors, il y a la vision qui est la vision de Dieu lui-même. Et quand on la communique à quelqu'un de bonne volonté, aussi tôt elle comprend, la foi s'éveille en elle et elle peut alors communiquer cette vision aux autres personnes. Vous voyez !
Voilà, mes frères, c'est comme ça. La foi, c'est quelque chose qui se communique, qui est contagieux et, c'est le but même de l'évangélisation. On parle de "Nouvelle Evangélisation", c'est ça, c'est ouvrir l'intelligence du chrétien aux réalités du Royaume, aux réalités de Dieu. Et ça naturellement, ce n'est pas simple, ce n'est pas facile.
Mais dans ce domaine-là, il me semble que nous devons donner l'exemple parce que si nous ne parvenons pas à le faire, mais les pauvres malheureux gens du monde comment vont-ils s'en sortir ? Tandis que si nous le faisons, mais tout le Corps entier de l'Eglise acquiert une meilleure santé et la vision va s'ouvrir alors quelque part dans le monde.
Et ça, nous le connaîtrons au jour du jugement lorsque le Seigneur Christ nous dira ce que nous avons réussi de beau à l'intérieur de notre vie monastique.
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Mes frères,
Cette année, notre récollection de Novembre tombe le jour de la Toussaint. A travers cette coïncidence providentielle, il me semble percevoir une parole, un message que je vais essayer de partager avec vous pour l'essentiel.
Demain, nous allons célébrer la solennité qui réunit en une même célébration tous les saints, toutes les saintes, connus et inconnus. La sainteté, le Cardinal Ratzinger vient encore de nous en parler, la sainteté n'est-elle pas notre vocation première et dernière.
Vocation première, parce que nous sommes toujours orientés vers elle quelque soient les événements qui sous-tendent notre vie ; vocation dernière, parce que en elle sera dévoilé notre nom véritable. Notre identité vraie, elle se déploie à l'intérieur de notre sainteté.
Voilà donc tout notre cheminement englobé dans la sainteté au départ, et à l'arrivée, et tout le long de la route. Mais voilà, croyons-nous, ça ? Désirons-nous devenir des saints ?
Disons tout de suite que la sainteté n'est pas socialement rentable. La sainteté est gratuité pure, totale, sans le moindre intérêt propre. La sainteté, le Cardinal vient de nous le rappeler, est une parousie de l'eschaton, elle est une apparition de Dieu sur notre terre et c'est tout. Elle est cela et rien d'autre.
Alors, pourquoi ne partons-nous pas à la quête de cette sainteté ? Eh bien, parce qu'elle ne rapporte rien. Nous sommes des gens pratiques. Ce qu'il nous faut, c'est de l'argent - disons-le - c'est de l'avoir, c'est des choses que nous tenons en main, que nous pouvons manipuler et nous avons alors l'illusion de devenir quelqu'un.
Dans le fond, nous ne tendons pas vraiment vers la sainteté parce que nous restons des idolâtres invétérés. Il y a donc là un besoin absolu de conversion. Rappelons-nous, la toute première prédication du Seigneur Jésus a été : Convertissez-vous et croyez en la bonne Nouvelle que je vais vous annoncer.
Les premiers chrétiens étaient tout différents de nous. Eux, ils se paraient avec fierté du titre de saint. Remarquons pour marquer l'évolution des esprits que dans les traductions officielles des textes sacrés, on a pudiquement remplacé saint par fidèle et, du même coup, on a vidé tout de sa substance.
Non, les premiers chrétiens s'appelaient des saints. Ils savaient ce qu'ils disaient et ils disaient la vérité. Aujourd'hui, pouvons-nous encore à leur exemple nous appeler saint ? Je viens de le dire, on a peur de ce mot, de ce vocable, de cette qualité.
Alors attention ! Ne manquerait-il pas dans ces conditions à notre être chrétien une note essentielle ? Ecoutez, les premiers chrétiens étaient des saints parce qu'ils n'étaient pas comme les autres, non pas dans la sens pharisaïque mais dans le sens divin, dans le sens où Dieu lui-même a dit, où Dieu a ordonné : soyez saints parce que moi je suis saint. Si vous êtes mes disciples, si vous êtes de ma race, vous devez être des saints. Et les premiers chrétiens s'appelaient sans crainte : des saints !
Eh bien, ils étaient saints parce qu'ils s'aimaient. Les gens qui les entouraient étaient surpris, étonnés, émerveillés. Ils s'écriaient : Mais voyez donc comme ils s'aiment ! C'était une révélation pour eux. Car chez les autres, chez ceux qui n'étaient pas chrétiens, c'était le règne de la violence, de la cruauté, de la ségrégation, de la haine. Le monde païen, de nos jours encore, est un monde étranger à l'amour.
L'amour constitue entre les hommes une ligne de démarcation absolue. Il est impossible de s'en sortir. Et aujourd'hui, chrétien est-il encore comme il se devrait synonyme d'amour ? Le néo-paganisme qui envahit notre société comme un chancre est en fait un recul de l'amour. Et ne se trouverait-il pas parfois des néo-païens jusqu'à l'intérieur des cloîtres ?
En fait, mes frères, une frontière mouvante traverse le coeur de chacun d'entre nous. Nous ne sommes jamais pleinement convertis, nous ne sommes jamais pleinement chrétiens. Et on s'aperçoit - j'en ai l'expérience - que Dieu a ses saints partout, même hors de l'Eglise.
Je connais personnellement des personnes qui ne sont même pas baptisées et qui aiment, mais qui aiment d'un amour à nous faire trembler et à nous faire rougir. Mais alors ces hommes, ces femmes ne seraient-ils pas des chrétiens qui s'ignorent ? Oui, le Christ a ses disciples partout. C'est extrêmement beau à voir, mais c'est une cinglante interrogation pour nous.
Alors, mes frères, nous dans le monastère, avons-nous délibérément opté en faveur de la sainteté ? Sommes-nous dévorés par le besoin d'aimer nos frères ? Car l'amour est un feu qui brûle le coeur et qui torture l'esprit et, il est en même temps paix souveraine et plénitude absolue.
L'amour, il n'est rien moins que Dieu en personne, Dieu qui cherche à aimer à travers un homme dont la chair devient lumière. Telle est notre vocation monastique, telle est notre vocation chrétienne, telle est ultimement notre vocation d'homme.
L'élan de notre vie devrait être tout entier une tension vers l'amour. Si nous avons été appelés au monastère, c'est pour nous exposer vivant à ce feu de l'amour. Lorsque nous nous cachons à l'intérieur des volontés les plus secrètes de Dieu, lorsque nous y faisons notre habitat, petit à petit mais infailliblement nous passons à une vie autre, la propre vie de Dieu et nous ne pouvons ne plus rien faire d'autre qu'aimer, quoi qu'il arrive.
Il n'est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime. Il faut pouvoir éventuellement aller jusque là.
Mes frères, je pense que les saints nous interpellent vivement et hautement chaque jour. Nous partageons ensemble l'Eucharistie qui est la mémoire, le mémorial de l'amour par excellence, de ce Dieu qui est devenu homme pour partager absolument tout de nous, toutes nos faiblesses, nos fragilités, nos vulnérabilités.
Il ne pouvait pas pécher, mais il a fait mieux que cela. Il a pris sur lui absolument tous les péchés des hommes. Les péchés les plus personnels de chacun, il les a comme mangés à tel point qu'il a été fait péché, assimilé au péché. Et puis il est mort comme vous le savez.
Et comme il était l'amour, il est ressuscité d'entre les morts. Et maintenant, il n'attend plus qu'une chose, c'est que nous entrions chacun à notre tour dans cette aventure extraordinaire qui est l'aventure de l'amour.
Mais voilà, mes frères, demain peut-être nous pourrions penser à tout cela et nous demander si notre désir le plus profond est vraiment de nous ensevelir en Dieu pour tout simplement avoir le courage de mourir à notre égoïsme et de ressusciter à un être nouveau qui ne soit plus qu'amour, vraiment amour comme Dieu l'est.
Et alors, nous aurons accompli ce qu'il nous demande. Nous serons saints comme lui est saint parce que lui est saint. Nous serons saints parce que ce n'est plus nous qui vivront mais son Esprit qui aura triomphé en nous.
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Mes frères,
Ce matin après la célébration de l'Office des défunts, je me suis demandé pourquoi la pensée de la mort ne nous était pas plus familière. Elle n'a pourtant rien d'inquiétant, ni d'effrayant, ni de sinistre. La mort n'est-elle pas notre grande sœur ? N'est-ce pas elle qui nous prend par la main et qui nous conduit jusqu'à Dieu ?
Il n' y a rien à faire, il n'est pas possible de voir Dieu sans mourir. Or, notre désir le plus profond, et le plus fou, et le plus beau n'est-ce pas précisément de voir Dieu, tout de suite. C'est la raison pour laquelle il faut nécessairement passer par une mort d'ordre mystique.
Il faut mourir à soi, il faut mourir à son égoïsme, il faut mourir à ses jugements, il faut mourir à sa façon de voir le monde, de voir les autres pour adopter des approches qui ne sont plus humaines mais qui nous viennent directement de l'Esprit-Saint, de Dieu notre Père, du Christ notre rédempteur et notre sauveur.
Et voilà, c'est indispensable ! Ou bien alors on reste au petit niveau humain où on peut être un brave homme, attention, mais voilà on ne franchit pas le pas qui nous permet alors d'entrer en communion intime avec Dieu, de le voir.
Et lorsque on a connu cette mort mystique, alors la mort physique, elle devient quelque chose qui appartient presque au passé et, lorsqu'elle se présente, elle est vraiment bien accueillie.
Naturellement nous ne pouvons pas savoir, nous, dans quelle situation nous nous trouverons à ce moment-là. Et c'est la raison pour laquelle nous devons nous y habituer maintenant.
Nous ne sommes plus à l'époque de la Trappe où l'Abbé de Rancé avait sur son bureau une tête de mort. Il y en avait un ici avant, c'était le Père Lidvin qui avait aussi une tête de mort. C'était comme ça. Lorsque j'étais à l'école, dans la classe où se donnaient les Sciences Naturelles, il y avait une squelette entier comme ça debout, mais finalement on ne le voyait plus.
Eh bien voilà, nous ne sommes plus à la Trappe, nous sommes ici et nous devons plutôt penser à mourir à nous même de manière à pouvoir au moment voulu nous présenter devant Dieu en toute sécurité. Je vous raconte peut-être des choses étranges, mais enfin, moi je vois aussi la mort comme un frein et un élan.
Un frein, parce que la pensée de la mort nous tient dans les limites de l'essentiel. Elle ne nous permet pas de nous emballer pour des futilités. Elle nous enracine dans la vérité. C'est un petit exercice auquel le moine doit se livrer tous les jours, dit Saint Benoît, 4,55. Encore une fois, cela n'a rien de morbide, c'est quelque chose, je dirais, de tout à fait naturel chez un moine.
Mais si elle est un frein, elle est aussi un élan parce qu'elle fait grandir en nous le besoin de voir Dieu. Je ne dis pas le désir, c'est plus qu'un désir, c'est un besoin. Nous sommes vraiment homme lorsque nous commençons à voir Dieu. Donc ..?. ..?. de notre foi a été tellement purifié qu'elle est devenue lucide. Avant elle était aveugle, myope ; maintenant c'est une foi éclairée, les yeux du coeur peuvent parler de ce qu'ils voient.
C'est ce que faisait l'Apôtre Paul. Je l'écoutais encore dire certaines choses ce soir. Il dit des choses extraordinaires qu'on n'oserait plus dire aujourd'hui et qui, pour lui, sont toutes naturelles parce que c'est un homme qui est passé de la mort à la vie. Vous comprenez ? Et nous, eh bien nous devons nous casser la tête là-dessus et faire toutes sortes d'élucubrations théologiques pour essayer de comprendre. Mais pour lui, ça coulait de source, c'était ainsi.
Et la mort, alors, elle nous fait accélérer notre course vers Dieu. Pourquoi ? Parce qu'elle nous débarrasse du superflu, elle nous rend léger. Allons un peu au cimetière - nous y sommes passés tout à l’heure - et interrogeons les frères qui sont là. Il faudrait qu'ils puissent nous répondre. Et ce serait comme avec Lazare, ils diraient : s'ils ne croient pas ce qui est dit dans l'Ecriture, ils peuvent interroger les morts, ils ne les croiront pas non plus.
Mais enfin, ils diraient certainement : Ne vous faites pas tant de soucis avec toutes vos bêtises. Vous arriverez comme nous et vous laisserez absolument tout. La seule chose que vous prendrez avec vous, eh bien c'est l'amour que vous aurez semé autour de vous, l'amour qui aura grandi en vous et qui vous aura transformé. Le reste ? Eh bien vous le laisserez-là. Donc ne vous encombrez pas, chargez-vous seulement d'amour, d'agapè, de charité.
Eh bien voilà, justement, la mort est un pédagogue qui nous enseigne le sérieux de la vie et le respect des autres parce que elle est une incomparable maîtresse de charité. Et dans le fond, il n'y a pas de frontière entre la mort et la vie. Quand je meurs à moi, à l'instant même la vie de Dieu m'envahit. Et quand je meurs au monde, immédiatement le désir de Dieu s'attise en moi. Il n'y a pas de frontière, les deux sont connexes.
Et c'est ainsi que la dialectique mort-vie est capitale dans une existence monastique. Rappelons-nous la parole du Christ : Celui qui veut sauver sa vie la perdra ; celui qui risque sa vie, qui perd sa vie dans ce monde-ci pour moi, celui-là il la gardera pour la vie éternelle. C'est une dialectique à laquelle on ne peut pas échapper, une dialectique bien concrète. Ce n'est pas de la théorie, c'est du vécu de tous les jours.
Alors c'est pourquoi, mes frères, rendons grâce à Dieu quand il nous donne l'occasion de passer par la mort ; et ça ne nous manque pas, ça nous arrive tous les jours. Eh bien quand ça arrive, au lieu de crier au secours ou au scandale, rendons grâce à Dieu, merci, merci, merci.
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Mes frères,
Je veux vous remercier des marques de sympathie et d'affection que vous m'avez prodiguées en ce jour de la Saint Hubert. Vous savez combien mon coeur est proche du vôtre. Vous connaissez le respect, l'estime et l'amour que j'ai pour chacun d'entre vous. Je pense pouvoir le dire.
Mon souci constant, mon désir le plus puissant, c'est que vous puissiez accomplir votre vocation monastique et ainsi goûter un bonheur que le monde ne peut pas imaginer. Devenir un seul esprit avec le Christ, c'est le sommet de toute vie monastique. Et c'est cela cette grâce que nous devons recevoir en ce lieu-ci.
Mais ce n'est pas une entreprise facile, nous le savons - comme le dit Saint Benoît ici, 27,5 - et personne n'est indemne. Il parle des personnes faibles et infirmes. Et l'Abbé doit en être conscient. Il doit en prendre conscience à partir de sa propre faiblesse.
J'imagine que un Abbé qui aurait une santé de fer se devrait être quelque chose d'épouvantable parce que il lui est impossible alors de comprendre qu'on puisse être fatigué, qu'on puisse être vidé, qu'on puisse avoir toutes sortes de troubles qui vous débilitent jusqu'au niveau spirituel.
C'est pour ça que à partir de ce que nous ressentons dans notre état de faiblesse, nous pouvons alors imaginer ce qui doit se passer chez nos frères. Et ainsi, nous entrons dans l'univers de la compassion. Et en compatissant aux autres, eh bien on reçoit la grâce de la douceur.
Et la douceur et la compassion, vous le savez, ce sont les deux vertus monastiques par excellence. Les tous premiers moines nous parlent de ces vertus et pas des autres. Ce sont celle-là pour eux. Lorsqu'ils les ont reçues de Dieu, à ce moment-là ils savent qui est le Christ. Ce n'est pas naturel d'avoir compassion des autres et d'être doux avec eux.
Eh bien, c'est jusque là que nous devons aller lentement, doucement. Il ne faut pas vouloir précipiter les choses, c'est une grâce que nous devons recevoir. Et voilà, en attendant, c'est le rôle de l'Abbé d'aider les frères à entrer dans cet univers de la compassion, de la vraie charité.
Et Saint Benoît prescrit à l'Abbé, comme il le dit encore aujourd'hui en 27,6, d’être un sage médecin. Il doit, comme il le dit ailleurs, pouvoir soigner ses propres blessures avant de s'attaquer à celles de ses frères. Cela, c'est aussi capital !
Mais alors, cela demande une collaboration franche et sincère, et une confiance réciproque qui doit être très grande. L'Abbé doit faire confiance aux frères quelque soient leurs défauts, quelque soient leurs faiblesses ; mais les frères doivent aussi faire confiance à l'Abbé, au médecin qu'est l'Abbé.
Maintenant - n'oublions pas non plus - il n'est pas possible à la pratique de disjoindre le spirituel du matériel. La Loi de l'Incarnation ne souffre absolument aucune exception. Donc en soignant le matériel, en soignant le corporel, en guérissant le charnel, on libère le spirituel qui peut alors être ouvert pour recevoir l'Esprit-Saint, pour recevoir la Sainte Trinité et la laisser agir. Mais c'est toujours à travers le matériel et le corporel. Et quand je dis le corporel, c'est l'homme dans sa globalité.
Et c'est la raison pour laquelle l'Abbé doit avoir une grande expérience de ce qui peut se passer dans le coeur d'un homme. C'est pourquoi vous voyez les tous premiers moines qui parlent de la lutte contre les pensées, les fameuses huit pensées, ou les fameux démons, ou les huit vices, ou les huit passions. Mais ça, c'est du corporel. Il faut donc qu'il y ait une collaboration entre l'Abbé et le frère jusqu'à ce niveau très bas.
Alors mes frères, je me permets de vous demander bien simplement que vous me fassiez confiance comme moi je vous fais confiance. Un Abbé est parfois dans des situations délicates. Il faut comprendre qu'il n'est pas permis d'exposer en public les affaires de chacun. Il faut accepter ma discrétion, elle est une garantie de sécurité pour chacun. Ce que quelqu'un vient me dire ne doit pas être répété. Et alors il y a parfois des lignes de conduite que l'Abbé doit suivre qui peuvent paraître étranges aux frères. Et bien je pense, voilà, qu'il faut lui faire confiance parce que il ne lui est pas permis de s'expliquer. Il y a des choses qui, des choses qui sont, enfin cela relève de la discrétion toute ordinaire.
Alors mes frères, voilà, je vous remercie pour cette journée et puis je me confie à votre miséricorde et à votre prière. Et puisse ma parole et mon exemple toujours vous ouvrir la route qu'il faut suivre. Demandez à Dieu pour moi cette grâce, et à Saint Hubert. Et ainsi, voilà, tous ensemble en un seul cortège nous avancerons vers le Royaume.
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Mes frères, je voudrais ce soir terminer avec ce que j'ai commencé voici une dizaine de jours à propos de l'Office Divin. Vous vous rappelez sans doute qu'un trait essentiel de l'Opus Dei est la présence de Dieu et de sa cour. Donc, lorsque nous célébrons l'Office, nous sommes introduits chez Dieu et nous nous trouvons mystiquement à l'intérieur de son Royaume.
Mais pour que ce transfert se produise, il est indispensable que nous donnions notre consentement. Ce n'est donc pas automatique. Et nous y consentons par la foi qui saisit notre être tout entier.
L'Office divin - je le rappelle aussi - est donc une psalmodie. C'est à dire c'est une écoute de la Parole de Dieu. Cette Parole coule sur nos lèvres mais, en réalité, elle est proférée ailleurs et justement à l'intérieur de ce Royaume. Mais nous l'accueillons, elle passe en nous, nous la proférons à notre tour parce que nous sommes membres de ce grand Corps dont justement la Parole de Dieu est la tête.
Nous ne sommes donc jamais seul et, comme je l'ai dit au début, nous sommes à l'intérieur du Royaume, à l'intérieur de la création nouvelle et nous écoutons cette Parole. Or, mes frères, la Parole de Dieu a créé l' univers, la Parole de Dieu continue à le créer, elle le conduit vers son achèvement. La Parole de Dieu a sauvé l'univers qui, dans la personne de l'homme, avait quitté sa trajectoire. Et cette Parole de Dieu, c'est le Seigneur Jésus.
Qu'arrive-t-il donc lorsque nous célébrons notre Office ? Mais je parle de célébration, ce n'est pas une assistance molle parce que il n'y a pas moyen de faire autrement. Non, vraiment nous écoutons la Parole le mieux possible. Nous proférons la Parole aussi le mieux possible dans l'état qui est le nôtre alors. Même si nous sommes dans l'aridité, dans les ténèbres, etc, nous le faisons toujours dans la foi qui nous met en communion avec Dieu et son univers.
Mais que se produit-il alors chez nous ? Eh bien, mes frères, il s'opère un double phénomène : la Parole de Dieu se saisit de nous et elle nous transforme en ce qu'elle est. Nous l'écoutons, nous l'accueillons, elle pénètre en nous et nous devenons, puisque nous la proférons, nous devenons vraiment Parole de Dieu.
Donc à ce moment-là, nous sommes contemporains du commencement du monde que la Parole crée, et nous sommes contemporains de l'achèvement du monde que la Parole accomplit, et nous sommes contemporains de la rédemption du monde.
Voilà donc les beautés qui nous sont proposées dans la célébration de l'Office qui est donc le lieu par excellence de la transfiguration du moine qui devient Parole de Dieu donc, et qui devient Dieu, qui se divinise et le lieu de la construction de la communauté.
La communauté monastique se construit au cours de l'Office parce que à ce moment-là, c'est une seule et même Parole qui pénètre dans le coeur de chacun et qui, voilà, le travaille, qui le purifie, qui lui donne d'accomplir des prodiges, donc de se voir contemporain du commencement, et contemporain de l'eschaton, et contemporain de tout l'entre-deux. Si chacun est dans ces dispositions, le Corps se solidifie, le Corps se développe, le Corps s'affermit.
Donc mes frères, nous comprenons à partir de là pourquoi Saint Benoît nous dit qu'il ne faut rien préférer à l'Opus Dei, 43,8. Dès qu'on entend le signal de l'Office, il faut s'y rendre, 22,14. Il faut, comme dit Saint Benoît, laisser tomber tout ce qu'on avait en main et aller dans une hâte tranquille, mais une hâte quand même, 43,6.
Il faut aller à l'Office parce que c'est là que nous devenons moine, c'est là que nous devenons Parole, que nous devenons des chrétiens, que nous devenons des fils de Dieu. C'est là que le Corps de notre monastère s'édifie et devient de plus en plus ce qu'il doit être, un temple, le Temple de l'Esprit et manifestation de ce que Dieu est.
Alors, mes frères, voyez en conclusion le soin que nous devons apporter à l'exécution de l'Office dans le sérieux, dans la vigilance, dans la générosité, dans la paix. Je sais qu'il y a toujours la faiblesse de la chair qui joue, non pas seulement par le fait que nous serions distrait - une distraction n'est pas quelque chose de grave, c'est lié à notre fragilité - mais à ce que nous pourrions avoir dans notre coeur des pensées qui ne sont pas en accord avec ce que profère notre bouche. C'est ça aussi que nous dit Saint Benoît.
Il ne faut pas qu'il y ait dans notre coeur des pensées contre les autres par exemple. Il faut vraiment qu'à l'entrée de l'église nous déposions tout, disons, ce qui est dans notre coeur et qui ne devrait pas y être. Notez bien que dans notre nouvelle église, c'est comme ça que ça devrait biologiquement et physiquement se passer. Il faudra que je vous explique cela un jour.
Il doit avoir à l'entrée de l'église, la grande entrée, une pierre seuil qui est en polarité inversée et qui, à ce moment-là, nous vide psychologiquement de tout ce qui en nous n'est pas en accord avec l'intérieur du temple. Il faudra une fois que je vous explique ce phénomène qui est bien réel et qui est même quantifiable scientifiquement.
Nous allons maintenant aller à l'Office de Complies. Nous rendrons grâce à Dieu et puis nous reprendrons conscience vraiment de ce que nous sommes et de ce que l'Eglise attend de nous.
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Mes frères,
Nous devons en terminer aussi avec l'Abbé de Rancé. Vous vous rappelez certainement que nous nous sommes étonnés des pénitences, effrénées à notre sens, que lui-même s'infligeait et dans lesquelles il entraînait ses disciples. Nous devons tenir compte du contexte socioreligieux de l'époque et il ne s'agirait pas de se lancer aujourd'hui dans de telles expériences.
Mais tout de même nous leur avons reconnu une qualité : ces hommes savaient ce qu'ils voulaient. Ils étaient des convertis et, entrés dans le monastère, ils entendaient pousser leur conversion jusqu'au bout. Et ils ne s'épargnaient rien.
Il y avait donc en eux une énergie, un dynamisme qui n'était pas purement naturel, qui venait de plus loin qu'eux et qui les poussait toujours plus loin sur la route qui les ramenait à Dieu et à la vertu.
Et nous nous sommes demandés : Eh bien, et nous ? Savons-nous ce que nous voulons ? Sommes-nous prêts à aller jusqu'au bout dans le mouvement de conversion qui nous a amenés ici ? Mais nous ne sommes tout de même pas comme l'Abbé de Rancé et ses disciples et nous avons réfléchi à la conversion qui devait être la nôtre.
Et nous sommes arrivés à la constatation que cette conversion essentielle qui doit vraiment bouleverser notre vie, c'est d'entrer à l'intérieur d'une lumière nouvelle, non plus celle de la raison mais celle de la foi. Donc, apprendre à voir les choses, les personnes, les événements comme Dieu lui -même les voit ; laisser Dieu s'emparer de notre coeur et de notre regard pour que nous puissions voir et puis réagir à la manière de Dieu.
Et ça, vraiment, c'est la conversion fondamentale de tout homme et à fortiori de tout moine. Si nous sommes venus dans le monastère, c'est en bonne partie pour faire cette expérience qui n'est rien d'autre dans le fond que l'expérience de la vie contemplative.
Je vais vous donner un exemple que j'ai découvert hier, aujourd'hui encore et qui est vraiment très, très parlant. Il s'agit de l'Epître aux Colossiens à son début où nous voyons l'Apôtre contempler le Seigneur Jésus, donc l'homme-Jésus, ressuscité d'entre les morts. Et nous pouvons à partir de ce qu'il dit nous demander comment nous nous le voyons ?
Est-ce que nous le voyons avec la raison, l'intellect théologien - de théologien pas dans le sens Evagrien du mot, mais de théologien d'école comme aujourd'hui - ou bien le voyons-nous vraiment tel qu'il est, tel que l'Apôtre le voit ?
Ecoutez ! Il est, dit-il, l'image du Dieu invisible. Donc lorsque je reçois de l'Esprit-Saint la grâce de contempler le Seigneur Jésus ressuscité, je vois l'image du Dieu invisible. Qui me voit, voit le Père, disait Jésus. Il est, dit l'Apôtre, le premier né de toute la création. En corollaire, il est le fils de la Vierge Marie. Et en tant que fils de Marie, il est le premier né de toute la création, absolument toute.
Un grand problème se pose aujourd'hui aux physiciens, aux biologistes, etc: Il y a-t-il de la vie dans l'univers ailleurs que sur la terre ? Question peut-être à jamais insoluble ? Je n'en sais rien !
Mais une chose est certaine : le Seigneur Jésus est le premier né de toute la création. Même s'il Y avait des formes de vie intelligente ailleurs que dans le cosmos, il serait quand même le premier né de toute la création. Est-ce que nous le voyons ainsi ?
Et alors la Vierge Marie, elle est la mère du premier né de toute la création. Donc elle est, elle, la génitrice de toute la création de façon en corollaire à sa place. Parce que, dit l'Apôtre, c’est en lui qu’a été créé toutes les choses dans les cieux et sur la terre, les choses visibles et les choses invisibles, tout a été créé par lui et pour lui. Et lui, il est avant toutes choses, et toutes choses subsistent en lui.
Il est le commencement, il est le premier né de tous les morts, le premier né des morts de façon à ce qu’il occupe en toute chose la première place car il a plu à la plénitude de trouver son habitation en lui.
Eh bien ça, c'est une vision de foi. Lorsque nous contemplons le Seigneur Jésus, lorsque voilà nous lisons ses paroles dans l'Evangile, est-ce que nous le voyons comme ça ? Ou bien est-ce que nous le voyons comme les théologiens qui commencent à dire : oui, mais ça, telle parole, elle n'est pas du Christ, cela a été rapporté, cela lui a été attribué. On commence à discuter là-dessus. Non !
Mes frères, je pense que ce que je vous dit ici touche excessivement près notre façon de nous comporter dans la pratique. Car notre conversion va consister en ceci : à effectuer toujours ce que j'appellerais un rétablissement, un geste de gymnastique.
Nous devons être attentifs, nous devons veiller à ce que notre pensée, à ce que notre vision soit toujours une vision de ce genre-ci. Et je le dis, c'est une gymnastique de chaque instant. Dès que nous portons un jugement, lorsque nous posons un regard, est-ce que il part de ces présuppositions-ci ou bien est-ce qu'il vient de notre passion ?
C'est cela la vigilance chez le moine, c'est de toujours s'établir dans cette vérité de foi, dans cette vision qui est une vision de contemplation. Et alors à partir de là, la charité peut grandir dans le coeur, l'Esprit-Saint peut prendre possession de notre être, nous pouvons être métamorphosés nous-mêmes en une icône du Dieu invisible.
Parce que si vraiment ce n'est plus nous qui vivons mais que c'est le Christ qui vit en nous, nous devenons nous aussi le premier né de toute la création. C'est lui qui le devient en nous et nous participons à cette grâce inouïe. Et on y participe de façon consciente. Je vous le disais hier, on se trouve contemporain du commencement, et contemporain de l'eschaton, et de l'entre deux.
Mes frères, je pense que c'est dans cette direction que doit se porter notre effort de conversion. Et je dis : c'est un véritable effort, c'est une gymnastique, c'est une ascèse, c'est une vigilance à laquelle nous devons nous donner du meilleur de nous-même parce que, encore une fois, c'est vraiment là une part essentielle de notre conversion monastique.
Puissions-nous recevoir cette grâce et la demander les uns pour les autres !
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Mes frères,
Nous venons d'entendre de la bouche du Seigneur Jésus une Parole sur laquelle nous pouvons nous arrêter quelques instants. Les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. Qu'est-ce que cela veut bien dire ?
Les fils de ce monde, ce sont les hommes soumis au pouvoir de l'argent. Et avec ça, ils peuvent tout se payer. Ils mettent leur gloire dans leur ventre, comme il a été dit. Ils sont rapaces, malhonnêtes, avides de jouissance. Tout leur est bon pour arriver à leurs fins.
Ils se livrent entre eux une guerre impitoyable - on appelle ça se faire concurrence - mais en fait, ils s'entendent à merveille. Ils sont tous complices les une des autres et ils rivalisent de ruses.
Les fils de la lumière, eux, ce sont les hommes qui recherchent le Royaume de Dieu et sa justesse. Ils s'attachent à établir la concorde parmi les hommes. Ils sont coulants comme on dit, ils sont faciles à vivre. Ils ne poursuivent pas leurs intérêts propres mais plutôt celui des autres. Ils savent s'oublier, ils ne rendent pas le mal pour le mal. Bref, comme on dit, ce sont des bonnes poires exactement comme Dieu leur père.
Leur défaut, c'est de ne pas exploiter à fond les milles ressources que Dieu met à leur disposition pour courir vers la sainteté. Ils ne sont pas suffisamment habiles entre eux. Il ne s'agit pas d'une habileté de mauvais aloi comme celle des fils de ce monde mais plutôt d'une habileté qui consisterait à se faire davantage confiance les uns les autres, à oser attendre des autres un renfort de charité.
Ils cherchent Dieu, certes ; ils se mettent au service de leurs frères, oui ; mais ils sont encore malgré tout contaminés par le péché et il y a toujours au fond de leur coeur une certaine peur. Voilà, leur habileté consistera à s'ouvrir totalement à l'amour qui les sollicite.
Mes frères, ce pourrait être notre cas à l'intérieur de notre grande famille monastique. Notre but commun, ce n'est pas d'amasser frénétiquement des fortunes. Non, c'est de vivre honnêtement sans léser personne en nous efforçant de toujours agir bien et juste.
Il faut, mes frères, que les gens du dehors puissent dire de chacun de nous : ils sont de Saint Remy, cela se voit ! Voyez quel programme ! C'est là un programme de lumière et Dieu nous le propose aujourd'hui. Ce n'est pas utopique puisque nous sommes chrétiens, donc greffés par ..?.. sur la charité et fils de la lumière.
Alors si vous le voulez, nous mettrons ce programme en pratique ici même en nous aidant à vivre mieux. Nous veillerons à ce que nos paroles soient toujours des paroles de bonté, des paroles d'éloges. Et à partir de nos paroles, nos actes suivront d'eux-mêmes.
Et ainsi nous serons vite dans notre domaine, celui de l'amour et de la vérité, plus habiles encore que les filous de ce monde dans leurs affaires louches.
Amen.
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Mes frères,
Nous allons ce soir essayer d'en finir avec la leçon que nous ont laissé nos ancêtres de la Trappe qui, eux, étaient venus dans le monastère pour se convertir à une vie chrétienne saine. Ils avaient été saisis par Dieu et ils ne voulaient pas que Dieu soit déçu par eux.
Ils ont voulu se laisser transformer par lui. Et comme ils étaient de leur temps, ils lui ont donné un fameux coup de main en se jetant à corps perdu dans les humiliations, les macérations, le détachement, enfin tout ce qui nous est proposé aussi mais que nous devons adopter à notre petite nature d'aujourd'hui.
Attention aux exagérations ! Encore une fois, ces hommes étaient de leur époque et il n'est pas possible de transposer aujourd'hui ce qui pouvait se faire alors.
Mais tout de même, cette conversion pour nous doit être vraiment notre ressort.
Il nous faut passer de la raison pure à la foi, nous laisser saisir par Dieu, mettre à la disposition de Dieu tout notre être mais surtout notre intellect, notre coeur, notre volonté pour que nous puissions voir les choses comme lui et nous laisser alors emporter par cette vision jusque sur les hauteurs où il veut nous conduire car il entend faire de nous des témoins de ce qu'il est.
Or il est l'amour et il est la lumière. Il faut que lorsque on nous regarde, on reconnaisse Dieu à travers notre conduite. Même si cela devait étonner ou même scandaliser l'un ou l'autre, cela ne doit pas nous faire reculer. N'oublions pas que Dieu, le Christ, est un objet de scandale perpétuel déjà de son temps. Et il a fait de ce scandale que nous pouvons susciter une des béatitudes.
Nous devons sauter de joie alors lorsque on commence à dire toutes sortes de choses de mal de nous. Pourtant ce n'est guère ce qu'on recherche aujourd'hui, on parlerait plutôt d'édification. Mais enfin, je pense que la personne qui veut vraiment vivre sa vie chrétienne doit toujours faire question et peut être alors méconnue et vilipendée.
Eh bien, cette conversion à une vision nouvelle des personnes, des événements, pousse l'homme, pousse le moine en avant. Elle le fait courir, elle l'empêche de regarder en arrière. Elle engendre en lui une certaine forme d'oubli, l'oubli du passé, l'oubli des injures, l'oubli des épreuves.
Tout ça, c'est du transitoire, il ne faut pas s'y arrêter, il ne faut pas s'en charger, il faut passer à travers. Il faut courir le plus léger possible vers le but à atteindre. C'est cela l'oeuvre de conversion.
Alors, ça nous oblige aussi à veiller toujours sur nous, à prendre garde à notre faiblesse. Cela engendre en nous la componction, la repentance parce que il ne nous est pas possible de ne pas tomber, de ne pas commettre d'erreurs. Voyez, tout cela, c'est la foi qui l'engendre dans notre coeur.
Et, mes frères, je voudrais pour terminer poser une question : Serions-nous des saints avant de commencer ? C'est peut-être bien une de nos tentations ? C'est d'oublier notre faiblesse, c'est d'oublier que nous sommes pécheurs. Or, nous confessons ça au seuil de chaque eucharistie. Mais est-ce que nous le croyons ?
Or, se reconnaître pécheur, c'est le commencement de la sagesse, de l'humilité, de la sainteté. Si nous nous reconnaissons vraiment pécheur et qu'alors nous nous méfions de nous, le reste suivra sans problème.
Et je terminerai avec ceci : la conversion fait chez nous l'objet d'un voeu. Nous risquons de l'oublier. Nous avons solennellement promis la conversionem morum. Or nous devons chaque jour mettre en oeuvre ce voeu comme celui de stabilité, et celui d'obéissance. Et c'est peut-être celui auquel on pense le moins ?
Et pourtant, à mon avis, il est le ressort qui nous projette en avant parce que nous avons promis de nous convertir à une vision saine, juste, divine des choses, de nous-mêmes, de nos frères, des événements.
Mes frères, en conclusion de tout ceci, essayons de retenir que nos ancêtres de la Trappe ont pris ce voeu de conversion au sérieux et ils sont allés jusqu'au bout. Encore une fois, nous ne sommes pas de leur époque, nous devons vivre notre voeu de conversion dans les circonstances qui sont les nôtres aujourd'hui, dans le milieu qui est le nôtre, dans la culture qui est la nôtre. Mais voilà, nous devons trouver la formule. Chacun doit la trouver pour soi, c'est extrêmement personnel, cela ne peut pas être imposé du dehors.
Et alors, si vous le voulez, nous allons faire cela. Nous montrerons que nous ne sommes pas moindres que nos ancêtres. Et ainsi, je vous le garantis, nous serons parfaitement heureux. Car instinctivement dans le monastère on vient chercher le bonheur, on n' y vient pas pour être malheureux.
Or, la source du véritable bonheur, c'est de voir et de vivre les choses comme le Seigneur Christ les a vues et les a vécues, c'est de lui permettre de les voir et de les vivre en nous. A ce moment-là, on passe littéralement de la mort à la vie et on commence à expérimenter tout de suite, sans retard, les prémices de la vie éternelle. Je vous garantis que c'est ainsi.
Et ma foi, je vous souhaite à tous d'y parvenir sans tarder en mettant courageusement en oeuvre toutes les dimensions de votre voeu de conversion.
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Frères et soeurs dans le Christ,
Par une disposition admirable de la Providence, Dieu a rappelé à lui notre frère Bernard en la fête de Sainte Mechtilde et, son corps est rendu à la terre aujourd'hui en la fête de la Présentation de la Vierge Marie au temple. Il y a là une parole prophétique dont nous allons, si vous le voulez bien, contempler la beauté durant quelques instants.
Mechtilde, une moniale cistercienne du 13° siècle, au moment où notre Abbaye de Saint Remy était ici fondée, est entrée au monastère à l'âge de sept ans. Or le petit Louis Duculot n'était guère plus âgé quand il entrait au Juvénat des Frères des Ecoles Chrétiennes.
Et tout comme Mechtilde, il est resté fidèle jusqu'au bout, jusqu'à la mort, une fidélité qui a duré 60 ans, une fidélité qui a été consacrée par une demande qu'il avait faite et dont ses infirmières se souviennent. Il avait demandé que l'on récita à son oreille une prière, une ultime prière, même s'il paraissait avoir perdu connaissance. Sa fidélité a été jusque là.
Et voici que le jour où nous célébrons la fête de la présentation de Marie au temple, nous le confions à la miséricorde de Dieu. Or, la présentation de Marie au temple nous rappelle le don entier, irrévocable, qu'elle fit de tout son être à Dieu à l'aube de sa vie consciente. C'est donc elle qui aujourd'hui accueille notre frère Bernard qui l'a si bien suivie et imitée.
Frère Bernard a toujours été tenaillé par le désir d'une vie contemplative à l'école du grand Saint dont il devait un jour porter le nom. Déjà dans les loisirs que lui ménageait autrefois sa vie d'enseignant, il scrutait les écrits de notre bienheureux Père, il se laissait imprégner par leur esprit et en cela il rejoignait Sainte Mechtilde qui, elle, partait à la recherche de Dieu sur les sentiers que lui ouvrait Saint Bernard.
Et ce fut, vous le comprenez bien, pour notre frère Bernard, une joie de se trouver enfin dans le lieu où il aspirait depuis toujours. En 1945 déjà, il s'était présenté pour la première fois au noviciat de notre monastère et il avait failli y rester. Mais Dieu voyait pour lui un chemin plus long, le meilleur certainement.
Vous savez que Dieu n'entre pas nécessairement à l'intérieur de nos désirs, c'est plutôt nous qui devons nous ouvrir à son désir à lui. Il a sur chacun de nous un projet qui est un projet d'amour. Et l'art spirituel, l'art humain tout court consiste à entrer avec confiance à l'intérieur de ce projet et de se laisser façonner par lui car, ce qu'il veut réaliser, c'est un chef d'oeuvre. Il veut faire de chacun de nous, comme il a fait de frère Bernard, une image de ce qu'il est.
Au moment où nous devons trépassé, c'est à dire où nous devons passer à travers une sorte de tunnel bien obscur, certes, mais qui débouche tout de même sur la lumière qui est Dieu, à ce moment là nous abandonnons absolument tout. Il ne nous reste que l'image à laquelle nous avons collaboré, cette image de Dieu en nous. Et c'est à ce moment que nous recevons notre véritable nom, notre nom d'éternité. Et nous devons croire, nous le savons déjà peut-être par quelque expérience personnelle, que ce nom est notre véritable bonheur.
Et maintenant, frères et soeurs, tout est accompli pour notre frère Bernard et beaucoup reste encore à faire pour nous. Mais où que nous soyons, dans le monastère ou bien dans le monde, nous savons que maintenant nous avons auprès de Dieu un appui et sous nos yeux un exemple, exemple de fidélité, exemple de don de soi qui n'a jamais été repris.
Eh bien, frères et soeurs, ne l'oublions pas. Il faudrait que nous puissions recueillir dans notre coeur le dernier message que nous transmet notre frère Bernard, et il le fait par ma bouche, j'en ai bien conscience. Et ce message, le voici : C'est que nous fassions confiance à l'amour.
L'amour est Dieu, l'amour n'est pas une qualité de Dieu à côté d'autres. Non, Dieu est amour et celui qui demeure dans l'amour, il demeure en Dieu et Dieu demeure en lui et, d'une certaine manière, il est déjà ressuscité des morts car là où est le Christ, là il est déjà, comme il vient de nous le dire lui-même.
Eh bien ce message, accueillons-le avec confiance. Cette eucharistie de funérailles nous aidera à mieux le comprendre, à mieux l'assimiler. Elle nous donnera le courage de prendre un risque, le risque de nous perdre afin de connaître la joie de la petite résurrection, la joie d'aimer, la joie de croire que les hommes sont bons, la joie de les faire passer grâce à la vie qui bouillonne en nous, de les faire passer d'une vie toute centrée, toute crispée sur soi dans la ……., de les faire passer dans l'au-delà de l'amour.
Voilà ce que frère Bernard nous dit aujourd'hui. Et ce message, nous l'emporterons fidèlement et nous aurons bien garde de ne jamais l'oublier.
Amen.
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Mes frères,
Je voudrais aujourd'hui à l'occasion de la fête du Christ Roi de l'univers et en relation avec le décès de notre frère Bernard, vous mettre en garde contre une illusion extrêmement pernicieuse. Ce serait un malheur sans nom en effet de rater notre vie en croyant la gagner.
Frère Bernard est confronté maintenant à la vérité sur sa vie et sur lui -même. Sa mort est un avertissement pour chacun d'entre nous, j'ai déjà eu l'occasion de le dire. Et la fête du Christ Roi nous invite à prendre garde au piège de l'aigle bicéphale. Il nous en a été abondamment parlé au réfectoire.
Je rappelle qu'il consiste à se servir du Christ et de Dieu pour asseoir un pouvoir temporel, mais cela peut très bien se passer à l'intérieur de notre vie privée : utiliser notre état de relation bonne avec Dieu pour réussir notre vie dans un sens tout autre que celui auquel Dieu pense. Et c'est justement là que se trouve le péril.
Car il y a en nous un instinct qui nous pousse précisément à réussir notre vie. Mais attention, il ne s'agit pas de n'importe quelle réussite. Une seule vie compte pour nous, un seul objectif doit dominer notre existence et se saisir de notre instinct : devenir un seul esprit avec le Christ si bien que ce n'est plus nous qui vivons mais lui qui vit en nous. Il occupe toute la place, il devient le moteur de notre existence et il habite notre pensée, notre jugement, nos désirs, enfin absolument tout ce que nous sommes.
Voici maintenant le piège : nous assimilons très facilement la réussite à des acquisitions, l'acquisition de biens matériels qui assurent notre confort, qui nous garantissent des loisirs, qui mettent à notre disposition toutes sortes d'agréments. C'est ainsi dans le monde, c'est ainsi, ça pourrait être ainsi dans notre vie la plus personnelle même dans les monastères.
Acquérir un savoir scientifique, philosophique, théologique et même spirituel. Voyez ici tout le risque des études. Je me disais dernièrement - j'ai entendu encore parler de ça - mais enfin, on reprochait aux Trappistes à l'époque où j'étais encore dans la fleur de ma jeunesse monastique, on leur reprochait d'être des ignares. Ils méprisaient les études et tout ce qui était intellectuel. Seules émergeaient quelques sommités qui étaient admirées mais qui n'étaient pas imitables.
Je me demande si au fond de cela, dans ce mépris qui était exagéré naturellement, il ne fallait pas pousser les choses si loin, mais je me demande s'il n'y avait pas tout de même une intuition qui était juste. Attention à l'acquisition d'un savoir à l'intérieur duquel nous nous installerions et qui nous satisferait. Il y a là une intuition qui est correcte même si son application pratique ne l'était pas.
Et puis, mes frères, réussir, c'est aussi nouer des contacts, des amitiés, avoir des rencontres. Cela épanouit, on n'est plus seul dans la vie. On donne, on reçoit, on se fortifie, on construit. Et puis, ce qui est peut-être le plus dangereux, c'est le sentiment d'être quelqu'un de bien grâce à la régularité de sa vie monastique, grâce à sa piété, à sa dévotion, grâce à un avenir spirituel qui nous est assuré pour l'éternité.
Eh bien, mes frères, dans la perspective de la foi, une telle attitude représente la mort. Ce mode d'existence aboutit obligatoirement à la mort. Cela, c'est une certitude absolue. Celui qui veut réussir sa vie, a dit le Christ, il est certain de la perdre. Oui, je suis entré dans quelques détails.
Et Dieu, lui, nous propose une vie autre, une vie qui ne connaît pas les limites du temps et de l'espace, une vie qui échappe à la corruption et à la mort. Nous sommes conviés à un mode d'existence qui vainc la mort parce que il constitue la vraie vie. Et ce mode d'existence, c'est l'amour, c'est l'agapè, c'est la caritas, c'est à dire c'est Dieu en nous pour l'éternité.
Oui, nous sommes invités à nous laisser envahir et transformer par l'amour à travers les contingences quotidiennes. Nous ne devons pas négliger ce qui nous est offert, ce qui est à notre disposition ; nous ne devons pas négliger les biens matériels ni le savoir intellectuel, ni les contacts, ni la dévotion dans le sens noble du terme.
Non, mais nous ne devons pas prendre l'emballage pour le contenu. Tout cela est le support obligé d’une vie terrestre. Et le risque, c'est de se laisser séduire par tout cela et ne pas voir ce qui est présenté à l'intérieur de ces choses. Le contenu est vraiment magnifique.
Et ce contenu, c'est l'amour. Comme je viens de le dire, le péril mortel, c'est de s'arrêter à l'emballage et de s'en contenter. Et pour nous prémunir de ce danger, l'Eglise qui est le Corps du Christ - ne l'oublions jamais - un Corps dont le Christ lui-même est la tête, l'Eglise met à notre disposition les trois voeux traditionnels : la pauvreté, la chasteté et l'obéissance qui nous permettent de jouir des biens que Dieu nous donne en cette vie sans nous y attacher.
Il faudrait ici s'arrêter longuement sur chacun de ces voeux, mais cela n'en vaut pas la peine maintenant car nous savons en quoi ils consistent. Nous devons donc nous exercer à une ascèse perpétuelle, à un mouvement incessant de conversion et à une vigilance de toute heure. Nous devons demander à Dieu qu'il nous donne un regard clair, un regard pur, un regard de lumière, un regard qui perce les apparences et qui va au coeur des choses.
Les premiers moines disaient que la contemplation première consistait dans la perception, dans la visions des, des choses, de ce qui se trouve à l'intérieur de la chose, du logos donc du Dieu qui la maintient dans l'existence et qui se donne à nous à travers la chose. C'est cela un des éléments les plus beaux et les plus encourageants de notre vie contemplative.
Nous devons, mes frères, je viens maintenant à quelque chose de plus positif, nous devons établir une relation confiante et amoureuse avec une personne. Là se trouve la réussi te totale et vraie de notre vie. C'est la personne de Dieu, c'est la personne du Christ, c'est chacune des personnes de la Trinité.
Mais il faut que cette relation soit consciente et qu'elle devienne de plus en plus consciente au point de devenir unique dans notre vie ; unique en ce sens que alors en chacun des frères, c'est encore toujours le Christ qu'on reconnaît. Si bien que à ce moment, on ne peut plus rien faire d'autre qu'aimer. Et tout ce qui arrive de contraire, même dans notre vie il y a des déboires, des malheurs, des maladies, des accidents, les impuissances que l'on rencontre même au plan physique, au plan spirituel, tout cela sert à purifier et à aiguiser notre regard.
Ah si nous pouvions le savoir et de plus en plus l'accueillir et entrer dans ce que Dieu ainsi fait de nous et fait pour nous. Mais à ce moment-là, il ne faudrait pas longtemps avant que nous soyons de véritables contemplatifs, c'est à dire des hommes qui sont toujours en train de regarder Dieu et de se laisser envahir par lui. Nous devons donc ainsi apprendre à nous exposer à la lumière et à l'amour qui est Dieu et à nous laisser envahir par lui. Ce n'est pas difficile !
Il y en a qui ont l'habitude de prendre des bains de soleil. Ils ne font rien à ce moment-là, ils ne se cassent pas la tête, ils peuvent même s'assoupir et s'endormir. Mais ça ne fait rien, ils sont exposés au soleil qui les réchauffe, qui les bronze, enfin qui leur donne un bien-être nouveau.
Eh bien ce phénomène - nous en avons peut-être fait chacun cette expérience? - ce phénomène est le symbole de ce qui se passe dans l'univers de Dieu. Avec autant d'abandon et de simplicité, nous devons nous exposer à la lumière qu'il est et nous laisser réchauffer et métamorphoser par lui. Ce n'est pas plus difficile que çà. C'est cela la vie contemplative.
Eh bien voilà, il faut oser le faire et en même temps, voyez, c'est cela le témoignage de notre vie, c'est de montrer silencieusement où se trouve la vérité. Et les gens du monde en ont tellement besoin aujourd'hui, eux qui sont dans le bruit, l'agitation, les affaires, le business, les inquiétudes.
Eh bien, nous devons être là - encore une fois - silencieusement pour montrer aux hommes de bonne volonté, et aux autres aussi, où se trouve la vérité. Etre ouvert, accueillir la lumière, accueillir l'amour fortifie cette relation toujours plus personnelle, toujours plus confiante, toujours plus amoureuse avec Dieu et devenir nous-mêmes alors vraiment sa présence parmi les hommes.
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Mes frères,
L'Avent ne serait-il pas le rappel long, lancinant, poignant d'un amour qui ne cesse jamais de nous solliciter, d'un amour qui veut nous combler totalement de ce qu'il est. Dieu, nous dit l'Apôtre, Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son fils unique.
Mais voilà, nous sommes des êtres volages, inconstants, distraits, inaptes à nous laisser aimer et à aimer. Notre long écolage de l'amour n'est jamais fini. Et l'Avent nous rappelle que nous sommes des écoliers, que nous sommes ici dans ce monastère pour apprendre à aimer, pour devenir amour comme Dieu est amour.
Les fondateurs de Cîteaux faisaient de leur lieu des scholae caritatis, des écoles, des universités où on apprenait l'art sublime de l'amour. A cette époque, le mot caritatis avait encore toute sa charge non seulement affective, mais aussi théologique et mystique que Dieu a voulu lui donner.
Aujourd'hui, nous devons retrouver ce sens premier, ce sens qui peut nous enthousiasmer lorsque nous entendons le mot et qui peut nous permettre de nous ouvrir plus facilement lorsque dans l'école qu'est le monastère nous devons apprendre à aimer vraiment.
Et cela doit aller loin, extrêmement loin au-delà des limites de notre imagination. Dieu s'est coulé dans notre nature humaine, dans notre chair de convoitises et de péchés afin que nous puissions nous couler tout entier dans sa nature à lui, sa nature qui est amour. L'amour n'est pas un attribut de Dieu, une qualité de Dieu à côté d'autres qualités.
Non, Dieu a un seul nom : il est amour. Celui qui aime, nous dit l'Apôtre encore, celui -là il demeure en Dieu et Dieu demeure en lui. Celui qui n'aime pas, il est déjà enfoncé dans la mort. Pourquoi ? Mais parce que il vit en dehors de Dieu, il n'a pas besoin de Dieu, au contraire Dieu peut très bien avoir besoin de lui. Mes frères, être fermé sur soi, être emprisonné en soi, c'est devenir incapable d'aimer et c'est descendre sûrement à l'intérieur de la mort.
Le cadeau que Dieu nous offre de sa propre nature qui est amour, il nous fait peur. Comment en effet devenir amour, comment devenir Dieu lui-même sans mourir à ce qui nous est le plus cher, à savoir nous-mêmes avec nos pensées, avec nos idées, avec nos ambitions, avec notre soif de réussite humaine.
Cela nous dit clairement que nous devons consentir à un passage. Nous devons accepter de passer de l'individualisme à la relation et à la communion. Et ce chemin qui est un tunnel - il faut oser le dire - eh bien ce chemin, il n'y en a qu'un. Saint Benoît nous le dit clairement avec toute la Tradition monastique : ce chemin unique, c'est l'obéissance, c'est la perte de nous à l'intérieur de la volonté de Dieu.
Donc, si nous voulons échapper à la véritable mort, nous devons consentir à un autre type de mort que nous expérimentons à l'intérieur de l'obéissance, à l'intérieur de ce tunnel. Mais cette mort, au même moment, nous fait déjà goûter les prémices de la petite et, plus tard, de la seconde résurrection.
C'est donc à une conversion radicale, absolue, que nous sommes invités. Le Cardinal Ratzinger vient d'y faire discrètement allusion. Nous cramponner à ce que nous sommes, nous barricader de bonnes oeuvres, de vertus, de dévotions, tout cela nous conduit dans une impasse, l'impasse qui - je le rappelle - est la mort. Qui sème dans la chair récoltera de la chair la corruption.
Nous devons donc semer dans l'esprit, c'est à dire sortir de nos suffisances et nous exposer dans notre dénuement, dans notre misère, dans notre faiblesse, dans notre vulnérabilité, dans notre pauvreté, nous exposer dans tout cela ; nous exposer même avec nos échecs, avec nos péchés à la miséricorde de Dieu.
A ce moment-là, nous nouons la relation qui est attendue et Dieu peut faire de nous des saints, c'est à dire d'autres lui-même.
Rappelez-vous le pharisien et le publicain ! Le pharisien est vraiment un saint homme. Il est bardé de vertus. On ne peut absolument rien lui reprocher. C'est un homme d'une fidélité parfaite. Il lui manque une seule chose : il n'a pas besoin de Dieu. Ce qu'il est lui suffit et Dieu doit être heureux de le recevoir.
Par contre il y a derrière lui un homme, un exploiteur, un escroc sans doute. Il n'a rien, absolument rien que la masse de ses péchés. Et il est là et il s'offre à Dieu tel qu'il est. Et Dieu aussi tôt l'enveloppe de son amour et le rend pur. Tandis que l'autre enfermé en lui-même étouffe et fini par mourir d'asphyxie.
Mes frères, il n'y a pas de grande différence, il n'y en a même aucune entre le saint et le pécheur. Le saint n'est rien d'autre qu'un pécheur qui sait qu'il est pécheur et qui s'ouvre dans les larmes à ce Dieu qui est amour.
Oui, vraiment c'est ainsi : avoir besoin de Dieu et lui crier sans fin, c'est cela la prière monastique par excellence. Et pour en arriver là, il faut se laisser précipiter dans le fond du fond de notre misère, de notre impuissance, de notre péché.
Et c'est cela précisément le douzième degré d'humilité. Et nous savons qu'à cet instant le moine est entré dans les espaces immenses, sans limites de la véritable charité. C'est un homme qui peut aimer parce que l'amour le possède totalement.
Oui, ce chemin est paradoxal et pourtant nous devons le prendre. Et si nous sommes de bonne volonté et que nous avons peur, et bien, laissons-nous pousser dedans. Dieu qui est amour connaît nos hésitations, nos reculades, mais son amour est plus fort que nous et c'est toujours lui qui aura le dernier mot à condition que nous acceptions au fond de notre coeur, même si notre chair ne veut pas suivre.
Encore une fois, mes frères, quand nous en sommes là, Dieu a enfin les mains libres pour nous revêtir de lui. Alors nous sommes dans la vie, sa vie à lui ; nous sommes au coeur de l'amour et de la beauté pour jamais.
Voilà ce qui nous est proposé en cette semaine de l'Avent. Et Dieu attend notre réaction. Je le répète pour terminer : toute forme d'individualisme - fut-elle parée des plus éminentes vertus - est mortelle. Par contre seule l'humble et confiante ouverture à Dieu et aux autres est le gage de la vie éternelle. Et la vie éternelle, c'est la propre vie de Dieu.
Nous le savons, petit à petit, jour après jour, nous vivons tout ensemble et une mort et une naissance. Notre chair charnelle - permettez-moi ce mot - s'en va vers la corruption. C'est une fatalité. Tout le monde inéluctablement se dirige vers ce terme. Mais par contre, à l'intérieur de nous - si vraiment nous sommes ouverts - vient et grandit, et se développe, et s'épanouit notre être d'éternité, notre corps spirituel, celui-là qui est notre véritable identité, notre véritable nom.
C'est à cette expérience que tout chrétien est appelé et plus particulièrement nous qui sommes ici et qui avons été choisis pour courir cette aventure extraordinaire non seulement pour nous, mais aussi pour tous nos frères les hommes. Parce que pour un homme qui arrive comme cela à devenir un seul esprit avec Dieu, de larges, d'immenses fractions de l'humanité se logent dans le coeur de cet homme et avec lui parviennent où jamais elles ne pourraient parvenir seules.
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Mes frères,
C'est tout à fait logique ! Il faut que le Corps que nous formons, que le Temple spirituel que nous formons soit à l'image de la beauté de nos lieux réguliers. Ce serait un contresens, ce serait un contre témoignage d'aménager les endroits où nous vivons et de négliger l'édifice que nous-mêmes constituons.
Chacun d'entre nous est une pierre de cet édifice et il faut, comme il nous est bien expliqué dans l' hymne de la Dédicace, que ces pierres soient bien polies, qu'elles soient bien taillées pour que chacune à sa place mette en évidence la beauté et l'harmonie de l'ensemble.
L'essentiel, ce n'est pas - encore une fois - le contenant, c'est le contenu. Et le contenu, c'est nous qui constituons un Corps. Je pense que nous ne croyons pas assez que nous sommes fondamentalement solidaires les uns des autres. Nous répondrons au tribunal du Christ les uns des autres. Nous devons faire l'impossible pour que chacun dans la communauté soit épanoui. Et ça ne peut se faire que grâce à un certain radicalisme. C'est le radicalisme de l'amour.
Lorsque on se présente au monastère pour y entrer, Saint Benoît vient de nous le redire, eh bien instinctivement on s'imagine que tous ceux qui habitent dans le monastère sont possédés par l'amour. On s'attend à rencontrer dans le monastère ce qui est extrêmement rare dans l'amour : des gens qui savent aimer. C'est tellement beau, c'est tellement rare, c'est divin et c'est ça qu'on vient chercher. Chercher Dieu, rencontrer Dieu dans le monastère, c'est y rencontrer l'amour.
Mais si au lieu de ça on rencontre autre chose que l'amour, alors je vous assure que c'est une déception terrible si ça doit arriver. Donc, nous devons faire absolument tout ce qui est en nous pour acquérir des réflexes qui soient des réflexes de charité.
Et ce qu'il nous dit ici est vrai : Si quelqu'un te frappe à la joue, présente l'autre joue. Saint Benoît vient de nous dire qu'il fallait exercer les novices à supporter les injures, 58,6. Attention ! Ce ne sont pas des insultes, ce sont des délits de droit. Le novice a l'impression qu'il est lésé dans son droit. C'est cela l'injure.
Cela peut nous arriver à nous aussi de subir une injustice. Et à ce moment-là, il faut saisir cette occasion non pas pour se fermer sur soi, de se cabrer, de se défendre, mais de s'ouvrir à l'amour. Parce que derrière l'instrument qu'est l'homme dans sa faiblesse, l'homme dans sa malice peut-être, l'homme dans son aveuglement, cet homme qui nous attaque, qui nous fait du tort, eh bien il y a des circonstances qui sont manoeuvrées par l'Esprit de Dieu pour nous placer dans l'occasion d'entrer plus loin à l'intérieur de l'amour.
Car il nous faut vraiment aller jusqu'au bout de l'amour. Comme il avait aimé les siens, il les aima jusqu'au bout. C'est jusque là que nous devons aller, c'est ça que nous devons apprendre, à aller jusqu'au bout de notre amour.
Ce n'est pas facile parce que il faut vraiment mourir à son égoïsme, il faut vraiment mourir à son instinct de défense. Il faut mourir presque à son instinct de mort pour s'ouvrir à un autre type de vie qui est cette vie divine qui est pur amour. Je l'ai dit le soir en ouvrant la récollection et c'est tellement vrai, il faut toujours y revenir.
L'individualisme, donc quand on se referme sur soi pour se protéger, même pour se protéger à coup de dévotions, eh bien, c’est asphyxiant. On finit par étouffer et par mourir.
Tandis que si on prend le risque d'entrer dans une relation gratuite avec Dieu et avec les autres, à ce moment-là on plonge dans la vie. Et c’est la vie éternelle et la liberté intérieure parce que plus rien ni personne ne peut nous atteindre. Nous sommes établis dans l’amour.
Et dans l'amour, eh bien, personne ne peut y entrer que celui qui est aussi habité par l’amour. Donc le démon qui est le contraire de l’amour, il peut tourner autour, mais il ne peut pas entrer dedans. On est là parfaitement libre, parfaitement en sécurité.
Eh bien, c'est ce qui nous est rappelé ici (partie spirituelle de la Carte de Visite) travailler avec autant d'énergie et de détermination, intensifier toujours notre vie de communauté afin de la rendre plus fraternelle.
Voilà, mes frères, nous devons essayer de nous exercer à cela dans la mesure de nos moyens qui sont décuplés lorsque nous sommes en communauté. Tout seul nous ne pouvons, nous sommes faibles. Mais si nous nous soutenons les uns les autres, à ce moment-là nous pouvons réaliser des miracles, c'est à dire permettre à Dieu de réaliser notre métamorphose en ce que Lui est.
Mes frères,
Il est question du radicalisme de l'Evangile. Eh bien, c'est peut-être ça qui manque aujourd'hui ? Il manque dans nos monastères, ça manque chez les chrétiens du monde, ça manque même un peu partout.
Le radicalisme de l'Evangile, cela signifie que on prend les paroles du Christ pour les paroles de Dieu, et on les prend à la lettre. On n'essaye pas de les interpréter, de les arranger, de les mettre au goût du jour. Non, on les prend tels qu'il les a prononcées. C'est Parole de Dieu et elles sont acceptées comme telles, et elles sont vécues comme telles.
A ce moment-là, comme je le disais hier, on entre dans la propre vie de Dieu - c'est plutôt la vie de Dieu qui entre en nous - et on participe à toutes les qualités qui sont Dieu lui-même. Et entre autre, on goûte sa liberté, sa joie et' un épanouissement que aucune industrie humaine ne pourrait jamais procurer.
Et c'est ce que Saint Benoît vient de nous dire. Un radicalisme, quand ça est fait, eh bien on va de l’avant sans essayer d'édulcorer les choses. Eh bien aujourd'hui, je pense que c’est quasiment perdu. C'était pas comme ça à l'époque de l'Abbé de Rancé. Imaginez-vous que pour toute la vie de l’Abbé de Rancé - il a été Abbé pendant 35 ans il n'y a que six hommes qui ont quitté le monastère, six profès solennels. Voilà, ces hommes allaient jusqu'au bout de leur engagement, dussent-ils mourir.
Mais voilà, il n'est pas question ici de se faire mourir de toutes sortes de maladies. Non, mais ce que je veux dire, c'est que ces hommes savaient ce qu'ils voulaient et ils ne regardaient pas en arrière. Et aujourd'hui, mais on mesure, on calcule, on jauge, on réfléchit. Et dans le fond, c'est notre foi qui faiblit et qui, elle ne meurt pas, mais enfin elle est beaucoup trop faible.
Je lisais dans l'Epître aux Thessalonniciens, tout au début de cette Epître, ceci, pour bien montrer : L'Apôtre loue le labeur de leur foi. La foi est un labeur, un travail, en grec…….. Il faut se donner du mal. Et vous savez, le labeur, ça fatigue ; le labeur, ça peut user le corps. C’est ça un travail, un travail difficile.
Alors, il loue aussi la peine de leur amour, de leur charité. La charité, oui, il faut se donner de la peine pour aimer. La charité, ce n'est pas quelque chose qui nous est inné. C’est l’eros, la concupiscence qui est inscrite dans notre instinct charnel. Cela, ça nous est inné et ça va tout seul.
Tandis que la charité qui est oubli de soi pour donner la préférence à l'autre, pour recevoir l'autre tel qu’il est, pour l'aimer tel qu'il est à travers tous ses défauts et le reste, eh bien c'est une peine, c'est pénible.
Et alors, il loue aussi la patience de leur espérance. L'espérance est une attente jamais achevée. Et il faut de la patience pour espérer : espérer en Dieu, espérer en soi, espérer dans les autres ; mais il faut être patient avec soi et avec les autres.
On nous a donné les trois vertus théologales, la foi, l'espérance et la charité. Et quand j'entendais l'Abbé de Chevetogne qui nous expliquait l'éloge que le Christ adressait dans sa lettre à l'ange qui est dans l'Eglise d'Ephèse, il louait aussi son labeur, sa peine et sa patience.
Donc nous avons chez l'Apôtre Paul, nous avons dans l'Apôtre Jean - auteur de l'Apocalypse - nous avons le même réflexe et les trois même mots pour nous dire la même chose. Ce sont les caractéristiques fondamentales de la vie chrétienne. Il faut pouvoir se donner de la peine, il ne faut pas avoir peur de travailler et puis il faut savoir porter les choses dans la patience. Vous voyez, mes frères !
Eh bien, c'est ça le radicalisme de l'Evangile. Et la discrétion est à l'intérieur radicalisme de l'Evangile, le discernement. Ce n'est pas, je dirais, une sorte de témérité. Non, comme il le dit ici, c'est réfléchi, volontaire et dynamique. C'est le fruit d'un choix sur lequel on ne revient pas.
Voilà, mes frères, je pense que ce qui nous est dit ici est encourageant. Et c'est vrai, l'aventure humaine, le fait d'être un homme et, à plus forte raison l'aventure monastique, c'est quelque chose de magnifique, c'est à dire quelque chose de grand quand on veut le vivre pour ce que c'est, c'est à dire de façon noble, généreuse, dans la foi, la charité et dans l'espérance ; ne pas avoir peur de se donner du mal, ne pas avoir peur de se donner de la peine et savoir tenir dans la patience. C'est ça en gros la vie monastique bien concrète.
Et alors, au terme de cela, il y a l'union à Dieu, il y a la métamorphose, il y a la pureté du coeur et il y a la divinisation. Voilà ce qui nous est promis. Mais encore une fois, aujourd'hui, est-ce qu'on y croit ? C'est la question qui devrait être posée au Chapitre Général. Mais voilà, posons-là d'abord chacun pour notre compte à notre conscience.
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Mes frères,
Je vous ai parlé hier ou avant hier du radicalisme qui doit habiter notre vie, qui doit habiter notre coeur. Et ce radicalisme, nous en trouvons un exemple remarquable dans la personne de Saint Jean de la Croix. Ce n'est pas un radicalisme triste, dur, impitoyable. Non, c'est un radicalisme doux, c'est un radicalisme qui est tout imprégné d'espérance et de confiance.
Saint Jean de la Croix était un homme au coeur extrêmement bon. C'était un poète, c'était un artiste. Il vibrait intensément à toute la beauté de la nature, la beauté des monuments, la beauté de Dieu naturellement. On peut dire qu'il est par excellence le chantre de la beauté.
Et le radicalisme qu'il a vécu ne lui est pas propre naturellement, on le retrouve chez tous les saints. Mais il a reçu de Dieu le charisme de le mettre en valeur, d'en démonter les rouages et d'expliquer que en dehors de ce radicalisme il n'était pas possible de réussir parfaitement sa vie consacrée.
Et ce qu'il a peut-être le plus pratiqué, c'est le radicalisme de la confiance. Il a cette sentence qui est extraordinaire, vous la connaissez peut-être ? : Là où il n'y a pas d'amour, semez de l'amour et vous récolterez de l'amour.
Donc l'amour doit être semé. Et ces semences d'amour doivent être jetées ainsi, voilà, dans le champ du monde, dans le champ de cette maison de Dieu qu'est le monastère, être jetées dans le coeur des frères. Et il les sème comment ?
Mais pas nécessairement par des paroles puisque on doit vivre dans le silence, mais elles sont semées par des attitudes, par des gestes, par des regards, par des sourires, le fait qu'on remarque l'autre qui est là. Et l'amour qu'on porte dans son coeur, l'estime et le respect qu'on porte dans son coeur pour le frère quel qu'il soit, il faut le lui manifester.
Et si dans ce frère il n'y avait pas d'amour, eh bien, la semence est tout de même jetée. Et si cette semence ne devait même pas porter de fruit dans le coeur du frère, à ce moment-là, elle revient dans le coeur de celui qui l'a jetée, mais multipliée alors.
Voilà, mes frères, je pense ce que nous pouvons retenir. Et je pensais justement aujourd'hui à cet épisode tragique mais extrêmement beau qui nous est raconté. C'est au moment où le Christ va mourir. Voyez sa situation : devant lui, il n'y a que des gens qui se moquent de lui. Se moquer d'un homme qui est, voilà, vraiment à la dernière extrémité comme le Christ, se moquer d'une victime qu'on a acculé à la mort par toutes sortes de manoeuvres, c'est le dernier de tout.
Et il y a à côté de lui un bandit. Et ce bandit, il n'a rien. C'est un bandit, il n'a rien de bon en lui, il n'a absolument rien du tout. Il a passé toute sa vie à ça, n'allons pas chercher plus loin, il a tué des gens, enfin c'est vraiment le dernier de tout. Et ce qu'il a maintenant, il l'a bien mérité !
Eh voilà que cet homme, que fait-il ? Eh bien, il va chercher tout au fond, à l'arrière fond de sa conscience, là où il pensait qu'il n'y avait plus rien du tout, il va chercher une petite semence qui est une semence d'amour et il la lance et il dit : Ecoute, lui, il n'a rien fait. Nous, nous l'avons bien mérité. Et il dit au Christ : Quand tu seras arrivé dans ton Royaume, et bien souviens-toi de moi ! Et aussitôt il récolte de façon inouïe l'amour qu'il a semé : Tu seras aujourd'hui même avec moi dans le paradis.
Vous voyez, c'est ça le radicalisme de la confiance. Je pense que nous devons aller jusque là. Nous ne sommes pas des génies. Nous n'avons pas de fortes santés, ni physique, ni psychologique, ni spirituelle. Nous sommes de pauvres hommes, de pauvres types. Et c'est sans doute pour ça que Dieu nous a rassemblés dans une Trappe plutôt que de nous envoyer ailleurs parce que nous ne savons pas faire grand chose.
Eh bien, il est une chose qui est extrêmement facile et celle-là, elle est à notre portée: c'est justement cet amour. Cultiver le radicalisme de l'amour puisque nous ne savons pas cultiver celui de l'ascèse, ni de l'intelligence, ni de toutes ces choses dans lesquelles des hommes autres que nous peuvent briller. Eh bien, essayons de pratiquer ce radicalisme de l'amour avec tout le monde, quoi qu'il arrive, quoi que nous puissions subir.
Et à ce moment-là, eh bien, nous réaliserons vraiment notre confiance. Et comme il a été dit, la charité bien ordonnée commence par soi-même. Eh bien, aimons-nous de façon radicale et n'ayons pas peur d'avoir confiance en nous. Non pas une confiance téméraire, non, mais une confiance qui est basée sur l'amour auquel nous nous ouvrons.
Et alors nous pourrons, je pense que je vous l'ai déjà dit mais enfin c'est tellement beau que c'est toujours à reprendre et à revoir, ce cri de Saint Jean de la Croix : A moi sont les cieux, et à moi est la terre, et à moi sont les peuples, etc. Tout est à lui, pourquoi ? Mais c'est parce que il est possédé par l'amour.
Et puis ceci : A toi tout ceci, et tout ceci est pour toi, absolument tout, même Dieu. Et ne t'estime pas moindre, ne t'inquiète pas des miettes qui tombent de la table de ton Père, ne t'occupe pas de tout ça, laisse ça aux autres, ce n'est pas pour toi.
Toi, sors au dehors et glorifie-toi en ta gloire. Ta gloire ? Eh bien, c'est d'être possédé par l'amour ; ta gloire, c'est d'être fils de Dieu et d'être Dieu toi-même. Et bien glorifie-toi, aie confiance en toi, cache-toi en elle et sois dans la joie et, tu obtiendras ce que ton coeur demande. Voyez cette confiance, ce radicalisme de la confiance qui est basé sur le radicalisme de l'amour !
Eh bien, nous devrions essayer de retenir tout cela, mes frères, et de le pratiquer. C'est tellement facile, tellement facile. Cela ne requiert pas de diplôme. La seule chose qui est demandée, c'est d'accepter d'être un petit enfant, de redevenir un petit enfant.
Plus on est petit, plus on est naïf, plus on est candide, plus on est innocent, plus on est humble, et plus on est ouvert à cette gloire inimaginable que Dieu déverse en nous et qui grandit toute seule sur l'amour parce que c'est Dieu lui-même.
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Mes frères,
Saint Paul vient de nous dire qu'il a reçu de Dieu la mission d'amener à l'obéissance de la foi les nations païennes - dont nous faisons partie - ces nations païennes dominées par une foule d'instincts qu'elles ont déifiés et qu'elles idolâtrent. Oui, nous sommes par nature de cette race.
Et c'est pourquoi nous devons être chacun pour notre part amenés à l'obéissance de la foi car la foi est une obéissance. Et elle est une obéissance parce qu'elle est une écoute. Par la foi, nous entrons dans un univers qui bouleverse notre vision du monde ; par la foi, nous acceptons l'étrange beauté d'un mystère à l'intérieur duquel nous sommes lentement introduits.
Et ce mystère est celui de notre Dieu devenu homme, de notre Dieu acceptant de devenir homme en chacun d'entre nous car notre destinée ne s'arrête pas ici sur cette terre. Non, elle s'ouvre sur les espaces infinis de Dieu lui-même, de notre Dieu qui est Trinité et dans le coeur duquel trône le Seigneur Jésus-Christ, Dieu avec nous et nous aussi avec Dieu.
Si bien, mes frères, que nous nous apercevons que à l'intérieur de ce monde si beau, nous ne sommes pas chez nous, nous sommes chez Dieu et Lui vit avec nous dans une proximité bouleversante.
Il vient de nous être rappelé que c'est la foi d'une jeune fille, sa confiance en une Parole entendue qui a permis à Dieu de naître dans le sein de cette fille. C'est la foi qui a donné aussi à Dieu d'être accepté, d'être accueilli, d'être aimé, d'être protégé par Joseph l'époux de cette jeune fille, par un homme chaste, un homme fort, un homme foncièrement bon.
C'est la foi encore qui donne à Dieu d'être reconnu par chacun de nous, nous qui par grâce et miséricorde sommes ses fidèles ; Dieu reconnu dans les événements qui traversent nos vie, Dieu reconnu en lui -même quand il se dévoile au plus secret de notre coeur.
Mes frères, la foi de Marie, la foi de l'Eglise, la foi de Joseph, la foi de l'Apôtre, notre propre foi, c'est toujours la même lumière, la même source de vie impérissable.
Mais prenons bien garde ! La foi, ce n'est pas l'adhésion intellectuelle à une série de propositions dogmatiques.
Non, la foi est essentiellement une relation de confiance et d'amour avec une personne, cette personne étant Dieu dans sa Trinité et plus près de nous le Seigneur Jésus. Et c'est à l'intérieur de cette relation d'amour que nous recevons la vie divine et que insensiblement nous sommes divinisés et préparons notre propre résurrection.
Car celle-ci commence dès cette vie et il faut que l'instant de notre mort soit celui où nous sommes totalement absorbés en Dieu. Si bien que notre corps spirituel, notre corps ressuscité soit les propres énergies divines qui nous travaillent depuis notre naissance.
Mes frères, la foi a permis à une vierge de transcender les lois de la nature et de devenir mère. Cette même foi nous permet de dépasser les lois de la nature et de devenir des saints. La naissance charnelle de Dieu en Marie préfigure et permet la naissance spirituelle de Dieu en nous. Le saint est un homme en qui Dieu a pris corps spirituellement. Et notre corps spirituel, notre corps de ressuscité - comme je l'ai dit voici un instant - c'est Dieu lui-même dans ses énergies qui sont amour. Mais pour que cette merveille se réalise, nous devons ouvrir notre porte à la foi. Alors finalement, ce n'est plus nous qui vivons, mais c'est lui, Dieu, qui vit en nous.
Mes frères, voici une des facettes les plus belles du mystère de Noël. Notre eucharistie de ce jour va nous préparer à l'accueillir dans la foi. Et nous demanderons pour chacun d'entre nous que cette foi puisse s'épanouir jusqu'à son sommet, jusqu'à l'heure où nous ne faisons plus qu'un seul esprit avec notre Christ.
Amen.
Mes frères,
La naissance de Dieu dans notre chair périssable et toujours si fragile nous révèle la réalité la plus bouleversante qui soit: nous sommes aimés au point de pouvoir espérer l'impossible. L'..?.. de la Bonne Nouvelle est que nous sommes appelés à devenir Dieu.
Cela signifie concrètement que nous sommes appelés à partager la nature de Dieu, tout ce qu'il est. Nous devenons éternel, nous devenons amour, nous devenons lumière, nous devenons l'inespéré. Et ce cadeau inattendu est irréversible car les dons de Dieu sont sans repentance.
Mais voilà, y croyons-nous ? Notre coeur est-il tout entier polarisé par cette réalité ? Ou bien est-il dispersé dans les mille et mille soucis de la vie ? L'entièreté du projet de Dieu est enfermé en ces quelques mots que nous venons d'entendre : né de Dieu !
Il existe donc une naissance qui ne dépend pas de la volonté charnelle, ni de la volonté de l'homme. Cette naissance est divine dans son origine et dans ses effets. Elle est l'oeuvre de l' Esprit-Saint en nous et elle fait de nous des enfants de Dieu. Cette participation à l'être de Dieu ne détruit pas, n'altère pas notre agir d'homme.
Le tout purement humain et charnel de nous n'est pas mis en veilleuse, au contraire, nos facultés dégagées de toutes les tendances anarchiques s'affinent à l'extrême et parviennent au faîte de leur pouvoir.
Les saints sont des hommes maîtres d'eux-mêmes et maîtres du monde. Ils jouissent d'une liberté parfaite car ils sont établis avec Dieu dans la gratuité absolue. Ils ne sont plus conditionnés par rien sauf par l'amour.
Telle est, mes frères, la condition d'un homme né de Dieu et qui se laisse conduire jusqu'au terme de cette naissance. Il devient un adulte dans le Christ même si au regard des hommes il est considéré comme un rien. Tout cela le laisse indifférent. Il sait, lui, qu'il est entré dans le Royaume de Dieu et que tout lui a été remis.
Telle est, mes frères, le grand, le merveilleux message de Noël. Il nous faut toute une vie pour nous y adapter. Nous devons sans cesse demander à Dieu d'augmenter en nous la foi, cette foi qui est justement la participation à sa vie.
Notre foi doit être une collaboration confiante, amoureuse avec notre créateur, notre créateur qui - ne l'oublions pas - est le Christ Jésus, lui qui a voulu parcourir toutes les étapes de notre existence terrestre jusqu'à la mort pour mieux nous comprendre.
Aujourd'hui, nous célébrons sa naissance dans notre chair et notre naissance à nous en sa nature de Dieu. Que notre eucharistie soit vraiment le cri de notre foi et le chant de notre espérance.
Amen.
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Mes frères,
La Sainte Famille de Marie, Joseph et Jésus n'est pas une image d'EpinaI devant laquelle nous nous attendririons quelques instants. Non, elle est la manifestation du mystère le plus profond qui soit : le mystère du Dieu avec nous, du Dieu l'un de nous. Et l'un de nous jusque dans les détails les plus insignifiants de toute existence humaine.
Je dis insignifiant parce que nous n'y prêtons pas attention, mais ils sont infiniment beaux tous parce qu'ils constituent notre être même et que sans eux nous ne serions pas. N'oublions jamais que l'homme-Jésus est Dieu. Non pas un dieu quelconque à côté d'un autre Dieu, mais il est Dieu lui-même.
Or il a grandi en tant que Dieu dans le sein d'une femme tout comme nous, et cela dans l'inconscience la plus totale. Puis il est venu au monde .Et tout petit il a été nourri, il a été langé, il a été choyé. Il a fait ses maladies d'enfant et il a suscité l'inquiétude chez Marie et chez Joseph bien souvent.
Sa conscience s'est éveillée peu à peu. Il a grandi. Il est devenu un gamin avec toutes les ruses des gamins. Il est devenu un garçon, il est devenu un adolescent, il est devenu un jeune homme. Il a dû être éduqué par son père, par Joseph qui lui a, dans la tradition hébraïque multiséculaire, qui lui a transmis son métier.
N'oublions pas que en Israël tous les hommes, absolument tous devaient pratiquer un métier manuel. Dieu étant le créateur du cosmos, Dieu ayant façonné l'homme avec ses mains, tout véritable juif devait travailler de ses mains. Et Dieu nous a encore donné l'exemple lorsque en Jésus il est devenu un artisan de village comme il y en avait des quantités à son époque.
Et nous, mes frères, là-dedans, quoi pour nous aujourd'hui ? Eh bien, cela nous touche d'extrêmement près parce que nous sommes nés de Dieu. Nés de Dieu, cela veut dire que nous avons été aimés, attendus patiemment et passionnément par Dieu qui est amour. Et cela dès avant la création du monde, nous étions déjà présents dans son coeur chacun bien personnellement. Nous sommes nés de Dieu et nous parcourons toutes les étapes de cette naissance.
Ce que nous observons dans le domaine de la génération humaine et de la croissance de l'homme, ce que Dieu lui-même a voulu connaître et parcourir puisqu'il est vraiment l'un de nous, et tout cela est le symbole, est le signe, est un davar, la parole de ce que nous devons vivre au plan de la divinisation, au plan surnaturel.
Nous naissons, nous avons une longue phase de l'attente et puis notre regard s'ouvre, nos oreilles deviennent attentives et, petit à petit nous devons croître jusqu'à notre taille adulte.
Voyons notre évolution au plan humain et nous comprendrons alors quelle doit être notre évolution au plan de notre divinisation. Quand on est âgé de 40 ans, on s'imagine vraiment qu'on est arrivé au sommet de sa personnalité. Eh bien, j'ai déjà largement dépassé ce stade, je l'ai connu, eh bien je puis vous dire que à 40 ans on est encore un grand gosse.
Quand va-t-on atteindre la plénitude de notre sagesse humaine ? Je n'en sais rien, je n'en sais rien. Peut-être est-ce au moment où nous approchons mais bien réellement de la mort ? C'est elle la grande maîtresse de vie. C'est peut-être pour ça que Saint Benoît nous demande de l'avoir devant les yeux tous les jours afin qu'elle nous éduque, qu'elle fasse de nous de véritables hommes.
Eh bien, mes frères, il en est de même dans le domaine de Dieu où là, nous ne devons pas trop vite imaginer que nous sommes parvenus à notre taille adulte dans le Christ. N'oublions pas que nous devons parcourir un chemin qui paradoxalement nous semble inverse. Nous devons redevenir de petits enfants.
Voyez un peu ! Nous sommes là en plein dans le mystère et il est très difficile d'en discourir. Ce que nous devons faire, ce n'est pas justement d'en parler, mais nous devons le vivre. Et lorsque nous le vivons vraiment, il n'est plus de paroles pour le décrire.
En tout cas, ce qui est certain, si nous sommes nés de Dieu, nous sommes engendrés aussi dans le sein d'une mère qui est la mère de Dieu et qui est la mère de tous ceux qui naissent de Dieu. C'est une nécessité absolue. Voilà, les choses sont ainsi et je pense qu'elles ne sont pas plus mal.
Nous faisons donc partie bien réellement de la famille de Jésus, de Marie et de Joseph. Nous sommes les frères de Jésus, nous sommes les fils de Marie et nous sommes confiés à la vigilance de Joseph.
Prenons bien garde, mes frères ! Ce n'est pas là une image jolie, attendrissante. Non, c'est une réalité divinement concrète, la réalité concrète de notre être d'enfant de Dieu. Et nous devons le savoir, et nous devons le croire. Vivre dans la conscience aigue de cette réalité, c'est le propre du chrétien authentique.
Nous allons devoir rédiger un rapport sur l'état de notre communauté, surtout nous devrons expliquer comment nous nous y prenons pour vivre notre vie contemplative. Eh bien, mes frères, ce sera extrêmement simple. Pourquoi ? Parce que dans la réalité il est impossible de parler de la vie contemplative. Pourquoi ? Parce que voyez, ce sont des détails comme ça, c'est de savoir, de vivre dans la conscience éveillée, la conscience aigue, la conscience vigilante que nous faisons partie d'une famille.
Je ne parle pas de notre famille monastique mais d'une famille qui est proprement divine et que, à l'intérieur de cette famille - qui est la nôtre et qui nous donne vie - de Jésus, de Marie et de Joseph nous sommes introduits dans la grande famille Trinitaire. Il n'y a pas d'autre route, tout le reste est illusion, c'est perte de temps, c'est impasse !
Et cela, mes frères, ce n'est pas de la dévotion, c'est l'essence même - comme je le disais - de notre vie promise à l'éternité. Et cette expérience devrait être chez nous aussi naturelle que l'expérience de notre propre famille charnelle.
Alors voilà, demandons, si vous le voulez bien, aujourd'hui cette grâce les uns pour les autres car elle est très grande, elle est très belle et - encore une fois - tôt ou tard dans une vie monastique contemplative bien vécue, on arrive à le savoir et on ne peut vivre que d'elle.
Mes frères,
A l'époque de Saint Benoît, on vivait encore dans un univers imprégné par une foi vivante. Un moine équilibré avait tout naturellement du respect pour les anciens, de l'affection pour les jeunes. Et s'il s'en trouvait un dans la communauté qui négligeait ce devoir naturellement chrétien, il était sévèrement réprimandé en public d'abord, et puis on le soumettait à la discipline régulière, c'est à dire qu'on lui infligeait ce qu'il voulait infliger aux autres.
Est-ce que on imagine encore ça aujourd'hui dans nos monastères. Ce serait de suite la révolution, ce serait des plaintes à la Congrégation des Religieux. On ne sait pas ce que ça deviendrait. Il faut savoir et reconnaissons-le bien humblement que au niveau de la foi nous sommes terriblement dégénérés.
Nous sommes devenus des théologiens, c'est à dire des gens qui savent discourir sur le monde de Dieu. Mais voilà, quand ils ont bien discouru, ils sont satisfaits et ils pensent que tout est arrivé. Mais il ne faut pas les toucher, parce que alors ça devient des hérissons et qui s'y frotte s'y pique. Voilà, je pense que nous devrions réfléchir à ça !
Regardez, aujourd'hui nous avons célébré la fête de ces enfants tout à fait inconscients qui sont morts comme ça sans s'en rendre compte pour la plupart et sans savoir pourquoi. Et l'Eglise maintenant les considère comme des martyrs, comme des témoins.
Ils étaient en fait des prophètes, ils annonçaient ce qui devait arriver à cet autre enfant qui s'était échappé, qui allait devenir un homme et qui subirait le même traitement de la part des hommes. Et puis après lui, ce serait bien d'autres. Et le premier, c'était ce couronné. Cette couronne, c'était le nom d'Etienne.
Et nous avons là l'affrontement de deux univers, de deux approches différentes de Dieu. Une approche d'abord rationnelle, raisonnée, raisonnable de Dieu. Encore une fois, celle des théologiens, et des philosophes, et des juristes - des scribes comme on disait alors - et des prêtres de l'époque de Jésus.
Et que se passe-t-il ? Et bien mes frères, l'homme est ainsi fait qu'il projette sur une certaine image de Dieu celle que lui offre la théologie - théologie vous savez purement cérébrale il projette tous ses désirs de sécurité et de réussite, tous ses besoins de rationalité et d'ordre. Le dieu de cet homme est un dieu domestique, il est au service de l'homme, il est une idole. Et regardons-nous bien, regardons-nous bien et voyons si ce n'est pas parfois ainsi pour nous.
Et de l'autre côté, vous avez une approche de Dieu qui est mystique, qui est irrationnelle, qui est dérangeante. C'est l'univers des prophètes, eux dont le coeur est déjà entré à l'intérieur de la création nouvelle et qui voient, et qui entendent des choses qu'il n'est pas permis à un homme de répéter, sauf de le glisser doucement dans l'oreille d'un autre qui est capable de l'entendre.
Oui, c'est l'irruption alors de Dieu dans l'univers des hommes, c'est la folie de Dieu qui se manifeste au coeur d'un homme. Et voilà, c'est Dieu qui se donne à un homme dans la sponsalité et dans l'amour gratuit.
Eh bien, entre ces deux approches, entre ces deux univers, c'est une guerre irrémissible. Elle traverse toute l'Histoire et elle traverse aussi notre coeur. Etienne, je prends appui sur lui parce que les enfants d'aujourd'hui étaient encore la plupart du temps inconscients, Etienne voyait le Seigneur Jésus debout à la droite de Dieu. Qu'est-ce que ça veut dire?
Il voyait quelque chose. N'allons pas maintenant imaginer. Non, c'était l'affaire d'Etienne, il témoignait de ce qu'il voyait. Il contemple donc l'univers nouveau, l'univers final et il en témoigne. Par ses paroles, il devient une parousie de l'eschaton, une parousie, une apparition, une manifestation de la création accomplie.
Mais alors les autres, eux, ils ne peuvent pas supporter cela. Ils le nient, ils le rejettent, ils s'enferment dans leur science, dans leur vertu, dans leur suffisance et alors, ils tuent Etienne, ils tuent le témoin mais ils ne peuvent pas atteindre au-delà. Ils font, voilà, comme l'homme qui prend sa température. Il a 40 de fièvre et, pour le nier, il brise le thermomètre. Mais sa fièvre lui reste, sa fièvre est là. Alors voyez ces hommes, ils agissent ainsi à l'endroit d'Etienne.
Et alors ce conflit, mais il nous traverse, il traverse notre coeur. Nous sommes séduits par la beauté de Dieu, la beauté de son uni vers, par sa Sagesse à lui qui est folie aux yeux des hommes. Mais d'un autre côté, nous voulons réussir notre vie, la réussir au plan humain. Et pour cela, mais nous sommes contents d'être bien avec Dieu parce que si nous sommes bien avec lui, mais il va nous aider à réaliser nos petits ou grands projets.
Voilà, mes frères, ce que nous sommes dans le réel, reconnaissons-le ! Inutile de nier, cela vaut pour tous. Et si nous sommes ici, c'est justement pour nous exercer à toujours bien choisir. Non pas choisir cette approche de Dieu qui est finalement débilitante et suicidaire pour l'homme, mais une approche de Dieu qui est réelle, pour laisser Dieu prendre possession de nous et non pas pour nous essayer de mettre la main sur lui.
Et alors voilà, toujours choisir Dieu contre nous, c'est le gage de la véritable réussite. Et le reste ? Eh bien ma foi, le reste, c'est illusion, impasse et c'est mort. Celui qui veut garder sa vie, qui veut réussir sa vie, dit le Christ, et bien c'est tout cuit, il la perdra. Par contre, celui qui prend le risque de la perdre, celui-là c'est garanti, il va la réussir, il la sauvera.
Voilà, mes frères, c'est la leçon que nous pouvons retenir aujourd'hui à partir de ce que Saint Benoît vient de nous dire, Ch.70, et à partir de ce que le récit des origines de notre foi nous rappelle.
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Mes frères,
Les récits évangéliques que nous entendons ces jours-ci ne sont pas des reportages qui auraient été réalisés au jour le jour par des analystes fidèles. Non, ils ont été relatés oralement d'abord puis mis par écrit longtemps après la résurrection du Seigneur Jésus. C'est donc dans la lumière de l'événement Pascal que nous devons les écouter aujourd'hui. Il ne faut jamais perdre cela de vue.
Et j'ai rencontré un indice au verset 34 dans les paroles que Siméon adresse à Marie. On traduit comme ceci : Cet enfant est établi pour la chute et le relèvement d'un grand nombre en Israël. Le mot qui a été traduit par relèvement est en réalité anastasis, c'est la résurrection.
Donc voyez, Jésus ressuscite d'entre les morts et il a été établi par son Père juge de l'univers, juge des vivants et des morts. Et voilà, il doit départager les brebis des chèvres. Certains seront précipités dans les profondeurs infernales et les autres, ils seront promis à la résurrection dans la lumière de Dieu, anastasis. Il faut voir les choses comme ça.
Et il y a aussi des petites touches qui nous permettent de mieux savoir qui est Jésus. Voilà que cet homme Siméon - dont le nom signifie, je le rappelle, celui qui écoute - il voit dans ce petit enfant celui qui va le juger. C'est le Juge d'Israël. Et il est Sauveur parce qu'il est Juge.
Naturellement on peut là-dessus construire toute une exégèse, mais enfin ce n'est pas notre propos ici. C'est que, vous voyez, vous avez de nouveau d'un côté la chute et de l'autre la résurrection. Toute l'Histoire du Salut est traversée par ce conflit dont il était question hier. Et le point central, le pivot de ce conflit, c'est cet homme Jésus.
Il est, nous est-il dit, un signe, un étendard que l'on va contredire et contester. Et cet aspect de contestation a été brillamment mis en évidence par l'Apôtre Jean dans son Evangile. D'un bout à l'autre Jésus est contesté. Et c'est normal parce que les hommes n'acceptent pas d'être arrachés à eux-mêmes pour adopter une sagesse étrangère.
Or, Dieu est l'étranger par excellence, lui qui est le tout autre. Et pour devenir soi-même autre, il faut consentir à mourir à ce que l'on est, d'où le réflexe d'agressivité parce que on a peur de l'inconnu. Il s'agit de recevoir en soi les moeurs divines qui sont toutes centrées autour de l'amour, de l'agapè.
Retenons bien ceci, mes frères, l'amour n'est pas une qualité de Dieu, l'amour est Dieu lui-même. Je pense que quand on a découvert cela, on a fait un très grand pas à l'intérieur de la vie contemplative. Cela signifie que chaque fois que l'on rencontre l'amour, on touche Dieu.
On nous a lu encore aujourd'hui le commencement de cette Epître de Saint Jean où il dit qu'il a vu, qu'il a contemplé, ses oreilles ont entendu, ses mains ont touché. Eh bien, lorsque nous rencontrons l'amour, dans une personne, eh bien à ce moment-là nous voyons, nous entendons et nous touchons la Personne de Dieu.
Je pense que ça peut nous aider à mieux accepter les autres tels qu'ils sont et à mieux comprendre que nous formons un seul Corps dont l'âme est l'amour, dont l'âme est Dieu, dont l'âme est l'Esprit.
Mais voilà, je vous le dis, ce n'est pas facile parce qu'il faut vraiment devenir autre. Il faut renoncer à la peur, il faut s'exposer à mourir, il ne faut pas avoir peur des coups et il faut toujours garder dans le coeur le préjugé favorable ; c'est à dire avoir un oeil suffisamment pur pour reconnaître l'amour même s'il est caché sous des amoncellements de méfaits, des choses qui ne sont pas bonnes.
Alors que voulez-vous, l'opposition au Seigneur Jésus dont Siméon parle ici encore, elle habite notre coeur comme celui de tous les hommes. Les pensées de nombreux coeurs seront dévoilées, dit le prophète, et les nôtres aussi viendront au jour.
Alors, si ces pensées pouvaient toujours être des pensées de bienveillance, de douceur, de compassion, d'amour, ce serait merveilleux. Nous serions déjà en voie de résurrection. Jésus dira lui-même : L'arbre est jugé à ses fruits. Alors puissions-nous chacun pour notre part toujours porter des fruits de résurrection.
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Mes frères,
Quand nous entendons la lecture de ce chapitre 72° de la Règle, nous savons que nous approchons de la fin d'un quadrimestre et de la fin de l'année. Nous approchons ainsi de la fin de notre vie et il nous sera dit à ce moment : Tu as entendu ce chapitre autant de fois au courant de ta vie. Et voilà, qu'en as-tu fait ?
Et nous n'aurons qu'une seule chose à dire : j'aurais pu faire mieux, c'est certain ! Mais ô mon Dieu, je sais que tu es l'amour et je me présente devant toi tel que je suis. Je n'ai rien du tout et je me jette comme ça dans le feu de ta miséricorde. Et là, d'un seul coup, je serai transfiguré.
Et c'est cela, mes frères, que nous devons faire tout de suite. Nous devons essayer de le faire. Il ne faut pas trop nous épucer, vous savez, nous analyser, etc. Non, 'il faut se jeter dans la miséricorde de Dieu tel qu'on est et lui fera le reste.
Et nous avons entendu ce matin l'histoire de cette brave femme de 84 ans. Il y en a un ici qui va bientôt arriver à cet âge canonique qui est l'âge de la sainteté. Et c'est l'âge auquel on découvre peut-être alors la Personne du Christ dans toute sa beauté. Et nous voyons que cette femme qui s'appelle Anne, c'est à dire la grâce, la beauté, cette femme a choisi de vivre dans la Maison de Dieu. Elle entend le servir dans les jeûnes, dans les prières et dans la séparation du monde. Elle a établi sa demeure chez Dieu.
Elle est donc en somme un prototype de la moniale, d'autant plus qu'elle attend. Elle attend la rédemption d'Israël, elle attend la manifestation de Dieu. Elle est donc une neptique, elle veille. C'est une éveillée, une attentive. Elle ne dort pas, elle ne se laisse pas assoupir, spirituellement s'entend. Et finalement elle voit. Donc son attente est comblée.
Et elle voit Dieu dans enfant ce qui est bien le sommet de la un foi: voir Dieu dans un homme, le reconnaître dans l'impuissance d'un garçon de 6 semaines.
Et je vous assure que pour en arriver là, il faut être mort à soi-même, il faut avoir abandonné ses yeux humains, ses yeux d'adulte. Il n'y a que le petit enfant qui reconnaît le petit enfant.
Mettez deux enfants tout petits là. Ils sont avec leurs parents. Eh bien, il n'y a rien à faire, ils vont laisser tomber les parents. Ils vont se rencontrer, ils vont se retrouver, ils vont se reconnaître.
Et ici, Anne, à 84 ans, elle reconnaît Dieu enfant, le Dieu qui est toujours jeune, le Dieu qui est toujours en état de jeunesse. Car le Verbe de Dieu est engendré toujours. C'est son être d'être l'engendré. Et alors Anne qui est redevenue une petite fille, elle le reconnaît. Voilà, elle est donc une vraie contemplative et elle peut nous servir de modèle.
Vous voyez tout ce qu'on peut découvrir à l'intérieur d'une petite péricope évangélique. Si ce récit a été retenu par la Tradition, ce n'est pas sans motif. Et voilà, il a été retenu entre autre pour nous aujourd'hui. Mais Anne vivait séparée du monde et nous pourrions peut-être nous arrêter deux minutes sur cet aspect de séparation du monde.
Comme le dit l'Apôtre, nous l'avons entendu ce matin, tout ce qui est dans le monde, c'est convoitise de la chair. Ce n'est pas seulement la chair charnelle, c'est l'homme dans son aspect. L'homme charnel, c'est convoitise des yeux : tout voir, tout connaître, tout savoir, tout épier, tout espionner, et puis tout, tout, voilà, tout posséder. Ce que je ne puis posséder, disons, parce que je n'en suis pas propriétaire, je peux le posséder par les yeux.
Et enfin, une chose qui est difficile à traduire. Cela a été traduit « l'orgueil de la richesse », mais c'est autre chose. Le mot grec est une assonance. C'est la vantardise, c'est la jactance, c'est la hâblerie, c'est l'imposture de la richesse, de l'avoir. Et ça, c'est le monde, c'est le monde des affaires, c'est le monde du business.
Alors voyez un petit peu quand un monastère est entraîné là-dedans ! Heureusement je puis le dire et vous le savez, nous ne le sommes pas. Même si nous vendons de la bière et que nous respectons les lois du marché, nous restons toujours à notre petit niveau. Et je pense que tous ceux qui viennent ici le sentent et le savent à commencer par les agents qui viennent régulièrement nous contrôler.
Et voilà, il y a l'opposé du monde. Il le dit ici : Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est pas en lui. Parce que à l'opposé du monde, il y a Dieu, Dieu qui est manifesté dans le Christ. Et c'est tout le contraire de ce qui fait l'attirance du monde pour l'homme pécheur : la chair, les yeux, la jactance.
Chez Dieu, dans le Christ, c'est la chasteté de la chair, c'est l'humilité du regard et c'est la rectitude de la vie. Alors voilà, c'est encore toujours ce fameux conflit. Il faut balancer, il faut choisir entre les deux.
Si bien que la séparation du monde, c'est la séparation des vices qui empoisonnent le monde. Aimer le monde, c'est devenir complice de ses dérèglements.
Et voilà, le monde, nous le savons, il glisse dans la corruption et dans la mort ; tandis que celui qui s'attache à Dieu entre dans la vie impérissable, ce qui a été dit ici. Le monde s'évanouit avec toute sa convoitise et celui qui fait la volonté de Dieu demeure pour l'éternité.
Il y a un seul véritable amour du monde où il est dit que Dieu a tant aimé le monde. C'est l'amour qui ne juge pas le monde, qui le prend en pitié et qui veut le sauver.
Et nous, si nous sommes séparés du monde, ce n'est pas par mépris du monde. C'est pour ne pas être complices des dérèglements du monde, mais c'est surtout pour l'enfermer dans notre coeur. Et si notre coeur devient pur, à ce moment-là, le monde qui est dans notre coeur va se trouver transfiguré lui-même.
La transfiguration finale du cosmos à la fin des temps, elle sera l'oeuvre des saints, c'est à dire du Christ vivant dans le coeur de certains hommes et de certaines femmes. Et s'Il nous a invités dans sa Maison ici comme la vieille dame Anne, eh bien, c'est pour réaliser cette merveille en nous et grâce à nous.
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Chapitre : Le premier jour de l’année. 01.01.92
Homélie : Sainte Marie Mère de Dieu. 01.01.92*
Chapitre : Saint Basile et Saint Grégoire. 02.01.92
La sainteté est un don de Dieu.
Chapitre : Récollection du mois de janvier. 04.01.92
La Trinité a déposé en nous un germe.
Règle : Prologue 92-105 : 06.01.92
Règle : Prologue : de 106 à la fin. 07.01.92
Règle : 1, 1-14 : Des espèces de moines. 08.01.92
Règle : 2, 29-43 : De l’Abbé. 11.01.92
Chapitre : Lettres de Saint Bernard. 12.01.92
Règle : 3, 16-fin : Prendre l’avis des frères. 17.01.92.
La Règle est une maîtresse de vertu et de vie.
Chapitre : Fête de Saint Antoine. 17.01.92*
Chapitre : Notre Père Saint Antoine. 18.01.92
Chapitre : Lettres de Saint Bernard. 19.01.92
2. Lettre 106 : Le geste de la vie contemplative.
Chapitre : Semaine de prières pour l’Unité. 21.01.92
Suite à la causerie de Dom Emmanuel Lanne.
Chapitre : Notre Père Saint Antoine. 22.01.92
Règle : 5, 29-fin : De l’obéissance. 23.01.92
Règle : 7, 1-12 : De l’humilité. 25.01.92.
Règle : 7, 13-28 : De l’humilité (suite). 26.01.92
Ne pas construire notre bergerie.
Chapitre : Nos Saints Fondateurs. 27.01.92
Règle : 7, 66-81 : Premier degré (suite). 29.01.92.
Règle : 7, 66-81 : Premier degré (suite). 30.01.92
Chapitre : Récollection du mois de février. 01.02.92
Saint Benoît nous communique sa vie.
Homélie : Fête de la Présentation du Seigneur. 02.02.92
Règle : 7, 131-137 : Sixième degré. 03.02.92
Règle : 7, 138-146 : Septième degré. 04.02.92
Croire vraiment être le plus vil.
Règle : 7, 156-158 : Dixième degré. 07.02.92
Règle : 7, 159-164 : Onzième degré. 08.02.92
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 15.02.92
Règle : 7, 165-fin : Douzième degré. 16.02.92
Règle : Promesse de parler de la psalmodie. 18.02.92
Chapitre : La Psalmodie. 25.02.92
Chapitre : La psalmodie. 26.02.92
2. La Parole de Dieu est vivante.
Chapitre : La psalmodie. 27.02.92
3. Dernier volet de la psalmodie.
Chapitre : La psalmodie. 28.02.92
Chapitre : Récollection du mois de mars. 28.02.92*
Homélie : Mercredi des cendres. 04.03.92
L’aumône, la prière et le jeûne.
Règle : 49 : De l’observance du carême. 04.03.92
La spiritualité monastique du carême.
1. La consigne donnée par la Dame.
Règle : 31,1-26 : Portrait idéal du cellérier. 08.03.92*
Chapitre : La Tradition. 08.03.92
4. Va en paix et intercède pour nous.
6. Prenez garde à une grossière intempérance.
Chapitre : Fête de Saint Joseph. 19.03.92
Chapitre : La répartition universelle des biens. 22.03.92
Suite à la causerie du Père Herr s.j.
Chapitre : L’Annonciation à Marie. 25.03.92
Fête de l’Incarnation de Dieu.
Règle : 48, 1-23 : Du travail manuel. 28.03.92*
7. Le jeûne est une porte qui ouvre sur un chemin…
Chapitre : L’aveugle né. 29.03.92
9. Nous devenons ce que nous mangeons.
Semaine Sainte 1992 du 12.04.92 au 19.04.92
Homélie du dimanche des rameaux. 12.04.92
Des contrastes inquiétants et terribles.
Chapitre du Lundi Saint. 13.04.92
Les sommets de la vocation contemplative.
Chapitre du Mardi-Saint. 14.04.92
Un sommet de lâcheté et de bêtise.
Chapitre du Mercredi-Saint. 15.04.92
Nature et beauté de la chasteté.
Homélie à l’Eucharistie du Jeudi-Saint. 16.04.92
2. Exhortation à l’Office de Complies.
Homélie à la Vigile Pascale. 18.04.92
Homélie à l’Eucharistie de Pâques. 19.04.92
Le chrétien est un homme émerveillé !
Chapitre : L’exercice de l’autorité aujourd’hui. 26.04.92
Echange pastoral aux Conférences Régionales.
Règle : 71 : S’obéir mutuellement. 29.04.92
Pourquoi nous obéir les uns les autres ?
Chapitre : Récollection du mois de mai. 02.05.92
Se laisser investir par l’événement Pascal.
Chapitre : Fête des Saints Abbés de Cluny. 10.05.92
Chapitre : Fête de Saint Pacôme. 17.05.92
Règle : 4, 1-24 : Quels outils utiliser ? 19.05.92
1. Aimer Dieu de tout son cœur !
Règle : 4, 25-50 : Quels outils utiliser ? 20.05.92
2. Mais aimer aussi les frères !
Règle : 5, 29-fin : De l’obéissance. 24.05.92
Homélie : 6° dimanche de Pâques. Année C. 24.05.92
Act 15, 1-29 * Ap 21, 10-14,22-23 * Jn 14, 23-29
Règle : 6 : De la retenue dans les paroles. 25.05.92
Chapitre de la Fête de l’Ascension. 28.05.92
Homélie : Fête de l’Ascension. 28.05.92*
Vivre l’Ascension avec intensité.
Règle : 7, 52-65 : Suite du 1° degré. 29.05.92.
Règle : 7, 66-81 : Suite du 1° degré. 30.05.92.
Chapitre : La correction fraternelle aujourd’hui.31.05.92
Règle ; 7, 89-92 : Troisième degré. 01.06.92.
Règle : 7, 93-118 : Quatrième degré. 02.06.92
Règle : 7, 131-137 : Sixième degré. 04.06.92
Homélie : Eucharistie vespérale de la Pentecôte.06.06.92
Règle : 7, 156-158 : Dixième degré. 08.06.92
Règle : 7, 159-164 : Onzième degré. 09.06.92
Règle : 7, 165-fin : Douzième degré. 10.06.92
Règle : 10 : La Trinité. 13.06.92
Règle : 10 : La Trinité. 15.06.92
Règle : 10 : La Trinité. 16.06.92
3. Demeurer chez Dieu en lui !
Règle : 10 : La Trinité. 20.06.92
4. Devenir nous-mêmes Trinité !
Chapitre : Fête du Saint Sacrement. 21.06.92
Homélie : Fête de Saint Jean-Baptiste. 23.06.92
Chapitre : Suite à un récital de violoncelle. 25.06.92
Règle : 20 : De la révérence dans la prière. 27.06.92.
Chapitre : Solennité du Sacré-Cœur. 28.06.92
Le chrétien est un homme qui aime.
Homélie : 13° dimanche – Année C. 28.06.92*
1R 19, 16…21 * Ga 5, 1…18 * Lc 9, 51-62
Chapitre : Apophtegme pour le 12° degré. 30.06.92
1. Fais-moi connaître si je t’ai plu !
Chapitre : Apophtegme pour le 12° degré. 01.07.92
Chapitre : Apophtegme pour le 12°. 02.07.92
Chapitre : Récollection du mois de juillet. 04.07.92
Sommes-nous meilleurs que nos Pères ?
Chapitre : Apophtegme pour le 12° degré. 06.07.92
Chapitre : Apophtegme pour le 12° degré. 07.07.92
5. L’apophtegme d’Abba Arsène.
Chapitre : Apophtegme pour le 12° degré. 10.07.92
Chapitre : Apophtegme pour le 12° degré. 12.07.92
Chapitre : La démocratie. 14.07.92
1. Qu’est-ce que la démocratie ?
Chapitre : La démocratie. 15.07.92
Chapitre : La démocratie. 16.07.92
3. Qu’est-ce que la démocratie ?
Chapitre : La démocratie. 18.07.92
Chapitre : Suite aux causeries du Père Ducan. 23.07.92
Chapitre : La démocratie. 24.07.92
Chapitre : La démocratie. 25.07.92
6. Et dans la vie monastique ?
Chapitre : La démocratie. 26.07.92
7. Etre témoin du projet de Dieu.
Chapitre : La démocratie. 27.07.92
8. Incompatibilité entre démocratie et vie monastique.
Chapitre : La démocratie. 27.07.92
Règle : 48, 1-23 : Du travail manuel. 28.07.92
Le travail manuel est un facteur d’unité.
Chapitre : Récollection du mois d’août. 01.08.92
Homélie : 13° dimanche ordinaire : C. 02.08.92.
Qo 1,2 ; 2,21-23 * Col 3,1……11 * Lc 12,13-21
Chapitre : Fête de la Transfiguration. 06.08.92
Chapitre : Fête de l’Assomption de Marie. 15.08.92.
Chapitre : Le mystère de l’Assomption. 16.08.92
Le but de notre vie n’est pas ici-bas.
Chapitre : Qu’est-ce qu’un saint ? 19.08.92
Saint Bernard nous secoue, nous provoque……
Chapitre : Lettres de Saint Bernard. 29.08.92
3. Lettre 106 (suite) : Le bois et la pierre.
Chapitre : Notre frère Bonaventure. 24.08.92
1. La prière d’intercession pour un frère.
Chapitre : Notre frère Bonaventure. 25.08.92
Chapitre : Le Corpus Monasterii. 28.08.92.
Chapitre : Le gouvernement monastique. 29.08.92
La communauté monastique ne détient pas l’autorité.
Chapitre : Lettres de Saint Bernard. 30.08.92
4. Au Chanoine Oger : Service de la charité.
Chapitre : Récollection du mois de septembre. 05.09.92
Un regard de lucidité sur nous.
Homélie : 23° dimanche ordinaire. Année C. 06.09.92
Sg 9, 13-18 * Phm 9b-10.12-17 * Le 14, 25-33
Chapitre : Responsables les uns des autres. 13.09.92
Chapitre : La croix glorieuse. 14.09.92
Chapitre : La Vierge des douleurs. 15.09.92
Chapitre : L’esprit de la Visite Régulière. 27.09.92
Homélie : Funérailles de fr. Bonaventure 06.10.92
Chapitre : L’humilité de Marie. 07.10.92
Chapitre : L’humilité de Marie. (suite) 08.10.92
Homélie : 28° dimanche ordinaire – année C. 11.10.92
2R 5, 14-17 * 2Tm 2, 8-13 * Lc 17, 11-19
Chapitre : Notre Frère Bonaventure. 11.10.92*
Chapitre : Savons-nous ce que nous voulons ? 14.10.92
Chapitre : Fête de Sainte Thérèse d’Avila. 15.10.92
Chapitre : Le réalisme de la conversion. 17.10.92.
Chapitre : Le mystère Pascal. 18.10.92
Chapitre : Départ du postulant André. 21.10.92
Ici, nous ne sommes pas chez nous !
Chapitre : Communauté ou individu ? 24.10.92.
Chapitre : Vocations ? Vision de foi. 25.10.92
Chapitre : Vivre dans la compagnie de Dieu. 26.10.92
Mais aussi dans la compagnie de ses Saints.
Règle : 20 : De la révérence dans la prière. 27.10.92.
Chapitre : Acquérir le statut angélique ! 28.10.92
Chapitre : Récollection du mois de novembre. 31.10.92
Désirons-nous devenir des saints ?
On ne peut voir Dieu sans mourir.
Chapitre : Fête de la Saint Hubert. 03.11.92
Goûter un bonheur que le monde ne peut imaginer.
Chapitre : Célébrer l’Office. 04.11.92
Chapitre : L’Abbé de Rancé. 05.11.92
Homélie : Fête de la communauté. 06.11.92
Chapitre : L’Abbé de Rancé. 07.11.92
Deuxième partie des conclusions.
Homélie : Funérailles de frère Bernard. 21.11.92
Chapitre : Fête du Christ-Roi. 22.11.92
Chapitre : Récollection du mois de décembre. 05.12.92
Dieu a tant aimé le monde qu’Il lui a donné son Fils unique.
Chapitre : Jusqu’au bout de l’Amour. 11.12.92
Croire en la pureté du cœur et la divinisation.
Chapitre : Saint Jean de la Croix. 14.12.92
Un exemple remarquable de radicalisme.
Homélie : Quatrième dimanche de l’Avent. 20.12.92
_________________________________________________________________________________
Homélie : Noël, messe du jour. 25.12.92
Chapitre : Fête de la Sainte Famille. 27.12.92
Chapitre : La vision de Siméon.
Chapitre : Etablir sa demeure chez Dieu. 30.12.92
Anne, un prototype de la moniale.
Table des matières de l’année 1992 : Dom Hubert :
[1] Suite du 17.01.92
[2] Voir précédent le 12.01.92
[3] Suite du chapitre du 18.01.92
[4] Suite du chapitre du 29.01.92 de hier
[5] Suite de Utilis et Inutilis du 30.01.92
[6] + en deuxième partie la suite du Chapitre du 04.02.92 : Un vide rempli par Dieu !
[7] suite du 18.03.92
[8] Suite du précédent
[9] Suite du précédent malgré que c’est le 10° degré.
[10] Voir aussi « Règle : 11 » du 14.06.92
[11] Illustration du 12° degré d’humilité.
[12] Voir le chapitre précédent du 19.01.92
[13] Revoir à partir du 14. 07.92 les 9 chapitres sur la démocratie.
[14] Suite du précédent
[15] Suite des deux précédents
[16] Suite du Chapitre du 27.10.92
[17] Voir la première partie le 05.11.92