Mes frères,
Le passage d’une année à l’autre véhicule une charge symbolique et émotionnelle intense car il éveille en nous un désir, une nostalgie qui sommeillent habituellement mais qui sont en réalité le moteur de notre vie.
Nous rêvons d’une contrée qui serait pure lumière, une contrée où il n’y aurait plus ni soleil ni lune, ni jour ni nuit, ni fatigue ni repos, ni aujourd’hui ni demain, une contrée qui serait lumière et rien que lumière.
Si pour les jours de Noël, pour les jours de l’an nous voyons les rues illuminées, si nous voyons aux fenêtres des maisons des lumières qui sont là et qui attirent l’attention des passants, c’est justement parce qu’au plus profond du subconscient, l’homme, quel qu’il soit, rêve de la lumière.
On trouve ça dans tous les mythes, on trouve ça dans toutes les civilisations. Nous devons en prendre conscience, mes frères, nous qui sommes ici dans le monastère, nous qui avons été baptisés, c’est à dire plongé dans un océan de lumière.
Et cette lumière dont les hommes rêvent, dont nous rêvons aussi, c’est une lumière consistante, une lumière solide qui nous porterait et qui nous nourrirait ; une lumière qui aurait une conscience et qui serait notre propre conscience ; une lumière qui serait vivante et qui serait notre vie ; une lumière qui nous aimerait et que nous aimerions.
Il y a là une chose qui peut nous paraître très mystérieuse mais qui, dans le fond, présage notre éternité. Que va-t-il se passer ? Je n’en suis pas revenu, personne n’en est revenu pour le dire sauf un, le Seigneur Jésus, qui est la lumière du monde.
Au moment où nous allons nous évanouir dans le mort, tout de nous va disparaître, même notre conscience. Nous serons comme nous étions avant quand nous n’existions pas. Nous allons replonger dans le néant absolu.
Mais alors ? Alors, il se passe ceci, il se passera ceci, c’est que nous allons recevoir une conscience nouvelle et, c’est la lumière elle-même qui sera notre conscience. C’est Dieu dans sa vie qui sera notre propre conscience. Et c’est la raison pour laquelle nous le verrons tel qu’il est, nous le connaîtrons tel qu’il est. Sa propre lumière, son être lui-même sera notre conscience. Nous serons divinisés. C’est cela notre destinée et c’est à cela que nous rêvons maintenant quand il y a un changement d’année.
Le Jour de l’An, nous nous rappelons que nous sommes des voyageurs. Non pas des nomades qui vagabondent ça et là, mais de vrais voyageurs qui avancent vers l’objet de leur rêve.
Et nous ne sommes pas seuls, seuls perdus sur une route sans fin, nous sommes avec les autres. Nous sommes avec une immense cohorte de vivants, et des vivants de toutes les couleurs. N’allons pas restreindre cette marche à la petite sphère que nous connaissons, ne la restreignons pas à la petite Eglise que nous sommes. Mais voyons cette caravane qui est la grande Eglise, qui est le Corps du Christ et qui rassemble absolument tous les hommes depuis le premier jusqu’au dernier. Et nous y avons notre place.
Et nous allons vers une région où le temps sera suspendu, il sera aboli, il sera annulé. Et dans cette région, la durée se figera en une plénitude sans avant ni après. Ce sera fini, il n’y aura plus rien à ajouter et il n’y aura rien à soustraire.
Et nous sommes dans le monastère, mes frères, afin que ce rêve prenne corps. Le moine est un rêveur, un rêveur lucide. Il a un coeur qui pressent et il a des yeux qui entrevoient. Il est capable de mettre un nom sur son rêve. Et ce nom est celui du Seigneur Jésus ressuscité d’entre les morts. Mais Jésus le fils de Marie.
Car il est nécessaire qu’il y ait une femme à l’intérieur de ce rêve, et une femme qui n’est pas indifférente, une femme qui a reçu extraordinaire d’une maternité virginale. Cela signifie qu’elle est capable d’être mère sans fin et sans mesure. Elle a été une fois pour toute fécondée par l’Esprit Saint, par l’Amour, par la Lumière.
Et depuis lors, elle est capable d’enfanter sans arrêt. C’est pourquoi elle est notre mère, elle est la mère de la Vie, elle est la mère de l’Amour, elle est la Mère de la Lumière. Et c’est à l’intérieur d’elle que nous cheminons et que nous arrivons.
Voyez ! Tout cela, c’est du rêve allez-vous dire ? Mais attention, c’est un rêve lucide et il n’est pas possible d’exprimer ces beautés en dehors de ce langage mystique qu’est le rêve. Et Jésus est la lumière espérée, il est le lieu de la transfiguration, il est la plénitude et l’amour sans limite. Le rêve ainsi de l’humanité est réactivé le Jour de l’An. Et il constitue l’être même de la vie monastique.
Je pense que si le moine doit traverser toutes sortes d’épreuves purificatrices au niveau de ses sens, de sa sensibilité, au niveau de son coeur, au niveau de son intellect, au niveau de son esprit, c’est justement afin que ce rêve de la lumière puisse devenir le ressort de sa vie. Il n’y a plus que cela. Car à ce moment-là il devient, étant purifié, capable de réverbérer cette lumière, de l’accueillir en lui comme un diamant, comme un cristal et de la réverbérer.
Le moine est donc un homme qui tient dans sa main la réalisation de ce rêve-là. Et au plan, je dirais, social, il marche à la fine pointe de la caravane qui s’avance vers cette contrée mystérieuse qui est une personne ; et il entre le premier au coeur de la lumière. Tel est son destin.
Alors, mes frères, en ce premier Jour de l’An, mon vœu est celui-ci : c’est que nous soyons cette année-ci plus fidèles à notre mission de vérité et de beauté. Mais alors, pas ramener notre vie à de petites histoires qui sont au ras de terre et même en dessous de terre.
Non, que notre coeur soit ailleurs, que notre coeur soit où est notre rêve, qu’il soit déjà à l’intérieur de la personne du Seigneur Jésus ressuscité et aussi à l’intérieur du coeur de Marie, parce que c’est là le lieu de notre naissance comme ce fut le lieu de la naissance du Christ lui-même.
Mes frères,
Il y a de cela, ce devait être vers le 11 décembre, en plein Temps de l’Avent, l’un d’entre vous, qui n’est jamais à court d’inspiration et qui m’encourage par ses petites questions, m’a posé vraiment un petit problème, comme il le dit lui-même, exégètico- spirituel.
Oui, on a entendu au cours de la liturgie l’Apôtre Paul dire qu’on ne devait se soucier de rien. Et un peu après, on a chanté ce conseil, on l’a chanté comme introït. Voilà le problème : c’est que Saint Paul dit : « Ne vous souciez de rien du tout », mais que Saint Benoît, lui, pour sa part, n’est pas tout à fait d’accord.
Saint Benoît, lui, il dit ceci. Il parle d’un senior, donc d’un ancien qui est apte à sauver les âmes. On lui a confié un novice et il le surveille très attentivement, curiose, 58,14.
Attention ! Il ne le persécute pas, mais enfin il le surveille, il regarde ce qui se passe pour voir, dit-il, s’il cherche vraiment Dieu. Et le mot n’a pas été traduit en français. Sollicitudo sit, si revera Deum quaerit, 58,15. Donc, cet ancien doit être habité par un souci, sollicitudo. Et ce souci est de voir si le novice qui s’est présenté cherche Dieu vraiment.
Puis alors, Saint Benoît fait un saut du côté du novice et il dit : « Si maintenant le novice sollicitus est ad opus Dei, 58,16 » donc s’il est soucieux, s’il prend à coeur, s’il se fait du souci pour bien exécuter l’œuvre de Dieu, pour bien obéir et bien accepter les contrariétés, les opprobria, 58,17, qui se présentent dans une vie commune.
Donc ici, vous avez Saint Benoît qui conseille, qui prescrit le souci et, de l’autre côté, vous avez l’Apôtre Paul qui dit qu’il ne faut se soucier de rien. Alors voilà le problème ? Et c’est une bonne petite question et, il faut remercier ce frère de me l’avoir posée.
Mais pour bien, maintenant, trouver la solution, il faut voir tout d’abord ce que l’Apôtre dit. J’ai pris le texte original parce que c’est toujours à ce texte qu’il faut se référer. Il dit :
Réjouissez-vous dans le Seigneur toujours, à tout moment, en toutes circonstances, en toutes situations. semper dit le texte latin, toujours. Mais en fait, le texte grec veut dire en toutes circonstances, en toutes situations, soyez toujours dans la joie. Et puis il le répète, je le dis à nouveau, réjouissez-vous, soyez dans la joie ! Que votre sincérité, modestia est-il dit en latin, que votre simplicité, voilà, vous êtes ainsi, soit connue de tous les hommes, donc ça doit paraître à l’extérieur. Et puis alors, pourquoi ? parce que le Seigneur est proche, est-il dit dans le texte latin. Mais le texte grec dit autre chose.
Si on entend le texte latin, cela voudrait dire la venue du Seigneur approche. Il est tout près parce que ce n’est pas un adjectif. Il est tout près, sa venue est proche. Mais dans le texte grec, ici, le Seigneur est proche, ça veut dire : il est tout près, il est là, il est proche. Il suffit d’étendre la main pour le toucher ! Alors s’il est là, pourquoi, pourquoi alors se faire du souci ? Et il dit : « Ne vous souciez de rien, en rien aucun souci. Mais c’est vrai, le Seigneur est là !
Vous avez les Apôtres qui étaient dans la maison. Ils avaient peur un peu après la résurrection, le jour même ou le jour après. Ils étaient tout calfeutrés, ils avaient peur de ce qui allait arriver. On allait peut-être venir les chercher ? Et tout à coup ils ouvrent les yeux et Jésus était là.
Pourtant tout était fermé, et il était là ! Mais ils étaient tellement absorbés dans leurs angoisses qu’ils n’avaient de regards que pour eux-mêmes et leurs soucis. Alors ils ne voyaient pas que Jésus était là, tout proche, présent.
Eh bien, l’Apôtre Paul dit : « Il est là, tout proche ». Et en disant ça, il se réfère à une expérience personnelle. Il allait à Damas et il ne se rendait pas compte que le Seigneur marchait avec lui sur la route. Puis tout à coup ses yeux s’ouvrent et il le voit. Et du coup, il tombe par terre de surprise, d’étonnement et de frayeur aussi.
Mais voilà, c’est une mise en route, ceci, nous continuerons. Donc, vous voyez un peu pourquoi il ne faut pas se faire de soucis. Vous allez dire, mais la situation du frère Benoît, facile à dire quand on n’est pas dans sa situation réelle ! Lui, il est dans sa peau, c’est pas nous. Et il ne faut pas lui prêcher des choses comme ça parce qu’il ne sait pas l’entendre. Il n’est pas inconscient, mais enfin un peu dans le brouillard.
Mais disons pour nous, ça peut nous arriver tantôt, cette nuit, on ne sait pas ? Saint Benoît nous dit que tous les jours nous devons avoir la mort présente. Mais c’est pas la mort, c’est le fait que le Seigneur est proche.
Et ce qui peut arriver, c’est que d’un coup le voile se déchire et qu’on se trouve devant lui. Il est là. C’est de vivre avec lui toujours et, à ce moment-là, il n’y a plus d’angoisses et de soucis. Pourquoi ? Parce qu’on est arrivé là où on doit être. On est au point omega, on est au bout.
Mais voilà, ça, c’est l’apéritif ! Le reste est pour une autre fois.
Mes frères,
Nous allons revenir à Saint Paul qui dit que nous ne devons pas nous faire de soucis. Mais attention, pour comprendre ce que l’Apôtre Paul dit, il faut retourner toujours au sens étymologique du terme qu’il utilise et qui en grec a un tout autre sens qu’en français.
Et la racine grecque signifie ceci : c’est une anxiété qui partage l’esprit, l’inquiétude qui partage l’esprit. Je suis inquiet parce que je ne sais pas choisir. Alors je suis divisé, je suis rongé. J’ai le choix ?
D’un côté il y a Dieu qui comble de son amour, et de sa plénitude, et d’une joie qui est la sienne et que rien, absolument rien ne peut altérer. Au moment où le Christ allait entrer dans sa passion, il disait - on le répète chaque jour à l’Eucharistie - je vous laisse ma joie, je vous donne ma joie, donc celle qui le possédait à cette époque.
Donc, la joie peut très bien aller de pair avec des tourments, avec l’angoisse qu’il a connue. Au moment où il transpirait du sang, cette joie était en lui. Cette joie, c’est la présence de l’Esprit Saint dans un coeur. Donc, d’un côté il y a Dieu.
Alors, de l’autre côté, il y a le rien. C’est le rien des idoles, des idoles aux mille visages, le monde aussi qui est en train de s’évanouir, de disparaître. Et ce rien vide le coeur de toute substance spirituelle.
Il y a donc d’un côté Dieu, et puis il y a l’idole. Il y a Lui, et puis il y a moi. Il y a la gratuité et il y a la réussite. Alors, quand on a choisi une fois pour toutes, alors c’est la joie qui ne cesse de rassasier.
Maintenant, pour bien comprendre encore, que signifie pour l’Apôtre Paul ce qu’il dit maintenant aux Corinthiens. Il leur dit : Je veux que vous soyez sans soucis, sans inquiétudes. Alors il est dit, voilà celui qui n’est pas marié, il se soucie, il est tout entier donc il a choisi au Seigneur et il se soucie comment il va faire pour plaire au Seigneur. Le Seigneur, c’est le Christ.
Par contre, celui qui est marié, il a le souci du monde, des choses du monde et comment il pourra plaire à sa femme. Et alors il est divisé, voilà le mot, il est divisé ! Vous voyez ! Donc, le souci est une division qui s’introduit à l’intérieur du coeur, à l’intérieur de la personne qui ne sait plus du quel côté se diriger.
Alors il dit : Moi, je veux que vous soyez sans soucis, je veux que vous soyez sans division à l’intérieur de vous. Je veux, je désire que vous ayez choisi une bonne fois pour toute. Et dans la pratique alors c’est présenté comme ça. Le temps est mesuré, dit-il, alors ceux qui ont une femme qu’ils soient comme s’ils n’en avaient pas. On connaît tout ça.
Ceux qui pleurent comme s’ils ne pleuraient pas ; ceux qui sont dans la joie comme s’ils n ’étaient pas dans la joie ; ceux qui font du commerce comme s’ils ne possédaient rien ; ceux qui usent de ce monde comme s’ils n’en usaient pas ; car, dit-il, elle est en train de passer la figure de ce monde. Elle est en train de s’évanouir. Alors l’Apôtre conclut, je veux que vous soyez entiers, je ne veux pas que vous soyez divisés.
A partir de là, nous pouvons comprendre un peu le sens profond de la pauvreté monastique. C’est de ne pas être divisé, d’avoir choisi une fois pour toute la personne du Christ, la personne de Dieu dans sa Trinité. Et pour le reste, on peut en user parce qu’il faut bien vivre, il faut bien manger, il faut bien s’habiller, il faut bien se chauffer.
C’est une nécessité, il faut en user. Mais il ne faut pas aller au-delà de cet usage. Il ne faut pas que ça s’introduise en nous comme un besoin, comme une idole à laquelle on va commencer à sacrifier. Car il va s’introduire un coin qui va provoquer une blessure et une division.
Et l’Apôtre Paul disait cela aux Corinthiens. Et les Corinthiens, c’étaient des braves gens plus ou moins, des débardeurs du port et d’autres métiers comme ça. Ce n’étaient pas des intellectuels de haut vol comme à Athènes. Non, la plupart étaient des ouvriers et des esclaves et il leur disait ça !
Et nous, qui sommes aujourd’hui des gens biens, nous comprenons bien mais nous ne parvenons pas à le mettre en pratique comme il faudrait !
Mais voilà ce que sa signifie donc quand il dit n’ayez aucuns soucis. Cela veut dire ne soyez pas divisés, tiraillés de deux côtés à la fois. Et la prochaine fois, nous verrons maintenant ce que Saint Benoît entend, lui, par le même mot.
Eh bien, nous irons maintenant à l’église en priant les uns pour les autres et en espérant que finalement, finalement nous nous dégagerons de toutes les idoles, que nous nous dégagerons de notre moi pour que nous fleurissions, que nous nous ouvrions comme une fleur à la lumière de Dieu.
Chapitre de l’Epiphanie. 08.01.95. L’Epiphanie pour aujourd’hui.
Mes frères,
La manifestation du Seigneur Jésus dans son identité de Messie, dans la gloire de sa divinité et la folie de son humilité ne se découvre jamais qu’au regard de la foi. C’est une grâce à recevoir, une grâce à demander. Et si nous sommes dans le monastère, si nous y avons été appelés, c’est parce que Dieu entend nous accorder cette grâce.
Nous devons savoir que l’Epiphanie du Seigneur est de chaque minute. Elle a été inaugurée avec Elisabeth, une femme déjà d’un certain âge, et Jean qui était dans son sein. Elle est passée par ces rois, ces mages, ces devins qui venaient d’un Orient lointain, peut-être des successeurs du prophète Balaam, des gens de sa race, des gens de sa qualité et, osons le dire aussi, de sa vertu.
Elle a culminé au sommet d’un monticule sur une croix et, elle se poursuit aujourd’hui dans le monde entier. Il ne peut pas en être autrement.
Et ceux qui reconnaissent cette manifestation ne sont pas foule : il y avait une femme déjà âgée et l’enfant qui était caché en elle ; et puis des étrangers inconnus aussitôt disparus qu’apparus ; et un soldat, un centurion, un adjudant dirions-nous aujourd’hui, seul ; et puis quelques disciples ; un martyr, Etienne ; un converti, Paul.
Et au cours des siècles, il y a des saints et des saintes. Ils ne courent pas les rues. Et ces saints ne sont pas des êtres extraordinaires, ce sont des gens comme vous et moi, des hommes, des femmes qui ont été pétris à l’intérieur du péché. Ils sont environnés de faiblesse mais ils vivent en espérance dans le monde de la lumière. Et ils ont reçu des yeux pour voir.
N’allons pas nous imaginer que pour voir le Seigneur dans sa beauté, il faille être d’une autre étoffe que le commun des hommes. Non, c’est exactement le contraire. Plus nous prenons conscience que nous ne valons pas mieux que les autres, plus nous sommes disposés à recevoir ce don extraordinaire.
Dieu n’est pas un chef d’entreprise qui recherche les meilleurs éléments pour leur donner une promotion et ainsi accroître l’efficacité, le rendement et la compétitivité de son affaire. Non, Dieu est l’amour et la gratuité et, plus quelqu’un est petit, plus quelqu’un est faible, plus il se penche sur lui.
Je pense que Dieu a une préférence pour les handicapés, pour ceux qui ne sont pas capables de faire mieux, et qui ne seront jamais capables de faire mieux car il leur manque quelque chose. Au spirituel, ce sont des infirmes. Et si nous voulons bien nous regarder, mais nous avons chacun nos handicaps, nos infirmités. Mais ce n’est pas pour ça que Dieu ne nous aime pas.
Nous, quand nous voyons Dieu, c’est toujours comme quelqu’un d’un peu effrayant qui nous attend au tournant pour nous demander des comptes. Mais non, Dieu ne nous demandera jamais des comptes. Il nous dira : « Entre dans la maison de ton Maître ! »
Nous n’avons pas fait grand chose ? Mais ça suffit, dira-t-il, que voulez-vous qu’ils fassent ! Et ça, nous ne pouvons pas le comprendre parce que nous ne sommes pas, nous ne sommes pas, je dirais, dans sa peau. Mais nous en aurons tout de même quelques intuitions dans la mesure où nous partagerons sa propre vie, où il commencera à se manifester en nous.
Et si bien que nous pouvons, nous aussi, être de ses privilégiés, de ses choisis, de ses élus auxquels il va se manifester dans son être de Christ, dans son être incarné, dans son être d’homme. Et voici comment aujourd’hui pour nous. Il s’agit de contempler la beauté du Seigneur sous la croûte bien souvent revêche de nos frères. C’est là qu’aujourd’hui se manifeste le Christ. Il ne faut pas penser qu’il va un jour à l’église, dans le cloître ou n’importe où nous apparaître. Mais non, nous le croisons à tout bout de champ. mais est-ce que, voilà, nous avons le regard suffisamment clair, suffisamment limpide pour le reconnaître.
Il y a des yeux charnels et il y a les yeux spirituels et, les deux cohabitent aussi longtemps que nous pérégrinons ici-bas. Mais il faut qu’insensiblement les yeux spirituels prennent le dessus et deviennent l’élément régulateur de notre vie. C’est cela la foi, ce sont les yeux spirituels qui s’ouvrent.
La foi, c’est une participation à la connaissance que Dieu a de lui-même. Elle est une participation existentielle dans la personne même du Christ. Si bien que c’est à l’intérieur de cette foi, de cette participation que le Christ se manifeste à nous. Mais alors, nous le voyons partout.
Nous le rencontrons dans nos frères et il nous est impossible à ce moment-là d’avoir à leur endroit ne fut-ce que des pensées qui ne soient pas de charité, même si nos frères sont des êtres impossibles. C’est comme ça !
On peut être extrêmement sympathique à un et tout à fait rébarbatif à un autre. C’est une question d’atomes crochus, il ne faut pas essayer de comprendre. C’est comme ça, il faut l’accepter.
Mais les yeux spirituels voient derrière, derrière ces murailles, parfois murailles même hérissées de picots. Ils voient là autre chose, ils voient la personne du Christ et c’est ça l’Epiphanie pour aujourd’hui.
Alors, si vous le voulez bien, mes frères, en ce jour de fête, nous allons demander les uns pour les autres cette grâce d’un regard spirituel qui nous permette de reconnaître le Christ dans nos frères. Il ne faut pas courir loin !
Et alors, on comprendra que le monastère puisse être vraiment un paradisus, un jardin, un jardin où chacun, je dirais, dans la transparence de ses défauts et aussi dans la transparence de son être spirituel puisse librement fleurir, dégager son parfum et réjouir ainsi le coeur de Dieu et la cité des saints.
Mes frères,
Hier, nous avons justement vu que le murmure était un virus qui risquait de contaminer la communauté et d’en briser l’unité avec comme conséquence au niveau de la grande Eglise que la reconstruction de l’unité soit rendue plus difficile et même qu’elle soit retardée.
Mais il y a encore un autre virus tout aussi pernicieux. C’est ce que j’appellerai le bavardage malicieux à l’intérieur du monastère, ou bien à l’extérieur du monastère. Il en a été question à la Visite Régulière, vous le savez bien. Mais en quoi consiste-t-il ?
Ce sont des remarques perfides, des allusions à double sens, des ricanements, des vraies médisances, et même des calomnies, des choses inventées qui ne sont pas vraies du tout et qu’on colporte à l’intérieur de la communauté et aussi à l’extérieur.
Et le résultat, c’est qu’elles blessent la réputation de l’Abbaye, la réputation de l’Abbé, la réputation d’un frère. Il y a de ces blessures qui sont très difficiles à guérir car quand on a introduit la méfiance dans le coeur d’un frère, ce virus - car c’est un virus qui se transmet - ce virus serpente dans le coeur du frère et il peut entraîner des dégâts énormes pour le frère et aussi pour la communauté.
Et puis, c’est vraiment un esprit délétère et pernicieux qui est ainsi semé. Auparavant, dans l’ancienne terminologie, on parlait de faire du mauvais esprit. Et c’était ça ! On sème un mauvais esprit, un esprit qui devient, qui finalement devient celui de la communauté. On ne croit plus à rien, on ne fait plus confiance à personne, on soupçonne tout, et voilà !
Alors vous comprenez, quand on est dans ces conditions-là, , c’est un comportement que je peux franchement qualifier de diabolique dans le sens étymologique du mot. C’est à dire qui disloque, qui disperse, qui anéantit l’unité. C’est exactement le contraire de ce que le Christ demandait à son Père pour son Eglise et pour ses disciples : « Qu’ils soient un entre eux comme toi et moi nous sommes un ! »
Il a été question de ça à la Visite Régulière. Eh bien, mes frères, ça n’a rien changé, ça continue encore aujourd’hui. Je vais encore laisser passer un peu de temps et si ça ne cesse pas, j’enverrai un rapport au Visiteur et à l’Abbé Général. Et je leur demande de prendre les mesures qui s’imposent. Cela ne peut plus durer.
Une des raisons, moi j’en suis certain, qui écartent les postulants, c’est ça, c’est ça ! Enfin je le dis, je le rappelle, je le dis en tant qu’Abbé, en tant que représentant du Christ. Voilà, maintenant vous savez.
Mais alors, revenons à un aspect plus positif. Le virus du murmure, le virus du discours malicieux, pernicieux donc, mais nous devons, après avoir écarté cela, nous devons travailler à l’unité des esprits et des cœurs à l’intérieur de la communauté.
Cela ne veut pas dire qu’on doit être d’accord avec tout ce qui s’y fait, ni avec tous et chacun. Ce n’est pas l’uniformité mais c’est une unité dans la diversité des visions, dans la diversité des approches d’après l’emploi que l’on occupe, d’après l’idéal qu’on poursuit, d’après disons les appels de l’Esprit qu’on entend.
C’est cette diversité dans la complémentarité qui fait l’unité d’un corps, qui le structure et qui le rend de plus en plus fort et attirant.
Donc nous devons, mes frères, pour cela d’abord nous respecter mutuellement. Et le respect mutuel est fait d’admiration. Cela ne veut pas dire qu’il faut être béatement en admiration devant chacun. Non, mais admirer dans les autres la qualité qu’on y voit. Il y en a partout. Et il est malheureux qu’il faille attendre le décès d’un frère pour dire : »Tiens, il avait telle et telle qualité ! ».
Pourquoi ne pas les admirer et les applaudir, du moins dans son coeur, du vivant de ce frère malgré tous les défauts, malgré je dirais l’écorce un peu rugueuse ? Il faut avoir suffisamment de charité et de pureté que pour voir ce qu’il y a de beau dans l’autre et en remercier Dieu, et en remercier le frère.
Alors voilà, mes frères, nous allons ainsi à l’occasion de cette Semaine de l’Unité demander à Dieu la grâce d’être pleinement soi dans une communion intime avec les autres. Et ainsi, travaillant à fortifier l’unité de la communauté, nous fortifierons mystiquement mais bien sérieusement l’Unité de la grande Eglise. Les hommes et les peuples pourront se rapprocher et reconstruire ce qui a été fracturé, ce qui a été brisé par le péché de l’homme.
Mes frères,
La fête d’un fondateur d’Ordre, que ce soit Saint Benoît, les Inspirateurs de Cîteaux, Saint Dominique, Saint François ou Saint Jean Bosco, finit toujours par nous précipiter dans le vide de l’impossible.
Ils nous ont légué un héritage et nous ne savons qu’en faire. Alors, nous le plaçons dans une vitrine et nous l’admirons, nous l’étudions, nous l’analysons, nous nous en réjouissons, nous en tirons gloire et nous sommes contents.
Quant à le rentabiliser, cet héritage, c’est une autre affaire. Nous préférons ne pas y toucher, ou bien nous le cachons dans un mouchoir et nous l’enterrons, ou comme je le disais, nous l’exposons dans une vitrine.
Pensons un instant aux Fondateurs de Cîteaux ! Quel rapport y a-t-il entre l’empire chrétien et la société féodale qu’ils connaissaient et notre temps ? Nous sommes une société laïque, égalitaire, hypercivilisée. Quel rapport y a-t-il entre les deux ? Quel rapport peut-il y avoir entre nos Fondateurs et nous ? Comment pouvons-nous transposer leur idéal de vie dans le milieu qui est le nôtre ?
Ils étaient, eux, les produits de leur société. Ils ont vécu dans leur désert exactement ce qu’ils vivaient dans le monde, mais en mieux. Leur monde était toujours plus ou moins corrompu et eux ont retrouvé l’idéal de cette société chrétienne. Dans le fait, le Christ était tout.
Et tout était bien hiérarchisé dans leur monastère : il y avait les choristes, il y avait les seigneurs ; il y avait les convers, il y avait les manants. Et c’était tellement juste et vrai que les seigneurs et les manants venaient s’installer dans ces monastères parce qu’ils y découvraient l’idéal que confusément ils cherchaient.
Et comment aujourd’hui transposer donc cet idéal dans notre société qui est égalitaire, qui ne fait plus de différence. La seule différence est celle de la richesse : il y a des pauvres, il y a des riches ; il y a des exploitants, il y a des exploités ; il y a des blancs et il y a des gens de couleur.
Inutile d’essayer, mes frères, c’est tout à fait impossible ! Si nos Fondateurs revenaient sur terre aujourd’hui, eh bien, ils devraient eux aussi y renoncer ! La seule chose que nous puissions faire et que nous devions faire, c’est de recueillir leur esprit, c’est en quelque sorte commencer une nouvelle fondation pour notre temps.
Et je pense que c’est juste car chaque génération doit recommencer à zéro le projet du fondateur. Oui, recueillir leur esprit, recueillir leur inspiration et puis l’incarner dans un aujourd’hui qui évolue sans cesse.
Dans le cadre social qui était le leur, nos Fondateurs ont voulu fonder une école. Leur race était l’âge des premières grandes écoles. Les querelles commençaient à surgir entre différentes écoles. Rappelons-nous la grande querelle entre Abélard et Bernard. Mais Cîteaux a voulu autre chose. Il a voulu fonder une école où on apprendrait à aimer, une schola caritatis. Et la charte, leur charte de fondation qui était la Carta Caritatis, c’était la Charte de Charité.
Cette intention, mes frères, nous pouvons la reprendre et alors, nous pouvons sauver l’essentiel. Nous serons d’authentiques fils de nos Fondateurs si nous acceptons d’apprendre à aimer. Car l’amour est une science, il est un art. Et c’est un art auquel il faut accepter d’être initié.
Et cet art consiste à se convertir de l’égoïsme au don de soi, de la peur d’autrui à l’accueil de l’autre. Nous avons instinctivement peur de la différence. Nous voudrions pouvoir niveler tout et, dans le fond, qu’il n’y ait que nous au monde. Nous sommes tous plus ou moins malade de narcissisme. Prenons garde !
Les Fondateurs ont voulu changer tout cela et, nous devons consentir à entrer dans leur projet. Et pour cela, nous devons apprendre à vivre dans la Lumière, la Lumière du Christ, dans la mouvance de l’Esprit Saint.
Donc, ne pas nous raidir sur nous mais avoir la sagesse de devenir mou, de devenir plastique, de devenir une argile que l’Esprit Saint qui est amour peut façonner à son gré ; oui, façonner à son image une sorte de statuette, mais une statuette vivante qui est l’image de ce qu’il est.
Et il faut pour cela un cadre de vie adapté. Et peut-être que là nous pouvons encore rejoindre les Fondateurs de notre Ordre. Il faut un cadre de vérité et de beauté. Il a été dit que les premiers cisterciens avaient renoncé à tout sauf à la beauté.
Et ce n’est pas extraordinaire parce que la beauté, c’est la gratuité, c’est la vérité, c’est la charité, c’est une personne, c’est la personne du Christ ressuscité, c’est la personne de Dieu Père, Fils et Esprit. Et cette beauté, elle doit se refléter dans le cadre de vie.
Mes frères, il faut que ce cadre soit adapté aux hommes que nous sommes, des hommes qui sont le fruit de telle Culture et de telle éducation. Et, je le répète, ils doivent être régis par un souci de beauté.
Il ne s’agit pas de faire de l’archéologie, mais de pouvoir couler dans des matériaux une inspiration, un idéal, ...?... qui est celle d’une attente, et qui est celle déjà d’une réalisation.
Maintenant, pour apprendre à aimer, nous avons des professeurs. Et nous sommes tous professeurs les uns pour les autres parce que l’Esprit Saint habite le coeur de chacun. Nous devons accepter d’être enseignés par chacun de nos frères quel qu’il soit. Une parole de l’Ecriture dit : « Ils seront tous enseignés par Dieu ».
Eh bien, Dieu habite en chacun d’entre nous. Ayons la simplicité de le croire et puis de nous ouvrir à cet enseignement. Aimer l’autre tel qu’il est, tel qu’il se présente, tel qu’il a le droit d’être. L’aimer, et en l’aimant accepter que Dieu qui est dans le coeur de ce frère travaille le nôtre et le transfigure.
Et ainsi c’est la route, mes frères, et c’est la route que nous parcourons avec nos Fondateurs car c’est celle qu’ils ont choisie pour eux. Et nous sommes ainsi au centre d’une mystique qui est édifiée et construite sur une foi vivante. Car notre vie commune n’a pas de sens en dehors de la foi qui nous fait découvrir sur le visage de l’autre les traits de notre Christ.
Et nous serons alors pour aujourd’hui ce que nos Fondateurs ont été pour leur temps, donc des hommes qui se laissent instruire dans l’art sublime de la charité. C’est l’affaire de toute une vie, il faut sans cesse se recycler. Ce n’est jamais fini parce que l’Amour est Dieu lui-même. Et nous n’aurons jamais fini d’explorer Dieu, toute l’éternité ne sera pas suffisante.
Eh bien, cette éternité, commençons-là aujourd’hui !
Mes frères,
Je voudrais revenir à ce que j’avais inauguré voici déjà un mois. Voyez que le temps passe vite. Nous serons arrivés à la fin de nos jours et nous ne l’aurons même pas vu. Donc, quelqu’un m’avait posé une question, m’avait demandé - j’ai ici le document devant moi - :
Est-il possible de concilier ce que Saint Paul dit ne vous faites pas de soucis à propos de rien et Saint Benoît, lui, qui prescrit au Maître des novices la sollicitudo, et de même l’exige du novice, 58,15. Est-il possible donc d’harmoniser les deux ?
J’avais dit que si nous regardions le texte de Saint Paul, nous pouvions remonter à étymologie du terme grec qu’il utilise et qui signifie : nous ne devons pas être partagés, nous ne devons pas être coupés en deux. Nous devons être des êtres unifiés. Donc, nous ne devons pas permettre à quoi que ce soit d’ouvrir en nous une brèche qui pourrait nous partager. Nous appartenons à Dieu totalement et non pas en partie. Et, comme il le disait, le Seigneur est tout proche !
Il est tout proche dans le temps et il est tout proche dans l’espace. Le Seigneur a dit : « Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde » et « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux ». Il est ici dans ce Chapitre au milieu de nous et, il suffirait d’un rien pour que tout à coup nous le reconnaissions.
Alors voyez, lorsqu’on est comme ça avec Dieu, tout le reste trouve sa véritable place et il n’est plus une place qui peut vraiment soit nous écraser, soit nous accaparer, soit nous divertir. Il y a là, je dirais, une séparation. Il y a un choix qui a été fait entre Dieu et le reste, le reste n’étant rien si ce n’est par la volonté amoureuse de Dieu.
Maintenant Saint Benoît ? Eh bien Saint Benoît, lui, il dit que l’ancien apte à gagner les âmes doit, comme il dit examiner attentivement. Ce n’est pas facile à traduire textuellement. Donc la sollicitudo ici signifierait qu’il faut rechercher très attentivement, avec une curiosité, avec un soin, un soin particulier. Il faut donc mettre tout son soin à voir si le novice est orienté vers Dieu et son univers et s’il est saisi par Dieu et sa ...?... .
Il y a donc ici deux sollicitudinem, une dans le chef de l’ancien, l’autre dans le chef du novice. L’ancien apporte ici une idée de séparation, de rupture. L’ancien doit être tellement pris par cette curiosité dans le sens étymologique du mot, par ses soins, par cet amour de la personne qu’il a devant lui que tout le reste est repoussé à l’arrière.
Donc il n’est pas distrait. Il ne se distrait pas, il ne se laisse pas distraire. Il est tout entier à ce postulant, à ce novice. Et par ce fait, il se sait investi d’une mission.
Maintenant il y a le novice ? Le novice doit être aussi habité, comme dit Saint Benoît, par la sollicitudo. L’ancien sait qu’il lui faut voir si vraiment le novice a au coeur un souci qui est de choisir Dieu contre le rien. Il y a ici aussi un partage. L’ancien doit voir si vraiment cet homme qui est là vient pour Dieu, ou bien s’il a une idée derrière la tête. Il faut voir si son intention est pure, il faut voir si son coeur est partagé ou non ?
Si le coeur est partagé, à ce moment-là il ne cherche pas Dieu vraiment et il faut le prier de partir. Si par contre son coeur n’est pas partagé, quels que soient les défauts, quelles que soient les erreurs, quelles que soient les chutes de ce novice - ça n’a pas d’importance, ce sont des choses qui vont se mettre en place et qui vont se corriger - mais l’essentiel, c’est que son coeur ne soit pas partagé.
Et alors, comment va-t-on le voir ? Comme Saint Benoît le dit : voir si le novice est vraiment tout entier donné, s’il a du zèle pour l’œuvre de Dieu, l’Opus Dei, donc s’il a une oreille qui sait écouter et un coeur qui sait répondre. Il n’est pas nécessaire qu’il soit un ténor ou qu’il connaisse parfaitement le solfège. Non, mais qu’il soit en dépit de toutes les distractions qui sont inévitables, qu’il soit vraiment à l’écoute de ce que Dieu veut lui dire au cours de l’Office et que son coeur soit disposé à y répondre.
Donc, d’abord l’Office et ensuite l’obéissance ! Est-ce qu’il a le même zèle pour l’obéissance ? L’obéissance, mais écoute d’abord, écoute de Dieu pour aussitôt faire ce que Dieu lui demande. C’est donc une écoute de la praxis monastique qui est en jeu, cette praxis qui est, encore une fois, écoute et réponse. Dieu dit quelque chose et aussitôt on emboîte le pas, laissant tout là. On écrit, on est à la lettre i, on sonne pour l’Office, et on ne met pas le point sur le i.
On va dire que c’est de la bêtise tout ça, c’est ...?... . Non non, c’est ça ! Dieu appelle et aussitôt on répond. Voir si le novice est ainsi, ou bien si le novice, il lambine. Oui oui, je vais le faire et dix minutes après il n’a pas encore commencé à le faire. Il n’a pas compris, il ne choisit pas ; il ne sait pas écouter, il ne sait pas répondre.
Et à la fin, comme dit Saint Benoît, les opprobria, 58,17. Les opprobria, c’est traduit ici par les humiliations. Dans le fond, les opprobria, ce sont les choses qui ne sont pas agréables, ce n’est pas nécessairement les humiliations. Il ne faut pas penser qu’on va écraser le novice pour voir ce qu’il a dans le coeur. Non non non non, ce sont les choses toutes ordinaires de la vie mais qui sont contraires et qui nous rebutent ; et puis en temps normal, on serait passé à côté !
Eh bien, il faut savoir si là aussi le novice choisit et s’il est décidé à passer à travers tout. S’il est décidé à passer à travers tout, alors c’est bien. Vous voyez que chaque fois il y a un choix. Il ne faut pas qu’on soit ambivalent, non, il faut choisir une fois pour toute.
Si bien, mes frères, que comme vous l’avez vu, la sollicitudo de Saint Benoît, dans le fond, conduit à ce que disait l’Apôtre Paul : Choisir Dieu contre le rien, unifie la personne et la transfigure. Et on entre dans la paix, on ne se fait plus de souci de rien parce que tout au long de sa vie, on a le souci de toujours choisir Dieu contre ce qui n’est pas Dieu.
Frères et sœurs,
Un couple de jeunes mariés entre dans le temple. Elle porte un bébé de six semaines et lui porte deux petites colombes. On les regarde avec sympathie ou avec indifférence. Un homme pourtant, un homme pas comme les autres les a aperçus. Il se produit en lui comme un signal : pas de doute, c’est eux, c’est Lui. Il les reconnaît.
Il les reconnaît car il les connaît depuis toujours, il les attend depuis toujours. C’est l’heure, c’est la minute tant espérée, tant attendue des années, des années à n’en pas finir. Mais il savait que le jour se lèverait et, c’était le jour d’aujourd’hui.
Sommes-nous, frères et sœurs, à l’exemple de Siméon, des hommes, des femmes de l’espérance et de l’attente ? Tout de suite, brisons nos ...?... , grisons-nous de vitesse, tout de suite. Et on se retrouve avec du vent, avec rien, avec un arrière goût de mort. Tel est le drame de notre ...?... ...?... .
Sommes-nous dans notre monastère des hommes d’espérance et d’attente ? Espérer quoi ? Attendre quoi ? Attendre qui ? Il n’est pour le moine qu’une seule attente au cœur : attendre l’arrivée, le surgissement, l’apparition du Seigneur Jésus dans son insignifiance d’enfant et dans sa beauté de ressuscité. Alors on sait que la mort peut survenir, elle est dépassée chez les ...?... .
Frères et sœurs, le cœur de la vie monastique, et je dirais, même le cœur de la vie chrétienne est cette inlassable attente. Cette attente qui est une folle espérance ne peut jamais être déçue. Elle ne l’est jamais.
Mais voilà, attendre, attendre vraiment, c’est d’abord se débarrasser de tout ; c’est ne plus rien avoir, rien en soi, rien autour de soi ; c’est vivre suspendu dans le vide. Omnino nihil, dit Saint Benoît 43,48 et 72,14, absolument rien !
Une telle attente ne serait pas possible si on ne retenait pas déjà dans l’ombre ce qu’on attend. L’Esprit Saint remodèle le cœur, il prépare les yeux, il guide doucement vers l’heure, vers la minute de la découverte et de la rencontre.
Le moine est un Siméon. Il doit le devenir toujours mieux et inlassablement le rester. Puisse la flamme de l’espérance s’allumer en nous, nous consumer, nous purifier et nous transfigurer sans mesure !
Amen.
Mes frères,
Nous écoutons le soir à la Lecture de Complies des extraits d’un livre du Père Mata El-Maskine, Igoumène du monastère de Saint Macaire dans le désert de Scété. Et il a eu une parole, étrange, mystérieuse et redoutable qui pourrait peut-être soutenir notre méditation en ce jour de récollection. Et cette parole, la voici :
Le premier des commandements dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit » et le second : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». L’Ecriture affirme ici que le second commandement découle du premier, c’est de lui qu’il procède. Et le second sans le premier n’aurait aucune valeur et serait même proche du péché.
Et voilà l’incise étrange : il serait même proche du péché ! Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela ne semble pas avoir de sens et pourtant c’est une vérité élémentaire.
Etre possédé dans toutes les composantes de son être par l’amour de Dieu, par l’amour qui est Dieu, par l’amour auquel on s’est totalement abandonné, c’est la condition indispensable pour que l’amour du prochain soit réel, qu’il soit valable et qu’il ne soit pas un péché.
Pour comprendre, dissocions les deux commandements et restons-en au second. Nous devons aimer notre prochain comme nous-mêmes. Il n’y a donc pas de distinction entre le prochain et moi. C’est d’un seul et même amour que je dois aimer l’autre comme je m’aime moi-même. C’est une équation parfaite, tu aimeras ton prochain comme toi-même.
Mais remarquons de suite le piège. Si je m’aime, moi, de façon égoïste, si je recherche mes intérêts, si je poursuis mon profit, je vais fatalement en aimant l’autre l’entraîner dans mes propres ténèbres et dans ma prison.
Si bien que mon amour de l’autre sera pernicieux, il sera source de mort pour l’autre et il ne méritera même pas le nom d’amour. Il sera un péché. C’est très très sérieux ! Et en même temps, c’est extrêmement beau !
Je vais vous donner un exemple concret. C’est en marge naturellement de ce que nous voyons maintenant, mais il est tout de même éclairant.
Il y a aujourd’hui dans la société, dans le monde de la médecine, dans le monde des juristes, un débat de plus en plus poussé au sujet de l’euthanasie. Et dernièrement, le législateur Hollandais a décidé officiellement que sous certaines conditions l’euthanasie perdrait son caractère délictueux. On a même tout récemment passé à la TV un film documentaire tourné en Hollande où on voit l’évolution d’une personne malade jusqu’au moment où le médecin lui donne la mort par une piqûre.
En fait, comme on a dit, l’euthanasie se passe en trois étapes. Il y a trois piqûres : une première pour endormir la personne, une seconde pour insensibiliser, et la troisième qui est une piqûre de curare. C’est la paralysie générale, la personne étouffe et meurt.
Voyez un peu ! On passe ça ! On n’a pas passé les deux dernières piqûres, mais seulement la première. Et on passe ça à la TV aujourd’hui !
Maintenant, les Organisations de la laïcité - ils font abstraction de Dieu, Dieu est une hypothèse dont on ne doit pas tenir compte - ils organisent des réunions, des congrès, etc, pour y défendre leur principe de l’euthanasie. Et leur argument est le suivant :
Une personne qui est au stade terminal de son existence et qui souffre terriblement, elle demande, elle supplie qu’on abrège ses jours, qu’on lui donne la mort. Elle le demande. L’entourage est là et est impuissant. Le médecin est là et reçoit ses appels.
Et on dit : ce sont des appels au secours, il faut hâter la mort. Et on doit donc la hâter par compassion pour la personne. C’est un acte de compassion, finalement c’est un acte d’amour qu’on pose envers cette personne en lui donnant la mort.
Vous voyez, mes frères, un cas ici bien précis d’un amour qui est un péché. C’est pour donner une illustration naturellement, c’est un cas tout à fait extrême, et encore, c’est dans un univers de personnes qui font abstraction de Dieu. Voyez, c’est par pure compassion, par pure sympathie qu’on donnerait la mort.
Maintenant, la situation de l’autre qui est aimé de manière proche du péché, c’est une situation plus fréquente qu’on ne le pense - je reviens maintenant dans l’univers chrétien, dans l’univers monastique - et nous devons nous tenir sur nos gardes.
Si j’aime Dieu de toutes les fibres de mon être - il est bien dit « tu l’aimeras de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton esprit, de toutes tes forces » - à ce moment-là, si Dieu est l’alpha et l’omega de ma vie, de mes pensées et de mon agir, si je suis unis ainsi à l’amour que Dieu est, je deviens moi-même amour. Il ne peut pas en être autrement. Je deviens un seul esprit avec le Christ qui est pour nous apparition de l’amour qui est Dieu.
Et alors, j’ai pour moi personnellement un amour vrai, un amour juste, un amour saint, un amour qui m’immerge entièrement en Dieu et me permet de m’accomplir dans mon humanité promise à la participation du Messie qui est celle même de Dieu. Donc si j’aime Dieu de tout mon être, je vais devenir moi-même amour parce que je vais participer de plus en plus intimement à la vie de Dieu qui est amour.
Alors, quand j’aime mon prochain comme moi-même, je l’entraîne avec moi dans l’amour qui est Dieu. C’est exactement la position inverse de tout à l’heure. Au lieu de l’entraîner dans la prison des ténèbres qu’est la mienne, je l’entraîne dans la lumière qui est Dieu, cette lumière où je suis.
Donc, à ce moment-là, le frère et moi nous devenons un dans l’amour, un en Dieu, un dans la lumière - c’est ce que le Christ a demandé - et nous accomplissons ensemble notre destinée d’enfant de Dieu.
Mes frères, soyons réalistes ! Notre amour du prochain n’aura jamais cette qualité parfaite aussi longtemps que nous serons ici sur terre à cause des séquelles du péché, même du péché qui nous habite. Tous les jours, au seuil de l’Eucharistie, nous reconnaissons que malgré toute notre bonne volonté, nous sommes encore toujours des pécheurs, nous avons encore trébuché, nous avons encore fait le mal.
Il y a donc là cette faiblesse, cette blessure qui y sera toujours et qui ne me permettra pas d’aimer Dieu parfaitement, et alors d’aimer mon frère parfaitement en m’aimant moi-même parfaitement. Mais nous devons tendre vers cet idéal en prenant comme nourriture la volonté de Dieu. Nous nourrir de la volonté de Dieu quel qu’elle soit jour après jour. Et ainsi insensiblement, nous sommes métamorphosés en amour et le péché s’éloigne de nous. Même s’il ne disparaît pas entièrement, il s’éloigne tout de même de nous.
Alors l’amour de Dieu - l’amour que je porte à Dieu - et l’amour du prochain - l’amour que je porte à mon frère - ne font plus qu’un, ne font plus qu’un. Je m’aime moi-même comme Dieu m’aime. Et en m’aimant moi-même comme Dieu m’aime, j’aime mon prochain comme Dieu l’aime et nous sommes tous entraînés dans cette lumière qui est Dieu.
Par contre, si je me renferme dans mon égoïsme, à ce moment-là en aimant mon frère comme moi-même, je l’entraîne avec moi dans le malheur. C’est ça que veut dire ici le Père Matta El-Maskine. Et je pense que ça vaut la peine d’être souligné.
Maintenant, les premiers cisterciens voulaient faire de leur monastère une schola caritatis, une école où on apprend l’art de l’amour, l’art de la charité. C’était ça qu’ils voulaient dire : que nous devons apprendre, nous éduquer les uns les autres, nous aider les uns les autres à aimer Dieu de tout notre être.
Et ainsi, en aimant Dieu ainsi, nous nous aimons, nous, tels que Dieu veut que nous nous aimions. Et en aimant notre prochain comme nous-mêmes, nous l’emportons avec nous dans la lumière qui est Dieu. Et c’est ce que nous devons apprendre au monastère.
Ce n’est pas facile ! C’est la chose la plus difficile qu’il soit parce que mourir à son égoïsme, c’est mourir à soi et, mourir à soi est toujours difficile. On répugne à cela. On préfère autre chose. Mais au-delà de cette mort qui n’est pas une mort psychologique, au-delà de ce renoncement qui nous arrache à notre être, il y a la VIE.
Voilà, mes frères, à l’occasion de cette récollection, aidons-nous dans ce travail. Ne soyons pas des obstacles pour les autres, mais plutôt des aides, des adjuvants, des soutiens. Saint Benoît parle d’une militia, donc d’un corps d’armée où nous nous tenons, nous nous serrons les coudes. Et ainsi nous arriverons à ce que Dieu désire faire de nous et de notre communauté.
Etre vide pour Dieu.
Mes frères,
Si dans l'idée de Saint Benoît il s'agit de défendre à sa langue de parler, c'est que le silence ne va pas de soi. Le terme qu'il utilise est prohibere, 7,151, ce qui signifie interdire, empêcher. Rappelez-vous - du moins les anciens ont connu cela - la loi de prohibition aux Etats-Unis. C'était avant la guerre de 40. Il n'y avait pas à discuter, c'était interdit. C'est prohibé donc !
Et remarquons aussi qu'il y a ici deux acteurs qui sont en jeu : le moine et sa langue. Le 9°degré fait que le moine défend à sa langue, 7,151. Il y a donc le moine et sa langue. En théorie, le moine est maître de sa langue puisque la langue est un organe du corps. Mais dans la pratique, c'est bien plus souvent la langue qui est maîtresse du moine.
Il s'agit donc de rétablir l'ordre naturel et de le maintenir. Et c'est là une entreprise qui dépasse, et de loin, les capacités d'un homme qui est entortillé dans le péché comme dans un filet. Il faut donc que la grâce de Dieu intervienne et c'est cela l'objet du 9° degré d'humilité.
Quand on parle d'humilité, il faut toujours contempler la grâce de Dieu qui agit dans le coeur d'un homme. Il est impossible de gravir cette échelle à la force des poignets ou à la force des mollets. Il est impossible de défendre à sa langue de parler si on ne reçoit pas de Dieu la force de porter cette défense. Sinon, qu'arriverait-il ?
Et bien, on ferait du refoulement. Et en refoulant et refoulant, on accumulerait des détonateurs qui un jour exploseraient en nous rendant malades, déséquilibrés. Il faut donc que cette maîtrise de la langue soit le fruit d'une grâce que l'on reçoit peu à peu au fur et à mesure que le cœur se purifie.
Et Saint Benoît, lui, ici, il monte directement à la perfection. Donc, il nous projette là sur des sommets que nous n'avons pas encore atteints mais qui nous sont proposés et que en espérance déjà nous possédons. Le moine, ici, attend qu'on l'interroge et qu'on lui demande son avis, sinon il ne dit rien.
Et on est renvoyé ici par Saint Benoît au début de la Règle, au Chapitre troisième, où il parle de la consultation des frères. Le moine attend que l'Abbé réunisse le Chapitre et consulte les frères.
Ou bien alors, on est renvoyé à une relation fraternelle personnelle. Un frère a posé une question, demandé un renseignement, sollicité une prière, demandé un conseil, voilà. Mais on ne va de façon indiscrète provoquer le frère.
Et remarquons une chose, c'est que Saint Benoît va à l'encontre de la mentalité contemporaine. Et on pourrait se demander si la vie monastique est encore d'actualité aujourd'hui ?
La vie monastique va certainement, certainement contre une mentalité courante aujourd'hui dans le monde. Mais comme nous sommes, nous venons du monde, mais nous arrivons dans le monastère avec cette mentalité. Il n'y a rien à faire. Elle passe même au-dessus des clôtures, elle traverse les murailles. Et voilà, on est emporté là où peut-être on ne voudrait jamais aller.
Et cette mentalité contemporaine, en quoi consiste-t-elle ? Eh bien, - et c'est la même chose dans les monastères - on veut être celui qui est au courant de tout. On veut savoir tout ce qui se passe, on veut donner son avis sur tout. C'est comme ça dans le monde ! Et demandons-nous si ce n'est pas un peu aussi comme ça dans le monastère ? Car je vous le dis, ces courants traverses les murs. C'est comme des rayons ou des ondes, des ondes radiophoniques ou des ondes de télévision qui passent à travers tout.
Et dans un monastère, maintenant l'Abbé ? Eh bien, l'Abbé qui ne se plie pas à ces exigences, il risque de passer pour un autocrate. Il sait tout, il ne demande rien à personne. On ne sait pas bien ce qu'il va faire, on ne sait pas ! Même s'il est très ouvert, même s'il est transparent, il est un autocrate, un despote. Et pour un peu, on le soupçonnerait de ne pas faire confiance aux frères, de mépriser la communauté.
C'est comme ça ! Nous sommes victimes d'un courant qui est le courant d'aujourd'hui. Nous vivons dans une démocratie de plus en plus virulente. Il y a les partis, il y a les syndicats, il y a les conseils d'entreprise, les comités de sécurité et d'hygiène. Tout le monde doit être informé de tout.
Mais est-ce que ce doit être comme ça dans un monastère ? Et Saint Benoît, lui, il dit non ! Pour Saint Benoît, le moine, il va à l'essentiel qui est la communion avec Dieu. Et il est heureux d'être soulagé d'une foule de soucis qui sont pris en charge par d'autres.
Et alors, faisant confiance à l'Abbé, faisant confiance aux chefs d'emplois, il a tout le loisir de vacare Deo, donc d'être vide de tout ça pour Dieu, d'être disponible pour Dieu, d'être libre pour Dieu.
Vous sentez que ce besoin de savoir tout ce qui se passe, de donner son avis sur tout, c'est lié à la curiosité. C'est le premier degré de l'orgueil, selon Saint Bernard. Mais si on est curieux, on est encombré. Et si on est encombré, on finit par étouffer. Et la place de Dieu là dedans ? Elle peut être très petite !
Mais moi, je comprends très très très bien. D'ailleurs je peux le dire en toute sincérité, à l'époque où j'étais dans le commun des moines, il y en avait beaucoup plus. Imaginez quand il y a septante moines et qu'on était jeune. Mais l'essentiel était: mais que faut-il faire pour chercher Dieu et pour le trouver ?
Alors, toutes ces choses-là ? Non, on n'a pas besoin de ça, ne pas s'encombrer l'imagination, ni le cœur, ni rien. Etre vide pour Dieu.
Eh bien, c'est ce que Saint Benoît ici nous propose au neuvième degré d'humilité. Il sait très bien, Saint Benoît, que aller trop loin dans les paroles, intervenir de manière intempestive, c'est inévitablement tomber dans le péché.
Et le péché, c'est peut-être quelque chose de tout à fait simple, mais essentiellement c'est se détourner de Dieu. C'est ça le péché ! C'est se choisir à la place de Dieu. Et je vous assure qu'on peut glisser très vite quand il y a un mauvais usage de la parole. Non pas qu'on raconterait des choses contre le prochain, médisances etc ? Non, c'est moins que ça, c'est simplement le fait qu'on s'encombre. On s'encombre et finalement il n'y a plus de place pour Dieu dans le coeur.
Oui, comme je le disais, ça détourne du but qui est de trouver Dieu, ça fait perdre la paix, ça encombre le cœur, si bien que finalement on n'est jamais content. On n'est pas content. C'est comme une sorte d'intoxication. On est intoxiqué de nouvelles, on est intoxiqué d'informations, on est intoxiqué de paroles. Non, ça ne va plus !
Saint Benoît dit : Attention ! Attention, ça ne va plus parce que, dit-il, en plus le bavard ne marche pas droit sur la terre. Finalement il n'est plus orienté et il est comme un homme qui ne marche pas droit. Mais encore une fois, reconnaissons-le, c'est notre état naturel. Nous sommes comme ça surtout, surtout aujourd'hui.
Alors, il faut avec Saint Benoît espérer arriver au neuvième degré d'humilité. Et pour ça, il faut s'ouvrir, il faut apprendre, il faut le souhaiter, il faut espérer. Alors quand Dieu voit de telles dispositions dans le coeur de l'homme, eh bien il agit pour le dégager de tout et faire qu'il peut enfin goûter la paix de cette vacatio, de pouvoir être libre, vide pour Dieu qui ne demande alors qu'une chose, d'emplir ce coeur, de le purifier, et faire qu'on entre alors dans la société des saints, dans la communion des saints. On a déjà un pied dans la filiation nouvelle.
Voilà, mes frères, demandons si vous le voulez bien cette grâce les uns pour les autres car je vous assure qu'elle est très belle.
Mes frères,
Nous avons entendu, avant hier, Saint Benoît nous parler de la parole que nous devons maîtriser et, aujourd'hui, il nous parle du rire qu'il faut exclure. C'est assez raide !
Il colle au rire une qualification qui n'est pas des plus relevée : stultus, 7,158. Il l'appelle le sot, celui qui n'a pas de tête, celui qui a un cerveau vide. Et celui-là, quand il rit, il élève la voix. Il s'agit du rire bruyant.
Et le rire bruyant, reconnaissons-le, quand il ne vient pas de nous et que nous l'entendons d'un autre, il énerve, il dérange, il irrite et il imprime sur le coupable une tache infamante au dire de Saint Benoît. Celui-là, ce moine-là, c'est un stultus.
Et ailleurs dans sa Règle, Saint Benoît n'est pas tendre. Il est plus sévère encore. Il dit par exemple qu'il ne faut pas dire des paroles vaines ou qui portent à rire, de ne point aimer le rire trop fréquent ou aux éclats, 6,20. Donc pour lui, pas question dans le monastère de blagues ou de bouffonneries.
Il faut bien comprendre cela. Le moine est un homme qui a quitté le monde pour venir chez Dieu, dans sa maison, et vivre en sa présence. Donc la retenue dans le rire est donc tout simplement une question de savoir vivre. On ne rit pas aux éclats devant Dieu, on sait se tenir parce que on a conscience qu'on n'est pas chez soi mais qu'on vit en présence de Dieu et de ses saints.
Lorsque Saint Benoît prescrit comme ça quelque chose, ce n'est jamais dans le vide. Saint Benoît n'est pas un homme énervé, il n'est pas un homme complexé. Non, c'est un saint. Il est parvenu à l'apatheia. Cela veut dire qu'il a maîtrisé ses passions ou plutôt, qu'il a permis à la grâce de rétablir l'ordre à l'intérieur de son être.
Donc, lorsqu'il dit quelque chose, ça ne vient pas de lui, ça vient de l'Esprit qui l'habite et qui veut indiquer au moine la route qu'il faut suivre pour que sa vocation extraordinaire puisse se réaliser pleinement.
Il dit aussi, nous l'avons vu qu'il ne faut pas aimer rire aux éclats. Le rire est un réflexe et Saint Benoît ne l'ignore pas. Le rire est le propre de l'homme, les animaux ne rient pas. Un nouveau né de quelques heures commence déjà à sourire. J'ai vu il n'y a pas tellement longtemps une petite fille de deux jours, eh bien, elle souriait. C'est quelque chose de très naturel chez l'homme.
Mais il ne faut pas que ça devienne quelque chose presque pathologique. Il y en a qui rie, et le rire peut être une défense, ou il peut être un voile. Le rire peut dissimuler une tristesse. Disons que c'est encore un rire excusable car alors ce ne sera pas un rire aux éclats.
Mais voilà, Saint Benoît ne bannit pas le rire normal. Ce qu'il bannit, c'est le rire mauvais, le rire sarcastique, le rire sensuel, le rire qui fait mal, le rire grossier. Le grossier avilit l'homme. Et c'est pour ça que Saint Benoît dit qu'il ne faut pas de bouffonneries ni de blagues dans un monastère.
Mais si on voit un frère qui, il y en a parfois qui commet une erreur, une chose un peu bizarre, et qu'on vient à rire, ce n'est même pas contre la charité. Non, c'est un réflexe. Mais il ne faut pas que à partir de là, ça devienne quelque chose qui avilisse le frère, qui l'humilie, qui le rende malheureux.
Alors, à un autre endroit, c'est au Chapitre 6°, Saint Benoît dit ceci. C'est ici qu'il est le plus sévère et le plus intransigeant. Il parle de la retenue dans les paroles : quant aux bouffonneries, aux paroles oiseuses ou qui portent à rire, nous les bannissons pour jamais et en tout lieu, et nous ne permettons pas aux disciples d'ouvrir la bouche pour de tels propos. 6,20.
C'est un des endroits de la Règle où Saint Benoît est le plus dur, le plus sévère. Non permittimus, vraiment il est arrivé à son paroxysme, ici, nous ne permettons pas. Il n'y a rien à faire, nous ne permettons pas ! Non, pas de paroles qui portent à rire. C'est, il dit ceci, aeterna clusura damnamus, 6,21. c'est terrible, c'est un anathème. Et ceci pour toujours et en tout lieu. Il n'y a aucune exception, aucune aucune, aeterna clusura, pour jamais.
Pourquoi cette sévérité ? Mais c'est parce que de telles paroles jettent le moine hors de la route qui conduit à Dieu. Elles le débauchent, comme on dirait. C'est comme si on va sur un chantier pour débaucher les ouvriers, les arracher à leur patron en leur offrant toutes sortes d'avantages supplémentaires pour mettre le patron en difficulté.
C'est dans ce sens-là que Saint Benoît l'utilise ici. Elles le mettent hors de la route qui mène à Dieu. Et puis, plus que ça, elles incurvent sa route vers le monde. Elles le ramènent à l'endroit d'où il était parti. Oui. Et finalement dans ces conditions-là, la vie monastique ne serait plus prise au sérieux. Voilà le résultat de belles paroles.
Il y a une vertu que les philosophes grecs ont bien mis en valeur. C'est pas facile de traduire du grec en français. C'est une sorte de manière de mettre les autres à l'aise par des paroles affables, par des paroles qui peuvent mettre en évidence le côté humoristique des choses, des paroles qui font que la vie en société devient agréable.
Voilà, ça c'est une vertu humaine, c'est une vertu monastique, c'est une vertu qui peut créer une ambiance chaleureuse à l'intérieur d'une communauté. Mais, ça n'a rien à voir avec les paroles bouffonnes, dire des blagues ; ça, non !
Voilà, mes frères, restons-en là pour ce soir, si vous le voulez bien.
Mes frères,
A travers ce que Saint Benoît nous dit du rire, du rire déplacé bien entendu, du rire qui est comme le symptôme d'un péché qui ronge le coeur, nous comprenons qu'à partir d'un tel rire que Saint Benoît prohibe absolument, il voit la vie monastique comme quelque chose de grave et de sérieux.
La vie monastique n'est pas un jeu. Elle engage non seulement le moine mais aussi le corps entier du monastère et même l'Eglise. Ce que nous faisons dans notre solitude a des répercussions qui s'étendent très loin dans l'espace et dans le temps et, il sera un jour réclamé des comptes à chacun d'entre nous.
Nous avons reçu une mission, une mission d'une utilité extraordinaire, disons, qui nous dépasse. Nous devons ouvrir notre coeur à la grâce de l'Esprit Saint qui nous permettra de nous en acquitter malgré notre faiblesse et peut-être même à cause de notre faiblesse. Car c'est dans la faiblesse que la puissance de Dieu peut se déployer librement.
La vie monastique est présence de la création nouvelle dont l'atmosphère est l'amour. On n'est pas dans le monastère pour veiller égoïstement au Salut de son âme. A la rigueur je dirais même que nous ne devons pas avoir peur de perdre notre âme dans le monastère si c'était à cette condition que ne fut-ce qu'un seul homme puisse être sauvé, c'est à dire puisse entrer dans cette création nouvelle.
Le moine n'est pas un être parfait, loin de là ! C'est peut-être un des plus grand pécheur qui soit ? Et il en prend conscience au fur et à mesure qu'il avance sur la route de Dieu. Et quand il se trouve devant la porte du Royaume où il n'y a plus que de l'Amour, c'est seulement alors qu'il sait combien il est pécheur et que perdre son âme, comme le Christ nous l'a dit, en cette vie c'est la garder pour la création nouvelle.
C'est dans ce sens-là que je disais qu'il ne faut pas craindre de perdre son âme dans le monastère, de perdre sa vie.
Maintenant, ça ne veut pas dire que les moines doivent être des hommes guindés, des hommes crispés, des hommes tendus, des hommes solennels, des hommes qui ont un personnage à parfaire. Non, il y a place dans le monastère pour le rire. Ce que Saint Benoît bannit, c'est le rire détestable, le rire blessant, le rire qui humilie, le rire qui avilit. Il n'y a rien de plus méchant, oui, et de plus destructeur que de rire des autres.
Certes, on peut se trouver devant une situation cocasse et un rire s'échappe. Ce n'est pas de ce rire-là que je parle, mais du rire méchant. Demandons à Dieu qu'il ne pénètre jamais à l'intérieur de notre communauté.
Saint Benoît était un saint et, comme tous les véritables saints, il avait le sens de l'humour ; et ça, c'est une certitude. Il avait donc aussi le sens du véritable rire. D'ailleurs il le dit à mots couverts quelque part lorsqu'il dit :"hilarem datarem diligit Deus, 5,36. c'est que Dieu aime celui qui donne avec joie. Mais non, le texte de la Règle ne voulait pas dire ça, mais bien celui qui au moment où il donne a un visage éclairé par un sourire de contentement, un sourire de joie, de joie profonde, ou même d'un petit rire.
Le rire que certainement Saint Benoît accepte et même encourage dans son monastère, c'est le rire de l'enfant, du petit enfant que le moine doit redevenir, du petit enfant qui a déjà un pied à l'intérieur du Royaume de Dieu. Car encore une fois le Christ nous a avertis : "Si vous ne devenez pas comme un petit enfant, vous n'entrerez pas dans le Royaume de Dieu". Et ça, il n'y a rien à faire ! Il s'agit bien sûr de l'enfance spirituelle, de l'enfance en esprit, de l'enfance en Dieu. Mais cela doit se traduire à l'extérieur par une liberté, une spontanéité.
Regardons ce que le Christ dit dans les Béatitudes : "Malheur à vous qui riez maintenant, un jour vous pleurerez ! ". C'est le rire qui ferme les hommes sur eux-mêmes, un rire qui est autodestructeur. C'est ce rire, voilà, pernicieux, délétère, destructeur dont parle Saint Benoît. C'est celui-là qu'il veut interdire seulement. Et la récompense de ce rire, eh bien, ce sera les pleurs par après.
Le Christ dit aussi : "Heureux vous qui pleurez maintenant, un jour viendra où vous rirez !". C'est cela le pauvre, le petit, l'humilié, celui qui pleure parce que c'est trop lourd, qu'il a trop à souffrir. Eh bien celui-là, tout simplement il s'abandonne à Dieu, il ne se révolte pas, il suit le Christ jusqu'au bout. Alors, il rira !
Eh bien, ce ne sera pas un rire vengeur, pour se moquer des autres. Non, ce sera le rire de contentement, le rire de la joie, le rire un peu qui doit fleurir dans le coeur de Dieu lorsque il regarde sa création et dit :" C'est vraiment très bien ce que j'ai fait !".
Voilà, mes frères, je pense que ainsi nous avons fait le tour de la question. Vous savez, ce sont des méditations que l'on pourrait suivre sans fin car il arrive toujours de nouvelles idées, de nouvelles intuitions.
Mais au 9° degré d'humilité, on peut voir, on peut dire que le moine est un homme heureux, un homme libre, un homme décontracté, un homme formé. Il est donc un homme souriant. Il a le sourire parce que il a pris la mesure des choses, sa propre mesure à lui, la mesure de l'homme comme tel et, il regarde avec le regard même de Dieu. C'est un regard de compassion, de douceur et d'amour.
A ce dixième degré, il est tout proche. Il est conscient déjà qu'il est pécheur, mais il est accueilli dans la miséricorde de Dieu. Et cette miséricorde, il la rayonne aimablement.
Mes frères,
Pour Saint Benoît, la vie monastique est quelque chose d'extrêmement sérieux. Il était pénétré de réalités qui nous échappent peut-être parce que avec le progrès des techniques, de la science, de l'informatique, nous sommes devenus trop, oserais-je dire, matérialiste ; peut-être bien en ce sens que nous nous attachons trop à ce que la matière peut nous apporter pour nous rendre la vie plus agréable, plus facile, plus fructueuse aussi. Et alors, nous perdons de vue des réalités qui sont plus réelles que le réel artificiel et qui peuplent l'univers de notre Dieu.
Mais pour Saint Benoît, ce n'était pas ainsi, et pour ses prédécesseurs encore moins. A travers l'univers matériel, ils voyaient vraiment la présence et l'action du Dieu Créateur, c'est à dire du Père qui crée le cosmos et qui le transfigure par l’intermédiaire de son Fils, le Verbe qui est devenu chair et matière dans la personne du Seigneur Jésus.
Et l'Apôtre qui adresse aux Ephésiens une lettre très belle nous dit que Dieu le Père nous a ressuscités avec le Christ et qu'il nous a fait siéger avec lui au plus haut des cieux. C'est cela, mes frères, la quintessence de la vie chrétienne et donc de la vie monastique.
Est-ce que c'est vraiment là le ressort de notre vie ? le moteur de notre vie ? Est-ce que nous avons conscience d'être ressuscités avec le Christ et de siéger avec lui dans les cieux ? Reconnaissons que nous n'en avons pas suffisamment conscience.
Et c'est la raison pour laquelle nous nous laissons si facilement encore entraîner en dehors de ce réel divin qui est pourtant le lieu de notre naissance et le lieu de ce que j'appellerais notre avenir. Mais à la limite, il est déjà présent : c'est maintenant que nous siégeons avec le Christ au plus haut des cieux.
Cela veut dire que nous sommes les maîtres du monde. Nous n'avons pas à nous laisser écraser par lui, non, nous en sommes ses maîtres, nous en sommes les régents. Vous allez vous demander : mais comment ?
Encore une fois, ne nous arrêtons pas à tous ces événements qui nous sont rapportés tous les jours. Voyons plus loin et voyons plus haut. Nous sommes assis, voilà, au plus haut des cieux à côté du Fils, à côté de Dieu le Père. Cela ne veut pas dire que de là nous dominions les choses de haut et que ces choses ne nous concernent pas. Mais nous sommes à la source de tout et nous sommes à l'aboutissement de tout. A partir de là, nous savons que Dieu ...... ...... ...... devenir tout en toutes choses ...... ...... ...... ...... .
Si bien que nous pouvons admirer son apparente faiblesse qui est en réalité le sommet de sa puissance qui agit à travers toutes les choses, à travers toutes les personnes - et à leur insu pour la plupart d'entre elles - et qui les conduit à leur pleine réalisation qui est d'être totalement .divinisée.
Mes frères, c'est là, je le répète, la vie monastique dans sa beauté ! Mais maintenant comment, comment cela va-t-il se réaliser concrètement pour nous ici ?
Eh bien, Saint Benoît encore une fois nous ouvre la route. Il nous dit qu'il nous suffit d'accueillir en nous la volonté de Dieu et de la laisser nous transformer. C'est à dire accueillir cette volonté et puis la suivre, la laisser agir en nous. A partir de ce moment-là, tout le reste se fait tout seul.
Un petit enfant qui est encore dans le ventre de sa mère, il ne se pose pas de questions. Il grandit, il est formé, il se fait tout seul. La mère n'a rien à faire qu'à bien s'alimenter, ne pas commettre d'imprudences et puis se laisser vivre la conscience dans la paix en faisant bien ce qu'elle doit faire. Eh bien, tout va se réaliser et le moment venu, le petit enfant est là.
Et au plan surnaturel, c'est exactement la même chose pour nous. Si nous vivons à l'intérieur de Dieu - Saint Paul nous le dit : nous sommes déjà ressuscités - vivant à l'intérieur de Dieu, en faisant sa volonté, en nous nourrissant de la volonté de notre Dieu qui est Amour, eh bien, nous devenons à sa ressemblance. Nous devenons nous-mêmes des êtres qui sont tout à fait amour.
Ce n'est pas plus difficile que cela ! C'est la raison pour laquelle nous sommes ici. Mais alors, pourquoi, pourquoi nous encombrer de tant et tant de choses?
On nous raconte l'histoire de Sainte Claire d'Assise. Son propos était le privilège de la pauvreté. Elle ne voulait rien posséder, rien pour ses sœurs, mais rien. L'endroit où elles habitaient ne leur appartenait pas. Si elles savaient travailler de leurs mains, elles travaillaient, elles faisaient différentes choses.
Eh bien, elles les donnaient ou bien elles les vendaient. mais le produit de la vente était encore pour être donné. Elles vivaient de la charité des gens qui leur apportaient le nécessaire.
Ce n'est plus réalisable aujourd'hui. Aujourd'hui, on aurait les gendarmes qui viendraient voir ce qui se passent et qui nous mettraient au pas. Mais tout de même, au plan mystique, au plan de la réalité, c'est encore toujours comme ça que ça doit se passer au plus intime de nous et dans notre conscience collective aussi.
C'est à dire que nous sommes à un point extrême de pauvreté et il nous suffit de tout accueillir sans vouloir nous dépenser inutilement et disperser nos énergies. Nos énergies sont toutes concentrées dans l'accueil, dans l'écoute, et puis de suivre tout bonnement ce que Dieu nous demande.
Voilà, mes frères, je voulais encore dire autre chose mais nous le laisserons pour une autre occasion. Mais que dans ces quelques minutes passées ensemble, eh bien, nous nous encourageons à nous nourrir de la volonté de Dieu et, à prendre conscience que nous sommes là auprès du Christ et auprès de Dieu notre Père qui nous ouvrent les cieux.
Mes frères,
Je vais conclure ce que je vous ai rappelé hier. Nous avons d'abord bien senti que notre vie chrétienne, et à plus forte raison notre vie monastique, ne pouvait pas être la copie plus ou moins conforme de la vie et des mœurs du Seigneur Jésus.
Cette imitation - je ne pense pas ici au Livre de l'Imitation de Jésus-Christ, non - mais prendre le Christ pour modèle et essayer d'y conformer sa vie concrète, c'est très beau, c'est très habile mais c'est, reconnaissons-le, tout à fait hors de portée des forces humaines.
On peut le faire quelques heures, quelques jours, mais pas à longueur de vie. S'y lancer serait une tentative un peu - comment dirais-je ? - que j'oserais dire diabolique. Oui, en ce sens que ce serait partir quand même à la force du poignet et essayer d'escalader les cieux.
Non, c'est infiniment plus simple. Et au lieu de se fatiguer et d'aboutir dans une impasse, ça détend tout l'être, ça le comble de paix et de joie. Il suffit tout simplement de laisser travailler en nous les énergies de la résurrection.
Comme l'Apôtre nous l'a précisé, Dieu nous a ressuscité avec lui et Dieu le Père nous a fait asseoir avec le Christ au plus haut des cieux. Donc, nous sommes déjà là, il faut bien le savoir. Et ça, c'est la réalité la plus intime de notre personne.
Il suffit donc de laisser agir ces énergies en nous. Et insensiblement, insensiblement nous ressuscitons même avant d'être mort. Et l'imitatio Christi, l'imitation du Christ n'est plus une copie conforme mais elle est l'accomplissement de cette autre parole de l'Apôtre qui dit : " ce n'est plus moi qui vit, c'est le Christ qui vit en moi ! "
Donc à ce moment-là, je suis extrêmement personnel. C'est bien moi, c'est pas un autre, mais tout ce que je fais, je le fais sous l'inspiration du Christ ressuscité me permettant alors d'agir sur la terre dans mon être de ressuscité.
Voilà donc le cheminement normal, la croissance normale d'un chrétien et d'un moine. Et comme je le disais hier, il faut et il suffit de rester branché sur la volonté de Dieu. Alors tout se fait tout seul, sans effort.
Et aujourd'hui, nous devons vivre cette beauté dans l'invisible de la foi parce que nos défauts sont toujours là comme un voile, et un voile protecteur car il y a toujours le danger qu'il y ait comme un sursaut de la chair et que nous nous prenions au sérieux. Oui, que nous attribuions à nous ce qui nous est donné, le cadeau, la grâce que nous recevons. Mais plus tard naturellement, au jour de la grande résurrection, ça apparaîtra au grand jour, ce sera public, ce sera transparent aux yeux de tous.
Eh bien voilà, notre vocation d'homme, de chrétien et de moine, c'est de, voilà, c'est de croire à cette beauté, de croire que notre vie s'élève jusqu'à ces sublimités qui sont vraiment au-delà de toute imagination.
Je rappelle encore ceci : le moine à ce moment-là est vraiment le maître du monde. Il est, je dirais, il est descendu au plus bas de sa faiblesse. Il n'est pas possible de descendre plus bas. Il est dans le fond. C'est cela l'humilité !
Mais à ce moment-là, il est dans la même position que le Christ crucifié, mourant sur une croix et à ce moment-là étant intronisé comme le Maître du cosmos. Donc dans sa personne d'homme, c'est au moment où Dieu est au plus faible de sa kénose qu'il étale sa puissance, mais il faut des yeux très pur pour le savoir.
Eh bien, l'humilité, c'est ça ! C'est accepter d'être tout à fait incapable en ce monde pour que la puissance de Dieu puisse se déployer librement dans la personne. Mais encore une fois, ça se passe dans l'invisible et ce n'est pas pour cela que ça va s'afficher en public. Nous sommes là vraiment aux antipodes de tout triomphalisme.
Et je vais rappeler ceci que je trouve très très très beau et qui est l'illustration parfaite de ce que je viens de dire. C'est le grand cri d'un saint, Saint Jean de la croix, qui est arrivé là-bas et qui ne peut contenir sa joie. Il dit ceci :
A moi sont les cieux, et à moi est la terre, et à moi sont les peuples.
Il est le maître du monde.
Les Justes seront à moi et à moi les pécheurs,
Il va juger le monde.
les anges sont à moi, et la Mère de Dieu est à moi, et toutes les choses sont à moi, et Dieu même est à moi et pour moi parce que le Christ est à moi et tout entier pour moi.
Il est devenu un seul être avec le Christ.
que demandes-tu et que cherches-tu donc mon âme ?
Que te faut-il de plus ?
Sors dehors et glorifie-toi en ta gloire, cache-toi en elle, ...?... ...?... et tu obtiendras ce que ton coeur demande.
C'est extraordinaire !
Eh bien ça, mes frères, c'est l'expérience qui nous est promise ! Nous devons le croire. Et quand nous commençons donc à la goûter, à la recevoir goutte à goutte, eh bien je pense, on peut se rendre témoignage que ...?... ...?.... . On a reçu ou on commence à recevoir ce pourquoi on a été appelé.
Eh bien, c'est une grâce que nous devons espérer et demander les uns pour les autres.
Mes frères,
Il y a quatre mois, j'avais épinglé à votre intention une perle cachée par Saint Benoît dans le terreau de sa Règle. Je n'ai plus eu l'occasion de vous en parler. Je vais vous en détailler la beauté. Il s'agit, vous l'avez peut-être compris, il s'agit du pardon mutuel.
Saint Benoît demande à l'Abbé de réciter, en entier, et au milieu de l'attention générale, l'oraison dominicale, à cause des épines de discorde qui ont accoutumé de se produire, 13,21. Alors il en arrive à pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons, 13,29. Et je vous disais que le pardon des offenses n'allait pas de soi. C'est un acte difficile et même très difficile. C'est à proprement parlé un acte divin.
Je ne sais pas si je vous ai dit cela, mais un grand philosophe et en même temps psychologue français enseigne que le pardon est indigne de l'homme. C'est une lâcheté. L'homme doit prendre sa revanche. Il doit faire en sorte que l'offense qu'on lui a faite soit rachetée. C'est presque œil pour œil, dent pour dent qui est une limitation du droit de vengeance. Il ne faut pas aller plus loin. Et ça, dirait-on, c'est un principe du droit naturel : l'homme doit se venger.
Je me souviens, pendant la guerre, que les allemands avaient écrit sur certains murs en grandes lettres à la chaux : la vengeance arrive ! Ils allaient prendre leur vengeance contre les bombardements qui étaient effectués sur les villes allemandes.
Oui, et cette vengeance, dans leur esprit, c'étaient les bombes volantes. Nous avons expérimenté les V1 et les V2, mais ça allait beaucoup plus loin, il y avait les bombes V3, V4, V5, V6...et la dernière étant la bombe atomique. Heureusement cela s'est terminé à temps pour nous ! Voyez la vengeance !
Le pardon est a proprement parlé un acte divin. Nous devons permettre à Dieu d'achever en nous le pardon qu'il nous a donné dans le Christ. Pour bien sentir la difficulté du pardon, rappelons-nous toujours que pour pardonner, Dieu a dû mourir sur une croix. Et la résurrection, c'est la manifestation du pardon accordé.
Mes frères, en quoi consiste le pardon ? D'abord, le Christ nous a fixé une norme. Nous devons pardonner comme Dieu nous pardonne. Plus exactement il dit que Dieu va nous pardonner comme nous pardonnons. Mais nous pouvons retourner la sentence et je le fais : nous devons pardonner comme Dieu nous pardonne.
Or, le fait équivalant - il n'y a pas de fait qui marque le pardon - c'est un pardon qui reste encore au stade humain. C'est déjà bien, c'est déjà beau, parce que déjà à ce niveau-là, c'est Dieu, c'est le Christ qui en nous exerce la puissance du pardon. Mais nous devons aller plus loin.
Nous ne devons pas pardonner comme un homme habité par le Christ pardonne, mais comme Dieu lui-même pardonne. Il faudra que nous réfléchissions à cette façon de pardonner qui est celle de Dieu. Nous devons laisser le pardon de Dieu affluer en nous et se répandre à flots sur les autres.
Tous les jours, au début de l'Eucharistie, nous nous reconnaissons pécheurs et nous implorons le pardon de Dieu sur nous. Chacun le fait pour son compte et l'assemblée le fait pour elle en tant qu'Eglise.
Mais nous devons aussi à ce moment-là aussi dans notre coeur penser aux autres, à ce qu'ils nous ont fait, à ce que nous leur faisons. Et puis, que le pardon aussi recouvre tout le monde, qu'il y ait comme un réseau de pardon qui se tisse entre nous comme un filet de pardon.
Et ainsi, nous sommes devant Dieu une communauté, une assemblée, une Eglise qui attend de lui la pureté, qui attend de lui un pardon qui efface tout.
Luther avait une Proposition qui à l'époque était reconnue comme hérétique. Il disait que Dieu couvrait les fautes ; il les couvrait, mais que dans le fond elles étaient toujours là. Il les couvrait pour ne plus les voir, mais elles étaient toujours en dessous. Nous n'allons pas faire une querelle de mots, une dispute de théologiens. Mais on pourrait comprendre ça de cette façon-ci - je pense que c'est cela qu'il voulait dire puisque maintenant il y a eu une déclaration commune reconnaissant que, ma foi, les Propositions Luthérienne étaient tout de même suffisamment catholique -.
Donc qu'il voulait dire que en dessous il reste toujours que nous sommes des pécheurs et que la faute malgré tout, elle est toujours en nous, elle est toujours latente en nous, elle attend toujours le moment de redresser la tête et puis de se manifester. Nous devrions être pardonnés une fois pour toutes de manière à ce que nous ne retombions plus dans le péché. Mais ça, ce ne sera possible que dans le monde à venir.
Et comme Saint Benoît le dit bien, au sommet de sa fameuse échelle, le moine qui est parvenu à la porte de la sainteté, il ne peut que répéter le sentiment qui est en lui que il est toujours un pécheur. Il pèche à longueur de journées parce que voilà, il n'est pas parfaitement ajusté aux vouloirs de Dieu, à la lumière de Dieu, à la sainteté de Dieu. C'est ça !
Donc il est fatal que le péché qui est en nous nous mette alors dans des situations de pécheur et que nous nous heurtions les uns les autres. C'est ça que nous devons nous pardonner. Le fait de ne pas pardonner l'autre, de ne pas nous pardonner, eh bien, ça nous arrête dans notre marche. Nous restons bloqués.
Attention ! ça nous alourdit, on devient comme du plomb et on ne sait plus avancer. Tandis que le pardon, lui, il nous libère, il nous dégage, il nous rend plus léger, il nous donne des ailes.
Alors, pour Saint Benoît, les Offices de Laudes et des Vêpres ne devront jamais se conclure sans que le supérieur dise, en dernier lieu, en entier, et au milieu de l'attention générale, l'oraison dominicale, 13,25. Mais pourquoi, pourquoi cela ?
Mais tout simplement parce que dans le monastère, l'Abbé tient la place du Christ. Et le Christ, par la bouche de l'Abbé, rappelle le devoir impérieux du pardon. C'est l'oraison dominicale, c'est l'oraison qui nous a été enseignée par le Christ. Donc le Christ de nouveau, de nouveau nous dit : " C'est ainsi que vous ferez, et c'est ainsi que vous vous pardonnerez."
Il y a maintenant quand on ouvre les premières pages de l'Ordo, on s’aperçoit que l'oraison dominicale devrait être dite par toute la communauté, la communauté entière comme ça se fait durant l'Eucharistie. Je pense que à ce moment-là, c'est la communauté qui demande, voilà, que le pardon mutuel puisse s'exercer.
Mais à mon avis, il y a là un défaut. D'ailleurs bon nombre de communautés ne pratiquent pas ainsi et ont conservé la façon de faire de jadis. C'est que l'oraison dominicale, lorsqu'elle est récitée, elle doit l'être par l'Abbé parce que, encore une fois, c'est le Christ une nouvelle fois qui nous dit : Voilà comment vous devez faire !
Mes frères, nous comprenons alors que notre vie, si elle n'est pas construite, édifiée sur une vision permanente de foi, elle peut s'infléchir, elle peut dévier vers des comportements trop naturels et trop charnels. Mais il n'est pas possible de rester toujours au niveau de la foi ! Et c'est là encore une des sources du péché, une des expressions du péché.
Mais voilà, c'est ainsi, nous ne devons pas le prendre au tragique. Non, nous devons l'accepter et nous dire que Dieu nous aime à travers notre péché. Et il nous aime tellement qu'il a voulu être fait péché sans jamais le commettre, être fait péché de manière à pouvoir prendre tout sur lui et nous en débarrasser une fois pour toutes.
Mais cette fois pour toutes, elle ne peut pas être instantanée. Elle ne s'opère qu'à l'instant où nous sommes définitivement libéré d'une ...?... ...?... ...?... . Nous avons reçu notre ...?... ...?... et nous pouvons vraiment alors être libres d'aimer.
Mes frères,
Il est une chose qui s'est peu à peu évanouie depuis l'époque de la renaissance païenne et que le réformateur protestant au temps ...?... ...?... a essayé de sauver. Et cette chose, la voici : c'est de prendre au sérieux la Parole de Dieu et de construire sur elle notre vie.
Et pour cela, il faut d'abord croire que Dieu existe. Non pas le Dieu des philosophes et des théologiens, mais le Dieu Vivant. Il faut croire que nous venons de Lui. Il est notre Créateur et nous vivons de son Esprit.
Et il faut croire que nous sommes en communion avec Lui. Que nous le voulions ou bien que nous le repoussions, nous ne pouvons pas y échapper. Il n'est pas un despote, il n'est pas un tyran, il n'est pas un autocrate, non, il est l'Amour et nous baignons en lui.
C'est tout cela qu'il faut croire pour prendre au sérieux la Parole de Dieu. Il faut nous pénétrer de cette évidence. Il faut savoir que épouser la Parole de Dieu clairement manifestée est la seule et unique voie qui conduit à l'épanouissement de la personne. Il n'en est pas d'autres.
Saint Benoît nous le dit encore avec insistance aujourd'hui. Il nous fait entendre la Parole de Dieu et il en tire une conclusion. Donc, dit-il, ergo, donc voilà ce que Dieu nous dit, donc voilà ce que nous allons faire. Pour lui, il n'y a pas l'ombre d'un doute, il n'y a pas la moindre hésitation.
Et cette Parole pour lui est tellement importante qu'il la répète. Nous ferons comme l'a dit le prophète : "Sept fois le jour j'ai chanté vos louanges." 16,3. Puis un peu après il dit : 'est de ces heures du jour que le prophète a dit : " Sept fois le jour j'ai chanté vos louanges." 16,8.
Mes frères, ce n'est pas la fait de chanter la louange de Dieu sept fois le jour et une fois la nuit qui est important. Ce qui est capital, c'est de calquer notre vie sur ce que Dieu demande. S'il demandait de chanter ses louanges cinq fois par jour, eh bien, nous les chanterions cinq fois. S'il demandait de les chanter dix fois par jour, nous les chanterions dix fois. Mais voilà, Dieu a choisi le nombre sept parce que, comme dit Saint Benoît, c'est un nombre sacré. Je ne reviendrai pas là-dessus, nous le savons suffisamment.
Mais voilà, faisons un petit examen de conscience : quand nous avons quelque chose à faire ou à décider, quand nous nous trouvons devant un choix à poser, ouvrons-nous notre Bible pour y chercher la réponse ? Ou bien nous appuyons-nous sur des raisonnements tirés de notre fond ? Notre sagesse est-elle celle de Dieu ou celle des hommes ?
Nous vivons dans un monde de plus en plus déchristianisé et nous sommes imprégnés de cette Culture de plus en plus païenne. Nous ne devons pas nous laisser contaminer jusqu'au bout. Nous devons réagir. C'est pour cela que nous sommes dans le monastère.
Oui, c'est pour prendre le contre-pied de ce qui se passe dans le monde. Le monde s'appuie sur la puissance de son savoir et de ses techniques. Nous, nous devons prendre appui sur la Parole de Dieu, sur ce que Dieu nous demande.
C'est la position même définie par l'initiateur de la vie monastique. Vous savez que Saint Antoine entrant dans l'église de son village entend une Parole de Dieu. Il l’attrape au vol car il sait que c'est pour lui que cette Parole a été prononcée. Sans hésiter, il rentre chez lui, il met de l'ordre dans ses affaires et il va dans le désert.
La vie monastique est construite sur la Parole de Dieu, uniquement sur la Parole de Dieu. Même toute la partie matérielle de notre vie doit être construite sur la Parole de Dieu. Pourquoi ? Mais l'univers entier est tenu dans l'existence par le Verbe de Dieu.
Nous devons ouvrir les yeux de notre coeur à cette vision de foi. Nous venons encore de le chanter dans l'hymne des Laudes. Mais prenons garde à ce que nous disons ! Est-ce que nous nous engageons ? Ou bien est-ce que ça flotte un peu comme ça à la surface de notre esprit ?
D'où l'importance de la Lectio Divina dans une vie monastique, de la lecture de la Bible, de l'écoute de la Parole de Dieu. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas lire autre chose, nous devons lire même des choses profanes. Car au regard de la foi tout est sacralisé, au nom de la raison tout est profané. Et nous devons toujours prendre le contre-pied de ce que le poids de la chair voudrait nous inspirer.
La Lectio Divina, c'est d'abord, d'abord l'écoute de la Parole de Dieu. Lire la Bible, ne pas avoir peur d'y consacrer de longs moments. Et puis à côté et en second lieu, faire d'autres lectures qui doivent nous permettre d'affiner notre esprit et de mieux pénétrer ce que Dieu nous dit, ce que Dieu nous demande. Nous ne devons pas meubler notre intellect, ce n'est pas nécessaire, mais chercher ce que Dieu dit et ce que Dieu attend.
Voilà, mes frères, retenons ceci : c'est que en dehors de ce que Dieu demande, ce n'est jamais que perte de temps et cela conduit fatalement à une impasse. Pour Saint Benoît, pour toute la Tradition monastique, pour Dieu lui-même naturellement qui en est l'inspirateur, lorsque on suit la route de la volonté de Dieu, on finit par arriver dans les espaces sans limite de la liberté, la propre liberté de Dieu.
Tandis que si on suit la route de sa volonté propre, c'est une route qui se rétrécit de plus en plus jusqu'à tomber dans une impasse. Et cette impasse, qu'est-ce qu'elle est ? Eh bien, c'est la muraille du renfermement sur soi.
Voilà, mes frères, nous avons choisi la première route et ensemble nous y marchons sans faiblir.
Il manque les premières minutes !
.............du Salut de l'humanité par Dieu devenu homme. Et par Salut, il ne faut pas entendre uniquement le fait que Dieu a voulu nous remettre sur la bonne route. Il faut entendre aussi par Salut l'accomplissement du projet de Dieu, non seulement sur les hommes mais aussi sur le cosmos ; l'homme étant - je l'ai déjà dit tant de fois - la conscience éveillée du monde.
Il y a dix ans ont eu lieu les Chapitres Généraux de Holyoke et de l'Escorial
Holyoke, c'était pour les Abbé et l'Escorial en Espagne, c'était pour les Abbesses.
Nos nouvelles Constitutions ont vu le jour au coeur de ces assemblées capitulaires. Il convient de célébrer cela pour raviver en tous et en chacun le feu et la lumière vécus à ce moment-là.
On aurait un peu l'impression ici que cette lettre s'adresse uniquement aux Abbés et aux Abbesses, à ceux qui ont travaillé à la rédaction et à la mise au point de ces Constitutions. Mais non, le feu et la lumière vécus à ce moment-là ne recouvraient pas seulement ceux qui avaient travaillé à les faire mais aussi, à travers eux chaque moine et chaque moniale même si on n'en avait pas conscience. C'est bien d'en avoir conscience, mais quand on n'en a pas conscience, ça agit tout de même.
Cette circonstance bien spéciale m'a donc décidé à vous écrire, avec les Conseillers permanents, cette lettre sur les nouvelles Constitutions.
Pour ceux qui connaissent et l'Abbé Général et les Conseillers permanents, on sent tout de suite qui est derrière la rédaction de ce texte. C'est tout à fait l'homme qui paraît dans le texte.
Nous avons confiance que le même Esprit qui a inspiré notre texte constitutionnel, inspirera encore un nouveau souffle de vie dans nos cœurs, en se servant de ces mêmes termes qui sont le reflet et le miroir de nos vies comme moines cisterciens et moniales cisterciennes.
Il y a d'abord un premier chapitre, un rappel de ce qui s'est passé.
Quinze années de travail ont précédé ces Chapitres Généraux de Holyoke (1984) et de l'Escorial (1985). La Réunion Générale Mixte de 1987 n'a pas apporté de changements substantiels sauf en ce qui concerne la nature de la relation entre les deux "Branches". Les années 1994-1995 peuvent donc être considérées comme le dixième anniversaire de nos Constitutions renouvelées.
Voilà donc introduit l'occasion de cette lettre !
Durant les quinze années qui ont précédé Holyoke, à la suite de diverses consultations, de trois projets successifs soumis à l'étude des communautés et des Conférences régionales, et des orientations et décisions de divers Chapitres Généraux, nous avons pu parvenir à une prise de conscience commune et à une expression de celle-ci dans un texte voté presque à l'unanimité, tant à Holyoke qu'à l'Escorial.
Ces trois projets successifs, c'est déjà tellement loin car la mise en route date de 1969. Donc cela fait 25 ans.
La présence et l'action de l'Esprit Saint s'étaient fait véritablement sentir au Chapitre Général de 1969. Certaines des options de fond que nous trouvons dans les Constitutions proviennent de ce Chapitre. Et nous ne pouvons douter que le même Esprit ait assisté l'Ordre durant les années suivantes de préparation et de travail. Bien plus encore, nous pouvons affirmer que même les éléments proprement juridiques de nos Constitutions sont le fruit d'une sagesse acquise par l'Ordre et par l'Eglise au long des siècles.
Nos Constitutions sont avant tout de nature juridique. Même si elles sont portées par un souffle spirituel qui s'exprime à travers un vocabulaire, elles sont d'abord, d'abord un texte juridique. Mais ce juridisme est le fruit d'une sagesse acquise par l'Eglise et par l'Ordre au long des siècles.
La fidélité ou l'infidélité à ces mêmes éléments ont été sources de grâces ou de malheurs. L'histoire nous l'enseigne.
Ici, il y a un petit avertissement sous-jacent car ce qui s'est passé hier du côté de la fidélité ou de l'infidélité peut encore très bien se passer aujourd'hui. Ce sont des hommes qui doivent exprimer leur vie à travers ces Constitutions. Voilà, ils le font ou ils ne le font pas ? La grâce ou le malheur ? L'histoire nous l'enseigne, cela veut dire : prenons garde !
Eh bien, nous allons la fois prochaine commencer le chapitre deuxième qui répond à la question : Quel est le sens des récentes Constitutions renouvelées selon Vatican II ?
Mes frères,
La bénédiction de Complies parle d'une sainte mort, plus précisément d'une fin de vie dans une perfection enfin découverte. Ce fut probablement le cas de notre frère Bruno. Il est décédé hier aux environs de vingt heures sans se faire de soucis, sans poser de misères aux autres, bien paisiblement.
Je me disais ce matin, après avoir appris cette nouvelle et vous l'avoir communiquée par voie d'affichage, que la vie continuait tout autour comme si rien n'était arrivé.
La mort d'un homme, d'un chrétien, d'un consacré surtout, n'est pas un fait banal. Le frère Bruno entre autre puisqu'il s'agit de lui, c'est une personne unique et aimée de Dieu comme si elle était seule au monde. C'est pour elle que le Christ a ressuscité, que le Verbe de Dieu s'est fait homme et est devenu le Christ-Jésus. C'est pour le frère Bruno lui tout seul comme pour chacun d'entre nous tout seul.
Le monde après le décès d'un homme n'est plus jamais comme avant, il lui manque quelque chose. Il lui manque un élément essentiel, cet homme unique. Mais nous ne devons pas nous arrêter à cette vue-là qui est malgré tout une vue très belle. Nous devons aller plus loin.
Et c'est une vue qui est vraiment cette fois-ci d'ordre surnaturel. Frère Bruno est comme on dit mort ou décédé. Décédé signifie, c'est comme un ...?... qui s'est éloigné et qui est partout. Et c'est vrai !
Frère Bruno existe maintenant à l'intérieur de cet univers des cieux vers lequel nous marchons. La Lettre de l'Abbé Général et de ses conseillers le disait aussi. Nous marchons vers ce qu'on appelle le Royaume de Dieu et, c'est là que nous entrons véritablement dans la Vie.
Comment les choses vont-elles se passer ? Cela, nous ne pouvons pas l'expliquer. Nous devons simplement savoir que quand nous avons été aimés une fois le jour où nous avons été créés, nous sommes aimés pour jamais et que l'amour qui est Dieu ne peut plus se passer de nous. Si Dieu pouvait se passer de l'un de nous, il ne serait plus Dieu, il ne serait plus l'amour.
Il faut donc savoir que notre frère Bruno a ainsi réussi, accompli son existence quels qu'aient été ses défauts, ses lacunes, ses déficiences, ses faiblesses, ses fautes, ses péchés dont il a ...?... parce que il a finalement été absorbé à l'intérieur de l'amour.
Quels sont donc ses ...?... maintenant ? Nous ne pouvons pas chercher à l'imaginer. Non, nous devons dans la foi nous ...?... en Dieu. Sous quelles formes, de quelles façons ? Encore une fois, nous n'en savons rien.
Si, nous pouvons le pressentir, si à l'intérieur de notre coeur il y a déjà un coin qui est suffisamment pur que pour percevoir de façon indicible une présence qui est celle de l'Amour, qui est celle de Dieu ; une présence que nous pouvons dans la pénombre, où nous pouvons déjà voir la présence du Christ ressuscité dont nous sommes une cellule.
Mais voilà, mes frères, je vous fait part tout simplement de la petite méditation qui m'a poursuivie tout au long de cette journée et qui me prouve combien, ici à l'intérieur de notre communauté, nous formons un Corps. Et lorsque un membre de ce Corps est arrivé au terme de son accomplissement, c'est le Corps tout entier qui reçoit un encouragement.
Nous ne devons pas avoir peur de voir les choses ainsi, de les introduire à l'intérieur de notre concret quotidien, de manière à ce que lorsque notre tour viendra, nous puissions aussi entendre cette Parole très belle et très encourageante : " Viens serviteur bon et fidèle, entre dans la joie de ton Maître !" .
Frères et sœurs dans le Christ,
La vie chrétienne, et plus spécialement la vie monastique, est un pèlerinage long, patient, vers ce que le Christ lui-même appelle le Royaume. Il vient encore de nous le préciser. C'est Lui qui est le chemin, la vérité et la vie. Personne ne peut aller vers le Père, c'est à dire vers le Royaume, sans passer par Lui.
Ce Royaume est tout proche et pourtant nous ne pouvons l'atteindre qu'au terme d'une recherche qui semble ne pas avoir de fin. C'est que pour entrer dans ce lieu béni situé au coeur même de la Trinité, il est nécessaire de revêtir un vêtement de noce d'une blancheur immaculée.
Ce travail de perfection, l'Esprit seul peut l'opérer. Pour lui, la durée ne compte pas, elle n'entre pas en ligne de compte. A l'échelle de Dieu, elle représente à peine un éclair ; à notre échelle à nous, elle s'étend sur une vie. Mais ce qui compte, c'est d'arriver.
Or, frère Bruno est arrivé et nous aimerions qu'il nous le dise. Hélas, il est muet et nous devons encore et toujours continuer dans la foi, nous cantonner en elle. Mais la foi, nous le savons, est une participation à la connaissance que Dieu a de lui-même et de son projet. Nous sommes donc à l'abri et, ce que nous serons, c'est ce qu'il est.
Notre célébration, cette Eucharistie sont tout ensemble une proclamation et un appel. Nous proclamons notre espérance d'arriver bientôt à notre tour et, nous appelons sur nous comme sur frère Bruno la puissance d'un Amour qui répare tout et qui construit tout. Oui, l'Amour a toujours le dernier mot. Il l'a eu dans son dialogue avec frère Bruno.
Frère Bruno était un homme foncièrement bon, sans la moindre malice, un tantinet naïf, faisant naturellement confiance. Nous savons qu'il aimait la propreté sur lui et autour de lui. Il aimait la beauté, le déploiement des fastes liturgiques. Combien de fois n'est-il pas venu me remercier à l'issue d'une cérémonie dans laquelle il était entré de tout son coeur et de toute sa voix. Or, il avait une voix comme aucun d'entre nous ne possède. Il chantait bien.
A présent, il contemple des beautés autrement enthousiasmantes. Ah ! si nous pouvions seulement avoir déjà le coeur suffisamment pur pour percevoir un peu ce que lui-même contemple à présent ; nous en serions rassasiés.
Tout ce qui peut se trouver dans le monde nous paraîtrait, non pas quelque chose à laisser de côté, mais nous paraîtrait pour ce que c'est vraiment, un miroir dans lequel il nous est possible de regarder la beauté du Créateur, la beauté du Rédempteur et surtout la beauté de la Lumière et de l'Amour. Car le monde est une parabole, le monde est un langage et il nous faut des oreilles pures et des yeux purs pour entendre ce chant et décrypter cette Parole.
Au temps de son âge mûr, frère Bruno déployait tout son talent encore et toujours au service de la liturgie. Il était un ébéniste de valeur et il se trouve encore ici des meubles qu'il a fabriqué et dans lesquels il mettait tout son savoir et tout son coeur. Il était modeste et n'en tirait pas vanité.
Un détail encore, jusqu'à ses derniers jours, il avait perdu la vue mais il n'avait pas perdu la voix, il aimait dans sa chambre de vieillard chanter des strophes latines en l'honneur du Saint Sacrement.
Il avait connu l'épreuve très jeune. A plusieurs reprises il m'a raconté que sa maman était tombée d'une plate-forme et qu'elle était morte alors qu'il était encore tout jeune. Il aimait sa mère, il avait pour elle une vénération, une sorte de culte et il la priait. Et lorsqu'il en parlait - il était déjà très âgé - il redevenait le petit enfant qui croit en l'amour parce que il l'avait expérimenté à travers le coeur de sa maman.
Et le frère Bruno s'est éteint doucement. Il a été cueilli comme un fruit succulent. Nous allons maintenant confier à la terre sa dépouille, mais nous savons que le meilleur de lui est dans la lumière de Dieu où il nous attend pour nous partager toute sa joie.
Mes frères,
Nous venons de l'entendre, Saint Benoît place le carême sous le signe de la joie. Il le dit à deux reprises. Mais il ne s'agit pas de n'importe quelle joie. Ce n'est pas la joie grossière des hommes engoncés dans leur importance, ce n'est plus la réalité. Ils sont aveugles, sourds et muets.
Il s'agit de la joie venant de l'Esprit Saint. C'est la joie qui est l'Esprit Saint lui-même, c'est la propre joie de Dieu, c'est celle que le Christ a laissé à ses disciples et à son Eglise : une joie que personne ne peut vous enlever.
Mes frères, là où se trouve l'Esprit Saint, là se trouve la joie. Un moine possédé par l'Esprit est un homme foncièrement joyeux, un homme empli de joie. Cela ne veut pas dire qu'il sera dissipé ? Non. Qu'il sera comme infantilisé ? Loin de là ! C'est une joie qui est compatible avec les plus grandes épreuves et qui se manifeste à l'extérieur par une profonde paix, par un visage qui est toujours avenant, qui est toujours accueillant, qui est toujours souriant.
Il est remarquable, je l'ai observé et je l'ai vu et peut-être vous aussi y avez-vous été attentifs. Lorsque l'un ou l'autre frère meurt, eh bien, après son décès il y avait un sourire sur son visage comme si le corps au moment de l'expiration, que le corps libéré de toutes les inhibitions, de tous les interdits s'abandonnait librement au sourire.
Le carême est donc un retour à la source de toute joie. Il est un retour à ce pourquoi nous sommes faits. Il est une reprise de conscience de notre véritable destinée. Dieu nous a faits pour lui, non pas comme des jouets qui serviraient à son amusement, mais comme des êtres libres appelés à partager tout ce qui est de lui, à partager sa propre vie, sa plénitude, sa divinité, sa joie, des êtres destinés à devenir des dieux.
Il ne s'agit pas, vous le savez bien - je l'ai déjà dit tant de fois - d'une quelconque réussite temporelle. On est encore toujours alors emprisonné à l'intérieur de la chair. C'est une réussite d'ordre spirituel, c'est à dire une réussite qui est portée sur les ailes de l'Esprit Saint et qui introduit l'homme jusqu'au coeur de la Trinité avant sa mort corporelle naturellement.
Là, mes frères, se trouve la source de la véritable joie. C'est une joie qui est plénitude, qui est paix, qui est don et accueil constant. C'est aussi une joie qui est liberté. C'est une joie, comme le dit Saint Benoît ailleurs, c'est une joie qui bannit toute peur. Pourquoi ? Parce que elle est le triomphe de l'amour dans le coeur d'un homme. La chair peut encore trembler, c'est un réflexe normal, mais tout au fond de l'être se trouve la paix, se trouve la joie et il n'y a pas de peur.
Eh bien, tout cela, c'est la grâce du carême. Comme le dit Saint Benoît, dans les autres temps de l'année, eh bien, on se laisse aller, on devient négligent. C'est à dire que on perd de vue, on perd de vue la raison pour laquelle on existe et la raison pour laquelle on est au monastère. On ne peut pas dire que c'est effacé, mais c'est comme dans un brouillard, une brume.
Le moment du carême sert à nettoyer tout ça pour retrouver la pureté de notre vocation. Et comme il le dit encore, cette joie tente à entrer en nous par un désir qui est déjà possession anticipée. Et ce désir est ...?... dans l'âme par l'Esprit Saint. Et c'est la raison pour laquelle on peut l'appeler un désir spirituel.
Prenons bien garde à l'importance des mots, prenons-les toujours dans le sens qui était le leur au moment où Saint Benoît rédigeait ou dictait sa Règle. ...?... veut dire inspiré par l'Esprit, porté par l'Esprit, créé par l'Esprit.
Et ce désir, quel est-il ? Eh bien, ce désir est que s'accomplisse en nous la fête de Pâques. Il le dit : il faut attendre la fête de Pâques dans la joie du désir spirituel, 49,20. Et ce n'est pas attendre la fête de Pâques parce que on pourra à nouveau manger n'importe quoi sauf la viande des quadrupèdes.
Non, ce n'est pas pour ça ! Ce n'est pas une joie charnelle, non. C'est savoir que la Pâque est en route, que nous sommes déjà entraînés dans les mystères de la Pâque et que nous voulons qu'ils s'accomplissent totalement en nous, qu'on a retrouvé la pureté de sa vocation d'homme et de sa vocation monastique.
Et c'est un ...?... donc qui à travers les épreuves de cette vie manifeste déjà la réalité et la puissance du ressuscité, le ressuscité qui est porteur de cette ...?...
Moi, mes frères, j'ai toujours un peu peur de la théologie, ça me fait toujours un peur peur parce que on risque alors de croire que c'est arrivé. Si on sait très bien parler du mystère de l'Incarnation, de la Résurrection, qu'on en débat comme on démonte une horloge, on pense qu'on le possède.
Pourtant, on est toujours enfermé à l'intérieur du charnel dans la prison de sa petite raison. Aussi large qu'elle soit, il y a toujours des frontières et c'est une prison. Or, l'Esprit Saint fait éclater les murailles des prisons. Là, il n'y a plus, absolument plus aucune murailles.
Ce sont des espaces sans mesures, illimités, sans horizons, les espaces de l'être même de Dieu qui est Amour. Et c'est là que veut, que veut nous entraîner ce désir inspiré par l'Esprit Saint.
Alors les privations petites et grandes que nous nous imposons trahissent ce désir en focalisant sur lui nos énergies vitales. C'est ça que veut le carême, ramasser nos énergies pour les diriger vers un seul but qui est de devenir un seul esprit avec le Christ ressuscité. Donc, connaître avant la mort biologique la réalité de la résurrection.
Et c'est pour ça que Saint Benoît dit que la vie du moine devrait être toujours un carême, une observance de carême. Cela veut dire laisser tomber tout ce qui peut gêner, tout ce qui peut alourdir, tout ce qui peut opacifier le désir, ou la vocation, ou la vie.
Alors si nous pouvons, mes frères, embrasser cette réalité qui est très belle, qui est le coeur même de notre vie, nous comprendrons pourquoi le temps de carême, comme le dit encore Saint Benoît, est un temps saint et que nous devons le vivre saintement.
His diebus sanctis, 49,7. C'est traduit par ces jours sacrés, mais en fait c'est des jours saints, c'est à dire des jours qui nous séparent des vices, qui nous permettent de modérer, de tempérer, de maîtriser les passions, de faire de ces passions les énergies les plus puissantes et de les mettre toutes alors au service de notre vocation qui est, je le répète, devenir un seul esprit avec le Christ ressuscité.
Mes frères,
Nous allons poursuivre notre réflexion sur la lettre que l'Abbé Général et son Conseil nous ont adressée. Dans un premier chapitre, nous en avons vu l'historique. C'est le dixième anniversaire du Chapitre Général qui a vu l'élaboration quasi définitive de ces Constitutions. Un second chapitre s'efforce de dégager le sens de ces Constitutions.
La question est valable et pertinente : quel est le sens des récentes Constitutions, renouvelées selon Vatican II ? Et en parlant de sens, nous parlons d'un chemin où nous sentons heureux, en vivant vers le bonheur éternel.
Mes frères, Il y a une sorte de contradiction dans les termes. Un moine qui ne serait pas heureux, ça ne va pas ! Alors, il n'est pas un moine. Il n'est pas à sa place dans le monastère.
Un chemin où nous nous sentons heureux, telle est la ...?... . Cela ne veut pas dire que nous sommes toujours au comble de l'exultation. Non, nous pouvons être plongés dans des abîmes de détresse. Dieu nous conduit per le chemin de l'agonie et de la mort pour nous faire parvenir à l'aube de la résurrection. Mais ça n'empêche pas que on ne soit heureux, que on se sente heureux. C'est un bonheur qui se situe non pas à l'épiderme de la sensibilité mais dans les profondeurs de la foi.
Nous parlons d'un chemin où nous nous sentons heureux, en vivant tournés vers le bonheur, donc on est orienté, on est attiré, on est saisi par une réalité mystérieuse à laquelle on donne le nom de Dieu et qui est la source du bonheur parfait, un bonheur qui ne peut nous être enlevé.
Alors, le premier paragraphe de ce second chapitre a pour titre " Notre manière particulière de suivre le Christ ". Il est très juste et il est très éclairant.
Avant tout et en premier lieu, nous pouvons dire que les Constitutions sont l'expression concrète de notre manière particulière de suivre le Christ selon l'Evangile et selon la Règle de Saint Benoît.
Il y a plusieurs manières de suivre le Christ selon l'Evangile. Toute sequela Christi doit se faire sur les chemins ouverts par l'Evangile et, il y a plusieurs chemins. Il y a le chemin des Franciscains, le chemin des Dominicains, le chemin des Jésuites, le chemin des Salésiens.
Il y a une multitude de chemins et il est certain qu'il se découvre encore aujourd'hui des chemins sur lesquels des hommes de ce jour se sentent à l'aise. Eh bien, notre manière à nous de suivre le Christ selon l'Evangile et selon la Règle de Saint Benoît, cette manière particulière est définie dans les Constitutions.
Les Constitutions entrent dans les détails concrets. Un bénédictin de l'Ordre de Saint Benoît, un bénédictin classique ne se reconnaîtra pas dans nos Constitutions. Il trouvera des éléments, oui, qu'il reconnaît, mais il ne pourra pas dire que c'est sa manière particulière de suivre le Christ. Il y a quelque chose ici qui nous est propre, qui nous est réservé et qui va définir notre identité.
Cela signifie que l'approbation des Constitutions par l'autorité ecclésiastique est la garantie qu'elles expriment l'Evangile, qu'elles aident à comprendre et à incarner ses exigences et qu'elles ramènent toujours à lui.
L'autorité ecclésiastique, c'est à dire le représentant du Christ sur la terre - pour nous le Pape entouré de ses Conseils - doit nécessairement dire que les Constitutions expriment clairement l'Evangile quelque soient ces Constitutions. Et ça vaut aussi pour les nôtres. C'est pour cela que les Constitutions doivent être approuvées. C'est comme un cachet d'authenticité, il n'y a rien dans les Constitutions qui ne soit un reflet de l'Evangile.
Donc, n'oublions pas que l'Evangile, c'est la Parole que le Christ nous a léguée, la Parole qui exprime l'être le plus profond du Christ et tout ce qu'il désire pour nous.
Donc, nous savons maintenant grâce aux approbations, que les Constitutions aident à comprendre et à incarner les exigences de l'Evangile pour nous, encore une fois, dans le style de vie qui est le nôtre, et qu'elles ramènent toujours à lui.
Si dans les Constitutions il y avait un élément, un détail qui serait étranger à l'Evangile, ou bien qui nous écarterait de lui, ces Constitutions, alors, elles n'auraient pas été approuvées par l'autorité ecclésiastique.
Imaginons qu'il y ait des constitutions à l'intérieur des quelles on introduise des élément de la philosophie bouddhiste. Vous savez qu'il y a des monastères où on allie évangile et bouddhisme. Mais c'est en dehors, à côté des Constitutions approuvées.
Je me souviens qu'au dernier Chapitre Général, un Abbé expliquait qu'il faisait des choses pareilles dans son monastère. Et une Abbesse lui a posé cette question : Est-ce que, voilà, chez vous dans votre monastère, on fait profession selon la Règle de Saint Benoît ? Oui, c'était une question pertinente !
Notre charisme cistercien peut, par conséquent, être considéré comme une forme d' "exégèse de l'Evangile ".
Donc, une explicitation, une exploration, un commentaire de l'Evangile. Exégèse, étymologiquement parlant, veut dire pénétrer à l'intérieur de l'Evangile et puis en extraire des éléments qui pourront nous servir de nourriture. Il faut être guidé pour entrer dans l'Evangile, il faut un maître qui pense et suggère.
Eh bien ici, notre maître à penser l'Evangile, c'est notre charisme défini dans les Constitutions. Ce peut être une véritable exégèse de l'Evangile.
Il met en relief et révèle certains aspects de l'Evangile. Pas tous ! N'oublions pas que l'Evangile, il est valable pour tous les temps et pour toutes les formes de vie, laïques ou chrétiennes. Mais voilà, pour nous cisterciens, certains aspects de l'Evangile sont mis en relief.
Aussi, les Constitutions, comme véhicule et incarnation de notre charisme, sont un instrument d'interprétation évangélique. Donc, nous pouvons nous servir de nos Constitutions pour faire notre Lectio Divina dans l'Evangile. Elles sont l'interprétation de l'Evangile. Elles nous permettent de mieux comprendre l'Evangile dans son rapport, dans sa relation à nous.
Elles explicitent la relecture que nous, Cisterciens et Cisterciennes, nous faisons de l'Evangile. Nous aurons peut-être aussi le désir une fois de prendre le texte de l'Evangile et de lire les Constitutions. Et puis, à partir des Constitutions, remonter à l'Evangile et voir comment nous, Cisterciens, nous comprenons cet Evangile. Ce serait intéressant ! Ce serait, par exemple, une Lectio Divina pour un temps de carême si nous en avons, je ne dis pas le loisir mais l'inspiration.
Mes frères
Il y a quelques semaines[2], nous avons échangé entre nous, nous avons réfléchi sur un point de la Carte de Visite, à savoir celui-ci :
L'épreuve du manque de recrutement nous interpelle quant à la responsabilité de chacun dans la création d'un climat communautaire plus chaleureux et plus attirant pour les jeunes.
J'ai recueilli toutes vos observations et je vous avais promis de les collationner, d'en faire une synthèse et de vous les représenter. Le moment est venu. Vous allez retrouver tout ce que vous avez déjà entendu, mais c'est placé maintenant dans un ordre plus logique.
Tout d'abord il importe de dissocier climat communautaire chaleureux et présence de jeunes. Les jeunes ne sont pas liés ...?... . Ils ont des ...?... ...?... et nous finirions par sombrer dans un complexe de culpabilité collective, ce qui serait vraiment très grave. L'expérience de notre passé et d'autres communautés nous apprend que l'ambiance d'une communauté n'exerce pas une influence déterminante sur le recrutement.
Il a été rappelé ici même que voilà une vingtaine d'année, on se plaignait à la Visite Régulière d'une atmosphère peu chaleureuse. Et pourtant il y avait une dizaine de novices. Et on connaît en Belgique des Abbayes en majorité composées de jeunes où règne un climat plutôt sec et réfrigérant.
Un autre point qui a été soulevé est que notre vie de recueillement, de silence, d'union à Dieu dans la prière et le travail ne facilite pas la communication verbale, les échanges, les partages qui pourraient créer des liens d'amitié entre frères et engendrer une certaine chaleur humaine.
La plupart ici n'ont pas connu le temps où on ne pouvait pas parler les uns aux autres. Si on devait communiquer, on devait le faire au moyen de signes, de signe silencieux. Un bruit de bouche devait être signalé au chapitre des coulpes. C'était ça l'atmosphère de toutes les communautés de l'Ordre. Et ce n'est pas ça qui empêchait le recrutement car on était septante ici !
Mais voilà, s'il y avait donc ces communications, des communications verbales, des échanges, en contrepartie il y aurait aussi le fait de voir se constituer des groupes plus ou moins fermés. C'est ca qui arrive car il y a des affinités, il y a des sympathies naturelles qui s'entretiennent, qui se fortifient lorsque on échange comme ça entre soi ; non pas en communauté, non non non, mais entre soi. Il se crée des petits groupes. Et ça, ça ne va pas, c'est très pernicieux pour une communauté.
Alors, il faudrait parvenir à harmoniser pour un mieux orientation contemplative et contact, créateur d'une authentique charité fraternelle. Et ceci ne peut être que l'oeuvre de l'Esprit Saint dans les cœurs ouverts à son action.
C'est un très beau programme, mais encore une fois, ce ne peut être que l’œuvre de l'Esprit Saint. Et comme je le disais il n'y a pas tellement longtemps, là où est l'Esprit Saint, là se trouve la joie. Non pas la joie superficielle, la joie charnelle, non, c'est d'abord profond. Et cette joie alors, elle est communicative.
C'est ce qui nous a encore été dit dans le livre qu'on écoute maintenant au réfectoire. La communauté religieuse en général doit être génératrice de joie car elle est déjà sur notre terre la présence de la grande communauté qui sera celle du ressuscité.
Voyez, c'est à partir d'hommes malades qu'il faut arriver à cet idéal. Saint benoît vient encore de nous le dire. Nous sommes des malades et on ne peut pas obliger des malades, ni des handicapés, ni des infirmes de faire des choses qui sont hors de leur portée. Il faut que l'Esprit du Christ nous guérisse, et puis à ce moment-là, nous pourrons franchement nous épanouir.
Ce devrait être le fait des anciens ! On ne peut pas obliger des jeunes à des choses qui sont hors de leur portée. Mais des anciens, ceux qui ont achevé leur combat spirituel, ou du moins qui arrivent vers la fin, ceux-là devraient être des hommes, voilà, harmonisant à l'intérieur de leur vie activité contemplative, c'est à dire prière, recueillement, silence, contemplation de la beauté du Christ Dieu, de sa création et alors contact fraternel chaleureux.
Il existe un point de départ assuré, c'est que quoi qu'on dise le climat de notre communauté est chaleureux, même si des progrès sont possibles et souhaitables. Alors nous devons chercher ensemble les moyens d'accélérer ces progrès. La responsabilité de chacun étant engagée devant Dieu et devant les hommes.
Notez que dans la Carte de Visite on ne dit pas que le climat communautaire ici n'est pas chaleureux. On souhaite qu'il soit plus chaleureux encore. C'est une nuance.
Et voilà, mes frères, maintenant il y avait quelques petites questions d'ordre pratique. Mais il est déjà presque 8 H. et si vous le permettez, nous laisserons cela pour dimanche prochain.
Mais comme c'est le jour de notre récollection, voilà, commençons à réfléchir sur les grands principes que j'ai rappelé et qui avaient été rappelés par d'autres ici. Et alors, voyons de notre côté s'il n'y a pas des choses qui pourraient être améliorées. Chacun pour soi !
Mes frères
A propos de ce que vient de nous dire Saint Benoît sur le murmure, il me revient à l'esprit une lecture que j'ai faite dernièrement à propos de la Communauté de l'Emmanuel. Lorsque là-bas quelqu'un émet une critique qu'il partage avec un autre, immédiatement il est renvoyé.
Vous voyez, le vice du murmure ! C'est terrible ce que ces choses-là peuvent faire comme ravage dans une communauté. Saint Benoît n'est pas si sévère, mais tout de même ! Et ce n'est pas cela qui pourrait entretenir un climat chaleureux à l'intérieur d'une communauté.
Je m'en vais vous proposer quelques points d'ordre pratique que vous avez développés ici en public et que j'ai classé selon un ordre plus ou moins logique. C'est à dire que j'ai regroupé ce qui était ressemblant.
Il faut imprégner d'amour les mille petits gestes de la vie courante. Cela signifie qu'il ne faut rien faire de façon indifférente. Nous sommes ici dans la maison de Dieu, on ne le répétera jamais assez. Nous en sommes les gérants. Donc, tout ce que nous faisons, c'est par amour de Dieu, par amour de ceux qui sont réunis dans ce lieu sacré. Il n'est donc pas question de bâcler les histoires : c'est toujours bon !
Même quand on est seul, faire des petites choses avec amour. Cela veut dire que on doit être de façon habituelle conscient de l'endroit où on se trouve et de la présence aimante de Dieu. Donc voilà, et je pense que c'est vrai. Les mille petits gestes de la vie quotidienne sont à imprégner d'amour.
Ensuite s'oublier pour penser aux autres, leur donner la première place dans nos pensées, dans notre prière, dans notre vie. Donc il s'agit ici de vivre ...?... ...?... . Non pas d'abord penser à ce qui peut nous avantager, au profit que nous pourrions en retirer, mais d'abord penser à ce que ça pourra apporter aux autres.
Avoir une bonne opinion des autres, même si parfois leur conduite n'est pas en conformité avec ce qu'ils ont promis à Dieu. Parce que ça, ce sont des accidents, ça arrive ! Ce n'est pas une raison pour que le frère descende dans notre estime. C'est un frère malade, un infirme. Ce n'est pas visible, savez-vous, ces infirmités-là.
Cela m'est arrivé ce matin pendant l'Office de nuit, ceci pour vous donner un exemple. Je me lève pour le gloria et je ne sais pas ce qui m'arrive, mais du coup j'ai ressenti une douleur très vive dans le bas des reins et encore un peu je retombais là. Voilà un petit faux mouvement qui du coup peut vous rendre infirme. Et je le sens encore maintenant.
Voyez, cela arrive aussi au plan moral dans la conduite de tous les jours et ce n'est pas pour ça qu'il ne faut pas continuer à donner la première place au frère dans notre coeur, dans notre vie et dans notre prière.
Et comme l'avait dit un frère, c'est ainsi que se propage peu à peu le feu de l'Esprit Saint. Il ne demande qu'à se communiquer. Un feu, si on ne l'éteint pas, il dévore tout, voyez quand il y a des incendies ! C'est la même chose ici. Si le feu est pris et alimenté comme ça par nos pensées bienveillantes, par notre prière, par nos petits gestes de sympathie, à ce moment-là, il va devenir un véritable incendie. Et toujours dans le même ordre d'idée :
Nous pouvons à l'occasion rendre aux autres le service qu'ils attendent, MAIS comme eux l'attendent, non pas comme nous pensons que ce serait meilleur. Le meilleur en soi n'est pas nécessairement le meilleur ni pour moi, ni pour l'autre. Nous avons chacun une façon d'approcher les choses et de les ressentir. Et voilà, le frère demande un service. Il faut le lui rendre mais comme lui désire qu'on le rende, sinon ce n'est plus un service. Nous avons alors mis la main sur le frère et nous lui avons imposé quelque chose qu'il ne désire pas, qui va peut-être même l'ennuyer.
Voyez, mes frères, tout ça, si c'est vraiment pratiqué, ça peut créer une atmosphère de chaleur, vraiment un feu qui se communique de l'un à l'autre.
Ce qui fait le succès des communautés nouvelles, surtout même les charismatiques, comme il en pousse partout comme des champignons aujourd'hui, et qui attirent les jeunes comme des aimants, eh bien c'est ça. C'est parce que il y règne une atmosphère où chacun est attentif aux autres. C'est ça le fruit de l'Esprit Saint. On le reconnaît à ça !
Cela peut être vrai, mais en tout cas, ça nous interpelle et, c'est ça que les jeunes attendent. C'est pour cela que ces communautés exercent une attirance sur les jeunes. Nous, nous sommes plus rébarbatifs rien déjà que les bâtiments.
Tandis que là, quand on est dans une petite maison entre soi, et puis après dans une grande maison, ça va, on passe sur beaucoup de choses, on se permet beaucoup de choses et ça va toujours bien. Il y a beaucoup de sentiments humains là-dedans, attention !
Mais c'est pour dire que chez nous, il y a là une question qui voudrait ...?... et qui doit pouvoir ici trouver une réponse valable. Car l'endroit où l'Esprit Saint doit se révéler c'est vraiment la communauté monastique.
Maintenant, encore un petit détail, c'est le rappel d'un point des anciens US. Lorsque on se rencontre dans les cloîtres par exemple, ou à l'extérieur des bâtiments, il faut se saluer. Non pas en commençant à lancer des salutations comme ça à haute voix, non, mais d'une inclination de tête agrémentée d'un sourire. Il y en a même un qui a dit : sourire et montrer un visage avenant.
Si on passe à côté d'un frère dans le cloître sans le regarder, sans tourner la tête, mais il faut bien le dire : le frère est devenu inexistant. Il n'existe pas pour l'autre. Qu'est-ce qu'il fait dans la communauté ? En tout cas, si il y est physiquement, il n'y est pas pour le frère qui ne le salue pas, qui ne le reconnaît pas. Il est mort !
Eh bien, soyons attentifs à cela parce que c'est important. C'est important et ça ne coûte pas cher, ce n'est pas cher. Et ce n'est pas ça qui va me donner un tour de reins, ni un torticolis. Non, c'est de la politesse et de l'amabilité.
Il faut dire que ça va peut-être un rien à l'encontre d'une Culture qui est en train de s'introduire dans le monde. C'était déjà comme ça auparavant dans les villes où là on ne se connaît pas. On passe les uns à côté des autres comme des trains se croisent sur des rails, ou des voitures sur des routes. On ne se connaît pas, on est déshumanisé.
Et ça commence aussi à s'introduire dans les villages. Autrefois, auparavant, il était invraisemblable de se rencontrer sans se saluer. Alors voyez, le monastère est encore un endroit comme ça où on existe les uns pour les autres dans une authentique charité.
Eh bien voilà, mes frères, ce sont des petits détails, mais efforçons-nous de les mettre en pratique parce que c'est cela l'exercice pratique de la charité ici.
Gn 15,5 -12.17-18 * Ph 3, 17- 4, 1 * Lc 9, 28b- 36
Frères et sœurs,
Ce deuxième dimanche du carême se dresse comme un phare sur notre route. Il nous rappelle que rien dans notre vie n'est jamais perdu. Dieu a conclu une alliance avec nous. Il nous tient toujours solidement de sa main, qui que nous soyons, quoique nous fassions. Il n'est pas affligé d'un complexe meurtrier, il ne veut pas notre mort. Il est amour et fidélité et rien jamais ne pourra y changer. Dieu ne recule pas.
Abraham a cru, il a ajouté foi à la parole qu'il avait entendue et, aussitôt est venue en lui la propre fidélité de Dieu. Et c'est à cause de cette réponse, une réponse muette mais bien réelle, que nous sommes ici aujourd'hui dans cette église à louer Dieu et à l'écouter. Nous sommes la descendance spirituelle d'Abraham, ses alliés dociles, ses amis et ses enfants.
C'est là sans doute, c'est là certainement la réalité la plus profonde, la plus intime de notre être. Nous sommes les enfants de Dieu et la vie divine en nous pousse, presse comme la végétation en ce printemps. Il faut que cette vie un jour éclate et qu'elle apparaisse aux regards émerveillés de tout l'univers.
Ensemble nous formons un seul corps. Nous sommes tous membres les uns des autres. Tous, nous sommes animés du même Esprit, cet Esprit qui est descendu, qui a reposé sur, qui a pris possession du descendant par excellence d'Abraham qu'est le Seigneur Jésus.
C'est pourquoi nous, qui avons été baptisés dans le Christ, nous sommes citoyens des cieux et nous sentons vibrer en nous les espaces sans limites d'une liberté qui nous donne pleine assurance face au monde.
C'est à cela qu'on reconnaît le véritable chrétien. C'est un homme dans le coeur duquel se rythme la liberté. Ce n'est pas licence, ce n'est pas faire n'importe quoi, non, c'est être enveloppé de la volonté de Dieu et faire tout ce que Dieu fait, lui qui est la liberté par excellence.
Tout est à vous, dira l'Apôtre Paul, le ciel, la terre, le passé, le présent, l'avenir, les anges, et l'univers entier est à vous, et Dieu même est pour vous parce que vous vivez de sa vie.
Frères et sœurs, nous l'avons compris, notre Dieu, ce n'est pas notre ventre, ni rien des convoitises de ce monde, des convoitises terrestres qui au lieu d'élever l'homme et de le libérer, l'asservissent et en font un esclave.
Notre Dieu à nous, c'est le Seigneur Jésus qui déjà transfigure notre corps à l'image du sien. Là est notre force, là est le phare sur notre route. Le carême nous dit que non seulement rien n'est perdu mais que tout est gagné.
Que va-t-il nous parvenir tôt ou tard ? Eh bien, frères et sœurs, nous serons transfigurés à la suite du Christ et tout comme lui. Notre ...?... de labeur, de souffrance et souvent même de mort nous conduit vers l'heure bienheureuse de notre résurrection.
Alors, nous serons semblables au Christ, nous serons semblables à Dieu. Et ce que nous pressentons obscurément aujourd'hui apparaîtra en pleine lumière à notre conscience et à la face du ciel.
Cette espérance réveillée en ce dimanche doit rester chevillée en notre coeur. Elle est la présence en nous de la fidélité de Dieu et de son agir qui est amour.
Frères et sœurs, tel est le message du carême. Nous allons le retenir en proclamant bien haut notre foi afin que la grâce ...?... devienne de plus en plus féconde en nous et qu'elle porte des fruits, des fruits qui demeurent.
Amen.
Mes frères,
Comment pourrait-il se faire que l'Abbé soit responsable du manquement de ses disciples ? Cela veut dire que il devra en répondre devant Dieu ; le disciple également, c'est certain. Mais pourquoi l'Abbé ? Parce que il a peut-être mal formé ses disciples ? Il ne leur a peut-être pas donné l'exemple de sa vie même si il leur a livré la parole de vie ?
Le Christ nous l'a rappelé hier. Faites attention, disait-il, à ces scribes et à ces docteurs de la loi ! Tout ce qu'ils vous enseignent, faites-le soigneusement mais, surtout évitez bien de suivre leurs licences car ils disent et ne font pas ! C'est dans cette hypothèse-là que l'Abbé pourrait être rendu responsable si par sa vie, il ne donne pas à ses disciples l'exemple d'un don total de soi aux autres.
Maintenant s'il a fait cela, et que le disciple alors les refuse, ces soins qu'il doit porter aux frères malades et, entre parenthèses, nous sommes tous des malades: si nous ne le sommes pas physiquement, nous le sommes psychiquement ou spirituellement.
A ce moment-là, comme dit Saint Benoît, l'Abbé ayant fait tout ce qu'il pouvait, le disciple n'ayant pas voulu accueillir ce qui lui était donné, même ce disciple ayant refusé la vie qui s'était offerte, eh bien, il en sera exclu ; tandis que l'Abbé, lui, il sera accueilli dans le Royaume.
C'est ça que Saint Benoît veut nous dire.
Mes frères,
Nous allons passer au paragraphe suivant de la lettre que nous avons reçue de l'autorité suprême de l'Ordre.
Nous pouvons dire aussi que les Constitutions présentent le plan de salut et de sanctification évangélique et monastique pour nous cisterciens et cisterciennes.
Le plan de salut ? Que faut-il entendre par salut ? Si il y a un plan de salut, il faut d'abord savoir en quoi consiste le salut. Et pour comprendre, nous devons remonter très loin. Nous devons aller consulter nos ancêtres qui ont connu une alliance avec Dieu très belle, très pure en soi, qui était en germe une alliance alors d'une tout autre nature qui allait être proposée plus tard, et dans laquelle nous sommes engagés maintenant.
Dans les ...?... de cette première alliance, il y a une décision existentielle du salut. Cela revenait fréquemment dans les psaumes, ces psaumes que nous chantons chaque jour et surtout chaque nuit. On dirait vraiment que c'est dans les psaumes de l'Office de nuit qu'est concentré cette expérience-là.
Eh bien, le salut, pour nos ancêtres, c'est d'être libérés de tous les ennemis qui sont alentour. Si bien que chacun peut vivre calmement, paisiblement sous sa vigne et sous son figuier sans être troublé par les assauts des ennemis. C'est vivre sans inquiétude parce que on est chez Dieu, sur la terre choisie par Dieu.
Dieu est un rempart de feu autour de son peuple et donc, chacun goûte le salut. Ce salut est toujours une libération et une délivrance. Idéalement cela aurait dû être ainsi. Mais hélas, les hommes, eux, ont plus confiance dans leurs moyens de protection que dans la protection que Dieu peut offrir.
Alors, ça devient un jeu de pouvoir. C'est le plus fort qui pourra se protéger. Mais si, comme dit le Christ, un plus fort encore arrive à ce moment-là, il dépouille le premier des armes dans lesquelles il avait placé sa sécurité. Alors, il pille tous les bien de sa maison et le salut est perdu. Le véritable salut ne peut donc être donné que par Dieu et il est toujours une libération.
Maintenant, voyons pour nous ! Eh bien, pour nous aujourd'hui, le salut, c'est aussi une libération, mais ce n'est plus d'être libérés des ennemis alentour. Avons-nous encore des ennemis ? Nous n'en avons plus car nous avons découvert que nous sommes tous frères. Le véritable ennemi se trouve à l'intérieur.
A l'extérieur aussi mais très proche, il faudrait être délivré des assauts diaboliques. Etant temple de l'Esprit Saint, on devient inaccessible et à ce moment-là, le démon n'a plus d'accès. Il ne sait même plus approcher, il est tenu à distance.
Et c'est aussi une libération des passions qui bouillonnent en nous. Cela ne veut pas dire que ces passions sont éjectées ou qu'elles sont détruites. Non, ces passions en soi sont bonnes et saines, mais il s'est introduit un dérèglement. La libération sera donc ici une remise en ordre.
Les grandes passions qui constituent le psychisme humain sont donc remises à leur place. Et au lieu d'être des obstacles, elles deviennent des soutiens ...?... ...?... psychiques et spirituelles. Elles sont alors des énergies, des forces qui permettent à l'homme de s'épanouir, mais par tous les étages de son être, étage physique, étage psychologique, et alors tout au dessus l'étage spirituel.
C'est là à l'intérieur, c'est par le canal de ces passions que le Christ peut devenir un seul Esprit avec nous. Donc, la présence en nous de Dieu remet chaque chose à sa place.
Les anciens philosophes païens, stoïciens, avaient essayé par la force, disons du poignet, de remettre un peu de l'ordre. Ils y étaient parvenus d'une certaine manière mais en hypertrophiant malgré tout certains aspects de leur personnalité profonde ou superficielle. Si bien que ce n'était pas ça une véritable liberté.
Car le salut apporté ici par cette délivrance et cette remise en ordre intérieure, c'est la liberté. L'homme est libre. Il est libre de la propre liberté de Dieu. Et c'est cela, vous voyez, le salut. C'est ça le salut, vraiment cela !
A ce moment, nous sommes arrivés ici au sommet, on approche du sommet de la sanctification évangélique. C'est à dire que c'est le Christ qui nous propose ce programme. C'est lui qui est uni à notre nature d'homme, il est un homme à part entière. Et c'est dans la mesure où nous acceptons de le recevoir en nous, lui notre Sauveur, lui qui nous apporte le salut, c'est à ce moment-là que nous devenons des saints. Il ne faut pas avoir peur d'utiliser le mot.
Les premiers chrétiens se glorifiaient d'être des saints. Il n'était pas nécessaire d'être canonisé. Ils étaient saints parce que la vie de Dieu battait dans leur coeur, et dans leur corps et dans leur esprit. Et c'est cela la sanctification que nous propose l'Evangile, que nous propose le Christ. Il est en même temps monastique.
Nous verrons la fois prochaine ce lien entre évangélique et monastique pour nous cisterciens et cisterciennes. Donc, les Constitutions nous présentent ce plan de salut et de sanctification évangélique et monastique.
Mes frères,
Nous continuons la lecture de la lettre :
Ainsi, notre vie monastique ne se déroule pas de façon parallèle ou juxtaposée à notre vie chrétienne. Il n'y a pas notre vie chrétienne d'un côté et puis notre vie monastique à côté. Non, non ! C'est la même vie chrétienne portée à son achèvement grâce à une modalité inspirée par l'Esprit de Dieu.
Nous ne sommes pas des super-chrétiens. Nous sommes des chrétiens exactement comme les autres. Seulement cette vie chrétienne doit être portée, pour ce qui nous regarde, à son achèvement grâce à une modalité qui est inspirée par l'Esprit de Dieu à des hommes en Egypte, en Gaule, en Italie ; et puis voilà, au Moyen Age, à Cîteaux, à la Trappe, et pour nous aujourd'hui dans nos Constitutions.
Nous sommes chrétiens parce que nous sommes moines et nous sommes moines parce que nous sommes chrétiens. Nous ne sommes pas : premièrement des chrétiens et ensuite des moines, mais il serait plus juste de dire que : notre réalisation monastique est notre réalisation chrétienne.
Donc, nous sommes dans la réalité de notre être chrétien lorsque nous sommes dans la réalité de notre être monastique. C'est une identité ! Il ne faut pas vouloir les disjoindre, non, c'est la même sève. Mais c'est la réalité - je reviens à ce mot - car ce doit être quelque chose de concret, évangélique et chrétien qui, pour nous, s'exprime à travers notre observance monastique.
C'est en étant moine que nous sommes chrétiens : la vie monastique est notre manière d'être chrétiens, et notre manière d'être chrétiens est monastique.
Vous voyez comme on insiste sur cette vérité, sur cette évidence. Mais pourquoi cette insistance ? Eh bien, c'est parce que il s'insinue ici et là dans l'Ordre des modalités monastiques qui ne seraient pas chrétiennes.
Lors d'un Chapitre Général - je vous l'ai déjà dit d'ailleurs - il a été observé que c'est l'expérience de nature bouddhique qui s'insinue dans les monastères. En perdant la pureté de notre identité chrétienne, nous perdons la pureté de notre identité monastique.
Je vous assure, les deux sont indissociables. On est moine et on est un vrai chrétien. Et pour nous personnellement, à l'intérieur de notre vocation nous serons de vrais chrétiens si nous sommes de vrais moines.
Pour nous, par vocation de Dieu, il n'y a pas d'autre façon de nous identifier au Christ. C'est ça la vie chrétienne, c'est d'être identifié au Christ. C'est par vocation de Dieu. Il n'y a pas d'autre façon que la vie monastique. A mon avis, c'est très très beau parce que c'est extrêmement simple.
Et les Constitutions présentent ce mode d'identification avec le Seigneur et sont ainsi notre chemin monastique de salut chrétien.
Vous allez peut-être penser que c'est idéaliser quelque peu nos Constitutions ? Je ne pense pas. La première partie des Constitutions présente justement notre chemin monastique. Et si nous voulons être attentifs à ce qu'elles disent, nous retrouverons partout l'inspiration chrétienne, partout, partout !
Puis, viennent d'autres parties de nos Constitutions qui sont plus techniques, qui sont plus juridiques mais qui, dans le fond, sont une manière bien réaliste et bien concrète de mettre en applications les grands principes chrétiens qui sont ceux de vérité, qui sont ceux de justice, et qui sont ceux de charité.
Donc, les Constitutions présentent ce mode d'identification avec le Seigneur - c'est à dire notre identification au Christ - et ainsi sont notre chemin monastique de salut chrétien.
Il est impossible, mes frères, de faire l'économie du Christ. Il y en est aussi qui voudraient parvenir à l'union à Dieu en sautant par dessus le Christ, en le laissant de côté. C'est une certitude, disons, de novices. En soi, elle n'est pas grave et on la trouve chez les novices.
L'Esprit Saint s'arrange bien avec infiniment de délicatesse pour mettre les choses en ordre et faire comprendre au frère de bonne volonté qu'il n'y a pas d'autre chemin d'union à Dieu que l'union à la personne du Christ-Jésus et d'arriver au stade où on peut dire : ce n'est plus moi qui vit mais c'est le Christ qui vit en moi.
Il faudra veiller aussi à une autre illusion : celle de vouloir faire l'économie du Père et du Christ en n'étant qu'à l'écoute de l'Esprit de Dieu. Certes, l'Esprit parle aux Eglises, l'Esprit emplit l'univers ; c'est l'Esprit de Dieu qui nous porte et qui nous sanctifie. C'est ...?... c'est l'Eglise.
Mais encore une fois, l'Esprit de Dieu, donc le Saint-Esprit, est l'Esprit du Père et du Fils. Et donc un esprit qui nous capterait pour lui tout seul, ce ne serait pas l'Esprit de Dieu ; ça pourrait être l'esprit du mauvais, du malin. Le Saint-Esprit conduit toujours au Christ et, du Christ, il nous élève vers le Père et nous introduit au coeur de la Trinité.
Donc voilà, mes frères, je pense que ainsi les choses sont à peu près claires. Le plan de salut pour nous, c'est la voie monastique telle que elle est définie dans nos Constitutions.
Mes frères,
Nous allons continuer de voir ensemble ce que nous pourrions encore faire pour entretenir un climat chaleureux à l'intérieur de notre communauté. Mais nous pouvons d'abord nous demander si nous avons déjà mis en pratique les quatre recommandations que nous avions mises en évidence la semaine dernière ?
Et je pense à celle-ci : se saluer quand on se rencontre. Car j'ai remarqué qu'il y en avait qui n'en tienne aucune importance. Cela continue comme avant ! Pourtant, si on passe à côté d'un autre sans le saluer, ni même le remarquer, d'une certaine manière on le tue. On le jette dans le néant d'où il n'aurait jamais dû sortir. J'exagère naturellement, mais c'est ainsi que les choses peuvent être ressenties.
Maintenant, autre chose : on pourrait montrer aux autres qu'on pense à eux même en leur absence. Ils habitent dans notre coeur. Ils sont toujours avec nous. Ils sont vraiment nos frères. C'est le même sang spirituel qui circule dans notre coeur. Même en leur absence, ils sont toujours là, ils sont toujours présents à notre prière, à notre amour.
Par exemple, a-t-on dit : en veillant à la propreté des lieux. Oui, seulement ce n'est pas passer avec la brosse et le torchon tous les jours. Non, ce n'est pas de ça qu'il s'agit . Mais si on voit quelque chose qui traîne, quelque chose qui est souillé à un endroit, eh bien, on le nettoie.
Par exemple ceci, et cela se fait, c'est un très bon point : Aux toilettes, il y a là une petite brosse. Eh bien, qu'on envoie vers la sortie tout ce qui reste de savonnée, de saleté. Et celui qui vient après, il sera invité alors très silencieusement par un non-verbal facile à comprendre qu'il doit toujours être propre, non seulement sur sa personne mais aussi dans son corps intérieur.
La propreté des objets ? On avait fait remarquer ceci : au réfectoire, il y a des couteaux qui sont mis à la disposition de chacun pour beurrer les tartines, pour mettre de la confiture. Eh bien, quand on a utilisé le couteau, eh bien on le nettoie, ne fut-ce qu'en le frottant bien sur le revers de la tranche de pain. Ainsi le suivant quand il prend le couteau, il n'aura pas la main pleine de confiture ou de beurre.
Ceci encore, mes frères : en ouvrant les livres de chœur quand on arrive le premier. Il y en a qui font ça avec une régularité vraiment magnifique. Quand on arrive à l'Office de nuit, les livres sont déjà ouverts d'un côté comme de l'autre. Et ça, c'est très bien !
Mais si j'arrive et que j'ouvre mon livre et que les autres tirent leur plan, ça fait un peut drôle ! Non, non, on ouvre le livre du voisin. Et comme ça, ça crée un climat dans la communauté. On sait que on peut compter sur les autres, on peut compter un sur l'autre.
Et voici un autre petit point : éviter les bruits en fermant les portes. Mais il faut d'abord fermer les portes. Car ça, c'est aussi à souligner. Il y en a qui ne ferme jamais leur porte ! Il leur faut un domestique, voilà, pour fermer la porte derrière eux. Attention à ça, mes frères ! Fermer la porte derrière soi, eh bien, ça montre qu'on achève les choses, qu'on va jusqu'au bout de ce qu'on a commencé. Voilà, on ferme. Mais alors, on parlait du bruit en fermant les portes. C'est si facile de claquer les portes, bang ! Claaak ! On passe en claquant les portes.
Encore une fois, c'est un nonverbal, toutes ces choses-là. Et le nonverbal est beaucoup plus accessible que le verbal. Il peut arriver qu'on ne comprend pas les mots, mais les gestes, on les comprend. Donc, faisons attention de ne pas claquer les portes. Et tout ça, ce sont des choses qui ont été signalées. Ce n'est pas moi qui les ait trouvées. Je ne fais que rapporter ce que vous avez dit au début.
Et puis, il y a les bruits en marchant et en parlant. Oui, on fait du bruit en marchant, on a le pied lourd. Et pour faire du bruit en parlant, il y en a qui ont des voix très fortes, des voix de basses. On est comme on est ! Mais veiller à ne pas faire de bruit en parlant.
On avait dit ceci également : manifester sa joie. On manifeste qu'on est heureux de vivre dans notre communauté, le fait de croiser un frère et de savoir qu'il est là. Oui, c'est ça. On baigne dans un printemps perpétuel, puis on va vers l'été, puis il y a les beaux jours de l'automne et on arrive en hiver. C'est ça une ambiance chaleureuse dans une communauté !
Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas parfois des orages, même en hiver ! Mais un orage, c'est quelque chose de beau : il y a des éclairs, il y a des nuées, c'est noir, et puis ça fait du bruit. Mais un orage, eh bien, ça se calme, et après l'orage le soleil est là de nouveau. C'est une façon plutôt de se défouler.
Il y a trop de tension, bon, et le petit gosse il donne des coups de pied dans le fauteuil ou dans une porte. Il y a quelque chose en lui qui est trop tendu et il se défoule de cette façon-là. Nous restons toujours des petits gosses et, n'oublions pas que c'est à eux qu'est ouvert le Royaume. Il vaut mieux qu'il arrive un orage entre frères que d'avoir quelque chose qui traîne et dont on ne voit pas la fin.
Alors encore un détail : chez nous la table est commune en partageant la même nourriture avec si besoin les accommodements nécessaires. Oui, ici nous avons la table commune. On partage la même nourriture avec les accommodements. Il ne faut tout de même pas pousser les choses trop loin, il faut veiller au régime de chacun. Saint Benoît le fait remarquer lorsqu'il parle de l'alimentation des frères. Il faut même, dit-il, donner de la viande aux frères tout à fait affaiblis, ce qui à l'époque de Saint Benoît était déjà vraiment vraiment une concession très large.
Eh bien voilà, mes frères. Nous allons en rester là aujourd'hui. Il y aura encore un petit bout pour dimanche prochain.
Mes frères,
Nous avons aujourd'hui célébré la solennité de l'Annonciation. Ce fut un événement ponctuel arrivé à une certaine heure de notre histoire et, je me demande si nous en mesurons toute l'importance et le caractère vraiment extraordinaire de la chose ?
Dieu, à une époque dont on se rapproche de plus en plus grâce à l'effort des physiciens, a créé le monde. Le monde que nous connaissons maintenant a connu un commencement.
Il s'est donc trouvé là une créature, un être, différent de Dieu, d'une autre nature que lui, qui commençait à se constituer, à se construire, à se développer, à prendre forme, et finalement à devenir conscient de lui-même.
Cette conscience éveillée du cosmos, nous savons que c'est nous. Que se passe-t-il ailleurs ? Cela ne nous regarde pas. Il y a peut-être aussi d'autres consciences comme les nôtres ? Nous n'en savons rien. Nous le saurons peut-être un jour lorsque nous serons à côté du Créateur.
Mais, toujours est-il que pour l'instant, eh bien, nous qui sommes la conscience éveillée du cosmos, nous ne sommes absolument pas différents de lui ; nous sommes lui devenus conscients.
Et c'est à ce moment-là, lorsque cette conscience est suffisamment éveillée, développée, que Dieu franchit un nouveau pas. Il devient matière, il devient chair, il devient conscience, hyperconscience du cosmos.
Et cet événement, ou second événement, est tout aussi extraordinaire que le premier car c'est une véritable recréation de l'univers. Il est donc maintenant introduit à l'intérieur de l'être même de Dieu. On sait maintenant qu'il est destiné à être totalement divinisé.
A une époque que nous ne pouvons pas connaître ni mesurer, Dieu sera tout en toutes choses ; en toutes choses, oui, pas seulement en nous mais en toutes choses. Si bien que l'univers sera un vis-à-vis de Dieu dans lequel Dieu se reconnaîtra dans sa nature de Dieu.
C'est ça la divinisation ! Et, elle a été amorcée à l'instant même de l'incarnation du Verbe de Dieu dans les entrailles de la Vierge Marie.
Nous ne prenons pas suffisamment conscience de cela et, à mon avis, c'est regrettable parce que nous risquons devant le mystère de l'Annonciation soit de faire du sentiment au sujet de la Vierge Marie, soit de banaliser la chose et d'y voir un simple miracle, disons un homme qui vient au monde sans l'intervention d'un autre homme. Alors, on tombe dans l'idéologique.
Non, il s'agit d'autre chose ici. C'est Dieu lui-même qui fait un pas nouveau et décisif dans son travail de création. Non seulement l'homme est maintenant le vis-à-vis, mais Dieu prend possession de ce vis-à-vis et il le recrée, il le transfigure par l'intérieur. Il y a donc un double mouvement : il entre dans la matière et il assume en lui la matière.
Eh bien, nous qui sommes la conscience justement de cet univers, nous devrions toujours avoir cela sous le regard de notre conscience. C'est une des raisons pour lesquelles nous sommes ici dans le monastère.
Nous avons donc une conscience qui est universelle, c'est-à-dire cosmique, c'est-à-dire eschatologique. Nous devons aider Dieu à faire avancer son travail en lui permettant de le réussir en nous. Chaque fois qu'un homme, une femme, un être humain est transfiguré, est divinisé, à ce moment-là le projet de Dieu, le projet final arrive à sa fin. C'est que nous sommes aussi des êtres eschatologiques.
Et c'est à cela que nous devons travailler si nous en avons l'audace. C'est bien autre chose que de tirer son épingle du jeu. Retirer son épingle du jeu, ça veut dire ceci : moi, je suis au monastère, eh bien, je sauve mon âme et que le reste tire son plan. Il n'y a pas tellement longtemps, c'est ainsi qu'était présentée la vie monastique. Je l'ai entendu ici de la bouche d'un ancien. Voilà, il me l'a bien expliqué, sa vie monastique, c'était ça !
Non, la vie monastique, c'est de permettre à Dieu de conduire sa création à son terme. Lorsque elle est à son terme dans un homme, eh bien, elle est réussie. Et alors, par toutes sortes de diffusions cachées, mystérieuses, mystiques, elle se répand partout et elle pousse plus loin cette métamorphose de l'univers.
Dans un premier temps, Dieu a créé le monde seul, mais cette fois-ci, il ne veut pas nous métamorphoser seul. ...?... devant lui un univers devenu conscient de sa liberté et ...?... d'une collaboration intelligente et aimante.
Voilà la fonction de l'ordre en général, mais surtout du chrétien et encore beaucoup plus du moine !
Donc voilà, mes frères, à quoi nous devons consacrer notre vie, mais y pensons-nous ? Nous devrions y penser tous les jours comme nous devons penser à notre mort parce que notre mort doit être l'éclosion achevée de cette merveille qu'est la métamorphose d'un homme.
Nous devons y penser aussi au moment de l'Eucharistie, car l'Eucharistie est le moment où vraiment nous sommes immergés à l'intérieur de ce projet. Car c'est comme une seconde incarnation du Christ : il vient en nous et nous sommes vraiment pompés en lui. C'est ce que nous dit, ce que nous explique là Saint Augustin lorsque nous sommes en train de prendre notre dîner : c'est que nous devons devenir ce que nous mangeons.
Voilà, je pense que nous devrions, je le répète et on ne le répétera jamais assez, réfléchir à cela parce que vraiment c'est le coeur de notre vocation et où alors, ce qui se passe au jour le jour dans le concret de notre vie, eh bien, ça prend un sens. Nous ne sommes pas ici, encore une fois, pour nous planquer, pour nous mettre à l'abri des misères du monde.
Non, nous sommes ici pour redresser le monde. Et le monde encore, il est tout entier en nous, tout entier. Et lorsque il est réglé, donc que il est rentré dans l'ordre en nous, eh bien, à ce moment-là, il est déjà mystiquement entré dans l'ordre partout. C'est ça la fonction du saint et c'est à la sainteté que nous sommes appelés.
Alors, les petites histoires que nous rencontrons tous les jours, les grandes aussi, les déboires, les épreuves, enfin tout tout tout ce qui se heurte à nous comme des contraires, eh bien, c'est à ce moment-là que la grâce de Dieu en nous, la puissance de Dieu parvient à vaincre les résistances de la matière. Car la matière est lourde, et la matière ne comprend pas, et la matière est déjà plus ou moins hostile. C'est ça le péché !
Eh bien, en nous, lorsque ça se rencontre, nous ne devons pas être effrayés. C'est logique, c'est normal, ça fait partie de notre vocation. Et lorsque la grâce en collaboration avec notre liberté s'attelle à vaincre les résistances, à ce moment-là, je vous assure, la création de Dieu progresse et .progresse jusqu'à son achèvement.
Mes frères,
Nous avons échangé sur les moyens de maintenir un climat chaleureux dans notre communauté qui est un petit état, une cité. Ce qu'il faut faire encore pour favoriser ce climat chaleureux entre nous, c'est de ne pas dénigrer la communauté ou tel ou tel frère. Dénigrer, ça veut dire noircir, c'est à dire : dire du mal !
A mon avis, ceux qui parlent comme ça sont d'une lâcheté de première catégorie car ça ne grandit pas la personne qui se livre à de telles pratiques, bien au contraire ! Il faut savoir que même dans l'esprit de celui qui écoute, il y a toujours un certain mépris qui s'installe pour le dénigreur
Donc, mes frères, faisons bien attention de ne pas tomber dans ce vice parce que vraiment il est destructeur de la confiance mutuelle et alors de la chaleur qui doit régner entre nous. Vous savez, j'ai déjà insisté sur ce point à plusieurs reprises et, il est repris textuellement dans les conclusions de la Visite Régulière.
Ce qu'il faut aussi, on l'a fait remarquer, c'est éviter toute espèce d'uniformisation, une uniformisation qui serait toujours au plus petit commun dénominateur naturellement. C'est raboter la communauté de manière à ce que personne ne soit distinct des autres.
Au contraire, il faut favoriser l'épanouissement de chaque vocation personnelle. Et d'abord, il faut les respecter. C'est une richesse très grande cette diversité qui existe entre nous.
Il y a, du côté du nouveau monde surtout, une tendance à cette sorte d'uniformisation. C'est très américain ! Dans la société américaine, tout le monde se ressemble, mais ce n'est pas comme ça dans notre Culture à nous.
Voilà que l'Europe se construit. Elle sera bientôt espérons achevée au plan politique comme elle l'est au plan économique. Mais tous ces peuples, toutes ces Cultures, toutes ces langues qui la composent sont une richesse inouïe.
Nous n'en profitons pas, nous, parce que nous sommes déjà trop âgés et que l'Europe se met en place et en route. Mais dans un peu de temps, dans une centaine d'années, je pense que ça peut être le point de départ d'une efflorescence dans les arts, dans la Culture, dans la peinture aussi, ne négligeons pas cela.
Eh bien, nous pouvons déjà ici à l'intérieur de nos communautés favoriser le charisme de chacun de manière que à l'intérieur du charisme commun qui est la vocation monastique cistercienne, que chaque frère puisse s'épanouir humainement et spirituellement. Pas d'uniformisation !
On a fait remarquer aussi que les anciens à la suite de décès successifs risquent de se sentir de plus en plus isolés. Il est donc bien de les entourer et à l'occasion de fêter un anniversaire. Nous l'avons fait dernièrement pour Dom Félicien. Mais attention ! Il faut faire cela pour les anciens, pas seulement les anciens selon le calendrier monastique, mais aussi les frères âgés.
Je pense que ça leur fait plaisir car ils doivent se sentir toujours partie prenante de la communauté et, ils le sont si nous les entourons. Il y a tant de petites choses ou bien de petits détails qui montrent que nous sommes attentifs à leur présence et que nous sommes heureux de les avoir parmi nous.
C'est un trésor de posséder des anciens, c'est un immense trésor. Ils sont les témoins d'une Tradition que nous n'avons pas connue puisque nous sommes plus jeunes ; une Tradition d'abord, appelons-là civile, ou politique, ou culturelle, et puis alors religieuse et monastique. Ils en sont les témoins et c'est sur eux que notre propre vie est construite, non seulement sur leur exemple mais sur leur personne, sur leur vie.
Et enfin, mes frères, il y avait une petite chose qui était d'ordre matériel. On avait demandé qu'on achète une friteuse. Et voilà, cela a été fait. Pourquoi ? Parce que la frite fait partie du folklore monastique ...?... ...?... et puis elle engendre la bonne humeur.
C'est peut-être pour ça qu'on n'en fait plus en carême parce que nous devons avoir une mine de carême. Pendant le carême il faut faire pénitence. Peut-être bien ? Mais cela nous fait désirer avec plus d'ardeur encore l'avènement du jour de Pâques qui nous permettra de voir revenir ces frites.
Voilà, mes frères, nous sommes arrivés en principe jusqu'au bout. Mais je n'ai pas encore donné mon avis à moi, c'est-à-dire ce que moi je prévoirais pour entretenir un climat communautaire vraiment, mais vraiment chaleureux.
Eh bien, nous allons laisser ça pour après Pâques. Je pense que ainsi nous serons plus ouverts à cette ...?...
........................................................................................................que nous adresse l'Abbé Général et son Conseil Permanent. Ce qu'ils disent est très bien, mais à côté de drames de ce genre, ça parait un peu théorique. C'est pourquoi, essayons de prendre la substance de ce qui est dit pour nous en nourrir et faire en sorte que nous puissions marcher sérieusement de tout notre coeur vers la sainteté qui nous est proposée. Car je pense qu'il n'y a que seule la sainteté qui peut faire contrepoids à toutes ces horreurs, à toutes ces haines, à tous ces crimes qui ...?... maintenant.
Donc une question se pose : quel est le sens des récentes Constitutions ?
En parlant de sens, nous parlons d'un chemin où nous nous sentons heureux, en vivant tourné vers le bonheur éternel.
Alors, nous avons vu que les Constitutions présentait un plan de salut pour nous, ce salut étant l'accomplissement parfait, entier de notre destinée chrétienne et humaine. Maintenant il nous est dit que les Constitutions peuvent être notre Livre de Vie.
Tout ce qui précède nous aide à comprendre pourquoi les Constitutions ne sont pas un simple "code de discipline régulière ", mais bien plus: un Livre de Vie. Le code de discipline nous expliquait comment il faut faire, comment il faut vivre. C'était le rôle de nos US auparavant. Ils expliquaient la discipline régulière que nous devions suivre, et ça dans chaque communauté de l'Ordre. Mais les Constitutions, c'est un Livre de Vie. En effet, elles procèdent de la vie et conduisent à la vie.
Elles procèdent de la vie en ce sens qu'elles sont le fruit pour aujourd'hui d'une Tradition multiséculaire, une Tradition qui a pris ses origines - nous le savons - au IV° siècle, bien loin d'ici. Et puis c'est arrivé chez nous. Elle a été reprise, vécue et puis adaptée.
Mais alors au-delà, cela remonte à la vie elle-même qui est le Christ se dévoilant dans son Evangile, se donnant à nous dans les sacrements. Et puis, l'Evangile étant lui-même la mutation de la transmutation d'une alliance que Dieu a conclue avec les hommes en se liant à un petit peuple.
Mais alors à un moment donné - comme je l'expliquait le jour de l'an - Dieu est entré, voilà, dans notre humanité. Et cette alliance avec les hommes, il l'a élevée à un niveau inimaginable, que lui seul pouvait concevoir et réaliser : nous faire participer à sa propre vie.
Donc, nos Constitutions, elles sont, elles poussent leurs racines dans tous ces mystères, dans toutes ces réalités bien concrètes, dans toutes ces réalités historiques. Et voilà, elles procèdent de la Vie et elles nous conduisent à la Vie, c'est à dire la propre vie de Dieu. C'est ainsi que nous devons les voir !
Par là-même, elles peuvent aussi être considérées comme : un guide vocationnel : c'est à dire comme un guide qui nous permet de comprendre notre vocation, dans les termes mêmes des Constitutions, il est possible d'entendre l'appel de Dieu à la suite cistercienne du Christ.
Cela veut dire bien concrètement qu'on pourrait très bien remettre les Constitutions à un postulant en lui disant de regarder. Et de lui demander alors : voilà, votre vocation, est-ce que vous vous y retrouvez ? S'il dit oui, oui c'est vrai, je ne comprends pas tout naturellement, mais je sens bien que c'est ça. Et aussi pour nous naturellement, ça nous permet d'entendre à nouveau l'appel de Dieu à la suite cistercienne du Christ.
Un guide spirituel : dans les termes mêmes des Constitutions, nous pouvons trouver une orientation et un stimulant, une motivation et un sens, donnés par cet unique Guide qui guide vers la vérité complète.
Donc dans les Constitutions, dans les termes de ces Constitutions, dans les mots de ces Constitutions, nous pouvons trouver une orientation pour notre vie personnelle et un stimulant. Nous pouvons mieux comprendre ce qui est attendu de nous, ce que Dieu attend de nous, ce que l'Eglise attend de nous, ce que les hommes attendent de nous.
Une motivation et un sens, Pourquoi nous sommes appelés ? Pourquoi nous sommes ici ? Et tout ça donnés par cet unique Guide qui guide vers la vérité complète. C'est le Christ qui nous conduit vers la vérité complète, entière. Lui est le Guide et la Vérité.
Maintenant, il y a une petite chose ici qui me gêne quand même. Vous ne l'avez certainement pas remarqué. Il faut que vraiment je sois un esprit un peu tordu pour remarquer ça. C'est que le Christ est appelé le Guide unique. Probablement que celui qui a rédigé ça n'a pas connu la guerre. Car alors le guide était le Führer, le duce. Alors vous avez aussi le grand guide qu'était Mao là-bas en Chine Populaire, Mao le grand timonier.
Alors moi, j'ai un peu peur du mot guide. Ceux qui disent ça ne se rendent pas compte qu'en allemand, c'est le Führer. Et je vous assure, ça sonne tout de même un peu drôle ! Alors non, il ne faut pas mettre " le guide ", c'est certain ! On peut utiliser le Berger, ou bien le Pasteur, le Christ l'a dit. Mais guide, pour moi, non ! Cela ne sonne pas bien pour ceux qui ont connu la guerre et l'avant-guerre avec ce fameux Hitler et ce fameux Mussolini.
Un guide pour le discernement des charismes personnels : dans les Constitutions, nous rencontrons des paroles objectives auxquelles nous pouvons confronter nos aspirations et nos manières personnelles de vivre le charisme commun.
Il y a donc le charisme commun, le charisme cistercien qui est authentifié par l'Eglise lorsque elle a reconnu les Constitutions. Mais nous avons aussi notre charisme personnel. Maintenant grâce aux Constitutions, nous pouvons comparer notre charisme commun, notre charisme personnel, voir s'il est conforme, voir s'il faut l'adapter, s'il faut le corriger ou bien si nous pouvons pleinement le développer.
Mes frères,
Nous allons à nouveau réfléchir à ce que le Père Abbé Général et son Conseil nous disent au sujet de nos Constitutions.
Disons, enfin, que les Constitutions sont l'expression stable de notre charisme cistercien de la Stricte Observance. Il faut insister sur le qualificatif stable. Ce n'est pas une expression qui fluctue au gré des tempéraments personnels. Non, il y a là une stabilité qui traverse les époques , qui unit les continents et qui, en principe, va fortifier les consciences.
Elles expriment la conscience que l'Ordre a de lui-même en ce moment de son histoire. Les Constitutions ne sont pas éternelles. Elles n'ont pas valeur d'évangile. Elles seront modifiées ...?... ...?... parce que l'Eglise est un organisme vivant et qu'elle s'adapte ( à ce que le monde nous présente ? ).
Elles sont donc notre lettre ou notre carte d'identité ecclésiale, avec tout ce que cela peut signifier pour l'unité et la formation dans la grâce que l'Esprit nous a accordée pour l'édification du Corps du Christ et le service de l'humanité.
Elles sont donc notre carte d'identité auprès de l'Eglise. L'Ordre doit présenter en principe le même visage partout, et puis dans la formation de chacun d'entre nous dans la grâce que l'Esprit Saint nous accorde personnellement, communautairement et collégialement au niveau de l'Ordre, pour l'édification du Corps du Christ et le service de l'humanité.
C'est donc que notre présence dans le monastère est l'expression - oui, c'est le mot le meilleur - est l'expression concrète, vivante d'une mission. Nous sommes appelés pour aider l'Esprit Saint à construire le Corps du Christ et, pour aider l'humanité à évoluer vers sa fin dernière qui est de devenir temple de Dieu, transparence de Dieu.
Et parce qu'elles sont une expression concrète de notre charisme, elles sont aussi une harmonie de moyens et de fins, d'observances et de valeurs, pour vivre la vie chrétienne dans toute sa radicalité, centrée sur la recherche de Dieu.
C'est donc une expression concrète de notre charisme, donc incarné. Elles seront un ensemble harmonieux de moyens mis à notre disposition, de fins, d'observances bien définies, de valeurs, pour vivre notre vie chrétienne dans toute sa radicalité. Car, nous devons la vivre non comme un franciscain ou un chartreux, ou comme un jésuite ou un frère des Ecoles Chrétienne, mais nous devons la vivre comme des cisterciens.
Pour cela même, nous trouvons aussi en elles un double aspect complémentaire :
- Aspect normatif : des prescriptions de caractère juridique au service des personnes et des communautés.
La Loi, le Droit sont au service de l'homme, au service des frères. Ce n'est pas nous qui sommes au service de la Loi, au service du Droit. Le Droit doit nous aider à voir clair, à nous structurer, à ne pas nous égarer.
- Aspect didactique : des données motivantes au bénéfice de la vie dans l'Esprit.
Dans nos Constitutions, nous pouvons trouver un enseignement qui doit nous motiver au bénéfice de la vie spirituelle dans l'Esprit Saint.
Et voilà, nous en resterons là pour ce soir.
Frères et sœurs,
Il y a dans la foule des disciples des pharisiens qui sont des gens prudents. Ils sont prévoyants. Ils savent ce qui va arriver si Jésus ne met pas fin à l'enthousiasme de ses disciples ; ils savent que dans la ville il y a des ennemis qui attendent Jésus pour le prendre au piège.
Et voilà que l'innocent, le pur Jésus tombe dans ce piège. Ses disciples le proclament Messie, ils le proclament roi d'Israël. C'est pour déchaîner contre lui la hargne des prêtres, la méfiance du pouvoir occupant.
Et les conséquences sont imprévisibles et ils disent à Jésus : Arrête donc tes disciples ! Mais c'est impossible: si les clameurs cessent, les pierres se mettraient à crier car c'est la vérité qui est là présente, c'est la vérité qui s'impose. Et à la vérité, personne ne sait mettre obstacle.
Frères et sœurs, nous sommes peut-être, nous, du côté des gens prudents, de ceux qui n'osent pas prendre de risques lorsque il s'agit de défendre la vérité, d'oser dire que Jésus est notre roi et que c'est lui que nous avons décidé de suivre jusqu'à l'extrême, jusqu'au bout.
Il nous ouvre le chemin et nous avons reçu en nous sa grâce et sa vie. Et nous avons pris le jour de notre baptême, le jour de notre première communion, nous avons pris l'engagement de lui rester fidèle jusqu'à la mort.
Oui, la vie du moine plus que de n'importe qui, mais aussi la vie du chrétien, est une marche à la suite du Christ. Nous devons veiller à ne pas perdre de vue l'initiateur de notre foi, seul Dieu devenu homme afin de nous entraîner à l'intérieur de sa vie divine.
Hors de lui, il n'y a pas de salut possible, il n'y a pas de réussite vraie, définitive. Le Christ est notre Roi ; rien jamais ne devrait nous troubler ni nous effrayer.
Il se rencontre pourtant des contradicteurs. Ils sont nombreux, ils sont habiles, leurs arguments sont percutants. Ils arriveraient même, comme dit le Christ lui-même, à séduire les élus s'ils pouvaient pénétrer à l'intérieur du ciel. Ils sont tellement malins que, à la longue, ils parviendraient à faire tomber les saints.
Et ces contradicteurs, ils sont à l'intérieur de nous, ils sont à l'extérieur de nous. Toutes les tentations qui nous assaillent de l'extérieur trouvent la complicité à l'intérieur de nous : nos peurs, nos égoïsmes, tout ce qui nous entraîne vers le bas et qui nous ferait trébucher jusque dans le péché, jusque dans la trahison.
Mais nous gardons confiance et nous allons de l'avant sans faiblir. Rien ni personne ne pourra jamais nous arrêter, nous faire reculer, nous faire taire. Et ce n'est pas Jésus qui nous reprendra, ce n'est pas lui qui nous écartera, ce n'est pas lui qui nous empêchera de dire à la face du monde qui il est. Il est heureux de notre foi, heureux de notre espérance, heureux de notre amour.
Non, frères et sœurs, nous ne permettrons pas aux pierres de crier, de chanter à notre place. Nous allons maintenant bien haut proclamer notre foi. Nous la proclamerons en marchant à la suite du Christ jusqu'à ce qu'il nous ait introduits pour jamais auprès de lui dans la lumière de son Royaume. Et nous proclamerons notre foi par notre procession.
Frères et sœurs,
Transformez-vous en renouvelant votre façon de penser ! Tel est le conseil que 1 'Apôtre Paul donne à ses correspondants romains, tel est le conseil qu'il nous donne à toute heure. Nous devons nous convertir, nous devons nous transformer en pensant comme Dieu pense, en épousant ses pensées, ses vouloirs, ses projets, ses folies, en accueillant en nous son amour et sa vie.
Oui, frères et sœurs, en ces jours très saints de la Passion, jetons bas toutes nos prétentions à être des personnages et contemplons Dieu réduit à rien dans la personne du Christ. Jésus est le fils de l'homme ; il est aussi et d'abord le fils de Dieu. Lorsqu'il parle, lorsque il dit JE, lorsque il dit MOI, c'est Dieu lui-même qui parle. Sa personne est celle de Dieu.
Le prophète Isaïe, l'Apôtre Paul encore viennent de nous dire où se trouve, où se situe la véritable grandeur. Nous n'avons pas à chercher Dieu dans les sublimités, nous devons le chercher et nous le trouverons dans les abîmes.
L'oubli de soi, le dévouement, la pauvreté, tel était l'habitat choisi par Dieu. Et ce n'a pas été, ce n'est pas un jeu de riche. Non, Dieu dans la personne de Jésus a enduré un supplice atroce et il en est mort.
Le poignant récit que nous venons d'entendre anéantit toutes les images que nous pouvons avoir d'un Dieu armé d'invincible puissance. Dieu se laisse manger, Dieu se laisse frapper, Dieu se laisse insulter, Dieu se laisse clouer à une croix.
Or, suivre le Christ, c'est construire sur lui son avenir. Cela ne va pas de soi, ce n'est pas possible si ce n'est pas donné par lui. Personne, a-t-il dit, personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par mon Père.
Et nous avons entendu le premier des apôtres - celui qui devait être le premier fondement de toute l'Eglise - nous l'avons entendu capituler, nous l'avons entendu prendre la fuite, nous l'avons entendu renier. Jésus s'est retourné, il a posé sur lui son regard pour lui rappeler que ' il lui avait promis que malgré toutes ses lâchetés, malgré ses défaillances, malgré sa trahison, sa foi ne faiblirait pas.
Frères et sœurs, si nous nous arrêtons au plan purement humain de la statistique, c'est par hasard que Jésus a été crucifié entre deux brigands. Un lot de trois malfaiteurs ! Et c'est Jésus pour ce jour-là juste avant la Pâque, Jésus à la dernière extrémité qui a été substitué à l'un d'eux par acclamation populaire. C'était une simple formalité, demain on n'y penserait plus !
Rappelons-nous cet épisode tout aussi réel et tout aussi tragique et tout aussi magnifique de ce prêtre Maximilien Kolbe qui, au camp d' Auschwitz, s'est proposé à mourir de faim à la place d'un autre. Le gardien SS a barré un numéro sur la liste et y a inscrit le numéro d'un autre. Voilà, frères et sœurs, c'était aussi simple que cela. Et à cet instant même, la Passion du Christ était à nouveau présente bien réellement.
Quand nous entendons Jésus associé à ces brigands, nous voyons bien autre chose qu'une statistique, nous entendons un cri qui déchire nos oreilles et nos cœurs. Une évidence crève nos yeux et nos oreilles et elle nous transperce de part en part. Nous ne pouvons presque pas en croire nos yeux ni nos oreilles.
Et pourtant elle est là : Dieu est à chercher non pas dans la compagnie des justes, mais dans la compagnie des pécheurs. C'est là qu'il se trouve ! Il l'avait d'ailleurs dit à l'avance : Je ne suis pas venu pour chercher les justes, mais pour les pécheurs ; ce ne sont pas les hommes bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades.
On pourrait presque dire que l'univers est un grand hôpital où il n'y a que des infirmes, des malades, des condamnés à mort, des hommes et des femmes en phase terminale de leur existence. Eh bien, c'est ainsi, c'est réellement ainsi ! Et nous-mêmes, de quel côté allons-nous nous placer ?
Je pense que nous devons retenir une chose essentielle, définitive et le calvaire nous le rappelle : Dieu s'est mis au rang des malfaiteurs. C'est dans le rien, dans le rebut, dans l'innommable qu'il se laisse trouver. Mais alors, vous pouvez me poser la question : mais les saints, eux, tout de même ?
Eh bien , Saint Benoît nous rappelle que le saint est déjà mystiquement passé de l'autre côté du voile. L'homme que Dieu a pris en lui et introduit dans son univers, eh bien , cet homme, à longueur de minutes, instant par instant, il est torturé dans son coeur par la confusion, par la certitude qu'il est pécheur, qu'il est un brigand, qu'il est un traître ; mais que tout cela lui a été pardonné, que tout cela a été pris, porté par le Christ Jésus qui a poussé l'amour jusque là. Il a été compté parmi les pécheurs, comme on vient de nous le dire encore maintenant. Et vous comprenez, le saint, c'est un pécheur pardonné mais qui garde conscience qu'il est un pécheur.
Eh bien, frères et sœurs, c'est dans cette direction que nous devons marcher. N'ayons jamais peur de nous voir tels que nous sommes. Et c'est tels que nous sommes que nous nous trouvons auprès du Christ et que le Christ est à côté de nous. Voilà ce que nous pouvons retenir de cette journée qui ouvre la semaine de la Passion et qui débouche sur le dimanche de la résurrection.
Oui, Dieu est amour, le Christ est l'amour devenu chair, l'amour devenu matière, l'amour devenu homme. Et c'est dans cet amour que nous jetons tout ce que nous sommes, tout notre péché et aussi toute notre espérance car nous savons que nous sommes morts avec le Christ sur la croix. L'homme pécheur est mort sur une croix avec le Christ.
Et si parfois nous sommes endormis, inconscients, sachons que à notre dernière heure nous serons avec le Christ, éveillé, et que nos yeux s'ouvrant, nous verrons enfin la lumière. Et nous serons pour jamais ensemble nous les pécheurs pardonnés, ensemble auprès de notre Christ pour l'éternité.
Amen.
Mes frères,
Le récit que nous venons d'entendre ce matin au cours de 1'Eucharistie ne cessera jamais de nous interpeller. Marie verse sur les pieds de Jésus un parfum très pur et hors prix et, elle essuie avec ses cheveux les pieds de Jésus. Dans le texte original, il est précisé à deux reprises qu'il s'agit des pieds de Jésus.
Vous savez que dans le pied, particulièrement la plante du pied, se trouve condensé le corps entier. Il y a là une multitude de points d'acupuncture qui fait que en touchant telle partie du pied, on touche telle partie du corps.
Marie, en oignant de parfum les pieds de Jésus en réalité touchait son corps entier. C'est pour çà que tantôt Jésus parlera de son embaumement.
Et la valeur de ce parfum, elle dépasse toute imagination : une année de travail. Aujourd'hui, ce sera au moins un demi million qui est ainsi parti, évaporé en un instant. C'est là un geste de folie qui ouvre les portes à toutes les folies de l'amour.
On a greffé toutes sortes d'interprétations mystiques sur ce geste de gaspillage. La moniale surtout, la vierge consacrée surtout était censée verser tout le parfum de son être sur les pieds de son maître Jésus.
Et c'est bien vrai ! Nous devons gaspiller notre vie au service de Dieu. Nous ne pouvons pas être dans le monastère pour y faire fortune, pour réussir, faire carrière. Non, mais pour perdre notre vie, pour la gaspiller, qu'elle s'évapore comme ça pour rien : la gratuité de l'amour. Alors on est dans la vérité !
Et, remarquons que Marie ne prononce pas un seul mot. Son geste est non-verbal d'une éloquence prodigieuse. Aujourd'hui, les psychologues de plus en plus s'attachent à interpréter, à écouter le non-verbal qui est beaucoup plus éloquent et important que le verbal. Les mots ne peuvent pas tout traduire. Les gestes peuvent dire ce que les mots ne peuvent pas exprimer.
Et l'Eglise, jusqu'à la fin du monde, ne cessera d'écouter ce non-verbal. Elle n'aura pas le temps d'en épuiser le sens. Mais pour sa consolation, elle aura toute l'éternité devant elle.
Et c'est un repas où il y a beaucoup de convives : il y a des disciples, il y a des amis et l'ambiance est à la fête car Jésus a ressuscité Lazare. Et essayons d'imaginer aujourd'hui un homme qui ferait sortir d'un tombeau un cadavre enterré depuis quelques jours ? Voilà ! Mais voyez à l'époque, c'était aussi sensationnel, davantage peut-être encore ?
Et voilà que le geste de Marie ouvre une brèche dans cette euphorie. Une gêne s'installe et des questions se posent ; 1'étrangeté et l'audace de ce geste, la folie de ce gaspillage dérangent ; et Judas dit tout haut ce que tous les autres pensent tout bas : pourquoi ? Cette question : mais pourquoi ?
Mes frères, à l'intérieur de ce pourquoi les temps s'entrechoquent comme si le monde allait s'écrouler car la réponse de Jésus, elle sonne plus énigmatique encore. Il fait allusion au jour de sa sépulture.
S'il fallait traduire littéralement le mot grec, cela veut dire : c'est le jour de ma mise au tombeau. C'est toute une scène dans la mise au tombeau tandis que sépulture est plus abstrait. Sépulture, ça peut être un monument, mais c'est la mise au tombeau.
Alors imaginez ! On parle de ça au milieu d'un banquet. Voilà, il dit bien : Marie tenait en réserve ce parfum pour ce jour et cette heure-ci qui sont le jour et l'heure d'un enterrement, celui de Jésus.
Essayons de comprendre ce que Jésus a voulu dire. Jésus est mort et Marie procède à son embaumement. Je rappelle qu'en touchant les pieds, elle touche le corps entier ; et qu'en les essuyant avec ses cheveux, avec ses cheveux, elle bassine tout le corps. Dans la salle du festin, finalement, il n'y a plus que Jésus mort et Marie qui l'embaume. Eux deux sont à l'intérieur d'un univers auquel les autres n'ont pas accès.
Le monde devient comme inexistant car la mort de Dieu le fait retourner au néant ; ou du moins, la mort de Dieu manifeste que le monde est sorti du néant et, qu'il est toujours suspendu au-dessus du néant, qu'il est pur néant ; que nous-autres qui sommes une fraction infime du monde, nous sommes aussi néant, mais que nous existons et que nous pouvons exister éternellement dans la mesure où nous avons la lucidité de tout gaspiller pour nous perdre à l'intérieur de celui qui tient le monde hors du néant.
Tout est fugace, tout est vanité, tout s'éteint : il ne reste que l'amour. Mais pourquoi ? Mais parce que l'amour est Dieu. Le jour où dans une vie monastique on a compris intellectuellement et aussi surtout existentiellement jusqu'au fond de sa conscience que Dieu est amour et que l'amour c'est Dieu, et que Dieu n'est rien d'autre que l'amour, à ce moment-là, je pense qu'on est entré dans la vie contemplative. On est passé de la mort à la vie. On a compris, on a enfin compris qui était Dieu et qui était le Christ.
Et alors tout change, tout, absolument tout, et on est prêt à poser des actes semblables à ceux de Marie. l'Amour qui brûle le cœur de Jésus - et le meut à donner sa vie pour le salut du monde - donc cet amour-là ; puis l'amour qui entre dans le coeur de Marie et qui rejoint Jésus au-delà de la mort dans l'invincible lumière.
Il y a donc ici une sorte de mariage : l'amour qu'est Jésus a éveillé dans le coeur de Marie un amour qui comprend, un amour qui sait, et puis un amour qui n'hésite pas à se donner tout entier à celui qui l'a appelé. Et c'est vraiment, vraiment la course d'une véritable vie monastique, d'une véritable vie consacrée.
Et le tragique de la situation, c'est que les autres ne savent pas. Jésus dans le fond de son cœur le dit déjà : Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font, ils ne savent pas ce qu'ils disent.
C'est eux qui sont les gaspilleurs. Ils gaspillent leur vie en s'acharnant à dénigrer la folie amoureuse de Marie et finalement à tuer la vie parce que en s'attaquant à l'amour, en dénigrant l'amour et en étouffant l'amour, on tue la vie. Car en dehors de l'amour, il n'y a pas de vie.
Les prêtres, les anciens, Pilate ont tué Jésus ; mais Jésus était déjà mystiquement mort avant. Ils n'ont fait que ratifier au plan matériel, au plan charnel une réalité qui existait déjà mystiquement avant. Jésus était déjà mort et il y avait une seule qui le savait, c'était Marie ; et les autres ne le savaient pas.
Marie a voulu ainsi s'ensevelir avec Jésus et perdre sa vie avec lui. C'est ça ! Si véritablement on aime, on n'hésite pas à perdre sa vie avec le personne qu'on aime. Et c'est ça que nous devons faire dans le monastère. Il n'y a pas de plus grand amour, dit Jésus, que de donner sa vie pour ceux qu'on aime, que de perdre sa vie pour ceux qu'on aime.
Si nous perdions notre vie, ici, les uns pour les autres, mais ce serait quasiment la fin du monde parce que nous aurions ici vraiment, vraiment, dans notre monastère nous aurions vraiment l'apparition de l'univers nouveau qui sera entièrement pénétré d'amour, qui ne sera plus qu'une hymne à l'amour.
Et ainsi, le geste de Marie nous ouvre la route vers la vérité, la vérité entière. En communiant au cours de 1'Eucharistie au corps et au sang du Christ, eh bien, nous le suivons jusqu'à l'intérieur de cette folie d'amour. Mais il faut vraiment communier au corps et au sang du Christ.
Il ne faut pas être là pour boire du vin, on n'a plus la foi alors. Non, non non non, non non, il faut vraiment avoir la foi. Il faut raviver sa foi à ce moment-là et dire qu'on s'ensevelit avec le Christ à l'intérieur de sa mort, et de sa résurrection, et de l'amour qu'il est.
Etre mort avec le Christ pour ainsi ressusciter avec lui, telle est notre ambition et telle est notre vocation. Mais qu'est-ce que cela veut bien vouloir dire, ressusciter avec lui, maintenant ?
C'est tout simple, c'est aimer. Un homme qui aime, mais vraiment, il est ressuscité. Il est passé de la mort à la vie parce qu'il aime. Et celui qui n'aime pas, il est encore installé dans la mort. Même s'il est bien vivant, même s'il a réalisé de grandes choses, en réalité il ne fait rien.
Voilà, mes frères, essayons de penser à ces beautés en ces jours de Semaine Sainte qui nous rappellent qui nous sommes, qui nous devons devenir et qui nous serons un jour tous pour notre gloire et tous ensemble pour l'éternité, c'est à dire un seul être avec Dieu, un seul être avec notre Christ.
Mes frères,
Nous avons encore une fois compris ce matin au cours de la proclamation de l'Evangile que dans la salle où se célèbre la cérémonie du repas pascal règne une atmosphère lourde et oppressante. Chacun sait que Jésus est recherché par la police. Il est considéré comme un agitateur, comme un hérétique, comme un gêneur.
Et nous pouvons nous poser une petite question : Comment les chefs du peuple auraient-ils pu savoir que Jésus était Dieu, que Jésus était leur Dieu ? Ses disciples, ses plus proches eux-mêmes n'y comprenaient rien. Combien de fois n'ont-ils pas essayé de s'emparer de lui pour le protéger contre lui-même car ils jugeaient qu'il sombrait dans la démence.
Et à partir de là, nous pouvons comprendre, percevoir intuitivement avec l'aide de la grâce que Dieu est un être inquiétant, un être dangereux. Il jette bas les idées reçues, les raisonnements les mieux huilés. Mais quand donc nous-mêmes oserons-nous le croire ?
Attention ! Je ne veux pas maintenant me faire l'apôtre du non-conformisme, ce non-conformisme que l'on voit étalé dans les rues si on a l'occasion de sortir hors des murs de notre clôture. Ce non-conformisme est humain. Il dénote une insatisfaction, une insécurité, une peur inscrite au plus profond des personnes.
Non, le conformisme de notre Dieu, il est tout autre : c'est le conformisme de l'amour. Et quand on en a fait l'expérience, plus rien n'est jamais comme avant ; on entre dans une sphère nouvelle, la sphère de l'amour. Et n'oublions jamais que l'amour est Dieu !
Et à partir de ce moment-là, on commence à devenir un être étrange, un être anormal pour les autres, un être énigmatique, qui pose question. C'est ainsi que les saints pour la plupart ne sont pas reconnus de leurs voisins, même de leurs collaborateurs ; et certains même sont persécutés parce qu'ils ne voient pas les choses comme les autres. Ils ne les sentent plus comme eux, ils les sentent à la manière de Dieu. Et ça fait toujours scandale !
Maintenant une autre question, mes frères, qui est importante pour nous vu les circonstances dans lesquelles nous vivons depuis quelques mois. Cette question est celle-ci : L'ambiance entre les disciples était-elle chaleureuse ?
On peut franchement répondre par la négative. Ils se regardaient du coin de l’œil, se chamaillaient, et se bousculaient pour s'emparer des meilleures places. Voilà les disciples, voilà le collège apostolique, voilà la toute première communauté monastique ! Pas d'ambiance chaleureuse du tout !
Mais attention ! Cela n'empêchait pas 1'Esprit Saint de les souder en un seul corps. L'Esprit Saint, lui, est dispensateur d'une autre chaleur. Et en dessous de toutes les petites bassesses humaines, les coups d'épingles, les coups de couteaux qu'ils se donnaient entre eux, il y avait vraiment un lien qui les tenaient. Et c'était la personne de 1'Esprit Saint, qui était la personne de l'amour, qui était au travail au plus profond des cœurs.
Et Jésus, que faisait-i1, lui ? Eh bien Jésus, il les remettait à leur place. Il ne s'employait pas à les convertir à tout prix. Non, il jugeait sans doute que c'était impossible, les hommes sont les hommes. Et d'ailleurs, il laissait l'affaire à quelqu'un d'autre.
Moi, je m'en vais, a-t-il dit, comme s'il disait : moi, je n'ai pas réussi à mettre de l'entente entre vous. Je vais confier l'affaire à un autre. Et quand 1'Esprit Saint que je vous envoie sera arrivé, à ce moment-là vous comprendrez qui vous êtes et vous commencerez à vivre réellement.
Ce que je vais dire maintenant n'a pas été repris dans la lecture de ce matin. Jésus simplement leur dit ceci : je vous donne un commandement nouveau et le voici, que vous vous aimiez les uns les autres; comme moi je vous ai aimés, ainsi vous devez vous aimer les uns les autres; tout le monde reconnaîtra que vous êtes mes disciples si vous avez de l'amour les uns pour les autres. Voilà ce qu'il leur dit ! Il les élève alors à un étage supérieur, à l'étage qui est le sien. Et c'est là qu'il nous invite, c'est là qu'il nous attend, là et nulle part ailleurs. Je l'ai déjà dit tant et tant de fois, les premiers cisterciens savaient ce qu'ils faisaient lorsqu'ils affirmaient que leur monastère devait être une schola caritatis, une école où on est à cet étage supérieur, où on se soutenait les uns les autres pour y accéder.
Donc voilà, mes frères, un programme qui va bien au-delà d'une quelconque ambiance chaleureuse qui pourrait exister entre nous !
Maintenant un autre détail : c'est que Jésus aurait très bien pu neutraliser Judas et il ne l'a pas fait. Est-ce que ce n'est pas là une folie ? Eh bien oui, c'en est une ! Et c'est même, plus que de la folie, une sorte d'inconscience. Hérode et Pilate avaient leur service de sécurité. Jésus qui est Dieu, lui, il n'avait rien. Il était livré sans défense et sans protection.
Eh bien, tel est l'amour ! L'amour est ce qu'il y a de plus démuni, de plus faible, de plus exposé au monde. L'amour se donne sans réserve et ne se protège pas. L'amour est pur don. L'amour ne met jamais la main pour écarter, non, il est pur don, il est pur accueil. L'amour rend les personnes comme inexistantes.
Et pourtant, à ce moment-là,. elles sont au sommet de la véritable puissance exactement comme Dieu qui est comme inexistant. Et pourtant Dieu porte tout, et l'amour porte tout, même s'il est ce qu'il y a dans l'univers de plus démuni.
Et c'est la raison pour laquelle l'amour qui est pure folie est à l'avance, par avance condamné à mort. Il ne se défend pas. Il faut dire que Jésus l'avait donné à entendre déjà à ses disciples lorsqu'il disait : Il ne faut pas résister au mal. Si on te frappe sur une joue, eh bien présente l'autre encore ; Ne rend pas un coup de pied, non, présente l'autre joue.
Et puis voilà, on veut te traîner en procès pour t'enlever ton manteau, eh bien, donne encore ce qu'il y a en dessous, donne ta chemise s'il le faut. Cela n'a pas d'importance ! L'important, c'est d'être établi dans l'amour et de ne pas en sortir. C'est ça la folie de l'amour ! Et c'est la raison pour laquelle Jésus ne s'est pas protégé de Judas.
Et il est bien dit : Aussitôt que Judas est sorti, le fils de l'homme est glorifié, il est immédiatement inondé de lumière et de gloire. La propre lumière de Dieu le Père, sa propre gloire s'empare de Jésus. Mais pourquoi cela ?
Eh bien, c'est parce que la séquence du plus grand amour est enclenchée cette fois-ci. C'est en route et, le jusqu'au bout, l'extrême de l'amour est amorcé. C'est la raison pour laquelle Jésus dit, peut dire maintenant : le fils de l'homme est glorifié et Dieu est glorifié en lui. Maintenant, c'est à dire au moment où Judas s'en va.
Et Pierre, lui qui voudrait bien suivre Jésus, il va trébucher. Il n'est pas possible de suivre Jésus aussi longtemps qu'on n'a pas été soi-même métamorphosé par l'amour. Ce n'est pas possible !
nous quoi
Alors mes frères, aujourd'hui ? Eh bien, mes frères, aujourd'hui, nous attendons, et puis nous espérons, et nous croyons que l'amour aura quoi qu'il arrive le dernier mot dans notre vie.
Mes frères,
Il est à noter que dans le récit évangélique qui dépend de l'Apôtre Matthieu, la démarche de Judas auprès des grands prêtres a lieu immédiatement après 1'onction de Béthanie. Il y a certainement une relation entre les deux et, nous pouvons nous demander : Mais qui était donc Judas ?
Certainement quelqu'un de bien, sinon Jésus ne l'aurait pas choisi pour en faire une des fondations de son Eglise et un des juges d'Israël. Alors, que s'est-il passé ? Pourquoi ce dérapage et cette chute ? Nous ne le saurons jamais avec précision. Il en était arrivé à voler, à détourner l'argent dont il avait la gestion, la responsabilité. Jésus lui-même et les autres apôtres lui faisaient confiance et, il abusait de cette confiance.
N'essayons pas, mes frères, de trop comprendre et tenons-nous plutôt sur nos gardes. Il est certain qu'au départ Judas était meilleur que nous. Et si un ange peut tomber si bas, les êtres de terre et de boue que nous sommes peuvent encore beaucoup plus facilement faire une chute.
Sur la route de la trahison et du crime, il existe un point de non-retour. Quand il est atteint, c'est la fuite en avant jusqu'au bout. Et pour Judas, ce point de non-retour a été atteint quand il eut avalé la bouchée que Jésus lui tendait. Il est bien dit : Quand il eut avalé la bouchée, Satan entra en lui.
C'était fini ! Plus aucun retour n'était possible. Un mécanisme était enclenché et ne s'arrêterait plus. Et Jésus l'a aussi compris lorsque il a dit : Ce que tu as à faire, fais-le vite ! Jésus l'a laissé partir, il ne pouvait plus rien.
Mais Dieu n'est-il pas tout puissant ? Ne pouvait-il arrêter le mécanisme et l'inverser ? Mais n'oublions pas que Dieu est amour et que l'amour est la faiblesse par excellence. Et nous devons nous-mêmes nous tenir sur nos gardes ; ne nous croyons pas plus forts que Judas.
C'est par la grâce de Dieu que nous sommes ce que nous sommes. Le savoir et s'en convaincre, c'est s'établir dans la maison de l'humilité. Et là, à l'intérieur de cette maison est la sécurité. Dehors, on s'expose à tous les périls.
Oui, l'humilité est une maison ; et notre instinct, lui, aimerait la quitter pour aller voir ce qui se passe ailleurs. C'est, à mon sens, un des aspects les plus durs de la vie monastique. Je ne veux pas dire aller voir de l'autre côté des murs de clôture, mais de cette demeure mystérieuse qu'est l'humilité.
Elle a été construite, cette maison, par Dieu lui-même qui s'est vidé de sa condition divine pour endosser la livrée de l'esclave et descendre au plus bas jusqu'à se laisser mettre à mort, injustement, sur une croix. A ce moment-là, il a construit la maison, le palais de l'humilité. Il en est le Prince, il en est le Roi, il en détient les clefs.
Et c'est en nous accrochant à lui, à son obéissance, à son amour que nous pouvons à notre tour avoir accès à l'intérieur de cette maison et à nous y établir sans en sortir ; car il y a beaucoup de demeures à l'intérieur de cette maison, beaucoup de chambres et de recoins à découvrir. Saint Benoît les présente sous la forme d'une échelle, c'est vrai ! Mais c'est tout aussi bien un palais dont il faut explorer la beauté, les trésors.
Et c'est parfois bien austère car tous ces trésors sont enveloppés dans un coffret qui s'appelle le rien, le vide. Il n'y a rien, la chair n'a rien à se mettre sous la dent. Et c'est pourquoi, elle voudrait aller voir dehors pour essayer de cueillir quelques petites satisfactions qui lui permettraient alors de survivre.
Mais attention ! Notre chair dans ce qu'elle a de pervers, dans ce qu'elle a de contraire à Dieu, elle doit mourir. Et finalement, elle mourra totalement.
Mes frères, encore un détail qui est très juste et très intéressant. Il existe deux jusqu'au bout. Ils sont antagonistes, ils sont opposés et pourtant ils sont concomitants. Il y a le jusqu'au bout de l'amour et le jusqu'au bout du péché. Le jusqu'au bout du péché appelle le jusqu'au bout de l'amour. Et le jusqu'au bout de l'amour parvient à annuler le jusqu'au bout du péché. Et tous les deux ont pour terme ultime la mort.
Le jusqu'au bout de l'amour, c'est la mort. Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime. Et donner sa vie réellement jusqu'au bout, c'est mourir, mourir physiquement. Et le jusqu'au bout du péché, c'est précipiter l'autre et soi-même dans la mort. Judas livre Jésus à la mort et il se suicide.
Mais la mort par amour engloutit toutes les morts causées par le péché. Et cette mort par amour est finalement vainqueur de la trahison, du crime parce qu'elle débouche sur la résurrection. La mort qui se trouve au bout du péché est une mort sans retour ; la mort qui se trouve au bout de l'amour, elle a un retour.
Et ce retour, c'est la résurrection car il est impossible que l'amour disparaisse, il est impossible que l'amour soit égratigné. Et la preuve de la réalité et de la victoire de l'amour, c'est la résurrection d'entre les morts. Et en quoi consiste cette résurrection ?
Nous ne le savons pas, nous ne pouvons pas l'imaginer. Nous savons que le Christ est ressuscité. Nous n'allons pas épiloguer sur la nature de la résurrection, je vous le dis, cela nous dépasse. Mais il est certain que nous pouvons en faire une expérience nous-mêmes avant notre mort biologique, une petite approche, une sorte d'intuition qui nous dit sans que nous puissions l'expliquer par des mots ce qu'est la résurrection.
C'est lorsque on a la certitude absolue qu'on est entré dans la vie, dans une vie qui est différente, d'une autre nature que notre vie périssable, une vie qui est tout entière respiration de lumière et d'amour. La vie contemplative évoluant normalement dans de bonnes conditions subjectives, objectives aussi, débouche finalement sur cette expérience, cette expérience de la vie éternelle, de 1'avant-goût de la résurrection.
Le corps spirituel, c'est un corps de lumière. La résurrection, c'est être vêtu d'un manteau de lumière. La vie éternelle, c'est respirer la lumière. Mais cette lumière, c'est une lumière bien réelle qui est le Christ lui-même dans son état de ressuscité.
Et cette lumière, encore une fois, il nous est impossible de la décrire avec des mots. Nous pouvons seulement en faire l'expérience petitement, à notre petite mesure, ici, en attendant de la faire pleinement lorsque nous serons transfigurés totalement et que nous aurons part à la résurrection d'entre les morts.
Mes frères, ce mystère de la mort vaincue, absorbée, engloutie par la vie, par l'amour, ce mystère, nous allons le revivre, nous allons l'évoquer dans les jours qui suivent. Et je rappelle que nous devons l'incarner dans toute notre vie. C'est pour ça que nous sommes au monastère. Nous devons devenir amour pour être, avec le Christ, vainqueur de toutes les espèces de mal.
Voilà, mes frères, un beau sujet de réflexion. Il n'est pas nécessaire de se fatiguer les méninges là-dessus, mais il suffit de laisser rêver son coeur. Car dans le domaine de Dieu, dans la région où le Christ nous entraîne, le rêve est beaucoup plus beau que la réalité. Tout rêve est ainsi.
Mais ce rêve devient réalité, il est la réalité première dans le coeur de Dieu et il est la réalité dernière lorsque tout sera accompli. L'Apôtre Paul le dit : ô mort, où est ta victoire ? ô mort, où est ton aiguillon ? L'aiguillon de la mort, c'est le péché. Et tout a été anéanti par le Christ, par Dieu lui-même qui a absorbé la mort dans la victoire qu'est la résurrection.
Voilà, mes frères, notre espérance et notre rêve. Demandons les uns pour les autres que ces beautés se réalisent le plus vite possible dans chacune de nos existences, pour chacun d'entre nous.
Frères et sœurs,
Nous laver les pieds les uns aux autres, non pas une fois en passant mais chaque jour et à chaque instant du jour ; vivre aux pieds de nos frères, aux pieds de tous les hommes, être à leur service toujours et partout ; ne pas avoir un mouvement de recul devant le traître d'aujourd'hui ou de demain, devant l'homme immonde dont on connaît la perfidie ; aimer jusque là, aimer jusqu'au bout, laisser l'amour prendre possession de nous et nous jeter dans des actes fous, voilà ce qui nous est demandé, voilà ce qui est exigé de nous, les chrétiens !
Je vous ai donné un exemple afin que vous aussi vous fassiez ce que j'ai fait. Et derrière cette injonction, il y avait déjà dans le coeur de Jésus, même si les apôtres ne se doutaient encore de rien, il y avait déjà sa mort et, au-delà de sa mort il y avait la résurrection. Il n'est pas possible d'accéder à la vie véritable en faisant l'économie de cette remise de soi totale, entière, parfaite aux autres.
Si nous sommes chrétiens, nous sommes des sauveurs à la suite du Christ et comme le Christ. Or, nous ne pouvons sauver nos frères les hommes, nous ne pouvons les élever de leurs souillures et leur donner un coeur nouveau que, si agenouillés devant eux, nous leur lavons les pieds.
Cela signifie que nous devons au plus intime de notre conscience nous juger inférieurs au plus petit, au plus vil d'entre eux ; nous devons prendre sur nous tout ce qu'ils sont, tout ce qu'ils font et accepter de mourir à leur place.
Il est nécessaire si nous voulons faire quelque bien aux autres qu'ils sentent, qu'ils perçoivent intuitivement que notre amour ira jusque là en cas de besoin. Il n'est pas possible de donner la vie si soi-même on répugne à se vider de soi. Or, se vider de soi, se désapproprier de tout, se dépouiller de tout, c'est une sorte de mort.
La souffrance et la mort des innocents, des enfants, des saints trouve son sens dans cette union mystérieuse : et avec le Christ sauveur et avec les hommes pécheurs.
Hélas, trois fois hélas, notre foi est obscurcie surtout quand nous avons mal nous-mêmes, surtout lorsque le malheur s'est abattu sur nous, lorsque l'épreuve nous poursuit, et nous rattrape, et nous tenaille.
Et voilà, nous passons alors à côté de ce qui nous ouvrirait à l'espérance, ce qui ouvrirait devant nous la porte de la vie.
Le dernier repas pascal partagé par Jésus avec ses disciples, nous le revivons dans chaque Eucharistie et nous sommes engloutis dans le même drame, drame du salut par la mort à nous-mêmes, à nos suffisances, à nos égoïsmes et à nos peurs. Tous, nous formons un seul corps, nous qui partageons le même pain et la même coupe. C'est la même vie qui circule en nous, c'est l'Esprit Saint qui fait battre notre coeur. Nous devons le croire, nous devons le savoir.
Et nous devons permettre à l'Esprit d'insuffler en nous des pensées qui soient des pensées de bienveillance, des pensées de compassion, des pensées d'estime et de respect, des pensées de charité pour tous les hommes, et pour ceux d'abord avec lesquels nous vivons, avec notre prochain le plus proche, notre propre famille, notre communauté, nos compagnons de travail.
Chacun doit sentir qu'il y a en nous quelque chose qui les interpelle. Et ce quelque chose, c'est la vie de l'Esprit, cet Esprit que nous avons reçu lorsque nous partageons le corps et le sang de notre Christ. Nous avons ainsi à porter les fardeaux les uns des autres, à nous pardonner, à nous aider mutuellement sur la route d'un véritable amour.
La vision du Christ Jésus, la vision de Dieu agenouillé à nos pieds pour les laver ne devrait jamais quitter les yeux de notre coeur. Notre existence en serait bouleversée et nous entrerions pour jamais dans les espaces illimités de la paix.
Nous goûterions une liberté qui est la propre liberté de Dieu. Nous sentirions tout au fond de nous une joie secrète, la joie qui est la conscience de partager une vie qui nous dépasse, une vie qui nous unit tous, la propre vie de la Sainte Trinité, la vie éternelle.
Et cette vie éternelle n'est pas une vie d'une durée sans fin., non, mais une vie qui est totalement concentrée dans un regard, dans une écoute, dans un coeur qui sait battre au rythme du propre coeur de Jésus notre Seigneur.
Amen.
Frères et sœurs,
La mort de Jésus, la mort de Dieu sur une croix alors que Ponce Pilate était gouverneur de la Judée, cette mort à un moment précis de l'Histoire est un scandale qui jette, qui retient hors de la foi des multitudes d'hommes depuis des siècles. Rien d'étonnant alors si l'Apôtre nous demande de tenir ferme dans la profession de notre foi.
Notre Dieu n'est pas un despote vindicatif, implacable. Il a pris sur lui l'invraisemblable, il a pris sur lui l'impossible. Il est descendu plus bas que le plus épouvantable des criminels. Et comme il est l'amour, il a tout pulvérisé, anéanti, retourné, métamorphosé, transfiguré.
Il est entré dans la mort avec tout pour que personne ne connaisse jamais 1'esseulement, pour que chacun devienne lumière en lui. Telle est notre foi, notre confiance, notre paix. C'est elle qui nous rend vainqueur de toutes les puissances du mal.
Vivre accroché au Seigneur Jésus mort par amour, mort après avoir aimé jusqu'au bout, jusqu'à 1'extrême - et c'est un extrême de Dieu, pas un extrême d'homme - vivre ainsi dans sa communion, c'est assurer pour toujours la véritable réussite de sa destinée.
Il ne peut être question pour lui d'exploiter les autres, de faire sentir son pouvoir. Pilate le disait : j'ai le pouvoir de te relâcher et le pouvoir de te crucifier. Comme ce pouvoir est dérisoire ! Il veut jeter Jésus dans la mort et il ne peut le retenir à l'intérieur de la mort.
C'est ainsi que si nous renonçons nous-mêmes à toute possession, à tout pouvoir, à ce moment-là, nous connaissons nous aussi la propre liberté de Jésus, la propre liberté de Dieu et personne ne peut avoir de pouvoir sur nous. Nous pouvons connaître la mort, toutes sortes de morts, mais nous sommes déjà passés avec Jésus au-delà de la mort.
Remarquons encore ceci, frères et sœurs, Jésus subit sa passion et en même temps il la conduit. Il est roi et il le reste jusque dans l'affliction et dans la mort. Tout lui a été remis du monde présent et du monde à venir. Et sa mystérieuse puissance pénètre tout et conduit tout à son accomplissement. Et cette puissance est mystérieuse parce que au regard des hommes, elle est faiblesse absolue.
Oui, l'amour est faible devant les autres, l'amour est démuni devant les autres. Mais cette faiblesse n'est qu'apparente car en réalité il saisit l'autre par le dedans, il l'arrache à la mort et il le fait entrer dans la vie.
Il nous dit ainsi dans un non-verbal d'une beauté sans pareille que la vie est omniprésente, que nos yeux et nos cœurs sont faits pour elle. La vie, c'est Lui, sa personne qui est lumière et amour. En nous faisant communier à son être de chair, il nous absorbe dans la vie. Depuis qu'il est mort, ce n'est plus nous qui vivons, c'est lui qui vit en nous.
Cette semence de vie a été déposée en nous dès l'instant de notre conception ; elle sera ravivée à l'heure de notre baptême et, elle s'épanouira pleinement lorsque nous disparaîtrons pour jamais à l'intérieur de cette vie. Les autres nous verront partir et ils sauront que leur tour viendra. Il n'y a rien d'indécent, il n'y a rien d'effrayant, c'est la vie qui triomphe.
Notre mission de chrétien ne consisterait-elle pas entre autres à accompagner nos frères les hommes, tous les hommes, à nous accompagner les uns les autres jusqu'à la porte de la vie, cette vie qui est la personne du Seigneur Jésus ? Accompagner, c'est nous asseoir à la même table, partager le même pain, c'est cheminer du même pas, c'est être au service, c'est oser croire en l'autre, c'est l'aimer à travers tout tel qu'il est.
Accompagner, c'est ne rien presser, ne rien bousculer, c'est savoir qu'une porte est là et qu'on s'en approche. Cette porte, on la connaît ; cette porte, c'est un amour fou qui nous attend, qui déjà nous accueille. Je suis la porte, a dit Jésus comme il a dit en même temps :je suis le chemin et je suis la vie.
Frères et sœurs, tenir ferme dans la profession de notre foi, c'est accompagner nos frères jusqu'au bout et avec eux, à la suite de Jésus, plonger dans la vie en lui, en Dieu pour jamais.
Telle est notre destinée d'homme, telle est notre mission de chrétien. C'est ainsi qu'une solidarité, qu'une communion se tisse comme un vêtement qui nous revêt tous, un vêtement d'éternité. Et ce vêtement, c'est la lumière qui est Dieu, c'est Dieu qui est amour et qui, dans le Christ, nous a montré jusqu'où pouvait aller cet amour, jusqu'au bout.
Et comme je l'ai dit tantôt, c'est un jusqu'au bout de Dieu, ce n'est pas un jusqu'au bout d'homme. Et le jusqu'au bout de Dieu, eh bien frères et sœurs, nous devons y croire, nous devons nous ouvrir à lui de manière à ce que nous aussi nous puissions à notre place et selon nos capacités : aimer jusqu'au bout.
Amen.
Frères et sœurs,
Il nous est permis en ces jours très saints de poser un regard infiniment respectueux, admiratif et en même temps plein de désir sur le mystère qu'est notre Dieu. Et un mystère, ce n'est pas ce qu'on ne comprend pas, c'est ce qu'on ne finit jamais de comprendre.
Dans notre condition actuelle, nous inaugurons notre béatitude éternelle en effleurant le mystère qu'est notre Dieu. Que sera-ce quand nous déboucherons dans les espaces sans limites de la lumière ? A présent, notre intellect tâtonne, notre intuition nous fait percevoir des choses, parfois notre contemplation avance un regard un peu plus perspicace. Mais hélas, les mots font défaut pour dire ce qui réellement se vit.
Oui, ce n'est jamais qu'un effleurement. Quand donc pourrons-nous voir et connaître ? La vie éternelle - les premiers moines l'affirmaient avec force - est une connaissance d'abord. Le Christ l'avait dit le premier : la vie éternelle, c'est de te connaître toi le Dieu éternel, le Dieu créateur, le Dieu rédempteur et celui que tu as envoyé, ton fils Jésus le Christ.
Ce n'est pas une connaissance cérébrale, c'est une connaissance par union d'amour. On est devenu un seul esprit, un seul être avec Dieu et on le connaît par l'intérieur de lui-même comme lui se connaît. Si Dieu a voulu devenir homme dans la personne de Jésus, c'est pour mettre à notre disposition cette connaissance.
Et lorsque nous entrons dans les vouloirs du Christ, à ce moment-là, il prend possession de nous et, à l'intérieur de nous-mêmes, nous commençons à comprendre, à connaître, à être heureux.
Ce soir, si vous le voulez bien, nous allons abandonner nos approches trop humaines. Nous allons nous ouvrir humblement aux paradoxes et aux folies qui viennent déranger notre présent.
Le samedi-saint - que nous ouvrons ce soir - est le jour le plus déroutant de la durée cosmique. Nous avons vu la vie éternelle, la vie impérissable, nous l'avons vue anéantie, détruite et, pourtant elle demeurait la vie. C'était le vide, c'était le rien, c'était comme la négation même de Dieu, une plongée de Dieu dans le contraire de ce qu'il est, une plongée de Dieu dans le néant. C'était 1'instauration de l'absurde et la fin de tout.
Et à ce moment-là, lorsque Dieu mourait sur la croix, le véritable dieu, celui qui avait triomphé, c'était l'homme. L'homme en dépit de sa finitude avait eu raison de Dieu.
Il y a entre Dieu et l'homme un conflit qui date de la prise de conscience que l'homme a faite de son existence et de ses pouvoirs. Dans le récit du paradis terrestre, cela nous apparaît. Dieu cherche l'homme et l'homme se cache. L'homme se défend contre Dieu. Et pour subsister, il serait préférable qu'il n'y ait pas de Dieu.
C'est l'amorce de ce conflit qui n'est pas fini, qui ne finira jamais. Et le samedi-saint, cela a été la victoire, enfin ; la victoire de l'homme sur Dieu. Il avait tué Dieu, il avait balayé toute espèce de sens. Il ne restait plus rien que lui, l'homme, mais avec en contrepoint le ricanement sinistre de la mort qui déjà ouvrait sa gueule pour le happer. Car même en tuant Dieu, l'homme était précipité dans le gouffre de la mort.
Mais qu'en était-il alors de l'homme Jésus? C'est un drame inimaginable, inconcevable. Nous devons quasiment rester muet de saisissement, d'admiration et aussi de crainte en sa présence.
Ce drame s'est déroulé à l'intérieur de Dieu, dans un incognito absolu, ce qui est un témoignage pour nous de la suprême discrétion et humilité de Dieu. Sur la terre il y avait un signe qui était témoin de ce drame vécu à l'intérieur de Dieu - la mort de Dieu - c'était le cadavre de Jésus gisant au tombeau. Mais personne ne mesurait l'ampleur et l'enjeu de cette tragédie.
L'ignorance et la peur étaient maîtresses des esprits et des cœurs. On n'était même pas sur le qui-vive. On était au-dessus, on était en dessous. C'était la déraison qui avait pris la possession des cœurs et tout le monde se cachait. Et au-delà, dans le reste de l'univers, on ne savait rien, on ne se doutait de rien.
Oui, il se passe ainsi des choses chez Dieu à l'intérieur de la Sainte Trinité, il se passe des choses que seuls les saints peuvent quelque peu appréhender. Mais le reste du monde demeure dans l'ignorance. Et c'est cela qui est tragique !
Et c'est pourquoi, il faut qu'il y ait des hommes et des femmes qui se livrent tout entier, corps et âme, comme une proie à 1'Esprit Saint qui pourra prendre possession d'eux et les introduire alors mystiquement à l'intérieur de Dieu pour qu'ils soient témoins de cette tragédie et qu'ils compatissent avec Dieu.
Le Samedi-Saint a été un point d'éternité fixé dans notre durée. Et je me demande s'il ne l'est point resté. Oui, il est resté un point d'éternité pour ceux qui reçoivent la grâce d'y entrer. Et on ne peut y entrer que sur un mode de participation mystique. Ce n'est pas à force de répressions, ce n'est pas en se cachant la tête, ce n'est pas à coup d'efforts, d'ascèses qu'on pourra entrer à l'intérieur du Samedi-Saint et de son mystère.
Non, c'est si on est pris par la main et si on y est introduit. Et on s'aperçoit alors que c'est le lieu d'un effroi indescriptible. On meurt soi-même tout en restant vivant, et cela semble durer sans fin. C'est ce qui est arrivé au Christ, c'est là le mystère de la mort de Dieu. Dieu meurt mais il reste tout de même parmi nous. Il y a là un déchirement, un écartèlement qui ferait tout détruire si Dieu n'était pas d'abord amour.
Non, Dieu n'est pas devenu homme pour rire Ce n'est pas pour rire qu'il a pris sur lui le péché de tous les hommes. Le Samedi-Saint est l'heure de tous les affrontements, de toutes les angoisses, mais aussi de toutes les espérances.
Je parlais au cours de 1'homélie voici une bonne heure, je parlais de l'accompagnement de nos frères les hommes jusqu'à la porte de la vie. Eh bien, cet accompagnement, s'il est sincèrement vécu, s'il est vécu tel qu'il doit l'être dans une perspective chrétienne, une perspective christique, c'est prendre sur soi le risque de descendre dans les ténèbres du Samedi-Saint.
A cet endroit, la mort coïncide avec la vie et le mystère de Pâques s'accomplit. C'est là le point d'éternité à l'intérieur de notre durée. Il n'y a plus de frontière entre la mort et la vie. Cela devient une seule réalité, à l'image de Dieu qui, même dans la mort, reste la vie.
Etre introduit soi-même à cet endroit, c'est peut-être une des grâces les plus belles qu'on puisse recevoir en ce monde. Et celui qui veut accompagner l'autre en s'oubliant soi-même, fatalement c'est vers cet instant qu'il va être conduit.
Oui, le Samedi-Saint, c'est rencontrer Dieu dans le plus fou de son mystère car c'est la victoire totale et définitive de l'amour. Nous ne réalisons pas suffisamment, je pense, que Dieu est amour et que tout amour est Dieu. Lorsque nous rencontrons n'importe où un véritable geste d'amour, mais d'amour vrai, à ce moment-là nous rencontrons Dieu.
Nous devons savoir que cet amour est toujours présent quelque part dans le monde. Et c'est lui qui comme un ferment, insensiblement, petit à petit opère la métamorphose de l'univers.
Dieu, je l'ai dit tantôt, est le plus, le plus humble des pères. Il ne se met pas en avant mais il opère tout dans le secret de sa bonté, dans le secret de son humilité. Car c'est toujours à cette humilité qu'il faut en revenir lorsque nous parlons de Dieu.
Voilà pour ce soir, si vous le voulez bien.
Frères et sœurs,
La résurrection de l'homme Jésus est l'explosion du mystère de Dieu à l'intérieur de l'univers matériel. Nous qui sommes la conscience éveillée de cet univers, nous savons maintenant qui nous sommes et à quelle prodigieuse destinée nous sommes promis. Nous savons d'où nous venons et où nous allons. Nous avons été passionnément désirés, longtemps attendus : notre âge est celui de l'amour et il a pour nom " éternité ". Oui, nous sommes les fruits d'un amour fou. Nés de l'amour, nous respirons dans l'amour et nous allons vers la plénitude de l'amour.
Désormais, la peur doit être bannie de notre existence ; rien ne peut nous effrayer, nous arrêter, nous faire hésiter. Vivre en vérité, nous le savons, c'est d'abord mourir à soi, à son égoïsme, à ses convoitises, à la soif de pouvoir ancrée au plus secret de toute peur.
Entrer dans la vie éternelle, c'est laisser derrière soi la chrysalide de son corps avec ses vanités sans nombre. Jésus est ressuscité et la mort biologique est devenue une plongée définitive en lui.
Nos yeux de chair ne sont pas capables de discerner et d'admirer l'éclat pourtant très doux de la lumière maintenant partout présente. Il faut des yeux nouveaux et un coeur nouveau pour voir cette lumière qui est le Christ lui-même dans son état de ressuscité.
La création est reprise, refaçonnée par le dedans. Elle est spiritualisée, transfigurée, divinisée. Dieu est tout en toutes choses et nous, fils de la résurrection, nous sommes chez nous partout en elle.
La résurrection de Jésus et la nôtre en lui et la métamorphose du cosmos en lui et en nous est l'aboutissement final de l'incarnation du Dieu créateur. Le regard purifié des saints contemple cette merveille. C'est une admiration sans bornes, infiniment au delà du silence et de la parole.
Nous savons, à présent, que le chrétien est un témoin de la résurrection. Il l'est par son optimisme, sa joie, sa paix, sa charité agissante. Pour lui, la résurrection est d'aujourd'hui, de chaque instant. Elle n'appartient pas à un lointain passé, hors de portée. Il la sent travailler son coeur, sa chair, son esprit et il n'a garde de se soustraire à son action.
L'obéissance monastique consiste à demeurer consciemment sous sa puissance, à collaborer avec elle de manière intelligente, à se nourrir de l'amour dont elle est le véhicule. Obéir, c'est accepter de ressusciter.
Tel est le message de grâce proclamé par le chrétien, quelle que soit la place qu'il occupe. Son rôle est de guider ses frères sur les chemins de cette vie, de les accompagner jusqu'au seuil de la bienheureuse résurrection.
Nous qui sommes réunis pour la célébration pascale, nous allons nous y engager à nouveau en proclamant bien haut notre foi, en ravivant les énergies de notre baptême, en nous exposant tout entier et sans la moindre crainte aux grâces multiformes de cette nuit très sainte.
Amen.
Frères et sœurs,
Nous fêtons en même temps la résurrection du Seigneur Jésus et notre propre résurrection en voie d'accomplissement. Cette fête de Pâques ne peut rester cantonnée à ce dimanche, elle doit soulever, porter chaque instant de notre vie. Elle doit imprégner de ferveur et d'audace toutes nos actions.
Nous venons de l'entendre, l'Apôtre Paul est formel. Il parle d'expérience et il entend nous introduire au secret de sa joie. Nous sommes morts avec le Christ et ressuscités avec lui. Nous sommes cachés avec lui en Dieu, dans la lumière et dans l'amour et cela, déjà maintenant.
Cette réalité doit se traduire pour nous dans des actes concrets. Nous n'avons plus, comme il le conseille encore, à nous cramponner aux choses de la terre. Nous n'avons pas le droit de nous replier frileusement sur nous-mêmes. Nous devons plutôt rechercher les beautés d'en haut, là où se trouve le Christ notre vie.
Le chrétien est donc un être nouveau. En lui, on découvre du jamais vu, du jamais soupçonné. Ce que Dieu a préparé pour ceux qu'il aime n'est jamais monté au coeur des hommes.
Le chrétien doit, pour bien faire, être une sorte d'apparition céleste. Il doit, par le fait qu'il est là, sans même énoncer la moindre parole, manifester la présence d'un mystère qui n'est rien moins que Dieu dans sa beauté.
L'en bas et l'en haut se rencontrent et se marient dans la personne du chrétien. Cette découverte doit éveiller dans nos cœurs la plus folle des espérances.
Le chrétien a aussi déposé les mœurs de l'homme esclave des passions multicolores, multiformes. Il est libre de la liberté de Dieu dans la lumière duquel il est mystérieusement caché. Le chrétien est un homme humble, doux, compatissant, bienveillant, aimant à la manière du Christ.
Il est sur la terre non pas pour se faire servir mais pour servir. Il ne juge pas, il ne condamne jamais, il couvre la multitude des péchés. N'est-ce pas trop beau pour être vrai ? Non, il suffit de vivre en conformité avec ce qu'on est dans les profondeurs de sa conscience.
Il faut être attentif, il faut veiller sur soi, il faut être attentif aux autres. Il faut pouvoir aller et venir, se mouvoir, travailler, manger, se reposer, se distraire à l'intérieur de cette réalité qu'on est devenu et qui est la résurrection en voie d'accomplissement dans nos cœurs, et pas seulement dans nos cœurs, mais dans toute notre chair, une chair transfigurée, une chair parfaitement pure.
Non, ce n'est pas une réalité en dehors du réel, c'est ce qui est attendu de chaque chrétien. Il y a hélas encore et toujours le péché qui nous guette, c'est inévitable ! Mais ce n'est pas là un obstacle car le péché a lui aussi été englouti par la victoire du Christ sur la mort et sur le péché. Nous ne devons donc jamais nous arrêter à ce que nous pouvons avoir fait de mal. Nous devons toujours rester ouverts à la lumière qui nous purifie et qui est la personne du Christ ressuscité.
Frères et sœurs, permettons à ces merveilles d'éclore en nous, n'y apportons pas d'obstacles, faisons confiance à Dieu. Ayons aussi confiance en nous-mêmes, ayons confiance dans les autres. C'est mon souhait de Pâques pour chacun d'entre vous.
Amen.
Frères et sœurs,
N'est-ce pas un fragment de notre propre histoire que nous venons d'entendre? Voyez comment alors on disait comme aujourd'hui l'argent achète tout. C'est pour 30 pièces d'argent, pour le salaire d'un mois de travail, que Jésus a été vendu. Et voici que pour fermer la bouche des gardes on leur remet encore de l'argent qu'ils acceptent. Nous connaissons de graves histoires de corruptions dans tous les milieux aujourd'hui. Ce n'est pas ça la vie chrétienne.
La vie chrétienne, c'est la résurrection d'entre les morts. Dieu l'a ressuscité, dit l'Apôtre Pierre aux habitants de Jérusalem. Dieu l'a ressuscité car il n'était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir.
Il s'agit ici, pour Jésus, de la mort physique. Il y a d'autres espèces de morts qui nous guettent : la mort, oui, au plan moral, oserais-je dire au plan spirituel, mais spirituel dans le sens étroit du terme, et la mort physique aussi bien sûr.
Il n'est pas possible que toutes ces espèces de morts nous retiennent en leur pouvoir parce que nous sommes les fils de la résurrection.
La cuve baptismale qui est là présente nous rappelle que nous avons été greffés sur le Christ. Ce n'est plus notre vie naturelle qui circule en nous bien qu'elle ne soit pas détruite. Non, c'est une autre vie dont nous ne pouvons avoir aucune idée. C'est la propre vie de Dieu, c'est celle qui a arraché Jésus au pouvoir de la mort.
Et cette vie doit devenir le moteur de nos pensées et de notre agir et cela doit se traduire dans notre comportement quotidien. Il faut que lorsqu'on nous voit travailler, lorsqu'on nous entend parler, il faut qu'on dise : ceux-là, ce sont des disciples du Christ.
Et si on ne connaît pas le Christ, il faut que ceux qui sont en face de nous, ceux qui nous côtoient sentent qu'il y a là quelque chose d'inconnu, un côté énigmatique qui les attire, qui fait question et qui est exactement le témoignage que nous devons rendre.
Les femmes sont parties du tombeau tremblantes d'émotion et toutes joyeuses. Et c'est alors que Jésus s'est manifesté à elles. Elles lui saisissent les pieds. Cela veut dire qu'elles ne veulent plus qu'il se sépare d'elles. Et il ne peut plus avancer, elles le tiennent par les pieds. Et s'il doit disparaître, elles disparaîtront avec lui.
C'est un peu cela que nous devons faire, tenir par les pieds le Christ ressuscité et nous laisser emporter dans son ascension là où il est. Si bien que un chrétien est sur la terre un homme qui vient d'ailleurs. Il vient de l'endroit où se trouve le Christ ressuscité et il rayonne la charité, la lumière et la paix. Le chrétien est un homme de réconciliation et de paix.
Frères et sœurs, voilà, me semble-t-i1, ce que nous pouvons retenir aujourd'hui pour régler notre conduite bien pratique, bien concrète et avancer en tête de nos frères les hommes, leur ouvrir le chemin et ainsi discrètement, silencieusement mais bien efficacement, les conduire jusqu'à la porte de la vie véritable qui est une plongée à l'intérieur de la lumière.
Hier, quelques instants avant l'ouverture de notre Eucharistie, nous venons de perdre un de nos frères qui est mort, qui s'est évanoui comme cela subitement en un instant, en une fraction de seconde. Et le jour de la résurrection, il a été emporté là où depuis longtemps il espérait aller, là où il était déjà.
Mais c'est un peu le signe, la parabole de ce que nous devons espérer nous-mêmes. Non pas devoir mourir, ne pensons pas à cela car nous avons encore bien des choses à faire ici sur notre terre, mais mystiquement être déjà présent auprès du Christ, et alors, nous laisser remodeler par lui de façon à ce que nous puissions être en toute vérité les témoins de sa vie, de sa présence et de l'avenir qui nous est promis.
Amen.
Frères et sœurs,
On oserait peut-être imaginer qu'un grand saint rêve un jour d'abandonner derrière lui ...?... ...?... pour se plonger définitivement dans la lumière de la résurrection, et cela un jour de Pâques ?
Mais Dieu ne suit pas les linéaments des raisonnements humains. Ses réactions sont toujours imprévues, toujours déroutantes. C'est à un humble et pauvre frère d'une petite Abbaye quasi inconnue qu'il a réservé la faveur inouïe de mourir au matin du jour de Pâques.
Qu'avait donc fait notre frère Benoît pour mériter une telle faveur ? Rien, absolument rien ! Notre Dieu est amour et, c'est dans la gratuité qu'il dispense à qui il veut ses dons les plus riches.
La mort de frère Benoît a ...?... ...?... ...?... ; je pense à celui d'Enoch, à celui du prophète Elie disparu au regard des hommes. C'est en un instant, presque dans un soupir qu'il a été emporté.
Vous savez que frère Benoît était plutôt taiseux de nature. Son érudition et sa culture étaient très grandes mais il était peu disert en ce domaine. Il n'étalait pas son savoir. Il n'a jamais eu l'occasion de dispenser un enseignement.
Et voici qu'au moment de partir, il nous laisse un message d'une beauté saisissante, un message non-verbal. Ce sont les paroles de ce genre qui sont les plus éloquentes à condition de pouvoir les décrypter.
Or ici, ce que frère Benoît nous dit a vraiment ...?... de prophétie. Il me semble entendre Marie-Madeleine rapporter aux disciples cette parole remarquable du Christ : Va trouver mes frères pour leur dire : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu.
Frère Benoît était un membre du Christ, un membre sans doute privilégié pour avoir reçu une grâce aussi belle. Et c'est lui aussi qui nous dit : Je monte vers mon Père qui est aussi le vôtre, vers mon Dieu qui est aussi votre Dieu. Et là, je vous attends. Je vous montre le chemin, n'ayez jamais peur !
Frère Benoît sentait venir sa fin, il ne s'en cachait pas. Il n'en était pas effrayé. On aurait dit qu'il entendait une voix secrète qui l'appelait. Il a ainsi en un moment parcouru un long chemin. Vous savez, dans l'univers de Dieu, les unités de mesure ne correspondent pas aux nôtres. C'est pourquoi nous ne devons pas avoir crainte de regarder ce qui arrive parfois en un instant.
C'est toute l'éternité qui se condense à ce que nous pourrions, nous, chiffrer en secondes. Et c'est à ce moment-là bien souvent que se définit tout un destin. C'est comme un fruit qui tombe, comme une fleur qu'on vient cueillir.
Oui, ce fut là le privilège d'un ...?... car frère Benoît était un poète, le privilège d'un ...?... qui planait déjà ailleurs tout en restant encore ici provisoirement parmi nous. Le fil a été soudain tranché et, ce fut pour frère Benoît l'immersion définitive dans la vie.
Et la vie, ne l'oublions pas, ce n'est pas le prolongement de ce que nous connaissons ici, mais en mieux. Non, la vie est la personne même du Seigneur Jésus ressuscité. Et c'est à l'intérieur de cette vie que frère Benoît s'est soudainement retrouvé, cette vie qu'il espérait, cette vie qu'il attendait, cette vie qui déjà insensiblement prenait possession de lui.
Il nous laisse un testament d'espérance et de joie, retenons-le précieusement ! Et ce testament, le voici : out est gagné d'avance parce que nous sommes follement aimés, parce que nous sommes enfants de Dieu et fils de la résurrection.
Voilà une des facettes du non-verbal qu'il nous a gestué au moment de son décès. Et cette Eucharistie nous le chante à l'envie. Il me l'a dit à plusieurs reprises ces derniers temps : être privé de l'Eucharistie, pour lui, c'était dur. Il sentait, il savait que là était la source de la vie éternelle, mais il y participait à sa manière par son désir, par son espérance et aussi par sa nostalgie.
Oui, Dieu est plus grand que notre coeur et il nous comble toujours au-delà de nos espérances. Frère Benoît est dans la lumière. Il nous y prépare une place et nous pouvons lui faire confiance.
Amen.
Mes frères,
Le récit de la manifestation de Jésus à ses disciples au bord du lac de Tibériade, probablement peu avant son ascension, est un des plus beaux et des plus encourageants qu'il nous ait légué.
La toute dernière de ces apparitions se situe le jour de l'ascension. Elle eut lieu probablement en présence de nombreux disciples, hommes et femmes, qui seraient bientôt remplis de l'Esprit Saint et deviendraient témoins alors pour le monde entier.
Si vous le voulez bien, ce matin, ne faisons pas de théologie et restons au ras de terre. Voyons les choses telles qu'elles se sont passées.
Les disciples n'étaient pas des rentiers, c'étaient des gagne-petit. Ils devaient travailler pour se nourrir, pour s'habiller, etc. Alors qu'ont-ils donc fait ? Tout simplement, ils sont retournés à leur métier, à leur barque et à leurs soucis. Ils avaient tout quitté pour suivre Jésus et ils ne se préoccupaient plus du lendemain.
Nous savons qu'un groupe de femmes, sans doute assez fortunées, accompagnaient Jésus et ses disciples et les entretenaient de leurs deniers. Mais voilà, maintenant que Jésus les avaient apparemment quittés, ils doivent bien retourner à leurs filets.
Voyez le mouvement ! Ils laissent tout là, ils vont suivre Jésus, ils ne se font plus aucun tracas. Jésus les quitte. Eh bien, ils retournent là d'où ils sont partis. Il y a là dans ce geste quelque chose d'extrêmement juste, vrai et beau. C'est toute une tranche de vie réelle. Elle n'a pas pu être inventée, les choses ont dû réellement se passer comme ça. C'est trop vrai ! C'est ainsi que les hommes réagissent.
Et puis, ces disciples sont 7. C'est le chiffre de la perfection qui relie la terre au ciel.. C'est aussi le chiffre de l'universalité. Dans ces 7 disciples, l'univers entier est représenté.
Et il y a parmi eux un renégat : Pierre. Il y a des disciples qui ne sont pas commodes, qui ont mauvais caractère : Jacques et Jean. Il y en a un qui est de naturel méfiant : Thomas. Il y a malgré tout un qui est droit mais tout d'une pièce. Lui, c'est tout ou rien : Nathanaël de Cana. Et enfin deux autres disciples dont on ne connaît pas les noms, probablement pas des apôtres.
Et on remarque qu'ils n'ont pas le coeur à l'ouvrage, non, pas du tout ! Pourquoi ? Parce que ils sont ailleurs, ils sont distraits. Ils ont perdu la pratique, ils n'ont plus le coup de main ni le coup d’œil qu'ils avaient avant. Maintenant, leurs mains qui ont touché le Verbe de vie, même après sa résurrection, elles ne sont plus à l'aise, tout à fait à l'aise dans des filets et dans des cordages.
Et puis leur coeur ? Eh bien, leur coeur a été pris ; leur coeur, il est ailleurs. Ils sont distraits. Dans le fond, ils souffrent d'un manque. Il leur manque quelqu'un, il leur manque aussi un présent. Ils ont connu autre chose et leur vie d'aujourd'hui, elle leur paraît bien vide, morne, terne. Et il leur manque un avenir: que vont-ils devenir ? Et ces hommes, ils ne savent pas, ils ne soupçonnent même pas que Jésus est avec eux, même s'ils ne le voient pas.
Et Jésus - remarquons-le, c'est là qu' est la leçon - peut être à la pointe du récit pour nous aujourd'hui. Maintenant, Jésus se fait voir : non pas quand ils sont en prière, non pas pendant qu'ils font leur Lectio Divina et qu'ils scrutent les Ecritures, mais il se fait voir au creux de leur travail, de leur fatigue, de leur découragement.
Et il se fait voir sans se faire connaître. Il est là au bord du lac et il les regarde travailler au matin car ils ont passé la nuit sans rien prendre. Il est là et, de l'endroit où il se trouve, il peut observer des choses que eux, dans leur fatigue, ne voient même plus.
Il est là tout simplement et les autres le voient aussi. C'est peut-être un client ? C'est probablement un marchand de poisson ? Ou bien c'est un particulier ? Mais enfin, il y a un lien qui est jeté entre les deux. Et ce lien-là, c'est celui du business, c'est celui des affaires. C'est pas un autre !
Et alors Jésus leur dit : "Mais jetez une fois le filet du côté droit de la barque et là il y en a ! ". Mais alors eux, ils obéissent mécaniquement sans réfléchir. Mécaniquement ils le font et alors là ils en prennent.
Voyez un peu comme, quand on voit les choses telles qu'elles se sont passées, comme c'est vrai, comme c'est vivant. Il y a là une tranche de beauté que nous ne devons pas avoir peur de contempler.
Et aujourd'hui, mes frères, il n'en va pas autrement avec nous. C'est ça que nous devons bien nous dire. Nous sommes dans un bon monastère et nous ne devons pas voguer à des kilomètres de hauteur. Un vrai moine est un homme qui a toujours les pieds par terre. Et plus il est par terre, et plus il est solide.
Jésus est mystérieusement présent parmi nous et nos yeux ne le reconnaissent pas. Il vient à nous dans le frère, dans le client, dans le camionneur, dans le fournisseur, dans le vagabond, dans le pauvre, dans l'importun, dans le retraitant, enfin il vient à nous à tout moment, mais est-ce que nous le reconnaissons ?
Il se donnera à connaître à nous un jour, au jour de ce qu'on appelle le jugement. Et à ce moment-là il dira : "Eh bien, je suis venu, j'ai fait ça et ça et ça, vous ne m'avez pas reconnu. Vous ne vous êtes pas mis à mon service. Vous ne m'avez pas salué, vous ne m'avez pas accueilli." Voilà !
Et nous, nous dirons quoi ? Mais nous n'avons rien à dire. Le plus simple sera de ne rien dire et de nous excuser de nos manques : j'avais difficile, j'avais des tentations, j'avais des complexes, enfin j'avais toutes sortes de choses qui m'excusaient, qui font que je n'ai pas compris. Et surtout, surtout j'avais des péchés.
Mes frères, voyons maintenant un moine de Saint Benoît qui patiemment gravit les douze degrés de la fameuse échelle. Et ce moine qui commence à avoir un coeur pur, c'est à dire un coeur qui est un miroir, un coeur qui est comme un diamant où alors la lumière peut librement jouer, la lumière de Dieu.
Eh bien, un coeur pur le reconnaît et il le reconnaît tout de suite comme il est dit ici. Voilà : le disciple que Jésus aimait dit à Pierre :" C'est le Seigneur !". Il l'a reconnu car c'est celui-là qui a reposé sur la poitrine de Jésus et qui lui a demandé qui allait le trahir. Donc Jésus l'aimait.
En cette fin de millénaire, pour recevoir le cadeau d'un coeur pur, il faut se laisser aimer. Et nous avons peur de nous laisser aimer parce que nous laisser aimer, c'est renoncer à nous-mêmes, c'est marcher dans ce que l'autre nous demande, Celui qui nous aime. Et ce n'est pas toujours intéressant pour notre égoïsme.
Mais enfin, si nous nous laissons aimer, c'est ainsi que notre coeur deviendra pur et nous reconnaîtrons le Seigneur dans nos frères d'abord, puis dans tous ceux que nous rencontrerons.
N'oublions pas aussi que le Seigneur se met à notre service dans nos tâches les plus humbles car nous le rencontrons non seulement dans l'homme que nous croisons, mais aussi à l'intérieur des choses, des choses qui nous sont demandées.
Ici, ils l'ont rencontré au moment où, voilà, ils étaient à la pêche. Ils faisaient leur métier et ça n'allait pas, ils avaient perdu leur temps. Mais non, il était là. Nous autres, c'est bien souvent que nous sommes ainsi. Nous habitons chez lui !
Demandons les uns pour les autres, mes frères, la grâce d'un coeur pur qui permettra à nos yeux, à nos yeux nouveaux de le voir et de le reconnaître. Demandons la grâce d'un coeur attentif, d'un coeur éveillé, d'un coeur patient, d'un coeur généreux, d'un coeur ouvert, d'un coeur toujours prêt à servir. Et le Seigneur qui est toujours avec nous dévoilera sa beauté aux yeux de notre coeur.
Mes frères,
Nous sommes déjà bien engagés à l'intérieur du temps Pascal et nous ne cessons de chanter le Cantique Alléluia. Je dis bien cantique parce que Alléluia est une phrase composée de deux mots. Il est toujours utile de se remémorer cette évidence parce que l'accoutumance peut très bien l'user.
Alléluia est lancé sur un verbe à l'impératif. La racine de ce verbe est hâwâh en hébreux. C'est une onomatopée qui évoque un son clair, le son d'un gong ou le son d'une trompette. Cela signifie louer.
Puis vient le complément direct qui est un nom propre, le nom propre étant Yah. C'est le diminutif autorisé du nom imprononçable YHWH. Il est interdit de le prononcer, je ne vais donc pas le prononcer ici. D'ailleurs on n'en connaît plus la prononciation exacte.
Alléluia signifie donc louer le Seigneur. Lorsque aux Vêpres, nous répétons dix fois alléluia, dix fois nous nous lançons réciproquement une invitation. Nous nous invitons mutuellement à la louange, à la louange du Seigneur.
Et rappelons-nous que le Seigneur, pour nous, est celui qui étant de condition divine s'est anéanti et vidé de lui-même jusqu'à prendre la ressemblance - plus qu'une ressemblance, c'est une similitude - jusqu'à devenir un homme bien réel.
Et puis, à l'intérieur de son humanité, il est encore descendu au plus bas, là où personne, absolument personne ne pourra jamais le rejoindre. Et c'est la raison pour laquelle Dieu alors l'a élevé au-dessus de tout, là où nous ne pourrons non plus jamais l'atteindre. Il lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, le nom qui est le nom imprononçable, celui de Yah, c'est à dire le Seigneur.
Donc quand nous chantons, lorsque nous nous lançons l'invitation louez le Seigneur, nous sommes invités à louer le Seigneur Christ, l'homme-Jésus qui est ressuscité et dont nous sommes des cellules mystiques bien vivantes.
Et alors, pourquoi louer le Seigneur ? Pourquoi louer la personne du Christ ? D'abord, pour tout ce que le Christ a fait pour nous, mais nous devons remonter très très loin. C'est lui qui est le créateur du cosmos. Par lui, tout a été fait et rien de ce qui existe n'a été fait sans lui.
Donc, il est le créateur de tout, il est notre propre créateur. Il nous a appelé à l'existence, pourquoi ? Mais parce que il avait besoin de nous. Nous avons besoin de lui pour subsister, nous avons besoin de lui pour atteindre le sommet de notre destinée qui est de devenir un seul esprit avec lui, mais lui, il a tout autant besoin de nous. Il n'est pas complet dans son être profond, il n'est pas complet dans l'amour si il ne nous désire pas.
Nous sommes des êtres indispensables à, disons, sa beauté, à sa joie, à la réalisation de ce qu'il est. Un jour viendra - nous ne connaissons pas ce jour - où il apparaîtra tel qu'il est aux regards de l'univers. Et à ce moment-là, nous serons devenus un seul esprit avec lui. Nous apparaîtrons aussi tels que nous sommes en lui et à l'intérieur de l'univers. Nous serons partout chez nous comme lui y est partout chez lui.
Maintenant, nous devons donc le louer aussi bien spécialement parce que il nous a fait nous rencontrer les uns les autres. Il nous a appelés de tous les horizons possibles ici dans cette maison qui lui appartient, qui est une sorte de palais où il habite. Il nous a appelés et il nous a réunis. Il nous a rassemblés pour que nous puissions justement être les uns pour les autres des invitations à la louange et des louangeurs, des hommes qui passent leur temps à louer Dieu, à le remercier, à le congratuler.
Nous le louons pour le fait qu'il a mis tel frère à côté de nous, et encore tel autre, et encore tel autre. Et nous le louons de ce que il a fait ce frère comme ça, tel qu'il est. Non pas tel que nous voudrions qu'il soit, mais tel que ce frère est. Chacun de nous est un rêve que le Christ, que Dieu a fait. Et voilà que ce rêve a pris corps. Dieu seul peut donner corps, vie et avenir à ses rêves.
Eh bien, chacun de nous est un rêve que le Christ a fait. Et nous le louons pour la qualité de ses rêves. Et ainsi, nous pouvons le louer aussi pour l'amour qu'il fait circuler entre nous et qui nous permet à chacun d'avancer vers la réalisation de plus en plus belle de ce rêve que nous sommes.
Nous avons, mes frères, vous le voyez, quantités de raisons de louer le Seigneur. On pourrait encore analyser, mais il va être temps de nous rendre à l'église justement encore pour au cours de cet office chanter le Cantique Alléluia et nous inviter encore à une louange toujours plus forte.
Il faut que à l'intérieur de l'Alléluia, quand il s'échappe des profondeurs de notre coeur, il faut que notre esprit, notre nus, que notre esprit corresponde, soit en harmonie, en consonance avec nos paroles. Ce serait parfait si nous pouvions chanter Alléluia en pleine conscience. Je sais bien que ce n'est pas possible.
Ce n'est pas possible dans l'état actuel parce que si l'esprit est prompt, la chair est faible. Elle est facilement détournée des plus belles beautés. Mais le Christ nous ..... encore et il fait que du fond de notre coeur nous désirons que chacun de nous le loue de son mieux. Et nous savons que le jour viendra où nous pourrons chanter Alléluia sans la moindre distraction.
Remarquez que le cantique Alléluia, à la fin du recueil des Ecritures, se présente dans l'Apocalypse lorsque le ciel s'ouvre et qu'apparaît l'Agneau, et puis qu'apparaît son Père, et puis qu'apparaît toute la Cour céleste. Alors c'est Alléluia, c'est le chant suprême de la louange de Dieu.
Nous aurons aussi l'Alléluia - on nous l'a dit ici je pense - lorsque nous allons entendre la Parole de Dieu au cours de l'Eucharistie. A ce moment-là, c'est le Christ, le Seigneur qui nous parle, qui ouvre les cieux, qui ouvre son coeur, qui ouvre toute sa personne devant nous. Et nous ne pourrons pas nous retenir de chanter Alléluia et de nous inviter les uns les autres à cette louange.
Voilà, mes frères, ce que j'ai été inspiré de vous dire ce soir. Et nous nous aiderons à réaliser de notre mieux le rêve du Christ que nous sommes chacun pour notre compte.
Mes frères,
Nous nous sommes entretenus de l'ambiance chaleureuse qui doit être normale à l'intérieur d'un monastère. Le monastère n'est pas un frigo, n'est pas une glacière. Il est une fournaise qui nous purifie de nos péchés et de nos vices, qui nous confère une nature quasi angélique. C'est à dire que on peut devenir transparent à la lumière de Dieu et goûter dès ici-bas les prémices de la béatitude éternelle.
Lorsque on parle d'ambiance chaleureuse, il ne faut pas se méprendre sur les manifestations attendues. Nous sommes dans la maison de Dieu, nous ne sommes pas dans le monde. Tout ce que nous ferons sera sans valeur et tombera dans le vide si ça ne procède pas d'une source qui est Dieu lui-même.
Donc, ne pas utiliser de trucs, de moyens comme on fait dans le monde. Ne pas faire le pitre, ne pas rigoler de tout et de rien, ne pas se moquer des autres soi-disant pour introduire de la gaieté dans le monastère.
Non, tout cela ce sont des manières du monde qui détruisent au lieu de construire. Les moyens humains, donc des êtres incarnés, les moyens humains sont bons s'ils sont animés par l'Esprit Saint. C'est une évidence qu'il est toujours utile de rappeler.
Notre dialogue au sujet de cette chaleur communautaire a été franc, ouvert, fructueux et je remercie chacun d'avoir bien voulu dans la mesure du possible donner son avis. Mais moi, je n'ai encore rien dit. Je voudrais à mon tour et le dernier proposer un moyen. Et providentiellement - je ne l'ai pas cherché mais c'est une coïncidence providentielle - Saint Benoît le met aujourd'hui à notre disposition.
Ecoutons attentivement notre bienheureux Père. Il ne propose rien d'extraordinaire, c'est la vérité toute simple, la vérité toute belle. Et on peut résumer ce moyen en un seul mot qu'il utilise ici : caritas ou amor, R, 72, la charité, l'amour. C'est un amour qui se concrétise en respect, en patience, en service, en prévenance. Si un tel amour est absent, on peut faire ce qu'on veut, il n'y aura jamais la moindre chaleur.
Et l'amour dont parle Saint Benoît rayonne de lui-même dans le regard, dans les gestes. Tout coule naturellement, il n'y a rien de forcé. Ecoutez ce qu'il nous dit :
Il utilise d'abord le superlatif ferventissimo amore, 72,6, un amour très chaud, un amour bouillant, un amour incandescent, ferventissimo amore.. Et aussi patientissime, 72,9, il faut supporter les infirmités des corps, et des mœurs, et des esprits, et des caractères. Et cela patientissime, avec la plus grande patience, une patience qui ne se lasse jamais. On ne peut pas en venir à bout, elle est toujours là. C'est une patience qui est le reflet dans le coeur d'un homme de la propre patience de Dieu, lui qui ne se lasse jamais.
Ecoutez ce qu'il dit encore, je prends le texte français. Ils s'honoreront mutuellement de leurs prévenances. Mais tout de même le latin est plus percutant pour ceux qui comprennent : honore se invicem praeveniant, 72,7. Ils vont donc se prévenir les uns les autres. De quoi ? Mais de respect, d'honneur !
Par exemple, ils céderont le passage, ou ils vont ouvrir la porte. C'est çà ! C'est vraiment ici une course, une émulation à celui qui manifestera le plus de respect pour les autres.
C'est tout autre chose que de détruire l'honneur d'un frère. On peut lancer une insinuation, une blague, etc, mais dans le fond, on a donné un coup de canif à la réputation d'un frère, à son honneur.
Il dit encore ceci : Ils s'obéiront à l'envie les uns les autres. Saint Benoît est tout de même bien : oboedientiam sibi impedant, 72,10. Donc ils vont, ce n'est pas s'obéir, c'est beaucoup plus que ça. Ils vont s'offrir les uns aux autres le bien de l'obéissance. C'est un partage.
Le bien le plus précieux que nous possédons dans le monastère, c'est de pouvoir partager la volonté de Dieu, de nous aider les uns les autres à entrer dans cette volonté et à nous en nourrir.
Et alors ceci, mes frères : Nul ne recherchera ce qu'il juge utile pour soi, mais bien plutôt ce qui l'est pour autrui. Donc s'oublier pour autrui. Oui, je sais, ça m'est utile, ou je préférerais que ce soit ainsi, mais enfin c'est peut-être plus utile encore à l'autre, une autre solution. Eh bien ma foi, je cède. Je ne suis plus attaché rien. Je suis chez Dieu, j'ai un frère devant moi et je fais ce qui est utile à ce frère en m'oubliant moi-même.
Voyez tous ces petits détails bien pratiques qui entretiennent une ambiance de confiance, une ambiance de chaleur à l'intérieur d'une communauté !
Ils se rendront chastement les devoirs de la charité fraternelle. C'est la même chose de fait que pour l'obéissance. C'est le même verbe qu'il utilise impendant. La caritas fraternitatis. Ils vont se rendre les uns aux autres de façon très chaste, sans vouloir mettre la main sur l'autre, sans vouloir le posséder, les devoirs d'une charité qui vient vraiment du coeur, celle qui doit régner entre frères, celle qui va régner entre eux.
Ils auront pour Dieu une crainte inspirée par l'amour. Amore Deum timeant, 72,12. Et ça, c'est une perle ! Littéralement ça se traduit ils craindront Dieu avec amour. Donc, on doit toujours craindre Dieu. Non pas en avoir peur. Mais on se tient devant Dieu tel qu'on doit l'être à sa place, Dieu à sa place et moi à la mienne. Mais entre les deux circule l'amour : le sien pour moi puisque Dieu est amour, et puis moi qui le lui restitue à ma petite manière d'homme. Mais tout de même, il en est heureux.
Et puis, ils auront pour leur Abbé une dilection humble et sincère. C'est traduit par dilection, mais ici c'est l'agapè, c'est la charité. Il faut aimer son Abbé. On ne doit pas le supporter, on ne doit pas le tolérer ? Non, non il faut bien véritablement l'aimer, et il faut l'aimer caritate, donc la charité. Il n'est pas nécessaire d'éprouver de la sympathie pour lui, non, mais c'est un amour encore une fois qui vient du coeur.
Et alors au-dessus de tout naturellement, c'est le Christ qu'il faut préférer à tout, lui qui daigne nous conduire ensemble à la vie éternelle.
Eh bien voilà, mes frères, l'instrument, le moyen que moi je proposerais. Et je pense qu'il résume tout ce que les uns et les autres nous avons proposé : que tout ce que nous faisons soit animé par un amour sincère, amour pour Dieu, amour pour les frères, amour pour l'Abbé. Et que baignant ainsi dans cette atmosphère d'amour, finalement nous aurons bien chaud parce que l'amour c'est Dieu, l'amour c'est l'Esprit Saint, et l'amour, mais l'amour c'est l'incandescence et c'est le feu.
Et Saint Benoît nous propose de nous exercer. Voilà, ça ne vient pas tout seul. Exerceant monachi, 72,7. Il faut que les moines s'exercent à cela. Ils doivent s'y exercer, c'est un entraînement. Quand on voit ce que les coureurs cyclistes s'imposent comme entraînement pour décrocher un maillot, qu'ils auront peut-être ? Le mal qu'ils se donnent. Ils auront leur nom dans les journaux, et leur photo. Ils seront heureux et leur famille aussi.
Et nous, pour décrocher cet amour, nous devons aussi nous exercer. Il faut donc entretenir, cultiver. Et la vraie chaleur, elle découle donc de la vie, la vie de Dieu, la vie fraternelle bien comprise et elle a une saveur de paradis. Or, la vie véritable, c'est l'amour qui est Dieu.
Voilà, mes frères, ce que je vous propose. C'est le Temps Pascal, donc c'est beaucoup plus facile qu'un autre temps parce que dans le Temps Pascal on est tout de même un peu influencé, conditionné par tout ce que nous entendons.
Nous avons encore quelques semaines de Temps Pascal devant nous. mettons-les à profit pour vivre le conseil de Saint Benoît et nous exercer à cet amour fraternel qui coule en lui du coeur de notre Christ.
Saint Benoît nous dit quelque part dans sa Règle que l’observance du moine devrait être en tout l’observance du carême. Il pourrait en dire tout autant à propos du Temps Pascal. Oui, l’observance d’un moine devrait être tous les jours celle que nous suivons habituellement durant le Temps Pascal.
Et les deux, celle du Carême et celle du Temps Pascal, sont étroitement liées. Elles se portent l’une l’autre, elles s’interpénètrent car le moine est un pèlerin. Saint Benoît nous le rappelle encore aujourd’hui. Pendant que nous sommes encore en ce monde, dit-il au Pr, 102, courrons et faisons dès ce moment ce qui nous sera profitable pour toute l’éternité.
Mes frères,
Le moine, oui, est un pèlerin mais il reçoit déjà les arrhes, les prémices de la résurrection. Comme l’affirme saint Paul, notre conversatio, notre citoyenneté et notre façon de vivre sont déjà celles d’un homme qui habite les cieux.
Je sais que ce n’est pas simple. Le moine est un homme de l’ailleurs, il est la révélation d’un autre univers. Ce n’est peut-être pas ce que les gens du monde attendent du moine. Les gens du monde s’enracinent dans ce monde-ci et ça leur est toujours pénible de devoir l’abandonner un jour.
Il n’en est pas ainsi du moine car comme il habite déjà dans les cieux dans sa véritable patrie, dans son chez lui, il lui est indifférent de marcher ici-bas ou d’être déjà arrivé là-bas. Il est déjà là-bas et, s’il marche ici encore, il marche comme un homme de là-bas.
C’est à dire que concrètement il entend, il voit, il juge et il agit autrement que le commun des hommes. Il est porté, il est guidé et il est instruit par l’Esprit de Dieu et, il attend l’heure de son ascension définitive chez Dieu, en Dieu, chez lui comme je le disais tout à l’heure.
Entendre et voir comme Dieu voit, ce devrait être spontané chez le moine, quasi naturaliter, comme dit Saint Benoît. Cela devrait être comme sa véritable nature quoique ce soit surnaturel. Il y a à l’intérieur d’une vie monastique des paradoxes, des étrangetés dans lesquelles nous devons entrer et qui peuvent parfois nous surprendre nous-mêmes et surtout étonner les gens venant de l’extérieur. Notre foi n’est peut-être pas assez éveillée ?
En ce jour de récollection, posons-nous une question : ne serions-nous pas des endormis au lieu d’être des veilleurs ? Le réflexe premier devant ce qui nous arrive, ce qui nous touche, ce qui nous atteint, reconnaissons-le en toute sincérité, sont des réflexes de crainte, de recul, de questionnement, d’agressivité parfois.
Nous réagissons trop souvent en homme charnel et non pas en enfant de Dieu, en fils de la lumière. Nous devons accepter ce fait, l’Apôtre Paul lui-même en a souffert. Je sais ce que je dois faire et je le veux de tout mon être, mais hélas je fais autre chose ! Voilà, nous devons l’accepter mais nous ne devons pas nous y résigner.
Nous vivons une lente, une patiente mutation spirituelle et psychologique et, notre devoir est d’y être attentif, d’y rester attentif. Les deux examens de conscience que nous faisons chaque jour - le premier avant le dîner et le second avant le repos de la nuit – sont l’occasion de redresser notre foi et de rafraîchir notre espérance.
Nous avons été ballottés par les soucis, voilà, de la vie. Eh bien, à ce moment-là, nous devons nous poser la question : Sommes-nous toujours dans l’axe de la foi ?
Et mon espérance est-elle ailleurs ou bien est-elle dans les choses terrestres ?
Il est un point sur lequel je voudrais insister ce matin parce que nous devons y être vigilants, notre avenir et notre destinée éternelle, notre réussite véritable en dépendent. Et le voici : nous devons nous protéger de la fuite en avant, de l’évasion, du divertissement et finalement de l’illusion.
On peut fuir dans du travail, on peut s’évader dans les études, on peut se griser d’un semblant de spirituel. Et dans tous les cas, on se divertit, on s’étourdit, on étouffe et on ne vit pas. Si vous voulez aller au fond des choses, nous rencontrons là les fruits d’un choix quasi instinctif entre la solitude et l’esseulement et, c’est capital ! La solitude, c’est là dans quoi doit vivre le moine.
La solitude est le lieu d’une communion avec Dieu et avec les autres ; elle génère une plénitude de paix. La solitude est le lieu d’une évolution, d’une croissance, d’une maturation, d’une mutation comme je le disais tantôt.
Et elle va vers un épanouissement de tout l’être : l’être spirituel mais aussi l’être psychologique et même l’être physique car l’être charnel en reçoit les bienfaits. Seul avec Dieu, seul avec soi-même, mais en communion avec les autres et d’abord avec notre proche voisin qui est mon frère.
Et puis enfin il y a l’esseulement. L’esseulement, c’est le lieu d’un enfermement sur soi. Et pour essayer d’y échapper, on se répand au dehors en paroles, en embrouilles, en agitation, en critiques. On essaye d’échapper à cette prison. L’esseulement produit une .. ? ..
Donc, on se referme de plus en plus sur soi et, finalement, on se bloque dans une impasse et on finit par y mourir. C’est le lieu d’un dépérissement spirituel, d’un délabrement psychologique et finalement d’une mort, d’une mort anticipée pas qui ronge la chair.
Celui qui vit dans l’esseulement est profondément malheureux même s’il se donne à l’extérieur des airs, des airs de .. ? .. . Non, tout au fond il est malheureux et tout cela est ailleurs.
Mes frères, il serait peut-être utile de réfléchir longuement sur ce binôme solitude-esseulement et peut-être aurons-nous l’occasion de le faire un jour. Je vous assure que ce serait très très instructif parce que on aurait là une quantité de leçons de chose qui seraient très très pratiques pour notre vie, notre vie personnelle et notre vie communautaire.
Et alors, en conclusion je dirais ceci : puisse le Temps Pascal et plus précisément le Seigneur ressuscité nous redonner foi en notre vocation et nous ouvrir plus largement à sa beauté ! Si Dieu nous a appelés dans le monastère, c’est pour nous investir d’une mission qui est la sienne. C’est pour ça qu’il nous fait confiance, c’est pour ça qu’il nous ouvre un crédit sans limite.
Et sa mission, c’est de métamorphoser le monde, c’est de sauver les hommes comme on dit habituellement. Et n’oublions pas que le Salut, c’est de conduire les hommes à leur véritable destin, c’est de les rendre heureux.
Et il faut que ceux qui nous voient, ceux qui nous rencontrent, ceux qui nous visitent s’aperçoivent que nous sommes des hommes heureux, heureux parce que nous ne faisons plus qu’un seul être avec le Christ qui est, lui, la voix même de Dieu.
Voilà, mes frères, puisse cette grâce nous être accordée avec toujours plus de force par notre Dieu !
Mes frères,
Nous venons de l’entendre, les sarabaïtes et les gyrovagues, 1,15-30, cette race détestable de moines, vivent quand même .. ? .. . Ils obéissent à leurs instincts, à leurs désirs, à ce qui leur semble bon ou ils rejettent ce qui ne leur plaît pas. Cela nous permet de comprendre l’utilité des Constitutions.
A quoi elles peuvent servir ? Pourquoi des Constitutions ? La réponse à cette interrogation peut donner lieu à plusieurs volumes, dit la lettre du Père Abbé Général et de son Conseil.
Nous supposons que tous reconnaissent l’utilité juridique des Constitutions. Tous les hommes qui vivent en société doivent se soumettre à un Code, à divers Codes qui maintiennent l’ordre et l’entente entre eux : le code de la route par exemple, le code civil, tout ce qui concerne les contrats.
Nous sommes ainsi soumis et rendus solides par une foule de règlements auxquels nous nous soumettons, que nous ne remarquons même plus car ils font partie de notre être. Ils sont comme le fer de notre vie sociale et, c’est ce qui nous permet de vivre harmonieusement entre nous.
Ceux qui veulent vivre ensemble et en société doivent se mettre d’accord sur un certain nombre de choses : la norme et la loi, précisément, ordonnent la convivance. Une ville sans feux de circulation et peuplée de véhicules court le risque du chaos.
J’ai connu, frère Nicolas aussi, l’époque où il n’y avait pas de feux de circulation dans les villes. Dans les carrefours, au milieu des carrefours, il y avait une petite estrade. Et sur cette petite estrade, il y avait un agent de la circulation avec des gants blancs et une petite matraque blanche. C’était beau à voir travailler ! Mais malgré tout, s’il n’y avait pas de feux à l’époque, il y avait tout de même des hommes qui maintenaient l’ordre et qui empêchait la ville de sombrer dans le chaos.
Il est également évident que le véhicule ne roule pas grâce aux feux de circulation mais grâce à son moteur. Nous ne marchons pas dans l’Esprit grâce aux Constitutions, mais nous en avons besoin pour coordonner notre marche ensemble animés par l’Esprit.
Donc, les Constitutions doivent bien rester à leur place. Les Constitutions doivent nous permettre de marcher ensemble sur la même route et dans la même direction.
Alors sans craindre de nous répéter et en évitant de faire de l’utilité le principe et la norme de tout au point de la priver de son sens, nous nous limiterons aux trois aspects suivants.
Tout groupe, ou toute collectivité humaine, a besoin d’un texte qui exprime sa propre culture. C’est à dire : sa manière de comprendre la vie, sa perception du sens de l’existence, sa façon particulière d’être en relation avec Dieu, avec les autres, avec le cosmos et avec lui-même.
Les Constitutions sont donc au service de notre identité .. ? .. . Les constitutions d’un état, d’un pays expriment la culture. La constitution belge est très différente de la constitution du peuple français. Il y a une certaine culture française qui a produit qui a produit la constitution. Tout le monde est d’accord sauf naturellement toujours quelques extrémistes qui voudraient autre chose.
Ici en Belgique, il y a aussi des groupes, des groupes non pas ethniques mais des groupes linguistiques, des groupes économiques, des groupes sociaux qui ont besoin de vivre ensemble. Et ils auront une constitution qui leur permet de s’épanouir chacun selon ses propres aspirations. Sans cela, il n’est pas possible de vivre. Nous avons besoin de ça. Donc sa manière de comprendre la vie, sa perception du sens de l’existence, sa façon particulière d’être en relation avec Dieu et avec les autres. Donc voilà les Constitutions au service de notre identité !
Mais une culture, c’est aussi une réalité vivante. Chaque génération a besoin de la réexprimer. Nous venons de le faire pour la Belgique. Notre constitution de 1831 a vécu cela il y a un an ou deux. Voilà, maintenant la culture s’est profondément modifiée et on l’exprime autrement.
Un Institut religieux exprime dans ses Constitutions sa compréhension de sa propre vocation et sa façon de vivre l’Evangile à on époque. Saint Benoît et ses premiers disciples le firent dans la Sainte Règle. Nos Pères de Cîteaux le firent dans le Petit Exorde et la Charte de Charité. Nos prédécesseurs immédiats, en ce siècle-ci, le firent dans les Constitutions de 1927.
Donc, voilà des Constitutions qui ont tenu pendant 65 ans. Beaucoup parmi nous n’en ont pas connu d’autres. Mais voilà, il était temps de changer parce que la vie monastique s’est considérablement, non pas modifiée, mais complexifiée.
Prenons, par exemple, rien que les problèmes d’ordre économique. Auparavant, chaque monastère pratiquement avait une économie du type agricole. Aujourd’hui il en existe encore quelques-uns, mais ils ont très dur. Mais tous ont évolué vers une économie de type agro-alimentaire comme nous, ici, avec la brasserie ou même parfois seulement industriel.
Je suis allé à Clairefontaine dernièrement et j’entendais la Mère Abbesse parler de moniales qui fabriquent des parfums, des eaux de toilette. Elles le font pour une grande maison de Paris. Elles sont en sous-traitance, mais voilà, c’est leur façon. Et ce travail façonne les mentalités, les cœurs, les esprits, la façon de voir le monde.
Eh bien tout ça, il faut l’exprimer dans des nouvelles Constitutions. Voilà leur utilité et comme ils le disent : la façon de vivre l’Evangile à notre époque.
Mais voilà, nous en resterons là pour ce aujourd’hui et, si Dieu le permet, nous achèverons ce chapitre demain.
Mes frères,
Revenons à nos moutons : pourquoi des Constitutions ?
Nos nouvelles Constitutions, dans leur introduction, nous relient à la tradition séculaire qui nous unit à Cîteaux, sans aucun doute. Mai bien au-delà de Cîteaux, elles nous mettent en lien avec la grande tradition monastique orientale et occidentale qui plonge ses racines dans l’Evangile lui-même.
Le Père Abbé de Chevetogne nous a touché un mot de la place que tient le monachisme dans l’Eglise orientale d’aujourd’hui et de toujours d’ailleurs. Et incidemment il a laissé échapper en public et à moi que quelques moines de Chevetogne avaient travaillé à la rédaction de ce document pontifical. C’est normal !
Donc il y a là une .. ? .. . Vous avez l’Evangile, c’est à dire la proclamation de la grande nouvelle qui est que le Christ est ressuscité et que nous ressusciterons avec lui. Et puis, la tradition orientale d’abord, puis la tradition occidentale pour nous qui s’est cristallisée dans la réforme de Cîteaux, et puis Cîteaux à travers les âges jusqu’aujourd’hui. Nous ne sommes donc pas des self-made-mans.
La vocation cistercienne est toujours un appel pour une communauté concrète et actuelle. C’est typique du monachisme sain. Donc une vocation, ce n’est pas seulement une vocation à un Ordre Religieux pour nous, mais aussi pour telle maison, telle communauté. Donc une double vocation : vocation à l’Ordre et puis vocation à la communauté. Et cette vocation à la communauté va s’exprimer dans le vœu de stabilité. On s’enracine dans telle communauté.
Cette communauté est, ensemble avec toutes les autres communautés de l’Ordre, coresponsable du patrimoine cistercien. Il y a donc un patrimoine cistercien qui n’est pas stable, qui a évolué, vous le savez, beaucoup depuis l’origine et qui est toujours en voie d’évolution. Et les Constitutions précisément nous donnent l’incarnation de ce patrimoine cistercien dans l’Eglise et dans la culture d’aujourd’hui.
Nous ne sommes pas les propriétaires de ce patrimoine. Nous en sommes seulement les gardiens. Nous ne sommes pas des fondateurs, nous en sommes seulement les gardiens, les dépositaires, les gérants, les responsables. Il s’agit d’un bien commun du Peuple de Dieu, de l’Eglise.
Ce n’est donc pas uniquement un bien commun de l’Ordre comme tel, ni même de l’Ordre monastique dans le sens large, mais c’est un bien commun du Peuple de Dieu, de l’Eglise, de tous les chrétiens et même, au-delà des chrétiens, de l’humanité entière.
Nous sommes donc les gestionnaires d’un trésor. Et ce trésor, nous devons l’entretenir. Nous ne devons pas le cacher dans un trou pour le restituer au jour voulu à celui qui nous l’a confié. Non, nous devons le faire fructifier. Nous devons produire des fruits de sainteté.
Quand la hiérarchie de l’Eglise approuve les Constitutions, elle atteste officiellement que la forme de vie décrite en celles-ci est non seulement une manière authentique de vivre la vocation évangélique à la vie parfaite, mais aussi une incarnation fidèle du patrimoine cistercien dans le contexte de l’Eglise et du monde d’aujourd’hui.
Mais cette incarnation ne veut pas dire qu’il faut en vivre partout. Elle est peut-être liée aux circonstances locales. J’en reviens à cette question qui est maintenant discutée à la Conférence Régionale, la question de l’accueil, la question de, disons plus vulgairement, de l’hôtellerie.
Fondamentalement l’accueil est le même partout. C’est à dire que les retraitants, les parents, les personnes de passage sont accueillies comme Saint Benoît le demande : comme le Christ lui-même. Et ça, c’est la Règle !
Cet accueil ne peut pas perturber la vie de la communauté. Notre vocation n’est pas l’accueil, mais nous pratiquons l’accueil. Et cette pratique de l’accueil est différente suivant les monastères. Ce n’est pas quelque chose d’uniforme. Ici, avec nos 14 chambres d’hôtellerie, voilà, c’est tout à fait différent des dizaines et des dizaines de chambres d’un monastère comme Orval ou Scourmont. Donc la forme de l’accueil sera différente mais ce sera toujours l’accueil dans une perspective cistercienne.
Il y a des Congrégations modernes qui ont pour rôle l’accueil. Ce sont des lieux de rencontre, des lieux de réunion. La vie est organisée pour ça, autour de cet accueil. Mais pour nous, ce n’est pas ainsi mais, malgré tout, il y a des modalités suivant l’endroit où le monastère est situé.
Voilà, mes frères, nous verrons la prochaine fois que nos Constitutions sont au service de la formation.
Mes frères,
Le Père Abbé Général et sont Conseil nous disent ce soir que les Constitutions doivent être au service de la formation.
Les vocations qui entrent dans nos monastères sont graduellement formées à la vie cistercienne, surtout par la vie concrète et quotidienne. Saint Benoît vient de nous le rappeler à propos de l’Abbé, c’est la vie qui est grande maîtresse de formation.
Mais il est nécessaire de pouvoir leur présenter un texte où s’exprime notre spiritualité et la manière concrète de la concevoir et de la vivre aujourd’hui. Le mot aujourd’hui revient fréquemment dans cette lettre. Nous ne sommes pas des hommes d’hier ni d’avant hier. Nous devons être des hommes d’aujourd’hui même si nous avons déjà atteint un certain âge.
Une vie humaine réussie – je ne parle même pas d’une vie spirituelle – se trouve dans une personne très âgée qui ne parle jamais de son passé, du bon vieux temps, qui regarde encore vers l’avant et qui est toujours en route vers un au-delà d’elle-même.
Sans doute , durant le temps du noviciat, il est nécessaire de présenter aux novices la Règle de Saint Benoît et la Charte de Charité. Mais il est aussi primordial de leur présenter les Constitutions.
Je me demande si ça se pratique ? Je connais un monastère où, pour l’instant, au lieu de lire un Chapitre de la Règle le soir, on lit une Constitution. Auparavant, dans le bon vieux temps, on lisait toutes les Constitutions au mois de Septembre en communauté au Chapitre, en latin.
Toutes les Constitutions, et non seulement la section se référant à la formation, sont formatrices. De fait, elles sont par elles-mêmes un enseignement. C’est-à-dire : leur mise en pratique nous conforme à une forme de vie. Et leur mise en pratique, il ne suffit pas de les entendre, il ne suffit pas de les connaître, il ne suffit pas de les étudier, il faut les mettre en pratique. A ce moment-là, nous sommes conformés à notre idéal monastique.
Plus encore, elle nous réforme pour nous conformer à la forme du Christ, Moine Cistercien. Attention ! C’est le Christ qui est l’idéal du moine cistercien. Il sera tout aussi bien l’idéal du dominicain, du jésuite ou du franciscain. Le Christ est l’idéal absolu pour chaque personne consacrée, pour tout chrétien et même pour tout homme.
Tout le processus de formation est orienté vers la transformation progressive à la ressemblance du Christ, par l’action de l’Esprit Saint et le soutien maternel de la Mère de Dieu.
Et ça, c’est une évidence ! Notre transformation progressive à la ressemblance du Christ, ce n’est pas une ressemblance extérieure, externe, comme si nous étions copie conforme à son image. Non, c’est une transformation intérieure. Au sommet, ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi. C’est cela !
Eh bien voilà, mes frères, ce que cette lettre voulait nous dire ce soir.
Mes frères,
Quand Jésus était avec ses disciples, il leur enseignait par ses actes et par ses paroles comment lui vivait. Il leur montrait ce qu’était la vie éternelle, ce qu’était la vie en Dieu, ce qu’était la vie de Dieu, cette vie de Dieu qui devait devenir le partage de tous les hommes.
Il leur disait : « Je suis la vie, je suis la force, je suis la lumière, je suis le chemin, je suis la vérité ». Hors de lui, c’était une course dans le vide, c’était l’impasse, c’était la mort, c’était l’échec. « Hors de moi, vous ne pouvez rien faire ».
Il était Dieu. Il était donc en droit de parler. Il était venu pour parler, pour délivrer, pour sauver, pour extraire l’homme hors de la prison de son égocentrisme, pour lui ouvrir les horizons illimités de la liberté et de la paix. Sa seule présence par son rayonnement opérait chez les disciples une lente et progressive mutation.
Ils étaient chair, ils étaient corruption et il en faisait des êtres de lumière, il en faisait des dieux. Il s’était fait homme afin que les hommes puissent devenir Dieu. Et cette merveille, il l’opérait par sa seule présence.
On n’est pas épargné quand on vit à côté du Christ. Il se produit, comme je le disais, une transformation insensible. Et un jour, on a rejoint le Christ, on est arrivé à sa pleine stature de fils de Dieu. Et cela s’est fait tout seul, par sa grâce à lui.
Il les entraînait ainsi dans un mouvement qui était une naissance, une naissance qui culminerait le jour où l’Esprit Saint aurait conduit chacun des disciples à la plénitude de son être personnel quand ils auraient été entièrement transfigurés.
Ils ne verraient plus comme voient les hommes, ils n’entendraient plus comme entendent les hommes. Ils auraient des sens nouveaux, des sens spirituels, les propres sens de Dieu et leur vie serait entièrement bouleversée, et ils deviendraient un point d’interrogation pour les autres hommes.
Mes frères, nous sommes ainsi au cœur du mystère que nous fêtons aujourd’hui. L’Ascension du Christ est l’achèvement de sa naissance. L’être humain de Jésus arrive dans l’Ascension à la plénitude de sa destinée et, en lui, l’univers matériel reçoit les prémices de sa propre transfiguration.
Dans la chair de Jésus, Dieu est tout au moment de l’Ascension ; et demain, Dieu sera tout dans le cosmos. C’est un demain qui est encore lointain à notre mesure, mais qui à l’échelle de Dieu est déjà arrivé.
Si nous avons été retirés du monde et placés dans ce monastère, mes frères, c’est pour qu’en chacun de nous s’accomplisse le même mystère. Nous sommes dans une meilleure situation que les Apôtres car eux, ils ne savaient pas tandis que nous, aujourd’hui, nous savons.
Nous pouvons ainsi nous prêter avec une plus grande souplesse à l’action de Dieu en nous. Et c’est cela l’obéissance. L’obéissance n’est pas dévalorisante, elle n’est pas humiliante pour les hommes, pour les adultes que nous sommes.
Non, l’obéissance, mes frères, c’est travailler avec Dieu à notre propre naissance, y travailler de façon consciente, sans reculer. On n’est pas dans le monastère pour y faire carrière, pour y travailler à une réussite au plan humain. Il faut hélas reconnaître que souvent par une sorte de fatalité – il ne faut pas trop essayer de comprendre – on en arrive à faire carrière dans le monastère.
Attention, mes frères, je ne pense à personne ici parce que je pense que ici chacun fait son possible pour éviter ce piège. Mais ce n’est tout de même pas rare. Je connais une multitude d’exemples.
Et c’est triste parce que il y a alors aussi une sorte de repliement sur soi. Ce n’est pas un avortement, mais la naissance n’avance pas, elle traîne. Il faudra sans doute alors attendre l’instant de la mort physique, biologique pour que le déclic s’opère.
Jésus est celui qui nous montre aujourd’hui, dans le mystère d’aujourd’hui ce qu’est notre véritable vocation au plan humain et surtout, puisque nous sommes ici dans le monastère, au niveau monastique.
Nous sommes ici pour y vivre un passage, une pâque, pour passer en Dieu et pour devenir Dieu. Nous y sommes non seulement pour nous seuls, mais pour les autres hommes et pour l’univers. C’est la propre mission du Christ qui se poursuit avec nous et par nous.
Nous faisons oraison fréquemment – je parle de l’oraison privée, personnelle – et nous devrions de temps en temps ruminer toutes ces choses, tous ces mystères, toutes ces beautés pour nous donner la force de ne pas nous abandonner à la lassitude, au découragement, à la fameuse acédie, mais pour rester ferme sur notre route même si cette route nous paraît longue. En fait, lorsque tout sera terminé, çà nous aura paru un éclair.
Mes frères, ouvrir les yeux à cette réalité de notre propre naissance en Dieu, y devenir de plus en plus conscient, c’est cela la vie contemplative. Alors aujourd’hui dans cette fête, nous allons demander cette grâce les uns pour les autres avec une confiance nouvelle.
Mes frères,
Nous devons bien prendre garde, mes frères, lorsque nous parlons du Saint-Esprit ou bien lorsque nous entendons parler de lui, de ne pas l’imaginer sous la forme d’une énergie ou d’une puissance impersonnelle qui nous soulèverait par une action hors du commun, qui nous porterait ou qui serait à notre service.
Ne soyons pas comme Simon le magicien : c’était un brave homme. Il voulait gagner sa vie honnêtement et il demandait aux Apôtres s’il ne pouvait pas leur acheter l’Esprit saint, donc cette force qui leur permettait de faire des prodiges. C’est un peu notre péché à chacun de nous.
Ne nous laissons pas induire en erreur par des images dont use l’Ecriture pour évoquer la nature, la présence et l’agir du Saint-Esprit. Laissons-les jouer dans notre imaginaire et dans notre cœur mais sans jamais perdre de vue que l’Esprit saint est une personne.
Vous allez dire ou penser que je suis un enfonceur de porte ouverte. Vous avez peut-être raison mais ce n’est pas certain ? Il y a un monde entre croire que l’Esprit saint est une personne et vivre avec cette personne.
L’Esprit saint est le partenaire de notre vie chrétienne et monastique, et tout simplement de notre vie humaine. C’est lui qui tient l’aiguille de notre boussole orientée vers le monde à venir, et c’est lui qui nous donne de naître à la propre vie de Dieu. Il ne nous est pas possible de rencontrer le Christ si ce n’est par l’intermédiaire de l’Esprit saint.
Le Christ a été formel «il est utile que je m’en aille, c’est pour votre bien, car quand je serai parti, je vous enverrai l’Esprit saint qui sera avec vous tous les jours ».
Cette personne de l’Esprit saint, si nous nous laissons séduire par elle, par sa beauté, elle détourne nos regards de la futilité, de ces multiples futilités qui tentent sans arrêt de nous séduire ; elle détourne nos regards de l’éphémère, de ce qui est aujourd’hui et qui ne sera plus demain ; elle les détourne du néant et elle les fixe sur le réel sous-jacent à tout ce qui existe.
Vous savez que les physiciens d’aujourd’hui pénètrent de plus en plus loin à l’intérieur de la matière. Finalement cette matière, elle s’évanouit – si je puis employer cette expression – il n’y a plus rien. Si on pouvait encore aller plus loin que l’expérimentation physique, on rencontrerait l’Esprit saint car c’est lui qui tient l’univers et qui lui donne consistance.
Et le réel qui est ainsi en dessous, sous l’existence, à l’intérieur de l’existence, c’est le Dieu créateur et transfigurateur du cosmos. Non seulement il le crée mais il le maintient dans l’existence et il le transfigure. C’est imperceptible, ce n’est pas à l’échelle de notre durée, de notre vie, mais c’est à l’échelle de la durée de Dieu. Et un jour, nous verrons qu’il en est bien ainsi.
Et ce réel en dessous de l’existence, c’est le Christ Jésus ressuscité d’entre les morts et nous ressuscitant avec lui. C’est l’Esprit saint, l’Esprit saint qui est l’amour, de qui tout vient et vers qui tout va. Voyez un peu la beauté à l’intérieur de laquelle nous sommes immergés.
Et le contemplatif, le moine contemplatif, c’est celui qui voit tout cela et qui vit ainsi avec la Trinité. Les moines du désert n’avaient rien du tout, absolument rien que le ciel, la terre, leur maison et puis l’immensité désertique et pourtant ils ne s’ennuyaient pas. Ils n’étaient pas occupés par l’acédie mais ils la combattaient. Ils connaissaient les armes dont il fallait user pour vaincre ce démon.
La plupart d’entre eux étaient illettrés. Ils ne savaient ni lire ni écrire mais leur cœur devenait toujours plus pur et, un jour arrivait où ils pouvaient lire, lire la beauté de la Trinité en toutes les créatures les plus infimes qui se posaient sous leurs yeux. Et alors ils étaient comblés.
Mes frères, toucher l’Esprit Saint, c’est toucher la personne du Christ et atteindre celle du Père. C’est la seule route, il n’y en a pas d’autre. Et nous portons en nous un organisme doté de sens adaptés à une telle rencontre. Notre corps spirituel en voie de formation, en voie de croissance, en voie d’épanouissement, notre corps spirituel a des yeux, des oreilles, un nez, des mains, une intelligence capable d’entrer en relation immédiate avec les personnes divines.
Et la vie monastique est organisée de manière à favoriser la croissance de ce corps. Elle place notre main dans la main de l’Esprit Saint qui nous conduit là où nous ne pourrions jamais aller tout seul. Et se meuvent de façon concomitante un évanouissement et une apparition, l’évanouissement de notre être charnel qui s’éteint et l’apparition de l’homme spirituel qui se forme.
Il y a une façon de juger les choses qui n’est pas de ce monde quelque soit l’acuité, la vigueur, la subtilité de notre intelligence. Il y a une façon de juger qui est celle de l’homme spirituel. Et l’autre façon, eh bien, elle s’éteint. Elle fait place à la seconde qui est celle même de l’Esprit Saint, qui est celle même de Dieu.
C’est un mystérieux mouvement et c’est celui de l’humilité. Saint Benoît vient encore de nous le rappeler. Il faut, disait le Précurseur, il faut que moi je diminue et que lui grandisse. C’est la même chose entre nos deux natures, notre nature charnelle et notre nature spirituelle, il faut que l’une diminue et puis que l’autre grandisse. Mais la première n’est pas anéantie, elle est transfigurée.
Alors, mes frères, nous ne devons pas avoir peur de nous abandonner à cette disparition dont la mort physique devrait signé la réussite parfaite. Je pensais encore ce matin – je ne sais pas pourquoi – que la mort physique, elle est dans le fond – si nous voulons bien la regarder – elle est la présence visible de notre résurrection achevée. Il s’agit naturellement de la mort des saints.
Je le disais hier encore, au cours de l’homélie, qu’il arrive bien souvent que des personnes comme ça qui meurent, et qu’au moment de mourir, de s’éteindre, de laisser s’échapper leur dernier soupir, elles ouvrent les yeux comme si elles voyaient quelque chose, comme si elles voyaient quelqu’un. Et puis elles les referment et c’est fini. C’est cela la mort, la véritable mort. C’est comme un éveil. Il y a parfois de petits signes comme ça qui sont des encouragements pour notre faiblesse.
Mes frères, permettons ainsi à la personne de l’Esprit Saint de s’unir à la nôtre dès maintenant. Et nous savons que cette union ne cessera jamais et qu’elle s’épanouira un jour dans une félicité sans fin.
Dans quelques heures, notre Pape va béatifier le Père Damien. Et je le pensais encore, le Père Damien n’était pas seul dans sa solitude au milieu de ses lépreux. Il avait l’Esprit Saint avec lui. Nous venons de le lire encore dans le capitule : nous sommes témoins, nous et l’Esprit Saint avec nous. Le Père Damien était témoin là-bas et l’Esprit Saint avec lui. Et c’est la raison pour laquelle il est béatifié aujourd’hui.
Le père Damien n’est pas un héros humain, il est un héros divin. Il est un saint parce qu’il a permis à l’Esprit Saint d’œuvrer en lui. Si nous pouvions retenir ce magnifique témoignage pour ce jour de Pentecôte, pour ce jour de récollection, je pense que la mission du Père Damien pourrait aussi se poursuivre à l’intérieur de notre cœur.
Mes frères,
Comme nous recevrons incessamment la visite du Père Abbé Général, nous allons reprendre la lecture de sa lettre circulaire. Il nous dit des choses que nous connaissons.
L’herméneutique moderne nous rappelle qu’un texte écrit, une fois rédigé, a une existence propre qui évolue avec chaque lecture qu’on en fait. C’est le cas des Evangiles, des écrits des Apôtres. La familiarité avec un texte crée un esprit de famille entre tous ceux qui cultivent cette familiarité. La familiarité avec l’Evangile, avec les Pères de l’Eglise, avec les auteurs de la grande tradition monastique, est justement ce qui nous fait sentir notre appartenance et notre unité avec la grande famille chrétienne et avec la famille monastique. Et c’est vrai !
Ce n’est pas pour rien que nos anciens Us prescrivaient la lecture annuelle et communautaire du texte complet des Constitutions.
On le lisait en latin et c’était pendant le carême, si j’ai bon souvenir. Je connais un monastère oµ au lieu de lire le texte de la Règle, on lit une fois par an le texte des Constitutions. Mais on laisse de côté les parties purement juridiques tels les demandes au Saint Siège, etc. On insiste plutôt sur la partie spirituelle.
Nos nouvelles Constitutions sont bien connues et largement utilisées dans certaines communautés de l’Ordre. On les présente durant la formation initiale ; elles sont commentées par l’Abbé ou l’Abbesse au chapitre - je l’ai fait abondamment dès que nous les avons reçues – chaque moine ou moniale en a une copie – ce qui est le cas ici – ou peu facilement avoir accès aux nombreuses copies mises à la disposition de la communauté. En général, dans ces communautés, il est facile de trouver un amour de l’Ordre, un sens d’appartenance à la famille monastique, un goût pour approfondir les éléments essentiels de la vie cistercienne et une fidélité créatrice dans la façon de vivre le pluralisme.
Donc, une fidélité aux grandes orientations qui sont définies par les Constitutions et qui dessinent notre identité. Une fidélité créatrice, cela ne veut pas dire qu’on invente ou qu’on innove, mais sous la motion de l’Esprit Saint on peut, à l’intérieur de la communauté, faire avancer l’appartenance à Dieu, l’appartenance au Christ et de mieux en mieux dessiner le visage de la communauté.
Et si chaque communauté fait cela, à ce moment-là, il y a un sain pluralisme à l’intérieur de l’Ordre. Donc, je pense que pour ceci, nous pouvons nous donner au moins un accessit. Mais voici un autre son de cloche !
Dans d’autres communautés, il faut bien le dire, les Constitutions sont à peine connues. Plusieurs frères ou sœurs savent à peine où en trouver une copie à la bibliothèque. Certains ne les ont jamais vues ou, du moins, ne les ont jamais lues en entier. Ils semblent penser que les Constitutions sont un ensemble de normes et de règles que le Supérieur doit consulter quand il y a un problème canonique à résoudre.
On va voir les Constitutions sinon on les confond. C’est un livre que l’Abbé consulte quand il y a un problème à résoudre, mais ça ne regarde pas le commun des moines ou des moniales. Certains pensent cela !
Nous pouvons nous demander : tout cela ne s’explique-t-il pas par le fait que le sens d’appartenance communautaire soit faible dans ces communauté – cela veut dire que les frères n’ont pas le sentiment de former une communauté. Ils sont juxtaposés mais il n’y a pas d’image(?) commune qui les fera vibrer de façon identique à certains événements – et, plus faible encore, le sens d’appartenir à un Ordre international et pluriculturel ?
Nous allons recevoir, le lundi 12 de ce mois, la visite des membres des deux commissions centrales, moines et moniales. Ce sera l’occasion de sentir, malgré qu’ils ne restent que deux heures, que nous appartenons à un Ordre pluriculturel. Il y a un japonais, un indonésien ; il y aura un africain, des sud-américains, des nord-américains et des européens. Tout cela fait un amalgame et les Constitutions en font un Ordre pluriculturel, ce qui n’est pas facile. Ce n’est pas facile parce que voilà, les différences des cultures sont ancrées à l’intérieur de nos sens et de notre intellect et que tout notre être exprime. Il faut donc des Constitutions pour uniformiser un peu tout cela.
Les Constitutions présentent notre vie comme une réponse à un appel grâce à une consécration à Dieu par la profession monastique. Donc pour ces Constitutions, notre vie est une réponse à un appel venant de Dieu. Elles nous rappellent les éléments constitutifs de l’ascèse monastique vécue dans une communauté de frères ou de sœurs. Elles nous présentent les normes qui doivent régir la vie quotidienne au niveau local afin que la communauté soit vraiment une Ecole de Charité.
Il faut dire que les Constitutions nous rappellent des choses que nous connaissons déjà. Nous les connaissons parce que nous les vivons mais il est tout de même utile d’y revenir de temps à autre - auparavant, c’était une fois par an – pour éventuellement revivifier notre vie, tout simplement notre insertion dans le réel. On est dans le monastère pour apprendre à aimer. C’est une Ecole de Charité.
Finalement, elles décrivent les mécanismes qui permettent aux diverses communautés autonomes, féminines et masculines, de former une seule grande communauté de communautés, l’Ordre cistercien.
Nous formons un ensemble qui est une immense communauté et un Ordre. Nous avons vu et entendu parler hier la Mère Supérieure d’Ubexy. On sent bien qu’il y a là quelque chose qui, au plan culturel de l’approche de la vie, est autre. Et tout ça est enrichissant, et toutes ces communautés ont leur visage.
On va dire : oui, mais alors on devrait se visiter mutuellement ? Vous savez qu’il y en a qui le font. On embarque tous dans un autocar et on va rendre visite à la communauté voisine. On y passe deux ou trois heures, on chante un ou deux offices ensemble, et puis voilà, on revient.
Que faire ? Je n’en sais rien. Cela peut être bien, mais cela peut être aussi un peu faussé parce que c’est trop court. On n’apprend pas à connaître une communauté en deux heures.
Eh bien, mes frères, rendons grâce à Dieu de notre vocation et de notre persévérance sur la route qui conduit à la véritable charité.
Mes frères,
Nous devons comparer nos Constitutions à une maison pleine de richesses. Pour entrer dans cette maison, il faut une clé. Si nous ne possédons pas cette clé, nous restons en dehors. Nous pouvons en admirer l’extérieur mais il ne nous est pas possible d’en admirer l’intérieur.
Si nous sommes mis en possession de cette clé, nous ouvrons la porte, nous entrons, nous nous promenons partout, nous découvrons et nous admirons. Et puis, finalement nous trouvons que nous sommes chez nous et nous nous installons dans ce palais qui devient notre maison.
Le Père Abbé général et sont Conseil vont même nous donner des clés qui vont nous permettre de mieux comprendre nos Constitutions. Ce sont des clés de lecture.
Une clé de lecture est un moyen d’interprétation, c’est-à-dire : une orientation pour lire un texte et l’interpréter correctement. Une clé de lecture, si elle est véritablement telle, consiste en une réalité sous-jacente à tout le texte et qui l’éclaire dans son ensemble et dans chacune de ses parties.
Nous offrons ici trois clés de lecture pour mieux comprendre nos Constitutions : Jésus-Christ et son Evangile, la Règle cénobitique de Benoît, et le charisme contemplatif de Cîteaux.
Nous allons d’abord examiner la première de ces clés : Jésus-Christ et l’Evangile.
Jésus-Christ et l’Evangile sont, sans aucun doute, la première et principale clé d’interprétation de tout le texte constitutionnel. Les Constitutions sont au service de la recherche et de la rencontre de Jésus-Christ en suivant le chemin de l’Evangile. Notre espérance réside dans l’entrée dans le Royaume des cieux, tous ensemble, guidés et portés par Lui.
Donc, si nous sommes venus au monastère, ce n’est pas pour y faire carrière. Nous sommes venus dans l’espérance d’entrer un jour dans le Royaume des cieux et, pas tout seul, mais avec les autres. C’est en cortège que nous allons chez Dieu.
Lorsque nous faisons des processions maintenant à l’intérieur de notre église, c’est pour nous rappeler que nous sommes en caravane, que nous partons d’un point, d’une région qui est notre chair, nos convoitises, nos besoins, nos instincts, nos peurs, notre moi préfabriqué comme dirait Zundell.
Et à partir de là nous cheminons, à partir de dépouillement et de désappropriations nous nous avançons vers une vraie vie qui est la charité, qui est une extase car nous nous sommes quittés. Notre égoïsme est resté à l’arrière. Nous sommes devenus libres et nous avançons. Saint Benoît dit que nous pouvons même courir. Et bien, tout cela, c’est comme Saint Benoît dit : sous la conduite de l’Evangile. Il y a donc là, dans l’Evangile, des normes, disons des indications, des impulsions qui sont données et qui nous maintiennent sur la véritable route.
Donc, la première clé d’interprétation, c’est cet Evangile qui est la parole et la vie même de Jésus-Christ.
Tout cela implique de renoncer à nos volontés propres, en suivant l’exemple du Seigneur qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort.
Ce n’était pas nécessaire qu’il se fasse obéissant, Lui il est Dieu. S’il s’est fait obéissant dans une chair d’homme, c’est pour nous montrer la route, pour montrer que c’est là le chemin et qu’il n’y en a pas d’autres.
Ce n’est pas en suivant nos inspirations propres que nous arriverons à quelque chose. Non, c’est en renonçant à une illusion …?… pour entrer dans une écoute et nous mettre en route à la suite de cette voix qui tous les jours, tous les jours nous parle.
C’est en renonçant à nous-mêmes que nous participons à la passion du Christ. Et pour ne rien préférer au Seigneur, nous devons nous rendre étrangers aux conduites du monde.
Les conduites du monde, il n’est pas nécessaire d’en parler beaucoup. Il suffit de regarder à l’intérieur de nous. Nos réactions premières sont des réactions mondaines, des réactions charnelles et, nos réactions secondaires alors sont des réactions de foi.
Il faut que petit à petit ces réactions secondes passent au premier plan. C’est ce que Saint Benoît dit : quasi naturaliter. Cela devient une seconde nature d’obéir tout de suite à la volonté de Dieu et de s’engager directement sur cette route.
Par la profession des vœux solennels, nous nous livrons au Christ. Nous ne nous appartenons plus. Tout au long de la vie monastique, nous continuons à le faire, en apprenant la « philosophie » et le mystère du Christ, à l’école du Christ, jusqu’à ce qu’il atteigne en nous la plénitude de la maturité.
Il parle de la philosophie. A ce petit mot-là, nous retrouvons la marque de Dom Armand Veilleux. J’ai échangé quelques mots avec lui et je lui ai dit que vraiment ce texte était très bien. Il était tout heureux. Et j’ai ajouté qu’on y reconnaissait sa griffe. Il n’a pas dit non.
A des détails comme ça, on remarque que c’est lui parce que c’est un homme qui est habitué à lire les premiers Pères de la vie monastique qui, eux, parlent de la véritable philosophie, le véritable amour de la Sagesse, la Sagesse qui est le Christ, qui est folie au regard des hommes.
Et puis voilà, cette philosophie chrétienne, cette philosophie divine, eh bien, nous sommes à l’école du Christ pour apprendre. Si nous sommes dans le monastère, c’est pour ça. Les vrais philosophes se trouvent dans les monastères, pas dans les universités mais dans les monastères parce que l’école du Christ, c’est la plus haute qui soit car on entre alors là dans le mystère du Christ, dans le mystère de Dieu jusqu’à ce que ce mystère atteigne en nous la plénitude de la maturité. Ce n’est plus nous qui vivons, c’est le Christ qui vit en nous. A ce moment-là, nous avons réalisé ce pourquoi nous avons été appelés dans le monastère.
Eh bien, mes frères, là dessus nous irons à l’église pour chanter l’Office de Complies. Nous continuerons dès que Dieu nous le permettra, peut-être demain ? Mais vous savez qu’il arrive des choses imprévues et il faut vivre comme ça suspendu, suspendu à cette volonté divine qui se manifeste sous toutes sortes de formes. Mais elle est notre nourriture et grâce à elle, nous goûtons la paix et nous entrons dans la véritable liberté.
Mes frères,
Une pénitence du genre de celle que nous venons d’entendre, dans la lecture de la Règle au chapitre 25, ne pouvait être appliquée que dans les siècles où régnait une foi très vive. La cérémonie que nous fêtons aujourd’hui devrait raviver en nous quelques germes de cette foi. Car la dédicace d’une église, ou l’anniversaire de cette dédicace, nous rappelle que nous formons tous ensemble un Corps.
Si nous nous rendons à l’église pour y célébrer l’Office, ou bien même pour prier solitairement, nous sommes toujours en communion avec ce Corps. C’est le Corps qui prie d’abord et puis des membres à l’intérieur de ce Corps.
Si bien que lorsque un de ces membres a été retranché, comme le dit Saint Benoît, il est littéralement, existentiellement condamné à mort. Comme l’Apôtre le rappelle, un tel homme doit être livré à la mort de sa chair pour que malgré tout son esprit demeure vivant pour le jour du jugement.
Mes frères, essayons aujourd’hui de ranimer en nous la conscience que nous formons un Corps et, que en dehors de ce Corps, nous n’existons pas. Il y a le Corps de la grande Eglise, mais je parle ici du corpus monasterii – encore une expression de Saint Benoît – du Corps que nous formons ici et qui constitue notre communauté.
Mes frères,
Nous allons terminer ce que nous avions commencé, à savoir : la première des clés qui permet d’entrer dans nos Constitutions, c’est l’Evangile, la Loi du Christ.
Nous pouvons dire sans hésiter que toute notre vie est une participation à : la passion, la compassion et la mission du Christ ; le sacerdoce, l’action de grâce, la paix, l’espérance et la venue du Christ. En un mot, toute notre vie est une participation au mystère du Christ. Et, si notre vie est dédiée à Marie, c’est pour croître en parfaite communion avec le Christ.
Et encore une fois, le mystère du Christ, le mystère de Jésus, mais c’est aussi le mystère de son Corps. En dehors de ce Corps, nous n’existons pas.
Nous cherchons le Christ, c’est vrai. Mais il est vrai aussi que le Christ lui-même vient à notre rencontre, plus particulièrement dans la personne de l’Abbé, des anciens, des malades, des nécessiteux, des hôtes.
Nous cherchons le Christ mais c’est Lui qui nous cherche le premier : il est vrai que le Christ vient à notre rencontre. On aurait pu dire ici que c’est lui qui d’abord vient à notre rencontre. Et s’il ne vient pas à notre rencontre, nous n’irons jamais à la sienne. Pourquoi ? Mais parce que il est l’Amour.
Et l’Amour, comme Monsieur Habachi l’a rappelé – je ne sais pas s’il l’a dit en public, mais il l’a dit en privé car je l’ai entendu – l’amour est une justice au-delà de toute justice. Et cela est vrai ! Dieu est l’amour, le Christ est l’amour et, il est donc une justice qui dépasse toute forme possible de justice humaine. Et c’est pourquoi nous devons le laisser venir à notre rencontre dans la personne de l’Abbé, des anciens, des malades, des nécessiteux, des hôtes.
Toute la vie de la communauté locale doit se conformer à la loi suprême de l’Evangile. Et toute l’organisation du monastère, de l’école du service divin, a comme but : la formation du Christ dans le cœur de chacun et l’intime union de chacun avec lui afin de former tous ensemble un seul Corps, le Corps du Christ.
Et voilà, nous y sommes maintenant. Former le Christ dans le cœur de chacun, c’est notre mission, pas seulement celle de l’Abbé, mais de chacun d’entre nous. Nous devons aider le Christ à prendre possession du cœur de chacun d’entre nous, ne pas mettre d’obstacles.
Et vous savez que l’obstacle le plus grave peut-être, c’est le dénigrement, ce sont les médisances, ce sont les ragots contre un tel ou un tel, ou bien contre la communauté.
On me disait justement pas plus tard que hier, quelqu’un qui avait pris un repas ici à la porterie avec une Supérieure de monastère, et qui avait été étonné et en même temps chagriné, peiné de ce que pendant le repas la Supérieure n’avait fait que dire du mal des sœurs de sa communauté.
Voyez un peu ! C’est fini alors, il n’y a plus rien. C’est impossible alors dans ces conditions-là, surtout pour une Supérieure, de former le Christ dans le cœur des autres. Nous devons parler d’amour. L’amour a un regard pur.
Sans la bonne nouvelle du Royaume et la référence constante au Roi, nos Constitutions manquent de sens et se révèlent incompréhensibles.
Si le monastère est une entreprise humaine, si c’est une école de philosophie, de sagesse purement humaine, les Constitutions qui sont les nôtres n’ont rien à faire avec une telle sagesse. Car elles reflètent la Sagesse de Dieu, la Sagesse de l’Evangile, la Sagesse du Royaume. Et c’est en référence au Royaume que nous devons les lire et les comprendre.
La prochaine fois, le Père Abbé Général nous parlera du monachisme cénobitique.
Mes frères,
La seconde clé qui nous ouvre la porte de nos Constitutions est le monachisme cénobitique. Nous sommes des moines, certes, mais des moines qui pratiquent la vie cénobitique.
Cisterciens et Cisterciennes d’aujourd’hui nous cherchons Dieu, en suivant le Christ, guidés par l’Evangile dont la Règle de Saint Benoît se veut l’interprétation et médiation. Pour cette raison : l’Abbé doit expliquer fréquemment la Règle, notre formation permanente et notre profession monastique se font selon la Règle, et les Chapitres Généraux ont à veiller à son observance.
Il nous semble, ici à Saint-Remy, tout naturel que l’Abbé explique fréquemment la Règle et que son enseignement soit fondé sur la Règle. Il n’est pas nécessaire pour cela que chaque section lue au Chapitre soit commentée le jour même mais il faut que l’enseignement dispensé parte de la Règle et y revienne sans cesse. Même si on fait appel à des éléments paraissants éloignés de la Règle, l’Abbé doit toujours s’arranger pour faire ressortir le lien qui les unit à la Règle.
Et pourquoi, pourquoi cette insistance ? Mais parce que tout pour nous se trouve à l’intérieur de la Règle de Saint-Benoît. Il n’est pas question, encore une fois, d’observer cette Règle à la lettre, mais nous devons nous imbiber, nous imprégner de son esprit de manière à réaliser le plus parfaitement possible notre vocation.
J’ai entendu un Abbé, qui est encore en charge maintenant, dire une fois, je pense que c’était à une Conférence Régionale, que son prédécesseur, pendant toute la durée de son Abbatiat, a pris comme sujet d’enseignement les Ecrits de sœur Elisabeth de la Trinité qui, à ce moment-là, était encore loin d’être béatifiée ou canonisée.
Et il le regrettait parce que la communauté n’était pas formée à l’esprit monastique mais à une forme de spiritualité étrangère au monde monastique. Mais disons que à cette époque-là ce n’était pas tellement grave parce que le but n’était pas seulement de former des moines mais de former des hommes pieux. C’était çà ! Et cette sœur Elisabeth était vraiment une fille très pieuse. Donc voilà ! Et il est donc utile que l’on rappelle ici que l’Abbé doit fréquemment expliquer la Règle de Saint Benoît.
Lorsque je suis allé à Achel, un Abbé hollandais m’a demandé la nature de mon enseignement au Chapitre. Ce n’est pas moi qui ai répondu, c’est le frère Nicolas. Et il a dit : voilà, il explique la Règle de Saint-Benoît, ce qui a étonné ! Je vous le dis, c’est un peu spécial et je pense que vraiment nous sommes dans la ligne de la vérité. Ceci nous le confirme.
Comme Saint-Benoît avait écrit une Règle pour des cénobites, nos Chapitres de Holyoke et de l’Escorial ont fait de même en rédigeant nos Constitutions. Précisément parce que nous suivons la Règle de Saint-Benoît, nos Constitutions déclarent que notre forme de vie est cénobitique.
La Constitution 3 dit : La forme de vie cistercienne et cénobitique. Les moines cisterciens cherchent Dieu et marchent à la suite du Christ sous une règle et un abbé dans une communauté stable, école de charité fraternelle.
Dans nos Constitutions, nous trouvons une loi de la vie commune, constituée d’observances, de structures communautaires et de qualité de relations basées sur l’amour. Sans tout cela, il serait impensable de parler de la communauté comme d’une école de charité fraternelle. Et encore moins, sans l’Eucharistie, source et sommet de la communion de tous dans le Christ.
Il y a donc une loi de la vie commune qui est destinée à nous conduire. Il y a des observances, il y a des structures communautaires, il y a des qualités de relation qui sont basée sur la charité fraternelle.
Si cela fait défaut sur un point ou sur l’autre, ce n’est plus une communauté cénobitique. C’est, voilà, une réunion d’hommes qui se sont donnés un objectif plus ou moins commun mais qui vivent chacun de leur côté selon leurs idées. Il faut donc que la communauté cénobitique ait un squelette. Et ce squelette, ce sont les observances.
Si j’en prends à mon aise, eh bien, je me moque des autres. C’est peut-être un moine, mais ce n’est pas un cénobite même s’il vit dans une communauté cénobitique. Saint-Benoît parle des moines sarabaïtes et c’est un peu çà : ils prennent comme règle de vie ce qui leur passe par la tête, ce qui leur semble bon.
Et le Père Abbé Général va loin : sans tout cela il serait impensable de parler de la communauté comme d’une école de charité fraternelle.
On apprend a aimer. L’amour de charité, ce n’est pas quelque chose d’inné, c’est un cadeau qu’on reçoit et un cadeau qu’on doit faire fructifier. Il n’est pas question de l’emballer dans un mouchoir et puis d’aller l’enterrer quelque part. Non, il s’agit de le faire fructifier.
Et c’est une école de charité fraternelle parce qu’il y a dans une communauté, il y a des hommes tout à fait différents. Il y a des anciens, des anciens qui ont été façonnés, qui ont été polis à cette vie cénobitique par le frottement contre les autres. Puis il y a des frères qui font leurs premiers pas dans la vie monastique. Et ces premiers pas peuvent durer longtemps. Ils peuvent durer des années et des années. Ils peuvent durer 20, 25, 30 ans et ce ne sont pas encore des anciens qui, voilà, sont entrés dans la paix.
Nous avons ainsi parmi nous des anciens qui sont ainsi des hommes pacifiés, qui sont heureux d’être libres et qui portent leurs infirmités sans les faire peser sur les autres. Ils sont des modèles pour nous. Ce sont de véritables cénobites, ils ne se sont jamais dérobés.
Eh bien, en attendant d’arriver là, il y a toute la croissance avec toutes les difficultés personnelles que l’on peut rencontrer. Et alors, c’est à ce moment-là que l’on peut pratiquer la charité fraternelle. Chez les anciens, c’est devenu à peu près naturel. C’est comme si c’était naturel, dit Saint Benoît en 7,183.
Mais pour les autres, c’est en supportant, en portant les faiblesses et les crises même des autres qu’on pratique la charité fraternelle et qu’on grandit dans cet esprit cénobitique qui doit nous conduire dans la rencontre avec le Christ et l’union avec lui.
Notre vie cénobitique tente de reproduire le modèle de la première communauté chrétienne de Jérusalem ; en elle, tous possédaient tout en commun et n’avaient qu’un seul cœur et un seul esprit. Il s’agit, évidemment d’un idéal.
Il n’aura pas duré longtemps. Il y a toutes les difficultés quand la communauté a grandi, qu’elle s’est gonflée de toutes sortes de gens. Un beau jour, on s’est aperçu qu’il y avait des passe-droits pour les veuves d’origine juive et que les veuves d’origine païenne étaient laissées un peu sur le côté. Elles ne le méritaient pas et on s’arrangeait entre juifs, ça commençait !
Le serpent de la discorde s’était introduit et les Apôtres sont intervenus tout de suite. Disons que c’est la première brèche qui a été colmatée, mais il y en a encore eu d’autres après. Donc, c’est un idéal, çà a duré mais ça n’a pas résisté longtemps.
Mais nous ne pouvons pas parler d’idéalisme, c’est à dire que ce n’est pas hors de notre portée, ce n’est pas dans les nuages. On ne peut pas dire : il n’y a tout de même rien à faire, c’est impossible. L’Evangile, la Règle et les Constitutions nous offrent les moyens pour collaborer avec l’Esprit afin que l’idéal se convertisse en réalité.
Même si ce n’est pas un idéal parfait, même si la réalité ne correspond pas parfaitement à l’idéal, cela n’a pas d’importance. On doit tendre vers cet idéal qui va se concrétiser, qui se concrétise et qui apparaît définitivement sur le visage des anciens.
En un mot, nos Constitutions ont été rédigées par des cénobites et pour des cénobites. C’est certain ! Elles n’ont pas été rédigées dans un bureau des Congrégations romaines. Ce n’est pas possible. Ce ne peut être que par des cénobites qui parlent de ce qu’ils vivent, et pour des cénobites.
Elles ne se comprennent que si nous les lisons et les vivons avec des yeux et un cœur de cénobite. Et c’est vrai !
Voilà, mes frères, la fois prochaine, nous prendrons en main la troisième clé qui est l’orientation contemplative de notre Ordre.
Mes frères,
Je suis à nouveau frappé par un terme qu’utilise notre Père Saint Benoît, celui de sympectes, 27,7. Et n’allons pas penser que sous l’étrangeté de ce mot se dissimule une chose qui nous serait étrangère aujourd’hui.
Cela veut dire tout simplement ceci : que l’Abbé n’y va pas par lui même parce que ce serait peut-être rejeté par l’excommunié, mais il va vers lui par l’un ou l’autre ancien pénétré de l’Esprit de Dieu, pneumatophore, qui va entrer dans le jeu du frère.
Il va parler avec lui, entrer dans son jeu et lui donner raison pour le cas où il y aurait une part de vérité dans sa révolte. Et échangeant ainsi avec lui, il va l’amener à voir les choses avec plus de clarté, plus de lumière, voir les choses comme Dieu les voit et l’amener ainsi lentement à retrouver son équilibre spirituel et humain.
Il faut dire que Saint Benoît prend ici un cas extrême. Mais à mon humble avis et d’après ma petite expérience, un Abbé doit souvent comme ça entrer, jouer le jeu avec un frère, un frère à qui on n’a rien à reprocher mais qui aurait parfois un peu les idées un peu drôles ou n’importe quoi.
Enfin, vous savez, ça peut arriver dans une vie communautaire qui s’étend sur des dizaines et des dizaines d’années. Eh bien, l’Abbé doit entrer dans le jeu.
Il entre dans le jeu, et ça peut même aller loin, il concède au frère. Non, ce n’est pas simplement cérébral ou verbal. Et ainsi, il donne du jeu comme on dit, il donne du jeu. Il laisse un peu se détendre l’élastique. Mais le frère est ainsi toujours attaché à Dieu et à son Abbé, mais avec ma foi, avec des entourloupettes.
Les autres peuvent parfois se tracasser : mais enfin, comment est-ce possible ? etc. Cela peut même arriver à la Visite Régulière. On peut penser qu’il y a beaucoup de choses qui se passent. Mais en réalité, à ce moment-là, l’Abbé fait le sympect, il entre dans le jeu du frère.
Et ainsi, il empêche ce frère de, voilà, de devenir un peu une brebis sur la route de la perdition. Il la conduit sur son petit sentier et il la mène où Dieu l’attend. Et à la fin de sa vie, l’Abbé paraissant devant Dieu pourra dire : mais voilà, j’ai fait ce qu’il m’était demandé, je suis entré dans le jeu. Je ne l’ai peut-être pas très bien joué moi-même, mais enfin la brebis est toujours là.
Mes frères,
Notre Abbé Général et son Conseil Permanent déposent ce soir entre nos mains la troisième clé qui nous permettra d’entrer dans une intelligence meilleure de nos Constitutions. Il y avait d’abord Jésus-Christ et l’Evangile, puis la nature cénobitique de notre vie, et enfin l’orientation contemplative de notre vocation.
Notre identité cénobitique ne se comprend pleinement que lorsque nous affirmons en même temps la nature et la finalité contemplative de Cîteaux d’hier et d’aujourd’hui. Sans la lumière de notre orientation intégrale à la contemplation, nous ne pouvons pas comprendre notre texte constitutionnel. Le propos et le projet contemplatif sont sous-jacents à tout l’ensemble des Constitutions.
Cela signifie que notre identité cénobitique est ordonnée à la vie contemplative. Et la vie contemplative n’est rien d’autre que la perfection de la charité en notre cœur. Et cette perfection de la charité ouvre les yeux de notre corps spirituel et nous permet de voir la lumière de Dieu, la beauté de Dieu, de reconnaître le Christ dans la personne des frères, d’entrer dans le projet de Dieu sur soi, sur les autres, sur la communauté, sur le monde, d’être enfin un véritable contemplatif.
Donc, tout dans notre vie communautaire est orienté vers cette finalité qui nous est propre. Et, je le rappelle, la pureté du cœur ne se reçoit pas toute faite. Dieu purifie notre cœur avec infiniment de patience, de douceur, de bonté mais aussi de force et parfois de violence. Il lui arrive de nous secouer. Vous savez, quelques fois ça wachotte d’un côté, ça wachotte de l’autre, dans tous les sens.
Je me rappelle quand j’étais gamin que ma propre mère et les autres femmes du quartier allaient le long de l’eau. Et là, à genoux dans une sorte de …?… elles tapaient sur le linge avec des palettes pour le rendre de plus en plus propre. Puis elles le trempaient dans l’eau de la rivière, elles le reprenaient et elles tapaient dessus. Et après ça, on le mettait sécher au soleil. Et le linge était parfaitement blanc. Eh bien voyez ! Ce sont des petites images tirées de la vie d’autrefois qui nous montrent que pour faire une bonne lessive, il faut de la poigne.
Et c’est ce que Dieu fait avec nous. Ne nous étonnons pas si parfois notre vie cénobitique est pour nous cause de peines venant soit de la monotonie, soit des autres frères qui nous heurtent. Voilà, pensons que c’est Dieu qui tient le battoir en main et qui frappe sur notre cœur pour en faire sortir ce qui n’est pas trop propre. Et alors après, sous le grand soleil de l’amour qu’est Dieu, notre cœur va devenir tout pur, tout blanc, tout lumineux.
Voilà, mes frères, essayons de retenir cette petite image, cette parabole, et nous serons moins étonnés si il nous arrive de petites histoires parfois un peu pénibles. Elles sont toujours, toujours ordonnées vers la pureté de notre cœur et la réalisation de notre vocation contemplative.
Mes frères
Voyons encore quelques instants l’orientation contemplative de notre vie :
Notre contemplation et notre vie contemplative s’incarnent et s’expriment dans tous nos actes et dans tous les moments de notre vie.
Elles ne s’expriment pas dans nos publications, ce serait trop facile. Elles doivent s’exprimer dans notre agir. L’Apôtre dit : « Toi, tu as la foi sans les actes. Eh bien ! Montre-moi ta foi. Moi, c’est par mes actes que je vais te montrer ma foi ». Une foi qui ne s’incarne pas dans une vie, elle est bel et bien morte.
C’est la même chose pour notre vie contemplative. Elle doit s’incarner dans tous les moments, dans tous les actes de notre vie. Elle doit en être l’axe. C’est à travers notre existence pratique qu’on peut juger de la réalité de notre vie orientée vers Dieu.
En effet, à tout moment et en chaque action, nous cherchons Dieu qui nous cherche, mus par le désir amoureux de voir son Visage et d’entendre sa Voix.
Vous allez dire que ce sont des images : voir le Visage de Dieu et entendre sa Voix. Eh bien non ! C’est bien la réalité !Entendre la Voix de Dieu, mais nous l’entendons sans arrêt au cours des Offices, pendant l’Eucharistie. Mais est-ce que nous avons conscience que c’est la Voix de Dieu ? Il faut savoir écouter.
J’ai lu en en-tête du chapitre d’un livre dernièrement une sentence de - je ne sais plus de qui – «sur 100 hommes, on peut dire que 99 de ces hommes savent penser et même très bien penser. Mais on n’en trouvera qu’un qui sait écouter ou entendre ».
Cela veut dire quelqu’un qui est tellement présent au moment présent, tout entier entré en lui, qu’il entend et qu’il écoute tout ce qui se passe autour de lui, toute la vie qui remue, qui bruisse autour de lui. Il l’écoute, il la reçoit et, comme il est en harmonie avec l’univers dans lequel il est entré, cet homme connaît la quiétude et la paix. Et c’est au plan humain !
Mais alors pour nous dans notre vie contemplative ? Mais c’est ça, c’est être des écoutants, des hommes qui savent écouter. Et écouter, c’est être présent. Ce n’est pas pendant l’Office commencer à réfléchir à ce qu’on va faire la semaine prochaine, ou bien à ce qu’on a entendu le matin. On peut avoir des distractions, c’est inévitable ! Mais ça, ce n’est pas grave. Mais nous dire que c’est l’Office et que je vais penser à ceci ou à cela, non, écouter.
Voir son visage ? Mais voir son visage, il n’y a rien de plus saint aujourd’hui. Est-ce que oui ou non, nous croyons que nous sommes des …?… ? Est-ce que oui ou non nous croyons que l’Esprit Saint vit dans le cœur de nos frères ? que chaque cœur de nos frères est un temple et que par notre sympathie surnaturelle, par notre compassion, par notre douceur, par notre ouverture, nous pouvons reconnaître le visage de Dieu, le visage du Christ sur chacun de celui de nos frères ?
Est-ce que nous croyons à çà ? C’est çà la vie contemplative ! C’est arriver petit à petit à nous débarrasser de tout le poids que nous traînons et qui est notre égoïsme ; nous débarrasser de çà pour être enfin libres d’avoir des yeux qui voient et des oreilles qui entendent, qui entendent Dieu et qui voient Dieu.
Donc, à tout moment et en chaque action, nous cherchons Dieu qui nous cherche. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, dit le Christ, c’est moi qui vous ai choisi. C’est toujours lui qui est le premier.
Pour cela, nous pouvons dire que toutes les dispositions des Constitutions nous amènent à percevoir un aspect de ce Visage et nous rendent attentifs à sa Voix. Cela n’empêche pas, au contraire, que certaines dispositions précises soient destinées explicitement à protéger, favoriser et développer notre expérience contemplative du Seigneur et de son mystère.
Il existait dans l’antiquité païenne des petits groupements comme ça de sages qui s’exerçaient à contempler le ciel des idées. Ils parlaient entre eux, ils voyaient, ils scrutaient, cherchaient la divinité. C’était très bien ! Mais au moins, c’était là une expérience de contemplation.
Mais attention ! Ces hommes avaient à leur disposition une multitude d’esclaves qui faisaient tout le travail et qui leur permettaient d’être entièrement dirigés vers le ciel des idées. La société païenne était construite ainsi : pour un homme libre, il y avait une centaine d’esclaves.
Et bien pour nous, ce n’est pas comme ça, c’est autre chose. Il y a des dispositions précises qui favorisent, qui protègent et développeraient des âmes contemplatives. Mais attention ! ce sont des choses bien concrètes qui nous enracinent dans le réel. Pour ces anciens grecs, ce qui comptait, c’était l’esprit, c’était l’âme qui devait se débarrasser du corps et être libre de toutes les contingences matérielles.
Eh bien nous, c’est le contraire ! Nous sommes des héritiers d’Israël, du Judaïsme. Il y a l’Incarnation. Dieu est devenu matière, est devenu chair. Et c’est à travers les activités matérielles, à travers le travail que nous allons pouvoir nous ouvrir à la présence de Dieu, le rencontrer, le voir et l’entendre.
Mes frères,
Le Père Abbé Général et son Conseil nous ont dits que l’orientation contemplative était la troisième clé qui permet d’entrer à l’intérieur de nos Constitutions.
Et cette affaire de trois clés me rappelle une chose que j’ai vu dans un immeuble en France. Il paraît que c’est exigé par la loi. Il y avait trois serrures et trois clés pour ouvrir la porte qui donnait sur le palier : une au-dessus, une au milieu et une en dessous. Comme ça les cambrioleurs devaient vraiment être armés de trois clés pour pouvoir entrer !
L’orientation contemplative, qui définit la nature et la finalité de l’Ordre, se traduit par la prière constante dans un climat de solitude et de silence, et par des relations simples avec le Dieu très simple. C’est ainsi que la pureté et la simplicité de cœur produisent des fruits de paix et de quiétude profonde et permanente, ainsi que le souvenir constant de la présence de Dieu.
Il y a une chose, mes frères, qui me revient à l’esprit lorsque j’écoute ces paroles, c’est le danger d’illusion de notre vie contemplative. Je veux dire que nous courrons le risque de nous perdre dans des sentiments ou des idées qui nous ferment sur nous-mêmes à l’intérieur de notre communauté comme si nous étions un lieu privilégié, comme si nous n’avions rien d’autre à faire au monde que, voilà, notre prière et notre relation avec Dieu, ignorant tout ce qui se passe à l’extérieur.
Or, à l’extérieur du monastère, il se passe de nos jours, et de plus en plus, des choses atroces, horribles, terribles. Par exemple ceci : il y a 15 jours maintenant, on a enlevé deux petites filles à Montegnée près de Liège, âgées de 7 à 8 ans. Imaginez l’angoisse des parents !
A côté de cette angoisse, qu’est-ce que ça ressemble ce que nous faisons, nous, à nous perdre dans la contemplation, à avoir de beaux sentiments, de belles idées ? Le danger qui nous guette est de nous couper de la réalité. Attention ! je ne veux pas dire que nous devons être à l’affût de tout ce qui se passe dans le monde.
Pour se protéger d’un tel danger, certains ont trouvé qu’il était utile sinon nécessaire de regarder en communauté le journal parlé télévisé pour être au courant de tout ce qui se passe. Ainsi, on ne risque pas de s’endormir dans le petit bien-être communautaire que l’on trouve dans la vie contemplative.
Mais alors, comment y échapper ? Eh bien, la seule façon d’y échapper, c’est de nous aimer les uns les autres. Car si le monde souffre tellement maintenant, c’est parce que l’amour se refroidit. Il n’y a plus d’amour dans le monde. Il y en a encore, savez vous, il y en a encore. Mais voilà, tout ce qui se passe, ce sont des défauts d’amour.
Et il faut que nous aimions. Nous devons être ici sur terre l’amour, oui, l’amour. Et si nous ne nous aimons pas les uns les autres, eh bien, nous sommes des embusqués. Et les embusqués, à la guerre, ce sont ceux qui ont une bonne planque quelque part bien loin du front.
Eh bien non ! Il faut que nous soyons en première ligne. Et le combat de l’amour, c’est le combat qui est, qu’il faut absolument tenir.
Alors, la prière constante dans un climat de solitude et de silence, elle progressera car cette prière, c’est un appel au secours. C’est un appel au secours parce que nous ne sommes pas encore des saints, parce que l’amour n’a pas totalement pris possession de notre être, parce que notre communauté n’est pas un foyer brûlant d’amour.
Il faut prier sans arrêt, implorer Dieu pour qu’il envoie son Esprit qui transfigure nos cœur et nos vie. Car alors, à ce moment-là, nous ne sommes plus des hommes puisque nous sommes en lui et notre vocation s’accomplit telle que Dieu la voit et telle que l’humanité l’attend de nous.
Il parle d’un climat de solitude et de silence. Solitude par rapport au monde, oui, et aussi une solitude intérieure, une solitude personnelle. Car l’amour fraternel ne peut jamais être qu’un aspect de l’amour qui nous lie à Dieu. Mais pour aimer Dieu vraiment, il faut se laisser faire par lui. Il faut se donner à lui et n’être rebuté par rien même si parfois c’est très dur.
Le Christ lui-même a connu cette épreuve de la souffrance à son degré maximal. Il avait même demandé que cela s’écarte de lui si c’était possible. Mais non, ce n’était justement pas possible, il fallait qu’il la subisse.
Eh bien pour nous, c’est la même chose ! Il faut que nous soyons prêts à accepter, à recevoir tout ce que Dieu nous a préparé, non seulement pour nous mais aussi, ne l’oublions jamais, pour le monde. Nous ne sommes pas ici pour nous, nous sommes ici pour le monde.
Et par des relations simples avec le Dieu très simple ! Ce ne sont pas des relations compliquées, ce sont des relations toutes simples. Mais pour ça, il faut savoir d’abord que Dieu existe. Et n’allons pas trop vite penser que pour nous il existe. Ce qui existe, peut-être que c’est une idole ? Mais le véritable Dieu, c’est à dire Dieu qui est Amour, qui n’est rien d’autre qu’Amour, eh bien, il faut vraiment que cette conviction nous pénètre.
A ce moment-là, nos relations avec lui deviennent toutes simples, pas compliquées. Il n’est pas nécessaire de connaître des traités théologiques ou autres, non, tout simple, exactement comme le Christ nous l’a dit encore, comme une plante au soleil, comme un oiseau dans la nature.
C’est ainsi que la pureté et la simplicité de cœur produisent des fruits de paix et de quiétude profonde et permanente, ainsi que le souvenir constant de la présence de Dieu.
C’est bien vrai ! Mais ces fruits de paix et de quiétude profonde, nous en sommes d’abord les bénéficiaires. Mais nous devons le partager avec nos frères. Nous ne devons pas être des agents de trouble, des agents de discorde.
Non, au contraire, si nous sommes en paix et en quiétude par notre relation toute simple avec Dieu parce que nous nous laissons aimer et que nous ne nous reprenons jamais, à ce moment-là, ça se diffusera autour de nous.
Eh bien, mes frères, nous allons en rester là. Demain soir, nous allons donc ouvrir notre retraite annuelle.
Mes frères,
Il dit que l’Abbé doit s’adresser tous les jours à sa communauté, c’est d’une importance capitale. Il doit parler tous les jours aux frères, sauf naturellement disait-il s’il y a autre chose qui se présente. Il peut avoir autre chose à faire, il y a des exceptions. Mais l’Abbé ne peut pas s’esquiver, il doit tous les jours parler à la communauté.
Maintenant attention ! Il doit dire toujours la même chose mais sous des modalités diverses. Il ne doit jamais se creuser la tête pour trouver des idées que personne n’avait jamais abordées avant lui. Non, il doit toujours parler de la Règle de Saint Benoît, soit à partir de la lecture du jour, soit d’autres choses, mais qui ont toujours un rapport plus ou moins proche avec la vie monastique bénédictine.
Et il a rappelé Marcel Joust, vous savez, ce jésuite français qui a étudié le premier le phénomène de la répétition. Joust, à l’âge de 12, 13 ans connaissait déjà l’hébreux et l’araméen. Il l’avait étudié. Il était tombé sur un bon curé dans son village qui connaissait tout ça et qui avait initié le petit Marcel à ce mystère.
Si bien que le gamin en grandissant n’avait pas oublié la leçon que les …?… et Jésus lui-même dans son enseignement, ils répétaient. Il n’y avait pas alors de livres, il n’y avait pas de manuels scolaires et il fallait donc tout mémoriser.
Si bien que la leçon répétée d’une façon, répétée de l’autre, l’enseignement s’inscrivait dans le système nerveux, dans le système musculaire et dans le système spirituel des auditeurs.
Alors l’important, c’est que la répétition forme et forge une personnalité : la répétition des gestes à l’intérieur d’une vie monastique, la répétition des journées, la répétitions des heures canoniales.
Vous allez dire que c’est monotone, que c’est toujours la même chose. Oui, c’est vrai ! Mais c’est cette répétition-là qui forme des hommes. Alors, c’est la répétition de l’enseignement de l’Abbé qui va former les moines.
Et, encore un petit trait psychologique, il disait que les frères aiment entendre ce qu’ils connaissent déjà plus ou moins. Si on les arrose de choses dont ils n’ont jamais entendu parler, des choses sublimes et formidables qui sont bien au-delà de leur savoir et de leur portée, ils vont s’énerver. Ils vont se fatiguer, comme il disait. C’est une expression française pour dire qu’ils vont s’énerver. Ils ne seront pas contents.
Par contre, lorsqu’ils perçoivent plus ou moins que l’enseignement de l’Abbé rencontre ce que eux connaissent déjà plus ou moins intuitivement, alors ils sont contents, ils sont rassurés. Il s’établit alors entre l’Abbé et les frères une sorte de complicité, l’Abbé étant le révélateur de ce que les frères pensent dans leur cœur.
Donc voilà ce qu’il nous a dit. Vous voyez que c’était tout de même intéressant. Mais ce n’est pas fini, je pourrais encore dire quelques petites chose, mais ce sera pour une autre fois.
Mes frères,
Dans les trois récits de la Transfiguration rapporté par les synoptiques, nous entendons sur les lèvres de l’Apôtre Pierre une exclamation qui évoque à merveille le sentiment du moine qui découvre enfin le visage du Seigneur Jésus et sa beauté.
L’expression est rigoureusement la même chez les trois évangélistes. En fait, cette expression hébraïque n’est pas facile à traduire car la traduction rend l’expression très pauvre.
Pierre et ses compagnons semblent avoir trouvé le lieu de leur équilibre. Il est bon pour nous, ou bien, c’est un bonheur pour nous. Le mot utilisé par les évangélistes est celui qui jailli du cœur de Dieu lorsqu’il admire l’œuvre, son œuvre au soir de la création : c’est bon, c’est beau, c’est vraiment beau, c’est réussi !
Pierre et les Apôtres, comme je le disais, ont trouvé le lieu de leur équilibre. Ils n’ont plus rien à désirer, plus rien à souhaiter. Ils sont dans la plénitude.
Ce qui est dit ici est différent des Béatitudes : bienheureux un tel, bienheureux un tel, bienheureux un tel ! Pour les Béatitudes, c’est une suite de bonheurs. C’est une tension constante vers un plus, c’est une continuelle epekthase.
Tandis qu’ici, si nous entendons bien l’exclamation de l’Apôtre Pierre, on est beaucoup plus loin, on est au-delà des Béatitudes. On est dans l’accomplissement, dans l’achèvement. Il est bon pour nous d’être ici !
On est arrivé dans son ici, on est arrivé dans son lieu et c’est un lieu de rassasiement. Il n’est pas nécessaire pour nous d’aller au-delà d’où nous sommes arrivés.
Et, dans le mot être ici et son équivalent hébreu, il y a trois idées qui sont liées : celle du bonheur, celle de la beauté et celle de la liberté.
Le Christ est Dieu, c’est à dire qu’il est l’Amour. Et l’Amour est la source et la fin de toute existence. Il est la source et la fin de chacun d’entre nous. Quand on a compris cela, je pense qu’on a fait un pas immense dans sa vie spirituelle.
Quand je nais de l’amour, que je suis rempli d’amour, que je rayonne l’amour, à ce moment-là je ne fais plus qu’un seul être avec Dieu. Je suis devenu Dieu. Je suis arrivé en mon lieu, en mon ici.
Les Apôtres ont entrevu que cette merveille se réalisait pour eux. Il n’est pas innocent d’entrer dans la Lumière. La regarder, ma foi, c’est devenir soi-même lumineux, c’est avoir le cœur transformé, c’est être arrivé au-delà de tout ce qu’on pouvait espérer. Et c’est ce que les Apôtres ont expérimenté quelques instants. Ils entraient dans leur éternité et ils ne voulaient plus en sortir.
Leur expérience peut se ramasser en trois éclairs. Ils ont été subjugués, fascinés par la beauté - non pas la beauté abstraite, mais la beauté du Christ, c’est à dire par la beauté de Dieu, de Dieu qui est Lumière – et une beauté telle qu’ils ne pouvaient absolument plus s’en détacher.
Et ensuite, ils se sont sentis libres, mais d’une liberté absolue. C’est ce que l’Apôtre Paul chantera plus tard, lui qui a fait une expérience analogue à l’instant de sa conversion. Il dira «Tout est à moi, tout, et tout m’est permis. Tout ne m’est pas utile, mais tout m’est permis. » C’est la liberté !
Et enfin, ils ont goûté la plénitude du bonheur et il n’y avait rien au-delà.
Dans cet ici où ils auraient tant voulu se fixer – mais ce n’était pas encore leur heure – dans cet ici, il y avait donc tout cela, il y avait tout. Et c’est vers cet ici que nous-mêmes nous marchons. C’est vers cet ici que nous sommes attirés comme par un aimant.
C’est à une expérience semblable que le moine est invité. Le récit insinue clairement que c’est une grâce à recevoir. Jésus a pris avec lui Pierre, et Jean, et Jacques, pas les autres. C’est eux trois qui ont reçu la grâce, pas les autres. Donc nous devons recevoir ce cadeau.
Et, comme il s’agit d’être élevé dans un autre univers, aucun effort personnel ne peut en forcer l’entrée. Il faut bien le savoir. C’est inutile, nous pouvons faire ce que nous voulons, c’est inutile ! Nous devons tendre la main et recevoir ce cadeau. Mais alors, ce cadeau nous est-il destiné ?
Eh bien, mes frères, puisque Dieu nous a appelés dans sa maison qui peut être symboliquement perçue comme sa montagne, c’est qu’il a l’intention de nous accorder la grâce de le voir dans la lumière qu’il est.
Il a pris avec lui Pierre, et Jean, et Jacques et il est monté sur la montagne pour y prier. Ils étaient quatre. L’amour de Dieu fait …?… cette montagne. Et si Dieu nous a appelés ici, c’est pour nous accorder une grâce semblable à celle qu’il a réservée à ses trois apôtres. Le moine en est persuadé.
Je me rappelle ceci, ça me revient à l’instant, j’en ai parlé il y a déjà un petit temps, Evagre le Pontique a remonté le Nil avec un des «Longs Frères » pendant 18 jours pour rencontrer Jean de Nicopolis peut-être et lui poser une seule question : la lumière que nous voyons, qu’est-ce que c’est ? Et c’était ça ! Et puis, ils sont redescendus pendant 18 jours. Mais ils avaient reçu la réponse.
Mais attention ! Pour ce cadeau qui n’est pas donné ainsi, une préparation est nécessaire. Il s’agit dans la pratique de suivre le Christ là où il nous emmène, fut-ce dans les ténèbres de sa passion et de sa mort. Pouvez-vous boire le calice que je vais boire ? Nous le pouvons. Eh bien, vous le boirez ! Et ils l’ont bu.
Nous devons donc suivre le Christ, il faut lui faire confiance et se dire : il m’emmène je ne sais pas où, mais je n’ai qu’une seule certitude, c’est sur la montagne. Et là, il me découvrira sa beauté. Et encore ceci, mes frères, qui est très juste : notre vœu de stabilité, c’est notre manière de dire qu’il nous est bon d’être ici.
Alors aujourd’hui, nous pouvons déjà maintenant pour chacun d’entre nous contempler la beauté de Dieu en espérance. Mais l’espérance est déjà, comme dit l’Apôtre, la manière pour aujourd’hui de posséder. Et demain, nous contemplerons et nous conserverons cette beauté comme un …?… qui nous comblera pour jamais.
Quant à la monotonie de notre vie monastique, elle est cette marche fidèle à la suite du Christ qui nous emmène donc à notre ici, qui nous emmène au lieu où il nous découvrira sa beauté. Et à ce moment-là, lorsque nous le verrons, nous serons nous-mêmes transfigurés.
Eh bien voilà, mes frères, gardons, nourrissons cette espérance dans notre cœur car c’est elle qui doit être notre …?… .
Frères et sœurs dans le Christ,
Si nous coulons ensemble les trois textes sacrés dont nous venons d’entendre la lecture, nous voyons s’animer et vivre l’événement dont nous faisons mémoire aujourd’hui. Ouvrons les yeux de notre cœur et regardons sans nous lasser. Bien des détails vont se perdre, mais nous resterons sur une impression de fraîcheur, de bonté, de douce joie.
L’Assomption de Marie, tout comme la résurrection de Jésus, est inscrite au creux de notre histoire et cela pour jamais. La contempler ouvre en nous la source d’une espérance immense.
Il y a d’abord une tente dressée quelque part sur une montagne, la montagne de Dieu, là où Dieu siège entouré de myriades d’anges et de saints. Cette tente est la Jérusalem nouvelle, la Jérusalem immortelle, parfaite, vêtue de lumière. Elle seule est digne d’accueillir et de mettre en valeur comme dans un écrin la merveille des merveilles, à savoir l’arche de Dieu, apparition de la création transfigurée.
Et cette arche mystérieuse, c’est le corps, et l’âme, et l’esprit d’une femme dont le nom est Marie ; une femme qui a pris le risque d’aimer, d’aimer sans réserve, à perte de vue, à en perdre la tête ; une femme qui a osé faire confiance et répondre oui à une proposition qui était l’impossible, une docilité qui deviendrait maternité.
Il fallait que le fils de Dieu trouva un cœur aussi pur, un cœur comme celui de Marie. Elle a enfanté sur parole et elle s’est accordée sans retours. Elle s’en est nourrie à longueur de vie. Elle l’a gardée dans son cœur jusqu’à lui donner chair de sa chair. Et lorsque Jésus répond à la voix anonyme de la foule, il complimente sa mère. Oui, heureuse, trois fois heureuse celle qui a entendu la Parole et qui l’a gardée.
Marie a ainsi livré à Dieu les moindres gestes de son existence. Sa respiration est devenue bénédiction perpétuelle qui retombe sans fin et sans mesure sur l’univers, sur chacun d’entre nous comme une rosée fertilisante.
Vivre dans la respiration de Marie, respirer de sa respiration, n’est-ce pas l’origine de la vie véritable ? Elle est notre mère et si nous vivons du parfum qu’elle respire sans cesse, nous devenons nous-mêmes pureté et sainteté.
Marie, oui, est notre mère dans le sens le plus concret qui soit. Elle est la mère de notre être nouveau, de notre chair spirituelle, de notre …?… . L’Apôtre, lui, le sait, lui qui chante la victoire définitive sur la mort.
Frères et sœurs, tous autant que nous sommes, nous sommes contenus dans cette …?…. Nous vivons dans le sein de Marie, elle-même cachée dans les entrailles de miséricorde qui est notre Dieu Un et Trine. C’est tout ce qui est symbolisé par le labyrinthe de notre église.
Oui, des entrailles de miséricorde avec au cœur de ces entrailles la rose mystique ; et dans le sein de cette rose, la Jérusalem nouvelle, c’est à dire chacun d’entre nous formant un seul Corps, et prenant vie, et s’épanouissant pour jamais.
C’est pourquoi, frères et sœurs, avec la femme perdue dans la foule, acclamons Marie Mère de Dieu et notre mère et, surtout, marchons sur ses traces. Suivons son exemple, nourrissons-nous de la Parole de Dieu, nourrissons-nous de Lumière,
Permettons à cette Parole de chasser hors de notre cœur tous les ferments d’amertume, tout ce qui pourrait nous séparer les uns des autres et accueillons avec la propre patience de Marie ce qui peut nous unir, à savoir l’Esprit du Seigneur qui fait de nous un Corps.
Et alors, rendons grâce à Dieu ! Oui, il nous a donné l’espoir par Jésus le fils de Marie, par Jésus notre frère. Et surtout, gardons confiance ! Rien n’est jamais perdu parce que rien n’est jamais achevé.
La grâce justement est pour maintenant et elle est pour chaque jour, pour chaque instant. Et nous grandissons, nous nous formons, et nous ressuscitons à toute heure. Et c’est pourquoi, dans la mesure du possible, travaillons pour l’Esprit Saint. Travaillons avec Marie notre mère et laissons-nous conduire jusque sur cette montagne extraordinaire, là où est dressée la demeure de Dieu et où nous sommes attendus.
Frères et sœurs dans le Christ,
L’Assomption de la Vierge Marie éveille notre conscience à l’existence d’un autre univers, un univers bien réel quoique non matériel au sens où nous percevons la matière. Cet univers pénètre le monde de toute part. Il le porte, il le conduit à un accomplissement que nos rêves les plus audacieux ne pourrons jamais imaginer.
Il existe des points d’émergence de cet univers. Nous pouvons les reconnaître. Ce sont les saints. Ils sont comme des étincelles qui nous rappellent que nous sommes promis à autre chose qu’à la fourniture du tombeau. Notre place est là où Marie notre mère est entrée et où elle continue à nous former à notre être final qui est la transfiguration.
Dans cet univers – nous venons de l’entendre – se dresse un temple et dans ce temple s’abrite une arche. Cette arche est vivante, elle respire, elle regarde, elle accueille. Elle a une forme, la forme d’une femme, une femme d’une beauté merveilleuse. Cette femme à la soleil pour manteau, la lune est sous ses pieds et sur sa tête brille une couronne de douze étoiles. Et comble de l’affaire, cette femme est enceinte.
Où est en tout cela la part du symbole ? Où est la part de la réalité ? Les deux sont enchevêtrés et nous ne pouvons les dissocier. La femme que nous contemplons gît dans les douleurs de l’enfantement. Et ici, nous touchons le cœur d’un mystère. Nos lèvres …?… pourront-elles l’esquisse, l’évoquer, le préciser ?
Frères et sœurs, pardonnez mon audace et accueillez le message, ce message qui est la raison de la joie. Il vient du lieu où réside Marie. C’est un message étrange, paradoxal, surprenant mais combien réconfortant.
Marie, car c’est d’elle qu’il s’agit, Marie, dans la gloire unique qui est la sienne, n’en finit pas d’enfanter et d’enfanter dans la douleur. Elle est notre mère et elle nous enfante à cette heure même. Et à toute heure, elle enfante chacun d’entre nous, chacun des hommes, dans une souffrance indicible. Elle crie !
Et pourquoi souffre-t-elle ainsi ? Mais parce qu’elle sait que nous allons pactiser avec le mal, parce que nous pactisons avec le mal, que nous allons nous entre-déchirer, nous torturer les uns les autres de mille manières.
Elle souffre de tout cela, elle nous le dit. Elle nous supplie de mettre fin à la discorde, de croire en l’Amour et en la Vie, de croire comme elle-même a cru. Bienheureuse toi qui as cru, lui dit Elisabeth. La jeune fille enceinte de quelques jours courait joyeuse chez sa parente et elle chantait son bonheur. Quel contraste avec elle avec ce que nous vivons aujourd’hui !
Son ascension en Dieu nous fait comprendre qu’elle ne s’est pas trompée, que sa première intuition était juste. Elle est plongée dans le bonheur parce qu’elle connaît l’issue de sa souffrance et l’issue de nos souffrance à nous. Son destin de mère embrasse Dieu lui-même, il embrasse l’universalité des peuples.
Elle est la mère de Dieu, elle est la mère du cosmos et elle est capable de générer l’humainement impossible. Et cet impossible, c’est la conversion finale de nos cœurs, c’est le passage de la peur à la confiance, de l’égoïsme au don de soi, du repli sur soi à la charité.
Frères et sœurs, les misères et les malheurs de notre monde, Marie les prend sur elle, les prend en elle et elle les transfigure. Elle sait mieux que nous que son fils est ressuscité d’entre les morts et que nous-mêmes sommes entraînés dans cette résurrection. Oui, les puissances de la mort seront finalement anéanties.
Qui que nous soyons, quoique nous fassions, Marie nous enfante aujourd’hui, elle nous enfantera demain pour la lumière et la vie. Telle est notre victoire ! Telle est notre espérance ! Telle est ce qui est déjà remis entre nos mains !
Nous, les chrétiens, nous devons être les témoins de cette espérance. Nous devons par notre conduite dire à tous, nous devons chanter, nous devons proclamer que la sainteté est dans l’ordre du possible parce que Marie est notre mère et qu’elle nous enfante à la vie nouvelle, à la propre vie de Dieu.
Tel est le message que je voulais partager ce matin avec chacun d’entre vous. Puissions-nous l’accueillir et le faire fructifier !
Amen.
Mes frères,
Nous allons continuer à lire le message que le Père Abbé général et son Conseil ont bien voulu nous adresser. Nous étions arrivés à l’endroit où il nous parle de l’orientation contemplative de notre vie.
Tout, absolument tout, dans la maison de Dieu, doit favoriser le silence, la paix et le recueillement.
Nous sommes dans la maison de Dieu, nous ne sommes pas chez nous. Nous devons veiller à ce que dans la maison de Dieu, dont nous avons la gestion, règne le silence, la paix, le recueillement.
Le silence, c’est d’abord l’absence de bruits. Vous savez qu’il nous est demandé, par exemple, de ne pas claquer les portes derrière nous. Petit détail ? Mais c’est pour montrer que chez Dieu, il n’y a pas de bruits. Il y a des chants, il y a de la parole mais il n’y a pas de bruits.
Le recueillement, la paix ? La paix, c’est l’ordre qui doit régner à l’intérieur de nous, de chacun d’entre nous, et puis se répandre dans la famille monastique de manière à ce que chacun ait la possibilité d’orienter son cœur vers la source de la paix qui est notre Dieu.
Il faut dire que nous vivons dans un contexte économique qui est dominé par le bruit. Auparavant, disons de cela avant la guerre ou tout de suite après la guerre, l’agriculture n’était pas encore mécanisée.
Donc, dans les monastères, on n’entendait aucun bruit de machines. C’était des bruits, disons des sons plutôt, qui étaient naturels comme le meuglement des vaches, le hennissement des chevaux, le caquetement des poules. Voyez, tout cela ne trouble pas le silence.
Tandis que maintenant, ce sont les pétarades des tondeuses à gazon, ce sont les explosions des moteurs des tracteurs, ce sera, c’est déjà et ce le sera encore demain, le mitraillage de ces machines de brasserie.
Et tout cela, c’est le contexte d’aujourd’hui que nous ne pouvons absolument pas éviter, c’est ainsi ! Si nous voulions vivre comme on vivait il y a cinquante ans, nous ne subsisterions pas un mois. C’est impossible, nous ne pouvons plus vivre ainsi ! Mais alors, il faut tout de même favoriser une atmosphère de silence, de paix, de recueillement. Cela nous demande un effort plus grand qu’autrefois.
La nouvelle installation de la bouteillerie, par exemple, sera plus silencieuse que l’ancienne. Elle fera du bruit encore mais il y en aura moins. Même dans le monde, on s’efforce maintenant de juguler la hauteur, le niveau du bruit.
La construction même du monastère doit garantir totalement le recueillement et la solitude de ceux ou de celles qui l’habitent.
Je vous l’ai dit après mon retour d’Up… qu’ici vraiment nous habitions un lieu privilégié. La construction du monastère, ici, est encore écartée de sources de bruits et de …?… même si nous avons à proximité un zoning industriel. Il est tout de même assez tranquille.
Mais je rappelle que ce monastère d’Up… est construit à l’intérieur même du village. Les maisons touchent le monastère. Il n’y a même pas un mètre de distance entre. Et d’autres monastères sont construits ainsi.
Je rappelais hier la bénédiction abbatiale de Laval. Eh bien là, ils ont un large boulevard qui longe le mur du monastère. Ainsi jour et nuit les gros transports passent en grondant surtout dans le sens de la montée.
Les jeunes ne le savent peut-être pas, mais autrefois il a été question de construire une bretelle d’autoroute à 80 mètres de notre monastère. Elle devait passer de l’autre côté de la petite route qui conduit à la route de Ciney. Voyez un peu quel trafic il y aurait eu là-dessus ! Il a fallu vraiment se débattre pour que ce projet n’ait pas lieu.
Encore bien avant, il avait été question aussi de faire passer ici une ligne de chemin de fer au lieu de Jemelle. Et qu’ont fait les anciens de l’époque ? Ils sont allés mettre des médailles dans les champs pour écarter le danger. Donc on peut dire qu’ici, on a tout mis en œuvre pour que notre monastère soit protégé.
Du temps du Père Albert, il avait été aussi question de construire un village de vacances du côté de Havrenne, juste en face de la carrière de marbre. Mais heureusement, nous avons pu acheter le terrain. Les exploitants sont venus nous prévenir et nous ont offert d’acheter le terrain. Ainsi on a été protégé.
Il a été question aussi de construire une usine de charbon de bois à l’extrémité du zoning. On leur permettait même d’abattre une partie de la forêt communale pour qu’ils puissent s’implanter. Imaginez la pollution ! Mais voilà, le projet a été débattu et ça n’a pas été fait.
Je vous assure, il faut être attentif aujourd’hui. Et ça fait aussi partie de la gestion et du devoir d’un Abbé d’être attentif à tous ces détails.
Le critère ultime d’une authentique vocation contemplative est la recherche de Dieu au moyen de la prière continue ; pour cela, les supérieurs doivent veiller à ce que tous et chacun puissent disposer amplement de temps pour se consacrer à la lecture et à la prière.
Notre communauté est toute petite, mes frères, et les charges se rassemblent sur quelques têtes. Eh bien, malgré tout, nous disposons amplement de temps pour la lecture et la prière. Je le constate, je le vois, amplement !
Il suffit de bien organiser son temps, de bien organiser son travail, surtout pas de fébrilité mais toujours de la paix, du calme et du recueillement. Et quand c’est bien organisé, on peu abattre beaucoup de besogne en peu de temps. Et je vois que c’est ainsi que ça se passe.
Voilà, il est dit que le critère ultime d’une authentique vocation contemplative est la recherche de Dieu au moyen de la prière continue. Et ça, c’est vraiment le bout de l’oreille qui dépasse de celui qui a rédigé le texte. Car la prière continue était le sommet de la vocation monastique à l’époque de nos tous premiers Pères du désert.
Cela ne veut pas dire qu’ils récitaient des prières à longueur de journées. Mais ils entretenaient un commerce constant avec Dieu, à tel point qu’il ne s’interrompait pas durant leur sommeil. Ils étaient vraiment en relation d’amour perpétuelle avec leur Créateur et avec leur Sauveur. Ils étaient possédés par l’Esprit Saint.
Mais pour qu’il y ait cette prière continue, il faut qu’il y ait d’abord l’écoute et puis le silence. Il faut bien faire attention ici, mes frères, au nombrilisme, au narcissisme spirituel. C’est un faux spirituel alors. C’est à dire que c’est vivre sur soi et puis s’autodéguster et se fondre dans son propre sucre. Alors, on s’imagine ainsi qu’on est dans la prière perpétuelle.
Non, je dirais que le critère d’authenticité de cette prière continuelle, c’est la relation fraternelle. C’est dans la relation aux autres qu’on peut juger la qualité d’un homme, d’un chrétien, d’un moine et d’un contemplatif.
Nous en resterons là pour ce matin.
Mes frères,[4]
Sur les feuillets mis à votre disposition pour mieux suivre les lectures de ce dimanche, vous avez constaté qu'on a reproduit l'ambon de cette église, ce lieu d'où l'évangile est proclamé à chaque célébration liturgique. Une grande croix latine est le motif central de cet ambon. Ceci est bien normal puisqu'il doit y avoir un lien étroit entre le mobilier d'une église et sa fonction liturgique, en l'occurrence ici, l'annonce de L'Evangile dont la croix est le symbole. Cet ambon est l'exacte reproduction de l'ambon d'un monastère du VII ème siècle, retrouvé au début de ce siècle et restauré en 1963.
Pour bien comprendre la sculpture de la plaque de cet ambon, il faut l’analyser à partir d'un détail : il faut regarder en dessous de la croix et remarquer les trois traits verticaux qui se dégagent de celle-ci. Ces traits sont l'esquisse d'une hampe, c'est-à-dire d'un manche qui sert à élever et à porter la croix. (La croix de l'autel qui est devant vous est, elle aussi, élevée et portée sur une hampe). Sur la plaque de cet ambon, les artistes ont donc voulu résumer tous les évangiles en représentant l'exaltation, l'élévation de la sainte croix. La hampe de cette croix, dont on ne voit que la partie supérieure, est tellement grande qu'elle élève la croix au-dessus de tous les arbres, figurés par deux palmiers, dont les sommets arrivent à peine à frôler les bases de la croix.
La croix exaltée et élevée est toujours la croix glorieuse. Elle n'est plus un arbre qui donne la mort, mais elle est un arbre de vie et c'est pour cette raison qu'un arbre est sculpté dans la branche verticale de la croix. La croix est tellement glorieuse, qu'en son centre, on ne voit plus la couronne d'épines, mais une rosace symbolisant le visage glorieux de Jésus. Les épines disparaissent pour laisser place à la rose. La rose éclôt sur la croix. Le visage de Jésus est "la Rose resplendissante" dit la liturgie arménienne.
Frères et sœurs, l’évangile de ce dimanche vient de nous parler de la croix qu’il faut porter. L‘Eglise est un peuple en marche vers le Royaume, l’Eglise est une immense procession qui s’avance dans le monde. Chacun de nous est appelé à être le porte-croix à la tête de cette procession. C’est la croix glorieuse que nous devons porter et élever. Cette croix est chargée d’un poids énorme de gloire et il peut arriver que nos mains défaillent et que nos genoux chancellent lorsqu’il s’agit d’élever et de porter la croix. Nous ne pouvons cependant jamais renoncer à notre mission de porte-croix : ce serait nier notre identité de chrétiens. Nous ne pouvons jamais nous estimer trop faibles pour porter la croix du Sauveur. En effet, dans l’Église en pèlerinage, Dieu a prévu ces haltes bienfaisantes que sont les Eucharisties dominicales. Là, nos forces se refont et notre courage reprend vigueur. Amen.
Mes frères,
Lorsque nous parlons de la vie contemplative, nous ne devons pas nous laisser piéger par le mot car les adeptes du zen, par exemple, utilisent un vocabulaire identique.
La vie contemplative, c’est essentiellement la vie de foi, une foi qui ne craint pas d’entrer dans des tunnels extrêmement ténébreux et cela parfois pendant très longtemps. Mais à l’extrémité de ce tunnel se dégage une lumière qui devient de plus en plus forte. Et cette lumière est celle du Christ ressuscité en personne.
A ce moment-là, la participation à la vie divine devient consciente et le moine sait qu’il est entré dans un autre univers qu’il ne quittera jamais plus. Donc prenons bien garde ! Ne nous laissons pas prendre au piège de tout ce vocabulaire et sachons qu’essentiellement notre vie monastique est une croissance dans la foi.
Le silence, l’ascèse, le jeûne, sous différentes formes, sont au service de la recherche contemplative du Seigneur et du désir spirituel.
Saint Benoît nous dit que pendant le carême nous devons attendre la sainte Pâque dans l’ardeur du désir spirituel, 49,19. Il s’agit d’un désir qui est inspiré par l’Esprit Saint.
Attention encore à ce mot spirituel ! Nous devons, nous, toujours le prendre dans son sens étymologique, un désir inspiré par la personne de l’Esprit Saint à laquelle nous sommes, mystérieusement mais bien réellement unis au plus profond de notre cœur.
Ce désir inspiré par l’Esprit Saint, c’est l’Esprit Saint qui le porte et c’est lui qui va le conduire à son accomplissement. C’est encore l’Esprit Saint qui nous permettra de pratiquer une ascèse adaptée à notre genre de vie, qui nous permettra d’entrer dans le silence et, qui nous permettra également de porter le poids du jeûne.
Il ne s’agit pas ici de se livrer à des exploits de privation de nourriture ou de sommeil, mais tout bonnement d’accepter les privations inhérentes à notre genre de vie. Nous ne pouvons pas faire bombance tous les jours comme celui qu’on appelle le mauvais riche ? Non, nous nous contentons d’une nourriture qui est celle de la classe laborieuse.
Et tenir ce jeûne pendant une longue durée, ce n’est pas tellement facile. Mais l’Esprit Saint, encore une fois, nous permet de réaliser cette performance, appelons çà ainsi. Car cette durée ne s’étend pas sur quelques semaines ou quelques mois, mais sur toute une vie.
La Liturgie des Heures et la lectio divina sont école de prière continue et contemplative.
Nous le savons, c’est à l’intérieur de la liturgie qu’il nous est possible de rencontrer la personne du Seigneur Jésus, chacune des personnes divines, et nous laisser conduire à travers le mystère de la croix jusqu’à l’aube de la résurrection bienheureuse.
C’est pourquoi nous ne pouvons pas négliger la pratique liturgique. Nous devons nous en acquitter le mieux que nous pouvons dans la limite de nos forces. Nous ne sommes pas ici un conservatoire, mais voilà, chacun comme il le peut pratique la Liturgie des Heures, et la Lectio Divina qui est écoute de la Parole.
Les relations avec le monde extérieur et même l’accueil des hôtes sont discernées en fonction du caractère particulier de notre vie contemplative.
C’est là un problème assez délicat aujourd’hui. Le frère Jacques-Emmanuel nous en a parlé lors de son retour de Cîteaux, où le problème de l’hôtellerie avait été au centre des échanges. Je ne vais donc pas reprendre les choses maintenant.
Mais il y a ici tout de même un critère de discernement. Nous devons veiller à ce que ces relations avec les gens du monde, que ce soit des hommes d’affaire, que ce soit les retraitants ou les visiteurs, soient toujours au service de notre vie contemplative. Elles doivent l’être !
Le désir spirituel est l’âme de l’orientation contemplative de notre vie.
Oui, ce désir est, je le disais il y a un instant, porté par la vigueur de notre foi. Ce n’est pas nécessairement une foi sentie. Non, elle va traverser de longs et obscurs tunnels pour devenir de plus en plus puissante et vraie.
Mais j’irais encore un peu plus loin et je dirais que le désir est aussi l’expression de notre espérance, l’espérance étant la forme actuelle de possession pour nous. Posséder Dieu, posséder son amour, posséder tout son univers, c’est l’objet de la vertu d’espérance.
Dans l’espérance, tout cela nous est donné. Mais nous ne pouvons posséder que dans la mesure où nous acceptons le cadeau qui nous est fait. L’espérance est donc une vertu d’ouverture et d’accueil. Et c’est en elle que repose le désir, désir spirituel qui est l’âme de l’orientation contemplative de notre vie.
Ce désir nous permet de vivre au ciel tout en étant encore sur la terre et rend la Mère de Dieu présente dans notre cœur.
Naturellement elle est présente dans notre cœur si nous sommes déjà au ciel. Attention ! N’allons pas nous imaginer toutes sortes de choses étranges, bizarres sortant de la vie ordinaire ! Mais non, plus notre vie est ordinaire, plus notre désir est vrai et plus Dieu est libre de nous rassasier.
Si nous commençons à rêvasser à toutes sortes de choses d’un peu étranges concernant la vie avec Dieu, alors que fait Dieu ? Mais il retient tout chez lui, il ne nous donne rien. Il attend que nous soyons purifiés de toutes ces impuretés.
Ce désir, durant les heures qui précèdent le lever du soleil, s’exprime dans l’attente espérante de la venue du Seigneur.
Vous voyez, voici la vertu d’espérance qui montre le bout de l’oreille ici dans le texte. C’est donc une attente, un désir qui est attente et qui trouvera un lieu privilégié dans les heures qui précèdent le lever du soleil. Pourquoi ?
Mais parce qu’à ce moment, on est moins facilement distrait. C’est l’obscurité de la nuit, c’est le silence de la nuit. On est donc davantage en solitude et on peut avec une plus grande facilité s’ouvrir à la présence cachée mais bien réelle du Christ ressuscité et de tout l’univers de Dieu.
Et c’est une expérience que nous avons le bonheur de faire. Et c’est pourquoi Saint Benoît demande que pendant ce qu’il appelle le grand silence, donc pendant ces heures nocturnes qui suivent l’Office de Vigile, il faut que le moine soit vraiment en sécurité, qu’il ne craigne pas d’être troublé par l’importunité d’un autre. Le silence des heures nocturnes est tellement précieux.
Mais voilà, mes frères, nous irons maintenant rendre grâce à Dieu pour toutes les faveurs dont il nous comble chaque jour.
Mes frères,
L’orientation contemplative et le désir spirituel nous incitent à apprendre jour après jour la philosophie du Christ, philosophie qu’on apprend seulement en se conformant au Christ.
La philosophie du Christ est un terme habituel de l’époque patristique. Même dans l’univers monastique, nous la connaissons, cette philosophie du Christ. C’est une Sagesse que le Verbe de Dieu est venu nous enseigner. Elle heurte de front la philosophie du monde qui, elle, vise le succès, la réussite, les grades.
Tandis que la philosophie du Christ, elle, elle descend, elle est vidange de soi, elle est renoncement à toute ambition, à toute convoitise. Elle est Sagesse qui jette bas toutes les sagesses mondaines. Elle est faiblesse, mais à l’intérieur de sa faiblesse habite la puissance même de Dieu. En un mot, la philosophie du Christ, c’est le mystère de la croix.
Et ça, il m’est très difficile de l’admettre et de le comprendre. Spéculativement parlant donc nous pouvons en disserter ; mais existentiellement laisser cette philosophie extraordinaire, la philosophie de la croix s’imprimer dans notre vie, c’est humainement impossible.
Il faut, comme il est bien dit ici, se conformer au Christ. C’est uniquement en se conformant au Christ que nous pouvons l’apprendre. Non pas l’apprendre encore une fois cérébralement, mais l’apprendre par toutes les fibres de notre chair, et de notre esprit, et de notre cœur.
C’est une des raisons pour lesquelles le moine doit se heurter à l’échec, à l’humiliation. Saint Benoît dit que le moine doit aimer l’humiliation ; c’est à dire même si personne ne le remarque, être humilié à ses propres yeux. Il est salutaire pour le moine de commettre des péchés, d’être égaré, de tomber dans l’erreur. C’est à travers ces découvertes de soi qu’il va entrer dans la philosophie du Christ.
La croix ? Ne comptons pas sur des souffrances terribles qui vont nous réduire à rien du tout. Non, le mystère de la croix, c’est le mystère de la découverte de soi, de se découvrir soi-même dans sa vérité tel qu’on est. Ce n’est pas de tout repos, ce n’est pas de toute joie.
Il faut vraiment laisser crucifier sa vanité, son orgueil, sa suffisance, la belle opinion qu’on a de soi, les ambitions spirituelles qu’on peut nourrir. Il faut qu’on découvre de plus en plus qu’on est pécheur.
On le dit au seuil de chaque Eucharistie, l’un d’une façon et l’autre de l’autre. C’est par-là qu’on commence : reconnaître que l’on est des pécheurs. Mais ça ne peut pas devenir une formule vide de sens. Nous ne devons pas laisser la routine s’emparer de nous. Nous sommes des pécheurs. Et lorsque nous en sommes très convaincus, à ce moment-là, nous pouvons être en paix avec les autres. Si, toujours dans une certaine mesure, une certaine peine qu’on peut ressentir, une certaine gêne, une inquiétude, mais il n’y a jamais plus – et c’est impossible – une pensée de condamnation.
Non, on est pécheur, on est à sa place de pécheur. Et bien les autres, ils ont le droit aussi d’être pécheurs et d’être à leur place de pécheur. C’est ça d’abord cette première communion dans le rien qu’on est, car alors sur elle peut se construire la communion spirituelle dans la lumière.
C’est cela la philosophie du Christ, c’est cela la Sagesse de Dieu, et c’est cela que nous apprenons jour après jour en nous conformant au Christ, c’est à dire en épousant ses moindres vouloirs, en embrassant sa volonté, les grandes volontés et les petites volontés. Car à l’aune de Dieu, à la mesure de Dieu, il n’y a rien de grand et il n’y a rien de petit. Tout est divin lorsque cela vient de Dieu, lorsque cela vient du Christ.
Voilà, mes frères, ce qui nous est dit ici. Mais attention ! C’est une petite parenthèse que j’ouvre car cela me revient à l’instant à l’esprit. Il existe d’autres philosophies que celle du Christ. Elles rencontrent de nos jours un succès de plus en plus grand parce qu’elles parlent de l’homme, qu’elles flattent l’homme et qu’elles ne sortent pas de la sphère humaine. Il est donc possible de les maîtriser, de s’en servir. Tandis que la philosophie du Christ, c’est l’inverse. On est saisi par elle, on est arraché à soi.
Il y a la philosophie du Bouddha. Je vous assure qu’elle rencontre du succès, quelque chose d’invraisemblable aujourd’hui. Le peu de personnes du monde que je rencontre et qui ont une teinture plus ou moins chrétienne – qui disent encore leurs prières, etc. – ces personnes-là, elles sont persuadées de la réincarnation.
La résurrection du Christ, ça, on ne comprend pas, c’est pas possible ! Mais la réincarnation, oui ! Il y a un besoin de vie impérissable qui est inscrit dans la personne. Et pour y trouver une solution au plan humain, alors, c’est la réincarnation. Et lorsqu’on met son doigt dans cette théorie, dans cette philosophie, tout le reste du corps risque d’y passer.
C’est la réincarnation, c’est la purification en passant par plusieurs vies jusqu’à ce qu’on s’évanouisse, qu’on sombre dans le grand tout, dans le grand nirvana où on a retrouvé alors la paix définitive.
Oui, c’est une tentation, une grave pour aujourd’hui et je pense que ça peut devenir dangereux. Et je rappelle ce que Dom de …?… que d’ici peu, pour l’an 2000 ou après, il y aurait en France plus de monastère bouddhiste que de monastère chrétien. Voyez un peu ! Il en pousse comme des champignons. Attention ! Ce ne sont pas des immigrés, ce sont des nationaux, ce sont des français.
C’est la même chose en Belgique, peut-être à un rythme moins rapide, mais ça commence aussi. Donc, prenons bien garde ! Nous devons, nous, être les hérauts de la philosophie du Christ, ne pas avoir peur de le dire. Lorsque nous sommes interrogés sur notre foi, nous devons pouvoir le dire.
La vie contemplative elle-même est notre manière propre de participer à la mission du Christ et de l’Eglise et de nous insérer dans les Eglises locales.
Je pense que cela a été déjà dit auparavant : nous insérer dans les Eglises locales en tant que monastères contemplatifs. Nous devons en être persuadés, c’est cela notre mission. C’est une mission d’humilité, d’enfouissement, mais elle féconde tout le reste.
Une fondation, en dernier ressort, doit être comprise comme le don d’une présence contemplative à une Eglise locale. C’est vrai ! C’est vrai ! Et maintenant une petite conclusion de tout ce paragraphe :
En définitive si, dans notre vie ou dans les Constitutions qui l’expriment. ça, les Constitutions sont là ! Est-ce que ce sera avec les Constitutions à venir ? Je n’en sais rien. Peut-être bien qu’une nouvelle génération de moine voudra revoir les Constitutions et les modifier.
Donc si dans notre vie ou dans les Constitutions qui l’expriment, nous faisons disparaître ou appauvrissons le Christ et son Evangile. Le Christ, encore une fois, le mystère de la croix qui est la porte de la résurrection. C’est ça son Evangile ! Si nous faisons disparaître Benoît et sa Règle !
Au Chapitre Général, on a posé une question. C’était l’ancienne Abbesse de Laval. Elle a posé cette question a un Abbé qui expliquait en fait comment cela se passait dans son monastère. Dans votre monastère, est-ce qu’on fait encore profession selon la Règle de Saint Benoît ?
Voyez, c’était ça ! La Règle de Saint Benoît, c’est sur elle qu’on se fonde pour construire la vie monastique d’une communauté. C’est grave, ça, vous savez ! Mais le plus terrible de tout, c’est que ces monastères se recrutent ! Oui, voilà, il faut choisir. Le mystère de la croix, ce n’est pas seulement au niveau des personnes, mais surtout au niveau des communautés.
Donc si nous faisons disparaître ou appauvrissons le Christ et son Evangile, Benoît et sa Règle pour des cénobites, Cîteaux et son orientation contemplative, il ne reste plus que des cendres à la merci du vent. Voilà, il ne reste plus rien, c’est tourné à rien, rien que des cendres à la merci du vent. Eh bien, autant en emporte le vent ! Oui, voilà, c’est fini !
Maintenant attention ! Lorsqu’un monastère voit que ses effectifs diminuent, et diminuent, il ne doit pas se dire : c’est sans doute parce que j’ai justement fait disparaître ou appauvri le Christ, Saint Benoît et l’orientation contemplative. Ce n’est pas ça que je veux dire. Là, je le rappelle, c’est le mystère de la croix qui frappe les communautés aussi bien que les personnes.
Mais ce serait vivre à la merci du vent si ce qui se vivrait dans ce monastère-là n’a plus beaucoup de valeur au plan ecclésial. Cela aura peut-être une valeur au plan économique, au plan culturel, au plan intellectuel ? Peut-être bien ? Mais sous le regard de Dieu, dans l’optique du projet de Dieu et de la formation de son Eglise, ce n’est plus que du vent.
Voilà, mes frères, une petite leçon qui me semble vient toujours à propos parce que nous sommes toujours des êtres humains et la tentation est toujours là de s’appuyer sur des moyens humains pour disons, appelons cela entre guillemets «réussir ».
Tandis que pour une véritable réussite qui est la croissance du Royaume de Dieu en nous et dans le monde, nous devons toujours nous appuyer sur ce qui est le mystère de la croix qui est lui-même porteur du mystère de la résurrection.
Et là, nous sommes dans un autre univers qui est l’univers des vrais contemplatifs.
Mes frères,
Nous arrivons à la conclusion générale de la lettre circulaire qu’a bien voulu nous adresser l’Abbé Général aidé de son Conseil permanent. Cette lettre comptait huit pages.
Il y a dix ans, Dom Ambrose, l’ancien Abbé Général, en écrivant à l’Ordre au sujet des nouvelles Constitutions, présentait quelques considérations générales, faisait des suggestions concrètes et traitait de certaines difficultés. L’objectif de sa circulaire en 1984 était de stimuler les moines et les moniales de l’Ordre à faire le meilleur usage possible du texte de Holyoke.
Ce n’était pas encore le texte approuvé par Rome. C’était un projet qui était déjà soumis à notre appréciation.
La présente lettre se situe en continuité avec celle de mon prédécesseur. Les mêmes désirs l’animent. Déjà, au dernier Chapitre Général, je me suis référé aux Constitutions comme à l’un des instruments privilégiés pour se lancer à la conquête de ce qui est un don : don de la rénovation spirituelle inculturée et don de la vie nouvelle que l’Esprit accorde à qui a le courage de mourir à soi-même, pour vivre en un Dieu qui s’est fait homme.
Se lancer à la conquête de ce qui est un don ! On voit ici que l’Abbé Général est un descendant des conquistadores qui se sont lancés à l’assaut du nouveau monde.
Un don ? Comment pouvons-nous nous lancer à la conquête de ce qui est un don qui est quelque chose qui doit être reçu ? Eh bien, tout bonnement en nous vidant de nous-mêmes, en faisant en nous une place où Dieu pourra déposer ce don.
Il s’agit donc d’une lutte, non pas contre des adversaires situés à l’extérieur de nous, les démons, mais plutôt des adversaires qui nous habitent, nos passions déréglées.
Les premiers moines avaient pour objectif l’apatheia, ce qui n’était pas l’impassibilité mais la remise en ordre des passions qui sont enracinées, ancrées dans le concupiscible et dans l’irascible pour en venir à des distinctions qui étaient courantes à cette époque, empruntées qu’elles étaient à la philologie grecque. Et je pense que c’était correct.
Il ne nous est pas possible de parvenir à ce stade de rééquilibre parfait des passions, qui sont des énergies donc qui sont positives, qui sont déréglées. Nous ne pouvons pas y parvenir par nous-mêmes. Nous devons être aidés par l’Esprit Saint qui nous inspire ce que nous devons faire et qui nous donne la force de l’accomplir. Mais il va surtout nous inspirer de nous conformer aux vouloirs de Dieu.
Car, lorsque Dieu nous a appelés dans le monastère, c’est précisément pour cela : nous rééquilibrer, nous rendre une nouvelle santé spirituelle et psychologique et ainsi devenir des hommes nouveaux, c’est à dire des hommes qui vivent en un Dieu qui s’est fait hommes. Ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi.
Alors, nous le savons, nous possédons sur terre ce qui sera notre lot pour l’éternité. C’est infiniment plus intéressant qu’une réincarnation à laquelle rêve tant de chrétiens d’aujourd’hui.
Maintenant, l’Abbé Général dit encore ceci. Il explique en quoi consiste ce don. Il dit la même chose que moi mais avec d’autres mots. C’est le don de la rénovation spirituelle inculturée, donc une rénovation spirituelle adaptée à chacun d’entre nous. Ce n’est pas un modèle standard qui est appliqué à tout le monde.
Aujourd’hui, voilà, les grands couturiers donnent les modèles qui auront cours pendant tout l’hiver ; et à la fin de l’hiver, les modèles qui auront cours pendant l’été. On ne trouve que ça dans les magasins et tout le monde sera habillé de la même façon.
Ce n’est pas ça, c’est pas institutionné ! C’est non seulement inculturé dans des différences de races, de civilisations (autre chose en Europe, autre chose aux Etats-Unis, autre chose en Asie, autre chose en Afrique), mais aussi une inculturation personnelle. Nous avons chacun notre degré de Culture d’après notre Moi préfabriqué, d’après les études que nous avons faites, enfin d’après l’éducation que nous avons reçue.
Il y a donc là une rénovation spirituelle adaptée à chacun. Mais ce mot de rénovation spirituelle, quand je l’ai entendu, je me suis rappelé que c’était une expression typiquement paulinienne : renouvelez-vous dans votre esprit, par votre esprit. Et je suis allé voir l’Apôtre Paul et, il en parle à quatre endroits.
Il dit ceci. C’est pour vous faire comprendre ce que c’est une rénovation spirituelle. Aux Corinthiens, il dit : « Si notre extérieur se corrompt, c’est à dire glisse - je l’ai traduit du grec comme çà ! - vers la corruption. Donc, si nous allons infailliblement vers la fosse comme il est souvent dit dans les Psaumes, par contre l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour.
C’est donc que l’homme nouveau, l’homme spirituel, l’homme qui porte la vie éternelle, celui-là, il devient neuf jour après jour. D’un côté, il y a l’homme prodigue qui nous fait glisser vers la corruption ; et de l’autre côté, il y a en nous un germe qui de jour en jour se renouvelle, devient nouveau.
Donc, il n’est pas aujourd’hui comme il était hier ; et aujourd’hui, il n’est pas comme il sera demain. C’est ça la croissance dans l’Esprit Saint !
Au Colossiens, Paul dit, Paul demande de déposer l’homme ancien, le vieil homme comme on dit, mais littéralement c’est l’homme ancien, l’homme qui est vieux, vieux vieux, parce que il est là depuis le commencement du monde. Au moment du big bang initial, mais nous étions déjà là ; et à la suite de millions d’années d’évolution, nous voilà ici. Donc, nous sommes un homme ancien, cet homme ancien avec ses pratiques qui sont tellement bien détaillées dans les Psaumes.
Si nous voulons faire attention, le Psautier est un véritable miroir dans lequel nous nous reconnaissons dans notre état de vieillard, d’homme ancien avec ses pratiques. Mais on ne peut pas détailler cela maintenant, parce que il suffit de nous regarder nous-mêmes, pas les autres, pour voir un peu ce que c’est cet homme ancien. A moins que nous nous prenions naturellement pour un saint. C’est déjà très très beau, angélisé !
Alors, il dit que nous devons déposer l’homme ancien avec ses pratiques et revêtir l’homme nouveau, renouvelé selon l’image de celui qui l’a créé. Voilà donc où nous devons aller, où conduit cette rénovation de notre être. Nous devons restituer l’image de celui qui nous a créés. Nous sommes créés à l’image de Dieu. L’être spirituel qui grandit en nous, il est un miroir dans lequel Dieu se reconnaît, l’image de celui qui nous a créés.
Voilà donc où nous devons aller, où conduit cette rénovation de notre être. Nous devons restituer l’image de celui qui nous a créés. Nous sommes créés à l’image de Dieu. L’être spirituel qui grandit en nous, il est un miroir dans lequel Dieu se reconnaît, l’image de celui qui nous a créés.
Aux romains, il dit : Ne vous conformez pas à ce monde-ci ! C’est la même chose mais autrement que «déposez l’homme ancien avec ses pratiques». Ne vous conformez pas à ce monde-ci, mais transformez-vous par la rénovation de votre esprit afin que vous puissiez expérimenter quelle est la volonté de Dieu.
Ce qui nous permet de voir la volonté de Dieu et de l’épouser, c’est notre homme intérieur renouvelé par la puissance de l’Esprit Saint. L’homme charnel ne peut pas reconnaître la volonté de Dieu et y entrer. C’est la raison pour laquelle l’obéissance est tellement difficile lorsqu’on arrive dans le monastère et pendant un certain temps.
Mais, comme le dit Saint Benoît, après X années, ça dépend de chacun, ce qui paraissait dur et difficile devient tout simple et tout naturel et la volonté de Dieu est la nourriture. Elle n’est plus difficile du tout. Au contraire, c’est elle qu’on attend et c’est elle qui devient notre raison de vivre. L’âme de notre âme, c’est la volonté de Dieu. Et cela n’est possible que par la rénovation de notre être.
Et enfin à pic, là il emploie vraiment le mot qui est utilisé ici par l’Abbé Général. Il parle de la rénovation dans l’Esprit Saint, le renouveau dans l’Esprit Saint. On parle aujourd’hui beaucoup du renouveau. C’est une belle expression, c’est une expression typiquement paulinienne.
Et ce doit être un renouveau dans l’Esprit Saint. Non pas pour des choses spectaculaires, mais un renouveau qui au plus profond de nous nous transforme, fait de nous des êtres, des apparitions de Dieu, du Christ ressuscité dans notre monde de prières (?). Et pour çà, il faut être renouvelé par l’Esprit Saint.
Et cette rénovation, elle peut se mesurer, on peut en prendre la mesure. Et Saint Benoît nous donne l’instrument de mesure de l’humilité : plus on se découvre pécheur – enfin employons ce mot – indigne, plus notre homme intérieur se renouvelle sous la motion de l’Esprit Saint. Là est le baromètre !
Mieux on se perd, on se coule dans l’anonymat de la vie communautaire faisant tout ce qui est présenté, que cela plaise ou que cela ne plaise pas, à ce moment on est vraiment un ..?.. ..?.. pas et c’est la vérité que l’Esprit fait de nous des hommes nouveaux.
Et voilà, c’est ce que l’Abbé Général nous dit ici, c’est ce don de la vie nouvelle que l’Esprit accorde à qui a le courage de mourir à soi-même pour vivre en un Dieu qui s’est fait homme.
Restons-en là pour ce soir ! Demandons pour nous-mêmes et pour chacun d’entre nous la grâce de cette rénovation spirituelle et le courage de mourir à nous-mêmes.
Mes frères,
Nous étions arrivés à l’endroit où le Père Abbé Général appuyé par ses Conseillers nous dit que les Constitutions sont un des instruments privilégiés pour nous lancer à la conquête d’un don. Et ce don est celui de la rénovation spirituelle inculturée.
C’est le don, précise-t-il, de la vie nouvelle que l’Esprit accorde. C’est toute la dialectique, inaugurée par l’Apôtre Paul, de la lutte entre l’homme ancien et l’homme nouveau, entre l’homme esclave de ses passions et l’homme qui a reçu la propre vie de Dieu et qui est parfaitement libre.
Mais l’Esprit n’accorde pas cette vie nouvelle à tout le monde. Il l’accorde uniquement à ceux qui ont le courage de mourir à soi-même. Voilà la condition et il n’est pas possible de passer à côté !
Ne nous méprenons pas sur le sens des paroles du Christ. Il le dit, lui aussi, que nous devons prendre notre croix, le suivre et mourir.
Il ne s’agit pas d’abord de la mort biologique mais d’une autre mort mystique qui nous fait mourir à notre égoïsme, à notre narcissisme, à notre nombrilisme, à notre égocentrisme et qui nous projette hors de nous-mêmes pour nous établir dans le cœur de Dieu, dans le cœur du Christ.
Mais attention, bien concrètement dans le cœur du Christ reconnu dans le chef de nos frères !
Ce serait trop facile de basculer dans un Christ situé bien loin de nous, de vivre dans une sorte d’extase qui nous empêcherait de reconnaître les hommes parmi lesquels nous vivons, les hommes qui sont au regard de la foi autant d’apparitions du Christ ressuscité. Et pour en arriver là, il faut mourir à soi-même. Et pour cela, il faut du courage et c’est peut-être ce courage qui fait le plus souvent défaut.
Vous savez, mes frères, que lorsqu’il s’agit de réaliser nos propres idéaux monastiques ou spirituels, entre guillemets, nous avons un courage extraordinaire. Nous ne reculons devant rien. Nous sentons en nous toute une foule d’énergies. C’est parce que notre égoïsme, notre besoin de paraître, ne fut-ce qu’à nos propres yeux, se transforme, se métamorphose en ange de lumière quant au fond ce n’est qu’un fantôme.
Non, ces énergies sont en nous. Nous devons les mettre au service de notre médecin et faire tout ce qu’il nous demande et, il nous demande une foule de petites choses insignifiantes. Et les accepter, les faire nôtre, c’est introduire à l’intérieur de nous le germe de la guérison spirituelle. Le don de la rénovation spirituelle, le don de la vie nouvelle de l’Esprit, c’est à travers ces petites choses qu’il nous arrive, qui nous sont échues. Ce n’est pas quelque chose qui nous tombe comme ça.
Non, depuis que le Verbe de Dieu s’est fait homme, tout, absolument tout, nous vient par le canal de l’incarnation. Cette incarnation se manifeste d’abord par la personne de l’Abbé quel qu’il soit. Saint Benoît nous le dit, il peut faire le contraire de ce qu’il enseigne, ça n’a pas d’importance. Il en rendra compte au jour du jugement.
Mais voilà, ce qu’il dit, il faut le faire parce que tenant la place du Christ, c’est à travers cet homme rempli – je prends l’extrême, Saint Benoît y fait allusion – rempli de péchés que nous arrive la rénovation spirituelle.
Et puis, il y a aussi les coutumes du monastère, aussi les attitudes qui constituent et qui assument l’équilibre de la communauté. Toutes ces petites choses sont porteuses de l’Esprit de Dieu. Et nous devons y entrer tout bonnement sans nous dire que ce n’est peut-être pas bien, qu’il est possible de faire mieux. On a parfois une certaine approche des choses qui semble meilleure.
Eh bien, il faut laisser ça de côté. C’est peut-être meilleur en soi, mais pour la réception, pour l’accueil de l’Esprit de Dieu, ce n’est pas meilleur. C’est une illusion !
Donc, dans le fond, le courage de mourir à soi-même, c’est tout simplement le courage d’obéir. C’est ça ! Savoir écouter, et puis vivre en accord avec ce qu’on a entendu. Ecouter ce que l’Esprit nous dit, encore une fois, à travers l’Abbé, à travers les frères, à travers les coutumes du monastère, à travers la Règle, à travers les Constitutions, à travers les multiples aléas de nos journées.
Voilà, obéir, c’est entrer dans tout cela et, c’est mourir à soi pour renaître en Dieu. Mais pour ça, il faut du courage. Alors, est-ce que nous en avons encore ? Et ça, je n’en sais rien ? Peut-être bien que oui ? Il n’y a pas de baromètre pour mesurer la pression de notre courage. C’est l’affaire de chacun, mais il n’est pas simple d’affronter la mort à soi.
Et s’il y en a qui hésite, s’il y en a qui recule, gardons-nous bien de les juger parce que nous ne sommes pas dans leur peau. Nous ne savons pas ce que leur cœur leur dit. Gardons-nous de juger car ce qui n’est pas possible aujourd’hui à ce frère sera peut-être possible demain.
Et le résultat de cette lutte contre nous-mêmes, c’est de vivre en un Dieu qui s’est fait homme. Nous savons que Dieu s’est fait homme pour que l’homme puisse devenir Dieu. Vivre dans le Christ donc, c’est prendre conscience qu’on est un membre du Christ, qu’on est une cellule du Christ, de son Corps ressuscité. Et si on est une cellule du Corps ressuscité du Christ, on est une cellule aussi des autres.
Si bien que faire du tort à un frère, ne fut-ce qu’en pensée, c’est s’asphyxier. L’…?… qu’est ce frère relié à moi dans le cadre d’une biologie spirituelle bien réelle fait que lorsque je fais tort à mon frère, je me blesse moi-même.
Vivre dans le Christ, c’est se découvrir solidaire les uns des autres, c’est découvrir que la communion est le lieu où nous respirons. Nous ne sommes pas des êtres isolés, nous ne sommes pas des nomades(?) même si nous sommes des moines. Nous formons tous un tissu vivant. Et ce tissu vivant, c’est la chair ressuscitée du Christ.
Voilà, mes frères, ce que l’Abbé Général et son Conseil nous disent. Je l’ai un peu commenté afin que leurs paroles pénètrent mieux notre cœur et qu’ainsi nous sentions grandir en nous notre foi, notre foi en l’appel que nous avons entendu et auquel nous avons répondu.
Et puis aussi notre foi en nous-mêmes. Nous devons avoir confiance en nous. Il est essentiel d’avoir confiance en nous-mêmes. Si je n’ai pas confiance en moi, je ne saurais pas faire confiance aux frères et, je ne saurais encore bien moins faire confiance à Dieu.
Eh bien voilà, mes frères, puisse cette grâce du courage et de la confiance grandir dans le cœur de chacun d’entre nous !
Mes frères,
Nous allons ce soir mettre un point final à la présentation commentée de la lettre de notre Père Abbé Général.
Au début, en indiquant le but de cette lettre, j’ai également formulé, avec les Conseillers, le souhait que l’Esprit inspire en nos cœur un souffle de vie en se servant des paroles que lui-même a inspirées quand nous avons rédigé nos Constitutions renouvelées.
Donc, pour le Père Abbé Général, nos Constitutions sont le fruit d’une inspiration spirituelle. Naturellement, il ne faut pas les mettre sur le même pied que les Evangiles. Mais tout de même, il est certain qu’au cours de ces années de travail, l’Esprit Saint a été en action dans le cœur des frères et aussi dans le cœur des responsables.
Et c’est pourquoi l’Abbé Général, avec son Conseil, souhaite que l’Esprit inspire en nos cœurs un souffle de vie, de vie spirituelle, de vie divine, de vie nouvelle en se servant des paroles de nos Constitutions, d’un encouragement à les vivre, à les revoir de temps en temps, du moins dans la partie qui est proprement spirituelle.
En concluant, il ne me reste qu’à dire : Dieu veuille animer les frères et les sœurs du souffle de son Esprit pour que, en les mettant en application dans la charité fraternelle et la fidélité à l’égard de l’Eglise, ils s’acheminent joyeusement vers la plénitude de l’amour, sous la protection de la bienheureuse Vierge Marie, Reine de Cîteaux.
C’est donc ici un souhait, presque une prière, qui appelle sur nous à nouveau le souffle de l’Esprit de Dieu. Oui, il faut savoir que la présence concrète du Christ aujourd’hui dans le monde, c’est l’Esprit Saint. Le Christ a dit : Moi, je m’en vais puis je reviendrai à vous ; et je vais vous envoyer l’Esprit Saint.
Et c’est lui maintenant qui est omniprésent. C’est lui qui est, comme nous dit l’hymne du Veni Creator, qui est le doigt, le doigt par lequel Dieu, le Verbe de Dieu poursuit l’œuvre de création et de Rédemption.
Donc, c’est le souffle de l’Esprit qui va nous permettre, dans la charité fraternelle et la fidélité à l’Eglise, de nous acheminer joyeusement vers la plénitude de l’amour.
Un saint triste est un triste saint, dit-on. La tristesse, c’est un des péchés capitaux que connaissaient les anciens. Pour nous, elle est hors de la liste des péchés capitaux. Il y a une tristesse qui conduit à la mort comme il y a une sainte tristesse qui conduit vers la vie.
Mais cette tristesse qui ouvre le cœur à la vie, elle est toute pétrie de joie. C’est là quelque chose de paradoxal car ce n’est pas une tristesse qui abat, c’est une tristesse qui réjouit parce que elle est le fruit d’une véritable humilité.
Et c’est parce que le cœur du moine est habité par cette tristesse que le moine ne peut pas rigoler. Comme Saint Benoît le dit, des facéties, des histoires pour faire rire, c’est pas possible chez le moine parce qu’il est habité, il est cramponné, il est tenu par se garde-fou qui est la divine tristesse.
Et ainsi, nous irons vers la plénitude de l’amour qui est le sommet de la vie spirituelle en cette vie et pour l’éternité et cela sous la protection de la bienheureuse Vierge Marie, Reine de Cîteaux. Il faut prendre Reine dans son sens étymologique, c’est à dire celle qui conduit, Regina.
Voilà, mes frères, et c’est signé L’Abbé Général et son Conseil Permanent.
Mes frères,
Puisqu’il nous reste quelques minutes, je vais vous proposer un petit texte latin que je vais traduire en français tout de suite. C’est le texte d’un moine cistercien liégeois nommé Gérard. C’est un ami de notre frère Luc. De quel monastère était-il ? On ne sait pas, sans doute de la région de Liège.
Donc, ça veut dire que c’est quelqu’un de bien. N’oublions pas que Liège était une principauté indépendante et, elle l’est restée jusqu’à la révolution française. Et les liégeois le savent encore aujourd’hui. Et ce Gérard de Liège est sans doute un saint protecteur de la principauté.
Et ce texte est en rapport avec la fête de la Sainte Croix. Ecoutez ce qu’il dit :
La croix a été une marche pour monter au ciel. Et à partir de cette marche, le Christ n’a fait qu’un seul pas pour arriver. Alors, le brigand réfléchissant avec sagesse, voyant qu’il ne restait qu’un seul pas à faire et qu’il était ainsi déjà tout proche du paradis, il a dit : Souviens-toi, ô Dieu, quand tu viendras !
Donc, vous comprenez : la croix, c’est une marche dans l’escalier pour monter au ciel. Et puis le Christ qui était sur cette marche, il n’avait plus qu’un pas à faire pour être au Paradis. Mais le brigand à côté, voyant ça, il se dit : moi aussi je suis tout proche du paradis, je n’ai plus qu’un pas à faire. Alors il dit à Jésus : Souviens-toi de moi quand tu viendras ! Donc on dirait : il s’accroche au Christ pour partir avec lui.
Ainsi de même ceux qui sont fixés à la croix (c’est à dire les religieux) ils ne devraient n’avoir plus qu’un seul pas à faire pour entrer au paradis puisque ils sont déjà un pied sur la dernière marche.
Est-ce que vous voyez ! Donc, les religieux, ils sont aussi cloués à la croix. Ils sont aussi sur la dernière marche et, ils ont déjà un pied sur cette dernière marche. Vous voyez ? Encore l’autre pied et ils sont au paradis.
Mais voilà, mes frères, est-ce que ce n’est pas encourageant ? En tout cas, ce Gérard de Liège, c’était sans doute un saint homme et il a été bien inspiré en trouvant cela. Il nous livre peut-être ici un peu du secret de sa vie spirituelle, il LUI donnait confiance. Puisque je suis religieux, j’ai déjà un pied sur la dernière marche, encore un petit coup, l’autre pied et voilà, je suis au paradis.
Voilà, mes frères, vous voyez que ce n’est pas difficile ! C’est tellement simple. Voilà, encourageons-nous les uns les autres pour rester sur cette croix et lever notre pied, le second pied pour entrer au Paradis. Ce n’est pas si difficile que ça et on y est.
Et merci au frère Luc de nous avoir confié ce trésor.
Mes frères, [5]
Dimanche dernier, au cours de l’homélie, Père Gilbert nous a dévoilé le symbolisme de la croix qui orne l’ambon à partir duquel est proclamée chaque jour la Parole du Christ.
Mais il y a encore une autre croix qui mérite d’être contemplée, une croix dont le symbole est parfaitement en consonance avec la solennité d’aujourd’hui. C’est la croix qui est scellée dans le tympan de notre église. C’est une croix très ancienne, une croix celtique que nous avons découverte.
Si vous observez cette croix, vous remarquerez qu’elle est formée de douze petits cercles. Douze, d’abord, qui est le chiffre de la perfection absolue ; douze, trois multiplié par quatre, qui signifie l’union la plus intime qui soit entre la terre et le ciel, entre Dieu et l’homme, cette perfection qui a été réalisée en la personne du Christ Jésus, le Verbe incarné.
Ces douze petits cercles sculptés sont comme douze joyaux ou comme douze points lumineux qui rayonnent sur les quatre coins de la terre le mystère du Verbe incarné, le mystère du Christ qui a voulu partager notre condition, qui a permis aux hommes de se saisir de lui pour le rejeter au loin, pour le crucifier et le mettre à mort. Mais ce Jésus qui est ressuscité, en ressuscitant élève la chair humaine et le cosmos entier jusqu’à l’intérieur de la Sainte Trinité. Et ce mystère de salut et de gloire est proclamé dans le monde entier par les douze apôtres qui sont les douzes lumières. Et c’est sur ces douze apôtres, sur le fondement de ces douze qu’est construite l’Eglise de Dieu, qu’est construite notre Eglise.
Lorsque donc nous voyons cette croix, nous savons que nous pénétrons à l’intérieur d’un sanctuaire qui figure la grande Eglise du Christ construite sur le fondement inébranlable de douze apôtres, sur la foi de douze hommes.
Et de plus, ce chiffre douze signifie également la totalité des hommes qui sont assumés dans le Christ et conduits en Dieu, totalité des hommes qui est figurée par les douze tribus d’Israël dont la plénitude est l’Eglise et est l’humanité entière. Voilà donc pour cette croix.
Au dessus de la porte, vous remarquerez deux astres, car ce sont des astres, deux soleils ; et en dessous des bras de la croix, vous remarquerez deux spirales.
Ces deux astres, ces deux soleils, ces deux lumières représentent la divinité et l’humanité du Christ, sa nature divine et sa nature humaine indissolublement liées sans confusion ni fusion. Dieu est homme dans l’unique personne du Verbe incarné.
Et c’est ce Dieu homme qui est crucifié, qui est présent sur cette croix même si le corps ne s’y trouve pas. Ce qui est mis en relief ici, c’est la croix, la croix glorieuse qui est le trône du verbe incarné, un trône que nous ne devons pas fuir.
Et si nous recevons la grâce d’être élevés à notre tour sur ce trône par toutes sortes d’épreuves, nous devons en être fiers. C’est un cadeau extraordinaire que nous recevons.
En dessous des bras de la croix, il y a deux spirales. Ces spirales figurent deux serpents. L’un, le plus grand des serpents, est le monstre qui figure le mal, le mal absolu, le mal qui dès l’origine a corrompu la nature de l’homme et l’a précipité dans la désobéissance et le péché.
L’autre spirale, un peu plus petite, figure aussi un serpent, mais l’autre serpent. C’est le serpent qui donne vie. C’est le serpent qui a été, sur l’ordre de Dieu, façonné par Moïse et dressé au sommet d’un poteau.
Nous avons donc là le rappel de l’ambivalence que le Christ lui-même va nous rappeler aujourd’hui : Comme le serpent a été élevé par Moïse dans le désert, ainsi le fils de l’homme va être élevé sur la croix. Donc, ce qui a l’origine donne la mort, le serpent, par un renversement total, devient la source de la vie. Mais le serpent nouveau tordu sur la croix, c’est le Christ.
Le mystère qui est donc figuré au tympan de notre église est donc le mystère célébré à l’intérieur du sanctuaire. Lorsque nous entrons, que nous franchissons la pierre de seuil, que nous nous découvrons dans l’église, nous savons que nous ne sommes plus dans le domaine profane. Nous sommes entrés à l’intérieur du sacré et d’un sacré qui se saisit de nous et qui va nous transfigurer.
Car nous qui sommes vendus au péché, nous qui sommes blessés par le péché, nous allons découvrir à l’intérieur du sanctuaire, grâce au sacrifice qui y est célébré, nous allons y retrouver la vie. Mais non pas une vie condamnée à s’étioler et à disparaître, non, mais une vie qui est impérissable, une vie qui est éternelle, une vi qui est jaillissement perpétuel de nouveauté.
Voilà, mes frères, le symbole de cette croix. Vous voyez que c’est extrêmement riche. Rappelons-nous ce que nous entendons lire au réfectoire, où l’église romane, est-il dit, est le lieu d’une rencontre entre l’homme et Dieu. Et c’est bien vrai ! A l’intérieur de l’église, il y a encore une quantité d’autres symboles. Mais voilà, ce sera peut-être un jour l’occasion aussi de les élucider.
Mais même si nous n’en avons pas parfaitement conscience comme je viens de l’analyser maintenant, à notre insu ils agissent sur nous parce que ils sont comme un vêtement qui s’adapte à notre personne et qui, au lieu de la brûler comme la tunique de Neptus, transforment notre chair, la purifie et devient pour elle promesse d’éternité.
Eh bien voilà, mes frères, pensons à tout cela aujourd’hui, si vous le voulez bien, à l’occasion de la solennité si belle de la Sainte Croix. Et, comme je le disais il y a un instant, si cette croix se présente à nous, ne prenons pas la fuite. Restons ferme dans notre foi et sachons que par elle, et au-delà d’elle, il y a la résurrection et la vie éternelle.
Frères et sœurs,
Si nous avions un cœur suffisamment pur, un cœur suffisamment lumineux, nous serions en mesure de lire les signes des temps car Dieu ne cesse de nous parler, de nous avertir, d’éclairer notre marche vers lui.
Les contemporains de Jésus étaient aveuglés, leur cœur s’était épaissi et leurs oreilles s’étaient fermées. Ils n’ont rien compris, ils n’ont rien vu. Ils se sont saisi de celui-là même qu’ils attendaient avec une folle impatience.
Ils se sont saisis de lui, ils l’ont rejeté, ils l’ont crucifié, ils l’ont mis à mort. Serions-nous meilleurs qu’eux ? Je me permets d’en douter. C’est pourquoi, restons soigneusement sur nos gardes car nous ne sommes pas meilleurs que nos pères.
Il y a de cela bien longtemps, trois mille ans environ, Dieu avait prescrit à Moïse de dresser un serpent de bronze au sommet d’un mat. Les fils d’Israël étaient mordus par des serpents brûlants et ils en mouraient. Mais si avec foi ils regardaient vers ce serpent de bronze, ils guérissaient et ils pouvaient continuer à vivre.
Entre ce moment, pour nous bien lointain, et aujourd’hui il n’y a en fait aucun intervalle. Ouvrons les yeux de notre cœur, les yeux aussi de notre corps et contemplons là devant nous, et sur cette croix, au sommet d’un poteau, un homme torturé, un homme qui se tord de souffrance comme un serpent, un homme qui meurt et qui donne la vie, un homme qui est Dieu et qui est nous.
Avons-nous donc compris ? Nous l’avons avoué au seuil de cette Eucharistie : nous sommes englués dans le péché, nous courrons derrière nos convoitises, nous pensons à nous d’abord et nous sommes devenus tous des malades.
Alors il nous crie : Ressaisissez-vous ! Vous êtes mes enfants, vous êtes tous des frères et des sœurs. Votre avenir n’est pas dans ce qui tôt ou tard doit périr. Votre avenir est en moi qui suis l’Amour et la Vie.
Dieu nous demande de regarder vers le Christ, de lui faire confiance, de le suivre en tout. La croix, à laquelle est suspendu le Christ, cette croix nous dit que le Christ nous a aimé jusqu’à se vider de lui-même pour épouser le plus faible et le plus misérable de notre condition humaine.
La croix nous rappelle que Dieu est capable de faire surgir la vie hors de la mort ; elle nous rappelle que les épreuves les plus diverses n’auront pas le dernier mot même si nous devons être écrasés par elle. La croix nous rappelle que tout est déjà réconcilié au-delà des conflits les plus irrémédiables.
Mais revenons un instant dans le désert. Le serpent y donnait la mort et est devenu, élevé sur une potence, remède et source de vie nouvelle. Ainsi, dans la personne du Christ, tout est inversé, tout est bouleversé, tout est renouvelé.
A l’heure où il meurt, il baigne déjà dans la lumière de la résurrection. Sur la croix, il est et reste plus que jamais le chemin, la vérité et la vie. Croyons-le, frères et sœurs, et notre existence en sera métamorphosée.
Le chrétien est un homme, une femme, qui permet à Dieu d’être Dieu, qui lui laisse les mains libres. Il est un homme qui ne banalise pas le mystère de la croix et sa beauté ; il est un homme qui fait confiance à la puissance résurrectionnelle de l’amour.
Nous vivons des temps pleins de violences, de guerres, de corruptions, d’insécurités, de sang versé, de larmes qui coulent. Dans ces horreurs, nous voyons la personne du Christ et nous voyons aussi son Corps immense, son Corps écrasé, son Corps torturé ; mais nous voyons aussi le Christ traversant les ténèbres et ressuscitant des mort et nous entraînant nous aussi dans sa résurrection.
Non, le mal ne sera pas le maître, le mal ne sera pas vainqueur ! En participant à cette Eucharistie, prenons en nous ce mystère et ravivons notre espérance. Lire les signes des temps, les déchiffrer, c’est croire au Christ vainqueur du mal et de la mort, au Christ qui est Vie éternelle. Mais reconnaissons-le, il n’est pas facile de croire !
Lorsque nous sommes absorbés par la souffrance, lorsque un malheur irréparable s’est abattu sur nous, à ce moment-là, nous n’entendons plus rien, nous ne voyons plus rien. Nous sommes littéralement engloutis à l’intérieur de la douleur et les mots ne peuvent rien y changer. Mais, à ce moment-là encore, Dieu qui est amour est présent à l’intérieur de nos doutes et de nos révoltes.
Oui, jusque là dans le mystère de la croix ! Le Christ en mourant, donc Dieu en mourant sur une croix a pris en lui, à l’intérieur de lui, au plus intime de lui tout ce que nous sommes, et par sa résurrection, il a tout transfiguré.
Ce mystère, frères et sœurs, est figuré sur la croix scellée dans le tympan de cette église. Nous voyons là une croix ornées de douze points lumineux qui représentent la gloire de la croix illuminant l’univers entier, la gloire de la croix proclamée à tous les hommes.
Au-dessus figurent deux astres de lumière qui représentent la nature humaine et la nature divine du Seigneur Jésus. Et en dessous, on peut observer deux spirales qui sont en réalité deux serpents. Le plus grand, sous le bras gauche de la croix, figure le mal par excellence, le monstre primitif qui cherche à engloutir tous les hommes.
Et sous le bras droit de la croix un autre serpent, justement le serpent que Dieu a demandé à Moïse d’élever bien haut dans le désert, le serpent qui guérit la monstruosité, qui l’annule, qui du mal parvient à extraire le bien.
Et c’est ainsi que le tympan de notre église nous rappelle que le Christ Jésus, vrai Dieu et vrai homme, mort sur une croix, ressuscité d’entre les mort, est vainqueur et maître pour jamais et du mal, et du bien. C’est ce que l’Apôtre Paul nous rappelle : Dieu est tellement amour qu’il parvient à faire tout concourir au progrès spirituel, à la vie éternelle de ceux qu’il aime. Or, il aime tous les hommes sans exception.
Voilà, frères et sœurs, le mystère que nous célébrons aujourd’hui. Demandons au Seigneur de nous garder fidèles à notre vocation chrétienne ; demandons lui d’insuffler dans notre cœur la compassion, la compassion et la douceur pour que nous puissions porter les fardeaux, les souffrances les uns des autres et ainsi tous ensemble parvenir un jour à la vie éternelle.
Amen.
Mes frères,
Nous avons hier célébré la solennité de la croix glorieuse, de cette croix dont le rayonnement transfigure le monde à notre insu ; ou bien si, comme je le disais, nous avons le regard suffisamment pur, nous pouvons contempler les merveilles qui sont opérées malgré les laideurs et les horreurs dont nous entendons parler chaque jour.
Et le Christ nous a demandé de prendre notre croix, de la porter, de nous en charger et de le suivre, lui. Que signifie se charger de sa croix ? Que signifie être finalement attaché à la croix comme ce fut le cas du Christ.
Je me suis souvenu alors que l’Abbé Pinufius, dans son instruction à un novice, expliquait ce que signifie cette parole très dure et en même temps salvatrice du Christ.
Et diras-tu peut-être, comment l’homme peut-il porter continuellement sa croix ? Et comment un homme peut-il être tout ensemble et vivant et crucifié ? Je vais te l’expliquer brièvement.
Maintenant, ce qu’il dit, c’est une des plus belles pages de la littérature monastique !
Notre croix, c’est la crainte du Seigneur !
Il faut entendre crainte dans le sens noble du terme. Ce n’est pas la peur de Dieu, ce n’est pas une crainte qui nous terroriserait, qui nous paralyserait devant le Seigneur. C’est une crainte qui est le fruit le plus exquis de l’Amour. C’est la crainte qui est tout à la fois et le commencement et le sommet de toute sagesse.
Cette crainte ne peut se trouver que dans un cœur déjà très pur et qui commence à contempler la beauté du Seigneur. A ce moment-là, il est devant le Christ, devant le Christ ressuscité, ouvert à sa beauté, ouvert à son amour et ayant tout donné pour faire un seul esprit avec le Christ.
Cette crainte de Dieu est donc un couronnement, le couronnement d’une vie. Saint Benoît nous dit que au sommet de l’échelle de l’humilité, le moine, qui a ce moment se reconnaît pécheur jusqu’au plus profond de son être, au même instant est entré dans les espaces sans limites de la charité parfaite, de l’amour parfait, de cet amour qui bannit toute crainte. Mais cette crainte que bannit l’amour, c’est la crainte servile, ce n’est pas cette crainte-ci.
Cette crainte-ci, encore une fois, c’est la fleur qui grandit, qui s’épanouit sur le terreau d’un véritable amour. Notre croix, c’est la crainte du Seigneur !
Et il continue : De même que celui qui est crucifié n’a plus la possibilité de remuer ses membres et de se tourner là où bon lui semble, de même devons-nous nous aussi régler notre volonté et nos désirs non plus selon ce qui nous est agréable et qui nous plaît, mais selon la Loi du Seigneur, là où elle nous a attachés.
Donc notre croix, donc cette crainte de Dieu, elle est bien concrètement l’obéissance. Nous ne réglons plus notre volonté et nos désirs selon ce qui nous est agréable et qui seulement nous plaît, mais selon la loi du Seigneur.
Donc, lorsque on fait profession d’obéissance – Saint Benoît nous dit que l’obéissance est le signe le meilleur de l’humilité d’un moine – lorsque nous faisons promesse d’obéissance, eh bien, nous nous attachons à une croix. Non pas que cette croix nous fait souffrir, mais nous avons choisi de nous attacher à la volonté de Dieu à un point tel que nous renonçons à faire ce qui nous plaît.
Cela peut paraître tout simple, mais nous savons que en réalité ce n’est pas si facile parce que instinctivement, aussi longtemps que notre cœur n’est pas devenu une seule lumière avec la lumière de Dieu, nous devons toujours tenir en bride nos convoitises, donc ce qui nous pousse à aller vers ce qui nous plaît. C’est le concupiscible qui n’est pas encore rentré dans l’ordre et qui nous entraînerait là où nous ne voudrions pas aller.
Celui qui est attaché à la croix ne considère plus les choses présentes, ne pense plus à satisfaire ses passions, n’a plus aucun souci ni aucune inquiétude pour le lendemain. Il n’est plus exciter par le désir de posséder quoique ce soit. Il ne se laisse pas emporter à l’orgueil, aux rivalités ni aux disputes. Il n’a plus aucun ressentiment des injures qu’on lui fait, ni aucun souvenir de celles qu’il a subies. Bien que encore en vie, il s’estime mort déjà à tous les éléments de ce monde, l’attention de son cœur étant déjà tournée vers le lieu où il sait qu’il va bientôt passer.
C’est vraiment une belle description de la vie monastique dans sa concrétude. Et c’est vrai ! Celui qui est attaché à la croix, celui qui est possédé jusqu’au fond de son être par la crainte de Dieu, crainte toute remplie d’admiration, mais celui-là, il ne considère plus les choses présentes. Cela ne l’intéresse plus. Cela ne veut pas dire qu’il se désintéresse de ses frères où de ce qui se passe dans le monastère ?
Non, car son cœur est détaché, son cœur n’est plus esclave. Donc il ne va pas s’irriter, par exemple, si dans le monastère les choses ne vont pas comme lui voudrait. Non. Les choses présentes ont de l’intérêt pour lui dans la mesure où elles sont l’expression de la volonté de Dieu sur lui et sur les frères, sinon il ne s’intéresse plus aux choses présentes.
Il ne pense plus à satisfaire ses passions, celui qui est crucifié, ce n’est plus possible, de même celui qui est attaché à la crainte de Dieu. Les passions, c’est ce que nous appelons, nous, les péchés capitaux, toutes les choses qui peuvent passer en nous. Il ne pense plus à satisfaire tout cela.
Il n’a plus aucun souci ni aucune inquiétude pour le lendemain.
Pourquoi ? Mais il va passer dans l’autre monde d’un instant à l’autre. Le lendemain n’existe plus pour lui, n’existe pas pour lui. C’est fini, il est tout entier dans le moment présent, même que la crainte de Dieu fait qu’on peut ouvrir à Dieu une confiance totale.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas gérer convenablement les affaires du monastère. Loin de là ! Mais on les gère dans une confiance telle qu’elle est toujours récompensée. Ce qui est enlevé, c’est les soucis inutiles et les inquiétudes, ce qui empêche de dormir.
Il n’est plus excité par le désir de posséder quoi que ce soit. Mais oui, celui qui est sur la croix, il ne va pas se mettre en mal pour posséder quelque chose. Pour lui, c’est fini ! De même celui qui se trouve devant le Christ, il est tellement riche de cette vision que posséder autre chose ne l’intéresse absolument pas. C’est fini pour lui, c’est terminé !
Il ne se laisse pas emporter à l’orgueil, aux rivalités ni aux disputes celui qui est crucifié. C’est certain ! Et le moine attaché à la crainte de Dieu, attaché au Seigneur, il ne va perdre son temps avec des rivalités et des disputes. C’est un peu comme cet apophtegme qui me revient à l’instant à l’esprit.
C’étaient deux moines qui habitaient ensemble depuis cinquante ans peut-être ? Et depuis ces dizaines d’années qu’ils habitaient ensemble, ils ne s’étaient jamais disputés. Alors l’un d’eux dit : Est-ce que nous ne pourrions pas une fois faire comme tout le monde et nous disputer ? Une fois, pour voir ce que c’est !
Et l’autre dit : Bon, mais voilà, moi, je ne sais pas du tout comment on fait pour se disputer. Et le premier lui dit : Voilà, tu vois ce morceau de bois, je le mets là. Toi, tu te mets d’un côté et moi de l’autre. Moi, je dis : ce morceau de bois-là, il est à moi. Et toi tu dis : non non non, c’est à moi ce morceau de bois. Et c’est ainsi que nous allons commencer à nous disputer. Et le second dit : d’accord, nous allons faire ça.
Le premier prend le morceau de bois, il le met et il dit : Voilà, ce morceau de bois, c’est à moi ! Et l’autre lui répond : Eh bien, s’il est à toi, prends-le ! Alors ils ne sont pas parvenus à se disputer. Ils sont restés comme ça jusqu’à la mort.
C’est ça des hommes qui étaient vraiment crucifiés, par la crainte de Dieu attachés au Seigneur ! Les disputes, ça ne les intéressaient pas. Ils ne savaient même plus ce que c’était.
Voilà, mes frères, un exemple que nous pouvons poser devant nos yeux et puis, ce sera très très facile si nous sommes vraiment attachés au Seigneur, si nous sommes cloués à cette croix qui est la crainte amoureuse de notre Dieu.
Restons-en là pour aujourd’hui, nous achèverons la prochaine fois, mais je ne sais pas quand ? Toujours pas demain !
Mes frères,
Le cloître du monastère avec la stabilité est un peu la figure emblématique de la croix sur laquelle nous sommes attachés ; cette croix étant la crainte du Seigneur, le Seigneur qui est le Maître du lieu où nous nous sommes fixés, le Seigneur auquel nous nous sommes donnés par amour et dont la présence pénètre notre être entier d’une crainte.
Et cette crainte n’est pas une peur, mais est la réaction normale de la créature devant son Créateur, de l’homme devant Celui dont il reçoit tout ; et puis de l’enfant en face de son Père et du Fils de Dieu en présence de Celui qui lui partage sa vie sans réserve.
Cassien nous disait que le crucifié, bien que encore en vie, s’estime mort déjà à tous les éléments de ce monde, l’attention de son corps étant déjà tournée vers le lieu où il sait qu’il va bientôt passer. C’est là que nous étions arrivés !
De même nous faut-il, la crainte du Seigneur nous tenant attachés à la croix, être mort à tout cela, c’est à dire non seulement aux vices charnels, mais même aux éléments du monde ayant toujours les yeux de l’âme fixés sur le lieu où nous devons à tout moment espérer aller.
C’est probablement en référence à ces paroles que Saint Benoît nous dit que nous devons tenir la mort sous nos yeux chaque jour, quotidiennement et même à toute heure du jour, 4,55, ce qui n’est pas une hantise. Mais nous devons être pénétrés par le fait que nous sommes des êtres de passage, des êtres en exode.
Et par toute notre espérance, comme il est dit ici en latin, nous sommes déjà là-bas, là où nous espérons aller, là où nous sommes appelés, là où nous sommes invités, attendus.
Et ce qui nous permet d’alimenter en nous cette espérance, ce ne peut être que la conscience de devenir de plus en plus un seul être, un seul esprit avec le Christ crucifié et mort, mais aussi avec le Seigneur ressuscité.
Car la mort est aussi un passage, un passage qui est peut-être un peu inquiétant parce que nous ne savons trop bien comment les choses peuvent se dérouler. Mais enfin, pour un véritable chrétien et surtout pour un moine, elle n’est pas un passage impossible.
Donc, la crainte du Seigneur nous tenant attachés à la croix, nous sommes morts aussi aux éléments du monde.
Eh bien, mes frères, vous avez ici une règle d’or pour nous dans notre vie concrète car nous sommes tous les jours en relation avec les éléments du monde. Mais attention ! Les éléments du monde, ce n’est pas le soleil, la lune, les étoiles, etc. Les éléments du monde, c’est tout ce que la vie quotidienne exige de nous. Nous devons comme les Anciens nous le prescrivent et que Saint Benoît nous rappelle, nous devons vivre du travail de nos mains. C’était déjà ainsi pour les Apôtres. Donc, nous travaillons avec les éléments du monde, nous trafiquons avec les choses du monde. C’est un devoir qui nous est imposé. Mais alors, comment faut-il être en même temps mort aux éléments du monde ?
Voilà, il y a cette histoire de prix de vente dont je vous ai déjà entretenu. Et là, c’est un problème ! Il faut donc prendre une décision avant le dix octobre. Il faut étudier la chose, il faut tout bien peser ; c’est donc un souci. Mais c’est un souci légitime, ce n’est pas un mauvais souci.
Mais alors, être mort aux éléments du monde, il faut en même temps ne pas y attacher son cœur. Il faut se dire que peut-être bien demain, je ne serai plus là pour m’en occuper, soit qu’on me demandera de m’acquitter d’une autre mission, soit qu’il va m’arriver un accident, soit tout bonnement que je vais passer de vie à trépas.
De plus, étant déjà mystiquement mort, étant déjà par espérance entré dans le Royaume de Dieu, je n’attache pas mon cœur à ces obligations terrestres qui me sont imposées par la loi de la nature et aussi par la loi du Christ.
Il est donc nécessaire que le moine devienne un être, un homme parfaitement efficace au plan des affaires mondaines, mais en même temps tout aussi parfaitement détaché. Et s’il est bien détaché, le Seigneur avec lequel de plus en plus il devient un seul esprit, le Seigneur va prendre en charge lui-même ce qu’il a demandé au moine d’effectuer et la réussite sera toujours au bout parce que ce n’est plus le moine qui agit, c’est le Christ qui agit en lui et qui, à travers l’obéissance dans le total détachement de ce moine, est libre de lui-même faire ce qui lui est demandé.
Voilà, mes frères, c’est cela que ça veut dire être attaché à la croix, y être mort même aux éléments du monde. Ce n’est pas à force d’exercices qu’on peut y parvenir. Ce n’est même pas à force de vertus, c’est à force de morts. Vraiment il faut mourir à soi, il n’y a pas d’autre issue.
Et Cassien a bien raison, il faut être attaché à cette croix et ne pas avoir peur d’y mourir. Et cette croix, comme il le dit encore, c’est cette crainte de Dieu. Et encore une fois, ce n’est pas de la peur, c’est la crainte qui est le sommet de toute sagesse.
Et Cassien conclut : de cette façon, en effet, nous pourrons mortifier toutes nos concupiscences et nos affections charnelles. Donc, toutes nos convoitises, tout le dérèglement qui est en nous et qui ferait nous jeter sur les choses terrestres, matérielles et charnelles. Et quand je pense à charnel, ce n’est pas les vices de la chair. C’est aussi l’orgueil de la vie, le besoin de réussir, le besoin d’être connu, le besoin d’être consulté, enfin tout ce qui peut nous rendre importants aux regards des autres et à notre propre regard.
Eh bien, tout cela doit être mortifié ! Et c’est cette crainte du Seigneur, ce don total qu’on fait de soi au Seigneur qui nous permet de mortifier tout cela.
Mes frères,
Si vous le permettez, je reviendrais ce matin pour quelques instants sur la question de la standardisation des bouteilles de bière et des casiers.
Standardisation signifie conformité à un modèle donné. C’est un dérivé du mot anglais. On en parle beaucoup aujourd’hui et la standardisation s’étend dans plus en plus de domaines. Il est vrai qu’elle facilite les échanges, elle diminue les coûts de production, elle rend plus aisé la manipulation.
Il arrive même que cette standardisation soit imposée. Par exemple, la forme et les dimensions des enveloppes que nous utilisons pour expédier notre courrier. Si elles dépassent les normes fixées, elles sont soumises à une surtaxe.
Il existe partout, dans tous les pays, un Institut de Normalisation. On s’efforce de normaliser de multiples choses au niveau européen et même mondial. Prenons le cas des feuilles de papier pour la transmission de la correspondance. Nous connaissons le format A3, le format A4. C’est répandu partout et c’est vrai que c’est beaucoup plus facile pour la manipulation, pour le classement, pour le rangement.
Et aujourd’hui, on voudrait introduire la standardisation pour les bouteilles de bière et les casiers. Laissons de côté les aspects purement ergonométriques et économiques de la chose. Ils ont été abondamment présentés lors de la réunion à la Maison des Brasseurs. Sans contexte, il y a de nombreux avantages. Mais essayons de pénétrer dans les profondeurs cachées du système. Peut-être allons-nous découvrir des effets pervers ?
A mon avis, à long terme, la standardisation risque tout bonnement d’asphyxier et de tuer ce marché de la bière, surtout des bières spéciales. Ce que je vais avancer ici ne trouverais aucun échos à la Maison des Brasseurs. Là-bas, ce qui compte, c’est la technique, c’est le rendement, c’est l’efficacité. Et ça se comprend, les brasseurs qui sont là veulent gagner de l’argent, de plus en plus étendre leur marché et, voilà, pouvoir distribuer des dividendes de plus en plus plantureux.
Mais regardons un peu la vie. La vie, elle n’est pas dans l’uniformisation mais dans la diversité, dans l’évolution, dans le changement. A l’intérieur de la nature de l’homme est inscrit la personnalisation, la diversification. Et nous le voyons, il suffit d’aller sur la rue pour voir que chacun a choisi sa manière de s’habiller, sa coupe de cheveux. Voilà, il faut que la personne de chacun soit révélée, non seulement par la physionomie, le visage mais aussi par l’habillement.
Vous vous rappelez que, en Chine communiste, Mao avait imposé l’uniformisation totale de la manière de s’habiller. Tout le monde, homme, femme, petit, grand, jeune, vieux, devait être habillé comme Mao, en salopette. Toute la Chine était ainsi. Mais c’est devenu terrible presque au point qu’il n’était plus possible de vivre. Et après la disparition de Mao, aussitôt on a tout laissé tomber et on est revenu à une façon plus normale de s’habiller.
Mais vous allez dire : mais dans les monastères alors ? Ils s’habillent tous de la même façon. Oui, mais attention ! Là, ce n’est pas une standardisation, c’est un uniforme qui nous permet de nous reconnaître lorsque nous sommes à l’extérieur.
De même les soldats, les fonctionnaires, à l’intérieur de leur fonction, ils ont un uniforme qi permet de les identifier. Car il y a une personnalité qui n’est pas seulement individuelle mais qui est aussi collective.
Maintenant, dans la nature, observons bien, rien n’est semblable. Regardez, prenez une pelouse où vous avez des trèfles, des petits trèfles, des coucous. Eh bien, regardez-les ! Tous ces coucous, mais il n’y en a pas qui sont les mêmes. Les feuilles d’un arbre sont toutes différentes les unes des autres par leur dimension, par leur épaisseur, par leur forme.
De plus, l’homme ne peut vivre, et s’épanouir, et respirer que dans la beauté. Et la beauté naît d’un ensemble de masses, de couleurs, de sons, de formes diverses. C’est ainsi qu’en a voulu, qu’en a décidé le Créateur. Il savait tout de même bien, Lui, le mieux en soi, le mieux pour nous et le mieux pour Lui.
Vous savez peut-être aussi qu’aujourd’hui des hommes de sciences commencent à s’inquiéter. Car la biologie est poussée tellement loin que par des techniques de clonage ils sauraient produire, il serait possible de produire des êtres humains, des hommes en série mais rigoureusement semblables les uns aux autres. Cela devient dantesque !
Et si jamais cela se faisait, il s’introduirait vraiment dans notre univers le royaume de l’épouvante. C’est la standardisation poussée à l’extrême et appliquée à l’homme, à la production de l’homme. On produirait des hommes standards. Oui !
Alors, si nous voulons transposer cela dans le domaine des bières, le représentant d’Orval y a fait discrètement allusion, que les bières, surtout les bières spéciales, doivent être signifiées à l’œil par la diversité des emballages, et des bouteilles, et des casiers. Il ne suffit pas de l’étiquettes, il faut aussi qu’à la forme de la bouteille on reconnaisse telle bière.
Sinon, si on veut tout mettre sur le même plan, s’il n’y a plus dans toute l’Europe qu’un seul type de bouteille avec des étiquettes différentes, eh bien, les gens vont se dégoûter.
Il y a un recul très fort, ils l’ont dit là-bas et c’est çà qui leur fait peur, de la consommation des bières blondes de fermentation basse, des pils comme on dit. Cela pourrait venir déjà pour eux de la standardisation des bouteilles poussée très loin. Si dans un magasin les bouteilles de bière sont toutes les mêmes, les gens ne peuvent plus choisir et ils ne prennent plus rien. Il faut les attirer.
Mais ça, ce sont des arguments, je vous le dis, qui n’ont plus cours aujourd’hui parce que on ne voit que l’autre bout de la chaîne, c’est à dire la production qui doit être facilitée, qui doit être de plus en plus aisée, qui doit devenir quasi automatique. Eh bien voilà, mes frères, l’homogénéité poussée à l’extrême, elle peut entraîner la mort et des sociétés et des bières !
Mais là sur quoi je veux terminer, et c’est ça d’ailleurs qui m’a poussé à vous parler de cette histoire, c’est qu’au plan spirituel, là, il est absolument impossible de procéder à la standardisation des esprits et des cœurs.
Dieu, lui, il est un seul être en trois personnes bien distinctes. Lui, il projette à l’extérieur, dans la création matérielle et surtout dans la création spirituelle, l’inépuisable richesse de son être.
Et il faut donc que chaque individualité dans la nature matérielle, que chaque personne dans la création spirituelle soit différente. Plus il y a de diversités, plus il y a de beauté, plus Dieu y trouve sa gloire, pour reprendre une expression courante.
Lorsque nous contemplons l’immensité, l’infinité, la multitude des saints – et nous sommes tous des saints, soit en réalité, soit en devenir – nous ne pouvons qu’admirer et être heureux de ce que Dieu nous donne à choisir une telle beauté.
Je pense que la béatitude céleste, comme on dit, sera certes la contemplation de la beauté de Dieu, mais pas tant en lui-même parce que ce serait peut-être un peu difficile et à la limite fastidieux. Non, mais trouver la beauté de Dieu dans chacune des créatures avec lesquelles nous partageons la vie de Dieu et ça, dans le monde matériel, et dans le monde spirituel, et dans le monde humain, et dans le monde angélique.
Voilà, mes frères ! Je pense que nous qui sommes des moines, nous devons essayer de donner jusqu’au bout, jusque dans notre bière, dans la présentation de notre bière, le témoignage de cette beauté de Dieu qui est inscrite non pas dans l’uniformité, mais dans la pluralité et la diversité.
Je pense qu’alors nous pourrons avoir été jusqu’au bout dans le témoignage que nous devons donner de notre foi et de notre confiance en ce Dieu qui nous aime et dont l’amour se manifeste d’une multitude de façons. Je le disais encore dernièrement, nous ne savons jamais devant qui nous nous trouvons. Peut-être qu’à première vue, nous serions portés à condamner, à jeter en enfer ou n’importe où ?
Non, nous ne savons pas devant qui nous nous trouvons. Nous nous trouvons toujours devant une créature de Dieu, devant une personne promise à la sainteté et qui, sous des apparences peut-être de péché – employons ce mot – porte déjà en elle une puissance infinie de sainteté qui est celle même de Dieu.
Eh bien, mes frères, nous devons essayer de transcrire cette foi dans ce que nous produisons et dans la manière dont nous le présentons.
Mes frères,
Ecoutons ce soir notre Père Saint Benoît. D’entrée de jeu, il avances les pions lorsqu’il veut nous parler de l’humilité. Il nous invite à écouter un cri. La divine Ecriture nous crie, 7,2. Et de suite, il nous dit ce qu’est l’humilité et, tout le restant de son chapitre en sera le commentaire.
D’abord, il nous aide à comprendre que en premier lieu, l’humilité est un refus ; le refus de s’élever ; le refus de quitter sa place pour monter à une autre ; le refus de parader sur les sommets ; le refus d’être vu de tout le monde, d’être applaudi, d’être admiré, le refus, en un mot, de devenir une vedette ?
Et je voudrais, mes frères, en toute simplicité vous citer un exemple vécu qui permet de mieux comprendre ce que nous dit Saint Benoît ici.
Il s’agit d’un moine de notre Ordre que j’ai un jour rencontré et qui m’a dit que pour lui personnellement, il lui était tout à fait indifférent qu’on dise de lui du bien ou du mal du moment qu’on parlait de lui.
Eh bien je vous assure que on beaucoup, énormément parlé de lui à tel point que dans l’Ordre il était devenu une véritable vedette. Jusqu’au jour où brutalement il est tombé du pavois où il s’était laborieusement hissé. Et sa ruine a été complète.
Eh bien, c’est tout à fait çà ! Celui qui s’élève, eh bien, il sera humilié ! C’est à dire qu’il se brisera tôt ou tard contre le sol. C’est vraiment ici, ce que je viens de vous citer, un exemple frappant de la prédiction du Christ : c’était de précipiter au sol et alors les passants peuvent nous piétiner.
C’est ça le sens littéral de ce que nous dit Saint Benoît. Quand il dit humiliabitur, c’est ça qu’il veut dire : le précipiter au sol pour être piétiné par les passants, un peu comme il est dit du sel qui a perdu sa saveur. On ne peut plus s’en servir comme sel et on le jette dehors. Alors voilà, tout le monde marche dessus.
Devant les Paroles du Christ, celle-ci entre autres, et puis dans les autres aussi, nous devons toujours voir jouer une image. Et l’image, ici, que le Christ lui-même nous a présenté, est celle d’un banquet de noce où on voit quelqu’un qui se précipite à la première place, qui s’y installe, et puis qui brutalement est envoyé à la dernière.
Encore une fois, c’est cela l’humilité ! C’est le refus de se mettre dans une situation pareille. Dans l’humilité, il y a donc une prise de position nette et farouche contre toute tentation d’exaltation volontaire.
Il s’agit donc de rester à sa place sans regarder au-delà de sa place. Il s’agit d’écarter de son cœur tout ce qui n’est pas la volonté expresse de Dieu. Il s’agit de vivre accroché au Christ obéissant jusqu’à la mort . Dans le fond, l’humilité, c’est la forme la plus pure de l’aurathérapie.
Vous ne savez peut-être pas ce que c’est que l’aurathérapie ? C’est très simple. C’est une thérapie psychologique et spirituelle aussi par laquelle on s’enracine dans le moment présent aura. Et enraciné dans ce moment présent, on peut y grandir, on peut s’épanouir, on peut atteindre sa taille adulte, d’un adulte libre, libre vis-à-vis de lui-même, libre vis-à-vis des autres, libre vis-à-vis des événements et même libre vis-à-vis de Dieu.
Non pas qu’il se dresse en face de Dieu pour dire : je suis libre, mais la propre liberté de Dieu prend possession de lui et le met en face de Dieu libre comme le Christ est libre en face de son Père, comme l’Esprit Saint est libre en face des autres personnes de la Trinité. C’est cette propre liberté-là !
Donc c’est cela, c’est là que nous conduit l’humilité ! Et dans ce sens-là, elle est la forme la plus pure, la plus belle, la plus efficace de l’aurathérapie.
Si bien que la route qui nous conduit vers la sainteté est une forme d’immobilité. Saint Benoît nous présente cette immobilité sous la forme d’un bébé dans les bras de sa mère. Il est là, il est bien, il ne bouge pas, il reçoit tout, il est comblé, il ne lui faut rien de plus. Et l’idéal, c’est de rester bébé comme ça toute sa vie. Le Christ nous l’a dit.
Le Christ a dit : Attention ! si vous ne devenez pas comme de petits enfants, vous ne franchirez jamais la frontière du Royaume de Dieu. Etre un petit bébé toujours, ce n’est pas difficile et c’est ainsi que se tient le moine porté par la volonté de Dieu qui est lumière et qui est amour.
Obéir, c’est se laisser ainsi porter par la volonté de Dieu sans bouger, sans se débattre mais acceptant avec reconnaissance tout ce que Dieu donne. Et ce qu’il donne, c’est sa propre vie, c’est son être propre comme une maman qui nourrit son bébé le nourrit de sa propre chair. Eh bien Dieu, lorsqu’il nourrit les bébés que nous sommes – et cela par le canal de l’obéissance – il nous nourrit de sa propre substance et il fait de nous des Dieux.
Eh bien, mes frères, pour résumer tout, l’humilité, c’est d’abord le refus de s’élever et, ensuite c’est le ferme propos de ne pas bouger. Et on peut ramasser tout ça dans un seul mot qui est obéir. Oui, obéir et être à l’écoute parce que notre nourriture spirituelle nous entre par l’oreille. Puis, ce que nous avons reçu, le laisser s’assimiler à notre substance et ainsi, nous devenons ce que nous mangeons. Et voilà, nous atteignons finalement notre taille adulte et le projet de Dieu s’accomplit en nous.
Voyez, mes frères, ce qui se trouve dans cette petite sentence. Et à partir de là, Saint Benoît va poursuivre sa réflexion mais, tout est déjà inclus dans ce cri qu’il lance au départ : clamat nobis. C’est le cri de la Sagesse de Dieu !
Mes frères,
Ce soir, Saint Benoît poursuit son jeu de mots entre élèvement et abaissement. Hier, il nous disait que tout élèvement était une espèce d’orgueil. Il dit superbia. La superbia, la superbe, c’est encore autre chose que l’orgueil. La superbia, c’est ce qui nous fait nous installer au-dessus de tous les autres.
L’orgueil est un sentiment plus, je ne dis pas plus neutre, mais moins virulent que la superbe. Je peux m’enorgueillir à mes propres yeux, aux yeux des autres. J’en recueille une certaine gloire qui est toute vaine, et avec ça je suis content.
Tandis que la superbe, elle n’a pas de limite. Elle veut que je soit super, au-dessus de tous et que absolument tout soit sous mes pieds. Voilà la superbe ! Il y a des nuances comme ça qu’on trouve dans la langue latine et qui n’apparaissent pas du tout dans le français.
Et aujourd’hui, Saint Benoît nous parle d’une double exaltation. Il y en a une qui est toujours l’orgueil. Il dit :oui, elle est toujours l’orgueil cette exaltation qui nous fait descendre, qui nous fait tomber. Mais il en introduit une autre qui celle-là est bonne et salutaire. Pourquoi ? Parce que elle est de nature divine. C’est une exaltatio caelesti, c’est un élèvement qui est de nature céleste.
C’est donc un cadeau qui nous est fait, que nous devons accueillir avec gratitude et, qui nous élève jusque chez Dieu. Grâce à cet élèvement, je suis introduit dans l’univers de Dieu, j’entre dans le ciel. Et nous entendons la joie, nous percevons la joie de cette élévation céleste à l’intérieur du Ps. 149, les saints qui chantent la joie qu’ils ont dans la gloire où ils ont été introduits.
Mes frères, il y a en nous une énergie, un instinct qui nous pousse à grandir, à nous réaliser, à réussir. Mais cet instinct a été perverti par le péché car nous voulons nous élever, nous voulons réussir, nous réaliser aux dépens des autres. Il faut savoir que notre culture occidentale actuelle, elle est construite là-dessus : c’est la compétition.
Et ça commence à l’école. On pousse, voilà, les élèves déjà à l’école primaire, on les pousse à être le premier. Mais sur le podium, il ne peut y en avoir qu’un. Je vais donc triompher aux dépens des autres qui sont ^peut-être moins intelligents ? Oui, peut-être que leur milieu familial n’est pas aussi favorable ? Toujours est-il que c’est ainsi que les enfants sont éduqués, et ça se poursuit après encore !
Un grand défit qui est lancé aujourd’hui à notre société, c’est celui des élites. Lorsqu’on doit recruter quelqu’un, on lui fait subir des tests, passer un examen ; on le reçoit, on l’interroge, on le jauge, on le juge. Et finalement, sur la centaine de candidats qui se sont présentés, on va en choisir une demi douzaine peut-être ?
Ce sont les meilleurs, la compétition toujours ! Mais alors, ceux-là devront se maintenir à tout prix au niveau où on les a laissés, sinon ce sera la dégringolade. Car on les éjecte aussi facilement qu’on les introduit. Vous voyez !
Et c’est pour ça entre autre me semble-t-il, mais je pense aussi que les sociologues sont très très attentifs à ce phénomène aujourd’hui, que les difficultés sociales que l’on rencontre maintenant et qui retentissent jusqu’à l’intérieur de l’ordre économique et même politique, viennent de là. Il n’y a de place aujourd’hui que pour une élite.
Le pays qui pousse la chose le plus loin, c’est le Japon où là, c’est absolument impitoyable. Là, les suicides d’enfants sont fréquents. Ils n’ont pas été le premier, ils ont perdu la face, ils ont dix ans et ils se suicident. Ils ne rentrent même pas chez eux. C’est terrible, terrible, terrible !
Eh bien, mes frères, tout ça, c’est un instinct que l’on perverti. Alors, il faut lui rendre la santé car sans lui, il est impossible d’arriver à la plénitude de notre destinée. Si cet instinct s’éteint en nous, s’il s’assoupit même, à ce moment-là nous n’avons plus de ressort et nous devenons des mollusques. Nous n’avons plus d’agressivité en nous car c’est sur l’instinct d’agressivité que cela se construit. Mais il faut le discipliner, il faut lui rendre une bonne santé. Et ça, mes frères, c’est l’effort d’une vie ascétique en collaboration avec Dieu.
Les anciens moines ont très bien analysé ce phénomène. Comment guérir l’irascible, donc cet instinct qui nous porte à vaincre les obstacles, mais qui nous portrait aussi à écraser les autres. Comment lui rendre la santé ?
Alors, les anciens disent que au sommet, lorsque cet instinct est remis en ordre, et l’instinct concupiscible aussi – il faut d’abord désirer avant de pouvoir entreprendre et aller jusqu’au bout – lorsque donc la santé est rendue au concupiscible et à l’irascible, à ce moment-là le moine – on peut même dire l’homme car c’est la même chose dans le monde – il est revêtu de la vertu par excellence qui est celle du saint, qui est celle du Christ. C’est la douceur.
Mes frères, la saine élévation dont nous parle ici Saint Benoît, elle nous fait sortir de nous pour nous emporter au-delà de nous. Elle nous fait pénétrer jusqu’à l’intérieur des cieux, jusque dans l’univers de Dieu. C’est pour ça qu’on l’appelle une élévation céleste. Saint Benoît voit une échelle et le sommet de cette échelle pénètre à l’intérieur des cieux.
Cette saine élévation, elle nous délivre, elle nous libère de la matière, de sa pesanteur, de son opacité, de la résistance qui nous l’oppose. Et nous libérant de la matière, elle nous libère de la chair. L’homme devient parfaitement libre. Cela ne veut pas dire qu’il va mépriser la matière et la chair, loin de là, ce sont des créations, des créatures de Dieu, c’est le support de la manifestation de Dieu, le tout premier support.
Mais l’homme verra à l’intérieur des choses, il verra la lumière, cette lumière qui est le logos, le Verbe de Dieu en train de poursuivre son œuvre de création. Et il sera parfaitement libre à ce moment. C’est jusque là que nous devons monter.
Alors, le paradoxe sur lequel Saint Benoît achève d’attirer notre attention, c’est que cette élévation est en réalité un abaissement, c’est une descente. Au regard de notre raison handicapée, ça nous apparaît comme un abaissement ; mais au regard de la Sagesse de Dieu, c’est exactement le contraire. La véritable élévation est une descente dans la connaissance de soi, dans la connaissance des autres, dans la connaissance de Dieu.
C’est en devenant vrai par rapport à ma nature, par rapport aux autres, par rapport à Dieu que je vais pouvoir enfin recevoir en moi la connaissance de Dieu, et l’amour, et la lumière. Mais encore une fois, cette connaissance, elle est un abaissement. Pourquoi ? Le Christ nous l’a dit et c’est une parole qui ne souffre aucune exception.
Le Royaume de Dieu est ouvert aux enfants, pas aux grandes personnes. Si vous ne devenez pas comme de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume de Dieu. A l’entrée, à la frontière du Royaume de Dieu, au poste de police, on nous demandera notre passeport. Et si c’est un passeport de grande personne, on dira : revenez une autre fois, il n’y a pas de place pour vous.
Alors voilà, mes frères, cette élévation-abaissement, cet élèvement-humilité est donc dans le fond un choix. C’est choisir l’Eternel au lieu du temporel, c’est choisir le spirituel au lieu du charnel, et c’est choisir le divin au lieu de l’humain.
Il faut donc permettre à l’Esprit de Dieu d’opérer en nous une véritable conversion, un renversement des valeurs, des valeurs purement humaines, des valeurs purement charnelles, des valeurs purement temporelles pour mettre à la place les valeurs de vérité qui sont celles de Dieu.
C’est cette Sagesse nouvelle qui est absolument inaccessible au monde et qui est une folie pour lui. Il ne sait même pas l’entendre. Il se bouche les oreilles, ce n’est pas pour lui.
Voilà, mes frères, un petit avertissement que nous donne Saint Benoît ce soir. Et bien, nous le ferons nôtre et nous demanderons les uns pour les autres la grâce de toujours mieux le comprendre et de toujours mieux le vivre.
Mes frères,
Saint Benoît n'est jamais à court d'inspiration pour décrire les sentiers qui conduisent au Royaume de Dieu. Il les a parcourus de bout en bout ; il en connaît les moindres détours ; il a repéré les obstacles qui les barrent, les traquenards qu'y tendent les démons ; il a expérimenté les joies très pures qu'ils réservent aux âmes généreuses, confiantes, aux âmes d'enfants. Il est un guide sans pareil ; sa patience n'a d'égale que sa bonté. Ecoutons-le encore ce soir !
Nous sommes dans un monastère. Nous vivons chez Dieu, au sein d'une communauté de frères. Nous avons renoncé au monde et à ses séductions sans nombre. Nous sentons sous nos pieds le premier échelon de la fameuse échelle qui doit nous élever jusqu'à l'intérieur du ciel, jusqu'à cette exaltatio caelestis, 7,14, dont Saint Benoît nous entretenait hier. C'est très bien, c'est un excellent commencement. Il s'agit maintenant de se mettre au travail.
Saint Benoît, comme un sage médecin, porte le fer à la racine du mal qui sommeille en nous. Nous avons abandonné tout ce qui était à l'extérieur de nous, à savoir le monde et ses richesses. Le jour de notre profession, nous nous sommes dépouillés de nos affaires personnelles, de nos rebuts propriis ; nous en avons fait don aux pauvres ou les avons cédés au monastère.
Il s'agit, à présent, de renoncer à ce qui habite à l'intérieur de nous, à savoir notre volonté propre. C'est élémentaire et c'est la première chose à faire si nous voulons être sincères. Cela ne va pas de soi, cela ne va pas sans mal. Notre proprium est comme notre peau, une peau qui nous permet d'être et de vivre. Abandonner sa volonté propre équivaut à perdre sa peau.
Pourtant, c'est en réalité un échange, c’est donner sa peau charnelle, vouée à la dégradation et à la corruption, pour recevoir une peau spirituelle promise à l'incorruptibilité et à la vie éternelle. On meurt homme et on renaît enfant de Dieu. Le bénéfice est incalculable, mais encore faut-il y croire et se lancer dans l'aventure. Saint Benoît nous y invite à coup de citations scripturaires. Quitter, par pusillanimité, le sentier qu'il ouvre devant nous, ce serait nous engager dans des fondrières où nous nous enliserions et signer l'échec de notre vie.
Au premier degré de l'humilité, nous prenons conscience de ce qui est exigé de nous. Nous apprenons que nous n'avons pas le droit de faire notre volonté propre, que nous sommes tenus de faire la volonté de Dieu. C'est la conséquence de l'engagement que nous avons pris et que nous devons implicitement ou explicitement renouveler à toute heure.
Serions-nous encore secrètement des adeptes du monde ? Le monde est le lieu de l'assouvissement des désirs personnels. Et le monde, avec ses techniques savamment étudiées, s'emploie à éveiller, à exciter, à entretenir une foule de désirs latents. On entre dans une grande surface pour acheter trois bouteilles de trappistes et voici que les yeux sont accrochés aux étals les plus divers et on sort avec un caddie bourré de marchandises qu'on n'avait nullement l'intention d'acheter.
Sommes-nous à l'abri dans le monastère ? Oui, si nous restons cramponnés à la volonté de Dieu. Non, si nous laissons notre coeur vagabonder derrière les convoitises qu'un rien fait sortir de leur sommeil. Il s'agit de ne pas suivre ce qui nous plaît, mais plutôt ce qui plaît à Dieu.
Or, Dieu désire nous introduire au plus intime de son être. Ce qui lui plaît, c'est de voir se réaliser ce désir qui le travaille tellement qu'il n'a pas hésité à revêtir notre humanité pour mieux nous connaître, pour nous montrer jusqu'où allait son amour, pour nous apprivoiser, pour nous aider à le suivre et ainsi trouver notre véritable bonheur.
Car le monastère est le lieu où nous accomplissons le désir de Dieu. C'est pour cette raison que nous nous y sommes fixés. Nous sommes donc aux prises avec une logique que nous devons accepter et faire nôtre. Le Christ lui-même nous l'a rappelé lors d'une de nos dernières Eucharisties: nous ne pouvons pas servir deux maîtres à la fois, Dieu et nous-mêmes. Nous avons choisi Dieu, efforçons-nous et aidons-nous mutuellement à demeurer ferme dans notre choix.
C'est ainsi que nous mettrons en œuvre ce que Saint Benoît nous a proposé aux jours de nos premiers pas dans la vie monastique : Voici la loi sous laquelle tu veux combattre ! Oui, nous le voulons de tout notre coeur et nous sommes décidés à ne pas rester indéfiniment sur le premier échelon de l'humilité. Puisse la grâce du Christ, notre véritable roi, nous fortifier et petit à petit convertir totalement notre cœur !
Mes frères,
Hier, nous avons entendu Saint Benoît nous dire que la mort est placée à l’entrée même du plaisir, 7,67. Il parle de la delectatio, c’est un plaisir qu’on fait durer. On s’arrête longuement sur ce plaisir pour en dégager toute la satisfaction, tout le contentement, tout le suc qu’il peut donner. Et cette delectatio peut être l’occasion d’une chute dans l’abîme. Pour Saint Benoît la mort est placée à l’entrée de la delectatio.
Voyons un peu le processus de la tentation ! On se trouve devant une porte, et derrière cette porte il y a le paradis, ce qui nous apparaît comme le paradis. Si je franchis cette porte, je ferai ce qu’il me plaira. Mais attention, nous sommes dans le monastère, pas hors du monastère !
Je ferai donc ce qu’il me plaira et j’aurai le sentiment de vivre en plénitude, d’être un homme maître de son destin. C’est ce que Saint Benoît nous dit aujourd’hui : desideria delectua implere, 7,84. Il trouve sa délectation pour une fois dans l’assouvissement de ses désirs.
Attention ! Ses désirs peuvent être très relevés. N’allons pas nécessairement penser à des choses mauvaises, perverses ? Non, cela peut revêtir toutes les apparences du bien et du beau. Ce désir peut être de se lancer dans des études qui permettront de me faire connaître à l’extérieur ?
Je vais pouvoir publier, je vais me créer une foule de relations. Je serai appelé pour donner des conférences. Si j’ai un peu de chance, on me confiera une mission à l’intérieur de l’Ordre. C’est très beau, c’est très noble ! Je vais faire beaucoup de bien à une foule de frères et de sœurs. Mais ça, c’est mon désir, c’est ce qui me plairait !
Eh bien, mes frères, entre les désirs franchement mauvais et les désirs qui ont une apparence de bien, il y a un tronc commun. C’est qu’ils viennent tous des profondeurs de mon égoïsme et sont hors de la volonté de Dieu. C’est quelque chose contre quoi Saint Benoît nous met en garde aujourd’hui. Il nous place devant un choix : ou bien franchir cette porte, ou bien lui tourner le dos ? Ou bien suivre sa volonté propre, ou bien y renoncer pour faire la volonté de Dieu ?
Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais celle de Celui qui m’a envoyé. Le Christ lui-même s’est trouvé devant ce choix à plusieurs reprises, au moins à trois reprises. Au moment où il a commencé son labeur d’évangélisation, le démon lui a présenté trois options. S’il avait choisi l’une d’elle, il eut été le maître du monde, c’est certain, mais de ce monde-ci. Le prince de ce monde lui aurait cédé son pouvoir.
Eh bien, le Christ a tourné le dos à cette porte. Sa nourriture, ce n’était pas de faire sa volonté à lui, mais de faire la volonté de son Père. Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais celle de celui qui m’a envoyé.
Saint Benoît, ici, nous demande de faire nôtre ce programme. Au deuxième degré d’humilité, le choix a été fait une fois pour toute. Et si, quelque soit notre ancienneté dans la vie contemplative, nous suivons encore la pente de nos désirs personnels, eh bien, nous ne sommes pas encore arrivés au deuxième degré d’humilité. Et il y en a douze !
Nous ne sommes pas encore loin, nous avons à peine commencé, mais pour Saint Benoît, c’est décidé, c’est définitif. Au deuxième degré d’humilité, on a fait son choix. On n’aime plus sa volonté propre, on n’a plus la moindre complaisance dans l’accomplissement de ses désirs.
Le second degré d’humilité consiste à ne pas aimer sa volonté propre. C’est fini, on ne l’aime pas. Et lorsqu’un désir surgit, le critère de discernement pour Saint Benoît est toujours celui-ci : est-ce la volonté de Dieu ? ou bien cela vient-il de mon fond propre ? C’est cela ! Est-ce vraiment la volonté de Dieu ? Et pour savoir si c’est la volonté de Dieu, pour qu’il n’y ait pas de doutes, il faut recourir aux conseils d’un Père Spirituel ou de l’Abbé.
Lorsque je suis ainsi au second degré d’humilité, j’ai fait un pas décisif sur la voie de la liberté. C’est vrai, je ne suis plus esclave de mes désirs, de mes pulsions, de mes soi-disant besoins, de mes volontés. Je suis libre en face de tout cela.
Mais comme ce n’est jamais que le deuxième degré d’humilité, voyez un peu comme cette liberté va pouvoir se déployer de degré en degré jusqu’au douzième où alors c’est vraiment la propre liberté de Dieu qui a pris possession du cœur d’un homme.
Pourquoi ai-je fait un pas décisif ? Mais parce que je me suis résolument tourné vers Dieu et ses volontés. C’est fait résolument et je fais mienne cette Parole du Christ : Celui qui met la main à la charrue et qui regarde en arrière, il n’est pas fait pour le Royaume de Dieu.
J’ai mis la main à la charrue, j’ai choisi la volonté de Dieu, eh bien, je ne regarde pas en arrière, je ne regarde pas mes propres vouloirs et, alors je m’avance vers le Royaume de Dieu. Je me suis dégagé du lien des plaisirs, du mirage des illusions et des séductions.
Je sais bien, mes frères, que ce sont là des paroles qui aujourd’hui peuvent paraître un peu, est-ce que j’oserais dire ridicules, c’est à dire traitant au moins à sourire. Parce que dans le monde surtout – et nous venons du monde, donc nous avons tout de même un peu reçu une teinture de ce côté – ce qu’on met en avant, c’est précisément l’accomplissement des désirs de manière à ce qu’on puisse s’épanouir dans toutes les directions.
C’est pourquoi faisons bien attention ! N’allons pas penser que nous sommes meilleurs et plus forts que les autres et soyons sur nos gardes ! Si bien alors que le deuxième degré d’humilité, c’est une grande, une grande victoire qui ouvre sur les plus belles espérances.
Et encore une fois, c’est quelque chose d’extrêmement simple. C’est de ne pas aimer sa volonté propre, c’est de ne pas se complaire dans l’accomplissement de ses désirs mais confirmer sa conduite à cette Parole du Seigneur : Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais celle de Celui qui m’a envoyé.
Mes frères, nous devons permettre au Christ de vivre en nous, et d’accomplir en nous cette Parole qui est sortie de sa bouche et de son cœur, et qui est un programme de vie pour maintenant, et pour notre Salut, et pour notre bonheur éternel. Quand je dis bonheur, c’est vraiment la plénitude de tout ce que nous pouvons espérer ici-bas.
Eh bien, mes frères, je pense que ce petit discours nous aidera à vivre convenablement notre récollection de demain. Je verrai ce qu’il y aura encore à vous dire demain matin. Il y a toujours chez Saint Benoît des trésors nouveaux à trouver comme il nous a encore été dit dernièrement : Le sage tire de son trésor des choses anciennes et nouvelles. Et nous avons à notre disposition le trésor qui est le cœur de notre Père Saint Benoît. N’ayons pas peur d’y puiser, nous ne l’épuiserons jamais.
Mes frères,
Au seuil du mois d’octobre, nous rencontrons deux saints parmi les plus célèbres qui soient : Thérèse de Lisieux et François d’Assise. A partir de ce que Saint Benoît nous dit aujourd’hui, nous pouvons dégager ce qui fait leur ressemblance et leur popularité. Il faut reconnaître toutefois que cette dernière, la popularité, est construite sur une grande part de sentimentalisme.
Mais enfin, laissons cela de côté et nous allons creuser pour découvrir les profondeurs d’où jaillissent leur rayonnement. Car nous aussi, nous sommes appelés à la sainteté et nous devons être prêts comme eux à y mettre le prix. A quoi bon vivre, mes frères, si c’est pour ne pas devenir un saint ? Autant alors être comme les animaux qu’on voit circuler un instant sur la terre ou dans le ciel et puis, voilà, qui disparaissent sans laisser de traces.
Et Thérèse, et François étaient tous deux dévorés par l’amour de Dieu. Nous savons que la toute dernière parole de Thérèse a été : Mon Dieu, je vous aime ! pas plus ! Et Saint Benoît nous dit aujourd’hui que nous devons agir pro Deo amore, pour l’amour de Dieu, 7,90.
Vous savez, pour l’amour de Dieu est devenu une expression pour dire qu’on fait les choses de façon négligente. Je l’ai fait pour l’amour de Dieu, ça veut dire que c’est toujours bon ainsi. Attention à ces perversions du langage !
Aimer Dieu, c’est la motivation première et dernière de notre agir. Il doit en être ainsi. Nous ne devons pas agir pour plaire aux hommes ni pour nous plaire à nous-mêmes, mais pour aimer Dieu, pour lui montrer que vraiment nous l’aimons.
Et aimer Dieu, c’est d’abord se laisser aimer de lui. C’est se laisser happer par lui et puis lâcher prise. Et cet amour ne se reprend jamais. Il est une longue et large trajectoire et il ne recule jamais. Il est un envol sans retour.
Et Saint Benoît se réfère ici à l’exemple du Christ, à l’imitation du Christ, dit-il en 7,91. Et le Seigneur Jésus a agi par amour de son Père, et ainsi jusqu’à la mort, jusqu’à l’intérieur de la mort.
Ce fut aussi le cas de Thérèse et François, mais chacun à leur manière. Leur configuration au Christ a été extraordinaire. C’est cela qui nous frappe, c’est cela qui nous séduit encore aujourd’hui et, reconnaissons-le, c’est cela qui nous effraie. Oui, comme si l’amour de Dieu avait pour conséquence de nous faire tomber dans une maladie mortelle, ou bien nous transpercer de stigmates, de blessures, de souffrances.
Mais non, c’est nous qui voyons les choses à travers les yeux de notre peur. L’amour de Dieu est tout autre chose !
Certes, Thérèse et François sont mort dans des conditions assez spéciales, mais ce n’était pas parce qu’ils étaient des saints. Cela a été leur lot et, c’est à travers ce lot que leur sainteté s’est épanouie, s’est révélée car ils ont découvert tous deux qui était Dieu. Et Dieu, c’est autre chose qu’un mot qui n’engage pas loin.
Attention, mes frères, au péril mortel de la théologie. Ce n’est pas parce que nous savons parler de Dieu, que nous entendons parler de Dieu, que nous savons qui il est. Non, on ne peut le connaître que dans la mesure où on participe à sa vie. On le connaît dans la mesure où on se laisse aimer et séduire par lui.
Alors, on le connaît de façon existentielle, réelle parce que il n’y a qu’à l’intérieur de l’amour qu’on peut vraiment connaître. Et à ce moment-là, on est devenu un théologien même si on n’a jamais eu l’occasion de parler de Dieu.
Et François et Thérèse ont compris avec les yeux de leur cœur que Dieu est amour et que l’amour est Dieu. Ils n’ont opposé aucune résistance à l’amour et ils se sont laissés devenir amour.
La divinisation, mes frères, ce n’est pas un état qui déshumanise l’homme ou la femme. Bien au contraire, elle les enfonce au plus épais de la condition humaine et, elle les enfonce à la source du bien et du mal qui l’un et l’autre élève et torture l’homme.
Rappelez-vous ce qui est sculpté sur le tympan de notre église : le Christ mort et ressuscité devenu le maître et du bien et du mal. Celui qui participe en plénitude à la vie de Dieu est comme cela le maître. Il est libre. Le mal n’a plus de prise sur lui et il ne fait plus que respirer le bien.
Nos deux saints devenus semblable à Dieu sont devenus amour. Et ainsi, mes frères, ils ont échappé aux frilosités de la raison. Car la raison humaine nous emprisonne, nous maintient à l’intérieur des limites de la chair. Mais il existe un autre type de raison et, c’est la raison de Dieu.
Rappelez-vous cette parole du Christ à l’Apôtre Pierre : Va derrière moi ! Laisse-moi tranquille, tu n’y comprends rien ! Tu raisonnes à la manière d’un homme qui n’est pas encore entré dans la façon de raisonner, et de penser, et de juger de Dieu !
Pensons aussi aux audaces de Thérèse. Elle était une toute petite fille dans son petit Carmel de rien du tout et, elle avait des audaces qui embrassaient l’univers entier, et François de même. Il avait des excentricités, mais attention ! Elles étaient telles à l’époque où on était très construit sur une certaine rationalité qui devait installer des catégories à l’intérieur de la société.
Mais François, lui, avait balayé tout cela et il a voulu devenir pauvre avec le plus pauvre, il a voulu que la pauvreté du Christ se saisisse de lui parce que à l’intérieur de cette pauvreté se trouvait tous les trésors de la Sagesse et du savoir.
Et alors, mes frères, cet amour qui est Dieu, et qui est vie éternelle, et qui est félicité suprême, il est offert à chacun de nous. L’accepter, c’est bondir au-delà de la mort, c’est ressusciter avant de mourir et puis, comme le dit Saint Benoît aujourd’hui bien concrètement, concrètement c’est obéir, c’est à dire écouter Dieu et toujours répondre oui.
Eh bien, mes frères, puisse Thérèse et François, et tous les autres saints, nous donner de le croire et de le vivre !
Mes frères, [6]
Saint Benoît nous dit aujourd’hui que nous devons agir pro Deo amore, pour l’amour de Dieu, 7,90. Vous savez, pour l’amour de Dieu est devenu une expression pour dire qu’on fait les choses de façon négligente. Je l’ai fait pour l’amour de Dieu, ça veut dire que c’est toujours bon ainsi. Attention à ces perversions du langage !
Aimer Dieu, c’est la motivation première et dernière de notre agir. Il doit en être ainsi. Nous ne devons pas agir pour plaire aux hommes ni pour nous plaire à nous-mêmes, mais pour aimer Dieu, pour lui montrer que vraiment nous l’aimons.
Et aimer Dieu, c’est d’abord se laisser aimer de lui. C’est se laisser happer par lui et puis lâcher prise. Et cet amour ne se reprend jamais. Il est une longue et large trajectoire et il ne recule jamais. Il est un envol sans retour.
Et Saint Benoît se réfère ici à l’exemple du Christ, à l’imitation du Christ, dit-il en 7,91. Et le Seigneur Jésus a agi par amour de son Père, et ainsi jusqu’à la mort, jusqu’à l’intérieur de la mort.
Et alors, mes frères, cet amour qui est Dieu, et qui est vie éternelle, et qui est félicité suprême, il est offert à chacun de nous. L’accepter, c’est bondir au-delà de la mort, c’est ressusciter avant de mourir et puis, comme le dit Saint Benoît aujourd’hui bien concrètement, concrètement c’est obéir, c’est à dire écouter Dieu et toujours répondre oui.
Mes frères,
L’humilité est la cadeau le plus extraordinaire auquel nous puissions rêver. Il nous est présenté par le Christ lui-même sur un plat en argent. L’humilité, c’est la vérité, c’est la beauté, c’est la douceur, c’est la justice, c’est la charité, c’est la porte de la transfiguration et de la vie éternelle.
Le Christ n’a pas dit à ses disciples : Apprenez de moi à gouverner le monde, à créer des univers, à opérer des miracles ? Non, il a dit : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. C’est tout !
Et une fois qu’on est revêtu de cette humilité, on est devenu un Christ sur la terre, une apparition de Dieu parmi les hommes. Même si les hommes ont les yeux enténébrés et qu’ils ne voient pas, ça n’a pas d’importance, il y a là une présence divine sur la terre.
Mais reconnaissons tout de même, mes frères, que l’emballage de ce cadeau n’est guère attrayant, n’est guère engageant. Nous l’avons encore remarqué hier. Mais quand nous recevons ce cadeau, ne nous arrêtons pas à l’emballage. Ouvrons vite pour voir, pour admirer la nature de ce cadeau. Donc, ne nous arrêtons jamais à l’emballage, mais sachons que là en dessous de ce que nous devons subir, il y a quelque chose de merveilleux qui nous attend.
Et nous avons vu hier qu’il n’était pas du tout hors d’attente que ce quatrième degré d’humilité provoque des perturbations profondes de l’esprit et du cœur. Il pourrait même altérer la santé physique.
Nous prenons ainsi conscience que nous avons à l’intérieur de nous un champ de bataille et que nous avons beaucoup de luttes à soutenir. Et cela, dans une pleine maîtrise de notre conscientia, comme dit Saint Benoît 7,96. Non pas notre conscience dans le sens ..?.. ..?.. conscience, mais dans le sens du terme que nous avons en nous l’expérience consciente que nous sommes un champ de bataille.
Le moine n’est pas un sage stoïcien, immobile dans sa perfection. Non, il est un combattant qui reçoit des coups. Les anciens combattants reçoivent une décoration spéciale quand ils ont été blessés. Pour eux, c’est un honneur ! Ils n’ont pas été tués, c’est déjà ça, mais ils ont été blessés. C’est le signe qu’ils ont été exposés à la pointe du danger et ils en ont pris le risque.
Car, lorsque le frère Jules a reçu sa balle dans le cuir chevelu, celui qui était à côté de lui, lui a dit : ça t’est bon, t’es bin trop franc ! parce que le frère Jules bien consciencieusement visait l’adversaire tandis que l’autre se cachait et tirait comme ça sans regarder ! Il faisait du bruit tandis que le frère Jules s’exposait. Il a été blessé et c’est une gloire pour lui surtout qu’il en portait la cicatrice.
Eh bien, le moine qui est engagé dans la lutte du quatrième degré de l’humilité, il reçoit des coups, des blessures et il en portera des cicatrices. Mais ce sera pour lui une gloire. On parle dans l’hagiographie de moines, Saint François entre autre demain, qui ont reçu les stigmates du Christ. Eh bien, le moine qui a reçu des blessures au cours de la lutte, ce sont pour lui des stigmates. Ils sont invisibles, mais les anges, les saints et le Christ lui-même les admirent.
C’est donc un labeur lent, long, pénible, patient que cette lutte pour l’humilité ! C’est une mêlée, un tunnel, une nuit qui suivent le moine longtemps. Ce n‘est pas l’affaire de huit jours ; c’est l’affaire, je ne dirais pas de toute une vie, mais c’est tout de même à l’intérieur de la vie une marche – évoquons le ici sous l’image d’une marche – une marche longue.
Il y avait pendant la guerre de 14, je l’ai entendu souvent après lorsque j’étais gamin, une chanson de guerre en anglais dont je connais encore l’air. C’est un long, long chemin pour aller à Tipperary ! Tipperary est une ville en Irlande où il y a même un monastère de l’Ordre. On chantait ça quand on était gamin, ça donnait du courage !
Eh bien nous, c’est la même chose ! Elle est longue la route pour aller jusqu’au Christ, pour déballer l’emballage, pour faire apparaître le cadeau. Alors voilà, nous chantons l’Office, nous chantons l’Eucharistie et ça raccourcit le chemin.
Mais, mes frères, tout cela n’empêche pas de gravir le 5° échelon de l’échelle. Au contraire, il est nécessaire quand on est arrivé au quatrième de gravir le cinquième. Saint Benoît les distingue, mais en fait ils sont inséparables. Saint Benoît nous dit ici qu’il faut découvrir à son Abbé par un humble aveu toutes les pensées mauvaises qui viennent à l’âme, 7,122.
Eh bien, le cinquième degré d’humilité nous permet de mettre de l’ordre dans le tourbillon des pensées. C’est là que porte le poids de la lutte, c’est dans les pensées, des pensées qui nous sont injectées par le démon ou bien qui monte à l’intérieur de nous du fond de notre être. Les moines depuis l’origine situent justement le combat dans cette lutte contre les pensées.
Et alors, pour y mettre de l’ordre, il faut recourir au jugement d’autrui parce que soi-même on est aveuglé, on n’y voit plus clair, on ne sait plus rien, on est perdu. Et Saint Benoît dit aussi de l'Abbé. Pourquoi ? Mais parce que l’Abbé tient dans le monastère, au regard de la foi, la place du Christ, ce Christ qui pénètre les reins et les cœurs. Et puis, l’Abbé a tout de même une expérience du combat spirituel.
Et maintenant, il y a un double avantage à cet humble aveu, comme dit Saint Benoît. C’est d’abord une transparence parfaite à Dieu et aussi un excellent et efficace écolage. Car en dévoilant ainsi ses pensées, on parvient à en démêler l’écheveau et, si on reste fidèle à cette pratique, on deviendra par devenir soi-même un maître expérimenté. Voyez, on doit aller à l’école pour devenir un maître !
Eh bien voilà, restons-en là pour ce soir ! Saint Benoît parle aussi des fautes qu’on aurait commises en secret. Mais enfin, ça, ce sera peut-être pour une autre occasion si Dieu nous prête vie et s’il nous en donne l’inspiration !
Mes frères,
L’humilité est un mystère et chaque fois qu’on ouvre une fenêtre, on découvre des horizons nouveaux d’une beauté sans pareille et, on a envie de les explorer, de les parcourir. Mais nous sommes trop petits : nos jambes ne peuvent pas nous porter si loin et notre regard ne peut percer ces distances. Alors nous nous contentons de regarder ce qui est à notre portée et c’est déjà extraordinaire !
L’humilité est un mystère parce que elle est ce qu’il y a chez Dieu de plus secret. L’humilité est la qualité par excellence de Dieu. Et notre humilité, pour être vraie, doit être une participation à la propre humilité de Dieu. Mais comment ce fait-il que Dieu puisse être humble ? Nous nous représentons Dieu, nous, sous une image toute différente.
Eh bien, Dieu est humble parce qu’il est l’amour. Etant l’amour, il est infiniment respectueux. Il est tellement respectueux de sa créature qu’il a voulu devenir lui-même une créature, la plus basse de toutes ses créatures. Et il pousse l’amour et le respect si loin que si sa créature veut se perdre, alors il la laissera aller.
Rappelons-nous ce qu’il a dit à Judas : Ce que tu as à faire, fais-le vite ! Il ne lui a pas dit : Allons, reste ici ! Essaye de réfléchir ! Vois un peu où tu vas ! Non, il lui a dit : Tu veux le faire, eh bien, fais-le tout de suite ! C’est ça l’humilité de Dieu ! Il ne s’oppose pas à sa créature. Et tout ça, c’est parce qu’il est l’amour.
Un moine humble, c’est un moine qui a découvert l’amour, c’est un moine qui aime. Et l’amour, ce n’est pas un sentiment qui déshumanise l’homme, qui le rend faiblard ? Non, l’amour, c’est la force même de Dieu qui habite une créature et, c’est la raison pour laquelle cette créature peut être humble et, Saint Benoît nous le signale encore très discrètement ce soir.
Mais voyons le moine ! Je le disais hier, je pense, le moine est un lutteur, il est un combattant et il reçoit des coups. Son corps, son cœur, son esprit portent les cicatrices des blessures qu’il reçoit. Il combat contre un ennemi extérieur qui est le démon, contre des ennemis intérieurs qui sont les passions déréglées.
Ce soir, regardons un peu ce qui se passe du côté du démon ! Eh bien, le démon cherche à abattre le moine en distillant dans son cœur des sentiments d’élévation et de puissance. Le moine prend conscience de sa valeur, de son importance. Il a de la prestance, il a de la science, il a de la vertu. Bref, il est quelqu’un de capable, il est promis à une ascension.
Que son ascension soit lente ou rapide, ça n’a pas d’importance, mais il est quelqu’un qui est promis à la réussite et qui la mérite. Alors, puisque c’est ainsi, il a des droits, il a des pouvoirs. On lui doit considération, on lui doit le respect. Il a droit à des honneurs.
Eh bien, dès que le moine est arrivé à ce stade, il a basculé hors de sa vocation. C’est fini ! Il ne vit plus pour Dieu et pour ses frères, mais Dieu et les frères sont là pour mettre en relief ses qualités à lui. Ils sont les décors, ou bien ils sont le public et tout le monde lui doit des applaudissements.
Le démon, à ce moment, a réussi à imprimer ses propres traits sur l’être du frère. Et les traits du démon sont ceux d’un dieu perverti. Ce n’est plus un Dieu qui est pur don, mais un dieu qui est un ogre.
Donc, voilà le moine qui est tombé dans le piège de la vanité et de l’orgueil, piège qui lui a été tendu par le démon, le démon qui est l’être orgueilleux par excellence. C’est moi et rien que moi ! Et ça, c’est la devise du démon !
Alors Saint Benoît, lui, il va protéger son disciple en le revêtant de pauvreté. Il le ramène à sa condition primitive qui est celle d’être un iumentum, comme dit Saint Benoît en 7,136, une bête de somme. Il ramène le moine à sa condition de bête, cette condition figurée par la tunique de peau du premier Adam.
Adam avait une chair transparente, une chair lumineuse, une chair qui laissait passer les rayons de la vie divine qui habitaient son cœur, et qui les captait aussi. Puis Adam s’est laissé prendre lui aussi au piège du savoir, au piège de la puissance et il est devenu une bête. Alors, il a reçu une autre peau, une peau d’animal. Il a trouvé l’état qui est le sien. Il est à l’état de bête.
Et Saint Benoît, lui, ramène son moine, son disciple à cet état. Il lui fait savoir qu’il n’est pas un ange, mais qu’il est une bête. Il le dit : je suis devenu comme une bête de somme devant vous, 7,135. Donc, c’est exactement l’inverse de ce que le démon peut suggérer au moine.
Celui-ci n’est pas un ange mais une bête de somme, une bête de somme qui est traitée comme telle. N’est-ce pas une image ? Non, car cette bête de somme qu’est devenu le moine va se contenter de tout ce qu’il y a de vil et de bas, 7,132.
Le texte latin est beaucoup plus dur, beaucoup plus réaliste. Il dit contentus, 7,132, donc il en aura son content. Son appétit sera rassasié de tout ce qu’il y a de vil et extremitate, dit Saint Benoît, 7,132, De tout ce qui est à l’extrémité du rien.
Saint Benoît dira ailleurs qu’un moine qui vient de l’extérieur et qui a demandé d’être accueilli, il prouvera qu’il est un véritable moine s’il est contentus, 61,5, content de ce qu’il trouve. Il est rempli, son appétit est comblé par ce qu’il trouve sur place.
Eh bien ici, le moine, l’appétit du moine est comblé par ce qu’il y a de vil et de rien. Donc vraiment son état de bête de somme est signifié dans la conscience du moine qui se contente de cela.
Et en plus, il travaille aussi comme une bête. Saint Benoît lui dira qu’il est indigne et incapable de réussie dans les occupations qu’on lui donne. Il se juge comme un mauvais ouvrier, malus operari. On ne peut pas se fier à lui, il ne sait rien faire de bon. Et en plus, si on lui demande de faire quelque chose, c’est pour l’occuper car on sait très bien que c’est inutile et qu’il va gâcher. C’est ça, vraiment comme une bête qui est incapable de rien. Il vit donc au ras du sol, là où le Christ est descendu au plus bas. C’est là qu’il le rencontre !
Il y a aussi un petit mot de Saint Benoît qui est extraordinaire et que Saint Jean de la Croix, par exemple, a repris à son compte. C’est nescivi, 7,135, je ne sais plus rien. Il est arrivé à ce stade là : il ne sait plus, il ne sait pas.
Mais alors, ça se termine ainsi, et tout cela est emprunté au Psaume 72, mais, dit-il, ego semper tecum, 7,137, je suis toujours avec toi, un peu comme l’ânesse de Balaam. Elle était toujours avec lui, c’était son âme et sa vie. Elle ne lui avait jamais joué de mauvais tour. Elle était toujours avec lui mais c’était une ânesse.
Voilà, Saint Benoît amène son disciple là justement pour empêcher que le démon ne le trompe. Alors on peut poser la question : Est-ce que nous avons bien conscience d’être là ? Si on nous marche sur les pieds, comment réagissons-nous ? Disons-nous : c’est toujours bon, on ne peut pas traiter autrement une bête ou bien réagissons nous grrr grrr grrr ?
Voilà, mes frères, nous pouvons faire un petit examen de conscience et demander les uns pour les autres la grâce de pouvoir toujours mieux vivre ce mystère qui, je le rappelle, est celui même de Dieu, Dieu-humilité. Et il nous l’a montré dans le Christ qui nous a dit : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ! N’apprenez rien d’autre ! Quand vous aurez appris cette science, eh bien, vous aurez tout !
Mes frères,
Méditer sur l’humilité exige de nous une bonne dose de courage car, comme je le disais hier, l’humilité est le trait le plus profond, le plus secret de la nature divine. Dieu est humilité parce qu’il est amour. Et lorsque nous réfléchissons à l’humilité, que nous réfléchissons à la lumière de la foi naturellement, nous nous ouvrons à l’humilité divine.
Alors nous lui permettons de prendre possession de notre cœur, de le purifier et, à partir de là, de métamorphoser notre conduite, notre façon de voir, de juger, d’aimer. Mais pour se lancer dans une telle aventure, il faut prendre le risque de se connaître soi-même, de se découvrir tel qu’on est. Et ce n’est pas toujours facile.
Nous voyons le moine aujourd’hui arrivé sur le septième échelon de l’échelle. Remarquons que dès le départ, le moine s’est établi sur une plate-forme. Le premier échelon est comme une plate-forme qui est la crainte de Dieu. Et cette crainte de Dieu se retrouve à tous les échelons jusqu'au dernier. Elle est le commencement et le sommet de toute sagesse.
Cette crainte de Dieu agit comme un ascenseur et elle a hissé le moine au septième étage de la construction, de la tour. Et de cet étage, il regarde autour de lui. L’œil du cœur largement ouvert, il voit qui est Dieu et ce que sont les hommes. Cette vision-là le plonge dans une paix immense car il se trouve au cœur de la vérité. Et nous devons attendre que Dieu, voilà, que si nous ne pouvons pas y aller, qu’il nous prenne dans ses bras et qu’il nous y pose. C’est cela l’humilité ! C’est cela l’ascenseur !
La petite Thérèse disait qu’elle voyait justement les bras de Dieu comme un ascenseur qui allait la conduire, l’élever jusqu’au sommet de tout amour. Elle disait la même chose avec d’autres mots que Saint Benoît.
Et contemplant la vérité sur Dieu, la vérité sur lui-même, la vérité sur les hommes, et voyant cette vérité, le moine ne ressent ni n ‘éprouve aucune amertume parce que ce qu’il voit n’est pas toujours très beau – naturellement ce qu’il voit sur lui, ce qu’il voit sur les autres – aucune rancœur, aucun dépit, non, il accepte la situation telle qu’elle est et il est heureux.
A Dieu revient la gloire et l’honneur, à l’homme revient l’action de grâce et la gratitude. Ce sera notre respiration dans le ciel. Nous appelons le ciel le moment où nous serons un seul esprit avec Dieu, où là nous admirerons Dieu, nous le glorifierons et en même temps, nous serons remplis de gratitude.
Eh bien, que voit le moine au septième étage de l’humilité ? Il voit, face à Dieu, que l’homme est comme le dit Saint Benoît, qu’il est inferior et vilis, 7,139. Il est le dernier, comme dit la traduction et il est vil.
Inferior dit beaucoup plus que le dernier. Inferior signifie que le moine se trouve dans un lieu bas. Il est sur terre et Dieu, lui, il est au ciel. Dieu est en haut, lui est en bas. Seul Dieu est élevé, seul Dieu est exalté. L’homme est une créature qui dépend en tout de Dieu. Et cette double vision de Dieu en haut et de l’homme en bas éveille et alimente la crainte de Dieu.
Car on voit qui il est et on voit ce qu’on est. Mais ce n’est pas une crainte effrayante, c’est une crainte respectueuse, de vénération parce que on sait que si Dieu est là haut, c’est uniquement parce que il est l’amour ; et si nous autres nous sommes en bas, c’est uniquement parce que nous sommes étrangers à l’amour.
Alors, l’homme est aussi vilis. Vilis, cela signifie que il n’a pas de valeur, il est bon marché, il est méprisable, il est vil. La valeur de l’homme vient de sa relation à Dieu, et de l’amour qu’il reçoit et qu’il restitue. Ce qui fait ma valeur, c’est ma capacité d’amour ; ce qui fait ma valeur, c’est l’amour que je suis. L’amour est le thermomètre qui permet de prendre ma température. Ce que je suis dépend de la façon dont j’aime.
En soi, l’homme n’est jamais qu’un paquet de chair, et de la viande, et beaucoup, beaucoup de péchés. C’est à dire que l’homme est maladroit : il se trompe, il vise à côté, ou bien il rue, il refuse, il ne veut plus, il se dérobe. C’est tout ça le péché ! Et Saint Benoît ajoute un détail : c’est que son moine à lui, au septième degré d’humilité, il est le plus bas et le plus vil de tous les hommes. Et il le croit au fond de son cœur. Et pourquoi ?
Mais il le sait et il le croit parce qu’il le voit. Il n’a pas besoin de faire un effort pour croire qu’il est le dernier, le plus vil de tous, inférieur à tous. Non, il le voit, c’est un constat, il ne peut y échapper. Pour lui c’est une évidence. On n’a pas besoin de le lui dire, il le voit. Et c’est pour ça aussi qu’il est dans la vérité.
Il est dit de Saint Benoît qu’il avait vu l’univers entier ramassé dans un rayon de lumière. Eh bien, on peut dire ici que dans un rayon de lumière l’homme voit l’humanité toute entière et lui-même tout en dessous. Est-ce que nous pouvons un peu imaginer cela ?
Mais dans la réalité concrète, c’est beaucoup plus simple car ce rayon de lumière n’est rien d’autre que la connaissance que Dieu a de lui-même qui a pris possession de l’homme ; et cette connaissance alors est aussi la connaissance que Dieu a de l’univers et de chacun des hommes.
Et à ce moment-là, lorsqu’on est possédé par cette lumière de Dieu, on voit tout, absolument tous les hommes. On ne les voit pas dans le détail, mais on les voit. Et soi-même alors , on se découvre devant eux comme étant donc sans voix.
On est tout à fait démuni, dépourvu de tout devant eux et on est absolument incapable de porter un jugement de condamnation sur n’importe qui. La seule chose alors que peut faire le moine, c’est de pleurer sur lui-même et de pleurer sur les autres.
C’est là, mes frères, une grâce très grande ! C’est pour ça que le succès( ?) du septième degré d’humilité, ce n’est pas n’importe quoi. A ce moment-là, le moine a vraiment été établi à la meilleure place. Jésus disait de Marie de Béthanie : elle a choisi la meilleure place et elle ne lui sera pas enlevée.
Eh bien ici, le moine peut dire : j’ai reçu la meilleure place et je ne veux pas la quitter. Pourquoi est-ce la meilleure place ? Mais parce qu’il est avec le Christ dans les profondeurs du samedi-saint, là en dessous de tous.
Voilà, mes frères, voyez qu’il y a toujours des choses merveilleuses à découvrir dans l’humilité. Et c’est la raison pour laquelle nous devons, avec insistance, demander à Dieu qu’il n’ait pas peur de nous faire du mal pour nous conduire là dans ces profondeurs qui sont en fait des hauteurs de sublimité.
Et si nous sommes au monastère, si Dieu nous a appelés ici, c’est pour nous conduire là, c’est pour nous mettre sur cette échelle, et puisque nous sommes bon à rien, pour prendre possession de nous. Comme ça, c’est lui qui en nous va gravir les degrés, les échelons de ce mystère.
Mes frères,
Saint Benoît nous demande donc aujourd’hui de ne rien faire d’autre que ce qui est conseillé par la coutume du monastère et les exemples des anciens. On peut se demander où Saint Benoît a recueilli cette idée ?
A la fin de sa Règle, dans l’épilogue, le dernier chapitre, le septante-troisième, il nous conseille d’aller voir les enseignements des Pères et leurs écrits, donc les apophtegmes. Et voilà que je suis tombé sur un apophtegme qui a certainement inspiré Saint Benoît.
Attention ! Saint Benoît de son propre chef étant un saint, un initiateur, un créateur, un fondateur, a certainement connu la chose indépendamment de l’apophtegme. Mais ça ne fait rien, l’apophtegme lui a permis de préciser exactement sa pensée. Il s’agit de l’Abba Motios.
Un frère interrogea Abba Motios en disant : « Si je vais demeurer quelque part, comment veux-tu que j’y vive ? ». Le vieillard lui dit : « Si tu habites quelque part, ne cherche pas à te rendre célèbre en quoi que ce soit, disant par exemple : je ne vais pas manger à la synaxe ou je ne mange pas à l’agapè…
Donc, dans un monastère, ne cherchons pas à attirer l’attention sur nous en disant : « Moi, le dimanche, je ne prends pas de dessert, ou je ne prends jamais de dessert , ou bien l’une ou l’autre chose ». Donc, je fais des choses extraordinaires et finalement j’attire l’attention sur moi. Et les gens simples disent : « Mais enfin, celui-là, c’est un saint ! ».
Donc, il dit : « Ne cherche pas à te rendre célèbre car ces choses font un nom vide et ensuite tu en seras troublé. Car les hommes se précipitent là où ils trouvent ces pratiques.
On devient célèbre, on devient un personnage et puis, voilà, on devient un Père spirituel. Les gens viennent vous consulter parce que ils vous prennent pour un saint puisque vous ne mangez pas de dessert. Et attention à ça, parce que c’est vide tout ça et après tu en sera fameusement ennuyé.
Le frère lui avait demandé ce qu’il fallait faire, comment vivre ? Alors écoutez, c’est ceci la réponse du vieillard :
Où que tu habites, suis le même genre de vie que tout le monde et, si tu vois des hommes pieux en qui tu as confiance faire quelque chose, fais-le et tu seras en paix.
Fais comme tout le monde ! Tu vois ce que les autres frères font, eh bien, fais comme eux ! Ne te singularise pas. N’essaie pas de te faire passer pour quelqu’un d’extraordinaire. Non, fais comme eux tout simplement.
Car telle est l’humilité : se tenir au même rang que les autres.
C’est exactement ce que Saint Benoît dit. C’est ça l’humilité : nous tenir au même rang que les autres ; faire comme tout le monde ; disparaître dans la communauté ; ne pas attirer l’attention sur soi.
Et les hommes voyant que tu ne franchis pas les limites te considéreront comme l’égal de tous et personne ne te troublera.
Personne ne viendra t’ennuyer, personne ne viendra vers toi comme vers un phénomène. Pourquoi ? Parce que tu seras l’égal de tous ; on ne te distinguera pas parmi les autres. C’est ce que Saint Benoît nous dit aujourd’hui : ne rien faire qui ne soit conseillé par l’exemple des anciens et que tout le monde fait dans la communauté.
Mes frères, vous allez dire que c’est tout simple. C’est vrai ! Pour nous, ça paraît simple, mais attention ! Il faut encore faire un tout petit pas. Il faut que ce soit non seulement dans notre pratique spirituelle mais aussi dans notre cœur.
C’est à dire que faisant comme tout le monde, nous devons nous considérer comme l’égal de tout le monde, comme ne valant pas mieux que les autres ou bien les autres valant autant que nous. Donc, je ne m’élève pas dans mon cœur.
Cette attitude de me fondre dans la grisaille de la communauté doit être l’expression de ce qui se passe à l’intérieur de moi : que j’estime les autres et que, surtout, je ne leur suis pas supérieur et que je n’ai pas à leur faire la leçon. Je reste sagement à ma place.
Donc, c’est pour ça qu’il dit car telle est l’humilité : se tenir au même rang que les autres, surtout dans le cœur. Alors ça se traduit tout seul au fond du comportement.
Donc voilà, mes frères, une belle petite leçon que Saint Benoît nous dit à travers l’Abba Motios qui, entre parenthèses, est devenu Evêque. C’est peut-être la récompense de son humilité ? Mais enfin, on l’a tout de même choisi parce que c’était un sémiophore, donc un homme capable d’opérer des miracles.
Mes frères,
Nous savons que l’humilité, dont nous parle Saint Benoît, est une participation à l’humilité même de Dieu, cette humilité qui constitue l’être secret et le plus redoutable de Dieu, parce que cette humilité renferme toutes les images que nous pouvons avoir de Dieu et elle nous remet à notre place.
Dieu n’est pas un être qui désire se mettre en valeur. Il dissimule tellement bien sa présence et sa puissance qu’il accepte de passer pour inexistant. Il ne s’en offusque pas, il est un Dieu caché.
Et le moine qui désire se lancer dans la grande aventure de la recherche et de la découverte de Dieu est ainsi insensiblement, avec infiniment de douceur et aussi de force, attiré vers ces lieux secrets où Dieu se cache.
Si bien que ce moine devient lui-même comme inexistant, inexistant à ses propres yeux et aussi inexistant aux yeux des autres. Il n’a, semble-t-il, aucune valeur. Saint Benoît nous l’a rappelé dans un précédent degré de l’humilité. Et n’ayant aucune valeur, il ne va pas juger utile de prendre la parole lorsqu’il n’est pas interrogé. Il n’a rien à dire et, s’il dit quelque chose, ça n’a pas d’importance en soi.
Ecoutez ce que va nous dire ce soir Abba Poemen. Vous connaissez Poemen, c’est un des plus grands Pères du désert. Ce Poemen, dont le nom signifie pasteur ou berger, a été vraiment un homme qui a exercé sur la Tradition monastique une influence très grande.
Un frère interroge Abba Poemen disant : « Un homme peut-il se fier à une seule action ? ». Et le vieillard lui dit qu’Abba Jean Colobos, donc Jean le nain, Jean le petit, dit : « Pour ma part, je préfère participer un peu à toutes les vertus.
On doit être petit en toutes les vertus, mais au moins on a ainsi un trésor. Il ne faut pas exceller en une seule vertu, les autres restant comme inexistantes.
Maintenant, écoutons ce que Abba Poemen nous dit encore ! Nous serons encore plus près de ce que Saint Benoît essaye de nous enseigner ce soir : Un frère dit a Abba Poemen : « Si je vois quelque chose, veux-tu que je te le dise ?
Donc Abba Poemen est le chef du groupe des disciples. Un de ses disciples lui demande : « Si je vois quelque chose, veux-tu que je te le dise ? ». Toi qui es l’Abba, tu dois être au courant de ce qui se passe. Tu dois éventuellement prendre les mesures qui s’imposent. Veux-tu donc que je te le dise ?
Le vieillard lui dit : « Il est écrit : pour celui qui répond avant d’écouter, sottise et honte ! Si tu es interrogé, parle, sinon tais-toi ! Exactement ce que nous dit Saint Benoît. Si je te pose une question eh bien parle, répond, sinon garde le silence, tais-toi ! Quoique tu vois, tu n’as pas à venir me le dire, tais-toi !
Mais ce que Poemen demande ainsi à son disciple, vous le sentez bien, dépasse les capacités de l’homme parce que l’homme est naturellement curieux. Nous sommes ici à l’opposé de cette curiosité dont Saint Bernard fait le premier degré de l’orgueil, savoir ce qui se passe et avoir les yeux bien plantés pour tout regarder, tout observer, tout voir, tout savoir.
Puis éventuellement dans tout ça, aller raconter à l’Abbé ce qu’on a vu. Pour que l’Abbé soit informé ? Oui, certainement ! Mais aussi parce que chez le disciple, il y a le besoin de partager une expérience. Il a vu, il doit le partager.
Et alors, que va-t-il se passer ? Eh bien, l’Abbé va être entraîné à l’intérieur de la curiosité du frère et il risque de trébucher. Donc, lorsqu’on parle sans avoir été interrogé par quelqu’un qui a le droit de poser une question, on risque alors d’entraîner d’autres dans le piège de la curiosité et les faire descendre sur l’échelle de l’humilité.
Mes frères, lorsque Saint Benoît nous donne ce conseil de nous taire, de garder le silence, ce n’est pas pour rien. Mais pourtant, nous voyons bien souvent comme l’apophtegme suivant que j’ai d’abord cité, le frère interroger son Abba. Il lui pose une question.
Donc ici, la situation est inversée. C’est le disciple qui pose la question et qui oblige l’Abba à répondre. Ce n’est pas l’Abba qui interroge le disciple et alors le disciple pourrait parler.
Il y a donc là une relation de réciprocité qui fait que le disciple peut se trouver dans la position de celui qui interroge. Et alors à ce moment-là, il doit parler. Mais il ne parle pas pour raconter n’importe quoi, il parle pour poser une question. Il ouvre la bouche pour s’informer, pour connaître avec plus de précision le chemin qui conduit à Dieu. Il demande : « Voilà, que dois-je faire ? », la grande, grande question !
Je pense, mes frères, que si nous posions plus fréquemment cette question, et si nous étions intérieurement prêt à calquer notre conduite pratique sur la réponse reçue, je pense qu’à ce moment-là nous ne marcherions pas sur les routes de Dieu, mais nous aurions des ailes, nous volerions.
Mais pour poser cette question, il faut au préalable avoir décidé que la réponse reçue sera une réponse venant du ciel à laquelle je conformerai totalement ma vie en toute confiance. Mais jusque là, je ne parlerai pas. Donc, si tu es interrogé, parle, sinon tais-toi !
Il y a dans le fait de se taire et de ne pas parler sinon quand on est interrogé le refus radical de la curiosité. Je ne veux rien dire et, il s’agit ici du silence et non pas du mutisme. Je me tais parce que je suis en train d’entrer à l’intérieur d’un autre univers, un univers qui est tellement beau qu’il n’y a pas de paroles pour le décrire et je reste, comme on dit, muet d’admiration. Se taire jusqu’à ce qu’on soit interrogé, c’est le propre du vrai contemplatif.
Eh bien, mes frères, voyez que l’humilité, comme je le disais au départ, c’est vraiment une participation à l’humilité de Dieu. Ce n’est pas à force d’exercices que nous parviendrons à l’acquérir mais en nous ouvrant tout simplement, avec une confiance toujours plus grande, en nous ouvrant largement à cet amour qui est Dieu et qui veut emplir notre cœur et le transformer.
Et lorsqu’il est transformé, à ce moment-là nous pouvons mourir parce que nous sommes déjà passés vraiment de la mort à la véritable vie.
Mes frères,
Il y a toutes sortes de rires. Il y a le rire du petit enfant, un rire pur, un rire innocent, un rire qui exprime la joie de vivre et la confiance. Il y a le rire de la méchanceté, de la cruauté, du mépris, un rire qui humilie et qui, à la limite, peut même faire mourir.
C’était le rire des SS dans les camps de concentration quand ils avaient torturé, réduit à néant, conduit dans les bas-fonds de l’humiliation leurs victimes, de ceux qu’ils considéraient comme des riens, comme des choses inférieures à des animaux. C’est le rire de satan !
Mais il y a aussi le rire de convenance en société lorsque tout le monde raconte des histoires loufoques. Et voilà, il faut rire à ce moment-là pour faire chorus, comme on dit.
Et Saint Benoît, lui, il préfère que son moine ne rie pas, qu’il ne rie pas trop souvent, qu’il ne soit pas enclin ni prompt à rire. Mais pourquoi, mes frères ? Pour lui, c’est le dixième degré de l’humilité et donc on est presque au sommet. On est déjà au sommet, disons-le !
Le moine, à ce moment-là, est pénétré d’une évidence qui s’est déjà manifestée au septième degré. Il est le dernier et le plus vil de tous et, il le croit du fond de son cœur. Il est dans la lumière de Dieu, une lumière qui le pénètre, une lumière qui le comble de paix mais aussi qui le tourmente.
C’est une lumière de purgation, si je puis dire ainsi en référence au purgatoire. Car à mon avis, le purgatoire n’est pas une flamme mais une lumière, la lumière de Dieu qui achève de purifier l’homme, une lumière qui enlève les dernières crasses et qui va rendre l’homme capable de regarder Dieu et de enfin pouvoir vivre. Car la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu. Ne l’oublions jamais !
Mes frères, il y a encore une autre raison pour laquelle le moine de Saint Benoît ne peut plus rire. C’est parce que dans cette lumière de Dieu, il voit avec une acuité, une précision, une violence presque intolérable, il voit la misère du monde. Cette lumière de Dieu lui révèle la véritable nature du péché qui est refus, refus de l’amour, refus de la vie, refus de tout ce qui est, de tout ce qui peut apporter à l’homme le véritable sens de son existence.
Et il voit dans cette lumière non seulement le péché, mais aussi toutes ses conséquences, les masses invraisemblables de souffrances, de douleurs, de détresses, d’angoisses qui ravagent le cœur des hommes ; la souffrance des innocents surtout, de ceux qui n’ont rien fait, de ceux qui ne se doutent de rien, de ceux qui n’ont pas encore péché, de ceux qui ne peuvent pas pécher.
Et tout cela, il l’a quasiment devant les yeux, les yeux de son cœur naturellement. Et le plus grave de tout, c’est qu’à ce moment-là, il se sent non seulement complice de ce mal, mais aussi responsable alors de la souffrance des hommes comme s’il en était l’origine.
Il comprend alors la raison pour laquelle Dieu a voulu devenir homme, Dieu qui a voulu prendre sur lui non seulement le péché, non seulement la souffrance, mais aussi la responsabilité de tous ces drames. Et cette responsabilité l’a porté jusqu’au bout, jusqu'à être condamné comme coupable.
Vous comprenez, mes frères, que lorsque le moine sent tout cela, porte tout cela, il n’a plus du tout envie de rire. Le rire lui devient impossible, sauf peut-être parfois un rire d’enfant devant une situation imprévue. Mais pour le reste, voilà, il est ainsi habité par une tristesse qui est la tristesse même de Dieu, la tristesse qui conduit à plus de sainteté encore.
Mes frères, voyez que, à mon avis, à ce dixième degré de l’humilité, le moine est vraiment établi au cœur de sa vocation cosmique. Il est l’homme sur qui repose le mal et la souffrance des autres. Il est celui qui les porte mais aussi celui qui les rédime car dans son cœur, à ce moment-là, il n’y a plus de malice.
Il est à la fois l’enfant , l’enfant innocent, et l’enfant qui souffre, et l’enfant qui ne comprend pas, mais aussi il est l’homme, l’adulte qui est responsable, coresponsable du mal et de la souffrance du monde.
Voilà, mes frères, ce que nous pourrions peut-être méditer en ce dimanche. Nous connaissons autour de nous bien des souffrances. Des personnes se confient à nous. Elles nous racontent des choses qu’elles ne raconteraient à personne car ça les soulage, ça les aide à tenir et à vivre.
Eh bien, que ce soit pour nous quelque chose de sérieux. Le moine n’est pas un lâche, un planqué qui vient se cacher quelque part loin des autres pour vivre dans l’ouate et dans le chocolat. Non, non, non, il est en première ligne du combat pour que les hommes finalement deviennent heureux. Ils le seront, ils le sont déjà dans leur vocation. Mais il faut que cette vocation s’accomplisse !
Et elle s’accomplira lorsque tous ensemble nous serons réunis dans la lumière, là où il n’y aura plus ni pleurs, ni cris, ni détresses, ni angoisses, mais uniquement encore le chant de reconnaissance et, sur toutes les lèvres le rire, le rire de la paix, le sourire de la beauté, de la bonté, du partage, de la communion.
Mais vous comprenez, tout cela ce sera pour demain, c’est à dire lorsque nous serons dans le Royaume de Dieu, lorsque nous serons tous dans la lumière. Mais nous, dans le monastère, nous pouvons déjà y être et vivre cet inconcevable : tout à la fois un océan de paix dans notre cœur et en même temps un océan de souffrance.
C’était ce qui se trouvait dans le cœur du Christ ici sur la terre. Et c’est pourquoi nous devons prêter notre cœur à Dieu et au Christ pour qu’il puisse revivre en nous maintenant ce mystère et conduire alors plus loin le monde, les hommes, vers l’heure de leur salut définitif.
Mes frères,
Nous connaissons la prédiction de Saint Benoît pour la symbolique des nombres. Celle-ci est patente dans l’organisation de l’Office Divin. Il y a douze psaumes à Vigiles, sept à Laudes, trois aux petites Heures, quatre aux vêpres.
Et lorsqu’il s’agit de l’humilité, Saint Benoît prévoit douze échelons. Et aujourd’hui, il détaille les sept qualités de la parole qui doit être sur les lèvres du moine lorsqu’il est invité à parler.
La première, c’est la douceur. Le moine dans ses propos s’exprime doucement, 7,160, avec calme. Sa parole n’est pas tranchante, elle n’est pas agressive. Elle laisse la porte ouverte au dialogue. Il parle sans rire. Il n’a pas un rire convulsif qui trahit la peur ; ou bien il n’essaye pas de dissimuler un malaise quelconque sous un rire d’apprêt. Il n’a pas de nervosité dans ses propos sans rire.
Humblement, cela signifie qu’il ne manifeste aucune supériorité, une supériorité qui écrase. L’autre se sent respecté et aimé. Plus un moine est – employons ce mot qui est impropre peut-être ? mais enfin, je n’en vois pas d’autre pour l’instant – plus il est élevé dans la hiérarchie du monastère, plus il doit parler humblement. Il faut que l’autre sente que le frère qui lui est supérieur est en réalité dans une position de service.
Il parle avec gravité, cum gravitate, dit Saint Benoît, 7,161. Pourquoi ? Mais parce que la parole est sérieuse, elle est importante. Elle ne peut jamais être un passe-temps futile car alors ce serait du bavardage, ce que Saint Benoît proscrit.
Il s’exprime brièvement. En latin loquatur pauca verba, 7,61. Il ne sort pas de sa bouche un torrent de mots, un flux de paroles. Il dit le nécessaire et pas davantage. Cela se comprend, le moine humble à mis toute sa personne à la disposition du Christ, à la disposition de l’Esprit Saint qui est présence du Christ à l’intérieur du moine.
Et il est toujours un porte-parole, il est un prophète. Lorsqu’il parle, ça vient de plus loin que lui. Il ne s’appartient plus jusqu’à l’intérieur de son élocution. Et ça va très très loin !
Il va aussi parler raisonnablement, rationabilia verba, dit Saint Benoît, 7,162. Ce n’est pas facile à traduire. On le traduit raisonnablement, c’est bien ! Mais c’est tout de même un peu plus. D’abord il n’y aura plus aucune trivialité dans son langage. Ce sont des paroles que tout le monde peut entendre, des paroles de gentleman, des paroles honnêtes.
Ce sera un discours mesuré, équilibré, qu’il est agréable d’entendre, qui ne crée pas chez l’auditeur une perturbation parce qu’il ne saurait pas trop ce qu’il doit prendre et ce qu’il doit laisser. C’est raisonnable, c’est sage, c’est honnête !
Et enfin, il s’exprime sans éclats de voix. Il n’est pas clamosus in voce, 7,162. Il ne crie pas pour dire. Sa voix rejoint ce qui est dit au début – nous avons là comme une sorte d’inclusion – au début où Saint Benoît dit que le moine humble s’exprime leniter, doucement, 7,160. Donc, il n’y a pas de clameurs dans ses paroles. Ce n’est pas une voix criarde comme s’il voulait s’imposer ou en imposer. Non, pas d’éclats de voix !
Eh bien, nous avons ainsi les sept qualités d’une parole humble. Et pour Saint Benoît, c’est atteint au onzième degré. Mais vous avez bien senti que c’est une sorte de compendium, de résumé de tout ce qui a été dit auparavant.
Au moment d’introduire le moine au niveau douze, on dirait que Saint Benoît veut résumer, ramasser, synthétiser tout ce qu’il a découvert chez un homme vraiment humble et qui va se trahir au niveau de la parole, au niveau du discours.
Et le moine humble sera donc, pour Saint Benoît, un homme pétri de sagesse : sapiens verbis innotescit paucis, 7,164. On reconnaît le sage à la sobriété de son langage. Le moine humble est donc un moine pétri de sagesse.
Et vous savez que la sagesse est un attribut de Dieu. On l’a quasiment personnalisé déjà dans l’Ancien Testament. On y a vu comme une préfiguration du Verbe, la Sagesse incarnée, de ce Verbe qui a créé le cosmos avec sagesse et mesure.
Eh bien, le moine humble est possédé par cette sagesse. Et on reconnaît qu’il est arrivé à ce stade, on le reconnaît à la sobriété de son langage. Le mot sobriété n’apparaît pas dans le latin. Il a été introduit ici pour que la sentence soit belle en soi. Mais tout de même, ce mot sobriété révèle une vérité. C’est que le moine est un neptique jusqu’à l’intérieur de son langage.
Et vous savez que la .. ?.., la sobriété, la vigilance est la qualité essentielle chez un moine. Il est attentif à ce qu’il dit, il est attentif à ce qu’il entend, il est éveillé. Son cœur est captivé par la beauté de Dieu qu’il découvre dans la lumière de Dieu, mais aussi dans les créatures et il ne va donc pas perdre son temps en de vains bavardages. Non, il reste seul, il reste attentif jusqu’à l’intérieur de son discours.
Eh puis, n’oublions pas que pour Saint Benoît, pour le moine du onzième degré, la parole est plus que jamais réponse à une question. Il a été prévu au neuvième degré que le moine garde le silence jusqu’à ce qu’on l’interroge. A ce moment-là, comme on lui pose une question, il est inspiré vraiment dans le sens étymologique. L’Esprit va s’exprimer par sa bouche à travers les sept qualités de la parole que nous avons analysées.
Voilà, mes frères, voyez l’immensité des trésors que nous découvrons lorsque nous voulons un peu gratter la Règle que Saint Benoît nous a laissée. Si nous trouvons déjà cela en l’égratignant un peu, qu’est-ce que ce ne sera pas quand nous commencerons à la creuser ?
Mais je pense que ce sera un de nos labeurs préférés de toute l’éternité d’admirer la beauté des saints et d’abord surtout la beauté de notre Père dans la vie, notre Père Saint Benoît.
Mes frères,
Nous voici arrivés avec Saint Benoît au sommet de la fameuse échelle dont le dernier échelon est déjà le seuil de la béatitude éternelle. Mais nous sommes en même temps plongés au plus profond d’un abîme, d’un gouffre.
Sur le premier échelon, le moine se découvrait pécheur et il ne pouvait échapper à la conscience de son péché. Et voici qu’au sommet, il se découvre à nouveau pécheur, mais avec une intensité redoublée. Il a comme conscience que sa vie s’est terminée sur un échec. Il est devant le redoutable tribunal de Dieu et il n’a rien à présenter que son péché.
Et pourtant, tout au fond de lui règne une paix inaltérable. Pourquoi ? Mais parce qu’il se sait aimé. Et se savoir aimé, c’est la plus grande sécurité que nous puissions éprouver sur cette terre et pour l’éternité. Il y a des hommes, des femmes qui meurent de ne pas être aimés.
C’est pourquoi, mes frères, une petite parenthèse ici, n’ayons pas peur de manifester notre amour à nos frères. Car tous autant que nous sommes, et qui que nous soyons, nous avons besoin de ces marques d’affection qui sont pour nous un sourire, un petit salut, un petit service, tout ce qui réconforte, tout ce qui encourage, tout ce qui dit même par un non-verbal : je t’aime tel que tu es !
N’oublions pas, mes frères, que le moine de Saint Benoît vit dès le départ dans la lumière de Dieu. Au fur et à mesure qu’il gravit des degrés de la fameuse échelle, il prend conscience de cette lumière, de cette lumière qui le balaye de sa puissance, qui le fouille de son éblouissante clarté.
Il est retourné sur toutes les coutures. Il est connu jusque dans les fibres les plus secrètes, les plus intimes de son être, là même où lui-même ne peut pénétrer. Là où il a peur d’aller, là il est connu. Comme le Seigneur le dit – comment le traduire en français ?- Toutes les choses, absolument tout est à nu et à découvert sous les yeux du Seigneur.
Et cette lumière est le tourment et la béatitude du moine. Elle est Dieu lui-même qui lui dit son amour jaloux. Le moine doit dans le projet de Dieu devenir beau, beau de la beauté de Dieu. Au regard des hommes, il sera plus que probablement sans importance aucune, et à ses propres yeux aussi. Et c’est là que nous touchons le paradoxe mystérieux du douzième degré d’humilité.
Il va en cette lumière se voir commettant des péchés. C’est plus que pécheur ! Il s’aperçoit que sa vie n’est qu’une succession indéfinie de manquements, de péchés. O ce ne sont pas des choses graves ? Non, mais c’est le sentiment d’être toujours à côté, de toujours tomber trop court, de ne pas être suffisamment en accord avec cette beauté de Dieu, avec cette volonté qui veut transfigurer les prémices.
Et pour cela, il ne peut rien dire, il ne peut rien faire que de se présenter, que de vivre dans cette lumière en disant la prière du publicain : je ne suis pas digne de lever les yeux vers toi.
Mais cette lumière est à l’intérieur de ses yeux. Si bien que Dieu à l’intérieur des yeux de ce moine est assez grand. Cette lumière, elle est Dieu en personne et Dieu qui cache le moine. Car le moine est son trésor, un trésor pour lequel il a tout, absolument tout donné. Il s’est donné lui-même, Dieu, pour acquérir ce trésor, et pour le protéger, et pour le garder.
Un tel moine, mes frères, ne se fait pas remarquer. Attirer l’attention sur sa personne lui est absolument impossible. Ce n’est pas un complexe, ce n’est pas une peur, il est sous l’emprise de la lumière. Et l’origine de tout est là !
Et n’allons pas encore une fois nous imaginer que cette lumière est abstraction : Dieu est lumière ; le Christ est la lumière du monde ; le Christ ressuscité est pure lumière. Et le moine qui arrive au douzième degré d’humilité voit cette lumière avec les yeux du cœur. Il la voit de façon nettement consciente.
Au début, il la voyait déjà mais comme un aveugle, un aveugle qui voit une clarté à travers ses paupières qui ne peuvent se soulever. Et puis petit à petit, la cécité a été enlevée, les yeux s’ouvrent et le moine découvre l’invraisemblable beauté de Dieu dans cette lumière et, en même temps sa laideur à lui, sa laideur native mais une laideur native que Dieu est en train d’effacer, en train de métamorphoser.
Il y a Luther – qu’on est en train de redécouvrir aujourd’hui – qui a eu cette parole qui, à l’époque, s’est retournée contre lui. Mais aujourd’hui on commence à mieux la comprendre : Pèche avec vigueur, mais crois avec plus de vigueur encore !
Eh bien, c’était une façon paradoxale d’exprimer le douzième degré d’humilité où le moine se découvre pécheur et en même temps aimé de telle manière que au fur et à mesure qu’il pèche, son péché est effacé. La lumière, cette lumière qui est Dieu est une flamme, un brasier qui consume à l’instant même les péchés du moine.
Mais voilà, mes frères, il faut avoir le courage de gravir tous ces fameux échelons, ou plutôt de se laisser conduire sur eux pour arriver à ce sommet où alors tout est comme ça découvert. Et que va donc faire un moine pareil ? Eh bien, je le disais, il ne se fait pas remarquer, il passe inaperçu parce que, comme Saint Benoît nous l’a dit plus haut, il se coule dans la façon de vivre de la communauté.
Il fait ce que font les autres, il ne se fait pas remarquer, on ne le voit pas. Il est insignifiant parmi d’autres insignifiants, il disparaît. Voilà, il fait corps avec la communauté. Il est content, il est comblé par tout ce qu’il trouve, par tout ce qu’on lui donne, contentus, 7,132 ; 61,5, c’est à dire qu’il est rempli.
Mais n’oublions, pas encore une fois, qu’il est d’abord rempli par cette fameuse lumière qui est Dieu et puis tout le reste lui est donné par surcroît. Ce ne sont pas des choses extraordinaires, non, c’est ce que la communauté lui apporte. Et avec ça, il est comblé.
Mes frères, pour essayer de comprendre encore un peu mieux ce que Saint Benoît veut nous dire, sachons que l’être d’un vrai moine est tout entier enseveli dans la volonté de Dieu. Là, il est chez lui. Hors de cette volonté, c’est invraisemblable ! Hors de cette volonté, ce serait l’enfer ! Car il ne serait plus avec Dieu et c’est le plus grand malheur qui puisse arriver à quelqu’un.
Donc, il est vraiment enfoui à l’intérieur de l’obéissance. Et c’est à partir de cette obéissance, de cette union aux vouloirs de Dieu que jaillit l’étincelle qui va devenir la lumière. Parce que ce n’est que à l’intérieur de la volonté de Dieu qu’on peut rencontrer Dieu et c’est uniquement là qu’il se dévoile comme lumière.
Mais voilà, mes frères, nous avons cheminé ainsi pendant quelques jours jusqu’au sommet de cette fameuse échelle. Et puis, comme l’a très bien dit le fameux Gérard, ce moine de Liège : le bon larron, lui, y était arrivé sans trop savoir comment ni pourquoi. Il n’avait plus qu’un pas à faire et il était dans le paradis. [7]
Voyez, c’est cela ! Il avait pourtant commis bien des crimes, mais il a cru qu’il était aimé. Il a vu la lumière de Dieu qui était le crucifié à côté de lui. Il s’est entièrement confié à cet amour et à cette lumière et, il a entendu cette parole : Aujourd’hui même, tu sers avec moi dans le paradis !
Eh bien, mes frères, puissions-nous entendre nous aussi cette parole ! Cela ne veut pas dire que nous allons décéder cette nuit, loin de là ! Mais nous serons vivant à l’intérieur de la lumière et c’est cela le paradis !
Mes frères, [8]
Nous allons aujourd’hui, si vous le voulez bien, écouter un petit récit qui est un des plus beaux de la littérature monastique et, qui a inspiré notre Père Saint Benoît à deux endroits de sa Règle. Il s’agit de l’apophtegme, le premier, attribué à Abba Marc, disciple d’Abba Sylvain.
Ce Marc devait être issu d’une famille très aisée sinon riche, car sa mère venant lui rendre visite arrivait dans un grand apparat. On dirait aujourd’hui un grand équipage. De plus, il était calligraphe, donc il copiait, recopiait les écrits.
Il avait donc reçu une instruction, ce qui était assez extraordinaire dans le monde des moines scétiopes qui, la plupart d’origine égyptienne, était des rustres et ne savaient ni lire ni écrire.
Et Saint Benoît s’est inspiré de cet apophtegme d’abord en ceci : L’Abbé ne doit point aimer l’un des frères plus que l’autre si ce n’est celui qu’il trouvera plus avancé dans les bonnes actions et l’obéissance. 2,45. Donc, le même amour pour tout le monde mais tout de même une préférence pour celui qu’il trouvera plus obéissant que les autres.
Mais qu’est-ce que l’obéissance pour Saint Benoît ? Quelle est cette obéissance qui va lui permettre d’aimer un frère de préférence à un autre. Ecoutez donc ! Il s’agit de l’obéissance dès que le Supérieur a commandé quelque chose, ils ne peuvent souffrir d’en différer l’exécution tout comme si Dieu lui-même en avait donné l’ordre. 5,7.
Ceux qui sont dans ces dispositions, renonçant aussitôt à leur propre intérêt et à leur propre volonté, quittent ce qu’ils tenaient à la main et laissent inachevé ce qu’ils faisaient. Ils suivent d’un pied si prompt l’ordre donné que, dans l’empressement qu’inspire la crainte de Dieu, il n’y a pas d’intervalle entre la parole du Supérieur et l’action du disciple, toutes deux s’accomplissant au même moment. Ainsi agissent ceux qui aspirent ardemment à la vie. 5,12-20.
A ces deux endroits, Saint Benoît s’est inspiré de notre petit apophtegme, et le voici :
On disait d’Abba Sylvain qu’il avait à Scété un disciple nommé Marc qui avait une grande obéissance. Il était calligraphe et le vieillard l’aimait à cause de son obéissance. Il avait onze autres disciples qui souffraient de ce qu’il l’aimait plus qu’eux.
Jaloux ! ! !
Les autres vieillards en l’apprenant s’en chagrinèrent. Donc, ils sont allés se plaindre dans les environs, et voilà que les autre vieillards s’en chargèrent.
Ils vinrent donc une fois chez lui pour l’en accuser. Pour lui dire qu’il n’a pas le droit d’aimer celui-là plus que les autres. Saint Benoît le dit : la même affection, le même amour pour tous.
Les prenant avec lui, il alla frapper à chaque cellule disant : frère un tel, viens ici car j’ai besoin de toi ! Et aucun d’eux ne le suivit tout de suite. Car ils sont occupés…
Arrivant à la cellule de Marc, il frappa et dit : Marc. Lui, entendant la parole du vieillard, bondit aussitôt dehors et le vieillard l’envoya en diaconie, donc un service quelconque.
Il dit alors aux vieillards : Où sont les autres frères, Pères ? Il entra dans la cellule de Marc et prit son cahier. Et il remarqua qu’il avait commencé à former la lettre omega et qu’entendant le vieillard, il n’acheva pas de l’écrire.
Alors les vieillards de dire : Vraiment, Abba, celui que tu aimes, nous l’aimons nous aussi et Dieu l’aime.
Voilà, mes frères, un apophtegme qui a fait la fortune de notre Père Saint Benoît. Que faut-il en penser de cette obéissance ?
Aujourd’hui, dans le monde religieux, dans le monde clérical pour ne pas parler du monde laïc, l’obéissance n’est guère prisée parce que on la considère incompatible avec la liberté. Quand on obéit, on aliène sa liberté. Pour être libre, il faut suivre ses impulsions et ne pas s’occuper de ce que les autres peuvent demander.
Nous voyons ici, mes frères, que la vie monastique est une folie. Elle va à l’encontre de ce que les théologiens pensent, de ce que le monde désire, de ce que le monde juge comme raisonnable. La vie monastique est folie parce que elle est sequela Christi qui, lui, s’est fait obéissant, et obéissant jusqu’à la mort et la mort sur une croix.
Il y a donc une valeur certaine attachée à l’obéissance. Et cette valeur, c’est celle-ci : on n’obéit jamais à un homme, on n’obéit jamais à une Règle, mais on coule sa volonté et tout son être à l’intérieur de l’être de Dieu. Et ainsi on se fond en lui dans le sens noble du terme. On ne fait plus avec lui qu’un seul esprit, qu’un seul être et, on en est transfiguré, on en est divinisé.
Et à ce moment-là, on goûte une liberté qui n’est pas la liberté que peuvent donner les pulsions instinctives de l’homme. C’est la propre liberté de Dieu, lui qui est le Créateur et le Sauveur du cosmos.
Mes frères, on comprend que Abba Sylvain et Saint Benoît rencontrant un homme qui est arrivé à un tel degré de l’obéissance, on comprend qu’ils sont en admiration devant lui parce que ils ont à faire à un saint, à un homme qui est déjà entré à l’intérieur même de Dieu, un homme à travers lequel rayonne la présence de Dieu, la lumière de Dieu, de Dieu qui est Amour.
Mes frères, je pense que nous pouvons faire notre profit de ce petit apophtegme. L’obéissance, elle a une valeur absolue. Elle est le bien par excellence parce que, encore une fois, elle nous rend non seulement conforme au Christ - il serait un modèle – mais ça va infiniment plus loin : elle nous divinise. Elle nous introduit à l’intérieur de Dieu. Elle permet à Dieu de prendre possession de nous et de nous métamorphoser. Si bien que tous les autres biens doivent être sacrifiés pour l’obéissance.
Voilà, l’heure de l’Office approche et, tout à coup la sonnerie, voilà, sonne. Que faisons-nous, mes frères ? Est-ce que nous laissons tout là ? Voilà, Dieu appelle et j’y vais, ou bien, oh il y a encore cette petite chose à faire et puis j’y vais ? Est-ce que nous sommes un Marc ou bien est-ce que nous sommes un des onze autres disciples ?
Voilà, mes frères, là est le critère ! Car obéir, c’est surtout, surtout obéir dans le secret quand personne ne le voit, quand personne ne le sait. Un seul le sait, c’est l’Esprit de Dieu qui à ce moment-là soit doit se tenir à l’écart de nous ou bien pénétrer à l’intérieur de nous et nous transfigurer un peu plus.
Et le dernier apophtegme de Marc – il y en a cinq en tout – c’est la récompense qui lui a été concédée par Dieu :
On disait d’Abba Sylvain que lorsqu’il désira partir en Syrie. Donc il était en Egypte à Scété et il doit aller en Syrie. Pourquoi ? Nous n’en savons rien. Peut-être pour s’y installer ? Car vous savez, la Syrie, c’est la Palestine, des régions qui étaient peuplées de moines, le désert de Juda.
Son disciple Marc lui dit : Père, je ne veux pas partir d’ici, ni te laisser partir Abba, mais demeure ici trois jours. Et le troisième jour, il mourut.
Donc vous voyez, c’est çà ! Ayant été obéissant jusqu’à ce point, il exprime un désir. Son Abba obéit à ce désir et puis Marc meurt. Il savait qu’à ce troisième jour le Christ viendrait le chercher et qu’au lieu d’aller en Syrie, il entrerait au cœur du Royaume. Voilà, mes frères !
Eh bien, ça doit nous servir d’exemple et d’encouragement parce que c’est au cœur du Royaume que nous désirons aller, et c’est là qu’est notre véritable lieu. Ici, c’est un tremplin qui nous permet de nous lancer vers ce Royaume de Dieu, Royaume de Dieu qui n’est rien d’autre que le cœur de la Trinité, que la personne du Christ. Eh bien ce tremplin, il fonctionne à l’occasion de l’obéissance. Et c’est pourquoi, ne laissons passer aucune occasion !
Mes frères,
Nous allons ce soir opérer un petit retour en arrière car je voudrais aborder une réponse à une question qui a certainement surgi une fois ou l’autre dans l’esprit de chacun de nous quand nous entendons lire la Règle de notre Père Saint Benoît. Cette question, je la formulerai dans un instant.
Nous avons vu Saint Benoît conduire son disciple jusqu’au sommet de la fameuse échelle de l’humilité. Et là, ne pouvant plus rien pour lui, il l’a confié à l’Esprit Saint qui est le guide des hommes, des moines surtout qui ont accepté de mourir à eux-mêmes pour laisser en eux toute la place au Christ ressuscité.
Il n’y a pas d’autre route pour aller chez Dieu que cette route de l’humilité dont le terme est, comme le rappelle Saint Benoît, la pureté du cœur. Cela signifie que chez le moine, il n’y a plus aucune trace d’égoïsme, toute la place étant occupée par Dieu.
Cela ne veut pas dire qu’il ne commettra plus d’erreurs, qu’il ne commettra plus de péchés ? Non, au douzième degré d’humilité, il a conscience, une conscience suraiguë d’être un pécheur et, il lui arrive encore de trébucher. Mais il le sait et il le reconnaît.
A ce moment-là, le moine tout en restant un homme vulnérable, faillible, faible, le moine devient avec le Christ un seul esprit. Et le Christ a ainsi toute liberté d’opérer dans le cœur de cet homme des merveilles que les habitants du Royaume peuvent admirer.
Il faut donc pour le remarquer des yeux nouveaux, des yeux que seul l’Esprit de Dieu peut donner. Alors, à l’extérieur, rien ne paraît peut-être ? C’est sans importance ! Le moine est mort et sa vie est plus que jamais cachée en Dieu.
Donc, nous voici là au-dessus avec l’Esprit et le moine. Et Saint Benoît sans transition aucune passe à l’organisation de l’Opus Dei. Et voilà la question : Comment cela se fait-il ? Pourquoi ? Est-ce qu’il n’y a pas là un défaut de logique ? Eh bien non ! Il existe une agrafe qui relie le sommet de l’humilité à l’organisation de l’Opus Dei.
Et cette agrafe, mes frères, c’est la personne de l’Esprit Saint. Logiquement, arrivé là au-dessus, Saint Benoît qui voit son disciple emporté par le souffle de l’Esprit, logiquement Saint Benoît devait passer à l’organisation de l’Office Divin. Nous allons voir pourquoi.
C’est que les anciens moines, donc nos Pères dans la vie monastique et les maîtres de Saint Benoît, ils avaient toujours présentés le terme de la vie monastique comme étant l’exercice de l’oratio continua.
Evagre le Pontique a très bien expliqué cela dans son traité de l’oraison. Ce traité compte cent cinquante trois chapitres, des petits chapitres, parce que il y avait cent cinquante trois poissons dans le filet qu’ont ramené les Apôtres lors de la dernière pêche miraculeuse après la résurrection du Christ. Et cette prière continuelle est plus précisément la prière spirituelle, c’est à dire la prière dans l’Esprit Saint.
Cette prière dure la nuit aussi bien que le jour, donc elle n’est pas interrompue par le sommeil. Il ne s’agit donc pas de prières de louanges, etc, sous l’influence de l’Esprit Saint, quelque chose qui était visible au début de l’Eglise, qu’on trouve encore aujourd’hui dans les Cercles du renouveau Charismatique. C’est autre chose !
C’est l’Esprit Saint qui a pris possession de la personne de façon définitive, non pas ponctuelle mais définitive. Et c’est cet Esprit Saint alors qui, jour et nuit, pendant le travail, pendant le sommeil, à tout moment, fait monter comme une vapeur, comme un parfum, comme un encens vers le Père qui est la Source de toute divinité, qui est la source de tout.
Saint Paul nous le dit : Nous ne savons pas prier comme il faut, mais c’est l’Esprit qui prie en nous en laissant échapper des gémissements indicibles. C’est cela, mes frères !
Et alors, Saint Benoît ayant conduit son moine là sur ces sommets, l’ayant confié à l’Esprit Saint, il est tout à fait normal qu’il commence à encadrer un peu cette prière, à la discipliner, à ne pas la laisser devenir quelque chose d’anarchique. Car le moine, même parfait, demeure un homme, un homme exposé à toutes sortes de pièges et d’erreurs malgré tout parce que la chair est toujours là. Cette chair fragile est toujours en état de déséquilibre. Elle cherche toujours.
Il y a, comme l’Apôtre nous le dit encore, une lutte perpétuelle entre la chair et l’Esprit. Notre chair ne sera parfaitement disciplinée, c’est à dire parfaitement imbibée de l’Esprit Saint qu’après, quand elle sera ressuscitée d’entre les morts. Ce sera notre chair spirituelle dans notre corps spirituel nouveau. A ce moment-là, il n’y aura plus aucun problème ; mais en attendant, il faut discipliner cette prière continuelle du moine lorsque le moine est à l’état de veille.
Eh bien, Saint Benoît va l’organiser et il va commencer par l’Office de nuit en hiver. Mais pourquoi ? C’est encore une autre question. Mais parce que la nuit, surtout la nuit en hiver, est le lieu de tous les dangers, de tous les périls. La nuit est le symbole de l’obscurité dans laquelle le monde à été plongé à cause du péché, l’obscurité dans laquelle les hommes se débattent à la recherche de la vérité, de la paix, du véritable amour.
C’est donc à partir de la nuit, et surtout de la longue nuit d’hiver, que Saint Benoît va organiser la prière du moine, ce travail qui est devenu comme la respiration du moine. Il vient de nous le dire : sept fois le jour et la nuit pour offrir à Dieu une louange, 16,8, pour écouter sa Parole, pour la capter et puis pour en répercuter l’écho.
C’est cela recevoir l’Esprit ! Et puis, à partir de là, le laisser comme s’évaporer sans arrêt pour qu’il n’y ait plus qu’une seule atmosphère entre le ciel et la terre, entre Dieu et les hommes.
Mais voilà, mes frères, c’est là je pense une grande chose à laquelle nous sommes appelés. Nous devons devenir des pneumatophores, des hommes possédés par l’Esprit Saint et réagissant toujours – peut-être pas toujours dans un premier temps car, encore une fois, la chair est extrêmement subtile tout en étant très faible – mais réagissant alors dans un second temps qui est immédiat, réagissant toujours de façon spirituelle, c’est à dire dans l’amour qui est Dieu, et dans l’humilité qui est le lieu de toute vérité, et dans la beauté qui est la splendeur du vrai.
Voilà, mes frères, notre programme. Et il faut reconnaître qu’il n’est pas facile. Mais voilà, nous sommes ici pour ça et je pense que nous ne reculerons pas devant la difficulté. Car le Seigneur est toujours avec nous et il aime que nous reconnaissions notre faiblesse car, c’est par l’intérieur de notre fragilité que son amour et sa force peuvent se déployer librement.
Mes frères,
Nous venons encore de le comprendre, pour Saint Benoît, la psalmodie mes plus précisément les psaumes constituent le squelette, la colonne vertébrale, le cœur de l’Office Divin. Il y a même un endroit de sa Règle où il parle de psamodiae quantitas, 10,4. C’est intraduisible littéralement en français. On pourrait le traduire le bloc infrangible de la psalmodie. La psalmodie forme un bloc.
On peut, si la nuit est plus courte en été, si on s’est levé en retard – un accident est toujours possible – on peut abréger les lectures, les répons, mais on ne peut jamais toucher à la quantitas, au bloc que forment les psaumes, 11,30.
Je l’ai déjà expliqué, mais il est toujours bon de le redire : les Psaumes sont Paroles de Dieu. Lorsque nous les récitons, lorsque nous les chantons, nous écoutons cette Parole de Dieu. Elle frappe nos oreilles. Elle pénètre à l’intérieur de nous. Même si nous sommes distraits, la Parole de Dieu est efficace en elle-même ; même si nous ne comprenons pas, elle est toujours Parole de Dieu. C’est à dire qu’elle est présence concrète du Christ ressuscité lui qui est la Parole de Dieu.
Et c’est ainsi que le Christ touche, avec infiniment de délicatesse, qu’il touche nos oreilles et puis qu’il pénètre en nous et, même sans que nous le sachions, insensiblement mais certainement il transforme notre cœur. Donc, voilà pourquoi la psalmodie forme un bloc auquel on ne peut pas toucher.
Le reste, Saint Benoît le détaille encore ici, les antiennes, les leçons, les hymnes, les répons, les litanies, tout cela, c’est le cadre dans lequel la prière des psaumes – car les psaumes sont aussi prière – reçoit sa tonalité et son sens. Ils sont comme une orchestration qui donne à la psalmodie sa beauté et sa force.
Cet ensemble, maintenant, nous donne une place à l’intérieur d’un chant immense qu’est le chant du cosmos. Il y a des psaumes où nous invitons la nature créée inanimée ou même vivante, où nous l’invitons à chanter avec nous la louange du Créateur et du Rédempteur.
Il y a donc un chant cosmique. La création entière chante. Et l’homme qui est un produit de cette création, qui est la création, la matière devenue consciente d’elle-même, l’homme est par excellence la voix qui permet à ce chant de se répandre partout et de toucher le cœur de Dieu.
Le Christ qui est le Verbe de Dieu, qui est à l’intérieur de la Trinité, pour ce chant, il a voulu devenir lui-même matière pour que ce chant du cosmos soit divin. C’est donc aussi à travers la personne du Christ ressuscité que nous chantons les psaumes et en plus tout ce qui orchestre ce chant des psaumes.
C’est pourquoi, dans toute la mesure de notre faiblesse humaine, il faut que l’Office Divin soit beau. Je sais bien qu’il y a des limites et que ces limites sont parfois très étroites. Mais ça ne fait rien, à l’intérieur de ces limites il faut que ce soit beau parce que cela monte d’un cœur qui a soif de pureté, qui tend vers la pureté, qui s’ouvre à la puissance transfiguratrice de l’Esprit Saint.
Et c’est pourquoi c’est beau ! Et ça va aussi se traduire, s’exprimer dans une beauté concrète. Et c’est ce que nous nous efforçons de faire avec des hauts et des bas. Mais malgré tout, je suis certain que Dieu, voyant notre bonne volonté, trouve que c’est beau !
Il s’agit donc ici non seulement du chant de la création matérielle, mais aussi toute cette partie du cosmos qui est l’humanité : les hommes qui doivent travailler, les hommes avec leurs joies, les hommes avec leurs peines. Tout cet ensemble monte, forme une hymne.
Il y a là des lamentations, il y a des appels au secours, il peut même y avoir des révoltes et des malédictions. Mais non, tout cet ensemble, c’est le chant du cosmos et nous en sommes l’organe.
Eh bien nous autres, toutes ces peines, nous les laissons retentir en nous. Nous ne sommes pas ici de vieux garçons qui se tiennent à l’abri de la misère des autres. Non, n’est-ce pas, nous sommes – je dirais – le réceptacle de toutes ces souffrances comme le Christ l’a été mais à notre petite mesure - mais malgré tout, toujours Lui en nous pour les prendre en nous – et puis voilà, les offrir telles qu’elles sont sans essayer de comprendre.
Si bien, mes frères, que pour Saint Benoît, le moine est un louangeur de Dieu par toute sa vie. Car il n’est pas possible d’être aussi sensible aux peines du monde, et aux joies du monde, et aux appels du monde si l’être entier n’est pas ouverture, si l’être entier n’est pas décrispation, s’il n’est pas toujours tendu vers l’autre.
Donc je vis décentré. Il faut avoir quitté son égoïsme pour trouver sa véritable source de vie ailleurs de soi, chez Dieu, chez le Christ, dans les hommes. Nous sommes solidaires de tous.
Le moine est le contraire du repliement sur soi, il est dilatation. C’est le mot qu’utilise d’ailleurs Saint Benoît, dilatatio corde, Pr 114. Le cœur se dilate sans fin. Donc le moine par toute sa vie bien concrète est un louangeur de Dieu, par les pensées secrètes de son cœur.
Tout ce qui n’est pas juste, tout ce qui n’est pas bon, tout ce qui n’est pas pur, tout ce qui n’est pas amour, tout ça il l’écarte. Il ne permet pas que ça entre à l’intérieur et surtout, il ne permet pas que ça prenne source à l’intérieur du cœur. Donc, il aspire au moment où le cœur sera parfaitement pur et ça, dans le secret, dans les pensées secrètes de son cœur.
Alors, par son agir au service des frères, oui c’est ça, au service à l’intérieur de son emploi mais aussi à l’occasion quand on voit une petite chose qu’il faut faire. Oui, ne pas avoir peur, quand ce serait de ramasser une peluche qui est par terre. Je sais qu’il y en a. Je ne vais pas citer son nom, mais il y en a un ici qui sait faire ça, des petites chose, voyez, des petites histoires ainsi au service des frères par son agir.
Et puis alors par ses paroles, non pas jeter de l’huile sur le feu, mais des paroles de charité, des paroles de dédramatisation, des paroles de concorde, des paroles de paix. Eh bien tout ça, ça permet au moine d’être de plus en plus un louangeur de Dieu. Si bien que le chant de ses lèvres devient l’expression de ce qu’il est dans les profondeurs.
Et alors comme ça, il s’efforce d’être toujours de mieux en mieux dans le réel bien concret, ce petit morceau d’univers qui est relié à Dieu à travers la personne du Christ, ce petit morceau d’univers qui est comme une fleur qui boit la beauté et la puissance de l’Esprit Saint. Mais à ce moment-là, il réalise sa vocation. Il est à sa place dans le monastère et il a une mission irremplaçable, indispensable à remplir pour le Salut du monde.
Mes frères,
Il est beau et il est encourageant d’explorer la Tradition sur laquelle Saint Benoît a édifié sa Règle. Nous allons ce matin, si vous le voulez bien, rencontrer un certain Abba Longin. C’était un homme certainement de grand discernement car à l’exemple de l’Abba Poemen, il est allé consulter un Ancien. Probablement était-ce au début de sa vie monastique ?
Un jour, Abba Longin interrogea Abba Lucius sur trois pensées, disant : « Je veux m’expatrier ! ». Le vieillard lui dit : « Si tu ne domines ta langue, tu ne seras pas un étranger où que tu ailles. Domine donc ici ta langue et tu seras un étranger ! »
Il lui dit encore : « Je veux jeûner ». ( C’est vraiment la ferveur du novice !). Le vieillard répondit : « Essaie ! Si tu courbes ton cou comme un lien et un jonc, mais cela ne s’appelle pas le jeûne, je l’accepte. Mais plutôt, domine tes mauvaises pensées ! »
Il lui dit une troisième fois : « Je veux fuir les hommes ! ». Le vieillard répondit : « Si d’abord tu n’as pas vécu droitement avec les hommes, tu ne pourras étant solitaire vivre droitement ».
Nous allons, mes frères, réfléchir quelques instants sur la première des trois pensées qui tourmentaient notre Abba Longin. Il voulait s’expatrier c’est à dire partir au loin, quitter sa communauté, être dans une région inconnue où il ne serait pas connu et là, pouvoir vivre en étranger.
C’est ce qu’avait fait, si vous vous en souvenez, Abba Pinufius dont Cassien dans la quatrième de ses présentations de la vie monastique nous raconte les aventures. Mais attention ! Pinufius était un saint, ce n’était pas un débutant.
S’expatrier, vivre en étranger plutôt, c’est la vertu monastique par excellence, à savoir la xenitea. Nous sommes de étrangers de passage, nous dit l’Apôtre, nous n’avons pas ici de demeure permanente. Nous ne devons pas nous incruster dans des attitudes. Notre cœur doit rester libre et tendre vers la patrie qui nous attend. C’est cela la xenitea, le fait de vivre en étranger là où on est. On ne s’attache à rien, le cœur reste libre. Mais comment faire ?
Longin s’imaginait que en allant au loin, il lui serait possible de vivre en étranger ? Oui, peut-être bien ? Surtout si on ne connaît pas la langue, on ne connaît pas la Culture, on est tout a fait dépaysé. Oui, on va être un étranger quelques temps du moins. Mais est-ce cela la xenitea ?
Non, dit Abba Lucius qui a l’expérience : « Maîtrise ta langue et tu pourras pratiquer sur place la xenitea ! Tu pourras être un étranger là où tu te trouves déjà maintenant ».
Maîtriser sa langue, c’est d’abord éviter la curiosité. Il n’est pas possible de maîtriser sa langue si d’abord on ne maîtrise pas ses oreilles et ses yeux, si je vis toujours au-dessus d’un observatoire regardant tout, observant tout, remarquant tout, commentant tout.
Si j’ai là au-dessus des oreilles pour tout entendre, tout enregistrer, à ce moment-là je ne pourrais pas maîtriser ma langue. Il faudra tôt ou tard que ça sorte, que je partage comme on dit aujourd’hui. Et attention ! Ce ne sera pas un partage spirituel, ce sera bien autre.
Le moine est un homme qui vit ailleurs. Il vit dans l’univers de Dieu avec le Christ ressuscité. Et dans la lumière qu’est le Christ ressuscité, petit à petit son cœur se transforme. La curiosité s’éloigne de lui, ça ne l’intéresse plus. Il voit, il voit quelque chose qui le séduit de plus en plus et qui le distrait de tout le reste.
Mais cette, cette abstraction du milieu environnant dans ce qu’il pourrait avoir de distrayant n’empêche pas la charité. Loin de là, on ne tombe pas dans l’indifférence. Non, on entre dans l’humilité. On est à sa place devant Dieu, à sa place devant les autres et on connaît, on pratique une charité d’une grande délicatesse.
Et cela, c’est le fruit de cette xenitea qui, comme le dit Abba Lucius, on ne peut pratiquer que si on domine sa langue. Donc voilà, il faut vraiment bien être dans sa peau et ne pas avoir besoin ni de curiosité, ni de racontars.
Il y a un exemple vraiment qui est rapporté tel quel et qui a trait à Evagre le Pontique. Vous connaissez Evagre, il était dans le désert des cellules dont le prêtre était Macaire d’Alexandrie.
Il y eu un jour aux cellules une assemblée sur une affaire quelconque et Abba Evagre prit la parole. Le Prêtre lui dit : « Nous savons, Abba, que si tu vivais dans ton pays ( c’est-à-dire là-bas quelque part en Cappadoce ) tu serais vraisemblablement quelqu’un et le chef d’un grand nombre. Et voici que maintenant, tu sièges ici comme un étranger.
Oui, nous t’avons accueilli. Tu es un grand personnage dans ton pays et tu serais certainement devenu Evêque. Mais voilà, nous t’avons accueilli ici comme un étranger que tu es et tu dois rester étranger. Tu dois rester à ta place ! Et écoutez maintenant :
Evagre, rempli de componction, ne se troubla pourtant point, mais il tourna la tête et lui répondit. ( Il tourna la tête vers le Président, vers le Prêtre ). C’est vrai, Père, pourtant j’ai parlé une fois et je n’en ajouterai pas une seconde.
C’est la réponse de Job à Dieu quand Dieu le remet à sa place. Eh bien j’ai parlé une fois et je n’en ajouterai pas une seconde ! Vous voyez, c’est ça ! Ici, cela a échappé à Evagre. Le Prêtre, c’est-à-dire son Père spirituel lui en a fait la remarque devant tout le monde. Evagre ne se trouble même pas. Evagre ne se trouble même pas. Il dit : « ‘est vrai, j’ai parlé une fois mais ça ne m’arrivera plus. Je pratique la xenitea jusqu’au bout.
Frères et sœurs,
Le fil conducteur qui traverse aujourd’hui la Parole de Dieu, c’est le Salut par la Foi. Mais que faut-il entendre par le Salut ? Il nous est dit qu’il est une délivrance, une délivrance d’ennemis sans pitié, une délivrance de la bêtise et du mal, une délivrance de l’injustice omniprésente.
Le salut, c’est le surgissement d’un monde où chacun pourra enfin respirer librement ; un monde où régneront la concorde, le respect mutuel, la justice, l’entraide ; un monde où on n’entendra plus ni pleurs ni gémissements, ni cris, ni détresses ; un monde où toutes les larmes seront définitivement exclues.
Frères et sœurs, tout vrai chrétien travaille à l’avènement de ce monde. Mais entendons-nous bien, il y travaille d’abord et surtout en travaillant à sa propre conversion. Et pour y parvenir, il s’appuie sur la foi en Dieu qui est amour, sur la présence du Christ ressuscité d’entre les morts. Ce n’est pas un travail simple !
C’est un travail qui saisit toute notre vie jusqu’au plus intime de notre être, c’est un travail qui est un retournement de notre vision. Nous devons implorer sans cesse le Seigneur qu’il nous donne ses propres yeux, ses propres oreilles, son propre cœur afin que nous puissions tous et chacun être réverbération de ce qu’il est.
Et alors, la justice s’installera sur la terre et nous serons dans un monde où enfin il sera possible de respirer.
Mais ne nous faisons pas d’illusions ! Chacun pour sa part doit revivre l’aventure d’Israël : une marche épuisante dans un désert sans fin, l’arrivée à un point de faiblesse extrême. C’est cela qu’en hébreux signifie refidîm. Les mains n’ont plus de force, refidîm.
Et alors, il faut subir les assauts d’ennemis cruels : des ennemis qui sont en nous, des passions déchaînées ; les ennemis qui sont alentours de nous, tous les démons cachés. Et un jour nous découvrons que nous sommes démunis de tout même si nos coffres sont pleins d’argent.
En face, des forces sont postées qui cherchent à nous engloutir, des forces qui ne respectent rien ni personne. Nous sommes sans secours comme l’aveugle, seuls, perdus, noyés dans une injustice.
Encore une fois, frères et sœurs, prenons-en conscience ! Ces puissances maléfiques, elles sont en nous. Elles sont dans notre cœur, dans notre chair, dans notre esprit. Elles nous conduisent là où nous ne voudrions jamais aller. Le bien que je veux, il ne m’est pas possible de le faire, disait déjà l’Apôtre, et le mal qui me répugne, voilà ce que je fais!
Le salut, la délivrance, la victoire sont dans la foi en celui qui a donné sa vie pour nous. Mais encore, qu’est-ce que la foi ? Ce n’est pas seulement l’adhésion à un crédo, elle est bien autre chose. Il s’agit de rester fermement accroché à Dieu, accroché au Christ ressuscité, accroché à la fine pointe de notre ..?… Le monde nouveau, le monde de lumière, c’est Lui et rien que Lui !
Les .. ? .. .. ? .. crier vers lui, le suivre où il nous conduit, c’est accueillir en soi sa propre vie, c’est devenir ce qu’il est, c’est chasser le mal de notre cœur, c’est entrer dans la vérité qui rend libre.
Les mains de Moïse sont restées fermes, solides jusqu’au coucher du soleil. La veuve n’a pas cessé d’exiger son droit. Et nous-mêmes, frères et sœurs, nous ne devons .. ? .. ni jour, ni nuit, jusqu’à ce que le Christ nous ait fait justice, qu’il nous ait délivrés de nos démons, qu’il ait fait de nous des flambeaux de lumière, des foyers d’amour, des centres de justice.
Vous savez, il existe une justice qui va plus loin que la justice. Et cette justice-là, c’est l’amour. Gardons-nous de porter des jugements hâtifs. Dieu est amour et sa justice, il nous l’offre. Nous devons la prendre en nous et, à ce moment-là, il y aura dans le monde quelque chose qui aura changé.
Ce sera nous d’abord et, autour de nous, dans notre cercle familial, dans notre cercle professionnel, le cercle de notre communauté monastique, de notre communauté familiale ou chrétienne.
Frères et sœurs, il faut que le Fils de l’homme trouve en nous cette foi qu’il attend et qui force l’impossible. Il a terminé sa parabole sur cette question : « Mais le Fils de l’homme quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?
Nous devons lui répondre, il est ici présent parmi nous : « Oui, cette foi, tu la trouveras, elle est déjà dans mon cœur. Mais je t ‘en prie, nourris-la, fortifie-la pour qu’elle devienne cette foi que tu attends !
Frères et sœurs, quand il en sera ainsi, nous serons pour les autres les témoins du Salut, les témoins du nouveau monde déjà présent.
Amen.
Mes frères,
Je voudrais revenir sur l’épisode du combat mené par Israël contre Amaleq. Il nous a été rappelé hier au cours de l’Eucharistie. La traduction française est belle, mais elle laisse échapper une foule de nuances qui se trouvent dans le texte original.
Il faut savoir qu’Israël a déjà reçu le don de la manne qui est une nourriture céleste. Il a aussi reçu le don des cailles qui est plutôt une nourriture terrestre. Il a reçu le don d’une eau miraculeuse jaillie du rocher à l’injonction de Moïse. Et le peuple est en route vers le Sinaï où Dieu va conclure avec lui une alliance éternelle.
Et voilà que pour son malheur, il arrive en un lieu maléfique appelé Refidîm. C’est un lieu, comme l’indique le nom, où les mains sont flasques, les mains sont molles, sans vigueur, faibles, engourdies, des mains dont on ne peut presque plus se servir. Et c’est alors qu’Amaleq embusqué près de cet endroit attaque Israël.
Il sait très bien que les mains d’Israël sont devenues inopérantes, inefficaces. Et que va faire Amaleq ? Amaleq veut empêcher Israël d’arriver au Sinaï parce que il sait très bien qu’Israël est un peuple aimé de Dieu. Et ça, il ne peut le supporter.
Amaleq est une sorte de personnage monstrueux, une collectivité qui est l’incarnation vraiment du mal. Amaleq est l’opposé d’Israël, il est l’ennemi juré d’Israël, l’ennemi auquel l’ennemi aura à faire jusqu’à la fin du monde. Il est dit ici que la main posée sur le chrome du Seigneur combat pour le Seigneur contre Amaleq de génération en génération. Amaleq est non seulement l’ennemi d’Israël, mais il est l’ennemi de Dieu.
Ce sont toutes les puissances démoniaques qui ne cessent d’apparaître sous des visages nouveaux. Le dernier en date, un des derniers en date, nous le connaissons, c’est Hitler avec ses hordes qui a voulu, mais là, exterminer Israël. Avant lui, il y en a eu d’autres et toute la collection des pogromes, car Amaleq est tellement puissant qu’il parvient à subordonner des chrétiens.
Donc, à l’intérieur du grand Israël, il est capable de faire surgir des ennemis qui vont s’attaquer à la source, à la racine qui est l’Israël charnel. Rappelons-nous l’Apôtre Paul qui disait : « Attention ! Ce n’est pas toi qui porte les racines, c’est la racine qui te porte ». Donc voilà Amaleq, l’ennemi par excellence d’Israël.
Et Dieu dit à Moïse : « Prends en main le bâton de Dieu et puis va sur la montagne ! ». Et Moïse monte sur la colline. Là au-dessus il surplombe toute la région. Il a en main le bâton de Dieu, donc le fameux bâton qui a fendu la mer, qui a fait sortir l’eau du rocher. C’est le bâton de Dieu.
Ce n’est pas un bâton ordinaire, c’est un bâton que Dieu lui-même a remis à Moïse en signe de la fidélité de Dieu et de la puissance de Dieu qui doit habiter la faiblesse de Moïse qui est un homme de chair comme tous les autres. Moïse ne lâchera pas ce bâton et c’est pourquoi il sera dit de lui qu’il a été trouvé fidèle toujours en face de Dieu.
Et voilà donc Moïse sur la colline. Hour et Aaron l’accompagnent. Et chaque fois que la main de Moïse est dressée – c’est au singulier – avec le bâton, Israël l’emporte. mais si la main de Moïse s’alourdit et vient à baisser, à ce moment-là c’est Amaleq qui l’emporte.
Donc il faut voir la scène : il a le bâton à la main et il ne reste pas immobile. Le bâton n’est pas un bâton magique comme on pourrait le penser, mais c’est un bâton qui porte la puissance de Dieu. Alors avec ce bâton, de loin, Moïse frappe Amaleq. C’est Josué dans la plaine qui combat, mais Josué ne peut rien sans le geste de Moïse qui, avec le bâton de Dieu, frappe Amaleq.
Lorsque Moïse fatigué ne peut plus le faire, Josué n’a plus de pouvoir et c’est Amaleq qui prend le dessus. Alors que fait-on ? Mais on amène une pierre, peut-être une belle pierre ?, et on assied Moïse sur la pierre. Et ils sont là, chacun d’un côté, pour lui tenir non plus cette fois-ci la main qui tient le bâton, mais les deux mains. Donc les deux mains de Moïse cette fois-ci sont levées. Elles sont là !
Et alors, il y a un mot hébreux qui est dit ici et qui n’a pas été repris dans la traduction française. Il a été dit hier qu’il a tenu les mains levées jusqu’au soir. C’est vrai, il les a tenues levées, mais il y a une nuance. Il est dit que les mains de Moïse, elles ont été xxxxx jusqu’à ce que descende le soleil, que le soleil aille se coucher. Cela veut dire que les mains de Moïse sont restées fidèles. C’est le même mot pour dire la fidélité, la foi.
Elles sont restées fidèles, elles sont restées fermes, elles sont restées solides, inébranlables jusqu’à ce que le soleil entre dans sa demeure pour aller se coucher. C’est exactement le contraire des mains flasques, refidîm. Donc, les mains sont flasques, sans force lorsque la foi s’affaiblit, lorsque la foi s’endort, lorsqu’elle s’assoupit. Mais lorsque la foi reste ferme, alors la victoire est assurée.
Donc nous avons ici un double tableau : d’un côté un peuple, tout un peuple qui n’a plus aucune force dans les mains et, de l’autre côté un seul homme, Moïse, qui a une force, la propre force de Dieu dans sa main. Il peut tenir le bâton et l’autre main aussi. Et grâce à ça, grâce à cette puissance qui ne vient pas de soi mais qui vient de Dieu, Israël l’emporte sur Amaleq.
Alors, vous avez ici un rapprochement qui n’est pas innocent. Dans le Canon deux, il est dit que le Christ éleva les mains à l’heure de sa passion. C’est exactement ceci, c’est le rappel de ceci ! Saint Hippolyte, l’auteur de ce Canon, connaissait la Parole de Dieu et y fait une allusion ici.
Donc sur la croix, le Christ a levé les mains. C’est là une divine puissance. Et qui tenait les mains de Moïse ? Eh bien, c’était le bois de la croix. Et ainsi, elles sont restées fermes jusqu’au bout ? Et le bâton, maintenant, qui donne la victoire, c’est le bâton nouveau qui est le bois de la croix.
Donc, c’est par la croix qu’il nous est possible de l’emporter sur Amaleq. Ce n’est pas par nos propres forces, mais c’est en embrassant le mystère de la croix, en laissant cette croix prendre possession de nous, nous métamorphoser, nous investir de la force de Dieu, que nous pouvons l’emporter sur Amaleq.
Et au cours de l’Eucharistie, nous communions à la puissance de cette croix qui porte aussi en elle, et sur elle, la résurrection, celle du Christ, la nôtre et celle de l’univers entier. Vous voyez que tout ça se trouve dans ce petit texte !
Alors pour finir, on a arrêté hier à l’Eucharistie quand Josué a vaincu Amaleq à la pointe de l’épée. Mais alors le texte continue. Le Seigneur dit à Moïse : « Ecris cela en mémorial dans un livre et dit le aux oreilles de Josué ! » et c’est ceci : « car je vais effacer de dessous les cieux la mémoire d’Amaleq ». Donc ça veut dire qu’un jour viendra où Amaleq sera définitivement banni d’en dessous le ciel.
Alors, vous avez là une allusion, enfin une préfiguration de ce combat qui nous est relaté dans l’Apocalypse oµ on voit Amaleq sous la forme de ce monstre, de ce dragon qui devient presque le maître du monde, qui est attaqué par le nouveau Josué qui est Mickaël – qui est comme Dieu – alors il est définitivement vaincu et jeté pour jamais dans l’abîme.
Eh bien, tout ça se trouve en germe ici ! Alors, lorsque le Christ rejoint les disciples d’Emmaüs, il reprenait et il leur expliquait tout ce qui dans les Ecritures le concernait. Et je suis sûr que ce texte-là rappelait ceci parce que c’est transparent !
Et alors, ce n’est pas encore tout ! Voici que Moïse, à ce moment-là, il élève un autel. A cet endroit-là, il construit un autel, un autel sur lequel on offre toujours un sacrifice qui sera, ici, un sacrifice de louanges pour remercier Dieu.
Et il crie à cet autel, il crie. C’est un cri qu’il lance. Il lui crie son nom qui est : le Seigneur est mon étendard ! N’oublions pas le bâton ! Le Seigneur est mon étendard et grâce au Seigneur, eh bien, il est possible de vaincre Amaleq. Et alors il pose la main sur l’autel qui est le trône de Dieu et il dit ce que j’ai rappelé tantôt : « Batailles, guerres pour le Seigneur contre Amaleq de génération en génération !
Voilà, mes frères, nous sommes engagés, nous, dans cette guerre. Il faut bien le savoir. Et le moine, dès l’origine, a été considéré comme un combattant, comme un guerrier, un guerriers contre les démons, contre les démons intérieurs, contre les démons à l’extérieur.
Et ce combat va durer tous les jours de notre vie jusqu’à notre dernier souffle. Mais c’est un combat dont l’issue est assurée, c’est à dire la victoire est assurée parce qu’elle est déjà acquise. Mais c’est notre tour aujourd’hui de combattre.
Et voyez ! Ici, il y avait un seul homme qui a été à l’origine réelle de la victoire. C’était Moïse là au-dessus avec son bâton et son attitude de prière. Et puis la foule qui se battait là-bas dans la plaine. C’est une image qui revient souvent dans la littérature monastique. Le moine est aussi un Moïse qui se tient sur la montagne tandis que le peuple de Dieu, lui, il combat dans la plaine contre les hordes démoniaques.
Donc notre mission, elle est bien réelle. Encore une fois, nous ne sommes pas ici des embusqués, des planqués, ni des bourgeois. Non, nous sommes des combattants et nous devons prendre tous les moyens pour l’emporter. Et les moyens, c’est la foi et puis un invincible amour.
Mes frères,
Aujourd’hui, nous voyons Saint Benoît dire que notre esprit doit concorder avec notre voix lorsque nous sommes debout pour la psalmodie, 19,12. Est-ce que on était toujours debout à cette époque-là ? Peut-être bien qu’on ne s’asseyait que pour écouter les lectures ? A un autre endroit, il parle aussi d’être debout, dans le même chapitre. Enfin n’en restons pas là . Ils étaient sans doute des hommes d’une autre carrure que la nôtre.
Mais que veut dire ce mens nostra concordet voci nostrae, 19,12, que notre esprit concorde avec notre voix ? Ce n’est pas tellement facile à comprendre. Mais ce qui est certain, c'est qu’il a emprunté – peut-être pas l’expression elle-même mais du moins l’esprit de cette expression – il l’a emprunté à Evagre le Pontique.
Connaissait-il Evagre ? Très probablement puisque les traductions latines circulaient déjà. Il connaît les apophtegmes, Saint Benoît et le tout tout premier auteur des apophtegmes, quelques apophtegmes au moins, c’est d’Evagre.
On peut voir les choses, du moins comme moi je les sens, comme deux cœurs qui vibrent à l’unisson. L’un est le mens, le nus en grec, l’esprit comme c’est traduit ici et le second, c’est la voix. Ils vibrent tous les deux à l’unisson. L’extérieur, donc la voix, est l’expression parfaite de l’intérieur, c’est à dire du mens, du nus. C’est cela qui constitue la vérité d’un homme de Dieu. Un homme de Dieu est vrai lorsque l’extérieur est l’expression de l’intérieur.
On traduit le mot latin mens qui rend le grec nus, on le traduit par esprit. Mais c’est beaucoup plus que ça. C’est le centre le plus profond du cœur, c’est le cœur du cœur. C’est là que se décide les choses et c’est à partir de là qu’on est jugé. Et il faut que cette profondeur où se situe notre être profond soit en accord avec ce que les autres observent de nous à partir de l’extérieur. Et ce sera ici au moment de la psalmodie : notre voix doit traduire ce qui se passe en nous.
Attention ! Cela ne veut pas dire qu’on n’ait pas le droit d’avoir des distractions. Il s’agit d’autre chose que cela. Il n’est pas possible de ne pas avoir de distractions parce que nous sommes des êtres de chair.
Nous sommes dépendants de tellement de facteurs émotionnels, de facteurs de digestion, de facteurs de fatigues, de toutes sortes de choses qui font que à un moment donné, voilà, nous sommes partis, nous divaguons et ça devient incontrôlable.
Si on voulait absolument contrôler, mais après un certain temps je crois que on pourrait, on devrait nous soigner. Il y aurait une telle tension qu’il arriverait un accident.
Voici ce que Evagre le Pontique dit : « Si ton esprit divague encore au temps de la prière, c’est qu’il ne prie pas encore en moine, mais il est encore du monde occupé à décorer la tente extérieure ». C’est le chapitre quarante troisième de son Traité de l’Oraison. Il y en a cent cinquante trois comme je vous le disais. Ce sont toutes petites sentences pas plus grandes que ça.
Donc si au temps de la prière ton esprit divague encore, eh bien, c’est qu’il ne prie pas encore en moine. Un moine a mis de l’ordre dans ses passions, il a mis de l’ordre à l’intérieur de lui. Il n’y a plus de désordre : on n’est plus influencé par la convoitise, on n’est plus influencé par l’instinct d’agression.
Non, les choses ont été remises en ordre parce que le cœur a été purifié, le nus a été purifié. Alors voilà, on est un moine !
Le mondain, lui ? Pour le mondain, l’extérieur seul est moine. Il s’agit comme Evagre dit ici : « Si ton esprit divague encore, c’est qu’il est encore du monde ! ». Il y a donc deux sortes de moines. Il y a celui qui l’est en vérité parce que à l’intérieur de lui les choses ont été remises en ordre.
Et puis il y a encore un autre type de moines. Ce sont ceux qui soignent leur extérieur, ce sont ceux qu’on voit bien que l’extérieur ne correspond pas à l’intérieur. Cela se fait sans intention perverse mais disons, à la limite, ce serait du pharisaïsme. Il y a là quelque chose de faux.
Si bien que l’homme-moine – cette expression n’est pas de moi, elle est d’Evagre et d’autres avant lui – l’homme-moine évite le péché d’action, tandis que le nus-monacos, l’esprit, le cœur qui est devenu moine, celui-là, il évite le péché de pensée. Donc un homme-moine ne commet pas de péché d’action ; mais celui qui a un cœur moine, celui-là ne commet plus de péché par la pensée. Et pourquoi çà ?
Mais parce qu’il a reçu la grâce de contempler la lumière de la Trinité. Et cette lumière qu’il voit quasi constamment le pénètre, et purifie, et brûle tout à l’intérieur. Donc la pensée, il pense toujours dans la lumière, dans la beauté, dans la vérité ; elle ne peut plus dévier vers des jugements mauvais par exemple, ou bien vers des choses déplacées. Non, elle est toujours dans l’axe de la vérité, toujours, toujours.
Et elle ne le fait pas exprès, c’est parce que c’est la Trinité qui l’y maintient. Et ça, c’est le degré suprême de vérité qu’on puisse atteindre ici-bas. A ce moment-là, le moine est devenu un autre Christ et il est prêt à parler, à souffrir et à mourir pour les autres. Cela devient un réflexe, oui, ça devient un véritable réflexe. Ce n’est plus quelque chose qu’on doit s’imposer par un effort de volonté, ça se fait tout seul. Et Saint Benoît le dit aussi, quasi naturaliter, comme si c’était naturel !
Alors, dans un cas pareil, le Christ donc a pris possession de cet homme et c’est le Christ qui prie les psaumes dans cet homme, le Christ qui a été fait péché pour nous, et puis le Christ total, le grand Corps du Christ qui est tout à la fois pécheur et saint.
Donc, mes frères, pour contrôler l’authenticité de notre prière, il ne faut rien prononcer qu’on ne vive ! Mais alors on pourrait dire : dans ces conditions-là, on n’a plus qu’à se taire en attendant d’être devenu un saint. Mais non, je pense que pour ça, il faut tout de même continuer à chanter les psaumes ou à les réciter mais avec une dose supplémentaire d’humilité, en attendant que vraiment on ait reçu la grâce d’un cœur pur ; ce cœur pur qui alors va pouvoir rayonner à travers la chair à tel point que ce qui se voit à l’extérieur, ce qui ‘entend à l’extérieur soit l’écho parfait de ce qui se passe à l’intérieur.
Oui, c’est ça ! Ce n’est pas difficile, c’est extrêmement facile mais, c’est un cadeau à recevoir. Il faut donc se mettre dans ces dispositions-là. Et en attendant qu’on l’ait reçu, eh bien, il faut réciter les psaumes de son mieux, en se disant que si Dieu nous a appelés à cette mission, il nous accordera un jour la grâce de nous en acquitter parfaitement.
Mais attention tout de même de ne pas être des hommes, comme le dit encore Evagre, occupés à décorer la tente extérieure ? Donc ça veut dire que pendant l’Office, en fait on n’est pas là. On pense à toutes sortes de choses. Ce n’est pas de la distraction : cette fois-ci, on combine, on fera cela, et encore ceci ; et puis un tel, c’est un faux ; vous voyez !
Mais pour ce qui est de l’extérieur, on est parfait. On est occupé à décorer la tente extérieure. On s’occupe de toutes sortes de choses qui n’ont rien à faire avec la vie monastique. C’est ça qu’il veut dire. On est, on prie en étant encore du monde. On s’occupe et on se conduit comme un homme du monde mais sous un habit de moine.
Voilà, mes frères, demandons à Dieu de nous délivrer de ces pièges et de nous accorder d’avoir, comme les anciens avaient, un esprit, un cœur qui soient vraiment moine.
Mes frères,
En parcourant tout à l’heure ce Chapitre vingt et unième de notre Règle, j’ai été frappé par une constatation et je vous en fait part ce soir. Car ceci est une déformation vicieuse que Saint Benoît semble redouter par-dessus tout. C’est l’orgueil, la superbia, la superbe. C’est le vice par lequel on s’estime supérieur aux autres. On est, comme on dit, un super ! On le croit dans son cœur et on le traduit dans ses actes.
Saint Benoît parle à neuf reprises de l’orgueil dans sa Règle et, chaque fois pour le réprouver. Il en parle à quatre reprises rien que pour le Prieur comme si c’était cet homme qui était le plus en péril dans la communauté. Et aujourd’hui, il y fait allusion à propos des Doyens. Mais pourquoi Saint Benoît a-t-il tellement peur de l’orgueil ?
Eh bien, mes frères, c’est parce que le substantif moine et le qualificatif orgueilleux sont absolument incompatibles. Un moine orgueilleux, donc un moine qui est tombé dans les filets de l’orgueil, il n’est plus rien du tout, c’est une nullité. Les deux s’annulent ou plutôt, l’orgueil détruit le moine. Il en fait un mondain.
Nous avons vu Evagre, il y a quelques jours, qui parlait du cœur-moine et puis aussi du moine qui est en train de soigner son extérieur parce qu’il est encore du monde. L’orgueilleux, lui, s’y connaît pour soigner son extérieur. C’est tellement vrai que l’Abbé lui-même peut tomber dans le piège et se laisser prendre aux filets de l’orgueilleux.
Pourquoi un orgueilleux est-il un mondain ? Eh bien, c’est parce que dans le monde, c’est dans le monde qu’on domine les autres. On est rempli de sa propre valeur, on est au-dessus de tous et alors, on toise tout le monde du regard. On écrase les autres de mépris, puis on les traite comme des objets et on ne les aime pas.
Mes frères, l’orgueil asphyxie le cœur parce qu’il le rend incapable d’aimer. Il rend impossible toute relation fraternelle normale. Saint Paul nous dit que nous devons porter les fardeaux les un des autres. C’est ça la vie chrétienne ! L’orgueilleux, lui, refuse de porter le fardeau des autres et il s’arrange même pour que les autres portent ses propres fardeaux. Et ainsi il est libre, du moins il lui semble être libre.
Saint Bernard a décrit les degrés de l’orgueil. Vous pouvez toujours aller voir ce qu’il en dit. Vous verrez que on descend dans l’orgueil comme on monte dans l’humilité. Il y a des degrés. Et voici qu’un Doyen peut lui aussi s’enfler d’orgueil. C’est le mot qu’utilise Saint Benoît, inflatus superbia, 21,12. Vraiment il est gonflé, enflé d’orgueil !
Voici donc un moine qui s’est enflé d’orgueil. Et pourtant – c’est là, mes frères, le paradoxe – pourtant il a été choisi, comme le dit Saint Benoît, pour sa bonne réputation dans la communauté, pour la sainteté de sa conversatio, 21,4, donc la sainteté de son agir monastique. Sa façon de se tenir en communauté, elle est sainte. Il a été chois pour le mérite de sa vie et pour la sagesse de sa doctrine, 21,10. Que voulez-vous de mieux ?
L’Abbé peut faire confiance à un tel homme. Il peut, comme le dit Saint Benoît, partager avec lui en toute sécurité son fardeau, 21,8. Voilà donc, mes frères, l’homme qui a été choisi pour être Doyen. Je pense que Saint Benoît ne pouvait presque pas faire autrement. Eh bien, toutes ces qualités ne mettent pas à l’abri de la superbe.
Peut-on dire alors que ces qualités y prédisposent et qu’il est préférable de ne pas les avoir pour ne pas devenir orgueilleux ? Elles n’y disposent pas nécessairement car c’est un d’entre eux seulement qui s’est enflé de superbe ; les autres pas. Un est tombé, les autres pas ; un est tombé, les autres sont restés debout. Il n’y a donc pas une relation entre les deux.
Mais n’oublions pas que l’orgueil est le péché angélique par excellence. La Théologie à la suite de la Tradition nous dit que les anges, certains anges dont leur chef, celui qui était porteur de la lumière, ils sont tombés dans l’orgueil. Et du coup, ils ont été déchus de leur qualité. Donc, une vie monastique parfaite ne met pas à l’abri de la chute.
Je pense que nous pouvons tirer de ce constat une triple conclusion :
D’abord, mes frères, nous tenir sur nos gardes dans l’emploi qui nous est confié. Saint Benoît parle aussi de cela à propos d’un frère auquel on a permis d’exercer dans le monastère des compétences qu’il possédait dans le monde. 57. Et voilà que lui aussi il commence à s’enorgueillir. Je rapporte quelque chose au monastère. Eh bien, Saint Benoît, pour ne pas que le mal s’aggrave chez ce frère, il le retire de l’emploi confié. Il fera la même chose avec le Doyen. Il fera la même chose avec le Prieur.
Alors, mes frères, nous devons plus que jamais cultiver la vigilance, la prière, l’humilité. Et comment peut-on cultiver l’humilité ? Eh bien, en portant sur les autres un regard de bienveillance, en admirant lorsqu’ils ont fait quelque chose de bien, en fermant pudiquement les yeux du cœur lorsqu’ils font quelque chose de répréhensible.
En veillant ainsi sur notre cœur, en le gardant toujours dans la ligne de ce que Dieu attend de ses disciples, nous nous tiendrons ainsi à l’abri de l’orgueil parce que nous resterons à notre place.
Une seconde conclusion, mes frères, c’est que l’Abbé peut se tromper dans son choix. Il n’a pas percé le fond du cœur. Il ne le pourrait pas d’ailleurs. Dieu seul peut aller jusqu’au tréfonds du cœur de l’homme. Et puis, il peut toujours avoir, il a une magnifique référence pour se consoler. C’est que le Christ lui-même s’est trompé. Parmi les douze, il en a choisi un qui s’est aussi enflé d’orgueil et est tombé. Si le Fils de Dieu a été jusque là, pourquoi pas son vicaire dans le monastère ?
Et enfin, mes frères, nous pouvons conclure aussi ceci : c’est que l’Abbé, le tout premier, doit se tenir à l’écart de l’orgueil. Et cela, pour lui, je pense que c’est son premier devoir. Comme Saint Benoît le lui dit, il n’est pas venu ici pour commander aux autres en tyran, mais il est venu pour se mettre aux pieds des frères et les servir chacun.
Peut-être qu’une des plus grandes catastrophes qui puisse se présenter, ce serait de tomber sur un Abbé orgueilleux ? Parce que alors, vraiment on serait en face du néant, et d’un néant satanique, dangereux. Je n’en connais pas. A moins que l’un ou l’autre d’entre vous ne pense que celui qui parle là, il ne se connaît pas lui-même. Il ferait mieux de se regarder !
Mais enfin tout de même, mes frères, je dois être, comme je le dis, le tout premier à me tenir à l’abri de ce malheur, car vraiment c’est un malheur. Et c’est pourquoi nous devons prier les uns pour les autres pour que jamais cela nous arrive !
Il n’est pas nécessaire d’être Prieur, il n’est pas nécessaire d’être Doyen, on peut n’avoir qu’un petit emploi dans la communauté, et alors au souffle de l’orgueil, on n’est plus rien. Donc, prions les uns pour les autres pour que jamais cela nous arrive !
Mes frères,
Cette semaine, nous allons célébrer le jour des morts. Pour nous y préparer, je vais vous présenter ce matin un apophtegme d’Abba Agathon, dont le nom signifie le bon. Ce moine était contemporain de Poemen à Scété. Il est connu dans la Tradition pour sa maturité spirituelle.
Il était rempli de crainte de Dieu et d’humilité : les deux vont de pair. Il était aussi connu pour la délicatesse de sa conscience et sa charité exemplaire. Nous en aurons bientôt un exemple. Son discernement des vraies valeurs était aussi connu et apprécié. Il est un des Pères du désert le plus attachant et il a eu de nombreux disciples. Pourtant, il était un des plus jeunes parmi eux.
Voici l’apophtegme dont je veux vous parler. Il porte le numéro vingt-neuf. C’est un des récits les plus beaux et les plus véridiques que nous ait laissé l’antiquité monastique de la mort d’un saint. Nous entendrons aussi ses dernières paroles que nous recueillerons avec foi.
On disait d’Abba Agathon qu’il s’empressait d’accomplir tout commandement. Quand il montait en barque, il était le premier à se saisir de la rame. Des frères venaient-ils chez lui, sitôt la prière faite, il mettait la table de ses propres mains. Il était en effet rempli d’amour de Dieu.
Il prenait sur lui le labeur, il ne le laissait pas aux autres. Il était venu au monde, il était venu au désert non pas pour être servi, mais pour servir. Et ainsi, il suivait son Maître le Christ.
Sur le point de mourir, il resta trois jours les yeux ouverts et immobiles. Les frères le secouèrent en disant : « Abba Agathon, où es-tu ? ». Ils s’inquiètent ! Il leur dit : « Je me tiens devant le tribunal de Dieu ». Ils lui dirent : « Comment, toi aussi tu as peur, Père ? ». « Assurément, leur répondit-il, j’ai fait tout mon possible pour garder les commandements de Dieu. Mais je suis un homme. Comment savoir si mon œuvre a plu à Dieu ? ».
Les frères lui dirent : « N’as-tu pas conscience que ton œuvre est selon Dieu ? ». Le vieillard répondit : « Je ne serai tranquille que lorsque j’aurai paru devant Dieu, car autre est le jugement de Dieu, autre est celui des hommes.
Voici donc un saint qui a peur à l’heure de la mort. Attention ! Il n’a pas peur de la mort, mais il craint la sentence que va rendre Dieu au sujet de son œuvre, au sujet de son labeur, au sujet de sa vie. Et comment peut-on savoir si notre œuvre est selon Dieu ? Car, comme le dit Agathon, le jugement de Dieu est tout autre que le jugement de l’homme. Donc Dieu seul peut dire si ce que j’ai fait est selon ce qu’il attendait, ou bien si j’ai encore trop cédé aux regards des hommes. Donc, agissant non pas purement comme Dieu l’attend de moi, mais ayant toujours crainte du jugement que les hommes vont porter sur moi, donc ornant encore l’homme extérieur.. Voilà donc Agathon, mais ce n’est pas tout !
Comme ils voulaient lui poser encore une autre question, il leur dit : « Par charité, ne me parlez plus car je suis occupé ! ». Et il mourut dans la joie. On le vit s’en aller comme un homme qui fait ses adieux à ses amis et à ceux qu’il aime. Il avait toujours eu une grande vigilance en toutes choses et il disait : « Sans une grande vigilance, l’homme ne progresse pas, pas même en une seule vertu ! ».
Il avait peur à l’heure de mourir et il est mort dans la joie ? La peur n’était pas la terreur, mais elle naissait de l’humilité. Il se tenait devant Dieu et, devant Dieu, il savait qui il était. Il était une créature toute simple qui n’avait de force et de vertu que ce que Dieu lui avait donné.
Et maintenant, il devait restituer à Dieu les dons qu’il avait reçu et, il devait les restituer avec les intérêts. Agathon était un peu comme le serviteur auquel Dieu fait rendre compte au sujet de l’argent qu’il lui a confié avant de partir en voyage. Il a fait son possible, mais est-ce suffisant ?
Pendant le silence qu’il a gardé – par charité, dit-il aux frères, ne me parlez plus car je suis occupé ! » - il a entendu Dieu lui dire qu’il était un bon et fidèle serviteur et qu’il l’accueillait dans son repos, dans sa joie. C’est pourquoi Agathon meurt dans la joie.
Puis un détail encore très beau, c’est peut-être le plus beau : on le vit s’en aller comme un homme qui fait ses adieux à ses amis et à ceux qu’il aime.
Et c’est un réconfort pour tous car il fait ses adieux à ceux qui restent là et, il leur dit ainsi qu’il les attend, qu’il va leur préparer une place, qu’il les aime et qu’il ne les laisse pas tomber ; mais que déjà, il les prend avec lui dans son cœur auprès de Dieu ; et que là où il est, là aussi seront ceux qu’il aime.
Agathon a donc imité le Christ dans sa mort comme dans sa vie. Ou plutôt, pour être plus précis et davantage dans la vérité, il a permis au Christ de vivre, de revivre en lui tout son mystère.
Mais voilà, mes frères, nous pourrons peut-être nous rappeler cet apophtegme lorsque nous prierons pour nos défunts. Et nous demanderons au Seigneur la grâce d’une belle mort. Lorsque Saint Benoît dit que le moine doit avoir chaque jour la mort sous les yeux, 4,55, c’est entre autre pour implorer la faveur de mourir comme mourut Agathon, dans la joie.
Mais pour connaître cette joie, il faut la posséder déjà tout au long de sa vie. Non pas une joie exubérante, une joie nerveuse, une joie de la sensibilité, mais cette joie que le Christ a promis à ses disciples lorsqu'il leur disait: « Je vous laisse ma joie comme je vous laisse ma paix ».
Voilà, mes frères, pour qu’il en soit ainsi, permettons au Christ de vivre en nous, confions-nous à son Esprit et, je vous l’assure, nous n’en serons pas déçus !
Mes frères,
Je vais vous souhaiter une heureuse fête de Toussaint : puissiez-vous obtenir un plus profond détachement à l’endroit des choses de ce monde et une ardeur plus puissante à rechercher les choses d’en haut !
La fête de la Toussaint nous rappelle avec vigueur deux vérités capitales sur lesquelles je voudrais m’arrêter brièvement. Nous verrons aussi où nous en sommes par rapport à elles.
La première est que la sainteté n’est pas un état facultatif, un état réservé à une élite privilégiée. Chez Dieu, l’élitisme, le culte d’une élite n’existe pas. Tous les hommes sont pécheurs et tous indistinctement, quel qu’ils soient, sont appelés et conduits à la sainteté.
On a dit que le monde était une machine à fabriquer des saints. Plus théologiquement, plus élégamment, on peut dire que le projet de Dieu vise à diviniser l’homme et, par l’homme, a transfigurer le cosmos.
La sainteté est pour tous et pour chacun. Elle est une route plus ou moins longue, mais le terme est identique pour tous. Nous ne pouvons donc mépriser ni condamner personne car toucher à l’homme, c’est blessé Dieu !
La Toussaint est la fête universelle et déjà la nôtre, et ça, c’est la première vérité sur laquelle nous pouvons méditer aujourd’hui. La sainteté n’est pas facultative, elle est une obligation qui nous est proposée, je ne dirais pas imposée.
Et quand je dis nous, je ne pense pas seulement à notre petite assemblée ici, mais à tous les hommes. La plupart l’ignore ou bien une grande quantité n’y croit pas et disent : c’est pas pour moi ! Non, c’est pour tout le monde.
Maintenant, une seconde évidence est que la sainteté est présente et visible là où se trouve l’amour. Elle est là et nulle part ailleurs. L’amour peut être caché sous des masses de détritus, il peut être occulté par un extérieur peu engageant. Nous n’avons pas le droit de dresser un catalogue de l’amour et de ses manifestations. Si nous le faisions, nous y inscririons nos règles, nos étroitesses, nos tabous.
L’amour est Dieu lui-même et Dieu ne peut être emprisonné dans des frontières. Il faut donc oser croire en la puissante folie de Dieu. Il faut accepter avec joie de faire sauter toutes nos catégories. Je le répète, là où il y a de l’amour, là Dieu est présent et la sainteté est en train de se construire.
Il n’est pas du tout requis d’être inscrit dans le registre de l’Eglise Catholique ou de l’Eglise tout court. Il y a des personnes païennes qui sont possédées par l’amour et qui sont possédées par Dieu. Nous n’avons pas à indiquer à Dieu ses façons de faire. C’est nous qui humblement devons les admirer et nous en inspirer dans notre conduite pratique en accueillant tous les hommes indistinctement et en sachant que en chacun brille une potentia, une puissance qui n’est rien d’autre que Dieu lui-même, Dieu qui est amour.
La Toussaint est la fête du triomphe secret, du triomphe caché de l’amour. C’est pourquoi elle est la fête de l’anonymat, la fête des sans visages, ou encore la fête de tous les visages et de toutes les beautés.
Mes frères, aujourd’hui, si nous pensons à ces deux évidences : que la sainteté n’est pas facultative, et que la sainteté se trouve en germe, ou bien en fleur ou en fruit là où se trouve l’amour, si nous nous laissons pénétrer par ces deux vérités, aujourd’hui nous nous découvrirons plus proches les uns des autres.
Nous sommes enfants de Dieu, nous sommes des saints déjà et nous sommes des frères universels. Voilà, je pense, ce que nous pouvons retenir aujourd’hui. C’est ce petit message que j’ai voulu vous partager. Et croyez-le, il vient de plus haut et de plus loin que moi.
Frères et sœurs,
C’est une grâce de pouvoir célébrer notre rassemblement annuel en la fête de Saint Hubert, l’un des saints le plus populaire de Belgique. Il a été l’évangélisateur de l’Ardenne profonde, nous le savons tous ; et aujourd’hui encore, il veille sur nos régions. Il entend évangéliser et convertir notre cœur. C’est là un travail toujours à reprendre et, il est là affectueusement présent pour nous y aider.
Nous avons en effet sans cesse besoin d’être instruits des mystères de la foi afin de pouvoir mieux aimer, mieux vivre, mieux travailler à l’avènement d’un monde meilleur. Peut-être ne sommes-nous pas assez engagés dans le savoir chrétien, dans la prière, dans la foi, dans l’espérance, dans les œuvres de charité ?
Saint Hubert vient nous redire que nous n’avons pas de demeure permanente ici-bas. Nous sommes sur la terre des êtres de passage. Il nous rappelle que l’essentiel est d’abord de vivre en accord avec les lois de Dieu. Et nous savons que ces lois visent toutes à nous rapprocher les uns des autres, pas seulement nous qui sommes ici réunis, mais nous rapprocher aussi de tous les hommes.
Elles nous aident à pouvoir porter sur eux un regard de bienveillance, à pouvoir les écouter lorsqu’ils sont dans les difficultés, à pouvoir les accueillir lorsqu’ils demandent notre main pour recevoir une aide fraternelle. Ces lois nous rappellent que si nous aimons vraiment, rien jamais ne pourra nous atteindre.
Nous venons de l’entendre, le Seigneur Jésus a guéri un hydropique en lui donnant la main. Remarquons que cet homme ne demandait rien. Simplement, il était placé en face de Jésus, il le regardait, il l’écoutait et, secrètement il l’aimait. Et Jésus qui lit dans le fond des cœurs savait tout cela et, il a aimé cet infirme sans malice.
Et devant tout le monde, quand en principe c’était interdit d’après les lois en vigueur à cette époque, devant tout le monde, il lui a rendu la santé. Comme quoi les lois de Dieu dépassent à l’infini les lois des hommes. N’oublions jamais que l’amour est une justice qui va infiniment plus loin que toute justice. La véritable justice est celle de l’Amour.
Ce que nous devons attendre pour nous-mêmes, c’est le retour à une bonne santé spirituelle. Nous devons redevenir pur, innocent, candide, confiant comme de petits enfants. Alors, comme l’a promis Jésus, le Royaume de Dieu sera pour nous, tout de suite, sans attendre.
Frères et sœurs, que nous dirait Saint Hubert s’il se présentait à nous en cet instant ? Il nous recommanderait de croire en la présence et l’humble puissance du Christ ressuscité des morts. Cette présence est permanente. Si nous pouvions y être suffisamment attentif, notre vie aurait un cours tout autre. Nous deviendrions des océans de paix et, cette paix rayonnerait sur tous.
S’il était maintenant parmi nous, Saint Hubert nous demanderait de faire confiance au Christ ressuscité. Il nous demanderait de suivre son grand commandement qui est de nous aimer les uns les autres comme lui nous a aimés. Il y a donc l’amour qui est, reconnaissons-le, au-delà de nos possibilités humaines.
Mais si nous nous tournons vers le Christ, l’amour qu’il était, il le placera à l’intérieur de notre cœur et nous réussirons notre vie, notre vie spirituelle, notre vie éternelle, mais aussi notre vie tout bonnement humaine.
Frères et sœurs, essayons donc de l’aimer de tout notre cœur, gratuitement, sans arrière pensée, et cela dans nos relations quotidiennes, au cours de notre travail, dans notre famille, dans notre voisinage. Et ainsi une chose merveilleuse se passera : il y aura un petit noyau, une petite cellule du Royaume de Dieu qui sera présente sur notre terre. Car le Royaume de Dieu, c’est cela ! C’est de pouvoir aimer et d’accepter d’être aimé gratuitement, comme je venais de le dire, exactement comme le Christ nous a aimés.
Et mon souhait en cette fête est que grandisse en nous un amour sincère ! Et ainsi, tous ensemble, nous franchirons la porte du bonheur éternel.
Amen.
Mes frères,
Quand on a reçu la grâce de se trouver par la force des choses en marge de la vie communautaire, celui-là sent s’éveiller en lui des prises de conscience qui peuvent être salutaires si on les creuse. Je vais vous en partager l’une ou l’autre.
Que se passe-t-il quand on est projeté ainsi hors des circuits quotidiens ? On a d’abord l’impression que tout ce qui constitue le squelette de notre vie se disloque. On a le sentiment d’un évanouissement qui ne laisse subsister que l’essentiel.
Des questions surgissent auxquelles il faut trouver une réponse qui permette de garder un sens à notre vie, qui puisse fortifier ce sens, qui puisse le faire aimer. Ce qui est certain d’abord, c’est que le relatif se démarque fortement face à l’absolu et ce qui fait … ? … par rapport à ce qui est l’éternel intangible.
Je vais maintenant faire un saut d’ordre cosmique. Remarquons que nous sommes plongés à l’intérieur d’un univers physique, matériel, dont le centre est partout et la circonférence nulle part.
Autrefois, dans l’imaginaire des gens même les plus évolués, quasiment dans leur chair, pour eux, l’univers était puissamment structuré. C’était celui de la Genèse, saint, solide, éternel, immuable. C’était ainsi que les chrétiens du Moyen Age percevaient le cosmos, et encore jusque il n’y a pas tellement longtemps.
Et au cœur de cet univers, il y avait l’Eglise. L’Eglise, un bastion inexpugnable ; l’Eglise omniprésente et régentant absolument tout, depuis les royaumes jusqu’aux consciences. Et on était fier, et on était heureux, et on était comblé d’être membre de cette Eglise car on trouvait en elle la sécurité pour le présent et pour l’avenir.
Aujourd’hui, mes frères, tous les repères ont disparu. Il n’y a pas tellement longtemps, quelques dizaines d’années, après la guerre, les philosophies du néant et de l’angoisse triomphaient partout. Elles ont eu au moins le mérite d’exister. Mais elles étaient encore gentilles, c’était encore une réflexion. Tandis que aujourd’hui, c’est la fuite dans l’étourdissement, dans la violence, dans le plaisir.
On me faisait remarquer dernièrement que les criminels, ceux qui tuent, devenaient de plus en plus jeunes. On trouve des garçons, des filles de douze à treize ans qui tuent leur compagnon, leur compagne de jeu pour un oui, pour un rien.
Et l’Eglise là dedans ? Eh bien, elle est comme perdue. Elle essaie désespérément de sauver quelques débris. Voilà notre univers!
Et lorsque nous voyons des jeunes gens, il en vient ici en retraite parfois, nous devons bien nous dire que c’est cela leur monde. C’est là dedans qu’ils vivent, c’est cela qu’ils perçoivent, c’est à cela qu’ils sont promis, c’est par ces vagues de fond qu’ils sont emportés loin, au-delà de ce que peut-être froidement ils désiraient aller.
Aujourd’hui, par exemple, on me le disait encore, il y a ces grèves d’étudiants partout en Belgique, mais surtout en France. Là, ça dépasse tout pour le moment. Eh bien, des grèves d’étudiants, mais pourquoi ? Mais parce que, non pas parce que l’enseignement ne serait pas de qualité, mais c’est parce qu’il débouche sur rien ! Quand ils auront bien étudié, eh bien, on leur remettra une carte et ils iront pointer. Il n’y a pas de travail. Ils sont dans un monde qui est justement un monde de vertige, un monde de … ? … et il n’y a plus rien devant. Cela angoisse très fort les jeunes. Alors, qu’est-ce qu’il reste ? Eh bien, la violence, le plaisir à tout prix car au moins on a eu quelque chose.
Alors voyez, mes frères, toutes ces réflexions, elles me sont venues pendant ma petite période de retraite. Ce n’est peut-être pas très édifiant ? Mais enfin, c’est ce qui me tombait sous la dent à ce moment-là !
Mais alors, qu’en est-il du monastère et des moines dans ce chaos universel, dans cette débâcle des valeurs ? Eh bien, notre existence, elle n’a plus aucun sens dans le monde contemporain, mais aucun ! Si, elle a encore une valeur économique, la brasserie. Mais à côté de cela, c’est le néant ou presque.
Il reste cependant des nostalgies du passé parmi les trois fois vingt, ou les poètes, ou les artistes. Pour eux, nous sommes un havre de paix et tout n’est pas perdu puisque nous sommes encore là. N’empêche que le monde autour de nous tourne de plus en plus vite et qu’il nous ignore. Vraiment, je pense qu’on doit pouvoir dire que le prince de ce monde l’emporte sur tous les fronts.
Et alors, mes frères, il faut tout de même que nous trouvions notre place dans ce monde, car la vie monastique – et depuis toujours – elle a connu des tempêtes peut-être encore plus terribles que celle d’aujourd’hui ? Mais quelle est donc notre place dans ce tournoiement, dans ce tourbillonnement ?
Eh bien, mes frères, une conviction s’est imposée à moi et je voudrais en toute simplicité vous la partager pour qu’elle vienne peut-être à son temps et être le moteur de notre vie, de la vôtre et de la mienne.
Nous n’avons aucune raison valable au plan de la logique, aucune raison valable de vivre ici, de nous lever en pleine nuit, de chanter des Offices auxquels personne n’assiste. Nous n’avons aucune raison valable d’être ici, sauf une seule, une seule, c’est apprendre à aimer !
Le monastère depuis les origine est une scola caritatis, il est une école où on apprend la science sublime de l’amour. On l’a peut-être trop oublié ? On s’est lancé – je ne pense pas à nous mais au monde monastique en général – on s’est lancé dans toutes sortes de choses, d’activités, et on a perdu de vue que la raison essentielle, la raison unique, la raison uniquement valable d’un monastère, c’est d’être un lieu où on apprend à aimer parce que aimer n’est pas naturel.
Ce qui est naturel, c’est la sympathie et l’antipathie ; ce qui est naturel, c’est le sentiment, c’est le plaisir, c’est la répulsion, c’est la douleur. Tout ça est naturel !
Mais aimer, c’est à dire accueillir l’autre, l’estimer, le respecter, voir en lui la valeur suprême qui est le fait qu’il est là, eh bien, cela n’est pas naturellement possible. Ce doit être appris, c’est le fruit d’une éducation qui est d’ordre naturel, mais surtout d’ordre surnaturel parce que le véritable amour, c’est Dieu en personne. Et Dieu, aujourd’hui, n’a plus le droit de se révéler qu’à travers des personnes qui aiment. Sinon il n’est pas crédible, il n’existe plus !
Eh bien, mes frères, auparavant – encore une réflexion qui m’est venue – auparavant on pouvait dire, et on disait qu’on entrait dans le monastère pour y chercher Dieu, comme Saint Benoît lui-même le dit. Eh bien, on ne peut plus dire cela aujourd’hui, ce n’est plus possible. Pourquoi ? Mais parce que Dieu a disparu du monde des hommes. On ne l’en a pas chassé, il s’est tout bonnement évanoui. Il est devenu moins qu’insignifiant, il n’est plus.
Oui, c’est quelque chose qui peut nous étonner, nous qui sommes ici dans le monastère, qui sommes dans un endroit protégé, un endroit où Dieu est omniprésent, où il est quasi tangible pour notre sensibilité. Mais dans le monde, il n’en est pas ainsi. Là, il y a de tout, tout est là sauf Dieu.
Il faudrait donc forger comme un vocabulaire nouveau qui rejoindrait les aspirations sourdes de l’homme contemporain. Et je pense que l’homme contemporain, malgré toute la désespérance qui est la sienne, malgré la fureur de vivre qui l’habite et qui le projette en tout sens, cet homme est encore sensible à une chose, il est encore sensible au véritable amour.
A ce moment-là, il découvre quelque chose qui est au fond de lui et dont il a absolument besoin, mais qui est hors de sa portée. Si donc nous pouvons dire qu’on entre dans le monastère pour s’initier à la science extraordinaire de l’amour, de pouvoir aimer vraiment, ça il le comprendra.
Il n’est pas nécessaire de faire de la théologie, de lui expliquer mais que l’amour, c’est Dieu, ça va lui échapper. Non, mais qu’il voit des hommes qui savent aimer et aimer jusqu’au bout.
Mes frères, le centre du monde, ce centre dont je vous parlais au début et qui est partout, eh bien le centre du monde, c’est un cœur qui aime, c’est un cœur devenu amour. Car un tel cœur, c’est la présence concrète et salvatrice de Dieu parmi les hommes.
Dieu nous a amenés ici, non pas pour faire de la théologie, ni pour y faire de la bière, ni pour y faire des études sur n’importe quoi, ni pour inventer des produits nouveaux, ni pour gérer des finances. Non, il nous a amenés ici pour une seule et unique raison : faire de nous des témoins de l’amour.
Oui, que notre cœur devienne le centre du cosmos, le centre vital, le centre qui permet à l’univers de tenir et, à travers tous les soubresauts d’évoluer dans la bonne direction.
Voilà, mes frères, à mon avis, c’est cela ! A côté de cela, eh bien, il n’y a rien que du vent. Saint Jean de la Croix disait : « Au soir de la vie, nous serons jugés sur l’amour ». Au soir de la vie, au moment où nous mourrons, tout le reste, absolument tout sera du vent sauf notre pondus amori, sauf le poids d’amour que nous serons devenus.
Eh bien voilà, mes frères, telle est ma conviction et je sais qu’elle est la vérité. Je vous l’ai tout simplement partagée. J’espère qu’elle portera du fruit car nos cœurs sont certainement bien disposés. Mais il est nécessaire de temps à autre de rappeler cette vérité essentielle : le monastère est une école où on apprend a aimer.
Et tout le reste, tout ce que nous faisons, eh bien, c’est comme on dirait du papier, ou une ardoise, ou n’importe quoi grâce auquel nous apprenons cette science de l’amour. Et c’est pourquoi restons toujours des éveillés, ne nous laissons pas séduire par toutes sortes de futilités et nous endormir dans des rêves.
Non, la réalité pour chacun d’entre nous, c’est d’aimer et de grandir sans fin dans cet amour !
Frères et sœurs,
La Parole de Dieu à laquelle nous venons d’ouvrir les portes de notre cœur nous remplit d’une espèce de vertige parce qu’elle nous permet d’entrer dans la réalité la plus secrète de l’être profond de cet homme Jésus, lui que nous n’avons pas connu mais que nous connaissons aujourd’hui parce qu’il est le Roi de l’univers. Il est notre Roi.
Et c’est un homme, ne l’oublions jamais, un homme comme nous qui a connu nos joies, nos peines, nos difficultés, nos malheurs et qui finalement a connu la mort. Mais cette mort, il l’a vaincue et, c’est pourquoi il est définitivement le Roi de l’univers.
L’Apôtre vient de dessiner sous nos yeux le portrait de ce Roi Jésus, l’homme Jésus – j’insiste sur le fait que c’est un homme – Jésus est l’image du Dieu invisible. Dieu, personne ne l’a jamais vu, mais lorsque nous regardons Jésus, nous voyons Dieu. Ce n’est rien d’extraordinaire alors Dieu ? Non, ce n’est rien de fantastique. Dieu est tout simplement l’amour. Et cet amour habite l’homme Jésus et il transparaît à nos yeux.
Jésus est celui auquel tout, absolument tout dans les cieux et sur la terre appartient car tout a été créé par lui, et tout a été créé pour lui. C’est à dire que insensiblement mais infailliblement l’univers entier, quel que soit son expansion, se ramène à un seul objet qui est d’être comme le vis-à-vis de Dieu, le vis-à-vis de l’homme Jésus qui en est le maître et qui en même temps toujours en prend possession.
Tout subsiste en Jésus. Il est le commencement, il est la fin, il est l’aboutissement. Il est le premier né d’entre les morts. Si bien que toute chose a en lui son accomplissement total. Et quand on dit toute chose, c’est d’abord nous. Il nous est impossible de nous accomplir, de nous achever, d’être parfaitement heureux en dehors de lui.
Dans ces conditions, nous comprenons qu’il soit vraiment le Roi de l’univers. Mais il ne l’est pas à la manière d’un roi constitutionnel, un de ces rois que nous connaissons aujourd’hui. Non, il est Roi dans le sens étymologique du mot, c’est à dire qu’il est celui qui dirige tout, celui qui a tout dans sa main. Mais ce sont des mains qui ne sont pas des mains de despote, ce sont les propres mains de l’amour.
Il conduit tout à son terme. Il est Roi parce qu’il métamorphose tout, il transfigure tout, il ne retient rien pour lui ; sa propre beauté, il la projette sur l’univers entier qui est comme la révélation de ce qu’il est. Il ressuscite les morts. Il est le premier né d’entre les morts. Il a voulu passer par le goulot de la mort pour nous dire que au-delà de ce canal, il y a la vie éternelle qui est Lui.
Il est le Roi parce qu’il est le juge des hommes et des anges et qu’il ne laisse rien se perdre. Il l’a dit :« Celui qui aura donné ne fut-ce qu’un verre d’eau à un homme assoiffé, eh bien, ce ne sera pas perdu pour lui ». Il est Roi parce qu’il est l’amour vers qui tout monte et en qui tout se rejoint. L’amour ne disloque pas, l’amour ne détruit pas ; l’amour unit, l’amour construit.
Eh bien, frères et sœurs, Roi, il l’était dans le sein de Marie déjà ; il l’était dans l’étable de Bethléem ; il l’était sur les bancs de l’école à Nazareth ; il l’était dans son atelier de charron ; il l’était sur les routes de Galilée ; il l’était devant Pilate et il l’était quand il mourrait sur la croix.
Cela a duré une bonne trentaine d’années et personne ne se doutait de rien. Il y avait peut-être sa mère ? Il y avait peut-être Joseph ? Il y avait peut-être l’un ou l’autre privilégié qui avait le cœur suffisamment pur que pour reconnaître la réalité de Jésus ? Sinon personne ne savait rien.
Et aujourd’hui, mes frères, qui s’en doute ? Constatons-le, il est comme inexistant. Il demeure lui-même, et pourtant c’est lui le Roi. Une onction de lumière ruisselle de son être et se répand sur chacun de nous. C’est à l’intérieur de cette onction que nous respirons et que nous vivons. C’est par elle que nous somme en voie de résurrection et que nous entrons dans la vie éternelle. Le contemplatif, c’est un homme qui voit cette grandiose réalité et qui en vit. Si les yeux de chaque chrétien pouvaient s’ouvrir à leur tour, le monde en serait métamorphosé.
Béni sois-tu, Père, toi qui a caché cela aux sages et aux savants et l’a révélé aux tous petits ! Voilà ce que Jésus s’est écrié un jour ! C’est pourquoi, frères et sœurs, n’ayons pas peur d’être du côté des petits, des pauvres, des pécheurs. Ce n’est pas aux chefs, ce n’est pas aux théologiens de l’époque que Dieu a révélé qui il était. Il l’a révélé à un bandit, à un condamné à mort crucifié à son côté.
Peut-être est-il nécessaire de toucher le fond de la détresse pour reconnaître en Jésus le Roi qui mystérieusement nous introduit dans un accomplissement infiniment au-delà de nos rêves les plus fous. Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis !
Cette parole, frères et sœurs, elle retentit à nos oreilles aujourd’hui encore. Qu’est-ce que le paradis ? Mais le paradis, c’est la personne du Seigneur Jésus, c’est comme je le disais voici un instant, c’est cette onction de lumière qui rayonne, qui ruisselle de sa personne et à l’intérieur de laquelle nous baignons. Si les yeux de notre cœur s’ouvrent à cette merveille, alors nous sommes réellement avec Jésus dans le paradis.
Il fallait que l’année liturgique se clôtura sur la solennité du Christ Roi de l’univers. Notre vie n’est pas une succession de hasard plus ou moins heureux ou malheureux. Elle est orientée vers un sommet, un sommet qui parfois peut nous paraître gouffre, et un gouffre sans fond.
Notre vie est orientée, elle est guidée, elle est conduite vers un accomplissement inespéré car elle est portée par les yeux d’un homme, d’un homme comme nous ; les yeux d’un homme qui a connu tous les chemins du labeur, de la souffrance et de la mort ; les yeux de l’homme-Jésus ressuscité, Roi de l’univers, Roi dont nous sommes les frères et les sœurs et qui nous prend auprès de lui.
Oui, frères et sœurs, jour après jour, quoi qu’il arrive, nous montons vers une plénitude de vie et l’Eucharistie que nous partageons aujourd’hui en est la promesse et le gage.
Amen.
Mes frères,
Dimanche, je vous ai rappelé que l’unique raison de notre présence dans le monastère était de nous initier à la science sublime de la charité, de l’amour. Hier, la présence de Sainte Thérèse de Lisieux au Carmel de Rochefort nous a, à sa manière, enseigné la même vérité. Thérèse, vous le savez, elle voulait être au cœur de l’Eglise sa mère, l’amour.
Et c’est vrai ! En dehors de l’amour qui est Dieu, il n’existe absolument rien de permanent. Cela se dissipe, cela disparaît, c’est condamné à être emporté comme de la poussière au vent, comme la poussière à laquelle a été réduite la statue qu’admirait et qui inquiétait en même temps Nabuchodonosor.
Il serait peut-être utile de dégager quelques-unes des qualités du véritable amour. Celui-ci n’a rien à faire avec le sentiment même si parfois il peut se manifester à travers lui ; mais en soi, il est infiniment au-delà du sentiment. Il est d’une autre nature car il est de nature divine.
Ces qualités de l’amour étaient bien connues des moines du Moyen Age, des hommes qui édifiaient une cathédrale et qui se croisaient pour partir délivrer le tombeau du Christ. Ces qualités ont été chantées à l’époque par les troubadours et par les saints. Elles se sont incarnées poétiquement dans quelques figures de proue dont la plus remarquable est sans doute celle de Don Quichotte.
C’est peut-être la raison pour laquelle il a sa place quelque part au-dessus de la grand place de Bruxelles. L’autre jour, frère Nicolas m’a demandé : « Mais qui est-ce, çà ? ». C’était Don Quichotte sur rossinante avec à côté de lui Sancho Pança, son inséparable compagnon. Oui, elle est magnifique cette statue, c’est la folie de l’amour qui ne recule devant rien !
Il est impossible d ‘énumérer toutes les qualités de l’amour. Elles sont des étincelles qui jaillissent de l’être même de Dieu et elles sont en nombre infini. Je vais en évoquer l’une ou l’autre au hasard.
La première peut-être et la plus importante est que l’amour est un appel au large ; un appel, non pas de prendre le large, mais un appel au large. Et le premier qui a entendu cet appel, c’est celui qui a mérité d’être le Père des croyants, comme on dit. Va, quitte ton pays, ta terre, la maison de ton Père ! Quitte tout et part pour une terre que je te montrerai ! Et Abraham partit sans savoir où il allait. C’est cela ! Il a entendu un appel au large et il s’en va.
Ce sont des caravanes alors, ce sont des chameaux, ce sont des ânes, c’est du bétail ! Cela ne fait rien, sur l’immensité de la terre, il s’en va, il part et il ne sait pas où il va. Il va voyager ainsi toujours faisant confiance à cet appel qu’il a entendu une fois et dont l’écho ne cesse de résonner dans son cœur. C’est pour ça que Abraham a été dès l’origine vu comme le type même du moine.
C’est vrai ! Aimer, c’est s’embarquer avec un désir fou et une totale confiance. Et nous touchons là le ressort secret de la vocation monastique. Là où ça ne se trouve pas, il peut y avoir une vocation religieuse mais pas une vocation monastique. Je pense que c’est la ligne de clivage qui sépare les deux.
Et s’il n’y plus de vocation monastique aujourd’hui ou quasiment plus, c’est peut-être parce que on ne sait plus aimer ainsi ? L’amour s’est affadi, le sel a perdu sa saveur, il n’est plus bon à rien qu’à être jeté au dehors et à être piétiné par les hommes.
Mais pourquoi aujourd’hui ne peut-on plus aimer avec une telle ardeur, avec une telle folie ? Mais c’est un phénomène de civilisation. La société d’aujourd’hui, ou plutôt les hommes qui composent notre société d’aujourd’hui se protègent en dressant tout autour d’eux des barricades. Et ces barricades, ce sont les assurances, les assurances tout risque.
Il y en a toujours des nouvelles et parfois, c’est à se demander où on va les chercher. Mais non, on a découvert que dans tel ou tel domaine il y avait encore un risque. Eh bien, on va se protéger. Cela va tellement loin que certaines assurances sont obligatoires.
Alors que voulez-vous, quand on baigne dans un univers d’où le risque est banni, comment voulez-vous alors vous embarquer avec au cœur un désir fou ? Mais non, on va tourner sur soi, on va s’entre-dévorer. On est emprisonné à l’intérieur de ces barricades.
Dans ces conditions, mes frères, il n’est pratiquement pas possible d’aimer vraiment. Et c’est pourquoi les monastères devraient être les endroits où là encore il se trouve des hommes qui prennent le risque d’aimer ; mais pas aimer de façon platonique mais se laisser envahir par l’Esprit Saint qui est l’amour, Esprit Saint qui est Dieu. Et à partir de là, commencer à aimer.
Oui, aimer divino modo, à la manière de Dieu. Ce n’est plus l’homme avec son cœur étroit qui aime mais, comme le dit Saint Benoît, le cœur s’est dilaté à l’infini et il a laissé toute la place à Dieu. Alors Dieu est libre d’aimer. Et voilà, c’est l’aventure du grand large !
Voilà, mes frères, assez pour ce soir. Vous savez, quand on commence à parler, on va toujours un peu plus loin que ce qu’on avait prévu. Le reste sera pour une autre occasion.
Mes frères,
Le mois de décembre nous enfonce inexorablement dans une obscurité annonciatrice de froid, de gel , de neige, de pluie. Pour certains dans le monde, c’est un temps d’angoisse et de désespérance. Ces personnes qui ont dur de vivre, qui par des froids très durs n’ont pour abri qu’une caravane aux parois légères, doivent vraiment lutter contre le froid.
Nous devons vivre en communion avec ses frères et ses sœurs qui souffrent et auxquels nous ne pouvons apporter qu’un amour secret. Le moine, c’est le cœur de Dieu présent ici-bas, le cœur de Dieu comprenant, portant et rédimant tout. Notre vocation est un mystère que nous devons assumer et réaliser à plein.
Dans le courant de novembre, nous avons fêté, et dans les semaines à venir nous fêterons encore des saints entrés dans la plénitude de Dieu. Nous devons vivre aussi avec les saints en train de naître présentement sur notre terre. Ne peut-on pas leur … ? … le spirituel ? Nous ne pouvons exclure personne de notre communion, Dieu ne connaît aucune frontière.
Il y a des fidèles partout. Croyons-le et aimons sans discrimination aucune. Si nous sommes mystiquement Dieu présent dans le monde et au monde, nous devons être aussi le monde présent à Dieu, accueillant Dieu et s’offrant à lui.
Je voudrais, mes frères, insister sur un fait que je juge fondamental, central de notre vie chrétienne et monastique. C’est une question de vérité en soi et de crédibilité au regard du monde et de l’Eglise. Nous sommes dans la vérité de notre état si nous vivons réellement avec la personne du Christ ressuscité.
Le grand danger, mes frères, c’est l’illusion. C’est croire que l’on vit avec le Christ quand en réalité on vit avec des idées, des images, des réflexions, des systèmes, avec une abstraction et non pas avec une personne. Il importe de passer d’une saisie intellectuelle, spéculative, imaginaire à un commerce amoureux où l’on sort de soi pour se perdre dans celui qu’on aime.
Il y a là une migration, il y a un passage, il y a une Pâque. Nous devons quitter ce que nous connaissons pour nous laisser emporter, nous laisser conduire sur un terrain que nous ne connaissons pas. Ce n’est pas simple, c’est même très, très difficile ! Et ce peut être la source de grandes souffrances.
Il y a une mutation qui s’opère. Nous ne sommes pas adaptés à l’univers de Dieu, nous sommes adaptés à l’univers charnel. Et pour entrer dans l’univers de Dieu, nous devons subir des changements en nous quasi ontologiques. Nous restons ce que nous sommes mais nous recevons une forme nouvelle, une adaptation à cet univers autre. Et ça ne se fait pas sans mal !
Il faut accepter de ne pas comprendre, de ne pas maîtriser la situation. Il faut accepter de lâcher prise et de se plonger dans des ténèbres, dans les ténèbres d’un non-savoir qui est une apogée de foi. Nous ne pouvons pas à ce moment regarder en arrière. C’est cela, vous voyez, se détacher de l’intellectuel, se détacher du spéculatif, là où nous sommes chez nous.
Non, il faut abandonner tout cela, ou plutôt se laisser arracher à tout cela pour entrer dans un non-savoir, une non-science qui est la véritable foi dans sa nudité, dans sa pureté. C’est participation à la connaissance que Dieu a de lui-même.
Les spirituels d’autrefois, ceux qui connaissaient le latin et qui cultivaient avec soin l’Office Divin, prenaient appui sur un verset du Ps.70 . Je l’ai rencontré fréquemment au cours de mes lectures à l’époque où j’étais encore un bon gamin. C’étaient des lectures en latin naturellement. Et ce verset disait ceci : « Parce que j’ai renoncé à toutes sciences, que j’ai … ? … livre, je suis entré dans des profondeurs tout ensemble lumineuses et obscures d’un Dieu infiniment mystérieux et puissant ».
Vous voyez ! Il faut décrocher d’un savoir livresque pour, voilà, se lancer dans l’inconnu. Il est tellement facile de jongler avec les idées. On peut se laisser prendre au jeu, le faire toute sa vie et s’imaginer qu’on est arrivé alors qu’en fait on n’est pas encore parti. Oui, il y a un détachement qui doit s’opérer à l’endroit de toutes ces notions de manière à entrer dans une relation intime avec une personne.
Comme je l’ai déjà expliqué, notre Office est donc l’écoute d’une parole de Dieu, ou la parole d’un saint, c’est à dire d’un homme habité par Dieu. Et nous devons de suite donner une réponse. C’est la fonction du Responsorium, du Répons. Nous répondons tout de suite. C’est une acclamation, c’est une imploration, c’est une méditation, mais nous répondons.
Nous sommes en relation avec une personne que nous avons écoutée, que nous avons entendue, qui a ouvert un dialogue avec nous et, nous répondons tout de suite. Vous voyez ! C’est cela, notre vie est un dialogue.
Mes frères, écoutez encore ceci ! Je saurai que je vis avec la personne du Christ ressuscité quand je commencerai à voir avec les yeux du cœur. Donc, j’aurai une perception des personnes et des choses qui ne sera plus charnelle, qui ne sera plus fondée sur de l’humain. Non, ce sera une perception qui commencera à devenir divine et qui ne finira pas de s’épanouir.
Et surtout, je saurai que je vis avec le Christ ressuscité quand j’aimerai mes frères, quand j’aimerai les hommes quels qu’ils soient, comme lui les aimait. C’est là le critère infaillible absolu.
Voici que nous recommençons le temps de l’Avent, et chaque année nous recommençons. Eh bien, ce cycle qui peut paraître fermé nous rappelle que en fait d’amour, nous sommes toujours en train de commencer. Le véritable amour, c’est le sentiment qu’on n’a pas encore commencé à aimer. On se trouve toujours au commencement.
Et si la liturgie nous ramène chaque année à ce commencement, c’est pour nous rappeler cette évidence. Nous sommes des êtres qui commencent. Et des êtres qui sont heureux de toujours commencer, ce sont des êtres qui seront toujours jeunes car la jeunesse, c’est le moment des commencements.
Et pour aimer, il faut être jeune ou le redevenir. Le Christ nous l’a dit : « vous devez redevenir comme des petits enfants si vous voulez entrer dans le Royaume de l’amour, de la vérité et de la lumière ».
Voilà, mes frères, un beau programme pour cette année liturgique qui s’ouvre aujourd’hui !
Mes frères,
Voici quelques instants, en regardant quelle serait la péricope de notre Règle que nous devions entendre ce soir, je me suis souvenu d’un apophtegme de notre grand Macaire l’Egyptien.
C’est un apophtegme assez étrange mais qui répond, qui précise à mon sens la définition du vœu de convertio morum. Celui-ci, pour moi, consiste à se poser sans relâche la question : Comment puis-je devenir moine ? Que faire pour devenir moine ? C’est une question qu’on doit se poser chaque jour, presque à chaque heure.
Lorsque le disciple demande à son ancien dans telle ou telle circonstance : Mais que faut-il faire ? cela sous-entend : Mais que faut-il faire afin que à travers cette situation qui se présente à moi, je puisse devenir moine ? Voici cet apophtegme :
Macaire l’Egyptien vint un jour de Scété à la montagne de Nitrie pour la messe de l’Abbé Pambo.
Scété, c’est le désert intérieur ; puis il y a le désert des cellules, puis le désert de Nitrie. C’est une grande distance ! Mais enfin, il est venu de Scété à Nitrie pour la messe de l’Abbé Pambo.
Les vieillards lui disent : « Dites une parole aux frères, Père ! ». Il dit : « Moi, je ne suis pas encore devenu moine, mais j’ai vu des moines ». Un jour, en effet, comme je me tenais dans ma cellule à Scété, les pensées me harcelaient en me disant : « Va-t-en dans le désert et observe ce que y tu verras ! ». Je devais arriver à lutter contre la pensée cinq ans durant me disant que peut-être elle vient des démons ?
Cinq ans durant ! Voyez, c’est ça l’endurance dans la lutte contre les pensées !D’où vient cette pensée ?
Et comme la pensée demeurait, je m’en allai dans le désert. Je trouvai là une étendue d’eau et une île au milieu. Et des bêtes du désert venaient s’y abreuver. Au milieu d’elles, j’aperçus deux hommes nus et mon corps frémit. Et j’ai cru que c’étaient des esprits.
Eux, me voyant frémir, me dirent : « N’aie pas peur, nous aussi nous sommes des hommes ». Et je leur dis : « D’où êtes-vous et comment êtes-vous venus dans ce désert ? ». Ils dirent : « Nous sommes d’un monastère de cénobites et, d’un commun accord, nous sommes venus ici voilà quarante ans. L’un est Egyptien, l’autre Libyen ».
Puis ils m’interrogèrent eux aussi disant : « Comment va le monde ? Est-ce que l’eau arrive bien en son temps ? Le monde est-il prospère ? L’eau du Nil, est-ce qu’elle monte toujours en son temps ? Le monde, c’est leur monde à eux où tout dépend de cette eau. Et je leur dit : oui.
Maintenant, voici le nœud de l’affaire : Puis à mon tour, je leur demandai : « Comment puis-je devenir moine ? ».
Donc voilà mon Macaire, Macaire le grand, qui pose la question : « Mais comment puis-je devenir moine ? ». Est-ce que nous autres nous nous posons cette question tous les jours. C’est la question que nous pourrions nous poser pendant ces trois, quatre minutes d’examen de conscience après Sexte et après l’office de Complies. Comment faire pour devenir moine ? Est-ce que aujourd’hui j’ai fait ce qu’il fallait pour devenir moine ? Est-ce que je deviendrai moine un jour ?
Ils me dirent : « Si on ne renonce pas à toutes les choses du monde, on ne peut devenir moine ! Ici, vous comprenez, il ne s’agit pas d’un simple renoncement intérieur. Il s’agit d’un véritable renoncement. C’est quitter le monde, oui, il y a une véritable rupture avec le monde.
Et je leur dit : « Moi, je suis faible et ne puis faire comme vous ! ».
Moi, je ne suis que Macaire. Je ne puis pas tout abandonner et, voilà, vivre comme ça dans le désert pendant quarante ans et venir m’abreuver à cet étang avec les animaux sauvages. Et ces animaux sauvages les laissent tranquille parce qu’ils sont devenus comme un des leurs.
Il est bien dit que, au sixième degré d’humilité, le moine dit dans son cœur : ut iumentum factus sum apud te, et ego semper tecum, 7,136. Je suis devenu une bête de somme pour toi et je suis toujours avec toi. C’est ça !
Et ils me dirent : « Si tu ne peux faire comme nous, reste dans ta cellule et pleure tes péchés ! ». Ta cellule deviendra ton désert et là, eh bien, pleure tes péchés : ceux que tu as commis, ceux que tu aurais pu commettre. Enfin pleure ton état de pécheur, implore du secours pour te tirer de ce gouffre du péché et alors te permettre de devenir un moine.
Je leur demandai : « Quand vient l’hiver, n’êtes-vous pas gelés ? Et quand vient l’été, n’avez-vous pas le corps brûlé ? ». C’est l’été d’Egypte et je vous assure qu’il y fait chaud. Je n’y suis jamais allé, mais je connais des personnes de nos régions qui y sont allées et elles disaient que c’était intenable pour nous ! Ils dirent : « Dieu nous a fait cette existence et nous n’avons pas froid en hiver ni ne souffrons de la chaleur en été ».
Voilà, l’entretien, le dialogue ici se clôture. Ces deux hommes s’en retournent dans leur solitude et Macaire alors revient à Scété. Puis, il conclut : « Voilà pourquoi je vous ai dit que je ne suis pas encore devenu moine mais que j’ai vu des moines. Pardonnez-moi, frères ! ».
Nous sommes loin, me semble-t-il, de cette époque. Non pas que nous devions faire des essais d’endurance à la gelée, maintenant les grands froids vont revenir, ou bien en été nous faire rôtir ? Non, il ne s’agit pas de cela. Il s’agit d’être toujours suspendu à la miséricorde de Dieu, à cet amour qui nous sollicite sans fin et qui, à tout moment, purifie notre cœur et notre être entier.
Oui, être suspendu à cette miséricorde de Dieu en ayant conscience que nous sommes habités par le péché et, en faisant de temps à autre l’expérience de notre fragilité, de notre vulnérabilité et aussi de notre péché.
Alors pour ça, on ne se répand pas au dehors et on reste, voilà, dans sa cellule ; comme il dit ici : « elle deviendra ton désert ». Et puis alors ainsi, avec la grâce de Dieu, finalement tu deviendras un moine parce que tu auras renoncé à tout, tu auras renoncé à toi-même, tu auras même renoncé à l’image plus ou moins flatteuse que tu as de toi et, tu t’en seras remis totalement à ce Dieu qui t’aime et qui est amour.
Voilà, mes frères, c’est un peu, comme moi du moins je le sens, un peu ce que c’est que la convertio, ou encore la conversion des mœurs qui doit être un des objectifs vers lequel nous marchons.
Frères et sœurs,
Nous venons d’entendre un chant merveilleux, un chant qui bercera l’oreille et le cœur des hommes jusqu’à l’aube des temps nouveaux, des ces temps où le travail de restauration et de transfiguration du monde étant accompli, Dieu sera tout en toutes choses.
Et nous savons, cela vient de nous être redit, nous savons que cette beauté inouïe est, et sera pour jamais, l’œuvre d’un enfant. Car Jésus, le fils de Dieu et de Marie, reste pour toujours un enfant, lui qui n'a pas de commencement et qui a vaincu la mort. Noël est la fête de l'enfance, Noël est le jour où tous les impossibles sont à notre portée.
Et le plus impossible de tout, n’est-ce pas notre métamorphose en Dieu ? Oui, il faut toujours le répéter surtout dans des occasions comme celle-ci : Dieu est devenu homme pour que l’homme puisse devenir Dieu. Serait-ce là un discours creux ? ou bien une réalité est-elle cachée derrières ces mots ?
La réponse, frères et sœurs, ce sont les saints, les hommes et les femmes qui, à l’intérieur de leurs limites et avec leurs défauts, sont devenus pur amour à la manière de Dieu. Car Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a envoyé son fils unique, non pas pour le juger, mais pour le sauver, pour le rassembler dans l’unité et lui infuser sa propre vie.
En naissant dans une chair d’homme, Dieu déposait dans cette chair le germe de sa transfiguration, de sa résurrection, de sa divinisation. Là est notre espérance, notre folle espérance ! Nous qui sommes de pauvres paquets de chair, nous naissons de Dieu, nous ressuscitons en lui et nous retournons à lui.
A partir de ces prémices qui sont les trésors les plus précieux de notre foi, nous pouvons comprendre que Noël est la fête de notre propre anniversaire. Choisi dans le Christ avant la création du monde, nous sommes nés avec lui ; membres de son corps, nous sommes venus au monde en même temps que lui ; et comme lui, nous sommes immortels, nous passons vivants à travers la mort. Oui, nous sommes vraiment des fils et des sœurs en lui. Nous sommes tous, qui que nous soyons, spirituellement divinement consanguins.
Ce lien surnaturel divin, frères et sœurs, soyons-en pénétrés, il est plus puissant, plus réel que le lien forgé par la parenté biologique naturelle, charnelle. Jésus lui-même l’a hautement proclamé. Qui est ma mère, qui sont mes frères ? Celui qui fait la volonté de Dieu, celui qui est né de Dieu, celui-là, il est mon frère, et ma sœur, et ma mère.
De plus, si nous sommes nés en même temps que le Christ, nous avons tous le même âge. Il n’y a pas de vieillards, il n’y a pas de jeunes gens, il n’y a pas d’enfants. Nous avons tous le même âge. Nous avons l’âge du Christ notre tête. Nous sommes nés de Dieu ensemble, en même temps que lui.
Frères et sœurs, ce n’est pas là une lamentable conclusion, non, c’est la réalité du monde à venir déjà inscrite au plus secret de nous. Jésus lui-même l’a encore dit, dans l’univers de la résurrection, nous serons tous comme des anges de Dieu. Et nous le sommes déjà maintenant en espérance.
Frères et sœurs, le mystère de Noël, le mystère de l’incarnation du Verbe de Dieu nous ouvre les yeux sur notre vérité entière : nous savons qui nous sommes et nous savons où nous allons. Nous sommes venus de Dieu et nous retournons vers lui. Il reste maintenant à conformer notre conduite à cette vérité. Nous le faisons en nous ouvrant les uns aux autres, en nous laissant porter par l’amour qui est Dieu.
Et mon souhait cette nuit, mon souhait en cette fête, c’est que nous soyons de mieux en mieux ce que nous sommes, à savoir des enfants de Dieu, des hommes et des femmes en voie de divinisation, des hommes et des femmes porteurs de lumière, messagers d’espérance, capables de rayonner au loin la lumière de la vérité, de l’espérance et de la paix.
Il faut, frères et sœurs, que nous devenions grâce à notre ascendance divine, que nous devenions des anges, des messagers qui peuvent porter à tous et à chacun, silencieusement par le simple fait que nous soyons là, que nous puissions porter le message des anges : Paix sur la terre aux hommes que Dieu aime. Car Dieu est amour et Dieu aime.
Laissons donc travailler en nous la puissance discrète de cet amour afin que notre vocation humaine, notre vocation chrétienne puisse parfaitement s’accomplir.
Amen.
Frères et sœurs,
Au cours de la célébration de cette nuit, nous avons compris que nous sommes nés avec le Christ, en même temps que lui. Nous qui sommes les membres de son Corps, nous partageons le même sang divin, un même lien de parenté nous unit. Chacune de nos Eucharistie ravive en nous ce mystère de grâce.
Aujourd’hui, avec une précision stupéfiante, la Parole de Dieu nous le répète pour notre consolation et notre joie. Elle nous ouvre des perspectives d’une beauté infinie. Et on comprend que les hommes et les femmes qui sont, par pure grâce, pénétrés de la présence de cette beauté, renoncent à tout pour s’enfoncer dans le désert, là où cette beauté, loin de tous les divertissements, va pouvoir se manifester dans sa plénitude.
Ecoutons la Parole de Dieu et laissons-nous pénétrer, soulever par elle. Elle nous dit que nous ne sommes pas nés de la chair, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme ; elle nous dit que nous sommes nés de Dieu.
Nous ne nions pas notre naissance charnelle, mais celle-ci est une enveloppe à l’intérieur de laquelle est cachée une autre naissance, notre naissance à partir de Dieu, notre naissance pour une vie impérissable.
Et c’est en cela précisément que consistait la Bonne Nouvelle apportée par le messager que le prophète voyait courir sur les montagnes. Nous sommes nés de Dieu. Nous sommes enfants de Dieu. Nous sommes cohéritiers du Christ, cohéritiers avec lui de la résurrection et de la divinisation.
L’Apôtre Paul avait reçu la grâce de contempler le Christ dans sa beauté au moment où il s’avançait pour mettre en prison les disciples du Christ. Il en fut bouleversé jusqu’au plus profond de son être.
Et il a compris qu’il y avait pour l’homme une autre destinée que ne peuvent offrir les biens de ce monde aussi précieux soient ils. C’est la destinée de devenir semblable à Dieu, la destinée de l’adoption divine portée à son sommet. Et sans arrêt, sans arrêt, chaque fois qu’il s’adressait à ses disciples, il leur rappelait cette évidence.
Frères et sœurs, puisque la vie divine circule en nous, nous pouvons par l’intérieur de nous-mêmes, à partir de notre cœur comme disent les spirituels, nous pouvons connaître qui est Dieu et commencer à le voir.
C’est le chant immense de la vie mystique à laquelle chaque chrétien, et même chaque homme, est prédisposé. Il y a des abîmes d’amour dans lesquels nous pouvons nous plonger et nous purifier sans fin.
Toute vie humaine est donc dès maintenant une vie divine et nous en connaissons les organes. La Foi est la vie du Verbe de Dieu en nous ; l’Espérance, c’est la vie du Père en nous ; la Charité qui est la vie de l’Esprit Saint en nous.
Nous pouvons donc connaître Dieu comme il se connaît ; nous pouvons le posséder comme il se possède ; nous pouvons l’aimer comme il s’aime. Dieu n’est pas jaloux, Dieu n’est pas avare, Dieu n’a pas peur.
Ce qu’il est, il nous le partage en plénitude. Il ne retient rien pour lui, il nous donne tout. Dans son verbe devenu chair, il nous a tout donné, il s’est donné à nous totalement.
Alors vous comprenez que la vie chrétienne, c’est également de se donner sans réserve aux autres, sans exclusive ; ne plus s’appartenir, mais appartenir aux autres afin d’emmener les autres avec soi jusqu’au plus secret de la Sainte Trinité. Il faut ainsi que tous les hommes puissent réaliser leur destin.
Et nous, les chrétiens, nous avons été choisis pour être les instruments de ce projet extraordinaire. Oui, nous pouvons collaborer avec Dieu et nous le devons. Nous devons collaborer avec lui à la création et à la Rédemption de l’univers.
Tels sont les trésors mis à notre disposition par la naissance du Christ Jésus. Si nous en étions persuadés, notre existence en serait illuminée, transformée pour jamais. Mais hélas, nous nous laissons si facilement reprendre par les mille et un soucis de cette vie !
Ils sont bien réels, certes, mais rappelons-nous ce que le Seigneur Jésus a dit, lui qui est le chemin, la vérité et la vie. Il nous a dit ceci : « Cherchez d’abord en tout premier lieu le Royaume de Dieu et sa justesse et tout le reste vous sera donné par surcroît ! ».
Frères et sœurs, demandons les uns pour les autres la grâce de pouvoir vivre selon notre destinée divine. Nous serons alors des artisans d’unité, de réconciliation universelle et de paix !
Amen.
Frères et sœurs,
La mise a mort du diacre Etienne par une bande d’énergumènes est la première et tragique manifestation de l’affrontement terrible, implacable, entre les enfants de Dieu et les hommes emprisonnés dans la geôle de leurs passions charnelles.
Et ce conflit sans merci traverse notre propre cœur et nous ne pouvons qu’en pleurer. Malheureux que je suis ! s’exclamait l’Apôtre Paul, le bien que je veux, je ne puis le faire et le mal que je hais, c’est cela que je fais. Et ces pensées qui nous tourmentent, et ces peurs qui nous habitent, et ces barrières qui nous séparent ?
Frères et sœurs, de quel bord sommes-nous donc ? Regardons Etienne et ses meurtriers et nous apprendrons beaucoup, et surtout nous nous tiendrons en garde contre nous-mêmes.
Tous les acteurs du drame sont fils de Dieu. Ils le sont par droit de naissance. Les uns, la plupart sont toujours à l’état d’embryon. La chair les emprisonne et les étouffe. Elle les rend sourds, elle les rends insensibles. Ils se bouchent les oreilles pour ne pas entendre et ils poussent de grands cris pour se rassurer.
Etienne, lui, est transfiguré par la vie divine qui bouillonne en lui. Ceux qui étaient là, est-il dit, contemplaient son visage comme celui d’un ange. Il est rempli de l’Esprit Saint. Ceux-là ne sont-ils pas fils de Dieu qui sont mus, qui sont conduits par l’Esprit Saint ?
Aussi est-il plein de grâce et de puissance, non pas une puissance qui peut dominer, mais une puissance qui s’efface pour mieux servir. Il vit à l’intérieur de l’univers de Dieu dont il voit la gloire. Il contemple Jésus auréolé de lumière. Il s’abreuve sans fin à cette source de vie. Il est possédé par l’amour. Il ne peut qu’excuser et pardonner : Seigneur, ne leur compte pas ce péché !
Frères et sœurs, la chair et le sang n’ont pas accès au Royaume de Dieu. Pour eux, ce n’est là que folie et blasphème, quand ce n’est pas crime. Ou bien on engage une guerre sans merci contre tout ce qui est de Dieu, ou bien c’est l’indifférence, l’ignorance. Mangeons et buvons, demain nous mourrons !
Et pourtant, tous ces hommes sont nés de Dieu, tous sans aucune exception. Tôt ou tard, dégagés de leur esclavage, ils verront eux aussi la lumière. Saül, complice du meurtre d’Etienne en est l’exemple frappant.
Mais regardons-nous nous-mêmes ! Sommes-nous totalement convertis ? Nous avons pourtant prononcé un vœu de conversion. Nous nous sommes engagés à travailler à notre transfiguration, à y travailler en nous ouvrant à la miséricorde de notre Dieu, à l’amour qu’il est, en permettant à l’Esprit Saint de féconder sans mesure le germe divin qui est déposé en nous.
Oui, travailler à notre conversion, c’est concrètement obéir, c’est coller à Dieu, c’est devenir un seul esprit avec lui. Tel est le chemin de la liberté, tel est le chemin qu’a suivi Etienne, tel est le chemin qu’au jour où il a été bouleversé de fond en comble, Saül, devenu Paul, a suivi jusqu’au témoignage suprême.
Frères et sœurs, prenons exemple sur ces homme de foi ! O, il ne nous sera jamais demandé d’aller si loin ! Mais, à l’intérieur de ce que Dieu attend de nous, faisons confiance et soyons vraiment des nés de Dieu, renonçant à toutes les convoitises, à tout ce que la chair, à tout ce que le monde peuvent nous offrir comme illusions ; et entrons dans la vérité en nous coulant de plus en plus à l’intérieur de l’amour qu’est notre Dieu.
Amen.
Frères et sœurs,
Hier, en compagnie du diacre Etienne, nous connaissions un climat de violence, de sang et de mort. Cela ne doit pas nous étonner, Jésus n’a-t-il pas annoncé qu’il n’était pas venu apporter la paix sur la terre mais la guerre. Il nous a prévenu, oui, on se dressera les uns contre les autres, on sèmera la haine et on récoltera la mort.
Jusqu’à la fin des temps, le Christ Jésus, Dieu avec nous, sera un signe de contradiction et un facteur de division. Les hommes sont ce qu’ils sont. Ils ne peuvent supporter d’être remis en cause et ils se débarrassent de l’intrus, de tous les intrus. C’est triste, infiniment triste ! Dieu n’avait jamais voulu cela.
Aujourd’hui, l’ambiance est toute autre. Le mystère de la nativité doit nous livrer ses secrets, ses antinomies, ses contradictions, ses contrastes. Dieu présent corporellement sur notre terre apporte aussi autre chose que la guerre. Les anges n’ont-ils pas chanté, au moment de sa naissance, la paix donnée aux hommes que Dieu veut combler.
Aujourd’hui, nous sommes d’un seul coup d’aile transportés au commencement. Ce commencement mystérieux n’est autre que Dieu dans son éternité et dans son amour, un amour qui le porte à créer un vis-à-vis, un partenaire avec qui dialoguer. Et Dieu qui est amour est toujours en train de créer.
Ce commencement nous est devenu présent dans la personne du Seigneur Jésus. Nous pouvons l’entendre, nous pouvons le voir, nous pouvons le contempler, nous pouvons le toucher. Il est question de vie, de lumière, de communion, de joie. Et Dieu ne fait jamais rien à moitié.
Notre joie doit être pleine, complète, achevée, parfaite. C’est la propre joie de Dieu, la propre joie du Christ, celle qu’il nous a légué comme son testament. Il y a une dizaine de jours, nous avons entendu l’Apôtre Paul chanter cette joie : Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur ! Je vous le dis encore ; réjouissez-vous ! Que votre modestie, votre douceur soit connue de tous les hommes ! Ne vous inquiétez de rien !
C’est vrai, frères et sœurs, nous sommes enfants de Dieu, nous sommes de sa race, nous sommes ses contemporains, nous vivons de sa vie. Possédant l’éternité, nous sommes maîtres de nous-mêmes et maîtres du monde. Que nous faudrait-il de plus ? Nés de Dieu, nous sommes établis au cœur de toute plénitude.
Lorsque le Seigneur Jésus répondait à Pierre : « Si je veux que ce disciple que j’aime reste jusqu’à ce que je vienne, est-ce ton affaire ? ». C’est cela notre vie ! Rester jusqu’à ce que le Seigneur vienne ; rester, nous maintenir à notre place dans la confiance ; être ouvert à son amour comme une fleur est ouverte au soleil et à la pluie, à la neige et à la gelée, car une véritable fleur est toujours en état d’éclosion.
Et puis attendre qu’il vienne ! Et il vient à toute heure, à toute minute. Chaque instant de notre existence est un commencement et une nouveauté. Dieu est créateur d’éternelle nouveauté.
Frères et sœurs, telle est la vie chrétienne dans son ineffable beauté. Elle est écoute, elle est vision, elle est toucher, elle est rassasiement, elle est joie au sein d’une communion avec Dieu qui dépasse en infini toute imagination.
Dieu est notre Père. Nous naissons de lui. Le Seigneur Jésus est notre tête, nous sommes les membres de son corps. Nous sommes tous frères et sœurs. Le même sang divin circule en nous. Si bien que le ciel – si nous en avons conscience – le ciel est déjà présent ici, parmi nous, sur cette terre.
Cultivons avec soin ce rêve ! Il n’est pas trop beau, il est la réalité des réalités. Il est en nous murmure de l’Esprit, il est en nous chant de vie éternelle.
Amen.
Mes frères,
La noblesse de notre ascendance divine ne nous épargne pas d’être vendus au péché. C’est là le tragique de notre condition. Rappelons-nous le gémissement de l’Apôtre Paul : en moi habite le péché qui me pousse à mal agir ! Et Jean vient de nous dire la même chose : Si nous disons que nous n’avons pas de péchés, nous nous égarons nous-mêmes et la vérité n’est pas en nous !
Nous sommes ainsi déchirés par un gigantesque conflit qui traverse notre cœur comme il jette le monde dans des amoncellements immenses de maux, de malheurs. Mais cela n’empêche pas que nous soyons toujours des fils de Dieu promis à une gloire sans prix. Mais comment serons-nous délivrés, guéris, transfigurés ? L’amour qui brille sur la face du Seigneur Jésus réalisera ce prodige. A nous de le croire et d’entrer dans la douce et puissante dynamique de cet amour.
Mes frères, le péché, c’est Hérode tapit au fond de notre cœur. C’est la soif de pouvoir, c’est la convoitise de la chair, c’est l’orgueil des richesses. Et le tout est dominé par une immense peur, une peur qui rend cynique, cruel, meurtrier.
Prenons garde, mes frères ! Lorsque nous laissons une pensée négative prendre racine et grandir dans notre cœur, nous devenons complices d’Hérode. Car tout ce qui est dirigé, même en pensées, contre le frère porte atteinte à son intégrité et le pousse dans la mort.
Le péché, c’est l’égoïsme qui se trouve parfois poussé jusqu’aux limites extrêmes de la démence. Hérode envoie tuer tous les enfants de Bethléem et des environs. L’Hérode qui nous habite veut occuper toute la place. Moi, rien que moi ! tel est son cri de guerre.
Alors il met tout en œuvre pour étouffer en nous la vie divine, pour en asphyxier et en tuer le germe. Tous les moyens lui sont bons : la ruse, la séduction, la violence. Il cherche en nous des complicités et il en trouve trop souvent, hélas !
Mes frères, nous sommes avertis, restons sur nos gardes ! Le moine n’est-il pas un veilleur. Le trésor de notre ascendance divine doit être protégé. Nous le tenons à l’abri et nous le faisons fructifier si nous restons inflexiblement branchés sur la volonté de Dieu. L’… ? … de notre refuge, c’est cette volonté de Dieu, volonté qui n’est que lumière et amour.
Ainsi devons nous laisser grandir en nous cette vie divine. Nous sommes nés de Dieu, ne l’oublions jamais ! Soyons logiques avec notre condition, logique avec notre vérité. Et alors, nous verrons le fantôme d’Hérode s’évanouir pour jamais.
Frères et sœurs,
La Parole de Dieu nous signifie clairement aujourd’hui que si nous voulons permettre à la vie divine de s’épanouir en nous, nous devons absolument nous établir solidement dans la vérité, c’est à dire dans l’humilité ; la vérité à l’endroit de nous-mêmes, à l’endroit des autres, à l’endroit de Dieu. Etre à notre place, celle qui nous a été désignée par la Providence et ne pas vouloir en changer.
Maintenant déjà dans notre enveloppe de chair, nous sommes fils de Dieu, nés de lui, ayant en lui et par lui la vie, le mouvement et l’être. Tout en étant parfaitement lucide sur notre condition charnelle, nous avons à nous comporter divinement, c’est à dire à aimer inconditionnellement et à rayonner la lumière.
La vérité totale, tel doit être notre habitat. A cette condition, nous comprendrons mieux que Dieu est notre Père, que le Christ Jésus est notre frère et que l’Esprit Saint est notre vie. Et bientôt, la chrysalide de notre corps se déchirera et nous apparaîtrons dans toute notre beauté divine.
Cependant, ne nous berçons pas d’illusions ! Une foule d’Hérode nous fait la guerre à l’intérieur de nous et à l’extérieur de nous. Ils veulent notre mort et ils ne connaissent aucune pitié. Mais celui qui est en nous est plus fort qu’eux tous. Si nous nous attachons à lui, c’est nous qui serons vainqueurs
C’est là, frères et sœurs, l’art merveilleux de l’obéissance qui nous installe dans la lumière et prévient toute occasion de chute et nous sommes alors dans la vérité aussi vis-à-vis des autres. En chacun des hommes, nous reconnaissons un frère qui partage la même vie divine et le même destin de gloire. Nous admirons la flamme de lumière qui brûle au fond de lui et nous nous inclinons devant elle. La charité commence toujours par l’admiration et le respect.
C’est à cet endroit précis, frères et sœurs, qu’Hérode nous lance les assauts les plus durs. Sombrer dans le mépris ou dans la haine serait choir hors de la lumière. Mais celui qui est plus grand que notre cœur veille sur nous. Il sait tout et il nous préservera toujours.
C’est ainsi que nous pouvons nous établir dans la simplicité qui était celle de Marie et de Joseph. Ils ne se compliquent pas la vie. Leur cœur est rempli de bienveillance et d’accueil. Ils ne soupçonnent pas le mal. Et pourtant le mal les environne et bientôt il s’abattra sur eux.
Siméon les prévient. Un glaive de douleur traversera ton cœur, dit-il à Marie. Et Marie s’étonne. Elle ne comprends pas et Joseph non plus. Ils suivent Dieu et ils accomplissent les prescriptions de la Loi sans se poser de questions. L’Esprit Saint joue librement en eux. Ils sont en toute vérité avec l’Enfant Jésus encore inconscient une apparition de Dieu dans sa Trinité Sainte, Dieu présent charnellement dans notre monde.
Et c’est cela que nous devons devenir sans nous laisser détourner par rien devenir présence de Dieu parmi nos frères.
Frères et sœurs,
Je vais ce matin vous tenir des propos étonnants. Ils ne seront en fait que l’écho lointain, extrêmement affaibli, des paroles tombées des lèvres de l’Apôtre Jean et qui déjà mystérieusement chantaient dans le cœur d’Anne la prophétesse.
Jean s’adresse aux plus anciens et aux plus jeunes. Ils ont tous le même âge, remarquons-le, puisqu’ils sont nés avec le Christ, en même temps que lui dans le secret de l’amour, qu’ils sont nés de Dieu, qu’ils ont été choisis par Dieu dès avant la création du monde.
Ils connaissent celui qui existe depuis le commencement, ce commencement mystérieux où se cache Dieu, où veille l’amour, où est mis en branle le projet de la création. Ils le connaissent par l’intérieur puisqu’ils ne font qu'un avec lui. Ils savent qui est le Père, l’unique auquel on puisse en vérité donner le nom de Père.
Il est leur Père dont ils reçoivent sans mesure et sans fin la vie, le bonheur et tout. Ils ont vaincu le mauvais et leurs péchés ont été pardonnés, effacés, anéantis. Ils sont entrés dans la vie éternelle, la vie véritable et rien ne peut les atteindre. En eux habite la Parole qui a créé l’univers.
Rien ne peut leur résister, tout leur est soumis. Ils sont devenus des créatures nouvelles. Le monde ancien s’en est allé, le monde nouveau est là. Par tout leur être ils collent littéralement à la Parole qui dit : Voici, je fais toutes choses nouvelles !
Telles sont les merveilles accomplies en eux par la grâce d’une obéissance confiante, fervente, assidue. Ils vivent ainsi dans la nouveauté qui est Dieu lui-même, Père, Fils et Saint Esprit. Ils sont établis au-delà de la mort et de la vie, dans le commencement et dans la fin, au cœur de toute plénitude. Les promesses se sont réalisées en eux parce qu’ils ont cru.
Ils ont renoncé au monde et à tout ce qui est du monde, ce monde qui est en train de s’évanouir avec sa vétusté, ce monde qui est passé tout entier sous le pouvoir du mauvais. Mais le mauvais, ils l’ont vaincu. Ils ont quitté le monde pour vivre jour et nuit dans le temple, chez Dieu qui est a lui son propre temple. Et ils vivent avec Dieu sans arrêt.
Comme Anne la prophétesse, ils sont âgés de 84 ans, tous. Ils ont l’âge du ciel et de la terre fondu en un. 84, c’est 7 x 12 ; c’est [(3 + 4) x 3 ] x 4. C’est l’univers de Dieu et l’univers créé qui sont devenus UN, Dieu étant devenu tout en toutes choses.
Vous voyez, frères et sœurs, ils ont établi leur demeure dans l’accomplissement de tout et, cette demeure, ils ne la quittent jamais. Comme Anne, ils voient et ils savent et dans leur cœur chantent les louanges du Créateur, de leur Créateur qui est en même temps leur Père.
Voilà, frères et sœurs ce qui nous est promis à nous qui sommes chrétiens, qui sommes moines, qui sommes tout simplement des hommes. Il en est sur cette terre qui vivent déjà à ce niveau. Ce sera notre tour bientôt si nous le désirons, si nous l’acceptons et, si avec une confiance absolue nous tenons notre main ouverte.
Mes frères,
Le texte latin du chapitre de la Règle que nous venons d’entendre se termine par l’acclamation Amen. Et cet Amen conclusif de notre Règle tombe au dernier jour de l’année. Tout au début de sa Règle, Saint Benoît nous avait invités à l’écoute, une écoute attentive, soutenue, persévérante, aimante. Et voilà que au terme de cette écoute, nous touchons le salaire de notre fidélité : pervenies, tu parviendras, 73,26.
Mais c’est un futur, un futur caché au creux de l’espérance. Mais l’espérance ne déçoit pas, nous dit l’Ecriture. Elle est déjà possession mystérieuse mais réelle. Elle vient de notre Père et elle retourne à lui en nous entraînant avec elle.
Oui, mes frères, la vie monastique est construite sur un trépied : la foi, nous le savons, la foi qui entre autre ouvre les yeux du cœur et permet de reconnaître la personne du Christ dans l’image de l’Abbé ; l’espérance qui est, comme je viens de le dire, possession anticipée de tout ce qui nous est promis ; et enfin la charité qui nous unit en un seul Corps.
Nous devons toujours bien prendre garde de ne pas blesser une de ces vertus car alors, nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis et, finalement, c’est la chute.
L’année s’achève sur un dimanche, sur le jour du Seigneur, sur le jour de la résurrection, de l’accomplissement de toutes choses ; de notre résurrection personnelle qui est déjà en route maintenant et qui, lorsqu’elle apparaîtra dans toute sa beauté, sera vraiment l’accomplissement de notre destinée. Car alors nous aurons reçu le nom nouveau que personne ne connaîtra sinon Dieu qui nous le donne et nous-mêmes.
Le dimanche, c’est le jour où le monde à venir se rend présent et tangible, le jour où nous sommes un dans la lumière, un avec Dieu, un entre nous. Tel est, mes frères, le mystère du dimanche ! Pourquoi ? Mais je le répète, parce que c’est le jour où nous évoquons la résurrection du Seigneur Jésus. Et en l’évoquant, nous la rendons présente et agissante.
L’année qui s’achève a connu des ombres et des beautés. Elle a été scandée, rythmée au long des jours et des nuits. Elle a été un mouvement ascensionnel car l’évolution, notre croissance ne recule jamais. Nous allons vers quelque chose. Nous allons plutôt vers quelqu’un qui nous invite, qui nous appelle, qui nous attire.
Il est fatal que cette année ait connu dans nos vies personnelles et au niveau communautaire des ombres. Car nous sommes des êtres vulnérables, fragiles, malades, inconstants. Nous avons commis des impairs, des erreurs, des péchés. Mais c’est notre lot. Nous devons l’accepter tout en le regrettant. Et nous ne devons surtout pas faire un complexe de culpabilité car alors ça devient morbide. Mais voilà, nous sommes des pécheurs, nous le disons tous les jours à l’Eucharistie. Nous sommes ainsi, nous le regrettons, mais voilà, c’est notre lot !
Mais il y a eu aussi des clartés dans nos vies. Pourquoi ? Mais parce que nous sommes des enfants de Dieu. Nous sommes nés de lui avec le Christ, en même temps que lui, nous qui sommes membres de son Corps. Nous avons été aimés et nous avons aimé, maladroitement peut-être ? Mais tout de même, nous avons aimé.
Et la force de l’amour est éternelle. Elle est la marque en nous de notre race divine car Dieu est amour. Et l’amour, c’est autre chose que des mouvements de sympathie. Le Christ nous l’a rappelé. Nous devons être semblables à notre Père qui fait briller son soleil sur tout le monde, qui ne fait pas de distinction entre les bons et les méchants. C’est cela aimer !
Et Dieu notre Père, et le Christ notre frère, que font-ils ? Eh bien, ils ferment les yeux sur les ombres et ils ne retiennent, ils ne regardent que les clartés. C’est cela qui est beau et c’est cela que nous devons faire aussi : fermer les yeux sur les ombres qui sont bien réelles et qui abîment notre visage et notre conduite, mais tenir les yeux grands ouverts sur les clartés qui sont en chacun de nous et qui sont si belles.
Tel est, mes frères, le miracle de l’amour : pour lui, nous ne sommes que lumière. Alors, nous allons passer cette journée, si vous le voulez bien, dans une sainte repentance pour nos ombres et dans une fervente action de grâces pour nos clartés.
Frères et sœurs,
Quelque part en Galilée, sur un léger promontoire, se niche une bourgade au nom enchanteur de Nazareth la fleurie, mais à la réputation douteuse. De Nazareth, que peut-il sortir de bon ? Tel est le mot qui circule dans les campagnes !
C’est là que Joseph cherche refuge pour l’Enfant-Jésus et sa mère. Il ne se doute de rien, il ignore que l’ombre d’Hérode plane sur Nazareth. Il mourra dans sa douce ignorance.
Mais Jésus, lui, sentira un jour cette ombre s’abattre sur lui quand les habitants de Nazareth, excédés par ses paroles, chercherons à le mettre à mort. Il leur échappera de peu.
Il vaut mieux le savoir, l’esprit d’Hérode ne cesse de parcourir le monde cherchant qui dévorer. Jusqu’à la fin des temps, il s’acharnera contre les disciples de Jésus. Mais n’ayons pas peur ! S’il peut accabler le corps, il ne peut rien contre l’Esprit qui nous habite.
Nous avons contre lui une parade infaillible, l’amour de charité. C’est cet amour qui cimentait la famille de Jésus, Marie et Joseph partout où elle se trouvait : à Bethléem, en Egypte, à Nazareth et aujourd’hui dans les cieux.
L’Apôtre nous le rappelle à nous qui formons la grande famille chrétienne. Nous sommes nés de Dieu, nous communions à sa vie, nous avons à partager ses sentiments. Nous ne devrons plus, nous ne devons pas, nous ne devons jamais réagir comme des hommes au niveau purement biologique, comme des animaux raisonnables. Nous devons agir d’après ce que nous sommes, des fils de Dieu, des frères et sœurs appelés à partager le même destin de gloire.
Cultivons en nous un cœur plein de tendresse, de bonté, d’humilité, de douceur, de patience ! Supportons-nous mutuellement les uns les autres et partageons toujours largement ! Laissons l’amour triompher pleinement en nous, la paix chanter au fond de notre cœur ! L’Apôtre insiste : nous formons un seul Corps et nous blesser les uns les autres serait à proprement parler suicidaire.
Ne soyons jamais les complices d’Hérode ! Bien plutôt, faisons toujours tout au nom du Seigneur Jésus notre frère, dans l’action de grâce à Dieu notre Père, lui qui n’arrête pas de nous engendrer à sa vie !
La Sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph est bien plus qu’un exemple, qu’une référence. Elle est un astre qui ne cesse de diffuser à travers le monde et sur chacun d’entre nous la lumière et la beauté. C’est à cela que nous sommes appelés.
Nous sommes appelés à la beauté : être beaux nous-mêmes parce que nous sommes enfants de Dieu et que la vie de Dieu, sa beauté transparaît à travers notre chair. Nous sommes appelés à partager entre nous l’amour, et la lumière, et la paix.
Voilà ce qui nous est proposé aujourd’hui ! Soyons donc tous et sans arrêt des relais ! Et pour cela, exposons-nous sans crainte aux rayons de cet astre merveilleux qu’est la Sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph.
Chapitre du Jour de l’an. 01.01.95.------------------------------------------------ 1
Le rêve de la lumière.--------------------------------------------------------------------------- 1
Chapitre Exético-spirituel. 03.01.95.--------------------------------------------- 3
1. Ne vous souciez de rien !--------------------------------------------------------------------- 3
Chapitre Exético-spirituel. 04.01.95.--------------------------------------------- 5
2. Faire le bon choix : Lui ou moi ?----------------------------------------------------------- 5
Chapitre : La Semaine de l’Unité. 08.01.95.------------------------------------------ 9
Les virus anti-unité.------------------------------------------------------------------------------ 9
Chapitre : Nos Saints Fondateurs. 29.01.95.---------------------------------------- 11
Etre cistercien aujourd’hui ?-------------------------------------------------------------- 11
Chapitre Exético-spirituel 01.02.95.------------------------------------------- 14
3. Ce qu’en dit Saint Benoît.------------------------------------------------------------------ 14
Homélie : Fête de la Présentation. 02.02.95.--------------------------------------- 16
Vivre d’attente et d’espérance.----------------------------------------------------------- 16
Chapitre : Père Matta El-Maskine. 05.02.95.--------------------------------------- 17
Aimer vraiment le prochain !--------------------------------------------------------------- 17
Règle : 7, 150 – 155. 9° degré. 06.02.95.-------------------------------------------------- 20
Règle : 7, 156 – 158. 10° degré 08.02.95.-------------------------------------------------- 23
Règle : 7, 156 – 158. 10° degré(suite) 11.02.95.-------------------------------------------- 25
2. Le bon rire et le mauvais rire.----------------------------------------------------------- 25
Chapitre : La vérité monastique. 12.02.95.--------------------------------------- 27
1. Accueil, écoute et mise en route.------------------------------------------------------ 27
Chapitre : La vérité monastique. 13.02.95.--------------------------------------- 29
2. La croissance du moine.-------------------------------------------------------------------- 29
REGLE : 13, 12 – fin. 16.02.95.--------------------------------------------------------- 31
Le pardon mutuel. ------------------------------------------------------------------------------ 31
Règle : 16. Sept fois le jour. 19.02.95.---------------------------------------------- 34
Prendre au sérieux la Parole de Dieu.-------------------------------------------------- 34
Lettre du Père Abbé Général. 22.02.95.------------------------------------------- 36
1. Introduction & Histoire.------------------------------------------------------------------- 36
Chapitre : Décès du Frère Bruno. 23.02.95.----------------------------------------- 38
Une petite méditation.------------------------------------------------------------------------- 38
Homélie : Funérailles de Frère Bruno 24.02.95.----------------------------------- 40
Il est le chemin, la vérité et la vie.------------------------------------------------------ 40
Chapitre du Mercredi des Cendres. 01.03.95.-------------------------------------- 42
La joie qui vient de l’Esprit.----------------------------------------------------------------- 42
LETTRE DU PERE ABBE GENERAL. 02.03.95.----------------------------------------------- 45
2. Le sens de nos Constitutions.------------------------------------------------------------ 45
Chapitre : Un climat communautaire…. 05.03.95.-------------------------------- 48
4. Synthèse de l’échange communautaire.------------------------------------------- 48
Chapitre : Un climat communautaire…. 12.03.95.-------------------------------- 50
5. Quelques points d’ordre pratique.---------------------------------------------------- 50
Homélie : 2° dimanche du carême. C. 12.03.95.--------------------------------------- 53
Un phare sur notre route.------------------------------------------------------------------- 53
REGLE : Chap. 37. 15.03.95.--------------------------------------------------------- 55
La responsabilité de l'Abbé.----------------------------------------------------------------- 55
LETTRE DU PERE ABBE GENERAL. 15.03.95.----------------------------------------------- 56
3. Qu'est-ce que le salut ?--------------------------------------------------------------------- 56
LETTRE DU PERE ABBE GENERAL 18.03.95.----------------------------------------------- 58
4. Chrétien et moine ?--------------------------------------------------------------------------- 58
Chapitre : Un climat communautaire…. 19.03.95.-------------------------------- 60
6. Quelques points d’ordre pratique. (suite)----------------------------------------- 60
Chapitre : Solennité de l’Annonciation. 25.03.95.-------------------------------- 62
La recréation de l'univers.------------------------------------------------------------------ 62
Chapitre : Un climat communautaire…. 26.03.95.-------------------------------- 65
7. Ni dénigrements, ni uniformisation !------------------------------------------------- 65
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 27.03.95.----------------------------------- 67
5. Les Constitutions sont notre livre de vie.----------------------------------------- 67
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 01.04.95.----------------------------------- 69
6. L’expression de notre charisme.------------------------------------------------------- 69
SEMAINE SAINTE 1995 : du 09.04 au 17.04.----------------------------------------------------- 71
Dimanche des Rameaux. 09.04.95.------------------------------------------------ 71
A. Homélie à la bénédiction des rameaux.-------------------------------------------- 71
B. Homélie à l'Eucharistie de la Passion.----------------------------------------------- 72
Chapitre du Lundi-Saint. 10.04.95.------------------------------------------------ 75
Le geste de Marie de Béthanie.------------------------------------------------------------- 75
Chapitre du Mardi-Saint. 11.04.95.----------------------------------------------- 78
L’ambiance entre les disciples.------------------------------------------------------------ 78
Chapitre du Mercredi-Saint. 12.04.95.-------------------------------------------- 81
Le jusqu’au bout de l’amour.--------------------------------------------------------------- 81
Homélie du Jeudi-Saint. 13.04.95.------------------------------------------------ 84
Faire comme le Christ.------------------------------------------------------------------------- 84
Homélie du Vendredi-Saint. 14.04.95.--------------------------------------------- 86
Le jusqu’au bout de Dieu !-------------------------------------------------------------------- 86
Exhortation du Vendredi-Saint. 14.04.95.*--------------------------------------- 88
Nous ouvrir aux paradoxes.---------------------------------------------------------------- 88
HOMELIE DE LA VIGILE PASCALE. 15.04.95.----------------------------------------------- 91
HOMELIE DU JOUR DE PAQUES. 16.04.95.-------------------------------------------------- 92
HOMELIE DU LUNDI DE PAQUES. 17.04.95.-------------------------------------------------- 93
Se laisser emporter par le Christ.-------------------------------------------------------- 93
Homélie aux funérailles de Frère Benoît. 18.04.95.------------------------------- 95
Une faveur de Dieu.------------------------------------------------------------------------------ 95
Chapitre : Apparition au bord du lac. 23.04.95.------------------------------------ 97
La grâce d’un cœur pur.---------------------------------------------------------------------- 97
Chapitre : L’Alleluia. 25.04.95.----------------------------------------------- 100
Louez le Seigneur !----------------------------------------------------------------------------- 100
Chapitre : Un climat communautaire.… 30.04.95.------------------------------- 102
8. Suggestions du Père Abbé.--------------------------------------------------------------- 102
Récollection du mois de mai. 07.05.95.---------------------------------------- 105
Ne serions-nous pas des endormis ?----------------------------------------------------- 105
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 10.05.95.--------------------------------- 108
7. Utilité des Constitutions.---------------------------------------------------------------- 108
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 11.05.95.--------------------------------- 110
8. Pourquoi des Constitutions ?----------------------------------------------------------- 110
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 12.05.95.--------------------------------- 112
9. Au service de la formation.------------------------------------------------------------ 112
Chapitre de l’Ascension. 25.05.95.--------------------------------------------- 114
Notre naissance en Dieu.-------------------------------------------------------------------- 114
Récollection du mois de Juin ~ Pentecôte. 04.06.95.----------------------------- 116
L’Esprit Saint est une personne.---------------------------------------------------------- 116
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 06.06.95.--------------------------------- 119
10. Au service de l’appartenance et de l’unité.----------------------------------- 119
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 06.06.95.--------------------------------- 121
11. Les clés de lecture.----------------------------------------------------------------------- 121
Chapitre de la Dédicace. 02.07.95.--------------------------------------------- 124
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général.02.07.95.*-------------------------------- 125
12. La première clé de lecture.------------------------------------------------------------ 125
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 03.07.95.--------------------------------- 127
13. Seconde clé : monachisme cénobitique.------------------------------------------ 127
REGLE : Chap. 27. * Sympectes * 04.07.95.--------------------------------------------- 130
Le rôle de l’Abbé.------------------------------------------------------------------------------- 130
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 04.07.95.--------------------------------- 131
14. La troisième clé de lecture.----------------------------------------------------------- 131
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 05.07.95.--------------------------------- 132
15. L’orientation contemplative de notre vie.------------------------------------ 132
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 08.07.95.--------------------------------- 134
16. Danger d’illusions !---------------------------------------------------------------------- 134
Chapitre : Conseils à un Abbé. 30.07.95.------------------------------------------ 137
Extraits. ------------------------------------------------------------------------------------------- 137
Récollection du mois d’août. 05.08.95.--------------------------------------- 139
La Transfiguration.--------------------------------------------------------------------------- 139
Vigile de l’Assomption de la Vierge. 14.08.95.---------------------------------- 142
Homélie à l’Eucharistie vespérale.----------------------------------------------------- 142
Homélie : Assomption de la Vierge. 15.08.95.------------------------------------- 144
Marie nous enfante à la vie.--------------------------------------------------------------- 144
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 10.09.95.--------------------------------- 146
17. Un climat favorisant la contemplation.--------------------------------------- 146
Les symboles de notre église. 10.09.95.*---------------------------------------- 149
6. La croix de l’ambon.----------------------------------------------------------------------- 149
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 11.09.95.--------------------------------- 150
18. Une croissance dans la foi.------------------------------------------------------------ 150
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 12.09.95.--------------------------------- 153
19. La philosophie du Christ.---------------------------------------------------------------- 153
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 13.09.95.--------------------------------- 157
20. Conquérir un don !------------------------------------------------------------------------ 157
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 15.09.95.--------------------------------- 161
21. Mourir à soi-même !------------------------------------------------------------------------ 161
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 16.09.95.--------------------------------- 164
22. Sous la conduite de l’Esprit. (fin de la lettre)------------------------------- 164
Chapitre : Croix glorieuse. 16.09.95.*------------------------------------------ 166
La dernière marche de la croix.--------------------------------------------------------- 166
Les symboles de notre église. 17.09.95.----------------------------------------- 167
7. La croix du tympan.------------------------------------------------------------------------ 167
Homélie : Fête de la Croix glorieuse. 17.09.95.*---------------------------------- 169
Sommes-nous meilleurs que nos pères ?---------------------------------------------- 169
Chapitre : Prendre notre croix. 18.09.95.-------------------------------------- 172
1. La croix de l’obéissance.----------------------------------------------------------------- 172
Chapitre : Prendre notre croix. 21.09.95.-------------------------------------- 175
2. Etre mort aux éléments du monde.------------------------------------------------- 175
Chapitre : Standardiser les bouteilles ? 24.09.95.------------------------------- 177
Réflexions sur la standardisation.--------------------------------------------------- 177
Règle : Chapitre 7, 1-12. 25.09.95-------------------------------------------------- 180
Le refus de devenir une vedette.-------------------------------------------------------- 180
Règle : Chapitre 7, 13-28. 26.09.95.------------------------------------------------- 182
Une double exaltation !-------------------------------------------------------------------- 182
Règle : Chapitre 7, 29-51. 27.09.95.------------------------------------------------- 185
Renoncer à notre volonté propre.----------------------------------------------------- 185
Règle : Chapitre 7, 82-88. 2°degré. 30.09.95.------------------------------------------- 187
Il nous faut choisir ?-------------------------------------------------------------------------- 187
Chapitre : Récollection du mois d’octobre.01.10.95.--------------------------- 190
Se laisser aimer par Dieu !------------------------------------------------------------------ 190
Règle : Chapitre 7, 89-92. 3°degré. 01.10.95*------------------------------------------ 192
Pro Deo amore !---------------------------------------------------------------------------------- 192
Règle : Chapitre 7, 119-130. 4°& 5°. 03.10.95.--------------------------------------------- 193
Le cadeau de l’humilité !-------------------------------------------------------------------- 193
Règle : Chapitre 7, 131-137. 6°degré. 04.10.95.----------------------------------------- 195
Participer à la propre humilité de Dieu !--------------------------------------------- 195
Règle : Chapitre 7, 138-146. 7°degré. 05.10.95.------------------------------------------ 198
Nous ouvrir à l’humilité divine !-------------------------------------------------------- 198
Règle : Chapitre 7, 147-149. 8°degré. 06.10.95.----------------------------------------- 201
Disparaître dans la communauté !----------------------------------------------------- 201
Règle : Chapitre 7, 150-155. 9°degré. 07.10.95.----------------------------------------- 203
Le piège de la curiosité !--------------------------------------------------------------------- 203
Règle : Chapitre 7, 156-158. 10°degré. 08.10.95.----------------------------------------- 205
Voir la misère du monde !------------------------------------------------------------------- 205
Règle : Chapitre 7, 159-164. 11°degré. 09.10.95.----------------------------------------- 207
Les sept qualités de la parole.----------------------------------------------------------- 207
Règle : Chapitre 7, 165-fin. 12°degré. 10.10.95.---------------------------------------- 209
Se savoir aimé !---------------------------------------------------------------------------------- 209
Chapitre : Obéissance et liberté ! 15.10.95.-------------------------------------- 212
Récit de littérature monastique.------------------------------------------------------- 212
Règle : Chapitre 7 et 8.(entre les deux) 20.10.95.----------------------------------- 215
Humilité et Opus Dei.--------------------------------------------------------------------------- 215
Règle : Chapitre 17. 21.10.95.--------------------------------------------------- 218
Le chant du cosmos !-------------------------------------------------------------------------- 218
Chapitre : Apophtegme d’Abba Longin. 22.10.95.---------------------------------- 221
Vivre en étranger !---------------------------------------------------------------------------- 221
Homélie : 29° Dimanche ordinaire – C. 22.10.95.------------------------------------ 223
Le Salut par la Foi.----------------------------------------------------------------------------- 223
Chapitre : Le combat contre Amaleq. 23.10.95.---------------------------------- 225
Exode : 17, 8 – 13.---------------------------------------------------------------------------------- 225
Règle : Chapitre 19. 26.10.95.--------------------------------------------------- 228
Que notre esprit concorde avec notre voix !------------------------------------- 228
Règle : Chapitre 21. 28.10.95.----------------------------------------------------- 231
Le péril de la superbia !---------------------------------------------------------------------- 231
Chapitre : Apophtegme d’Abba Agathon. 29.10.95.--------------------------------- 234
La mort d’un saint !--------------------------------------------------------------------------- 234
Chapitre : Fête de la Toussaint.---------------------------------------------------------- 236
La sainteté n’est pas facultative !----------------------------------------------------- 236
Homélie : Fête de Saint Hubert.----------------------------------------------------------- 238
Fête de la communauté et de nos collaborateurs.---------------------------- 238
Chapitre : Dimanche du Christ-Roi. 26.11.95.------------------------------------- 240
Apprendre à aimer !---------------------------------------------------------------------------- 240
Homélie : Fête du Christ-Roi. 26.11.95*------------------------------------------ 244
Une royauté d’amour !---------------------------------------------------------------------- 244
Chapitre : Prendre le risque d’aimer ! 28.11.95.---------------------------------- 246
Qualités du véritable amour.------------------------------------------------------------ 246
Chapitre : Récollection de décembre. 03.12.95.-------------------------------- 248
Vivre réellement avec le Christ ressuscité !-------------------------------------- 248
Règle : Chapitre 58, 38-fin. Apophtegme.12.12.95.----------------------------------- 251
Comment faire pour devenir moine ?--------------------------------------------------- 251
Homélies en la fête de la Nativité. 25.12.95.------------------------------------ 254
1. Messe de minuit.--------------------------------------------------------------------------- 254
2. Homélie de la messe du jour.------------------------------------------------------- 255
Homélie en la fête de Saint Etienne. 26.12.95.------------------------------------ 258
Homélie : Fête de St Jean l’Evangéliste. 27.12.95.--------------------------------- 260
Homélie : Fête des Saints Innocents. 28.12.95.------------------------------------- 262
Homélie du 5°jour de l’Octave de Noël. 29.12.95.--------------------------------- 263
Homélie du 6°jour de l’Octave de Noël. 30.12.95.--------------------------------- 264
Chapitre : Le dernier jour de l’année. 31.12.95.---------------------------------- 265
Ombres et lumières !-------------------------------------------------------------------------- 265
Homélie de la Fête de la Sainte Famille. 31.12.95*------------------------------- 267
TABLE DES MATIERES POUR L’ANNEE 1995.------------------------------------------------- 268
[1] Voir Chapitre du 23.10.94.
[2] Voir les chapitres du 04.12.94 * 05.12.94 et 18.12.94
[3] Si je me rappelle, il s’agit de l’ancien Abbé de la Pierre qui Vire s’adressant aux Abbés de la Région.
[4] Extraits de l’homélie du Père Gilbert le dimanche 10 Septembre 1995
[5] Voir aussi le 23.05.93 * 13.06.93 * 20.06.93 * 27.06.93 * 12.07.93.
[6] Extraits du Chapitre de la récollection d’octobre le 01.10.95.
[7] Voir Chapitre du 16.09.95.
[8] Peut servir de commentaire de Règle 5, 7-9 & 12-20.