Homélie : le premier jour de l’année.             01.01.89

      Laissons-nous enfanter par Marie.             

 

Mes frères,

         

          Comme je le rappelais ce matin (non enregistré), un des devoirs es­sentiels de tout chrétien devrait être la vigilance. Il se passe en nous et autour de nous des choses extraordinaires qui nous échappent totalement.

Remarquons-nous la bénédiction de Dieu à l'oeuvre en chacune de ses créatures ? Voyons-nous le Seigneur se pencher vers nous ? Le voyons-nous faire briller sur nous la lumière de son sourire ?

Pour contempler ces merveilles, il faut absolument écarter de nous toute curiosité, car la curiosité est malsaine. Elle est toujours désir d'accaparement ou besoin de se protéger. Nous devons accepter de faire confiance à Dieu et aux autres tout simplement. Nous devons prendre le ris­que d'aimer.

 

Dieu est devenu l'un des nôtres afin de nous introduire dans la com­munion de sa vie. Or sa vie est amour, sa vie est don, sa vie est accueil, sa vie est attention suprême à chacun dans un respect absolu.

Et Dieu est toujours à l'oeuvre dans ce sens. Notre vigilance permet de voir, d'admirer, de collaborer. Et les effets ne se font pas attendre. On a vite fait d'expérimenter la vie divine bouillonnante dans le coeur et d'apprendre par elle en quoi consiste la vraie liberté.

Dieu qui est amour a toujours le dernier mot. Ne nous arrêtons jamais aux apparences. Dieu travaille dans l'invisible, dans le secret. L'homme qui vit de Dieu et qui vit en Dieu a le privilège de contempler ces choses. Il s'unit à ce travail de Dieu de toute l'énergie de sa foi, de son espé­rance, de son amour, et il devient avec Dieu un des régents du monde.

 

Mais le plus merveilleux est de découvrir qu'on est enfanté à ce mon­de divin, d'exister par une femme qui est tout ensemble et Mère de Dieu et notre Mère. La réalité de l'incarnation ne connaît pas de limite. Marie a enfanté Dieu au monde des hommes et, aujourd'hui, elle enfante les hommes à l'uni­vers de Dieu.

Aucune exception n'existe. Tout ce qu'il y a en nous de nouveau, de divin, d'éternel, nous vient de Marie qui nous forme à partir de sa propre substance divinisée. Si nous sommes attentifs à ces réalités, notre vie prend tout son sens.

 

Mes frères, en ce premier jour de l'an, permettez-moi d'exprimer un souhait pour chacun d'entre-vous, un souhait pour moi, pour ma personne également : que nous puissions entrer dans cette lumière, que nous puis­sions regarder Dieu à l'oeuvre en nous et autour de nous ; et qu'ainsi nous laissions grandir en nous une confiance totale quelques soient les événe­ments apparemment contraires.

Nous pouvons endurer de grandes souffrances, mais il faut que notre coeur demeure éveillé et que en dessous, il observe la main de Dieu qui travaille, la main de Dieu qui est en train de façonner un chef-d'oeuvre qui n'apparaît pas encore, mais qui un jour sera en pleine lumière. Et alors, nous comprendrons.

Mes frères, confions ce désir, cette espérance à notre Mère Marie et efforçons-nous de nous laisser enfanter par elle sans opposer de résistan­ces, afin qu'un jour, bientôt, elle puisse se reconnaître sur notre visage et que nos frères les hommes en soient encouragés sur leur route vers leur destinée d'éternité.

 

                                                                                                            Amen.

 

Chapitre : Le Baptême du Seigneur.              09.01.89

 

Mes frères,

         

Saint Benoît nous parle des moines qui n'ont de la réalité monastique que l'apparence. Ce sont des trompe-l'oeil, des emballages vides, des men­teurs. Mentiri Deo noscuntur, dit Saint Benoît, 1,19. Ils sont reconnus mentir à Dieu. Ils peuvent abuser les hommes, mais Dieu, ils ne pourront pas le tromper. Ils sont baptisés dans l'eau boueuse de leurs désirs et de leurs plaisirs charnels.

GuIae iIlecebris, dit encore Saint Benoît, 1,31. Ce sont les ruées ou les ruts d'animaux qui se jettent sur les nourritures délicates qui leur sont offertes. Vraiment ils sont réduits à l'état animal et ils ne s'en rendent pas compte. C'est ça qui est le plus grave. La desideriorum vo­luptas, la volupté qu'ils trouvent dans la satisfaction de leurs désirs.

Pour les décrire avec un si puissant réalisme, il fallait que Saint Benoît en eu rencontré et connu. Il a dû en observer. C'est tout autre chose que d'être baptisé dans l'Esprit et le feu ! Etre baptisé, c'est être plongé tout entier dans l'eau, ou dans la lumière liquide, ou dans le feu.

 

Les Juifs connaissent encore les bains rituels. Et dans ce bain, on doit être entièrement plongé dans l'eau. On doit avoir de l'eau jusqu'au dessus de la tête. On doit être absolument nu, on doit être dépouillé de tout ce qui pourrait former un écran entre la peau et l'eau. C'est ça le rite du baptême.

Et c'est ce baptême-là qu'a reçu Jésus. N'allons pas penser qu'il a mis les deux pieds dans l'eau et que Jean a versé comme ça un petit quelque chose d'eau sur sa tête. Non, non, non. Dans le bain rituel des Juifs, on prend vraiment le bain. C'est très profond, il faut descendre des escaliers. On est dans un véritable trou et l'opérateur alors, si vous êtes un peu trop grand ou bien si vous avez peur, il vous met vraiment dedans.

J'ai vu des descriptions de ce qui se passe aux Etats-Unis, mainte­nant encore, pour les bains rituels, et vraiment on est dedans. On peut imaginer que Jean Baptiste procédait ainsi avec ses disciples, et il a certainement agit de la même manière avec Jésus. Donc, être baptisé, c'est finalement être lavé, être purifié, être rajeuni, être transformé.

 

Voyons maintenant Jésus ! Il ramasse en sa personne l'humanité entière avec la masse de tous les péchés. Et le voilà plongé, immergé, noyé dans les eaux courantes du Jourdain. La crasse dont il était mystiquement cou­vert est enlevée et emportée par le courant au loin dans le gouffre de la mer morte. Donc, ce qui était cause de mort doit se perdre dans la mort.

Maintenant le moine, lui, il attend d'être baptisé dans le feu qu'est l'Esprit Saint. Il va être plongé dans la fournaise de l'amour qui va le purifier de part en part. Cette fournaise, c'est la vie communautaire, c'est la vie commune. Vous avez là une des raisons mystiques et physiques de la clôture et du voeu de stabilité. On est plongé dans la fournaise de la communauté et on ne doit pas en sortir. On y est totalement plongé, corps, âme, esprit, coeur.

Et le feu maintenant de cette fournaise, c'est l'obéissance au moin­dre vouloir divin. Vouloir divin qui arrive par la bouche de l'Abbé ou des Officiers préposés aux différents emplois par l'Abbé, ou par la communauté comme telle qui est un grand Corps animé d'une vie qui lui est propre et dans laquelle chacun doit entrer.

 

Vous voyez ici le malheur qu'est la marginalisation d'un frère. Vous comprenez mieux ce que signifie l'excommunication comme châtiment. On est alors hors de ce feu qui doit métamorphoser le moine, qui d'un homme pure­ment charnel - un homme animal - doit faire un homme spirituel, un homme nouveau, un homme divinisé.

Le résultat justement de ce baptême dans le feu de l'Esprit à l'in­térieur de la fournaise qu'est la communauté, c'est la naissance, le sur­gissement d'un homme nouveau, d'un fils de Dieu, d'un être divinisé. C'est une épiphanie de la divinité.

Cette théologie - appelons-là ainsi - cette spiritualité du baptême, qui est dans ses conséquences « Epiphanie de Dieu » a dû motiver la rai­son pour laquelle le Pape Paul VI et le Patriarche Athënagoras ont voulu se rencontrer à Jérusalem le jour de l'Epiphanie, voici 25 ans cette année. Ils se sont immergés tous les deux dans le feu de l'amour et ils ont amor­cé ce qu'ils ont appelé le dialogue de la charité, qui se poursuit encore aujourd'hui.

 

En eux, les deux Eglises soeurs, l'Eglise d'Orient et l'Eglise d'Oc­cident se sont retrouvées. Pourquoi ? Parce qu'elles sont retournées toutes les deux, humblement, pauvrement, à leur origine et elles ont accepté de recevoir un nouveau baptême de conversion en vue de leur réconciliation. Bien des choses ont changé depuis lors dans l'Eglise aussi bien en Orient qu'en Occident. Et ce changement est irréversible.

Dans quelques jours nous allons recommencer à prier pendant une Semai­ne pour l'Unité de l'Eglise. Essayons encore d'avoir à l'esprit ce mystère du baptême dans l'Esprit Saint qui est un feu. Mais l'Esprit Saint est aussi une eau. C'est une eau enflammée, ou bien c'est un feu liquide, en tout cas c'est une lumière.

Et être plongé à l'intérieur de ce mystère, c'est accepter d'être métamorphosé à la raci­ne de son être et jusqu'à la périphérie de son être. Accepter de se convertir, c'est accepter d'obéir à ce que Dieu deman­de, et ainsi à longueur de vie. C'est de cette façon que nous serons en communion et en solidarité avec tous nos frères chrétiens, et tous nos frères les hommes et que, à notre place, nous travaillerons à la réconci­liation totale, définitive de toutes les Eglises du Christ et, au-delà d'elle, la réconciliation de tous les hommes, et que nous hâterons le jour où Dieu sera tout en tous les coeurs et même dans toute la matière.

 

Chapitre : Grégoire de Nysse.                    10.01.89

 

Mes frères,

 

Evagre le Pontique a reçu de Dieu la grâce de vivre pendant des années dans l'intimité de Saint Basile et de Saint Grégoire de Naziance. Il a certainement connu le petit frère de Basile, Grégoire, qui avait été ordonné Evêque de Nysse en 372. Il ne cite jamais le nom de Grégoire dans ses oeuvres, mais il apparaît qu'il s'est largement inspiré de sa doctrine. Nous allons le voir dans un ins­tant.

Grégoire de Nysse n'avait pas le tempérament vigoureux et puissant de son frère Basile. Il se serait plutôt assoupi dans une médiocrité dorée. Il a d' ailleurs gardé toute sa vie un sens de la mesure et de l'équilibre remarquable même lorsqu'il parle de epectase.

Après la mort de Basile, le 1° Janvier 379, il s'est brusquement éveillé. Il a compris qu'il devait être l'héritier et le continuateur de son frère. Basi­le était mort épuisé à la tâche suite à un travail surhumain. Et Grégoire s'est mis à l'oeuvre au plan doctrinal et au plan spirituel.

 

Pour ce qui regarde la doctrine, il s'est fait, à la place de son frère Basile, un ardent défenseur de l'orthodoxie au Concile de Constantinople en 381. Et pour ce qui regarde le spirituel, il a donné à la doctrine de son frère une impulsion mystique qui lui faisait un peu défaut. Basile était surtout pratique, un homme qui voulait façonner les moeurs de ses fidèles et de ses moines.

Et Grégoire est arrivé pour donner des ailes aux chercheurs de Dieu. Il a usé d'une expression qui est très belle et qui exprime parfaitement le mouvement profond de la vie dans l'Esprit. C'est un désir qui dépasse toutes les limites. On y fait allusion à la lecture de l'Office de nuit. Et c'est : que le désir de Dieu se nourrit en se dépassant lui-même toujours et sans fin.

Le sommet de la béatitude pour un homme, dès ici-bas et dans l'éternité, c'est ce désir qui dans son assouvissement même se dilate en un désir plus grand et plus véhément.

 

Si vous avez fait cette expérience, si vous là faites, alors vous compren­drez ce qu'entend exprimer Grégoire de Nysse. Et c'est vrai ! Il n'y a pas de véritable bonheur qu'à l'intérieur de ce désir qui est le mouvement même de l' Esprit Saint à l'intérieur d'un homme. C'est cela l'amour.

Ce n'est pas un désir sensuel ni un désir charnel. Non, c'est la puissance de l'amour à l'intérieur d'un coeur qui se trouve en face de l'infini, de l'in­dicible beauté de Dieu et qui, au moment où il - disons, j'emploie ce mot mais il n'est pas correct - où il se saisit de Dieu, ou plutôt où il est saisi par cette beauté, à ce moment le désir est comblé...mais un nouveau désir naît plus véhément encore que le premier. Et ainsi toujours...C'est le fondement de ce qu'on appelle l'epectase : aller toujours plus loin !

Maintenant, dans ce mouvement, l'homme est projeté hors de lui et il n'opère plus aucun retour sur lui. Il est devenu un être extatique. C'est cela, c'est la ligne de l'agapè, de l'amour, de la charité dans un homme. Et c'est là, mes frères, que nous devons arriver.

A la fin de son chapitre sur l'humilité, Saint Benoît y fait une discrète allusion. C'est cela qu'il veut dire lorsqu'il parle du corps dilatatum, du corps qui se dilate, qui se dilate à l'infini. Et Evagre s'en est inspiré quand il a défini la prière. Pour lui, la prière, c'est un état exempt de passions, donc de tout retour sur soi, et un état qui par la vigueur d'un .. ?.., donc d'un amour qui dépasse les hauteurs les plus sublimes.

Cet amour alors enlève - c'est véritablement enlevé, le mot grec veut dire enlevé - il enlève comme un oiseau de proie enlève disons la bestiole qu’il a remarqué. Il l'enlève et il part avec, il l'emporte dans les hauteurs. C'est çà le mouvement de l'amour !

 

Il enlève ainsi le ..., c'est à dire l'homme dans ce qu'il a de plus secret, dans ce qu'il a de plus intime, dans ce qu'il a de plus personnel et il l'emmène vers les hauteurs qui le rassasie dans la totalité, dans la plénitude de son être. C'est cela la prière pour Evagre ! Et vous voyez que ça répond parfaitement à ce désir sans limite qui est le fondement de la doctrine spirituelle de Grégoire de Nysse.

Voilà, mes frères, c'est à quoi nous sommes appelés. Il faut bien le savoir. C'est pour ça que nous sommes ici. Et si nous ne sommes pas ici pour cette raison là, eh bien, je me demande bien ce que nous y faisons ? Alors il faudrait, il vaudrait mieux que tout Rochefort vienne ici pour nous mettre à la porte et détruire tout, parce que c'est notre fonc­tion dans l'Eglise, cet amour qui emporte au-delà de tout l'imaginable.

Mais un coeur de moine, à ce moment-là, est une maison. Il n'est pas seul parce qu'il a pris en lui, parce que Dieu a mis en lui dans ce coeur des multitudes, des multitudes d'hommes et de femmes, de jeunes et de vieillards, qui sont emportés alors avec ce coeur dans les hauteurs célestes.

 

Le Frère Pierre a suivi, à pris part à une cession sur Saint Grégoire de Nysse l'année dernière. Et après son retour, je me suis procuré un petit livre que voici. C'est la traduction à partir du grec d'une Oeuvre de Gré­goire de Nysse. Je vais vous donner lecture d'une petite note de cet éditeur.

D'abord le Père Bouyer le donne comme l'un des penseurs les plus puissants et els plus originaux que connaisse l'Histoire de l'Eglise. Mystique d'une grande envergure, il fait preuve d'une finesse et d'une profondeur inégalée quand il décrit les rapports de l'âme avec Dieu. Son point de départ est toujours l’intuition .. ?.. chrétienne. Mais en outre, il est un des rares écrivains dont on puisse être sûr qu'il a lu intégra­lement les Anciens et qu'il les a parfaitement assimilés, les utilisant avec la souveraine liberté qui est toujours la sienne.

Donc, on est certain qu'il a lu tous les auteurs anciens, de langue grecque naturellement, et qu'il les utilise en toute liberté. Et alors, les écrits de Grégoire ont toujours été lus, copiés, édités, réédités, traduits du grec en latin. Cependant il y a un petit Traité d'ascèse et de mystique qui a échappé. C'est celui-ci. Il est resté caché pendant mil­le ans dans l'ombre des bibliothèques.

 

Au Moyen Age, les lettrés de Byzance, de Constantinople le connurent et semblent l'avoir transcrit à partir d'un seul exemplaire conservé par bonheur. Puis c'est disparu. Et voilà, c'est traduit maintenant du grec en français, et c'est cette édition qui est présentée. Je l'ai lue.

Eh bien c'est admirable ! C'est le livre parfait pour une lecture de Complies si ça existait encore. Je vais le rendre à notre frère Jean-François et il le mettra à la disposition de tout le monde. Ceux qui voudront le lire, je pense qu'ils en tireront un grand profit.

 

Lettre du Père Abbé Général – Epiphanie 1989  (Noël 88)

                           Portrait du moine cistercien.

Chapitre : Lettre 1.                               22.01.89

          Introduction et présentation.

          Panne de diffusion.

 

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Chapitre : Lettre 2.                               25.01.89

      Suite de l’Introduction.

 

Mes frères,

 

Le Père Abbé Général dit que la première chose qui frappe à la lecture de ces Constitutions, c'est leur richesse extraordinaire ainsi que leur densité. Et ce­la rend une synthèse difficile, si ce n'est impossible.

          Je rappelle qu'il va essayer de faire un portrait du moine cistercien tel qu'on le perçoit dans les Nouvelles Constitutions. Ces Constitutions sont extraordinairement riches, dit-il, et c'est vrai. Elles ne sont pas un Code juridique sec, glacial. Elles sont aussi un véritable Directoire Spirituel.

Et en travaillant de cette manière, les Capitulants ont obéi aux instructions postconciliaires demandant la révision des Constitutions mais en y introduisant de larges éléments spirituels justifiant chacune des prescriptions d'ordre juridique.

 

Et vraiment, je pense que ces Constitutions sont une réussite. S'il y a des remarques apportées par les Organes de la Curie, ce sont donc des remarques sur des points canoniques, sur des points pratiques, mais jamais sur des points spirituels.

 

Chapitre : Lettre 3.                               28.01.89

      Constitution 1.1.

 

Mes frères,

 

Le Père Abbé Général nous disait pour terminer que nos Constitutions sont extraordinairement riches, si bien que en effectuer, en présenter une synthèse est une oeuvre difficile, sinon impossible.

Il va donner quelques petits flashs, comme on dit, qui vont nous permettre de saisir les lignes directrices de nos Nouvelles Constitutions. Et d'abord la Consti­tution 1.1. qui donne la Tradition de l’Ordre.

 

Le moine cistercien appartient à un Ordre ayant ses racines dans une longue tradition qui trouve son expression dans la Règle de Saint Benoît en tant que manière concrète de vivre l'Evangile. Il est donc très important pour lui d'étudier la Règle et de connaître ses liens avec l'Evangile.

 

Voilà la Règle sous laquelle tu vas militer, dit-on au novice. Il doit donc étudier cette Règle parce que c'est son Code militaire, c'est son Livret militaire auquel il doit se conformer. La Règle est déjà l'aboutissement d'une longue tradi­tion antérieure. Elle est, comme dit l'Abbé Général, une manière concrète de vi­vre l'Evangile.   

Il est donc nécessaire de connaître l'Evangile, de savoir qui IL est. Car il est d'abord une Personne, celle du Christ qui a vécu parmi nous, qui nous a parlé, qui est pour nous un exemple d'abord, mais aussi une grâce.

          Car le Christ est le Verbe de Dieu. Il est Dieu lui-même. Il nous pénètre de son regard et de sa voix, non pas pour nous détruire ni pour nous juger, mais pour nous donner notre stature d'homme et notre stature de fils de Dieu. Nous devons donc savoir ce que l'Evangile nous propose.

 

Et pour pénétrer et la Personne du Christ et son enseignement, il est indispensable de connaître les antécédents de l'Evangile, sa longue et patiente prépa­ration au cours de l'Histoire. Et puis, nous devons écouter humblement les com­mentaires qu'en ont donné les premiers disciples de Jésus.

C'est donc le campus entier de la Lectio Divina qui a pour objet premier la Parole de Dieu. Il faudrait que tout ce que nous lisons, tout ce que nous en­tendons nous ramène toujours à cette Parole de Dieu qui nous a été adressée et qui s'est incarnée pour se dresser devant nous, pour se présenter à notre amour.

Il faut que nos lectures confluent toujours vers la Personne du Christ. Il n'est pas nécessaire que ce soit conscient à tout moment, mais il est indispensable que ça nous apprenne à mieux connaître qui est Jésus, à mieux connaître qui est Dieu.

 

Et je prends ici connaître dans son sens profond. Nous devrions distinguer entre le fait de la connaissance et le fait du savoir. Si nous nous reportons à l'étymologie des mots utilisés par les auteurs du Nouveau Testament, nous voyons qu'ils utilisent deux mots, deux verbes. je ne vais pas commencer à me lancer dans des analyses sémantiques ici, mais enfin j'arrive directement à la conclusion :

C'est que quand ils utilisent le mot savoir, il y a à la base une vision. Je sais parce que je vois. Il y a une préhension par la vue. A ce moment, je sais. Le chrétien, c'est donc un homme qui voit. Il verra avec les yeux nouveaux que lui donnera la vie de Dieu en lui. Il verra par ce qu'on appelle la Foi. Donc ça, c'est pour le savoir, pour la science.

 

Il y a alors à côté de cela : la connaissance. C'est connaître. Et bien con­naître, c'est tout autre chose. Dans la science, dans le savoir, il y a une distance entre le connaissant et le connu. Si je suis trop près du connu, je ne verrai plus. Je dois me tenir à distance.

Mais dans la connaissance, c'est autre chose. Il y a là un phénomène d'en­gendrement. Le connu exerce une influence sur le sujet connaissant et il l'informe dans le sens aristotélicien du mot, il le façonne, il donne une autre façon d'être.

Il y a en même temps une influence du connaissant sur le connu car le con­nu est pris et la connaissance est engendrée non seulement dans l'intellect, mais aussi dans le coeur et dans la personne entière. Si bien que au terme, il y a une présence de l'un à l'intérieur de l'autre. Et nous sommes alors sur un niveau ana­logique avec la connaissance intra- Trinitaire.

 

Le Verbe de Dieu est la connaissance que le Père a de lui-même. Et le Fils dira dans sa toute dernière prière : La vie éternelle, c'est qu'Ils te connais­sent toi Dieu le Père, Dieu éternel, et celui que tu as envoyé, Jésus le Christ.

Nous avons donc là à l'intérieur de cette connaissance le sommet de toute vie, de toute béatitude possible. Et encore une fois, ce n'est pas ici une démar­che intellectuelle, c'est une con/naissance, une naissance du connu au connaissant et du connaissant au connu.

Mais il faut aussi connaître toute la vision qui aboutit de l'Evangile à la Règle de Saint Benoît, la naissance puis le développement de la vie monastique ; étudier son environnement culturel, philosophique, théologique, humain. C'est ce que nous nous efforçons de faire depuis un certain temps à propos de la naissance de cette vie, de son développement dans les déserts d'Egypte.

 

Donc, mes frères, retenons ce que le Père Abbé Général dit : une longue tradition exprimée, arrivée donc à la Règle de Saint Benoît, et qui se présente à nous comme une manière concrète de vivre l'Evangile aujourd'hui.

 

Chapitre : Lettre 4.                               29.01.89

      Constitution : 1, 2-5.

 

Mes frères,

 

Le Père Abbé Général nous disait la dernière fois que le moine cistercien appartient à un Ordre ayant ses racines dans une longue tradition monastique. Aujourd'hui, il nous dit :

 

          Cette tradition n'est pas statique mais elle s'est enrichie au cours des siècles et jusqu'à nos jours. Le moine devrait être familier à cette histoire et des efforts accomplis dans l'Ordre pour suivre les directives de Vati­can II lequel, en même temps, nous renvoie à nos sources et nous presse à une prudente mise à }our.

 

Donc, cette tradition n'est pas statique. Elle est vécue par des hommes de chair et d'os, des hommes insérés dans une histoire, des hommes qui sont fruits d'une civilisation et d'une culture.

Donc, la tradition monastique va évoluer de façon différente suivant les lieux. Elle évoluera ici en Europe, mais elle évoluera différemment aux Etats­-Unis, en Amérique du Sud, en Afrique, au Japon ou en Indonésie. Cela ne doit pas nous effrayer. C'est ça l'indice, la marque d'une authentique fidélité.

Car il ne s'agit pas de copier indéfiniment certaines normes d'ordre maté­riel, ou d'ordre corporel, certaines observances. Non, il s'agit d'accueillir en soi une tradition qui est porteuse d'une grâce qui doit s'adapter à la culture, à la tradition locale. La manière de vivre l'idéal cistercien est donc sujet à des variations, à des adaptations, des changements, une évolution.

 

C'est un signe de vitalité, de santé, de modernité aussi. Cette évolution n'est jamais une régression, la vie ne recule jamais. Mais elle est un signe de croissance, elle est un enrichissement, elle est un progrès. Toute fixation à l'intérieur d'une évolution trahit une peur. Et puis elle est un phénomène de vieillissement et un signe avant coureur de mort.

Dès qu'on dit ou que quelqu'un pense: On a toujours fait comme ça, il n'y a pas de raison de changer! on est psychiquement un vieillard et on ne tardera pas à descendre dans la tombe. De plus, on est habité par la peur. Donc on se referme sur soi et on de­vient agressif, car toute agression a son origine dans une peur. On ne connaît pas la liberté, on est emprisonné dans son complexe.

Or, une évolution normale, saine, une évolution de croissance ne recule jamais. C'est cela la vie éternelle. Il ne faut pas s'imaginer que lorsque nous se­rons au ciel - employons ce mot ciel qui est classique - nous serons figés dans un état définitif. Non, notre évolution, notre développement, notre épanouissement se développera toute l'éternité.

On dit que Dieu est immuable. C'est vrai, il est immuable, c'est à dire qu'il n'acquiert pas des qualités qu'il ne posséderait pas. Mais à l'intérieur de son être, Dieu est toujours en voie de naissance, en voie d'évolution, en voie d'émer­veillement parce qu'il est amour. L'amour n'est pas quelque chose de figé, l'amour est invention perpétuelle de la vie.

Alors, comme nous dit le Père Abbé Général, nous devons grandir dans l'obéissance à Vatican II et aussi dans une fidélité à nos sources, mais pour aujour­d'hui.

 

Permettez-moi une petite digression qui n'en est pas une car c'est pour il­lustrer un peu ceci. J'ai lu dans "Sillon Belge" une petite étude sur les habitudes alimentaires. Or, l'apparition des jardins et des vergers, donc la consommation habituelle de fruits et de légumes est toute récente.

Au 18° siècle - ce n'est pas tellement loin d'ici, il y a 200 ans - les jar­dins et les vergers étaient le privilège des seigneurs, des aristocrates, des riches. Les gens du peuple et les paysans ne connaissaient pas cela. Leur alimentation se composait de une ou deux, ou trois petites choses, toujours les mêmes.

Si bien que le peuple souffrait de terribles maladies, des carences alimentaires, le scorbut par exemple, faute de vitamines C, et qui faisait d'énormes ravages. Or le scorbut, on ne sait même plus ce que c'est !

 

Eh bien, lorsque j'étais jeune, je me souviens très bien qu'il y avait dans la campagne à côté un ménage dont l'alimentation se composait tous les jours de choux rouges. Tous les jours, tous les jours, tous les jours du chou rouge et des pommes de terres.

Or aujourd'hui même à l'intérieur du monastère - l'alimentation jadis était figée - maintenant nous avons tout de même une variété au cours de nos repas, qui fait que nous sommes - on peut le dire - en bonne santé.

          Et n'oublions pas ceci : là où il n'y a pas d'alimentation saine, il n'y a pas de bonne santé ; et là où il n'y a pas de bonne santé, il n'y a pas de vie spiri­tuelle convenable. Ne perdons pas cela de vue, mes frères, c'est toujours le signe de cette évolution, de cette croissance. Et remercions Dieu de nous donner la grâce de vivre les temps qui sont les nôtres aujourd'hui.

 

Chapitre : Lettre 5.                               31.01.89

      Constitutions : 2 – 3.

 

Mes frères,

 

Le Père Abbé Général nous dit que :

 

Le but de l'Ordre est de permettre au moine de se donner entière­ment à Dieu, mais il accomplit cela sous un Abbé et dans le cadre d'une vie céno­bitique entièrement organisée de telle sorte qu'il ait à sa disposition tous les moy­ens permettant d'atteindre la pureté du coeur et de vivre continuellement en pré­sence de Dieu, ce qui est la préparation normale à la réception du don de contem­plation. Bien que séparé du monde, il est convaincu que sa vie a une mystérieuse fécondité apostolique pour l'Eglise et pour le monde. Une telle conviction est ab­solument nécessaire si l'on désire rester fidèle à son appel sans rechercher diffé­rentes formes de compensation. Dans l'économie actuelle du salut le moine cherche Dieu en cultivant une relation intime et personnelle avec le Christ et avec Marie, sa mère.

 

Le but de l'Ordre est donc de permettre au moine de se donner entièrement à Dieu. Or, Dieu est gratuité pure. Il est dépossession totale. Il est vulnérabilité in­finie.

En s'abandonnant à Dieu, en sortant de soi pour chercher à s'unir à ce Dieu, on s'engage dans la sphère de la gratuité, de la dépossession et de la vulnérabilité. Ce sont les composantes de cette mort dont vient de nous parler Saint Benoît en 7, 89-93. Car l'homme a instinctivement peur de se donner. Il a peur de se dépossé­der. Il a peur d'aimer.

Mais voilà, nous sommes venus au monastère pour réaliser cet idéal de vie. Il nous faut mourir à toutes formes d'égoïsme, ne plus chercher ce qui flatte la chair. Et j'entends par chair toute la partie passionnée de notre être, aussi bien notre intellect que notre viande. Notre unique souci doit être la volonté de Dieu, tout ce qui plait à Dieu, tout ce qui peut lui faire plaisir.

 

Et ici, je voudrais glisser le fruit d'une petite expérience. Je connais un moi­ne. Il n'est pas de notre Ordre. Il n'est jamais venu ici. Je me garderais bien de l'inviter jamais. Cet homme est connu au plan mondial. On voit son nom dans les congrès. Il donne des conférences, des causeries. Il est demandé, on se l'arrache.

Or, cet homme est profondément aigri. Il lui arrive lorsqu'il parle en public au cours de ses causeries de parler de sa propre communauté sur un ton amer. Il est parvenu au sommet de la célébrité. Il publie. Il reçoit. Il est invité. Il est su­prêmement bien côté en Cour de Rome. Et cet homme est profondément malheu­reux. Il parait que lorsqu'on l'écoute, on le sent. Il diffuse autour de lui le défaut de bonheur.

          Voilà, mes frères, il ne faut pas juger cet homme, non, loin de là ! Dieu seul connaît sa conscience. Mais c'est un fait que l'on peut constater.

 

Si nous voulons parfaitement réaliser notre vocation, nous devons carrément nous jeter dans la gratuité, dans la dépossession et ne pas avoir peur d'être vulnérable. A cette condition-là, nous nous donnons entièrement à Dieu comme le rappel­le le Père Abbé Général. Ce don total de nous à Dieu est donc le but de notre Ordre.

Il s'agit donc d'aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de tout son esprit, de toutes ses forces. Il en s'agit pas de se disperser, d'aimer autre chose à côté de Dieu.

Certes, lorsqu'on a reçu une obédience, il faut s'y donner entièrement. Il ne faut pas calculer, il ne faut pas mesurer sa peine. Lorsqu'on se donne à son obédience, on se donne à Dieu. Elle est le lieu concret, bien réel où l'on rencontre Dieu. Il est là. Il nous attend.

Mais il ne faut tout de même pas laisser prendre son coeur et finalement devenir l'esclave de son travail, aimer son travail pour, voilà, ce qu'on y fait. Non, tout notre être, toutes les puissances de notre être doivent être saisies par Dieu et dirigées vers lui.

 

Il existe une véritable attraction, une puissance d'attraction à l'intérieur de Dieu. Monseigneur Gillon nous a parlé de cette fantastique puissance qui se trouve dans l'infiniment petit. Imaginez un peu ce que représente une température de cent million de degrés ! Or ça existe, c'est à dire qu'on doit la reproduire pour ar­river à la fusion des particules. On la produit à l'intérieur d'une bombe à hydro­gènes.

Regardez ce qu'il faut pour vaincre un défaut d'attraction entre des particu­les de même..?. Eh bien, mes frères, dans votre coeur, il faut une puissance plus grande encore pour vaincre le défaut d'attraction qu'il y a de nous pécheur vers l'infinie pureté de notre Dieu.

Eh bien, nous devons permettre à Dieu de vider hors de nous tout ce qui ne veut pas de lui. Il le dit. Et alors vraiment nous sommes emportés, nous sommes libérés et toutes les puissances qui sont en nous sont libres pour se précipiter vers Dieu, pour se donner entièrement à lui.

 

L'important, dans ce que dit le Père Abbé Général, le mot le plus important, c'est entièrement. Il ne peut pas y avoir de partage. Et l'expérience trouve qu'on ne trouve son repos, sa satisfaction et sa joie qu'en Dieu seul. Le reste, ce qui n' est pas Dieu, peut procurer un petit goût, un petit goût de bonheur, mais c'est un bonheur qui ne dure pas. Tout ce qui est semé dans la chair qui est corruptible conduit fatalement à la corruption. Il n'y a que ce qui est semé en Dieu qui est promis à l'éternité. Voilà encore un des aspects de cet entièrement !

C'est l'occasion d'un petit examen de conscience. Je pense que nous en avons besoin tous les jours car le labeur de notre conversion doit être repris fidèlement comme si nous étions arrivés le jour même dans le monastère.

 

Chapitre : Lettre 6.                               01.02.89

      Constitutions : 2 – 3 (suite).

 

Mes frères,

 

Le Père Abbé Général nous disait que le but de l'Ordre est de permettre aux moines de se donner entièrement à Dieu, c'est à dire de se quitter soi-même pour devenir la propriété de Dieu, devenir le bien de Dieu de façon à ce qu'il puisse dis­poser de nous comme il l'entend.

Dieu cherche des ouvriers, nous dit l'Evangile. Et il prend, voilà, il appelle. Mais ce doit être de bons ouvriers. Il n'est pas nécessaire d'être qualifié, il suffit avec Dieu d'être de bonne volonté. Et alors on est donné entièrement à lui. Et cette relation à Dieu conduit, dit le Père Général, à la pureté du coeur. C'est une issue normale.

Et un coeur pur, c'est un coeur sans trace de malice. C'est un coeur naïf, un coeur candide, un coeur de tout petit enfant qui n'a pas encore fait l'expérience du mal et pour qui tout le monde est bon. Les parents devront le mettre en garde contre la malice des hommes.

Et ce sera pour ce petit enfant pour la première fois une blessure. Il appren­dra qu'il y a des hommes qui sont méchants, des hommes qui sont dangereux. Et les parents doivent les mettre en garde. C'est profondément triste. Nous vivons dans un monde qui est perverti.

 

Et voilà, un coeur pur, c'est un coeur qui est redevenu enfant. Il a retrouvé la source de la vraie jeunesse. Il est donné à Dieu. Il est branché sur Dieu, hanté sur Dieu et la vie divine coule sans arrêt. Or Dieu est jeune. Dieu, même si on l'appelle l'Ancien des jours dans le Li­vre de Daniel, il est l'Ancien des jours par rapport à nous, mais en fait Dieu est jeune parce qu'il est Amour.

Et voilà cette jeunesse de Dieu qui afflue dans le coeur d'un homme et qui en fait un réceptacle d'une jeunesse merveilleuse. A ce moment-là, on n'a plus peur de la mort, de n'importe quelle mort. On n'a plus peur de la mort physique. On n'a plus peur de la mort - je ne dirai pas mentale - mais de la mort psychologique, ni de toutes les espèces de mort dont vient de nous parler Saint Benoît parce que la jeunesse a triomphé de la mort.

Il est certain que pour arrivé à ce niveau spirituel qui est tout de même assez élevé, à cet endroit où il n'y a plus aucun retour sur soi, où on est entièrement tourné vers Dieu et vers les autres, il faut passer par de grandes, de grandes souf­frances. Saint Benoît vient de nous les détailler certaines, 7, 93 -118, mais il ne peut pas tout dire.

         

Mes frères, nous ne devons pas avoir une mentalité d'hommes qui vivent en état de catastrophe et voient de la souffrance et du mal partout. Mais soyons tout de même lucides et disons-nous que pour arracher de notre coeur l'égoïsme qui a des racines si profondes et si tenaces, Dieu emploie des moy­ens grands et petits.

Et lorsqu'il procède à ce travail, à cette opération, ne commençons pas à hurler et à penser au malheur. Disons-nous que nous sommes des privilégiés parce qu'il est en train de nous rendre semblable à lui.

Et c'est alors qu'il est bon, qu'il est indispensable même d'avoir sur sa route un Ancien Spirituel qui est passé par là, qui connaît par expérience le travail de Dieu et qui alors peut utilement conseiller et guider.

 

Homélie : Présentation de Jésus au temple.     02.02.89

 

Mes frères,

Quand nous contemplons le Seigneur Jésus et que nous balbutions quel­ques pauvres paroles à son sujet, nous ne devons jamais le séparer du Corps dont il est la Tête. Chacun d'ente-nous est impliqué dans les moindres détails de sa vie comme lui-même est inséré dans les détails de la nôtre.

C'est là une réa­lité ontologique divino-humaine. En elle se cache notre sécurité. C'est elle qui est la source de notre noblesse. C'est en elle qu'est inscrit le code d'honneur que nous devons absolument respecter.

Marie présente à Dieu son fils premier né âgé de 6 semaines à peine. Son Jésus est tout entier à elle, mais pourtant il ne lui appartient pas. Il est consacré au Seigneur. Il est le bien propre du Seigneur Dieu. Marie en a reçu le dépôt, et elle offre en gage un couple de tourte­relles. Ce geste est prophétique. Il nous rappelle la vérité de notre état.

 

Greffés sur la Personne du Seigneur Jésus, membres de son Corps, nous sommes tous consacrés à Dieu. Nous devons être en ce monde les témoins de sa présence. Cela signifie deux choses, mes frères, nous ne nous appartenons pas et nous sommes investis d'une mission. Il en est ainsi de tout chrétien, a fortiori de nous qui avons réactualisé notre consécration originelle le jour de notre profession monastique.

Que nous obéissions, que nous soyons dépossédés de tout, disponibles pour tout, cela va de soi. C'est une chose toute naturelle. Et par ce che­min de dépouillement, nous devons être comme Jésus, lumière dans le monde.

Notre appartenance comme membres au Corps de notre Sauveur signifie aussi que nous avons une mère, la sienne. Nous ne sommes donc jamais seuls. Nous sommes portés, soignés, protégés à l'intérieur d'un amour indicible, l'amour de Marie.

 

En déposant dans quelques instants nos cierges au pied de cet autel, nous signerons notre accord pour ce projet divin. Nous renouvellerons no­tre consécration et nous exprimerons notre reconnaissance et notre con­fiance.

 

                                                                                         Amen.

 

Chapitre : Lettre 7.                              02.02.89*

      Constitutions : 2 – 3 (suite).

 

Mes frères,

 

Pour pratiquer l'ouverture du coeur, il faut être monté au 5° degré d'humilité. Cependant, elle est conseillée au débutant, et c'est une bonne habitude à prendre. Au début, cela peut paraître un peu étrange de devoir dévoiler à son Abbé, ou à son Maître des novices, ou à son Ancien Spirituel toutes les pensées mauvaises et les fautes qu'on commet en secret.

Mais on s'aperçoit vite que cette confession qui n'est pas sacramentelle, cet aveu donc, est non seulement libérateur, mais il rend le moine léger. Il le place en sécurité. Et on peut être certain que s'il persévère dans cette humble ouverture du coeur, il finira par atteindre la pureté de coeur. Et à mon avis, il n'y a pas d'autre route que celle-là.

Par contre, dissimuler par respect humain, par fausse honte, ou tout simplement parce qu'on ne veut pas et qu'on préfère cacher ce que l'on fait de mal en secret, cela signe à l'avance l'échec d'une vie monastique, car c'est là un des moyens les plus efficaces pour atteindre la pureté de coeur dont nous parle l' Abbé Général.

 

Et cette pureté du coeur, c'est le plus grand trésor qui puisse exister ici sur terre. Pourquoi ? Parce que elle rend l'homme égal aux anges, comme disaient les Anciens. Elle est de nature immatérielle, donc incorruptible. Une fois que la pureté du coeur est atteinte, l'homme est parfaitement res­titué à l'état Adamique, c'est à dire qu'il est dans le monde comme Adam était dans le paradis, mieux encore parce que Adam n'avait jamais commis le péché tandis que le moine l'a commis, le péché.

Et le moine sait que malgré toute sa bonne volonté, il le commet encore. Mais les fautes qui lui échappent ne souillent pas la pureté de son coeur. Elles tombent comme des étoupes dans un brasier immense et sont immédiatement con­sumées parce que l'Esprit qui est feu habite ce coeur et il le purifie. C'est un coeur qui est toujours en état de purification et c'est pour cela qu'il est pur. Il est devenu le temple de la Trinité. Et à l'intérieur de ce temple chacun a sa place.

Comme il n'y a plus d'égoïsme, il n'y a plus de retour sur soi, il n'y a plus que de l'accueil, de la bienveillance, de l'amour. Chacun trouve sa place à l'inté­rieur de ce coeur, personne n'est exclu, pas même le plus grand pécheur. Si un coeur pur voit commettre une faute qu'on ne peut pas nier - c'est objectif, c'est ainsi - non seulement il ne la condamne pas, mais il la prend sur lui et il dit : c'est moi qui commet cette faute dans ce frère et par ce frère. Et par ce geste de communion, de solidarité, il annule, il efface, il rédime la faute du frère. Donc il a des réflexes qui sont ceux même du Verbe de Dieu au moment où il est devenu chair.

 

          Et l'Abbé Général nous dit que notre vie est organisée pour atteindre la pu­reté du coeur et vivre continuellement en présence de Dieu. Cette vie en présence de Dieu n'est pas le fruit d'une quelconque tension nerveuse, un volontarisme têtu : je veux vivre en présence de Dieu. Je pense à Dieu tout le temps et je me déséquilibre.

Non, ce n'est pas cela. C'est une relation confiante à Dieu qui est connu vraiment par l'intérieur de ce qu'il est. C'est donc les vertus théologales qui ar­rivent à un sommet d'efficacité justement grâce à ce coeur pur. Alors il y a un abandon serein à un amour qui est toujours premier.

          Comme je le lisais aujourd'hui dans un ouvrage que le Père Rubby m'a remis

et que je lis ; d'abord avant de le remettre à la bibliothèque, ce qui est normal parce que si c'était un mauvais livre il ne faudrait pas le donner. Mais c'est un livre extraordinaire très, très beau, sur la liturgie Juive en rapport avec la litur­gie chrétienne, la nôtre.

 

          Ce qui fait la valeur d'un homme, ce qui constitue, ce qui crée la valeur d'un homme, ce n'est pas ce qu'il fait, mais c'est ce qu'il est fait par Dieu. Et c'est cela ! C'est cet amour prévenant, Dieu qui est amour, qui trouve un hom­me qui consent à s'abandonner à cet amour qui l'enveloppe.

Alors Dieu peut faire de cet homme une image de ce que lui-même est. C'est cela que ça veut dire, et c'est très beau, et c'est très, très vrai ! Alors le moine, comme dit le Père Abbé Général, reçoit le don de la contemplation. C'est une grâce. Et il en est heureux.

Quand on parle de contemplation - encore une fois - cela n'a rien, rien de cérébral, ni « d'intellectuel » entre guillemets, même si c'est l'intelligence qui va agir. C'est un cadeau qu'on reçoit dans une union de plus en plus intime et puis­sante avec l'Esprit de Dieu. Et on voit Dieu - pas encore face à face - mais il est vu. Et c'est ça la contemplation. Et alors on ne peut plus rien en dire parce que Dieu est invisible, il est au-delà de la parole.

 

Et le moine alors est convaincu que sa vie a une mystérieuse fécondité apostolique pour l'Eglise et pour le monde. Et il y a tout ceci qui est très, très vrai : Une telle conviction est absolument nécessaire, elle n'est pas facultative, ni nécessaire tout court, mais absolument nécessaire si l'on désire rester fidèle à son appel, à sa vocation donc, sans rechercher différentes formes de compensation.

C'est ça le grand danger dans la vie monastique, suite à une certaine lassitude qui s'empare de l'homme, une certaine grisaille dans laquelle on entre, on commence alors à chercher des compensations. On essaye de se rattraper sur le côté. Et les compensations, il y en a de toutes les sortes, de toutes les sortes. Elles sont adaptées, je dirais, à la personnalité de chacun.

Eh bien, si on ne veut pas tomber dans ce travers qui est fatal pour une vie monastique honnête, sérieuse, il faut être persuadé que bien qu'on soit séparé du monde, notre vie est une vie de fécondité. Ce n'est pas une vie inutile. Et mieux elle est vécue, plus purement elle est vécue, et plus elle est féconde.

 

Retenons cela, mes frères ! Le Père Abbé Général nous dit encore, il nous le rappelle plutôt mais nous le savons bien : que cette recherche de Dieu se fait aussi à l'intérieur d'une relation intime et personnelle avec le Christ et avec la Vierge Marie qui est la mère de Jésus.

Nous l'avons encore vécu aujourd'hui 2 Février. Etant greffés sur le Christ nous sommes offerts par Marie qui est notre Mère. Et c'est à ce titre-là que nous sommes consacrés en tant que chrétiens et davantage encore en tant que moine.

 

Chapitre : Récollection du mois de février.      04.02.89

      Voir le Seigneur Jésus avant de mourir corporellement.

 

Mes frères,

Le bienheureux Guerric vient de nous parler avec enthousiasme de la fête que nous avons célébrée avant-hier. Je ne vais pas entrer en compé­tition oratoire avec lui. Je me permettrai tout simplement de partager avec vous une petite expérience que j'ai faite au cours de la célébration Eu­charistique.

Pendant que le diacre proclamait l'Evangile, une parole a soudaine­ment retenu mon attention. La voici : Siméon avait reçu de Dieu l'assuran­ce qu'il ne connaîtrait pas la mort avant d'avoir vu le Messie. Je me suis dit aussitôt que c'était là une des plus belle définition de notre vie monastique contemplative : voir le Seigneur Jésus avant de mourir corporellement.

La Parole de Dieu est d'une profondeur insondable. Elle recèle le mystère de notre vie. Elle nous dit qui nous sommes. Elle est prophétique. A l'avance, elle trace le chemin de notre destinée.

 

C'est ainsi que pour mériter de voir le Seigneur Jésus, nous savons maintenant que nous devons devenir d'autres Siméon, des écoutants, des hommes qui écoutent, qui ont des oreilles pour entendre. Ils les ferment aux bruits du monde et ils les ouvrent bien larges aux murmures impercep­tibles de l'Esprit. Vous savez que Siméon veut dire: celui qui écoute.

Mais pour être un écoutant à la manière de Siméon, il faut être un homme juste. C'est à dire qu'il faut régler son existence non pas sur les maximes de la chair, mais sur les normes de l'univers de Dieu. Or nous savons que ces normes sont charité, douceur, compassion, bien­veillance, accueil, disponibilité.

Le Christ ne se manifeste pas à une âme qu'habite le péché. Il tient à l'écart de lui les hommes que ravagent la cupidité, la rancune et même la curiosité, car la curiosité est une forme de cannibalisme. Le curieux s'empare de son prochain pour en faire un objet, pour en faire sa proie. Il le dévore, il le dépouille, il le digère, il le sacri­fie sur l'autel de son égoïsme. Le curieux est toujours un idolâtre. Et vous savez que les idolâtres n'ont aucune part dans le Royaume de Dieu.

 

Siméon attendait la rédemption, la libération d'Israël. Il n'espérait pas seulement pour lui, mais aussi pour tous. Siméon était la vigile de la communauté d'Israël et déjà de l'Eglise. Il pouvait être une vigile parce qu'il s'était vidé de lui-même, si bien que l'Esprit Saint occupait en lui toute la place. Il était devenu comme incorporel et l'Esprit le conduisait à toute heure et en tout lieu.

          Mort à lui-même, vivant pour Dieu et pour ses frères, Siméon était mûr pour voir le Messie de Dieu. On ne peut voir le Christ sans être mort à soi-même, sans être décen­tré. Et décentré, cela signifie que les puissances de notre être ne vivent déjà plus en nous-mêmes. Elles sont dans le Christ, elles vivent en lui, recevant de lui toutes leurs impulsions. L'Apôtre Paul le disait : Ce n'est plus moi qui vit, c'est le Christ qui vit en moi. Tel était déjà Si­méon.

Un étranger, un aveugle, un aveugle spirituel aurait pu croire que Siméon était là par hasard. Il venait au Temple tous les jours. Mais ce jours-là, Siméon avait été guidé par quelqu'un. Il avait en lui un pilote, l'Esprit Saint. Et ce pilote l'avait conduit afin qu'il rencontra ce Mes­sie qu'il attendait avec une telle ardeur.

 

Mes frères, lorsqu'on est ainsi dépouillé de soi à un tel point que l'Esprit Saint est devenu le Maître de notre vie, à ce moment le Christ peut en toute sécurité nous manifester sa gloire et sa beauté. Il peut emplir l'oeil de notre coeur de béatitude et de paix.

Dieu nous a rassemblés dans ce monastère pour faire de nous des Si­méon, des hommes qui écoutent et qui sont appelés à voir. Il n'est pas de vocation plus haute, celle de voir le Christ avec les yeux du coeur, d'un coeur purifié, de le voir avant de connaître la mort corporelle.

Mes frères, puissions-nous le croire et surtout ne jamais l'oublier !

 

Chapitre : Lettre 8.                               06.02.89

          Constitutions : 4 – 5.

 

Mes frères,

 

Le Père Abbé général nous dit :

 

Le lieu où s'effectue cette recherche est le monastère-maison de Dieu où la communauté monastique se trouve rassemblée. Un moine doit aimer sa communauté et en être légitimement fier mais, en même temps, il doit éviter toute forme de fatuité à son sujet. Lorsqu'une communauté devient trop fière d' elle-même et s'estime supérieure aux autres communautés, elle va à sa perte, c'est ce que montre l'expérience. On devrait être plutôt attentif au fait que nos communautés, unies par les liens de charité, constituent ensemble un Ordre et vi­vent du même patrimoine, même si un certain pluralisme est permis.

 

Le Père Abbé Général rappelle une vérité qui a été mise en relief par Saint Benoît, à savoir que le monastère est la maison de Dieu. C'est là le fondement matériel, théologique et mystique de tout ce que nous vivons ici. Nous sommes chez Dieu, nous ne sommes pas chez nous. Nous sommes ses invités. Rien ne nous appartient. Nous sommes les bénéficiaires, les gérants et les gestionnaires d'un bien qui nous est confié.

Tout ce qui est dans le monastère appartient à Dieu et est consacré à Dieu. Saint Benoît le sait lorsqu'il nous dit que tout doit être traité avec le même res­pect que nous apportons aux vases sacrés de l'autel. Tout est consacré à Dieu à commencer par nos personnes. Nous devons donc nous respecter nous-mêmes et nous respecter les uns les autres.

Nous respecter nous-mêmes ? Par exemple : les soins de propreté. Nous ne devons pas sentir mauvais. Nous devons nous laver tous les jours. Vous allez dire : mais ça va de soi ! Non, cela ne va pas tellement de soi. J'ai connu ici, certains ont connu ici - je ne vais pas citer de nom - un qui ne se lavait pas. De temps en temps, il sentait mauvais. Voilà, faisons attention, mes frères !

 

Et nous devons veiller à ce que notre monastère apparaisse vraiment pour ce qu'il est, à savoir une fois encore une maison de Dieu, mais par la manière de vivre de ses habitants. Ceux qui vivent chez Dieu sont des hommes élevés à un état de noblesse. Ils ont des moeurs nouvelles, celles qui conviennent à Dieu.

Ils n'obéissent plus à leurs instincts égoïstes, mais ils suivent les impulsions de la charité. Et les gens de l'extérieur doivent le remarquer en nous lorsqu'ils nous regardent vivre, les retraitants ici, les clients de la brasserie, les fournisseurs.

 

Mes frères, il y a là toute une déontologie qui est attachée au fait que nous sommes ici chez Dieu. On reconnaîtra que nous sommes chez Dieu à notre réser­ve, à notre pudeur, à notre silence - Saint Benoît vient encore d'en parler – à notre humilité, employons le mot.

Tout le champ de la vie monastique pourrait ainsi être parcouru. Pensons à l'engagement personnel de chacun, aux responsabilités que nous avons librement assumées en répondant à l'invitation de Dieu. Il ne nous a pas forcés à venir ici. Il nous a appelés. Nous aurions très bien pu ne pas accepter. Mais dès l'instant où nous sommes chez lui, nous devons adop­ter une façon de vivre qui corresponde à notre état nouveau.

 

Le Père Abbé Général nous dit encore que un moine doit aimer sa communau­té et en être légitimement fier, et cela sans fatuité, donc sans sotte suffisance. Nous ne devons faire aucun complexe, ni de supériorité, ni d'infériorité. Un complexe de supériorité serait de mépriser les autres communautés, de dire ou de se dire qu'ici c'est le seul endroit où on vit parfaitement l'idéal mo­nastique. Nous ne devons pas non plus nous laisser entraîner par un complexe d'infériorité et nous dire que nous sommes une petite communauté de rien du tout. Il n'y a pas chez nous des hommes dont le nom est répandu dans l'univers entier. Nous sommes des gens simples. Nous sommes pauvres en hommes. Voilà un com­plexe d'infériorité.

Non, ni infériorité, ni supériorité ! Nous devons aimer notre communauté telle qu'elle est et en être fiers. Une chose que nous risquons d'oublier, c'est que nous constituons un Ordre. Cela signifie que les richesses d'une communauté appartiennent à toutes les com­munautés, elles appartiennent à l'Ordre. L'Ordre est un Corps. Chaque communau­té est un membre de ce Corps.

Il ne peut donc pas y avoir de rivalités, de jalousies, de concurrences entre les communautés, comme il n'y a pas de concurrence entre les membres d'un mê­me corps. Notre patrimoine est commun. Personne ne peut se l'approprier. Et la diversité que nous voyons entre les communautés est un signe de vitalité.

 

Mes frères, lorsque Saint Benoît nous dit que le monastère est la Maison de Dieu, nous pouvons élargir cette parole en disant que l'Ordre lui-même constitué d'une multitude de maisons, de monastères, est une grande Maison de Dieu à l'intérieur de laquelle chacun doit se sentir chez soi.

Nous n'avons pas l'occasion de nous rendre dans d'autres monastères et d'y séjourner. C'est très rare. Mais pour, le peu que moi j'en ai fait l'expérience, après quelques jours de dépaysement, deux à trois jours, il faut reconnaître un peu les lieux. Il y a aussi des petites différences dans les célébrations Liturgiques, dans la façon de vivre, dans les horaires.

Mais après ces quelques jours d'adaptation, on s'aperçoit bien vite qu'on est chez soi. C'est le même air que nous respirons. C'est la même vie que nous partageons. C'est le même patrimoine qui est notre bien. Pourquoi ? Parce que toujours nous sommes chez Dieu.

 

Homélie du mercredi des cendres.                08.02.89

 

Mes frères,

 

Nous venons de l'entendre, au plus profond de la nuit qui étrangle le monde, nuit d'autant plus opaque qu'elle a toutes les apparences de la clarté, soudain il est question de lumière, d'amour et de paix.

C'est presque scandaleux quand on connaît la masse épouvantable de malheurs, de souffrances, d'injustices qui accablent les hommes aujourd'hui. N'est-ce donc pas leur faire injure ?

Non, mes frères, la réalité qui nous est offerte est d'une autre na­ture. Elle est plus vraie, elle est plus fondamentale. C'est elle qui est capable de dénouer toutes les angoisses, de résoudre toutes les questions, de répondre à tous les appels.

 

Et cette réalité, la voici : la lumière, l'amour et la paix qui nous sont présentés ne sont pas des choses qui dépendraient du bon vouloir des hommes. Non, la lumière, l'amour et la paix sont une Personne bien concrète, une Personne vivante, une Personne qui agit. C'est la Personne de notre Dieu.

Nous devons, ici, laisser s'ouvrir les yeux de notre coeur. Nous de­vons rentrer en nous, retrouver le point où jaillit la source de notre être. Et alors nous voyons que nous habitons Dieu. Dieu est notre maison, il est notre demeure, il est notre lieu.

Nous remarquons que nous allons et que nous venons à l’intérieur d’une  lumière qui est précisément amour, douceur et paix.

A l'intérieur de cette lumière qui est notre Dieu, nous sommes des corps étrangers, malha­biles, maladroits, mal adaptés. Eh bien, nous devons nous laisser amollir, comme digérer par cette lumière pour devenir nous-mêmes lumière avec elle, un avec elle.

 

Tel est, mes frères, le coeur du mystère de l'Incarnation. Nous devons en reprendre conscience en ces jours bénis. Nous l'oublions peut-être trop facilement. Mais je le répète, nous habitons Dieu. Dieu est lumière. Nous nous mouvons à l'intérieur de la lumière. Et si nous nous laissons travailler par elle, nous devenons un avec elle. Et à ce moment, nous goûtons la paix, cette paix qui, encore une fois, est Dieu lui-même et que le monde ne peut jamais nous donner, car il ne la connaît pas ne connaissant pas Dieu.

Dieu ne nous a pas crées pour que nous soyons malheureux, mais pour que nous devenions un avec lui et que, en le voyant, en le contemplant, nous partagions son bonheur. Et pour cela, il s'est fait homme. Il a assumé tout de notre condition de la naissance à la mort. Il a absorbé en lui toutes nos misères, tous nos malheurs.

Lorsqu'un homme accepte ainsi de devenir UN avec Dieu, UN avec la Lumière, lorsqu'il permet au Christ de reprendre chair en lui, à ce moment-là cet homme comprend ce que signifie la souffrance de notre Dieu. Car s'il a voulu devenir homme, c'est parce qu'il ne pouvait pas supporter que sa créature soit malheureuse.

Il s'est fait pauvre, démuni, vulnérable, dépendant, faible, souf­frant afin de nous apprivoiser, de nous décrisper, de nous apprendre à

être vraiment homme en devenant semblable à lui.

 

Le chrétien, mes frères, est un homme qui accepte de devenir lumière de Dieu, d'être parmi ses frères amour et paix. Mais qui aujourd'hui est capable d'entendre un tel langage ? Est-ce que nous ne sommes pas encore trop fermés sur nous-mêmes, em­prisonnés dans la peur ? Les hommes ont peur les uns des autres. Et pour­quoi ? Mais parce qu'ils sont toujours encore des hommes rongés par l'égoïsme.

Mes frères, il y a une créature que nous devrions toujours avoir de­vant les yeux, c'est la Vierge Marie. C'était une femme comme les autres, plus pauvre que les autres sans doute, sans défense, mais son coeur était un palais, son coeur était un temple parce qu'il n'y avait pas en lui la moindre trace de malice. Si bien que tous les hommes pouvaient y trouver abri.

Et la merveille s'est accomplie. Dieu lui-même a voulu descendre dans ce coeur et prendre chair. Et maintenant nous-mêmes sommes enfantés à la vie divine par cette même femme toute simple, toute pure, toute humble, toute belle.

 

Mes frères, nous ne devons jamais perdre patience, ne jamais perdre courage quelques soient nos défaillances, quelques soient nos chutes. Au terme de notre aventure terrestre, croyons-le, ne l'oublions jamais, il y a notre métamorphose en Dieu. Mais ce que nous devrions faire, nous qui sommes des consacrés, nous qui sommes des chrétiens, nous devons être dans l'humanité ceux qui s'of­frent à Dieu pour qu'il puisse prendre possession d'eux et faire d'eux les témoins de sa présence et de son amour sur la terre.

          Voilà un des enseignements de cette célébration Eucharistique qui nous rappelle l'Incarnation de notre Dieu et notre propre divinisation qui est en chemin.

 

Nous allons partager le Corps et le Sang de ce Dieu. Nous allons alors devenir tous un seul Corps en Lui. Et puis nous rentrerons chacun là où nous sommes attendus, mais nous ne serons plus après comme nous étions avant. Nous se­rons autres, nous serons devenus meilleurs et il faudra, mes frères, que les autres le sachent, que les autres le remarquent et que eux-mêmes en soient métamorphosés.

 

                                                                                              Amen.

 

Règle : 49 : L’observance du carême.            08.02.89

 

Mes frères,

 

Nous venons de l'entendre, pour Saint Benoît, l'objectif de carême est que les frères vivent en toute pureté. Si je veux traduire textuelle­ment du latin, je dirais : les frères doivent garder leur vie en toute pu­reté, conserver la pureté dans toute leur vie. Et conserver une pureté de vie qui est plus que naturelle.

Ils doi­vent s'efforcer de reproduire dans toute leur conduite la vie même du Christ qui est leur chef, et dont ils sont les membres. Ils devront donc veiller à ne commettre aucun écart dans leurs actions, dans leurs paroles, dans leurs pensées.

Il s'agit donc de se reprendre en main si besoin en est. Mais ce be­soin existe pour chacun, même pour un saint. Car plus on s’approche de Dieu, plus apparaissent avec clarté les moindres failles, manques, péchés. Personne donc ne peut se dire: je n'ai pas besoin d'une observance de ca­rême.

 

Saint Benoît nous dit que la vie du moine devrait être en tout temps observante, aussi observante que durant le carême. Mais, ajoute-t-il, il en est de ceux qui possèdent cette perfection. Cela signifie donc que le saint, que le moine parfait est toujours en état de vigilance comme il doit être pendant le carême.

Le moine parfait, c'est un pécheur qui sait qu'il est pécheur et qui prend garde à lui. Tandis que le moine imparfait, lui, il ne sait pas qu'il est un pécheur. Il se prend pour quelqu'un de bien. Et l'observance du carême a justement pour objectif de nous rappeler que nous sommes des pécheurs et que nous devons travailler à la purification de notre vie.

Cette reprise en main donc va se matérialiser par le moyen d'une pri­ère plus intense, une Lectio plus assidue, une alimentation mieux surveil­lée. S'il y a eu des fléchissements dans le courant de l'année, il s'opère une remontée. Si le tonus spirituel a été constant, normal, alors on ob­serve une accélération de la course vers Dieu. Mais personne ne peut faire l'économie du carême.

 

Et dans la ligne de la proclamation évangélique de ce matin, Saint Benoît nous dit que nous devons fuir la vaine gloire et la présomption, c'est à dire tout relent narcissique. Le narcissisme, pour ceux qui ne le savent pas, c'est l'auto admiration. Je me place sur un socle, et puis je m'encense. Et tous les autres doivent m'encenser aussi. C'est une forme d'autolâtrie.

Nous avons entendu ce matin ces gens de qualité qui faisaient l'aumône en sonnant de la trompette, qui prient avec des grands gestes aux premiers rangs, ou bien qui jeûnent en se composant un visage de misère. C'est ça le narcissisme (spirituel). Et je mets spirituel entre parenthèses car c'est du faux spirituel.

Alors, le moyen d'éviter ce péril, c'est d'obtenir la bénédiction de l'Abbé pour tout ce qu'on a l'intention d'offrir pendant le carême. Mais pourquoi ? L'Abbé tient la place du Christ. Ce qu'on se propose comme effort de carême, on désire l'offrir au Christ. Or, on l'offrira dans la personne de l'Abbé qui par sa bénédiction va, au nom du Christ, exprimer sa satisfac­tion et promettre la récompense, cette récompense étant un accroissement de vie divine, donc un surcroît de paix et un plus de bonheur réel.

 

Il ne s'agit pas ici d'une formalité, mais c'est un acte de foi et de charité. On est chez Dieu, on lui est consacré, et on ne fait rien sans l'accord de Dieu. Sinon on se comporte en propriétaire. C'est une tournure d'esprit que nous devons acquérir, des sortes de réflexes surnaturels qui doivent devenir nôtres. Et comme je le rappelais dernièrement à propos de la Lettre du Père Abbé Général, nous sommes ici chez Dieu, et à partir de là tout un code de savoir-vivre, toute une déon­tologie monastique se construit. Il ne faut jamais le perdre de vue.

Et Saint Benoît parle aussi de pratiques d'ordre plus ascétiques : retrancher à son corps sur la nourriture, la boisson, etc. Mais attention ici aux performances ascétiques ! Je connais une jeune soeur de notre Ordre qui faisait sa Lecture spirituelle dans un auteur de toute première qualité, à savoir Siméon le Nouveau Théologien. Et Siméon était un ascète extraordinaire. Il vivait à peu près vers l'an 1050. Il est mort au début du XI° siècle. C'est le dernier Saint canonisé de l'Egli­se  d'.. ? .. .

Et voilà que cette soeur, elle s'est mise en tête d'imiter Siméon, l'ascèse de Siméon le Nouveau Théologien. Et alors elle a commencé à jeû­ner à la Siméon. Elle a commencé à maigrir, à pâlir, à flageoler, à de­venir irritable, agressive. Elle n'avait rien dit à personne, c'était ça. Et finalement elle s'est retrouvée sur un lit d'hôpital. Et là, elle a ap­pris ce que ça voulait dire de demander la bénédiction de son Abbesse pour les pratiques d'ordre ascétique.

 

Prenons bien garde à cela ! Il faut dans ce domaine user d'un très grand discernement. C'est d'ailleurs une règle d'or du Royaume de Dieu : il faut toujours se fier au discernement d'autrui, d'une personne autori­sée. Tout passe par la personne du Christ, de son représentant dans la communauté, soit l'Abbé, soit le Confesseur ou le Guide Spirituel, mais il faut toujours en référer à quelqu'un.

Et moi-même qui suis pourtant l'Abbé, je me réfère à quelqu'un. Je vais donc proposer : voilà, j'ai l'intention de faire ceci ou cela. Je ne suis pas hors de la Règle. Elle vaut pour moi comme pour tout le monde.

 

Maintenant, au plan communautaire, de la communauté comme telle, que pourrions-nous bien faire pour marquer le carême, quelque chose qui tom­berait sur tout le monde en même temps ? Et je me suis dit ceci : le frère Marc dans sa maternelle bonté, sa sollicitude, il nous présente chaque dimanche au déjeuner un petit pot de yaourt aux fruits, juste ce qu'il faut, sans excès, pour marquer que c'est dimanche. Eh bien, pendant le carême, nous pourrions nous en priver.      

Ce ne serait pas un malheur. Nous n'allons pas en faire une dépression. Et ce ne sera plus maintenant chacun en privé qui offrira quelque chose, mais c’est la communauté comme telle. Et je pense que vous serez d'accord, que la conscience de la communauté dira : amen.

On pourrait peut-être faire attention à autre chose, et cela s'adres­se ici à quelques-uns en particulier. Et c'est de se surveiller question de bruit. Oui, du bruit ! Fermer les portes sans bruit ! Il y en a qui claquent les portes ; ou bien, même sans les claquer, les ferment avec une autorité de.., une poi­gne de ... Je ne vais pas dire de quoi parce que on dirait bien que c'est un tel. Mais voilà, tout le monde les connaît. Prenons donc garde d'éviter les bruits en fermant les portes, à l'église, au réfectoire, partout, même si on est seul. C'est des bonnes habitudes à prendre.

 

Et alors une autre source de bruits, éviter de se moucher pendant les lectures à l'église, ou bien pendant les oraisons. Eviter de tousser aussi. Eviter d'éternuer, c'est pas possible, ça vient comme une bombe et on ne peut rien y faire. On peut se retenir un petit peu, mais finalement cela éclate. Tousser, on peut quelques fois se maîtriser, ou on pourrait tout de même bien essayer d'attendre une seconde. Cela ne dure pas longtemps une oraison ou une petite lecture à l'église.

Ce sont de petites pratiques qui regardent ici la communauté comme telle et parfois quelqu'un ! Et voilà, nous nous engageons dans le carême avec ces bonnes résolutions. Et comme le dit Saint Benoît, nous attendrons la Sainte Pâque avec l'allégresse du désir spirituel.

 

Chapitre : Lettre 9.                               11.02.89

      Constitutions : 7 – 11.

 

Mes frères,

 

Le Père Abbé Général aujourd'hui extrait la substantifique moelle des Constitutions 7-11 :

 

La recherche de Dieu dans le Christ n'est pas une chose vague et entièrement laissée à l'initiative et à l'imagination de chacun. Au contraire, le moine se lie par voeux à suivre une certaine voie. Il ne peut pas tou}ours pen­ser à ses voeux d'une manière explicite, mais il est tou}ours motivé, d'une façon au moins implicite, par le don de soi-même qui sous-tend les voeux.

 

Le Père Abbé Général nous recommande de rechercher Dieu dans le Christ. En fait, il n'y a pas d'autre voie pour rencontrer Dieu que dans la Personne du Christ Jésus. Depuis que le Verbe de Dieu s'est fait chair - je l'ai déjà répété bien souvent - Dieu ne se rencontre que dans le Christ et dans les représentants authentiques du Christ à l'intérieur du monastère dans la personne de l'Abbé. Il n'y a pas d'autre route. C'est une loi inflexible, celle de l'Incarnation. Dieu s'est fait homme, il est apparu sur notre terre, il a vécu parmi nous. Il a partagé notre condition mortelle, il a connu nos épreuves et il a osé dire : Qui me voit, voit le Père.

Mes frères, nous sommes donc obligés en vertu de notre condition de moine à un engagement précis qui mobilise toutes nos énergies. Cela n'a rien à voir avec un sentimentalisme vague ou bien des projections imaginaires.

 

A l'intérieur du monastère, nous avons la Personne du Christ présente parmi nous. Le regard de la foi nous le fait reconnaître dans la personne de l'Abbé et même dans chacun des frères que nous rencontrons. Si nous sommes fidèles à cette intuition qui nous a été révélée par le Christ lui-même, nous sommes arrachés à nous, nous sommes arrachés à nos idées précon­çues. Nous sommes littéralement enfoncés dans la réalité, une réalité qui n'est pas passagère, mais une réalité qui est éternelle.

Car si nous vivons de la foi maintenant, si notre foi est suffisamment luci­de, claire et éveillée que pour reconnaître le Christ dans le frère que nous ren­controns et surtout dans l'Abbé qui partage notre vie, à ce moment-là nous som­mes déjà, d'une certaine manière, entrés à l'intérieur de la vie éternelle. Cela signifie que nous inaugurons dès maintenant ce qui sera notre condition pour tou­jours.

C'est la raison pour laquelle nous devons être attentifs. Nous ne devons pas jouer avec nos journées, avec ce qui nous est présenté chaque jour. Notre vie est très sérieuse. Elle n'est pas faite pour des gamins, elle est faite pour des adultes. Au départ de notre vie il y a donc toujours un propos de renoncement à nous qui sera tenu fidèlement jusqu'au terme. Et cette disposition est scellée par les voeux, des voeux qui sont prononcés publiquement.

 

Et ces voeux reprennent l'essentiel de ce que je m'efforce de vous expliquer depuis quelques jours. D'abord ils nous lient à une communauté réunie dans telle maison de Dieu. Cette communauté-là, nous ne l'avons pas choisie. Nous y avons été appelés. Nous y avons été invités.

Nous sommes venus chez Dieu et dans la maison de Dieu. Nous avons rencontrés des hommes qui sont devenus nos frères. Et les liens de parenté qui se nouent entre les frères d'une communauté sont plus réels que la parenté selon la chair. Car la parenté selon la chair peut très bien aller sans la parenté spiri­tuelle. Tandis que la parenté spirituelle, elle est pour toujours.

Vous vous rappelez, lorsque les frères, et même la mère de jésus, se pré­sentent pour lui parler, il dit : Oui, je sais, mais attention ! Ma mère, mes frè­res, mes soeurs, tout cela, les voilà, ce sont mes disciples, ce sont ceux qui par­tagent ma vie. C'est ça ma nouvelle famille. Et les parents selon la chair, s'ils n'entrent pas dans ce cercle d'ordre sur­naturel, ils ne sont plus mes parents. C'est un peu dur à entendre, c'est même dur à dire, mais c'est la vérité.

 

On s'engage aussi sur la route de l'obéissance à Dieu et on renonce à sui­vre d'autres chemins. Ce n'est pas à nous de choisir la route qui nous conduit à Dieu. Il n'y en a qu'une seule route et c'est toujours la même : c'est la Personne du Christ. Donc, je dois par tous les moyens mis à ma disposition, je dois me lier à lui. Je dois entrer en lui et je dois lui permettre d'entrer en moi. Je le ferai par l'amour. Je le ferai par cette obéissance de chaque instant. Pas seulement lorsque la Règle ou un supérieur me demande quelque chose, mais à chaque seconde de mon existence. Je ne m'appartiens plus.

Donc, même lorsque je suis seul, je me tiens bien, je me comporte bien. Je ne me laisse pas aller. Je ne profite pas de ce que je suis seul pour me permet­tre certaines choses. Non, je suis chez Dieu, je suis attaché à la Personne du Christ. Je deviens de plus en plus un seul esprit avec lui. Que je sois en compa­gnie des frères ou que je sois seul, il n'y a pas pour moi de différence. C'est cela, mes frères, la vraie obéissance !

          Et enfin, on promet de progresser fidèlement jusqu'à la mort, sans regarder en arrière, sans retour sur soi. Vous vous rappelez, le premier janvier, je vous ai proposé ici même ce petit programme : essayer de ne plus opérer de retour sur soi. Donc, ne pas choisir ce qui me plait, mais choisir ce qui m'est offert. Je ne peux par dire : mais je ne fais pas ça parce que ça ne m'intéresse pas. Je ne le fais pas parce que le Christ m'a demandé de ne pas le faire !

 

Et par contre, je ferai cela même si ça ne me plait pas. Je le fais parce que IL me le demande. Je n'opère pas de retour sur moi. Je ne me laisse pas entraîner par des rêveries qui me font vivre dans l'illusion. Non, je reste toujours enraciné dans le réel divin.

C'est cela, mes frères, la mise en oeuvre de notre voeu de conversion des moeurs, vous l'avez compris. Si bien que les trois voeux, de stabilité, de conver­sion des moeurs et d'obéissance nous construisent, nous solidifient. Ils font de no­tre petite personne un temple dans lequel l'Esprit peut travailler, peut embellir, jusqu'à ce que la Trinité y fasse pour toujours sa demeure.

Elle y est déjà, certes, car si l'Esprit Saint est en nous, les trois Personnes s'y trouvent aussi. Mais il faut qu'elles s'y plaisent et qu'elles nous conduisent jusqu'au sommet de la sainteté.

 

Vous allez peut-être trouver que c'est ambitieux ? Certes, c'est ambitieux, mais l'homme ne va-t-il pas être conduit dans sa vie par une ambition. Je pense qu'il n'est pas possible de faire autrement. Si nous n'avons pas un but devant nous, un but que nous désirons atteindre, pour nous élever !!! Voyons ce qui se passe dans le monde !

Nous avons été dans le monde, et cela a été aussi le moteur de notre vie. Et si nous n'avons pas cela, eh bien nous dégénérons, et nous devenons rien et ça se termine par un suicide, un suicide psychique ou bien un suicide physique. On se donne la mort.

Nous devons donc toujours prendre cette vigueur, cette énergie qui est en nous et, au lieu de la projeter sur des objets terrestres, de la projeter sur la Personne de Dieu lui-même, cette Trinité qui nous attire. C'est cela la véritable ambition, celle qui convient à un chrétien et à un moine.

 

Chapitre : Lettre 10.                              12.02.89

      Constitutions : 13 – 15.

 

Mes frères,

 

Saint Benoît nous parle déjà de la solennité Pascale à laquelle nous nous pré­parons avec patience au cours de ce carême. Et le Père Abbé Général nous donne en même temps des éléments d'un examen de conscience. Aujourd'hui, écoutons ce qu'il nous dit, c'est très important !

 

Il s'agit d'abord et essentiellement d'une vie communautaire où l'amour a la première place et qui s'exprime concrètement par le partage des biens et la table commune ainsi que le respect de l'intimité des personnes.

Il y aura toujours des faiblesses, qu'il s'agisse de celles du corps ou de celles de l'esprit, et elles appellent à la compassion et à la patience. En particulier le moine a soin d'éviter toute détraction et toute délation. Il est incroyable de voir avec quelle facilité un moine oublie que chacun de ses frères a droit à sa réputation et à sa bonne renommée.

Si par malheur un moine se trouve en désaccord avec un de ses frères, il cherchera à se réconcilier avec lui aussitôt que possible.

 

Ces éléments capitaux de notre vie monastique sont consignés dans les Cons­titutions 13 à 15. La vie cénobitique ne signifie donc pas vivre les uns à côté des autres sans se connaître, dans l'indifférence, en appliquant la fameuse maxime « Chacun pour soi et Dieu pour tous ».

Nous formons un Corps. Nous sommes membres les uns des autres. Nous som­mes solidaires, en communion étroite et pour le bien et pour le mal. Le péché de l'un est le péché de tous, et la sainteté de l'un est la sainteté de tous.

C'est cela, mes frères, l'amour concret, partagé, vécu, l'amour qui anime le corpus monasterii, qui lui donne sa consistance et sa raison d'être. Si nous ne sommes pas communautairement et personnellement des témoins de Dieu qui est amour mais que faisons-nous sur terre ? Et que faisons-nous dans le monastère ?

 

Le Père Abbé Général nous dit que l'amour s'exprime, se matérialise à tra­vers trois composantes. D'abord le partage des biens, biens matériels certes, nous avons tout en commun. Nous ne pouvons jamais dire qu'une chose nous appartien­ne. Nous sommes ici chez Dieu qui met à notre disposition ses richesses. Biens matériels donc, mais aussi biens intellectuels et biens spirituels.

On ne garde rien jalousement pour soi. On ne cache rien, on ne dissimule rien. On n'accapare rien. Et encore une fois, pas seulement pour ce qui regarde les objets, mais aussi pour ce qui regarde les grâces - appelons ça des grâces ­les grâces que nous avons reçues de Dieu, les qualités qui sont les nôtres, les talents que nous avons reçus. Ils ne doivent pas servir pour notre propre épanouis­sement, ils servent aussi à l'épanouissement de tous.

Naturellement il n'est pas donné à chacun de mettre en commun les fruits de sa Lectio Divina par des causeries à la communauté. Cela pourrait être aussi, attention, si cela se faisait, une occasion de vaine gloire, de se mettre en éviden­ce. Pour parler, pour qu'un frère parle à la communauté, il faut qu'il ait au coeur une véritable humilité et qu'il n'en tire pas vanité. Et alors, s'il en est bien ainsi, toute la communauté le sent. Et les frères moins favorisés ne sentent pas monter en eux la marée de la jalousie, de l'envie.   Donc, mes frères, partager les biens cela signifie mettre tout à la disposition de tous: notre travail, notre labeur, notre vie.

 

Une seconde composante de l'amour est la table commune. Elle nous rappelle que nous sommes des frères et que nous rendons grâce ensemble à Dieu notre Père pour le nécessaire qu'il nous donne jour après jour.

          Il est très important d'être ensemble au réfectoire, de ne pas manger avant, de ne pas manger après. Cela peut arriver pour des raisons de travail, c'est cer­tain, cela arrive ! Mais pas le faire systématiquement pour être à côté, pour être en marge de la communauté. La table du réfectoire, cette table commune, est le pendant de la table Eucharistique. Ne l'oublions jamais. Le réfectoire est un endroit sacré.

A la fin du Canon l, il y a une toute petite prière où on demande à Dieu de bénir les biens matériels, les dons. Il fut un temps où on plaçait à côté de l'autel toute une corbeille de pain, ou d'autres fruits de la terre qui étaient bénis à la fin de ce Canon et qui, par après, étaient distribués. Cela existe encore dans l'Eglise d'Orient où on distribue à la fin de l'Eucha­ristie une petite galette ou un petit pain, que l'on donne et que l'on consomme en signe de communion.

Mes frères, notre table du réfectoire, elle est ce parallèle de la table Eucha­ristique. Ne l'oublions jamais. Je l'ai déjà dit tant de fois, mais il est toujours bon de le rappeler.

 

Et enfin, la troisième composante de l'amour, c'est le respect de l'intimité des personnes. C'est très important cela, mes frères, dans une vie commune. Nous sommes les temples de l'Esprit et nous entretenons chacun une relation unique, privilégiée, personnelle, intime avec le Christ et les trois Personnes de la sainte Trinité. Et cette relation doit être respectée.

Elle doit être admirée, elle doit être protégée. Il ne peut jamais être question de la fracturer, de la juger, de la salir. Certes, mes frères, nous ne sommes pas des anges, heureusement d'ailleurs, même si le sommet de la vie monastique est une vie "angélique", comme on dit. je mets angélique entre guillemets car il faut bien comprendre ce mot.

Une vie monastique est angélique, non pas en ce sens qu'elle est exempte de péchés, mais dans le sens bien précis que le moine arrivé à ces hauteurs a tou­jours les yeux fixés sur la lumière de Dieu. Il la voit, il la contemple, il s'en nourrit exactement comme les anges, exactement comme le font les bienheureux dans la vie éternelle.

 

Le péché, reconnaissons-le, même chez le saint, fait partie de notre vie. Nous le reconnaissons chaque jour au seuil de notre Eucharistie. Et d'ailleurs, sommes-nous entièrement responsables de nos faiblesses, de nos fautes, de nos péchés ? Je ne le pense pas.

Car notre moi préfabriqué est extrêmement lourd et puissant. Un petit acci­dent survenu lorsque nous étions tout petit, après quelques semaines nous n'étions encore conscient de rien du tout, peut nous traumatiser jusqu'à la fin de nos jours...et nous rencontrerons des difficultés. Les autres le remarquerons, et nous n'en connaîtrons jamais l'origine. Nous n'en sommes pas responsables. Il faut le savoir, mes frères, lorsque nous vivons ensemble.

Nous ne devons jamais nous étonner du comportement des autres parce que, voilà, à ce moment-là leur moi préfabriqué est plus fort qu'eux. Mais c'est l'occasion, ce doit être l'occasion de nous exercer à la patience, comme dit le Père Abbé Général, à la compassion, à la douceur vis-à-vis de cha­cun et aussi vis-à-vis de nous-mêmes. Soyons aussi patients avec nous-mêmes et ayons compassion de nous. Et soyons doux envers nous car nous pouvons alors l'être avec les autres.

Chacun, dit le Père Abbé Général, a droit, un droit strict, à sa réputation et à sa bonne renommée, quelques soient ses défauts. Il faut donc à tout prix éviter la détraction, cela signifie de dire du mal les uns des autres.

 

Auparavant, à l'époque, est-ce que j'oserais dire fervente, où on prenait les choses très au sérieux, on lisait en communauté je ne sais plus quel dimanche du carême, vers la fin, on lisait le Statut de la détraction. Et l'Abbé tenait en main un cierge allumé. Puis, quand il avait terminé la lecture, il prononçait une malé­diction contre les détracteurs, il prenait le cierge et le jetait par terre. Et le cierge s'éteignait et se brisait. C'était très impressionnant !

Certains en riaient ! Mais attention, cela avait une signification très profon­de. C'est que chaque blessure que nous infligeons à la réputation d'un frère, c'est le Christ lui-même que nous blessons au plus profond de son coeur et de sa chair. Or, qu'a-t-il fait de mal, le Christ, pour que nous disions du mal de sa Per­sonne et de sa vie ? Notre esprit de foi doit être éveillé à ce point. Dans cha­cun de nos frères, c'est le Christ que nous respectons ou c'est le Christ que nous bafouons.

Donc, faisons bien attention à nos paroles et ne portons jamais en public, c'est à dire dans un coin en parlant à un autre, des jugements défavorables qui pourraient ternir la réputation d'un autre. Alors, mes frères, soyons ainsi plutôt des agents de réconciliation et de paix. Et si par malheur nous nous trouvons une fois en désaccord avec un frère, réconcilions-nous avec lui le plus vite possible.

 

Nous ne sommes pas méchants. Personne n'est méchant. Il arrive des accidents. Il en arrive sur la route, deux voitures s'accrochent. Est-ce pour ça que les conducteurs vont s'empoigner ? Mais non, ils seront peut-être un peu énervés, mais ils vont échanger leur déclaration d'accident et c'est la Compagnie d'Assu­rance qui va réparer les dégâts.

Faisons la même chose ici entre-nous, mes frères, lorsque un accroc, lors­que un accrochage s'est produit, réconcilions-nous le plus vite possible. Et si ma foi nous avons commis alors vraiment une faute, allons nous réconcilier aussi au tribunal de la pénitence. Demandons pardon à notre Dieu. Et ce petit incident aura été malgré tout l'occasion d'une croissance dans la vie divine, et pour nous, et pour le frère.

 

Homélie : Premier dimanche du carême.          12.02.89

 

Mes frères,

Mon père était un araméen vagabond qui descendit en Egypte. Et Jésus poussé par l'Esprit dans le désert y demeura quarante jours, nomadisant, exposé à toutes les manifestations diaboliques.

 

Mes frères, cela nous apprend que nous n'avons pas ici-bas de cité permanente. Nous venons d'ailleurs. Nous sommes des étrangers sur cette terre. Nous traversons des jardins somptueux et des déserts effrayants. Nous allons vers un lieu qui nous est préparé et notre coeur ne goûtera la plénitude que le jour où il se reposera en lui.

Et ce lieu béni est le sein de Dieu notre Père, ce Dieu qui est amour et lumière, lui qui nous a faits pour que nous devenions un seul être avec lui, pour que nous goûtions finalement sa richesse et son bonheur.

Comme Jésus au désert, comme Israël avant lui, nous devons choisir. Toute tentation nous place devant un choix : ou bien une jouissance immé­diate, ou bien une attente dans la foi.

 

          Céder à la tentation, c'est s'installer dans l'immédiateté, c'est se figer dans le matériel et le charnel, c'est renoncer à croître et à vivre. Par contre, se fermer à la tentation, c'est accueillir en soi plus grand que soi, c'est percer toutes les illusions et déjà entrer en posses­sion de la vie.

La tentation est l'endroit où se définit la qualité spirituelle d'un homme. Elle est une chance et une grâce. Dieu devenu homme l'a voulue pour lui. Jésus est fils de Dieu. Il est Dieu. Mais il est aussi un homme sou­mis aux épreuves tout comme nous. Les 40 jours dans le désert synthétisent sa vie entière traversée de contradictions sans nombre.

Il était Dieu et il a voulu rester vulnérable, faible, démuni, pauvre, méconnu. Il était chez lui, et les siens ne l'ont pas reçu. Comme son coeur devait saigner et comme le tentateur devait lui souffler mille et mille pensées !

 

Il a connu tout ce que nous connaissons, mes frères, et il a vaincu pour que nous vainquions en lui. Par notre fidélité nous lui permettrons de vaincre en nous aujourd'hui. Vaincu, c'est à dire ne pas quitter la vérité, ne pas glisser hors de l'amour.

L'Eucharistie nous plonge à nouveau dans ce mystère. Ce mystère, le sien, mystère de faiblesse et de force. Elle nous transporte aussi où nous devons aller en Dieu, d'où nous sommes venus. Car nous avons été aimés avant même la création du monde, et où nous retournons pour un bonheur sans mélange.

 

                                                                                                       Amen.

 

Chapitre : Lettre 11.                              16.02.89

      Constitutions : 13 – 15 (suite) + 16.

 

Mes frères,

Avant de poursuivre la lecture de la lettre circulaire du Père Abbé Général, je voudrai s procéder à une petite mise au point par rapport à la détraction dont il nous a parlé.

J'ai été emporté par une réminiscence soudaine portant sur des Observances qui datent de dizaines d'années, si bien que j'ai vu une unité de ce qui en fait était deux événements distincts, séparés.

La lecture du statut sur la détraction avait lieu le premier dimanche de l'Avent, à l'ouverture de l'année liturgique, pour mettre les frères en garde contre ce vice. J'ai connu un monastère, c'était Scourmont. Je peux citer le nom car à l'époque j’y étais pour la brasserie. C'était en 1952. A Scourmont, on se souhaitait la nouvelle année le premier dimanche de l'Avent mais pas le premier janvier. L'année commençait à cette date-là. C'était très beau !

 

La cérémonie de l'excommunication avait lieu le jour des Rameaux. Et ça se comprend, on ne peut pas célébrer la passion et la résurrection du Christ si on se trouve dans un état spirituel tel qu'on a rompu pratiquement la communion avec la communauté, et avec le Corps du Christ, et avec l'Eglise.

Or, il y a ainsi un lien spirituel entre la détraction et son statut et l'excommunication fulminée contre les criminels, les conspirateurs, les meurtriers, parce que le détracteur invétéré, c'est un véritable meurtrier. Il blesse les frères, il blesse la communauté, il blesse le Corps du Christ, il blesse le Christ lui-même.

Donc, il se place en dehors de la communion et il n'a pas sa place dans la célébration pascale. Il est un Judas, vous voyez. Et alors qu'il aille à son sort comme Judas. Voyez, c'était ce que j'avais dans ma tête. C'était exact, mais ça se place à deux moments différents de l'année liturgique.

 

Maintenant je reprends la lecture de la lettre du Père Abbé Général. Il s'arrête à la Constitution 16 qui traite de la participation active des frères à la vie de la communauté.

 

          Vivre dans un monastère n’est pas s’abandonner à la passivité. Le moine s’intéresse d’une façon active à tout ce qui concerne sa communauté mais, en même temps, il a conscience que bien souvent, la coopération ne peut s’accomplir que dans l’obéissance mutuelle et que tout dialogue est impossible si l’on est incapable d’écouter les autres et de chercher à comprendre ce qu’ils ont à dire. Dans la Règle de Saint Benoît, dialogue et consultation jouent un rôle important même si on y souligne qu’il revient à l’Abbé de prendre les décisions définitives.

        C’est à chaque communauté de déterminer le mode de dialogue qui lui convient et d’en décider la fréquence et la forme, mais l’expérience montre que là où on néglige de dialoguer des troubles couvent sous la surface et viennent finalement au jour d’une façon fort déplaisante.

 

Le Père Abbé Général nous dit deux choses qui se tiennent et qui vont de soi. D'abord le moine doit s'intéresser de façon active à tout ce qui concerne la communauté. Et ensuite, une coopération sincère, efficace et vraie exige l'écoute des autres. On doit essayer de comprendre ce qu'ils ont à dire.

D'abord s'intéresser de façon active ? S'abandonner à la passivité serait vivre dans une illusion sur l'obéissance, à la manière d'un animal ou d'une machine qui ne réagit pas. Un animal n'obéit pas. Une machine n'obéit pas. Si on dit que la machine obéit bien, c'est une façon de dire les choses. Il ne peut y avoir d'obéissance qu'après une écoute et qu'après une décision volontaire.

Une obéissance est toujours une coopération, toujours. C'est l'union de deux volontés qui travaillent à la poursuite d'une même fin. Là où ça ne se trouve pas, il n'y a pas de vraie obéissance. Donc, fuir la passivité dans un monastère. On est membre d'un Corps. Alors, rien de ce Corps ne doit nous être étranger. Nous devons nous intéresser à la santé du Corps, à la santé de chacun des membre de ce Corps.

 

Cela ne veut pas dire maintenant qu'il faut aller fourrer son nez partout, qu'il faut tout épier, tout espionner. Non, un vrai moine, comme le dit Saint Benoît, ne regarde pas partout. Il regarde plutôt vers la terre d'où il est sorti et où il va retourner. Il se tient en face de Dieu et il ne va pas essayer de violer l'intimité de ses frères. C’est de la curiosité. Et j'ai dit, si je m'en souviens bien, qu'un curieux a toujours des instincts de cannibale. N'oublions pas cela !

Mais une vrai coopération à l'intérieur d'une communauté exige l'écoute des autres. On doit donc être ouvert à l'opinion, à l'avis, à la façon de voir des autres. On ne peut pas avoir le monopole de toute la vérité. Seul Dieu possède ce monopole, et même le plus grand saint ne le possède pas. Nous sommes complémentaires et la vérité se trouve dans la vision de tous.

Il y a, je l'ai dit aussi et je le rappelle, une conscience. La communauté possède une conscience et une vision. Et c'est cela qu'il faut essayer de faire venir au jour. Il faut donc permettre aux autres de parler. Attention ! Je ne fais pas ici l'apologie du bavardage. Quand on parle de parler, cela veut dire à l'intérieur d'un emploi avec le supérieur, ou un autre au sein d'une collaboration. Ce n'est pas pour échanger des ragots ou des potins, ou se livrer à de la détraction. Non, non, non, il s'agit ici toujours de l'obéissance. Alors cette écoute des autres exige une attitude d'accueil, de respect, de charité. On n'est pas chez soi, on est ici chez Dieu. Ne l'oublions jamais !

 

Alors l'Abbé Général rappelle la nécessité de la consultation et du dialogue. Cela revêt des formes diverses depuis la consultation à titre privé : on demande l'avis d'un chef d'emploi ou d'un frère au sujet d'un problème qui se pose et pour lequel on est compétent. Ou bien, on demande l'avis pour ce qui regarde la brasserie, par exemple, de ceux qui travaillent à la brasserie au sujet d'un problème technique. Celui qui n'y connaît rien n'a pas à donner son avis sur des problèmes qui se posent. Ce sont des choses vraiment techniques et on en parle entre techniciens.

Il y a aussi les réunions de CONSEIL, soit officiel, soit en petit groupe pour des affaires plus techniques. Il y a aussi les dialogues communautaires. Nous en avons eu un dernièrement encore. Eh bien, tout cela doit se faire de façon équilibrée et sage suivant les besoins de chaque communauté.

Mais attention! Il ne faut pas que le frère se dérobe et qu'il dise: Moi, ça ne m'intéresse pas. Je pense par exemple ici lorsqu'il faut demander un avis à la communauté comme telle. A ce moment-là, on tombe dans le défaut de la passivité que réprouve ici l'Abbé Général. Et alors, qu'est-ce qui arrive ?

 

J'ai eu le cas. Vous demandez l'avis, et puis on le donne. Mais certains ne viennent pas. Et puis alors après ils disent : Mais pourquoi a-t-on fait ça ? Pourquoi à-t-on fait ça ? Mais il fallait être là et donner son avis. Celui qui ne collabore pas consent à la décision prise, ne l'oublions pas.

Alors, il ne faut pas que des dialogues incessants, incessants, incessants, bloquent une situation. A trop demander d'avis, on se paralyse et on ne fait plus rien. On ne bouge plus. Donc il faut essayer de trouver un sage équilibre et une mesure adaptée aux besoins de chaque communauté, comme le dit ici le Père Abbé général.

 

Chapitre : Lettre 12.                              17.02.89

      Constitutions : 17 – 20.

 

Mes frères,

 

Ecoutons ce soir encore le Père Abbé Général :

 

Le sommet de la journée du moine est la Célébration Eucharistique dans laquelle il puise la grâce de vivre en communion profonde avec ses frères et par laquelle il exprime le culte qui est l’origine de sa recherche de Dieu. Les différentes Heures de l’Office l’aident à maintenir cet élan spirituel tout au long du jour. Le cycle des fêtes liturgiques nourrit sa vie contemplative de telle sorte qu’il puisse se montrer continuellement attentif à tout ce que Dieu a accompli pour lui dans le Christ. Dans des cas particuliers l’Abbé peut permettre à un moine de participer d’une façon simplifiée à l’Office, mais une telle permission demande cependant qu’on soit profondément engagé dans la vie liturgique de l’Eglise.

 

La Célébration Eucharistique est le sommet de notre journée parce que elle est la réactualisation du mystère de la passion, de la résurrection et de la glorification du Christ notre Dieu. Cela signifie que nous devenons sacramentellement contemporains de ces événements. L'Eucharistie est un mémorial.

Mais on ne commémore pas dans ce mystère comme on commémore l'armistice le 11 Novembre. Les Anciens de la guerre se retrouvent devant le monument. Le Bourgmestre prononce un petit discours. On observe une minute de silence. Il y aura peut-être une sonnerie de clairon. Mais on sait qu'il s'agit d'un événement passé qui ne se représentera plus.

On a vécu cet événement. On en porte la blessure dans son coeur et on revit. On se rappelle les camarades qui ont été tués, d'autres qui sont morts depuis et, on va se retrouver après pour des agapes fraternelles où on va raconter toutes sortes d'exploits dont on a été les témoins ou les héros.

 

L'Eucharistie, c'est différent. L'Eucharistie, elle nous rend contemporains de la passion, de la résurrection et de la glorification du Christ. Elle nous en rend contemporains en nous y introduisant. Vraiment à ce moment-là, elle est avec nous de façon sacramentelle mais réelle.

L'Histoire de l'univers depuis ses origines monte vers cette passion, résurrection, glorification et, à partir de là elle se déploie. Si bien que la vie éternelle ne sera rien d'autre que la puissance, l'énergie de cet événement central à l'intérieur de nous. Et c'est grâce à lui que nous aurons la faculté de regarder Dieu les yeux dans les yeux.

Donc dans l'Eucharistie, nous sommes réellement introduits à l'intérieur du monde nouveau. Et lorsque nous la célébrons, nous confessons publiquement que les derniers temps sont arrivés. Et lorsque nous recevons dans notre coeur le Corps et le sang du Christ, nous accomplissons notre vocation humaine en devenant un seul esprit avec le Christ et avec Dieu.

 

Pour un étranger qui de l'extérieur assiste à une Eucharistie - je dis un étranger : un étranger à notre foi ou bien un chrétien qui a une foi morte - c'est quelque chose de tout à fait bizarre et ordinaire. Ce ne peut être compris que par une vision spéciale qu'on appelle la foi.

Il faut donc que nous regardions la chose avec les yeux que nous donne Dieu. Et ce regard de foi, c'est déjà le regard d'homme en voie de résurrection. Donc la foi n'est pas une question d'acuité intellectuelle, mais bien plutôt une affaire de coeur. Ce sont les yeux du coeur qui voient, ce ne 'sont pas nécessairement les yeux de l'intelligence.

On peut très bien être plongé dans ce qu'on appelle une nuit de la foi et participer à l'Eucharistie de façon merveilleuse, extraordinaire, en dehors de tout sentiment. Mais parce que dans cette obscurité on revit existentiellement la passion du Christ qui est tombé jusque dans les enfers là où il n' y avait plus rien, là où Dieu est absent, mais là où Dieu qu'il est parvenait à descendre au plus bas.

         

Si bien, mes frères, que l'Eucharistie nous fait participer à la propre vie de Dieu, la vie éternelle. Lorsqu'on parle de vie éternelle, ne pensons pas à une vie qui va durer sans fin. Cela pourrait nous donner le vertige et faire monter en nous une sorte d'ennui à l'avance, un ennui anticipé. Une vie qui dure toujours et où il ne s'y passe plus rien, ce doit être fastidieux ?

Non, la vie éternelle, c'est une intensité de présence telle qu'on est à tout moment dans la plénitude de la vie. Il n' y a pas d'ennui à l'intérieur de la vie éternelle comme il n'y a pas d'ennui chez Dieu. On participe à la vie de Dieu et on est à tout moment comblé et à tout moment en état de soif. Chaque plénitude(?) reçue aiguise une nouvelle soif qui appelle une nouvelle plénitude, et ainsi sans fin.

 

Donc dans l'Eucharistie nous faisons l'expérience de notre propre résurrection et déjà nous ressuscitons, parce que nous sommes unis à la résurrection du Christ et transportés avec lui au coeur de la Trinité. Et l'Eucharistie donne ainsi un sens à notre vie. Elle nous permet d'assumer notre condition présente et de la transfigurer dans la foi.

Mais je veux insister sur le fait que l'Eucharistie n'a rien à faire avec le sentiment, sentiment qui est le point de départ du sentimentalisme. C'est autre chose ! Si j'osais me permettre une expression, je dirais que l'Eucharistie est quelque chose de froid, quelque chose de glacé. C'est une hyperbole naturellement. C'est pour essayer de faire comprendre que l'Eucharistie est vraiment un acte de foi. Et la foi participe à la surnature. Elle est la connaissance que Dieu a de lui-même et de son projet.    

Et à l'intérieur de cette connaissance, notre intellect peut perdre pied, ne pas comprendre, ne plus savoir de quel côté se tourner. Et c'est alors au coeur à prendre le relais, le coeur qui sent. Et ce n'est pas du sentiment, c'est un instinct, l'instinct que là est la place, que là est l'avenir, et que là est la réponse à toutes les questions.

 

Le Père Abbé Général dit encore que dans l'Eucharistie nous puisons la grâce de vivre en communion profonde les uns avec les autres. Et cela c'est vrai à condition que l'Eucharistie soit bien vécue. Au terme, c'est à dire lorsque nous serons tous dans le Royaume de Dieu, nous participerons tous à la même vie. Nous formerons tous un seul corps, un seul être à l'intérieur de Dieu. Et à ce moment­-là nous reconnaîtrons que nous sommes tous frères.

          L'Eucharistie nous permet déjà de vivre cela maintenant au moment de la célébration, au moment de la communion lorsque nous recevons tous ensemble dans notre coeur le Corps et le Sang du Christ, mais aussi tout au long de notre journée.

Ce serait quasi sacrilège d'être ensemble dans l'Eucharistie, de communier ensemble, et puis à la sortie de l'Eucharistie de se dévorer les uns les autres. Prenons bien garde, mes frères, notre fraternité dans le Christ, elle est de tous les instants, mais nous la vivons de façon suraiguë au moment de l'Eucharistie.

 

Chapitre : Lettre 13.                              18.02.89

      Constitutions : 17 – 20 (suite).

 

Mes frères,

 

La célébration Eucharistique nous arrache à nous-mêmes pour nous introduire dans la Pâque du Christ et nous emporter jusqu'au coeur de la vie Trinitaire. Elle est donc tout le contraire d'un immense réservoir de mérites dans lequel on irait puiser pour se vêtir, pour se travestir et entrer plus facilement au ciel.

L'Eucharistie nous fait mourir à nous-mêmes pour nous greffer sur la Pâque du Christ. Elle est donc l'endroit où nous nous transformons, nous nous transfigurons. Et c'est elle, si elle est bien vécue dans la foi, qui va nous donner l'énergie nécessaire pour entrer à tout instant dans la volonté du Christ, c'est à dire pour être de véritables obéissants, d'authentiques chercheurs de Dieu.

 

Et pour Saint Benoît, cette réalité sacramentelle est liturgiquement orchestrée par l'Opus Dei. --?-- je le rappelle, l'Office Divin est l'étalement sur une semaine de la Pâque du Christ. J'ai longuement expliqué cela au moment où nous avons repris l'Office selon le schéma de Saint Benoît.

Notre Saint Législateur était un génie. Il a même pensé à opérer un effet de tuilage. C'est à dire que les 150 psaumes s'arrêtent le dimanche à l'Office des Laudes par les psaumes 148,149 et 150 quand l'Office de la nouvelle semaine est déjà commencé. C'est ainsi que toutes les semaines s'enchaînent pour construire un édifice qui culmine dans la Vigile Pascale.

Les cycles liturgiques, donc les Fêtes du Seigneur et même les Fêtes des Saints que nous rencontrons scandent la construction de cet édifice. Saint Benoît a même pensé à ramasser la Pâque du Seigneur sur une seule journée à travers l'Office de nuit et les sept sinaxe du jour. Cela aussi je l'ai bien expliqué.

 

Et je rappelle le symbole, le jeu symbolique des nombres qu'il a voulu utiliser pour structurer les différents Offices : la nuit aux Vigiles, 12 psaumes - à Laudes, 7 psaumes - aux Vêpres, 4 psaumes - et aux Petites Heures, 3 psaumes.

Tout se joue à l'aide des chiffres 3 et 4 additionnés ou multipliés, eux qui condensent l'univers entier - et l'univers de Dieu et l'univers des hommes - et qui nous disent que la réussite du projet de Dieu sera atteinte lorsque au terme de la durée le Christ aura terminé son Opus, son travail, son Oeuvre, et qu'il remettra le tout à son Père qui, à ce moment-là, sera tout en toute chose.

Mes frères, la Pâque du Christ est donc bien le coeur et l'âme de notre existence monastique, de toute existence chrétienne et même de toute existence humaine. Mais nous avons, nous, le privilège insigne de le savoir. Et c'est ainsi que notre existence emportée dans la Pâque du Seigneur se dilate à l'infini et qu'elle devient elle-même Pâque à l'intérieur de l'immense Pâque cosmique. Nous anticipons ainsi le jour où Dieu sera tout en toute chose.

 

Nous devrions avoir ces réalités si belles dans le champ de notre conscience lorsque nous participons à l'Eucharistie et lorsque nous chantons l'Office Divin. Nous ne nous acquittons pas d'un devoir auquel nous ne pouvons nous dérober. C'est bien autre chose, mes frères, nous entrons en contact avec la source de notre vie.

Et le moine qui se baigne à l'intérieur de ce climat mystique qui est tout à la fois, et sacramentel dans l'Eucharistie, et liturgique dans l'Office Divin, eh bien, ce moine-là, il découvre en lui les énergies que son baptême a déposé en germes et qui trouvent l'occasion de se déployer, de se manifester et de travailler sans obstacle.

Si bien que assez vite il peut de façon consciente entrer en communion avec les Trois personnes Divines et déjà goûter avant la mort biologique les prémices de la vie éternelle et de la résurrection des morts.

 

Le Père Abbé Général nous dit encore que dans des cas particuliers l'Abbé pourrait permettre à un moine de participer de façon simplifiée à l'Office. Cela pourrait arriver ! Il n'envisage pas ici le cas des frères convers, des anciens frères convers qui sont devenus des moines mais qui peuvent conserver leur ancien rythme de vie. Il parle des nouveaux.

Oui, cela pourrait très bien se faire que quelqu'un doive participer de façon simplifiée pour des raisons personnelles d'ordre psychologique par exemple, ou même des raisons de travail. Mais, dit-il, une telle permission demande cependant qu'on soit profondément engagé dans la vie liturgique de l'Eglise.

Il ne faudrait donc pas que cette faculté soit un obstacle sur la réalité liturgique qui traverse et qui porte toute notre vie. Donc ça ne pourrait jamais être un prétexte pour échapper à la vie liturgique ou à la vie Eucharistique.

 

Chapitre : Lettre 14.                              20.02.89

      Constitutions : 21 – 29.

 

Mes frères,

 

Le Père Abbé Général survole rapidement les Constitutions 21 à 29 qui traitent des Observances monastiques traditionnel­les. Il nous dit ceci :

 

          La Lectio Divina, la prière personnelle, le silence, l’ascèse impliquée dans le travail manuel, la pauvreté, le jeûne et l’abstinence ont chacun leur part à jouer pour aider le moine à vivre sa vie de solitude et de séparation du monde. Ce n’est pas chose facile de persévérer jour après jour dans ce genre de vie même s’il existe un bon équilibre entre travail, prière et Lectio.

        C’est plus difficile encore lorsque cet équilibre ne se rencontre pas et, paradoxalement, c’est souvent là l’origine de formes variées de recherche de soi, ou cela y conduit. La Lectio, la prière personnelle, le silence, la solitude et tous les autres éléments de cette vie ne sont pas destinés à devenir des fins en soi ou des occasions d’autosatisfaction.

        Tous ces éléments appellent à une formation et à une mise en pratique qui sont très exigeantes. Si ces exigences sont satisfaites, ces éléments deviennent source de force et de joie ; si elles ne le sont pas, ils conduisent le moine au replis sur soi et vont à l’encontre de leur but.

 

Nous constatons que le Père Abbé Général construit toute sa réflexion sur le sens étymologique du mot moine, à savoir un chrétien qui quitte le monde, qui se sépare du monde pour vivre dans la solitude.

Ce retrait du monde n'est pas un réflexe de peur, ni une attitude de mépris. C'est le fruit d'un choix : le moine désire vivre avec Dieu seul. Il veut s'unir à Dieu, devenir avec lui un seul esprit. Et pour cela il renonce au monde et à tout ce que le monde peut lui offrir et il entre dans la solitude, dans le désert, pour y rencontrer Dieu. Et il sait que dans son union mystique avec Dieu il retrouvera le monde, mais à la façon même de Dieu et dans l'invisible d'un amour de charité.

La vie solitaire n'est donc pas isolement, confinement, repli sur soi, mais elle est vie de communion, communion avec Dieu, communion avec les hommes, et communion avec l'univers dans le souci de travailler au projet que Dieu a sur sa création. Et toutes les Observances, telles que vient de les présenter le Père Abbé Général, sont destinées à aider le moine à sortir de lui-même pour se donner à Dieu et à son dessein de salut.

 

La vie monastique est donc animée d'un double mouvement : un mouvement d'extase en vue d'une rencontre et un mouvement d'accueil en vue d'une communion. Ce sont des réalités extrêmement belles qu'il n'est pas possible de couler dans un vocabulaire qui en exprime tout le suc spirituel. Elles ne sont d'ailleurs pas faites pour être objet de spéculation mais pour être vécues.

Il faudrait pour bien faire passer en revue chaque détail de notre vie et nous verrions que chacune est orientée vers l'oubli de soi et la purification du coeur en vue d'une charité qui est participation à la vie divine. Il n'est pas possible naturellement de réfléchir à chacune de ces Observances. Nous devons parcourir la lettre du Père Abbé Général et ne pas nous y attarder outre mesure.

Mais retenons tout de même ceci : que le moine doit devenir présence active de Dieu dans le monde. Il doit être l'aqueduc qui amène la vie divine depuis l'univers de Dieu, depuis le coeur de la Trinité jusqu'à l'intérieur des êtres de ce grand corps spirituel qu'est l'humanité en devenir. Ce n'est pas une tâche facile car elle est exposée à la routine, à la lassitude et au déséquilibre. Le Père Abbé Général y fait nettement allusion et demain nous aurons certainement l'occasion d'y revenir.

 

Car l'égoïsme - donc ces forces centripètes en nous - cet égoïsme qui est un fruit d'amertume et pour le moine et pour ses frères, eh bien, cet égoïsme il a mille ruses pour se satisfaire. Il se cache sous mille bonnes raisons pour se fortifier. Il est beaucoup plus facile d'observer l'égoïsme chez les autres que de le remarquer chez soi. Mais nous ne devons pas nous faire d'illusions, il est virulent en chacun de nous, en moi comme en vous.

C'est pourquoi nous devons être vigilants dans la prière, dans l'ouverture du coeur, car il est d'une importance, j'ose dire, vitale pour le monde que notre vocation monastique soit une réussite. Les hommes nous demanderont compte plus tard. Ils nous demanderont des comptes. Sous quelle forme ? Je n'en sais rien. Mais il est certain que un jour nous comparaîtrons tous devant le tribunal de Dieu et ce ne sera pas une partie de plaisir. Oui, ce sera vraiment sérieux.

Dieu nous demandera ce que nous avons fait. Et les hommes nous demanderont aussi ce que nous avons fait de notre vocation. Ce sont des choses auxquelles nous ne pensons pas suffisamment : notre responsabilité vis-à-vis des autres.

 

Le Père Abbé Général insiste sur le bon équilibre qui doit exister entre les trois piliers de la vie monastique : le travail, la prière commune ou personnelle et la Lectio. Et remarquez qu'il met en premier lieu le travail. Pourquoi ? Parce que si nous ne travaillons pas, nous ne pourrons pas vivre, nous ne        pourrons pas          manger, nous ne pourrons rien faire.

Attention, mes frères, dans une communauté, évitons d'être des parasites. Quelque soit notre âge, quelques soient nos infirmités, nous pouvons - à moins d'être vraiment infirme, par exemple on ne voit plus clair, on ne sait plus rien faire, mais alors on peut toujours prier - nous pouvons donc toujours faire quelque chose qui permet à la communauté de vivre.

Il y a toujours des petites besognes et n'essayons pas d' y échapper. Le travail, chez nous, est non seulement un élément d'équilibre psychologique, mais c'est un devoir d'homme. Saint Paul le dit : Celui qui ne veut pas travailler, et bien à celui-là, il ne faut pas lui donner à manger. C'est ça qu'il dit. Eh bien, mes frères, attention ! Quand je dis ça, je ne vise personne. Je pense à moi. Je parle ici de règles qui valent en soi et auxquelles je demande d'être attentif, moi aussi bien que tout le monde.

 

Chapitre : Lettre 15.                              21.02.89

      Constitutions : 21 – 29 (suite).

 

Mes frères,

 

Le Père Abbé Général ne craint pas d'envisager la possibilité de l'échec d'une vie monastique. Quand cela se produit, le moine ne   quitte  pas nécessairement le monastère mais il y vit à l'instar d'un corps étranger. Il ne se conforme plus aux règles en vigueur dans la maison de Dieu, règles qui sont l'oubli de soi, la charité, la disponibilité, la gratuité.

Il suit ses propres intuitions qu'il qualifie de spirituelles et il se replie sur soi. Il se ferme aux autres. Et insensiblement l'égoïsme triomphe dans le coeur d'un tel homme. Il ne paraît peut-être pas grand chose à l'extérieur, car tout se joue à l'intérieur du coeur qui se ferme et qui se dessèche de plus en plus.

Une seule chose apparaît, une seule chose est certaine : à un tel homme, on ne peut rien demander, on ne peut faire aucune remarque à moins de mettre des gants jusque là, et encore ? Il est devenu intouchable. Mais comment peut-on en arriver là quand on est bien parti ?

 

Le Père Abbé Général nous dit que cela se produit lorsque les éléments de notre vie sont disposés de telle façon qu'il n'y a pas d'équilibre entre le travail, la prière et la Lectio. Ce défaut d'équilibre peut tenir à l'organisation générale du monastère. Alors, l'Abbé doit sérieusement s'interroger. Mais cela peut tenir aussi au frère lui-même qui dispose ainsi sa journée. Et il faut avouer que dans un cas pareil, c'est incurable et irrémédiable.

C'est le fait d'hommes qui sont venus dans le monastère pour y trouver un établissement personnel basé sur leur propre valeur. Ils ont certainement des qualités, et ils pensent qu'en s'appuyant sur ces qualités ils vont pouvoir devenir quelqu'un. Au moment où ils sont entrés dans le monastère, il ne s'est donc pas produit de rupture. 

Ce qu'ils faisaient dans le monde, c'est à dire la poursuite d'un idéal humain, d'une réussite humaine, d'une carrière humaine, doit pouvoir se poursuivre à l'intérieur du monastère de façon plus rapide, plus aisée. Il n'y a donc pas en eux un besoin de conversion. Alors je vous le dis : il n'y a rien à faire !

 

Le Père Abbé général nous dit que les éléments de notre vie ne sont pas destinés à devenir des fins en soi ou des occasions d'autosatisfaction. Ce qui se fait en dehors de cette destination voulue par Saint Benoît, par la Tradition monastique et par Dieu lui-même se pervertit.

Par exemple : le travail devient agitation, frénésie, intoxication. La Lectio devient besoin d'érudition et finalement pédanterie. La prière devient autodégustation et finalement elle vire à l'illuministe. Le silence devient mutisme et agressivité rentrée. Et la pauvreté, elle, devient avarice et dureté.

Donc, tous ces phénomènes de perversion se produisent lorsque des éléments essentiels d'une vie monastique sont détournés de leur fin et deviennent des occasions d'autosatisfaction.

         

          Nous devons être, très, très circonspects de ce côté et nous ne devons pas avoir peur de sacrifier à l'occasion, lorsque ça nous est demandé, le goût que nous pouvons trouver dans ces différentes activité lorsque l'obéissance vient les interrompre, vient nous en priver pour nous proposer autre chose. Le critère de salut pour un moine, c'est toujours la conformité à la volonté de Dieu.

Et c'est pour cela qu'il est bon qu'il se produise des incidents dans la vie de chacun d'entre nous qui nous tirent de ce qui pourrait être une sorte de routine, un ronronnement dans lequel nous nous endormions avec complaisance.

 

Il faut apprendre, nous rappelle encore l'Abbé Général, à utiliser correctement les outils spirituels qui sont mis à notre disposition. Cela exige une formation, une longue formation et une discipline exigeante et, j'ajouterais encore, un recyclage permanent.

Nous devons avoir la mentalité d'un novice. Le jour où un moine laisse de côté ces dispositions d'accueil et d'écoute qui étaient les siennes au début de son noviciat, à ce moment-là ça commence à devenir sérieux : il commence à se prendre pour quelqu'un.

Nous l'avons entendu dire ce matin encore par le Christ lui-même. Ne cherchez pas à vous faire appeler Rabbi, ni Maître, ni Père. Vous dépendez toujours de quelqu'un qui est au-dessus de vous, ce quelqu'un qui est Dieu lui-même, et qui est le Christ et ses représentants sur terre.

Mais si les moyens mis par notre Règle et par la Tradition à notre disposition pour rencontrer le Christ et nous unir à Dieu, si ces moyens-là sont utilisés correctement, si les exigences qui sont liées à eux sont satisfaites, alors nous dit le Père Abbé Général, ils deviennent source de force et de joie.

Mes frères, le but pour lequel nous avons été appelés au monastère, c'est de devenir un seul esprit avec Dieu. Mais si ces exigences ne sont pas satisfaites, le moine est conduit au repli sur soi et le but est manqué. Le repli sur soi engendre le triomphe de l'égoïsme et c'est la chute dans le malheur.

 

Mes frères, nous devons remercier notre Père Abbé Général car il faut tout de même un certain courage pour oser dire des choses pareilles à l'Ordre entier. L'Abbé général est un homme qui a une expérience unique dans l'Ordre. Il circule dans tous les monastères. Il connaît énormément de situations malheureuses, mais aussi il a rencontré des personnes qui avaient pleinement réussi leur vocation monastique. Il nous fait part de son expérience, nous devons l'en remercier. Mais je le dis, pour dire ceci, il faut vraiment avoir un courage qui ne vient pas des hommes, mais qui vient de la grâce qui l'habite, de sa grâce d'état.

 

Chapitre : Lettre 16.                              25.02.89

      Constitutions : 30 – 31.

 

Mes frères

 

Le Père Abbé Général aborde ce soir les Constitutions 30 et 31 qui traitent de l'accueil des hôtes et de l'apostolat des moines.

 

          La forme cistercienne de solitude n’empêche pas en particulier l’accueil des hôtes pourvu que soit sauvegardée la nature contemplative de notre vie. Cette sauvegarde est évidemment chose relative et variera selon la taille de la communauté, la moyenne d’âge de ses membres, la situation des bâtiments, etc.

        Mais, là encore, le moine doit se rappeler que sa manière de participer à la mission du Christ et son insertion dans l’Eglise locale sont déterminées par la nature de la vie contemplative.

 

Précisons d'abord qu'une hôtellerie monastique n'est pas une maison de retraite, même si on y accueille des groupes encadrés de leur prédicateur, ou même si parfois on y organise des retraites comme c'est le cas dans certaines Abbayes. On ne peut donc exiger de nos hôtes une discipline de fer les obligeant à participer tous les jours à l'Eucharistie et à tous les Offices.

L'hôtellerie monastique n'est pas non plus un hôtel à bon marché où on s'installe pour villégiaturer dans les environs. Il faut se méfier à ce que ce genre d'abus ne se produise pas. Et il faut remercier notre Père hôtelier parce que je sais qu'il a écarté des personnes qui pratiquaient ce genre de sport.

 

L'accueil des hôtes fait partie de la Tradition monastique la plus ancienne. Nous le savons, Saint Benoît y consacre tout un chapitre de sa Règle. Aujourd'hui, elle concerne surtout les membres de nos familles et des personnes qui désirent communier aux bienfaits de notre vie de solitude et de silence.

Comme dit la Constitution 31 - ne l'oublions jamais !­ -  l'hôtellerie est ouverte à tous les hommes de bonne volonté et pas seulement à ceux qui partagent notre foi catholique. Donc soyons toujours prudents au moment de l'Eucharistie si nous voyons des retraitants qui restent sur leur chaise. Laissons-les bien tranquilles, surtout les isolés.

Il vient ici des protestants, il vient ici des non baptisés. Il ne faudrait pas les forcer à participer de trop près à notre Eucharistie, donc à communier. Ils pourraient le faire sans trop savoir pourquoi, pour faire comme les autres. Soyons donc prudents !

 

Il faut aussi user de la plus grande discrétion et du plus grand respect vis à vis de nos hôtes. Il ne peut donc pas être question de les aborder, d'engager la conversation, de procéder à une petite enquête, de leur soutirer des confidences.

Si le cas devait se produire, on prouverait par là deux choses : d'abord qu'on est un grossier personnage, qu'on n'a pas d'éducation, qu'on ne respecte pas la conscience et l'intimité des gens ; et en plus, on prouverait qu'on n'a rien compris à la vie monastique. Et c'est encore plus grave.

Attention ! Donc la plus grande discrétion et le plus grand respect. Saint Benoît le dit déjà : cela fait partie de la vie monastique, de son essence.

 

Et le Père Abbé Général dit que le caractère contemplatif de notre vie doit être sauvegardé. Le monastère ne peut donc pas être envahi au point que l'hôtellerie devienne l'élément moteur de la communauté. Ce serait le monde à l'envers. Le monastère existerait pour l'hôtellerie. Cela ne peut pas arriver.

Je sais que des problèmes se posent dans certaines Abbayes qui commencent à être envahies par les touristes. L'Abbé de Tamié est venu exposer son problème : ils sont tellement envahis par le tourisme qu'ils se trouvent devant un dilemme, ou bien construire une nouvelle hôtellerie à distance du monastère, ou bien partir et aller s'implanter ailleurs.

C'est arrivé aussi à l'Abbaye de Hautecombe. Ce sont des moines bénédictins qui, eux, sont partis. Ils ne peuvent plus rester là. Leur vie monastique devient impossible tellement il y a de touristes. Naturellement ce n'est pas le cas ici. Pour vivre heureux, vivons cachés.

 

Il faut donc préserver l'intimité des frères, leur solitude, leur silence, leur prière. Il s'agit d'opérer une sélection parmi les personnes qui demandent à venir passer quelques jours ici. Il faut écarter les curieux et les trublions. On peut venir par curiosité une fois, pour se rendre compte, parce que on ne sait pas ce que c'est. Ce n'est pas ça. C'est venir par intérêt plutôt que par curiosité.

Mais il y en a qui sont véritablement curieux, ils iraient voir jusque dans les chambres - Je pense qu'on en a déjà surpris une fois l'un ou l'autre - voir une cellule de moine ! Eh bien, des gens pareils, on ne les accepte plus. Nous sommes ici chez nous tout en étant chez Dieu. Si nous respectons les autres, les autres aussi doivent nous respecter.

                   

          Alors, n'oublions jamais que notre vie contemplative comme telle est notre forme spécifique d'apostolat à l'intérieur de l'Eglise. Le Père Abbé Général juge utile de la rappeler. Et tout préjudice qui écornerait notre vie contemplative porterait atteinte à cette vision.

Et si ça devenait de plus en plus grave, ça finirait par nous rendre inutile. Et je comprends que lorsque des moines préfèrent quitter leur monastère, l'abandonner aux touristes pour aller s'implanter ailleurs, ils sauvent leur vie. C'est un réflexe de bonne santé.

 

Chapitre : Lettre 17.                              27.02.89

      Constitutions : 33 – 38.

 

Mes frères,

 

Le Père Abbé Général traite ce soir du service de l'autorité ou, si vous le préférez, de la mission de l'Abbé.

 

          C’est sous la conduite de l’Abbé que le moine parcourt la voie de la conversion qui lui est proposée et il croit que celui-ci tient la place du Christ dans le monastère. Le rôle pastoral de l’Abbé est d’une très grande portée et il est extrêmement exigeant. Mais celui-ci est aidé dans sa charge par différents Officiers et différents Conseils. L’expérience montre que la qualité de la vie monastique dans une communauté dépend largement de la façon dont l’Abbé remplit sa tâche. Il n’est pas étonnant de voir Saint Benoît lui rappeler à bien des reprises qu’il devra répondre à Dieu de tout ce qu’il aura fait et de tout ce qu’il aura négligé de faire.

 

Remarquons que le Père Abbé Général met l'accent sur trois points. Il rappelle que la vie monastique est construite sur une vision de foi, à savoir que le moine découvre dans l'Abbé la Personne même du Christ Jésus.

Et cela se comprend ! La vie monastique conduit le moine au-delà de lui-même, au-delà de l'univers visible jusqu'au coeur de la Trinité. Or, il n'y a qu'une seule route pour parvenir dans le sein même de Dieu : c'est le Christ Jésus qui est rendu visible aux yeux de la foi dans la personne de l'Abbé.

Il n'est pas possible d'emprunter un autre chemin. C'est une Loi inflexible du Royaume de Dieu depuis l'Incarnation. Et cette vision de foi, reconnaissons-le, demande un effort continu et de la part des frères, et de la part de l'Abbé. Les frères se trouvent devant un homme qui leur ressemble, un homme faible, fragile, faillible.

 

Et l'Abbé lui-même, comme le dit Saint Benoît, il doit toujours se souvenir du nom qu'il porte et agir en conséquence. Et non seulement agir, mais aussi penser en sachant que ce qu'il pense du frère va se réaliser parce que c'est la pensée du Christ qui l'habite.

Je veux dire ceci : que si l'Abbé pense du bien d'un frère, quelque soit ce frère, quelques soient les défauts et les vices de ce frère, eh bien, le frère en question s'en trouve bien. Et c'est un devoir de l'Abbé de toujours bien penser de tous ses frères, quoi qu'il ait à en subir, quoi qu'il ait à en souffrir. La foi doit aller jusqu'à ce point extrême.

Mais le frère de son côté doit croire que dans le coeur de l'Abbé il y a pour lui une affection sincère même sous des dehors qui peuvent paraîtrent froids ou bourrus. Cela dépend de la personnalité de l'Abbé. Dans ces conditions-­là, la vision de foi est vivifiante pour les deux, et pour le frère, et pour l'Abbé. Mais je le répète: pour se tenir à ces hauteurs, il faut une attention, une vigilance et un effort continu.

         

Le Père Abbé Général nous dit encore que la qualité de la vie monastique dans une communauté dépend largement de la façon dont l'Abbé remplit sa tâche. Et ici interfèrent de multiples facteurs venant encore une fois de l'Abbé et de la communauté.

Saint Benoît envisage, par exemple, le cas d'une communauté rebelle à l'enseignement et à l'exemple de l'Abbé. Saint Benoît a eu le cas et il a même dû partir, laisser la communauté. Que ces frères-là tirent leur plan ! Et Saint Benoît est parti. C'est très grave un geste pareil, mais il devait le poser, on avait tenté de l'empoisonner.

On peut empoisonner l'Abbé, non pas en versant quelque chose de mortel dans sa nourriture, mais on peut l'empoisonner par des réflexions, par des attitudes, par toutes sortes de choses qui rendent la vie impossible à l'Abbé. Il s'est présenté des situations pareilles, pas ici naturellement, mais dans des monastères. Et ça, c'est terrible ! Quel malheur pour une communauté !

 

La qualité, la façon dont l'Abbé remplit sa tâche va dépendre  aussi de sa qualité          de vie, de son degré d'union à Dieu, mais aussi de ses qualités humaines : de sa prudence, de son aptitude à prendre la mesure des personnes et des choses, de l'autorité naturelle qu'il possède ou qu'il ne possède pas, de son ouverture au dialogue.

Un saint n'est pas nécessairement doté des qualités requises pour exercer le gouvernement. Mais celui qui l'exerce sera parfait si il est en même temps un saint. Et personnellement, j'appuierais volontiers sur deux qualités, et d'abord la patience. Il faut savoir attendre et parfois attendre longtemps, parfois attendre des années le moment propice pour dire quelque chose ou pour faire quelque chose auprès d'un frère ; ou bien auprès de la communauté comme telle.

Attention ! Il ne faut pas attendre la Visite Régulière pour avoir plus facile. Il peut arriver qu'il y ait des choses qui ne peuvent se dénouer qu'à l'occasion d'une Visite Régulière; mais il ne faut pas systématiquement attendre la visite du Visiteur pour régler la chose, non. Mais quand je parle d'attendre, c'est une attente de vigilance, une attente d'amour. On attend que le fruit soit mûr.

 

Et alors, la seconde qualité qui va presque de pair et qui, à mon avis, est capitale chez un Abbé, c'est le sens de l'humour : ne pas prendre les situations au tragique. Les gens sont toujours meilleurs que ce qu'ils disent ou ce qu'ils font. Il faut voir le côté relatif des personnes, et des choses et des situations.

Il faut faire comme le Pape Jean XXIII. On nous l'a rappelé hier, et je le répète : « Tout remarquer, fermer les yeux sur beaucoup de choses et en corriger quelques unes. » C'est cela la pratique de l'humour, une sainte sagesse. Je pense qu'on devrait prier chaque jour pour que l'Abbé en soit doté.

 

Et enfin, le Père Abbé Général nous dit que de sa responsabilité, l'Abbé devra rendre des comptes à Dieu. L'Abbé est le gouverneur d'une maison et d'un troupeau qui ne lui appartiennent pas. Nous sommes ici chez Dieu et les frères appartiennent tous à Dieu et au Christ. Ils ne sont pas le bien de l'Abbé. Il devra en rendre des comptes.

Et le jugement de Dieu portera sur ce qu'il aura fait et sur tout ce qu'il aura négligé de faire. Il n'est pas dit sur ce qu'il n'a pas fait, mais sur ce qu'il aura négligé de faire, s'il y a de la négligence à l'intérieur de son travail.

 

Chapitre : Récollection du mois de mars.         04.03.89

      Les jours sacrés, les jours saints du carême.

 

Mes frères,

 

En traitant du carême au Chapitre 49° de sa Règle, notre Père Saint Benoît parle de jours sacrés, de jours saints. Que signifie cette expres­sion ? Pour le comprendre, regardons ce que nous allons chanter demain. Oui, demain dimanche et durant toute la semaine, nous allons reprendre le su­perbe Introït : Laetare Jerusalem, sois dans la joie Jérusalem !

La mélodie du 5° mode - qui est le mode de la joie - va essayer de

nous arracher à nos soucis, à nos peines, à nos péchés pour nous emmener au lieu de toute joie. Car la joie véritable, la joie que le Christ nous a promise et qu'il nous a donnée, elle ne se trouve que dans l'oubli de soi, dans l'absence de tout égoïsme, dans l'ouverture à Dieu et aux autres. Le carême est saint parce qu'il nous donne de vivre ce renoncement qui est le portail de la joie.

Saint André de Crète nous a tracé un tableau saisissant de ce qui attend l'homme qui recherche avec passion les joies éphémères des plai­sirs de la chair, de la possession, de l'ambition. Finalement, il ne lui reste rien entre les mains. Ces joies s'évaporent parce que ce sont illusions de joie.

 

Or, reconnaissons-le, mes frères, nous sommes des hommes nous aussi et instinctivement nous lions la joie à la satisfaction de nos désirs et de nos instincts. Or, la joie substantielle, l'inamissible joie est d'une tout autre nature. Elle est une Personne, la Personne même de Dieu. C’est dans l’union à Dieu que nous pouvons connaître et posséder pour jamais la véritable joie, une joie qui nous plénifie, qui nous dilate, qui nous donne au-delà de tout ce que nous pouvons rêver.

Mais vous allez me dire : il y a tant de malheurs, tant de souffrances autour de nous. Elles viennent battre les murailles de notre monastère tous les jours. Elles pénètrent jusqu'à nous. Elles entrent dans notre coeur et elles le brisent. Nous sommes solidaires de la souffrance de nos frères les hommes. Et alors, où est la joie là-dedans ?

Le Christ nous a promis sa pro­pre joie à l'instant où il allait s'engager sur le sentier qui le condui­sait à la croix, et déjà l'agonie prenait possession de sa chair. Lorsque le Christ parle de joie, il la voit très bien en convivance, en convivialité avec la souffrance, même la plus grande souffrance, car la joie se vit à un tout autre niveau. C'est vrai !

 

Pour accepter ainsi la souffrance, même la plus injuste comme la plus méritée, il faut pratiquement être un saint. Et c'est ici, mes frères, que nous pouvons découvrir une des facettes de notre mission. Nous formons tous un seul Corps. Aucun homme n'est en-dehors de ce grand Corps qui est le Corps même de Christ. Et nous sommes ses membres.

Si nous sommes unis à Dieu au point de ne plus faire avec lui qu'un seul esprit, au point d'être ensevelis dans sa volonté et d'être déjà - d'une certaine manière - ressuscité en lui, à ce moment-là, mystérieusement mais bien réellement, le grand Corps de l'humanité se trouve mieux.

S'il n'y avait pas de saints dans le monde, la souffrance du monde serait encore bien plus terrible. Mes frères, il y a comme une absorption, une dilution de cette souffrance dans le coeur des saints qui n'est autre que le coeur de Dieu. Le temps du carême nous rappelle que il y a un chemin vers le bonheur et vers la joie. Et ce chemin est celui que nous rappelle - encore une fois - Saint André de Crète, c'est celui d'une sincère conversion.

 

Il faut apprendre à sortir de soi, apprendre à s'oublier, apprendre à aimer, apprendre à évacuer ses peurs, car l'autre nous fait peur alors qu'il est un frère. Il nous parle de Caen. Caen avait peur de son frère, c'est pour cela qu'il l'a supprimé.

Mes frères, le temps de carême est, nous dit encore Saint Benoît, une attente emplie de joie, une attente colorée de joie, une attente qui de­vient une immensité de joie, une attente dans laquelle sont cachées déjà les prémices de la joie même que Dieu veut nous donner.

Et cette joie, nous dit encore Saint Benoît, éclate le saint jour de Pâques. Notez encore ici toujours la sainteté, la sainteté qui est Dieu, qui est amour, qui est lumière, et qui est bonté, bienveillance, compas­sion, douceur et beauté.

 

Mes frères, nous sommes tous conduits vers la résurrection. Il faut que la conscience de l'humanité le sache. Et cette conscience, ce doit être nous qui savons.

Mais alors, nous devons vivre en accord avec ce savoir. Car savoir pour connaître et en jouir égoïstement, ce n'est pas savoir, c'est possé­der. Et toute possession est le contraire d'un véritable savoir.

Le carême nous dit inlassablement que nous devons mourir pour voir Dieu et pour entrer dans sa joie. Il exorcise le visage inquiétant, ef­frayant de la mort. Il annule toutes les imaginations et il nous campe en face de la vérité simple, belle, rassurante. La mort est une pâque, elle est un passage vers une vie autre, une vie nouvelle, la vie de la résur­rection.

Mes frères, s'il n'y avait pas au-delà de la souffrance et au-delà de la mort physique, s'il n'y avait pas cette présence d'un Dieu qui est amour, qui est tellement amour qu'il a voulu devenir l'un de nous et con­naître cette mort, s'il n'y avait pas ce Dieu amour qui est là pour nous donner la gloire de la résurrection, mais alors nous devrions faire comme le dit Saint Paul, comme le font une multitude d'hommes: mangeons et bu­vons, et après nous c'est fini !

 

Mes frères, mort et résurrection, renoncement absolu et joie totale sont liés comme le carême et la Pâque. Ils se retrouvent au cœur de la même sainteté, ils sont un même mouvement de ce monde-ci au monde de Dieu, de nous-mêmes au coeur de la Trinité.

C'est pourquoi, mes frères, demain nous allons chanter : soyez au comble de la joie, vous qui avez connu les abîmes de la tristesse et de la souffrance. Oui, soyez dans la joie, gravissez les sommets de toute joie, laissez cette joie triompher en vous car vous passez de la mort à la vie et déjà vous recevez en germe la grâce de la résurrection.

Mes frères, bientôt nous ferons cette expérience. Il en est peut-être, je dis peut-être, mais certainement parmi vous qui commencent à la faire, qui déjà reconnaissent le visage merveilleux du Christ ressuscité. Mais encore un peu de temps et nous le verrons face à face. Et alors, toutes les tristesses, toutes les souffrances seront oubliées. Et notre joie, jamais personne ne pourra nous la ravir.

 

Et nous ne serons pas seuls ! Tous les hommes que nous avons portés dans notre coeur seront là avec nous. Tout sera oublié. Nous n'aurons plus de passé. Nous serons des êtres nouveaux, des êtres divinisés, au sommet de toute joie, dans un éternel présent qui sera une intensité de présence à Dieu, et de Dieu à nous pour jamais.

 

 

 

Chapitre ; Lettre 18.                              06.03.89

      Constitutions : 45 – 58.

 

Mes frères,

 

Le Père Abbé Général a des choses intéressantes à nous dire ce soir :

 

          Mais l’Abbé n’est pas le seul à porter des responsabilités. Le moine doit être formé pendant des années et ce processus de formation implique toute la communauté et pas seulement le Maître des novices. La formation est une chose qui dure toute la vie parce que les temps et les gens changent et que le moine doit s’ajuster aux nouvelles circonstances.

        Une vocation est un don de Dieu mais elle exige d’être nourrie. On peut aussi certaines fois constater qu’un manque de persévérance chez ceux qui sont en formation s’origine dans l’attitude des profès qui tiennent insuffisamment compte des changements intervenus dans la société depuis leur entrée au monastère.

 

        Cette dernière remarque projette l'éclairage sur l'entièreté de ce paragraphe. Le départ des jeunes s'explique parfois par l'attitude d'anciens qui sont déconcertés par rapport au réel, qui ne tiennent pas compte des changement intervenus dans la société depuis leur entrée au monastère.

C'est là un danger, mes frères, et nous devons y être attentif. Notre séparation du monde ne peut être ne peut être l'occasion d'une fixation sur le passé qui est un repliement sur soi. Nous répétons chaque jour les mêmes gestes, les mêmes formules à l'intérieur de nos murs. Et pendant ce temps-là, tout autour de nous la société évolue. Elle change de visage, de besoins, d'aspirations, de culture.

Si bien qu'après trente, quarante années de séjour dans le monastère, on risque très fort d'être entièrement dépassé. On se fossilise. On ne vit plus dans le réel. Et finalement on ne s'acquitte plus de sa mission.

 

Alors les jeunes qui se présentent ne sont plus accueillis, ils ne sont plus compris. Ils sont considérés comme dangereux. On en a peur. On exercera à leur égard une sorte de racisme. Et ces jeunes finissent par s'en apercevoir et, comme de juste, ils prennent la fuite.

C'est grave ce que nous dit ici le Père Abbé général, que des Anciens en raison de leur attitude fermée par rapport à l'évolution de la société tout autour d'eux, que à cause de ces Anciens des jeunes doivent quitter le monastère.

C'est pourquoi il est nécessaire que nous procédions, au plan de notre formation, à une mise à jour continuelle ce qu'on appelle la formation permanente, et sur tous les plans : théologique, technique, spirituel, humain, culturel.

 

Cela ne veut pas dire maintenant que nous devons posséder un poste de télévision – attention ! - pour être au courant de tout et savoir comment s'adapter. Non, le problème n'est pas là. Il est nécessaire d'avoir une information, mais cette information, elle filtre à travers les livres que nous recevons, les revues qui sont mises à notre disposition, les visites que nous recevons, la correspondance qui nous parvient. Mais il peut se faire que l'on ne tienne pas compte de cela.

On est heureux, on ne se sent bien dans sa peau que si on lit, par exemple, toujours les livres qui faisaient les délices quand on était au noviciat, ou quand on était jeune moine, des livres d'il y a 40, 50 ans. Et on reste toujours à ce niveau. Si la communauté ou une fraction importante de la communauté est dans cet état d'esprit, les nouveaux venus ne se sentent pas compris. Les nouveaux, les jeunes d'aujourd'hui ne désirent pas la facilité, mais ils exigent la vérité, une vérité qui s'empare d'eux, une vérité qui leur donne un squelette spirituel et humain et qui leur permet de répondre à l'appel qu'ils ont entendu.

Ils sont plus fragiles que les anciens au plan physique, au plan psychologique. C'est certain,  parce que ils viennent d'une société où chacun est obligé de vivre sur ses nerfs. Mais ça n'empêche pas que spirituellement ils peuvent être extrêmement forts. Et c'est sur cette vigueur spirituelle que s'appuie Dieu. Et en même temps, il s'appuie sur leur faiblesse physique afin que sa puissance puisse se manifester à travers cette faiblesse, sa puissance spirituelle et ..?. à lui.

 

Si bien que notre formation doit s'étendre pendant des années. Les jeunes ne sont pas formés quand ils quittent le noviciat. Ils ne sont pas formés quand ils font leur profession solennelle. Leur véritable formation durera très longtemps. Dans le monde, l'acquisition d'un savoir scientifique, ou technique, ou littéraire demande des années et des années d'études. Si on part depuis l'école primaire, depuis l'âge de 6 ans, maintenant il faut aller jusqu'à l'âge de 25, 26 ans pour décrocher un diplôme. Cela nous fait une vingtaine d'années.

Et alors, pour ne pas se faire dépasser par l'évolution, il faut régulièrement suivre des cycles, des cours d'enrichissement. C'est indispensable aujourd'hui, sinon on est de suite perdu. Et nous alors qui devons nous initier à l'Art spirituel qui est le plus difficile et le plus beau de tous, eh bien, cela nous' prend notre vie entière. C'est toujours à recommencer, c'est toujours à assimiler.

C'est un savoir théorique et un savoir pratique que nous devons recevoir de maîtres expérimentés et compétents. Et la communauté doit présenter un milieu de santé d'une saine modernité. Attention ! Il ne faut pas être en pointe, il ne faut pas tenter toutes sortes d'expériences pour  montrer qu'on est en avant.  Non, mais il faut être au diapason de l'évolution générale.

 

La vertu va toujours de pair avec la science, avec une saine ouverture, avec un esprit éclairé et équilibré. Et ceci est différent de l'érudition, de la vaine curiosité, du besoin de se faire connaître, de se mettre en avant. C'est pourquoi le Père Abbé Général a parfaitement raison lorsqu'il dit que le moine doit être formé pendant des années. Et ce processus de formation implique toute la communauté. La formation est quelque chose qui dure toute la vie parce que les temps et les gens changent. Et le moine doit sans cesse s'ajuster aux nouvelles' circonstances.

Il va se passer alors ce phénomène-ci : on reste toujours jeune. Le coeur, le centre de la personne ne vieillit pas. On a le sentiment tous les jours au matin de venir au monde. Mais lorsque on se sent vieillir - pas physiquement - dès qu'on devient un vieux, qu'on n'a plus d'intérêt, qu'on n'a plus de goût, à ce moment-là, c'est vraiment la décrépitude, mais la décrépitude spirituelle, c'est ça que je veux dire. C'est le signe d'une vie qui n'est pas réussie, d'une vie qui s'est traînée et puis qui finalement tombe dans le vide.

Non, un vrai moine est toujours enthousiaste. Il est toujours jeune, il est toujours avide. Pourquoi ? Parce que le Verbe de Dieu prend possession de lui et de son coeur. L'Esprit de Dieu bouillonne dans ses veines et le fait avancer. Il connaît déjà ainsi un avant-goût de ce qui sera son bonheur pour l'éternité. Car notre éternité sera un apprentissage perpétuel. Nous serons toujours des étudiants. Et qu'allons-nous apprendre ? Mais nous allons apprendre à toujours mieux aimer, à toujours mieux connaître ce Dieu.

 

C'est cela, mes frères, la vie contemplative. Et nous pouvons déjà dès maintenant savoir, expérimenter, connaître par expérience ce qui sera, ce qu'est la vie éternelle. Si bien que, ne l'oublions pas, l'Abbé n'est pas le seul à porter les responsabilités. Chaque frère est responsable de la qualité spirituelle et humaine de la communauté et personne n'a le droit de se dérober de cette responsabilité.

Mes frères, je peux dire que je suis très libre de parler de ces choses-ci parce que je dois reconnaître que dans notre communauté il y a une qualité certaine de ce côté. Je vais vous donner un exemple vécu aujourd'hui, aujourd'hui soir après le souper. Donc c'est tout chaud, tout nouveau. J'ai reçu la visite de deux frères anciens, le frère François et le frère Julien. Le frère François venait avec des études qu'il doit faire maintenant pour remplacer un tableau,         des offres à demander, des prix à calculer, des plans, des schémas...

Or, le frère François, vous connaissez son âge, vous voyez son infirmité. Et bien, il fait cela comme s'il avait trente ans. Voyez cette jeunesse de coeur et ce souci du demain pour que celui qui viendra après lui n'aie aucune difficulté.

 

Et le frère Julien, lui, il fallait remplir des formulaires tout de suite pour le frère Laurent entré en clinique. Eh bien, pour le frère Julien, pas de problème, il va les chercher. Voyez, tout de suite là pour servir. Le sens du service quand on, pourrait très bien dire : vous savez, j'ai plus de 70 ans, je pourrais tout de même bien un peu maintenant... Non, jusqu'au bout le sens du service de Dieu. Et c'est extrêmement beau. Et c'est cela, vous voyez, une communauté qui forme les jeunes. Quand ils voient cela, les jeunes sont heureux.

 

Chapitre : Lettre 19.                              07.03.89

      Constitutions : 73 et suivantes.

 

Mes frères,

 

Pour terminer, le Père Abbé Général nous présente les Constitutions qui traitent des structures de l'Ordre.

 

          Les structures de l’Ordre sont choses importantes pour tous les membres de l’Ordre même si certains sont plus directement que d’autres concernés par elles. Le moine devrait s’intéresser à tout ce qui touche l’Ordre et prier souvent pour ceux dont la charge est de veiller à ce que les structures fonctionnent d’une façon souple et efficace.

 

        Peut-être penserez-vous que ce portrait ne vous dit rien de neuf et, dans ce sens c’est vrai. S’il nous disait quelque chose de neuf, nous pourrions en être surpris car en lui-même notre idéal cistercien ne change pas d’un siècle à l’autre. Ce qui change, ce sont les accents, les nuances, les façons d’exposer certaines vérités, les présupposés d’ordre théologiques ou ecclésiastiques sous-tendant le texte des Constitutions. Ce sont eux qui ont changé et qui sont nouveaux. Mais c’est à chacun de nous de se confronter avec ce portrait et de voir s’il s’y reconnaît. Sinon, qu’il se demande alors pourquoi ?

 

        En écrivant cette lettre, mon idée était de vous aider à regarder de plus près nos nouvelles Constitutions et à les considérer comme source de vie et d’espérance. Ces Constitutions sont très riches mais il faut du temps et de la patience pour le reconnaître. Enfin, je conclurai dans les termes de la Constitution 86 : Puisse l’Esprit Saint nous inspirer pour que nous cheminions joyeusement vers la plénitude de l’amour, dans la communion fraternelle et la fidélité à l’Eglise, sous la protection de la Bienheureuse Vierge Marie, Reine de Cîteaux.

 

Je vous ai longuement parlé de ces choses à mon retour du Chapitre Général et je ne vais pas les reprendre. Je rappelle simplement que l'essentiel est de garantir, de promouvoir une saine diversité à l'intérieur d'une solide, d'une puissante unité.

Et cela, par une harmonieuse articulation entre le principe de la filiation qui est comme le squelette de l'Ordre et le Chapitre Général qui veille à ce que la Tradition cistercienne soit toujours fidèlement observée avec naturellement les adaptations qui s'imposent suivant les lieux, les temps et les personnes pour permettre cette diversité de s'exprimer sans porter atteinte à l'unité de l'Ordre.

Il importe de savoir cela, d'en être heureux et même d'en être fier et, comme le demande ici l'Abbé Général, de prier souvent pour ceux dont la charge est de veiller à ce que ces structures fonctionnent d'une façon souple et efficace. Quels sont ceux-là ? Ce sont en premier chef les supérieurs. Ce seront les responsables des Visites Régulières, ce seront les membres des Commissions Centrales, l'Abbé Général avec son Conseil. Nous devons les porter dans notre prière car je vous assure que leur travail n'est pas facile.

Vous n'êtes pas sans savoir que le pape est pour l'instant violemment contesté par des groupes de théologiens et même à l'intérieur du Corps Episcopal ici ou là. Il ne faudrait pas que un phénomène de ce genre se présente à l'intérieur de notre Ordre. Naturellement notre Ordre n'est pas l'Eglise, c'est un tout petit organisme à l'intérieur de ce Corps gigantesque qu'est l'Eglise. Mais soyons tout de même prudent !

N'ayons jamais une parole contre ceux qui ont justement la responsabilité du bon fonctionnement de ces structures, surtout ceux qui sont au sommet : l'Abbé Général, les Conseillers permanents, les Visiteurs. Au contraire, portons-­les dans notre prière. Ayons toujours pour eux beaucoup de sympathie quelques soient leurs défauts naturellement, quelques soient aussi les erreurs qu'ils peuvent éventuellement commettre. Tout homme est faillible.

 

Enfin le Père Abbé Général continue en nous disant que cette lettre ne nous dira peut-être rien de neuf. Tout ce que le Père Abbé Général nous a dit, nous le connaissons déjà, mais il est bon de l'entendre répéter par la bouche précisément de l’Abbé Général dont l'expérience est unique dans notre Ordre. L'idéal cistercien ne change pas, dit-il, il est vécu à des époques différentes par des personnes différentes dans des cultures différentes. C'est cela qui peut changer.

Il y a donc une adaptation indispensable sinon c'est la fossilisation et la mort. Veillons pour notre part à être des hommes d'aujourd'hui, pas des nostalgiques du passé, ni des prospecteurs de l'avenir. La volonté de Dieu, elle est enrobée dans l'aujourd'hui. Dieu ne se trouve pas dans l'agitation, ni dans la nervosité, ni dans le bruit, ni dans les problèmes, ni dans les questions, ni dans les discussions. Dieu a établi sa demeure dans la paix, dans sa volonté là où il se révèle.

Il est impossible de trouver Dieu en dehors de ses vouloirs. Et si alors on a l'impression d'y rencontrer Dieu, c'est un dieu fallacieux, c'est une idole, c'est une projection de nos désirs. Non, Dieu est dans sa volonté. Le reste est vanité, illusion et poursuite de vent.

 

Donc .le portrait que nous avons vu se dessiner devant nous ne nous dit rien de vraiment neuf et c'est heureux. Mais c'est à chacun d'entre nous de se confronter avec ce portrait et de voir s'il s'y reconnaît. La lettre du Père Abbé Général a été l'occasion de nous confronter avec le portrait qu'il a esquissé sous nos yeux, celui du vrai moine cistercien. C'est donc aussi l'occasion d'un examen de conscience bien venu en ce Temps de Carême.

Il a passé en revue les grands axes de notre vie contemplative. Et je pense pouvoir dire sans prétention, humblement, très humblement, que en vérité nous y sommes fidèles. Mais attention ! Notre vigilance ne peut pas se détendre, elle ne peut se relâcher. Car la fidélité est créatrice d'elle-même. Elle n'est pas donnée une fois pour toute. Elle exige une reprise en main quotidienne et une ouverture constante à Dieu et à sa volonté.

C'est à cette condition-là qu'elle est vivante, qu'elle se déploie, qu'elle nous fortifie et qu'elle nous permet de toujours mieux comprendre les raisons pour les quelles nous sommes ici, de toujours mieux, de toujours davantage être avide de rencontrer Ce sera encore Dieu, de le voir et de l'aimer.

 

Et l'étude de nos Constitutions doit nous y aider. Elles sont, précise le Père Abbé général, une source de vie et d'espérance. C'est pourquoi, quand le moment sera venu, je vais encore les reprendre en marquant toutes les précisions, toutes les modifications qui ont été apportées par le dernier Chapitre Général.

Ce sera encore beaucoup plus vrai quand elles auront été approuvées. A ce moment-là, ce sera vraiment notre code de voyage, approuvé par l'Eglise, donc par le Christ lui­-même.

Et alors, pour conclure, je vais reprendre les termes même de l'Abbé Général qui dit ceci : Puisse l'Esprit Saint nous inspirer pour que nous cheminions joyeusement vers la plénitude de l'amour, dans la communion fraternelle et la fidélité à l'Eglise, sous la protection de la bienheureuse Vierge Marie, Reine de Cîteaux.

 

 

Semaine Sainte :

Chapitre : Samedi la veille des Rameaux.        18.03.89

      Saint Joseph, Père spirituel de tous les hommes.

 

Mes frères,

 

Avec les Vêpres, nous avons ouvert la Sainte Semaine qui va nous conduire jusqu'au dimanche de Pâques. Cela ne nous empêchera tout de même pas de dire quelques mots au sujet de ce saint que nous nous fêtons aujourd'hui : Saint Joseph dont le nom signifie celui qui ajoute, et qui ajoute encore et toujours ; celui qui fait croître, qui fait grandir.

Vous savez que le nom dans le monde sémitique et dans l'univers de Dieu exprime le destin caché de la personne, le secret qu'elle est seule à connaître avec le Créateur. Lorsqu'une vie arrive à son terme et qu'elle est cueillie par Dieu, cette vie dans son déploiement est la lecture de ce nom. Le nom est entièrement prononcé par Dieu et il est lu dans son entièreté par l'homme lorsque tout est accompli.

Ce sera remarquable pour Jésus. Nous ne connaissons la signification du nom de Jésus, nous ne connaissons le secret de la Personne du Christ qu'au moment où il peut dire « Tout est accompli » et où il remet son esprit entre les mains de son Père.

 

Il en est ainsi aussi de Joseph qui n'a pas été père selon la chair mais qui est devenu par la grâce de Dieu le Père Spirituel de tous les hommes rachetés, comme il le fut de Jésus qui est la tête de notre lignée. Et c'est dans ce sens que Saint Joseph est le Patron de l'Eglise Universelle parce qu'il est le Père Spirituel - j'entends spirituel dans le sens noble et élevé, sublime du terme - le Père Spirituel de tous les hommes rachetés comme il a été le Père Spirituel de Jésus la tête de tous ces hommes.

Joseph n'a pas été un chrétien, ne l'oublions jamais, dans le sens où les disciples d'Antioche ont été les premiers appelés chrétiens. Joseph, tout comme Jean-Baptiste, a été et est resté un Juif fidèle. Il était mort, ils étaient morts tous les deux avant que Jésus ne se révéla dans sa plénitude.

Qu'est-ce que Joseph a su, a connu, a reconnu, a saisi de Jésus ? Nous ne le saurons jamais. Nous n'avons pas à spéculer là-dessus. Ce n'est pas notre affaire. C'est son intimité à lui.

 

Mais, il a un titre de gloire qui doit nous faire réfléchir parce que, vous allez le voir, il nous touche de très près. Joseph a été celui qui a appris à Dieu à être un homme. Joseph a été l'éducateur de Dieu. Il lui a tout enseigné au plan humain.

Voyez un peu, mes frères, l'humilité de notre Dieu. Il a créé la Vierge Marie et il a voulu en être le fils. Il a créé Joseph et il a voulu être éduqué par lui à son être d'homme. Nous retrouverons cela à l'intérieur de la vie spirituelle, mais je ne vais pas entrer dans les détails ici parce que cela nous conduirait trop loin. Peut-­être un jour aurons-nous l'occasion de développer cette merveille?

Mais nous apprenons par là que Dieu a voulu être un homme véritable, un homme qui doit se recevoir d'un autre homme. Ainsi Jésus a tout reçu de Joseph sauf naturellement la génération charnelle. Si bien que lorsque nous entendons parler Jésus, quand nous le regardons agir, toujours nous voyons soit derrière Jésus,

soit en lui, se dessiner l'ombre de Joseph.

 

Et c'est pour nous une leçon, mes frères, c'est un davar prophétique une parole prophétique que nous devons accueillir avec respect et avec joie. Nous qui sommes des hommes, nous devons recevoir d'un autre homme notre être d'enfant de Dieu.

La relation de Joseph à Jésus est le fondement de la paternité spirituelle pour nous, de la paternité spirituelle qui engendre à l'univers de Dieu. C'est une loi que Dieu a établie et il n'a pas voulu s'y soustraire. On dit toujours que le législateur est au-dessus de la loi, au-delà de la loi et que la loi ne le touche pas immédiatement.

Eh bien, mes frères, il n'en va pas ainsi de Dieu. Il est l'auteur de la loi et il a voulu se soumettre en tout à la loi et à cette loi fondamentale pour lui depuis qu'il a voulu devenir homme : que l'homme doit toujours se recevoir d'un autre homme même pour ce qui regarde sa filiation en Dieu.

 

Est-il donné à tout homme d'être ainsi Père dans l'Esprit ? Ce n'est pas donné à tous. Mais pourquoi n'est-ce pas donné à tous ? A mon avis, tous les hommes y sont appelés mais tous n'acceptent pas le cadeau que Dieu veut leur faire.

Parce que pour devenir Père selon l'Esprit, il faut mourir à soi. Il ne faut plus qu'il y ait dans le coeur de l'homme l'ombre d'un retour sur soi. Il faut être réceptacle de l'Esprit de manière à pouvoir donner en abondance cette vie spirituelle. Il faut donc une mort préalable.

Et c'est cette mort qui fait peur, qui fait reculer. Et alors Dieu, lui, il ne force pas. Sa main est toujours tendue mais il ne trouve pas en face de lui une main ouverte. Voilà, il attend...

 

Homélie à l’Eucharistie des rameaux.             19.03.89

 

Mes frères,

 

          Jusqu'à la dernière minute les disciples de Jésus ont vécu dans l'inconscience de ce qui se passait. Ils mangeaient la Pâque avec lui et ils trouvaient le moyen de se disputer. Leurs ambitions étaient sans mesure. Ils étaient plus que jamais esclaves de leur chair et de leurs passions. Ne leur jetons pas la pierre, nous leur ressemblons.

          Où en est la gratuité de notre amour ? Elle est bien petite, si déjà elle existe ? Il n'y a pourtant rien à faire. Nous ne pouvons échapper à la loi du monde nouveau. La vérité se trouve du côté de Jésus.

          Nous devons, comme lui, pousser l'amour jusqu'au bout, dussions-nous en mourir. Comme Jésus, nous ne nous appartenons pas. Nous sommes à Dieu et à nos frères. Nous n'avons pas à nous dérober. Notre devoir est devant nous.

 

          Le réalisme de la Pâque du Seigneur s'impose ainsi à nous chaque jour. Il se saisit de notre vie et nous force à sortir de nous. Il a une face de renoncement et de mort. Il s'accompagne de souffrances et de peurs. Mais il est d'abord et surtout roc de vérité et prémices de vie éternelle.

          Le monde a été créé par la Parole de Dieu, par cette Parole incarnée clouée sur une croix. Entrer dans cette Parole, se couler en elle, devenir un avec elle, c'est façonner l'univers et se créer soi-même.

          Par contre, se détourner d'elle, suivre ses propres idées, c'est travailler à la décréation, c'est se défaire soi-même, c'est s'entasser ruines et malheurs.

 

          Jésus, sur la croix, est tout le contraire de ce que le monde cherche avec frénésie. Or, sur cette croix, c'est Dieu lui-même qui souffre et qui meurt. Et il nous crie que hors de lui, hors de la croix, nous courons en pure perte.

          La Semaine Sainte nous replace devant notre vocation de chrétien. Notre gloire est dans la croix du Seigneur Christ, dans un amour vécu heure par heure, dans une vie donnée et jamais reprise. Ne l'oublions jamais, mes frères, et que notre fidélité de chaque instant soit notre force.

 

                                                                                                  Amen.

 

 

Chapitre du Lundi Saint.                           20.03.89

L’humilité de Dieu.

 

Mes frères,

 

          Me voici à nouveau invité, acculé à dire l'indicible. Je vais, ce soir et les deux jours suivants, reprendre la lecture Evangélique que nous avons entendue ce matin au cours de l'Eucharistie. Jn 12, 1-11.

          Vous savez que ces paroles et ces faits, ces événements sont prégnants d'un mystère qui désire se saisir de nous et nous emporter infiniment au-delà de nous. Alors, je demande votre indulgence, votre patience et vos prières, vos encouragements, afin que je puisse trouver les mots qui conviennent lorsqu'il s'agit de s'approcher de la beauté sans nom de notre Dieu.

 

          Nous n'avons jamais fini d'admirer, de contempler l'humilité de Dieu, de nous abîmer devant elle. Mais nous pouvons nous poser une question : est-il possible que Dieu soit humble, lui qui a tout fait et pour qui tout existe ? Essayons de comprendre en quoi consiste essentiellement l'humilité.

          Elle est ceci : l'humilité consiste d'abord et uniquement à se recevoir d'un autre. Le contraire de l'humilité, c'est le self made men, c'est l'homme qui s'est fait lui-même. Aujourd'hui dans le monde, ce monde qui est dominé par un prince adversaire de Dieu, c'est un titre d'honneur, de gloire et de mérite d'être un self made men. Il n'en va pas ainsi dans l'univers de notre Dieu.

          Dieu est humble. Il est l'humilité même parce qu'il est Trinité. Chacune des Personnes se reçoit totalement des deux autres, intégralement. Si bien qu'il n'y a pas de fond à l'humilité et à la pauvreté de notre Dieu.

         

Maintenant, lorsque Dieu se fait homme, il met à notre portée, à notre disposition le trésor sans prix de son humilité. Il nous donne ce qu'il a de plus précieux, ce par quoi il est constitué dans son être de Dieu.

          Ne soyons pas des étourdis, mes frères, ne soyons pas des hommes qui ne réfléchissent pas, qui ne pensent pas, qui s'avancent dans la vie et même dans la vie monastique sans comprendre, sans regarder.

          Vous savez que pour l'Ecriture, donc pour la Parole de Dieu, l'origine de la plupart des maux, c'est le défaut d'intelligence. Attention ! Lorsque Dieu parle d'intelligence, il entend autre chose que ce que nous nous plaçons, nous dissimulons en dessous de ce terme.

 

          L'intelligence, pour Dieu, c'est de savoir qui est Dieu, c'est pénétrer ses desseins, c'est se couler en eux de manière à les épouser et à les laisser s'incarner en nous. Dieu dira alors : c'est un homme intelligent, il sait conduire sa vie, il se laisse façonner, il ira jusqu'au bout de sa vocation d'homme.

          Par contre, l'ignorant, c'est celui qui au lieu de regarder Dieu se regarde lui-même. L'ignorance, c'est toujours un certain narcissisme. Le self made men, c'est à dire l'homme qui se construit lui-même est au regard de Dieu un ignorant, même si pour les hommes il est suprêmement intelligent.

          Donc voyez, mes frères, nous sommes à un tout autre niveau que le plan bassement humain.

 

          Maintenant, regardons Dieu devenu homme. Nous sommes en présence du Christ Jésus et, nous voyons qu'il a voulu se recevoir tout entier - voyez son humilité - de deux femmes qui portent le même nom pour bien signifier la ressemblance, la similitude qui existe entre les deux : Marie de Nazareth et Marie de Béthanie.

          Marie de Nazareth a donné au Verbe de Dieu, donc à Dieu lui-même, son être charnel, tout ce qui a fait de lui le fils de l'homme et le plus beau des enfants des hommes.  Maintenant, qu'a-t-il bien pu recevoir de Marie de Béthanie ? Que lui manquait-il qu'elle ait dû lui donner ?

 

          Contemplons la scène : Jésus est attablé avec des convives. Lazare est à côté ou en face de lui, à une place d'honneur, ce Lazare qu'il a ressuscité des morts. On est à la veille du triomphe de Jésus.

          Les juifs se convertissent. Même ses adversaires – attention, ses opposants de bonne volonté - doivent baisser pavillon devant ce miracle de la résurrection de Lazare. Ils viennent en foule, non seulement pour voir Jésus, mais aussi pour voir Lazare. Ils deviennent de coeur ses disciples.

          A ce moment-là, Marie entre. Je rappelle la scène. Elle porte une livre de myrrhe, donc d'un parfum à base de nard, et le texte original dit " authentique ", très pur et très précieux. Elle en oint les pieds de Jésus puis elle essuie le parfum avec ses cheveux, et tout se répand dans la maison.

 

          Eh bien, mes frères, en oignant ainsi les pieds de Jésus de ce parfum précieux, et en les essuyant avec ses cheveux, Marie met Jésus au monde dans son être de Messie souffrant.      Marie est un peu un cheveu dans la soupe, si je peux m'exprimer ainsi. Elle fait le contraire de ce que on aurait dû attendre à l'occasion de ce banquet. Et pour le faire remarquer, Jésus dira : « C'est pour mon ensevelissement qu'elle a pris ce parfum. »

          Jésus a compris. Il est le seul à avoir compris que Marie lui signifie par là qu'il va mourir et que bientôt il sera enseveli. Elle le destine à cette mission-là. Cette onction investit Jésus de la plénitude de sa vocation. Maintenant il le sait. Marie est donc le ministre d'un sacramental porteur de l'Esprit, ce parfum qui envahit la maison, et au-delà de la maison, l'univers entier. Car Jésus a dit ailleurs : « Ce qu'elle a fait là sera proclamé dans l'univers entier partout où on parlera de moi. »

          Jésus et Marie sont maintenant indissolublement liés. Jésus dépendant dans sa mission, dans sa vocation de Messie souffrant, dépendant du geste de Marie. Cet Esprit qui est porté par ce parfum pénètre Jésus et lui donne la force d'aller jusqu'au bout de l'amour. Le geste de Marie apprend à Jésus que son heure est venue de souffrir et de mourir. Et en même temps, Jésus reçoit l'assurance que sa mort sera une naissance pour lui et pour l'humanité entière.

         

Il y a donc là un double mystère : le mystère de sa souffrance et de sa mort. Mais comme cette myrrhe, cette huile entre à l'intérieur du corps de Jésus, cela signifie que l'Esprit Saint va par après pénétrer le cadavre de Jésus et va non seulement le faire revenir à la vie, comme ce fut le cas pour Lazare, mais va le métamorphoser, va lui donner en plénitude sa qualité de Dieu.  

          Donc, la chair de Jésus va devenir divine. Jusqu'à présent elle était le réceptacle de la divinité, mais maintenant elle sera divinisée. Et Jésus sait, et il ne l'oubliera jamais, qu'à l'origine de ce prodige il y aura eu une femme qui ramasse en elle la plénitude d'amour dont son coeur est capable.

          Maintenant, mes frères, le jusqu'au bout de l'amour dont il nous sera parlé le Jeudi Saint, le jusqu'au bout de l'amour, aura d’abord été en Jésus le Verbe de Dieu, un jusqu'au bout de l'humilité, car il aura voulu se recevoir de cette femme.

 

          Mais, par un admirable effet de retour, maintenant Marie se reçoit elle-même de Jésus dans son être d'éternité. Marie est constituée dans ce qu'elle sera pour toujours. Cela signifie qu'elle est métamorphosée, transfigurée. Elle n'est plus de ce monde car elle est entraînée à l'intérieur du geste qu'elle pose.

          Jésus se reçoit d'elle dans son être de Messie souffrant et Marie se reçoit de Jésus dans son être de prophétesse, dans son être de femme qui, elle, a été aussi, et ira aussi jusqu'au bout de l'amour.

          Mes frères, il y a là pour nous un enseignement que nous ne finirons jamais de creuser. Vraiment, Dieu nous fait cadeau de ce que en lui est le plus précieux, c'est à dire son humilité. Il y a un être auquel l'humilité est totalement étrangère, et c'est le démon.

 

          Le démon ne peut pas supporter de recevoir quelque chose d'un autre. Le démon est fermeture totale sur lui-même. Il est totalement fermé. Et c'est la raison pour laquelle la passion dominante chez le démon, c'est la colère parce que tout lui est ennemi, absolument tout, même les démons entre eux.

          Tandis que chez Dieu, Dieu qui est l'humilité, Dieu qui se reçoit à l'intérieur de sa Trinité, Dieu qui une fois devenu homme se reçoit d'une simple femme, Dieu, lui, est totalement amour c'est à dire ouverture, accueil et don. Dieu n'existe que parce qu'il est amour et pour pouvoir rayonner l'amour autour de lui.

          Il est exactement le contraire de ce qu'est le démon. C'est pourquoi, la caractéristique première, la qualité première chez Dieu - nous la voyons vivre chez le Christ - c'est la douceur qui est le contraire de la colère. Mes frères, ne l'oublions pas !

 

          Lorsque Saint Benoît nous dit qu'il n'y a pas d'autre route pour aller à Dieu que l'humilité, il entend par là nous dire que nous devons nous recevoir d'abord de Dieu, c'est à dire obéir à tout ce que Dieu nous demande : l'obéissance étant le cadeau que nous fait de son être. Et puis alors, nous recevoir les uns des autres parce que Dieu se donne à nous, non pas directement, mais toujours par le canal d'une créature.

          Mes frères, vous voyez que ce mystère est, comme je le disais au départ, quelque chose d'indicible. Il faudrait être Dieu lui-même pour pouvoir en parler dignement. Mais il ne l'a même pas fait. Il nous a donné un exemple, il nous a donné un geste. A nous de contempler ce geste et dans toute la mesure du possible le faire nôtre, c'est à dire nous mettre au service les uns des autres.

          Le jour du Samedi Saint, ce sera rappelé. Je pense que j'en dirais peut-être un petit mot au cours de l'homélie. Nous sommes investis d'une mission dès l'instant où nous nous lavons les pieds les uns des autres. Et cette mission, c'est d'être ouverture totale, c'est d'être humilité, c'est d'être accueil et c'est d'être don ; c'est d'être chacun les uns pour les autres une apparition de cette mission merveilleuse, unique, qui fut celle de Marie de Béthanie.

 

Chapitre du Mardi Saint.                          21.03.89

L’irruption de l’univers de Dieu dans le monde des hommes.

 

Mes frères,

 

          L'Evangile dans son entièreté permet d'assister à un événement qui a valeur d'éternité, qui est d'actualité aujourd'hui encore, qui le sera jusqu'à la fin des temps ; un événement qui est le pont central de l'Histoire, qui constitue le coeur de cette Histoire, qui en est l'âme et le moteur. Et cet événement, c'est l'entrée, l'irruption de l'univers de Dieu dans le monde des hommes. Cela ne se fait pas sans douleurs, cela ne se fait pas sans problèmes ni sans conflits. C'est une naissance dans l'angoisse. La création toute entière, nous dit l'Apôtre Paul, gémit dans les douleurs d'un enfantement qui dure encore.

          Or, l'univers de Dieu, c'est Dieu lui-même dans son être qui est amour, qui est humilité, qui est douceur, comme nous l'avons vu hier. Nous avons eu l'occasion de contempler Dieu se manifestant aux hommes en se recevant de deux femmes, Marie de Nazareth et Marie de Béthanie, cette dernière au moment d'entrer dans ce qui allait entraîner sa passion et sa mort.

          Et à cette heure-là, personne n'a compris. C'était trop inouï, trop inédit, c'était trop beau. Toutes les représentations humaines de la divinité avaient été jetées bas. Jamais une telle merveille n'était montée dans le coeur des hommes.

 

          Ce matin, la lecture Evangélique ( Jn 13, 21-33.36-38 ) nous a fait voir la réaction devant cette nouveauté qu'est l'entrée de Dieu dans le monde des hommes. Et cette réaction était double : une réaction dure et une réaction, appelons-là, molle.

          La réaction dure, c'est celle de Judas l'Iscariote. Elle est un refus absolu, un rejet total. Judas est fermé sur lui-même. Il est crispé sur son avoir. Il symbolise le monde dominé par l’égoïsme, par le narcissisme et travaillé par la peur ; le monde qui ne veut rien recevoir de personne, qui prétend trouver en lui-même l'origine et la finalité de ce qu'il est. Le monde est étranger à Dieu, à l'amour, à la lumière.

          Et pourtant il est aimé de Dieu. Il va le retourner, ce monde, il va le transformer, il va le sauver. Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son fils unique, non pour condamner le monde mais pour le sauver.

 

          Mes frères, je pense que nous ne mesurons pas assez la puissance de l'humble amour. Seul l'amour peut transformer l'être, non seulement la personne qui aime, mais surtout la personne qui est aimée.

          Rappelons-nous ce que disait Jean XXIII lorsqu'on lui reprochait de flirter avec les communistes. Il disait : « Oui, le communisme est une erreur qu'il faut condamner. Mais les hommes, les hommes qui sont victimes de cette erreur, ils sont tous respectables et nous devons tous les aimer. »

          Mes frères, nous devons nous aimer les uns les autres parce que l'amour vient de Dieu, l'amour est Dieu. Et seul Dieu peut nous rendre tels qu'il nous voit. Si donc j'aime des frères, insensiblement, imperceptiblement, ces frères vont changer. Ils sont toujours aimables, mais ils le deviendront davantage, ils le deviendront parfaitement. Ils seront parfaitement en accord avec ce que Dieu attend d'eux, si je les aime.

 

          Donc, si nous nous aimons les uns les autres, mes frères, il y a entre nous une puissance que nous ne pouvons absolument pas mesurer, ni imaginer, ni concevoir, qui est la puissance même de Dieu. Donc, n'ayons jamais peur, mes frères, de nous aimer. Cela ne veut pas dire que nous devons nous chérir, nous permettre toutes sortes de privautés, d'avoir des sympathies particulières, d'avoir des amitiés particulières.

          Il ne s'agit pas de ça, ça c'est encore de la chair, c'est encore le monde. Non, il s'agit de cet amour qui est Dieu lui-même, l'Esprit qui habite en nos cœurs et qui veut vraiment nous rendre semblable à ce que Dieu est. Donc, la réaction dure, c'était celle de Judas qui est le rejet du Christ, de Dieu et de son univers.

 

          Et puis il y a la réaction molle qui est celle de Pierre. C'est de l'étourderie, c'est de l'infantilisme, c'est de la présomption. Pierre est rempli de bonne volonté, mais il est à côté de la question. Cela lui arrive souvent ! Il n'est pas du tout opposé à l'univers de Dieu, mais il voudrait bien faire carrière à l'intérieur de cet univers.

          Et vous savez que Pierre était le chef des Apôtres, non seulement en vertu d'une prééminence qui lui était accordée par le Christ, mais aussi parce que il ramassait en sa personne les défauts de tous les Apôtres. Ils se disputaient pour savoir lequel d'entre eux était le premier né dans ce Royaume de Dieu.

          Ils n'avaient pas encore découvert l'humble gratuité de l'amour qui va jusqu'au bout de l'accueil et du don. C'était encore un amour intéressé. C'était pas encore ça de l'amour. Enfin, c'était sur la route, mais voilà, ça devait encore être fameusement purifié. Ils n'avaient pas compris que la chair était velléité et n'avait aucun accès en l'univers de Dieu.

 

          On pourrait dire : « Au fond, c'est gentil, nous nous reconnaissons plus dans Pierre que dans Judas. Et puisque Pierre est devenu le premier, vraiment le premier dans le Royaume de Dieu, lui qui tient dans sa main et dans sa poche les clefs de ce Royaume, il y a tout de même aussi de l'espoir pour nous tels que nous sommes maintenant. »

          Judas, c'est la force satanique du monde et Pierre, c'est la face charnelle, fragile, vulnérable du monde. La face satanique doit être anéantie. Il faut qu'elle disparaisse.  La face charnelle doit être convertie, purifiée, fortifiée, transfigurée. C'est toute la croissance de l'être humain à l'intérieur de cet univers de Dieu.

          Mais pour que le prodige de la transfiguration puisse s'opérer, nous devons nous abandonner à cette main de Dieu qui nous travaille, cette main de Dieu qui est la face un peu dure de son amour, mais qui est tellement douce si nous nous abandonnons à elle.

 

          L'anéantissement de la face satanique et la transfiguration de la face charnelle s'opèrent dans la mort et la résurrection du Fils de Dieu, dans cet amour qui va jusqu'au bout. Il s'agit du jusqu'au bout de Dieu. Nous aurons peut-être l'occasion de le voir dans les jours à venir ? Et la vocation du moine, c'est de permettre à Dieu de réaliser en nous ce prodige. Et ce sera possible grâce à notre humilité.      

          L'humilité, c'est d'accepter la vérité de ce que nous sommes, des êtres pécheurs qui ne peuvent jamais, jamais être absolument certains d'eux. Et puis, sur cette base de reconnaissance lucide et sincère de ce que nous sommes, la remise de nous à cet amour qui est notre Dieu et qui doit prendre possession de notre chair, de notre coeur pour tout nettoyer, pour tout purifier, pour tout transformer.

 

          Et si ça se réalise, mes frères, le Royaume de Dieu, l'Univers de Dieu, Dieu lui-même est encore plus loin à l'intérieur de l'univers des hommes. C'est par petites touches que Dieu travaille. C'est imperceptible. C'est comme un artiste qui peint un tableau. Le profane ne voit pas trop bien ce qui arrive : ce sont des petites taches de couleurs. Mais lorsque l’œuvre est terminée, elle fait l'admiration de tous.

          Je pense que nous devons permettre à Dieu, mes frères, de réussir en chacun de nous personnellement, dans notre communauté et, au-delà de notre petit cercle dans l'Eglise et dans le monde, lui permettre de réussir le chef-d’œuvre dont il rêve.

 

 

Chapitre du Mercredi Saint.                      22.03.89

Judas et nous ?

 

Mes frères,

 

          La destinée de l'Apôtre Judas nous interpelle vivement tous et chacun autant que nous sommes. Au niveau de notre vie monastique personnelle et communautaire se crée un …?… Cela devrait nous donner des ailes sur le chemin du dépouillement et de l'humilité. Cela devrait nous rendre extrêmement circonspect et prudent.

          Qui sommes-nous, mes frères, et qui est Judas ? Les uns et les autres, lui et nous avons été appelés par le Christ. Il nous a choisis parce qu'il nous a aimés. Or, Il a une Parole terrible : « N'est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les douze ? Or, parmi vous il y a un démon. » Cette Parole devrait toujours retentir à l'oreille de notre coeur, mes frères, et nous emplir de crainte. Judas a été choisi et il est devenu un démon ! Comment en est-il arrivé là ?

Ce n'est pas le lieu de spéculé sur son aventure spirituelle. Constatons le fait tout simplement. Rien n'apparut au dehors. Les autres disciples n'ont rien remarqué. Judas a été exemplaire jusqu'à la fin. Il y a donc, mes frères, un jusqu'au bout dans le crime comme il y a un jusqu'au bout dans l'amour. Jésus seul savait. Il a certainement essayé de sauver ce Judas qu'il aimait toujours, mais il a respecté jusqu'au bout la liberté de Judas.

 

          Il a aimé jusque là, mes frères, et la souffrance de Jésus a dû être immense. Nous avons là un exemple éloquent de l'impuissance de Dieu devant le mal. Dieu est impuissant parce que il est lié par l'amour qu'il est.

          La relation Jésus-Judas nous éclaire sur la nature cachée, mystérieuse, secrète de Dieu. Nous devons surtout contempler l'événement, craindre et frémir car la Sagesse de Dieu est folie pour nous.

          Il est trois personnes qui sont à jamais liées à la passion du Christ et au mystère d'amour qu'est notre Dieu. Ces trois personnes sont Judas le traître, Pierre le lâche et le renégat, et Marie de Béthanie la fidèle. Ce n'est guère reluisant pour le sexe masculin, mes frères !

 

          Que va-t-il se passer dans les siècles à venir ? Jusqu'à présent la théologie a été le fait des hommes. Des femmes commencent à accéder au grade de Docteur en Théologie. Parmi ces femmes, il va s'en trouver des spirituelles. Les femmes ne sont pas naturellement des purs cerveaux comme les hommes. Les femmes pensent avec leur coeur.

          Quelle sera alors une théologie élaborée par des femmes ? Comment la femme va-t-elle voir la relation Jésus-Judas ? Comment va-t-elle sentir le geste qu'a posé Marie de Béthanie ? Nous sommes venus au monde trop tôt, mes frères !

          Mais enfin, du lieu où nous serons plus tard, nous verrons et nous comprendrons que la façon masculine d'aborder les choses n'est pas nécessairement entièrement totalement vraie. Il y a aussi un autre angle de vision. L'homme global, l'homme total est à la fois masculin et féminin. Dieu comme dit le texte a créé l'homme et il l'a créé homme et femme, comme dit le texte Biblique.

 

          Eh bien, de ces trois protagonistes du drame qui a cerné Jésus et qui l'a conduit à la mort, où est notre place, mes frères ? Je rappelle que chacun de nous a été aimé, choisi et appelé. Mais une chose est certaine, c'est que nous devons nous tenir sur nos gardes. Nous comprenons, nous devons sentir maintenant que le moine doit être un vigilant.

          Le moine, c'est un homme qui veille. Il prend garde à ce qui se passe autour de lui, non pas pour espionner les autres et pour les juger et les condamner, non, il regarde ce qui se passe dans l'invisible autour de lui.

          Il voit ce qui tourbillonne autour de son coeur. Il veille sur ses regards, sur ses paroles, sur ses gestes, sur ses pensées, sur ses démarches. Il est un neptique. Personne n'est à l'abri de la trahison. Nous portons tous en nous les germes du reniement. Nous sommes tous rougis par une certaine peur et une certaine lâcheté.

 

          Mais chacun d'entre nous est aussi appelé à la sainteté. Le remède, le bouclier et la forteresse, c'est l'humilité. Il n'y en a pas d'autres. Il ne faut pas chercher ailleurs. L'humilité seule est notre sauvegarde. Et l'humilité consistera à savoir qu'on est capable du pire et qu'on est également capable du meilleur.

          Nous glissons dans le pire si nous nous regardons. Et nous avançons vers le meilleur si nous sortons de nous et si nous nous abandonnons à l'amour qu'est notre Dieu. Pierre est devenu fort quand il a compris qu'il était faible. Alors, il ne s'est plus appuyé sur lui mais sur l'amour dont il était aimé.

 

          Mes frères, nous serons du côté de Marie de Béthanie, nous deviendrons comme elle, elle qui a donné sa vie avec le Christ pour lui, si nous acceptons de nous recevoir de Dieu, si nous fermons les yeux sur nous-mêmes pour les ouvrir à la lumière, cette lumière qui divinise dont nous parle Saint Benoît et toute la Tradition monastique. Et cette lumière divinise parce que elle est Dieu lui-même.

          Vous allez me dire : « Mais comment faire pour voir cette lumière, pour la contempler, pour la boire, pour s'en nourrir et ainsi ne plus jamais se regarder soi-même et s'abandonner à l'amour qu'est Dieu ; comment faire ? » C'est un sommet, le sommet de la vie monastique.

          Mais non, mes frères, cela se trouve au début. Dès le premier jour, dès le premier pas, elle est là cette lumière. Et ce sont les yeux de notre coeur, ce sont les yeux de notre foi qui doivent s'ouvrir. Car les yeux de notre coeur, dès le début et jusqu'au bout, c'est la foi.

 

          Je rappelle que le Père Abbé Général nous a dit que la caractéristique, pour lui principale, le trait principal de la Règle de Saint Benoît, c'est cet esprit de foi. Et je pense qu'il a raison.

          Si nous ne nous appuyons pas sur notre propre jugement, sur notre approche personnelle des choses, mais sur le jugement de Dieu qui nous vient par la bouche des supérieurs, à ce moment-là, nous sommes dans la foi, et c'est la lumière qui nous guide. Et les yeux de notre coeur commencent à la voir, à la sentir.

          Il suffit alors de se laisser grandir pour que finalement cette lumière nous éblouisse et que nous ne voyons plus qu'elle, en elle-même mais aussi en toute chose, dans la nature, dans nos frères et jusqu'à l'intérieur de notre propre coeur.

 

Homélie à l’Eucharistie du Jeudi Saint.          23.03.89

La démesure de Dieu.

 

Mes frères,

 

          De nos jours encore, les fils d'Israël, en quelque lieu qu'ils se trouvent, célèbrent avec ferveur et avec foi le 14 Nizan au soir la Pâque tel qu'il leur a été prescrit de la fêter. Ils se rappellent ainsi qu'ils sont aimés d'un amour gratuit, d'un amour fou en dehors duquel ils ne seraient pas.

          Jésus et ses disciples, les premiers apôtres et les communautés chrétiennes ont pratiqué le même rite en y inscrivant une note nouvelle qui allait, non pas en modifier le sens, mais le porter à son accomplissement. Le rite de la Pâque allait signifier la libération totale, définitive, obtenue par le sang de Jésus-Christ et par sa bienheureuse résurrection d'entre les morts.

          Ils avaient compris, et nous comprenons avec eux, que Dieu est amour et que Jésus a aimé, et aimé toujours jusqu'au bout. Ce jusqu'au bout à une saveur d'infini. Il s'agit du jusqu'au bout de Dieu. Et nous voici d'un seul coup projeté dans la démesure de Dieu. Et nous pressentons que, cette démesure, nous devons l'accueillir dans notre coeur.

 

          C'est à prendre peur, mes frères, car qui sommes-nous pour aimer de la démesure de Dieu ? Et pourtant, nous sommes appelés à cette hauteur de sainteté. Et si nous y sommes appelés, c'est que Dieu veut nous en faire cadeau.

          C'est à nous-mêmes que Jésus le Fils de Dieu, Jésus le Verbe de Dieu devenu homme, a lavé les pieds en lavant les pieds de ses disciples. Il posait là un geste d'investiture. Il nous armait pour un combat, le sien, combat qui traverserait notre vie entière. Un combat entre nous-mêmes et les forces de notre égoïsme, combat contre les séductions du monde et de la chair, combat contre les puissances sataniques à l’œuvre partout.

          Ce combat connaîtrait ses heures de souffrances et de détresses. Il aurait souvent les allures d'une passion et, il laisserait un goût de scandale à l'intérieur des échecs et des défaites. Mais ce combat serait le lieu où se déploierait un amour poussé toujours plus loin, un amour tendu vers le jusqu'au bout.

 

          Jésus nous a lavé les pieds pour que nous soyons un avec lui dans ce combat et dans la victoire. Et ce un avec lui, il l'a consacré par le don qu'il nous a fait de son corps et de son sang.

          Mes frères, ce rite, je vais le refaire devant vous, pour vous, afin que vous croyez, que vous ayez confiance en votre destinée, que vous soyez armés pour aimer, et aimer comme le Christ nous a aimés, aimer jusqu'au bout.

 

                                                                                                  Amen.

 

Vendredi Saint.                                    24.03.89

A.Homélie à la célébration : Le paradoxe de notre Dieu !

Mes frères,

 

          Nous venons d'assister à une scène d'horreur. Nous avons été bouleversés par la dignité sans égale du Seigneur Jésus. Nous avons regardé de loin, de très loin. Avons-nous seulement pris conscience que c'est nous-mêmes qui avons torturé, crucifié le fils de Dieu, nous qui l'avons mis à mort ? Ne l'oublions jamais !

          Toute pensée, toute parole, tout geste contre l'amour blesse et pousse dans la mort, non seulement l'homme qui en est victime, mais aussi le Christ présent dans ce frère. Nous comprenons mieux le réalisme du jusqu'au bout de l'amour quand nous voyons Jésus donner sa vie pour ceux qui le condamnent, pour nous qui, par notre légèreté et notre malice, le conduisons à la solitude de la mort.

          Il nous a prévenus : « Tout ce que vous faites aux plus petits d'entre les miens, c'est à moi que vous le faites ! »

 

            Dés le début déjà, le démon s'était jeté sur Jésus-enfant pour l'empêcher de vivre, pour le tuer. Et puis, bien plus tard, il s'était approché de nouveau pour le détourner de sa mission.   O, le tentateur connaît son métier : « Je suis le prince de ce monde. Toute cette beauté, cette richesse, cette séduction sont à moi. J'en fais ce que je veux. Je le donne à qui je veux. Tout cela est pour toi si seulement tu pactise avec moi. »

          Mais ce n'était pas fini. La dernière tentation du Christ, la plus subtile, la plus dangereuse, la plus terrible, ce fut au temps de sa passion. Le démon a tout mis en œuvre en une fois et dans le détail pendant des heures pour arracher à Jésus une seule pensée de non-amour. S'il avait réussi, il remportait la victoire.

          Oui, Jésus échouait dans sa mission et Dieu lui-même cessait d'être Dieu. Il s'anéantissait. Il n'était plus l'amour. Mais Jésus n'a pas succombé. Il a aimé jusqu'au bout, mes frères, et il nous a tous enfermés, engloutis dans cet amour.

 

          Si nous voulons savoir qui est Dieu, contemplons Jésus dans sa passion et sur la croix. Contemplons-le avec les yeux de notre coeur. Nous voyons dans Jésus, Dieu le Créateur du monde, le Maître absolu de l'univers. Nous le voyons dans l'évidence de l'impuissance, de l'échec, du néant. Et pourtant rien n'a pu atteindre, rien n'a pu vaincre l'amour qu'il est.

          Mes frères, c'est cela le paradoxe de notre Dieu. Si nous le réalisons, si nous le comprenons, je pense que nous avons franchi le pas décisif sur la route qui mène à lui. Nous devons entrer toujours avec notre coeur dans l'intimité de notre Dieu qui est - je l'ai déjà dit tant de fois – l’être le plus démuni, le plus pauvre, le plus impuissant qui existe. Sa seule force, sa seule réalité, c'est l'amour, c'est à dire la gratuité, le don total qu'il fait de lui, et son accueil sans réserve.

 

          Mes frères, lorsque nous sommes des fils de Dieu, que nous nous proclamons tels, nous devons être à son exemple toute gratuité, tout accueil, tout amour, et tout désintéressement et tout don. Si nous ne sommes pas cela, nous sommes encore des être charnels. O je sais, il y a tout un chemin à parcourir, de la chair à l'Esprit, d'un fils d'homme à un fils de Dieu.

          Eh bien, ce chemin c'est notre vocation. C'est pour cela que nous sommes chrétiens, c'est pour cela que nous avons été greffés sur la Personne du Christ, c'est pour cela que par notre baptême nous avons été enfouis dans sa mort et cachés dans sa résurrection.

          Nous sommes donc en présence d'une réalité qui nous dépasse à l'infini et qui nous invite. Cette réalité, c'est l'amour de notre Dieu. Encore une fois, regardons-le dans la passion de Notre Seigneur Jésus-Christ sur sa croix et dans son tombeau. Cet amour nous invite à entrer en lui. Il est le lieu de notre vie, maintenant et à jamais. Puisse cette journée et cette célébration faire entrer cette conviction à l'intérieur de notre conscience, l'enfoncer, la vriller en elle pour que jamais elle n'en sorte, et que notre vie, notre existence en soit transfigurée pour le bonheur de nos frères et pour la gloire de notre Dieu.

 

                                                                                                  Amen.

 

B. Exhortation à l’Office de Complies.

 

Mes frères,

 

          Joseph d'Arimathie et Nicodème déposèrent le corps de Jésus dans un tombeau qui se trouvait à proximité dans l'enceinte d'un jardin. C'était fini, le rien l'avait emporté, le beau rêve s'était évanoui et Dieu était mort. Et la vie du monde n'en était nullement dérangée. Le prince qui l'avait en son pouvoir veillait au grain.

          Et aujourd'hui encore, mes frères, quand le juste est mis à mort, qui en a cure ? Le cours des choses continue écrasant tout, broyant tout. Le business, l'argent, le plaisir poussent les hommes en avant vers quoi ?

 

          Il est nécessaire, quand on a la responsabilité de tout un monastère, de parcourir chaque semaines des informations qui ont trait au social, à l'économique, à la finance, à la politique. Il faut être au courant. Aujourd'hui la législation est tellement mouvante qu'on ne peut rien laisser passer.

          Eh bien, lorsque on voit ces choses, on se demande ce que les hommes peuvent penser ? C'est donc cela leur vie ! Ils sont pris dans ce courant, dans ce torrent qui les emporte et ils ne peuvent y résister. C'est plus grand, c'est plus fort qu'eux. Et pourtant, c'est eux qui l'ont mis en place.

          Si nous voulions tenir les yeux ouverts, nous contemplerions un spectacle hallucinant : l'engouffrement des hommes dans le néant qu'ils sont. Leur inconscience, leur aveuglement nous ferait crier de peur et d'horreur. Mais qui nous entendrait ? Qui écouterait ? Le vacarme est trop grand.

 

          Et pourtant, si nous regardons plus attentivement, nous voyons, nous remarquons que cette folie suicidaire est arrêtée, volatilisée, annihilée devant le tombeau et le corps inanimé de Jésus. Certes, l'immense majorité, pour ne pas dire la quasi totalité des gens ne pensent guère au tombeau et au corps inanimé de Jésus. Mais entrons dans les profondeurs et essayons de palper la conscience collective de cette humanité déboussolée.

Il y a là quelque chose de plus profond que la conscience des personnes qui composent le genre humain. Et c'est cette conscience qui est brusquement saisie et qui s'arrête devant ce tombeau. On dirait qu'elle se reconnaît dans ce cadavre. Et elle n'aurait pas tort.

 

          Car Dieu a voulu devenir homme pour synthétiser en lui toute cette humanité, toute cette masse indénombrable d'hommes, de personnes qui au cours des siècles, depuis les origines jusqu'à la fin, vont emplir, peupler notre univers, et voilà, aller tous les uns après les autres vers un tombeau. Et c'est là qu'ils seront recueillis, et c'est là que le Seigneur va les attendre. Et la conscience du genre humain se reconnaît dans ce cadavre.

          Elle sent qu'elle doit s'arrêter, qu'elle ne peut aller plus loin. Elle touche un jusqu'au bout d'amour qui se saisit d'elle. Car la folie meurtrière qui a tué Dieu a été en même temps vaincue par Dieu. C'est le prodige d'un amour qui engloutit son contraire et qui parvient à le retourner. Et le silence du tombeau est un discours sur Dieu le plus éloquent qui soit. Chaque homme un jour, à son jour, en aura les oreilles percées.

 

          Le contemplatif ne serait-il pas un homme dont les oreilles sont déjà percées ? Il est pris par le silence de ce jusqu'au bout d'amour. Il l'écoute et il s'ensevelit en lui. Il n'a pas peur de la mort. La mort est son amie. Il sait que en entrant dans le mort, il entre dans le lieu de sa renaissance.

          Il se revêt d'un linceul parfumé qui a un nom tout ordinaire : l'obéissance. Il se dépouille de sa volonté. Il se dépouille de ce que les hommes considèrent de plus précieux. Il s'en dépouille pour accueillir en lui une autre volonté, un autre vouloir bien plus puissant que le sien. Si bien que la mort qu'il embrasse devient le lieu d'une métamorphose, d'une transfiguration, d'une divinisation.

 

          C'est la raison pour laquelle il n'en a pas peur. Il sait que dans cette mort il touche cet amour qui a été jusqu'au bout. Il découvre en lui-même une double solidarité. Il est partie prenante de la masse des péchés commis par tous ses frères les hommes. Si bien qu’il lui est impossible de juger, de condamner qui que ce soit.

          Bien mieux, tous ces hommes dans lesquels il reconnaît ses frères, il les prend dans son coeur et il les emporte avec lui. Car il se voit en même temps tout entier immergé dans la lumière et dans l'amour, un avec le Christ et brûlé par un feu, ce feu qui est le jusqu'au bout d'amour vers lequel le Christ irrésistiblement l'entraîne.

 

          On découvre que on est un vrai contemplatif quand on vit de façon consciente cette double solidarité. On découvre alors, par exemple, que le mal le plus grave qui soit, c'est la trahison, c'est l'infidélité : l'infidélité totale, celle du démon ; l'infidélité que j'appellerais mineure, qui est celle des hommes, qui est la nôtre.

          A l'intérieur de chaque défaillance, de chaque péché, il y a un germe d'infidélité. Il faut tout de suite l'étouffer, l'empêcher de grandir. Et pour permettre ce remède qui peut rendre inopérant ce germe de péché, il faut s'enfoncer, il faut se perdre, il faut se plonger dans la fidélité de Dieu.

          Et ce n'est possible que si la volonté est unie de plus en plus intimement à celle du Christ qui a été, lui, jusqu'au bout de l'obéissance, jusqu'au bout de la perte de soi.

 

          Mes frères, le gouffre du Samedi Saint est aussi pour chacun de nous un sommet d'espérance. Il est la certitude que tout est gagné dans le jusqu'au bout d'un amour qui est Dieu lui-même, Dieu avec nous et Dieu pour nous à jamais.

          Nous devons retenir de ces jours sacrés que nous vivons une certitude qui est la base de notre foi et qui est le sommet de notre vie : à savoir que nous ne sommes pas seuls. Nous sommes en communion avec tous les hommes nos frères et nous sommes en même temps en communion avec les trois Personnes de la Sainte Trinité.

          Et quand je dis les hommes nos frères, ce ne sont pas seulement ceux qui sont maintenant avec nous sur cette terre, partout dispersés dans ce monde qui est sous le pouvoir de satan, mais aussi les hommes nos frères qui ont traversé le gouffre de la mort et qui sont de l'autre côté avec le Christ; qui ont connu l'anéantissement, le rien du tombeau et qui, par un effet de cet amour inimaginable de Dieu, ont été rendus à une vie autre, non pas un plus mais un autre dont nous ne pouvons avoir aucun idée.

 

          La seule façon de pouvoir approcher cette vie, pour nous, pratiquement, c'est - encore une fois - de nous perdre dans la volonté de notre Dieu, et là, laisser grandir une lumière devant laquelle on ne peut que se taire, une lumière qui devient un lieu de vitalité, un lieu de renaissance, un lieu de résurrection.

          Mes frères, voilà tout ce qui nous est proposé au cours de ces quelques jours. Essayons de porter tout cela demain avec plus d'intensité, nous rappelant que c'est le trésor que le Christ nous a donné lorsqu'il nous a appelés à Lui par le baptême ou par la consécration monastique.   Mais de toute façon, n'oublions jamais que nous aurons à répondre des hommes qui se débattent dans le monde, qui sont emportés dans le tourbillon des affaires, du plaisir, de l'argent, de toutes sortes de choses.

          Pensons aussi à toutes ces guerres, à tous ces rapts, à toutes ces corruptions, et disons-nous que nous devons être devant les trois Personnes Divines le miroir dans lequel Dieu peut se reconnaître. En effet, nous sommes tous à son image, et tous les hommes nos frères sont aussi à son image.

 

          Mes frères, demeurons ainsi fidèles à ce pourquoi nous avons été appelés. Et n'oublions jamais, je le répète, que nous ne sommes pas seuls et que de la réussite ou de l'échec de notre vocation dépend la réussite ou l'échec du plan de notre Dieu.

 

Homélie à la Vigile Pascale.                        25.03.89

 

Mes frères,

 

          C'est dans une grande joie spirituelle que nous célébrons cette nuit de veille. En elle nous retrouvons le lieu de nos origines. Par elle, nous savons qui nous sommes et où nous allons. Le lieu de nos origines, c'est le coeur de notre Dieu, son ....., son sein qui est lumière et amour. Dans ce sein bouillonne une vie dont nous n'avons aucune idée, sauf lorsque nous y participons. Mais alors encore, elle n'est ni conceptualisable, ni énonçable. Nous la connaissons parce qu'elle nous possède.

 

          Mes frères, nous savons alors que nous sommes aimés d'un amour absolument inconcevable, cet amour qui est Dieu lui-même, lui qui nous donne consistance, qui donne à notre Histoire un avenir dont nous pressentons la beauté.

          Mes frères, ne regardons pas ce qui se présente à nos sens, à notre sensibilité jour après jour. Ne nous arrêtons pas à cela, mais allons au-delà. Perçons le voile des apparences et atteignons notre Dieu. Car là, avec lui, se trouve le Christ ressuscité d'entre les morts. Et nous sommes avec lui. Et déjà avec lui notre résurrection est en route.

          Là est notre lieu, mes frères, là est notre origine : le coeur de notre Dieu, là est notre point de retour : encore et toujours le sein de notre Dieu.

 

          Oui, nous sommes enfants de Dieu. Nous savons que notre mort corporelle, que notre anéantissement physique n'est pas le dernier mot de notre histoire. Dieu a voulu devenir homme. Il a voulu peiner, souffrir, mourir pour exorciser nos peurs, pour nous dire que son amour nous fait déjà ressusciter en lui pour une vie nouvelle à jamais affranchie du péché et de la mort.

 

          Cette nuit nous rappelle ainsi que nous passons des ténèbres à la lumière et de la mort à la vie. N'allons pas maintenant encore une fois imaginer en quoi consiste cette vie nouvelle. Elle n'est pas la prolongation de ce que nous connaissons aujourd'hui. Elle n'est pas un plus, elle est autre. C'est la propre vie de notre Dieu.

          Il faut qu'il y ait entre notre vie présente et cette vie nouvelle, qu'il y ait un hiatus, qu'il y ait une rupture. Nous devons passer par une sorte d'abîme pour émerger de l'autre côté. Cet abîme, nous l'appelons la mort.

 

          Mes frères, la longue marche de l'humanité n'est pas un tourbillon absurde et nauséeux comme certains voudraient l'affirmer. Non, elle progresse dans un direction et elle est porteuse d'un sens. En dépit des obstacles rencontrés, en dépit aussi des apparentes régressions, elle est une ascension vers une Personne.

          Tous les âges, toutes les races, toutes les Cultures confluent irrésistiblement vers la Personne du Christ-Jésus ressuscité d'entre les morts et entraînant avec lui l'univers entier dans une apothéose qui sera notre condition nouvelle. A l'intérieur de ce fleuve en marche, nous avons un rôle à jouer, indispensable, irremplaçable.

 

          Le chrétien doit être la conscience qu'a l'humanité d'aller vers Dieu, de grandir en lui. Le chrétien est celui qui sait. Quant au contemplatif, lui, il est l’œil de cette humanité, l’œil qui voit, l’œil qui interroge, l’œil qui admire, l’œil qui rend grâce.

          Mes frères, notre Pâque enfouie dans celle du Christ prend ainsi une dimension cosmique. Nous passons des ténèbres à la lumière, de la servitude à la liberté, et nous entraînons tous les hommes avec nous. A l'intérieur de ce passage, nous connaissons les prémices de notre propre résurrection quand nous apprenons à aimer.

          Car notre Dieu est amour. Et celui qui aime, il est en Dieu et Dieu est en lui, et déjà il ressuscite d'entre les morts. C'est à dire qu'il participe déjà à sa condition nouvelle qui sera totalement amour.

 

          Mes frères, entraînons-nous à aimer purement, chastement, gratuitement, et à aimer jusqu'au bout. Alors nous serons vraiment la conscience, le coeur, l’œil de l'humanité. Nous serons à notre place. Nous nous acquitterons de notre mission.

          Ayons confiance, mes frères, cette nuit très sainte nous rend des forces nouvelles. Elle nous dit que tout est possible puisque Dieu est amour et que le Christ notre frère est ressuscité d'entre les morts.

 

                                                                                                  Amen.

 

Homélie à l’Eucharistie du jour de Pâques.       26.03.89

 

Mes frères,

 

          Les hommes ont toujours été fascinés par l'étrange, l'insolite, le merveilleux. C'est vrai de toutes les époques mais peut-être davantage encore de notre temps. Nos contemporains sont saturés de bien-être matériel, de jouissances, d'excitants ; ou à l'autre extrémité, accablés, écrasés, anéantis sous des problèmes insolubles et sous des misères sans issues. Les uns et les autres sont à l'affût d'une réponse, d'un ...... Ils se donnent des prophètes, des gourous. Ils cherchent à se ressourcer dans l'inédit.

 

          Nous touchons là, mes frères, un des signes le plus révélateur du degré de déchristianisation et de néopaganisme de notre société occidentale, la nôtre, société à la fois et trop riche et trop pauvre. Nous comprenons que le Pape et les Evêques parlent du temps d'une nouvelle évangélisation. Mais comment faire ?

          Croyons-nous encore vraiment en la résurrection du Christ, centre et sommet de l'Histoire, l'Histoire du monde, mais aussi l'Histoire de chacun d'entre nous ? Pouvons-nous dire en toute vérité et en parfaite conscience que le Christ ressuscité est le pivot et le moteur de notre vie ?

 

          Or, mes frères, en dehors de cette résurrection qui est la promesse de la nôtre, la vie se déboussole et le monde perd son équilibre. Un élément doit donner stabilité et solidité à notre existence. Il doit en nourrir les ....., en entretenir la flamme. Et cet élément, c'est la ..... d'un progrès, d'une croissance vers une plénitude qui assume tout, même la souffrance, même les échecs ; une plénitude qui rassasie le coeur aussi bien que l'esprit et les sens.

          La Bonne Nouvelle de la résurrection pour la vie éternelle dans la lumière et l'amour répond ainsi à l'attente instinctive des hommes. Cette attente est comme inscrite dans leurs gènes. Car si l'homme a été créé, c'est afin de participer un jour à la vie même de Dieu. Or cela, il ne le peut qu'à travers une mort biologique et une résurrection dans ce monde nouveau.

 

          Mes frères, pourquoi ne clame-t-on pas partout cette Bonne Nouvelle de la résurrection ? Les premiers chrétiens..... ..... comme un feu qui incendiait les consciences. Ils la répandaient par leur vie transfigurée, pacifiée, donnée. Nietzsche disait : « Je croirais à leur religion » c'est à dire celle des chrétiens « s'ils ont l'air un peu moins tristes. »

          Oui, mes frères, nous possédons la vérité suressentielle. Est-ce qu'elle anime, est-elle la lampe de notre vie ? Est-ce qu'elle entretien en nous un foyer de joie qui rayonne sur notre visage, dans notre regard et dans notre conduite ?

 

          La foi en la résurrection, l'union d'amour avec le Christ-Jésus ressuscité permet de dépasser toutes les formes de mort. La mort est derrière nous, elle appartient au passé, lorsqu'on est un vrai chrétien.

          Les événements de tous les jours sont vus et vécus dans une lumière nouvelle. Ils sont vus du lieu où réside Dieu et, ..... ..... on est arrivé soi-même. On n’est plus dominé par eux. On les assume même lorsqu'ils sont contraires.

          C'est un peu comme une navigation à voile. On peut utiliser les vents contraires pour avancer vers le port que l'on désire atteindre.

 

          O, mes frères, on n'expérimente rien de spectaculaire, mais on sait que le dernier mot a été prononcé, et on sait que l'on possède déjà la vie ..... .…. Nous sommes appelés ainsi à être les témoins de la résurrection  du Christ et de la mort ..... .....

          O, mes frères, s'il en était ainsi, les structures familiales, sociales, économiques et même politiques seraient remodelées par l'intérieur. Imaginons, mes frères, une société qui serait peuplée de véritables chrétiens possédant en eux la foi vivante en la résurrection du Christ et y conformant leur conduite jusque dans le détail.

          On retrouverait ce qui existait à l'origine du christianisme dans cette première communauté chrétienne où tout le monde les regardait en disant : « Mais voyez comme ils s'aiment. » Et à partir de là, l'incendie se propagerait à travers toutes les couches sociales, malgré les obstacles, malgré les persécutions.

          Mes frères, c'est cela la nouvelle évangélisation. Elle est à la portée de chacun, car c'est de vivre en conformité avec la foi chrétienne.

 

          Mes frères, ce sera mon souhait de Pâques : que nous puissions être ainsi par une vie dans la vérité, la charité et la justice, être les témoins du Christ, les témoins de sa résurrection. Et qu'il puisse en être ainsi tous les jours.

          Ce qui signifie qu'il n'y ait pas d'intervalle entre ce que nous sommes et ce que nous faisons, mais que notre foi transparaisse à travers nos œuvres ; et que les hommes en le voyant soient surpris, étonnés, émerveillés, interpellés.

                                                                                                                      Amen.

 

Chapitre : Récollection du mois d’avril.           01.04.89

      Le cantique Alléluia.

 

Mes frères,

 

          Durant tout le mois d'Avril, nous allons reprendre interminablement, inlassablement le Cantique Alléluia. Cette acclamation n'est pas de la terre, elle nous vient du ciel. Nous reconnaissons en elle une racine hébraïque que nous ne pouvons pas conceptualiser, qui ne peut être que l'objet d'une vision, d'une contemplation, d'une audition.

          Elle est une coulée de lumière à l'intérieur de laquelle nous percevons des sonorités qui sont clarté, pureté, transparence. Cette racine, nous pouvons la voir comme un globe de lumière à l'intérieur duquel dansent des grains de cristal. Mais que signifie donc Alléluia ?

 

          Il signifie, je le rappelle, louer le Seigneur, c'est à dire chanter les louanges du Seigneur, Lui qui a hérité du Nom qui est au-dessus de tout nom, le nom imprononçable, le nom indicible, celui qui monte et qui déborde des abîmes de la Sainte Trinité.

          Mais il ne suffit pas de louer de bouche le Seigneur, nous devons chanter sa louange par notre être tout entier qui doit être saisi par elle. Cette louange, nous le savons, est notre activité principale dans le monastère. Elle devrait même être l'activité principale de tout chrétien. Elle doit un jour devenir notre activité unique comme il en sera dans l'univers de la résurrection.

          C'est de là que nous vient cette louange. Elle nous est confiée afin que nous la fassions fructifier et qu'un jour elle devienne l'expression de ce que nous sommes.

 

          La toute première louange que nous devons adresser au Seigneur, le point de départ à partir duquel toutes les autres louanges vont germer, foisonner, se multiplier, s'amplifier, c'est de nous accepter tels que nous sommes, tels que Dieu nous a voulus, tels que Dieu nous aime.         

Louer le Seigneur, c'est d'abord nous aimer nous-mêmes à l'intérieur de nos frontières, de nos capacités, de nos défauts ; c'est de ne pas regarder vers le voisin pour comparer, pour regretter, pour envier.

          Mieux encore, nous devons aimer nos frères tels qu'ils sont, nous réjouir de les trouver différents de nous car nous sommes tous membres d'un seul Corps, et leur richesse est la nôtre comme la nôtre est la leur. Accepter son moi préfabriqué, c'est donc faire confiance au Seigneur, c'est l'aimer, c'est s'ouvrir à son amour. En un mot : c'est lui rendre grâce et le louer.

 

          Il n'est pas facile, mes frères, de s'accepter tel qu'on est et encore moins de s'aimer tel qu'on est. C'est en vérité le premier degré de l'humilité. Et c'est à partir de lui que Dieu va pouvoir travailler. Car il n'en restera pas à cette première ébauche de ce que nous sommes. Il va la façonner et la conduire à sa perfection.

          Si nous partons de cette ligne, nous verrons bientôt la louange jaillir de tous les horizons de notre vie. Nous louons le Seigneur parce que nous nous recevons de lui, parce que nous nous laissons façonner par lui. Et en terme monastique, cela prend le nom de obéissance, une obéissance attentive, amoureuse suivie d'une réponse de tout notre être.

          La pureté de notre louange sera toujours en fonction de la qualité de notre écoute d'abord et de notre réponse, c'est à dire de notre obéissance, de notre remise de nous à ce Seigneur et de notre collaboration avec lui. Car nous sommes toujours libres et s'il nous façonne, c'est en faisant appel chaque fois à notre collaboration. Nous devons devenir d'une souplesse et d'une tendreté qui lui permettent de tout imprimer en nous.

 

          Dieu va donc poursuivre en nous son travail. Et Dieu est un artiste, il improvise. Il ne sait pas lui-même où il va. Il le découvre jour après jour. Et pour Lui, c'est une joie de pouvoir contempler la naissance de son œuvre, mais une œuvre qui lui répond, une œuvre qui le remercie, une œuvre qui chante sa louange à lui. Car il entend faire de chacun d'entre nous la réplique, une réplique de ce qu'il est lui-même, déposer en nous son Esprit, son Amour et sa Lumière.

          Notre louange ne fera donc que croître à mesure que l'image de Dieu s'imprimera en nous, et elle finira par toucher des sommets qui se rapprochent de l'infini. Notre petit moi reçu de lui au départ va devenir un grain de lumière.

          Vous savez qu'aujourd'hui on scrute, qu'on parvient même à photographier l'infiniment petit. Un saint, c'est un infiniment petit à l'intérieur du sein de la Trinité, mais un infiniment petit d'une complexité et d'une beauté qui fait le ravissement de son Créateur et le ravissement des autres grains de lumière.

 

          La cime de la louange, alors, sera atteinte chez nous à l'intérieur d'un silence d'étonnement, d'admiration, de reconnaissance, de joie, d'adoration. On est devenu pure louange. Il ne restera plus qu'une dernière étape, une chiquenaude finale qui va nous lancer dans l'univers de la résurrection.

          Et cette chiquenaude, c'est la mort biologique, c'est le dépouillement absolu. C'est la fin de tout avoir et de tout être. Il ne reste rien apparemment ! Mais c'est alors que le Seigneur va mettre la dernière main à son chef-d’œuvre. N'oublions pas qu'il est un artiste dont nous ne pouvons sonder la vigueur et la puissance d'inspiration.           C'est un artiste qui est amour et à ce moment-là, il nous ressuscitera en lui dans une apothéose de lumière.

Alors, mes frères, nous serons devenus ce que le Seigneur avait visé depuis le départ, nous serons devenus un Alleluia à l'intérieur de ce qu'il est. Lorsque nous contemplons le mouvement, la vie à l'intérieur de la Sainte Trinité, nous remarquons que chacune des Personnes est pure louange des deux autres. Elle se reçoit des deux autres et elle se restitue à elles dans un mouvement incessant.

 

          Mes frères, les Alléluias que nous allons répéter sans fin durant tout le mois d'avril vont nous rappeler cette prodigieuse destinée qui est la nôtre. Nous nous ouvrirons à elle, c'est à dire au Seigneur qui est amour et qui entend aller pour chacun de nous jusqu'au bout de son amour.

 

Chapitre : Constitution 21 & 22.                  16.04.89                       

      La Lectio Divina * La vigilance du cœur.

 

Mes frères,

 

L'évolution de l'institution monastique et l'expérience de l'Eglise ont fait que les sages conseils de notre Père Saint Benoît ont été coulés sous forme plus stricte dans des Constitutions.

C'est la raison pour laquelle, comme nous l'a demandé l'Abbé Général, nous devons avec beaucoup de respect et d'attention étudier ces Constitutions qui seront sans doute bientôt approuvées par le Saint Siège.

Le Chapitre Général de 87, vous le savez, introduit une série de légères notations qui expriment, qui précisent davantage la portée des Constitutions et qui donnent des conseils spirituels discrets et bienvenus.

 

C'est encore le cas à propos de la Constitution 21 qui traite de la Lectio Divina. On a ajouté ceci : Les frères pratiquent chaque jour une telle Lectio pendant un temps convenable.

La Lectio n'est pas un exercice auquel on se livre de temps à autre quand on en a le goût. Non, elle est un devoir de chaque jour au même titre que l'Office Divin et le travail. Et nous devons nous en acquitter avec sérieux et non pas à la sauvette comme s'il s'agissait d'une formalité à laquelle on ne peut échapper.

Et chacun doit trouver pour soi la matière et la formule appropriée, le temps et les lieux les meilleurs. Sans Lectio, on glisserait vite dans la religiosité sentimentale. Il importe, mes frères, que notre vie spirituelle soit solidement structurée. Nous devons avoir une tête bien faite et un coeur parfaitement équilibré.

 

Alors, nous serons vraiment bien dans notre peau. Nous serons des hommes complets, non seulement au plan de la spiritualité, de la vie divine, mais aussi de la vie humaine dans les rapports fraternels, devant les événements, les imprévus qui peuvent surgir comme s'ils voulaient barrer notre vie et l'empêcher de s'épanouir.

Si nous sommes bien armés grâce à la formation que nous avons reçue et que nous avons entretenue par la Lectio, nous pouvons toujours découvrir dans tout ce qui nous arrive le doigt de notre Dieu, son amour prévenant. Et chaque occasion d'imprévu sera l'occasion d'une avancée plus rapide et plus profonde dans le mystère.

Il ne s'agit pas ici d'intellectualisme mais de la véritable gnose, c'est à dire de cette connaissance de Dieu et de son Fils Jésus-Christ dans lequel consiste la vie éternelle, une connaissance qui n'est pas spéculative mais qui est expérimentale. On participe à la propre vie de Dieu. On devient dieu soi-même. Et c'est ainsi qu'on goûte le propre bonheur de Dieu, la vie éternelle. Une Lectio bien conduite est donc capitale dans notre vie.

 

Le Statut nouveau qui a été ajouté dit que La Tradition tient en haute estime la Lectio Divina faite dans un lieu commun. Cette pratique est à recommander spécialement pendant le carême.

Le Statut rappelle donc la Tradition du Scriptorium. Mais attention, il n'annule pas la Constitution 13, n° 1 dans son Statut B qui nous dit que Les cellules doivent être telles qu'elles favorisent la Lectio, la prière des frères. Donc, on a toujours le choix entre la cellule et le Scriptorium. Cela est laissé à la coutume locale. Il faut cependant louer les fidèles du Scriptorium.

C'est peut-être plus facile de faire sa Lectio dans un Scriptorium lorsque la communauté compte un nombre élevé de frères, car alors chaque moine est moins chargé d'emplois et d'occupations. Les intervalles peuvent être mieux respectées. Dans les petites communautés, c'est certainement plus difficile, car chacun est surchargé même s'il n'est pas écrasé.

 

Mais retenons ceci, mes frères, l'essentiel, ce n'est pas le Scriptorium ou la cellule, c'est la Lectio Divina comme telle que nous devons faire avec fidélité, une Lectio sérieuse, pas des bêtises.

Non, une Lectio demande un effort, de la persévérance, une continuité. Il ne s'agit pas de butiner toutes sortes de petits articles. Non, il faut se tracer une ligne, et à l'intérieur de cette ligne, toujours aller plus loin.

 

La Constitution 22 nous parle de l'attention du coeur. Et on a ajouté ceci. Mais je rappelle d'abord la teneur de la Constitution : En esprit de componction et dans la ferveur d’un désir intense, les moines s'adonnent fréquemment à l'oraison. Demeurant sur terre, ils vivent en esprit dans les cieux, désirant la vie éternelle de toute leur ardeur spirituelle.

Vous reconnaissez ici une allusion à la Règle de Saint Benoît. Nous sommes sur terre, nous sommes une partie de terre, nous sommes un fragment du cosmos, mais nous vivons en esprit dans les cieux. C'est à dire que notre coeur, notre noûs comme disaient les Anciens, se trouve là dans les cieux, c'est à dire à l'intérieur de Dieu, dans son sein, là où nous recevons la vie impérissable.

Maintenant, on a ajouté ceci : La bienheureuse Vierge Marie élevée au ciel, vie, douceur et espérance de tous les pèlerins sur la terre, n'est jamais loin de leur coeur.

         

C'est la Vierge Marie qui nous enfante à la vie di vine, qui est de la tête du corps, qui est la mère de la tête, le Christ. Elle est aussi la mère de tous ses membres. Le terme de notre existence est d'être avec elle en Dieu, comme je vous le rappelait il y a un instant. Et il n'est pas possible d'être en Dieu si on n'est pas en Marie. Nous ne devons pas le perdre de vue.

Cela ne veut pas dire que nous devons sombrer dans la mariolâtrie, faire de Marie une sorte d'idole dont on ne peut plus se priver. Le culte marial mal compris, mal vécu peut devenir une sorte de drogue. Ce n'est pas cela la véritable vie spirituelle. C'est une sorte de refuge sentimental, peureux, je ne sais pas quoi ?

Non, la dévotion à la Vierge Marie doit être virile. Nous sommes des adultes mais, en même temps, nous sommes toujours des enfants, les enfants de Dieu et enfants de Marie par le Christ. Voilà, mes frères, puissions-nous toujours ainsi être fidèles à notre idéal et à notre vocation contemplative qui est si belle.

 

Chapitre : La Constitution 24.                     23.04.89

      La garde du silence.

 

Mes frères,

 

Avec l'attention du coeur, dont nous a parlé la Constitution 22, vient tout naturellement la garde du silence dont nous parle la Constitution 24. Le Chapitre Général a voulu ajouter quelques précisions à cette Constitution. Il nous dit que le silence est une des principales valeurs de la vie monastique. Il en est ainsi depuis les origines, nous l'avons encore vu à propos de Abba Pambo. Le silence est un réflexe normal chez un contemplatif saisi de la beauté de Dieu.

 

Le silence est donc intimement lié à la vision. On est muet d'admiration devant ce que l'oeil du coeur découvre des mystères insondables de cette Personne qui est le Christ, et de cette Trinité de Personnes qu'est notre Dieu. Il ne s'agit pas ici d'une activité intellectuelle. C'est l'être entier qui est saisi, même sa chair aussi longtemps qu'il est dans notre condition mortelle.

Si bien que le silence va de soi. Il n'y a plus dans le moine aucune envie de se disperser en de vains bavardages, ni de se faire remarquer par des paroles soi-disant spirituel­les, ou savantes, ou intéressantes.

Par contre, là où il n'y a pas de silence, il n'y a pas d'intimité avec Dieu, et il n'y a pas de vie contemplative. Il n'y a donc rien ! Le défaut de silence trahit le vide d'une âme et l'absence de toute réalité monastique valable. Prenons bien garde, mes frères ! C'est notre capacité de silence qui montre à tout le monde ce que nous valons aux regards de Dieu.

 

 La Constitution ajoute encore, dans la précision apportée par le Chapitre Général : Le silence assure la solitude du moine dans la communauté.

 

Le silence est donc le garant d'une vie cénobitique honnête. Il est le premier devoir du moine. C'est ce qui lui permet de nouer une relation stable avec Dieu et le Christ. Le silence favorise l'éclosion et le maintien d'une telle relation.

Il est donc tout naturellement lié, comme le dit la Constitution, à la vigilance du coeur et à la prière solitaire devant Dieu. C'est à l'intérieur du silence que le moine mérite son nom de solitaire, son nom de moine.

Si bien que le silence fait indissolublement partie de l'être monastique. Et en son absence, il n'est pas question de vie monastique. Cela pourrait être une vie religieuse, mais qui ne serait pas monastique. Nous devons toujours saisir la différence.

 

Aujourd'hui, il s'introduit assez bien de confusion dans les esprits. Si bien que les Abbés Français, Bénédictins ou Cisterciens, ont demandé une intervention en haut lieu pour que, en France du moins, le terme moine soit réservé à ceux qui le sont vraiment, c'est à dire au bénédictins, aux cisterciens, aux chartreux et à leur branche féminine respective naturellement. Les autres ne peuvent pas l'utiliser pour ne pas jeter la confusion dans les esprits, et même dans le coeur des moines.

Car si on utilise le nom de moine pour n'importe quel groupement charismatique où on se répand en paroles inspirées, au cours de la prière ou en privé, mais fatalement ça va se répandre et ça va déteindre sur les jeunes qui entrent

dans les monastères, et puis à partir des jeunes sur les anciens. Il y a donc une barrière. Le silence définit le moine et la vie monastique.

 

La Constitution ajoute encore que le silence favorise la communion fraternelle.

          En effet, il respecte l'intimité des personnes. Le silence est une fleur de la charité et il est le ciment d'une vie monastique authentique. Le bavardage n'est jamais innocent, je l'ai déjà dit tant de fois. Il mine, sape et détruit la vie fraternelle, la charité fraternelle. C'est fatal ! C'est une pente fatale, mes frères !

 

Il y a enfin un Statut qui a été aussi précisé, et il dit : Les normes fixant l'usage de la parole, temps et lieu, sont déterminées par chaque communauté compte tenu de la Tradition de l'Ordre.

Le silence n'est pas le mutisme. Ce n'est pas une maladie, ce n'est pas une inhibition. Le silence est une attitude de liberté intérieure. On doit donc à certains moments devoir et pouvoir parler sans complexes, Iibrement, et sans tomber dans le bavardage. C'est cela la Tradition de l'Ordre.

Il y a donc des moments où on va vraiment alors garder un silence complet, sauf si un accident se produit, si une nécessité urgente demande qu'on fasse usage de la parole. Ce sera pendant toute la durée de la nuit à partir de l'Office de Complies jusqu'au moment de Laudes. C'est une Tradition de l'Ordre depuis toujours, déjà à l'époque de Saint Benoît.

 

Et il y a aussi des lieux, mes frères ! Il faut toujours rappeler que l'église, les cloîtres et le réfectoire ne sont pas des endroits où l'on parle. Il y a des parloirs qui sont prévus pour cela.

 

C'est parfois vraiment drôle que, devant un parloir, en plein cloître, on voit des frères qui parlent. Mais pourquoi ? Qu'ils reculent d'un mètre et ils seront dans un parloir. Ce qu'il ne faut pas faire non plus, c'est accrocher les autres à tout prix et parler dans les cloîtres en marchant, parce que il faut encore ça, et encore ça à dire. Mais non, pourquoi ?

Et alors une chose, mes frères, évitons de se parler ou d'accrocher un frère après l'avant coup de l'Office. Parfois voilà, on met la coule et il y a quelqu'un qui a encore ça à dire. Non, c'est fini ! Dans trois minutes on commence l'Office. On doit se préparer. On doit se mettre, déjà un peu se dégager pour être vraiment à Dieu et lui parler à lui seul pendant l'Office.

Eh bien qu'on attende la fin de l'Office pour parler. Cela ne dure tout de même pas des heures. Surtout que cela arrive, ça, parfois au moment des petites heures. Dix minutes après on est libre et alors on peut parler.

 

Voilà, mes frères, nous devons ainsi nous aider mutuellement à pratiquer le silence. C'est un service fraternel qui est important et qui nous aide à mieux appartenir totalement à Dieu et à faire grandir entre nous le respect et un esprit de prière et de véritable et chaude

charité fraternelle.

 

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         24.04.89

      1. La formation.

 

Mes frères,

 

Avant de vous parler des remarques que la Congrégation pour les Religieux a cru faire au sujet de nos Constitutions, il me semble qu'il serait utile que je vous présente quelques extraits d'une allocution que le Cardinal Hamer a tenu à l'Assemblée Générale de la Conférence des Supérieurs Majeurs de France.

Il nous dit des choses très intéressantes. Je vais présenter quelques petits passages puis je remettrai le Bulletin à notre bibliothécaire pour qu'il le met te à votre disposition. Et vous pourrez alors, si vous le désirez, prendre connaissance de cette allocution dans son entièreté.

 

Le Cardinal Hamer parle d'abord des candidats à la vie religieuse. Il dit : Notre attention se porte en premier lieu sur les jeunes qui se présentent comme candidats pour nos Instituts.

Les jeunes, ce sont donc les garçons et les filles de 20 à 30 ans. On est jeune à cet âge-là. On n'imagine plus qu'on entre au monastère à l'âge de 12, 13 ou 14 ans.

 

Le monde des jeunes est en constante mutation. De plus, il n'existe pas de modèle universel du jeune d'aujourd'hui. C'est pourquoi les formateurs (donc les Maîtres de novices, les professeurs et en premier lieu les Supérieurs) seront attentifs au fait que les nouvelles générations ne sont plus celles du Concile, ni même celles d'il y a 10 ans.

Celles du Concile ? Ils auraient aujourd'hui au environ de 45 ans, ces jeunes-là ! Et ceux d'il y a dix ans, mais voilà, ils sont dans la trentaine aujourd'hui. Et bien, de nos jours ils sont encore très différents. Les générations se succèdent maintenant je pense à la distance d'une demi­ douzaine d'années. Après 5, 6 ans d'intervalle, ils ne se reconnaissent plus.

Il faut dire, entre parenthèses, que c'était déjà comme ça de notre temps. Je me souviens très bien lorsque j'avais 20 ans, il y avait à côté de nous un voisin qui en avait 27, 28. Pour moi, il me paraissait un ancêtre, un vieux. Il n' y avait rien à faire avec lui, on ne se comprenait pas. C'est un phénomène de toujours, mais aujourd'hui il est beaucoup plus tranché.

 

De plus, observer les mutations ne suffit pas. Il faut aussi en rechercher la cause. Cela déjà exige une faculté affinée de discernement chez les éducateurs. Sans entrer dans plus de détails sur la situation de ces jeunes, je m'en tiendrai à énoncer deux exigences de formation. En premier lieu, celle d'une Charte de formation, Ratio Institutionis, et d'un programme d'études, Ratio Studiorum, propre à chaque Institut.

C'est un des gros problèmes des Conférences Régionales et du dernier Chapitre" Général. Cela a encore été discuté à la Commission Centrale. On a nommé une nouvelle Commission pour étudier, pour mettre au point cette Ratio Institutionis qui doit regarder tout l'Ordre. Mais attention, aussi bien les Asiatiques, que les Sud-américains, que les Africains ou les Européens. C'est ça qu'est difficile, mais c'est obligatoire !

 

A une période d'inévitable flottement et d'indécision doit succéder une étape de précision et d'affirmation claire de notre projet de vie dans un Institut, de son identité et des moyens à mettre en oeuvre pour la garantir.

Donc, il y a eu une période de flottement et d'indécision. On ne savait pas trop bien qui on était. Je ne parle pas pour nous, je parle en général. Mais maintenant c'est fini, il faut de la précision et une affirmation claire dans cette Ratio Institutionis.

 

Ce sera donc, pour les Instituts, une manière d'être fidèles au temps présent que d'établir cette Ratio. Ce sera en même temps une ouverture vers l'avenir, car les temps de crise justifient d'autant plus que l'on s'occupe de la formation.

Donc, d'abord ça : en premier lieu une charte de formation et un programme d'études. Ce programme d'études s'étend très loin. Ce n'est pas seulement le Noviciat, c'est jusqu'à la Profession Solennelle. Donc, dans un monastère où il y a, disons, un peu de personnel, un peu de jeunes, il y a ce qu'on appelle le Monasticat avec un Maître de Monasticat comme il y a un Maître des novices.

Et les jeunes profès donc, les jeunes profès reçoivent des cours, des cours différents de ceux des novices, toujours, toujours aller plus loin. Alors pas question d'entreprendre des études à l'extérieur aussi longtemps que le monasticat n'est pas terminé.

 

Alors une seconde exigence : La seconde exigence, une ouverture vers l'avenir, porte sur les critères d'admission au Noviciat. Il semble que nous trouvons réunis dans le Canon 852 paragraphe 2 les éléments d'une sorte de Ratio pour le temps du Noviciat.

         

Donc, voici le texte du Canon :

 

Les novices seront amenés à cultiver des valeurs, des vertus humaines et chrétiennes. Par la prière et le renoncement à eux-mêmes, ils seront introduits dans une voie de plus grande perfection. Ils seront formés à contempler les mystères du Salut, à lire et à méditer la Sainte Ecriture. Ils seront préparés à célébrer le Culte de Dieu dans la Sainte Liturgie. Ils apprendront la manière de mener une vie consacrée à Dieu et aux hommes dans le Christ par les Conseils Evangéliques. Ils seront instruits du caractère et de l’esprit de l’Institut, de son but et de sa discipline, de son Histoire et de sa vie. Ils seront pénétrés d’amour pour l’Eglise et ses Pasteurs sacrés.

 

          Encore un petit mot et puis nous irons pour l'Office. C'est un mot très important :

 

De cette description se dégage le principe fondamental qui fournit en quelque manière la clef d'un discernement pour admettre un candidat au Noviciat ou au temps de probation avant le Noviciat proprement dit.

Donc, un critère de discernement pour admettre au Noviciat. Et lorsque le Cardinal Hamer le dit, n'oublions pas qu'il est le Préfet de la Congrégation des Religieux. Il parle en tant que Préfet. Donc c'est une exigence posée par l'Eglise d'aujourd'hui. Et la voici, on pourrait l'énoncer ainsi : Le Noviciat n'est pas un catéchuménat !

 

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         30.04.89

      2. L’initiation.

 

Mes frères,

 

Ceci est vraiment le testament spirituel de notre Père Saint Benoît, R. 72. Il a vécu ainsi dans le monastère et il a pu entrer dans la vie éternelle avant même de faire l'expérience de la mort corporelle.

Et c'est à cette vie extraordinaire que doivent être initiés les moines. C'est la raison pour laquelle le Saint Siège demande que chaque Ordre ou Institut établisse une Charte de Formation : comment faire pour conduire des hommes de chair jusqu'à cette vie angélique, plus qu'angélique, une vie divine.

 

          C'est pourquoi il ne faut pas ouvrir trop vite les portes du Noviciat à ceux qui se présentent.

Et c'est cela déjà que nous demandait Saint Benoît. Pourquoi ? Parce que comme le dit le Cardinal Hamer, le Noviciat n'est pas un catéchuménat. Pour y être admis, il faut avoir achevé son initiation chrétienne, doctrinale, sacramentelle et éthique.

Donc, on ne peut admettre au Noviciat que des chrétiens, pas simplement des baptisés. Je ne dirais pas qu'il faut être un saint, mais il faut avoir achevé, donc avoir été jusqu'au bout de son initiation à l'être de chrétien, initiation doctrinale, sacramentelle et éthique.

 

Certes, on ne peut demander à un candidat de réaliser immédiatement toutes les obligations des religieux, mais son comportement quotidien, son niveau de vie chrétienne et de culture religieuse doivent être tels qu'on puisse le juger capable d'assumer progressivement ces obligations.

Indiscutablement, si on tient compte de ce principe, vu la situation actuelle, l'étape préparatoire à l'entrée au Noviciat, quelque soit la forme qu'elle prenne selon le Droit propre, risque de devoir se prolonger bien au-delà du minimum de 6 mois requis.

Et le postulat de six mois, maintenant cela va donc s'étendre bien au-delà de ces six mois !

 

Si on ne le fait pas, le Noviciat risque fort de se dégrader en catéchuménat et la Profession ou incorporation dans l'Institut s'expose à être compromise et à préparer des lendemains difficiles pour la personne et pour la communauté.

 

Il y a à la base de ceci, mes frères, un fait dont nous devons tenir compte, qui s'impose. Voyez que le Cardinal et l'Eglise sont au courant. C'est que les jeunes d'aujourd'hui n'ont absolument aucune initiation à la vie chrétienne, aucune. C'est le néant, le vide.

Ils peuvent être les garçons les plus honnêtes, ils ont une vie de piété, ils peuvent aller à la messe tous les jours et communier tous les jours, mais ils ne savent pas ce qu'ils font. Au plan de la doctrine, c'est le néant. Ils connaissent le Christ, il y a la messe et c'est tout !

Alors on comprend qu'avant de les admettre au Noviciat, ils doivent avoir achevé leur initiation chrétienne. Ils doivent savoir ce qu'ils SONT. Comment voulez-vous qu'un non chrétien puisse entrer dans la vie monastique ? Ce n'est pas possible. Or, c'est le cas de la quasi totalité des jeunes aujourd'hui.

 

A l'âge de 7, 8 ans, j'en connaissais infiniment plus qu'un universitaire chrétien catholique d'aujourd'hui. Mais ils ne sont pas coupables. Pourquoi ? Parce que on ne leur en a jamais parlé. Ils sont tout à fait innocents. Ils n'ont reçu aucune initiation, ni dans le catéchisme, ni dans les cours de religion dans les écoles. Rien !

De quoi leur parle-t-on ? De tout, sauf de religion, et ça, à l'intérieur d'un cours de religion ! Ils ne savent pas qu'il y a un Saint ­Esprit, ils ne savent pas qu'il y a une Trinité. La Résurrection, ils ne savent pas du tout ce que c'est, ils en ont entendu parler un peu !

Ils récitent le Credo...et s'ils le récitaient en Turc ou en Chinois, ce serait la même chose. Ils récitent des mots et ils ne comprennent pas ce qu'ils disent. C'est terrible, mes frères, et voyez un peu comme le Cardinal est sévère ici, mais c'est parce que, voilà, il se trouve devant une situation qui est désarmante.

La Règle de Saint Benoît, pour éprouver que le candidat est résolu à entrer dans la vie religieuse et à persévérer, illustre joliment ce principe au Chapitre LVIII dont je cite le début :

Celui qui est nouveau venu dans la vie religieuse, on ne lui accordera pas une entrée facile. Mais comme dit l'Apôtre : Eprouvez les esprits pour voir s'ils sont de Dieu. Donc, si celui qui vient continue à frapper, et si après 4, 5 jours il parait supporter patiemment les injures qu'on lui inflige....

 

Les injures, ce n'est pas qu'il faut l'insulter, c'est donc des situations difficiles dans lesquelles on le met et qui lui semblent être contraires aux choses dont il a droit.

 

          ....et la difficulté de l’entrée, et s’il persiste dans sa demande, l’entrée lui sera accordée et il demeurera dans le logement des hôtes pendant quelques jours.

 

Et maintenant, voilà la conclusion du Cardinal:

 

Aujourd'hui, ce n'est certainement plus en terme de jours qu'il faudrait parler mais probablement en terme d'années.

         

Ce sont des années qu'il faudrait les faire patienter, C'est certain ! Et où trouver le catéchuménat maintenant puisque personne dans le monde ne le leur donne, ni peut-être est encore capable de leur donner ? Où alors ? Eh bien, peut-être fréquenter un monastère pendant des années et, avec patience, les initier à la doctrine et à la vie chrétienne. Et puis, lorsqu'on les juge capables, leur ouvrir les portes du Noviciat.

Et voilà le problème tel qu'il se pose dans la réalité. Naturellement tous les jeunes gens ne sont pas ainsi, mais peut-être certainement, certainement les 90% aujourd'hui. Alors, voyez le problème ! Et lorsque le Cardinal dit cela devant l'Assemblée des Supérieurs Majeurs de France, il pourrait le dire devant l'Assemblée des Supérieurs de Belgique ou de n'importe quel pays.

 

Et si les exigences de Saint Benoît avaient un motif différent du nôtre, elles peuvent nous éclairer sur la conduite à tenir dans les circonstances actuelles. Pendant tout un temps les jeunes étaient entichés de Bouddhisme...

 

Mais cela, c'est passé, c'est fini ! N'étant pas initiés à leur vie chrétienne, eh bien ils se tournaient vers Bouddha. Et aujourd'hui, qu'est-ce qu'on voit ? Eh bien, il y en a assez bien qui sont séduits par l'Islam. Ils voient que les hommes de l'Islam qui viennent vivre parmi nous, mais ce sont des pratiquants sérieux à l'intérieur de leur religion. Cela les interroge ?

Et comme là-bas il n' y a pas de théologie, qu'il n'y a pas de sacerdoce, qu'il y a une morale beaucoup plus large, eh bien, ils se sentent attirés. Cela ne veut pas dire qu'ils deviennent musulmans, mais voilà, ils sentent une sympathie.

Mes frères, je pense que nous pouvons porter ce souci dans notre coeur. Mais comment ? Non pas en courant le monde pour essayer de secouer les gens d'Eglise, mais en étant vrais à l'intérieur de notre vie, en répondant à la vocation que Dieu nous a donnée, en essayant d'être des témoins par notre vie de qui est Dieu, de qui est le Christ et de qui est la Trinité.

Et ainsi dans l'invisible Dieu pourra agir et au temps opportun susciter le ou les prophètes qui rendront et aux parents - mais laissons les pauvres parents de côté - mais qui rendront aux responsables de l'Eglise l'inspiration qui leur permettra de donner aux jeunes la nourriture et l'initiation auxquelles ils ont droit.

 

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         01.05.89

      3. La communauté.

 

Mes frères,

 

Ce que nous dit Saint Benoît ce soir est encourageant. Ne nous trompons pas lorsque nous allons chercher des normes de vie auprès de nos lointains parents, de ceux qui ont été les initiateurs de la vie monastique.

A côté d'eux, nous serons toujours des débutants, mais des débutants qui sont des enfants, des enfants de Dieu qui désirent voir des yeux de leur coeur la beauté de leur Père.

Quand nous aurons terminé avec le Cardinal Hamer et nos Constitutions, nous reviendrons avec joie à ces géants qui nous invitent à devenir comme eux. Car ce qu'ils ont fait, ce qu'ils nous ont légué, c'est notre héritage.

 

Le Cardinal Hamer nous parle maintenant de la communauté. Il cite d'abord le Canon 602 qui dit ceci :

 

          La vie fraternelle propre à chaque Institut qui lie tous les membres dans le Christ comme dans une même famille particulière doit être réglée de façon à devenir pour tous une aide réciproque pour que chacun réalise sa propre vocation.

 

La vie commune est donc d'abord une vie fraternelle. Nous sommes des frères. Nous ne sommes pas des étrangers. Nous partageons la même vie. C'est le même sang spirituel qui circule dans nos veines et qui fait battre notre coeur. Et ces frères doivent s'aider pour que chacun réalise sa propre vocation. On est appelé à partager la même vie divine.

Mais à l'intérieur de ces deux vies, nous conservons notre identité personnelle et nous avons une mission à remplir. C'est notre vocation. Nous devons nous épanouir à partir de ce que nous sommes.

         

Qu'ainsi par la communion fraternelle, enracinée et fondée dans l'amour, les membres soient un exemple de la réconciliation universelle dans le Christ.

 

Oui, un exemple pour ceux qui nous regardent de l'extérieur. Ils devraient toujours pouvoir dire : Mais comme ils s'aiment, ces hommes ! Ce n'est pas normal, dans le monde on ne s'aime pas. Dans le monde on se combat parce que chacun veut arriver, comme on dit.

Dans le monde, la loi, c'est la cupidité. Comme le dit l'Apôtre, c'est l'amour de l'argent, c'est l'instinct de puissance, ce sont les convoitises. Dans les monastères, la loi, c'est l'amour. C'est pourquoi, mes frères, il est toujours extrêmement dangereux de dire du mal d'un autre à des étrangers. Je vous assure que c'est mortel pour ces gens, ils ne l'oublient pas.

Un religieux - je parle en général, je ne pense pas seulement à nous ici - un religieux qui dit du mal de sa communauté, qui dit du mal d'un autre, c'est sérieux ! Pourvu que ça ne nous arrive pas !

 

Maintenant, cette communauté n'est pas uniquement fonctionnelle. Il expliquera ce qu'il veut dire par ce terme fonctionnel.

 

Nos communautés de vie ne pourront jamais considérées d'un seul point de vue fonctionnel.

 

Fonctionnel en ce sens qu'on est ensemble, donc qu'on a plus facile de s'acquitter de telle ou telle fonction. Ce sera davantage vrai des Instituts qui ont une option plus apostolique, mais c'est également vrai pour nous.

Nous ne devons pas devenir une brasserie modèle par exemple, même si notre brasserie est modèle. Un monastère n'est pas une brasserie. Ce n'est pas non plus une exploitation agricole où tout est bien réglé. Non, c'est autre chose.

C'est une cellule du Royaume de Dieu d'abord parce que dans un Institut religieux, la vie communautaire est partie intégrante de la vie consacrée.

 

Cette dimension réclame une attention particulière au cours des années de formation initiale, et une vigilance soutenue en cours de formation continue.

 

Nous sommes perpétuellement en état de formation. Quand nous serons arrivés au niveau que nous rappelait Saint Benoît (R. 73), quand nous serons arrivés sur le palier où nous attendent nos Fondateurs et nos Pères dans la vie monastique, à ce moment-là nous aurons encore besoin de formation.

Et je pense que cette formation continue durera toute l'éternité ! Car adopter des moeurs divines, c'est quelque chose que nous devons sans cesse apprendre et perfectionner. Même après la résurrection des morts dans le monde à venir, lorsque tout l'univers sera rassemblé dans le Christ et que Dieu sera tout en toute chose, nous devrons encore toujours nous former à l'amour parce que notre coeur devra sans cesse découvrir de nouvelles beautés en Dieu et s'y conformer.

Alors il est normal que ici dans le monastère on s'exerce à cette formation continue. Ecoutez ceci, c'est très, très important ce qu'il dit maintenant, très pratique !

 

Il est des candidats, que Dieu appelle sans doute à professer les conseils Evangéliques, mais qui éprouvent des difficultés à vivre en communauté, ne serait-ce que parce que ils ont de la peine à se faire à des caractères différents du leur.

 

Donc, on est appelé à se consacrer à Dieu, mais on a difficile de vivre en communauté parce que on ne peut se faire à des caractères différents. Que dit le Cardinal ?

 

Eh bien, ceux-là doivent être absolument écartés de la vie religieuse.

 

Il faut les écarter, ils ne sont pas à leur place dans la vie religieuse. C'est radical. Il emploie les mots absolument écartés.

 

S'ils étaient admis à y entrer, ils allongeraient probablement la liste des personnes en situation particulière que nous déplorons dans nos Instituts.

 

Donc des marginaux, des gens malheureux parce qu'ils ne peuvent pas vivre, ils ne peuvent pas supporter les autres qui sont différents. Il y a certainement une anormalité psychique, légère peut-être mais réelle. Et voilà, ceux-là, il faut absolument les écarter de la vie religieuse.

Le contraire arrive aussi. Dans les communautés nouvelles, comme il en foisonne partout aujourd'hui, des petits groupes où on est bien parce que on a "chaud" ensemble. On a tous à peu près le même caractère. On se retrouve dans les autres.

Eh bien, c'est tout à fait l'opposé de ceci. Si dans ces communautés - j'ai entendu cela - si un des membres à un caractère différent des autres, on l'écarte. On ne veut que des hommes qui se ressemblent. Tandis que dans une communauté, appelons-là normale, traditionnelle, il faut des caractères différents. Mais alors, il faut pouvoir s'adapter à ces différences de caractère.

 

Eh bien, mes frères, nous allons en rester là pour ce soir. Il est temps d'aller à l'église. Et nous remercierons le Seigneur de nous avoir  appelés à cette belle vie monastique. Et nous lui demanderons de pouvoir nous fortifier dans notre vocation, dans l'oubli, l'oubli de soi, dans le renoncement, de façon à ce que nous puissions nous aimer sincèrement du fond du coeur, de façon surnaturelle, quelques soient les différences de caractère des hommes parmi lesquels nous sommes appelés à vivre.

 

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         03.05.89

      4. Communion.

 

Mes frères,

 

Saint Benoît nous parle de la lumière qui divinise. Des interprètes se demandent quelle peut être la nature de cette lumière ? La solution la plus simple est de dire que c'est la lumière de la foi. Et c'est vrai.

Mais nous verrons plus tard que les Anciens voient dans cette lumière une Personne, celle même de Dieu qui se manifeste aux regards de l'homme qui ne craint pas de se livrer à la brûlure de cette lumière. Mais n'anticipons pas !

Revenons auprès du Cardinal Ramer qui nous parle de choses extrêmement concrètes. Il nous a dit avant hier qu'il se trouve des candidats qui ont de la peine à s'adapter à des caractères différents du leur. Et ceux-là doivent être absolument écartés de la vie religieuse.

 

C'est un principe qui est vraiment fondamental. Mais dans la pratique, comment discerner les personnes qui ne s'adaptent pas aux caractères différents du leur ? Cela peut se manifester assez tard. Les novices habituellement, je ne dis pas qu'ils sont rusés, je ne dis pas qu'ils cachent leur jeu, mais ils sont pris par la nouveauté de ce qu'ils trouvent et ils y entrent sans se poser trop de questions, surtout lorsqu'ils sont assez jeunes.

Ce n'est que plus tard que les défauts apparaissent. Et à ce moment-là, il faut prendre des décisions qui peuvent être cruciales, surtout aujourd'hui où on n'entre plus immédiatement à le fin de ses études mais lorsqu'on a déjà un certain âge et qu'on occupe dans le monde un emploi, une profession. On doit rompre, il faut donner sa démission. Et c'est fini !

Alors on comprend que des Supérieurs hésitent avant de renvoyer quelqu'un, de ne pas l'admettre à la profession solennelle par exemple, parce que le garçon alors est rejeté dans le monde et il a perdu tout. Or, ça arrive ! Et pourtant je pense qu'avec beaucoup, beaucoup de charité, il faut oser poser cet acte qui est libérateur pour la personne d'abord, et puis pour la communauté.

 

Partie intégrante de la vie consacrée, la communauté est comme le fruit de l'oeuvre de communion accomplie par l'Esprit Saint dans le coeur de ses membres, c'est à dire de la communion de chacun avec Dieu et avec ses frères.

 

Une communauté religieuse est donc le fruit d'une communion établie par chacun des frères avec Dieu, puis avec les autres membres de la communauté. Et cette communion ne peut être créée que par l'Esprit Saint. Une communauté religieuse est donc toujours une Eglise, toute petite mais c'en est une. Car c'est le même principe qui fonde et qui anime l'Eglise, et qui fonde et qui anime la communauté.

La communauté est en même temps le sujet d'une authentique mission. Qu'ils soient UN pour que le monde croit, a dit le Christ.

 

En effet, une communauté religieuse doit manifester l'unité qui existe entre les coeurs habités par le même amour, c'est à dire par la même Personne divine. A ce moment-là le monde sera interpellé, le monde sera étonné. Il se posera des questions. Encore faut-il que le monde connaisse l'existence de cette communauté et qu'il entre en contact avec elle.

Mais cela se fait toujours ! Quand cela n'arriverait que pour une ou deux personnes - en poussant les choses à leur extrême - eh bien ça justifierait l'existence de cette communauté qui est vraiment UNE dans l'Esprit Saint.

 

Elle est enfin le lieu où une mission est donnée à chaque membre et où chacun partage les joies et les difficultés de sa propre mission.

 

Donc, à l'intérieur d'une communauté religieuse, chacun est investi d'une mission extrêmement personnelle. Je pense à une communauté comme la nôtre intégralement vouée à la vie contemplative. Nous n'avons aucune mission qui nous dirige vers l'extérieur. Et pourtant, nous en avons une à l'intérieur de notre communauté.

Ce n'est pas seulement l'emploi qu'on occupe, la charge qu'on a reçue, l'obédience qu'on exerce, mais c'est aussi une mission d'ordre mystique qui a ses difficultés, qui a ses joies. Cela ne veut pas dire que chacun doit maintenant déballer ses affaires devant tout le monde ?

Non. Mais il y a quand on vit, quand on passe toute une vie ensemble, on finit par avoir des antennes qui sentent et qui pressentent ce qui peut se passer dans le coeur des autres. Eh bien il faut avoir la simplicité de nous prendre en charge mutuellement que ce soit pour les difficultés, que ce soit aussi pour les joies.

 

Disant cela, j'ai tout a fait conscience de la diversité qui existe dans la façon de concevoir la communauté selon les Traditions des Instituts. La communauté Franciscaine, ni la communauté Jésuite ne sont une communauté de Chanoines Réguliers. Ce que j'en ai dit toutefois me semble se situer en amont de ces diversités. C'est donc le fondamental de la communauté religieuse comme telle. A partir de là, elles vont se diversifier.

 

Il s'agira toujours de communautés de disciples du Christ, d'hommes dans lesquels vit le Christ, des hommes qui sont investis par cette lumière qui divinise qui essaye gentiment mais vigoureusement de les métamorphoser, de les transfigurer.

Au lieu de faire des hommes donc psychiques, des hommes réalistes, en fait des animaux, on fait des pneumatophores, des porteurs de l'Esprit­ Saint. Voilà, il s'agit donc toujours de disciples du Christ et non d'hô­tellerie pour ouvriers d'une même entreprise, fut-elle une entreprise apostolique.

Donc, la communauté n'est pas uniquement fonctionnelle. Nous ne sommes pas ici une hôtellerie pour ouvrier d'une même entreprise, fut­-elle contemplative. Nous sommes un Corps, comme dit Saint Benoît, le Corpus monasterii qui a une âme, l'Esprit Saint, qui a un coeur qui est l'amour, et une circulation sanguine qui est la vie même de Dieu.

 

Mes frères, vous voyez que lorsqu'on commence à réfléchir à partir de ce que nous dit notre Préfet, nous découvrons ou nous nous rappelons des vérités qui sont pour nous vraiment le moteur de ce que nous devons être et de ce que nous pouvons devenir.

 

Chapitre : L’Ascension du Seigneur.              04.05.89

 

Mes frères,

 

Les paroles que Saint Benoît nous adresse ce matin, Pr. 34 illustrent à la perfection ce que le Seigneur nous propose dans le mystère de son Ascension. Le bonheur qui est devenu le sien après sa Passion et sa résurrection, il offre de le partager avec nous. Il nous propose la Vie éternelle et véritable, la sienne.

Et cette vie n'est pas un quelconque prolongement de ce que nous connaissons maintenant mais en mieux. Cette vie n'est pas distincte de sa Personne. Elle est Lui. Elle est sa propre Personne qui nous assume en elle, qui nous introduit dans le coeur de la Trinité et qui fait de nous des "Dieu".   

Il nous est absolument impossible d'imaginer et de concevoir la nature de cette vie nouvelle, de cette vie divine. Nous la connaissons dans la mesure où nous y participons. Mais nous ne pouvons rien en dire, notre vocabulaire est inadéquat.

 

C'est assez étrange de connaître cette vie sans pouvoir en parler. Je me demande si ce n'est pas là un témoignage pour notre conscience. Car dès l'instant où nous pouvons parler d'une chose, nous en avons pris possession, nous en avons fait le tour. Elle est devenue une partie de nous.

Or, lorsqu'il s'agit de notre assomption en Dieu, c'est le mouvement inverse qui se produit : c'est Dieu qui prend possession de nous. C'est lui qui nous prend en lui, si bien que nous ne pourrons jamais posséder Dieu. Nous ne pourrons donc jamais en parler. Mais alors la théologie? Oui, la théologie est un discours sur Dieu, c'est un discours humain sur Dieu. Et elle ne nous dit jamais qui est Dieu dans son essence. Le véritable théologien, c'est le contemplatif en qui la vie de Dieu a triomphé.

 

Et comment va-t-il en parler ? Il va en parler par sa vie. Il va en parler par son silence. Il va en parler par tout ce qu'il est. C'est lui qui est un langage sur Dieu. Mais aucun mot - encore une fois - ne peut exprimer cette réalité tellement belle.

Le mystère de l'Ascension ne s'arrête donc pas à la Personne de Jésus. Nous sommes englobés dans ce mystère. La vie monastique est sa mise en oeuvre en nous jour après jour.

Car Saint Benoît définit notre vie comme une ascension le long d'une échelle mystique qui nous conduit de la terre au ciel, d'un état de pécheur à un état de sainteté, de la mortalité à la vie éternelle.

Maintenant, cette vie éternelle, ne la voyons pas non plus comme la prolongation de notre vie présente. Il doit intervenir une rupture, un trou que nous appelons la mort et qui est bien réel, une absence totale, absolue de la conscience. Et puis au-delà, il y a cette assomption dans la vie divine.

C'est cette vie éternelle et véritable que Saint Benoît nous propose par sa Règle. C'est ce qu'il appelle la via vitae, le chemin de la vie que Dieu dans sa bonté nous montre lui-même. Ce chemin de vie compte une part de renoncement au mal, à la fausseté, à l'hypocrisie, à la tromperie, à la malice.

Et elle compte une part d'action positive qui est la pratique, qui est la pratique du bien, la pratique de la charité, la recherche de la paix avec ardeur et persévérance. La paix, c'est à dire l' équilibre en nous et l'harmonie avec les frères que Dieu nous a donné. Nous laissons donc jour après jour la vie divine prendre possession de notre coeur et de nos facultés. Et insensiblement, nous entrons en Dieu, nous sommes emportés en lui, et le mystère de notre ascension s'ac­complit.

 

Mes frères, en la fête de ce jour, c'est l'occasion de raviver la conscience que nous avons de notre vocation. Elle est une mise en oeuvre du mystère de la Pâque en nous., Et ce mystère de Pâques, ne l'oublions jamais, Saint Benoît nous le dit encore aujourd'hui, il est à la fois une mort et une résurrection, et une résurrection qui est une ascension et une assomption.

N'ayons pas peur de cette mort, elle est une libération - pour reprendre le mot que j'utilisais hier -. Elle peut sembler dure à notre chair, car il y a des plaisirs instinctifs auxquels nous tenons. Ils ne doivent pas devenir, ces plaisirs, notre raison de vivre. Notre épanouissement n'est pas purement naturel. Il est d'ordre divin.

Et pour cela, nous devons mourir à notre égoïsme. Nous devons nous accepter tels que nous sommes, tels que Dieu nous aime, tels que Dieu nous veut. Et puis savoir qu'à partir de cette terre, à partir de cette glaise que nous sommes, de cette viande - appelons cela ainsi - qu'à partir de cette chair il va pouvoir insensiblement, imperceptiblement nous rendre semblables à Lui, à sa chair divinisée, et à sa chair assumée jusqu'au coeur de Dieu.

 

Mes frères, pensons à cela aujourd'hui si vous le voulez bien et, sachons que nous sommes tous appelés à ces merveilles, tous sans distinction, même les hommes dans le monde. Ceux que j'appelle tous, c'est tous les hommes.

Et en ces jours comme ceux-ci où nous allons rester à l'intérieur de notre clôture tandis que sur les routes il y aura par ce beau temps, il y aura des ruées, il y aura des accidents, il y aura des morts, pensons à tous ces hommes, portons-les dans notre coeur et, pour eux, répondons volontiers, avec ardeur comme dit Saint Benoît, à l'appel que Dieu nous adresse aujourd'hui.

 

Chapitre : Récollection du mois de mai.[1]         06.05.89

 

 

Mes frères,

 

Les paroles du Cardinal Ratzinger sont théologiquement et, j'ose le dire, techniquement correctes. Les solennités qui se succèdent durant le mois de Mai depuis l'Ascension jusqu'à la Fête du Corps et du Sang du Christ en passant par la Pentecôte et par la Trinité sont l'illustration de ce projet de Dieu qui doit s'achever, comme le Cardinal vient de le dire, par une compénétration intime de Dieu et de l'homme.

Compénétration de Dieu dans sa Trinité, de l'homme dans son individu­alité et aussi dans sa globalité, dans l'humanité toute entière. J'irais même encore plus loin. C'est la matière elle-même qui va être délivrée de ..?.., qui va devenir un de ces ..?.. à travers lequel transparaîtra la beauté de notre Dieu.

 

Ces solennités liturgiques que nous rencontrons sur notre route nous prennent par la main et elles nous introduisent dans cet univers jusqu'en son coeur qui est l'Amour.

La liturgie en effet est ..?.. d'un mystère, d'un mystère qui nous dit l'action créatrice et réformatrice de Dieu. Car qui sommes-nous, mes frères, et qui donc est Dieu ? Entre Lui et nous il n'existe aucune proportion visible. Certes, nous avons été créés à son image, mais cette image est maintenant défigurée et il n'en reste pratiquement plus rien.

D'un côté, le ciel, c'est une férie de pureté, de puissance, d'équilibre, de beauté. De l'autre côté, l'homme, c'est un infime paquet de chair fragile, informe, dominé par des instincts tyranniques, traversé par mille passions. Chez Dieu, c'est la sainteté absolue et il ..?..  ..?.. ..?.. .Chez nous, c'est le péché, c'est la peur, la saleté, la crasse, l'obscurité, le mal, la honte.

 

Mes frères, nous sommes moins que rien en face de la splendeur de notre Dieu. Mais alors, comment Lui a-t-il le droit de nous juger et de nous condamner ? Nous sommes vraiment trop malheureux. Ne doit-il pas, Lui, s'excuser d'être Dieu face à notre malheur ? Est-ce que il ne nous écrase pas de son être ? On pourrait se demander s'il ne devrait pas être pardonné d'être lui ?

          ………………………………?…………………………………….  fidèles d'amour. Et nous le savons, l'amour est ce qu'il Y a de plus faible, de plus vulnérable, de plus pauvre, de plus démuni et, permettez-moi de le dire, de plus impuissant. Dieu est mystère de sainteté, mais notre pauvreté et notre laideur le transpercent de part en part. Il est immensité de puissance, mais devant nous, devant le plus petit homme, devant le plus méprisable d'entre nous, il s'abîme dans un respect sans fond.

Dieu est bonheur ..?.. mais la moindre de nos souffrances le bouleverse jusqu'au fond de ses entrailles. Dieu se tient devant nous dans la position, dans la posture d'un coupable. Il prend sur lui la responsabilité de nos maux. Il nous en décharge.

 

Lorsque nous aurons des yeux suffisamment purs, car il travaille à nous guérir et à nous transfigurer, lorsque notre coeur aura retrouvé la ressemblance avec son coeur à Lui, à ce moment-là nous verrons que Dieu pleure. Il pleure sur nous et il pleure sur lui. Et il ..?.. ..?.. ..?.. . Et lorsque je dis qu'il a tout pris sur lui, c'est un ..?.. que notre intelligence ne peut pas pénétrer à fond. Il s'est laissé, il s'est exposé à notre méchanceté, il s'est laissé torturer, crucifier, mettre à mort. Et en conclusion il a dit : pardonnez-­leur !

 

Mes frères, il a été ..?.. notre mort. Et après cela il nous revêt gratuitement de sa vie, de son éternité, de tout ce qu'il est. Et j'insiste sur cette gratuité de son don, du don qu'il nous fait de son être.

Prenons bien garde de ne pas projeter sur Dieu nos passions humaines. Il est radicalement autre que nous. Pourquoi ? Parce que encore une fois il est amour. Nous ne savons pas, nous, ce que c'est qu'aimer. Nous assi­milons l'amour comme une passion charnelle. Nous ne pouvons pas faire autrement.

Mais nous connaîtrons le véritable amour lorsque Dieu nous aura suffisamment pénétré, que son Esprit sera devenu ..?.. et ..?.. et que nous serons prêts à risquer notre vie pour nos frères. A ce moment-là nous serons ..?.., nous serons ..?.. ..?.. et, sans pouvoir le définir, nous saurons ce qu'il est parce que il aura pris possession de nous.

 

Mes frères, le moine, qu'est-il dans le projet de Dieu, dans cet immense drame qui est cosmique, ne l'oublions pas ? Eh bien, le moine est le péché qui s'offre à Dieu, qui s'offre à l'amour pour cet Opus, pour cette oeuvre extraordinaire.

Contemplons le moine arrivé au 12° degré d 'humilité. Il est là en présence de Dieu. Il est intérieurement, totalement ..?.. Mais il sait qu'il est le péché, qu'il s'est accepté péché et qu'il s'en remet totale­ment à la gratuité de Dieu. Il espère tout de cet amour ..?.. ..?.. Mais foncièrement il sait qu'il est péché. Et n'oublions pas que le Christ lui-même a été fait péché pour nous.

A ce moment-là, le moine "participe existentiellement à l'oeuvre entreprise par Dieu ..?.. ..?.. ..?.. ..?.. . Poussé par l'amour jusqu'ici, jusqu'au point où on rejoint le ..?.., où on le devient ..?.. pour l'absorber, le digérer et  l'aimer. Dans ce moine, mes frères, parvenu au sommet de l'humilité, c'est l'humanité entière qui se prosterne, qui supplie et qui ..?.. .

 

Le mystère de Dieu amour se manifeste en chacun des ..?.. du Christ, le Christ qui est Dieu avec nous et Dieu par nous. Il faudrait les passer tous en revue et ce n'est pas possible ici. Nous pourrons le faire demain à l'occasion de notre journée de récollection ............................

........................................................................................  il est à peine sur notre

terre que déjà on cherche à le supprimer. Mais non, il échappe et il grandit dans le travail, dans la pauvreté, dans l'obscurité. L'Empire Romain était arrivé à l'apogée de sa puissance et qui se souciait de cet enfant, de ce garçon, de ce jeune homme de ce coin perdu du Proche­ Orient.

Mes frères, nous ne savons jamais avec qui nous vivons. Lorsque nous rencontrons quelqu'un, lorsque nous croisons quelqu'un, nous ne savons jamais à qui nous avons à faire. Même si nous pouvons regarder sa carte d'identité, nous ne savons pas qui il est réellement

          Et Dieu nous habite. Et le plus sage est de savoir que dans chaque homme bat le coeur du Christ et sa vie. Et ...................................................................... ............................................................

                                                                                       fin incompréhensible !!!!

 

Homélie : 7° dimanche après Pâques.             07.05.89

      Octave de l’Ascension.

          Act. 7, 55-60  *  Ap. 22, 12….20  *  Jn. 17, 20-24

 

Mes frères,

 

Nous venons d'entendre trois paroles qui sont au coeur de notre vie chrétienne et monastique. Nous allons si vous le voulez bien nous y arrêter quelques instants, accueillir ces paroles avec reconnaissance, les laisser nous illuminer.

Une est de la bouche d'Etienne, le premier des martyrs ; la seconde jaillit des profondeurs de l'humanité en quête de son salut ; et la dernière, nous la recueillons des lèvres de Jésus à l'heure où il se séparait des siens.

Face à ses accusateurs qui seraient bientôt ses meurtriers, Etienne s'écrie : Je vois les cieux ouverts et le Fils de l' Homme debout à la droite de Dieu.

 

Mes frères, voir Dieu, voir le Seigneur Jésus dans l'éclat de sa lumière, n'est-ce pas notre ambition, notre désir le plus ardent ? Ce sommet de toute existence d'homme, ce sommet d'un bonheur qui est vie éternelle, il est pour nous si nous n'avons pas peur de mourir.

Mourir, nous le savons, c'est ici et maintenant pour nous disparaître dans les vouloirs de Dieu, obéir jusqu'au bout. Si seulement nous pouvions ne plus hésiter, ne plus reculer, nous verrions nous aussi bientôt les cieux s'ouvrir.

La toute dernière parole de l' Ecriture, celle qui était sans cesse sur les lèvres des tous premiers chrétiens, la voici, elle vient à nouveau de retentir à nos oreilles : Viens, Seigneur Jésus ! Ce n'est pas nous qui allons au Seigneur, c'est lui qui vient à nous. Ce n'est pas nous qui l'avons choisi, c'est lui qui nous a choisis.

 

Le contemplatif doit être un cri immense qui emplit la terre et le ciel, un cri qui est désir tout à la fois véhément et doux : le désir du Seigneur, de sa lumière, de sa beauté. Ce cri, mes frères, est toujours exaucé car sans lui l'humanité s'engouffrerait dans le néant.

Oui, le Seigneur Jésus vient dans la personne de ses saints, d'hommes et de femmes dévorés par l'amour. Dieu viens Seigneur Jésus, c'est s'offrir à lui pour devenir témoin de sa présence. C'est se renoncer pour lui laisser toute la place.

Et enfin, le sceau de la vérité, le sceau de nos plus folles espéran­ces a été imprimé sur la chair de notre coeur par l'ultime parole de Jésus, une des plus fortes qu'il ait dite : Je veux, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi et qu'ils contemplent ma gloire.

 

Mes frères, ce je veux du Seigneur n'attend que l'adhésion de notre foi : être avec Jésus au lieu de sa gloire, le contempler dans sa lumière, dans sa divinité, c'est le sommet de notre vie.

Croyez-m'en, mes frères, il en est qui dès maintenant ont reçu cette grâce. Ils en jouissent avant même de connaître la mort biologique. Ils peuvent l'a connaître parce qu'ils se sont donnés, parce qu'ils ont cru, parce qu'ils ont suivi le Seigneur jusqu'au bout.

Ah ! Si ce je veux du Christ hantait notre vie, elle serait vite transfigurée car nous possèderions la clef qui nous permettrait d'en déchiffrer le sens. Tout ce qui nous arrive, le mal comme le bien, le péché comme les actes de vertu, absolument tout, est dirigé par ce je veux.

 

Mes frères, Etienne le martyr, le voyant de l'Apocalypse, nous encouragent. Jésus et son Père veulent nous prendre près d'eux. Ils veulent se donner à nous dans leur beauté. Ils ne demandent qu'une seule réponse : que nous entrions dans leur projet, que nous entrions dans leur amour, dans leur vouloir, ce vouloir qui est le lieu de notre vie.

                                                                                                 Amen.

 

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         10.05.89

      5. Les Supérieurs.

 

Mes frères,

 

Nous allons faire comme Saint Benoît, nous allons nous taire plutôt que de parler de la misérable condition de tous ces gens qui sont détestables entre tous (R. 1, 15). Nous écouterons plutôt notre ami le Cardinal Hamer. Il a bien des choses à nous dire au sujet des supérieurs.

Je rappelle qu'il nous a parlé de la formatio, puis de la communauté religieuse, et maintenant il nous dit ceci :

 

Chaque communauté doit être pourvue d'un Supérieur puisque l'Eglise n'admet pas que le gouvernement des Instituts et des communautés soit exercé de façon habituelle par une instance de type collégial.

 

Avez-vous compris ? Je vais user d'une comparaison. La Belgique est une monarchie constitutionnelle. Le Roi règne. Il ne gouverne pas. Le gouvernement est exercé par le Conseil des ministres qui lui-même est l'émanation du peuple représenté par le Parlement. Je ne vais pas entrer dans les détails. Donc là, c'est vraiment une instance collégiale qui gouverne le pays.

Eh bien, ce n'est pas permis pour une communauté religieuse. On pourrait très bien imaginer dans l' abstrait un groupe de moines, ou de prêtres, ou de religieux compétents, experts en diverses matières et gouvernants la communauté qui est représentée par un Supérieur - appelons-le ainsi - mais qui n'exerce pas le gouvernement.

Ce n'est pas permis de façon habituelle, dit le Cardinal. Accidentel­lement ? Nous ne pouvons pas imaginer les circonstances qui le permet­traient, mais ce devrait être ponctuel et de courte durée.

 

Aujourd'hui s'introduit dans les communautés religieuses un certain esprit de collégialité. On voudrait que toutes les décisions soient prises par la communauté comme telle. Nous verrons plus tard, un autre jour, ce qui doit en être exactement pour l'exercice du pouvoir que possède le Supérieur. Mais retenons pour cet instant qu'un gouvernement de type collégial n'est pas permis.

Il y a quelque chose ici que dit le cardinal et qui est tout de même un peu inquiétant parce que cela heurte de front la structure de notre Ordre. Il dit :

 

L'Eglise n'admet pas que le gouvernement des Instituts et des communautés...

 

Donc, même les Instituts ne peuvent pas être gouvernés par une instance de type collégial. Or dans notre Ordre, le gouvernement est exercé par le Chapitre Général. Toute l'autorité repose dans le Chapitre Général, et il faut voir au Chapitre Général comme les Abbés sont jaloux de cette autorité collégiale.

Si nous prenons à la lettre ce que nous dit le Cardinal, ce n'est pas permis, ce n'est pas admis par l'Eglise, du moins maintenant. Nous allons peut-être en payer les conséquences au ni veau des Constitutions. Nous verrons cela !

 

Le visage du Supérieur Majeur ou Local diffère selon les Traditions des divers Instituts. Le Père Abbé n'est pas le Gardien d'une Communauté Franciscaine, ni l'Abbé général ou Primat d'un Ordre monastique ne ressemble pas au Préposé Général de la Compagnie de Jésus. Toutefois l'enseignement de l'Eglise concernant les Supérieurs les intéresse tous.

 

L'Abbé Général d'un Ordre monastique, de notre Ordre monastique, serait-il revêtu d'une autorité qui serait supérieure alors à l'autorité du Chapitre Général ?

Pour nous, l'Abbé Général est le Vicaire du Chapitre et il doit rendre compte de sa gestion. La Congrégation est intervenue à ce niveau-là et j'en parlerai lorsque j'attirerai votre attention sur ce point.

Maintenant, quelle est la mission du Supérieur ?

 

Le Droit Canonique donne une description détaillée de la mission que doit remplir un Supérieur auprès des membres de sa communauté. Il le fait de façon très précise en distinguant la finalité de cette mission et les moyens précis pour l'atteindre, où il ressort que le Supérieur n'est pas simplement le coordinateur de l'activité des membres de la communauté.

 

Pourquoi l'Eglise désire-t-elle de façon explicite que le gouvernement soit exercé par un Supérieur ? Parce que une communauté religieuse n'est pas une société simplement humaine. Elle est composée d'hommes, mais elle est une cellule d'Eglise. Elle est donc de droit divin. Elle doit être régie par Dieu lui-même, par le Christ qui est la tête de l'Eglise. Il faut donc qu'il y ait à la tête de la communauté un homme qui au regard de la foi représente le Christ.

C'est la raison pour laquelle un Abbé doit recevoir la bénédiction de l'Evêque local pour bien signifier qu'il est inséré à l'intérieur de l'Eglise et qu'il reçoit sa mission de Supérieur non pas de la communauté mais de l'Eglise. La communauté le choisit, mais sa mission lui vient de l'Eglise, c'est à dire du Christ.

 

Cela permettra de comprendre la finalité de la mission du Supérieur d'après le Code, la finalité clairement indiquée en union avec les membres qui lui sont confiés : chercher à édifier une communauté fraternelle dans le Christ.

 

Il faut donc reconstituer une cellule d'Eglise à l'intérieur de laquelle la Loi suprême est l'amour. Si bien que les gens, les fidèles et les infidèles, en voyant les membres de cette communauté former une communauté fraternelle, soient interpellés et qu'ils disent : là il y a l'amour, là il y a une vie qui n'est pas simplement humaine, il y a là une approche, une révélation, une apparition du Royaume de Dieu.

Donc, c'est ça la finalité de la mission du Supérieur, et nous verrons la fois prochaine les moyens requis pour l'atteindre. Mais retenons que le Supérieur n'est pas simplement le coordinateur de l'activité des membres de la communauté. Celui, de Président Directeur Général, d'Administrateur délégué qui organise le travail de tout le monde, qui coordonne les efforts, ce n'est pas ce niveau-là. Il faut constituer une cellule du Royaume.

 

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         12.05.89

      6. Le rôle du Supérieur.

 

Mes frères,

 

          C'est le Cardinal Hamer qui nous donnera ce soir et les jours suivants le commentaire que réclame la lecture de notre Règle. Il nous a dit la dernière fois que nous l'avons entendu que la mission du Supérieur a une finalité qui est clairement indiquée par le Droit. Elle est celle-ci : en union avec les membres qui lui sont confiés, chercher à édifier une communauté fraternelle dans le Christ.

Le Droit précise maintenant les moyens requis pour atteindre cette finalité, et les voici. Ils sont de trois sortes. D'abord :

 

Le service de la Parole de Dieu auprès des membres de la communauté et la célébration de la Sainte Liturgie.

Donc, le premier devoir d'un Supérieur est le service de la parole. Donc c'est l'enseignement que Saint Benoît vient de nous dire (R. 2,29-­43). Pour nous, cet enseignement doit être double : par la conduite d'abord, par l'exemple et par le commentaire qui est donné de la Règle, de la Tradition et aussi de la Parole de Dieu.

La célébration de la Sainte Liturgie ! Le Supérieur doit donc veiller à ce que l'Office soit exécuté de façon régulière et de façon digne. Lorsqu'on parle de la Sainte Liturgie, ce n'est pas seulement l'Eucharistie, il faut voir l'ensemble. C'est l'Opus Dei.

 

En second lieu, l'exemple de la vie ...

 

Toujours, toujours dans la ligne de Saint Benoît. Mais comment ?

 

... par l'observance des Lois de l'Eglise d'abord, et des Lois et Traditions de l'Institut ensuite.

 

          Donc, d'abord observer les Lois de l'Eglise. C'est le premier devoir. Et ensuite, dans la ligne de ces Lois, les Traditions de l'Institut. Le Cardinal se réfère à un Canon. Je suis allé voir et le voici, pour préciser ce qu'il faut entendre par l'observance des lois de l'Eglise. C'est le Canon 592 paragraphe 2 :

 

Les Modérateurs de chaque Institut feront connaître les documents du Saint Siège qui concernent les membres à eux confiés et ils veilleront à les faire observer.

 

Dans le premier paragraphe, le Canon parle du modérateur suprême. Dans le second paragraphe il parle des modérateurs de chaque Institut. Il s’agit de chacun des responsables, supérieurs ou autres, à tous les niveaux du gouvernement.

Ils doivent faire connaître les Documents du Saint Siège qui concernent les membres de leur Institut. Les Documents dont traite ce Canon ne sont pas seulement ceux qui sont adressés à l’Institut lui-même, mais aussi encore ceux qui traitent de thèmes généraux susceptibles de servir à la vie personnelle des membres.

          Un commentaire donné par la Commission d’interprétation du Code, Commission de préparation du texte du Code, dit :

 

          Les Modérateurs doivent choisir avec discernement quels sont les textes qui doivent nécessairement être communiqués.

 

Ces textes ne sont pas légions. Le Saint Siège publie de nombreux Décrets qui regardent l'Eglise entière. Ceux qui concernent les Religieux ne sont pas tellement fréquents.

Dans la mesure du possible je m'efforce de le faire, encore ici en vous donnant connaissance de l'allocution du Cardinal Hamer aux Supérieurs de France.Et il ne s'agit pas seulement de les porter à la connaissance des membres, mais le Supérieur doit d'abord donner l'exemple de l'obéissance en ce domaine. Donc, il doit être le premier à pratiquer ce que demande le Saint-Siège.

 

En troisième lieu le soin des personnes exercé selon leurs besoins et avec patience, et avec une attention particulière aux malades, aux inquiets, aux timides et aux timorés.

 

Donc, le Supérieur n'est pas seulement le coordinateur de l'activité des membres, il doit vraiment prendre soin d'eux. Saint Benoît insiste là-dessus très fort non seulement dans les Chapitres où il parle de la mission Abbatiale, mais encore partout à l'intérieur de la Règle. Les négligences de ses disciples seront imputées à la responsabilité de l'Abbé.(2,16).

Il n'est pas toujours facile d'intervenir auprès d'un officier pour lui faire remarquer qu'il ne s'acquitte pas convenablement de sa mission. Il faut beaucoup de tact et de discrétion d'abord pour juger que quelqu'un ne le fait pas convenablement. Car l'Abbé ne doit pas prendre nécessairement pour norme sa façon de voir. Il doit laisser le Christ regarder par ses yeux, et le Christ former ce jugement.

 

Prendre soin des personnes selon leurs besoins et avec patience.

 

Vous vous rappelez ce que disait Jean XXIII. Je ne connais plus la formulation exacte, mais c'est : Remarquer tout, fermez les yeux sur beaucoup de choses et en réformer quelques unes. Ce n'est déjà pas mal !.

 

Et une attention particulière aux malades, aux inquiets...

 

Il y a des tempéraments inquiets dans les communautés, et des scrupuleux, des hommes, des perfectionnistes qui ne sont jamais contents de ce qu'ils font.

 

...aux timides,

 

Ils n'osent pas faire le premier pas. Ils n'osent pas aborder le Supérieur ni les autres frères.

 

...aux timorés,

 

Timorés dans leur emploi, timorés dans leur conscience. Le troupeau monastique est composé de brebis malades, nous ne le savons que trop. L'idéal serait que l'Abbé fut un saint guéri de toutes ses maladies spirituelles et psychiques. Hélas, cette espèce d'Abbé est extrêmement rare. Saint Bernard lui-même s'estimait dans la catégorie des malades. Lorsqu’il regardait Saint Benoît, il disait : Lui, quel Abbé ! Et moi, à côté, je ne suis rien. Il était dans la vérité, la première qualité de l'Abbé, c'est l'humilité.

          Voilà donc le service de la Parole, la célébration de la Liturgie, l'exemple de la vie et le soin des personnes.

         

Le Cardinal poursuit en disant:

 

Je voudrais souligner en même temps, d'une part que la mission du Supérieur est essentiellement d'ordre spirituel sans pour autant se confondre avec celle d'un Père Spirituel, et d'autre part il s'agit bien d'une mission de gouvernement. Contre elle...

 

          Donc contre cette mission de gouvernement, ceci est encore important, écoutez bien !

         

... Contre elle, les courants psychiques - et j'emploie le terme dans le sens Paulinien - ...

         

Donc on dirait des courants charnels, tous les courants, les tensions qui écartèlent, qui divisent le coeur des hommes.

 

... tous ces courants qui traversent constamment les personnes et les communautés viendront à un moment ou à un autre s'opposer avec force à cette mission de gouvernement du Supérieur. Mieux vaut en être averti à l'avance pour ne pas être pris de court.

 

Donc il ne faut pas s'étonner, dit le Cardinal, SI il survient des tensions à l'intérieur des communautés. Pourquoi ? Mais parce que les hommes sont ainsi faits qu'ils sont traversés de toutes sortes de courants, de toutes sortes de passions. Ils connaissent une foule de tentations.

Et il peut arriver qu’à un moment donné tout converge, une sorte de nucléarisation. Tout vient au même endroit et puis ça détonne, une explosion soudaine ou une explosion lente. Alors ça peut être des moments difficiles pour un Abbé à des heures pareilles.

 

Le Cardinal dit aussi que la mission du Supérieur ne se confond pas avec celle d'un Père Spirituel, même si elle est d'ordre spirituel.

Mais nous verrons cela la prochaine fois, car il explique un peu ce qu'il entend par là.

 

Homélie : Eucharistie vespérale de la Pentecôte.13.05.89

 

Mes frères,

 

La Pentecôte a en soi une valeur d'éternité. Elle révèle que Dieu porte en lui un projet qu'il nourrissait depuis toujours. Nous reconnaissons en cette solennité le sceau imprimé par Dieu sur son oeuvre afin d'en signer la réussite.

Jésus a lancé ces paroles décisives au jour solennel qui clôturait la fête des Tentes. C'est le jour de la joie qu'éveille dans le coeur des hommes le don que Dieu a fait de sa volonté, c'est à dire de son amour, de son être et de son Esprit.

Année par année, la Pentecôte réveille donc en nous la conscience d'une réalité toujours présente. Cette réalité est double. Elle est d'abord une personne, celle de l'Esprit de Dieu, et ensuite elle est la présence d'une idée de Dieu.

Elle est la présence d'une idée que Dieu poursuit depuis la création du monde, une idée qui a germé dans son coeur et cela dans une gratuité totale. Cette idée, depuis les profondeurs de l'éternité a été couvée. Elle a été enfantée par l'amour, c'est à dire par le Saint Esprit. Et c'est cet amour, cet Esprit qui nous est donné et qui est encore présent, en cet instant comme toujours, parmi nous et en nous.

Nous pourrions nous endormir, vivre dans l'irréel de rêves creux. Car laissée à elle-même la chair s'enroule autour des plaisirs et des soucis de la vie. Il importe de la tenir en éveil, de la secouer périodiquement. C'est ce que fait la liturgie.

 

La solennité de la Pentecôte nous rappelle que par le don de l'Esprit et déjà avant par le don de la Loi toute imprégnée de cet Esprit, une relation d'un type nouveau s'est établie entre le Créateur et la créature, entre Dieu et l'homme et, à travers l'homme, le cosmos tout entier.

Cette relation, mes frères, est de nature sponsale : Dieu a épousé l'homme pour jamais. Non pas l'humanité dans l'abstrait, en général, mais chaque homme personnellement. Et ces épousailles sont irréversibles. A présent le monde est transparent de Dieu et chaque homme devient un foyer de lumière et d'amour. Tel est, mes frères, le projet de Dieu.

La Pentecôte est donc l'accomplissement final de l'incarnation. Tous les hommes y entrent, absolument tous, certains sans le savoir - la plupart sans doute - et d'autres en le sachant. La Personne de l'Esprit­ Saint est Dieu avec nous, avec chacun des hommes en tous temps et en tous lieux.

 

Nous sommes dans un monastère. Nous avons été appelés à une mission bien spécifique. Le contemplatif doit être ou devenir la conscience qu'a l'humanité de ces merveilles, et une conscience non pas assoupie, mais éveillée.

Le contemplatif voit l'Esprit Saint dans la splendeur et la douceur de sa lumière. Il le voit bien réellement, non pas avec ses yeux de chair mais avec les yeux de son coeur devenu le temple de cet Esprit.

Le contemplatif respire le souffle de cet Esprit, un souffle qui est embaumé et qui donne la vie divine à tous. Le contemplatif sent dans son coeur bouillonner une eau qu'il ne peut contenir. Il aime. Il ne peut plus faire qu'aimer les hommes, les choses, tout sans exception et sans fin.

 

Mes frères, nous sommes peut-être déjà arrivés à ce niveau, ou bien nous n'y sommes pas encore ? Mais nous devons y parvenir tous. L'Esprit­ Saint nous y emporte.

Le monastère est donc un lieu où s'accomplit une perpétuelle Pentecôte. Il est un point d'incandescence où cette Pentecôte apparaît sans arrêt. Elle est présente. Elle est - comment dire ? - active, agis­sante. Elle est comme un volcan qui à partir du monastère lance ses flam­mes, lance son ardeur et lance la vie à travers l'univers entier. C'est cela, mes frères, avoir reçu l'Esprit et puis le répandre sans fin.

Dieu a besoin de points ainsi où il se produit un impact entre ce qu'il est, c'est à dire amour, Esprit, sainteté, feu, eau, lumière, tempête, et puis à partir de là comme un rebondissement et une répartition partout. Il n'est pas un atome du cosmos qui soit hors de cette beauté.

 

Mes frères, telle est notre vocation personnelle et communautaire. Faisons confiance à Dieu. Nous sommes d'une faiblesse extrême, mais cela n'a pas d'importance. Au contraire, c'est un avantage car nous ne nous appuyons pas sur nous. Nous recevons en nous la totalité de la puissance de Dieu, une puissance d'humilité, une puissance d'oubli, une puissance d'amour et de lumière. Et alors tout devient possible pour Dieu et pour nous. Faisons-lui donc confiance, ce qu'il a commencé en nous il l'achèvera.

 

                                                                               Amen.

 

Chapitre : Fête de la Pentecôte.                  14.05.89

      La Personne de l’Esprit Saint.

 

Mes frères,

 

Permettez-moi de vous souhaiter une sainte fête de Pentecôte. Je serais heureux si, à cette occasion, vous découvriez existentiellement, non pas spéculativement, trois réalités fondamentales de notre vie chré­tienne et monastique.

 

D'abord que l'Esprit Saint est une Personne. Il n'est pas une énergie qui rayonnerait de la divinité, une sorte de force impersonnelle qui pénétrerait le monde et qui le ferait évolué. Non, il est une Personne bien vivante. Il est Dieu avec nous et

cela dans le réalisme le plus concret qui soit. Il est donc possible de lui parler, de le contempler, de l'aimer.

Dieu le Père est la source de la divinité - je fais un peu de théologie -. Le Verbe de Dieu, la seconde Personne, est devenu homme, a vécu parmi nous. Vous connaissez tout le drame de la Rédemption. Puis, il est retourné dans sa chair assumée au coeur de la Trinité. Mais avec nous réside maintenant pour jamais une autre Personne divine qui est la troisième et qui est l'Esprit. C'est donc avec elle que nous avons à faire.

Lorsque Saint Benoît voit le moine arriver au sommet de l'échelle de l'humilité, il dit que l'Esprit Saint va réaliser des merveilles avec cet homme. On ne peut pas les décrire. Saint Benoît se garde d'en parler. Il ne permet pas à notre imagination de s'emballer, de courir, de rêvasser. Non. Il y a des exemples dans l'Histoire et implicitement il s'y réfère. Et c'est l'Esprit Saint qui va réaliser ces prodiges.

 

Mes frères, il est de notre avantage d'être du bon côté, c'est à dire d'être bien avec l'Esprit Saint. Ne l'oublions pas, il est une Personne. On dit d'habitude que l'Esprit Saint est la Personne la plus difficile à cerner ? A mon avis, c'est elle qui est la plus facile. Mais, encore une fois, ne laissons pas courir notre imagination car elle pourrait nous emmener bien loin à côté. Laissons-nous plutôt pénétrer par la foi et, sachons que cette Personne Divine nous est intimement proche.

Et c'est la seconde réalité que j'aimerais vous voir contempler, quasi toucher du doigt: c'est que l'Esprit Saint est omniprésent autour de nous et en nous. Il porte l'univers exactement comme une femme enceinte porte son enfant à l'intérieur de son sein. Il enfante le cosmos et il le conduit à la perfection de sa stature. Il lui infuse une vie, une vitalité qui le fait poursuivre son évolution à travers tout.

Et cette évolution est une surprise, elle est une improvisation. Dieu a ainsi un thème général sur lequel il joue. Et l'artiste qui joue ce thème, c'est l'Esprit Saint. Et l'oeuvre, c'est le cosmos dont le nom, vous le savez, signifie beauté. Mais ce n'est pas encore suffisant. La Personne de l'Esprit pénètre en notre intime et elle habite notre coeur, le coeur de chaque homme. Et le Saint Esprit travaille à purifier notre coeur, à en faire le temple de l'Esprit, mais un temple de ce qu'il est, transparent de lumière et rayonnant d'amour.

 

Mes frères, un tout petit enfant qui commence à marcher, qui commence à courir, à monter une marche d'escalier, qui pour la première fois voit de ses yeux ce qu'il y a sur une table - il est tout petit - eh bien, cet enfant a un coeur, c'est à dire qu'il a un intime et, là, se trouve la Personne de l'Esprit Saint.

Nous devrions être quasiment en adoration devant chaque petit enfant car il est un temple de Dieu, le temple vraiment de l'Esprit. Et le Christ nous a dit que nous devions redevenir comme ces petits enfants si nous voulons entrer la tête haute dans le Royaume de Dieu.

Toute notre vie monastique n'est rien d'autre qu'un travail à deux : l'Esprit qui nous sollicite, qui s'efforce avec une douceur sans limite, avec une patience sans fin, qui, s'efforce de faire sortir de notre coeur tout ce qui l'encombre, tout ce qui le salit, afin de pouvoir, lui, s'y installer et en devenir le moteur.

 

Et il faut que finalement ce soit l'Esprit Saint qui rythme les battements de notre coeur et y propulse un sang nouveau, un sang spirituel, un sang qui est sa propre vie à lui à travers tout notre être. Et c'est cela, mes frères, commencer dès ici-bas notre résurrection.

Vous savez que les anciens moines voyaient le sommet de leur vie dans ce qu'ils appelaient la petite résurrection. Ils étaient déjà devenus des pneumatophores, des hommes entièrement animés par l'Esprit, exactement comme nous le serons plus tard à l'heure de la résurrection.

Et enfin, l'Esprit Saint nous unit entre nous. Il fait de nous un corps unique. Ce grand Corps, c'est l'Eglise, mais c'est aussi la petite cellule de Saint Remy. Et au terme, mes frères, l'humanité entière et même le cosmos matériel seront unis en un. Dieu sera tout en toute chose. Et l'artiste qui aura opéré ce chef-d'oeuvre merveilleux, c'est l'Esprit Saint.

 

Voyez un peu, mes frères, ce à quoi nous sommes appelés ! Nous devrions toujours, toujours en avoir conscience. C'est pour ça qu'on dira - encore une fois - que le moine doit être un éveillé, un vigilant, parce que il est attentif à ce travail.

Si nous avions un jour, disons la chance, de nous trouver dans l'atelier d'un grand peintre, nous verrions, nous serions attentifs à voir surgir l'oeuvre sous leur pinceau. Ce serait une..?.. unique dans notre vie.

Eh bien, mes frères, nous pouvons, nous, voir surgir l'oeuvre la plus fantastique qui soit - et l'artiste, c'est l'Esprit Saint - le cosmos de notre communauté, le cosmos universel. C'est cela, mes frères, être un contemplatif ! C'est regarder cela, c'est l'admirer, c'est en louer Dieu sans fin.

 

Permettons donc, mes frères, à l'Esprit Saint d'oeuvrer librement en nous et autour de nous. Tel doit être notre propos. L'intention de l'Esprit est de nous rendre beau, de la beauté même de Dieu. Et cette beauté est inexprimable, elle dépasse toute imagination. Et nous serons beaux, vraiment beaux lorsque nous serons devenus pure lumière en Dieu. Ce sera pour après la résurrection, notre résurrection personnelle, mais nous en recevons les prémices déjà maintenant.

Et les traits essentiels de cette beauté, les voici. Nous les connaissons, mais il est toujours bon de les rappeler. D'abord c'est l'agapè, c'est la charité, c'est l'amour qui donne un regard nouveau, le propre regard de Dieu sur les hommes, sur les choses, sur les événements.

Les tous premiers moines restaient en contemplation, en admiration devant les moindres choses qu'ils voyaient, devant les plantes, devant les oiseaux, devant les fleurs, devant les arbres, devant l'eau, devant les rochers, devant le sable, devant la pierre. Tout était pour eux une révélation de l'Esprit, une révélation de Dieu.

 

Et puis un trait encore de cette beauté, c'est la sagesse, la péné­tration, le discernement, l'équilibre, la paix, la joie. C'est tout ce qui est mis à notre disposition si nous ouvrons la main, si nous la tenons ouverte. Et puis, c'est la connaissance de Dieu et de son univers.

Pour utiliser un mot plus contemporain, c'est la contemplation : voir Dieu, voir la lumière de Dieu, en être non pas ébloui parce qu'elle n'éblouit pas, mais en être nourri ; la voir en elle-même, la voir dans les frères et la voir dans les choses.

Un autre trait de cette beauté, c'est la force de l'oubli de soi, de la pauvreté, de la douceur, de la compassion, de la patience. Il y en a encore bien d'autres, mes frères, mais voilà, j'en ci te quelques uns ainsi au hasard.

 

Et l'Esprit Saint veut ainsi faire de nous des saints. Il veut faire de nous des dieux, d'autres lui-même. Il y réussira si nous y consentons, c'est à dire si nous obéissons. L'obéissance - on va toujours revenir à cette fameuse obéissance - qui est écoute attentive, écoute amoureuse et remise de soi à un amour qui nous sollicite.

Voilà, mes frères, ce que je voulais vous souhaiter à l'occasion de cette fête de Pentecôte. Je pense que c'est bien le meilleur de tous les souhaits. Portons-le dans notre coeur, non seulement aujourd'hui, mais chaque jour que Dieu nous accorde encore sur cette terre.

 

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         16.05.89

      7. La mission spirituelle du Supérieur.

 

Mes frères,

 

En parlant de la mission du Supérieur, le Cardinal Hamer use à plusieurs reprises du terme de spirituel. Il faut prendre ce qualificatif dans son sens fort. La mission du Supérieur ne lui vient pas des hommes même s'il a été choisi par la communauté.

Elle lui est confiée par Dieu qui est le propriétaire du monastère, qui est le Maître du lieu et qui entend que le gouvernement soit exercé non pas selon des vues humaines - Saint Benoît vient encore de nous le rappeler, 2, 92-fin - mais selon les vues mêmes de Dieu.

En ce sens-là, l'Abbé doit toujours être attentif aux inspirations de l'Esprit Saint, c'est à dire de cette Personne qui habite le coeur de chacun des frères, qui habite la communauté, et qui habite aussi le coeur du Supérieur.

 

En ce sens-là, sa mission sera vraiment spirituelle. Il doit conduire les frères à l'union avec le Christ jusqu'au stade final où ce n'est plus le frère qui vit, mais où c'est le Christ qui vit à l'intérieur du frère.

A ce moment-là, l'Esprit Saint a triomphé dans ce frère et la mission de l'Abbé peut être alors une réussite parfaite, naturellement dans des situations je pense relativement rares. Quoique on n'en sache rien, car l'Esprit Saint ne se laisse pas mesurer avec l'aune des préoccupations humaines. Mais ce que le Supérieur doit tout de même savoir, c'est que cet Esprit est à l'oeuvre toujours.

 

J'ai dit que la mission d'un Supérieur ne se confond pas nécessairement avec celle d'un Père Spirituel.

 

Le Père Spirituel, c'est donc l' homme qui est capable d'engendrer selon l'Esprit de Dieu. Il y a donc un engendrement en Dieu qui est, disons, par analogie l'équivalent de l'engendrement selon la chair. C'est ça l'authentique Père Spirituel.

Aujourd'hui, on parle de Père Spirituel à propos de tout et de rien. Nous, dans le monastère, gardons-lui son sens plénier. C'est donc un homme, ou une femme si c'est une Abbesse, capable d'engendrer en Dieu.

 

La mission d'un Supérieur ne se confond pas nécessairement avec celle d'un Père Spirituel. Les premiers Supérieurs dans la vie religieuse, ceux du désert d'Egypte, furent surtout des modèles pour leurs disciples plus que des législateurs.

 

On trouve dans les apophtegmes des réponses de Pères qui disent : Moi, je ne dis rien ! Il suffit que tu me regardes vivre et fasses comme moi. Je n'ai pas d'enseignement à donner. Lorsqu'on leur posait une question, ils répondaient. Mais pour le reste, ce n'était pas des législateurs.

 

Dans un Institut Religieux tel qu'il existe aujourd'hui, le Supérieur n'est évidemment pas dispensé ni d'être un modèle pour ses frères, ni d'être pourvu d'une certaine expérience spirituelle.

 

Cela va de soi ! Sinon le monastère serait une société de type humain. Non, mais le Supérieur doit toujours être un modèle pour ses frères et avoir une certaine expérience spirituelle, donc une expérience de Dieu, une expérience de l'Esprit.

 

Mais sa mission est aussi d'organiser, d'administrer, de gouverner et d'ordonner, de promouvoir l'obéissance volontaire de ses frères dans le respect de la personne humaine...

 

Et ceci est très important, cela a été repris dans nos Constitutions. Il cite ici le Canon 618 :

 

...restant sauve cependant son autorité de décider et d'ordonner ce qui doit être fait.

 

Attention à des opinions qui sont subversives d'après lesquelles l'autorité d'ordonner et de décider reposerait sur la communauté et non pas sur le Supérieur. Le supérieur n'en étant, disons, que le plus habile pour exécuter les décisions prises par la communauté.

Cela, c'est entièrement en-dehors, j'ose le dire, en-dehors du Christianisme. Ce n'est pas ça le Royaume de Dieu et ce n'est pas ça vivre selon l'Esprit. Le Cardinal nous a dit plu tôt, en parlant de la communauté, que les directions collégiales n'étaient pas admises par l'Eglise. Il faut toujours un Supérieur qui décide et qui ordonne.

Ce n'est pas de l'autoritarisme, mais le Supérieur tient dans sa maison la place du Christ. Et il faut absolument qu'il y ait dans le monastère un homme qui tient cette place du Christ sinon, encore une nouvelle fois, nous sommes à côté du christianisme. Voilà la raison profonde.

 

Donc voilà, le Supérieur doit organiser, administrer, gouverner, ordonner - donner des ordres donc -. Cela ne veut pas dire que c’est un homme à tout faire, qui sait tout faire. Non, il partage son autorité avec des frères auxquels il confie des missions spécifiques, mais toujours sous sa supervision et sous sa responsabilité. Dans ce sens-là, il administre et il gouverne.

 

Il doit s'efforcer de promouvoir l'obéissance volontaire de ses disciples.

 

Donc, ce n'est pas une obéissance passive, comme un cadavre, comme un morceau de bois. Non, il faut que le disciple épouse les vues de Dieu qui passent par la volonté du Supérieur, et que volontairement, - donc en y mettant toutes les énergies de sa volonté, de son être ­il entre dans le projet de Dieu qui lui est présenté.

 

Et ça, dans le respect de la personne humaine.

 

Donc il ne peut jamais écraser ses frères. Il ne peut pas confier à un frère une charge pour laquelle il est tout à fait inapte et qui l'accablerait, qui l'écraserait et finalement le détruirait.

Eh bien, mes frères, sur ces bonnes paroles nous irons à l'église demander à Dieu de toujours mieux nous faire comprendre la beauté et la gratuité de notre vocation contemplative. Elle est extraordinaire mais elle nous engage très fort et les conséquences de nos actes peuvent porter très loin. Un saint ou bien un pécheur, lorsqu'il s'agit de personnes consacrées à Dieu, cela peut conduire très loin à l'intérieur du grand Corps de l'Eglise et du grand Corps de l'humanité.

 

Mais nous sommes naturellement tous plus ou moins pécheurs et nous le resterons. Mais quand je dis "pécheurs", ce sont de ces opiniâtres dont nous parle Saint Benoît et qui finalement n'ont pas leur place dans un monastère, et qui partent tout seul ou bien qu'on retranche. Mais heureusement ce n'est pas le cas, aujourd'hui c'est extrêmement rare.

Mais nous sommes toujours tellement faibles et vulnérables ! Portons donc notre pauvreté qui est d'une certaine façon notre richesse car elle est la porte qui nous fait entrer dans l'humilité. Et vous savez que l'humilité est la forteresse dans laquelle le démon n'a aucun accès.

 

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         17.05.89

      8. Dans la ligne de la Tradition.

 

Mes frères,

 

Nous retrouvons ce soir chez Saint Benoît ce que le Cardinal Hamer nous disait hier. Saint Benoît dit qu'il dépend de l'Abbé de décider ce qui vaut le mieux, et tous alors devront s' y soumettre. 3,13. Et le Cardinal, se référant au Canon 618, dit : ...restant sauve l'autorité du Supérieur de décider et d'ordonner ce qui doit être fait.

C'est un principe qui est fondamental dans une vie religieuse bien ordonnée. C'est tout autre chose, comme je le faisais remarquer hier en terminant, que ce qui s'insinue dans certaines communautés, mêmes cisterciennes, où la décision revient à la communauté comme telle. Et l'Abbé n'est là que pour exécuter les décisions communautaires.

C'est extrêmement dangereux. Nous ne sommes plus alors entièrement à l'intérieur d'une vision chrétienne de la société religieuse où il faut toujours un chef dans le sens étymologique du mot, c'est à dire une tête qui prend la responsabilité de décider, et qui doit la prendre parce que dans cette personne qui est le Supérieur se trouve aux yeux de la foi le Christ lui-même qui dirige l'Eglise, qui dirige la communauté religieuse ou monastique. Et le Cardinal poursuit :

 

Ce que nous enseigne l'Eglise de la mission du Supérieur prouve à l'évidence que cette mission est d'ordre spirituelle.

 

Le Cardinal apporte ici deux arguments d'autorité.

 

Notre Saint Père Jean-Paul II la décrivait comme un service évangélique de communion, d'animation spirituelle et apostolique, de discernement de la fidélité et de coordination.

 

Un service évangélique de communion ! C'est à dire toujours un service. L'autorité est un service. Le Christ n'est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie. Dans ce sens-là, tout service est évangélique, s'inspire de la conduite même du Seigneur Jésus.

C'est un service de communion. Il faut donc unir les frères en un Corps animé par l'Esprit Saint, par la Personne de l'Esprit, un Corps animé par la charité. Et c'est à cela que le monde doit reconnaître qu'on est dans une communauté du Christ, une communauté chrétienne.

Pour cela, le Supérieur doit s'acquitter d'un service d'animation spirituelle. Il va donc s'efforcer d'entretenir dans le coeur des frères la flamme allumée par l'Esprit Saint qui a fait de ce coeur un temple.

 

…et d'animation apostolique ! Même pour nous qui n'avons pas d'apostolat extérieur, il faut tout de même que l'Abbé rappelle de temps à autre la responsabilité des frères vis-à-vis de l'Eglise, vis-à-vis des hommes.

Je le disais encore hier soir, un frère qui dégénère, et qui s'enfonce, et qui s'incruste dans le péché, dans le dérèglement, fait beaucoup, beaucoup de tort non seulement à l'Eglise dans l'invisible, mais aussi à l'humanité comme telle.

Par contre, un frère qui tend vers la sainteté, c'est à dire qui s'ouvre de plus en plus à l'action de l'Esprit, celui-là, son influence s'étend très, très loin à l'intérieur de l'Eglise et de l'humanité.

 

...mission aussi de discernement de la fidélité et de coordination dans la fidélité aux Traditions de l'Institut. Il faut pour cela savoir discerner suivants les époques, suivant même les circonstances ce qui est dans la Tradition. Et c'est dans cette ligne que le Supérieur et la communauté doivent s'avancer.

Un service qui est ..?.. dans une autre circonstance est de nature essentiellement théologale...

 

C'est à dire qui a son fondement chez Dieu, en Dieu lui-même, et Dieu Trinité, les trois Personnes.

 

...consacrez plus intensément votre temps, votre coeur et votre esprit à Dieu...

 

Il s'adresse ici aux Supérieurs. C'est Dieu qui doit être le souci, la préoccupation première et majeure d'un Abbé. L'Abbé devrait pour bien faire, en principe il faudrait qu'en le regardant les frères reconnaissent en lui le Christ.

Cela ne veut pas dire que les frères alors auront la réaction souhaitable. Car la vision du Christ peut provoquer, peut entraîner un rejet, un mouvement de recul et de rejet.

 

Enseignez aux frères par l'exemple de votre vie que Dieu a des droits sacro-saints sur l'existence de l'homme.....

 

Toujours Dieu premier servi ! Sur l'existence de l'homme, pas sur une petite partie de l'activité de l' homme, mais sur l'existence même de l'homme Dieu a des droits.

 

.... et qu'on ne peut le reléguer à la dernière place de la maison, au dernier moment de la journée...

 

Voilà, c'est fini, on a bien travaillé de la journée, on s'est donné aux autres, on s'est donné à ses tâches. Et puis voilà, au soir, c'est vrai il y a encore, c'est vrai il y a Dieu, un petit coup au soir ! Pas possible ! Dieu doit remplir toute la journée et pas seulement une petite minute au dernier moment.

 

La recherche de l'intimité avec lui doit être l'inlassable engagement de vos journées.

 

N'oublions pas qu'il s'adresse à des Supérieurs, ici ! Mais on dirait vraiment qu'il y a des Supérieurs qui ne font pas ça ? C'est peut-être possible parce que dans le monde maintenant il y a des Supérieurs qui sont exposés à des situations invraisemblables où pratiquement ils n'en sortent plus.

Un prêtre du diocèse de Reims m'a dit que dans son coin il y a un prêtre qui doit desservir pour lui tout seul 28 paroisses. Imaginez un peu la tête de ce prêtre à la fin de chaque journée? Il y a des circonstances qui sont tellement dures, dures, dures qu'on est presque excusable d'arriver au soir et quasiment de ne pas avoir pensé à Dieu.

On pourrait peut-être trouver des circonstances analogues chez des Supérieurs ? Mais le Pape dit : Non, non, ça ne peut pas arriver. Dieu d'abord qui a ses droits sacro-saints. Et la recherche de l'intimité avec Lui doit être l'inlassable engagement de vos journées.

Donc il faut toujours avec tout ce qu'on fait savoir qu'on n'est pas maître de soi. On s'est donné à Dieu et c'est Dieu qui doit être le motif premier et le motif dernier de tout ce qu'on fait. Il faut en avoir conscience.

Demain nous commencerons un autre paragraphe. Le Cardinal va nous dire que chaque communauté aura le Supérieur qu'elle mérite.

 

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         18.05.89

      9. Avoir le Supérieur qu’on mérite.

 

Mes frères,

 

Saint Benoît nous dit que nul ne doit avoir la hardiesse de contester avec son Abbé insolemment ou hors du monastère. 3,21. Il fait cette remarque à propos du conseil que l'Abbé doit prendre auprès des frères lorsque se présente une affaire importante, ou même des affaires moins urgentes.

De là nous pouvons déduire une chose : pour que le conseil donné par un frère vienne vraiment de l'Esprit Saint, il est indispensable que la parole du frère soit empreinte d'humilité et de douceur.

S'il y a, comme le dit Saint Benoît, insolence ou agressivité, le conseil qui est donné ne vient pas de Dieu. Il ne faut donc pas en tenir compte. Donc ça, c'est une norme très précise que nous ne devons pas perdre de vue.

 

Maintenant, écoutons le Cardinal Hamer. Il va nous dire que chaque communauté aura le Supérieur qu'elle mérite. Il fait quelques remarques qui ne s'appliquent pas directement à nous. Il a plutôt en vue les Instituts à vocation apostolique. Mais si nous introduisons les nuances nécessaires, nous pourrons tout de même en retenir quelque chose.

 

Si dans un Institut Laïc - les Frères des Ecoles Chrétiennes par exemple - les religieux sont unilatéralement absorbés par la dimension professionnelle de leur mission...

 

Donc l'enseignement par exemple chez eux tranche le pas sur leur vie religieuse personnelle et communautaire.

 

Si dans les Instituts Cléricaux - les Jésuites par exemple, les Dominicains, et nous aussi - les religieux prêtres sont des prêtres séculiers comme les autres avec cette différence qu'ils dépendent d'un Supérieur au lieu de dépendre de l'Evêque, ce qui humainement est plus sympathique.

 

Donc, ce sont des prêtres séculiers comme les autres ! Pensons par exemple dans un monastère : le souci d'un moine-prêtre serait de faire de l'apostolat auprès des retraitants, auprès des personnes du dehors et même aller à l'extérieur pour faire du bien et semer la bonne Parole.

 

Si la vie des uns et des autres est inspirée à peu près exclusivement par des critères fonctionnels : bien s'acquitter de son emploi...

 

Et ça vaut pour nous, ceci : bien s'acquitter de son emploi, être un excellent brasseur, être un comptable de première qualité, savoir manier les ordinateurs comme pas un. Voilà des critères fonctionnels !

 

Donc si à ses propres yeux on est valorisé exclusivement par le service qu'on rend à la communauté, si le lien entre la vie fraternelle en commun et l'apostolat n'est pas suffisamment vécu, ...

 

Ceci ne nous regarde pas directement, mais maintenant écoutez !

 

...si des religieux se sont établis en régime d'autonomie financière ou apostolique au détriment de l'esprit et des normes de la pauvreté et de l'obéissance religieuse.

 

Ceci vaut aussi directement pour nous ! Il n'y a pas de cas dans notre communauté, mais j'en connais - vous savez, quand on est Abbé, on entend raconter beaucoup de choses - au moins trois cas comme ça.

Vous avez le religieux qui a un emploi dans une autonomie financière. Il achète sa voiture, il a un salon avec la TV, il va en voyage, il prend l'avion...et tout ça avec l'argent qu'il fait rentrer par son emploi. Ou bien aussi l'argent qu'on reçoit de parents, amis etc. On est vraiment en autonomie financière.

Je sais que cela cause de fameux problèmes aux Supérieurs. La situation peut aller tellement loin que c'est quasiment irréversible. Mais naturellement des cas pareils se trouvent plus fréquemment dans des Instituts Apostoliques. Le Cardinal pose donc des si, si, si. Si donc on trouve ça, alors :

 

On aura d'abord beaucoup de peine à trouver un Supérieur. Et si on en trouve, ce sera souvent un homme de bonne volonté qui tâche de maintenir un certain ordre dans un groupe de copains, et qui prend sur lui la lourde charge des activités communautaires auxquelles les autres ne pensent pas. C'est le permanent de la communauté.

 

Mais vous savez que l'on trouve ça aussi dans l'un ou l'autre de nos monastères. L'Abbé, voilà, il se borne à maintenir l'ordre dans un groupe de copains. Cela arrive. Et alors, il ne faut pas penser qu'un monastère comme ça n'a pas de recrutement. Au contraire !

C'est très intéressant d'entrer dans un groupe de copains avec à la tête, voilà, un homme de bonne volonté qui maintient l'ordre et qui prend sur lui certaines activités communes. Il gère bien les affaires, il a bon caractère, on tient compte de tout ça. Et il est, comme on dit, très compréhensif. Et cela suffit !

Mais est-ce encore le Supérieur qui construit dans le Christ une communauté où on cherche Dieu ? N'oublions pas que c'est le Préfet de la Congrégation pour les Religieux qui dit des choses pareilles. Il est au courant d'une quantité d'histoires et alors il veut mettre en garde les Supérieurs.

 

Cela commence parfois avec des petits riens. Mais ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières. Et alors au terme, cela devient un torrent, cela devient un fleuve et il est impossible alors de barrer la route et de revenir en arrière.

J'ai encore su, pas plus tard qu'hier, dans notre Ordre, une histoire sur la ..?. ..?.. .Eh bien, je vous assure que c'est terrible. C'était un frère qui était considéré comme un des piliers de sa communauté. Et insensiblement, voilà où cela en est arrivé, sans qu'il y ait malice, sans qu'il y ait péché, rien du tout de scabreux ni d'anormal. Mais insensiblement on en arrive à l'autonomie et c'est la catastrophe. Et alors dans la communauté, cela fait une belle tempête !

 

Il ne suffit pas d'être compréhensif, ni de bien gérer les affaires, ni d'avoir bon caractère, il faut construire dans le Christ une communauté où l'on cherche Dieu.

 

Donc, mes frères, je pense que nous devons avoir beaucoup de respect et de considération pour les Abbés. Je ne dis pas ça parce que je le suis moi-même. Mais comme le dit aussi Saint Benoît, c'est une charge très difficile.

Et on a chacun son caractère, on a ses limites. On a des capacités au-delà des quelles il n'est pas possible de passer. On est des hommes limités. Et l'Abbé est comme ça aussi.

Donc il faut je pense de temps en temps avoir une petite pensée et une petite prière pour lui. Et je vous remercie car je suis certain que cela est dans le champ de vos préoccupations.

 

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         19.05.89

      10. Une communauté qui cherche Dieu.(fin)

 

Mes frères,

 

Quand Saint Benoît nous dit que nous ne devons rien préférer à l'amour du Christ, il ne réserve rien qui puisse être soustrait à cet amour. Nous devons donc toujours donner au Christ la première place dans notre coeur et dans notre agir.

Ce n'est pas tellement facile car notre vanité, notre nature passionnée se laisse facilement séduire par les résultats que peuvent produire notre activité matérielle, notre activité intellectuelle, notre activité spirituelle aussi.

C'est pourquoi nous devons gravir l'échelle de l'humilité, être véritablement réduit à rien à nos propres yeux. A ce moment-là notre coeur est pur et il peut commencer à vraiment ne rien préférer à l'amour du Christ.

Ce soir, nous entendrons pour la dernière fois le cardinal Hamer. Pas la dernière fois de notre vie j'espère ? Il nous a dit hier que chaque communauté aura le Supérieur qu'elle mérite, et il poursuit :

 

C'est ici que la mission de gouvernement rejoint la dimension spirituelle de la charge d'un Supérieur...

 

Car il avait conclu hier en disant, en posant une question :

 

Est-ce encore le Supérieur qui construit dans le Christ une communauté où on cherche Dieu?

 

Quand le Supérieur n'est plus rien que le meilleur des copains de la maison, le plus compréhensif.

 

Il n’est pas facile en effet de construire une communauté où on cherche Dieu...

 

C'est à dire une communauté où Dieu est toujours le premier servi, une communauté où on s'efforce de ne rien préférer..................

 

Regrets, panne de diffusion !

 

Chapitre : Fête de la Sainte Trinité.             21.05.89

 

Mes frères,

 

Saint Benoît nous dit que nous devons craindre le jour du jugement. Or, il y a deux jours, en découvrant le verset 17° du chapitre IV de la Première Epître de Saint Jean, j'ai eu soudainement l' intuition que notre vie monastique était la reproduction parfaite ici sur terre de la vie même de Dieu dans son être Trinitaire.

C'est une exégèse assez personnelle naturellement, de type monastique. Vous verrez qu'elle est puisée à notre expérience. Elle définit le sommet de notre vocation et elle en dégage toute la beauté.

Voici ce verset, vous verrez qu'il est en rapport avec ce que Saint Benoît vient de nous dire. Je le traduis du grec : En ceci notre amour est parfait si nous avons pleine assurance au jour du jugement parce que tel que Lui Dieu est, tels nous sommes nous-mêmes en ce monde.

 

Il s'agit donc de connaître la perfection de l'amour, son accomplissement en nous, son jusqu'au bout. Rappelons-nous que le Christ a aimé les siens jusqu'au bout. Et le signe de cet accomplissement en nous est atteint lorsque nous avons pleine assurance au jour du jugement, le jour où nous paraîtrons devant Dieu.

Cette assurance habite notre coeur. Elle est définitive, inébranlable. Le terme utilisé par Saint Jean est devenu classique  dans  le  monde  monastique. C'est la …….., non une ………. c'est-à-dire une assurance qui se fonde sur notre propre valeur, mais une assurance qui se fonde sur le fait que la vie de Dieu s'est pleinement épanouie en nous.

Elle est donc le sommet de l'humilité. Etymologiquement cela veut dire qu'on a pleine liberté de parole devant Dieu. Rappelez-vous ce que le Christ a dit aussi : Tout ce que vous demanderez en mon nom vous sera accordé de suite. En mon nom, cela signifie : si mon nom est devenu en vous apparition de ce que je suis.

 

Et la raison de cette assurance, maintenant, c'est que nous sommes dans ce monde-ci tel que Dieu est en lui-même. Donc nous avons son comportement, ses réactions, sa vie dans nos relations avec les autres. Etant en tout comme lui, lui étant semblable en tout, nous avons pleine assurance.

En effet, il ne peut se désapprouver, il ne peut se condamner. Il se reconnaît en nous. Tout ce que nous savons, tout ce que nous sommes vient de lui. Notre conduite est le reflet de la sienne. Donc nous ne pouvons pas être condamné par lui, au contraire !

Maintenant, comment Dieu est-il dans sa relation avec le monde? C'est ici que vous allez voir apparaître la révélation de Dieu dans sa Trinité. Dans l'économie actuelle, nous avons toujours à faire à l'Esprit­ Saint, toujours. Il est omniprésent, il est omni agissant. Nous n'avons pas directement à faire au Christ, encore moins directement à faire au Père. Nous avons à faire à l'Esprit Saint que le Christ nous a donné pour être avec nous jusqu'au jour où lui reviendra.

 

Or, l'Esprit Saint est amour. Si bien que tout dans l'univers est régi par l'amour. Le cosmos tout entier est en voie d'amorisation, comme on dit. Eh bien, nous serons semblables à l'Esprit Saint si tout en nous procède de l'amour. Si donc l'égoïsme en nous a disparu pour laisser place à l'amour, à ce moment-là nous sommes comme l'Esprit Saint.

Mais ce n'est pas une ressemblance qui est comme un mimétisme de ce que fait l'Esprit Saint. Non, nous lui sommes semblables parce que c'est lui qui vit en nous totalement. Donc voilà déjà une chose. Première chose, nous devons être amour, tout faire par amour, jamais par intérêt, jamais par égoïsme. Et amour, c'est donc gratuité, dépossession de soi, accueil total.

Notre centre de gravité est chez Dieu, il est dans nos frères, il est en nous. Nous sommes ici non pas pour être servis mais pour servir et donner notre vie. Donc, à ce moment-là, nous sommes comme l'Esprit­ Saint.

 

Maintenant le Saint Esprit, lui, il nous est donné par le Christ, c'est à dire par le Fils de Dieu. C'est donc le Fils qui agit dans l'Esprit et par lui. Et par l'Esprit, il poursuit son oeuvre de création, de rédemption et de transfiguration du monde.

Or le Fils, Jésus de Nazareth, est douceur. Il l'a dit. Apprenez de moi une chose - pas mille choses, pas deux choses - mais une seule. Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. Donc, la chose que nous devons apprendre du Christ, c'est la douceur. Nous serons donc comme le Fils si nous sommes doux avec nos frères. Et le contraire de la douceur, je le rappelle, c'est la colère, c'est la dureté. Et n'oublions pas que la douceur, ce n'est pas de la mièvrerie, ce n'est pas de la faiblesse, ce n'ai pas du laisser faire tout.

Non, la douceur, c'est une violence maîtrisée. Et quand je dis violence, cela veut dire une énergie. Ce n'est pas une violence dans le sens de quelque chose qui est mauvais et qui détruit, mais c'est une énergie, un sommet d'énergie qui est maîtrisée ; donc une énergie humaine, énergie psychique, psychologique et spirituelle.

 

Maintenant, dans le Fils, c'est le Père qui se manifeste. Il l'a dit : Qui me voit, voit le Père. Or le Père, lui, nous le savons, nous le chantons à longueur de Psaumes, le Père est compassion, il est miséricorde, il est pitié, il est tendresse, il est longanime, il est pa­tient. Il a tant aimé le monde qu'il a envoyé son Fils, non pas pour con­damner le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui. Nous serons donc comme le Père si nous sommes compatissants les uns envers les autres.

 

Mes frères, le jour de notre baptême, nous avons été marqués du sceau de la Trinité. Nous avons été baptisés, c'est à dire plongés, immergés dans le Père, et dans le Fils, et dans le Saint-Esprit. Cette vie nouvelle, cette vie divine doit s'épanouir en nous.

Elle s'épanouit lentement mais sûrement au fur et à mesure que chacune des Personnes de la Trinité prend possession de notre être, à mesure que nous devenons amour, que nous devenons douceur, que nous devenons compassion.

Maintenant au sommet, lorsque cette vie divine a triomphé en nous, nous sommes sur la terre exactement comme Dieu est en lui-même. Nous sommes en nous-mêmes tel que Dieu est en lui-même. C'est sa vie qui est en nous. Nous sommes en lui et lui est en nous.

 

Si bien que en attendant le jour du jugement, c'est à dire le jour où - naturellement ce n'est pas ici à décrire, ce n'est pas à imaginer, même à concevoir - mais le jour où tout à tout il se montrera à nous et où nous le découvrirons, nous serons en pleine assurance.

Et cette assurance, qui est l'assurance de la vie future, elle est déjà assurance d'un présent parce que comme nous sommes tels qu'il est, qu'il a triomphé en nous, et que nous sommes devenus sur la terre vraiment la révélation de ce qu'il est en lui, à ce moment-là cette assurance est déjà en nous maintenant.

Mes frères, voilà la raison d'être de notre vie monastique et de notre présence dans le monastère. Et notez que c'est ainsi depuis l'origine de la vie monastique. Nous le verrons, si Dieu nous conduit jus­que là, nous le découvrirons, les tous premiers moines voyaient déjà la vie monastique dans cette lumière.

 

Mais vraiment, mes frères, c'est une très grande grâce que nous avons reçue. Et ne l'oublions jamais, nous ne l'avons pas seulement reçue pour nous personnellement mais aussi pour tous les hommes qui sont comme ramassés, cachés, abrités dans notre coeur. Et puisse le Seigneur, Lui qui est amour, qui est douceur et qui est compassion nous conduire tous jusqu'au plein épanouissement de notre vocation, de notre raison d'être dans ce monastère et sur cette terre.

Solennité du Corps et du Sang du Christ.        28.05.89

      La Fête de l’Amour.

 

Mes frères,

 

La solennité du Corps et du Sang du Christ est la Fête de l'Amour poussé jusqu'au bout. Nous sommes aimés dans une démesure de folie qui devrait nous transporter d'admiration, nous emplir de confiance et de joie. Si nous n'avions pas le sacrement de l'Eucharistie, nous ne saurions pas vraiment que Dieu est amour et nous ne connaîtrions pas vraiment Dieu.

Saint Thomas l'a compris lorsque dans l'hymne qu'il a composé à cette occasion, à l'occasion de cette fête, il dit : Nobis datus, nobis natus ??? . L'accent est mis sur nobis. C'est à nous qu'il a été donné, c'est pour nous qu'il est né. Il s'est produit en Dieu une sorte de décentrement.

Dans l'Eucharistie, Dieu est pour nous, il tire sa raison d'être de nous. Nous sommes pour lui comme des dieux. Il se perd en nous, il se perd pour nous. Il ne cesse pas d'être ce qu'il est, mais en devenant chair et en nous donnant cette chair comme nourriture, d'une certaine façon il s'anéantit comme s'il nous donnait sa place, comme s'il nous cédait le premier rang.

 

C'est pourquoi l'Eucharistie est un mystère. Nous ne parviendrons jamais à comprendre exactement ce qu'elle est. Après la résurrection des morts, donc après les temps derniers, lorsque Dieu sera tout en tous, l'Eucharistie continuera d'exister mais sous sa forme achevée.

Ne pensons pas à des messes qui seraient célébrées. Non, cela est pour un temps. Mais ce qui est éternel, c'est le don que Dieu nous fait de son être. Lorsqu'il sera tout en nous et en tous les hommes, à ce moment­-là, nous ne serons plus qu'un chant d'allégresse, nous serons chacun une eucharistie.

 

Mes frères, il n'est pas possible pour Dieu d'aimer au-delà. Et nous comprenons mieux à l'intérieur de ce mystère et de ce geste divin, nous comprenons mieux notre vocation d'homme. Nous devons dès maintenant devenir comme lui, c'est à dire aimer jusqu'au bout. Mais il ne nous est pas possible d'aimer de cette manière si nous ne lui cédons pas toute la place en nous.

Il se vide de lui pour qu'il puisse nous emplir. Nous devons donc faire le vide, et nous faisons le vide en nous nourrissant de sa volonté. Nous devons d'abord nous nourrir de sa volonté avant de nous nourrir de son corps et de son sang, faire le vide en nous pour que Lui puisse devenir notre nourriture et notre tout.

Dans notre vie, lorsqu'il s'incorpore à nous, il nous incorpore à lui. Si bien que dans notre vie pratique, dans notre vie concrète, dans nos relations fraternelles, nous devons être ce qu'il est, c'est à dire amour. Et être amour signifie céder la place à l'autre. Ce n'est pas un simple geste de politesse comme quand on cède le passage à quelqu'un.

Non, c'est un geste d'amour parce qu'il faut que l'autre soi chez lui à l'inté­rieur de notre coeur, qu'il le sache, et qu'il le sente, et qu'il le découvre à l'intérieur de tout ce que nous faisons. Il faut, mes frères, qu'il soit le premier à l'intérieur de nos pensées, c'est à dire que nous ne devons pas avoir à son endroit des pensées de condamnation, des pensées de jugement.

Certes, on peut avoir, on peut ressentir plus ou moins de sympathie vis-à-vis d'un frère, on peut ressentir de l'agacement, parfois de l'énervement à l'endroit d'un frère, mais ce n'est pas une raison pour nous de céder à cette tentation. Il faut qu'au fond de notre coeur notre frère soit toujours le premier servi comme nous à l'intérieur du coeur de Dieu nous sommes les premiers servis.

Ce n'est pas facile, mes frères ! Humainement parlant c'est impossible. Mais la communion au corps et au sang du Christ, soyons en certains, purifie notre coeur et lui apprend à aimer. Elle fini par avoir raison de notre égoïsme et de nos peurs.

 

Dans l'Eucharistie, nous faisons aussi l'expérience de l'éternité. La vision et la manducation de Dieu nous font entrer dans un autre univers, celui de Dieu et de sa vie. Nous sommes comme lui à ce moment-là, de tou­jours à toujours.

Le but n'est pas de faire des expériences mystiques étranges mais de connaître la vérité toute entière, de connaître notre destinée d'éternité comme les enfants de Dieu que nous sommes, des enfants de Dieu en voie dès maintenant de résurrection. Celui qui mange ma chair et boit mon sang, a dit le Christ, il a en lui la vie éternelle et il ne verra jamais la mort.

Mes frères, il ne s'agit pas ici de la mort biologique, mais de ce type de mort qui pourrait à jamais nous séparer de Dieu et nous enfoncer dans un malheur éternel. Voila ce que je voulais vous dire à cette occasion, mes frères. C'est peu de chose mais c'est, me semble-t-il, un des éléments essentiels de no­tre vie contemplative, de notre vie chrétienne, de notre vie d'homme tout simplement.

 

 

Chapitre : Récollection du mois de juin.          03.06.89

          Le Cœur sacré de notre Sauveur.

 

Mes frères,

 

Le Cardinal Ratzinger vient de nous ouvrir une éclaircie sur le mystère du Coeur sacré de notre Sauveur, coeur ouvert d'un coup de lance et qui évoque le coeur ouvert du premier Adam. Ce sont des choses sublimes qui nous touchent et qui nous constituent dans notre être d'homme, dans notre être de fils de Dieu.

Il en est d'autres plus modeste. Je voudrais attirer ce soir à l'occasion de notre récollection votre attention sur une parole qui m'a frappé hier et qui, si nous la laissons jouer à l'intérieur de notre être, devrait le retourner, le convertir de fond en comble.

Ne nous arrêtons pas aux aspects sanglants du coeur de notre Sauveur. Allons jusqu'au foyer. Laissons-nous saisir, envelopper, vêtir par le mystère. Il s'agit - vous l'avez compris - du mystère de l'Incarnation. Dieu s'est fait homme. Il a épousé notre condition avec ses problèmes, ses soucis, ses difficultés, ses peines, ses tentations, ses échecs.

 

Et la parole sur laquelle je voudrais légèrement appuyer ce soir est celle-ci : En devenant homme, l'amour qui est Dieu s'est carnalisé - si je puis me permettre ce néologisme - l'amour qu'est notre Dieu est devenu un amour d'homme. Nous savons que Dieu est amour. Nous le croyons, mais reconnaissons­ le bien simplement, sans grande conviction.

Dieu est tellement différent, Dieu est tellement autre que son amour semble ne pas nous concerner, ne pas nous atteindre. Il nous paraît distant, inaccessible, impersonnel, froid, indifférent. Nous vivons à côté de cet amour comme s'il n'existait pas. Nous préférons prendre en main la conduite de notre vie.

Nous savons qui nous sommes. Nous avons des limites, mais nous avons des puissances, ce fameux instinct de puissance qui est la face apparente de l'instinct de mort. Et pour ce qui est de Dieu, mais nous le laissons chez lui.

 

Mes frères, tout cela est changé, tout cela change, tout cela est corrigé lorsque nous prenons conscience que Dieu s'est fait homme et que nous contemplons la Personne du Seigneur Jésus. Nous comprenons alors que Dieu nous aime de toute la richesse d'un coeur d'homme, mais d'un coeur qui n'est plus qu'amour.

Ne regardons pas notre propre coeur, mes frères, il est encore trop crispé sur lui-même. Regardons seulement les aspirations qui sommeillent en lui. Nous désirons tellement être écoutés, être compris, être acceptés tels que nous sommes, en un mot : être aimés.

Eh bien, disons-nous que c'est possible parce qu'il est maintenant dans l'univers un homme qui peut nous accepter, nous reconnaître et vrai­ment nous aimer. Et cet homme, c'est le Seigneur Jésus qui est Dieu devenu homme.

Voici donc l'amour divin qui a revêtu tous les traits d'un amour humain parfait. Mais attention ! Du même coup, nous sommes interpellés, questionnés, sollicités. Car comment aimons-nous ? Savons-nous seulement ce que signifie aimer ?

Reconnaissons-le encore une fois : aimer, pour nous, c'est prendre possession, c'est devenir maître de, c'est trouver du plaisir en compagnie de quelqu'un. Finalement aimer, c'est dévorer l'autre.

 

Eh bien, mes frères, aimer, c'est d'abord accueillir Dieu dans son coeur et lui laisser toute la place ; c'est en arriver à pouvoir dire : ce n'est plus moi qui vit, c'est Lui qui vit en moi.

Aimer, c'est d'abord accepter d'être transformé. C'est accepter d'acquérir des moeurs nouvelles, les moeurs de notre Dieu. Et comme vient de le rappeler le Cardinal Ratzinger, Dieu n'existe pas pour lui, Dieu est pour les autres.

Aimer sera donc ensuite accepter les autres en soi, leur laisser en nous toute la place à côté de Dieu. Car lorsque Dieu occupe toute la place à l'intérieur de notre coeur, il y appelle tous les autres hommes car Dieu n'est pas jaloux.

 

Accepter Dieu aujourd'hui, c'est accepter Dieu devenu homme, Dieu devenu tous les hommes, c’est accepter le Christ. C’est donc s'oublier comme lui s'est oublié et c'est toujours donner la préférence aux autres.

Aimer, mes frères, c'est enfin être dans le coeur des autres l'amour qui les fait vivre. Et ça, c'est vraiment le sommet. Il n'est pas possible d'aller plus haut dans l'amour. Mais ce sommet est déjà donné en germe au départ.

Je le redis, mes frères, le sommet de l'amour c'est d'être dans le coeur des autres l'amour qui leur donne une raison de vivre. Mais pour cela, il faut être mort à soi. Il faut être vraiment devenu sur la terre un autre Christ.

 

La solennité du Sacré-Coeur nous dit donc que Dieu est devenu amour humain chaleureux, attentif, délicat, respectueux, créateur de liberté, facteur d'épanouissement, source de joie et de paix.

Notre amour d' homme, notre pauvre petit amour d' homme doit devenir amour divin, c'est à dire nous devons aimer comme Dieu aime, comme le Christ aime. Car maintenant ne l'oublions jamais - et c'est là peut-être la révélation qui nous touche le plus au plan pratique, au plan concret - ne l'oublions jamais, Dieu maintenant aime à travers un coeur d'homme.

Rappelons-nous, mes frères, la magnifique hymne de l'Apôtre Paul, l'agapè, la charité, l'amour supporte tout. L'amour ne pense jamais le mal de quelqu'un d'autre, il espère tout, il croit tout. Je pourrais continuer, mais cette hymne vous la connaissez, vous vous en inspirez, nous nous en inspirons. Je rappelle encore que les fondateurs de Cîteaux ont voulu faire de leur monastère une scola caritatis, une école où on apprend l'art sublime d'aimer.

 

Mes frères, je le répète, c'est notre expérience, c'est la mienne, c'est la vôtre. L'amour ne nous est pas naturel. Ce qui en nous est naturel, c'est l'égoïsme. Eh bien, nous sommes ici dans ce monastère pour apprendre à aimer, pour apprendre à mourir à nous-mêmes, à nous ouvrir aux autres comme une fleur s'ouvre.

Nous avons connu le printemps, un magnifique printemps, nous avons vu les fleurs s'ouvrir, les feuilles se déployer. C'est cela, mes frères, que nous devons réaliser chacun pour notre compte sous le soleil qui est notre Christ, voir la lumière qu'Il est et devenir chacun pour notre part des foyers d'amour. Alors notre monastère sera vraiment une école qui réussit son but, qui atteint sa raison d'être.

Et bien nous y penserons, si vous le voulez bien, demain à l'occasion de notre récollection, et puis les autres jours aussi. Et nous nous aiderons les uns les autres à parfaire en nous cette oeuvre magnifique, cet Opus Dei, cette Oeuvre de Dieu qui est de transformer un petit paquet de chair en une présence de Dieu sur notre terre.

 

Et cette présence de Dieu se manifeste toujours, ne l'oublions pas, toujours par des pensées d'amour, par des paroles d'amour, par des gestes d'amour, mais d'abord par des pensées. La grande lutte monastique, c'est la lutte contre les pensées perverses.

Les pensées qui sont égoïstes et qui ne sont pas d'amour, il faut les écarter, il faut les étouffer, il faut les laisser mourir pour qu'il n’y ait plus place en nous que pour des pensées de charité. A ce moment-là, mes frères, lorsque le coeur est ainsi purifié, le reste suit, et les paroles, et les gestes, et toute la conduite.

 

Cette tâche est ardue, mais elle est sublime. Elle est indispensable car notre monde a besoin d'hommes qui soient devenus pure lumière d'amour. Nous avons encore entendu à midi, au cours de la lecture du réfectoire, cette parole que rappelait Jean Guitton et qui est courante dans le monde juif : Il faut toujours qu'il y ait 36 justes dans le monde, sinon le monde s'écroule.

Mes frères, nous devons être des justes, c'est à dire des hommes qui savent voir avec le regard de Dieu, qui savent aimer avec le coeur de notre Christ.

 

Homélie : 9° dimanche ordinaire. Année C.      04.06.89

Nous sommes des païens convertis.

      1R 8, 41-43 * Ga 1, 1-2.6-10 * Lc 7, 1-10

 

Mes frères,

 

Le centurion de l'armée romaine était un étranger. Il était un ennemi aux yeux des purs d'Israël. Il n'a pas saisi l'occasion de la maladie de son esclave pour s'approcher de Jésus, pour le voir, pour lui parler. Mais sa foi, son amour sincère, total, a obtenu le miracle.

A l'autre extrémité, voyons le roi Hérode qui brûle d'envie de voir le Seigneur. Et il l'a soudain devant lui, enchaîné. Il fait tout ce qu'il peut pour obtenir un miracle et n'obtient pas même une parole, pas même un regard.

Mes frères, le contraste est saisissant. Rappelons-nous que nous­-mêmes, nous sommes des païens convertis. Nous ne sommes pas du peuple d'Israël. Nous avons été greffés sur la souche sainte de ce peuple. Et maintenant nous recevons la vie divine à travers notre Christ qui lui­-même est le fleuron de la race d'Israël.

 

Nous savons aujourd'hui que le temple dans lequel le Seigneur attend d'être rencontré, d'être prié, d'être contemplé, c'est le corps du Seigneur Jésus, ce corps que les hommes ont tenté de détruire mais que son Père a ressuscité d'entre les morts. Dieu veut nous dire par là aujourd'hui que tous les hommes sont appelés à le connaître, tous sont invités à entrer en relation avec lui, tous sans aucune exception. N'allons pas ici doser des mérites.

Des mérites, nous n'en avons pas. Devant Dieu, nous sommes tous des pécheurs. Et pourtant Il est amour et il n'est pas loin de chacun d'entre nous. C'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être. Et à tous, il offre son amour et la communion à sa propre vie. Voilà le coeur de la Bonne Nouvelle : nous sommes appelés à réaliser notre destinée d'homme en devenant des fils de Dieu.

Mais alors, pourquoi tant de misères, tant de crimes, tant de souffrances dans notre monde ? Parce que nous ne parvenons pas à nous dégager de l'animalité. En d'autres termes, nous restons des idolâtres invétérés. Rappelons-nous que nous sommes originellement des païens et une bonne partie de notre être l'est resté.

 

Nous n'en finissons pas de nous convertir des images et des apparences à la réalité, de l'égoïsme à la charité. Le malheur vient de ce que chacun vit pour soi. Nous sacrifions tout à l'idole de notre moi et nous en devenons aveugles, sourds et paralysés.

La délivrance se trouve dans la décrispation, dans le décentrement. Ce mouvement de nature extatique se nomme la foi. Elle est une remise de soi à un autre qui est Dieu, Dieu présent dans la personne de son Fils Jésus, le Christ ressuscité d'entre les morts.

Cette remise de soi dans la confiance fut le geste du centurion romain, un geste de salut, et pour son esclave, et pour lui-même et pour toute sa maison, et Dieu sait, pour nous peut-être encore aujourd'hui. Mais ce geste, il ne suffit pas de le poser une fois, il faut aussi le maintenir, il faut y persévérer.

 

Les Galates, qui étaient aussi des païens, eux, mais fraîchement convertis, avaient accueilli la Bonne Nouvelle avec enthousiasme. Mais la chair avait été la plus forte et ils regardaient avec envie vers le plus sensible, vers le plus commode, vers le plus facile. Il faut sans cesse lutter contre la tentation du repliement sur soi.

Mes frères, dans un monde en voie de paganisation croissante, on dirait qu'il s'opère un mouvement de retour, un mouvement de reflux vers l'arrière. Dans ce monde, le rôle du chrétien est de dire par toute sa conduite que l'avenir se trouve dans la personne du Seigneur Jésus ressuscité. Et pour cela, il nous suffit d'aimer vraiment en actes, en paroles, en pensées.

Tout commence dans le coeur, dans la pensée, dans le regard que nous posons sur les autres, sur les événements, sur les situations. Il suffit de mettre en oeuvre tout simplement notre foi et cela humblement, sans étalage, sans forfanterie.

Et dans ces conditions, nous serons ce que nos frères les hommes attendent de nous. Nous serons pour eux, devant eux, une lueur d'espérance.

Homélie : Funérailles du Fr. Ghislain.            12.06.89

 

Mes frères,

 

Chaque soir, avant d'entendre la lecture de Notre Règle, nous demandons au Seigneur de nous accorder une nuit paisible et une sainte mort. Frère Ghislain a été exaucé au-delà de toutes ses espérances.

Le Seigneur est venu le chercher au cours de l'Office des Laudes, dimanche. Il a permis qu'il s'endorme paisiblement dans la paix le jour où au milieu de ses frères il célébrait la résurrection du Christ. Et maintenant, il est dans la lumière de Dieu et dans la joie.

La vocation contemplative, il la vit maintenant en plénitude et il nous encourage à la fidélité, au don de soi, à la confiance, à l'exercice d'une charité sincère : L'Ecriture vient de nous le rappeler: nous sommes créés pour une existence impérissable car Dieu nous a voulu à son image. Et rien ne peut nous séparer de l'amour que nous porte Dieu en la personne du Christ Jésus.

Nous ne pouvons................................ 

 

                                                                                 Panne de courant

 

Chapitre : Qui était notre frère Ghislain.

 

Mes frères,

 

La dépouille mortelle de notre frère Ghislain repose dans notre cimetière à l'endroit où l'on dort en attendant l'heure de la bienheureuse résurrection. Tel est le sens étymologique du mot cimetière. C'est un dortoir, un lieu où on se repose des fatigues de cette vie misérable en attendant de se réveiller dans le Royaume de Dieu.

 

Vous allez dire : Mais il faudra encore attendre longtemps ? Il s'agit naturellement ici de ce qu'on appelle la résurrection générale. Nous ne savons pas ce qui se passe après la mort et personne ne vient nous le dire.

Nous avons tout de même une référence. C'est la personne du Christ qui après sa mort est apparu vivant à ses disciples sous une forme nouvelle inconnue de cet univers-ci. Espérons que ce sera notre lot. Cette espérance habite notre coeur et c'est elle qui nous permet de passer allègrement au-delà de la mort biologique.

Et voilà, pendant que le corps de notre frère Ghislain est au cimetière, la vie des hommes et notre propre vie continue comme si rien ne s'était passé. Il y en a peut-être un dans la communauté qui s'en rend compte, et c'est moi, car je dois faire le travail de frère Ghislain, quelque chose de bien concret.

 

Mais enfin ! Je faisais remarquer après le décès du frère Ghislain à un de nos frères que il y avait dans ce fait brutal de la continuation des occupations normales des hommes un aspect de cruauté qui montre à quel point nous sommes asservis au péché, au prince de ce monde, à cet être malfaisant qui n'a pas de coeur. Frère Ghislain est entré dans cette charge au moment où je suis devenu Abbé, donc il y aura bientôt douze ans. Il s'en est acquitté vraiment avec soin. Il respectait les échéances avec scrupule veillant à ce que chacun reçoive son dû au moment voulu pour que partout règne la paix, et l'ordre, et la sécurité.

Le Frère Ghislain n'est plus là. Il semble que tout devrait s'arrêter et prendre le deuil. Mais non, pour le 15 juin, les accises doivent être payées sinon c'est l'amende et les intérêts de retard. Pour le 20 juin, la TVA doit être payée...et ainsi tout le reste, mes frères. La machine administrative est sans pitié et les lois de l'économie sont implacablement dures.

C'est à ça qu'on remarque que le monde et son prince exige leur dû, et tout de suite. Que le frère Ghislain soit vivant ou qu'il soit mort, cela n'a aucune espèce d'importance pour cette machine administrative cruelle, pour ce monde qui ne connaît pas la pitié.

 

Il faut, mes frères, que notre coeur ne se laisse pas prendre. Il doit demeurer libre. Et il sera libre s'il se fixe là où se trouve la vérité, c'est à dire en Dieu, dans sa volonté, dans son amour et dans sa lumière.

Par le meilleur de ce que nous sommes, nous devons vivre dans le monde de Dieu. Et ainsi, nous rendrons à César ce qui appartient à César, mais pour le reste nous serons déjà ailleurs.

Nous sommes appelés dès maintenant à vivre dans la communion avec le Christ, avec la Vierge Marie, avec les anges, avec les saints, les saints du ciel mais aussi les saints de la terre. Nous devons vivre aussi en communion avec les pécheurs, avec cette masse immense qui doit plier sous le joug du prince de ce monde-ci.

 

Et lorsque voilà, nous entrons dans ce qui nous est imposé et que nous plions aussi la nuque devant les lois de ce monde, nous marquons par là notre solidarité avec le reste des hommes. Mais il y aura pour nous une différence, je le répète, c'est que notre coeur est libre. Notre coeur est dans la volonté de Dieu et dans la lumière.

Voilà, mes frères, nous pouvons ainsi goûter une liberté que rien ni personne ne peuvent nous ravir. C'est, me semb1e-t-i1, un petit message que notre frère Ghislain nous adresse de l'endroit où il est.

Son départ brutal est ainsi un davar, un logos, une parole prophétique qui nous est adressée et qui nous dit que nous devons faire ce que le monde demande. Et par là encore une fois, je le répète, nous marquons notre solidarité avec tous les hommes. Mais notre coeur n'est pas dans le monde, il est dans l'univers nouveau, là où il n'y a que la charité. Il faut que ce courant de charité circule entre nous. Nous ne pouvons pas permettre qu'il soit un jour de quelque manière interrompu..........

 

                                       C’est la transmission qui est interrompue !!!!!

 

 

 

Homélie : Vigile de Saint Jean-Baptiste.        23.06.89

 

Mes frères,

 

Nous ne creuserons jamais assez le réalisme de l'incarnation de notre Dieu. Le Seigneur Jésus tout comme nous était un homme emprisonné dans les limites d'un moi préfabriqué. Tout comme la nôtre, son intelligence avait besoin de lumières, de points de repères, de jalons. Elle devait être guidée pour ne pas s'égarer, pour s'accorder toujours aux moindres vouloirs de Dieu.

 

Aussi Dieu son Père a-t-il placé quelques pas devant lui une parole vivante qui serait un guide sûr, qui tracerait sans erreur la route qu'il faudrait suivre. Et cette parole, c'était Jean le Baptiste de six mois plus âgé que Jésus, son propre cousin, Jean, qui serait aux dires de Jésus lui-même l'homme le plus grand que la terre ait jamais porté.

Nous pourrions longuement écouter la Parole que fut Jean pour Jésus. Nous nous arrêterons ce soir à un écho, le plus beau, le plus tragique aussi. Le martyre de Jean, sa mort injuste et cruelle dans la fleur de la jeunesse, annonçait à Jésus que bientôt, quelques mois plus tard, ce serait son tour et qu'il mourrait torturé dans des circonstances analogues.

Il devrait, lui aussi, rendre témoignage à la vérité, et cela jusqu'au bout. De ce témoignage, il devrait subir toutes les conséquences car les hommes n'aiment pas se trouver en face de la vérité.

 

La vérité leur fait peur, pourquoi ? Parce que les hommes sont tout entier plongés dans les ténèbres et la lumière de la vérité les épouvante. Que peuvent-ils faire alors ? Eh bien, ils veulent l'éteindre, mais la lumière ne peut pas être maîtrisée, elle ne peut même pas s'éclipser.

Jésus, la lumière du monde, la vérité, le chemin, la vie, devait disparaître car les hommes ne voulaient pas de cette vie-là. Ils ne voulaient pas de cette vérité. Ils préféraient leur vérité à eux, la vie illusoire qui germe quelques instants comme un feu follet sur leur égoïsme, sur leurs passions.

Et Jésus a dû affronter ce drame. Il s'est trouvé devant cette échéance et il n'a pas dévié d'une ligne. Mais lorsque Jésus apprenait le meurtre de Jean, déjà il enveloppait Jean dans sa résurrection, il l'emportait déjà avec lui au-delà de l'imaginable dans la lumière qui le transfigurait.

 

Mes frères, nous comprenons bien que notre sequela Christi est aussi une marche à la suite de Jean-Baptiste. Depuis l'origine, les moines ont découvert en lui le premier de leur lignée, non pas seulement parce que Jean vivait au désert dans la pauvreté, la frugalité, la chasteté, mais surtout parce que saisi par Dieu, il descendait jour après jour dans la mort. Il devenait, avec celui dont il était le précurseur, un seul esprit.

          Aujourd’hui, mes frères, notre tour est venu de nous dépouiller de tout, d’embrasser le rien qui est comme une mort. Regardons Saint Benoît, il nous invite à descendre des degrés jusqu’au jour où nous pouvons dire avec Jésus, avec Jean, avec Benoît, avec tous les vrais moines contemplatifs : je suis réduis à un rien et je ne sais pas, je ne sais plus.

Mes frères, ça ne doit pas nous effrayer, car ce rien, c'est le vêtement dans lequel se cache notre Dieu un et trine. Il est un rien parce que nous ne pouvons pas l'appréhender. Et nous ne pouvons entrer en communication avec lui que si nous acceptons nous-mêmes de devenir rien.

 

          Nous allons demander à Jean-Baptiste de nous faire don de sa fidélité à lui, de manière à ce que nous restions fermes jusqu'au bout. Oh, il peut y avoir des moments d'hésitation, des moments de passion, mais c'est dans la ligne de notre nature pécheresse. Cela ne doit pas nous faire désespérer du but à atteindre.

Non, c'est notre route à nous qui sommes, je le répète, des pécheurs. Nous demanderons donc à Jean-Baptiste de rester fidèle et ainsi il pourra déjà dès maintenant se reconnaître en nous et s'en féliciter.

 

                                                                                             Amen.

 

Homélie : Vigile des Saints Pierre et Paul.       28.06.89

 

Mes frères,

 

Remarquons que la toute dernière parole attribuée par les Evangélistes au Seigneur Jésus est celle-ci : Suis-moi ! Cette parole est adressée à Pierre et à travers lui aux autres apôtres, à l'Eglise entière, à chacun d'entre nous. Il s'agit d'une sequela, d'une marche à la suite du Christ qui embrasse notre existence entière et s'attache à tous les détails de la vie de Jésus.

Il ne s'agit donc plus de suivre nos inclinations naturelles mais d'épouser une motion qui vient, de l'extérieur, d'entrer dans un souffle qui est la respiration de Dieu et de suivre. Dans la pratique, cela signifie que nous renonçons à nous-mêmes et que nous faisons à Dieu le don de notre vie.

Notre conduite sera donc, comme celle du Christ, toute imprégnée de compassion et de douceur. Il n'est rien de plus contraire à l' esprit chrétien que la dureté. Là où nous rencontrons la dureté, là Dieu est absent. Cela signifie aussi un témoignage donné à la vérité.

 

Vous savez que le Christ a dit devant Pilate qu'il était venu pour rendre témoignage à la vérité. Nous devons nous aussi être toujours des hommes véridiques, des hommes droits, des hommes qui n'ont pas une face publique et un visage intérieur différent. Nous devons par tout notre être, être en toute circonstance des témoins de la vérité, de notre Christ qui est le chemin, la vérité, la vie.

Cela signifie aussi le don de notre vie à tous sans distinction, aux amis et aux ennemis. Nous n'avons pas d'ennemis, mais il y en a pour qui nous sommes des ennemis. Pour nous, nous ne faisons pas de différence. Tous nos hommes sont nos amis comme tous les hommes sont les amis de Dieu, comme tous les hommes ont été sauvés par le Christ.

Cela signifie encore une certitude qui est chevillée à l'intérieur de notre coeur, la certitude de notre transfiguration et de notre résurrection qui sont déjà toutes deux en train de s'accomplir. Cela signifie, mes frères, la certitude d'une victoire absolue sur toutes les formes de mort. Celui qui aime possède la vie éternelle.

 

C'est à cette condition qu'on mérite le nom de chrétien. En dehors de cela, mes frères, ce n'est que jeux puérils et infantilisants. Il suffit de regarder vivre les Apôtres Pierre et Paul pour comprendre ce qui nous est demandé. Pierre n'hésite pas dans sa foi. Le récit que nous venons d'entendre nous le rappelle. Il obtient l'impossible. Et plus tard, sa foi lui permettra de traverser le martyre. Il aura suivit le Christ jusqu'au bout.

Quant à Paul, il vit une Pâque continue. Il passe sans arrêt de conversion en conversion - la sienne bien entendu! - jusqu'à disparaître à l'intérieur du Christ follement aimé et ne plus faire avec lui qu'un seul esprit. L'Apôtre Paul est un homme d'une seule parole. Il vient de nous dire que pendant tout un temps, de bonne foi, il a suivi ce que son coeur lui inspirait jusqu'au jour où la lumière du Christ l'a jeté par terre. Et lorsqu'il s'est relevé, il était entré dans l'uni vers de la lumière, et il le savait.

Mais ce ni était pas fini. C'était le début de sa conversion et il devait lui aussi aller jusqu'au bout, c'est à dire jusqu'au don total de sa vie dans le martyre. L'un et l'autre étaient portés par l'amour et c'est ainsi qu'ils sont devenus des lumières pour toutes les générations de croyants.

 

N'oublions jamais, mes frères, que notre vie monastique est par excellence une sequela Christi, une marche fidèle à la suite du Christ. Je le rappelle, non pas à la suite de nos idées, non pas à la suite d'une idole qui s'appellerait Christ, mais à la suite du Seigneur Jésus ressuscité d'entre les morts. Nous ne sommes pas venus au monastère pour y faire carrière à l'abri des aléas du monde. Nous y sommes venus pour mourir à notre égoïsme et apprendre la science merveilleuse de l'amour.

Mes frères, confions-nous à ces deux géants que furent Pierre et Paul. Demandons leur de nous accorder la grâce qui leur a été si largement départie : nous attacher à la Personne du Christ Jésus par une obéissance de plus en plus fidèle. Ainsi nous connaîtrons nous aussi la joie et la paix, la paix qui habitait le coeur du Christ, la joie qui emplissait tout son être.

Et ainsi nous réaliserons l'épanouissement de toute notre personne déjà ici sur terre, mais alors parfaitement dans le monde à venir qui nous est largement ouvert.

 

                                                                                                 Amen.

 

 

Chapitre : Récollection du mois de juillet.        01.07.89            

          Mieux vivre pour bien mourir.

 

Mes frères,

 

Au cours du mois de juin, nous avons vécu deux événements peu ordinaires, l'un au début et l'autre à la fin. Le premier est, vous vous en doutez, l'accident mortel dont a été frappé notre frère Ghislain le dimanche même de notre récollection, en cette église au cours de l'Office.

Et le second, c'est la Visite Régulière qui a clôturé le mois de Juin. Le second doit être accueilli et compris dans la lumière du premier. La Visite Régulière ne veut-elle pas nous apprendre à mieux vivre pour nous apprendre à bien mourir.

Saint Benoît nous rappelle que un vrai moine doit avoir la mort suspendue sous les yeux chaque jour. 4, 55. Ce n'est pas une vision morbide, effrayante ? Non, c'est un réalisme surnaturel qui doit à tout instant nous situer à l'intérieur de notre vérité, notre vérité de créature, notre vérité d'enfant de Dieu.

 

Nous devons toujours revenir à la même question : qui sommes-nous ? Et que faisons-nous ici dans ce monastère ? Encore un peu de temps et nous rendrons à notre tour notre dernier soupir. Et tout dans le monde, dans notre Abbaye, tout continuera comme si nous n'avions jamais été.

          Mes frères, prenons garde à une indifférence qui serait cruelle à l'endroit de ceux avec lesquels nous avons vécu, ceux que nous avons aimés, ceux qui nous ont aidés à être ce que nous sommes. Saint Augustin vient de nous rappeler que c'est un devoir chrétien, même un devoir d'humanité, de rester en communion spirituelle avec ceux que nous avons fréquenté sur cette terre.

Car la mort biologique n'est pas le dernier événement d'une existence qui sombrerait dans le néant ou bien qui s'épanouirait dans un univers autre que le nôtre. Non, la mort biologique est un événement purement naturel. Mais derrière cet événement, il y a la présence amoureuse de notre Dieu, il y a l'action créatrice - toujours créatrice - de notre Christ, et la bien­heureuse résurrection, c'est à dire l'entrée dans cette vie autre qui n'est rien moins que la vie des trois Personnes Divines.

 

Mais à ce moment, mes frères, ceux que nous avons connus sur cette terre et qui sont entrés dans cet univers nouveau, puisque nous sommes en communion avec eux, la partie la plus noble, la partie la plus vraie de notre être y est déjà entrée avec eux. Nous sommes ressuscités avec le Christ. Nous siégeons avec lui à la droite de Dieu, dans le Christ d'abord mais aussi dans la personne de nos frères.

Nous ne devons jamais oublier cette réalité qui fonde en partie notre existence ici, notre présence ici dans ce monastère. Cette présence n'aurait aucun sens si elle ne se référait donc à un double pôle : d'un côté Dieu qui est amour, qui est résurrection et qui est vie et de l'autre côté nos frères dans lesquels Dieu nous apparaît. Et finalement donc, tout se ramène à Dieu et passe par nos frères.

Donc notre vie n'a de sens que si elle nous est enlevée pour être donnée. Qui veut jalousement garder sa vie la perdra. Mais qui prend le risque de la perdre, celui-là la sauvera et la gardera. Ce sont les paroles mêmes de notre Christ.

 

Il s'agit maintenant de les transcrire à l'intérieur de notre quotidien le plus concret et c'est aussi une des raisons pour lesquelles nous devons rester en communion spirituelle avec ceux que nous avons connus et qui ont franchi le seuil de la mort. Il s'agit donc toujours d'une question de vie ou de mort. Nous sommes ici pour entrer au-delà de la vie biologique fragile et précaire dans une vie nouvelle, une vie autre, une vie que l'on appelle éternelle.

N'allons pas l'imaginer sur le mode d'une durée qui ne cesserait pas. Non, c'est plutôt une concentration extrême en un seul point qui devient un présent, un perpétuel présent. Et pour cela, mes frères, nous avons choisi de suivre le Christ ressuscité, lui qui est la source de toute vie, qui est la réalité première et ultime, l'Alpha et l'Omega.

Il importe donc de tout sacrifier à l'intérieur de ce choix. Et c'est pourquoi le frère qui est mort est une parole qui nous rappelle notre vérité et qui nous réveille de notre torpeur. A partir de là, nous comprenons mieux les renoncements auxquels nous sommes invités, le détachement qui doit nous habiter. Et allons même jusqu'au bout, nous comprenons mieux le rien dans lequel nous devons entrer, car ce rien n'est pas seulement le vêtement qui revêtirait Dieu, mais il est Dieu lui-même, au coeur même de sa vie.

 

Car, ne l'oublions jamais, notre Dieu, nous ne devons pas en faire une idole. Et il ne sera jamais pour nous une idole si nous ne pouvons mettre la main sur lui, si pour nous il demeure un rien qu'il est impossible de saisir parce qu'il n'y a rien. Attention ! Je ne veux pas dire ici que Dieu n'existerait pas, ni que Dieu serait une sorte de néant bouddhique. Non, non, il est un rien à partir de nous, mais nous savons qu'il est à partir de lui.

Et il a voulu - de cet insaisissable où il se trouve - venir jusqu'à nous en devenant homme. Et nous le voyons en la Personne de notre Christ. Mais là, encore une fois, attention aux représentations idolâtriques, mes frères. Le Christ est pour nous une réalité vivante si l'oeil de notre foi le reconnaît dans notre frère, si la vigueur de notre amour s'unit à notre frère, et - encore une fois - si nous déposons notre vie entre les mains de notre frère pour la lui donner.

Une fois franchi le seuil de cette mort mystique, la mort biologique peut venir. Celui qui n'a plus aucune convoitise, celui-là est libéré de tout. Et il n'a plus de convoitises parce qu'il possède tout dès l'instant où il ne possède plus rien. Mes frères, dès ce moment, on a décroché de toute possession et on est devenu un avec Dieu qui est la source de tout et qui est paroxysme de vie. On est libre d'une liberté absolue. A la manière de Dieu en personne et à l'intérieur de cette liberté on connaît une paix et une joie que le monde ignore totalement.

 

La Visite Régulière s'efforce de nous maintenir sur la route de cette libération. Mais elle demeurerait lettre morte si au fond de notre coeur n'était pas toujours présente la réalité de ce dépouillement auquel nous devons tendre. Il n'est rien de plus tragique et de plus douloureux en même temps de rencontrer un moine qui est centré sur sa propre personne, un moine donc qui a peur de mourir à lui-même.

A ce moment-là, on peut mettre sur lui une étiquette, quelques soient les apparences extérieures, il est le plus malheureux des hommes. Rappelons-nous ce que Saint Paul nous a dit : Si je mets mon espérance en ce que cette vie peut m'apporter, moi qui suis chrétien, je suis le plus malheureux des hommes.

 

Mes frères, nous allons demander au Seigneur la grâce de mourir à nous-mêmes, à notre égoïsme, à nos passions, la grâce de mourir entièrement, sans rémission, de manière à pouvoir entrer tout entier dans l'univers de Dieu et là, y contempler déjà la lumière de la résurrection et la beauté indicible de notre Christ.

Et puis, déguster la vie impérissable qui est celle de la Sainte Trinité, devenir avec notre Dieu un seul être. A ce moment, nous parvenons au sommet de notre identité personnelle parce que nous sommes entraînés dans cet échange intratrinitaire, où on est vraiment, dans la mesure où on ne se possède plus, où on se donne et où on accueille.

On n'est pas Dieu, on est pour Dieu, on est par les autres et on est pour les autres. On a réalisé sa vocation d'homme, sa vocation de chrétien et sa vocation de moine.

 

Voilà, mes frères, la leçon que nous pouvons retirer de ces deux événements que nous avons vécu au cours du mois de Juin. Et vous savez qu'il s'en prépare encore un. L'un d'entre nous est en train de s'éteindre. Il a un âge très avancé. Il est très abandonné, très serein. Il m'a dit aujourd'hui après-midi : je vais mourir. Il me l'a dit tout simplement, tout bonnement comme une chose toute naturelle. Je sentais à ce moment-là que le meilleur de lui-même avait déjà franchi ce seuil qui malgré tout nous paraît redoutable.

Mes frères, nous sommes donc invités, par cet exemple encore, à une grande fidélité. Nous ne décevrons pas l'espérance que notre Dieu a placée en nous.

 

Chapitre : Souvenirs du frère Paul.               06.07.89

 

Mes frères,

 

Vous me permettrez d'évoquer quelques souvenirs personnels au sujet de notre frère Paul. Vous comprendrez lorsque vous m'aurez entendu. C'est lui qui m'a ouvert la porte lorsque je suis arrivé pour la première fois. J'étais sur pied depuis près de 24 heures, sans dormir, et je ne savais pas quand je verrais mon lit. Il m'a ouvert la porte et il a pris à la lettre la recommandation de Saint Benoît : Qu'on ne lui accorde pas facilement l'entrée du monastère. 58,2.

Je ne me suis aperçu de rien, pour vous dire que nous ne devons pas avoir peur de nous montrer sévère à l'endroit des jeunes. Les jeunes acceptent tout. Il est vrai que j'étais peut-être un jeune d'une autre époque, un jeune déjà très, très mûr à cause de la guerre. Enfin, les choses étant telles, le frère Paul ne l'a jamais oublié et par après à plusieurs reprises il m'en a demandé pardon. Mais je le répète moi-même je ne m'étais aperçu de rien, je trouvais ça quasi normal.

Il ne pouvait se douter que quelques années plus tard, pas tellement longtemps plus tard, je me retrouverais à ses côtés dans la brasserie dont il était le cerveau et le coeur. J'étais là, non plus en petit postulant, mais comme celui qui prend les décisions. Il fallait réformer, rénover, innover, et qui étais-je auprès d'un vétéran, si ce n'est un homme, un moine dont la faiblesse était habitée par l'obéissance ?

 

Si bien que jamais entre le frère Paul et moi il n'y a eu la moindre tension, le moindre accroc. Et aujourd'hui encore, j'admire la confiance qui m'était faite, le respect dont j'étais entouré. Si bien que je peux rendre grâce à Dieu de l'humilité et de la sagesse du frère Paul. Et qui aurait cru lorsqu'il m'ouvrait la porte que ce jeune inconnu serait un jour son Abbé et que ce garçon tout simple recueillerait son dernier soupir?

Mes frères, nous ne savons jamais devant qui nous nous trouvons. Je l'ai déjà dit tant de fois, mais je le répète encore aujourd'hui : nous ne le savons jamais. La destinée de chacun est inscrite dans le coeur de notre Dieu qui est amour. Ne nous arrêtons pas à ce qui arrive sur cette terre - il y a parfois des surprises - mais voyons plus loin.

Lorsque nous serons entrés, mais totalement, dans l'univers de la résurrection, un jour qui n'est peut­-être pas tellement lointain, à ce moment-là nous lirons en transparence la destinée de chacun et, je pense que, nous serons dans l'admiration. Personne n'est quelconque au regard de Dieu, personne ne doit être quelconque à notre regard à nous.

 

Lorsque Séraphin de Sarov voyait un homme s'approcher de lui, même un étranger, il s'exclamait au moins intérieurement : merveille, le Christ est ressuscité. Il voyait s'approcher le Christ. Il ne se trompait pas.

Mes frères, notre foi n'est peut-être pas encore aussi éveillée, mais nous devons tout de même nous exercer à tenir les yeux ouverts et à implorer Dieu pour qu'il nous les ouvre totalement, pour que nous ne soyons plus des aveugles mais des voyants.

Rien ne rapproche autant les coeurs que la communion au service d'un même idéal, que la solidarité dans le travail manuel. Nous étions tous deux, frère Paul et moi - comme nous le sommes d'ailleurs tous ici ­- non pas au service d'une abstraction, d'une idéologie, mais au service du Christ ressuscité, le véritable Roi, comme nous le dit Saint Benoît.

 

Et chacun agissait, et chacun aujourd'hui parmi nous agit encore, selon ce qu'il est avec ses talents, à l'intérieur de ses limites. Si bien que la complémentarité des gestes et des dévouements était créative et l'est encore maintenant pour chacun d'entre nous à l'intérieur du corps que nous formons, créatrice d'une beauté dont Dieu est la lumière.

Ne nous arrêtons pas aux réalisations matérielles. Elles sont importantes certes, elles sont même premières, mais encore une fois, que le regard soit pur et que derrière ce que nous faisons, nous puissions voir l'édifice qui se construit et qui est le corps même de notre Christ. C'est cela qui demeurera, le reste disparaîtra.

Et ainsi, frère Paul fut toujours, et pour le Christ Jésus et pour moi, un collaborateur intelligent, généreux et efficace. Je lui en dis ma reconnaissance. Sans lui, rien n'aurait pu se faire. Je pense ici à la brasserie. Les anciens ont connu cela.

 

Il y avait ici à l'endroit de la salle de brassage quelques vieux bâtiments faits avec des briques de récupération fabriquées ici devant la porterie. Cela servait de menuiserie, cela servait d'entrepôt de peinture, cela servait aussi de salle de brassage. Ce n'était presque rien et regardez ce qu'il y a aujourd'hui !

Nous ne devons pas nous en vanter, nous en glorifier. Nous devons en rendre grâce à Dieu car ça nous permet de vivre honnêtement et de faire beaucoup de bien autour de nous. Et bien, cela ne se serait pas réalisé si le frère Paul n'avait pas collaboré dans l'obéissance et l'oubli de soi.

Et lui qui aimait tant dessiner, qui aimait tant bien écrire, il ne pouvait imaginer l'épreuve qui allait l'atteindre : perdre insensiblement la vue jusqu'à ne plus pouvoir distinguer une lettre d'une autre.

 

Et c'est ainsi que Dieu l'a purifié jusqu'au bout. Il le voulait entièrement à Lui et il dénouait les dernières attaches. Frère Paul ne s'est pas révolté. Il a beaucoup souffert, mais il s'est abandonné à l'amour de Dieu qui le conduisait.

Vous savez qu'il écoutait des cassettes. Et ce n'était pas des cassettes ordinaires mais toujours des cassettes spirituelles. Et il en retirait grand profit. Il ne laissait pas passer un jour sans les écouter et il le faisait avec beaucoup d'attention et de foi. Notre Dieu qui nous aime sait ce qui est le meilleur pour nous. Et il nous enlève tout ce qui pourrait nous gêner, tout ce qui pourrait nous alourdir, car il veut nous enrichir de sa propre vie.

Mes frères, ne reculons jamais devant l'épreuve. Elle peut être très dure, certes. Nous pouvons crier, nous pouvons gémir, nous pouvons pleurer, mais ne nous dérobons pas. Dieu est un sage médecin et il peut nous rendre une santé, pas n'importe laquelle mais la sienne.

 

Alors, mes frères, puissions-nous à notre tour nous donner totalement à la lumière qui cherche à nous diviniser. Et nous connaîtrons alors la joie indicible de la contempler, cette lumière douce et paisible, jusqu'à ce qu'elle nous engloutisse en sa beauté. Ce fut le tour de frère Paul. Il y a moins d'un mois, c'était le tour de frère Ghislain. C'est peut-être notre tour demain ?

C'est pourquoi, mes frères, ne laissons jamais se perdre les occasions que Dieu nous présente de mourir à nous-mêmes, de nous détacher de tout le charnel de façon à ce qu'il puisse réaliser en chacun d'entre nous le projet d'amour qu'il a imaginé, qu'il a conçu dès avant la création du monde.

Je ne veux pas terminer sans remercier le frère Martin car il a été vraiment d'un dévouement extraordinaire. Il n'a pas regardé à sa peine. Il n'a pas regardé à sa fatigue. Il a vraiment aimé le frère Paul comme il avait auparavant aimé le Père Ambroise, aimé le frère Jules, aimé le frère Charles, pour prendre les derniers qu'il a soigné ici. Nous lui devons, mes frères, beaucoup. Il a ses défauts, le frère Martin, c'est certain. Mais à travers eux voyons la beauté et la bonté de son coeur.

 

Homélie : Funérailles du Frère Paul.              07.07.89

 

Frères et soeurs dans le Christ,

 

N'entendez-vous pas frère Paul nous parler ? Durant toute sa vie monastique, il a gardé le silence dans l'assemblée. Mais aujourd'hui qu'il a franchi le seuil de la vie véritable, il a droit à la parole. Et il use de ce droit avec autorité, avec puissance, avec persuasion. Qu'a-t-il donc à nous dire de précieux, de définitif ?

Ecoutons-le avec respect, avec avidité. Il nous dit que la vérité ne se trouve pas dans l'accumulation des richesses, des honneurs, de la science, du prestige. Elle ne se trouve pas dans la gloire de la réussi te, ni dans la pétulance des plaisirs. Il proclame bien haut que la vérité définitive se trouve dans le dépouillement de l'amour et dans la transparence de la gratuité.

          Ce qui se voit, ce qui se possède n'a pas de consistance réelle. C'est du provisoire. C'est destiné à se dégrader et à s'évanouir. Par contre, ce qui ne se voit pas, l'univers de lumière, la gloire du Christ ressuscité et celle des saints, l'avenir qui nous attend et qui est déjà le nôtre aujourd'hui si nous le voulons, voilà l'unique réel concret, l'impérissable, l'éternel.

 

Maintenant frère Paul le sait d'un savoir absolu. Il en porte témoignage et il nous invite à nous convertir définitivement de l'illusion à la vérité. Nous avons vu frère Paul s'abandonner paisiblement à l'emprise de cette vérité. Dieu l'a insensiblement détaché de tout. Il n'a pas connu les angoisses ni les déchirements qui précèdent l'heure du décès.

Ne possédant plus rien, s'étant oublié jusqu'au bout, il était entièrement disponible. Je vais mourir, me disait-il voici deux ou trois jours seulement. Il me le disait calmement et sans peur. A présent, mes frères, nous contemplons son corps inanimé. Mais lui, il est dans la lumière du Christ ressuscité et c'est de ce lieu béni qu'il nous parle.

Frères et soeurs, oui, notre vie chrétienne doit être le reflet de la vie même de notre Dieu, notre Dieu qui est amour, qui est lumière et qui est beauté. Ainsi, aucune distance n'existera entre frère Paul et nous. Là où il est, là où nous sommes, nous serons déjà ensembles dans la lumière de la vie.

 

                                                                                                     Amen.

 

Règle : 31, 1-26 : Portrait idéal du cellérier.  08.07.89

      Le dernier recours.

 

Mes frères,

 

Nous avons entendu la lecture de ce chapitre par le titulaire de l'emploi. Il exécute sa fonction de lecteur avec une telle aisance que je viens à me demander s'il ne médite pas ce chapitre tous les jours. On a l'impression qu'il le connaît par cœur !

Il est un détail qui vient de me frapper et qui montre l'importance de la charge du cellérier, mais aussi le poids que cette charge peut exercer sur les épaules de quelqu'un. C'est ceci curam gerat de omnibus 31,8. Qu'il ait soin de tout, est-il traduit.

Cela signifie bien davantage. Omnibus d'abord, c'est un pluriel : de toutes les choses. Et puis, c'est la fameuse cura. Il doit en avoir soin, mais ce doit être son souci. C'est cela la cura.

 

Le cellérier est dans le monastère l'homme sur lequel tous - depuis l'Abbé jusqu'au dernier des frères - peuvent se reposer. Quelque chose ne va pas ? le cellérier l'arrangera. On a besoin de quelque chose ? le cellérier se le procurera. On n'est jamais ennuyé quand on a à sa disposition un bon cellérier. On peut dormir sur ses deux oreilles, il a toujours cela même dont on a besoin.

Il est donc un homme à tout faire. Il est aussi un homme qui sait tout. Il est vrai qu'aujourd'hui cela devient tellement difficile que le cellérier ne peut pas être initié à tout en même temps. Il a besoin d'aide.

Mais cela ne fait rien, il est tout de même le dernier recours. Lorsqu'on n'en sort plus au plan matériel, le cellérier est toujours là de réserve. C'est la curam gerat de omnibus.

 

Homélie : 14° dimanche ordinaire – C.           09.07.89

      La création nouvelle.

          Is. 66, 10-14  *  Ga. 6, 14-18  *  Lc. 10, 1-12.17-20

 

Mes frères,

 

Le coeur du message divin recueilli en ce dimanche se trouve tout entier dans cette petite et merveilleuse expression de l'Apôtre Paul. Ce qui importe, ce qui compte, c'est la création nouvelle. Cette création nouvelle attendue depuis toujours, la voici soudainement présente dans la Personne du Christ Jésus, Dieu avec nous pour jamais.

Comment ne pas être au comble de la joie ? Nos espérances les plus folles se réalisent pour nous sous nos yeux, dans notre coeur, dans tout notre être. Qu'est donc cette création nouvelle sinon notre assomption en Dieu, notre résurrection en cours, notre divinisation.

Il se produit alors un arrachement à la pesanteur terrestre, à l'opacité du charnel. On se retrouve dans une sorte de vide à l'intérieur duquel on possède tout car on est chez Dieu et on lui devient semblable. On commence à vivre et à regarder autrement. On sent, on sait qu'on a franchi l'impossible et qu'on a vaincu la mort. Et la paix coule comme un fleuve, comme un torrent débordant et elle emporte toujours plus loin à l'intérieur des espaces Trinitaires.

 

Mes frères, la nouvelle création, c'est la participation consciente, éveillée, constante à la propre vie de Dieu. C'est cela le règne de Dieu parmi nous. C'est cette beauté que les Apôtres ont annoncé, c'est cette beauté que les chrétiens doivent proclamer. Non pas en paroles, mais par toute leur vie, ils doivent être des êtres transformés, des êtres qui obéissent non plus aux lois de la chair mais aux lois de l'Esprit, des hommes libres, des hommes heureux de vivre, des hommes qui rayonnent la lumière.

La création nouvelle, voilà ce qui est proposé aux hommes. A nous, chrétiens, de le proposer aux hommes, de l'accueillir. Mais pour que notre message soit crédible, il est nécessaire que nous soyons vraiment une création nouvelle. Il ne s'agit pas d'apparences ni d'une comédie mais d'une réalité ontologique d'ordre surnaturel. Notre nouvelle naissance sous l'action de l'Esprit Saint doit se traduire à l'extérieur par un comportement nouveau.

Nous devons avoir écrasé toutes les puissances de l'ennemi, ses serpents et ses scorpions qui se remuaient à l'intérieur de nous, qui essayaient de nous mordre et de nous maîtriser. Donc, plus d'égoïsme, plus de malice, plus de critique, plus de mensonge, plus de colère, mais bien au contraire la vérité, la transparence, la bienveillance, le don de soi, la charité. Tels sont les fruits de la création nouvelle.

 

Mes frères, c'est à partir du coeur de l'homme transformé que l'univers entier sera peu à peu métamorphosé. Ne nous décourageons jamais. Nous ne savons pas ce qui se passe dans l'invisible. Et nous le savons, les choses visibles sont destinées à disparaître tandis que l'invisible, lui, est éternel, impérissable. Le coeur de chacun est une ville qui s'ouvre ou qui se ferme à la parole de vie.

Mes frères, nous ouvrirons le nôtre bien largement, toujours, toujours plus largement pour ne jamais encourir la malédiction de Sodome, mais surtout pour connaître la joie ineffable de la métamorphose en Dieu. Ce n'est pas une joie qui ressort des réalités de ce monde.

Tous les hommes courent derrière la joie. Ils la cherchent dans les plaisirs, dans les divertissements. Ils la cherchent, oui, là où ils ne la trouveront pas, où ils ne trouveront qu'une petite joie éphémère qui laisse par après un goût de regret car elle s'est évanouie. Mais la joie qui nous est promise est celle même de Dieu et - encore une fois - cela est éternel. Elle comble le coeur et jamais elle ne s'en écarte.

 

Mes frères, que notre unique soucis soit donc de toujours coller à la volonté de Dieu car c'est notre union à cette volonté qui permet l'entrée en nous de la vie divine, qui permet notre croissance en Dieu et notre plein épanouissement jusqu'à notre taille adulte. Et ainsi, nous serons les prémices sur terre de cette création nouvelle. Et peu à peu, le projet de Dieu, passant par nous, par chaque chrétien, se réalisera jusqu'au jour - dont nous ne connaissons pas la date - où Dieu se fera finalement tout en toute chose.

 

                                                                                             Amen.

 

Homélie : Fête de Saint Benoît.                  11.07.89

      Je suis parmi vous comme celui qui sert.

 

Mes frères,

 

Ne dois-je pas vous adresser quelques paroles en l'honneur de la fête de notre Père Saint Benoît ? Un simple échos de ce que nous venons d'entendre : le Christ a dit : Je suis parmi vous comme celui qui sert.

Saint Benoît a été parmi nous le modèle de celui qui est tout service. Ainsi doit être un Abbé, un véritable Abbé, ainsi doit être un véritable moine. Alors rien d'étonnant si on se perd tout entier dans le service qu'est la Personne du Seigneur Jésus venu, non pas pour condamner le monde, mais pour donner sa vie afin que le monde ressuscite et que le monde vive.

Si nous entrons dans cette vocation qui est la nôtre après celle du Christ, à ce moment-là nous aurons le bonheur de partager toutes ses prérogatives.

 

Nous avons chanté des antiennes magnifiques en l'honneur de notre Père Saint Benoît. Il est dit et il est répété qu'il menait sur terre une vie angélique. Cela peut nous paraître quelque peu irréel ? Et pourtant dès l'origine, la vocation monastique a été vue comme une vie angélique. Mais que devons-nous entendre par là ? Ce n'est rien de désincarné, non, mais c'est une vie qui s'alimente à la lumière qui est Dieu, à la lumière qui est le Christ, et qui insensiblement devient pureté.

Le coeur ne fait plus que distillé la bienveillance, la douceur, la patience, l'accueil, la charité. C'est un coeur dans lequel il n'y a plus même un frémissement qui ne soit pas inspiré par Dieu. Le moine devient sur la terre la présence du Christ, la présence de l'Esprit. Je ne dis pas la présence du Père, parce que le Père est tout entier et dans le Fils, et dans l'Esprit. Les trois Personnes sont inséparables.

Mais alors pour en arriver là, quel chemin suivre ? Eh bien, mes frères, nous le savons. C'est tout simple même si c'est très difficile : il suffit de fonder sa volonté à l'intérieur de celle de Dieu. Et cette volonté, nous la connaissons instant par instant. C'est la raison pour laquelle nous avons le jour de notre profession remis notre existence entre les mains de notre Dieu.

 

          Nous avons chanté aussi que Saint Benoît avait toujours préféré subir les difficultés de cette vie plutôt que d'y échapper. Il y avait un choix : ou bien rechercher les plaisirs de ce monde, même les plaisirs légitimes ou bien y renoncer ; accepter, prendre sur soi le malheur des hommes, ne pas reculer devant la souffrance. Et plutôt que d'être loué par les hommes, se laisser regarder par eux comme un être curieux, même comme un être déséquilibré à la limite, parce que le monde ne peut pas supporter qu'on soit différent de lui.

Mes frères, voilà ce que saint Benoît a fait. Et n'ayant pas reculé devant le mal qui à certains moments s'est acharné contre lui, mais ayant préféré partager le sort du Christ et de donner sa vie jusqu’au bout, à ce moment-là son coeur est devenu un coeur de Dieu, sa vie est devenue une vie angélique et il a pu réaliser pleinement le projet que Dieu avait nourrit pour lui dès avant la création du monde.

Mes frères, Saint Benoît est notre Père. Il nous engendre à cette vie merveilleuse.          Faisons-lui   confiance. Laissons-nous  docilement conduire, laissons-nous docilement former et, il pourra se glorifier d'avoir, ici dans le monastère de Saint Remy, des fils, des enfants qui sont vraiment de sa race, qui sont vraiment de sa famille.

                                                                                   Amen.

 

Règle : 34 : Recevoir également le nécessaire.  12.07.89

      Le nécessaire ?

 

Mes frères,

 

Pour pratiquer à la perfection ce que saint Benoît nous recommande ce soir il faut, me semble-t-il, avoir atteint un degré assez élevé de vertus. Car c'est une tentation subtile de se créer des besoins, de se créer des infirmités pour recevoir davantage, pour se ménager à l'intérieur de la vie commune une petite maison qui est remplie de toutes sortes de biens non pas spirituels mais matériels.

 

Prenons bien garde à cela, mes frères ! Il faut lorsque nous demandons quelque chose que ce soit vraiment une nécessité pour nous. Comme le dit ici Saint Benoît : Celui qui a besoin de moins doit rendre grâce à Dieu. 34,7. Nous devrions toujours avoir besoin de moins. Par contre Celui à qui il faut davantage, s'humiliera 34,8.

 

Voilà l'équilibre et voilà la vertu ! Ne l'oublions jamais et essayons de rester dans cet équilibre, dans cette discrétion qui nous rendra agréables à Dieu et à nos frères.

 

Règle : 42 : Du silence après Complies.          21.07.89

      Le silence est une règle essentielle.

 

Mes frères,

 

Saint Benoît nous place à nouveau en présence du sérieux, de la gravité du silence dans une vie monastique. Il ne s'agit nullement d'une prohibition imposée de façon arbitraire comme si seul l'Abbé dans le monastère avait droit à la parole. Il s'agit d'une règle essentielle qui concerne tout le monde y compris l'Abbé.

Mais pourquoi cette sévérité, cette intransigeance, surtout durant les heures de la nuit ? Pour comprendre, il faut se souvenir de ce qu'est la vie monastique. Il est nécessaire de se reporter aux origines, de remonter à Saint Benoît et plus haut que Saint Benoît. Nous découvrons alors que le silence est étroitement lié à deux états : un état de mort et un état de vision.

En entrant dans le désert - nous sommes tout au début de la vie monastique - en entrant dans le désert, le moine se considère comme mort. Il est mort au monde, à ses habitudes, à ses passions, à ses choix. Rappelons-nous les grands hommes que nous avons rencontrés ces derniers temps, Pambo appelé le Grand, Poemen, Arsène, des hommes qui vraiment au plus profond de leur conscience se considéraient comme morts.

 

Vous allez dire peut-être ou penser que c'était pathologique ? Pas du tout ! C'était la logique de leur choix, c'était la logique de leur vocation. Ils suivaient le Christ jusque dans la mort pour le rencontrer à l'intérieur de la leur.

Oui, ils étaient morts au monde, ils étaient morts pour le monde. Je suis crucifié pour le monde et le monde est crucifié pour moi, disait déjà l'Apôtre Paul. Ils étaient morts aussi à eux-mêmes, à leur volonté propre, à leur passé.

Nous verrons lorsque le Seigneur nous conduira jusque là l'importance des souvenirs dans la vie monastique. Un moine doit être libéré de son passé, donc de sa mémoire, de ses souvenirs, de tout ce qu'il a été, de tout ce qu'il a fait en bien ou en mal.

 

Il n'est rien de plus pernicieux pour une vie spirituelle que de remuer son passé. Pourquoi ? Parce que alors on est entraîné dans une sorte de vertige qui suce vers le bas.

Vous avez dans certaines rivières ce qu'on appelait des gouffres, c'est à dire dans le lit de la rivière tout à coup dans les profondeurs il y a un trou. Et au-dessus de ce trou, on voyait l'eau tourner. Et si on jetait un morceau de bois, le morceau de bois tournait. Et on ne pouvait surtout pas tomber dans l'eau à cet endroit-là parce que on aurait été sucé vers le bas dans le gouffre.

Mais symboliquement, voyez un peu le vertige que peut donner les  mémoires, les souvenirs, les souvenances qui, petit à petit, sucent le moine vers le bas. Alors, dans ces conditions-là, un mort, eh bien un mort, il n'a rien à dire, rien du tout. Pourquoi ? Parce qu'il se tient en silence devant son Dieu qui le regarde et qui le juge. Saint Benoît nous dit ça tellement souvent.

 

Attention ! Encore une fois, ce n'est pas pathologique, ce n'est pas terrifiant. Non, c'est un état de grande paix parce que vraiment on est mort. On se tient devant Dieu qui juge, mais c'est l'amour qui juge. On est donc parfaitement en paix. Donc, le silence signale un moine qui a compris le sens de sa vocation et qui est honnête vis-à-vis de Dieu, vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis des autres.

Maintenant, le moine est conduit également au silence parce qu'il est un contemplatif. Il voit l'univers de Dieu dans lequel il a été introduit par le baptême. Il admire le Christ ressuscité dans sa lumière, le Christ transfiguré. Il admire la Sainte Trinité dans le sein de laquelle est entré le Christ. Il admire les saints et les saintes et tout l'agir providentiel de Dieu ici sur terre.

Alors, de toute son énergie il entre dans le projet de Dieu sur lui-même et sur le monde et il sent la vie divine s'emparer de lui et lui donner un être nouveau. Alors dans ces conditions-là, vous comprendrez qu'il ne se laisse pas distraire, il ne se laisse pas dissiper par des bavardages. Mais non, il se tait, il admire, il regarde, il voit cette beauté et alors lui-même, spirituellement dans l'invisible, il devient lumière, il devient beauté. Si bien que le silence signale un moine contemplatif heureux, équilibré et fils de Dieu en voie d'accomplissement.

 

Et à partir de là, a contrario, on peut voir que le bavard, le bavardage signale un moine qui n'a pas compris le sens de sa vocation et qui n'est pas honnête vis-à-vis de Dieu, vis-à-vis de ses frères, et vis-à-vis de lui-même et un moine mais qui n'est pas heureux dans le monastère. Pourquoi ? Parce que de plus en plus il se referme sur lui-même, il virevolte dans son petit univers et il y étouffe. Alors pour ne pas être étouffé, mais il bavarde.

Donc, mes frères, faisons bien attention! Le silence de notre vie est tellement une chose capitale, essentielle que nous devons faire absolument tout pour nous y exercer et pour y devenir parfait. Je sais que certains ont plus difficile que d'autres, certains ont la langue mieux pendue que d'autres.

Vous savez, tout ça, ce sont des défauts naturels. Mais il est possible de les maîtriser, de les maintenir à l'intérieur de limites permises parce que ce n'est pas le mutisme qui nous est demandé, mais c'est la retenue et la discrétion dans les paroles.

 

Règle : 42 : Du silence après Complies.          22.07.89

          La relation nuit-mort.

 

Mes frères,

 

Hier, je n'ai pas eu l'occasion de m'arrêter sur la relation qui existe entre la nuit et la mort, et subsidiairement le silence. Pour comprendre cette relation, nous devons remonter aux origines de l'humanité. Pendant des millénaires, les hommes sont restés dans l'ignorance des lois de la nature. La nuit était vue par eux comme un lieu à l'intérieur duquel les puissances maléfiques pouvaient librement donner cours à leur méchanceté.

Ce retour régulier de la nuit et de l'obscurité était donc pour eux un phénomène inquiétant et effrayant. L'homme était saisi d'angoisse et de peur, il appréhendait toujours un malheur au cours de la nuit. Mais la Révélation est venue corriger cette impression, du moins pour le Peuple choisi, car Dieu s'est révélé comme le créateur de la nuit comme du jour. Si bien que la nuit est en son pouvoir et elle ne peut nuire aux amis de Dieu, ni aux serviteurs du Puissant.

Donc, voyez la nuit comme le lieu des malheurs, comme le lieu de la mort possible et, allons même plus loin, comme le lieu de la mort probable. Mais dans le subconscient collectif de l'humanité, même aujourd'hui, donc pour nous également, la nuit demeure le symbole d'une décréation, le symbole d'un retour au chaos, au désordre, au rien et, elle éveille en nous l'image de la mort. Ce ne doit pas être réfléchi, c'est comme ça, c'est ainsi chez tous les hommes ! L'humanité est toujours, grâce à ce phénomène d'ordre psychologique, elle est toujours reliée à ses origines.

 

Or le moine, lui, choisit de veiller durant la nuit. Il ouvre la bouche uniquement pour louer Dieu, pour l'invoquer, pour rester en communion avec lui. Lorsqu'il s'éveille et qu'il se lève, il exorcise la puissance mortelle de la nuit. Il manifeste que se mettant en communion avec Dieu, il est déjà vainqueur de la mort comme le Christ l'était.

Rappelons-nous cette toute petite incise de rien du tout dans le récit de la passion du Christ, dans l'Evangile selon Saint Jean. Il a donné la bouchée à Judas. Judas a pris la bouchée et avec cette bouchée satan est entré en lui. Puis, Jésus lui dit : Ce que tu as à faire, fais-le vite ! Alors l'Evangéliste note pour Judas : Il sortit. Dès qu'il eu pris la bouchée, il sortit de suite. Et cette petite note : il faisait nuit. Là vous avez un indice ténu mais bien réel qui relie la nuit au crime, à la trahison, au péché, au danger, à la peur et à la mort.

Naturellement c'était la nuit de la Pâque, c'était le repas Pascal. Mais alors aussi pourquoi ce repas doit-il être pris au cours d'une nuit ? Parce que c'est au cours d'une nuit que les fléaux, le dernier fléau s'est abattu sur le pays d'Egypte et que les premiers nés ont été tués par l'ange qui traversait le pays. Eh bien, tout cela est inscrit dans le subconscient des hommes et dans le nôtre.

 

Or nous, nous nous levons durant la nuit et nous ouvrons la bouche pour louer Dieu, pour l'invoquer, pour l'appeler à l'aide, pour lui dire que nous sommes en communion avec lui, que nous l'aimons et que nous nous réfugions à l'intérieur de son être.

Nous savons que à l'intérieur de la nuit Dieu est présent de la présence infinie de son amour, de son être qui est amour. Et alors, nous attendons la manifestation de Dieu dans une victoire sur le péché et sur la mort, sur tout ce qui est enclos à l'intérieur de la nuit.

 

Donc, mes frères, en saine logique, il n’est pas permis au moine d'ouvrir la bouche durant la nuit sinon pour s'adresser à Dieu. La sévérité et l'intransigeance de Saint Benoît est donc logique. Il ne peut pas honnêtement inscrire autre chose dans sa Règle. Le moine s'enferme donc à l'intérieur d'un silence qui est silence de confiance et d'amour.

Ce n'est pas un silence de peur, c'est un silence d'amour. Il meurt durant cette nuit puisqu'il s'endort, mais il sait que déjà il est en voie de résurrection. Il va donc s'éveiller et il ouvrira la bouche pour remercier Dieu, pour lui rendre grâce et pour lui dire qu'il attend tout de lui.

Voilà, mes frères, une facette très belle de notre Office de nuit et du grand silence nocturne, les deux vont ensembles.

 

Et c'est ainsi, mes frères, que notre vie monastique est chargée de symboles, des symboles qui sont archaïques, depuis l'origine de l'humanité, dès que l'humanité a voulu penser, ayant  ...?… le monde en symbole pour s'y retrouver.

Donc notre vie monastique est chargée de symboles qui sont devenus des sacrements et des sacramentaux. Ils sont tous porteurs de réalités divines, depuis l'Eucharistie, là où le symbole devient la réalité même de Dieu, où il devient chair de Dieu ; donc depuis l'Eucharistie qui est le degré suprême, et que voilà puisque nous sommes occupés à cela maintenant, jusqu'à notre jardin clos qui est aussi un univers de symboles qui peut agir sur nous à la manière d'un sacramental.

Mais nous parlerons de cela une autre fois quand l'occasion s'en présentera.

 

Règle : 47 : Annoncer l’œuvre de Dieu.          27.07.89

      La respiration du corps monastique.

 

Mes frères,

 

Pourquoi cette ponctualité dans l'annonce des Offices ? Eh bien, c'est parce que les Heures liturgiques sont la respiration du Corps que constitue le monastère. Or la respiration est scandée. La respiration chez l'homme est indispensable et doit se faire selon un certain rythme.

Si ce rythme s'interrompt, si on fait de l'..?.., comme on dit, si on oublie de respirer, si les réflexes ne sont plus normaux, l'intoxication s'introduit dans l'organisme et la vie est en danger de mort. C'est d'ailleurs le signal quand on cesse de respirer.

Il faut donc que l'Office divin soit célébré régulièrement aux heures prescrites parce que c'est lui qui conserve et qui entretien la santé de notre corps. Et quand je dis notre corps, je vois la communauté que nous formons qui est cellule vivante du grand Corps mystique dont le Christ est la tête.

 

Règle : 50 : Au loin ou en voyage ?               01.08.89

          Négligence !

 

Mes frères,

 

Saint Benoît use ici d'un mot qui pourrait nous effrayer. Il parle de négligence et précisément à propos de l'Office divin, de cette Oeuvre de Dieu à laquelle rien ne doit être préféré. On ne doit pas négliger de s'acquitter de la célébration de l'Office lorsqu'on n'a pas pu le prier en compagnie des frères. On doit faire cela, dit-il, comme on le peut en son particulier. C'est un devoir de notre service, un pensum servitutis.

Mes frères, la négligence, c'est pire qu'un défaut, c'est un vice ! Et ça peut nous conduire très loin, non seulement à propos de l'Office mais aussi à propos de notre vie en général. La négligence est une forme de paresse : on fait le moins possible. Or, un Spirituel comme saint Jean de la croix conseillait à ses disciples qui étaient en l'occurrence des sœurs, des carmélites, que lorsque on avait le choix, il fallait toujours choisir le plus difficile et laisser de côté le plus facile.

Ce n'est pas qu'on doive se martyriser, ni chercher des choses qui doivent nous ennuyer, mais il voulait par là enseigner aux sœurs, leurs donner un tonus qui leurs permettraient d'éviter le vice de la négligence, du laisser aller, du c'est toujours bon !

 

N'oublions pas que nous sommes au service de Dieu. Et au service de Dieu, tout doit être fait avec la perfection possible, celle qui est en notre pouvoir. Comme nous le dit Saint Benoît ici : comme ils le pourront, 50,9, donc dans la mesure de leurs possibilités. Dans le monde aujourd'hui on est extrêmement sévère pour ce qui regarde la négligence. Il y a tellement de candidats pour un emploi que vraiment on choisit celui qui est toujours éveillé pour faire le mieux.

Je connais ainsi une situation: c'est un emploi de secrétaire de direction qui était a confié dans une grande entreprise sidérurgique. Il fallait un seul emploi et il s'est présenté 700 candidats. Et on a procédé à une sélection petit à petit. Finalement il n'en est plus resté que cinq. Et on en a choisi une. Mais il ne lui est pas permis maintenant qu'elle est là la moindre erreur.

Elle peut se tromper. Disons qu'au début, il y a une période d'initiation. On a beaucoup à apprendre quand on est jeune, même si on a fait des études spécialisées. C'est un milieu nouveau, une branche tout à fait nouvelle. On a d'autres employées sous ses ordres, il y a donc des relations à établir. Mais vous pouvez être certains qu'au cours de la période de probation qui va s'étendre sur trois mois, elle va être surveillée, testée, mise à l'épreuve. Parce que s'il y a une faille qui est un véritable défaut dans son travail, il y en a 699 derrière.

 

Eh bien, c'est ça dans le monde d'aujourd'hui. Et nous devrions, nous, dans le service que nous rendons à Dieu être toujours, toujours comme au moment où nous sommes arrivés, où nous étions pleins disons d'ardeur pour faire les choses le mieux possible. Nous avions tout à apprendre, nous l'apprenions. Nous nous trompions, c'est certain, et on nous le faisait remarquer.

Et petit à petit, nous avons acquis une maîtrise. Nous avons, je dirais, grandi monastiquement. Nous sommes arrivés à la profession solennelle. Nous sommes devenus membres à part entière de la communauté. Et ce n'est pas alors le moment de se dire : cette fois-ci j'y suis, donc je peux me permettre de relâcher ma vigilance, mon effort, et ici et là de laisser s'introduire de petites négligences. Car celui qui est infidèle dans les petites choses le devient vite dans les grandes.

 

Avec Dieu, mes frères, nous n'avons pas le droit de jouer. Nous devons toujours être ceux qui dans leur tâche quotidienne, que ce soit l'Office, que ce soit leur emploi, que ce soit dans les relations fraternelles, dans les relations avec les supérieurs, et même dans ses relations personnelles avec soi quand on est tout seul, eh bien nous devons toujours ne rien laisser aller, pas de négligence mais toujours être prêt car nous ne savons pas quand le Seigneur se présentera pour nous demander des comptes. Car nous aurons des comptes à rendre pour notre propre personne, pour le Corps de la communauté, pour l'Eglise et pour l'humanité.

Voilà, mes frères, je ne pensais pas vous raconter tout ça. Mais voilà, ce petit mot de négligence m'a traversé le cœur, peut-être parce que j'en avais besoin plus que d'autres.

 

Homélie : Fête de la Transfiguration.            06.08.89

      Participer à la vie même de Dieu.

 

Mes frères,

 

Le fait de la Transfiguration du Seigneur Jésus est une préfiguration, une prophétie de ce qui nous attend le jour où Dieu sera tout en toute chose. A ce moment-là, après la résurrection générale, nous lui serons semblables parce que nous le verrons tel qu'il est. Ne laissons pas courir notre imagination, ce serait trop facile. Disons plutôt tout simplement que nous serons divinisés dans notre être entier. Telle est notre vocation première et dernière.

Nous participerons sans réserve à la vie même de Dieu. Nous entrerons dans le flux et le reflux de l'océan Trinitaire, et chacun d'entre nous sera lumière et amour. L'univers matériel lui-même sera comme illuminé de l'intérieur. Nous le contemplerons dans sa beauté réelle. Il sera tout entier icône de la beauté divine.

 

Et je rappelle ici que les tous premiers moines voyaient dans cette contemplation - qu'ils connaissaient déjà - ce qu'ils appelaient la contemplation première, la contemplation physique. Ils saisissaient l’être des choses à l'endroit même où Dieu les créait. Ils contemplaient ainsi le grand livre de la création. Ils le lisaient. Ils admiraient et ils adoraient la beauté de leur Dieu.

Mes frères, ce ne sont pas là des choses inaccessibles à l'homme d'aujourd'hui. Non, elles sont inscrites dans notre être d'homme et de chrétien. Nous sommes faits pour voir Dieu à l'oeuvre chaque jour dans la création et dans les coeurs. La métamorphose de l'univers, et la nôtre donc, se réalise déjà à partir de la Personne du Christ Jésus maintenant ressuscité d'entre les morts.

Par l'Incarnation, Dieu s'est caché au coeur de la matière comme une semence appelée à germer et à tout transformer. La transfiguration du Seigneur nous montre cette merveille en action. Et depuis lors, l'agir mystérieux de notre Dieu n'a jamais cessé. Les yeux de la foi - comme je le disais il y a un instant - peuvent l'admirer à toute heure.

Le chrétien en qui vit le Seigneur peut être, doit être le support charnel, matériel de cette oeuvre divine. Et si nous sommes ici dans le monastère, c'est pour y consacrer toutes nos énergies à cet Opus Dei merveilleux dont nous devenons les co-auteurs.

Plus précisément, il s'agit de mettre notre être entier, corps, âme et esprit, à la disposition de la Sainte Trinité afin que l'Incarnation du Verbe de Dieu se poursuive et soit conduite plus près de son terme final, de cette heure - comme je le disais au début - où Dieu sera tout en toute chose.

Lorsqu'il devient tout à l'intérieur de notre coeur, lorsque ce n'est plus nous gui vivons mais que c'est Lui qui vit en nous, pour nous person­nellement le but est atteint, mais plus précisément Dieu a réalisé son oeuvre. Et à partir de là, petit à petit cette Lumière se glisse dans toutes les fibres, dans tous les pores de la création entière et hâte l'heure de l'achèvement final.

 

Mais que se passe-t-il pour nous dans le concret ? Saint Benoît nous le dit : le coeur se purifie, l'égoisme disparaît, la charité s'installe. Un décentrement se produit. On se reçoit de Dieu et on se restitue à Lui. Le centre de nos motivations les plus intimes, et les et les plus personnelles, plus secrètes, il n'est plus en nous, il est dans le coeur de notre Dieu.

On est ainsi entraîné petit à petit dans un univers de lumière et on devient soi-même lumière en lui. Cela se traduit à l'intérieur des relations fraternelles, des relations sociales, par la bienveillance, l'accueil, la douceur, la dédra­matisation, la paix. On est libre et - même sans le savoir - on rayonne la liberté.

 

Mes frères, voilà ce qui est attendu de chacun d'entre nous qui por­tons le nom de chrétien et qui dans quelques instants allons communier au corps et au sang de notre Christ, ce corps et ce sang de lumière qui va entrer en nous et qui va irriguer notre être spirituel.

Il y aurait encore beaucoup d'autres choses à dire, vous vous en doutez bien. Mais pour aujourd'hui, restons-en là et prenons la ferme résolution de répondre de notre mieux à tous les espoirs que notre Créateur, que notre Christ a placé en nous.

 

Amen.

 

Homélie : Eucharistie vespérale du 15 août.     14.08.89

      Proclamée trois fois bienheureuse.

 

Mes frères,

 

L'Evangile nous rapporte que Marie a été proclamée bienheureuse à trois reprises. Trois, le chiffre de la perfection divine reposant sur une créature, s'emparant d'elle et la transfigurant.

La première, Elisabeth s'est écriée : Bienheureuse toi qui a cru que ce qui t'a été dit de la part du Seigneur se réaliserait. Marie a cru, et aussitôt elle a enchaîné : Le Seigneur a posé les yeux sur l'humilité de sa servante. C'est pourquoi toutes les générations me di­ront bienheureuse. Marie a été une humble servante.

Et enfin, nous venons d'entendre une femme s'exclamer - je traduis littéralement de façon un peu crue à la mode Hébraïque : Bienheureux le sein qui t'a porté et les mamelles que tu as sucées. Et nous nous rappelons la réponse de Jésus : Bienheureux plutôt ceux qui entendent la Parole de Dieu et qui la gardent.

 

Cette brave femme était éblouie par la sagesse et la bonté de Jésus. Elle ne pouvait contenir son admiration. Elle jugeait avec raison que Marie devait être la plus heureuse, la plus fière de toutes les mères et elle le proclamait hautement.

Cette femme, dont nous ignorons l'identité, devait être elle-même simple, bonne et pure. Elle n'était pas jalouse et le bonheur de Marie devenait le sien. Et par là, elle goûtait déjà les prémices de ce bonheur que nous partagerons tous lorsque nous serons devenus lumière en Dieu.

La répartie de Jésus n'en est que plus déconcertante. Mais en fait, il ajoute un élément nouveau à la louange de cette femme et il dévoile l'origine du bonheur de Marie et son véritable titre de gloire.

 

Si nous reprenons les trois béatitudes qui sont trois bénédictions, nous voyons se profiler le visage spirituel de Marie. Marie a cru sans hésiter. Elle a cru de façon absolue, totale, entière. Elle était confiance, foi par tout son être si bien que Dieu a pu prendre possession d'elle au point de s'incarner en elle.

Marie est pure gratuité. Elle est l'humilité même dans le don de soi et le service. Elle ne s'appartient pas. Elle est au Seigneur qui peut tout lui demander. Elle n'est rien pour que Dieu soit tout en elle et par elle.

Et Marie n'a qu'un souci : la volonté de Dieu. Elle est toute oreille et toute réponse. Et lorsque Jésus disait : Bienheureux plutôt ceux qui entendent la Parole de Dieu et qui la gardent, il voyait devant lui sa mère. Il la connaissait, il avait pris d'elle sa propre chair. Et pendant des années et des années, il avait vécu à ses côtés. Il savait d'expérience que Marie était pure volonté de Dieu sur la terre.

 

C'est ainsi que Marie a pu devenir le temple du Seigneur, le sanctuaire de son amour. Sa chair est devenue chair de Dieu et elle nous a donné Jésus.

Mes frères, si à notre tour nous ouvrons notre coeur à Dieu et à ses vouloirs, si nous lui donnons notre foi, si nous restons humblement à notre place de serviteur, nous verrons la béatitude de Marie s'emparer de nous. Déjà, nous connaîtrons comme elle la plénitude du bonheur dans la vision de la lumière et la possession de l'amour. Et puis comme elle, nous serons emportés au coeur de la Trinité, auprès de Marie notre mère pour des siècles sans fin.

                                                                                                 Amen.

 

 

Chapitre : Fête de l’Assomption de Marie.       15.08.89

      La stabilité est une ascension.

 

Mes frères,

 

Nous avons suivi une retraite sous forme de Lectio Divina. Ce fut très bien, très sérieux. Nous avons compris qu'une formation scientifique poussée n'était pas nécessairement contraire à une perception spirituelle de la Parole de Dieu. Tout cela dépend de l'intensité de la vie intérieure et des dispositions du coeur. De cette retraite, nous pouvons retenir beaucoup de choses.

J'aurai l'occasion de revenir sur l'une ou l'autre d'entre elles quand nous parlerons de notre ami Evagre. Mais comme il s'agissait d'une lecture de l'Exode, je vais ce matin dégager un mouvement, le mouvement sans doute le plus profond, le plus important, mouvement qui est en relation avec la solennité de l'Assomption.

         

Le moine a compris que la destinée de l'homme était essentiellement un passage, qu'elle se ramenait à un passage, à un exode. L'homme vient du néant et il marche vers une plénitude, une plénitude de vie. Il vient d'un néant d'existence. Il y a donc une avancée, un progrès.

La vie humaine est donc une transhumance. Elle est guidée par une voix et elle est orientée vers une Personne, vers la Personne qui fait entendre sa voix. La voix qui appelle, qui est invite, est celle de Dieu et elle nous parle par les prescriptions de la loi.

Or la loi de Dieu, c'est l'amour. L'amour nous invite donc à un exode. Il nous invite à sortir de nous, à sortir de notre égoïsme, de nos peurs, de nos fausses sécurités, de tout ce qui mystiquement est représenté, est figuré par l'Egypte.

 

On n'y est pas trop bien, certes, c'est assez dur, c'est même très dur. Mais enfin, on y trouve tout ce dont on a besoin. On peut être assis devant des chaudrons pleins de viandes délicieuses, et chaque soir on peut se reposer et s'amuser.

Il faut sortir de cette sécurité illusoire pour s'avancer à travers le désert, ce qui n'est pas rien. Et le désert, pour nous moines, c'est le renoncement à nos convoitises, à nos passions, à nos désirs, à nos plaisirs, à nos jouissances, à tout ce qui est bassement charnel mais pourtant si agréable.

Et dans le désert, un vide se creuse et s'élargit. Une capacité se crée qui devra être remplie, mais il faut tout de même avancer. Et cette errance s'accomplit à l'intérieur du monastère dans le cadre de la stabilité. Cette errance est purement spirituelle.

Donc, elle conduit de l'esclavage à la liberté et de la mort à la vie. Il n'est pas, je pense, d'esclavage plus dur que celui de nos coeurs et il n'est pas de liberté plus belle que d'être dégagé de toutes les peurs. Je rappelle cette évidence sur laquelle le Prédicateur a posé le doigt : la peur génère des tyrans. L'homme qui a peur a besoin d'être dominé.

 

Tandis que l'homme qui évacue ses peurs est devenu son propre maître parce que ce n'est plus l'instinct qui le guide mais c'est quelque chose d'infiniment plus doux. Et ce quelque chose, c'est même un quelqu'un, c'est l'Esprit de Dieu qui lui parle au fond de son coeur, qui est cette voix qui invite, qui appelle, et qui fait toujours avancer plus loin.

Ou bien on est dominé par l'instinct charnel, ou bien on est guidé par l'instinct spirituel. Le premier emprisonne, le second libère. C'est pour ça que Saint Benoît parle de la dilatatio cordis à propos de l'Esprit Saint. C'est ce coeur qui s'élargit sans cesse à la mesure de Dieu, c'est à dire à la mesure de l'infini. Et on passe ainsi d'un semblant de vie - qui en réalité est une mort - à la vie véritable qui est la vision de Dieu, de la beauté de son visage.

 

Et cette errance est une marche, c'est un pas après l'autre, c'est un jour après l'autre. Ambulare dit Saint Benoît, il faut marcher. Et cette marche nous rend semblable à Dieu, Dieu qui est mouvement. Dieu n'est pas un être figé, un être statique, un être mort. Tout ce qui ne bouge plus, tout ce qui ne change plus est mort. Or Dieu, lui, est perpétuellement en mouvement parce qu'il est l'amour, parce qu'il est perfection de vie.

Maintenant, mes frères, quelque chose d'important. La stabilité nous enseigne que notre transhumance est une ascension. Nous sommes à l'intérieur des claustra monasterii, nous sommes à l'intérieur des murailles qui ne sont pas ..?., qui sont solides. Mais rappelons-nous que chez Dieu le ..?. devient solide.

Ce ne sont pas des murailles opaques, celles de nos claustra, ce sont des murailles transparentes. Elles ne nous font pas contempler le monde des hommes mais le monde nouveau qui est déjà le nôtre, cet univers de Dieu qui est lumière.

 

Nous sommes donc par la stabilité invités à une ascension. Saint Benoît en parle aussi. Il faut atteindre les culmina, des sommets de savoir et d'actions vertueuses, des sommets de contemplation et d'actions droites. Et ce qu'il y a de plus réconfortant pour nous, c'est que c'est Dieu lui-même qui nous emporte vers le haut. Je vous emmène, nous dit-il, comme sur les ailes d'un aigle.

Marie a vécu de manière exemplaire cette aventure extraordinaire. Son assomption est l'achèvement parfait de sa destinée et l'image de la nôtre. Elle a été assumée dans l'univers de Dieu dès sa conception.

 

Nous, mes frères, nous sommes assumés dans l'univers de Dieu dès notre baptême et quasiment dès notre naissance. Et même, j'oserais le dire, dès avant notre naissance, un peu comme Marie, mais naturellement avec les nuances qui s'imposent. Pourquoi ?

Mais parce que nous sommes nés dans le coeur de Dieu. Nous sommes les fruits de son amour. Nous sommes donc déjà chez lui avant même que nous soyons. Et alors notre vie est une montée jusqu'à cette plénitude où il est absolument tout à l'intérieur de nous.

Et cela doit se faire à l'intérieur de cette stabilité qui vraiment nous oblige à aller vers le haut. Nous sommes des êtres à la verticale et non pas des êtres de l'horizontale. Nous comprenons alors que les premiers cisterciens aient choisi Marie pour Reine dans le mystère de son Assomption.

 

Mes frères, nous devons être logiques avec ce que nous sommes et ne nous arrêter à rien. Nous sommes des voyageurs, nous sommes des nomades. Nous devons être légers pour nous élever, pour suivre cette ascension. Donc, nous ne possèderons rien.

Et nous serons légers même intérieurement, c'est à dire que nous n'aurons qu'un seul amour, celui de notre Dieu. Et nous serons des écoutants. Nous écouterons avec attention cette voix qui nous parle, ce chant qui nous séduit. Et nous nous laisserons attirer vers lui, toujours plus haut, jusqu'au moment où notre ascension sera achevée.

 

Et à l'heure de notre dernière Pâque, de notre dernier pas, nous passerons définitivement de l'obscurité à la lumière parce que notre mort biologique ne sera que la dernière étape, la toute dernière, celle qui nous fera émerger dans une lumière auprès de ce Soleil de Justice, auprès de la Vierge Marie et de tous les saints.

Lorsque nous faisons profession monastique, nous nous engageons à ce voyage, mes frères. Eh bien, veillons à ne pas nous alourdir en cours de route. N'allons pas nous encombrer de toutes sortes de choses inutiles afin que nous soyons le plus léger possible, comme éthérés, de manière à pouvoir nous élever et arriver le plus vite possible, déjà dès cette vie, dans cette sphère de la lumière dont Marie est la Reine.

 

Règle : 62 : Des prêtres du monastère.         17.08.89

      Le respect de la Règle.

 

Mes frères,

 

Nous ne devons pas nous imaginer que la Règle soit pour Saint Benoît un absolu. Ayant composé, rédigé la Règle, il pourrait y voir son oeuvre et exiger que tous s'y soumettent et qu'en fait tous se soumettent à lui qui serait présent dans la Règle.

Non, c'est parce que la Règle qu'il a mise au point est la quintessence d'une Tradition qui remonte aux origines de la vie monastique et refuser d'obéir à la Règle, c'est tout simplement refuser d'être moine. Alors, on n'a plus sa place dans le monastère.

La Règle est pour Saint Benoît, comme pour les autres moines, l'expression de la volonté de Dieu car elle n'est rien d'autre qu'un résumé - nous le savons tous - des prescriptions Évangéliques, et plus largement encore de tout ce que Dieu nous dit dans sa Loi par sa Parole.

 

Juste après le souper, j'ai lu quelques versets de la deuxième Épître de saint Pierre et je suis tombé sur un mot qui a retenu mon attention. C'est tout au début où Saint Pierre nous dit que nous avons reçu les promesses les plus précieuses. Nous sommes appelés à devenir participants de la nature divine à condition que nous fuyions la convoitise qui règne dans le monde. Il y a donc là un choix.

Et le verbe qui a retenu mon attention, on l'a laissé tomber dans la traduction française, c'est fuir à toute allure, c'est fuir de toutes ses forces la convoitise qui règne dans le monde.

 

Or, la vie monastique a été vue dès le départ comme une fuga mundi, comme une fuite hors du monde. Mais je suis certain qu'il y a un rapport entre cette fuite du monde et ce verset de l'Épître de Saint Pierre. Il y a des hommes, des chrétiens qui ont pris la fuite, non pas devant le monde, mais devant la convoitise qui domine le monde.

Ils se sont enfuis dans le désert, là où il n'y avait rien, où il n'y avait plus un objet sur lequel la convoitise de la chair aurait pu se jeter et se crisper, là où il n'y avait plus de possession possible. Et à ce moment-là, les promesses de la participation à la propre vie de Dieu étaient à portée de main. Et c'est ce qu'il y a de plus précieux pour nous.

 

Voyez que ce mouvement de la vie monastique est profondément d'origine chrétienne et apostolique. Mais voilà, il a fallu qu'à un moment donné de la croissance de l'Église, l'Esprit Saint éveille cette perception dans le cœur de quelques hommes. Et alors tout se met en branle. L'Église est un Corps en état de croissance.

A certaines étapes de sa croissance se passent certains phénomènes exactement comme dans notre croissance humaine à nous. Et voilà, un jour, des hommes ont pris la fuite et se sont retrouvés dans le désert. Et en les écoutant, nous pouvons comprendre ce qui se passait dans leur cœur. Car il ne suffit pas d'avoir franchi la Mer Rouge, donc d'avoir laissé les Égyptiens derrière soi, c'est à dire le Pharaon, le démon avec toutes ses armées, lui qui essaye toujours de nous prendre au piège et de nous asservir.

Non, il ne suffit pas d'avoir laissé tout cela pour automatiquement être devenus des anges, c'est à dire des être qui sont devenus exempts des troubles de la chair. Non, on entre dans le désert tel qu'on est et c'est à l'intérieur du désert que la conversion, qu'une transformation de fond en comble doit s'opérer. Il faut passer d'une manière charnelle de percevoir à une façon angélique et même divine de voir et de juger.

 

Chapitre : Fête de Saint Bernard.                20.08.89

      Vanité des vanités, tout est vanité !

 

Mes frères,

Ce que nous dit ici Saint Benoît à propos de l'élection de l'Abbé montre qu'à son époque on vivait en régime de chrétienté. Les chrétiens du voisinage avaient pour devoir d'intervenir lorsque l'Abbé qui avait été élu n'était pas digne de la charge. Et s'ils ne le faisaient pas, ils commettaient un péché.

Nous ne nous imaginons plus ça aujourd'hui ? Nous vivons dans une autre Culture. Je pense que c'est une évolution heureuse que nous devons récompenser par notre bonne conduite.

 

Comme je vous le disais hier soir, je suis tombé par hasard sur une parole de Saint Bernard qui pourra faire l'objet de notre réflexion ce matin. Elle est extraite du 86° sermon sur le Cantique des cantiques. Saint Bernard touche à la fin de sa vie terrestre et est parvenu au sommet de sa vie spirituelle. Et il nous fait part de son expérience.

Dans ce qu'il nous dit, nous entendons un lointain écho des dernières paroles de Qohélet. Vous vous en souvenez certainement : Vanité des vanités, tout est vanité ! Crains Dieu et garde ses commandements car cela, c'est tout l'homme.

Saint Bernard nous donne la clef qui nous permet de comprendre cette sentence. Cette clef qu'il nous livre est en quelque sorte son testament spirituel. Et ce testament, nous le recueillerons avec respect et reconnaissance et nous le cacherons dans nos trésors afin d'en tirer profit, non seulement au jour du malheur, mais jour après jour.

 

Voici donc ce qu'il nous dit. Je l'ai transcrit ici en latin, mais je vais le traduire ainsi :

Attention ! Tu ne pries pas correctement si en priant tu recherches autre chose que le Verbe ; ou si tu ne la cherches pas à cause du Verbe, en raison du Verbe, pour le Verbe parce que en Lui sont toutes choses. Donc, c'est sans motif qu'on demande quelque chose qui est étranger au Verbe car Lui-même est toute chose.

Cela paraît assez énigmatique, mais enfin pour moi, c'est extrêmement clair.

 

Rappelons-nous que la vie du moine doit être une prière, une oratio continue, perpétuelle, constante. Par tout son être le moine doit être prière. Sa respiration, ses pensées, ses regards, ses sentiments, tout ce qui le constitue doit être une oratio, une prière.

Nous verrons quand nous y arriverons ce que les Anciens moines entendaient par prière. Je pense que la notion de prière à été faussée quant à nous par toute la spiritualité du siècle dernier. Prenons bien garde, la prière, c'est tout autre chose.

La prière, c'est un entretien, c'est un commerce, un commerce continu, permanent avec celui qu'on aime. On ne peut plus ne pas penser à lui tout le temps et s'entretenir avec lui sans arrêt. C'est cela la prière !

 

Et cette prière, donc ce commerce, ce bonheur ne peut avoir qu'un seul objet, nous dit Saint Bernard, que la Personne du Verbe. Il s'agit du Verbe de Dieu en lui-même, donc dans sa divinité, tel qu'il est au sein de la Trinité. Mais il s'agit aussi du Verbe fait chair, du Christ Jésus qui est Dieu avec nous, qui est Dieu devenu homme pour que nous puissions devenir Dieu. Donc, Bernard ne s'arrête pas à l'humanité du Christ Jésus, au Jésus­-homme.

Dans l'homme-Jésus, il reconnaît le verbe de Dieu. Il adore Dieu. Il entre avec le Verbe de Dieu dans le sein de la Trinité et il y établit sa demeure. C'est cela le ciel ! Le Christ Jésus est le ciel parce qu'il est le Verbe de Dieu et qu'étant le Verbe de Dieu, il nous installe, il nous établit dans la Trinité.

Vous allez dire : Mais tout ça, ce sont des paroles, ce sont des notions, ce sont des abstractions ! Mais pas du tout, c'est la courbe de notre vie contemplative, c'est la courbe de toute vie chrétienne, de toute vie humaine. Nous qui sommes dans le monastère, nous devons en être conscients et nous arranger pour que cette courbe s'inscrive dans notre concret quotidien le plus matériel.

 

Et nous allons voir que Saint Bernard va d'une certaine façon encore beaucoup plus loin, comme s'il était possible d'aller plus loin que la Trinité. Non, il est arrivé là-bas. Mais une fois qu'il est là avec le Verbe dans le sein de la Trinité, il jette un regard en arrière sur le cosmos et il va nous dire quelque chose d'assez paradoxal.

Donc pour lui, la prière n'est pas correcte, ce n'est pas une vraie prière, si en priant on recherche quelque chose qui soit en dehors du Verbe de Dieu, ou quelque chose qui ne soit pas en relation avec le Verbe de Dieu, qui ne nous aide pas à entrer en communion avec le Verbe de Dieu.

Si ce n'est pas le cas, nous ne prions pas. Ce sont des paroles. Cela tourne comme une roue de moulin. L'eau tombe dessus et ça tourne. Mais ce n'est pas une prière, c'est un flux de paroles.

 

Et pourquoi notre prière ne serait-elle pas correcte si elle n'était pas cela ? Mais, dit-il, parce que dans le Verbe de Dieu sont toutes choses. Toutes les choses sont inscrites dans le Verbe de Dieu. Et c'est vrai, le Verbe de Dieu est le créateur de l'univers. Tout a été fait par lui, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans lui. Il est comme disaient les philosophes grecs le logos spermaticos.

Il est le Verbe qui agit à l'intérieur de la création, de tout, de l'ensemble du cosmos, comme une semence. Il est absolument présent partout. Et c'est cette semence divine qui fait que tout a été créé, à commencer par nous qui sommes le monde devenu conscient. Ne l'oublions pas !

Alors aussi, comme l'affirme l'Apôtre dans l'Epître aux Colossiens, que toutes choses existent en lui. Tout reçoit du verbe de Dieu sa consistance, mais absolument tout.

 

Hier, cela me passe par l'esprit tout de suite, hier j'ai parcouru en vitesse le supplément économico financier de la Libre Belgique qui paraît chaque samedi. J'ai regardé ça ainsi, il y a bien trente pages, et je vous assure que c'est hallucinant, hallucinant.

Ce monde de la finance, c'est quelque chose d'inimaginable. Je dois le parcourir parce que il y a parfois des informations que nous devons connaître, que nous devons savoir parce que nous autres nous sommes tout de même non pas complices, mais nous sommes tout de même en relation avec ce monde des finances du fait que nous fabriquons de la bière et que nous en vendons.

Nous vivons du travail de nos mains. Nous sommes donc insérés dans le circuit commercial d'aujourd'hui, tel qu'il est aujourd'hui. Donc tout ça nous atteint directement ou indirectement. Nous le subissons.

 

Eh bien, vous avez quelques hommes dont les fortunes sont colossales et dont les noms sont - je dirais - les Moloch d'aujourd'hui. Ce sont des hommes qui détiennent en main une puissance que nous ne pouvons pas imaginer. C'est eux qui font et qui défont les gouvernements. Ils sont au dessus des Etats. C'est ce qu'on appelle les dirigeants des multinatio­nales. Ils n'ont pas de patrie. Leur patrie, c'est le monde. Et c'est eux qui font tourner tout, tout.

Eh bien quand je lisais cela, eh bien, j'en étais tout triste et j'en avais la nausée. Cela me rappelait un peu cette odeur nauséabonde liée à la convoitise qui domine le monde. Je n'en veux pas à ces hommes. Il n'y a rien là-dedans qui soit immoral. Ils font leur boulot d'hommes d'affaires.

Mais tout au dessus, tout au dessus, régnant et dominant tout, il y a le prince de ce monde - c'est là que je veux en venir - lui qui détient tout et qui donne, qui partage sa puissance avec qui il veut.

 

Mais ce que naturellement personne ne soupçonne, c'est que c'est dans le Verbe que omnia. C'est dans le Verbe de Dieu que tout ça existe, non pas dans ses effets mais - je dirais - dans sa matière, dans sa chair. C'est le Verbe de Dieu qui absolument tient tout en main. Et il a tant aimé ce monde en question qu'il a voulu devenir homme pour le transformer par l'intérieur. Il se fait donc quelque chose. Et tous ces phénomènes nauséeux, tout ça c'est - je dirais - la superficie, c'est la pourriture qui est en surface.

Mais en dessous dans les profondeurs, il y a le Logos spermaticos, il y a ce Verbe de Dieu qui est la semence du monde et qui, sans que personne ne le sache sauf les contemplatifs qui sont devenus un seul esprit avec lui, à partir de là il y a quelque chose quis se fait, qui se transforme. Et un jour, Dieu sera tout en toutes choses et cela apparaîtra. Il n'y aura plus que la lumière. Mais en attendant je vous assure que ce qui se voit comme ça en surface n'est pas toujours très beau.

 

Et alors maintenant Saint Bernard, lui, il va à l'extrême et son audace frise le paradoxe. Il conclut ceci, c'est la dernière phrase : Donc, c'est sans motif, c'est en vain qu'on demande quelque chose d'autre que le Verbe, qu'on demande une chose étrangère au Verbe - et voici le paradoxal - puisque Lui est toutes choses. Il ne dit plus seulement que tout subsiste en lui, il dit que le Verbe de Dieu est toutes choses.

Donc Bernard voit déjà l'heure où Dieu est tout en toutes choses. Son regard de contemplatif contemple déjà, admire déjà la création achevée dans la personne du Christ Jésus au sein de la Trinité. Le cosmos matériel est déjà le Verbe de Dieu.

 

Mes frères. c'est ici la cime la plus haute. Puisque le Verbe de Dieu est' toutes choses, il est devenu toutes choses. Et au regard de la foi, il ne faut pas attendre le dernier jour, il l'est déjà maintenant. Et quand on possède le Verbe - naturellement on ne le possède pas comme on possède de l'argent dans sa poche - mais quand on possède le Verbe, c'est à dire quand on est possédé par lui, qu'on est devenu un seul esprit avec lui, à ce moment-là, on possède absolument tout ce qui existe. On est vraiment le maître du monde, même le maître de tous ces magnas de la finance, et même le maître du prince de ce monde.

Et c'est là le plus haut sommet de la vie contemplative. Si nous pouvions y arriver le plus vite possible ! Saint Bernard y était à la fin de son existence. Il pouvait mourir, c'était fini, il avait rempli sa mission ici bas. Et c'est cela la pureté de la vie monastique et l'essence, la quintessence de la vie cistercienne. Et tout effort de renouveau doit tendre vers ce but, sinon - encore une fois - c'est un renouveau qui n'en est pas un.

Et voilà, je rappelle donc en gros, je répète ce que Saint Bernard nous disait : Donc tu ne pries pas correctement si dans ta prière tu recherches autre chose que le Verbe, ou bien si tu recherches une chose qui n'est pas en relation avec le Verbe parce que en Lui subsistent toutes choses.

 

Donc, on demande en vain, c'est de la vanité de demander dans sa prière quelque chose d'étranger au Verbe - et voici le sommet de tout - ­puisque Lui est toutes choses.

 

Règle : 68 : Des choses impossibles.             26.08.89

      La sainteté.

 

Mes frères,

 

S'il est bien une chose impossible, tout à fait hors de notre portée, dépassant entièrement la mesure de nos forces, c'est bien la sainteté. Elle nous est demandée, elle est exigée de nous si nous sommes dans la vérité de notre vocation monastique. Et nous ne pouvons faire qu'une chose, mes frères, c'est d'obéir, c'est de poursuivre cette sainteté, c'est veiller à ne jamais nous écarter de ce que Dieu nous demande.

Et pour parvenir à réaliser, à incarner dans notre vie le pari d'amour de Dieu sur nous, nous devons faire ce que saint Benoît nous conseille ici : ex caritate confidens de adiutorio Dei oboediat, 68,12, par amour, plaçant toute sa confiance dans le secours de Dieu, il obéit.

 

Mes frères, je le répète, si nous sommes vrais dans notre être de moine, nous n'avons pas le droit de placer plus bas la hauteur de notre idéal. Si nous sommes invités à entrer déjà maintenant dans la maison de notre Dieu et à y vivre, c'est parce qu'il veut faire de nous des saints. C'est de cela que le monde a besoin.

Des hommes d'affaires, des ingénieurs en toutes choses, même des personnes d’œuvres, il n'en manque pas, il y en a des quantités. Mais des saints ? Les monastères devraient en être peuplés ! Et lorsqu'un novice, bien sincèrement dans son cœur, se donne entièrement à la volonté de Dieu, quelques soient les défauts qui l'habitent encore, quelques soient les péchés dans lesquels il tombe, il est déjà un saint.

 

Et c'est pourquoi il nous est recommandé de toujours revenir aux années de notre noviciat. Un véritable moine considère qu'il est entré dans le monastère le jour même et que sa vie monastique commence. Il doit toujours avoir cette ferveur qui n'est pas de l'exaltation nerveuse, sensible, mais qui est la détermination de faire confiance à Dieu et de le suivre partout.

Et c'est pourquoi, lorsque les Anciens allaient consulter un Père Spirituel, ils lui demandaient une Parole pour en vivre, c'est à dire une semence spirituelle qui dans leur cœur germerait et emplirait ce cœur de vie divine. Il s'opérait une transfusion entre le cœur de l'Abbé et celui de son disciple. Mais pour que cette opération réussisse, il fallait une certaine disposition chez le disciple.

 

Chapitre : Commentaire sur la Carte de Visite. 26.08.89

      Garder la foi dans la valeur de notre vie.

 

Mes frères,

 

Le Père Visiteur continue de nous prodiguer avis et encouragements. Ecoutons-le ce matin car il va mettre le doigt sur un problème que nous devons regarder en face :

La communauté diminue en nombre, les vocations ne se présentent pas, mais votre fidèle ardeur au travail et votre persévérance dans la prière méritent d'autant plus d'estime. Gardez la foi en la valeur de la Règle de Saint Benoît et de ses Observances.

Permettez-moi de citer ici des mots de l'écrivain Russe Solje­nitsyne : Si la Règle de Saint Benoît allume en nous la flamme de l'Esprit, si elle nous incite à la conversion, si dans notre état actuel d'épuisement spirituel elle nous aide efficacement à réaliser un progrès constant dans la foi et l'amour, elle sera précieuse pour nous aujourd'hui.

 

Mes frères, les vocations ne se présentent pas et la communauté diminue en nombre. C'est là un phénomène complexe qu'on pourrait analyser longuement. Nous sommes victimes d'une crise qui frappe tous les monastères consacrés à la vie contemplative.

Il semble que Dieu lui-même soit impuissant devant cette crise, devant ce phénomène qui peut être de nature sociologique, psychologique et même spirituelle. Il n' y a pas lieu d'en parler ce matin, cela nous conduirait trop loin et ça nous ferait glisser en dehors du propos de la Carte de Visite.

En tout cas le Visiteur, lui, nous incite à ne pas nous abandonner au défaitisme et au découragement et il nous propose deux réflexions.

D'abord, garder foi en la valeur de notre vie. On pourrait se demander si nous ne sommes pas les vestiges d'un univers révolu ? Et pour­tant non, dans le Corps du Christ, nous devons être des pneumatophores, nous devons être la présence active de l'amour qui est Dieu.

En citant Soljenitsyne, le Visiteur nous dit que la Règle de Saint Benoît doit allumer en nous la flamme de l'Esprit. C'est à dire que nous devons arriver à la plénitude de notre vie chrétienne. Notre coeur est un temple dans lequel la Trinité a choisi d'habiter. Et à partir de ce temple, elle rayonne la lumière à travers tout notre corps. D'où pour nous l'importance primordiale de la chasteté qui est la luminosité de cette présence de Dieu en nous.

Et puis à partir de là, cet Esprit de Dieu enclenche, embraye en nous une activité, une activité qui est une activité de charité, de bienveillance, de douceur, de patience, de compréhension, d'accueil à l'endroit des uns des autres tout d'abord et puis, si l'occasion s'en présente, pour d'autres hommes.

 

Sans les glandes spirituelles que sont les contemplatifs, le monde sombrerait fatalement dans le chaos. Il n' y aurait plus d'amour dans le monde, c'est ça que je veux dire. La petite Thérèse voulait être, dans le coeur de l'Eglise, l'amour. Et bien, c'est vraiment là notre place. Nous sommes dans le coeur de l'humanité et, dans ce coeur, nous diffusons à travers tout le grand corps de l'humanité, nous diffusons l'amour.

Mes frères, il faut que la glande soit en bonne santé pour que le corps lui-même s'en trouve bien. Et ne nous arrêtons pas aux épiphénomè­nes, ne regardons pas les atrocités qui se produisent partout. Tout cela, c'est la superficie. Ayons le regard assez net, assez clair pour voir dans les profondeurs, là où mystérieusement l'Esprit de Dieu agit et déjà façonne la création nouvelle qui apparaîtra au jour où Dieu le décidera.

Notre vie est donc précieuse pour le monde d'aujourd'hui, même si celui-ci ignore notre vie ou la conteste. Il n'est pas nécessaire que les témoins de l'Esprit soient nombreux, mais il suffit qu'il y en ait quelques-uns, mais que ce soient de vrais témoins, vraiment des hommes de Dieu, des pneumatophores, des hommes spirituels.

 

Voilà ce que nous devons être, mes frères, et nous devons tout sacrifier pour cela. Je le rappelais hier soir, je l'ai rappelé à propos de Saint Bernard dimanche dernier : ne perdons jamais de vue la beauté de notre appel.

Et le Visiteur nous dit que nous ne devons donc rien relâcher de notre ardeur au travail et de notre persévérance dans la prière. Il constate d'ailleurs que c'est le cas chez nous : nous sommes fidèles et nous posons des actes concrets de foi en dépit de tout. Par exemple, mes frères, nous continuons à perfectionner l'exécution de notre Office Divin, ou bien nous poursuivons les travaux de restauration de notre Abbaye. Nous ne disons pas : Mais à quoi bon, à quoi bon !

Une communauté est quasiment morte lorsque on laisse tomber les bras et qu'on ne fait plus rien, lorsque les frères ou les soeurs commencent à dire : Non, ne bougez à rien, laissez-nous mourir là-dedans ! Alors c'est fini, on est déjà mort.

 

Mais voilà, gardons donc notre foi très éveillée et ne pensons pas à l'avenir mais vivons au jour le jour. Car le jour d'aujourd'hui, c'est déjà l'éternité de Dieu pour nous. Et les circonstances difficiles que nous connaissons rendent d'autant plus estimable et plus précieuse notre vie, comme le dit le Visiteur. Et remercions-le de nous conforter ainsi dans notre vision de foi.

 

Chapitre : Récollection du mois de septembre.  02.09.89

      Marie Médiatrice – Fuir l’oubli.

 

Mes frères,

 

Avant-hier, nous avons fêté, modestement mais dans la ferveur de notre foi, la médiation universelle de la Vierge Marie. N'allons pas imaginer Marie en possession d'un pouvoir arbitraire auquel nous serions livrés sans défense. Sa médiation est bien plutôt le triomphe absolu de l'amour sur toutes les forces de dégradation, d'entropie, de corruption qui minent notre existence terrestre.

Qui dit amour, et surtout l'amour d'une mère telle que Marie, qui dit amour dit gratuité, respect infini, effacement respectueux, attente confiante, bienveillance sans borne, don de soi sans limite. Telle est Marie ! Depuis le jour où elle a accueilli en son sein le Verbe de Dieu et que de sa chair virginale elle lui a façonné un corps, depuis ce jour­-là, Marie est devenue notre Mère.

Et comme le rappelle si bien Saint Bernard, c'est par elle que nous devons aller vers Celui qui est venu à nous. C'est en son sein que se situe le lieu de rencontre entre Dieu et nous. Il n' y a pas d'autres chemins, il n'existe pas d'autres routes ! Et ce sentier, qui a été tracé par Dieu lui-même, vaut pour absolument tous les hommes, pas seulement pour les chrétiens mais pour tous les hommes.

 

Mais nous qui sommes chrétiens, nous avons le privilège de le savoir. Les autres ne le savent pas, mais nous devons savoir pour eux, c'est à dire les prendre tous à l'intérieur de notre coeur et vivre avec intensité notre vocation si belle, notre vocation qui est dans la suite de la médiation de Marie. Car le chrétien est un médiateur entre ses frères les hommes et le Dieu trinité de Personnes.

Marie est toujours en état d'enfantement. C'est dans son sein que nous grandissons. C'est en elle que la création nouvelle est façonnée. Et nous sommes des créatures nouvelles. Notre coeur n'est peut-être pas assez pur pour contempler ces merveilles ?

Mais demandons à l'Esprit, l'Esprit qui habite en nous, demandons-lui de nous travailler comme il a travaillé le coeur de Marie. Et demandons à notre Mère d'accélérer notre métamorphose pour que nous voyions enfin, pour que nous sachions, que nous puissions répondre avec plus de vérité à notre vocation.

 

Il n'est absolument rien que nous ne recevions par elle. Et le jour de notre résurrection sera la date de notre véritable naissance car, à ce moment-là, nous verrons en pleine lumière que Marie est notre véritable Mère et que nous sommes, grâce à son amour.

Ce sont là des évidences auxquelles nous devrions toujours revenir. C'est pourquoi nous devons à tout prix fuir la plaie pernicieuse qu'est l'oubli. Saint Benoît nous le dit. Le tout premier échelon de ce fameux ascenseur qui doit nous conduire jusqu'à la charité parfaite dans la lumière de Dieu au coeur de la Trinité, ce tout premier échelon consiste à fuir absolument, totalement l'oubli.

La lutte contre les pensées à laquelle nous sommes invités chaque jour, à toute heure presque, elle est dans ses profondeurs un combat contre l'oubli. Mais l'oubli de quoi ? Eh bien, c'est l'oubli du réel par une évasion dans le rêve et dans l'illusion. Oublier cela, c'est s'attarder à la face superficielle des choses, c'est s'engluer dans la chair et ses phantasmes.

 

Oublier, c'est perdre de vue la réalité omniprésente de Dieu et de son amour. Oublier, c'est tenter de tourner le dos à notre Mère pour faire seul notre vie comme si c'était possible. Oublier, c'est vivre dans une sorte d'intoxication, d'ivresse qui inverse le rapport des choses.

L'oubli, c'est l'exercice de l'idolâtrie. L'éphémère est pris pour l'éternel. L'égoïsme est baptisé charité et la créature est adorée à la place du Créateur. Et la première créature qu'on adore, c'est soi-­même qu'on exalte, qu'on place au-dessus de tout. Mes frères, cet oubli qui nous conduit insensiblement vers une perversion, une décadence de notre être, nous devons absolument le fuir.

Et à sa place, nous devons placer le réel, c'est-à-dire : nous souvenir. Pour secouer la chape de l'oubli, il faut se souvenir et se convertir, c'est à dire il faut éveiller son attention, il faut rester vigilant et il faut se livrer à tous les vouloirs de notre Dieu. Tous ses vouloirs sont apparition de lumière et d'amour.

 

Comme je l'ai déjà dit tant de fois, Dieu est caché à l'intérieur de sa volonté. Il ne se trouve pas ailleurs. Mais lorsque nous nous nourrissons de la volonté de Dieu, nous nous nourrissons de Dieu lui-même et nous devenons comme Lui. Notre divinisation passe par la dégustation des vouloirs de Dieu. C'est de cela que nous devons nous souvenir.

Et ainsi, nous purifions la mémoire de notre coeur, nous la désencombrons. La mémoire de notre coeur ne va pas revenir sur le passé. Elle ne remue pas des souvenirs. Non, la mémoire de notre coeur regarde en avant. Elle se souvient d'où nous venons et où nous allons.

Nous venons de chez Dieu, de son coeur, de son amour. Et après un périple, nous retournons à notre lieu d'origine qui est le sein de notre Dieu. C'est au coeur de la Trinité que se trouve notre maison, notre patrie. C'est de cela que nous nous souvenons toujours.

 

A l'intérieur de ce périple, nous sommes des étrangers. Et, comme nous allons le chanter, comme nous le chantons tous les soirs en nous adressant à la Vierge Marie, nous dirons que nous sommes des exilés. Oui, nous sommes des exilés lorsque nous oublions. Nous revenons chez nous lorsque nous nous souvenons. C'est ce mouvement qui constitue notre vie de conversion.

Mes frères, si nous travaillons ainsi en confiance, en collaboration avec Marie notre Mère, nos yeux finissent par s'ouvrir. Ils voient la beauté de Dieu et ils s'attachent à la douceur de son amour. Nous nous installons alors dans la vérité et notre corps, notre coeur et notre esprit commencent à savoir ce que signifie la vie éternelle.

 

 

Mes frères, se souvenir, c'est donc savoir où se trouve notre avenir ; c'est vivre avec intensité le moment présent qui est tout empli de Dieu et de la vie qu'il porte. Se souvenir, c'est se laisser doucement enfanter par Marie et, c'est entrer dès maintenant dans la félicité qui sera la nôtre pour l'éternité à condition que nous soyons fidèles, à condition que nous ne quittions pas le chemin royal de la volonté de Dieu, celui que nous indique à tout instant notre Mère Marie, à condition que nous demeurions fidèles à son exemple, à sa parole, à son amour et que nous nous laissions façonner par elle à l'intérieur de son sein qui est tout imprégné d'amour et qui, à partir de lui, nous fait surgir à l'intérieur de ce monde nouveau qui est l'univers même de Dieu.

Mes frères, là où est Marie, là est Dieu et là nous sommes déjà en espérance.

 

Homélie : 22° dimanche ordinaire * année C.    03.09.89

      Une oreille qui écoute.

      Si 3,17-18.20.28-29 * He 12,18-19.22-24 * Lc 14,1a.7-14.

 

Mes frères,

 

Nous venons d'entendre de la bouche du Siracide une parole qui vaut son pesant d'or : L'idéal du Sage, c'est une oreille qui écoute.

Avoir une oreille qui écoute, c'est rester toute sa vie dans la position du disciple, de celui qui se tait car il a tout à apprendre. Le sage fait silence en lui et il demeure attentif aux murmures de l'Esprit qui lui parle par les hommes, par les événements, qui lui chante une mélodie absolument merveilleuse dans le secret de sa conscience.

 

Mes frères, l'idéal du Sage, l'idéal du moine, c'est d'être un écoutant, c'est se nourrir de la Parole de Dieu, de Dieu lui-même. C'est se modeler sur cette Parole jusqu'à devenir présence même de Dieu sur cette terre.

Or Dieu, nous l'expérimentons, est l'être le plus effacé, le plus humble qui soit. Il ne s'impose pas, il cède toute la place, il se fait comme inexistant. Quand il s'est présenté aux hommes sous les traits de Jésus, personne ne l'a reconnu. On a fait de lui tout ce qu'on a voulu jusqu'à le rejeter et le tuer.

Quand il nous conseille aujourd'hui de nous mettre à la dernière place, il nous invite tout simplement à l'imiter, à prendre place à côté de lui. Etre un écoutant, c'est donc se mettre le dernier, c'est vouloir ressembler à Dieu jusqu'au bout.

 

Mes frères, quand on en arrive là, du même coup on dépose toute ambition, toute convoitise. On n'attend plus rien des hommes. On a placé toute son espérance en Dieu et en son amour.

L'homme en effet est décevant. Dieu seul peut combler le désir de notre coeur. Lui seul peut étancher notre soif, apaiser notre faim. C'est pourquoi le sage se nourrit de la Parole de Dieu et de ses vouloirs, à la dernière place auprès de Dieu.

Rappelons-nous Marie de Béthanie assise aux pieds de Jésus et buvant ses paroles. Nous savons jusqu'où ce geste, cette écoute l'a conduite, jusqu'à ce fameux soir où elle a versé sur les pieds de Jésus un parfum d'un prix inabordable, ce qui a permis à Jésus d'aller lui-même jusqu'au bout de sa mission.

 

Mes frères, écouter Dieu, c'est devenir en quelque sorte son complice - j'emploie ce mot pour ne pas dire son collaborateur - car il évoque l'image de deux êtres qui sont impliqués l'un dans l'autre et qui ne peuvent plus faire qu'une seule chose toujours ensembles, à savoir aimer et se donner.

Se nourrir de la parole de Dieu, c'est se nourrir de gratuité. Et celui-là ressuscite déjà d'entre les morts car, comme je l'ai dit voici un instant, il devient semblable à Dieu.

Mes frères, la logique divine est déroutante, mais elle est si belle et si féconde. Nous sommes des chrétiens. Puissions-nous faire nôtre cette logique, en vivre, la répandre, et à partir d'elle construire un monde nouveau, image du monde à venir.

 

                                                                                                         Amen.

 

Règle 1, 15-fin : Des espèces de moines.       09.09.89

          Un choix à faire.

 

Mes frères,

 

          Si nous voulons comparer ces deux dernières espèces de moines avec les cénobites et les anachorètes, nous pouvons les définir comme des paresseux. Ce sont des gens qui déclinent le combat. Ce sont des déserteurs, ils passent à l'ennemi. Mais aussitôt qu'ils sont devenus les serviteurs du démon, celui-ci les réduit en esclavage et il ne les lâche plus.

          Saint Benoît le dit bien : leur loi - c'est à dire la loi que leur impose leur maître - c'est la volupté de leurs désirs. Leur jugement est entièrement obscurci ou bien ils sont les esclaves de leur volonté propre et des plaisirs de la bouche, de la gourmandise.  

          Mes frères, c'est là quelque chose qui doit nous interpeller parce que nous sommes nous-mêmes toujours placés en face d'un choix : ou bien servir le Christ, ou bien servir le démon. Il n'y a pas d'entre-deux pour nous qui sommes moines. Nous servir nous-mêmes, c'est automatiquement ne plus servir le Christ et c'est passer sous la coupe du démon.

 

          Il nous faut donc être des lutteurs, des combattants, des hommes qui ne quittent pas le front du combat, qui tiennent bon. Ils reçoivent des blessures, parfois ils sont fatigués, découragés. Mais ce n'est pas ça qui est grave parce qu'ils font partie d'un Corps et le Corps, lui, leur donne la santé, leur donne l'énergie. Ils sont portés par l'ensemble de la communauté qui combat.

            Par contre, s'ils se séparent de la communauté, même sans quitter le lieu, à ce moment-là ils vont glisser certainement dans les filets du tentateur. Et ils ne pourront plus en sortir à moins d'un événement qui les bousculerait de l'extérieur et qui provoquerait leur conversion. Il ne faut jamais désespérer de personne naturellement. Mais tout de même, mes frères, soyons prudents, et soyons des hommes vigilants de manière à pouvoir non seulement servir le Christ mais, comme nous le promet Saint Benoît, participer à la liberté et à la joie de sa vie et de son royaume.

          Car, servir le démon en nous servant nous-mêmes, c'est devenir esclave et tomber dans une condition extrêmement malheureuse. Par contre, servir le Christ, c'est entrer en communion avec Dieu et connaître la véritable liberté, c'est à dire la liberté du coeur, la liberté intérieure. Ayons toujours bien soin de choisir, mes frères, et de choisir le bon côté.

 

Chapitre : Fête de la Croix Glorieuse.            10.09.89

      La Croix, lieu de résurrection.[2]

 

Mes frères,

 

Saint Benoît nous dit que l'Abbé ne peut rien enseigner, établir ou commander qui soit en dehors du précepte du Seigneur. Le texte latin, (2,9), est au singulier. Et nous pouvons nous demander quel est ce précepte du Seigneur ? Il n'y en a qu'un seul pour Dieu.

Il faut prendre ce mot précepte dans son sens large. C'est tout ce que le Seigneur a disposé en vue de la réalisation de son projet. Or ce projet, c'est de nous faire participer à sa vie, à sa nature, à son bonheur ; c'est de nous diviniser ; c'est de faire de nous par cadeau des dieux ; c'est de nous donner une chair spirituelle et faire de nous une création nouvelle.

Ce projet, mes frères, nous devons y croire - c'est d'ailleurs pour ça que nous sommes ici - et faire de sa réalisation en nous l'objet de toutes nos recherches, de tous nos efforts.

 

Dans la pratique, le précepte du Seigneur n'est autre que la Personne du Christ Jésus. Ce précepte n'est pas une formulation abstraite, mais c'est une Personne. Toute la Loi, c'est le Verbe de Dieu devenu homme, c'est le Christ Jésus.

Nous devons donc, pour accomplir le précepte du Seigneur, adhérer au Christ, le suivre en tout et toujours, devenir avec Lui et en Lui un seul être. Et pour cela, être obéissant jusqu'au bout comme lui l'a été.

Nous devons nous ensevelir dans le mystère qui est inséparable de la Personne du Christ et qui est le lieu obligé de la résurrection et de la vie. Et ce mystère, c'est le mystère de la Croix.

 

L'Abbé doit donc par son exemple et sa parole - comme le dit encore Saint Benoît - encourager ses frères à mourir à eux-mêmes de façon à ressusciter en Dieu. La vie nouvelle, la vie impérissable, incorruptible, la vie propre de Dieu est reçue à l'intérieur de la mort à soi.

C'est là l'essence du mystère qui est célébré aujourd'hui. La croix du Seigneur Jésus est le lieu de la résurrection, de l'éternité et de la gloire. Non pas la croix en tant qu'instrument de supplice, mais parce que le Christ s'est oublié et a aimé jusqu'à cette extrémité de la croix. Tout acte de renoncement est donc une participation au mystère de la croix comme lieu de résurrection.

Attention au dolorisme, attention au masochisme ! Non, la croix, c'est à dire la mort à nous-même, le renoncement à nos désirs de corruption, c'est le lieu même de notre résurrection qui s'opère à l'intérieur du renoncement et de l'obéissance.

 

Nous ne devons pas projeter la résurrection dans un avenir inimaginable, un événement qui va nous concerner Dieu sait quand ? Non, la résurrection, notre résurrection personnelle commence maintenant, et elle commence dans le renoncement et l'obéissance.

Nous réalisons donc notre vocation chrétienne et surtout notre vocation monastique quand nous renonçons à notre moi et que ce renoncement est tel, que ce n'est plus nous qui vivons mais le Christ en nous.

          Alors, nous sommes devenus vraiment une création nouvelle et le projet de Dieu se réalise en nous.

 

Il est donc logique, mes frères, qu'à la suite de l'Apôtre Paul - comme nous l'avons entendu au cours de l'Office de Nuit - nous placions notre gloire nulle part ailleurs que dans la croix du Seigneur Jésus.

A l'époque de l'Apôtre Paul, c'était un scandale et une folie. Eh bien, je pense que ça l'est encore aujourd'hui et davantage. Aujourd'hui, ça va jusqu'à, vous pouvez l'observer, qu'on ne fait plus le signe de la croix. On en a peur !

Il y a là comme un symptôme, un indice d'un glissement de notre foi. La réalisation de notre vocation, nous irions facilement la chercher à côté de la croix dans des moyens humains, dans des techniques humaines. C'est ce qui fait entre autre le succès des sectes aujourd'hui. Une nouvelle gnose est en train de se répandre et fait des adeptes.

 

Mais non, il n'y a qu'une seule route, un seul chemin, un seul précepte, la personne du Christ Jésus qui a été obéissant jusqu'à la mort sur une croix. Il n'y a pas d'autre route. Alors, mes frères, soyons donc logiques ! Puissions-nous l'être toujours à chaque instant de notre vie.

Ayons le souci constant de ne pas faire notre volonté, mais celle de Celui qui nous a aimés et qui s'est livré pour nous. Et à ce moment-là, nous serons heureux. Il n'y a pas de véritable bonheur, il n'y a pas de véritable liberté en dehors de la mort à soi et déjà d'une surrection à l'intérieur de l'univers de l'amour. J'y ai fait allusion hier à propos de ces moines qui désertent le combat et qui en désertant deviennent l'esclave de leurs passions et l'esclave des démons.

Mes frères, soyons donc, encore une fois, logiques ! Et au terme de notre effort, de notre ascèse, de notre renoncement se trouvera la vie en Dieu au-delà de laquelle rien de plus beau ne peut être conçu.

Règle : 2,29-43 : De l’Abbé.                     11.09.89

      L’Abbé enseigneur !

 

Mes frères,

 

          Il est clair que pour saint Benoît l'enseignement oral de l'Abbé doit être la transposition sur le registre verbal de toute une conduite qui doit être en conformité avec la Loi du Seigneur. Il ne faut pas qu'il y ait de discordance entre la parole et l'action sinon l'Abbé serait un fumiste, un charlatan, un menteur.

          Mais soyons tout de même raisonnable. Il n'y aura jamais une équation parfaite car l'Abbé comme ses frères est un être faible, fragile, vulnérable. Il doit lui aussi subir les assauts des pensées des démons de la chair et il doit présenter à ses frères un idéal. Forcément, puisqu'il est un homme, il sera toujours en de ça de cet idéal qui est devant chacun d'entre nous et vers lequel nous devons tendre.

          Ce n'est que dans le ciel que nous serons parvenus là où nous espérons aller. Et encore, à ce moment nous aurons toujours des progrès. Nous irons de vertu en vertu comme dit le Psaume. Pourquoi ?

 

          Mais parce que la beauté de notre Dieu est insondable, sa richesse, sa sagesse, sa vie, sa nature. Si bien que nous serons toujours portés vers l'avant par ce que Evagre appelle un élan d'amour porté à son degré le plus sublime. Nous aimerons, non pas de façon statique, mais de façon dynamique comme tout véritable amour. Eh bien, dans la mesure du possible, l'Abbé doit être pour ses frères un exemple de cet amour qui ne cherche en tout que Dieu, sa justice et son équité, son équilibre.

          Il pourrait arriver qu'un Abbé ne soit pas dans de telles dispositions. Saint Benoît le prévoit au chapitre quatrième de sa Règle où il dit qu'il faut obéir en tout aux ordres de l'Abbé si même, ce qu'à Dieu ne plaise, il agit autrement, se souvenant du précepte du Seigneur : « Faites ce qu'ils disent, mais ce qu'ils font, gardez-vous de le faire » 4,72.

          Ce serait une situation vraiment difficile pour les frères de bonne volonté d'avoir sous les yeux de mauvais exemples dans le chef de leur Abbé. Mais malgré tout, il faudrait obéir. La place du disciple, c'est l'obéissance ; et la place de l'Abbé, c'est l'enseignement. Mais attention ! Il doit tout de même lui, l'Abbé, obéir en tout au Christ son Maître et au-delà du Christ à la Sainte Trinité. Il doit être le premier obéissant.

 

          Et comme le dit Saint Benoît, il devra rendre compte de deux choses : rendre compte de sa doctrine et de l'obéissance de ses disciples. C'est un peu difficile de devoir rendre compte de la façon dont les frères obéissent. Eh bien, je pense que l'Abbé s'en tirera facilement si lui-même a toujours été dans toute la mesure du possible obéissant à la Loi divine. A ce moment-là, il ne pourra pas faire davantage.

          Le monastère n'est pas un camp de concentration où le moindre écart est puni peut-être de mort. Mais non, c'est un endroit où volontairement, en toute liberté, on choisit d'obéir au Christ. Et l'Abbé ne peut pas faire plus que d'encourager ses disciples à marcher sur cette route.

 

Règle : 2,81-91 : De l’Abbé.                     14.09.89

      Les trois murailles.

 

Mes frères,

 

          Saint Benoît nous dit que la mission confiée à l'Abbé est une chose difficile et ardue, laborieuse. Et ce qui lui est demandé, c'est de regere animas, 2,84. C'est des âmes, c'est à dire des personnes qui deviennent de plus en plus le temple de l'Esprit et qui doivent être acheminées avec patience jusqu'au Royaume de Dieu, c'est à dire jusque dans le coeur même de la Sainte Trinité. Et cela, dès cette vie.

 

            L'Abbé doit encourager et aider ses frères à franchir une triple muraille. Je vous ai déjà expliqué cela il y a très longtemps, peut-être bien dix ans, mais c'est toujours agréable de le reprendre sur un mode nouveau. Et ces trois murailles sont le mur de la peur d'abord, puis le mur de la lassitude et enfin le mur de la mort. Le mur de la peur ? Mais c'est la peur d'abandonner toutes ses sécurités. On est bien dans sa peau. On se connaît. On est le complice et l'ami de son moi préfabriqué.

Eh bien, il faut abandonner toutes ses sécurités et prendre le risque de partir dans l'inconnu, le risque d'une conversion. On sait que ce sera dur et on a peur. L'Abbé doit donc encourager ses frères à surmonter cette peur qui est instinctive. Mais il peut aussi devenir un obstacle sur la route qui conduit à Dieu et un obstacle aussi infranchissable qu'un mur. Il doit donc apprendre à ses frères à abandonner cette peur.

 

          Et lorsque cette muraille est franchie, il y en a une seconde qui est encore plus élevée que la première, et c'est la muraille de la lassitude. Il n'y a rien qui change, il n'y a rien qui bouge, c'est toujours la même chose. On a vraiment vaincu la peur. On s'est donné au Christ, et voilà qu'on piétine. Rien ne se passe, on a toujours les mêmes défauts. On rencontre toujours les mêmes difficultés et le moi préfabriqué est encore bien vivant même si on n'en a plus peur.

          Et on fini par se demander : à quoi bon ? On se fatigue, on se lasse et on remet tout en question. C'est en terme plus technique la fameuse acédie. On ne sait plus où on en est, on ne sait plus ce qu'on fait. Et l'Abbé doit aider le frère à prendre patience. Per patientiam, dit Saint Benoît, Pr.l19, il faut savoir attendre.

          Il se passe dans l'invisible du coeur des changements qui sont profonds mais qui ne sont pas perceptibles. Et ce qui est fait pour durer toute l'éternité doit grandir lentement. Ce ne peut pas être comme l'arbrisseau de Jonas qui avait poussé en une seule nuit et qui a disparu aussi vite.

 

          Et lorsqu'on a franchi la muraille de la lassitude, il y a la dernière qui est la plus dure de toute, et c'est la muraille de la mort. Il faut donc mourir, mourir à ses volontés propres, à ses idées, à ses plans, à ses projets, à ses goûts, à ses sentiments, enfin à tout ce qui donne un élan naturel à la vie. Il faut mourir à tout ce qui est charnel. Le Christ l'a bien dit, ce matin encore au cours de l'Eucharistie : « Celui qui veut garder sa vie, il est certain de la perdre. Par contre, celui qui prend le risque de la perdre, celui-là est certain de la gagner et de gagner une vie nouvelle, celle même de Dieu, la vie éternelle. »

          Et cette mort, elle se trouve partout dans notre vie. Et c'est là peut-être que l'Abbé doit être le plus encourageant pour ses frères. La mort, elle est présente du matin au soir. Elle se présente à nous comme un gouffre dans lequel on tombe et dont on ne sort plus. C'est le gouffre de l'humilité.

          Et la chiquenaude qui nous y fait tomber à tout moment et toujours plus bas, c'est l'obéissance. Obéir, c'est toujours mourir un peu. Et mourir un peu, c'est devenir plus humble parce que c'est ressembler de plus en plus au Christ qui s'est fait obéissant jusqu'à mourir. C'est le sens de la commémoraison que nous avons fait ce jour, la Croix Glorieuse.

 

          Mais il est une mort qui est peut-être une des plus dures dans notre vie, et c'est celle-ci : c'est lorsqu'on n'en a jamais fini de mourir. La muraille de la mort, elle, doit être franchie. Mais c'est une muraille qui non seulement est très élevée mais aussi très épaisse.

          Si j'ai bon souvenir de mes études d'humanité, je ne sais plus de qui, mais c'est la description de la ville de Babylone. Et je ne sais combien de chars avec les chevaux pouvaient faire la course sur les murailles de Babylone. Imaginez la largeur ! Eh bien, la muraille de la mort est très épaisse. Et voilà, quand on est au-dessus, il faut encore la traverser dans toute sa largeur.

          Et voici, mes frères, une chose qui nous attend tôt ou tard. Il peut arriver qu'un frère pendant des années, pendant 10, 20, 30, 35 ans s'est acquitté d'une charge, d'un emploi avec un dévouement et une compétence vraiment exemplaire. Et voici que un jour par suite de maladie, par suite d'infirmité, par suite de circonstances indépendantes de la volonté du frère, il doit dire : « Maintenant, c'est fini ! » Voilà, il doit être déchargé de son emploi.

 

          Eh bien, mes frères, ça c'est peut-être une des dernières morts qu'il faut subir dans un monastère. Mais à ce moment-là, lorsqu'on assume bien, qu'on accepte cette volonté inéluctable de Dieu et qu'on y entre, avec souffrance peut-être, mais dans la foi et la charité, à ce moment-là on peut dire que ce frère-là, et bien, il a réussi sa vie monastique.

          Malgré ses défauts, malgré des choses qui restent et qui font partie de notre visage extérieur, on peut dire qu'il a réussi parce que il a alors franchi les trois murailles. Il arrive au bout de la troisième et, de l'autre côté ce sera comme Saint Benoît le dit : les espaces infinis de la véritable charité.

 

Règle : 2, 92-fin : De l’Abbé.                    15.09.89

      Regere !

 

Mes frères,

 

          Saint Benoît insiste, il rappelle à l'Abbé que son premier devoir est la Regere animas, 2,84, de conduire des âmes, c'est à dire de guider sur les routes du Royaume vers la ...?… qui est Dieu lui-même, des êtres qui sont promis à une existence éternelle, à un avenir de divinisation, à une participation consciente, pleine, entière, parfaite à la propre vie du Créateur.

          Et c'est la raison pour laquelle l'Abbé ne doit pas donner un soin exagéré aux choses passagères, terrestres et caduques. Il y a ici une opposition entre les ...?… et les choses passagères. D'un côté, il y a des destinées qui sont frappées du sceau de l'éternité et de l'autre côté il y a des choses corruptibles qui sont condamnées à disparaître.

 

          Si donc l'Abbé commence à s'intéresser outre mesure à ces choses terrestres, transitoires et passagères, à ce moment, il oublie de conduire sur les routes de l'éternité les hommes qui lui sont confiés.

          Il y a donc toujours ici un choix qui se décide dans le coeur de l'Abbé : ou bien choisir les choses invisibles qui sont éternelles, ou bien les choses visibles qui sont condamnées à disparaître ? Ou bien il va vivre dans la sphère de la foi et de l'amour, ou bien il va commencer à calculer et à devenir un simple administrateur ? Mais non pas de la maison de Dieu, mais de choses que d'une façon ou d'une autre il s'approprie, qu'il fait sienne.

          Il y a donc là un danger, un piège qui guette l'Abbé au premier chef, mais aussi chacun des frères dans ..?.. ..?.., car si l'Abbé est responsable des animae qui lui sont confiés, chacun des frères est responsable aussi de la façon dont il assume sa vocation et sa destinée.

 

          Il utilise aussi le mot regere. Et pour le comprendre, il faut se référer à la terminologie classique de l'Ancien Testament. On la retrouve au début du Psaume 22 : Le Seigneur me conduit, il ne me manque absolument rien. On traduit : Le Seigneur est mon berger. Il y a donc là l'idée que la communauté monastique est une caravane qui traverse, qui passe. La communauté monastique vit en état de nomadisme. Elle ne se sédentarise pas, elle ne s'installe pas.

          Elle vit dans un lieu. Elle a donc un vœu, une détermination de stabilité dans un lieu. Mais en réalité, c'est à fin de pouvoir spirituellement être plus libre, plus disponible pour ce passage, pour ce voyage, pour cet exode à partir des choses caduques, terrestres et transitoires, passagères et corruptibles vers l'incorruptibilité du Royaume de Dieu.

          Si nous voulons ainsi bien examiner la Règle de Saint Benoît, nous découvrons une quantité de détails qui nous rappellent sans cesse à la vérité de notre état monastique, à sa ... ?.., à sa beauté.

 

          Maintenant si l’Abbé - avec sa communauté naturellement parce que la communauté va suivre l'Abbé - si l'Abbé commence à s'installer dans des choses corruptibles, la caravane freine. Elle s'installe quelque part. Elle perd donc sa spécificité de nomade.

          Elle n'est donc plus en route vers l'au-delà du transitoire, du caduque, du corruptible vers l'incorruptibilité du Royaume de Dieu. Non, elle est comme asphyxiée dans une région polluée. Elle devient alors elle-même une véritable pollution. Elle perd sa raison d'être.

          Elle devient une entreprise comme une autre dont le but n'est pas de passer outre, mais de jouir de plus en plus de ce qui est à la disposition immédiate de chacun.

 

          Mes frères, vous voyez, ce que nous dit ici notre Père Saint Benoît nous touche de très près. Et si l'Abbé devra rendre des comptes, chacun des frères aussi devra rendre des comptes pour la façon dont il aura géré sa vie personnelle, mais aussi de la façon dont ils auront exercé une influence sur l'ensemble du Corps. Car la santé ou la maladie d'un seul affecte l'état de santé du Corps dans sa totalité.

 

          Voilà, mes frères, encore quelques petites remarques qui me viennent comme ceci à l'esprit quand j'écoute la lecture de la Règle. J'ai peut-être l'avantage étant ancien de connaître à peu près par coeur la Règle de Saint Benoît dans son texte original latin.

          Si bien qu'il y a là des tas de nuances qui sont devenues comme familières, mais qui appellent à être éveillées à la conscience de ceux qui n'ont pas pendant des années et des années entendus lire le texte de la Règle en latin.

          C'est pourquoi je suis content de pouvoir à l'occasion ainsi vous éclairer de manière à ce que de mieux en mieux vous compreniez la beauté unique de la vocation à laquelle nous avons été appelés.

 

Règle : 3, 1-15 : L’avis des frères ?            16.09.89

          Rester jeune !

 

Mes frères,

 

          Depuis le temps que j'entends lire au Chapitre la Règle de Saint Benoît, je la connais presque par coeur. Je sais déjà à l'avance ce qu'il va être dit. Et pourtant, j'ai le sentiment chaque fois de l'entendre proclamer pour la première fois. Elle me paraît toute neuve, toute jeune. Je pense que c'est ce caractère d'éternelle jeunesse et de perpétuelle nouveauté qui en fait non seulement l'attrait, mais la puissance et la sainteté.

          Si nous voulons apprendre à connaître notre Père Saint Benoît, nous devons nous attarder sur des chapitres où il traite des rapports entre l'Abbé et les frères. Nous en avons un exemple ici.

 

          Nous voyons, nous constatons la souveraine liberté de Saint Benoît. Il est totalement détaché de ses idées. Il n'a pas de projets. Il est entièrement suspendu à la volonté de Dieu.        

          Il y a le gouvernement ordinaire de la communauté, des choses qui sont réglées une fois pour toutes et puis qui s'opèrent quasi naturellement. Tout le monde est entrée dans le mouvement.

          Il y a des choses extraordinaires qui se présentent plus rarement et alors l'Abbé peut être pris de court. Il ne voit pas trop bien quelle est la volonté de Dieu dans la chose. Et Saint Benoît lui conseille de faire ce que lui-même faisait, c'est à dire de prendre conseil.

 

          Mais pour prendre conseil, il faut encore une fois être mort à soi et il faut, je pense, avoir déposé une fois pour toute la jalousie. En effet, on peut être jaloux de ses idées. On peut être jaloux de l'importance qu'on occupe à l'intérieur de la communauté, on peut être jaloux des autres frères dont certains, pour la matière qui est en suspens, pourraient être plus intelligents, plus informés, plus compétents que l'Abbé.

          Mais non, ce que Saint Benoît désire, c'est laisser toute l'initiative à Dieu lui-même. Il ne voit donc pas les frères, je dirais, dans leur individualité, et leurs défauts, et leurs qualités. Non, il voit Dieu qui par l'intermédiaire des frères pris dans leur ensemble, et peut-être par la voix d'un de ces frères, va faire connaître sa volonté sur le sujet qui est en suspens.

          Et remarquez ici cette petite note qu'on connaît : Dieu révèle souvent, dit-il, saepe, 3,7, à un plus jeune ce qui est meilleur. Là aussi nous voyons que Saint Benoît a déposé une fois pour toute le défaut de la jalousie, car un jeune n'a qu'une chose à faire, c'est de se taire. Mais non, Saint Benoît dit : dans une circonstance pareille, il doit parler. Et souvent, c'est le jeune qui donnera l'avis décisif, celui sur lequel l'Abbé s'arrêtera, sur lequel il réfléchira. Mais pourquoi ? Mais c'est parce que Dieu, l'Esprit Saint travaille dans le coeur du frère et va révéler par ses lèvres sa volonté.

 

          Eh bien, il y a aussi ceci chez les jeunes, ne l'oublions pas : lorsqu'on est pendant longtemps dans un monastère, il y a une certaine routine qui s'installe dans la communauté, c'est à dire qu'on voit toujours les choses, elles ont pris une certaine coloration. On ne voit plus que cette couleur et on n'imagine pas que ça puisse être autrement.

          Tandis que le jeune, c'est à dire le nouveau venu qui arrive, qui est là, pour lui tout est neuf et il remarque des coïncidences, des relations, des rapports qui échappent à celui qui est là toujours à l'intérieur. Si bien que le jeune, en toute candeur, donne un avis qui est neuf parce que son regard est nouveau.

Je ne dirais pas que son regard est pur, ce n'est pas nécessaire, mais son regard est nouveau et l'Esprit Saint peut se servir de ce regard pour faire connaître sa volonté. Donc, mes frères, ne méprisons jamais les jeunes. Et l'idéal, c'est de rester jeune toute sa vie, avoir un coeur toujours en éveil, un coeur qui est toujours heureux, un coeur, oui, un coeur de Dieu, voilà le mot. Donc un coeur en voie de divinisation.

          Et vous savez que Dieu, lui, c'est le jeune par excellence. Si Dieu n'avait pas été jeune, s'il n'avait pas eu un esprit jeune, il ne se serait jamais incarné. Il ne se serait pas livré jusqu'à la mort sur une croix. Il doit y avoir dans un coeur jeune un petit grain, ou un gros grain de folie.

          Et ce qui se trouve aussi dans le coeur des jeunes - au plan de la carte d'identité - c'est qu'ils sont un peu sot-sot. Il faut le comprendre, il faut leur pardonner, c'est de leur âge. Mais il y a aussi cette folie divine qui est l’œuvre de l'Esprit et qui doit régenter, qui doit conduire, regere un coeur de moine.

 

Règle : 4, 51-77 : Quels outils utiliser ?      20.09.89

          Etre saint !

 

Mes frères,

 

          Saint Benoît termine ce soir sur une petite note à travers laquelle on sent percer une pointe d'ironie : Ne pas vouloir passer pour saint avant de l'être. 4,76. Il est tellement agréable de se savoir estimé des autres et surtout des gens du monde. Ils ont instinctivement un respect pour l'habit monastique. Cela se constate encore aujourd'hui et très fort même. Mais nous ne devons pas en abuser et nous imaginer que nous sommes déjà parvenus à la sainteté.

 

          Cependant, les tous premiers chrétiens se décernaient le titre de saint. Cela revient au début des Actes des Apôtres et puis dans les Epîtres de l'Apôtre Paul. Et si nous pénétrons le fond de sa pensée, nous remarquons qu'il oppose deux types de sainteté.

          Une sainteté selon la Loi ! On peut être irréprochable en tout. Dans un monastère, on peut être irréprochable au plan de la régularité, de la serviabilité, pour tout, et ne pas être un saint. Il y a une sainteté qui est celle que confère l'observance de la Loi, une sainteté charnelle qui est destinée à périr avec la chair.

          Ce n'est pas de cette sainteté-là que nous parle l'Apôtre Paul, ce n'est pas de celle-là que se décernaient les premiers chrétiens, c'est d'une sainteté qui ne vient pas de l'homme, mais bien de Dieu. Elle est déposée en nous.

 

          Comme nous l'avons célébré aujourd'hui, nous sommes des temples, nous sommes des maisons, nous sommes des palais. Notre corps est une maison à l'intérieur de laquelle Dieu habite, la Sainte Trinité habite. Et tout au fond de cette maison, il y a une fontaine qui coule sans arrêt. C'est celle de l'Esprit qui doit alors se répandre au dehors et diffuser l'amour en tous lieux. C'est cela la sainteté !

          Les premiers chrétiens le savaient, eux qui avaient reçu l'Esprit Saint. Nous l'avons reçu aussi et nous ne devons jamais l'oublier. Nous sommes des saints. Nous le sommes en germe, nous le sommes en espérance. Il faut que nous le devenions totalement.

          Il faut que la vie divine nous transfigure de fond en comble, qu'elle nous donne un comportement nouveau, un jugement nouveau, une perception nouvelle des personnes et des choses. A ce moment-là, nous serons vraiment des saints et, comme nous le dit Saint Benoît, nous serons estimés tels avec plus de vérité.

 

          Mais à ce moment-là, cela nous laisse parfaitement indifférents parce que nous serons morts à toute approche charnelle. Et pour employer une terminologie plus technique, nous serons parvenus au sommet de l'échelle, cette fameuse échelle de l'humilité dont Saint Benoît va parler dans quelques jours. Et nous verrons cette conjonction extraordinaire à l'intérieur de notre coeur, de la sainteté et d'un état de péché. Nous ne serons pas seulement des pécheurs pardonnés, mais nous serons des pécheurs en acte.

Et malgré tout nous serons transfigurés. Ce ne sera pas quelque chose qui sera posé sur nous comme un vêtement et qu'à l'intérieur ce serait de la pourriture. Non, mais c'est une sorte de cohabitation à l'intérieur de nous de la vie divine et d'un restant de vie, disons tordue, de vie qui n'est pas encore totalement divinisée. Et ce sera ainsi jusqu'à notre dernier souffle. 

Mais il est nécessaire que cette petite parcelle de péché demeure en nous pour nous maintenir dans l'humilité qui permet, elle, à Dieu de nous enrichir de plus en plus de sa vie. Voilà, mes frères, ce que nous dit saint Benoît ici. Et vous voyez qu'il y a toujours des choses très belles, des choses nouvelles. Et nous devons nous en nourrir.

 

          Dimanche, nous célébrerons encore une fois la fête de la Dédicace, celle de notre église. Il faudrait que chacun pour notre part nous fassions bien attention aux antiennes que nous chanterons parce qu'elles sont vraiment extraordinaires. Au plan mélodique, c'est très simple. Mais au plan de la profondeur spirituelle, de la profondeur théologique et de l'appel qui nous est lancé à travers elles, c'est quelque chose de très beau.

          Essayons de ne pas l'oublier d'ici dimanche. Et pour ceux qui ne connaissent pas le latin, la traduction s'y trouve. Et c'est aussi accessible en français qu'en latin. Peut-être davantage encore ? Mais essayons de bien percer le sens des mots.

          Et aussi, pensons à cette hymne, cette hymne qui déploie devant nous ce que nous sommes ; ce que nous sommes corporellement, c'est à dire le Corps du monastère ; ce que nous sommes chacun individuellement, personnellement à l'intérieur de ce Corps ; et puis ce que nous sommes à l'intérieur de la création de Dieu qui est en train de devenir ce qu'on appelle son Eglise, c'est à dire le lieu de sa gloire.

         

Nous avons les semences en nous. L'univers entier est ce temple de Dieu, mais l'univers en voie de transfiguration. Et ayons suffisamment d'acuité spirituelle et de foi pour déjà voir au-delà de l'accompli, de l'eschaton, du dernier jour, ce qui nous attend et qui est déjà mystiquement présent parmi nous.

 

 

 

 

Règle : 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?        21.09.89

La jalousie !

 

Mes frères,

 

          Quand on a le bonheur d'entrer dans l'atelier d'un bon ouvrier, d'un bon artisan, on découvre toute une série d'outils qui sont rangés par degré d'utilisation ou par rang de taille. Il y en a des plus grands et il y en a qui sont tous petits. L'artisan les connaît tous. Il prend ce qui lui convient, celui dont il a besoin pour achever la pièce qui fera le contentement du client et qui sera un honneur pour lui.

          Saint Benoît nous a présenté son atelier avec tous les instruments, tous les outils qu'il met à notre disposition. Car nous sommes des apprentis et c'est lui qui est le Maître. Il désire faire de nous des ouvriers qualifiés, des artisans qui reçoivent leur certificat d'aptitude professionnelle.

          Nous devons donc avec grande diligence, jour et nuit, utiliser tous ces outils. Car le chef-d’œuvre que nous devons achever, c'est notre propre sanctification, c'est faire de nous une image de ce qu'est Dieu. Si bien que lorsque la Sainte Trinité nous regarde, elle se reconnaît sur nos traits, sur les traits de notre visage.

 

          Mes frères, nous ne devons pas hésiter à nous donner du mal pour apprendre, pour pratiquer et pour attendre, attendre d'être devenus des experts, encore une fois, dont Dieu sera fier.  Et il est un instrument, un outil qui vient de me frapper à l'instant parce que nous devons le manier avec dextérité. C'est celui-ci en latin : Zelum non habere, 4,81. Et en  français : Ne pas avoir de jalousie.

            La jalousie est un fléau qui nous guette à toute heure. Nous ne devons pas lui permettre d'entrer dans notre cœur. Car une fois qu'elle s'y introduit, elle le ronge et elle le ...?..., si bien qu'elle conduit l'homme, le moine a une espèce de mort. Et pourquoi jalouser ? Mais on jalouse toujours quelqu'un. Pourquoi ?

C'est très difficile à le dire. La jalousie est un vice - ce n'est pas un défaut, c'est un vice - qui ne s'analyse pas facilement.  Mais une fois qu'elle a pénétré dans le cœur de quelqu’un, elle l'aveugle totalement. Les qualités du frère, on ne les voit plus ou bien on les noircit. Par contre ses défauts, on les monte en épingle. On s’appuie, on appuie lourdement dessus. Si bien que le jugement que l'on porte sur quelqu'un devient totalement aberrant.

 

          L'exemple le plus frappant que nous connaissons tous de jalousie est celle dont fut victime Joseph, le fils préféré de Jacob. Et le garçon qui était tout jeune ne se doutait de rien. Son père l'aimait, il le favorisait, c'est certain, mais c'était le fils de sa vieillesse. Et voilà que les frères portaient un regard mauvais sur Joseph. Ils ne pouvaient plus lui parler normalement. Et lorsque l'occasion s'est présentée, ils se sont débarrassés de lui.

 

          Car la jalousie, si nous la voyons dans ses profondeurs, elle enfante le crime. On veut se débarrasser de la personne. C'est pour ça qu'on la jalouse, elle gêne. Elle est une ombre sur notre propre perfection, elle nous porte ombrage. Alors elle ne peut pas être sur notre route. Alors on l'enlève, on l'enlève à coups de langue ; on l'enlève à coups de regards ; on l'enlève à coups de gestes. Mais c'est ce qui est arrivé avec Joseph. Disons que c'était providentiel, oui, mais tout de même qu'est-ce que cet homme n'a pas dû souffrir ?

 

          Mais la plus grande victime de la jalousie, ce fut le Christ Jésus lui-même. Pilate savait très bien que c'est par jalousie que les juifs l'avaient livré. Mais ces hommes qui étaient pourtant des sages en Israël, qui étaient des savants, des Docteurs de la Loi, qui étaient les théologiens, les juristes de l'époque, qui étaient des directeurs de conscience de leurs compatriotes, ils ne pouvaient pas supporter ce Jésus qui venait les gêner, qui venait les troubler, qui était vraiment comme un cheveu dans leur soupe traditionnelle.

          Et alors, ils ont usé de tout. Ces hommes qui étaient pourtant honnêtes gens sont devenus des menteurs, sont devenus des assassins. Et le plus grave de tout, c'est qu'ils avaient bonne conscience. Ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Ils étaient aveuglés par la jalousie.

 

          Mes frères, prenons bien garde de ne pas nous laisser prendre à ce piège. Et si jamais nous sentons la jalousie commencer à chatouiller notre cœur, écartons là de suite parce que c'est une brûlure. Et si on ne la chasse pas à l'instant, elle produit une blessure. Et par cette blessure alors le venin s'introduit et ça devient une infection dont on n'est plus maître.

 

Règle : 5, 1-28 : De l’obéissance.                22.09.89

Désirer se soumettre !

 

Mes frères,

 

          Je relève ici chez Saint Benoît une toute petite phrase qui va en sens contraire de nos inclinations humaines et charnelles les plus profondes, les plus viscérales, et c'est celle-ci : Abbatem sibi praeesse desiderant, 5,25, Ils désirent qu'un Abbé soit placé à leur tête.

 

          Aujourd'hui, plus que jamais peut-être, on admet difficilement ou on n'admet pas du tout une exigence pareille. On trouvera que c'est dégradant de désirer qu'un homme soit placé à notre tête. Naturellement, la foi verra dans cet homme le représentant du Christ, le Christ lui-même. C'est vrai, mais la chair tout de même n'y trouve pas son compte car il s'agit dès lors de marcher au jugement et au commandement d'un autre, d'un étranger.

          On va donc s'aliéner, on va perdre son identité si on suit ici la prescription de Saint Benoît. Alors on va inventer - instinctivement, ce n'est pas réfléchi - on va inventer un chemin qui permettra de tourner autour de cette exigence, de l'évacuer, de l'annuler tout en donnant l'impression qu'on la respecte.

 

          On va placer le pouvoir de jugement et de décision dans le groupe, dans la communauté comme telle. C'est elle qui va discuter, c'est elle qui va choisir, c'est elle qui va décider. Et alors, c'est l'Abbé qui va faire en sorte que soit exécutée la décision prise en commun. C'est beaucoup plus efficace alors pour tout le monde, du moins pour la grosse majorité de la communauté qui est acquise à l'idée puisque cette idée est le fruit d'un échange communautaire.

          On va donc pouvoir alors passer à l'exécution et la tâche de l'Abbé sera beaucoup plus facile. Il lui suffira alors d'organiser l'exécution de la décision prise en commun. Mais à ce moment-là, on n'est plus dans la vie monastique pure. On ne désire plus marcher au jugement et au commandement d'un étranger. Alienus, 5,24, C'est ça que ça veut dire. C'est pas d'un autre, mais c'est d'un étranger, un étranger à soi, un étranger à ses propres inclinations.

 

          Mes frères, Saint Benoît dit ailleurs, c'est dans les Instruments des bonnes œuvres : qu'il ne faut pas trouver son plaisir dans l'accomplissement des désirs charnels - Desideria carnis non efficere, 4,70. Nous avons ici le contraire : désirer qu'un Abbé soit à la tête d'une communauté, un Abbé auquel on va se soumettre totalement. C'est vraiment aller contre les désirs de la chair.

          C'est trouver son plaisir, non plus dans une jouissance légitime pour un homme du monde de faire ce qui semble le meilleur, ce qui semble bon, ce qui apporte une satisfaction personnelle, ce qui valorise aux yeux de la conscience et aux yeux des autres, mais au lieu de cela c'est placer son plaisir, son désir, son bonheur dans le fait de marcher au jugement, au commandement d'un autre qu'on désire avoir au-dessus de sa tête.

 

          Mes frères, nous sommes ici - vous le savez bien - dans une attitude de foi et, il n'est pas possible de faire ce que Saint Benoît nous demande ici si l'Esprit Saint ne l'opère pas en nous car cela dépasse les forces de la nature. Ou bien alors on est un esclave et on ne peut pas faire autrement que d'être dans sa position d'esclave. On est alors une chose, on n'est plus un homme.

          Ou bien alors on se place dans la position de la foi et celui qu'on regarde, ce n'est plus un homme, mais c'est le représentant de Dieu sur la terre, c'est le Christ lui-même qui a le droit de demander ceci à ses disciples parce que lui-même s'est fait obéissant jusqu'à la mort et la mort sur une croix.

          Le Christ lui-même avait quelqu'un au-dessus de lui qui était Dieu le Père. C'est vrai, c'était son Père. Mais attention, c'était un Père exigeant. Et celui-là qui dans le monastère devra aussi exiger de ses disciples, ce sera pour eux un Père. D'ailleurs, on lui donnera le nom d'Abba, Père.

 

          Mes frères, voyez ! Quand nous voulons plonger notre regard dans les soubassements souterrains de nos instincts et que alors nous le posons, après notre introspection, sur notre Règle, nous voyons que si nous ne voulons pas perdre notre qualité d'homme, nous devons vraiment accepter de devenir des fils de Dieu. Pour nous, il n'y a presque pas de milieu : ou bien c'est une sorte de déchéance, ou bien c'est la divinisation.         

          Nous avons choisi, mes frères, pour nous ce sera de devenir un seul esprit avec le Christ. Et c'est pour cela que nous désirons que lui-même soit au-dessus de nous et que lui-même nous dise ce que nous avons à faire. Car la route qui conduit jusqu'à cette union parfaite avec les trois Personnes de la Trinité, il est seul à la connaître parce que c'est lui qui le premier l'a parcourue.

 

Règle : 5, 29-fin : De l’obéissance.              23.09.89

          Collaborer avec Dieu !

 

Mes frères,

 

          Il apparaît clairement aujourd'hui que l'obéissance ne se réduit pas à la simple exécution d'un ordre reçu, mais qu'elle est une collaboration active, intelligente, empressée avec Dieu, avec Dieu qui a un plan, un projet. C'est plus précisément avec le Christ qui poursuit son œuvre de création, d'embellissement et de transfiguration du monde.

          Depuis que le Verbe de Dieu, que le Verbe Créateur est devenu homme, il ne peut plus, il ne veut plus se passer de la coopération des hommes. C'est pourquoi dans le monastère, lorsque l'Abbé demande un service, lorsqu'il confie un emploi, lorsqu'il donne un ordre comme dit Saint Benoît, à ce moment-là c'est le Christ lui-même qui attend une réponse de collaboration intelligente.

          La preuve que l'obéissance ne se réduit pas à l'exécution de l'ordre, là voici : Même s'il exécute l'ordre reçu. cet acte ne sera pas agréé de Dieu qui voit le cœur de ce moine qui est en train de murmurer. 5, 40.

 

          Mes frères, l'obéissance est une activité très noble. A mon avis, c'est la plus noble de toutes. Car être le ministre de Dieu, être son officier, être son bras droit ici sur terre, c'est le plus grand honneur que l'on puisse imaginer. Je pense que nous devons toujours avoir ces réalités si belles sous les yeux de notre cœur.

          Et si parfois il nous demande des choses difficiles, ce n'est pas pour nous ennuyer, mais c'est parce qu'il sait que nous pouvons nous en acquitter et qu'il veut nous en récompenser avec plus de générosité encore. Si nous sommes généreux, Dieu l'est encore davantage.

          Mes frères, nous sommes de toutes petites créatures. Mais dès l'instant où nous entrons ainsi en communion, en relation avec notre Christ dans l'exercice d'une saine obéissance, à ce moment-là nous participons à sa grandeur et à sa gloire. Nous ne devons pas craindre de regarder ces réalités en face parce que elles sont l'essence même de notre vie.  Et on comprend alors ce que Evagre répond à Macaire qui lui demande : Si je te dis une Parole, l'écouteras-tu et la feras-tu ?

 

          Vous voyez, Dieu, ici, va délivrer un message à Evagre. Il va lui donner un conseil. Mieux encore, il va lui prescrire une ligne de conduite. Et Macaire désire savoir quelle sera la réaction d'Evagre ? Et Evagre  répond : Ma foi et ma charité ne te sont pas cachées.

          Voilà l'essentiel de ce que la Tradition monastique toute entière attend d'un vrai disciple : la foi et la charité. Il faudrait une fois parler longuement de la foi car elle est une vie, elle est une pratique qui doit se saisir de toute notre existence. Mais nous devons vivre et nous ne devons agir que par la foi. Mais enfin, chaque chose en son temps.

          Cette fois-ci, Macaire attend de son disciple Evagre la foi et la charité. Elles ne lui sont pas cachées. Macaire connaît son disciple. Il sait qu'il peut tout lui demander, tout lui dire. Macaire est le représentant du Christ et sa parole est une Parole du Christ en personne. Oui, voici la foi en exercice. Evagre attend de son Père une sentence de Sagesse divine. Car la vie divine ne peut être reçue que sur les routes de Dieu. Nous touchons ici le cœur, le centre même de la doctrine Evagrienne qui n'est rien d'autre que la doctrine des Pères du désert. Il faut bien le retenir.

 

          Nous devons être divinisés totalement. Et la vie divine, nous ne pouvons la recevoir que sur les routes de Dieu. Et inutile d'aller la chercher à l'extérieur, c'est parfaitement inutile, on ne la trouvera pas. Or, la route de Dieu, nous y sommes par l'obéissance. Saint Benoît le dira. Il n'y a pas d'autre endroit. Le reste, on perd son temps.

          On peut avoir un certain sentiment d'exaltation en faisant sa volonté propre ou en allant chercher des nourritures à côté du chemin de Dieu. Mais ce sont des nourritures empoisonnées. C'est une sorte d'ivresse, une sorte d'intoxication qui détruit l'organisme, qui le débilite et, finalement, qui le conduit à la ruine et à la mort, à la déliquescence. Cela se défait comme un vêtement rongé par les mites, il n'y a plus rien. Tandis que sur la route de Dieu, là se  trouve la vraie vie divine.

 

          Et toute sagesse humaine quelle qu'elle soit est impuissante à donner la moindre, la moindre évocation de l'univers divin. Nous ne pouvons le connaître - encore une fois - que par la foi. La raison raisonnante, la raison laissée à elle-même ne peut rien y comprendre.        

          Et s’il lui arrive - elle construit beaucoup, elle travaille - de comprendre quelque chose, elle doit bien savoir que ce n'est pas l'univers de Dieu, que c'est une construction purement humaine. L'univers de Dieu est hors de portée de la raison.

          Et alors, ce qui nous met en contact avec lui, c'est la foi, toujours cette foi. Mais il y a aussi autre chose, il y a la charité. Mais ça, ce sera pour une fois prochaine.

 

Règle : 7, 1-12 : De l’humilité.                   25.09.89

          Le cri de l’Ecriture.

 

Mes frères,

 

          Vous avez peut-être remarqué comme moi que pour Saint Benoît la Divine Ecriture est une Personne, une Personne qui crie, clamat. C'est le tout premier mot de son chapitre. La divine Ecriture crie.

          La Sagesse crie sur les places publiques. Elle cherche un homme intelligent qui l'écoutera, qui la prendra pour guide. Le Seigneur Jésus crie dans le temple : « Celui qui a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive, et de son sein jailliront des fleuves d'eau vivante. » Et il crie le jour où on fête dans la joie la Loi, la Thora qui est aussi vue comme une Personne.

          Et ainsi nous remarquons que pour Saint Benoît, le Christ Jésus qui est la sagesse de Dieu, qui est le Logos devenu homme et qui est l'eau de la Vie, nous remarquons que pour Saint Benoît le Christ Jésus est partout présent. Il est vraiment l'âme et le moteur de sa vie. Et il nous crie : Quiconque s'élève sera humilié et qui s'humilie sera élevé. 7, 4.

 

          Pour bien comprendre, il faut situer cette sentence dans son contexte. Nous venons de l'entendre à l'Eucharistie il n'y a pas longtemps, ce doit être la semaine dernière. Jésus est invité à un repas et il voit que les convives se jettent sur les premières places.

          Il leur dit : « Attention, vous n'y connaissez rien ! Ce n'est pas ça qu'il faut faire. Va plutôt t'asseoir à la dernière. Alors tu auras de la chance peut-être que celui qui t'a invité dira : « Mon ami, ce n'est pas là ta place, monte plus haut. » Et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous les convives. Tandis que si tu prends la première place, il viendra peut-être te dire : « Mon ami, cette place est réservée à un autre. Et tu iras le rouge au front t'asseoir à la dernière place. »

 

          Mes frères, la vie du Royaume est un banquet perpétuel. On est assis à la table de la Sagesse ; on est assis à la table de la Parole ; on est assis à la table qu'a dressée pour nous la Sainte Trinité.

          Et à cette table ne peuvent prendre place que ceux qui ont été comptés pour rien sur cette terre, c'est à dire ceux qui ont construit leur vie non pas sur l'ambition d'une réussite terrestre, d'une réussite corruptible, mais qui ont préféré édifier leur vie sur la foi, c'est à dire sur un rien. Car l'objet de la foi ne peut pas être saisi matériellement, concrètement. Il est une illusion pour l'homme terrestre. Il est un rien qu'on ne peut pas circonscrire.

 

          J'entendais hier, dimanche, l'homélie du frère Gilbert, à la fin, où il parlait du feu du ciel qui descendait là sur l'autel, et puis qui allait devenir un brasier pour enflammer le monastère, et à partir du monastère le cosmos entier.

          Il a raison. Le feu de l'Esprit est là. Mais moi qui suis un homme avec les pieds sur terre, je dirais : « Mais enfin, qu'est-ce que c'est que cette histoire-là ? Il n'y a rien du tout sur l'autel. Je vois une nappe et quelques bougies et c'est tout ». Je vais déprécier tout. Mon œil charnel ne peut voir que des choses matérielles.

          Mais l’œil de mon cœur, l’œil de mon corps spirituel perçoit des réalités invisibles qui, elles, sont destinées à durer. Tandis que les réalités visibles sont destinées à disparaître.

 

          Eh bien, mes frères, c'est cela n'est-ce pas la foi, la foi dans sa beauté, la foi dans sa richesse. Et lorsque le Christ nous dit que nous devons ne pas avoir peur de disparaître, d'être comptés pour rien, d'être ceux qui servent de tapis, qui servent de terreau pour les autres, il sait ce qu'il fait, il sait ce qu'il dit.

          Il nous rappelle que le vie éternelle n'est pas de cet univers mais du monde à venir, de son univers à lui dans lequel est entré, dans lequel il a fait entrer notre chair nouvelle au moment de sa résurrection. Et il nous dit : « Eh bien ça, c'est votre avenir à vous. Ne le cherchez pas ailleurs. »

          L'illusion, c'est ce qui se voit. La vérité, la réalité solide, c'est ce qui ne se voit pas, ce qui est perçu uniquement par l’œil du cœur pur. Voilà tout ce que nous pouvons entendre dans cette divine Ecriture qui nous crie cette sentence si belle ce soir.

 

            Du 25/ 09/ 89 , au  08/ 10/ 89 : hospitalisation de l’opérateur.

Règle : 7,159-164 : Onzième degré.             09.10.89

          La manière de parler.

 

Mes frères,

 

          Au fil des jours, avec persévérance et patience, nous avons lentement gravi l'échelle de l'humilité. Nous voici arrivés à l'avant-dernier échelon. Nous voyons que Saint Benoît parle, s'exprime à nouveau avec sérieux d'un aspect du silence auquel peut-être nous ne prenons pas suffisamment garde : c'est la manière de parler.

          Dans une vie monastique, on est amené à parler souvent, surtout dans les petites communautés où chacun a un emploi ou plusieurs emplois. Si bien que les échanges ne sont pas rares. Ils sont quasi quotidiens.  Et Saint Benoît ici nous recommande de parler leniter et sine risu, 7,160, de parler avec douceur et sans rire.

 

          Attention, mes frères, un petit défaut auquel l'un ou l'autre ici succombe, c'est de ricaner parfois, de faire entendre après avoir parlé ce petit ricanement. Ce n'est pas un rire, mais c'est un rire qui commence et qui ne va pas plus loin. Attention, c'est un défaut ! Ce n'est pas un vice, c'est un défaut !

          Il faudrait essayer de s'en corriger parce que ce n'est pas très conforme à ce que Saint Benoît attend. Et d'un autre côté, ça donne une image un peu détériorée de la personne, ça manque de sérieux. Si bien que les paroles qui sont dites à cette occasion-là, on ne les écoute pas comme si celui qui les prononçait ne les prenait pas lui-même au sérieux.

 

          Il y a aussi un autre défaut contre lequel nous devons être attentifs. Saint Benoît nous dit que le moine parvenu au onzième degré d'humilité, s’exprime sans rire, 7,160. Oui, j'ai parlé du ricanement, c'est une forme de rire. Mais il y a aussi autre chose. Il pourrait arriver qu'on émaille ses propos de traits d'esprit.

          Prenons garde encore à ça parce que c'est quelque chose que Saint Benoît condamne absolument, absolument. Il le dit : aeterna clusura in omnibus locis damnamus, et ad talia eloquia discipulum aperire os non permittimus, 6,21. Nous les bannissons, nous les condamnons, damnamus, nous prononçons une sentence de condamnation pour jamais et en tout lieu, aeterna clusura. Et nous ne permettons pas aux disciples d'ouvrir la bouche pour de tels propos.

          Donc faisons bien attention, cela peut être aussi un défaut ? Un trait d'esprit, une fois, ce n'est rien ; mais les multiplier, alors on n'est plus en accord avec ce que Saint Benoît nous demande.

 

          Alors il faut parler, dit-il, humblement et avec gravité. Avec gravité, cela ne veut pas dire qu'il faut pontifier en parlant, parler du haut d'une chaire, prononcer des discours. Non, quand il dit : avec gravitas, 7,161, cela veut dire avec sérieux.

          Donc les paroles que l'on énonce, ce sont des paroles qui viennent de plus loin que nous. Il y a une façon de parler qui vient de la passion, de ce qu'il y a dans le cœur. Cela vient de la chair. Alors c'est le contraire de la gravitas dont parle Saint Benoît.

          Les paroles qui viennent de Dieu, les paroles qui viennent de l'Esprit Saint sont des paroles qui valent la peine d'être dites. Et une fois qu'elles sont dites, humblement et avec gravité, cela ne va pas plus loin.

 

          Certes il y a toujours une certaine enveloppe, un emballage pour ces paroles. L'un a un débit plus rapide, l'autre plus lent ; un a une voix haute, l'autre a une voix plus basse. L'élocution n'est pas uniforme et ce n'est pas cela que Saint Benoît demande. Mais il faut que lorsque nous parlions, nous le fassions avec sérieux.

          Alors imaginez ce que ça représente si on dit du mal, si on tombe dans le bavardage. Alors on est tout à fait à l'opposé de cette gravitas de Saint Benoît. On est tout à fait à côté de la vie monastique.

 

          Mais vous allez peut-être me dire : « Oui, mais il faut être au onzième degré d'humilité pour parler ainsi ? » Non, pas nécessairement, car les derniers degrés d'humilité à partir du huitième, Saint Benoît, lui, il les dispose de cette façon-là. Mais en fait, c'est une seule attitude que Saint Benoît regarde à partir d'angles, sous des angles différents. Et voilà, ce qu'on a mis ici au onzième degré d'humilité, il aurait très bien pu le mettre au huitième. C'est donc une attitude qui doit devenir naturelle.

 

          Et il doit le faire humblement. Cela signifie que lorsqu'il parle, il doit toujours se tenir dans la position du disciple, de celui qui écoute. Il ne s'écoute pas parler. Mais lorsqu'il dit quelque chose, il est comme le disciple devant son Maître, quelque soit le frère auquel il s'adresse. Cela peut être l'Abbé qui s'adresse au dernier des novices, quand il lui parle, il doit se placer devant le novice dans la position du disciple. Alors il parle cum humilitate, 7,161, avec humilité.

          Vous allez me  dire : « Mais ce n'est pas possible de faire cela ? » Encore une fois, ce qui n'est pas possible à l'homme est toujours possible à Dieu. Or, nous sommes des fils de Dieu, l'Esprit Saint habite notre cœur. Il suffit de s'abandonner à sa motion, à son mouvement pour que cela nous devienne tout naturel.

 

          L'homme devant lequel je me trouve, je ne sais jamais qui il est. Extérieurement je le connais. Je le connais même intérieurement, je peux repérer tous ses défauts et ses vices, etc. Mais son identité profonde, son nom, celui qu'il a reçu pour l'éternité du Seigneur, celui-là je ne le connais pas.

          Si bien que je me tiens toujours avec respect devant lui. Et à ce moment-là, je serai dans la position du disciple, de celui qui a à recevoir de tout homme qu'il rencontre. Et lorsque je lui parle, alors je serai tout naturellement porté à lui parler humblement, avec humilité.

 

          Alors brièvement et raisonnablement, pauca verba, 7,161, quelques mots. Ici il faut faire attention au défaut naturel. Certains ont besoin de beaucoup de mots pour dire peu de choses. Ce sont des structures mentales auxquelles il faut s'adapter. D'autres emploient trop peu de mots. Ils vont parler de façon elliptique si bien qu'il sera difficile de les suivre. Il n'y a aucun mal en cela.

          Ce n'est pas ce que Saint Benoît entend ici lorsqu'il dit qu'il faut parler brièvement. Cela veut dire qu'il ne faut pas déborder la question qui est abordée. C'est cela . Si j'ai un tempérament qui parle facilement, qui a besoin de beaucoup de mots, j'aurai beaucoup de mots. mais je n'irai pas plus loin. Si je suis elliptique, mais je serai elliptique et je n'irai pas plus loin. J'aurai chaque fois utilisé peu de mots à condition que je m'arrête lorsque j'ai dit ce que je devais dire.

 

          Et ce doit être fait rationabiliter, 7,162, raisonnablement, c'est à dire de façon polie, de façon humaine, de façon respectueuse. Il ne faut pas jouer une scène pour impressionner. Non, il faut parler de façon correcte, avec politesse, évitant les éclats de voix. Il y a des éclats de voix qui sont des coups de poing sur la table.

          Non, il faut les éviter. Mais là encore, certains ont des voix de tonnerre, d'autres ont des voix plus douces. Il faut s'adapter à chacun. Les éclats de voix, c'est autre chose, ce sont les coups de tonnerre qui viennent de la passion. C'est ça qu'il faut éviter.

 

          Voyez, mes frères, qu'à chaque degré d'humilité nous découvrons des sujets de réflexion et je vous assure en toute vérité que moi-même j'y puise. Lorsque je vous parle ici, je parle d'abord pour moi. Je fais un examen de conscience et je me dis qu'il est nécessaire que je fasse attention, moi qui suis sans doute dans la communauté un de ceux qui sont appelés à parler le plus.

          Je dois bien faire attention, me surveiller, me tenir. Et lorsque j'ai trébuché, là humblement en demander pardon au Seigneur et espérer que sa grâce finira par me métamorphoser totalement. Si bien que ce n'est plus moi qui parlerai, mais que ce sera vraiment le Christ qui parlera par ma bouche.

 

          Départ de l’opérateur en repos à Scourmont jusqu’au 02/ 12 /89.

 

Chapitre : Récollection du mois de décembre.   02.12.89

      Citoyens d’un autre univers.                                                                                                                          

 

Mes frères,

 

Nous devons être suprêmement attentifs aux paroles que Dieu nous adresse dans la Liturgie qui est son Temps à Lui tissé dans le nôtre, le portant, le menant à son accomplissement. Et il est une Parole qui revient sans cesse. Elle est partout sous­-jacente, omniprésente. Et cette parole, la voici :

Nous sommes citoyens d'un autre univers et nous n'avons jamais cessé de le devenir. Nous sommes citoyens de cet univers, mais ce que nous serons n'est pas encore pleinement dévoilé.

C'est un pressentiment à l'intérieur de notre coeur et, parfois, nous saisissons la lumière qui s'approche de nous et qui veut nous emporter là où nous devons aller. Mais le plus souvent, nous retombons et à nouveau nous attendons. Mais ce n'est pas une attente purement passive. C'est une attente qui est éveillée, une attente de vigilance et une attente de marche.

 

Un cycle liturgique vient de s'achever, un autre commence. Il y a là un passage perceptible aux yeux de la foi. Et ce passage nous rappelle la migration spirituelle à laquelle nous devons répondre, à laquelle nous nous sommes engagés en entrant dans le monastère. Cette migration peut tout aussi bien s'appeler conversion. Mais en quoi consiste-t-elle exactement ?

Elle est essentiellement une sortie hors de soi, une extase qui nous établit dans la vérité, vérité sur nous-mêmes, vérité sur nos frères, vérité sur le monde et surtout vérité sur Dieu. Il nous est impossible d'objectiver Dieu.

Si je veux entrer en relation avec Lui en essayant de le cerner, c'est une idole que je tiens en main, une idole qui s'évanouit. Je ne puis trouver Dieu que dans une relation amoureuse, Lui qui me regarde et moi qui répond à son regard.

 

Et cette connaissance ne peut s'expliciter. Elle s'expérimente. Elle ne peut se chosifier, elle ne peut se conceptualiser. Comme je le disais il y a un instant, l'univers de Dieu - c'est à dire Dieu lui-même - est notre vraie patrie, le lieu de notre origine et le lieu de notre accomplissement. Nous sommes faits pour être semblables à Dieu, pour vivre comme Lui, c'est à dire pour aimer et jamais pour trafiquer.

Et dans le trafic, je ne vois pas seulement des questions économico financières, on peut trafiquer de son intelligence, on peut trafiquer de son affectivité. Et cela, mes frères, ce n'est pas aimer ! Aimer - je le répète - c'est sortir de soi, c'est ne plus être pour soi mais c'est être pour un autre. Mais ce mouvement extatique n'intéresse pas du tout notre chair qui veut posséder et jouir. Et alors qui sera maître? Elle ou bien nous?

C'est à cette articulation que se noue le choix de conversion et que se livre un combat qui est celui justement de la conversion qui n'est jamais acquise une fois pour toute, qui est toujours à reprendre.

Mais alors, mes frères, ne serons-nous jamais une fois, une bonne fois orientés vers Dieu ? Si, nous le serons lorsque nous serons totalement transfigurés. Mais ce n'est pas pour cette durée-ci, c'est pour la durée de demain lorsque nous serons vraiment perdus en Dieu, lorsque devenus un seul esprit avec Lui, nous ressusciterons d'entre les morts.

Si nous optons pour la mort à notre égoïsme en vue d'une résurrection dans l'amour et la lumière, alors nous contemplons, sous le voile de la matière, la création nouvelle en voie d'apparition.

 

Vous savez, mes frères, que c'était là un des objectifs que poursuivaient les tous premiers moines : dans les choses les plus matérielles, percevoir la présence du logos, du Verbe de Dieu en train de la créer, de la faire évoluer, de la conduire plus loin.

Mes frères, si nous renonçons à notre égoïsme, Dieu nous donnera un regard qui nous permettra ainsi d'écarter le voile du matériel pour y contempler la présence du Dieu Créateur et Divinisateur. L'univers ainsi devient un temple dont la Trinité est le coeur. Tous les hommes sont saints tout comme nous. Le péché avec son cortège de refus, de révoltes, d'oppressions, de crimes, de souffrances, de cris, de larmes, de peurs, tout ce péché est maîtrisé, réduit, anéanti. Et en dépit des apparences, Dieu est déjà tout en toute chose.

 

Voilà, mes frères, ce que les yeux du contemplatif peuvent regarder. Et cela devient sa nourriture. On comprend alors qu'un tel homme vive dans la paix, une paix imperturbable, quoi qu'il arrive pour lui ou pour les autres, surtout pour lui. Car là où il est, plus personne, plus rien ne peut l'atteindre.

Oui, mes frères, la porte de la liberté est ouverte devant nous. A nous de la prendre et d'en franchir le seuil. Notre présence au monastère, notre propos d'obéissance proclame notre désir, notre volonté d'effectuer ce passage, cette migration.

Et si nous sommes des paralytiques et que nous ne pouvons pas bouger, ne nous décourageons pas : le Christ lui-même vient à nous. Il nous prend et il nous porte de l'autre côté, chez lui.

 

Mes frères, tel est la prophétie que nous pouvons entendre ce jour, tel est le message, la Parole que Dieu nous adresse à la charnière de ces deux Temps liturgiques : nous sommes des voyageurs, nous sommes des migrants et nous marchons vers notre patrie. Alors, mes frères, ne nous encombrons de rien. La réussite de notre voyage est dans notre dépouillement, dans notre mort à nous-mêmes et à tout.

A ces conditions-là, mes frères, nous devenons légers, nous devenons diaphanes, transparents, invisibles. Et nous pouvons avoir la certitude que étant aimés, nous sommes en voie de métamorphose, de transfiguration, que l'amour s'empare de notre coeur, que nos yeux ne cessent pas de s'ouvrir et de se nourrir de la beauté qui est notre Dieu dans son être trine et un, la beauté de notre Christ qui rayonne la lumière, cette lumière qui est l'Esprit Saint, lui qui s'empare de nous et qui veut faire de nous des fils de Dieu dans notre véritable patrie, là où déjà par notre foi, notre espérance et notre charité - comme vient de le dire la cardinal Ratzinger - là où déjà nous sommes établis.

 

Règle : 56 : De la table de l’Abbé.               09.12.89

      Maître et disciples.

 

Mes frères,

 

Voici bien la preuve que la discipline dans un monastère n'est pas une chose qui va de soi. Il faut toujours qu'il y ait un ou deux anciens pour l'assurer. Je me demande si au ciel, dans le paradis, ce sera encore nécessaire ? Peut-être bien ? Il y aura certainement là une hiérarchie, non pas de mérites ni de vertus, mais de situation.

Et cette hiérarchie doit se constituer déjà à l'intérieur du monastère. Et c'est ce que nous appellerons la discipline. Donc, il y a un maître ou des maîtres et il y a des disciples. C'est cela que ça veut dire. Si les disciples sont ensembles, abandonnés entre eux, ils vont tourner en rond sans pouvoir sortir de leur narcissisme, sans pouvoir se libérer.

 

Chapitre : Saint Mutien-Marie.                  09.12.89*

      Tout vient de Dieu qui est amour.

 

Mes frères,

 

Demain aura lieu la canonisation du Frère Mutien qui a été un disciple parfait et un surveillant d'école exemplaire, un des anciens qui devaient maintenir la discipline.(R.56)

Il est vrai que comme professeur, il a piteusement échoué. Ce n'était que chahut, indiscipline, désordre dans sa classe, à tel point qu'on a retardé sa profession. Est-ce qu'il était capable ? Est-ce qu'il avait la vocation ?

Mais il a trouvé un protecteur qui l'a pris sous son aile, sous son ombre et qui patiemment a réussi à faire s'épanouir en lui des potentialités réelles qui étaient là.

 

Les lectures du réfectoire nous ont appris qui était Frère Mutien, et nous avons vu dépeindre un univers religieux très différent du nôtre. Le frère Mutien a vécu au siècle dernier, au début de ce siècle, mais tout à considérablement évolué depuis lors. Ce n'est pas un mal, c'est une loi de l'Histoire.

Mais alors, en quoi le frère Mutien peut-il être un exemple et un encouragement pour nous, aujourd'hui, dans un monastère cistercien ?

 

Il y a une trentaine d'années, on aurait dit qu'il était un exemple par sa fidélité scrupuleuse aux moindres détails de l'Observance, quelque soit le nombre de ces Observances et leur minutie. Oui, il aurait très bien dans cette situation.

Mais aujourd'hui, il n'est plus question de cela. Ce n'est plus possible, les temps sont révolus. Nous ne devons pas nous étonner. Nous devons tout simplement évoluer avec eux sans nous laisser détourner de l'idéal qui est le nôtre.

Ceux qui provoquent l'évolution dans une communauté, ce sont les jeunes. Il ne faut pas que l'évolution vienne de l'extérieur de la communauté, qu'on aille voir ce qui se passe ailleurs pour le copier.

 

Non, l'évolution est une loi naturelle. Les nouvelles cellules qui se présentent arrivent avec une nouvelle culture, une nouvelle formation, de nouveaux besoins, une nouvelle vision du monde. Ils s'intègrent parfaitement dans la communauté, mais la communauté reçoit une vision nouvelle, une nouvelle approche des événements et des personnes. Et la croissance s'opère sans heurts et sans que personne ne le remarque. C'est donc très, très bien !

Maintenant, à mon avis, le frère Mutien peut nous délivrer un message extrêmement précieux que nous devons accueillir avec gratitude, et dont nous devons tirer profit car il est valable pour tous les moines de tous les temps.

Je ne regarde pas ce qui dans sa vie pourrait être un exemple pour les chrétiens du monde, ni même pour les frères des Ecoles Chrétiennes, d'abord pour eux, non, mais pour nous qui sommes dans un monastère de contemplatifs.

 

Eh bien, le frère Mutien, nous l'avons entendu, et je pense que c'était la profondeur la plus profonde de sa vie, de sa spiritualité - si je peux mettre ce mot entre guillemets - c'est qu'il prenait les choses telles qu'il les trouvait, telles qu'elles se présentaient à lui. Pour lui, tout venait de Dieu, de Dieu qui est amour et providence.

Si bien que tout concourait à son bien et à celui des autres. Il ne se posait pas de question. Il ne soulevait pas de problèmes. Pour lui, il n'y avait ni questions, ni problèmes. On lui demandait une chose, il le faisait. Les choses étaient telles dans tel coin, il ne s'en désintéressait pas, mais il entrait dans ce qu'il trouvait.

Exactement ce que Saint Benoît demande du moine étranger qui vient dans une communauté. Mais ça vaut d'abord pour ceux qui font partie de cette communauté ! Contentus est consuetudine loci quam invenerit, 61,5. Qu'il soit contentus, donc satisfait, rempli, heureux, plénifié par ce qu'il trouve sur place. C'est toute la simplicité du frère Mutien !

 

Et cela n'a pas été pour lui une solution de moindre mal. Etant le moins capable de la communauté, il n'avait qu'à se tenir et rester à sa place. Déjà bien heureux qu'on ne l'ait pas mis dehors !

Non, ce n'était pas ça sa mentalité. Sa mentalité était : tout ce qui m' arrive de la part de Dieu qui est amour, et bien je le prends, je m'en nourris. Il ne me faut rien de plus, je suis satisfait. Ma santé reste bonne. Et je puis ainsi sans le savoir rayonner moi-même le bonheur qui m'habite.

Eh bien, mes frères, je pense que c'est là un message que nous devons retenir. Donc pour le frère Mutien, les événements même les plus contrariants ne le gênaient pas, mais il les chevauchait comme une monture pour aller vers Dieu sans fatigue. C'est donc un abandon qui n'était possible que si d'une certaine façon il voyait déjà Dieu.

 

Donc, le frère Mutien était un contemplatif. A l'époque, on récitait des quantités de prières, des chapelets, des rosaires, des litanies, toutes sortes de choses. C'était la spiritualité de l'époque. Aujourd'hui, le frère Mutien vivant aujourd'hui dans les mêmes circonstances eut été tout différent. Sa vie de prière, sa vie de foi, sa vie de contemplation se serait exprimée dans les modes d'aujourd'hui. C'est ça ..?. ..?. .

C'est un authentique contemplatif. Il voyait Dieu par l'oeil de son coeur, dans cette partie microscopique qui est à l'intérieur de nous, qui est différente de notre intelligence et même de notre âme, mais qui est la partie divinisable et déjà divinisée de notre être, celle donc qui est promise à la vie éternelle, cette partie qui est déjà les premiers germes de notre corps en voie de résurrection.

Eh bien, mes frères, je pense que le frère Mutien nous apprend que la sainteté est à notre portée. Elle n'est pas quelque chose de difficile. Ce n'est pas une entreprise. C'est bien plus difficile d'apprendre n'importe quoi ici en ce bas monde. Mais la sainteté, ce n'est rien du tout, il ne faut rien apprendre.

 

Le frère Mutien, ce n'était pas un génie, mais il avait la seule chose qui' comptait. Il tenait sa main ouverte et Dieu déposait la sainteté. Ou bien, il faisait comme dans le Psaume : Ouvre ta bouche, Moi je l'emplirai. Il a tenu la bouche ouverte et Dieu l'a remplie. Il ne nous demande que cela.

Et tenir la bouche ouverte, c'est tout simplement recevoir la volonté de Dieu. Donc, en termes plus monastiques, cela veut dire obéir, être à l'écoute, et tout faire, et ne pas se poser de problèmes. Les problèmes viennent toujours de la partie égoïste ou narcissique de notre être. C'est toujours de là. Donc soyons toujours prudents.

Et demain, nous serons en communion d'esprit avec tous ceux qui sont à Rome pour prendre part à cette cérémonie. Et dans le secret de notre coeur, chacun pour nous et pour notre communauté, nous demanderons à Dieu par l'intercession de Saint Mutien-Marie de pouvoir accéder chacun pour notre part à la sainteté qui nous est destinée.

 

Chapitre : Saint Jean de la Croix.                16.12.89

 

Mes frères,

 

Revenons à Saint Jean de la Croix comme je vous l'avais promis hier. Jean de la Croix est un des saints les plus beaux que l'Eglise ait enfanté à Dieu. Il a suivi un chemin spirituel simple, facile, léger, un chemin qui l'a conduit recto cursu, comme dit Saint Benoît, 73,14, d'une course rapide, directe, jusqu'à notre Créateur.

Ce chemin est de tous les temps. Saint Benoît le connaît. Les premiers moines le connaissaient. En fait, il n'en existe aucun autre. On découvre en lui deux composantes principales que je vais m'efforcer de dégager. On pourrait à la rigueur les ramener à une, mais pour les besoins de notre esprit, il est préférable de les examiner l'une après l'autre.

Je vais les dégager de toute coloration typiquement carmélitaine, car comme je le disais voici un instant, on les trouve déjà chez Saint Benoît. Mais à cause des aléas de l'Histoire, elles se perdent. Alors Dieu suscite un prophète qui les remet en évidence, qui en rappelle l'urgence. C'est ce qu'il a fait avec Saint Jean de la Croix au XVI° siècle.

         

La première composante, la voici : Dieu et son univers sont absolument étrangers à nous et à notre monde. Ce n'est pas à force d'agitation, de réflexion, de discussion, d'intellection que je vais m'approcher de lui, que je parviendrais à savoir qui il est. Aussi élevées que soient mes spéculations, elles me tiennent enfermé à l'intérieur des frontières étroites de ma petite nature. Quand je parle de ce Dieu, il s'agit d'une construction de mon esprit, car de Dieu on ne peut absolument rien dire.

Mais vous allez dire : Et la théologie alors ? Mais ça, c'est le risque de la théologie, c'est le danger de la théologie, c'est de prendre la théologie pour ce qu'elle n'est pas. Je ne vais pas en faire son procès, elle est indispensable. Mais il faudrait pour faire sainement de la théologie être d'abord un saint. Alors, que va faire Dieu ?

Eh bien, il va faire prendre conscience à l'homme qu'on ne peut rien dire et qu'on ne peut rien penser de Dieu. Il le plonge à l'intérieur de ce que Saint Jean de la Croix appelle une nuit. Cela veut dire que l'homme ne peut même plus penser à Dieu. Tout ce qui était ………………… Il entre dans le rien, dans le néant, c'est la fin de tout le raisonnement humain.

 

Voilà où Dieu le conduit, voilà où Dieu le pousse, car de lui-même l'homme n'y irait jamais. Il est beaucoup plus en sécurité avec le petit dieu auquel il réfléchit, qu'il prie, qu'il sert. Mais ce n'est pas encore vraiment Dieu, c'est une image qu'il a de Dieu. Alors, pour corriger cette erreur, Dieu prend le moine et le jette dans ce gouffre où il n'y a plus rien que de l'absurde.

Alors, en réalité, ce rien dans lequel se débat le moine, c'est Dieu lui-même perçu dans le nondissible(?) de son être. Et c'est là ce que j'appellerai le pont aux ânes du contemplatif. Le rien, l'absurde, le néant auquel il se heurte, c'est Dieu lui-même. Pourquoi ?

Mais parce que il n'est pas possible de parler de Dieu. Que je dise que Dieu existe ou qu'il n'existe pas, c'est absolument indifférent, Dieu est au-delà. On ne parle jamais de Dieu. C'est donc le chemin - celui de Saint Jean de la Croix, celui des premiers moines - c'est le chemin de la foi nue, de la foi toute pure. Et c'est cela la toute première contemplation de Dieu et de son univers.

 

Voici donc la première composante : Dieu est absolument étranger à nous et à notre univers. Et la première sensation qu'on a lorsque on entre en relation, en communion avec Lui, c'est la sensation du rien et du néant.

Maintenant, voici la seconde composante. Elle est bien mise en relief par Saint Jean de la Croix. C'est que Dieu, maintenant, se donne à connaître uniquement dans la personne du Christ Jésus ressuscité des morts. Mais attention ! Ce n'est pas le petit Jésus des petites images ? Non, c'est la Personne du Christ Jésus ressuscité d'entre les morts.

Alors, que se passe-t-il ? Eh bien, le Christ vient pour nous arracher à nous-mêmes et nous transporter en Dieu. Il n'est pas venu - attention! - il n'est pas venu pour nous aménager une petite vie matérielle, charnelle bien tranquille. Je ne suis pas venu apporter la paix, a-t-il dit, je suis venu apporter la guerre. C'est la guerre contre notre égoïsme, contre nos passions, contre nos sécurités. Il vient nous arracher à tout ça.

O, il y en a tellement, tellement dans le monde, mais c'est aussi comme ça dans les monastères, je pourrais raconter des histoires qui sont vraiment ahurissantes. Mais quand nous nous regardons de près, nous voyons que nous sommes malades de la même façon. Et Dieu veut nous guérir de cette maladie dans notre relation avec le Christ.

 

L'homme doit donc s'attacher au Christ Jésus jusqu'à devenir un seul être avec lui, jusqu'à se fondre en lui. Ce sera le chemin de l'obéissance, du dépouillement, de la pauvreté. Et de nouveau, nous nous heurtons au rien. Rien du côté des biens matériels, rien du côté des biens intellectuels, rien du côté des biens spirituels. Il n' y a rien. Il faut aller jusque là, vraiment disparaître.

C'est le renoncement total. C'est la mort à tout et à soi pour devenir un seul esprit avec le Christ. Et je vous assure que pour en arriver là, et y rester, il faut passer par bien des avanies, il faut avaler bien des couleuvres dans la vie commune qui est le creuset dans lequel Dieu nous fait bouillir pour enlever de nous tout ce qui est trop(?) de nous, et pour que nous puissions alors devenir un seul être avec le Christ Jésus.

C'est donc, mes frères, la mort à ce monde-ci en vue d'une résurrection à l'intérieur du monde de Dieu, et cela tout de suite, c'est à dire le plus vite possible. C'est la logique monastique ! C'est le nada, le rien de Saint Jean de la Croix ; c'est le omnino nihil, l'absolument rien de Saint Benoît; c'est la nuditas facultatum des premiers Pères, la nudité totale. Et dans le fond, c'est la logique de la Bonne Nouvelle.

 

Si vous ne prenez pas votre croix et si vous ne me suivez pas tous les jours, vous n'êtes pas mon disciple. Si vous ne renoncez pas à tout ce que vous avez, ni à tout ce que vous êtes, vous n'êtes pas mon disciple, c'est à dire que vous n'entrerez pas dans le Royaume de Dieu. C'est inutile ! Donc, voilà cet univers qui est celui de Dieu et qui est absolument différent du nôtre.

Mais voilà, mes frères, la petite leçon que nous donne Saint Jean de la Croix. Vous allez dire : c'est effrayant, cette affaire-là ! Mais non, ce n'est pas effrayant, c'est extrêmement simple. S'il fallait amasser des tas de choses, on pourrait dire: je n' y arriverai jamais ! Mais il s'agit tout bonnement d'entrer dans le rien. Eh bien, c'est peut-être de ça que nous avons peur parce que nous l'assimilons à une mort. C'en est une, c'est vrai, mais voilà il suffit de se plonger dedans.

Et à ce moment-là, Dieu est enfin libre de nous prendre et de nous introduire chez Lui. Et viendra alors, commencera alors la véritable contemplation, pas seulement la première, mais on aura la deuxième, c'est à dire que étant transformé, étant en bonne voie de divinisation, on s'aperçoit avec surprise et émerveillement qu'on est chez Dieu.

 

Et il y aura, par exemple, des expériences extraordinaires. Si quelqu'un meurt, quelqu'un qu'on connaît meurt, on n'a pas du tout l'impression que cette personne est partie et que nous irons chez elle. Mais non, c'est exactement le contraire. On a l'impression qu'elle est venue à nous parce qu'on est déjà chez Dieu.

Donc voilà, mes frères, c'est à cet idéal que nous sommes appelés. Demandons au Seigneur, voilà, de nous le faire comprendre et de nous y conduire quelque soit le prix que nous dussions payer.

 

Temps de Noël.

Homélie de la Vigile de Noël.                      24.12.89

 

Mes frères,

 

Les Vêpres de ce dimanche nous introduirons déjà dans le Temps de Noël. Nous touchons. Nous avons le sentiment que quelque chose est en train de se passer. La grâce travaille notre coeur et nous prépare à répondre à notre vocation d'homme. Nous sommes invités à regarder au-delà du sensible, à vivre sur le mode de l'éternité, le mode du chrétien.

Soyons donc ouverts aux surprises que nous réserve notre Dieu qui est amour. N'imaginons rien, recevons simplement ce qui nous est offert ! Ouvre la bouche, Moi je l'emplirai, nous dit le Psaume. Notre Dieu est notre Dieu de toujours. Mais voilà, nous sommes peut-être des anorexiques et nous tenons notre bouche fermée, et cela pour notre malheur !

 

Mes frères, la volonté de notre Dieu doit être notre seule nourriture ! A côté d'elle, ce n'est que nourriture de néant qui nous conduit à la corruption. L'événement de Noël nous dit où se trouve notre vérité pour aujourd'hui et pour demain.

L'Apôtre Paul - auquel le Christ est apparu dans un éblouissement de lumière - définit en deux mots essentiels notre vie de chrétien, notre vie d'homme tout court. Il nous annonce la Bonne Nouvelle. Non pas une bonne nouvelle à côté d'autres, mais la Bonne Nouvelle, l'unique Bonne Nouvelle, celle qui jette tout le reste dans l'obscurité.

Et cette Bonne Nouvelle concerne le Fils de Dieu, car Dieu a eu un Fils de notre race. Ecoutez bien ce qu'il nous dit. Tout se trouve dans ces quelques mots : de l'origine à l'accomplissement. L'Apôtre Paul nous dit donc : Selon la chair, ce Fils est né de la race de David ; et selon l'Esprit qui sanctifie, il a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu par sa résurrection d'entre les morts, lui Jésus le Christ notre Seigneur.

 

Comprenons bien, mes frères ! Le commencement, c'est la naissance de Dieu dans une chair reçue d'une femme, c'est l'entrée dans l'aventure humaine avec ses aléas de toutes les couleurs. Nous les connaissons. Dieu a voulu les expérimenter pour en dégager le sens à notre intention, pour que nous sachions que notre vie est orientée et que rien n'est jamais perdu.

Et l'aboutissement, c'est la résurrection d'entre les morts qui établit tout homme dans un mode nouveau d'être, de vivre qui fait de l'homme un être totalement divinisé.

Donc en un raccourci, mes frères, saisissant, l'Apôtre nous dit que nous naissons homme et que nous ressuscitons Dieu ! Après le dernier aléa, qui est la mort biologique, il y a donc une saisie de notre personne par Dieu qui nous établit dans un état nouveau - inimaginable, inconcevable dans l'état où nous sommes maintenant - ­un état définitif, éternel.

 

Donc, pour comprendre l'origine de notre vie, son déroulement, ses accidents éventuels, il faut tenir les yeux sur le terme qui est notre résurrection en Dieu. Le mystère de Noël, qui est le mystère de notre existence, est éclairé par la lumière de Pâques.

En fait, la vie de tout homme est une prophétie en acte dont le sens est donné par l'événement Pascal. Du premier homme au dernier, de l'Emmanuel d'Achaz à l'Emmanuel de Marie, c'est une seule et même Parole : Dieu est amour et nous sommes promis à devenir dans le Christ, nous­-mêmes, lumière et amour pour l'éternité.

Mes frères, ouvrons donc la bouche pour que Dieu l'emplisse de sa vie !

 

                                                                                                Amen.

 

Homélie à la messe de minuit.                     25.12.89

 

Mes frères,

 

Dieu n'a jamais été absent de l'Histoire des hommes. Sa présence affleure à tout moment. Le prophète est un homme qui voit cet affleurement et qui le dit à ses frères. Tantôt il est soulevé d'enthousiasme, tantôt il est écrasé de terreur. Toujours cependant il ouvre les coeurs à la confiance. Il est témoin d'un ailleurs vers lequel tout se dirige.

La nuit de Noël, il s'est passé autre chose et mieux qu'un affleurement. Ce fut de la part de Dieu une prise de possession définitive. L'enfant né de Marie n'est pas un bébé ordinaire. C'est Dieu lui-même.

Dorénavant et de manière irréversible, l'Histoire des hommes est polarisée par cet enfant. Elle monte vers lui, elle s'épanouit en lui, elle s'achève par lui. Il s'opère un passage à un niveau supérieur, un niveau inaccessible à l'homme abandonné à ses propres forces. En devenant fils d'homme, Dieu absorbe l'humanité en lui et il la divinise pour jamais.

 

Le mystère de Pâques est donc à l'oeuvre dès que Jésus ouvre les yeux à la sombre clarté de ce monde. L'apparition d'un ange aux bergers, la présence soudaine d'une lumière surnaturelle de laquelle monte une louange signifie déjà l'assomption de notre univers en Dieu.

D'une certaine manière, nous touchons la fin du monde, l'accomplissement de toute chose et nous possédons la grille qui nous permet de décrypter l'énigme de notre vie. Nous sommes promis à un ailleurs qui est Dieu lui-même. Nous pouvons tout traverser si nos yeux ne quittent pas la lumière de cet ailleurs.

Toute naissance d'un enfant nous rappelle ainsi la mystérieuse naissance de Dieu et notre destinée divine. Elle nous dit aussi que nous devons faire de notre univers terrestre le parvis du monde à venir.

 

La présence d'un enfant nous invite à rejeter les passions d'ici-bas et le péché, à répudier toutes formes d'égoïsme suicidaire et meurtrier. Elle nous engage à vivre dans la justice et la vérité et, elle fait de nous les témoins d'un ailleurs qui est Dieu, Dieu où se trouve le seul avenir valable.

Mes frères, voici tout ce que nous dit cette nuit de Noël. Cela devrait s'incruster dans notre coeur et jusque dans notre chair. Nous sommes des gens de passage, nous sommes des voyageurs. Déjà nous sommes saisis par la beauté qui est Dieu.

Lorsque nous organisons notre monde, que nous le rendons plus confortable, plus beau, sans le savoir peut-être, déjà nous aménageons le monde à venir. Car le jour approche, et il n'est pas loin, où Dieu se manifestera par l'intérieur même de la matière. Nous verrons alors qu'il en est le coeur, qu'il en est le Créateur et qu'il en est l'accomplissement.

 

Mes frères, le chrétien est donc un homme qui regarde plus loin que les contingences du moment. Par l'Eucharistie qu'il partage avec ses frères, il est déjà chez Dieu. Mais il importe que sa conduite mette en évidence cette réalité.

Chaque chrétien doit être pour ses frères, pour tous les hommes quels qu'ils soient, il doit être la présence du Christ dans le monde. Je sais que ce n'est pas facile car les passions, le désir de posséder, l'esprit de domination, toutes les jouissances charnelles qui sommeillent en nous sont là pour faire obstacle à cette vocation qui est si belle, et qui est indispensable pour que le monde garde l'espérance.

Mes frères, nous devons au cours de cette nuit essayer de nous reprendre, de nous resituer dans notre vocation véritable, et ainsi en tant que chrétien être vraiment ici-bas les hommes d'avenir. Et mon souhait en cette fête de Noël, il est celui-ci : Puissions­-nous ainsi, chacun à notre place, être témoin de Dieu et de son univers et ainsi porter à tous les hommes l'immense espérance d'un accomplissement tout proche.

                                                                                               Amen.

 

Homélie en la fête de Saint Etienne.             26.12.89

 

Mes frères,

 

          Hier je vous disais que tout chrétien - et à fortiori tout moine - devait être ou devenir le témoin de cet ailleurs mystérieux et merveilleux qu'est Dieu et son univers.

Là est notre vraie patrie, là nous devons vivre dès maintenant. C'est de là que nous pouvons recevoir tout ce qui peut nous rassasier au-delà de l'imaginable.

Le chrétien est un homme aux moeurs divines. Il aime, il ne peut faire qu'aimer. Il édifie ou il scandalise, qu'importe, de toute manière il fait question. Certains ne peuvent supporter l'approche de l'amour.

Ce fut le cas, hélas, dans la triste aventure du premier de nos martyrs. Il est un modèle irremplaçable pour nous. O, n'ambitionnons pas de mourir de sa mort, essayons plutôt de voir qui était Etienne.

 

Etienne regardait vers le ciel. Il voyait le ciel ouvert, et la gloire de Dieu, et Jésus le Seigneur debout à la droite de Dieu. En d'autres termes, Etienne était un contemplatif. Il ne pouvait taire ce qu'il voyait, pas plus que plus tard ne pourra le taire son persécuteur Paul, lorsque ses yeux se seront ouverts.

Etienne proclamait sa vision par sa conduite, par ce qu'il faisait. Il était empli de grâce. La puissance de Dieu l'habitait et il accomplissait de grandes choses. Tout simplement, il aimait.

Oui, mes frères, aimer est la plus grande de toutes les actions qu'un homme puisse accomplir ici-bas. Il s'agit du véritable amour, de cet agapè qui est la Personne de l' Esprit et qui s'empare du coeur de quelqu'un. Etienne est notre modèle parce qu'il a été jusqu'au bout de cet autre univers qui est notre vrai lieu de séjour. Et il s'est laissé mettre à mort plutôt que de renier ce qu'il voyait et ce qu'il vivait.

 

Et nous, mes frères, comment serons-nous témoins ? Nous le serons en nous laissant pénétrer par cet uni vers, par Dieu, par son Esprit. Nous le serons en aimant nos frères et en ne reculant jamais sur le chapitre de l'amour.

O, je le sais, on peut être énervé, excédé par son voisin qui, lui, ne se doute de rien. Alors, ne réagissons pas comme des hommes, mais comme des fils de Dieu, comme des citoyens de son univers. Notre patrie, notre amour sont le coeur de notre Dieu. Et alors, dans les circonstances qui seront les nôtres, notre patience et notre charité seront l'équivalent de la mort qu'Etienne a subie.

Mes frères, c'est cela qui nous est demandé, et c'est à cela que nous répondrons avec la grâce de notre Dieu.

                                                                                                     Amen.

 

Homélie en la fête de Saint Jean.                27.12.89

 

Mes frères,

Etre témoin de Dieu et de son univers est pour nous une possibilité et un devoir. Par le baptême, nous avons reçu des organes nouveaux adaptés au monde de la surnature. Il suffit de s'en servir avec persévérance pour que finalement ils prennent la direction de notre vie.

Alors nous pouvons, comme l'Apôtre Jean, entendre, voir, toucher ce qui naturellement nous dépasse à l'infini. En d'autres termes, l'évolution normale d'une vie chrétienne conduit à l'expérience contemplative qui est plénitude de vie divine.

Il ne s'agit donc pas d'un passe-temps de dilettante. C'est le chemin que tout homme doit emprunter tôt ou tard. Qu'est-ce que le purgatoire ? Sinon l'obligation de passer par là pour accomplir sa destinée d'homme.

 

En répondant à l'appel de Dieu et en venant au monastère, nous avons choisi de courir de suite sur cette route, de la courir jusqu'au bout pour nous et pour les hommes qui ne font qu'un avec nous. Tel est la manière humble, discrète de témoigner de Dieu et de son univers.

L'Apôtre détaille une progression qui est aussi une unité existentielle : entendre, contempler de ses yeux, toucher de ses mains. Cela signifie une préhension globale et totale dans laquelle les organes de l'homme nouveau, de l'homme divinisé jouent tous ensembles.

En termes plus théologiques, nous parlerons de la foi, de l'espérance et de la charité. La foi qui entend, l'espérance qui touche et la charité qui contemple. L'être entier est saisi, converti et transfiguré.

 

Mes frères, cette vie de communion avec Dieu, et entre nous, dans la lumière de l'amour, tel est le terme de notre recherche, de notre route. Alors, si nous allons jusqu'au bout, nous serons vraiment témoins de Dieu car il vivra en nous et nous vivrons en lui. Puisse-t-il nous conduire jusque là ?

 

                                                                                             Amen.

 

Homélie : Siméon témoin de la Lumière.          29.12.89

 

Mes frères,

 

Dès l'instant où l'on parle de l'univers de Dieu, il est question de lumière. C'est Dieu tout entier qui est lumière, Dieu dans la Trinité de ses Personnes. Et quand il revêt notre chair d'homme, sa lumière habite le Christ Jésus.

Jésus se proclamera lui-même lumière du monde, Lui que Siméon avait déjà reconnu comme lumière qui éclaire les nations païennes, Lui que les Apôtres annonceront comme Lumière à toutes les nations.

Et aujourd'hui, mes frères, dans l'économie du Salut telle que nous la vivons, cette Lumière se manifeste dans la Personne de l'Esprit Saint. C'est elle qui fait les saints, les contemplatifs et les martyrs.

Rendre témoignage à Dieu et à son univers, c'est être soi-même devenu lumière en faisant un seul esprit avec le Christ. Il s'agit, comme dit l'Apôtre, de marcher dans la voie où Jésus lui-même a marché.

Cette voie, nous la connaissons, c'est celle de l'amour et, bien précisément, l'amour des frères avec lesquels on vit. Celui qui aime son frère demeure dans la lumière. Celui qui n'aime pas son frère est dans les ténèbres.

Ce que nous dit l'Apôtre est à prendre au sérieux. Notre charité fraternelle manifeste ce que nous sommes. Si elle est vivante, nous sommes des êtres de lumière. Si elle est absente ou moribonde, nous sommes étrangers à la lumière, au Christ et à Dieu.

 

Etre témoin de Dieu et de son univers de lumière, c'est donc concrètement avoir pour nos frères une charité agissante. Cette charité est d'abord dans le coeur, puis elle paraît au-dehors dans les paroles et les gestes.

Ce que nous dit le Christ est sans réplique : A cela on reconnaîtra si vous êtes des miens, si vous avez de l'amour les uns pour les autres. Voilà, mes frères, notre fiche d'identité chrétienne !

Puisse notre Eucharistie renforcer entre nous les liens de la charité et faire de nous des lumières qui signaleront la présence sur cette terre du monde de Dieu.

 

                                                                                                 Amen.

 

Homélie : La patience de Anne.                   30.12.89

 

Mes frères,

 

Hier, je faisais allusion à la foi et à la patience de Siméon qui avait attendu de longues années durant la réalisation des promesses de Dieu. Aujourd'hui, nous rencontrons Anne, une veuve âgée de 84 ans. Elle veillait jour et nuit dans le jeûne et la prière.

A l'heure de l'électronique, de l'ordinateur, de l'instantané, nous aimerions que Dieu adopte notre rythme et nous donne tout de suite ce que nous attendons. Nous perdons le sens de la croissance, de la maturation, de la prudente sagesse, tout ce que Dieu devenu homme a voulu pour lui. Il était à Nazareth : il grandissait, se développait en taille, en sagesse comme tous les hommes bien éduqués.

 

Mes frères, Dieu ne s'amuse pas à nous faire languir. Il prépare en nous avec amour un lieu propre à l'accueillir. Il y va lentement, progressivement pour ne pas nous briser.

L'oeuvre de la purification, la purification de notre coeur ne se fait pas sans nous. Elle attend notre collaboration intelligente. Et cette collaboration est la face active de notre vigilance.

Si nous voulons hâter pour nous l'heure de la révélation de Dieu, épousons ses moindres vouloirs. Au fond, tout dépend de nous, de la pureté de notre désir.

Anne et Siméon sont pour nous une leçon de réalisme surnaturel. Vivre à l'heure de Dieu suppose que l'on renonce à vivre à l'heure des hommes. La non concordance, voir l' opposition du temps de Dieu et du temps du monde sera, nous le savons, l'origine de bien des heurts entre Jésus et ses disciples toujours pressés.

Le Royaume de Dieu n'obéit pas à nos lois. Il peut se le permettre car il est déjà ancré dans l'éternité. Le monde avec ses désirs, avec ses passions, avec ses folies, le monde est déjà maintenant en train de disparaître. Allons-nous disparaître avec lui ?

Là est un conflit et un choix, et c'est notre coeur qui décide !

 

Vaincre le mauvais, comme nous dit l'Apôtre, sera entre autre refuser les raccourcis proposés par notre chair paresseuse et jouisseuse. Elle voudrait s'épargner tout effort. Mais la chair est condamnée elle aussi à la corruption et à la disparition, sauf la part qui aura été divinisée et transfigurée. Mais alors, c'est une chair nouvelle qui est déjà maintenant - si nous y sommes attentifs - en train de ressusciter.

Mes frères, vaincre le mauvais, ce sera aussi et d'abord s'enraciner dans la volonté de Dieu et connaître ainsi les premières lueurs de l'éternité. Nous serons témoins de Dieu à l'exemple d'Anne et de Siméon si nous savons comme eux attendre dans la confiance et dans la paix.

 

                                                                                                   Amen.

 

Homélie : Fête de la Sainte Famille.            31.12.89*

 

Mes frères,

 

La Sainte famille de Jésus, Marie et Joseph, dont nous faisons mémoire aujourd'hui, est la première cellule d'une famille aux dimensions immenses qui regroupe les hommes de tous les temps et de tous les lieux pour les unir à la famille primordiale qui est Dieu dans la trinité de ses Personnes et l'unité de son Etre.

Telles sont les perspectives que nous ouvre la célébration de ce jour. Nous sommes tous frères, tous égaux, tous promis au même destin surnaturel. Cela signifie que nous avons tous les mêmes devoirs, les mêmes droits. Nous devons nous respecter, nous aimer, nous entraider. Un courant divin circule entre nous tous.

Et ce courant, c'est la Personne de l' Esprit Saint donné au monde par le Christ. Cet Esprit Saint sera plus puissant que tous les ferments de discorde, que toutes les forces centrifuges. Dans le secret des coeurs, il maintient, il nourrit, il renforce l'unité de la grande famille. L'oeil de la foi le regarde agir et, nous sommes invités à collaborer à son action.

 

On peut dire que toute l'énergie salvatrice et unificatrice mise en oeuvre par l'Esprit de Dieu était déjà dans sa totalité concentrée au départ dans la cellule Jésus-Marie-Joseph. C'est à partir de cette unité première qu'elle se répand dans les coeurs.

Ne nous arrêtons pas aux échecs apparents. Contemplons plutôt l'assemblée des saints et des saintes dans la lumière et, nous verrons que le projet de Dieu se réalise envers et contre tout.

 

Et nous, à notre place, soyons des artisans d'unité, de concorde et de paix. L'Apôtre nous confie un programme. Ecoutons-le parler. Je rappelle ce qu'il vient de nous dire :

Faites-vous des coeurs pleins de tendresse et de bonté, d'humilité, de douceur, de patience. Supportez-vous mutuellement. Pardonnez si vous avez des reproches à vous faire. Qu'il y ait entre vous l'amour, que règne entre vous la paix du Christ à laquelle vous êtes appelés pour former en lui un seul Corps.

Voilà, mes frères, le mot est dit : un seul Corps. L'Eucharistie est le lieu par excellence où s'accomplit la merveille de ce Corps unique de cette famille de Dieu. Nous la partageons aujourd'hui encore.

 

Entrons donc par la foi dans cette Eucharistie, dans ce Corps, dans cette famille. Occupons-y notre place. Soyons, comme nous l'a dit l'Apôtre, des ferments d'unité et de concorde.

Soyons des hommes solides sur lesquels les autres peuvent s'appuyer, des hommes qui structurent l'architecture de ce Corps et qui lui donnent une consistance déjà forte dès maintenant.

Mes frères, qu'il y ait aussi dans notre coeur une espérance sans borne en l'amour et en la puissance de notre Dieu.

 

                                                                                              Amen.

 

Règle : 73 : Tout n’est pas dit ………              31.12.89

          Fin de Règle et fin d’année !

 

Mes frères,

 

Nous voici au dernier jour de l'année et de la décennie. A l'échelle du cosmos, cela ne représente rien, mais pour le cœur de notre Dieu, il y a là un trésor qui est mis en réserve pour le monde à venir.

Pour Dieu, en effet, rien n'est petit. Tout pour lui est d'une importance extrême car tout est l’œuvre de sa main, tout est l’œuvre de son amour. Ainsi tout le bien que nous avons fait est inscrit par lui au registre de la vie, tandis que tout le mal que nous avons fait au cours de cette année est jeté par lui aux oubliettes.

Tel est notre Dieu ! Il a, à la mesure de son être infini, une infinie faculté d'oubli. Lorsqu'il nous pardonne, pour lui, c'est fini, il a oublié. Chaque pardon est une recréation. C'est comme si nous sortions pour la première fois de son cœur et de son amour.

Il nous voit déjà dans la gloire auprès de lui. Et la vision qu'il a de nous, le rêve qu'il nourrit sans cesse à notre sujet, voilà ce qui nous crée, qui nous purifie et qui nous transforme. A nous de le croire et de nous laisser aimer.

Concrètement cela signifie : à nous d'entrer dans les linéaments de ses volontés de façon à ce que il puisse vraiment nous unir à lui et faire de nous le visage de ce qu'il est.

Concrètement cela signifie que nous devons obéir. L'obéissance à Dieu est l'action la plus noble qu'un homme puisse poser ici bas.

 

C'est ce que Saint Benoît nous dit en nous lançant aujourd'hui dans la compagnie des saints. Il parle des enseignements des saints Pères, de la parole d'autorité divine, des saints Pères catholiques, des Conférences des Pères, des institutions de leurs vies, de la Règle de notre Père saint Basile.

Saint Benoît nous met dans la compagnie de tous ces saints. Cela peut paraître naïf de sa part, mais cette naïveté est payante si nous la faisons nôtre, si nous devenons semblables à ce petit enfant naïf, candide, ouvert. Alors le Royaume des cieux est pour nous.

Le sommet de la perfection spirituelle dans la rencontre de notre Créateur - je reprends ses propres termes - sont à notre portée si au lieu de nous regarder nous-mêmes, nous ouvrons nos yeux à la lumière qui divinise. Et je rappelle que dans l'état actuel du plan de Dieu, cette lumière, c'est la Personne de l'Esprit Saint qui remplit l'univers de sa présence.

 

Il nous est donc demandé de choisir entre l'égocentrisme, le repliement sur soi, le narcissisme, et l'ouverture à Dieu, et aux frères, et à l'extase, c'est à dire vivre en dehors de nous, vivre dans la volonté de Dieu et dans son amour et non pas peureusement, frileusement dans nos petits vouloirs mesquins.

Saint Benoît aujourd'hui veut nous secouer, nous bousculer, nous arracher à l'illusion. Il veut nous accrocher à la vérité qui est Dieu, qui est son projet sur nous, qui est son rêve sur nous. Et Dieu, lui, ne recule jamais.

 

Nous sommes aujourd'hui au dernier jour de l'an. Demain va commencer une nouvelle année. Il en est comme ça pour Dieu. Il ne recule jamais, il croit en nous jusqu'au bout. C'est cela qui est merveilleux chez Dieu, c'est que malgré toutes les désillusions que nous lui infligeons, il nous garde sa confiance. En cette fin d'année, mes frères, pensons-y, réfléchissons-y !

Et puis, gardons courage. Nous sommes faibles, fragiles, inconstants, mais lui, il est Amour. Et il s'est fait homme pour épouser notre faiblesse, notre fragilité, pour sentir dans sa chair d'homme ce que c'est que d'être affligé de toutes sortes de maux, de toutes sortes d'épreuves et finalement de la mort.

Mais il a voulu vivre tout cela exactement comme nous afin de nous prendre avec lui, chez lui, et de faire de nous des dieux.

 

Mes frères, il y a là quelque chose d'extrêmement beau, d'extrêmement encourageant. Si nous voulons ne pas avoir peur, ne nous regardons pas, ne regardons pas tout ce qui nous arrive, ne regardons même pas nos péchés.

Regrettons-les, certes, mais ne nous appesantissons pas sur eux.  Mais regardons plutôt Dieu, sa beauté, sa lumière, Dieu présent dans ce Christ qui est vraiment la révélation de ce qu'il est. Et puis voilà, laissons-nous rêver, laissons-nous penser par lui. Et, comme le dit Saint Benoît : nous arriverons aux sommets les plus hauts de la contemplation et de la vertu.

 

 

 

Table des matières : Année 1989.

 

Homélie : le premier jour de l’année.             01.01.89. 1

Laissons-nous enfanter par Marie.. 1

Chapitre : Le Baptême du Seigneur.              09.01.89. 2

Chapitre : Grégoire de Nysse.                    10.01.89. 4

Lettre du Père Abbé Général – Epiphanie 1989  (Noël 88) 6

Portrait du moine cistercien. 6

Chapitre : Lettre 1.                               22.01.89. 6

Introduction et présentation.. 6

Chapitre : Lettre 2.                               25.01.89. 6

Suite de l’Introduction.. 6

Chapitre : Lettre 3.                               28.01.89. 7

Constitution 1.1.. 7

Chapitre : Lettre 4.                               29.01.89. 9

Constitution : 1, 2-5.. 9

Chapitre : Lettre 5.                               31.01.89. 10

Constitutions : 2 – 3.. 10

Chapitre : Lettre 6.                               01.02.89. 12

Constitutions : 2 – 3 (suite).. 12

Homélie : Présentation de Jésus au temple.     02.02.89. 13

Chapitre : Lettre 7.                              02.02.89*. 14

Constitutions : 2 – 3 (suite).. 14

Chapitre : Récollection du mois de février.      04.02.89. 16

Voir le Seigneur Jésus avant de mourir corporellement.. 16

Chapitre : Lettre 8.                               06.02.89. 18

Constitutions : 4 – 5.. 18

Homélie du mercredi des cendres.                08.02.89. 20

Règle : 49 : L’observance du carême.            08.02.89. 22

Chapitre : Lettre 9.                               11.02.89. 24

Constitutions : 7 – 11.. 24

Chapitre : Lettre 10.                              12.02.89. 26

Constitutions : 13 – 15.. 26

Homélie : Premier dimanche du carême.          12.02.89. 29

Chapitre : Lettre 11.                              16.02.89. 30

Constitutions : 13 – 15 (suite) + 16.. 30

Chapitre : Lettre 12.                              17.02.89. 33

Constitutions : 17 – 20.. 33

Chapitre : Lettre 13.                              18.02.89. 35

Constitutions : 17 – 20 (suite).. 35

Chapitre : Lettre 14.                              20.02.89. 37

Constitutions : 21 – 29.. 37

Chapitre : Lettre 15.                              21.02.89. 39

Constitutions : 21 – 29 (suite).. 39

Chapitre : Lettre 16.                              25.02.89. 41

Constitutions : 30 – 31.. 41

Chapitre : Lettre 17.                              27.02.89. 43

Constitutions : 33 – 38.. 43

Chapitre : Récollection du mois de mars.         04.03.89. 45

Les jours sacrés, les jours saints du carême.. 45

Chapitre ; Lettre 18.                              06.03.89. 48

Constitutions : 45 – 58.. 48

Chapitre : Lettre 19.                              07.03.89. 50

Constitutions : 73 et suivantes.. 50

Semaine Sainte :. 53

Chapitre : Samedi la veille des Rameaux.        18.03.89. 53

Saint Joseph, Père spirituel de tous les hommes.. 53

Homélie à l’Eucharistie des rameaux.             19.03.89. 55

Chapitre du Lundi Saint.                           20.03.89. 56

L’humilité de Dieu.. 56

Chapitre du Mardi Saint.                          21.03.89. 59

L’irruption de l’univers de Dieu dans le monde des hommes.. 59

Chapitre du Mercredi Saint.                      22.03.89. 61

Judas et nous ?.. 61

Homélie à l’Eucharistie du Jeudi Saint.          23.03.89. 63

La démesure de Dieu.. 63

Vendredi Saint.                                    24.03.89. 64

A.Homélie à la célébration : Le paradoxe de notre Dieu ! 64

B. Exhortation à l’Office de Complies.. 66

Homélie à la Vigile Pascale.                        25.03.89. 68

Homélie à l’Eucharistie du jour de Pâques.       26.03.89. 70

Chapitre : Récollection du mois d’avril.           01.04.89. 71

Le cantique Alléluia.. 71

Chapitre : Constitution 21 & 22.                  16.04.89. 73

La Lectio Divina * La vigilance du cœur.. 73

Chapitre : La Constitution 24.                     23.04.89. 76

La garde du silence.. 76

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         24.04.89. 78

1. La formation.. 78

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         30.04.89. 80

2. L’initiation.. 80

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         01.05.89. 83

3. La communauté.. 83

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         03.05.89. 86

4. Communion.. 86

Chapitre : L’Ascension du Seigneur.              04.05.89. 88

Chapitre : Récollection du mois de mai.         06.05.89. 89

Homélie : 7° dimanche après Pâques.             07.05.89. 92

Octave de l’Ascension.. 92

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         10.05.89. 93

5. Les Supérieurs.. 93

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         12.05.89. 95

6. Le rôle du Supérieur.. 95

Homélie : Eucharistie vespérale de la Pentecôte.13.05.89. 98

Chapitre : Fête de la Pentecôte.                  14.05.89. 100

La Personne de l’Esprit Saint.. 100

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         16.05.89. 103

7. La mission spirituelle du Supérieur.. 103

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         17.05.89. 105

8. Dans la ligne de la Tradition.. 105

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         18.05.89. 108

9. Avoir le Supérieur qu’on mérite.. 108

Chapitre : Allocution du Cardinal Hamer.         19.05.89. 110

10. Une communauté qui cherche Dieu.(fin). 110

Chapitre : Fête de la Sainte Trinité.             21.05.89. 111

Solennité du Corps et du Sang du Christ.        28.05.89. 114

La Fête de l’Amour.. 114

Chapitre : Récollection du mois de juin.          03.06.89. 115

Le Cœur sacré de notre Sauveur.. 115

Homélie : 9° dimanche ordinaire. Année C.      04.06.89. 118

Nous sommes des païens convertis.. 118

Homélie : Funérailles du Fr. Ghislain.            12.06.89. 119

Chapitre : Qui était notre frère Ghislain.. 120

Homélie : Vigile de Saint Jean-Baptiste.        23.06.89. 121

Homélie : Vigile des Saints Pierre et Paul.       28.06.89. 123

Chapitre : Récollection du mois de juillet.        01.07.89. 124

Mieux vivre pour bien mourir.. 124

Chapitre : Souvenirs du frère Paul.               06.07.89. 125

Homélie : Funérailles du Frère Paul.              07.07.89. 125

Règle : 31, 1-26 : Portrait idéal du cellérier.  08.07.89. 125

Le dernier recours.. 125

Homélie : 14° dimanche ordinaire – C.           09.07.89. 125

La création nouvelle.. 125

Homélie : Fête de Saint Benoît.                  11.07.89. 125

Je suis parmi vous comme celui qui sert.. 125

Règle : 34 : Recevoir également le nécessaire.  12.07.89. 125

Le nécessaire ?.. 125

Règle : 42 : Du silence après Complies.          21.07.89. 125

Le silence est une règle essentielle.. 125

Règle : 42 : Du silence après Complies.          22.07.89. 125

La relation nuit-mort.. 125

Règle : 47 : Annoncer l’œuvre de Dieu.          27.07.89. 125

La respiration du corps monastique.. 125

Règle : 50 : Au loin ou en voyage ?               01.08.89. 125

Négligence ! 125

Homélie : Fête de la Transfiguration.            06.08.89. 125

Participer à la vie même de Dieu.. 125

Homélie : Eucharistie vespérale du 15 août.     14.08.89. 125

Proclamée trois fois bienheureuse.. 125

Chapitre : Fête de l’Assomption de Marie.       15.08.89. 125

La stabilité est une ascension.. 125

Règle : 62 : Des prêtres du monastère.         17.08.89. 125

Le respect de la Règle.. 125

Chapitre : Fête de Saint Bernard.                20.08.89. 125

Vanité des vanités, tout est vanité ! 125

Règle : 68 : Des choses impossibles.             26.08.89. 125

La sainteté.. 125

Chapitre : Commentaire sur la Carte de Visite. 26.08.89. 125

Garder la foi dans la valeur de notre vie.. 125

Chapitre : Récollection du mois de septembre.  02.09.89. 125

Marie Médiatrice – Fuir l’oubli.. 125

Homélie : 22° dimanche ordinaire * année C.    03.09.89. 125

Une oreille qui écoute.. 125

Règle 1, 15-fin : Des espèces de moines.       09.09.89. 125

Un choix à faire.. 125

Chapitre : Fête de la Croix Glorieuse.            10.09.89. 125

La Croix, lieu de résurrection.. 125

Règle : 2,29-43 : De l’Abbé.                     11.09.89. 125

L’Abbé enseigneur ! 125

Règle : 2,81-91 : De l’Abbé.                     14.09.89. 125

Les trois murailles.. 125

Règle : 2, 92-fin : De l’Abbé.                    15.09.89. 125

Regere ! 125

Règle : 3, 1-15 : L’avis des frères ?            16.09.89. 125

Rester jeune ! 125

Règle : 4, 51-77 : Quels outils utiliser ?      20.09.89. 125

Etre saint ! 125

Règle : 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?        21.09.89. 125

La jalousie ! 125

Règle : 5, 1-28 : De l’obéissance.                22.09.89. 125

Désirer se soumettre ! 125

Règle : 5, 29-fin : De l’obéissance.              23.09.89. 125

Collaborer avec Dieu ! 125

Règle : 7, 1-12 : De l’humilité.                   25.09.89. 125

Le cri de l’Ecriture.. 125

Règle : 7,159-164 : Onzième degré.             09.10.89. 125

La manière de parler.. 125

Chapitre : Récollection du mois de décembre.   02.12.89. 125

Citoyens d’un autre univers.. 125

Règle : 56 : De la table de l’Abbé.               09.12.89. 125

Maître et disciples.. 125

Chapitre : Saint Mutien-Marie.                  09.12.89*. 125

Tout vient de Dieu qui est amour.. 125

Chapitre : Saint Jean de la Croix.                16.12.89. 125

Temps de Noël.. 125

Homélie de la Vigile de Noël.                      24.12.89. 125

Homélie à la messe de minuit.                     25.12.89. 125

Homélie en la fête de Saint Etienne.             26.12.89. 125

Homélie en la fête de Saint Jean.                27.12.89. 125

Homélie : Siméon témoin de la Lumière.          29.12.89. 125

Homélie : La patience de Anne.                   30.12.89. 125

Homélie : Fête de la Sainte Famille.            31.12.89*. 125

Règle : 73 : Tout n’est pas dit ………              31.12.89. 125

Fin de Règle et fin d’année ! 125

Table des matières : Année 1989.. 125

 



[1] Amplification défectueuse !!!!

[2] Célébrée le dimanche précédent la fête.