Mes frères
Au seuil de cette année nouvelle, il me semble pouvoir et devoir vous souhaiter de devenir, chacun pour votre part et dans la ligne de votre vocation personnelle, un temple de Dieu. Nous venons de chanter au sujet de la Vierge Marie : Elle devint soudainement le Temple de Dieu.
Qu'est-ce que cela signifie : être le temple de Dieu ? Cela signifie que notre respiration devrait être 1'Esprit Saint en personne. Il faut que cette année nouvelle soit le témoin de notre métamorphose.
Nous aurons bientôt une église restaurée, renouvelée, toute immaculée. Il n'y a pas de raison que nous-mêmes ne soyons pas entièrement convertis et transformés. C'est un programme qui n'est pas facile, c'est le programme de notre vie contemplative.
Eh bien, mes frères, nous allons demander à la Vierge Marie de nous accorder, de nous obtenir cette grâce de la conversion, de la métamorphose, de la transfiguration, que nous soyons chacun pour notre part un Temple de Dieu.
Et aujourd'hui, il se passe - depuis zéro heure exactement - un événement qui va modifier notre sentiment de l'espace : 1'Europe efface ses frontières. Eh bien, nous nous efforcerons d'être témoins de Dieu jusque là :
Témoins de sa Providence qui rapproche et qui unit les cœurs ; témoins de son amour vigilant qui conduit les hommes vers toujours plus de vérité et de charité ; témoins de son action créatrice.
Et nous serons les témoins de cet agir créateur par notre collaboration intelligente à la mise en place des structures nouvelles. Nous nous y employons déjà depuis plus d'un mois et ce n'est pas terminé.
Mais nous irons jusqu'au bout de cette collaboration attentive et dévouée - n'ayons pas peur de le dire - à la mise en place de cette Europe qui doit devenir, espérons-le, souhaitons-le, qui doit devenir un exemple et un phare pour le monde entier. Et ainsi, nous serons de vrais disciples du Christ, lui qui est venu afin de rassembler les enfants de Dieu dispersés.
Et puis, mes frères, nous serons des optimistes qui croient en l'avenir. En entrant joyeusement dans ce qui nous est offert, dans ce qui nous est demandé, nous travaillerons à la construction de la prospérité et de la paix.
Notre propos sera plus que jamais cette belle devise de Saint Benoît, ut omnibus glorificetur Deus, 57,19, pour que Dieu soit glorifié en tout jusque dans les affaires matérielles, jusque dans nos relations avec les autres. Il faut que les hommes qui viennent ici pour affaires se sentent dans une ambiance autre que celles qu'ils connaissent habituellement. Et je pense que nous sommes déjà bien avancés sur cette route ; ils le reconnaissent déjà, ils le disent.
Nous ne devons pas nous arrêter. Il faut que ceux qui nous rencontrent ici même sentent qu'il y a en nous, et dans ce domaine de Dieu, dans cette maison de Dieu qu'est le monastère, il y a quelque chose dont ils ont besoin, dont ils ont soif et dont ils nous seront reconnaissant.
Alors, cette action apostolique efficace et discrète, nous la mènerons toujours à partir de notre solitude par notre propre sainteté et par la vérité de notre vie. Il n'est pas nécessaire de courir dehors. Nous devons être ici un foyer qui doit pouvoir rayonner sur le cosmos tout entier.
A l'intérieur de la création nouvelle, il n'y a plus de distances, il n'y a aucune frontière et la lumière, que nous portons en notre cœur, cette lumière qui est l'Esprit Saint lui-même, peut agir partout. Mais voilà, il faut que nous soyons vraiment ces temples. Et alors, nous serons de bons travailleurs, comme le dit Saint Benoît, dont Dieu sera fier. Ce n'est plus nous mais c'est lui qui agira en nous.
Voilà, mes frères, ce que nous devons nous souhaiter les uns pour les autres lorsque nous échangerons nos vœux silencieusement ; mais dans notre cœur, nous aurons cette espérance et cette confiance.
Mes frères,
0sons le dire, dans le sein de la Vierge Marie, Dieu a trouvé un ciel tout préparé pour lui sur notre terre. Mais Dieu n'est-il pas lui-même son propre ciel ? Pourtant, il a voulu que dans sa création, il se trouve un lieu qui fut pour lui comme un autre lui-même. Et ce lieu était Marie.
Le Verbe de Dieu s'est caché dans Marie et avec lui toute la Trinité. Dans la chair de Jésus, on voyait Dieu tout entier ; et dans la chair de Marie, on contemplait Dieu par transparence.
Mais comment Marie pouvait-elle être un ciel pour Dieu ? Elle l'était parce que en elle resplendissait tout ce qui était de Dieu, tout ce qui évoquait Dieu :
- une pureté immaculée, image de la pureté divine ;
- une chasteté lumineuse, présence de la lumière de Dieu ;
- un amour respectueux, c'est Dieu qui à travers Marie pouvait librement aimer ;
- un abandon total, ce n'est plus Marie qui vivait, c'est l'Esprit de Dieu qui vivait en elle ;
- une beauté douce et humble, celle même de Dieu sur un visage humain.
Mais le sein de Marie était aussi un ciel pour l'univers, car là où était le Créateur, là se trouvait aussi le cosmos qu'il était en train de créer, ou plutôt l'univers qu'il recréait, qu'il transfigurait, qu'il portait à son accomplissement.
Mes frères, Marie était - et elle l'est toujours - parousie de 1'eschaton, apparition de la création achevée, accomplie, parvenue à son terme, cette création dans laquelle Dieu est tout en toutes choses comme il est tout dans les moindres fibres de Marie.
0ui, sachons-le, Marie est la Mère de Dieu, elle est la Mère des hommes, elle est la Mère de l'univers, elle est notre propre Mère. Comme l'a si bien dit notre Père Saint Bernard, tout absolument tout nous vient par Marie. Tel a été le vouloir de Dieu pour sa gloire à lui, pour la gloire de Marie et pour notre gloire à nous ,
Mes frères, sachons-le bien au seuil de cette année nouvelle, la sainteté est à portée de notre main. Restons cachés dans le sein de Marie, dans le ciel de Dieu, et tout s'accomplira pour nous.
Amen.
Mes frères,
Nous commençons une nouvelle année sous le signe conjoint de la Mère de Dieu et de l'Epiphanie du Seigneur Jésus. C'est un puissant encouragement pour nous qui sommes si vulnérables et si fragiles ; pour nous qui sommes mordus, rongés par la peur.
Aujourd'hui même - il n'a pas fallu attendre longtemps - le 2 Janvier, nous avons eu l'occasion de saisir la peur qui tenaille certaines personnes devant cette Europe dont on a ouvert les portes, hier. Elle apparaît comme un monstre qui va tout dévorer. Et, les hommes ont peur. Ils voudraient que rien n'ait été changé.
Ils veulent continuer, que ce soit comme avant, que ce soit comme toujours. Ils ont peur et pourtant le mouvement est irréversible et il va vers un bien, il va vers un mieux, il va en principe vers une apothéose.
Eh bien nous ici dans le monastère, ou bien nous les chrétiens dans le monde, que devons-nous faire ? Le Cardinal Ratzinger vient de nous expliquer, de nous rappeler, d'évoquer cette peur qui tenaille le subconscient des hommes et qui, brutalement, se réveille à la suite d'un événement qui est jugé comme dérangeant.
Eh bien, nous les chrétien, nous devons être, nous devons devenir, à l'exemple de la Vierge Marie, des temples de Dieu et des Epiphanies de Dieu. Telle est notre vocation dans le monde , C'est de cela que le monde a besoin ; c'est cela la véritable politique, celle qui construit patiemment sans jamais se décourager le Royaume de Dieu, la création nouvelle ; celle à l'intérieur de laquelle tous les hommes se reconnaîtront comme frères, tous les hommes se reconnaîtront de la famille de Dieu.
0ui, il faut que chacun de nous devienne présence visible de Dieu sur notre terre. J'ai vu Dieu dans un homme, disait un des fidèles du Curé d'Ars. 0n devrait pouvoir en dire autant de chacun de nous. Et vous allez me rétorquer : Dieu lui-même dans une chair d'homme, dans le Seigneur Jésus, mais a-t-il été seulement reconnu ? 0ui, par une poignée de fidèles. Mais les autres ? Les autres n’ont vu en lui qu'un demi fou.
Eh bien, mes frères, il n'est pas nécessaire que nous soyons présence visible de Dieu pour tous les hommes, mais nous devons l'être pour ceux qui ont un coeur d'enfant, ceux-là qui cherchent Dieu et qui ont besoin de Dieu pour vivre.
Et à partir de cette petite semence, dans l'invisible, la vie divine va se répandre et le grand Corps de l'humanité va grandir vers son accomplissement, vers l'heure où Dieu sera tout en toutes choses. C'est un travail de patience, mais ce qui est fait pour durer grandit et se développe lentement.
Eh bien, mes frères, puisque Dieu nous propose une telle mission, c'est qu'elle n'est pas impossible. Elle est relativement simple puisque, dans le fond, c'est un cadeau à recevoir.
Etre Epiphanie de Dieu, c'est être devenu semblable à Dieu en tout. 0r Dieu est amour. Comme je l'ai déjà dit, l'amour n'est pas une qualité de Dieu. L'amour, c'est Dieu ! Et là où il y a l'amour, Dieu se révèle, là Dieu peut être vu, là Dieu peut être touché. Nous serons Epiphanie, quand nous serons devenus amour.
Mais ne nous méprenons pas. Aimer, c'est être à la fois infiniment faible et prodigieusement fort. C'est la faiblesse et la force de la gratuité, de la pureté, de la chasteté. L'amour, c'est Dieu lui-même et, il n'a rien de commun avec les démarches, avec les gestes de ce monde qui sont toujours plus ou moins intéressés. Là où il y a intérêt, il n'y a pas d'amour ; il faut, pour qu'il y ait amour, qu'il y ait gratuité.
C'est pourquoi l'amour est faible parce que n'ayant aucun intérêt en vue, il n'oppose aucune résistance. Si on vous frappe sur une joue, eh bien, présentez encore l'autre ; si on vous réquisitionne pour faire mille pas, n'ayez pas peur, faites-en deux mille ; si on vous prend votre tunique, eh bien, abandonnez aussi votre chemise. N'opposez aucune résistance au mal !
Voyez cette faiblesse de l'amour ! 0r, c'est possible lorsque on n'a plus aucun intérêt pour les choses matérielles, aussi pour la réputation et pour tout ce qui met quelqu'un en valeur devant les autres.
Mais en même temps, l'amour est extrêmement fort parce que plus rien ne peut l'atteindre, que plus rien ne peut l'entamer, il est toujours finalement vainqueur. Et sa grande victoire, sa victoire absolue, c'est la victoire sur la mort ; l'amour parvient à la résurrection, ne l'oublions pas !
Aimer, c'est être ressuscité d'entre les morts, c'est avoir reçu un corps spirituel qui est Dieu lui-même. Si bien que la mort n'est plus effrayante, elle n'est plus inquiétante et, toute peur a disparu quelque soit cette peur. Il peut encore se passer de petits frémissements à la surface de la sensibilité, mais à l'intérieur il n'y a plus de peur. 0n est au-delà de la peur parce que on est au-delà de la mort, parce que on est devenu amour.
Alors, mes frères, vous voyez, c'est cela qui est attendu de nous. Et comme je le disais, c'est un cadeau à recevoir, c'est une grâce à laquelle nous devons nous ouvrir. Nous serons Epiphanie de Dieu quand nous aimerons ainsi jusqu'au bout.
Et le chemin pour en arriver là, la route que nous devons emprunter lorsque nous recevons ce cadeau, la route qui est elle-même le cadeau, c'est le sein de la Vierge Marie. C'est elle qui nous enfante à notre être divinisé comme elle a enfanté Dieu à son être d'homme.
Nous laisser enfanter par elle, c'est suivre sa consigne, celle qu'elle a donné une fois. Et la voici, je la rappelle : « Faites tout ce qu'il vous dira », et l'impossible arrivera. Ce n'est pas plus difficile que cela. Il faut le faire en toute confiance, même si cela paraît n'avoir aucun sens. Cela n'a peut-être pas de sens pour notre raison, mais cela a un sens pour la Sagesse de Dieu, Sagesse qui peut nous paraître parfois plutôt folie.
Mes frères, au cours de ce mois, nous regarderons les initiateurs de notre vie monastique, ces hommes qui n'ont jamais regretté le pas, le premier pas qu'ils avaient fait et, qui sont allés jusqu'au bout. Aujourd'hui, notre Père Saint Basile ; bientôt, notre Père Saint Antoine ; un peu après, les Fondateurs de notre vie cistercienne. Et ce n'étaient pas des géants, c'étaient des hommes tout simples comme nous, avec leur vulnérabilité, leur fragilité. Mais ils s'étaient ouverts à l'appel qu'ils avaient entendu.
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Et puis, ils restaient bien sagement, bien calmement dans le sein de la Vierge Marie, recevant d'elle cette vie qui les métamorphosait insensiblement et faisaient tout simplement ce qui leur était demandé.
Mais voilà, mes frères, si vous le voulez, nous allons prier les uns pour les autres demain en cette fête de l'Epiphanie. Nous allons considérer, entre autres, notre monastère avec sa clôture comme le sein de la Vierge Marie. Vous savez que, ici, on n'est pas dans l'indifférence, on est ici dans la propre maison de Dieu. Et la maison de Dieu, la toute première, la plus belle, c'était bien le sein de Marie.
Nous pouvons donc à partir de notre clôture vivre ce symbole. Et je pense, entre autres - mais nous sommes en hiver maintenant et ce serait très difficile - mais nous avons ce symbole parfaitement évoqué dans notre jardin clos, 1'hortus clausus qu'était Marie.
Eh bien, mes frères, notre fidélité sera le lieu de notre espérance et l'assurance de notre avenir. Nous ne devons pas avoir peur de notre avenir. Nous n'aurons pas peur de construire 1'Europe avec nos concitoyens européens ; nous n'aurons pas peur de construire le Royaume de Dieu avec la Sainte Trinité, les saints et tous nos frères les hommes.
Car finalement, c'est là que nous devons arriver, à ne plus être qu'un, un seul être, un seul corps vivant de la vie divine au cœur même de la Trinité.
Mes frères,
Hier soir, Saint Benoît nous disait son intention d'organiser l'état des cénobites, le coenobitarum fortissimum genus, 1,35, la race extrêmement forte des cénobites, ces hommes qui militent sous une Règle et un Abbé. Et aujourd'hui, il commence par nous parler de l'Abbé.
Cela semble en contradiction avec la vision théologique actuelle concernant l'Eglise. En effet, le Concile Vatican II a proclamé la priorité du peuple de Dieu. 0n s'attendrait donc à ce que logiquement Saint Benoît nous parle d'abord de la communauté. 0r, il n'en est rien, il parle d'abord de l'Abbé.
Il est donc original en sa personne et en sa doctrine. Et ne pensons pas qu'il refléterait une opinion théologique courante à son époque et que nous devrions rectifier, corriger. Non, il affirme une vision de foi hors de laquelle la vie cénobitique perd tout sens. Elle est comme désorientée ; elle ne sait plus où elle va.
En effet, tout gravite autour du fait que l'Abbé tient la place du Christ. Pour la foi, il est le Christ ; creditur, 2,5, dit Saint Benoît. C'est une question de foi. Ce n'est pas une question de logique, c'est une question de foi.
0r, le Christ, dans l'Eglise, est premier, il est la tête du Corps. Il en est le créateur, le sauveur, le sanctificateur. Toute la vie qui est en lui - la vie divine car il est Dieu - il la partage avec tous les membres de son corps. Elle coule de lui jusqu'aux dernières cellules de ce corps qui devient alors un locus, un lieu où Dieu est tout en toutes choses.
Eh bien, pour Saint Benoît et dans la réalité des choses, l'Abbé qui est dans le monastère, est la personne même du Christ. Aux yeux de la foi, l'Abbé doit être la tête, l'âme, 1'inspirateur et le sauveur du corpus monasterii.
Si bien que le monastère, le corps que constituent les frères, est donc non pas un groupement, une société d'hommes qui se sont réunis pour atteindre un tel but ; non, le corpus monasterii est une réalité mystique comme l'Eglise est une réalité mystique.
Le corpus monasterii est une ecclesia. N'oublions jamais que les premiers cisterciens désignaient leurs monastères comme des Eglises. Ils avaient, eux, le sens de cette réalité mystérieuse qui est un monastère. Au cours des temps, cela s'est peu à peu estompé mais, je pense que l'heure est venue de retrouver cette vérité et d'en vivre.
Si bien que l'Abbé ne peut jamais se désolidariser des frères qui sont comme son corps. Il porte leurs péchés à la façon du Christ a été fait péché pour la multitude. Donc, l'Abbé doit savoir que lui aussi a été fait péché pour rédimer tous ses frères.
Quand il en aura conscience, à ce moment-là, il sera arrivé 12° d'humilité, car il se tiendra devant Dieu dans l'attitude pécheur qui porte non seulement ses propres iniquités, mais aussi, surtout, et d'abord celles de tout son corps, le corps qui est monastère.
Le premier devoir de l'Abbé est donc de devenir un saint. Pour eux, je m'efforce de devenir un saint, disait le Christ à son Père avant de commencer sa passion. Voilà ce qu'on entendait dans la bouche du Christ, lui qui était le Saint par excellence.
Mais il voulait dire par là qu'il se consacrait totalement à la mission qui lui était confiée et qu'il n'en dévierait pas. Et il faisait cela pour les membres de son corps.
Tel doit être aussi le sentiment de l'Abbé ! Vous voyez que ce n'est pas rien. C'est tout autre chose qu'un administrateur ; c'est tout autre chose que le premier des frères, celui qui arrange les histoires dans un monastère. Non, il est une réalité mystique exactement comme le corps.
Et les frères prendront conscience de leur appartenance mystérieuse à ce corps dans la mesure où ils sont en communion avec l'Abbé. Et c'est la raison pour laquelle la peine de 1'excommunication est mortelle pour un frère.
Nous autres, nous avons perdu tout cela de vue ; nous vivons dans un monde rationnel, dans un monde relativiste, dans un monde cartésien. Mais nous devons essayer de nous ressaisir et de voir les choses comme elles sont, dans leur beauté.
Eh bien, de là découlent toutes les qualités que doit avoir l'Abbé, à commencer par l'humilité. Car il doit savoir que ce n'est pas lui finalement qui va vivre, mais que c'est le Christ qui doit vivre en lui, à travers ses défauts, à travers ses limites, à travers ses impuissances, à travers sa vulnérabilité, à travers ses peurs, à travers tout, c'est le Christ.
N'oublions pas que le Christ, au moment d'entrer dans sa passion, a eu terriblement peur. Il a tellement eu peur qu'il a voulu presque prendre la fuite. Mais voilà, non, son propos était de se consacrer jusqu'au bout à sa mission.
Eh bien voilà, mes frères, telle est la réalité que Saint Benoît nous découvre aujourd'hui ; mais seule la foi permet de la découvrir et d'en vivre. Alors, je pense qu'il faut toujours beaucoup prier pour l'Abbé car il y va du bien de tous. En priant pour l'Abbé, on prie pour soi. Et en priant pour soi, on prie pour tous les frères, et on prie pour l'Abbé car nous formons une unité dans le cœur de Dieu.
Mes frères,
Vous savez que Aelred est considéré comme le Docteur de l'Amitié Spirituelle. Et nous avons ici, justement chez Saint Benoît, un bel exemple d'amitié spirituelle. Il dit : L'Abbé témoignera à chacun une égale charité, 2, 57, aequalis caritas.
0n va dire : Mais la charité, c'est pas l'amitié ? Mais Aelred a aussi rédigé un ouvrage, Le miroir de la charité, qui est vraiment le miroir dans lequel nous pouvons nous reconnaître, savoir où nous en sommes. Chacun d'entre nous doit être un miroir de la charité, c'est à dire un miroir de Dieu, un miroir de l'Esprit Saint.
Et l'amitié spirituelle, c'est une amitié qui n'est pas fondée sur des affinités raciales ou de consanguinité, ou bien d'éducation ou de culture. Non, une telle amitié est fondée uniquement sur la personne de 1 'Esprit Saint.
Dans la pratique, une telle amitié ne s'arrête pas aux réactions instinctives qui peuvent être de sympathie ou d'antipathie. Non, elle est au-dessus. Elle est un sentiment - appelons-le ainsi - mais un sentiment spirituel qui est fait de chaleur, qui est fait de tendresse, qui est fait de compassion, qui est fait de douceur et qui est fait de charité aussi, et qui porte les frères les uns vers les autres.
C'est ainsi que nous nous aimerons quand nous serons dans la création nouvelle. Là, nous serons tous des amis. Lorsque le Christ parle à ses apôtres en les appelant ses amis, c'est cela qu'il veut dire. Il y en avait de toutes les catégories dans ses apôtres, dans ses disciples.
Il est dit qu'il y en avait un qu'il aimait. 0ui, il avait sans doute une préférence pour celui-là et les autres le remarquaient. C'est inévitable ! C'était certainement pour cette raison-ci qui est rappelée par Saint Benoît : c'est que celui-là était plus avancé dans les bonnes œuvres et dans l'obéissance. Ce disciple était certainement plus humble que les autres, plus ouvert à 1'Esprit Saint.
Et alors, le Christ savait qu'avec celui-là, il pouvait tout réaliser au plan spirituel ; disons qu'il était plus proche de celui-là que des autres, mais cela ne l'empêchait pas d'avoir une amitié parfaite pour chacun.
Eh bien, mes frères, nous devons nous efforcer de pratiquer cette même amitié. Mais attention ! Elle n'est pas naturelle ; nous ne pouvons absolument pas y parvenir par nos propres moyens.
Mais nous pouvons nous ouvrir à 1'Esprit Saint, à la Lumière de Dieu qui, peu à peu, prend possession de notre cœur et fait que nous nous aimions de cette façon-là, que nous soyons tous vraiment des amis, c'est à dire des personnes qu'on aime rencontrer, qu'on aime fréquenter, avec lesquelles il est agréable de vivre ; et tout ça - attention encore une fois - au plan spirituel. Donc, c'est quelque chose qui est déposé en nous par Dieu, c'est 1'Esprit Saint qui nous habite et puis qui transfigure nos sentiments.
C'est cela, mes frères, l'amitié spirituelle ! Et vous voyez que, ici, Saint Benoît attend qu'elle soit d'abord le propre de l 'Abbé. Un Abbé qui n'aurait pas cette amitié spirituelle - je ne dis pas à la perfection parce que elle est indéfiniment perfectible - mais qui ne l'aurait tout de même pas en germe, eh bien, il ne serait pas à sa place comme Abbé, je le dis franchement.
Il faut que chez lui, il y ait, disons, ce souci d'abandonner ses façons de voir naturelles pour s'ouvrir à des visions surnaturelles de ses frères qui lui permettent alors de les aimer sincèrement sans faire de distinction.
Voilà, mes frères, je pense que nous pouvons, au soir de cette fête de Saint Aelred, demander cette grâce les uns pour les autres car, c'est elle qui fait du monastère un paradisus claustralis, un petit paradis où il fait bon vivre.
Mes frères,
Saint Benoît laisse, ce soir, passer le bout de son oreille, car ce qu'il vient de nous dire est sous-tendu par une qualité essentielle du vrai moine, à savoir le détachement. Les frères donnent leur avis en toute humilité. Ils ne soutiennent pas effrontément leur manière de voir. Et puis voilà, quand l'Abbé a décidé, tous se soumettent à cette décision. 3. 9-13.
Les frères ne sont pas attachés à leur jugement, ni à leur façon de voir. Non, ils sont libres de tout cela. Le vrai moine ne confond pas les plans. Il ne mêle pas l'essentiel et l'accessoire, le contingent. Un vrai moine n'a pas de demeure permanente ici bas ; il le sait. Il n'oublie pas non plus que il lui faudra mourir un jour et tout abandonner.
Alors, pourquoi, pourquoi défendre avec opiniâtreté une quelconque idée ? C'est ridicule ! Autrefois, on appelait cela : la sainte indifférence. Ce n'est pas l'indifférence tout court, c'est une sainte indifférence.
L'essentiel, pour le moine, c'est de devenir un seul esprit avec Dieu, d'être métamorphosé, transfiguré, illuminé. Et l'accessoire, ce sont les moyens matériels qui sont mis en œuvre. Ils peuvent varier avec le temps. Quand on passe toute une vie dans un monastère, vous comprenez que beaucoup de choses évoluent, beaucoup de choses changent.
Mais ça ne fait rien ! ça, c'est l'accessoire, c'est ce qui peut être échangé contre autre chose. Le moine sait que tout concourt au bien de celui qui se laisse aimer. L'art, c'est de se laisser aimer, c'est de croire qu'on est digne d'amour. Fut-on le dernier des brigands, on est toujours digne d'amour.
Rappelons-nous cet épisode extraordinaire de ce brigand, de ce bandit qui, au moment de mourir sur la croix, se tourne vers le Christ et lui dit : « Mais souviens-toi de moi maintenant ! ». Voilà, c'est ça !
Et c'est le cri qui doit sans cesse s'élever dans le cœur du moine : Souviens-toi de moi maintenant ! Prends-moi tel que je suis ! Dieu est amour - ne l'oublions jamais - et rien ne manque à ceux qui le croient que Dieu est amour. Alors vous comprenez que dans des dispositions pareilles, le détachement est quelque chose de tout à fait normal.
Il y a un autre endroit où Saint Benoît dit à peu près la même chose. Il le dit du moine étranger qui vient, voilà, dans le monastère comme ça un peu par hasard. Mais non, il est peut-être aussi guidé par Dieu, rien n'est laissé au hasard. Et il est contentus quid invenerit, 61,7, il est satisfait de ce qu'il trouve sur place. Il est indifférent, saintement indifférent à ce qu'il rencontre. C'est la le signe d'une vocation à la sainteté.
Par contre, un postulant ou un novice qui donne son avis sur tout, qui critique ce qu'il voit, qui veut tout réformer, ça devient suspect. C'est un mauvais présage et, si ça ne se corrige pas, eh bien, il vaut mieux le renvoyer.
J'ai eu un cas, ici, au début où j'étais Abbé ; eh bien, c'était comme ça. Et ça, et ça, et ça qu'on devait changer ? Pour un postulant ? Et je lui ai bien fait comprendre que, ma foi, il était mieux à sa place ailleurs qu'ici. Il a pleuré, mais je suis demeuré inflexible.
Et alors, il est allé ailleurs où il a été accueilli à bras ouverts. Eh bien, aujourd'hui, il est la croix de son Abbé et la misère de toute la communauté. Vous voyez, mes frères, il ne faut pas jouer avec, ça il ne faut pas jouer.
Naturellement, un postulant, un novice ne peut pas être détaché comme un chevronné ; mais tout de même, il faut qu'il y ait chez lui cette disposition, cette attente du meilleur qui lui sera toujours présenté et donné.
Et puis, ce détachement est le symptôme de la liberté intérieure. Le coeur est fixé ailleurs. Il a trouvé son repos ailleurs, dans la création nouvelle, au sein de la Trinité, avec le Christ, la Vierge et les saints.
Il s'est déjà opéré un passage de la mort à la vie. Alors, à l'intérieur de soi, on est libre, parfaitement libre. Et cette liberté intérieure est la porte d'un progrès sans fin car Dieu, à son tour, est libre d'agir comme il l'entend et de conduire le moine à la sainteté recto cursu, 73, 14, une course directe.
La liberté intérieure, dont le détachement est le signe extérieur, est un trésor sans prix. C'est la propre liberté du Christ et, elle est le privilège du chrétien.
Nous allons entendre raconter bien des péripéties encore au sujet d'Athanase ; cela commence seulement. Eh bien, cet homme était libre intérieurement. Il osait affronter l'empereur. Il va rencontrer son plus terrible ennemi, Constance 1'Arien et, vous voyez Athanase, sans pouvoir au plan humain, mais possédé par l'Esprit de Dieu, tout à fait libre intérieurement.
Eh bien, mes frères, c'est ça le privilège du chrétien. Et un moine qui est possédé par une telle liberté, eh bien, vous pouvez m'en croire, il est le maître du monde parce que plus rien ne peut l'atteindre. Demandons cette grâce !
Demain, c'est la fête de Saint Antoine. Le pauvre Antoine, il passe au bleu cette année-ci. Mais tout de même, je pense que nous pourrons dire un petit mot en son honneur demain matin.
Mes frères,
Lorsque un moine suit la volonté de son propre cœur, que lui arrive-t-il ? Eh bien, il commence à tourner autour de lui-même comme une toupie. Il s'enferme de plus en plus à l'intérieur de lui ; il s'emprisonne à l'intérieur de lui-même et finit par étouffer spirituellement.
Ce n'était pas ainsi qu'agissait notre père Saint Benoît et, avant lui, notre grand-père Saint Antoine. Ces hommes-là vivaient en état d'extase dans le sens étymologique du terme, c'est à dire que ils vivaient hors d'eux-mêmes, ils vivaient ailleurs. Le centre de gravité de leur vie ne se trouvait pas en eux, mais il se trouvait en Dieu.
Et voilà, grâce à cela, ils sont devenus ce qu'ils sont maintenant. Et notre monde, aujourd'hui, a besoin, comme à leur époque, d'hommes qui soient des pôles, des étoiles vers lesquelles on peut regarder pour découvrir la route à suivre.
Pourtant, ils n'ont pas vécu dans des temps faciles. Les conférences que nous entendons au réfectoire sur St Athanase, par Mademoiselle Mariette Canevet, nous dépeignent le climat dans lequel Antoine et ses disciples ont dû vivre. D'abord les persécutions, surtout celle de Dioclétien, la dernière qui fut sans doute la plus féroce. Et puis ensuite les luttes intestines qui déchirèrent l'Eglise.
Nous n'imaginons pas cela aujourd'hui et, pourtant, c'était à l'époque du pain quotidien. C'était un malheur terrible parce que, voilà, les persécutions avaient pris fin et les chrétiens commençaient alors à s'entre-dévorer.
Mais les moines ont toujours été les bastions irréductibles de l'orthodoxie. Là, Athanase trouvait un refuge assuré et, Antoine lui-même - nous l'entendrons - envoyait des lettres en haut lieu pour défendre la foi orthodoxe.
Nous entendrons aussi - ça me passe à l'esprit en ce moment - tout ce qui s'est passé autour du Credo de Nicée, ce Credo qui a fini par s'imposer à côté de tant d'autres. Car chacun, chaque Concile créait son propre Credo pour attirer, je dirais, la foi de son côté. Finalement, c'est Nicée qui s'est imposé au prix, je vous dis, de luttes et de difficultés sans nombre.
Et alors, à partir de là, - nous comprendrons peut-être un peu mieux, quand nous serons un peu plus loin dans l'audition de ces conférences, - nous comprendrons un peu la blessure qui a été infligée au cœur de l'Eglise Orientale lorsque de façon unilatérale l'Occident a modifié le texte de ce Credo en ajoutant le fameux filioque. Cela, c'est impardonnable ! Vous pouvez m'en croire, aussi longtemps que ce flioque se trouvera là, il n'y aura pas d'unité dans l'Eglise. C'est impossible ! Tous ces orientaux ont encore présent dans leur chair toutes ces luttes ; parce que de ces persécutions, de ces luttes intestines, ils sont tombés sous le joug de l'Islam qui a été insidieux d'une façon, encore une fois, que nous ne pouvons pas comprendre ici.
Alors, mes frères, nous autres, ici dans notre monastère, soyons toujours les héritiers des ces Anciens qui, eux, ont affirmé toujours leur fidélité à l'Eglise. C'est là un rôle capital du monachisme et nous devons l'assumer pleinement aujourd'hui.
Et comment ? Mais par notre fidélité, notre fidélité à l'Eglise comme telle, et puis notre fidélité au Pape et à ses directives, la fidélité à notre Evêque, et cela dans nos actes et dans nos paroles.
Il ne faut, mes frères, que jamais ne tombent de nos lèvres une parole qui pourrait faire baisser dans le cœur d'autrui l'estime que nous devons avoir pour notre Pape et pour notre Evêque. C'est dans des détails pareils qu'on se montre un véritable moine, un héritier d'Antoine et de ses disciples.
Pour Antoine et les chrétiens de son temps, l'état monastique était l'image d'une humanité régénérée, du Royaume de Dieu présent, là quelque part sur la terre, présent dans le désert. Il ne pouvait être que dans le désert car dans les villes régnaient, il faut le savoir - c'est sans doute encore comme ça aujourd'hui - régnaient la cupidité, l'avarice, les mille ruses pour s'imposer aux autres.
0ui, mais attention ! Le moines ne sont pas une secte de purs séparée de la grande Eglise et méprisant les autres. Non, les moines - Athanase l'a dit dans une lettre dont nous avons entendu quelques extraits - les moines sont à l'intérieur de l'Eglise ; ils sont un produit de l'Eglise ; ils sont sa consolation et son espérance.
La vérité d'un moine, mes frères, se mesure à son amour de l'Eglise. 0, l'Eglise peut être très malade, c'est arrivé tant de fois ! Ce l'était à cette époque. Mais ça ne fait rien, elle est le Corps du Christ en croissance à travers l'Histoire et, ce Corps traverse bien des crises. C'est normal ,!
Nous sommes nés, nous n'étions presque pas visibles. Si on avait pu nous voir à cette époque dans un microscope, nous n'étions presque pas visible. Et puis voilà, nous sommes ce que nous sommes aujourd'hui ; mais qu'est-ce que nous n'avons pas connu comme maladies, comme accidents pour arriver à notre état actuel ?
Et alors, ce qui est au plan physique l'est encore davantage peut-être au plan spirituel. Et voilà, cette grande Eglise traverse les mêmes étapes avant d'arriver à sa maturité.
Alors, Antoine nous a ainsi légué un héritage mystique et moral dont nous devons répondre chacun pour notre part. Ce que nous entendrons encore d'Athanase et de ses combats nous rappellera que nous-mêmes, nous sommes en première ligne pour la défense de la foi. Nous le sommes par notre vie de renoncement et de prière et, aujourd'hui comme alors, et comme toujours, l'Eglise a d'abord besoin de saints.
Je dis ceci, mes frères, parce que je l'ai encore rappelé à l'un des nôtres, hier. Nous sommes en première ligne pour la défense de la foi parce que aujourd'hui, nous devons le savoir, jusqu'à l'intérieur des séminaires, la foi est sapée dans ses fondements.
Par exemple, un professeur de théologie dogmatique qui dit devant ses étudiants que pour lui, c'est tout à fait indifférent que Jésus soit le fils naturel de Joseph, pas d'importance !
Vous vous rendez compte ! Il est arien jusqu'à la racine de son être, un tel professeur. L'arianisme, aujourd'hui, n'est pas mort.
Eh bien, mes frères, comme c'était à l'époque d'Athanase, les moines seront les défenseurs de cette orthodoxie. Il est arrivé, à cette époque-là, que les moines quittaient le désert et montaient en troupe sur Alexandrie pour prendre la défense de leur Evêque contre les ariens.
Nous n'avons plus à faire ça aujourd'hui. Restons modestement dans notre désert ; mais du moins, par la pureté de notre foi, restons des veilleurs, ce que l'Eglise attend de nous.
Mes frères,
Je remarque une fois de plus que le texte latin de notre Règle n'a pas été correctement traduit. Il est dit : Avoir chaque jour devant les yeux la menace de la mort, 4,55. 0r, il n'est pas question de menace, simplement avoir la mort suspendue devant les yeux chaque jour. La mort n'est pas menaçante ; la mort est un événement naturel, aussi naturel et normal que le sommeil. La mort peut être une amie, une sœur.
Je me souviens de la visite que nous avons reçue, avant hier, de deux infirmières du Foyer Saint François de Namur. Une est âgée de 33 ans, mariée, mère de quatre enfants ; l'autre est célibataire, âgée de 25 ans. Eh bien, voilà des filles - et d'autres, leurs compagnes - qui passent leur existence à préparer à la mort des hommes, des femmes, entrés dans la phase terminale d'un cancer.
Eh bien, elles ont parlé de leur expérience et, il est apparu que ces deux filles étaient littéralement, véritablement possédées par 1'Esprit Saint, possédées par l'amour, par la charité. Elles disaient elles-mêmes que si on n'avait pas une foi vivante, il était impossible de tenir plus de 15 jours dans ce Foyer car ce serait pour y devenir fou.
Mais, dès qu'on s'est ouvert à l'Esprit de Dieu, lorsque on se laisse envahir par l'amour et qu'on commence à contempler la lumière de la création nouvelle, à ce moment-là on peut aider les autres à assumer leur mort et leur vie, cette vie absolument nouvelle. Il faut, disaient-elles, que les personnes qu'on leur confie meurent dans la paix, dans un sentiment de bonheur et même de joie.
Ce fut le cas de notre frère Bernard. Elles le faisaient remarquer encore, et le frère Nicolas l'a vu comme moi, mais le visage du frère Bernard était tout souriant, un sourire sur les lèvres. Il est mort heureux.
Eh bien, c'est vers cet acheminement qu'elles conduisent leurs malades ; mais elles doivent, elles-mêmes, y être arrivées sinon leurs efforts seraient inutiles. Nous sommes donc là en présence d'un amour actif, généreux, qui est réel et, qu'on voudrait voir régner entre tous les membres d'une communauté monastique.
Comme le dit Saint Benoît, ici, avoir la mort suspendue devant les yeux chaque jour, moi, je le comprends dans un sens, le sens là-bas du Foyer Saint François, que nous devons nous donner les uns aux autres la vision d'hommes qui ont franchi les portes de la mort, qui sont au-delà de la mort parce qu'ils sont entrés dans la plénitude de la vie, de la vie de Dieu qui est amour.
Et, je lisais, ce soir, quelques lignes de la première Epître de Saint Paul aux Thessaloniciens. Et j'ai été frappé par ces mots que je connaissais déjà, mais quand on les retrouve comme ça, c'est toujours comme si on les entendait pour la première fois. Saint Paul disait aux Thessaloniciens qu'il n'avait rien à leur apprendre parce que ils étaient théodidaktos au sujet de 1'agapè, de la caritas ; c'est à dire qu'ils étaient enseignés directement par Dieu sur l'art de s'aimer les uns les autres.
Et c'est bien vrai ! Le véritable amour - qui est Dieu lui-même - ne peut pas s'apprendre dans des livres. C'est autre chose qu'un amour naturel de sympathie entre des personnes qui s'accordent. Non, l'amour, c'est Dieu lui-même et c'est lui qui doit nous apprendre cette science sublime.
Et il le fait, et il est capable de le faire parce que il habite nos cœurs. Nous avons reçu 1'Esprit Saint le jour de notre baptême, le jour de notre confirmation ; nous participons à 1'Eucharistie tous les jours ; la puissance de Dieu vient en nous à tous ces moments-là. Il suffit, il suffit de se laisser enseigner par l'Esprit qui habite nos cœurs. Et à ce moment-là, non seulement on sait ce que c'est qu'aimer, mais on pratique cet amour et, c'est lui, c'est l'Esprit Saint qui le pratique en nous.
Eh bien, c'est ça, mes frères, qu'on touche du doigt, que j'ai touché moi-même très fort dans ce Foyer Saint François et, que j'ai encore perçu très nettement dans ces deux filles de lundi dernier. Eh bien, quelle leçon pour nous, mes frères !
Alors, essayons de nous laisser instruire comme ça mystérieusement mais bien réellement par ce Dieu qui habite nos cœurs et qui veut que nous soyons les uns pour les autres le spectacle, oui, l'exemple de personnes qui ont vaincu la mort parce que ils sont entrés dans l'amour.
Mes frères,
A l'instant même, en entendant énoncer le dernier instrument qui est mis à notre disposition pour arriver à la sainteté, ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu, 4, 9O, me vient cette étincelle : c'est le sommet de l'humilité ! Saint Benoît ne le dit pas, mais c'est vraiment ainsi.
Au douzième degré, nous avons le moine qui est pénétré par la certitude qu'il est un pécheur, donc qu'il est perdu, qu'il est livré à lui-même, à ses propres forces. Il n'arrivera jamais à rien. Pis que cela, il est foncièrement à l'écart de Dieu, il est pécheur et il s'en remet entièrement à la miséricorde de Dieu. Il dit : Seigneur, prends pitié de moi , C'est à dire : exerce envers moi ta miséricorde. Mais pour en arriver là, il faut deux choses, la conscience de deux choses.
Il faut d'abord la conscience qu'on est un pécheur. Eh bien, regardons ce qui se passe en nous, mais nous n'avons pas conscience d'être des pécheurs. Nous avons peut-être conscience de commettre des péchés, ça, c'est certain ; mais que nous sommes foncièrement pécheurs, c'est à dire opposés à Dieu et à côté de Dieu, ça, nous ne l'avons pas.
Donc, cet état de pécheur, lorsque on en prend conscience, on est arrivé au sommet de l'échelle de l'humilité. Et c'est là que Dieu veut insensiblement nous conduire. Donc, ne nous effrayons pas, ne soyons jamais étonnés si nous commettons toutes sortes d'erreurs, si petit à petit notre suffisance se trouve rognée, érodée jusqu'à ce qu'elle soit aplatie et qu'il n'y ait plus rien de suffisance en nous.
A ce moment-là, nous sommes vraiment à notre niveau, à notre place, et nous pouvons commencer à prendre conscience que par nous-mêmes nous ne pouvons faire que des bêtises. Attention ! 0n peut parfaitement réussir dans son emploi, dans des affaires, partout, mais il s'agit d'autre chose. Ici, il s'agit de ce que nous pouvons faire au niveau spirituel.
Et alors, la deuxième chose dont nous devons prendre conscience, c'est de cette miséricorde de Dieu. Je pense que nous mettons toujours des limites à ce que Dieu est. Instinctivement, nous projetons sur Dieu les qualités que nous espérons trouver dans un homme, que nous espérons trouver en nous.
0r avec Dieu, nous sommes dans un ordre autre, non seulement différent, mais autre. C'est une altérité absolue. Et Dieu est amour, Dieu est miséricorde et, il n'y a absolument aucune, aucune limite.
Il y a le petit mot de Luther qui a été terriblement retourné contre lui : Pèche fortement mais que ta foi soit encore plus grande ! Dans le fond, c'est ceci, c'est à dire que la conscience que nous avons de notre péché, elle appelle une conscience encore plus puissante du fait que Dieu est amour. Et on se jette alors à corps perdu dans cet amour et on devient automatiquement un saint. Et c'est ça que Dieu attend, c'est çà et ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu parce que alors, c'est fini, on se perd...
Mes frères,
Il est extrêmement difficile de traduire littéralement le texte de notre Père Saint Benoît. Auparavant, ce texte était lu dans la langue latine. Si bien que à force de l'entendre, on le connaissait presque par cœur. Il y a donc des expressions qui se sont gravées dans mon esprit et, lorsque je l'entends lire en français, je vois défiler devant moi le texte latin et je peux ainsi remarquer les petites différences.
Voici ce que dit la traduction : ainsi agissent ceux qui aspirent ardemment à la vie éternelle. 5, 19. Et le texte latin est infiniment plus puissant et plus vrai. Il est question de gradiendi amor, 5, 20, c'est à dire ceux qui sont possédés par l'amour, l'amour d'une chose bien précise, de monter jusqu'à la vie éternelle, d'avancer en montant jusqu'à la vie éternelle.
Et cette gradation - c'est le mot latin gradiendi nous montre que la vie éternelle se situe à un autre niveau que le nôtre. Elle est au-dessus, elle est différente, elle est d'une autre nature ; non pas parce que elle est éternelle, mais parce que c'est un autre type de vie.
J'imagine volontiers que dans la création nouvelle, nous disposerons aussi d'un vocabulaire nouveau pour exprimer les choses nouvelles qui nous seront données et qui ont pris possession de notre être.
Donc, il sera question de la vie ; mais je pense que on ne peut pas appliquer à la vie de Dieu, à la vie en Dieu, le mot vie tel que nous l'entendons ici. Fatalement notre vue est brouillée par l'expérience que nous avons de cette vie-ci. 0r Dieu est l'amour et Dieu est la vie et il faudrait trouver un autre vocabulaire. Mais c'est impossible !
Et c'est la raison pour laquelle il est parfois préférable de se taire. Il n'est rien de plus quasiment - oserais-je dire - indélicat que de parler de Dieu et de son environnement parce que fatalement nous parlons alors d'une idole.
La seule manière de parler correctement de Dieu, c'est de ne pas en parler, c'est de rester devant lui dans une attitude de silence, d'admiration. C'est cela la contemplation ! C'est un long regard admiratif qui est au-delà de tout vocabulaire, au-delà de toute parole, au-delà de tout discours.
Mais ce qu'on peut faire, c'est écouter ce que Dieu nous dit. Saint Benoît cite ici l'une ou l'autre parole du Seigneur Jésus. Par exemple : « Elle est étroite la route qui conduit à la vie » à cette fameuse vie qui, elle, dira : « Je suis la vie ».
Et ici, mes frères, nous tombons dans un nouveau piège. C'est que ce Dominus, ce Seigneur, ce Jésus, eh bien, nous ne parvenons pas à réaliser qu'il est Dieu. C'est la grande grande pierre d'achoppement de toujours. C'est sur cette affirmation qu'a trébuché Arius. Et tous ces Evêques qui lui emboîtaient le pas, nous les comprenons un peu parce que aujourd'hui, nous-mêmes personnellement, nous ne parvenons pas encore à réaliser pleinement que cet homme Jésus est en réalité Dieu.
Donc ce qu'il dit, ce n'est pas parole d'homme, mais c'est une Parole de Dieu. Donc c'est une Parole qui crée, c'est une Parole qui réalise ce qu'elle exprime. Lorsque il dit donc que la route est étroite qui conduit à la vie, elle est encore plus qu'étroite. Quand on dit angustam, 5, 21, c'est encore plus étroit. C'est la même racine qui a donné le mot français angoisse, ou angine. Voyez angine de poitrine ou angoisse.
C'est donc cela, cette route. Ce n'est pas une petite route étroite sur laquelle on pourrait faire de l'alpinisme ou de la gymnastique. Non, c'est une route qui fait peur. C'est un défilé très étroit qui peut donner, je dirais, place à des attaques de brigands. Et il faut oser s'y aventurer car de l'autre côté, c'est la vie. Mais ce n'est pas la vie telle que nous la connaissons, mais c'est Dieu qui est la vie.
Voilà, mes frères, tout ce que nous pouvons trouver dans notre Règle et, c'est la raison pour laquelle nous ne nous lasserons jamais de l'entendre. Et lorsque nous l'entendons et que nous ouvrons notre cœur à cette parole inspirée, cette parole d'un saint, de notre Père Saint Benoît, nous recevons automatiquement la grâce, la force d'accomplir ce que Saint Benoît nous propose.
Mes frères,
L'Abbé ne devrait parler de l'obéissance qu'avec énormément de circonspection, dans une parfaite discrétion et une grande réserve. Pourquoi ? Mais parce que il se trouve du côté du marteau tandis que les auditeurs se trouvent du côté de l'enclume.
A mon avis, il ne parlera de l'obéissance en toute honnêteté et avec assurance et persuasion que s'il a lui-même été longtemps du côté de l'enclume et qu'il a senti combien il était dur et pénible de recevoir les coups du marteau.
Mais il en parlera d'autant mieux s'il a récolté les nombreux fruits de cette ..?.. ...?... et surtout, s'il a trouvé la mort sur l'enclume comme le Christ l'a trouvé sur la croix. A ce moment-là, Dieu l'aura ressuscité et introduit dans la création nouvelle et lui aura conféré la qualité de prophète.
Voyez, mes frères, tout ce que devrait être un Abbé selon le cœur de Saint Benoît et selon le cœur de Dieu. Et je pense avoir raison. 0n n'a pas le droit de parler de l'obéissance si on n'est pas mort sous les coups de l'obéissance. Le Christ a eu le droit de parler parce qu'il savait qu'il était orienté vers la croix ; il a parlé avant. L'Abbé, lui qui tient la place du Christ, doit parler après sinon tout ce qu'il peut dire flotte dans les sphères abstraites de la spéculation.
Mais cela ne signifie pas que l'Abbé sera écouté et qu'il convertira les cœurs. Le Christ lui-même n'a pas été écouté et il n'a converti que quelques personnes. Mais du moins l'Abbé parlera de ce qu'il connaît comme le Christ parlait de ce qu'il connaissait. Et la suite alors dépend de la qualité du terrain sur lequel tombent les paroles. Il y aura du fruit à cent pour un ou bien il n'y en aura pas du tout, ou on sera dans l'intermédiaire, dans l'entre deux.
Je viens justement de lire dans 1'Epitre de Saint Paul aux Thessaloniciens une toute petite Parole - rien du tout, mais vraiment rien du tout - à l'intérieur de laquelle bat le coeur de l'Apôtre Pau1. C'est un cri de folle espérance et de certitude absolue. C'est un sommet de foi, d'espérance et de charité. Il dit ceci : et nous serons toujours avec le Seigneur ! Voyez un peu !
Eh bien, ça devrait être la devise du moine. Et à ce moment-là, il comprendrait ce que c'est que l'obéissance. Nous serons toujours avec le Seigneur si nous suivons le Seigneur sur son chemin et si nous n'en dévions pas. Si nous marchons toujours à sa suite, si nous sommes toujours sur ses talons, il y aura un moment où nous serons toujours avec lui. Et c'est tout de même mieux d'être avec le Seigneur que d'être avec soi.
Que se passe-t-il au monastère dans notre cœur ? Eh bien, nous voulons être bien casés, nous voulons avoir la paix, nous voulons faire des choses qui nous plaisent, nous voulons réussir notre vie. C'est instinctif, nous ne pouvons pas y échapper ; mais nous ne devons pas y succomber. Si nous restons comme ça avec nous, comment pouvons nous sentir en nous ce désir terrible d'être toujours avec le Seigneur ?
Voilà, mes frères, vous voyez la conversion qui doit s'opérer de rester enfermés en nous jusqu'à échapper de nous pour être avec le Seigneur, mais toujours.
Le Chapitre Général va se pencher sur la dimension contemplative de notre vie ; mais est-ce que ce n'est pas ça : être toujours avec le Christ, mais tout de suite ? Ce toujours doit commencer maintenant et il faut y mettre tous les moyens pour y arriver, pour que ce soit le plus vite possible.
Mais voilà, mes frères, on peut dire que la vraie obéissance est la toute grande vertu monastique. Elle est la porte de la sainteté et de la liberté et elle est le joyau d'une vie monastique pleinement réussie. Vous allez dire : « Celui-là, il parle bien de l'obéissance. Mais est-ce que il a laissé sa vie sous les coups de marteau ? »
Et ça, mes frères, c'est le secret de chacun. Mais je peux simplement vous dire que j'en ai reçu de terribles et, c'est peut-être pour ça que je me porte bien maintenant.
Mes frères,
En parlant de l'Abbé, Saint Benoît nous disait voici quelques jours : qu'il ne doit pas aimer l'un plus que l'autre si ce n'est celui qu'il trouvera plus avancé dans les bonnes actions et l'obéissance, 2, 45. Et avant-hier, je pense, nous parlant du moine obéissant, il le décrivait : il suit d'un pied si prompt l'ordre donné, que dans l'empressement qu'inspire la crainte de Dieu, il n'y a pas d'intervalle entre la parole du supérieur et l'action du disciple, toutes deux s'accomplissant au même moment, 5, 19.
En entendant cela, je me suis rappelé qu'il existait un apophtegme qui est certainement la source à laquelle a puisé notre vénérable Père. Je l'ai recherché et je l'ai retrouvé. C'est un apophtegme d'Abba Marc qui est disciple d'Abba Sylvain. Nous allons le parcourir ce matin, si vous le voulez bien. Il nous encouragera à être de véritables disciples de Saint Benoît et de nos Pères.
On disait d'Abba Sylvain qu'il avait à Scété un disciple nommé Marc qui avait une grande obéissance. Il était calligraphe.
C'est à dire qu'il avait une belle écriture et que son emploi était de copier des manuscrits, soit pour le monastère, soit pour l'extérieur.
Et le vieillard l'aimai t à cause de son obéissance.
Voyez ! Saint Benoît !
Il avait onze autres disciples qui souffraient de ce qu'il l’aimait plus qu' eux.
Voyez la jalousie ! Donc, en tout, Abba Sylvain avait douze disciples comme le Christ qui en avait également douze. Et nous savons que le Christ, parmi les douze, il y en avait encore un qu'il aimait davantage. Sans doute parce qu'il était aussi plus obéissant ?
Les Vieillards des environs en l'apprenant s'en chagrinèrent et ils vinrent une fois chez lui pour l'en accuser.
Aujourd'hui on dirait : les Abbés de la région. Ils viennent donc pour adresser des reproches à Abba Sylvain.
Les prenant avec lui, il alla frapper à chaque cellule, disant: Frère un tel, viens ici car j'ai besoin de toi. Et aucun un d'eux ne le suivit tout de suite.
Ils s'amènent mais, voilà, quand ils en ont envie !
Arrivant à la cellule de Marc, il frappa et dit : Marc. Lui, entendant la parole du vieillard, bondit aussitôt dehors ; et le vieillard l' envoya en diaconie.
Donc, il l'envoie à un petit travail !
Et il dit aux vieillards : Pères, où sont les autres frères ? Il entra dans la cellule de Marc et il prit son cahier. Il remarqua qu'il avait commencé à former la lettre oméga mais qu'entendant le vieillard, il n'acheva pas de l'écrire. Alors, les vieillards dirent : Vraiment Abba, celui que tu aimes, nous l' aimons nous aussi et Dieu l'aime.
Donc, vous voyez, mes frères ! Vous allez peut-être penser : C'est une belle histoire mais, nous autres, nous ferons quand même comme nous en aurons envie. Nous n'allons pas pour ça changer nos bonnes habitudes. Car enfin, c'est à longueur de journées que nous sommes appelés par Dieu. La cloche ou la sonnerie nous appelle pour l'0ffice, ou bien quelqu'un, eh bien voilà, nous faisons quelque chose, il a bien le droit d'attendre.
Mes frères, je ne sais pas, ce raisonnement-là, si jamais nous venons à le tenir, eh bien il n'est pas juste. Saint Benoît nous parlant du moine vraiment obéissant disait qu'il n'y avait pas d'intervalle entre la parole du Supérieur et l'action du disciple, toutes deux s'accomplissant au même moment ; ainsi agissent ceux qui aspirent ardemment à la vie éternelle. 5, 2O.
Et je m'étais arrêté là-dessus. C'est le gradiendi amor, les degrés par lesquels on monte, l'escalier par lequel on monte à la vie éternelle ; on entre dans la création nouvelle, on entre chez Dieu.
Eh bien, je bondis, moi, dans cet escalier ; je n'ai pas de temps à perdre. Pourquoi ? Parce que c'est 1'amor qui me possède et qui me talonne. le veux de suite, moi, comme disait l'Apôtre Paul hier, être avec le Christ, le Seigneur, pour toujours et tout de suite.
Eh bien voilà, mes frères, je pense que nous pouvons en prendre de la graine. Voilà, nous sommes en train d'écrire une lettre, ou prendre des notes, ou je ne sais pas quoi, enfin n'importe quoi et il y a le timbre qui sonne. Eh bien, n'achevons pas notre mot, il y a quelqu'un qui nous appelle. Et si nous sommes prompts à répondre à sa parole, eh bien, il va nous aimer.
Cela veut dire qu'il va infuser en nous sa propre vie, son propre esprit de plus en plus. Il va avoir les yeux sur nous et il n'aura pas de cesse qu'il ne nous ait en tout rendu semblable à lui. Vraiment Abba, répondent donc les Abbés de la région à Abba Sylvain, celui que tu aimes, nous l'aimons nous aussi et, Dieu l'aime. C'est parce que Dieu l'aime que nous devons l'aimer.
Eh bien voilà, mes frères, retenons cette petite leçon pour ce matin. Nous sommes toujours dans la semaine de prières pour l'unité des Eglises. Si cette Eglise s'est disloquée comme ça très vite tout en restant une - c'est là le mystère et le paradoxe - eh bien c'est parce que on n'a pas comme ça avec assez d'empressement écouté la voix du Seigneur. 0n a écouté ses propres idées, ses propres sentiments au lieu d'écouter ce qu'il disait.
Voilà, essayons d'offrir pour cette unité à retrouver un jour, d'offrir notre désir d'être nous-mêmes toujours promptement à l'écoute de ce que Dieu nous demande.
Mes frères,
Il n'est rien dans la parole de Dieu qui soit négligeable. La liturgie de notre office l'a comprise, elle qui revient à plusieurs reprises sur un détail à première vue insignifiant mais pourtant empli d'une signification insondable.
« Siméon reçoit 1'Enfant-Jésus dans ses bras », nous le chantons combien de fois ? Et, plus précisément, il le reçoit sur ses avant-bras, sur la partie du bras qui se trouve en dessous du coude. Et c'est ainsi qu'on porte un bébé et qu'on le berce.
C'est là un geste extraordinairement beau. Ce geste est le premier témoignage de la Tradition, de la remise de Dieu, de la remise de quelque chose d'infiniment précieux que Dieu nous confie. Et ce geste est posé par Marie. Marie remet son enfant à Siméon qui le reçoit.
Marie remet son enfant à un inconnu qui est un prophète. Marie ne connaissait pas cet homme, mais son intuition infaillible lui a fait reconnaître en lui un véritable prophète. Car, si Siméon était un prophète, il était aussi par tout son être une prophétie. Et nous allons le voir.
Marie a vu en Siméon l'homme par excellence, l'humanité qui depuis toujours attendait, l'humanité en quête d'une délivrance définitive, d'une consolation qui la comblerait pour jamais. Et aussitôt, ayant perçu cela, Marie, dans un geste spontané et sans retour, donne son enfant à cette humanité qui ne pourra plus vivre en dehors de lui.
Et le sans retour de Marie ira jusqu'au calvaire. Elle ne le sait pas encore, mais elle a entendu une parole qu'elle va tourner et retourner sans fin dans son cœur : un glaive transpercera ton âme. Tu seras blessée à la racine même de ton être.
Et ainsi, mes frères, la présentation de Jésus prend tout son relief. Elle n'est pas une simple cérémonie rituelle Juive à laquelle les parents de Jésus se soumettent comme tous les autres. Non, elle est l'annonce du plan de Dieu et de son commencement.
Le geste de Marie, mes frères, remarquons-le aussi, se reproduit à l'endroit de chacun d'entre nous. Et nous comprenons mieux que tout nous vient par Marie, que la réussite de notre vie humaine dépend de la qualité de notre réponse. Nous apprenons aussi en recevant Jésus des mains de Marie que nous recevons une grâce extraordinaire, la grâce de l'enfance spirituelle à qui seule est promise l'accès dans le Royaume de Dieu.
Mes frères, en ce jour, nous méditerons ce mystère. Comme Marie, nous le retournerons dans notre cœur pour en extraire la substantifique moelle, toute la sève de grâce et d'amour.
Et maintenant, rendons grâce par notre Eucharistie à Dieu et à Marie !
Mes frères,
La récollection de ce mois ouvre la porte à la visite de notre Père Abbé Général dans quelques jours et, elle se situe exactement un mois avant notre retraite annuelle. Je voudrais la placer à l'ombre d'une lettre que j'ai reçue cette semaine d'une jeune moniale de notre 0rdre dont il sied de protéger l'anonymat.
Je vais vous en lire un extrait où elle traite une question qui agite bien des cervelles dans notre 0rdre aujourd'hui, à savoir la dimension contemplative de notre vie. Vous allez, avec moi, apprécier et savourer l'équilibre, la pénétration, la justesse des paroles sorties du cœur et de l'expérience de cette jeune sœur.
Je me disais : on parle beaucoup de la contemplation, c'est tellement à l'ordre du jour ! C'en est même trop, en ce sens qu'il me semble si fort percevoir qu'existentiellement on ne sait pas aller tout droit avec justesse vers ce que c'est. Je ne prétends pas mieux y parvenir, mais je sens si fort qu'on ne se situe pas en son lieu même....
C'est à dire qu’on ne se situe pas au lieu même de la contemplation.
....Les critères de repères restent tout humain, je dirais même de l'ordre du monde, alors qu'il s'agit de s'ouvrir à un univers d'un tout autre ordre mais fort déconcertant car c'est de l'ordre de l'humilité, de la vulnérabilité, de 1'effacement, de la douceur.
Et tout cela habite le plus justement dans l'incognito et n'attire pas ; il me semble même qu'on le méprise plutôt. Ce qui est recherché, ce qui attire, ce sont les personnalités disons bruyantes pour faire bref. Je me dis : si on est saisi vraiment par l'univers de Dieu, il est alors tout naturel de vivre ignoré et dans l'ombre, de s'y enfoncer toujours davantage. C'est là le lieu du meilleur garant.
Eh bien, mes frères, on ne pouvait mieux dire ! Et que retenir de ces paroles ? L'un d'entre nous, ici présent dans cette chapelle, me faisait remarquer il y a quelques temps : on ne parle pas de la vie contemplative comme on ne parle pas de Dieu, de la souffrance ; mais on doit parler uniquement des voies qui y conduisent.
Et c'est bien vrai ! Notre frère rejoint à sa façon ce que nous dit ici notre jeune sœur. Les Pères du désert, Saint Benoît lui-même, ne parlent pas de la vie contemplative. Ils montrent le chemin qui y conduit, le chemin du dépouillement, de la mort à soi, ce chemin qui ouvre en nous des espaces capables de recevoir la grâce de la contemplation.
La sœur parle de ce qui attire aujourd'hui ; ce sont les personnalités qu'elle appelle bruyantes. Eh bien, retenons ceci : plus et mieux on parle de la vie contemplative, moins on la connaît. 0n use - comme elle dit - de critères tout humains quand, pour en parler correctement, il faut se situer au lieu de la contemplation, c'est à dire dans le cœur même de Dieu.
Mais alors, il n'y a plus de vocabulaire disponible. C'est la raison pour laquelle les Pères Fondateurs du monachisme et leurs successeurs n'en parlaient pas. C'est une réalité indicible. 0n peut la vivre, mais on ne peut en parler. Il n'y a pas de mots.
Si Dieu voit que nous répondons à ses avances, c'est à dire s'il remarque que nous avons emprunté le chemin du dépouillement, que nous n'avons pas peur de mourir à notre égoïsme, à nos convoitises, à nos projets, à nos jugements tout humains, alors, il prend le risque de nous creuser à fond, d'infuser en nous sa propre vie, de nous envahir totalement, de nous submerger sans mesure. Et c'est alors l'indicible union au toujours plus intime avec lui. C'est la transfiguration en ce qu'il est.
Eh bien, mes frères, c'est une grande grâce lorsque on peut rencontrer sur sa route une personne qui est entrée là dans cette intimité de Dieu. Il en existe pas seulement dans le monastère, mais aussi dans le monde. Et c'est une surprise et un émerveillement de les découvrir.
Mes frères, il existe aussi dans l'univers de Dieu des liens de parenté, de consanguinité spirituelle. Si bien que on est plus frères, sœurs, pères, mères dans cet univers de Dieu qu'on peut l'être dans l'univers de la chair ; car ce qui est dans l'univers de Dieu est éternel et ce qui est dans l'univers de la chair finit toujours par se détendre, par se relâcher.
Je ne dis pas par disparaître, mais enfin il y a cette distance, ce fossé qui se creuse, comme on dit, entre les générations ; tandis que dans l'univers de Dieu, c'est exactement le contraire : les générations se rapprochent, les générations s'unissent. Et comme le Christ lui-même a dit : on reçoit au centuple en pères, en mères, en frères, en sœurs, etc.
Alors nous comprenons mieux ce qu'affirme notre sœur. Il ne s'agit donc pas de discours à partir de critères non adaptés, mais de s'ouvrir à un univers tout autre, un univers déconcertant, celui de l'humilité, de la vulnérabilité. Il ne faut pas avoir peur de devenir de plus en plus sensible, de plus en plus fragile je dirais, même si on possède en soi la force même de l'Esprit de Dieu. C'est l'univers de 1'effacement, l'univers de la douceur.
Rappelons-nous que le signe qui montre de façon infaillible qu’un homme est entré dans cet univers tout autre, c'est au niveau de son comportement ; c'est ce qu'on rencontrait dans le Christ, à savoir la douceur et la compassion, ces deux grandes vertus que nos Pères dans le monachisme espéraient et recevaient.
Mes frères, tout cela - comme l'affirme encore notre sœur - tout cela habite le plus justement dans l'incognito, dans le silence et même dans le mépris qu'on reçoit. Car celui qui ne parle pas, il est sensé ne pas savoir. Et celui qui aujourd'hui ne fait pas état de sa science, c'est un être auquel on ne doit pas prêter attention.
Et on oublie qu'une des qualités premières du véritable moine, c'est précisément ce silence de plus en plus intérieur au sein duquel on peut doucement, longuement tourner et retourner cette Parole de Dieu qui est lui-même et qui peu à peu façonne le cœur. C'est ce que faisait Marie « elle retournait toutes ces choses dans son cœur » est-il écrit.
Mes frères, si on trouve tout naturel - je me réfère encore aux paroles de la sœur - si on trouve tout naturel de vivre ignoré et de s'enfoncer toujours davantage dans l'ombre, c'est la preuve qu'on est établi dans la vérité et que l'idéal contemplatif est atteint en perfection.
Mes frères, notre sœur nous a replacés en deux mots devant la pureté et la beauté de notre vocation monastique. Alors, puissions-nous le comprendre, et puissions-nous l'accueillir et nous laisser travailler par cette vérité. Que nous restera-t-il à faire ?
Eh bien, il nous reste maintenant à ne pas faiblir face à la tentation du contraire. Car le contraire - c'est à dire savoir bien parler de toutes ces choses - c'est s'enfoncer de plus en plus dans l’illusion. Encore une fois, il n'est pas possible de parler de Dieu et de son univers ; le frère, auquel je faisais allusion, ne se trompait pas. 0n ne parle pas de Dieu. Parler de Dieu, c'est quasiment poser un geste sacrilège.
Certes, attention ! Je ne pense pas ici la théologie. Il faut savoir, il faut faire de la théologie, il faut connaître son catéchisme, il faut avoir une bonne formation chrétienne. Quand je dis parler de Dieu, c'est parler de ce que on imaginerait être une expérience de Dieu.
Non, mes frères, ne tombons pas dans cette tentation, ne nous laissons pas prendre à ce piège. Restons humblement à notre place dans la prière, dans l'humilité, dans 1'effacement et laissons l'Esprit de Dieu prendre possession de nous comme il a pris possession de Marie notre Mère.
Lorsque Marie a prononcé quelques paroles, c'était toujours des paroles d'émerveillement ou des paroles de service. Il doit en être de même de nous. Nous devons être habités par une immense faculté d'admiration et d'émerveillement et aussi par un besoin de rendre service, de nous considérer comme étant en dessous des autres, d'être le serviteur de tous comme le Christ lui-même l'a été, le Christ - ne l'oublions pas - qui est notre Dieu.
Mes frères,
Au seuil de ce carême, le Christ nous présente deux types d'homme, deux types de chrétien, deux types de moine. Et puisque nous sommes dans un monastère, arrêtons-nous, si vous le voulez bien, quelques instants, au portrait qu'il fait de deux moines. Contemplons-les sans complaisance, avec humour, avec au cœur de la peine et de l'espérance.
Nous nous rappellerons que nous nous tenons un peu entre les deux, que nous tenons toujours un peu des deux. Le passage d'un type à l'autre est la Pâque de notre conversion, le tracé de notre vie.
Voyons d'abord le moine crispé sur lui-même. Il n'a de regard que pour lui, il attend que les regards de tous convergent vers lui ; ils doivent même converger vers lui car il se voit comme le pôle du monde. Il n'a besoin de personne, mais tout le monde a besoin de lui.
Le jeûne lui devient occasion de s'engraisser ; l'aumône lui est prétexte à s'enrichir ; la prière lui sert de piédestal pour mieux s'exhiber. Disons que il est heureux, il a ce qu'il recherche : il est quelqu'un, on le salue, on l'invite, on le reçoit. Il est comblé.
L'autre moine, lui, passe inaperçu, inconnu, méconnu ; il est même inexistant à ses propres yeux. 0n irait jusqu'à dire qu'il veut même se cacher aux yeux de Dieu. Il fait tout avec une telle simplicité, une telle bonhomie qu'il ne se rend même pas compte qu'il le fait. Le jeûne, l'aumône, la prière sont comme sa seconde nature, sont devenus sa nature ; c'est la quasi naturaliter de Saint Benoît. Ce moine vit de Dieu et pour Dieu ; le reste ne l'intéresse absolument pas. Il est établi dans la vie véritable et, la gloire reçue des homme, il n'en veut pas.
Mes frères, les cendres que nous allons recevoir diront publiquement ce matin notre désir de renoncer à la vanité du premier type de moine pour entrer entièrement dans la vérité du second et y rester.
Mes frères,
0n m'a demandé de vous adresser une parole au sujet du jeûne. C'est là un sujet immense et je devrais bien me contenter de quelques considérations théoriticopratiques.
D'abord, le jeûne n'est pas et ne peut jamais être un exercice de gymnastique. Les prouesses en matière de jeûne, même si elles ne sont pas étalées au grand jour, ne sont que piètres et pauvres autolâtries. C'est une forme d'idolâtrie. Et l'idole que j'encense, à laquelle je sacrifie, c'est mon ego, c'est moi.
Elles sont pures vanités dont Dieu se détourne avec dégoût ; vous pouvez en être sûr. Et c'est la raison pour laquelle Saint Benoît exige que la pratique du jeûne soit soumise au jugement de l'Abbé.
Donc, voilà ce que n'est pas le jeûne tel que le Christ l'entend, tel que la Tradition chrétienne et monastique l'entendent !
Maintenant, en quoi consiste un jeûne digne du moine, un jeûne digne de ce nom ? Le jeûne consiste à créer un certain vide physiologique avec la sensation de faim. Et ce vide éveille un sentiment d'appétit ; mais il faut entendre appétit dans son sens étymologique appetitus. Notre organisme demande que la nourriture comble ce vide.
Le véritable jeûne doit maintenir le corps en bonne santé physique et psychique. Une nourriture exagérément abondante intoxique l'organisme. Il y a donc un équilibre à rechercher et à maintenir. C'est ce que s'efforce d'atteindre la diététique. C'est une science très prisée aujourd'hui.
Donc, il est nécessaire pour pratiquer le jeûne de se soumettre à une guidance éclairée. On ne peut pas s'improviser soi-même maître en matière de jeûne.
Mais le but du jeûne monastique est surtout et d'abord d'ordre spirituel sans pourtant négliger son aspect de saine diététique ; les deux s'unissent. Et c'est normal puisque toute pratique monastique d'ordre spirituel doit toujours être incarnée.
C'est une loi incontournable depuis que Dieu s'est fait homme. Tout passe par quelque chose de matériel, quelque chose de concret. C'est à l'intérieur de ce concret que se révèle Dieu et que se loge l'Esprit de Dieu.
Eh bien, mes frères, le jeûne du moine est une prière que j'appellerais volontiers carnalisée, c'est à dire une prière par le corps à partir de son fond biologique. Vous allez comprendre.
La sensation de vide et de creux éveillée par le jeûne crie à Dieu que le cœur lui aussi désire, et d'abord être creusé et vidé afin que s'installe en lui un appel incessant à la venue de Dieu qui seul peut rassasier l'ardeur de son appétit.
Donc, le coeur a faim de Dieu comme le corps a faim d'aliments. Dieu est donc la nourriture naturelle, normale, du cœur. Et le cœur est en bonne santé quand il se nourrit de Dieu caché dans ses vouloirs.
Vous voyez donc, mes frères, que le jeûne monastique est le symbole de notre désir de Dieu et de la vie éternelle. Saint Benoît le dit : le moine court et sa vitesse se mesure au désir qu'il a de la vie éternelle, c'est à dire de la vie en Dieu.
Et pour courir vite, il faut être léger et il faut que le cœur soit toujours avide de cette vie éternelle. Il y a donc là une corrélation entre le jeûne corporel et puis ce besoin de Dieu qui est inscrit dans notre cœur.
Donc vous voyez, mes frères, que notre jeûne n'est pas seulement et uniquement une pratique ascétique. Elle en est une , certes, mais ça va infiniment au-delà. Notre jeûne, je le rappelle, est le symbole d'une autre réalité. Mon jeûne est vrai lorsque mon cœur crie vers Dieu le besoin qu'il a de devenir un seul esprit avec lui. Le creux, le petit creux que je vais sentir parce que j'ai faim doit normalement éveiller, susciter en mon cœur à moi la faim de Dieu. Les deux vont ensemble. Si cette faim de Dieu n'est pas éveillée, c'est qu'il manque quelque chose du côté de mon jeûne.
Voilà, le jeûne est donc pour le moine une richesse à condition d'être vécu avec discernement, avec discrétion et dans l'obéissance ; c'est à dire que nous ne pouvons jamais prendre sur nous de régler nous-mêmes la qualité et la mesure de notre jeûne. Nous devons nous référer, comme dit Saint Benoît, au Père Spirituel que ce soit l'Abbé ou que ce soit un autre frère de la communauté. Donc, retenons-le !
Et voilà, maintenant il me reste à vous souhaiter un jeûne fructueux qui va vous porter avec plus d'ardeur vers celui qui nous appelle, ce Dieu qui désire nous rassasier de sa vie, de son amour, de sa lumière et surtout de sa beauté.
Mes frères,
Si nous voulons comprendre la nature profonde de la prière, nous devons contempler celle-ci dans sa relation avec la psalmodie. Les deux sont inséparables. Il ne nous est pas possible d'entrer dans la véritable prière si nous ne pratiquons pas correctement la psalmodie. Les deux sont indissociables et la prière naît de la psalmodie. Elle en est le complément obligé et sans psalmodie, il n'y a pas de prière.
Nous sommes ici à l'intérieur de l'univers monastique, vous le comprenez bien. Ce sera tout autre chose si nous regardons les traditions différentes, qui sont respectables aussi mais qui ne sont pas les nôtres. Je parle de la tradition carmélitaine par exemple, ou de la tradition jésuite. Non, nous sommes ici dans un monastère.
Alors, je rappelle que la psalmodie est une immersion de tout l'être à l'intérieur du cosmos. Notre oreille, l'oreille de notre cœur bien sûr, perçoit des bruits, des paroles et tout cela est chargé d'un sens, d’un sens divin.
Le cosmos n'est pas une entité qui est absolument séparée de Dieu. Naturellement, c'est toute une autre nature. Dieu est le Créateur, le cosmos est sa création.
Mais attention ! Puisque Dieu a voulu devenir homme, Dieu a voulu devenir chair, donc Dieu a voulu devenir matière. L'Histoire du monde devient la propre Histoire de Dieu. Dieu y est impliqué, Dieu ne peut pas s'en désintéressé. Il ne peut même pas s'en soustraire, il est devenu un élément, l'élément capital de l'Histoire du monde. Et c'est cela que nous percevons à l'intérieur de la psalmodie. On appellera cela en terme théologique : l'Histoire du Salut.
Mais parlons de l'Histoire tout court. L'Histoire en soi conduit le cosmos vers un accomplissement, vers un point omega, comme disait Teilhard de Chardin, vers un eschaton où Dieu sera tout en toutes choses. C'est cela la véritable Histoire du monde.
Nous autres, nous n'en percevons que les épiphénomènes, qui peuvent être très beaux, qui peuvent être tragiques. Mais l’œil du contemplatif, c'est à dire l'oreille de celui qui s'adonne à la psalmodie, dès que le cœur se purifie, l’œil peut percevoir, l'oreille peut entendre la réalité par excellence qui est Dieu en train de pousser, de conduire sa création à son accomplissement.
Et alors, dans la psalmodie, nous prenons conscience de notre place à l'intérieur de cette Histoire et de notre mission. Il y a beaucoup de psaumes qui sont à la première personne, ne nous y trompons pas. Cette première personne, ce n'est pas nous au premier chef, mais cette première personne, c'est le monde comme tel dont la tête est le Christ.
Donc, la première personne, c'est nous mais à l’intérieur d’un Corps immense dont la tête est Dieu lui-même. Donc, notre psalmodie n'est pas un rétrécissement à nous. Nous ne devenons pas des êtres rabougris lorsque nous psalmodions. Au contraire, notre cœur doit se dilater aux propres dimensions de l'univers, c'est à dire aux propres dimensions de Dieu.
Encore une fois, je ne fais pas du panthéisme, les deux ...?... sont bien distinctes, mais tout de même Dieu est engagé dans l'Histoire du monde.
Eh bien l'oraison, elle, la prière, l'oratio comme dit ici Saint Benoît, 2O,9, elle est le retentissement en nous de tout ce que nous percevons et elle est l'écho que nous renvoyons. S'il n'y avait pas d'hommes, il n'y aurait pas d'Histoire, vous comprenez ?
Pour qu'il y ait Histoire, il faut qu'il y ait un témoin, il faut qu'il y ait quelqu'un qui puisse en décrypter la nature et le sens. Le monde n'a pas commencé avec l'homme. Pendant des milliards d'années le monde a été en gestation jusqu'à ce qu'il arrive à son point de conscience. A ce moment-là, l'Histoire a commencé.
Eh bien nous, nous renvoyons dans la prière, nous renvoyons l'écho de ce que nous percevons de cette Histoire. Donc, nous la faisons nôtre, nous l'assumons et, d'une certaine manière, nous en acceptons la responsabilité. C'est là notre mission.
Et dans la prière, nous disons à Dieu oui à ce qu'il réalise et nous disons non à ce qui peut aller contre cette Histoire, à tout ce qui peut la gêner, au premier chef naturellement notre propre péché. Et en même temps, nous demandons des secours dans notre prière.
Et pourquoi ? Mais parce que nous nous trouvons devant une tâche démesurée par rapport à notre faiblesse originelle et nous demandons à Dieu de nous aider. Il faut pour bien faire que Dieu lui-même devienne l'écho de ce que nous percevons.
Donc, c'est ce que l'Apôtre Paul dit : « Nous ne savons pas prier comme il faut, mais l'Esprit de Dieu pousse en nous des gémissements indicibles ». Nous devons en arriver à ce stade-là.
Et à ce moment-là, nous-mêmes faisons silence dans la prière pour permettre à l'Esprit de Dieu, à l'intérieur de ce silence, de renvoyer à Dieu le Père l'écho de ce que notre cœur a perçu. A ce moment-là, le dialogue entre le Créateur et la créature arrive à un degré de beauté que nous ne pourrons jamais imaginer par la force de notre nature laissée à elle-même.
Eh bien, mes frères, je ne savais jamais que j'allais raconter tout cela. Saint Benoît parle de la puritatis devotio, 2O,6. C'est extrêmement difficile à traduire. On l'a traduit ici la pureté de dévotion. En réalité, c'est l'inverse, c'est une devotio de la pureté.
Mes frères,
Lorsque nous méditons le texte de notre Règle, c'est afin de mieux le comprendre, d'en mieux saisir l'esprit et, naturellement, de mieux entrer dans le concret de notre vocation. Nous devons croire dans un vivre mieux.
Le carême est un temps justement de rééquilibrage de notre vie. Nous glissons si facilement dans la routine qui est une sorte de cécité. Nous ne voyons plus les choses telles qu'elles sont, telles que Dieu les contemple ; nous les voyons à notre petit point de vue étriqué. Nous rapportons tout à notre petite personne et nous essayons de nous en tirer avec le moins de dégâts possible.
Ce n'est pas ça, mes frères, vivre mieux , Vivre mieux, c'est donner sa vie, c'est risquer de la perdre, c'est savoir que nous allons vers un ailleurs qui est l'univers de Dieu. Nous savons que cette lumière qui est Dieu doit prendre possession de notre être et le transfigurer.
Alors vous comprenez que les petites histoires qui peuvent survenir dans le courant de nos journées ne doivent pas prendre des proportions démesurées. Il suffit de rencontrer à l'occasion des personnes du monde pour prendre conscience d'une chose, c'est que dans le monde la vie est extrêmement dure. Cela peut devenir quelque chose de quasiment intolérable.
Je vais vous donner un petit exemple qui est tout récent, tout chaud. C'est une jeune fille déjà grande qui a une amie. Et voilà que cette amie est poursuivie, persécutée par un garçon qui est connu dans le coin comme - c'est le terme employé - une véritable crapule. Et ce garçon va jusqu'aux menaces qu'il met à exécution.
Donc, si la fille ne veut pas le suivre, si la fille ne veut pas l'épouser - voyez un peu , - eh bien il va user de représailles et il va s'en prendre aux parents de la fille. Il a déjà crevé les pneus de la voiture des parents ; il a déjà aussi endommagé la devanture de la maison.
Voyez un peu, mes frères !
Vous allez peut-être dire : c'est rien ! Si, c'est terrible : l'angoisse de cette fille, l'angoisse des parents. Que faut-il faire, que faut-il faire ? Voilà !
Eh bien, nous autres, nous n'avons tout de même pas des drames pareils à résoudre. Et je pourrais encore vous en raconter des séries ainsi. Mais voilà !
Tout ceci, c'est pour vous dire que à l'intérieur de ces jours bénis du carême, nous ne devons pas seulement penser à nous ; nous devons aussi penser à toutes ces personnes qui sont en difficulté, qui viennent ici se recommander à nos prières.
Cette semaine, il y en a trois comme ça qui sont venus pour demander que vraiment on parte à l'assaut du ciel pour trouver une solution à des difficultés qui sont humainement insurmontables, au plan familial, au plan des personnes. Imaginez l'angoisse des parents !
C'est pourquoi, mes frères, nous ne devons pas, nous, ici, devenir de vieux garçons qui sont repliés sur eux-mêmes. Du moment qu'on leur fiche la paix, ils sont heureux. La paix dans leur emploi : qu'on ne s'occupe pas d'eux et qu'ils fassent comme ils l'entendent. Ce n'est pas ça des moines !
Attention ! Je ne veux pas dire qu'il y en a des pareils ici. Ce n'est pas ça que je veux insinuer, loin de là ! Mais c'est un danger, c'est un risque. Et il faut que de temps en temps, à l'occasion du carême, nous soyons un peu vraiment secoué par ce qui se passe à l'extérieur.
Je vais vous donner encore un autre exemple, mais ici ce ne sont pas des affaires, c'est beaucoup plus large. Dans le courant de cette année-ci, on prévoit en Europe la suppression de 50.000 emplois dans la sidérurgie. Cela fait 50.000 familles ! Vous vous rendez compte !
Rien qu'en Allemagne, il y en aura 30.000. Les autres pays qui seront frappés, c'est surtout 1'Espagne et 1'Italie. La Belgique va sans doute échapper parce que elle a reçu le choc en premier il y a quelques années.
Il y a l'énorme problème de l'immigration : des gens qui viennent de 1'Europe de l'Est ; des gens qui viennent d'Afrique ou même d'Asie. L'Europe est un peu ce qu'était 1'Amérique au siècle dernier, c'est une sorte de paradis. Et ils viennent ici. Que faut-il faire ? Vous avez aussi tous les réfugiés de l'ancienne Yougoslavie : les enfants qu'on reçoit ici, ont-ils encore leurs parents ?
Je me souviens de ce qui se passait pendant la guerre d'Espagne, des enfants qu'on accueillait ici , Il y en a qui viennent encore. Vous avez l'épouse de Pierre Jaumotte, c'était une pareille. Vous avez Monsieur Alonso, c'en est encore un, et d'autres peut-être que nous ne connaissons pas. Vous voyez les drames qu'il y a là en-dessous !
Eh bien, je pense que pendant le temps du Carême, nous devons un peu prendre conscience de toutes ces choses-là. C'est un stimulant pour que nous travaillions davantage à la purification de notre cœur, que nous n'ayons pas peur de nous donner un peu de mal.
Et ainsi, en solidarité, en communion avec toutes ces personnes-là, avec enfin tout, tout les immenses problèmes qui se présentent aujourd'hui, que nous puissions nous sentir en accord avec eux et instiller là cette petite chose qui est indispensable, que nous seuls pouvons faire, c'est à dire la présence de Dieu, et cette présence de Dieu, Dieu lui-même qui est amour.
Il faut absolument, mes frères, que nous nous aimions les uns les autres. Mais à cette condition-là, nous apporterons notre brique à 1'édification du monde tel que Dieu le veut.
Mes frères,
Il est un détail extrêmement important qui vous a peut-être frappé comme moi. Saint Benoît nous dit que la mesure du châtiment devrait être proportionnée à la faute commise, 24,2. Cette appréciation des fautes dépend du jugement de l'Abbé. Eh bien, mes frères, à partir de là, on peut conclure que l'Abbé doit être un saint. Car, comment voulez-vous apprécier la mesure d'une faute si on n'est pas habité par l'Esprit de Dieu ? Lui seul est capable de scruter le fond des cœurs et de jauger la responsabilité de la personne.
Je pense que ce que l'Abbé doit faire ici, ce n'est pas tant châtier le moine fautif mais plutôt protéger la communauté. Car, si une faute patente est laissée comme ça à l'abandon, si l'Abbé ferme les yeux trop souvent - il peut fermer les yeux une fois ou l'autre - une habitude mauvaise peut s'installer à l'intérieur de la communauté.
C'est à dire que ce qui est en soi une faute peut très bien devenir quelque chose d'habituel, quelque chose qui à la limite deviendrait licite si l'Abbé ne réagit pas. Mais il s'agit ici du châtiment ? Alors, comment adapter la punition à la hauteur de la faute ?
Eh bien, je pense que ici aussi nous devons regarder l'Abbé comme étant quelqu'un d'exceptionnel. Je me reporte à l'époque de Saint Benoît parce que aujourd'hui les choses ne sont pas exactement les mêmes. Il y a des personnes - et dans le monde des supérieurs - qui ont très difficile de porter un jugement objectif, un jugement de charité sur la personne qui a commise une faute.
Il faut bien savoir que, la plupart du temps, celui qui commet une faute n'en n'a pas tellement conscience. La psychologie aujourd'hui a un peu exploré les profondeurs de l'âme humaine et on y découvre des abîmes d'inconscience ou bien des pulsions qui sont quasiment irrésistibles.
Voilà, je vais vous donner un exemple : vous avez un garçon ou une fille qui, enfants, ont été maltraités, mais vraiment vraiment maltraités, fort. Ils n'ont pas d'autre expérience dans leur enfance et leur jeunesse que celle-là. Si bien que lorsque dans le monastère ils voient un frère, une sœur qui commet une faute qui en soi est tout à fait anodine, cela peut déclencher des colères et des scènes.
Par exemple, parce que ce frère, ou cette sœur, n'a pas remis exactement à sa place un objet dont on pourrait avoir besoin soi-même, un objet qui est à la disposition de tout le monde. Voilà, on ne l'a pas remis à sa place et on en a besoin, et on ne le trouve pas. Mais, on sait très bien que c'est un tel qui l'a utilisé et qui l'a mis ailleurs.
Mais cela peut déclencher des colères, des colères et des scènes qui alors terrorisent le soi-disant coupable qui avait fait cela par inadvertance, sans savoir. Alors, cette personne qui se déchaîne, ce frère qui se déchaîne, mais voilà, l'Abbé doit tout de même une fois ou l'autre intervenir. Voyez le dilemme devant lequel il se trouve !
Il y a des personnes qui commettent des fautes ainsi parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement. Leur degré de culpabilité est nul, mais enfin, ils troublent l'ordre social. Voyez tout çà !
Tout çà, c'est ce que dit Saint Benoît ici : l'appréciation est laissée au jugement de l'Abbé. Et si 1 'Abbé ne fait rien, on dira : Mais enfin, il permet tout ! C'est très très difficile dans certaines situations !
Et c'est pour ça que l'Abbé doit véritablement, idéalement, être un saint en ce sens qu'il est capable de porter les reproches que les frères lui adressent et en même temps porter la maladie du frère qui, lui, est malade depuis toujours. C'est çà la brebis malade, une brebis incurable psychologiquement parlant !
Enfin, je donnais là un petit exemple qui n'est pas tiré d'ici parce que il n'y a personne ici qui soit à ce point là. Mais je connais des situations pareilles dans des monastères et c'est extrêmement pénible pour la personne elle-même, pour l'Abbé et pour la communauté. C'est çà qu'on peut dire se porter les uns les autres et alors vous accomplissez la loi du Christ. Porter, se porter les uns les autres !
Mais voilà, mes frères, vous voyez, je ne parviens pas à trouver un jour où je pourrais enfin parler de cette histoire de pureté de dévotion. Mais ça viendra, ça viendra si Saint Benoît ne nous met pas encore comme ça quelque chose dans le cœur.
Mes frères,
Pour comprendre la teneur de ce chapitre, il faut avoir une foi extrêmement vivante. Il faut savoir que notre véritable vie se déploie à l'intérieur de la création nouvelle et que nous devons oser prendre tous les risques ici-bas, dès maintenant, pour y accéder le plus vite possible.
Et c'est ce que Saint Benoît s'efforce de faire, même à l'endroit d'un frère qui a été coupable d'une gravior culpa, 25,2 , donc une faute qui est plus grave encore. Ce n'est pas une faute grave, c'est une faute qui est vraiment très grave.
Eh bien, Saint Benoît ne désespère jamais, il va prendre appui sur cette faute pour essayer de propulser le frère dans l'univers de Dieu. Et pour cela, il va le livrer interitum carnis, 25,9 , et c'est traduit à la mortification de la chair, ce qui est assez bénin. Non, il s'agit ici d'un interitus, c'est à dire que sa chair va être condamnée à mort. Il est dit ailleurs qu'il est livré à satan qui va donc prendre possession de lui et qui va attaquer dans sa chair pour l'obliger alors à sortir de lui et à retrouver son équilibre de manière à ce que son spiritus, son esprit soit sauvé au jour du Seigneur, donc au jour du jugement.
Mes frères, pour envisager le déroulement concret d'une vie monastique sous cet aspect, il faut comme je le disais il y a un instant, il faut une foi extrêmement vive. Et, peut-être que notre foi s'est considérablement refroidie depuis lors ?
Voilà, nous vivons dans le confort matériel, nous sommes des enfants de notre Culture et de notre temps, nous ne pouvons pas faire autrement. Nous sommes, je dirais, des constipés, c'est à dire que notre organisme aujourd'hui est devenu tellement débile que nous ne sommes plus capables d'endurer cette pénitence qui était tout à fait normale et courante à l'époque de Saint Benoît.
Mais cela ne fait rien ! Ayons bien soin de rester à l'intérieur de notre temps et n'essayons pas de jouer à autre chose parce que nous serions alors hors de la vérité. Notre vérité, c'est de devenir des saints aujourd'hui, dans le contexte d'aujourd'hui, avec notre état physique, psychique et spirituel d'aujourd'hui, de manière à être des jalons et des lumières pour les autres hommes nos frères.
Et je pense que ce que nous pouvons faire à l'intérieur de notre petite foi d'aujourd'hui, c'est de nous enfoncer de plus en plus profondément dans l'humilité ; c'est reconnaître que nous sommes à des kilomètres - employons ce mot-là - de nos ancêtres dans la vie monastique, non pas au plan des performances ascétiques mais toujours toujours au niveau de cette foi.
Et je pense que si nous laissons une telle humilité prendre possession de notre cœur, nous les rejoindrons - Saint Benoît et nos Pères - nous les rejoindrons parce que dans le fond, c'est là qu'ils veulent nous conduire et c'est là que nous devons arriver. Et si nous sommes vrais dans notre cœur, si nous sommes vrais aussi dans notre esprit, et si nous sommes vrais dans tout nous, à ce moment-là nous recevrons la grâce de l'humilité, de la charité parfaite et de la sainteté.
Mes frères,
Un tout petit détail encore que je trouve, une nuance à l'intérieur de la pensée de notre Père Saint Benoît. Le latin porte sine iussione, 26, 3, qui a été traduit : sans la permission de l'Abbé. En fait, c'est sans l'ordre de l'Abbé. L'initiative ne vient pas du frère, elle vient de l'Abbé qui peut enjoindre à un autre frère d'entrer en contact avec l'excommunié.
C'est ce qui va d'ailleurs faire l'objet du chapitre suivant où l'Abbé enverra ce qu'on appelle des sympectes, 27, 7, c'est à dire des moines sages et prudents qui vont jouer avec l'excommunié ou, plutôt, qui vont entrer dans son jeu.
Ils ne vont pas sympathiser avec lui, mais ils vont essayer de le comprendre par le dedans et ainsi l'amener à réaliser qu'il est dans l'erreur. ce sont toutes des petites nuances qui échappent à la langue française.
Mes frères,
Voilà, nous sommes encore loin de notre devotio puritatis, mais enfin je vais tout de même en dire deux mots :
Saint Benoît le dit encore une fois, il parle de l'humilité, et c'est toujours ça, c'est toujours la même chose : il faut supplier Dieu en toute humilité. Vous savez, nous pouvons trébucher sur une peau de banane qui est celle-ci : c'est de croire que Dieu est notre obligé.
Certes, nous sommes ses enfants, nous sommes ses créatures, . nous sommes ses fils et c'est sa propre vie qui prend possession de nous. Mais tout cela, c'est par pur cadeau, c'est parce que Dieu est amour.
L'humilité dont nous parle Saint Benoît ici - à propos donc toujours de la prière - c'est de nous avoir promis un destin merveilleux et oser y croire, et oser l'accepter, et oser le demander.
C'est cela la véritable devotio de la prière ; c'est une remise de soi totale, entière, absolue à ce Dieu qui est amour et qui nous offre sa propre vie, qui nous offre son être même.
Si je me remets d'une façon aussi absolue , aussi confiante à Dieu, à ce moment je vais entrer dans la puritas.
Donc il faudrait traduire ici, pour que ce soit bien vrai, bien juste et bien littéral : une devotio, une remise de soi à Dieu qui va conduire à la pureté du cœur. Et c'est dans cet esprit que nous devons prier et, c'est çà que nous devons demander.
Voilà, mes frères, nous continuerons demain ou après si quelque chose ne vient pas encore se mettre en travers de notre route, de notre réflexion. Mais vous savez que cette autre chose est encore et toujours une grâce de notre Christ.
Mes frères,
Revenons-en à notre devotio puritatis. La devotio, ce n'est pas ce que nous appelons la dévotion. Revenons-en encore au sens étymologique : c'est la remise totale de soi à Dieu. Elle exclut donc le narcissisme, le nombrilisme, le retour sur soi.
La vraie devotio est donc une sorte d'extase. Vraiment on a remis toute sa vie, tout son être entre les mains de Dieu. C'est le geste que l'on pose le jour de la profession solennelle. 0n remet ses mains jointes entre les mains de l'Abbé, c'est à dire entre les mains du Christ.
C'est cela la devotio ! Il s'agit de maintenir cette devotio tout au long de sa vie. Elle exclut donc aussi toute utilisation de Dieu. C'est à dire : on ne peut se récupérer soi-même en se servant de Dieu pour réaliser ses fins personnelles. 0n n'entre pas au monastère pour y faire carrière.
Il est d'ailleurs très bon qu'on ait fixé un terme pour la durée de 1'Abbatiat, comme cela l'Abbé, s'il est encore en vie à l'âge de 75 ans, il rentre dans le rang. Il conserve, disons, une sorte d'éméritat, un peu l'analogue de ce que notre Père Roland possède. Je le vois quand il arrive du courrier à son nom, son ancien nom avec ses titres militaires. Mais voilà, c'est émérite, il est maintenant dans le rang comme tout le monde. Eh bien, l'Abbé rentre dans. le rang
Il n'est pas question de faire carrière au monastère, d'utiliser Dieu pour se réaliser soi-même au plan humain. Certes, lorsque on se remet à Dieu, il y a une réalisation au plan humain, mais dans la ligne de ce que Dieu désire, dans la ligne de ce que Dieu veut donner à un homme. Et cette réalisation humaine est toujours, toujours en dépendance d'une réalisation d'ordre surnaturel.
L'homme étant un tout, lorsque il devient un saint, lorsque ce n'est plus lui qui vit mais que c'est le Christ qui vit en lui, à ce moment-là il devient vraiment un homme parfait un peu naturellement, un peu tel qu'Adam se trouvait avant son péché, un peu naturellement.
Alors, mes frères, on comprend que la vraie devotio conduit à la pureté du cœur, j'y ai fait allusion hier. Mais ça se comprend très bien, à toujours donner la première place à Dieu, on entre dans les espaces infinis de la charité. Et le cœur est pur lorsque la charité y a triomphé. Et la charité - ne l'oublions pas - c'est Dieu lui-même.
Voyez, mes frères, à quelle hauteur nous sommes appelés à vivre ! Et, encore une fois, ce n'est pas possible si en nous la foi ne devient pas de plus en plus vivante. Et, encore une fois, la véritable foi, la fides, ce n'est pas l'adhésion à une suite de formules dogmatiques, la fides, la foi, c'est la confiance donnée à ce Dieu qui appelle, à ce Dieu qui veut réaliser un chef-d’œuvre avec un homme, à l'intérieur d'un homme. Encore une fois, la véritable foi est en connexion étroite avec la vraie devotio. C'est un peu les deux faces d'une même réalité.
Maintenant, Saint Benoît nous parle de ça dans le contexte de la prière. Eh bien, la prière de demande dont il est question lorsqu'il parle de la puritatis devotio, la prière de demande entre dans ce processus de pureté.
Donc, nous devons demander, nous ne pouvons demander que des choses qui sont en relation avec les sept demandes du Pater. C'est çà la pureté ! Elle doit aller jusque là.
Donc, cette prière du Christ doit devenir la nôtre, sous d'autres formules naturellement, dans d'autres contextes ; mais ce que nous demandons à Dieu doit toujours être en relation avec cela.
Donc, l'objet de notre prière, c'est ou bien les intérêts de Dieu, ou bien des choses qui nous permettent de rencontrer Dieu et son projet.
La traduction qui nous est donnée du Pater est aussi extrêmement pauvre dans la langue française. l'ai déjà eu l'occasion de le dire il y a longtemps, longtemps, longtemps. Mais c'est - je ne sais pas - c'est tellement étriqué qu'il faudrait sans cesse remettre les choses au point.
Par exemple « Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien », nous allons penser, voilà, que nous ayons de quoi manger aujourd'hui ! Oui, c'est peut-être très bien pour des gens des pays sous-développés qui vivent dans un état de famine quasi continuelle ; mais pour nous, ici, ça ressemble à quoi ?
Eh bien, il y a autre chose : c'est le pain, le pain du monde à venir. Quand on voit le grec, c'est cela, c'est le pain du monde qui vient, c'est le pain à venir, c'est le pain qui va nous donner la possibilité d'entrer dans la création nouvelle, qui va nous permettre d'être transfiguré, d'être métamorphosé en ce qu'est Dieu lui-même. Il faut donc prendre un certain pain. Eh bien ce pain, c'est extrêmement mystérieux.
Si vous êtes en oraison - par exemple en prière après l'office, prenons après l'office de nuit, ou bien après l'office des vêpres où nous avons un petit temps pour prier à l'église - nous avons écouté cette Parole de Dieu pendant tout un temps à travers la psalmodie et, si nous restons immobile devant Dieu même à ne rien dire, ne penser à rien, être voilà comme ça simplement devant lui, à ce moment, le pain du monde à venir entre en nous. Il est entré par nos oreilles, nous l'avons écouté. Et voilà, à ce moment-là, nous pouvons l'assimiler. Nous pouvons répondre en disant : je l'accepte. C'est un petit excursus comme çà.
Mais alors, le sommet auquel tend cette prière dont parle Saint Benoît ici, c'est la prière continuelle où on devient une prière vivante en ce sens qu'on baigne tout entier et sans arrêt dans l'univers de Dieu. 0n vit dans son univers et son univers, c'est lui-même. 0n est introduit dans les relations Trinitaires et, voilà, c'est ça la prière continuelle !
0n peut faire n'importe quoi - il n'est pas nécessaire de penser à Dieu - on est devenu prière. Notre essence la plus profonde, notre essence d'éternité, c'est d'être en Dieu. Et à ce moment-là, nous sommes devenus prière.
Voilà, mes frères, vous voyez que nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir ; mais dans l'univers de Dieu, les distances ne comptent pas. Nous ne devons pas y transposer indûment ce que nous vivons ici dans notre monde de la matière. Chez Dieu, il n'y a pas de distance, il n'y a pas de durée ; et ce qui nous paraît infiniment loin peut devenir nôtre demain ; et ce qui nous paraît parfois tout proche peut être hors de notre portée.
C'est la raison pour laquelle nous devons pratiquer cette vraie devotio par laquelle nous nous remettons entièrement et totalement à ce que Dieu désire pour nous, sur nous.
Mes frères,
Je vais en l'honneur de Saint Joseph oser une parole neuve, que personne ne prononce, que personne peut-être n'ose prononcer. 0n célèbre à juste titre, on honore en Marie sa maternité divine, sa virginité, son martyre au pied de la croix, sa compassion, son assomption dans la gloire de la Trinité. La théologie, la spiritualité, la mystique ont libéré des fleuves de louanges dans lesquelles nous nous baignons.
Mais il est un aspect dont on ne parle jamais, mais au grand jamais. Je n'en ai jamais entendu parler et, je pense qu'on a peur d'en parler. Eh bien, je vais m'y aventurer ce soir. J'espère que je ne vais pas trop vous troubler.
Car, on perd de vue et on oublie que Marie était une épouse. Elle était d'abord une épouse. Il est bien dit : elle était desponsata, elle était destinée à devenir l'épouse de Joseph. Elle devenait son épouse et cela même avant toute intervention directe de Dieu. Elle était l'épouse de Joseph.
Elle était l'épouse d'un homme qu'elle aimait de tout son cœur, de tout son être de femme. Et cet homme, Joseph, 1 'aimait tout aussi ardemment, tout aussi passionnément. Ils formaient vraiment un couple parfait.
Mais attention ! Ne perdons jamais de vue que Marie était une épouse virginale, mais malgré tout une épouse. Elle a peut-être été la première d'une lignée qui a fait école entre temps. Car nous savons que les grands spirituels, en particulier Saint Bernard, on vu ..... ..... consacré une sponsa Verbi.
Donc, nous-mêmes sommes entraînés à l'intérieur d'une relation sponsale avec le Verbe de Dieu. que l’on soit homme ou que l’on soit femme, la réalité est là. Et, à mon avis, un moine, une moniale, ne peut vraiment s'épanouir dans 1'entièreté de son être créé qu'à l'intérieur d'une telle relation sponsale ; sinon il va toujours manquer quelque chose qui va faire du moine un vieux garçon ou de la moniale une vieille fille.
Attention ! Il y a des problèmes qu'on rencontre dans les monastères et qui ont leur source là précisément. Et cette relation sponsale avec le Verbe de Dieu, elle se crée, elle commence à se nouer au moment où étant appelé, on suit cet appel secret. Et voilà, on se donne de façon irrévocable à un amour pour une personne bien concrète. Car le Verbe de Dieu est devenu chair dans la personne du Christ Jésus.
Là, attention ! Nous sommes à un niveau mystique, parfois même sacramentel que nous devons respecter et avec lequel nous n'avons pas le droit de jouer parce que c'est notre cœur qui est engagé. 0n ne va pas à Dieu avec son cerveau, le cœur doit être pris.
Eh bien, Marie était donc l'épouse de Joseph dans le sens le plus noble et le plus humain du terme. Mais l'homme qui aimait Marie était à la hauteur de cet amour qui était parfaitement pur, qui était totalement chaste. Et cet homme était Joseph. Il y avait équiparité entre les deux.
Tout ce qu'on dit de Marie, toutes les qualités qu'on lui trouve - et qui sont bien réelles, et qu'on admire - elles se trouvaient chez Joseph également. Il n'y avait pas de disparité entre les deux ; il y avait un parfait équilibre ; il y avait une parfaite complémentarité. Les qualités étaient sur un mode masculin chez Joseph, sur un mode féminin chez Marie et, l'ensemble formait vraiment le couple humain parfait tel que Dieu l'avait toujours rêvé, et qui avait été ébranlé par le péché.
Et je suis persuadé, quant à moi, que c'est la profondeur de l'amour qui unissait Marie et Joseph qui a permis à Marie d'accomplir en vérité sa vocation de mère de Dieu. Il n'était pas possible à Marie d'être vraiment mère, de pouvoir vraiment éduquer, élever son enfant si elle n'était pas en même temps parfaitement épouse.
Car, à l'intérieur d'un couple bien uni, l'amour de l'époux pour son épouse éveille en celle-ci des ruisseaux de tendresse, des ruisseaux de vérité et d'affectus qui autrement resteraient taris. Il faut que quelqu'un ouvre dans le cœur de la mère certaines sources et ce doit être l'époux.
Et c'est ce qui est arrivé ! Moi, je suis persuadé que Marie est Marie parce que elle était l'épouse de cet homme extraordinaire qu'était Joseph. Et en Joseph, elle puisait l'inspiration, la force et le dynamisme pour tout croire et tout porter. Et cette force l'a soutenue encore après le décès de Joseph. Si Marie est telle au pied de la croix, debout, c'est parce que encore alors la force de Joseph la soutenait.
C'est un amour, je vous assure, qui était vraiment, vraiment l'exemple de ce que doit être un amour sponsal à l'intérieur d'un couple humain et, aussi à l'intérieur du couple que doit former le moine ou la moniale et le Verbe de Dieu.
Et je suis certain que Marie ne serait pas Marie s'il n'y avait pas Joseph. L'ensemble Marie-Joseph est indissociable, insécable.
Eh bien vous voyez, mes frères, voilà des choses dont on ne parle jamais, au grand jamais. Pourquoi ? Eh bien sans doute parce que on a peur d'en parler. 0n peut parler de ça ici dans notre milieu ; mais imaginez cela dans un milieu, voilà, ne fut-ce qu'une église à l'occasion de la fête de Saint Joseph. Mais est-ce que les gens vont comprendre ça ? Qu'est-ce que ils ne vont pas glisser de malsain à l'intérieur de cela? Pour comprendre cette relation, cette relation sponsale et virginale de Marie et de Joseph, eh bien, il faut être soi-même dans une situation analogue ; alors on peut comprendre. 0n trouve ça aussi à l'intérieur de couples mariés d'aujourd'hui qui ont des relations tout à fait de mari et de femme. Mais alors, il faut qu'à l'intérieur de leur coeur de chacun, il y ait aussi une grande ....., une chasteté conjugale ici au lieu d'une chasteté virginale comme était celle de Marie.
Eh bien, voilà ce que je voulais vous dire ce soir , Si vous voulez, nous y réfléchirons demain. Nous laisserons flotter cette beauté, cette réalité dans notre tête et surtout dans notre cœur. Et je pense que nous en recevrons des grâces de lumière et de force pour notre belle vocation.
Ma sœur, mes frères,
Saint Benoît parle ici d'une chose très belle qui ne paraît pas du tout à l'intérieur de la traduction française. Il dit que l'Abbé doit être la providence, 41,2, de ses frères ; non seulement pour régler l'ordonnance des repas, etc., mais aussi à tout moment.
C'est un idéal extrêmement élevé. Pour le réaliser pleinement, il faudrait être un saint. Et, c'est la providence non seulement de la communauté en son ensemble, mais aussi de chacun des frères.
Providence, cela signifie que il faut voir les choses pour l'autre ; providence non seulement à l'avance mais aussi pour l'autre comme si chacun des frères était myope. Et l'Abbé, lui, ayant une vue très claire, le propre regard du Christ dans les yeux, il pouvait alors décider pour chacun ce qui lui était le meilleur.
Mais alors en contrepartie, il faudrait que chacun des frères croie que vraiment l'Abbé exerce alors son rôle de providence. Et c'est la raison pour laquelle Saint Benoît emploie le mot credere. Donc, il faut que le frère croie que l'Abbé tient dans la communauté la place du Christ.
Voyez un peu à quelle hauteur se situe notre vocation monastique ! Nous ne sommes pas un simple groupement d'hommes qui poursuivent un idéal spirituel très élevé. Non, c'est carrément au niveau surnaturel que nous devons nous situer tous. Et ce n'est pas simple, nous ne le savons que trop.
Mes frères,
Que pouvons-nous retenir de notre retraite ? Que pouvons-nous en récolter ? Ceci, naturellement, est laissé à la sensibilité spirituelle de chacun. Mais ce qui est certain, c'est que nous ne pouvons permettre que ce temps de grâce tombe dans le vide comme si rien ne s'était passé ;il nous en serait demandé compte un jour.
Une retraite n'est pas une session. 0n ne l'a pas suivie pour enrichir ou pour rafraîchir ses connaissances intellectuelles, spirituelles ou mystiques. Non, la retraite, même si elle sollicite notre intelligence, touche d'abord et surtout notre cœur. C'est là que la grâce de Dieu doit agir.
Vous savez que le cœur est l'organe que Dieu travaille par priorité. Il veut faire de notre cœur une pierre précieuse sans la moindre tache, un cœur pur qui aura la faculté de le voir, Lui ; et le voyant, se laisser transformer de lumière en lumière jusqu'à devenir - dans le secret toujours et dans l'invisible - une image bien réelle de ce que Dieu est.
Nous autres, nous imaginons toujours le saint comme étant quelqu'un que tout le monde vénère, que tout le monde reconnaît, que tout le monde admire. Mais non, la plupart du temps pour ne pas dire toujours, le saint n'est visible qu'à Dieu lui-même et à ses confrères et ses consœurs qui sont là déjà dans la création nouvelle et avec lesquels il entretient des relations les plus cordiales, les plus confiantes, les plus intimes.
Donc, mes frères, notre retraite doit avoir pour objectif de permettre à la grâce de Dieu de purifier un peu plus notre cœur. Et comme nous sommes des moines, quelque chose doit donc s'inscrire dans le concret de notre vie personnelle.
Le moine n'est pas un rêveur, le moine est un prakticos - on ne le dira jamais assez. Il portait à l'origine là-bas dans ces déserts d'Egypte et de Palestine, il portait deux noms, deux. Il était un nepticos et il était un prakticos.
Nepticos, c'est à dire que c'était un homme qui ne dort jamais. Attention ! Ce n'était pas un insomniaque, mais spirituellement il était toujours en éveil. Cela ne veut pas dire qu'il n'avait pas de distraction, que sa pensée, que son imagination ne se laissait pas emporter au loin ; mais non, toujours il ramenait sa pensée vers ce Dieu qui le sollicitait.
Et il était un prakticos, un homme qui fait, un homme qui agit, un homme qui se remue pour arriver au but. Il est appelé par Dieu, il est attiré par Dieu. Dieu lui propose une route et sur cette route il y a toutes sortes de pièges, d'obstacles. Eh bien, ce n'est pas ça qui l'ennuie, ce n'est pas ça qui 1'effraye. Il avance, il marche, il se remue, il agit, il fait quelque chose.
Attention ! il n'est pas un agité, affairé sans rien faire comme dit l'Apôtre. Non, il sait très bien - c'est un homme pratique - il sait ce qu'il veut. Et sa pratique, sa praxis exactement, est toujours efficace parce que elle est branchée sur la volonté de Dieu.
Alors, mes frères, ce moine n'hésite pas sur les moyens même si parfois la chair dans sa paresse préférerait autre chose.
Donc, retenons déjà ceci : notre retraite doit porter des fruits pour chacun d'entre nous. Elle en portera à condition que nous soyons de véritables moines, c'est à dire des gens éveillés, des gens qui savent ce qu'ils veulent, des gens qui sont décidés à tout et puis qui agissent.
Ce ne sont pas des rêveurs, ni des dormeurs, ce sont des éveillés, et des praticiens, des ouvriers. Saint Benoît le dit aussi. Il traduit le mot prakticos par operarius. C'est un qui fait.
Eh bien, restons-en là pour ce soir. Demain, nous entrons dans le printemps, oui. Eh bien, que ce soit aussi un printemps dans notre vie. Voilà, c'est tellement beau.
Et ce printemps dans notre vie, comment va-t-il se traduire ? Eh bien, si nous demandons à Dieu et nous recevons la grâce, comme je l'ai dit, une grâce d'un petit enfant ou d'une petite fille. Pour entrer dans le Royaume de Dieu, il ne faut pas être âgé de plus de quatre ans. Je vous l'ai déjà expliqué. Eh bien, nous nous en rappellerons demain, le jour ou notre printemps va se réveiller.
Ma sœur, mes frères,
Nous voici tout au matin du premier jour du printemps et Saint Benoît nous promène jusqu'à l'heure de complies. Vous voyez que toute notre vie se ramasse en quelques instants. Nous sommes ainsi sur une route qui nous conduit vers une échéance qui n'est pas fatale, loin de là, mais qui est la porte de notre véritable naissance lorsque nous émergerons dans la totalité de la lumière et que notre cœur transfiguré pourra sans voile aucune contempler la beauté de notre Dieu.
C'est un peu à cela que l'un de nous, l'un ou l'autre a réfléchi durant la retraite. Peut-être avons-nous reçu une grâce qui nous permettait de mieux comprendre ce cheminement ?
Et pour moi personnellement, de la retraite je retiendrais volontiers ceci qui se situe parfaitement dans la ligne du carême. Si nous étions dans un monastère de moniales, nous pourrions faire ce qu'on appelle un tour de table ; c'est à dire que chacun donnerait son avis, dirait tout ce qu'il a vécu pendant la retraite. Vous savez, les moniales sont beaucoup plus simples, et ouvertes, et naturelles que les moines qui sont habituellement fermés pour ne pas dire renfrognés.
Mais enfin, je m'en vais me mouiller au nom de tous et de chacun. Voici donc ce à quoi j'ai moi-même pensé : le temps qui nous est départi est court ; nous n'avons pas à le gaspiller, nous n'avons pas à le perdre. La mort est la grande réalité qui nous guette. Nous devons être extrêmement prudents.
Pourquoi cette idée de la mort m'a-t-elle travaillé durant cette retraite ? Non pas parce que nous avions déjà été engagés à l'intérieur du carême qui est une sorte de petite mort mystique - quand on se prive de nourriture, on anticipe de quelque manière l'heure de notre mort ; mais c'est peut-être à cause du décès de notre frère Bernard et de la façon dont il s'est conclu dans ce Foyer où on apprend aux hommes et aux femmes à mourir.
Dans ce Foyer, on les accompagne jusqu'à l'intérieur de la mort. Si bien que dans une telle ambiance, la mort perd tout son visage d'horreur ; au contraire, elle devient ce que Saint François appelle notre grande sœur, notre petite sœur la mort corporelle. Si bien que voilà, cela a sans doute travaillé mon subconscient.
Et voilà, cette mort, je pense que nous devons, comme Saint Benoît nous le recommande, la regarder avec affection chaque jour ; car, peut-être avant la fin de la journée sera-t-elle venue à notre rencontre pour notre joie et pour la sienne.
Alors, nous pourrions à cette occasion-là raviver en nous notre vœu de conversion. Nous nous sommes peut-être assoupis au cours de l'année, nous nous sommes peut-être encombrés de toutes sortes de fardeaux ou de gadgets comme on dit aujourd'hui ? Vous savez, il existe des gadgets spirituels aussi bien que des gadgets matériels. Et bien voilà, peut-être sommes-nous un peu distraits par ces babioles?
Alors, la retraite est le moment privilégié pour nous secouer. Secouons notre joug, disent les rois qui en ont assez d'être au service du Christ. Pourtant le joug du Christ est doux et son fardeau léger ; mais pour notre chair jouisseuse, il est parfois peut-être encombrant. Et alors tous ces rois disent : secouons-le !
Eh bien nous, dans la retraite, nous secouons aussi quelque chose ; non pas ce joug délectable, mais plutôt toutes les bêtises qui nous ont encombrés et qui nous ont distraits. C'est le moment de nous réveiller et de nous débarrasser de tous les soucis superflus. Nous réveiller !
Un des grands pièges de toute vie monastique, de toute vie humaine d'ailleurs, c'est la répétition monotone, journalière, hebdomadaire, mensuelle, annuelle des mêmes histoires. Finalement, ces petits ronronnements quotidiens, ça nous assoupit.
Vous savez, les enfants tout petits, les bébés on les habitue, c'est une sorte de dressage. Pour qu'ils s'endorment bien, maintenant on leur met en route une petite musique. C'est rien du tout, ça dure une minute. 0n tire sur une petite ficelle et puis il y a quelque chose qui bouge, qui danse avec une petite musique. Les enfants regardent ça et puis ouf, ils sombrent dans le sommeil. Cela leur permet de s'endormir sans problème.
Eh bien, c'est ce qui se passe chez nous : des petites habitudes sont introduites ainsi ; nous tirons dessus et nous nous assoupissons spirituellement.
Or, le moine, nous le savons - je l'ai rappelé hier - c'est un neptique, c'est un homme éveillé. Il ne se laisse pas distraire du but qu'il doit atteindre ; il a toujours les yeux fixés sur ce but ; il ne regarde ni à gauche, ni à droite. Et ainsi, il peut avancer avec célérité et être de plus en plus violemment attiré par la beauté de Dieu.
Il y a , dans une vie spirituelle qui évolue normalement, une sorte de puissance d'attraction qui devient de plus en plus forte, un peu comme un satellite qui est maintenu dans l'espace par la force d'un équilibre entre la force de propulsion, d'éloignement et la force d'attraction. Puis, il y a quelque chose qui s'introduit ; il est arrivé au bout de sa course, de ses possibilités et puis voilà que la force d'attraction le prend et il se rapproche de la terre. Mais à mesure qu'il s'en approche, la vitesse augmente, augmente si bien que lorsqu'il pénètre dans 1 'atmosphère, là il prend feu et se désagrège.
C'est un peu ce qui se passe avec Dieu, il nous attire ainsi. Dès que nous nous dégageons de la pesanteur qui nous maintient loin de lui, de plus en plus cette puissance devenant irrésistible, quand nous nous approchons de lui nous nous désagrégeons. C'est à dire qu'il ne reste plus rien en nous qui ne soit amour, qui ne soit sa personne, qui ne soit sa beauté.
Donc voilà, c'est ça que je veux dire : nous réveiller et nous débarrasser des soucis superflus. Vous savez, dans les monastères on se crée des soucis pour le plaisir d'en avoir. le pense bien que le frère Antoine doit encore avoir connu le monsieur qui a fourni la meunerie, un certain Monsieur Robert. Et je me souviens très bien d'une parole historique qu'il avait prononcée : " Eh bien, moi, quand j'arrive au soir, je suis malheureux quand je n'ai pas eu ma somme d'emmerdements !
Eh bien, c'est vrai , Nous sommes faits ainsi que nous avons besoin de soucis. Et si nous ne les avons pas, notre agressivité s'assoupit et nous avons l'impression de ne pas vivre.
Eh bien, au lieu de lutter contre des soucis superflus, luttons peut-être contre les vices et les pensées qui se trouvent en nous et qui nous empêchent de respirer pleinement la beauté de notre Dieu.
Mes frères,
Nous avons, la dernière fois, parlé de cette vertu qu'est l'oubli, le bon oubli, pas le mauvais oubli. L'oubli, oublier tout ce qui peut entraver notre course vers Dieu. Saint Benoît est un homme qui n'a pas de temps à perdre ; il se hâte, il court : festinare, currere.
0ui, c'est çà ! Le moine est un homme qui n'a pas de temps à perdre, qui ne s'attarde pas à des bêtises, qui se rend le plus léger possible, qui ne s'encombre pas de toutes sortes de choses inutiles qui pourraient l'empêcher d'arriver le plus vite possible chez Dieu.
Attention ! Il ne s'agit pas ici de mourir physiquement mais de mourir à soi, d'être entièrement libre et, enfin, de se retrouver dans cette lumière de Dieu, dans la lumière de la résurrection avant même de connaître la mort physique naturellement.
Alors, pour pouvoir oublier ainsi, pour pouvoir pratiquer cet oubli qui est une vertu capitale de la vie monastique, il faut être animé d'une foi ardente, vivante, toujours en éveil, un peu comme l'aiguille de la boussole.
Vous avez déjà vu une boussole ? Elle est toujours là, l'aiguille est toujours orientée vers le nord, elle tremblote, elle tremble. Et si on bouge la boussole, l'aiguille part sur le côté, mais aussitôt elle repart dans la bonne direction.
C'est çà la ..... ..... , c'est cette aiguille qui nous maintient toujours sur la ligne exacte qui nous conduit chez Dieu. Et je vous garantis : on peut affirmer que la qualité de notre foi se mesure à notre faculté d'oubli.
Par la foi, je passe dans un autre univers, l'univers de Dieu ; et l'ancien univers, l'ancien monde, mais il s'en est allé. Il est devenu caduque, inexistant. Et vous savez, c'est un chant, le Cantique que l'Apôtre Paul entonne régulièrement : le monde ancien est parti, le monde nouveau est présent.
C'est cela l'exercice de la foi, mais c'est aussi l'exercice de l'oubli car, je ne puis pas entrer dans la création nouvelle si je demeure encombré de toutes sortes d'histoires de la création ancienne. Je dois pouvoir oublier.
Et naturellement, il s'agit aussi d'abord et surtout d'oublier toutes les avanies qui nous arrivent, toutes ces avanies qui nous arrivent de la part des frères, de la part aussi de tentations en nous, de la part des fautes que nous commettons. Eh bien, tout cela, il s'agit de l'évacuer. Et je l'évacuerai d'autant plus facilement que ma foi sera vivante.
Et la foi ? Qu'est-ce que c'est que la foi ? Eh bien, il ne s'agit pas d'abord d'une adhésion intellectuelle à des formulations dogmatiques. Ce serait beaucoup trop facile ! Il s'agit, quand on parle de la foi, d'une confiance donnée à une personne concrète. C'est faire créance à quelqu'un.
Je lui donne ma foi. Et je peux m'appuyer sur cette personne, je sais qu'elle ne me lâchera pas, qu'elle ne cédera pas, qu'elle ne se dérobera pas. Je lui donne ma foi pleine et entière.
Notez que c'est déjà comme ça dans les relations commerciales. S'il n'y a pas cette foi mutuelle, il n'y a aucune relation possible au plan économique. Rien déjà que çà, mais c'est déjà, disons, une foi embryonnaire qui n'est pas surnaturelle naturellement, mais qui peut servir de fondement, de base à cette vertu surnaturelle.
Car, la vie divine passe toujours par l'incarnation. Elle doit s'incarner dans quelque chose qui existe en nous. Et puis, elle le prend, elle le transforme, elle le transfigure, elle le métamorphose. Et d'une qualité naturelle qui est là, elle doit faire une qualité surnaturelle. Dieu prend possession de nous par cette fenêtre.
Alors, on donne sa foi - encore important ! - on donne sa foi à Dieu, on donne sa foi au Christ à l'intérieur d'une histoire, à l'intérieur de l'histoire qui est Dieu se compromettant avec sa créature. C'est çà !
Donc, je donne ma foi au Christ à l'intérieur de mon histoire personnelle. Et c'est par cette histoire que Dieu me crée ; c'est à l'intérieur de cette histoire qu'il me transfigure, qu'il me divinise, qu'il me fait déjà participer à la puissance de sa résurrection.
Donc, la foi n'est pas quelque chose à côté de mon histoire ; non, elle est mon histoire à moi. Pourquoi ? Parce que j'entretiens cette relation de confiance amoureuse avec le Christ, avec Dieu, avec 1'Esprit Saint à l'intérieur de ce qui m'arrive. C'est ainsi, mes frères, que toute l'Histoire, toute l'Histoire du cosmos est une Histoire sainte parce que Dieu y est toujours impliqué.
Et alors, voyez un peu ! Lorsque je me rends compte que c'est ainsi dans ma vie personnelle et que, voilà, je m'abandonne à ce Dieu qui est amour et qui me travaille à l'intérieur de mon histoire, et que je lui donne une confiance totale, mais à ce moment-là, mes regards ne peuvent plus retourner en arrière.
Ils sont fixés sur le Christ qui est pour moi comme un chef d'orchestre ; et moi, je suis un instrumentiste. C'est lui qui me donne le mouvement, c'est lui qui me donne l'inspiration. Et alors j'obéis et je ne me distrais pas avec toutes sortes de choses étrangères même s'il m'est arrivé un accident quelconque encore une fois, soit de la part d'un frère, soit de la part d'une faute, de n'importe quoi. Non , l’essentiel est là.
Eh bien voilà, mes frères, nous approchons tout doucement de la Semaine Sainte et, je pense que nous pouvons en toute sécurité nous appuyer sur notre Christ qui nous a aimés jusque là ; et lui donner notre foi de manière à ce que il puisse achever en notre chair ce qui a manqué à son histoire d'homme quand il était ici parmi nous sur la terre.
Ma sœur, mes frères,
Il est question aujourd'hui, dans la Règle, du travail des mains. Je vais vous proposer un autre genre de travail qui nous est demandé par le Chapitre Général. Nous devons, ainsi que toutes les maisons de l'0rdre, présenter un rapport qui doit définir notre situation par rapport à la vie contemplative. Ainsi nous aiderons le Chapitre à réfléchir sur la dimension contemplative de notre vie cistercienne.
C'est un problème qui semble se poser aujourd'hui. Il faut en effet tenter de dégager les mesures à prendre pour remédier aux carences éventuelles et surtout, pour stimuler les valeurs contemplatives de notre vie. Voilà ce grand programme de notre prochain Chapitre Général et nous devons apporter notre petit ..... .
La contemplation, c'est à dire la relation vivante et amoureuse avec Dieu dans la Trinité de ses personnes est un élément de la vie personnelle secrète de chacun. Il n'est pas question d'étaler ce secret en public, ce serait une profanation.
0n ne parle pas de la vie contemplative comme telle. 0n n'a pas le droit d'en parler, comme on ne parle pas de Dieu, ni de la souffrance, ni de la mort. Il faut avoir été affronté à ces réalités, à Dieu, il faut avoir vu, avoir été conduit jusqu'aux portes de la mort et avoir beaucoup souffert dans son corps, dans son cœur, dans son esprit pour se rendre compte qu'on n'a pas le droit de parler de ces choses.
Eh bien, il en est de même de la vie contemplative et c'est ainsi depuis l'origine. 0n ne parle pas de la vie contemplative mais on parle des chemins qui y conduisent. Le tout premier livre qui a été écrit sur la vie monastique l'a été par Evagre le Pontique et il s'appelle le Prakticos. C'est à dire comment faire pour être un vrai moine et parvenir à rencontrer Dieu et à s'unir à lui.
Voyez ! Il faut parler des moyens, des chemins mais pas de la vie contemplative. Ce serait une fameuse prétention. Nous devons donc, nous allons donc tenter d'expliquer, d'expliciter les moyens que nous utilisons ici au niveau communautaire pour favoriser 1'éclosion et l'épanouissement d'une authentique expérience contemplative.
Ceci étant dit, ce n'est pas l'Abbé qui doit rédiger ce rapport. Il est bien précisé que c'est la communauté. Naturellement l'Abbé fait partie de la communauté, il a donc son grain de sel à saupoudrer. Mais en fait, c'est la communauté.
Il y a toutes sortes de façons de s'y prendre, mais nous devons trouver une façon adaptée à notre état d'esprit qui, comme vous le savez, est assez individualiste dans nos régions ici.
Chez les moniales, il n'y a pas de problèmes. Vous savez qu'elles sont toutes des femmes ouvertes et très naïves. 0n peut leur demander ce qu'on veut, elles le font. Eh bien, comment chez elles procède-t-on ?
J'ai eu des petits échos, c'est toujours intéressant. Eh bien, on demande à chaque moniale de rédiger un petit rapport. Et puis en public alors, chacune lit son rapport. Voyez un peu ! Tandis qu'il y a deux ou trois secrétaires qui prennent des notes. Puis après alors, les notes qui ont été prises, elles sont remises à la Mère Abbesse qui les expose alors à toute la communauté.
Finalement il y a une rédactrice plus habile que les autres qui va mettre tout ça au point. La Mère Abbesse met, disons, le coup de pouce final. Elle ponce, vous voyez, comme on ponce une pierre. Et puis voilà, alors c'est parfait et le Chapitre Général sera réjoui d'entendre ce rapport sur cette maison.
0n peut procéder autrement encore. Par exemple ceci : on nomme un petit groupe de sœurs qui va être chargé de présenter un pré-rapport, de dégrossir le terrain. Puis alors, ce pré-rapport étant rédigé, il est présenté à la communauté. Alors, on forme des groupes d'étude où ce pré-rapport est à nouveau discuté. Et quand c'est fini, les conclusions de chaque groupe dans lesquels il y a une secrétaire, elles sont mises en commun et rediscutées par l'ensemble de la communauté et, finalement il en sort un texte. C'est tout à fait comme ça qu'on fait au Chapitre Général.
Mais nous, je pense que c'est un peu compliqué tout ça et nous allons essayer d'aller au plus court. Cela ne veut pas dire que je vais m'offrir pour faire le travail puisque je n'en ai pas le droit. Mais nous allons faire comme ceci : nous allons choisir trois d'entre nous, trois. Vous allez choisir ! Je mettrai au réfectoire tout à l'heure une liste et vous allez cocher 3 noms. Vous mettrez cela dans ma boite. Je dépouillerai et je verrai ceux qui l'ont emporté. C'est un peu comme aux élections.
Puis alors après, voilà, ces trois frères vont se rencontrer et s'arranger entre eux pour faire un petit texte qu'ils me remettront. Et alors, je m'en vais le mettre en forme, quoi ! Puis je vous le présenterai et, si vous avez des choses à ajouter, on les ajoutera. Je pense que nous devons aller au plus court et puis ne pas nous fatiguer par toutes ces choses-là parce que les tensions cérébrales ne sont pas bonnes pour nous.
Mais tout de même, je pense que je pourrais déjà dire maintenant à l'intention de ces trois qui sont inconnus mais qui sont ici - donc qu'ils ouvrent bien leurs oreilles - que je pourrais définir quelques éléments qui pourraient aider à la rédaction.
Donc, nous devons - je pense que c'est ça notre vérité à nous nous devons établir, disons, le cadre ici qui est le nôtre et qui en principe favorise la vie contemplative. Et c'est un choix, une option communautaire qui existe depuis longtemps naturellement ; cela ne date pas d'aujourd'hui.
Mais avant tout, pour commencer, il faut d'abord donner la composition de la communauté : il y a autant d'hommes, et donner la moyenne d'âge. 0n demande ça beaucoup, 1'âge moyen de la communauté. Si vous ne le connaissez pas, je tâcherais bien de le trouver, ce n'est pas difficile. Et puis aussi l'âge médian, c'est à dire l'âge du frère qui est juste au milieu. Et je pense bien que comme toujours celui qui se trouve au milieu, vraiment porté par tous, ce ne peut être que le frère Luc. C'était déjà ainsi pour l'autre Chapitre Général et je pense que ça n'a pas changé. Donc, nous sommes certains d'avoir un ange médian valable ,
Eh bien, voici d'abord quelques éléments donc que les rédacteurs pourraient mettre en évidence, donc pour favoriser 1'éclosion et l'épanouissement d'une vraie vie contemplative. D'abord la solitude, on peut les disposer autrement mais enfin je commence par la solitude.
LA SOLITUDE
D'abord notre monastère est construit depuis des siècles dans un endroit assez isolé quoique la Ville de Rochefort se soit approchée ; mais tout de même, notre monastère est à peu près au centre de 210 Ha de terrains dont environ 120 de forêts. Et nous avons, il faut bien le dire, reconstitué cette forêt, 80 Ha de cette forêt, il y a deux ou trois ans. Donc il faut prévoir que d'ici l'an 2000 - pour ne pas courir trop loin - nous verrons déjà bien que nous sommes dans un bois !
Alors un élément encore de cette solitude, qui protège notre solitude, c'est que à part une route macadamisée qui vient de Rochefort jusqu'à l'Abbaye, tous les autres chemins d'accès sont des chemins de terre difficiles, sinon impraticables à des véhicules. Je rappelle ceci, mais il ne faut pas l'écrire dans le rapport, il avait été question il y a une dizaine d'année de mettre du tarmac sur la route qui va à la carrière et encore plus loin pour aller vers Humain. Mais nous nous y sommes opposés justement pour qu'il n'y ait pas un trafic de voitures par là et pour décourager l'accès. Donc ça reste un chemin piétonnier ouvert aux touristes éventuels qui ont le courage de faire de la marche dans cette région-là.
ECONOM I E
Alors un second élément est notre économie, une économie qui est à la taille de notre communauté. Nous avons une brasserie petite dont la production est limitée à un plafond qui est bas, que nous avons atteint et que nous n'entendons pas dépasser. Cette modestie de la vie économique donne à chacun, vous le savez bien, le temps suffisant pour la Lectio et la prière. Même ceux qui travaillent à la brasserie disposent de tous les loisirs nécessaires pour chercher Dieu dans la prière et la Lectio. C'est un élément capital parce qu'il y a des communautés où la charge de travail est tellement forte que les frères doivent grappiller d'un côté ou l'autre quelques minutes pour se retrouver un peu en solitude devant Dieu.
LE CULTE DE LA BEAUTE
Alors aussi quelque chose sur laquelle il faudrait insister, c'est le culte de la beauté. C'est indispensable dans une vie contemplative. Il faut que les bâtiments et que l'environnement soient beaux.
Voilà, dans les bâtiments, nous avons notre église qui a été restaurée et qui, ma foi, pour tout ceux qui la voient, est tout de même un bâtiment qui est beau. Avant cela, il y a eu l'hôtellerie ; il y a cette salle-ci ; il y a le chapitre ; il y a le réfectoire ; il y a la bibliothèque. Enfin, on s'efforce d'avoir des bâtiments qui sont beaux sans être, comment dirais-je ? affectés et qui soient à peu près tous dans le même style, dans le même genre de manière à unifier notre personne, à unifier la communauté au lieu de la disperser, de la tirailler. Voilà, c'est cela l'optique voulue, l'optique cherchée !
Et c'est aussi dans l'environnement ! Dernièrement, il y a eu le jardin clos : ceux qui le voient, les étrangers qui le voient trouvent que c'est quelque chose d'absolument extraordinaire. Et c'est vrai ! Même au plan physique, quand on est là, on le sent. Puis il y a les parcs. Enfin on s'efforce de faire en sorte que ce soit beau.
Et la culture de la beauté est vraiment ce qui nous ouvre le mieux à notre Dieu
qui est beauté. Ce qui nous attire en Dieu, sachons-le toujours bien, c'est sa beauté. Instinctivement le cœur de notre cœur voit Dieu et il est captivé par ce que Dieu est beau.
L'OFFICE DIVIN :
Il y a alors l'0ffice Divin, l'0ffice Divin qui est célébré sur la modalité. 0r la modalité, elle aussi, façonne la personne. Chaque mode musical a son tonus, son ethos spécifique qui agit sur la psychologie et qui la met dans les dispositions les meilleures pour recevoir la grâce de Dieu, pour entrer en communion avec lui. Parce que cet ethos est à la mesure de ce qui se passe dans le cosmos, dans l'univers, un peu comme le nombre d'or. D'ailleurs vous savez que les modes grégoriens sont élaborés selon les règles du nombre d'or.
Alors pour notre 0ffice, nous avons adopté celui de la Règle de Saint Benoît qui a tout de même fait ses preuves au cours des siècles.
LE SILENCE :
Il y a aussi le silence. Eh bien, le silence, je pense qu'on veille à ce qu'il n'y ait pas de bruits, à l'absence de bruits. Pour ce qui est maintenant du silence de la parole, ça, c'est laissé à la conscience et à la responsabilité de chacun. Là, on ne veut pas gendarmer. Et nous sommes toujours en questionnement, nous sommes toujours interpellés et, il est toujours possible et requis de faire des progrès, de se corriger, de se convertir. Nous ne serons jamais assez silencieux.
Et bien voilà, il y a peut-être encore d'autres choses certainement. Mais enfin, j'ai donné ces petits éléments. Donc, les forçats qui vont être obligés de travailler, d'élaborer ce petit texte, ils savent maintenant s'ils ont retenu, j'espère bien ? Et s'ils ne l'ont pas retenu, alors moi, je 1 'ajouterai.
Mes frères,
Nous étions arrivés à l'endroit où nous disions que pour oublier tout ce qui au cours des journées parfois, et dans des circonstances plus exceptionnelles parfois nous contrarie et nous fait de la peine, parfois nous fait sentir comme une injustice à notre endroit - ce qui n'est pas extraordinaire, rappelons-nous le 4° degré d'humilité - nous devons donner notre foi au Christ de façon absolue.
Dès que nous sommes saisis par l'amour, il ne nous est plus possible alors de nous arrêter à toutes sortes de choses qui peuvent nous alourdir et empêcher notre course à la suite du Christ sur les routes du Royaume et peut-être aussi, voilà, refroidir notre amour pour lui.
Le don de soi à Dieu dans la foi entraîne donc un radicalisme absolu. L'Abbé Général nous en a parlé la veille de son départ. Il a opposé le radicalisme au rigoriste, si vous vous en souvenez ?
Le rigorisme peut être un alibi ou un paravent derrière lequel se cacher pour échapper au radicalisme. Le radicalisme saisit le moine à la racine de son être, à l'endroit le plus profond de son cœur et, il le retourne et l'accule à la conversion.
Tandis que le rigorisme est une façon humaine de vivre les choses, le radicalisme est l'ouverture au transcendant, est l'ouverture au divin. C'est l'accueil en soi d'une logique qui n'est plus de ce monde-ci. Tandis que le rigorisme est la logique de ce monde-ci poussée à son extrême.
Le rigorisme peut entraîner une sorte d'hystérie de la régularité ; tandis que le radicalisme, lui, va entraîner le moine dans la compassion et la miséricorde. Plus je suis radicalement donné à ce que le Christ me demande, plus je serais miséricordieux pour les autres ; tandis que si je suis un rigoriste qui veille à ce que dans sa propre vie il n'y ait pas le moindre accroc, je vais être impitoyable pour les autres.
Donc dans le radicalisme, en accueillant en moi toutes les exigences de Dieu, je m'ouvre aux qualités qui sont celles de Dieu. Et la qualité de Dieu, vous le savez, qui coïncide avec son être, c'est l'amour, c'est la miséricorde, surtout lorsque cet amour se tourne vers la créature.
Tandis que le rigorisme, il m'enferme de plus en plus dans la prison de mon égocentrisme. Et les autres que je vois qui sont moins vigoureux que moi, dans le fond, ils sont un reproche perpétuel à ma rigueur.
Ma sœur, mes frères,
Au moment d'entrer dans la grande et redoutable semaine de la Pâque, je voudrais m'arrêter à nouveau quelques instants sur le radicalisme dans lequel nous sommes précipités avec elle. Ce radicalisme nous saisit à la gorge et nous arrache à nous-mêmes. Il arrache de nous tout ce qui peut nous flétrir, tout ce qui peut nous souiller.
Il n’a rien à voir avec un quelconque rigorisme. Si nous cédions à celui-ci, nous nous emprisonnerions dans le cachot de notre moi, nous nous livrerions sans défense au flux de nos peurs ataviques. Nous deviendrions durs avec nous-mêmes, impitoyables avec les autres.
Et de tout cela, nous ne voulons pas. C'est pourquoi nous rejetons loin de nous à tout jamais toute forme de rigorisme.
Le radicalisme auquel nous invite notre Dieu, nous en avons un exemple ici même : cet âne que chevauche Dieu lui même. N'oublions pas que l'âne était la monture des sages, des saints, des prophètes. Rappelons-nous l'ânesse de Balaam.
Et c'est encore un détail sur lequel on passe sans s'en rendre compte. Jésus n'est pas monté sur un âne mais sur une ânesse, comme si on voulait aller jusqu'au plus beau de la simplicité, de la douceur, de l'absence de malice.
Et bien, le radicalisme de la Semaine Sainte va nous entraîner jusque là. Il va nous rendre libre de la propre liberté de Dieu à condition, bien sûr, que nous l'accueillions dans toute notre vie ; pas de façon ponctuelle une fois en passant, mais qu'il devienne la loi de notre existence à l'intérieur de nos relations avec les autres, et d'abord de notre relation avec le Christ, avec Dieu, avec tout cet univers des saints et des saintes qui est notre véritable lieu.
Le Christ qui a chevauché une ânesse, nous a laissé ce qu'il appelle son commandement, un commandement nouveau, un commandement inouï. Il nous a dit « Je vous demande de vous aimer les uns les autres comme moi je vous ai aimés ». La pointe de son exigence, le poids de gloire qu'elle contient repose tout entier sur le comme, comme je vous ai aimés. Et comme est absolu, il ne laisse place à aucune alternative. La norme de notre amour fraternel n'est donc pas à chercher dans des modèles humains aussi sublimes soient-ils.
Non, cette norme n'est pas à la hauteur du chrétien. Elle est à la hauteur du païen. Il y a des païens qui ont été des hommes extraordinaires certes, mais nous ambitionnons autre chose. Nous devons aimer comme le Christ nous a aimés. Notre hauteur, ce n'est pas une hauteur d'homme, c'est la hauteur même de Dieu.
La norme imposée par le Christ est sa propre personne - et n'oublions pas que la personne du Christ, c'est le Verbe de Dieu - donc aimer comme Dieu aime. Il n'est pas possible de discuter d'argumenter, de biaiser. Et dans ce comme est incluse la gratuité absolue.
Nous devons donc aimer jusqu'au bout, aimer sans limites, aimer sans mesures, aimer sans conditions à la manière de Dieu et sans rien
escompter en retour. C'est peut-être cela qui est le plus difficile, c'est d'aimer gratuitement. Et c'est là que se situe le comme.
L'homme est toujours plus ou moins un marchand, un trafiquant. Il donne pour recevoir. Est-ce que ce ne serait pas là le mode habituel, quasi normal de relation entre les humains ? Peut-être bien ? Disons même certainement. Mais ce n'est pas cela que Dieu nous demande, ce n'est pas cela que Dieu nous propose, ce n'est pas cela qu'il exige de nous. Il exige une relation qui soit construite sur la gratuité.
Cela signifie que je vais à la manière de Dieu, à la manière de la Trinité où chaque Personne est relation pure et ainsi où les trois Personnes ensembles sont pur amour, que je vais construire toute ma vie d'homme sur une relation de ce type, c'est à dire que je vais accepter de me recevoir des autres tels qu'ils sont, refusant d'exister par moi-même mais me donnant tout entier à eux et ainsi, devenant vraiment le disciple du Christ qui a aimé eis telos comme dit l'Evangéliste, qui a aimé jusqu'au bout. Il n'était pas possible d'aller plus loin.
Soit, mais nous sommes tout de même des êtres limités. Nous avons, nous, un bout, un terme à notre mesure non pas à la mesure de Dieu. Oui, mais nous permettrons à Dieu de le vivre en nous et de reculer toujours ce bout, ce terme, cette limite humaine qui est la nôtre, de la reculer sans fin.
Et c'est là justement que se trouvera l'essence de notre béatitude éternelle où la dilatatio de notre cœur, l'élargissement de notre cœur sera sans fin car, petit à petit, il deviendra capable de la plénitude de Dieu.
Eh bien, voici ce qui nous est proposé comme programme. Encore une fois, ce n'est pas une perfection à échelle humaine, mais c'est une conformité totale au Christ. Et celle-ci ne peut se réaliser qu'à l'intérieur d'une divinisation de toute notre personne. Et cela commencera à être atteint lorsque je pourrai dire en toute vérité : ce n'est plus moi qui vit, c'est le Christ qui vit en moi.
Voyez, mes frères, jusqu'à quelle vie, jusqu'à ce rien de nous-mêmes nous sommes appelés. C'est cela le radicalisme de l'Evangile, c'est cela le radicalisme du commandement nouveau. Cette sainte semaine va nous replacer en face de cette exigence. Elle est radicale, car elle nous saisit à la racine de notre être et elle nous retourne de fond en comble.
Mais voilà, aurons-nous assez de foi, assez d'audace que pour nous y livrer ? Car, il ne faut pas s'y livrer une fois en passant, ça doit devenir notre habitus, ça doit devenir un état permanent chez nous. Nous devons être des hommes de l'amour fou, des hommes de la gratuité totale, et cela entre nous.
C'est très beau, très facile de l'être pour des personnes qui habitent à des centaines de kilomètres de nous. Non, c'est avec ces frères que nous côtoyons tous les jours, que nous connaissons dans leurs moindres replis, que nous connaissons mieux qu'ils ne se connaissent eux-mêmes, avec leurs défauts, leurs limites, leurs complexes, leurs traumatismes, leurs péchés.
Et voilà, nous allons devoir pratiquer ce jusqu'au bout, ce comme moi, comme le Christ. Nous allons essayer de le pratiquer jour après jour, heure par heure. Et c'est la raison pour laquelle nous sommes ici dans le monastère.
Si nous y avons été appelés, c'est afin que nous devenions des présences vivantes de cet amour qui est Dieu, de cet amour qui brûlait le cœur du Christ, de cet amour qu'il nous demande d'exercer exactement comme lui.
Et bien nous lui permettrons, au Christ, de prendre possession de nous de manière à ce qu'il ne soit pas déçu, et de manière à ce que tout au fond de nous, quelque soient les épreuves que devra subir notre égoïsme, nous sentions sa propre paix, nous sentions son propre bonheur.
Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix, disait il au moment où il entrait dans son agonie. Eh bien, cette paix, nous l'accueillerons avec reconnaissance et nous demanderons, si vous le voulez bien, les uns pour les autres, la grâce de comprendre ce programme qui nous est proposé et, la grâce de le vivre à fond.
Ma sœur, mes frères,
Le Seigneur Jésus, à l'intérieur de son existence humaine la plus banale comme la plus tragique, a vécu dans toute son amplitude le paradoxe du Dieu Amour. Et ce paradoxe, sur lequel nous allons nous arrêter quelques instants, il le vit encore aujourd'hui en chacun de nous qui sommes les membres de son Corps.
Si nous y étions attentifs, les choses nous seraient sans doute beaucoup plus faciles. Mais voilà, nous avons des yeux qui regardent à l'envers. Ce n'est pas Dieu que nous regardons, c'est nous-mêmes que nous regardons et, nous projetons sur tout et sur Dieu l'image de ce que nous sommes ou voudrions être.
Celui qui allait devenir le Prince des Apôtres est tombé dans le même piège. Cela ne t'arrivera pas, disait-il à Jésus qui parlait de sa passion. Cet homme, je ne le connais pas, je n'ai rien à faire avec lui, proteste-t-il.
Il rêvait d'un Dieu conquérant qui distribuerait les victoires et les lauriers. Vous savez, il est si beau d'être orné de décorations. Et voilà ce à quoi Pierre rêvait et ses compagnons avec lui.
Or, il se trouvait en présence d'un Dieu prisonnier de la haine des hommes. Et cela, il ne pouvait pas l'admettre. Là se situe précisément l'inacceptable, le révoltant paradoxe.
Il est mis en évidence par la soldatesque et les notables : Si tu es le Fils de Dieu, descends donc de la croix et nous croirons en toi, et tout sera arrangé. Mais si tu restes là sans réagir, c'est que tu n'es qu'un imposteur !
Voilà bien, mes frères, Dieu jugé à l'aune des hommes. Sachons-le une fois pour toutes, le Dieu que nous confessons tout puissant ne dispose en fait d'aucun pouvoir. Il ne dispose pas du plus petit atome, de la plus petite poussière de pouvoir. La puissance absolue de Dieu ne se manifeste pas à l'intérieur d'un pouvoir, elle est toute puissante d'humilité, d'amour, d’effacement, d'accueil, de service, de douceur, de compassion.
Une telle puissance peut donner et donne en effet les apparences de la non-existence, de la nullité. En réalité, elle est Dieu lui-même dans le mystère de son être, dans le mystérieux de son être et, elle l'emporte immédiatement et de façon définitive sur tout ce qui n'est pas elle.
Voilà, mes frères, ce qui nous est si difficile de comprendre et d'admettre et beaucoup plus difficile encore de laisser entrer dans notre vie afin qu'elle devienne le guide, l'inspiration de tout ce que nous faisons. Oui, et pourtant cette règle divine est d'application stricte en tous sans aucune exception. En tout ceux chez qui Dieu habite vraiment, elle apparaît.
Vous savez que dès l'origine de la vie monastique, on reconnaissait un véritable père, on reconnaissait un chrétien achevé, un moine accompli à cette absence de pouvoirs, à cette présence de l'humilité, de la compassion, de la douceur, de l'absence totale de jugement porté sur qui que ce soit. Remarquons-le, Jésus n'a jamais condamné personne. Il ne le pouvait pas, il était Dieu !
Dans le Christ, Dieu a subit ainsi l'injustice et la mort. Et aujourd'hui, dans ses membres, il subit des violences et des atrocités sans nombre. Les informations quotidiennes nous en apportent des moissons et des moissons. Et ici, le silence s'impose devant ces masses de souffrance.
Voyez les chefs des prêtres, les pharisiens, les scribes, toutes les autorités de l'époque ne se taisaient pas devant le Christ, devant sa souffrance. Ils l'insultaient.
Mes frères, il y a des moments où le silence s'impose parce que quelque soit l'origine de la souffrance, cette souffrance dépasse les bornes de l'admissible.
Alors, si vous le voulez bien, nous laisserons le mystère de la toute puissance de Dieu œuvrer en nos cœurs de manière à ce que nous puissions devenir à l'exemple du Christ des hommes de paix, des hommes de réconciliation, des hommes dans lesquels vibre le paradoxe de l'amour.
Et un jour, la résurrection éclatera à son heure, peut-être même de notre vivant. Et dans cette espérance, nous allons maintenant célébrer cette résurrection. Nous allons chacun d'entre nous recevoir dans notre cœur le corps et le sang transfigurés de notre Christ. Et grâce ainsi, la vigueur de sa vie deviendra plus puissante en nous, et nous serons plus proches de lui, et il deviendra un seul esprit avec nous.
Ma sœur, mes frères,
Lorsque l'agapè, l'Amour qui est Dieu, se saisit de quelqu'un, il le projette dans un univers nouveau où la beauté règne en souveraine. Et tout y est beau parce que tout y est vrai. Amour, vérité, beauté sont une trilogie indissociable parce qu'elles constituent l'être même de Dieu.
Et cet univers nouveau où règnent ces qualités - appelons-les ainsi - qui constituent notre Dieu, n'est pas distinct de Dieu lui-même. Nous ne devons pas imaginer quelque chose, un endroit, un lieu qui serait à côté de Dieu et à l'intérieur duquel Dieu disperserait tout ce qu'il est. Non, Dieu n'est pas distinct de son univers, c'est Lui. Et Dieu avec nous, c'est le Seigneur Jésus qui est, lui, cet univers.
Alors l'amour, donc qui est Dieu, fait sauter l'homme ou la femme d'un seul coup au-dessus de la mort. Il en est parmi vous ici, disait le Christ, qui ne mourront pas avant d'avoir vu le règne de Dieu venir en puissance. C'est cela! On est encore dans le monde mais on n'y vit plus. Et on pose alors des gestes déroutants qui obéissent à une logique autre, logique dont l'altérité étonne, surprend, effraye, inquiète les hommes.
Et Marie de Béthanie, que nous avons rencontrée à nouveau ce matin et qui est notre sœur, faisait partie de ces êtres privilégiés. Elle avait accueilli le Royaume de Dieu présent dans le Christ. Le Royaume de Dieu qui n'était pas distinct du Christ, elle l'avait accueilli avec une candeur d'enfant.
C'est une femme qui devait avoir un cœur parfaitement pur. Et ça, c'est certain puisque ce cœur était devenu le temple de l'Esprit Saint. Alors, en présence de Jésus en qui elle reconnaissait le Messie et Dieu, elle donnait tout.
Il existe donc une conjonction étroite entre l'amour et la mort. L'amour fait mourir et la mort libère l'amour. Je pense que ça, nous devrions le retenir. L'amour fait mourir et la mort libère l'amour. Je ne parle pas ici de la mort biologique mais de la mort à soi, de la mort mystique. Et cette évidence explique le geste fou de Marie.
Elle aime Jésus d'une telle ardeur, d'une telle pureté qu'elle se transvase toute entière en lui. On vit bien davantage à l'intérieur de la personne qu'on aime qu'en soin et c'est normal. La source de notre vie, elle jaillit sans arrêt du cœur de la personne que nous aimons. Et cette personne étant le Seigneur Jésus, nous ne vivons plus en nous, nous vivons en lui.
Pour Marie, c'était arrivé de façon parfaite. C'est pourquoi elle ne se possédait plus. Et en vidant son flacon de parfum sur les pieds de celui qu'elle aimait, elle se vidait elle-même. Il n'y a pas eu, ici, d'arrachement comme ça se produit parfois. Non, il y a eu - comme je le disais - un transvasement.
C'est tout à fait ça. Le parfum était dans un vase. Et ce vase, elle en brise le goulot et elle verse le contenu sur les pieds de Jésus. Par ce geste, elle exprimait symboliquement que le contenu de son cœur, de tout son être, elle le versait sur les
pieds et dans le cœur de celui qu'elle aimait.
Dans le fond, elle restituait à Jésus ce qu'elle avait reçu de lui. Et c'est pourquoi, lui ne se récrie pas. Tout le monde est étonné, tout le monde est scandalisé et Jésus trouve ça absolument naturel.
Judas avait le mérite, lui, de dire tout haut ce que les autres pensaient tout bas. C'est sans doute un homme qui était de retentissement primaire, vous voyez, il le disait tout de suite. Les autres étaient plus prudents, ils se taisaient.
Et Marie, à l'intérieur de ce geste, meurt mystiquement. Et cette mort libère des énergies amoureuses qui aussitôt se diffusent partout. C'est ce qui est exprimé par ce parfum qui emplit toute la maison. Le philosophe dit en latin que le bien se diffuse par lui même. Et à fortiori lorsque le bien c'est l'agapè, lorsque le bien c'est l'amour.
Nous avons là aussi un peu la ressemblance avec ce qui se passe à propos de l'Esprit Saint. L'Esprit Saint, c'est la personne de la Trinité qui est le support de l'agapè, de l'amour. Et cet amour, une fois qu'il est libéré grâce au geste - disons là aussi - d'amour absolu qu'a posé le Christ, il se répand partout. Il n'y a pas un endroit de l'univers où l'Esprit d'amour ne soit parvenu aujourd'hui.
C'est ce qui se passe avec le parfum pour la maison, c'est ce qui se passe avec l'Esprit Saint qui est chez Dieu le parfum et qui, lui, se répand dans l'univers entier. Notre corps nouveau, notre corps spirituel, notre corps en voie de résurrection a aussi des organes. Et entre autre, il a un organe qui lui permet de sentir. On parle que nous devons être la bonne odeur de Dieu. Et bien, Dieu a aussi une odeur, Dieu répand un parfum et ce parfum, c'est l'Esprit Saint.
Pour ma part, je suis persuadé que de même qu'il est possible d'entrevoir Dieu dans sa lumière et dans sa beauté, de même qu'il est possible d'entendre la musique qu'il est et d'en être charmé, de même qu'il est possible de le toucher et de sentir combien il est doux, de même qu'il est possible de le manger, de le respirer, de même il est possible de le sentir, de se nourrir de son parfum. Car il n'est rien à l'intérieur de la création qui ne soit à l'état parfait chez Dieu.
Et bien, c'est l'expérience que faisait ici Marie et, c'est à cette espérance-là que nous sommes nous-mêmes invités. Elle est possible lorsque comme elle nous consentons à mourir mystiquement de manière à pouvoir libérer en nous tout ce qui nous empêche d'aimer vraiment. Donc, la mort libère l'amour, sinon il faudrait l'inscrire en lettres de feu partout.
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Les anciens se rappellent que les vieux trappistes mettaient un peu partout dans les jardins, partout, de petites plaquettes avec des sentences pieuses. Et voilà, quand on allait se promener, on tombait dessus et on les voyait. Cela paraissait un peu enfantin pour nous aujourd'hui.
Mais dans le fond, je pense que ce n'était tout de même pas tellement bête, pour employer ce mot un peu trivial. Cela nous rappelait certaines vérités. Alors, on pourrait mettre sur une de ces plaquettes : la mort ( à soi ) libère l’amour.
Alors, ce transfert admirable, ce transfert prodigieux explicite à mon sens la nature de la pauvreté. La pauvreté signifie un état de mort par excès de vitalité. Un mort ne possède plus rien. Il n'a plus besoin de posséder quoique ce soit parce que il est entré en possession du bien par excellence, à savoir la vie qui est Dieu dans son amour. A ce moment-là, on peut non seulement lui prendre tout, mais lui-même se débarrasse de tout.
Marie, elle, peut ici donner tout parce qu'elle s'est donnée elle-même. Les sarcasmes de Judas et des autres ne l'atteignent absolument pas. Un mort n'entend plus. Marie était devenue sourde aux bruits de ce monde parce qu'elle était charmée par la musique qui était Dieu. Tout ça ne l'intéressait plus. En donnant son parfum, en le versant sur les pieds de Jésus, elle s'était versée elle-même. Elle avait donné tout ce qu'elle avait de plus précieux et puis elle, voilà, elle était morte.
Il n'y a que les morts qui peuvent poser des actes pareils. Et le mort, c'est vraiment le pauvre par excellence. Il ne possède plus rien. D'ailleurs, c'est assez remarquable au plan pratique. Vous avez un frère qui est mort ; et puis on entre dans ses anciennes possessions et on le pille à volonté. Enfin, je dit pille, vous comprenez, je caricature la chose. Mais il ne viens pas crier. Voilà, c'est fini, il est mort, il ne possède plus rien.
Marie aussi - et ça, nous le savons mais il est bon de le rappeler - elle a anticipé la passion et la résurrection de son Seigneur. Si bien que elle est avec Lui dans la lumière qu'il est. Donc, en posant son geste, Marie proclame ce que nous devons proclamer dans l'Eucharistie. Elle proclame que le Seigneur a donné sa vie pour le salut du monde. Et c'est une raison pour laquelle, comme le dit Jésus lui-même, son geste sera rappelé dans le monde entier. Donc, son geste a aussi une fonction eucharistique.
Lorsque nous célébrons l'Eucharistie, nous avons là devant nous le corps transpercé et le sang répandu, mais là bien réellement, mystiquement mais réellement. Et en même temps, nous avons le même corps transfiguré et ressuscité.
Tout cela, mystiquement Marie l'a vécu en posant son geste, essuyant les pieds avec ses cheveux, écoutant les moqueries, entendant la parole de réconfort que lui adresse celui qu'elle aime. C'est tout à fait cela !
Et, à mon avis, la vie monastique n'est rien d'autre que cela. Et j'en suis persuadé, la vie monastique dans son ensemble est une parousie de l'eschaton. Donc elle est l'apparition, la manifestation pour notre temps présent de ce monde nouveau, de ce monde à venir, de ce monde qui est Dieu et qui sera révélé à tous à l'heure où Dieu sera tout en toute chose, à la plénitude des temps comme on dit.
Et bien voilà, ma sœur, mes frères, ce que nous pouvons peut-être recueillir aujourd'hui de cette scène extraordinaire dont nous avons entendu l'évocation ce matin au cours de l'Eucharistie.
Et peut-être pourrions-nous demander encore une fois que ce mystère d'amour se réalise en nos cœurs à nous, dans le cœur de chacun en particulier et puis dans le corps que nous formons tous, qui est le corpus monasterii.
Imaginez un petit peu, imaginons un petit peu une communauté monastique dans laquelle chaque membre s'efforcerait de vivre ce mystère d'amour qu'a vécu Marie de Béthanie, puis alors la communauté comme telle n'étant plus qu'un cœur vivant ce mystère.
Eh bien, moi, je pense que ce serais la fin du monde parce que il n'est pas possible d'aller au-delà. Ce serait vraiment l'eschaton rendu présent, et bien réellement. Mais ça, c'est notre responsabilité, c'est d'aller le plus loin possible dans la réalisation de ce projet qui est celui de Dieu quand il nous appelle dans le monastère.
Et s'il y a des erreurs,, s'il y a des faux pas, s'il y a des scandalorum spinae comme dit Saint Benoît, 13,26, des épines de scandale, il faut vite vite vite les effacer, les arracher pour ne pas que ça nous empêche de marcher et de courir.
Voilà, c'est mon souhait, et je vous demande la grâce de prier pour que ça se réalise non seulement en vous, mais aussi en celui qui vous parle.
Ma sœur, mes frères,
Ce matin, nous avons touché du doigt une fois de plus le réalisme de l'incarnation. Dieu a pu devenir homme pour partager notre condition jusque dans les moindres détails. Il n'a rien voulu s'épargner des contrastes qui jalonnent notre existence et parfois même nos journées.
Hier, c'était la douce émotion d'un amour reçu et rendu. Et aujourd'hui, c'était la dure émotion d'un malheur imminent, en présence d'un malheur imminent. N'oublions pas que Jésus avec sa sensibilité absolument pure devait sentir quantité de choses qui nous échappent à nous qui sommes encore engoncés dans notre suffisance et englués dans notre égoïsme.
Mais la péricope évangélique qui nous a été présentée a été amputée d'une introduction et d'une incise. Elle se trouve vers la fin. Je pense qu'il serait intéressant de nous y arrêter. Mais il faut remonter deux versets plus haut pour bien comprendre.
Jésus dit ceci, il rappelle le texte d'un psaume : « Celui qui mange mon pain a levé contre moi le talon », c'est à dire qu'il m'a donné un coup de pied traître et mortel. Nous avons peut-être, nous, perdu cette habitude ? Nous ne nous donnons pas des coups de pied, peut-être bien parfois un coup de poing ?
Mais les SS dans les camps de concentration étaient éduqués à l'art de donner des coups de pied. Et le coup de pied se donnait toujours avec le talon. Donc, on lève le pied puis, on vous le lance avec un talon ferré - il y avait un fer à cheval contre la jambe. Et alors, vous êtes balayés, il n'y a rien qui peut tenir.
Donc, c'est la façon primitive de donnes des coups de pied. Et c'est ce que ici le Christ dit de lui. Il a reçu un coup de pied de ce genre, j'allais presque dire de cette qualité, un coup de pied réussi. De la part de qui ? Mais de celui qui partage mon pain, de celui qui mange mon pain, qui se nourrit de mon pain.
Alors, vous vous rappellerez car nous l'entendrons tantôt, mais nous l'avons entendu ce matin encore : Qui ? Qui est-il celui-là ? C'est celui auquel je vais donner la bouchée. Voilà, c'est celui-là !
Enfin, tous ces disciples et tous ces apôtres, ils étaient distraits, des gens distraits. Ils avaient leur esprit ailleurs. Ils se demandaient : Mais enfin, en fin de compte qui sera le chef de notre groupe ? Qui sera nommé premier ministre ? Et des choses ainsi. C'était ça qui les préoccupait.
Alors, quand Jésus leur rappelait ceci, et quand ils le voyaient se réaliser, ils passaient à côté. Il a fallu vraiment que le Christ fut ressuscité et que l'Esprit Saint pris possession d'eux pour que enfin les yeux de leur cœur s'ouvrent.
Eh bien, faisons attention à nous ! Dans notre vie bien concrète à nous, nous sommes trop souvent ainsi, nous ne voyons pas. Mais voilà, ça fait partie de notre écolage d'humilité.
Alors il est dit - c'est cette fois-ci ce qui a été omis, sans doute pour que le récit fut plus coulant ? - après avoir dit ceci, il est dit : « En disant cela Jésus fut troublé dans son esprit ». Oui, on a traduit : profondément bouleversé, bouleversé jusqu'au plus profond de lui-même.
Oui, mais le mot grec n'est pas à rendre en français, c'est tout un tableau qui est saisissant. Le verbe utilisé ici signifie : être remué, être bouleversé, commencer à trembler des pieds à la tête, être saisi de frayeur, être épouvanté. C'est tout ça en même temps !
Alors, ça s'exprime, ça se traduit, ça se remarque sur le rythme respiratoire qui change. La voix elle-même devient saccadée, devient haletante parce que le cœur bat trop vite. C'est ça que ça veut dire il fut troublé dans son esprit. C'est dans son souffle qu'il faut voir. Il est tellement épouvanté qu'il ne sait presque plus respirer.
Et nous avons ici, je pense l'avoir déjà dit autrefois, le pendant de l'agonie de Gethsemani dont Jean ne parle pas. En fait, l'agonie commence ici, puis elle va se poursuivre et elle atteindra son paroxysme lorsque le Christ commencera alors à transpirer du sang. Mais c'est déjà cela qui commence.
Et les disciples, en entendant ça, ont dû être malgré tout eux aussi terriblement commotionnés. Mais je pense bien qu'ils ne, qu'ils ne réalisaient pas exactement de quoi il s'agissait. Ils ne pouvaient pas y croire, croire que quelqu'un, un d'entre eux allait donner un tel coup de pied, qu'il allait livrer - c'est le terme exact en grec - le livrer comme on livre une tête de bétail à celui qui l'achète, pour 30 pièces d'argent. Cela dépassait l’imagination, ce devait être un cauchemar. Vous voyez ça d'ici.
Alors, en même temps, ici au même endroit, il y a une double présence. Il y a celle de Dieu et il y a celle de satan. Il est bien dit que avec la bouchée entra en lui le satan. Il faut prendre, je pense, le mot satan dans son sens original et voir encore beaucoup plus loin que l'apparence du texte. Cela veut dire que au moment où Judas accepte la bouchée - et n'oublions pas que la bouchée, ce n'était pas n'importe laquelle. C'était celle par laquelle le maître du repas signifiait l'estime particulière qu'il avait pour quelqu'un - Judas accepte, prend la bouchée et entre en lui le satan.
Or le satan, c'est celui qui condamne, c'est celui qui accuse, c'est l'accusateur. Lorsque vous avez un tribunal, vous avez d'un côté le satan, c'est à dire l'accusateur ; puis vous avez de l'autre côté le paracletos, vous avez le défenseur. Donc, ça veut dire que Judas absorbe sa propre condamnation. C'est fait !
Et moi, ça me donne toujours un peu froid dans le dos quand j'entends proclamer des situations pareilles car je me dis : pourvu, pourvu que il ne m'arrive pas un jour que j'absorbe ainsi en moi le satan, c'est à dire celui qui va m'accuser et celui qui un jour va me condamner. C'est ça qui est dit !
Eh bien, il y a ici Dieu et il y a en regard le satan. Et c'est cela certainement que Jésus sentait jusqu'au plus profond de lui. Et son être se révulsait d'horreur de cette présence, de cette cohabitation - appelons ça ainsi - de Dieu et du satan au même endroit. Oui.
Les disciples naturellement étaient trop grossiers pour comprendre cela, trop rudes. C'était des rudes comme nous, n'est-ce pas. Ce sont des choses que nous ne pouvons pas comprendre et, c'est la raison pour laquelle nous devons redevenir absolument de petits enfants.
Car les petits enfants qui ont l'âge de 4, 5 ans peuvent sentir ça et le comprendre ; parce que un petit enfant n'imagine pas du tout que le mal existe, qu'il puisse tomber sur des gens qui sont méchants. Alors, quand il se trouve en présence du mal, il n'y croit pas parce que pour lui, c'est inexistant. Mais quand il s’aperçoit que cela existe, eh bien, il en meurt.
C'est un peu ce qui s'est passé ici avec le Christ au moment de cette agonie qu'il vivait là devant ses disciples. Cela le dépassait, lui qui est toujours resté comme Dieu un petit enfant.
Et alors - c'est ici que se situe l'incise qui a été laissée de côté ce matin - c'est cet instant que Jésus choisit pour donner à ses disciples son commandement nouveau. Et il dit ceci : « Je vous donne un commandement nouveau, que vous vous aimiez les uns les autres ».
Voilà, c'en est fini de vous disputer pour savoir qui d'entre vous est le plus grand ? et qui va commander aux autres ? et qui sera assis à gauche ? et qui sera assis à droite ? Fini tout ça, vous devez vous aimer les uns les autres.
Mais alors : « Comme je vous ai aimés, ainsi vous devez vous aimer les uns les autres. En cela tous reconnaîtrons que vous êtes mes disciples si vous avez de l’amour les uns pour les autres ».
J'y ai fait allusion - je pense - au cours de l'homélie de dimanche. Il ne s'agit pas ici de philanthropie, ni d'amitié, ni d'atomes crochus. Il s'agit d'autre chose. Il s'agit d'aimer comme lui a aimé. C'est à dire que nous devons permettre à l'Esprit Saint qui est l'amour de nous transformer radicalement et d'anéantir en nous l'égoïsme. C'est ça qui nous est demandé, qui nous est ordonné car c'est un commandement. Et il est nouveau. La nouveauté réside dans le comme, comme je vous ai aimés.
Et voilà ! Mais c'est tout à fait impossible pour nous car nous ne sommes pas des Dieu, nous sommes des hommes et nous avons peur. Et c'est pourquoi il faut vraiment que nous nous laissions mettre à la porte de nous pour que, voilà, cet Esprit et cet amour prennent possession de notre être et transfigurent notre coeur.
Et c'est la raison pour laquelle le geste posé par Marie de Béthanie est tellement expressif de cet état. La dépossession totale qui a été la sienne ouvre la voie à cet amour. Il faut prendre le risque de la pauvreté, du dénuement et se détacher de tout. C'est un risque à prendre. C'est un risque fameux car c'est vraiment le saut dans le vide, dans le vide charnel, dans le vide matériel, dans le vide de tout ce qui fait nos sécurités pour s'abandonner à cet amour qui est impalpable.
Si, il est palpable pour l'être qui est déjà entièrement spiritualisé mais en soi il ne l'est pas. Il faut donc croire que l'amour est finalement la seule chose qui existe, la seule chose qui compte et que tout le reste disparaîtra. Et alors, voilà, prendre ce risque .
Et alors, tout le monde reconnaîtra que vous êtes mes disciples si vous avez cet amour les uns pour les autres. Et ça, c'est terrible parce que ça, c'est vraiment la carte d'identité du chrétien. Et il n'y en a pas d'autre, il n'y en a pas d'autre que celle-là. C'est inutile d'aller chercher, c'est à ça qu'on nous reconnaîtra !
Et si nous n'avons pas ça, eh bien, nous ne sommes pas des chrétiens tout simplement, nous ne sommes pas des disciples du Christ. Nous sommes des disciples de Socrate, de Platon, de Bouddha ou bien de je ne sais pas qui ? Mais nous ne sommes pas des disciples du Christ.
C'est terrible, savez-vous, ce radicalisme. Eh bien je pense que nous devons avoir dans ces jours-ci la lucidité de le regarder en face et puis, voilà, de nous jeter en lui.
La vie monastique, je pense bien - je dis toujours je pense, mais c'est un euphémisme pour dire que j'en suis sûr, persuadé, certain - la vie monastique, c'est de vivre ainsi en perpétuel état d'oblation et d'accueil. S'offrir aux autres dans la gratuité d'un amour pur, et puis les accueillir dans la même gratuité tels qu'ils sont. Non pas tels que nous voudrions qu'ils soient, mais tels qu'ils sont.
Et alors, c'est cet amour qui, travaillant en nous et travaillant en chacun, petit à petit construit le corps du monastère et fait que nous devenions personnellement et communautairement vraiment les temples de l'Esprit.
Ma sœur, mes frères,
Comment Jésus a-t-il pu vivre pendant tout un temps au côté de Judas ? Il avait une sensibilité extraordinairement fine puisqu'elle n'était pas oblitérée par le péché. Donc il savait, il sentait, il le remarquait à mille indices, cela devenait pour lui une certitude : Judas, dont le nom signifie l'homme de la louange, Judas s'écartait de lui, Judas intérieurement se désaffectionnait de Jésus. Il n'avait plus confiance en lui et finalement, il le méprisait. Jésus sentait tout cela, il le savait.
Nous connaissons l'issue de ce drame. Elle avait dû se préparer pendant un très long temps. Maintenant, une question se pose : Jésus aurait-il pu se séparer de Judas ? Eh bien, nous devons répondre par la négative. Pourquoi ?
Mais parce que les dons de Dieu sont sans repentance. Jésus avait choisi Judas qui était certainement un de ses préférés. Rien que le nom de Judas est déjà tout un programme. Et Jésus était issu de la Tribu de Juda. Il y avait une sorte de sympathie naturelle entre eux deux.
Eh bien les hommes - descendons en nous - les hommes se protègent. Et pour se protéger lorsque le péril approche, ils révoquent, ils chassent. Eh bien Dieu, lui, ne
revient jamais en arrière. Il ne reprend jamais ce qu'il a donné une fois et il va de l'avant toujours, jusqu'au bout de son amour, jusqu'au bout de l'amour qu'il est.
Et bien, voilà ce que signifie dans le concret Dieu est amour. C'est une gratuité qui frise la folie, c'est une gratuité qui est folie au regard de notre raison. Quand Jésus dit à ses disciples : « Je vous donne un commandement nouveau, celui de vous aimer les uns les autres comme moi je vous ai aimés », je suis certain que lorsqu'il disait cela, il pensait à Judas qui venait de partir. Il lui avait donné la bouchée et Judas venait de sortir. Et Jésus prononce ces paroles.
Voilà, Judas - je pense - est la norme ultime de l'amour qui est attendu de nous. C'est dans la personne de Judas que nous voyons jusqu'à quel point Jésus peut aimer et jusqu'à quel point il nous demande d'aimer. C'est pourquoi Judas est la norme de notre amour.
Nous n'en sommes pas encore là, naturellement. Cela ne veut pas dire que nous n'y arriverons jamais. Nous devons y arriver. Et, j'irais même plus loin, nous y arriverons. Mais en attendant, restons bien à notre place dans l'humilité et, espérons qu'un jour très proche, le plus proche possible, notre cœur se liquéfiera.
Ceci ne veut pas dire qu'il doit y avoir un Judas parmi nous. Attention ! Qu'il faudrait pour que notre amour fut mis à l'épreuve et forcé à grandir jusqu'à l'extrême limite de ce que nous pouvons, qu'il faudrait pour cela que nous soyons affrontés à un Judas. Non, ce n'est pas cela que je veux dire.
Mais je veux dire que dans l'exercice de notre amour, nous ne devons jamais regarder l'autre, jamais regarder le frère avec des yeux d'homme. Nous devons regarder avec les yeux du Christ. Il faut que nous abandonnions nos yeux, que nous les lui remettions pour qu'il nous donne les siens. Et alors, nous parviendrons à aimer comme lui parce que nous lui permettons, à lui, d'aimer ainsi à travers notre cœur et à travers notre regard.
Et puis, on ne sait tout de même malgré tout ce qui peut arriver dans un monastère. On en voit de toutes les sortes ; cela ne veut pas dire que nous rencontrerons un Judas. Mais Saint Benoît au 4° degré de son échelle de l'humilité fait allusion à toutes sortes de situations qui peuvent paraître injustes, intolérables. Et nous pouvons parfois les ressentir comme des espèces de trahison par rapport à ce que nous sommes, par rapport à ce que nous avons rendu comme services dans une communauté.
Eh bien, c'est alors, à notre mesure à nous, une façon d'aimer alors à travers tout et d'aimer comme le Christ aime. C'est une façon aussi de nous trouver en face d'une sorte de Judas, un peu comme ça sans que ce soit une personne bien définie. Mais nous avons l'impression comme ça d'être trahi dans ce que nous sommes au plus profond de nous-mêmes. C'est cela le quatrième degré d'humilité !
Mais alors le Seigneur, lui, il est allé vraiment jusqu'au bout de la réalité concrète dans un homme bien précis qu'il avait aimé et par qui il avait été trahi.
Donc, quand nous entrons ainsi dans l'univers de Dieu révélé en la personne du Christ, on est pris de vertige. On est partagé entre l'admiration et la crainte : admiration devant tant de sublime beauté et crainte quand nous réalisons ce qui est attendu de nous et qui est vraiment hors de notre portée.
Et ce vertige fait partie de notre expérience contemplative. Il est comme le fruit d'une ivresse, une ivresse qui est suscitée en nous par la séduction exercée sur tout notre être, pas sur une partie de notre être mais sur notre être global, séduction exercée par la beauté, presque la beauté par excellence et en même temps causée par une attirance de la mort.
Je l'ai expliqué dernièrement, les deux vont de pair, et l'amour et la mort. La mort libère les énergies de l'amour et l'amour entraîne dans la mort. La seule façon de rejoindre Dieu, c'est de mourir. Il faut mourir à soi, il faut mourir à ses talents, il faut mourir à ses convoitises, il faut mourir à sa soif de pouvoir, il faut mourir à ses ambitions, il faut mourir à ses peurs.
Oui, surtout, surtout, il faut mourir à ses peurs. Il y a en nous des peurs archaïques que nous devons absolument vaincre avec la grâce de Dieu pour parvenir à rejoindre Dieu et à devenir comme lui amour et lumière.
Et la séduction de la beauté, de cette beauté que nous voyons dans le Christ lorsqu'il est affronté à Judas, la séduction de la beauté nous fait affronter la mort et passer outre. C'est elle qui peut réaliser ce prodige. Et c'est pourquoi nous devons nous laisser séduire de plus en plus par la beauté.
Nous sommes ici tout à fait à l'intérieur de la mystique parce que ce n'est pas une beauté qui est le fruit d'un raisonnement, ni même d'une intuition. C'est une beauté qui est le fruit d'une prise de possession. Il n'y a pas de distance entre cette beauté et nous. Nous devenons beauté nous-mêmes et c'est alors que nous sommes séduits, et que nous sommes saisis, et que nous pouvons sauter au-dessus de la mort.
Et bien, c'est ça qui a manqué à Judas. Il n'a pas cru à la beauté qu'il avait devant lui. Il lui a résisté et, pis que cela, il a voulu la détruire parce que le crime, disons, par excellence, c'est de détruire la beauté. D'ailleurs on le voit à l'expérience lorsqu'il y a une révolution, lorsqu'il y a des émeutes où l'irrationnel de l'homme se déchaîne, on détruit les œuvres d'art, on détruit les monuments, on détruit le beau. Et ça, ne l'oublions pas, c'est nous. Nous sommes capables d'en faire autant. C'est ce que Judas a fait.
Alors l'humilité, la vraie humilité, elle consiste à accepter la beauté, à l'accepter en elle-même. Donc, lorsqu'elle nous touche, lorsqu'elle prend possession de notre coeur, de nos oreilles, de notre regard, du plus intime de ce que nous sommes, l'accepter et s'abandonner à elle. C'est un risque !
Et puis alors, l'accepter aussi chez les autres, chez les frères parmi lesquels nous vivons. Et puis nous ouvrir à elle car elle nous est donnée à travers eux.
Nous sommes la plupart du temps très mal tournés, en ce sens que ce qui nous intéresse chez les autres, c'est leurs défauts. La conversation de salon par excellence, c'est de raconter toutes sortes d'histoires sur le dos des voisins, des voisines, etc. C'est fatal presque, c'est tellement humain, mais c'est tellement mesquin et tellement ridicule.
Non, il faut que notre regard devienne un regard de vérité et qu’il voie chez les autres leur beauté. Il y a une beauté secrète dans chacun des frères avec lesquels nous vivons. Nous devons demander à Dieu la grâce d'ouvrir nos yeux, les yeux de notre coeur pour que finalement nous ne voyions plus que cette beauté sans fermer les yeux de notre chair, de notre raison sur les défauts, sur les vices, sur tout ce qu'on veut ; mais passer à travers ce voile et contempler la beauté qui est un reflet de la beauté de Dieu.
J'ai vu dernièrement dans une revue que un des plus beaux animaux de la création, c'était le crapaud. Un des plus beaux ! On va dire : oui, mais un crapaud ? Eh bien oui, il y avait toute une histoire sur le crapaud. C'est parce que maintenant en cette saison-ci les crapauds commencent à émigrer. Ils se rendent à un endroit où ils vont faire leur nid. Ils vont se rencontrer, ils vont pondre et puis, voilà, la race des crapauds va se perpétuer. Et on demandait qu'on protège les crapauds parce que ils traversent les routes et qu'il ne faut pas les écraser.
Eh bien moi, je trouvais ça tellement extraordinaire et tellement sympathique de faire l'éloge du crapaud, car moi aussi j'aime les crapauds, car j'en suis peut-être un ? Et je me sentais ainsi tellement proche d'eux que je dirais bien comme Saint François : mon frère le crapaud....
Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout !
Ma sœur, mes frères,
Jésus, lui qui était Dieu, lui qui était la lumière du monde, lui qui était l'amour, il reste toujours quelques soient les circonstances identique à lui-même. Il n'y a pas en lui de fluctuation, pas de flux et de reflux, pas de retombée ni de reprise. Non, il est l'amour, il aime, il aime jusqu'au bout de ce que nous pouvons peut-être imaginer ou concevoir.
Il existe pourtant un au-delà de cet imaginable, de ce concevable et c'est le mystère de l'amour en tant qu'il est Dieu lui-même. C'est une nuée devant laquelle nous devons nous abîmer dans l'admiration. Dieu est beau. Il est la beauté parce qu'il est la vérité et surtout parce qu'il est l'amour.
O, nous ne savons pas ce que nous disons lorsque nous affirmons que Dieu est amour. Nous ne pourrons le comprendre vraiment que lorsque nous aurons été assumés entièrement dans cet amour et que nous serons nous-mêmes devenus - par toutes les cellules de notre corps spirituel - pur amour, pur icône de notre Dieu. Mais ce sera, vous le comprenez, pour l'heure de notre résurrection personnelle.
Nos yeux peuvent pourtant percevoir des étincelles de l'agir aimant de notre Dieu. Deux d'entre elles nous sont offertes aujourd'hui. Mais n'oublions pas : elles n'appartiennent pas à un passé déjà lointain, très lointain par rapport à nous. Non, elles nous sont contemporaines.
Le Mémorial n'est pas le rappel d'un événement du passé, il est la présence même de cet événement. A l'intérieur du sacrement, nous sommes reportés au moment même où l'événement se passe et nous en sommes les témoins et les acteurs. C'est cela le mystère entre autre de l'Eucharistie : on ne renouvelle pas le sacrement de l'Eucharistie, on rend présent le fait même de cette Pâque qu'a vécu notre Seigneur Jésus.
Eh bien, ces deux étincelles sont celles-ci : d'abord la première Pâque et ensuite la seconde. Par-dessus les siècles, les millénaires même, ces deux Pâques confluent en une seule. Elles sont l'évolution, le prolongement l'une de l'autre. C'est une seule et même Pâque. Et d'ailleurs, il y en aura une troisième lorsque Dieu saisira le cosmos tout entier pour le remettre à son père. Je dis Dieu parce que le Seigneur Jésus, ne l'oublions jamais, il est Dieu lui-même.
La première Pâque, c'est la Parole de Dieu qui ouvre aux Israélites la route de la liberté. Cette Parole n'est que fidélité, vigilance, miséricorde, puissance. La seconde étincelle est cette même étincelle devenue chair cette fois, Parole qui alors ouvre à tous les hommes le chemin du salut définitif.
Cette parole se fait pain de vie et coupe d'allégresse pour que nous puissions nous-mêmes devenir ce qu'elle est, pour que nous puissions nous laisser emporter par elle, pour que nous puissions vivre notre Pâque à notre tour et entrer pleinement dans la lumière et dans l'amour qu'est notre Christ.
Il est vraiment regrettable que nous ne soyons pas pénétrés de cette évidence à longueur de vie. Heureusement nous avons notre célébration de la Pâque, notre célébration annuelle de cette Pâque pour raviver en nous ce mystère qui est nôtre et dans lequel nous découvrons notre véritable nom.
Et maintenant, depuis que nous connaissons ces deux étincelles qui n'en forment plus qu'une, qui ne forment plus qu'une lumière, depuis que nous les connaissons, nous n'avons plus rien à craindre quoi qu'il arrive. Comme chante Saint Jean de la Croix : Dieu est à nous. Mieux, nous devenons participants de sa nature, nous-mêmes sommes divinisés dans le pain et le vin de sa parousie et de sa résurrection, de sa passion et de sa glorification.
Voilà tout ce qui nous est promis ! Alors, devant une telle promesse, pourquoi encore nous arrêter à ramasser les miettes qui peuvent tomber de la table ?
Mes frères, le jusqu'au bout de l'amour est atteint une fois pour toutes, ne l'oublions pas. Le reste, ce qui est au-delà de ce jusqu'au bout, c'est l'immense et insondable de notre béatitude. Nous ne savons pas ce que demain nous réserve dans le concret de notre existence quotidienne. Mais il existe un concret plus réel encore que ces incidents ou que ces accidents, c'est le réel de notre immersion à l'intérieur de notre Dieu.
Essayons d'avoir toujours cette foi, cette espérance au cœur de notre vie. Et alors, comme je le rappelais, plus rien ne pourra nous atteindre parce que Dieu non seulement est avec nous, mais Dieu est pour nous, Dieu est devenu notre bien, Dieu est devenu notre richesse pour jamais.
Amen.
Ma sœur, mes frères,
Nous n'aurons jamais fini de contempler et d'admirer les mille et une facettes de l'indicible amour qu'est notre Dieu. Vouloir parler de cet amour en mots humains est absolument impossible. Nous ne devons même pas aller chercher dans notre univers d'homme ce que nous entendons, nous, par amour. Nos expériences sont trop étriquées, trop pauvres, trop peureuses.
Nous devons plutôt choisir une autre voie. C'est la voie que Dieu lui-même nous propose. Nous devons permettre à l'Esprit Saint de triompher en nous, l'Esprit Saint qui au sein de la Trinité est Dieu. Toute la Trinité est Dieu certes, mais l'amour qu'est Dieu est plutôt approprié à l'Esprit Saint. Alors, nous serons nous-mêmes en Dieu puisque Dieu sera en nous et nous pourrons sentir spirituellement.
Nous avons en effet en nous un sens, un sens spirituel qui est là. Il est latent, il dort pour ainsi dire. Et la présence de l'Esprit dans notre cœur peut l'éveiller. Et à ce moment-là, nous pouvons sentir comme Dieu lui-même sent.
Et à ce moment, nous serons poussés nous aussi à aimer, à aimer comme Dieu aime, à aimer à la façon de Dieu, à permettre à Dieu d'aimer en nous. Et alors, nous serons nous aussi capables d'aller jusqu'au bout de notre amour à l'intérieur de nos limites humaines certes, mais enfin pour nous, ce sera aussi un jusqu'au bout.
Les souffrances du Christ ont été horribles. Mais prenons garde ! N'allons pas glisser dans un certain dolorisme car, à l'époque de Jésus et surtout encore un peu après lorsque les juifs se sont révoltés contre l'occupant romain, il y a eu des centaines, des milliers de crucifiés. Rome n'y allait pas par quatre chemins. Tous ceux que les romains trouvaient, tous ceux qu'ils arrêtaient étaient crucifiés. Et Jésus a été un parmi des milliers d'autres.
Essayons plutôt de saisir le sens d'une de ses dernières paroles ! Il en a prononcé très peu. Nous devons donc les recueillir avec un respect infini. Il a dit qu’il était venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité.
C'est là au fond la situation de tout martyr, mais ici, c'est Dieu lui-même qui est mis à mort, c'est Dieu lui-même qui témoigne jusque dans la mort. En entrant dans le monde et en le quittant, Jésus qui est Dieu - ne l'oublions jamais - entend témoigner de ce qu'il est.
Or, d'un bout à l'autre de son périple humain, il se montre, lui Dieu, dépourvu de tout prestige, dépourvu de tout pouvoir. Il faut vraiment être éclairé par lui, il faut vraiment être habité par l'Esprit Saint pour soupçonner, pour croire que ce non-pouvoir, que ce non-prestige est la nature la plus profonde et la plus vraie de Dieu.
Il ne peut pas en aller autrement puisque Dieu est amour. L'amour ne domine pas, l'amour se met au service, l'amour est humble, l'amour est doux, l'amour se fait oublier, l'amour se cache. Et pourtant, sans l'amour rien ne peut subsister.
Et voici que Jésus s'est trouvé dans une situation extrême d'agonie et de souffrance. Sa nature humaine affaiblie au dernier degré allait elle donc céder, allait-elle donc craquer au dernier moment ? Non, le tentateur qui était à l'affût a échoué. Jésus est demeuré jusque dans la mort témoin de la vérité qu'il est.
Et quand nous parlons de vérité, ne trébuchons pas dans le trou à l'intérieur duquel Pilate s'est retrouvé. Il n'est pas question ici de débats philosophiques, théologiques ou autres. Non, la vérité n'est pas quelque chose, la vérité est la personne même du Christ. Je suis, a-t-il dit, le chemin, la vérité et la vie.
Et pour comprendre un peu ce que signifie cette vérité qui est la personne même de notre Christ, il faut retourner à la langue originale dans laquelle il l'a dit. Or, la vérité, c'est ce sur quoi il est possible de construire, de bâtir, ce sur quoi on peut s'appuyer sans aucune crainte que jamais cela puisse céder.
Eh bien Dieu, il est cette vérité. Le Christ Jésus est la vérité dans ce sens-là parce que - encore une fois - il est l'amour. Celui qui construit sa vie sur la personne du Christ, c'est à dire sur l'amour devenu homme, c'est à dire sur la vérité se présentant à nous en l'absence de tout esprit de domination, à ce moment-là on possède déjà en soi la vie éternelle et, on est assuré de devenir soi-même lumière, et amour, et vérité pour les autres hommes.
Alors, pourquoi aurions-nous encore peur ? Notre vocation de chrétien consiste à laisser au Christ le champ libre dans tout notre être, à lui permettre de parfaire en notre chair ce qui manque à sa passion. N'allons pas maintenant - encore une fois - reculer et trembler en pensant à toutes sortes de souffrances. Non, nous savons bien que la vie, notre pauvre vie d'homme, elle rencontre tôt ou tard la souffrance quelque soit sa forme.
Eh bien, à ce moment-là nous sommes à l'intérieur de notre vérité de chrétien et nous devons permettre au Christ notre Dieu de poursuivre à travers nous son œuvre de Rédemption. Et puis finalement, au-delà, c'est de pouvoir ressusciter avec lui.
Mes frères, nous voici alors au terme, nous voici dans la vérité toute entière. Nous ressuscitons avec lui et en lui et, nous ressuscitons déjà maintenant. N'allons pas - encore une fois - laisser jouer notre imagination et voir notre résurrection comme un événement qui se produirait soudainement à un moment donné de notre histoire personnelle, après la mort physique ? Non, notre résurrection est un événement qui se prépare de très loin. Elle est une nouvelle naissance. Elle est la croissance en nous et pour nous de notre corps spirituel, de notre corps déjà en voie de transfiguration.
Eh bien, c'est cela notre vérité à nous, notre vérité greffée sur la personne du Christ. Nous entendrons bientôt l'Apôtre chanter fièrement : Vous êtes morts avec le Christ et vous êtes ressuscités avec lui et déjà, vous qui êtes ici sur cette terre, vous êtes avec lui auprès du Père au cœur de la Trinité .
Eh bien, mes frères, conservons, nourrissons cette certitude à l'intérieur de notre coeur et allons maintenant à la suite du Christ poursuivre notre route avec un courage nouveau. Et nous irons comme lui jusqu'au bout de la vérité que nous sommes en lui.
Amen.
Ma sœur, mes frères,
Nous sommes entrés dans le plus saint et le plus redoutable sabbat que le monde connaîtra jamais. Oserons-nous le regarder en face ? Oserons-nous prendre au sérieux ce silence auquel vient de faire allusion le Cardinal Ratzinger ? Un silence qui semble envelopper notre monde d'aujourd'hui, un monde dont l'espérance a fui. Et pourtant, nous allons essayer de contempler l'épaisse ténèbres et l'éblouissante lumière qui est tout à la fois le grand et terrible sabbat.
Ce sabbat est un arrêt, un repos, une rupture, une cassure. Et tout cela est une unique et même réalité que seul le regard de la foi peut contempler. Au cours de ce sabbat - qui a ne l'oublions pas une valeur d'éternité car il concerne Dieu - au cours de ce sabbat, une sorte de mutation s'opère en Dieu, une sorte d'acquis nouveau lui est pour ainsi dire concédé.
Dieu est aujourd'hui encore en état de passage, en état de Pâque, en état de mutation. Cette Pâque, ce passage est en lui comme il est en nous. Il ne prendra fin qu'à l'instant où l'amour aura triomphé définitivement, où Dieu sera pour jamais tout en toute chose.
Voyons un peu ce que cela signifie. La mort de Jésus, la mort de Dieu donc, opère un basculement. La création atteint dans la mort de Dieu, dans la mort de l'homme-Jésus qui est Dieu - ne l'oublions jamais - la création atteint dans cette mort un sommet absolu qu'elle ne peut pas dépasser. Elle retient son souffle : ou bien elle sera anéantie, ou bien elle sera transmuée ?
Et ce sommet est aussi le fond du fond d'un gouffre sans fond. C'est l'échec total, et pour Dieu et pour le cosmos. Il doit donc se passer quelque chose sinon ce sera la désespérance absolue.
Dieu en effet est mort. Et cette mort de Dieu est tout à la fois et le ciel et l'enfer de l'homme. Il est le ciel de l'homme parce que enfin l'homme a réussi à tuer Dieu et à être maître sans rival. Mais cette mort est aussi l'enfer de l'homme parce que l'homme entre dans une solitude qui est un enfermement à perpétuité dans la prison du rien dont les horreurs répétées nous glacent de frayeur aujourd'hui encore, chaque jour.
Il est des hommes qui reçoivent de Dieu le privilège de connaître l'épouvante de ce rien. C'est vraiment alors la descente aux enfers. C'est un absolu de néant, c'est comme un néant à une puissance quasi infinie. Il n'y a plus aucune espérance car il n'y a plus rien que l'homme tout seul qui un jour va s'évanouir dans le rien. C'est cela l'aspect-enfer que signifie pour l'homme la mort de Dieu !
Et il y a aussi son aspect-ciel parce que on a alors, lorsqu'on a saisi cette mort de Dieu dont on est à l'origine, on ressent en soi comme un sursaut de sauvagerie, comme des énergies nouvelles qui se déploient. Car on a l'impression que maintenant on va pouvoir prendre en main son propre sort et celui de l'univers entier.
Mais vite, on retombe de l'autre côté. Et c'est un jeu de bascule qui va finir de quel côté ? On n'en sait rien ! Il est des saints qui ont eu le privilège d'expliquer un peu ce travail à l'intérieur d'un cœur humain.
Et bien, le sort du monde et le sort de Dieu se sont joués au cours des quelques heures de ce fameux sabbat. Il devait arriver quelque chose, sinon l'homme eût été une marionnette, un automate. Il faut pour que Dieu soit vraiment Dieu, pour que Dieu soit vraiment l'amour, que se trouve en face de lui un être différent de lui qui puise lui dire non. Dieu a pris ce risque. Et ce risque, nous le mesurons à l'intérieur de cet enfer que fut le fameux sabbat.
Et je disais que ce sabbat a une valeur d'éternité parce que il dure encore aujourd'hui. Dieu et l'homme sont comme mariés à l'intérieur de ce sabbat. C'est là une expérience que nous faisons nous-mêmes à notre petite échelle parce que nous sommes pécheurs.
Le péché est une participation, minime certes mais bien réelle, à la réalité de ce sabbat. Et nous aurons toujours la lucidité de le reconnaître parce que à l'intérieur du péché, nous tentons une nouvelle fois de faire échec à Dieu, de le mettre de côté, de le mettre à mort et de prendre sa place. Telle est notre ...?..., telle est notre misère, mais telle est aussi notre grandeur.
Eh bien, dans cette ténèbres du sabbat, il subsistait heureusement un seul et unique repère, un repère sûr. Et ce repère, c'est un fait qu'on peut qualifier de porteur. L'homme-Jésus est resté obéissant jusque dans la mort. En lui, l'amour est demeuré invaincu.
C'est là le véritable sommet et le véritable gouffre. Et c'est précisément cet amour qui emplissait le cœur de l'homme-Jésus qui sera l'agent de la merveille des merveilles. Grâce à lui, et uniquement grâce à lui, grâce à cet amour et par cet amour, le basculement va s'opérer en direction de la vie, du renouvellement de tout.
Et nous comprenons alors un peu mieux pourquoi Saint Benoît nous demande à chacun d'entre nous de cultiver cette vertu d'obéissance qui est écoute aimante, écoute amoureuse de ce Dieu qui a tout risqué pour conquérir notre amour.
Je disais il y a un instant que le péché était pour nous une participation active à la mise à mort de Dieu dans le Christ Jésus. Mais notre obéissance, donc l'amour qui porte cette obéissance est aussi une participation active et bien réelle à la lumière qui habitait le cœur de Jésus et qui lui permettait d'être à ce moment-là, même au fond de l'enfer où il avait été précipité, d'être l'unique espérance et de Dieu et du monde.
Voyez, mes frères, la sublimité de notre vocation, de notre vocation monastique mais aussi et d'abord de notre vocation chrétienne. Le chrétien doit être un homme qui dit oui à Dieu, un homme qui refuse de dire non à Dieu. Et s'il lui arrive de dire non, à ce moment-là, il est saisi d'une repentance qui le fait bondir plus haut encore à l'intérieur de l'amour.
Voilà ce que nous pourrions retenir cette année. Car la merveille des merveilles - nous le savons - celle qu'a mérité l'obéissance de notre Christ et son amour à jamais invaincu, c'est la résurrection d'entre les morts, la résurrection pour lui et la résurrection pour nous. Et c'est la réalité des réalités, car voilà une chair corruptible qui est revêtue d'incorruptibilité et de lumière, une chair qui est pure transparence de Dieu, une chair qui est Dieu totalement. Et c'est cela qui nous est promis.
La divinisation de l'homme, elle s'opère heure par heure chaque fois que notre volonté se coule dans celle de notre Dieu. C'est cela qu'il attend de nous. Et il me semble que si chaque chrétien dans le monde pouvait vivre cette chose que Dieu lui demande, mais la face du monde serait métamorphosée en un instant.
Eh bien, nous qui sommes ici réunis ce soir pour célébrer la passion, la mort et la résurrection de notre Christ, nous qui comprenons l'importance infinie de ce sabbat de Dieu, nous allons prendre la résolution d'être chacun dans notre milieu des témoins de cet amour.
Nous allons prendre la résolution de nous aimer les uns les autres jusqu'au bout, jusqu'à la mort s'il le faut, une mort mystique bien entendu. Il ne nous sera jamais demandé, sauf imprévu, de donner notre vie pour un autre homme comme ce fut le cas pour l'un ou l'autre saint.
Mais non, nous donnerons notre vie en nous oubliant et en permettant aux autres d'occuper dans notre cœur la place qui leur revient, là où ils trouveront comme dans le propre cœur de Dieu une nourriture de lumière et de paix.
Ma sœur, mes frères,
Une nuit très sainte nous enveloppe de sa grâce. Elle descend sur nous comme un manteau et elle nous imprègne de son mystère. Oui, un mystère nous sollicite, le mystère de notre destinée. Des espaces sans limites nous sont ouverts : ceux de notre propre transfiguration et de la vie éternelle, ceux du passage de notre condition seulement humaine à une condition divine, ceux des plus folles et des plus belles espérances.
Nous le savons, mes frères, cela nous a été rappelés, toute l'histoire du cosmos montait lentement vers cette nuit qui a vu Dieu ressusciter l'homme-Jésus, son propre fils. Et maintenant, la merveille d'une victoire absolue sur la mort, d'une métamorphose de notre chair mortelle en une chair spirituelle et immortelle se propage, se déploie de proche en proche pour s'étendre à l'univers et le transformer à son tour.
Car il en va bien ainsi, mes frères, la fête de la résurrection est celle en premier lieu - nous le savons - du Seigneur Jésus et de sa victoire sur toutes les puissances du mal. Mais elle est aussi notre propre fête car nous sommes tous et chacun en voie de résurrection. Et à partir de nous, cette résurrection va pouvoir se transmettre.
Nous agissons comme des relais, et un relais doit être fidèle. Il ne faut pas qu'il y ait de rupture. Il faut que le passage s'opère avec souplesse. Il faut que nous soyons chacun une Pâque vivante.
La résurrection du Seigneur Jésus est le point de départ vers de nouveaux sommets. Elle n'est pas un point d'aboutissement. Elle est une rampe de lancement car elle saisit non seulement l'humanité, mais l'univers matériel pour le transporter en de Dieu. Il est sorti de l'amour de Dieu et maintenant il y retourne mais entièrement lumineux.
La résurrection du Seigneur est devenue le bien propre de chacun d'entre nous, de chaque homme en particulier. Elle est notre trésor le plus précieux et, c'est à partir d'elle que nous pouvons être pauvres. Elle est une richesse tellement inouïe que plus rien de ce qui n'est pas elle ne peut avoir d'importance définitive à notre propre regard.
Désormais, notre vie ne descend plus vers la tombe pour s'y perdre, mais elle monte vers un renouveau qui, à partir du centre le plus secret de notre cœur, va nous métamorphoser en lumière et en amour. Car c'est là que nous devons arriver.
Sous le voile de notre corps naît et grandit une beauté sans pareille. Et cette beauté est une réalité bien concrète, c'est notre réalité éternelle, c'est notre nom nouveau que nous sommes seuls à connaître avec Dieu qui nous le donne. Notre véritable moi devient ainsi lumière et amour dans une participation toujours plus consciente à l'être même de Dieu jusqu'à l'heure où nous pourrons nous écrier avec l'Apôtre : Ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ ressuscité qui vit en moi.
Et alors, devenu un seul esprit avec lui, nous entrons dans la vie éternelle au point que la mort physique est dépassée avant même qu'elle ne se manifeste. On reconnaîtra un chrétien en qui la puissance de la résurrection a vaincu lorsque cet homme n'éprouve plus la moindre angoisse à la pensée de la mort ou en présence de la mort. La mort? en effet? appartient déjà à son passé. L'Apôtre vient encore de nous le chanter.
Mes frères? c'est cela notre richesse la plus extraordinaire. Nous sommes passés déjà de la mort à la plénitude de la vie. Cette espérance, car l'espérance est la manière divine de déjà posséder un bien qui nous a été promis, cette espérance est donc vivante en nous et elle est symbolisée par le cierge pascal.
Permettons donc à cette beauté de nous saisir entièrement sans jamais nous lâcher et, à partir de nous de pouvoir rayonner sur tous ceux que nous rencontrerons, non seulement aujourd'hui ni les jours qui suivent dans le cours de cette année, mais toujours. Il faut que on puisse dire : voilà un chrétien, voilà un homme qui est en train de ressusciter d'entre les morts et qui rayonne l'amour.
Amen.
Ma sœur, mes frères,
Il nous est extrêmement difficile de croire en notre propre résurrection. Pourtant, l'Apôtre est formel, nous venons de l'entendre nous déclarer : « Vous êtes ressuscités avec le Christ ». Peut-être est-ce si difficile parce que nous n'avons pas autour de nous des témoins de la résurrection, pas tant des témoins par la parole, mais des témoins par leur vie ?
Et nous-mêmes, sommes-nous témoins de la résurrection pour nos frères ? Notre existence la plus spontanée, la plus naturelle trahit-elle que nous sommes déjà en train de ressusciter ? que notre cœur se trouve déjà tout entier à l'intérieur de la création nouvelle, là où est entré le Christ, et là où nous sommes entrés avec lui ?
Un homme ressuscité, en voie de résurrection plus précisément, n'est pas un rêveur. Il n'a pas la tête dans la lune. Non, il a les pieds dans le réel le plus concret, le plus matériel. Il le maîtrise parfaitement. Il réussit cette performance précisément parce que, comme le dit encore l'Apôtre, il recherche les réalités d’en haut.
Il n'est pas prisonnier des réalité d'en bas. Il est souverainement libre à l'endroit de tout et de tous. Et ainsi, il peut réussir même en affaires là où d'autres sont perdus ou échouent. Il peut prendre des options absolument parfois absurdes mais qui, en réalité, lui sont inspirées par l'Esprit de Dieu qui l'habite.
Mes frères, il y a là des paradoxes que nous ne parvenons pas à saisir rationnellement mais qui pourtant trahissent l'existence d'un autre univers, un univers où se trouve la vérité et d'où cette vérité peut venir en nous par le canal de la foi. Et lorsqu'elle prend possession de notre cœur, à ce moment-là nous commençons à ressusciter, et à voir, et à conduire les choses exactement comme Dieu le fait.
Oui, la résurrection du Seigneur appelle et entraîne la nôtre. Dieu le Père à ressuscité son fils Jésus, et nous tous, il nous a ressuscités en lui. Il nous reste maintenant à monnayer cette réalité déjà présente, déjà accomplie.
Pourquoi maintenant - encore une fois - cela ne nous crève-t-il pas les yeux ? Mais tout simplement parce que d'épaisses couches de nuages obscurcissent notre horizon. Ce sont les nuages des passions, des convoitises, des peurs. Et ces nuages sont tenaces. Dieu seul peut les dissiper. Il s'y emploie mais nous nous débattons et nous ne voulons rien lâcher.
C'est cela qui est un peu et même beaucoup malheureux, c'est que nous aimons nos nuages. Nous les aimons parce que nous avons peur qu'ils se dissipent et qu'ils nous montrent la beauté du ciel. Les choses sont ainsi, nous devons les admettre. Mais ce n'est pas pour cela que nous devons laisser tomber les bras.
Le chemin de prise de conscience de notre propre résurrection est une attitude de vérité. Nous devons reconnaître notre misère et notre impuissance et finalement accepter d'en être tiré hors. C'est cela qu'on appelle l'humilité, la componction, la pénitence, cette sorte de regret qui nous habite et qui peut devenir le moteur de notre conversion. Ne perdons jamais courage, qui que nous soyons !
Et mon souhait de Pâques pour chacun d'entre vous est celui-ci : Que nous demeurions fidèle à croire et à attendre. Dieu aura raison de nous et de nos peurs. Il dissipera toutes les nuées et nous verrons enfin la lumière de notre résurrection.
Nous la verrons lorsque nous commencerons à distinguer la propre lumière du Christ et que, séduits par elle, nous ne pourrons que courir vers elle jusqu'à ce que elle ait pris totalement possession de notre être jusqu'à sa racine.
Ma sœur, mes frères,
Ce matin, je voudrais vous partager quelques-unes des réflexions qui sont montées en moi au cours de la semaine de Pâques. Je me suis entre autre rappelé que le moine devait être une parousie de l'eskaton, une apparition du monde tel qu'il sera à la fin des temps.
Si le moine se laisse transfigurer par la lumière de la résurrection, il devient par le fait même apparition, révélation, présence du monde à venir, de la création nouvelle. Combien de fois n'entendons-nous pas au cours de ces jours l'Apôtre Paul nous dire que nous somme une créature nouvelle.
Il s'agit d'une nouveauté absolue. Ce n'est pas un retour à l'état paradisiaque, non, c'est une élévation à un état divin. Nous sommes devenus - d'une certaine manière - les égaux de Dieu. Il nous a absorbés dans sa vie.
Dieu a tout donné lorsqu'il est devenu homme et que, ayant traversé la mort, il est ressuscité d'entre les morts. A ce moment-là, nous sommes devenus ses concitoyens, disons ses contemporains. Nous participons à sa vie et à son éternité.
Et en ce sens-là, le moine qui permet ainsi aux énergies divines d'aller jusqu'au bout de leur pouvoir, ce moine devient vraiment ainsi ce que Dieu rêve de lui. Je disais encore hier à quelqu'un que nous devons nous laisser rêver par Dieu. Et le rêve qui l'enchante, c'est que nous lui devenions semblable en tout. Et puisque c'est son désir, c'est donc possible !
Et le moine qui sera donc ainsi totalement rêvé par Dieu sans opposer de résistance, il va permettre à la nouveauté absolue de se révéler en lui. Et cette nouveauté, c'est 1'agapè, c'est l'amour, c'est la caritas.
Encore une fois, nous ne pouvons pas trop bien comprendre. Aussi longtemps que nous ne sommes pas devenus nous-mêmes amour, nous ne pouvons pas trop bien comprendre ce que cela signifie. Et même lorsque nous le sommes devenus, il nous est alors encore plus difficile d'opérer un retour sur nous parce que nous vivons en dehors de nous.
C'est que la charité, l'amour, c'est la préférence absolue donnée à l'autre sur nous-mêmes. Et le sommet, comme le Christ lui-même l'a dit, c'est de donner sa vie pour les autres ou pour un autre bien déterminé. Rappelons-nous ce que Maximilien Kolbe a fait au camp de concentration. Il a donné sa vie pour celui-là, nommément désigné, et ce ne fut pas pour rire !
Nous, il est possible de donner notre vie de façon moins sanglante, moins brutale mais peut-être aussi très pénible au jour le jour, lorsque dans notre cœur nous donnons la préférence à chacun de nos frères. Ce n'est pas facile ! Ce n'est même pas possible aussi longtemps que nous ne sommes pas mus par cet amour qui est Dieu lui-même. 0n donne sa vie périssable et on reçoit la vie qui est Dieu.
C'est un risque à prendre, c'est une peur à vaincre. C'est bien souvent pour nous un pardon à donner pour des offenses plus ou moins réelles ; parfois c'est réel, parfois ça passe dans notre tête ainsi, ce sont des idées !
Mais enfin, le moine qui est devenu un être eschatologique, c'est aussi un homme qui vit dans le pardon perpétuel. Il a tout pardonné à l'avance. C'est çà qui fait notre force, c'est çà qui fait la faiblesse de Dieu : c'est qu'il s'est engagé jusque là.
Alors, il faut donc que tout le mystère de Pâques se saisisse de nous dans notre esprit et aussi dans notre corps. Il est bon parfois de sentir la fatigue, la courbature. Si nous nous sentons fatigués dans un service communautaire, c'est bien la preuve concrète et charnelle, la preuve incarnée que nous avons donné quelque chose de nous pour les autres.
Et voilà, ce mystère de Pâques, nous devons lui permettre de s'ancrer dans notre cœur. Et en purifiant ainsi notre cœur, le centre de notre être, qu'il puisse illuminer toute notre chair, tout notre esprit, enfin tout ce qui est nous aux yeux des autres. Ce serait tellement beau si nous étions ainsi les uns pour les autres des parousies. Il me semble que tout serait gagné.
C'est pourquoi ne perdons pas notre temps à des bêtises et laissons-nous transformer par cette vigueur de Pâques, par ces énergies pascale de manière à ce que le rêve de Dieu sur nous se réalise sans tarder et que nous puissions être les uns pour les autres des encouragements sur la route que nous devons suivre pour réaliser notre vocation de moine.
Ma sœur, mes frères,
Dimanche dernier, nous avons vu que le moine doit être une parousie des temps derniers, de cette heure où le Christ se manifestera comme étant le coeur même de l'univers, où nous verrons que nous-mêmes sommes soutenus par lui dans l'existence et que c'est son Esprit à lui qui est devenu notre respiration la plus intime.
Nous devons donc retrouver le sens de l'eschatologie, c'est à dire de cet accomplissement final de toute chose qui doit être inauguré en nous. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons été appelés au monastère, car la présence des derniers temps doit être sans cesse actuelle.
Je veux dire qu'il doit toujours se trouver dans le monde des hommes, des femmes - il n'est pas nécessaire qu'ils soient tellement nombreux, mais enfin ils doivent exister - donc des êtres humains dans lesquels s'accomplit déjà cet achèvement final.
Cela s'opère à travers le mystère pascal qui se saisit de nous dans notre corps et dans notre esprit et qui, insensiblement purifie nos cœurs. Mais quand pouvons-nous voir que nos cœur se purifie ? Nous devons en avoir conscience nous-mêmes car cela nous enracine dans l'humilité. Il n'y a en cela aucun germe de vanité ou d'orgueil.
Eh bien, le signe qui nous prouve de façon indubitable que le mystère de Pâques se réalise en notre cœur, c'est lorsque à la manière du Christ nous ne pouvons plus faire qu'aimer. Il ne monte plus dans notre cœur de pensées défavorables, de pensées de condamnation vis-à-vis de n'importe qui. 0n peut toujours naturellement, on doit voir les défauts, les erreurs, même les péchés ; mais pour ce qui est de la personne, jamais notre cœur ne la touche, au contraire !
Le moine a donc ainsi une mission d'ordre cosmique et nous sommes donc bien loin d'un salut étroitement personnel. L'univers entier dans son accomplissement final est présent dans un cœur pur et dans un regard de lumière. Mais pour le remarquer, nous devons nous-mêmes avoir un cœur et un regard accordé à cette beauté. Un saint peut prier dans une communauté sans que personne de cette communauté ne le remarque.
Vous vous rappelez cette réflexion qu'on faisait au Carmel de Lisieux après la mort de Thérèse de 1'Enfant-Jésus. 0n disait : Mais enfin, c'était une brave petite sœur, mais qu'est-ce que notre Mère va bien pouvoir dire ? Voilà, personne ne savait. Mais comment peut-on savoir ? Mais, comme je le disais, il faut avoir un cœur qui est accordé à cette beauté.
Et c'est pourquoi le premier souci du moine devrait dès le départ, donc dès le premier jour, devrait être la beauté. La charité, la vérité, la lumière, la beauté sont un en soi et doivent être UN pour chacun d'entre nous. Mais tout cela se résume dans la beauté.
Ce n'est pas - encore une fois - quelque chose qui nous est naturel. Ce n'est possible que si l'Esprit de Dieu nous travaille en profondeur et si nous nous abandonnons à son travail. C'est - encore une fois - en termes bien techniques et bien pratiques cette fameuse obéissance.
Pouvoir être à l'écoute de ce que l'Esprit nous dit de façon à pouvoir embrasser cette parole, la laisser jouer en nous, la laisser nous métamorphoser de façon à ce que nous devenions nous-mêmes parole, et musique, et beauté.
Eh bien, voilà ce que en ce temps de Pâques nous pouvons essayer de revivre car, je suis certain que ce désir habite le cœur de chacun d'entre nous. Mais il peut parfois se laisser assoupir par d'autres désirs.
Eh bien, pendant ce temps Pascal, c'est le moment de nous secouer comme vous savez un chien qui a été dans l'eau. Quand il en sort, il secoue l'eau pour se sécher et l'on voit toutes les gouttes qui filent.
Eh bien voilà, c'est ce que nous autres nous devrions pouvoir faire pendant le temps Pascal, nous secouer pour redevenir frais et pur. Et alors, nous serons vraiment les prêtres du cosmos parce que le Christ vainqueur en nous.
0ui, puisse Dieu nous conduire et nous maintenir sur ces sommets !
Ma sœur, mes frères,
Il me semble découvrir ici en filigrane le portrait esquissé par Saint Benoît de l'Abbé idéal. Il s'agit d'enjoindre à un frère des choses gravia, 68,2. C'est plus que difficile ; elles sont lourdes, elles sont écrasantes ; il ne peut pratiquement pas les porter. 0u bien des choses impossibilia, 68,3, impossibles, cela dépasse absolument la mesure de ses forces. Il y a là un nonpossum, je ne le puis pas !
Eh bien, pour exiger d'un frère des choses pareilles, ou simplement pour les lui demander, il faut que vraiment l'Abbé réponde à deux conditions :
D'abord, qu'il soit totalement dépossédé de lui, c'est à dire qu'il ait été arraché à lui par des situations écrasantes et impossibles dans lesquelles il se trouvait. C'est seulement alors qu'il aura le droit d'en parler, éventuellement de les proposer parce qu'il en aura fait l'expérience. Et seconde chose, il faut que cet Abbé soit véritablement un saint. Vous voyez que le cas sera extrêmement rare !
Il doit être un saint, c'est à dire un homme qui doit pouvoir en toute simplicité dire comme l'Apôtre Paul : Ce n'est plus moi qui vit, c'est le Christ qui vit en moi. Il doit en avoir conscience.
Et pourquoi cette condition qui, à mon avis, est indispensable ? Eh bien, c'est parce que Dieu seul a le droit de demander l'impossible à quelqu'un. Un homme ne possède pas ce droit. Pourquoi Dieu seul ? Parce que Dieu seul est le maître de l'impossible. Lui peut réaliser par l'intermédiaire d'un frère, à qui il le demande, une chose impossible.
Il faut donc qu'il y ait ici, et dans le chef et dans le chef du frère, une sorte de complicité. Il faut que les deux soient au même niveau spirituel. L'Abbé doit être un saint, le frère doit être un saint. Donc, le Christ doit vivre dans les deux.
Nous aurons le cas le plus typique dans celui qui nous est relaté au Livre de la Genèse où Dieu demande à Abraham de lui sacrifier son fils Isaac. Il s'agit de lui offrir un sacrifice d'holocauste : donc il doit vraiment tuer son fils et le brûler.
Dieu peut demander cela. Mais, s'il peut le demander à Abraham, il ne peut pas le demander à un autre parce que Abraham est son ami. Ils se connaissent mutuellement. Dieu connaît Abraham et Abraham connaît Dieu.
Voyez ! Ici dans un monastère, à la place de Dieu, vous aurez l'Abbé et à la place d'Abraham, vous aurez un frère. La chose impossible ou écrasante peut être demandée si dans la personne de l'Abbé Dieu a triomphé et, si dans la personne du frère il y a un véritable fils d'Abraham. Sinon cela devient de la comédie.
Vous allez peut-être penser que je prends un cas extrême ? C'est vrai , Mais je pense que c'est dans cette extrémité que la vérité se révèle. 0n peut descendre de ces hauteurs, c'est sur une montagne que Abraham devait offrir son fils à Dieu. Redescendons de la montagne, revenons dans la plaine et voyons des situations qui sont plus courantes dans un monastère où il faut parfois demander à un frère des choses difficiles qui lui semblent subjectivement impossibles.
Eh bien, même dans cette situation-là, l'Abbé ne peut pas le faire si lui-même n'a pas traversé ce désert, disons, et ce gouffre d'une soi disant impossibilité. Je pense que c'est indispensable. C'est dans des situations comme celle-ci que s'établit un lien indissoluble entre l'Abbé et le frère.
Et le frère, à ce moment-là, qui doit être un garçon vertueux - ce ne peut pas être n'importe qui - dès l'instant où il entre dans cette chose impossible que lui demande l'Abbé, du moins qui lui semble impossible, il s'élève, il est élevé au niveau de l'Abbé.
Et le miracle alors peut s'opérer. Car ce que Dieu veut réaliser dans le monastère, ce sont des mirabilia, ce sont des choses merveilleuses. Ce qu'il veut, c'est fabriquer des saints. Mais encore une fois, il ne fait pas passer tout le monde sur la même route. S'il demande ceci à un, il ne peut pas nécessairement le demander aux autres.
C'est dans des situations comme celle-ci que l'Abbé devra rendre compte de ce qu'il demande. Il ..?.. des choses extrêmement simples. Je vais vous en citer une à laquelle peut-être vous ne pensez pas ?
Il y a dans des monastères de moines ou de moniales - c'est indifférent - il y a des personnes qui n'ont presque pas besoin de dormir, ce sont des courts dormants. Et il y en a d'autre qui ne dorment jamais assez. Ils ont besoin de cette masse de sommeil pour leur équilibre, pour leur santé. Alors, est-ce que le fait de devoir toujours toujours se lever à 3h du matin peut être vraiment une impossibilité pour un frère ? Est-ce que l'Abbé peut l'exiger ?
S'il l'exige et que le frère en meurt ! Voilà, il peut en mourir psychologiquement, il peut en mourir physiquement, qu'il ne pourrait pas tenir. Eh bien, dans une situation pareille, l'Abbé n'a véritablement pas tenu la place de Dieu. Voilà, il a agit je ne sais pas comment ? Il n'a pas fait preuve de discernement, de discrétion, d'équilibre et, voilà, il devra rendre compte de la perte du frère.
Et ça, ce sont des situations ordinaires qui se trouvent dans les monastères, qu'on rencontre au tournant d'un cloître. Il y a encore quantité d'autres. Mais ce n'est pas de ces choses-là que parle ici Saint Benoît. C'est plus rare. Ce sont des choses absolument ici qui demandent au frères quelque chose qu'on ne peut exiger éventuellement que de lui parce que c'est le saut qu'il devra faire pour entrer dans la sphère de la sainteté.
Donc vous voyez, c'est là je pense, comme je le disais, que à l'arrière plan on peut voir se dessiner la figure de l'Abbé idéal qui doit véritablement juger des choses et prendre ses décisions plus que dans la lumière de Dieu ; il doit laisser Dieu les prendre en lui.
Je pense que nous pouvons retenir cela et être encouragé dans la voie que nous suivons qui n'est pas celle du fakirisme où on peut tout faire en s'exerçant lentement par toutes sortes de pratiques ascétiques. Non, c'est l'humanité de Dieu qui se fait sentir ici, cette humanité qui doit briller dans le cœur de l'Abbé et dicter toute sa conduite.
Ma sœur, mes frères,
La vie impérissable, la vie éternelle qui est Dieu lui-même dans sa Trinité, par quels canaux arrive-t-elle jusqu'à nous ? Je vais ce soir vous en ouvrir un. Au début de cette semaine, l'un d'entre vous m'a glissé providentiellement dans la main une sentence de Saint Augustin que je trouve extraordinaire et qui est parfaitement adaptée à ce mois de Mai débordant de vitalité et d'espérance. Ecoutez plutôt : Mon interrogation, c'était mon regard sur les choses ; leur réponse, c'était leur beauté.
Pour Saint Augustin, pour moi également je vous le confie, tout se trouve dans le regard, dans la qualité du regard que je pose sur les choses. Ce regard est une interrogation. Je cherche un partenaire avec qui entretenir une communion. Je veux vivre et je le veux d'un désir véhément, incoercible, irrépressible.
0r, je ne peux vivre en dehors d'une relation d'amour. Je veux aimer, je veux être aimé, je veux être reconnu. Je veux être tout simplement. Et mon regard se promène sur les choses et sur les personnes. Il interroge : Qui es-tu donc ? Quel est ton nom ? Tu peux me donner la plénitude de vie, donne-là moi donc !
Les personnes soit ! Mais les choses, seraient-elles en mesure d'entretenir avec moi une relation qui serait amour et vie ? Eh bien oui, elles le peuvent. Elles le peuvent parce qu'elles sont habitées. Elles sont le temple mystérieux d'une présence secrète qui me sollicite doucement.
Dieu est déjà tout en elles. Mon cœur le sait comme mon cœur le voit, mon cœur le sent. Alors elles sont capables de me répondre. J'ai soif de leur réponse. Comment pourraient-elles se taire devant l'ardeur de mon désir ?
Et la réponse, je l'entends, je la vois, je m'extasie devant elle. Leur réponse, c'est leur beauté. C'est ta beauté à toi, mon Dieu, toi qui est la beauté, toi qui est le beau au-delà de tout ce qui est beau. Le monde des choses est un immense miroir qui reflète la beauté du créateur, du créateur des choses, de mon créateur à moi.
L’œil vigilant du moine se nourrit de cette beauté. Il vit d'elle, il devient un avec elle, il devient lui-même auteur et source de beauté. Il se noue ainsi une relation d'amour entre lui et les choses, entre lui et les personnes. Il ne peut plus rien faire d'autre que d'aimer, aimer à perte de vue. La beauté l'arrache à lui-même et l'emporte en son mystère.
Voilà, mes frères, le chemin le plus normal, le plus commun, le plus ordinaire, le plus facile pour accueillir en soi la plénitude de la vie éternelle.
Chacune des choses sur laquelle je pose mon regard, je perçois en elle un appel, une sollicitation. Ce n'est plus moi maintenant qui interroge, c'est la chose qui m'interroge et qui me demande : Qui es-tu ?
Voici donc qu'une relation s'est établie. Cette relation s'approfondit, elle devient de plus en plus intime. Elle est une relation d'amour, elle crée une communion.
Et au-delà des choses, il y a naturellement les personnes, les personnes qui dans le fond sont des choses parmi les choses. 0 je ne tiens pas du tout à les objectiver, à les réduire au rang de numéros juxtaposés, non, les personnes sont des choses qui pensent, ce sont des choses parvenues à un degré tel de conscience qu'elles sont capables de regarder, de voir, de sentir, d'écouter et de devenir un seul cœur avec le Créateur.
Maintenant que Dieu est devenu un homme, maintenant qu'il est devenu matière, qu'il est devenu chair, qu'il est devenu chose et que ressuscitant d'entre les morts, il a ...?..., transfiguré la création entière, mais nous ne formons plus qu'un. Tous ensemble nous ne formons plus qu'une hymne qui dit tout simplement que Dieu est beau et que tout ce qu'il fait déborde toute beauté concevable.
Nous touchons ici au secret de la Pentecôte. Dieu, dans sa beauté omniprésente, prend possession de nos cœurs et les accorde à la beauté qu'il est. Le coeur de l'homme doit devenir, doit être comme une fleur qui s'ouvre avec confiance, qui boit le soleil, qui boit la lumière, qui boit la pluie, et qui devient de plus en plus belle jusqu'à en son cœur porter un fruit, un fruit qui sera tout elle et qui se multipliera pour donner naissance à d'autres beautés, à d'autres fleurs, à d'autres chants.
Ma sœur, mes frères, la pureté, la transparence d'un coeur transfiguré sont une hymne à la beauté. Augustin le savait et il nous le dit. Oui, dès l'instant où notre cœur est pur, c'est à dire où il est parfaitement accordé à Dieu la beauté et à toute la beauté sortie, jaillie irrésistiblement du coeur de Dieu, à ce moment-là il est devenu beauté lui-même et il ne peut plus que vibrer à toute la beauté qu'il rencontre.
Lorsque mon regard se pose sur une personne quelle qu'elle soit, il sent monter en lui un chant d'admiration, de respect, d'émerveillement car sous la croûte, sous l'enveloppe, il admire la beauté.
Oui, je pense que nous devons tous finalement devenir des porteurs de l'Esprit, de cet Esprit qui nous ouvre les yeux, qui transfigure notre regard et qui nous permet de reconnaître Dieu présent partout.
Je pense que ce mois de Mai traditionnellement dédié à Marie peut nous aider à entrer dans le mystère de la beauté. Car Marie fut par excellence la créature belle. Mais sa beauté n'éclipse pas les autres beautés, non, elle les met en valeur. Elle est tellement humble qu'on a l'impression qu'elle s'efface devant les autres beautés, mais en réalité c'est elle qui les porte et qui leur donne vie.
. Alors, si vous le voulez bien, nous allons confier à Marie notre désir de sainteté car au fond il ne s'agit de rien d'autre -, notre désir de pureté, notre désir d'unité, que nous soyons tous personnellement et tous ensemble communautairement et même au-delà je dirais cosmiquement, que nous devenions un chant immense à la beauté qu'est notre Dieu.
Ma sœur, mes frères,
Dans la foulée du 1° mai, fête du travail et fête de Saint Joseph Patron des travailleurs, je voudrais avec vous ce matin aborder quelques instants la question du travail. Saint Benoît nous parle précisément du labor oboedientiae, Pr.5, du travail qu'est l'obéissance, un travail pénible nous le savons que trop, nous qui sommes paresseux. Ailleurs il dira que le moine est un operarius, Pr.35, qu'il est un ouvrier, un travailleur. Donc, en parlant du travail, nous allons parler de nous également.
Le travail aujourd'hui, je pense, est la question les plus cruciale qui se pose à la conscience des dirigeants car 1'Europe s'enfonce dans une période de récession dont on ne voit pas encore poindre le commencement de la fin. Si bien que le nombre des sans-emploi, le nombre des chômeurs ne fait que croître.
Dans le bulletin que la commune de Rochefort nous envoie tous les trimestres, il y a un mot du Maïeur qui insiste sur la politique mise en œuvre dans l'entité rochefortoise pour essayer de promouvoir l'emploi. Par exemple : il n'y a pas de taxes sur le personnel occupé ni sur la force motrice. Donc vraiment aujourd'hui ce problème du travail est au premier plan, tout premier plan.
Mais comment devons-nous considérer le travail ? Dans nombre de milieux, le travail est toujours considéré comme une denrée qui est vendue, qui fait l'objet de marchandage. Il y avait autrefois plus ou moins en conflit la conception chrétienne et la conception marxiste du travail. Aujourd'hui ces conceptions sont tellement rapprochées qu'on ne parvient presque plus à les distinguer.
D'autant plus qu'elles doivent faire front commun contre l'approche néolibérale dont on nous a amplement parlé au réfectoire il y a quelques temps et qui est vraiment pernicieuse parce que dans cette approche il n'y a pratiquement plus aucun respect de la personne. 0r ce qui est primordial dans le travail, c'est toujours le respect absolu qu'on doit porter à la personne du travailleur.
Et à l'intérieur du monastère, ce doit être je pense - je dis toujours je pense parce que c'est mon avis personnel, mais j'essaye de vous le faire partager à tous - nous sommes des travailleurs chacun à notre place et chacun à notre façon, chacun dans la limite de nos capacités. Et nous devons nous respecter en tant que travailleurs et d'abord respecter le travail que nous-mêmes accomplissons et le travail que les autres accomplissent.
Nous ne devons jamais dénigrer le travail d'un frère parce que alors fatalement nous dénigrons le frère, nous le faisons descendre dans l'estime à laquelle il a droit et nous blessons plus ou moins gravement la charité sans dire que nous sapons l'unité du grand Corps que forme le monastère. Il faudrait que le monastère soit toujours un endroit qui puisse servir d'exemple dans le domaine du travail.
Donc, il y a d'abord nous-mêmes dans nos relations fraternelles, mais il y a aussi nos relations avec les ouvriers que nous employons. 0r, il me semble que ici nos ouvriers sont respectés. C'est cela qu'ils attendent au tout premier chef. Ils attendent d'être reconnus, d'être aimés, d'être respectés tels qu'ils sont, d'abord dans leur personne et puis dans le travail qu'ils effectuent.
Nous devons de plus en plus prendre conscience que nous sommes solidaires tous, nous entre nous et nous avec nos travailleurs : solidaires dans un même objectif qui est la valorisation de notre propre personne. C'est par le travail que l'homme se valorise le plus.
0n me signalait justement l'autre jour le cas d'un ouvrier, oui, qui est très bien payé mais qui fait toujours la même chose, si bien qu'il commence par en avoir son compte. Il préférerait gagner moins mais tout de même s'exprimer davantage en créant quelque chose.
C'est un très grave problème aujourd'hui et c'est pourquoi nous devons à l'occasion témoigner notre admiration à nos ouvriers pour le travail qu'ils effectuent. Il n'est rien qui puisse leur faire autant plaisir que cela et il n'est rien autant que cela qui noue et sert des liens entre eux et nous. Si on agissait ainsi dans toutes les entreprises, je pense que la crise que traverse l'Europe aujourd'hui serait déjà terminée.
Toute une partie de l'Europe passe d'une économie d'état à une économie de marché. Et dans l'économie de marché, on produit des choses qu'on a besoin. Dans une économie d'état, on produit des choses qu'on a besoin mais aussi des choses dont personne n'a besoin. Pourquoi ? Parce que là, il faut vraiment faire travailler tout le monde.
Encore une fois, mes frères, on voit là les conceptions qui s'affrontent et, comme la moitié de l’Europe va passer maintenant dans une économie de marché, dans ces régions autrefois communistes il y a des quantités absolument phénoménales de chômeurs. Je vous assure que le danger est très très grand. Danger de quoi ? Danger de mécontentement, danger on ne sait jamais de révolution.
Et c'est pourquoi nous devons, nous, dans notre petit milieu monastique, dans notre microcosme monastique, nous devons veiller à ce que nous puissions donner à chacun d'entre nous ici, les frères, et puis à chacun de nos collaborateurs, tout ce dont ils ont besoin au plan humain. Et la toute première chose, c'est le respect et une sincère charité.
Voilà ce que je voulais vous dire aujourd'hui. Il ne s'agit pas ici de faire du paternalisme, loin de là , Mais c'est de donner à chacun ce à quoi il a droit. Et je le répète, la première chose, c'est l'amour dans toutes ses franges très belles et très délicates : le respect, 1'admiration, 1'estime.
Et encore une fois, pour opérer une sorte d'inclusion, ne dénigrons jamais le travail des frères, ni le travail de nos ouvriers. Au contraire, ayons toujours un regard pur, un regard qui sait discerner la beauté.
Je reviens à ce que je disais hier soir, nous vivons dans un cosmos, c'est à dire nous vivons à l'intérieur de la beauté et faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour que Dieu puisse purifier notre coeur, nous donner son propre regard afin que nous puissions toujours discerner la beauté des choses et des gens, nous nourrir d'elle et devenir nous-mêmes de plus en plus des apparitions de beauté parce que ce qui triomphera dans notre vie, ce sera l'amour.
Ma sœur, mes frères,
Le Père Abbé de Chevetogne nous a présenté ce fameux dilatato corde, Pr.114, que Saint Benoît vient de nous relancer en pleine figure. Et pudiquement, on a traduit : le coeur se dilate !
Mais non, le coeur ne se dilate pas, le coeur est dilaté par quelqu'un d'autre qui l'habite. Et comme cet autre a des dimensions vraiment extraordinaire, il emplit l'univers, il enveloppe l'univers. Il porte l'univers dans sa main et de ses yeux il scrute tout à la fois les profondeurs des abîmes et examine les hauteurs des montagnes.
Alors, lorsque cet être - qui ne nous veut que du bien, qui est pur amour - entre dans notre coeur, eh bien, il le dilate. Ce n'est pas le coeur qui se dilate, c'est lui qui, par sa présence, petit à petit fait gonfler le coeur. Et il le dilate ainsi à ses propres dimensions. C'est cela qui est extraordinaire !
Et il ne va pas dilater notre coeur jusqu'à un certain stade de dilatation maximale, non, il n'y a pas de maximum. Cette dilatation est sans fin et elle constituera l'essence même de notre béatitude éternelle. Notre coeur ne cessera jamais de se dilater. Il sera sans cesse dilaté par cette présence, et par cette douceur, et par cet amour, et par cette lumière.
Et, quel est le résultat, ici dans le monastère, lorsque ayant ouvert la bouche, on a reçu en soi 1'Esprit Saint, donc la présence et la puissance amoureuse de Dieu ? Le résultat c'est que on court inenarrabili dilectionis dulcedine, Pr. 115.
Je pense - je dis toujours je pense, mais vous savez, c'est un euphémisme pour dire : je le sais bien - je pense que ce qui caractérise le fait de cette dilatatio cordis, c'est la dulcedo, c'est la douceur.
Ce n'est pas une douceur fade, ce n'est pas une douceur qui relève de la chair même si elle est pleinement incarnée. C'est une douceur qui rend l'homme lui-même doux. Et l'homme devient doux de la propre douceur du Christ qui a dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur ».
La douceur est la caractéristique d'un moine accomplit. C'est un enseignement qui date des toutes premières heures presque du monachisme. Je vous l'ai déjà dit, mais il est toujours bon de le répéter : lorsque les premiers moines voulaient caractériser un de leur frère qu'ils peuvent prendre en exemple en tout, ils lui trouvaient deux qualités : la douceur d'abord et puis la compassion.
Donc un tel homme est foncièrement bon. Il ne peut condamner personne, il ne peut plus se dresser contre quelqu'un. Il a le pouvoir, du fait de sa douceur, de pénétrer à l'intérieur des autres, d'y faire sa demeure. Exactement comme le Christ fait sa demeure en nous, lui peut faire sa demeure dans les frères ; et à partir de là, il les connaît, il les comprend et il devient en quelque sorte leur Rédemption.
Pourquoi ? Parce que grâce à cette douceur, il lui est devenu impossible de condamner qui que ce soit. Il n'est plus que compréhension, il n'est plus que compassion, il n'est plus que pardon.
Et c'est à travers le coeur d'un homme de cette qualité que Dieu peut exercer la douce puissance de son pardon. Le frère peut l'ignorer, mais il le découvrira au moment de la résurrection des morts. Donc, lorsque ce frère mourra biologiquement, il s’apercevra que la situation dans laquelle il se trouve à ce moment-là, il la doit à un autre. Et il saura qui c'est.
Et c'est pourquoi un moine dont le coeur a été dilaté par l'Esprit Saint et qui se dilate sans cesse, un moine donc qui est devenu pure douceur, il est aussi un Père spirituel et il n'y a que lui qui l'est.
Pourquoi ? Mais parce que non seulement il est capable d'engendrer à la vie divine, mais il engendre au salut, il engendre à la vie éternelle parce que, voilà, il est pardon de Dieu pour les hommes, pour les autres.
Ma sœur, mes frères,
Quand on est Abbé, peut-on entendre de telles paroles sans être impressionné? Je me rappelle cette parole de Saint Bernard qui parlant de Saint Benoît et se voyant en face de lui disait : Voilà au moins un Abbé ! Et moi, devant lui, que suis-je comme Abbé ? Et c'était Saint Bernard ! Il prenait donc au sérieux ce que notre saint législateur enseignait.
Et il m'est venu ce matin un idée que je vais vous partager en toute simplicité. C'est un peu drôle sans doute, mais enfin vous savez de qui elle vient. Elle vient de votre serviteur mais, peut-être au-delà, elle vient de 1'Esprit Saint qui, vous savez, est en Dieu la folie.
Si nous avions vécu à l'époque du Christ, si nous avions été au nombre de ses disciples, comment aurions-nous réagi ? Mais aujourd'hui, pouvons-nous poser cette question ?
Notre plus grand bonheur ne serait-il pas de vivre sans arrêt dans l'intimité du Seigneur Jésus ? Nous savons qui il est. Nous savons que après notre résurrection d'entre les morts, et cela pour toute l'éternité, c'est lui, et lui seul qui sera la source et l'accomplissement de notre béatitude. Nous serons comblés, rassasiés en lui, rassasiés d'être avec lui.
Alors, sachant tout cela, si nous avions vécu à son époque lorsqu'il allait et venait sur le terre d'Israël, est-ce que çà n'aurait pas été le sommet de notre bonheur ? Nous nous serions attachés à lui sans le lâcher.
Voilà, c'est ce que nous pensons certainement. Autant commencer tout de suite à être complètement heureux. autant commencer tout de suite d'être branché sur lui, à vivre dans sa lumière, à devenir soi-même lumière et beauté, la sienne.
Eh bien, voici maintenant où commence la folie : on devrait, dans le monastère, pouvoir se dire en toute sincérité : je suis pleinement heureux de vivre dans la compagnie de l'Abbé !
Il est, aux yeux de ma foi, il est le Christ en personne. Le Christ Jésus, lorsqu'il était sur notre terre, on lui reconnaissait des défauts. Il était aussi un homme limité, sinon son incarnation eut été un leurre, une duperie.
D'ailleurs certains l'ont mal jugé et l'ont condamné. Donc, il n'était pas évident qu'il fut Dieu, qu'il fut l'accomplissement de toute béatitude possible.
Eh bien, il devrait en être de même pour l'Abbé. Il faudrait que le regard de notre foi fut assez pur, assez transparent que pour voir en lui, derrière le voile des défauts, des déficiences, de voir la personne même du Christ ressuscité qui rayonne sa lumière et qui métamorphose ceux qui se donnent à lui.
C'est cela le principe même de la vie cénobitique et de la présence d'un Abbé dans le monastère ! Sinon on pourrait très bien s'en passer, il suffirait d'organiser la société monastique sous une forme démocratique quelconque, avoir un président de république qu'on peut remplacer tous les ans, tous les deux ans. Non, la mission de l'Abbé dans le monastère, elle est d'ordre mystique.
Mais maintenant, maintenant si on se place dans la peau de l'Abbé, il doit savoir que il devrait pour bien faire être un saint, c'est à dire avoir conscience que ce n'est plus lui qui vit mais que c'est le Christ qui vit en lui et que, à ce moment, il doit être pour ses frères la source, l'origine de leur épanouissement, de leur bonheur, et de leur sécurité, et de leur paix.
Voyez un peu, si on veut aller jusqu'au bout de notre vision de foi, voyez un peu à quelle hauteur nous devons nous élever, moi de mon côté et vous du vôtre ! Et à cela, nous devons nous aider mutuellement.
Je sais bien que c'est totalement hors de portée des forces humaines, mais rien n'est impossible à l'Esprit de Dieu. Et encore une fois, la sagesse de Dieu, elle peut paraître folie au regard des hommes, mais en réalité elle est l'unique sagesse possible pour un homme.
Il faudrait pouvoir se dire : mon plus grand bonheur, c'est de vivre à côté de cet Abbé, et de vivre avec lui ; et mon plus grand bonheur, ce serait de mourir avant lui pour que au moment de sa mort à lui, eh bien, je le retrouve parce qu'il n'est pas possible de vivre hors de lui - encore une fois - parce qu'il est pour moi la personne du Christ ressuscité.
Voyez quelle exigence, mes frères ! Mais je pense que j'énonce là une vérité qui est essentielle. Encore une fois, c'est un idéal humainement inaccessible, mais en dehors de cet idéal, la vie cénobitique, elle n'a pas de raison d'être. Nous ne sommes pas dans le monastère pour devenir des hommes parfaits. Nous sommes dans le monastère pour ressusciter d'entre les morts parce que nous vivons dans la communauté du Seigneur Jésus présent dans un homme qui est l'Abbé.
Voilà , Il ne faut pas penser que je suis prétentieux en disant cela. l'énonce simplement une vérité qui me paraît nous crever les yeux du coeur parce qu'elle s'impose.
Eh bien, nous allons , si vous le voulez bien, essayer d'en faire une réalité, que cela ne reste pas comme ça dans le ciel des idées, mais qu'elle s'incarne en chacun d'entre nous : que je sois ce que je dois être, que vous soyez ce que vous devez être.
Et que, non seulement vous soyez heureux de vivre avec l'Abbé, mais aussi à partir de là heureux de vivre les uns avec les autres, de pouvoir se dire : je veux commencer mon ciel ici et, mon bonheur, je le trouve dans mes frères à partir de cette origine qu'est l'Abbé.
Je pense que c'est là vraiment le sommet de la vie cénobitique. Nous allons prier afin que nous nous approchions tout de même de cet idéal.
Ma sœur, mes frères,
En conclusion de ce chapitre concernant les qualités de l'Abbé, je voudrais ce matin vous partager quelques réflexions qui sont montées dans mon coeur après l'office de nuit. Vous voyez, c'est tout chaud !
Pour bien faire, l'Abbé doit être passé de l'autre côté du voile. Il doit librement arpenter les espaces infinis du royaume promis par le Christ et, il doit pouvoir dire aux autres : voilà comment on vit dans l'univers merveilleux qu'est Dieu lui-même.
Mais de leur côté, les frères doivent être avides de connaître à leur tour cette vie nouvelle. Ils doivent croire que là est leur véritable vocation, ils doivent mettre tout en œuvre pour la réaliser.
Il existe donc une dialectique permanente entre l'expérience de l'Abbé et la foi des frères. L'expérience de l'Abbé est la foi parvenue au sommet le plus haut ici bas et la foi des frères est une confiance sans borne en la Parole de Dieu.
Et cette foi, elle est source d'espérance et d'amour, elle est la possession commencée de ce qui est promis. 0n comprend que le creditur de Saint Benoît est le pivot autour duquel tourne toute la Règle et le fondement sur lequel tout se construit.
Naturellement, tout cela est un idéal. C'est ainsi que les anciens voyaient l'Abbé, c'est ainsi que les frères réagissaient en sa présence.
Nous sommes à nouveau entrés dans l'intimité de Macaire l'Egyptien qui a été un des plus grands Abbés de tous les temps. Et nous sentons de suite quand nous sommes en sa présence que cet homme connaît déjà la petite résurrection. Il est à l'intérieur du Royaume de Dieu et il parle avec autorité de ce qu'il voit et de ce qu'il vit. Et nous remarquons que ses disciples sont suspendus à ses paroles et qu'ils les suscitent même : dis-moi une parole pour que je vive !
Nous devons permettre à 1 'Esprit Saint de purifier insensiblement notre coeur jusqu'à ce que nos yeux contemplent dans les personnes, dans les choses, dans les événements l'action de l'amour de Dieu sur chacun.
Car les choses parmi lesquelles nous vivons, les hommes que nous rencontrons, les frères que nous côtoyons, les événements qui se passent regardent chacun d'entre nous, exercent leur action sur chacun d'entre nous parce que tous sont créés par l'amour qui est Dieu. Il n'existe rien d'indifférent.
Et la contemplation consiste précisément, non pas à savoir cela, mais à le voir et à s'y prêter, et à entrer dans toutes ses actions et dans tous ses mouvements de manière à devenir de plus en plus souple et, grâce à cette souplesse, de pouvoir passer par la toute petite porte qui ouvre sur le Royaume de Dieu.
Lorsque cela se passe ainsi, l'Abbé et les frères deviennent ensemble un couloir, un passage par lequel l'humanité transite pour accéder à Dieu. Nous sommes en effet mystérieusement unis à tous les hommes de tous les temps.
Je ne sais plus où j'ai lu cela dernièrement, mais c'était justement cela qui était rappelé. Le véritable chrétien, celui qui se laisse métamorphoser par Dieu, il est contemporain de tous les hommes et de tous les temps. Le but de la vie chrétienne n'est pas de faire cette expérience, ce serait encore une extrêmement et subtile recherche de soi. Non, c'est le constat d'un fait, les choses sont ainsi.
Si bien que notre mission ici dans notre monastère, elle est d'ordre cosmique. Elle est celle du Christ se poursuivant et s'épanouissant en nous, en chacun d'entre nous et dans le corps que constitue le monastère.
C'est pourquoi, ma sœur, mes frères, nous devons croire qu'il en est bien ainsi et nous devons permettre à 1'Esprit Saint d'accomplir en nous ses merveilles. N'allez pas vous imaginer que je plane trop haut. Non, c'est cela la véritable vie dans le Christ. Et si nous sommes dans le monastère, c'est parce que Dieu veut réaliser en nous cette beauté.
Et quelque soit notre âge, quelque soit le temps passé dans le monastère, nous devons nous dire que ça n'est jamais pleinement achevé. C'est toujours en route car l'achèvement, c'est la personne même du Christ en nous.
Et le Christ étant Dieu, ce n'ai jamais, mais jamais terminé et ce ne sera jamais terminé de toute l'éternité. Ce sera là une des facettes les plus subtiles, les plus fines, les plus délicates et les plus ravissantes de notre béatitude éternelle.
C'est pourquoi ayons soin de nous y mettre tout de suite. Ne laissons pas passer un jour, ne laissons pas passer un heure, ni une minute sans nous consacrer, sans nous ouvrir à cette action de l'Esprit.
Mes frères,
L'Abbé peut-il aujourd'hui prendre pour modèle Saint Pacôme ? Sur un point certainement, à savoir sur le service. Il nous a encore été rappelé ce matin au cours de l'0ffice des Vigiles que Pacôme avait reçu pour mission de servir la race des hommes.
Dans la pratique l'Abbé doit combiner, harmoniser deux contraires. Saint Benoît le lui dit aujourd'hui : il lui faut regere et servire, 2,84. Il lui faut conduire et il lui faut servir. Conduire est le fait du chef, servir est le fait de l'esclave. L'Abbé doit donc être tout comme le Christ et maître et serviteur.
Et ce n'est possible que si l'Abbé laisse le Christ occuper toute la place en lui. Car le Christ est tout ensemble dans son être de Dieu, dans son être d'homme également ; car les deux natures sont unies dans une seule personne, il est tout ensemble et le Régent de l'univers et le Serviteur des hommes.
Donc Pacôme avait été en fait invité à devenir un saint, c'est à dire permettre au Christ de triompher dans son cœur et dans toute sa personne, dans sa conduite et dans ses paroles de manière à ce qu'il puisse être serviteur des hommes et en même temps leur montrer avec sûreté la route qu'ils allaient emprunter eux-mêmes.
L'Abbé doit donc se placer sous ses frères pour les porter et aussi se placer devant eux pour les conduire vers leur véritable destinée. Il est donc à leur service. Mais attention ! non pas pour satisfaire leurs caprices et leurs convoitises, mais pour les aider à découvrir leur vocation la plus personnelle.
Pacôme a réalisé cet idéal, nous le savons, par le moyen d'une discipline très stricte qui avait pour effet, non pas d'asservir les frères, mais de libérer le meilleur en chacun. Cette discipline de caractère militaire s'est bien relâchée depuis lors. Est-ce un mal, est-ce un bien ? Nous dirons, nous, que c'était un bien.
Oui, ce n'était peut-être pas l'avis de Pacôme ? Enfin, il était de son temps comme nous le sommes du nôtre. Mais cependant un principe demeure valable et il le sera toujours. Il est bon de le rappeler temps en temps et de ce soir en particulier à l'occasion de la fête de ce grand saint.
Et c'est que pour assurer et nourrir la liberté, il est indispensable de s'imposer une règle de vie qui canalise les énergies vers un objectif unique, à savoir l'union avec le Christ et l'entrée dans la vie éternelle. Si on ne s'impose pas cette discipline, qu'arrive-t-il ? C'est la dispersion et c'est une source de gâchis. La licence ne mène qu'à la ruine.
Donc dans un monastère, il est nécessaire que chacun se plie de bon coeur à la discipline qui y règne. C'est une discipline qui vient d'une Tradition locale car elle n'est pas identique dans tous les monastères. Lorsqu'on est appelé dans un tel lieu, c'est dans ce lieu que doit normalement s'épanouir notre vie, que doit se dilater notre coeur. Je dis normalement car les voies de Dieu sont extrêmement étranges et nous ne pouvons jamais avec lui fixer des normes ayant un caractère absolu.
Il n'y en a qu'une seule chez Dieu qui a un caractère absolu. C'est 1'agapè, c'est d’amour. Il 1'a dit : « mon commandement, je vous le donne, c'est que vous vous aimiez les uns les autres ». Et çà, il n'y a pas d'exception possible !
Mais ce que je rappelle, c'est que la discipline, la Règle est indispensable pour ne pas que nos énergies se dispersent. Elle est nécessaire pour les ramasser et les canaliser, les diriger vers un seul objectif qui est de devenir un esprit avec le Christ. C'est ce principe que Saint Benoît a repris. Il a laissé tomber tout le reste de Saint Pacôme, mais ça, il l'a repris parce que - encore une fois - c'est essentiel.
Si bien que Saint Pacôme reste un modèle pour nous, un modèle de foi, un modèle de fidélité, un modèle de charité. Et nous devons nous montrer digne de lui. Il est considéré comme l'initiateur de la vie cénobitique, de la vie cénobitique stricte car dans le désert de basse Egypte il y avait là des colonies d'anachorètes qui dans le fond étaient aussi des cénobites.
Ils vivaient à distance respectable les uns des autres, mais ils avaient tout de même des réunions communes. Ils obéissaient à une Règle, une Règle orale, une Tradition orale commune. Tandis que chez Pacôme, ils étaient dans une maison commune vraiment, vivant les uns à côté des autres sous une discipline assez dure.
Eh bien, si vous le voulez, retenons pour cette année-ci que notre Règle ici à Saint Remy, notre façon de vivre, nos coutumes sont là pour nous aider à devenir de véritables hommes, c'est à dire des êtres responsables, libres, heureux, pouvant rayonner quelque chose de la puissance et de la douceur de Dieu.
Et ça arrive lorsque nous entrons de bon coeur - même parfois si c'est un peu avec une certaine difficulté, une certaine peine - dans la discipline locale. Nous nous libérons, nous devenons véritablement nous et nous pouvons alors avec les autres former un Corps qui respire, un Corps qui se développe, et un Corps qui devient le temple d'une présence, la présence de 1'Esprit Saint qui est amour.
Il paraît, frères et sœurs, que la solennité de l'ascension était, pour Saint Bernard et nos premiers Pères, la plus grande fête de l'année liturgique. Non pas en soi, naturellement, ils savaient bien que Pâques surpassait tout, mais l'Ascension était le couronnement du Temps Pascal et l'achèvement, l'accomplissement du Temps Pascal. Tout, tous étant incorporés au Christ étaient emportés avec lui dans les cieux.
C'est là une spiritualité extrêmement belle, et extrêmement juste, et on voudrait la voir revivre et refleurir dans les monastères.
0n va sans doute au prochain Chapitre Général beaucoup discuter sur la dimension contemplative de notre vie. Cela paraîtra peut-être excessivement abstrait. Je le pressens déjà ! Car je sais bien que toujours, quand on aborde telle chose semblable dans un Chapitre, on se glisse en dessous de théories qui satisfont la raison mais qui laissent le coeur parfaitement sec.
Il faudrait presque que surgisse un prophète qui pourrait, par son expérience personnelle et par la puissance de son verbe, évoquer devant les esprits et devant les cœurs cette grande réalité mystique qui est notre ascension à l'intérieur de la Sainte Trinité.
Pour lancer une fusée planétaire quelconque, vous savez qu'on l'arrime, qu'on l'accroche à une autre fusée extrêmement puissante. Elle s'élève et à un moment donné les deux fusées se séparent, la seconde continuant puisqu'elle est hors de l'attraction terrestre. Elle peut alors aller là où on la dirige.
Eh bien nous, moines, nous nous accrochons au Seigneur Jésus par l'obéissance. Nous ne voulons pas être séparé de lui et il nous emporte alors comme une fusée là où il est, d'où il est venu.
Il me semble que si nous avions au coeur toujours cette réalité qui est l'essence même de notre vie monastique, il me semble que nous ne rencontrerions plus de difficultés. Oui, c'est certain, il y a toujours ces petites histoires de vie quotidienne. Nous sommes sur la terre, nous ne pouvons pas être épargnés par rapport à nos frères les hommes.
Mais nous ne rencontrerions plus ces choses-là qui nous font regarder en arrière, qui nous alourdissent, qui font de nous des israélites qui traînent lourdement les pieds, qui ont des pieds de plomb dans le désert, et puis qui sont toujours en train de parler de leurs oignons, de leurs marmites, de leurs viandes, de tout ce qu'ils pouvaient déguster librement en Egypte même s'ils étaient asservis. Là au moins ils pouvaient tous les jours manger de la viande, et du poisson et tant de bonnes choses.
Mais non ! Il faudrait que nous soyons comme gonflés d'une façon tellement forte que nous devenions grâce à ce gaz spirituel, que nous devenions tellement légers qu'il nous soit impossible de retomber à l'endroit d'où nous sommes partis, de l'endroit où nous avons été arrachés.
Oui, nous devons je pense avec beaucoup d'humilité reconnaître notre déchéance et notre décadence par rapport à cette mystique de nos premiers Pères.
Je suis allé voir hier le labyrinthe de notre église. Il est pratiquement terminé. Il faut encore protéger un peu les pierres, les rejointoyer, enfin des petits travaux de complétude. Et je pense que cette pièce, qui est vraiment une œuvre d'art, pourrait chaque jour quand nous fréquentons notre église nous rappeler que notre place n'est pas ici, qu'elle est là où est le Christ.
Au centre vous aurez, gravé sur la pierre, l'image de la Jérusalem céleste dont le Christ est tout à la fois et la porte et le Prince. Et à travers les méandres de cette vie, c'est là que nous devons arriver. Et si nous avons au coeur le désir de plus en plus violent et mordant d'y accéder, nous passerons à travers tous les méandres du labyrinthe et nous n'aurons pas peur.
Une fois qu'on s'est engagé dans ce labyrinthe, il n'est plus possible de faire demi-tour. Et c'est cette mystique que nous devons vivre. Et je pense que cette oeuvre d'art - car c'en est une - qui sera là pourra tous les jours, et plusieurs fois par jour nous rappeler l'essence de la beauté de notre vocation monastique.
Je ne sais pas si à Clairvaux ou à Cîteaux il y avait un labyrinthe sur les dalles de l'église. Il est probable que oui, car dans toutes les églises de l'époque il y en avait un. Et c'est peut-être à partir de là, en contemplant cela que Saint Bernard était convaincu de la grandeur et de la beauté de la fête de l'Ascension et qu'il y voyait l'achèvement de sa vie.
Si vous voulez, nous y penserons demain. Et puis nous demanderons au Seigneur de nous rendre vrais, que nous puissions un jour nous présenter, être présentés plutôt par la Vierge Marie et par le Christ à nos Fondateurs, à Saint Bernard. Alors ils diront : « Voilà un de nos fils, vous pouvez en être fier car nous autres nous le sommes ».
Ma sœur, mes frères,
L'Ascension du Seigneur Jésus est un événement transhistorique. Elle s'inscrit à un moment précis de notre Histoire mais ne lui appartient pas. Elle relève d'un autre univers, d'une autre logique. C'est pour ça qu'elle est un mystère et qu'elle le restera à jamais.
Et ce mystère - si nous voulons bien y prendre garde - écarte le voile de notre destinée. Saint Athanase a très bien expliqué dans sa controverse aux ariens que le Verbe ne s'est pas incarné pour apporter quelque chose à Dieu mais bien plutôt pour nous apporter quelque chose à nous. Il s'est incarné uniquement pour nous ; c'est le pro nobis que nous chantons dans notre Credo.
Il a voulu unir notre humanité à sa divinité, il a voulu nous entraîner en Dieu. Il y a certes tout l'aspect rédemptionnel de l'Incarnation, mais il n'y a pas que lui. Dieu ne veut pas nous restituer une pureté adamique, une pureté paradisiaque, il veut infiniment plus pour nous. Il veut nous élever en Lui et nous transfigurer en ce qu'il est. Et c'est là que l'Ascension du Seigneur Jésus nous concerne personnellement.
Lorsque nous contemplons ce mystère, nous devons, certes, féliciter et remercier le Seigneur Jésus qui en est le premier bénéficiaire, mais nous ne devons pas rester étranger à ce mystère. Nous ne devons pas le regarder comme nous regarderions un spectacle qui dans le fond ne nous concerne pas, ne nous touche pas.
Il s'agit de bien autre chose: c'est également notre propre mystère que nous contemplons dans le mystère de l'Ascension, nous y sommes impliqués. Cette Ascension, tout comme l'Incarnation, elle a lieu pour nous.
Incorporés au Christ, nous sommes montés au ciel avec lui. Nous y sommes déjà montés. Ce n'est pas un événement de demain, c'est un fait déjà d'aujourd'hui. Nous sommes introduits au coeur de la Trinité. Il suffit d'ouvrir les yeux pour voir chacune des Personnes de la Trinité et être comblés dès maintenant de la béatitude qui sera nôtre pour jamais.
Certes, c'est encore in ovo, c'est encore dans l’œuf, c'est en germe, ce n'est pas encore une plénitude mais c'est bien réel. Nous étions autrefois, nous sommes encore aujourd'hui des hommes pécheurs ; mais nous devenons et nous sommes déjà des hommes divinisés. Il y a en nous une telle noblesse que c'est une véritable catastrophe si il nous arrive d'en dégénérer.
Lorsque que nous voyons un tout petit enfant, nous devons nous dire que dans ce petit bout d'homme il y a déjà un fils de Dieu Et nous. comprenons le Christ lorsqu'il nous dit que c'est un malheur épouvantable, que c'est un scandale quasi irrémissible que de faire du tort à un petit enfant, de le mettre dans une situation telle qu'il ne pourra pas prendre conscience de sa qualité d'enfant de Dieu, de fils de Dieu.
Et le moine, que fait-il là-dedans ? Eh bien, le moine a emprunté un chemin raccourci, rapide pour monnayer sans tarder cette destinée sublime. Par l'obéissance, il se fond littéralement à l'intérieur du Christ et il disparaît en Dieu.
Après son Ascension, on ne voyait plus le Christ. Il s'était dérobé au regard de ses disciples. Eh bien, on ne doit plus voir le moine. Il est lui aussi disparu à l'intérieur de la Trinité, on ne 1'apperçoit plus. Et c'est la raison d'être, mystique de sa séparation du monde,, de son silence et de son humilité.
Le moine est donc dans sa personne et dans sa vie 1'actualisation du mystère de 1'Ascension. Et c'est une des raisons supplémentaires pour lesquelles le mystère de l'Ascension était tellement prisé par Saint Bernard et nos premiers Pères, eux qui avaient retrouvé la veine pure de la vie monastique. Tout cela est très beau !
Alors, je pense que nous pouvons remercier Dieu de nous y avoir appelés et lui demander chaque jour, pour nous-mêmes et les uns pour les autres, et pour tous nos frères et nos sœurs dans la vie monastique, la grâce d'être fidèles à cet idéal, de le comprendre de mieux en mieux, de le vivre avec toujours plus de fidélité et de le laisser s'épanouir pleinement en chacun de nos actes, et cela jusqu'au jour où le voile se déchirera définitivement devant nos yeux. Et nous verrons que nous sommes là où nous avons toujours été.
Ma sœur, mes frères,
Les instruments spirituels dont nous a parlé abondamment Saint Benoît ne sont rien d'autre que les innombrables facettes de la caritas, de l'amour : la charité envers Dieu et envers le prochain.
Certaines de ces facettes ont un caractère négatif : il ne faut pas faire ceci, il faut éviter de faire cela. D'autres ont un caractère positif : il faut faire ceci ou cela. L'amour est donc un chemin qui permet d'éviter le mal et de faire le bien, et ainsi de grandir, de se développer, d'arriver à sa taille adulte.
Le mal est une sorte de poison, c'est un climat pollué qui empêche notre organisme spirituel de fonctionner normalement, qui peut l'atrophier, qui nous maintient dans une sorte de nanisme spirituel. 0n reste des nains, on ne se développe pas.
Et pour Saint Benoît, il ne s'agit pas de spéculer sur la nature de l'amour, mais de descendre avec lui dans les détails concrets de la vie. La charité doit devenir l’expression spontanée quasi naturelle de la vie de l'Esprit en nous. Au sommet de l'échelle de l'humilité, il nous parlera de quasi naturaliter, 7,183.
Les choses qui nous paraissaient difficile au début, on fini par les faire de façon quasi naturelle. C'est devenu notre seconde nature, c'est devenu notre véritable nature. Quoi ? Mais la charité, c'est à dire l'Esprit Saint en nous. C'est dans ce sens qu'il faut entendre ce qu'il appelle 1'artis spiritalis, 4,91 ; c'est l'art de vivre sous la mouvance de 1 'Esprit Saint.
Remarquons que le dernier instrument ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu, 4,90, forme inclusion avec le premier instrument. Le premier est positif : il faut aimer le Seigneur de tout son coeur, de toute son âme et de toute sa force, 4,2 ; tandis que le dernier est négatif : il ne faut jamais désespérer de la miséricorde de Dieu.
Si bien que la dilectio Dei, il s'agit de diligere Dominum Deum, 4,2. C'est la question que Jésus posait à Pierre au bord du lac : « Est-ce que tu m'aimes ? » En français, on traduit toujours aimer, mais Jésus utilise aussi le mot diligere.
Donc cette dilection qui a une connotation d'amitié, de tendresse, de tendreté plutôt qui fait qu'on s'attache à quelqu'un parce que voilà, tout simplement on l'aime. Dans l'amour, amare, il y a une queue, je ne dirais pas de volontarisme, pourtant c'est inscrit dans la volonté. 0n aime, j'aime parce que j'aime.
Tandis que la dilectio, ça vient du coeur. C'est très féminin, c'est maternel. 0n aime et on protège aussi parce que on ne veut pas perdre celui qu'on aime et on veut qu'il devienne, qu'il devienne toujours plus beau, toujours plus grand, toujours plus aimable.
Eh bien çà, c'est le premier instrument !
Il y a alors le dernier qui est de ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu. Vous savez que la miséricorde de Dieu, dans l'Ancien Testament, ce sont les entrailles de Dieu. Dieu est saisi aux entrailles, jusque là ! Alors ça devient irréfléchi, ça devient instinctif, ça devient spontané. Les entrailles de Dieu sont retournées, sont bouleversées lorsque, voilà, il regarde l'homme ; non pas l'homme comme ça abstrait,
mais chacun de nous dès qu'il voit que nous sommes parfois malheureux par notre faute.
Eh bien, cette dilectio de Dieu doit être, comme Saint Benoît vient de nous le dire, absolue ; elle est totalitaire. C'est de tout son coeur, de toute son âme, de tout son esprit, de toute sa force : on ne peut rien en distraire. Elle est donc l'objet d'un choix radical, définitif, irrévocable. Et ce choix est monnayé à travers toutes les circonstances de la vie. Ce sont alors tous ces instruments de l’art Spirituel.
Et ce choix, il est soutenu, il est nourri, il est fortifié par une foi aussi absolue en la miséricorde de Dieu car, nous sommes des pécheurs, nous le resterons toujours. Croître dans l'humilité, croître en Dieu, c'est prendre de plus en plus conscience qu'on est un homme pécheur et qu'on commet des péchés.
Eh bien, cette foi en la miséricorde de Dieu doit être également absolue. Cela veut dire que quoi qu'il arrive, dut-on sombrer dans la trahison, la miséricorde de Dieu sera encore plus forte et nous devons donc, nous, ne jamais la lâcher.
Lorsque Saint Benoît dit qu'il ne faut jamais désespérer de la miséricorde de Dieu, je suis moralement certain qu'il a l'histoire de Judas derrière la tête. Lui, il a désespéré de la miséricorde : mon péché est trop grand que pour être pardonné ! Nous ne devons jamais dire ça !
Alors, voyez donc ce qui se passe à l'intérieur de notre vie. Nous sommes attirés en avant par Dieu qui est devant nous, Dieu que nous contemplons, Dieu que nous trouvons de plus en plus beau, de plus en plus séduisant ; et Dieu que nous aimons toujours mieux , auquel nous consacrons tout notre être. Nous sommes attirés en avant.
Et puis - le dernier instrument - nous sommes poussés à l'arrière, nous sommes poussés à l'arrière par notre Dieu qui est tendresse. Il n'est pas possible de ne pas arriver à quelque chose parce que et c'est en avant et c'est en arrière.
Je me souviens d'une petite histoire qui m'a été racontée car je ne m'en souviens pas du tout. C'est quand j'ai commencé à marcher. Eh bien, pour me décider à risquer le coup de marcher, on avait mis un morceau de chocolat sur le bord d'une chaise. Et j'étais là, il y avait quelqu'un derrière et le morceau de chocolat devant. Est-ce que j'allais marcher ou non ? Voyez, c’était ça !
Eh bien, toutes proportions gardées, c'est ce que Dieu fait avec nous. Mais lui, ce n'est pas un morceau de chocolat, c'est lui, lui dans sa beauté, lui dans sa dilectatio. Et en même temps il y a derrière, si on tombe, eh bien il est là pour nous rattraper. C'est ça les ruses des mères, mais ce sont les ruses de Dieu.
Alors notre vie ainsi toute entière, elle est donc cachée dans notre amour - qui vaut ce qu'il vaut naturellement car même si notre bonne volonté est entière, nous sommes toujours faillibles - et dans la miséricorde de notre Dieu qui, elle, est infinie.
Donc vous voyez, mes frères, ma sœur, que nous sommes certains, certains d'arrivés là où Dieu nous appelle.
Ma sœur, mes frères,
Je vais vous parler ce matin du labyrinthe que nous avons construit dans notre Eglise :
Labyrinthe est un mot grec qui signifie quelque chose d'entortillé, d'embrouillé, de plié et replié sur soi, de tours et de détours.
Labyrinthe signifie aussi la nasse d'un pêcheur, si bien que lorsque le poisson est pris, il lui est impossible de s'échapper.
La construction du premier labyrinthe est attribuée à Minos le roi de Crête. Au centre de ce labyrinthe habitait le Minotaure, un monstre mi-homme, mi-taureau qui se nourrissait de chair humaine. Les imprudents qui entraient dans ce labyrinthe ne pouvaient plus en trouver la sortie, si bien qu'ils devenaient la proie du Minotaure.
Et voilà qu'un jour, le héros Thésée s'est dit qu'il pourrait, lui, attaquer le minotaure et le tuer. Mais cela ne suffisait pas car il devait encore pouvoir sortir du labyrinthe. Et alors Ariane lui a donné une bobine de fil et, au fur et à mesure qu'il avançait dans le labyrinthe, il déroulait la bobine et le fil courait sur le sol. Thésé a rencontré le Minotaure, il l'a attaqué, il l'a tué et est sorti en suivant le fil qui lui traçait le chemin du retour.
Dans l'antiquité, il existait d'autres labyrinthes. Et ces labyrinthes étaient gardés par des prêtres dont on avait crevé les yeux. Et ces labyrinthes jalonnaient la route vers un sanctuaire, le sanctuaire d'un dieu, d'une déesse. Donc, les pèlerins allaient aussi de labyrinthe en labyrinthe jusqu'au moment où ils arrivaient au lieu de leurs dévotions.
Cette pratique est passée en chrétienté et, au Moyen Age surtout, on a construit des labyrinthes sur le sol des grandes églises. On les trouve un peu partout mais surtout sur la route qui conduisait à Saint Jacques de Compostelle. Donc il y a là une ligne de labyrinthe et, quand on la suit, on arrive à Saint Jacques.
Maintenant, quelle est la signification de ce labyrinthe ? Au Moyen Age, la grande dévotion chrétienne était le pèlerinage à Jérusalem. C'est une des raisons pour lesquelles les croisades ont été entreprises, pour délivrer Jérusalem de la main des infidèles de telle sorte que les chrétiens qui s'y rendaient soient libres de pouvoir visiter à leur aise le tombeau du Christ.
Mais ce n'était pas donné à tout le monde de se rendre à Jérusalem, à pied ou à cheval à l'époque. Si bien qu'on a figuré sur le sol des cathédrales et des grandes églises le cheminement du pèlerin jusqu'à Jérusalem. Et c'était le labyrinthe.
Donc, au centre du labyrinthe se trouve figurée la Jérusalem céleste. Ici, c'est une dalle de Bourgogne sur laquelle on a gravé la Jérusalem telle qu'elle se présente dans l'Apocalypse avec ses douze portes en direction des points cardinaux. Quand on était entré dans le labyrinthe, on devait en parcourir tout le tracé et, au moment où on arrivait au centre, on entrait dans Jérusalem et on accomplissait alors ses dévotions.
Le labyrinthe de Chartres qui est le plus connu et dont le nôtre est une reproduction mesurait douze mètres de diamètre ; le nôtre en a six. Les pèlerins, beaucoup de pèlerins le parcouraient à genoux. Et le chemin avait un développement de 420 mètres. C'est déjà tout un parcours ! Voilà donc la signification symbolique du labyrinthe.
Mais nous pouvons encore aller plus loin. Notre labyrinthe est composé de 275 morceaux de pierre. Ce n'est pas un hasard, ces 275 morceaux sont, signifient le temps que met un enfant pour grandir dans le sein de sa mère jusqu'au jour de sa naissance.
Lorsque nous parcourons notre pèlerinage, nous avons ici le symbole de notre vie, de notre vie embryonnaire dans le sein de l'Eglise, dans le sein de Marie, et aussi le développement de notre vie humaine qui est une croissance, une naissance au Christ. Et au moment de notre mort, de notre accomplissement, nous nous ouvrons, nous nous éveillons dans le coeur de la Trinité, dans le ciel, dans le paradis, dans la Jérusalem nouvelle.
Le labyrinthe est donc le symbole de la vie chrétienne - de la vie monastique surtout puisque nous sommes dans un monastère - et de son ascension en Dieu, cette ascension qui est une naissance et qui va prendre un nombre déterminé de jours, nombre qui a été fixé par Dieu pour chacun d'entre nous. Nous devons donc arriver à notre pleine stature en Christ et, à ce moment-là, nous sommes mûrs pour notre naissance définitive et nous nous trouvons dans l'autre univers, dans l'univers de Dieu.
Voilà tout le symbole de ce labyrinthe. Vous voyez qu'il est bien en situation dans une église monastique. Et il faudrait que lorsque nous le rencontrons, lorsque nous marchons dessus, lorsque peut-être au moins une fois nous suivions tout l'entortillement de ce parcours, que nous nous rappelions notre vie comme vient encore de le dire Saint Bernard.
Elle est une sequela Christi, elle est une marche à la suite du Christ, à la suite de Dieu. Nous marchons en épousant la volonté de Dieu. Et c'est cette volonté qui est pur amour, qui est purement spirituelle, qui petit à petit nous façonne, nous nourrit et nous permet de naître à notre véritable destin.
Vous remarquerez encore ceci : c'est que à la toute dernière étape, au tout dernier moment dans le labyrinthe, on revient au point de départ. Quand on entre dans le labyrinthe, on part sur la gauche, on suit, et au moment où c'est tout fini, on se retrouve au même endroit qu'au départ mais un peu sur la droite. Il suffit alors d'avancer un peu, un petit crochet et on y est.
Cela nous rappelle que c'est un chemin d'humilité. Nous devons redevenir de tout petits enfants pour accéder à la béatitude de la Jérusalem Nouvelle. Nous devons vraiment mourir à nos prétentions, à nos raisonnements d'adultes. Nous devons redevenir de simples petits auxquels est promis le Royaume. Et à ce moment-là, nous avons un accès quasi direct.
Donc, je dirais, le départ, c'est cet engendrement, nous sommes tout petits. Nous grandissons et puis nous devons redevenir vraiment des petits tout à fait ouverts à ce que Dieu leur demande. Et à ce moment-là, nous sommes chez lui.
Ma sœur, mes frères,
Un vent favorable a glissé entre mes mains un texte du Cardinal Danneels. Il étudie le problème des vocations sacerdotales et religieuses et il découvre dix obstacles. Il y a bien des causes qui dans notre Culture rendent l'éveil des vocations difficiles. Il s'agit donc d'un domaine culturel. Et dans un tel contexte, on ne voit pas comment Dieu pourrait éveiller des vocations dans le coeur de nos contemporains.
La première des causes : Il y a une tache aveugle sur notre rétine pour tout ce qui concerne 1’invisible, surtout dans le domaine religieux chrétien.
Donc, l’œil de notre coeur ne voit plus suffisamment clair parce qu'il a une tache sur lui. Ce n'est pas une tache d'ordre moral, c'est une tache d'ordre culturel, appelons-là ainsi.
L'invisible chrétien, on ne le voit plus. Il n'existe pas. 0n ne va pas jusqu'à le nier, mais il est inexistant. C'est à dire bien concrètement : le Seigneur Jésus ressuscité des morts, la Vierge Marie, les Saints, les Sacrements qui sont la présence et l'action de 1'Esprit Saint sur nous, tout cela on ne le voit plus.
Lorsque on dit l'invisible, c'est parce qu'il ne tombe pas sous la perception de nos organes, même de nos organes intellectuels. Il y a une tache sur notre rétine et nous ne voyons pas l'invisible. Ne le voyant pas, mais il est inexistant !
D'autre part, il y a un mouvement de réaction et d'intérêt diffus pour l'invisible ésotérique, les nouvelles religiosités et le Nouvel Age.
Et çà, c'est frappant ! Vous avez des personnes chrétiennes qui disent leurs prières au matin et au soir, pas nécessairement qu'elles pratiquent, en fait aux grandes occasions tout de même encore, mais si on leur parle de la cabale, si on leur parle de 1'ocultisme, immédiatement elles réagissent et elles mordent.
Si un petit artiste quelconque - c'est arrivé dernièrement - se produit à la TV pour décrire ses vies antérieures et comment il est arrivé à son stade actuel, mais il fait un succès de foule extraordinaire et tout le monde le croit. C'est vrai, c'est quelque chose qui va de soi, il le dit. Donc c'est bien comme ça puisque il l'a vécu...Des religiosités de nature ésotérique, étranges.
Mais pour ce qui regarde alors la foi chrétienne, ça, on ne voit pas. Pas de résurrection des morts mais, après la mort une réincarnation, une continuation sans fin. C'est çà ! Et pour le reste, on est aveugle. C'est un phénomène que j'ai déjà pu observer personnellement à plusieurs reprises.
Donc, il faut bien se dire que les jeunes d'aujourd'hui grandissent dans cette atmosphère dans leur famille, à l'école, partout. Ce n'est pas ce que le curé peut raconter le dimanche du haut de la chaire de vérité qui va changer leurs idées, parce que ce qu'il raconte concerne l'invisible. Alors voilà, c'est inexistant !
Nous sommes pris d'une fringale de vérifications comme s'il n'y avait de réalité que là où on ne peut palper l'efficacité.
Je pose telle cause et je dois avoir automatiquement tel effet que je dois vérifier. Si l'effet ne se produit pas, c'est que la cause n'est pas bien posée ou qu'il y a un défaut de transmission. Le sommet de cette relation cause-effet, c'est dans le domaine de l'électricité par exemple, de l'électronique aujourd'hui, des télécommunications. Je prends cet exemple parce que c'est un des plus connu.
Donc, il n'y a que cette réalité-là qui existe !
Pour celui ou celle qui veut se consacrer au Royaume de Dieu, impossible
de faire la balance des pertes et profits, de tabler sur des résultats.
Donc, s'engager pour le Royaume de Dieu, c'est prendre position contre toute la mentalité d'aujourd'hui, contre le souci d'efficacité, de vérification. Je m'engage dans la vie monastique, mais ma vie elle se développe, elle débouche sur le rien et sur le vide.
Je ne puis pas vérifier l'efficacité de ma vie consacrée, c'est impossible. Je dois croire que dès l'instant où je m'ouvre à l'Esprit de Dieu, où je le laisse me transfigurer, que le Grand Corps du Christ se trouve en meilleure santé et même que l'humanité comme telle va s'élever à un niveau supérieur. Mais je ne puis pas le vérifier, je ne puis pas le mesurer, je dois le croire. Vous voyez un peu !
Et encore une fois, les jeunes d'aujourd'hui grandissent à cette efficacité-là. 0n leur apprend cela à l'école primaire. Un enfant aujourd'hui dès qu'il sait marcher, qu'il sait courir, qu'il commence à palper les objets, on lui met en main des jouets qui sont des jouets éducatifs qui l'éduquent à cette relation cause-effet.
Vous pouvez voir un petit enfant de deux ans et demi, trois ans, il sait très bien comment on fait pour allumer la TV. Il ne sait pas lire mais il a en main la commande à distance et il sait très bien qu'en poussant sur tel et tel chiffre il va avoir le programme de dessins animés pour enfants. Et pour lui, cette relation d'efficacité commence très très tôt, puis çà se développe et çà s'amplifie.
Alors, comment voulez-vous que Dieu s'y retrouve pour appeler quelqu'un dans des conditions pareilles ?
Nous allons en rester là pour ce soir. Mais faisons un peu notre examen de conscience et demandons-nous si nous ne sommes pas un peu malade, nous, chacun pour notre part de cette maladie culturelle. Ce serait bien étonnant si dans un petit coin de notre être, nous n'étions pas un peu contaminé. C'est peut-être alors l'occasion de faire une bonne cure de purification.
Mes frères,
Le jour solennel où se terminait la fête des tentes était le jour où le peuple d'Israël en liesse acclamait Dieu pour le don de la Loi. Ce jour-là, le grand-prêtre versait sur l'autel une coupe d'eau qui avait été puisée à la fontaine la plus pure de Jérusalem, la fameuse fontaine de Siloé. Et c'est cette eau, cette eau de la Loi - car c'est la Loi qui était figurée par cette eau - la Loi faisait d'Israël le premier né de Dieu, le plus grand, le plus riche de tous les peuples.
Il s'agit naturellement ici d'une richesse spirituelle. Israël était en possession de la Vérité. Israël avait reçu au pied du Sinaï 1'expression parfaite de ce que Dieu attendait de 1'homme, et Israël s'était engagé à épouser ses vouloirs afin que Dieu puisse à partir d'Israël rayonner sur toute la terre, et la transformer, la conduire à son achèvement. Rappelons-nous le Psaume 118 et son éloge sans fin de cette Loi.
Au temps de Jésus, les juifs avaient encore une conscience suraiguë de ces réalités. Eh bien, cette conscience doit être la nôtre aujourd'hui, nous qui sommes les descendants des enfants d'Israël. Et nos frères juifs d'aujourd'hui, lorsqu'ils célèbrent la fête de la joie de la Thora, sont encore bien conscients qu'ils possèdent la vérité.
Nous devons nous unir à eux et savoir avec eux que nous sommes également les dépositaires de cette vérité. N'oublions pas ce que le Seigneur Jésus a dit : « Pas une lettre, pas une virgule de la Loi ne passera avant que tout ne soit achevé ». Cette Loi va donc accompagner le projet de Dieu jusqu'à son accomplissement total.
Et voici que Jésus pose un geste qui est absolument merveilleux. Debout dans le temple, il lance une parole. Mieux, il la crie parce que tout Israël doit l'entendre, la terre entière doit l'entendre, le cosmos tout entier doit l'entendre : c'est la Bonne Nouvelle par excellence.
Il proclame que 1'accomplissement de la Loi confiée à Moïse et à Israël sur le Sinaï, il annonce que l'accomplissement de cette Loi est la Personne même de 1'Esprit Saint. Voyez toute l'image !
Et cette image, je 1'affirme, exprime parfaitement la vérité. La montagne vers laquelle nous devons nous tourner pour recevoir le don ineffable de l'Esprit, cet Esprit qui est l'Amour, qui est la Charité, qui est 1'Agapè, qui est le couronnement de tout, cette montagne vers laquelle nous devons tourner notre regard et notre coeur, c'est la personne du Seigneur Jésus.
C'est Jésus dans le temple de Jérusalem, c'est Jésus crucifié, c'est Jésus ressuscité et glorifié, c'est le Jésus concret de l'Histoire, c'est le Jésus Maître absolu de la vie et de la mort. La Loi dans son essence, dans sa source et dans son sommet est une personne vivante. Elle n'est pas un code abstrait.
La Loi est la personne de 1'Esprit Saint et elle se communique royalement, somptueusement à ceux qui se tourne vers le nouveau, le vrai Sinaï qui est Jésus et qui lui donne leur foi. Celui qui croit en moi, des sources d'eau vive jailliront dans son coeur et déborderont de lui. Et cette eau, cette eau vivante, c'est - je le répète - la personne même de 1'Esprit Saint.
Tout homme devenu lui-même porteur de 1'Esprit Saint - car la plénitude de l'Esprit habitait dans le Seigneur Jésus - mais l'homme devenu pneumatophore, l'homme dans le coeur duquel bouillonne l'Esprit, cet homme-là devient à son tour source de vie impérissable.
Il l'est pour lui-même, il le devient pour les autres. Et cette vie qu'il porte, elle est une eau très pure, pure, limpide, puissante et féconde. Elle est transparente, il n'y a pas en elle la moindre impureté, il n'y a pas en elle le moindre atome de malice. 0n peut s'abreuver à cette eau, il n'y a pas de danger d'être empoisonner. Cette eau n'est pas contaminée, elle n'est pas polluée, c'est l'eau pure de l'Esprit qui est dans le coeur d'un homme. Et cet homme alors, vous le comprenez, il est sur la terre la présence même de Dieu.
Eh bien ma sœur, mes frères, telle est notre vocation de chrétien, notre vocation dans toute sa beauté, dans toute sa richesse. A nous maintenant de la parcourir jusqu'au bout.
Ma sœur, mes frères,
L’événement de la Pentecôte est le lieu, me semble-t-i1, d'une prise de conscience que nous devons raviver aujourd'hui. Dieu n'est pas loin de nous. C'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être et, c'est par 1'Esprit Saint que nous le savons.
L'Esprit Saint est révélation de Dieu et de son mystère. C'est par lui seul que nous pouvons dire : Jésus est le Seigneur. La personne de 1'Esprit Saint est le Dieu-Amour, le Dieu-Lumière qui se révèle à l’œil de notre coeur. Il est notre pédagogue, il est notre illuminateur.
0n dit couramment que la personne de l'Esprit est celle qui est la plus insaisissable, et je ne vois pas du tout pourquoi. Au contraire, pour moi, elle est celle que nous pouvons le mieux percevoir, celle avec laquelle nous pouvons entrer en communions le plus facilement, celle que nous voyons en tout premier lieu.
Grâce à la personne de 1'Esprit Saint, nous prenons aussi conscience de ce que nous sommes. La personne de l'Esprit est comparée à une eau, à un feu, à une huile et, nous ne savons pas si elle pénètre en nous de l'extérieur ou bien si elle jaillit en nous de l'intérieur. Ce qui est certain, c'est qu'elle nous imprègne jusque dans nos moindres cellules charnelles.
La personne de l'Esprit est l'agent de notre purification, de notre métamorphose, de notre transfiguration, de notre résurrection. Elle fait de notre corps son temple si bien que chaque corps d'homme est sa demeure.
Vous allez peut-être penser que ce sont là des mots, rien que des mots. Mais non ! La vie contemplative est tout simplement la vie de communion avec 1'Esprit Saint. L'Esprit qui est à l'intérieur de l'homme travaille cet homme, le fait grandir, le fait s'épanouir comme une fleur, lui fait porter son fruit.
Et les fruits de l'Esprit, l'Apôtre Paul nous les a décrits au long et au large. le ne vais pas les reprendre, nous sommes sensés les connaître. Et tout cela est vécu de façon semblable parce que nous sommes des corps. La spiritualisation d'un homme n'est pas une évasion hors de son corps.
Non, c'est une prise en charge de son corps dans ce qu'il a de plus charnel. Mais le charnel à ce moment-là n'est plus porté vers les convoitises qui le flattent bassement, mais elles sont recentrées vers son objectif primitif et unique qui est la rencontre de la Sainte Trinité. Car l'homme est créé à l'image de Dieu, à la similitude de Dieu ; si bien que instinctivement il est chez lui lorsqu'il est en communion consciente avec Dieu.
Donc, lorsque je commence à voir la lumière qui est Dieu, la lumière qui est l'Esprit de Dieu - car c'est elle qui d'abord en premier lieu se révèle - à ce moment-là il sort, non pas de sa chair ni de sa condition charnelle, mais il sort des convoitises qui détournent la chair de son objectif principal, son objectif essentiel qui est cette rencontre de Dieu. Car si Dieu est devenu chair, c'est justement pour que les deux chairs - et la sienne et la nôtre - se rencontrent et s'unissent.
Il y a donc un devoir absolu de respect à l'endroit de notre corps, à l'endroit
de tout corps car toute chair devient - grâce à l'action de 1'Esprit Saint, comme je viens de le dire - une chair spirituelle. C'est la finalité ultime de l'incarnation de Dieu, c'est le stade ultime de notre destinée de créature.
Et le respect à l'endroit de notre corps porte le nom de chasteté. Et celle-ci est faite d'admiration, de tendresse, d'amour, de pudeur, de joie. Toutes les vertus spirituelles sont encloses dans la chasteté comme dans un vase, un vase transparent, un vase translucide et un vase poreux. Car, à partir de ce vase, elles se répandent dans tout le corps, dans tout les gestes, dans le sentiment, dans le comportement, dans la conduite et, elles atteignent les autres personnes.
0n sent très bien, du moins à un certain niveau de conscience spirituelle, lorsqu'on se trouve en présence de personnes chastes ; on le sent de suite. La chasteté est l'éclat lumineux et doux du véritable amour. Elle est révélateur d'une présence, celle de 1'Esprit Saint et, elle regarde le coeur autant que le corps. Elle se saisit de l'homme tout entier.
Alors en conclusion, nous pouvons retenir ceci : nous sommes dans 1'Esprit Saint, 1'Esprit Saint est en nous, d'où le respect que nous nous devons mutuellement. Mais d'abord nous respecter nous-mêmes car, si nous ne nous respectons pas, nous sommes tout à fait incapables de respecter les autres.
Regardez ce que dit Saint Benoît. Il dit que tous les objets du culte, les vases de l’autel sont représentants de Dieu qui les a touchés corporellement au moment de la consécration. Alors il dit que tous les objets du monastère doivent être traités comme ces vases de l'autel, 31,21. Bon, çà, nous le comprenons et nous l'acceptons.
Eh bien, nous devons ainsi nous traiter nous-mêmes car nous sommes des temples spirituels et nous devons ainsi traiter les autres jusqu'à l'intérieur de nos pensées, pas seulement de nos paroles et de nos gestes. Mais alors, nous-mêmes devenons de plus en plus conscient de ce que nous sommes, conscients d'être des vases sacrés, d'être les réceptacles de l'Esprit et conscients de ce que nous devons nous aider les uns les autres à en prendre de plus en plus conscience. J'ai dit souvent le mot conscience, mais c'est vraiment cela.
Et cela doit nous pénétrer jusqu'au plus intime de notre intelligence, de notre mémoire, de notre volonté, de notre sentiment de façon à ce que nous ne devions jamais l'oublier.
Le péché, c'est lorsque on a perdu la conscience de ce qu'on est. Alors les actes que nous posons, ils ratent leur cible. Lorsque nous reprenons conscience, nous dirigeons de nouveau notre agir vers l'objectif a atteindre qui était : devenir, comme le disent tout les spirituels, un seul esprit avec le Christ notre Dieu.
Mes frères,
Si nous étions des saints, nous connaîtrions à plusieurs reprises chaque jour la beauté d'une visitation. Le frère qui vient à nous, il est un frère et plus qu'un frère, il porte en lui la réalité du Seigneur Jésus. Il est un temple de 1'Esprit Saint, de cet Esprit qui, avec une patience infinie, le façonne à l'image du Christ Jésus, qui fait de ce frère un membre de ce grand Corps dont le Christ ressuscité est la tête.
Pour remarquer ce prodige, il faut avoir des yeux qui soient ouverts, il faut les yeux de la foi, il faut les yeux d'une foi éveillée, attentive, vigilante, vivante. Et si nous avons ces yeux, dans le frère qui s'approche de nous, nous reconnaissons la personne même du Christ, la personne même de Dieu qui se présente à nous et qui attend de nous un geste, un regard, un salut, un sourire, un signe de reconnaissance.
Lorsque nous avons de tels yeux, alors notre vie est bouleversée, elle est modifiée de fond en comble. Nous comprenons que le ciel est déjà présent sur notre terre et que nous sommes introduits à l'intérieur de ce ciel.
Elisabeth a chanté le bonheur de croire. En réalité, dans sa langue à elle, bonheur est un mot pluriel. C'est une suite indéfinie de bonheurs, l'un appelant l'autre, l'un engendrant l'autre. Et chaque bonheur nouveau contient en lui tous les bonheurs précédents et ajoute une nouvelle somme de bonheur.
C’est là une vision qui est étrangère à notre culture où les bonheurs chez nous sont ponctuels. Nous les assimilons trop souvent au plaisir. Mais dans la Culture Sémitique, dans la Culture qui est celle de Dieu puisque Dieu a épousé cette Culture et qu'il l'a façonnée pour lui, eh bien, dans cette Culture, le bonheur est déjà l'anticipation de ce que nous appelons la béatitude, une complétude qui va sans cesse en se dilatant.
Oui, telle est la situation, mes frères, d'un moine qui a des yeux pour voir. Jésus ressuscité avait lui aussi proclamé le bonheur de ceux qui croient sans avoir vu. Il faut donc d'abord, tout d'abord ajouter foi au témoignage d'un autre. Il faut voir par les yeux de ce quelqu'un.
Alors, par cette habitude d'utiliser les yeux d'un autre pour voir, peu à peu nos propres yeux apprennent à voir et ils s'éveillent à une vie nouvelle, et ils commencent à voir eux-mêmes. Ils peuvent alors devenir des yeux pour les autres et ainsi la vie nouvelle, cette vie de bonheur, cette vie de foi peut se transmettre.
Vous serez mes témoins, à dit le Seigneur. Cette parole ne s'adresse pas seulement aux Apôtres, elle s'adresse à nous aussi à condition - encore une fois - que nous ayons des yeux en face des trous, des yeux qui voient.
Alors dans ces conditions-là, la rencontre de l'autre n'est plus perçue comme un péril, comme un danger : que me veut-il encore celui-là ? Non, elle est reçue comme une bénédiction : qu'est-ce qui me vaut la grâce que mon Seigneur vienne à moi ? Voyez quel contraste entre une réaction charnelle et une réaction spirituelle ! Et telle est, mes frères, la leçon que nous donne 1'Esprit Saint à travers la fête de ce jour.
Hier, nous avons célébré la solennité de la Pentecôte qui - je le disais - est le rappel d'une situation qui existe, notre immersion à l'intérieur de l'Esprit Saint qui est Amour et Lumière, qui est cette vie qui est en nous et qui n'attend que notre consentement pour bouillonner de plus en plus et puis pour jaillir à l'extérieur.
Et voilà qu'aujourd'hui, il nous est rappelé que nous pouvons à notre tour connaître la joie immense d'une visitation de Dieu, et cela plusieurs fois par jour.
Eh bien, mes frères, c'est une grâce que Marie peut nous obtenir si nous la lui demandons. Alors, si vous le voulez bien, nous la demanderons pour nous-mêmes et pour chacun d'entre nous.
Mes frères,
Le Cardinal Danneels avance un troisième point qui, à son avis, est le plus important de tous pour expliquer la difficulté de l'éveil des vocations. Dieu appelle toujours mais il n'y a plus d'oreilles pour entendre. Ecoutez :
Notre foi dans la vie éternelle est obscurcie et c'est peut-être la cause la plus grave de la difficile relève des vocations. On a tiré le rideau sur l'au-delà ; tout est à faire sur cette terre. Or, la foi en la résurrection est le coeur du christianisme. Sans la foi en la vie éternelle, on n'aura jamais de vocations. On a perdu le sens de la fin des temps et de l'accomplissement de l'Histoire dans le Christ. Quand nous prions « que ton règne vienne » nous réduisons tout à l'immédiat, à 1'immanence. Le Salut devient le développement.
Cette analyse est très juste. De moins en moins de chrétiens croient en la résurrection du Christ. Il y a des théologiens renommés qui la nient. On me faisait remarquer dernièrement qu'il est en train de s'installer un schisme à l'intérieur de l'Eglise. Il est déjà là. Il n'est pas encore officiel, pas encore déclaré, mais il est déjà là.
Il y a donc l'Eglise de toujours et il y a l'église nouvelle qui a raboté les dogmes, qui les a mis à la portée de notre raison, qui n'apporte aucun crédit à ce qui apparaît comme du fantastique ou de la fantasmagorie, entre autre la résurrection du Christ.
Alors, que voulez-vous ? Dans ces conditions, que faire ? C'est un climat qui se répand, c'est un air qui est pollué et que tout le monde respire.
De plus en plus de chrétiens même pratiquants s'attachent à la réincarnation. Ils disent qu'il n'est pas possible de tout faire en une vie. Donc, ce sera pour la vie suivante, et puis pour la vie d'encore après si ce n'est pas fini. Et ça rejoint ce que dit le Cardinal : tout est à faire ici et à résoudre sur cette terre.
La vie éternelle ? Vous savez combien souvent j'en parle, car la vie éternelle, c'est la vie de la Sainte Trinité. Et entrer dans le coeur de la Sainte Trinité, c'est posséder la vie éternelle ; c'est être passé de la vie à le mort et de la mort à la vie ; c'est connaître la résurrection des morts par anticipation ; c'est être devenu un seul être avec le Christ.
Mais toutes ces choses-là, toutes ces vérités, toutes ces évidences, on a tiré le rideau dessus. Alors dans ces conditions-là, on n'aura jamais de vocations. Peut-être dans le fin fond des Ardennes, dans un petit village là-bas, on trouvera peut-être encore, peut-être encore ? Mais pour le reste, je ne sais pas !
Attention ! Je ne suis pas pessimiste, mais je rejoins ici ce que nous a dit le Cardinal.
Tout est réduit à l'immédiat, à l'immanence , le Salut devient le développement.
Dans le fond, ce qu'il dit ici, c'est un constat, c'est une sorte de baptême - appelons çà ainsi - mais un baptême laïque du marxisme. Le marxisme ayant échoué dans l'installation du Royaume de Dieu sur la terre s'est repris dans une mystique pseudo-chrétienne. On appellera ça le développement.
Mes frères, je pense que nous, à notre place ici, nous devons en tout premier lieu témoigner de la résurrection du Seigneur et de la nôtre qui est en train de s'accomplir. Quoi qu'on en dise, quoi qu'on en pense, c'est là notre devoir.
Voilà, je vais m'arrêter ici ce soir. Je pense que nous ne l'oublierons pas et que nous ferons notre possible pour vivre de mieux en mieux notre vocation chrétienne et ainsi, faire en sorte que au moins il y ait dans notre monastère, et dans les autres monastères aussi car nous ne sommes pas seuls, qu'il y ait encore des hommes qui croient en la résurrection des morts, en la résurrection du Christ d'abord, en leur propre résurrection, et qui construisent toute leur vie sur cette certitude. C'est cela être chrétien.
Mes frères,
Nous venons d'entendre une des plus belles pages sorties du coeur de notre Père Saint Benoît. Ce qu'il nous dit ici n'a rien d'extraordinaire, c'est dans la pure logique de notre état de consacré. Si nous permettons au Christ de revivre à l'intérieur de nous son propre mystère, eh bien, nous devons nous attendre à entrer dans toutes sortes de tribulations qui sont détaillées ici.
Lui, le Christ, il n'a pas reculé. N'allons pas nous imaginer qu'il était impassible. Il était un homme et il n'y avait pas de péché en lui. Il était - comment dirais-je ? - son psychisme, sa nature était d'une délicatesse, d'une finesse, d'une sensibilité tout à fait au-delà de tout ce que nous pouvons concevoir. Donc, qu'est-ce qu'il n'a pas dû souffrir ?
Eh bien, il n'a pas reculé, il n'a pas hésité. Et nous devons lui demander la grâce, de pouvoir nous aussi lorsque nous rencontrons des difficultés, de pouvoir réussir comme lui à travers tout. Et pour ça, nous devons nous ouvrir à sa présence en nous.
Il y a, je le dis, une logique dans notre vie monastique. Et cette logique, nous devons y entrer, nous devons la laisser travailler dans tout notre être. Si on en dévie, à ce moment-là on peut perdre pied, c'est à dire que on perd le sens de ce qui nous arrive.
Or, ce qui peut nous arriver de contraire comme ceci a un sens bien précis. Non seulement ça nous fait entrer dans l'humilité mais ça nous conforme à la personne même du Christ et, ça nous établit à l'intérieur de sa vie.
Il l'a d'ailleurs dit, c'est la dernière des béatitudes : « Bondissez, sautez de joie quand ça vous arrive, le Royaume de Dieu est à vous ! »
Voilà, mes frères, je vous assure que c'est extrêmement facile à vivre à condition - encore une fois - d'être logique, d'accepter cette logique. Et quand on a dit: « Oui, vraiment c'est comme ça », il n'y a plus rien qui nous étonne. On peut être surpris sur le coup, mais aussitôt on retombe sur ses pieds et la grâce de Dieu finit par triompher en nous. Et il nous conduit toujours plus loin à l'intérieur de cette conformité jusqu'à l'heure bénie où ce n'est plus nous qui vivons, mais c'est lui qui vit totalement en nous.
Ma sœur, mes frères,
Quand on entre en communion de grâce, quand on entre dans une relation existentielle, mystique avec Dieu, que ce soit avec la personne du Seigneur Jésus ou avec la lumière qu'est 1'Esprit Saint, on franchit la porte d'une logique autre, d'une logique qui est totale absurdité pour la raison raisonnante.
Il faut avoir l'audace de s'y plonger, de s'y perdre, d'y mourir. L'être est saisi, il est retourné, déchiqueté, dévoré ; et pourtant, jamais il n'a connu une telle intensité de vie. Il sent, il sait qu'il vit pour l'éternité.
A partir de ce lien crucial, on comprend ce que l'Apôtre Paul évoque si souvent entre les lignes de ses transports, de ses affirmations de feu. Personne n'a chanté mieux que lui l'ivresse de la mort et de la résurrection en Christ, le passage tout à la fois merveilleux et terrible de la mort à la vie.
Quand on l'entend, quand on prend la peine de l'écouter, on frémit et toutes les fibres de notre esprit et de notre chair murmurent : c'est vrai, c'est bien ainsi ! Du paysage familier qui nous entoure, on ne reconnaît plus rien. C'est toujours lui et c'est aussi infiniment plus que lui. 0n reste bouche bée d'admiration.
Vous avez compris que je parle de cet univers dans lequel nous sommes invités à entrer. Et pour cela, nous devons déposer toute prétention humaine, nous devons redevenir de tout petits enfants qui croient, qui ne mettent pas en doute, qui sont naïfs et qui s'avancent. Et alors, Dieu peut opérer le prodige de nous faire franchir ce seuil dont je parlais tout au début. Et à ce moment-là, on s'éveille.
Oui, vous savez que dans les Psaumes, dans cette Parole de Dieu que nous écoutons à longueur de journées, il est fréquemment question de l'éveil. Oui, hier soir encore ça nous a été rappelé. On demande à l'ange de l'Eglise de Sardes d'être éveillé afin de ne pas s'assoupir.
Eh bien, le petit enfant que nous sommes devenus est toujours en éveil, toujours en admiration, toujours en émerveillement. Mais pour cela, il faut avoir l'audace de se plonger dans cette logique nouvelle qui est celle de l'enfance et non plus celle de l'adulte.
Et ici encore nous sommes en plein paradoxe car l'adulte naît insignifiant dans le Royaume de Dieu ; par contre le petit enfant parvient, lui, immédiatement à sa pleine stature d'adulte en Christ. C'est cela un des aspects de cette logique nouvelle qui devient nôtre si nous le voulons.
Regardons notre monde, on nous en parle assez bien ces derniers temps. Notre monde étouffe et il a peur. Il est tellement technicisé, maîtrisé, dominé, asservi que l'homme finit par se dresser seul et il prend peur. Il n'existe plus rien que lui et le vide qu'il a créé. Car ce monde trop bien maîtrisé s'avère n'être en face de l'homme qu'un trou.
Ce monde n'est pas un partenaire avec qui engager une relation d'amour. Non, il disparaît au fur et à mesure qu'on prend possession de lui. Et l'homme alors, dans son angoisse, se jette avec frénésie vers les magies, les fétiches, les idoles, les drogues, toutes les illusions.
Et devenu aveugle, l'homme tâtonne désespérément dans une nuit toujours plus opaque. Il appelle et lui répond lugubrement le ricanement du rien.
Non, l'homme n'est pas fait pour être emprisonné dans un monde qu'il aurait totalement méprisé. L'homme n'est lui-même qu'un fragment de ce monde et, s'il se referme, s'il se replie sur lui, il finit par étouffer et par mourir.
Non, l'homme est naturellement ordonné à un autre univers. Il est ordonné à la sainte et mystérieuse Trinité ; il est ordonné à être l'être même de Dieu. Il naît du fait qu'il a été créé par ce Dieu qui est amour. Et s'il ne l'était pas, la Parole créatrice ne se serait pas incarnée.
Il lui est donc demandé de tourner son regard non plus vers lui, non plus vers la matière mais vers l'origine de tout et, de s'ouvrir à une lumière qui est la lumière absolument explicative de tout. C'est la logique à laquelle il faut s'abandonner. Et nous savons que cette logique, elle est tout entière présente dans une croix sur laquelle meurt ce Dieu amour qui s'est incarné.
L'homme a créé sa propre prison et il s'y est enfermé. S'il a créé cette prison, c'est parce que il était inspiré par un être que nous connaissons, que nous avons déjà peut-être rencontré sur notre route, un être dont la malice a pu jeter l'illusion à travers l'univers. Et cet être qui est pure malice nous a rendu prisonnier.
Le Salut consiste tout simplement à être libéré de cette servitude et à redevenir ce que nous sommes, c'est à dire des hommes orientés vers Dieu, des hommes qui savent accepter la véritable logique, la véritable sagesse et parvenir ainsi au sommet de leur destinée.
Et que faire quant à nous ici dans ce monastère ? Ce que nous devons faire, c'est d'être vrais jusqu'à la racine de notre être. Et permettez-moi de vous dire que notre église restaurée est un chant de louange à la vérité totale.
Elle est une œuvre de folie en cette fin du 20° siècle car elle est démesure de foi et d'espérance. Elle est imprégnée de mystères et elle est peuplée de réponses. J'aurai l'occasion avant sa consécration d'élucider sous vos regards quelques uns des mystères qui la constituent. J'ai déjà commencé, mais c'est un tout petit début.
Je vous assure que ce que nous allons découvrir encore est véritablement un sommet de beauté car, à travers la pierre, à travers le bois, c'est Dieu lui-même que nous allons mystiquement rencontrer et toucher.
Il existe en nous des fibres qui doivent absolument se mettre à vibrer pour que nous puissions entrer en communion avec Dieu et son être qui est amour. Nous ne sommes pas des désincarnés, nous sommes totalement chair. Et n'oublions jamais que le Verbe de Dieu s'est fait chair et que c'est à travers cette chair réordonnée que nous pouvons rencontrer notre Dieu.
Oui, depuis la pierre du seuil de notre église, cette pierre qui nous pousse dans la conversion, jusqu'à la cathèdre du jugement qui est marquée de l'accomplissement définitif, il nous est dit qui est Dieu et qui nous sommes.
Nous pouvons décrypter notre destin et nous engager dans la formidable aventure de la Sagesse qui est folie. La Sagesse de Dieu est folie pour les hommes.
Eh bien, c'est dans cette Sagesse que nous allons entrer. Il faut du courage, il faut de l'audace, il faut être - je le répète un petit enfant car seuls - ne l'oublions encore jamais, jamais - seuls les petits enfants ont accès jusqu'au coeur de la Trinité. Les grandes personnes sont rejetées à l'extérieur. La Parole du Seigneur Jésus est sans réplique.
Eh bien, ma sœur, mes frères, bientôt, dans un mois, nous serons exposés au questionnement que nous lancera chaque jour en plein visage notre église. Et notre réponse devra être un oui, un oui total Ce sera. le oui de notre appel, ce sera le oui de notre vocation et ce sera le oui de notre confiance et de notre amour.
Mes frères,
Aujourd'hui, je voudrais vous parler d’un problème qui se pose à propos précisément de l'église. Il faut trouver une solution et je me rangerai à votre avis.
Vous savez que la nef latérale gauche de l'église sera une chapelle consacrée à Notre-Dame. C'est là que chaque jour nous chanterons l’office de Complies, c'est là que nous ferons deux ou trois fois par semaine, selon les circonstances, la lecture traditionnelle de Complies que nous avons perdue depuis des décades et que nous retrouvons avec plaisir. Nos retraitants d'ailleurs pourront y assister.
Et la question, la voici : quelle statue devons-nous placer dans cette chapelle ? Nous disposons de deux statues : l'ancienne qui se trouvait au-dessus du maître-autel et une seconde qui se trouve dans la salle de réunion de notre hôtellerie.
La première est une statue qui date du XVIII° siècle, je pense, et qui provient l'ancien monastère de Saint-Remy. Après des de pérégrinations que nous ignorons sans doute, elle s'est retrouvée dans l'église paroissiale de Bure ici près de Rochefort Et nous avons pu. la récupérer et la replacer au-dessus de l'autel quelque part dans les airs.
Mais vous savez peut-être, ou vous ne savez pas, que cette statue ne se présentait pas auparavant comme elle se présente maintenant. Elle était entièrement plâtrée. C'était une poupée de plâtre. Est-ce comme ça dès l'origine, ou bien le plâtre a-t-il été placé après ? Il me semble bien que c'était ainsi dès l'origine. Il existe des photos, je les ai vues. Je ne sais pas où elles sont maintenant ? Le frère René saura peut-être mettre la main dessus ? Car elles existent, je les ai eues en main.
Et voilà, nous avons pu l'obtenir en retour à condition de la remplacer là-bas par une statue qui soit la réplique parfaite de celle-ci et cela a été fait. C'était à l'époque de Dom Félicien. Le plâtre a été enlevé et la voilà ici. C'est donc une statue qui marque bien la continuité entre le Saint-Remy d'avant la révolution et le Saint-Remy actuel.
Il y a aussi une seconde statue, celle qui se trouve là-bas à l'hôtellerie. Cette statue, elle date des années 1520-1530. Elle a été expertisée et elle est originaire du Brabant. Elle est donc de l'époque de Charles-Quint. C'est une très très belle statue, vraiment précieuse, qui cadre très bien avec le style de notre église. Elle n'est pas trop grande. Elle est, je dirais, appropriée à l'église telle qu'elle est maintenant.
Quel est donc le problème ? Le problème qui se pose est : laquelle devons-nous choisir ? Donc, celle de l'hôtellerie qui est bien appropriée au cadre ou l'autre qui marque bien la continuité entre l'ancien Saint-Remy et le nouveau.
Voilà, nous devons donc choisir. Et qu'allons-nous faire ? Eh bien, pour que nous puissions juger, la statue de Saint Rémy a été placée à l'endroit qu'elle occupera. Donc, vous êtes invités à aller la voir. Pour entrer, on peut le faire par le nartex, le plastique a été un peu écarté. 0n peut entrer là et puis vous verrez.
Nous avons placé la statue sur des blocs. Mais attention ! cette statue sera sur un beau socle, pas sur des blocs. De chaque côté, il y a des candélabres très beaux, très très anciens que nous avons récupéré aussi. Vous pourrez vous faire un jugement.
Vous pouvez aussi aller voir celle de l'hôtellerie, vous rendre compte, vous former une idée et décider en votre for intérieur celle qui à votre avis doit se trouver là-bas à l'église.
Et puis, quel sera le stade suivant ? Eh bien, vous devrez donner votre réponse. Le plus simple, me semble-t-i1, c'est que je dépose au réfectoire à votre place un petit papier avec deux questions : préférez-vous celle-ci ? préférez-vous celle-là ? Et vous mettrez une petite croix suivant votre choix. Je pense que ainsi c'est suffisamment clair.
Allez donc voir aujourd'hui parce que c'est dimanche, c'est vide. Vous êtes bien tranquilles. Mais elle ne va pas rester là car on travaille toujours et on va donc l'évacuer dès demain. Demain soir, je vous donnerai les résultats parce que demain midi, vous recevrez le petit papier que vous glisserez dans ma boite aux lettres.
Je pressens déjà quel sera le résultat, mais enfin, je préfère tout de même que ce soit clair et net.
Fr. Antoine : Les deux chandeliers sont grands et je me suis dit : malheur à celui qui doit allumer les cierges là au-dessus. Celui qui devra allumer les cierges à complies, il lui faudra un échafaudage !
Père Abbé : Oh non, parce que on met de petits cierges. Ils sont assez élevés, mais il ne faut pas avoir peur, on va mettre un tout petit cierge dessus car pendant le salve, ça ne brûle pas pendant longtemps. 0n mettra des petits cierges comme on utilise maintenant. Avant, c'était des cierges de cette hauteur-là (geste de la main).
Fr. Antoine : Il faut voir si des petits cierges ce sera beau ? Quand vous avez un grand chandelier et que vous mettez un petit cierge dessus, ça ne va pas !
Père Abbé : Oui, mais ce doit être proportionné. C'est une question de grosseur, de calcul. Cela dépend du diamètre du cierge, parce que ce qu'on perd en hauteur, on le gagne en circonférence. Tout ça, c'est une question de proportion et il faudra le calculer. Mais on a placé ces candélabres parce que on les avait. 0n verra après. Ce qu'il faut voir surtout, c'est la Vierge.
Fr. Antoine : Elle est plus belle comme ça que où elle était en hauteur. 0n ne voyait pas bien la Vierge. Ici, elle ressort bien sur le mur blanc.
Fr. Jacques : Il faut encore savoir si on prend celle-là, si elle reste avec ce laid jus brun dessus, ou si on peut encore la nettoyer, la travailler ?
Père Abbé : Quoi ?
Fr. Jacques : Elle a un laid jus brun indéfinissable. Peut-on l'éclaircir ?
Père Abbé : ça, je n'en sais rien !
Fr. Antoine : Ce serait malheureux de l’éclaircir parce que elle ressort bien comme ça. Plus elle est blanche, moins on la voit.
Fr. Jacques : Je ne sais pas, mais il y a de la crasse, il y a de tout, même de la couleur.
Fr. Antoine : Quand elle est revenue en soixante, elle a été tout à fait nettoyée.
Père Abbé : En soixante, on a enlevé le plâtre.
Fr. Antoine : Elle est arrivée ici comme elle est maintenant.
Fr. Jacques : Elle est arrivée en bois. C'est moi qui suis allé la rechercher à Bure avec le Père Albert.
Père Abbé : C'est vous qui êtes allé la chercher ?
Frère Jacques : Oui. Elle était comme ça, mais on l'a nettoyée une fois ou deux. Elle était plus foncée parce que on avait allumé des bougies vraiment aux pieds. Elle était noircie.
Père Abbé : Je ne sais pas, il faudrait demander ça au frère Pau1-Michel qui est expert en la matière.
Fr. Paul-Michel : On peut la décaper. Mais comme elle a des bois différents, ce ne sera peut-être pas très beau. Elle est faite pour être peinte. Si on la décape, on verra toutes sortes de bois, des petits morceaux , Cela n'ira peut-être pas très bien ?
Fr. Jacques : Et c'est une coquille en plus !
Fr. Antoine : Non, la copie est à Bure.
Fr. Jacques : La copie est plus belle. Mais celle-ci est une coquille. Elle n'est pas pleine, il n'y a pas de dos.
Père Abbé : C'est pour ça qu'elle doit être contre un mur. Derrière ce n'est pas beau.
Père Roland : Le derrière n'est jamais beau !
Père Abbé : Et voilà que le frère Nicolas veut dire quelque chose.
Fr. Nicolas : Oui, je voudrais bien aller travailler, réfléchir.
Père Abbé : Oui, voilà, réfléchir.
Fr. Jean : Je pense à la Vierge du réfectoire, la petite Vierge qui est là. C'est une impression personnelle, mais personnellement je ne l'aime pas, j'ai quelque chose à la regarder. Alors je me dis : heureusement que le salve, on le chante normalement avec les yeux fermés, quelque soit la Vierge.
Il faut dire qu'il y a des visages qui ne sont pas tellement réussis. Je veux bien qu'au niveau valeur, la valeur artistique, c'est beau. Mais alors moi, j'aime bien quand une statue a un attrait, quoi.
Père Abbé : Oui, mais tout ça, c'est une question extrêmement personnelle. 0n est attiré par une femme et pas par une autre. Ce sont les atomes crochus comme on dit. Il ne faut pas essayer de comprendre
Fr. Jean : Oui, mais parfois j'ai un petit peu peur. Dans des décisions comme ça, finalement quel est le critère ? C'est un peu dommage de ne pas essayer de nous aider en nous donnant l'un ou l'autre critère objectif pour donner son avis. Car il y a certainement une qui est plus belle que l'autre suivant certains critères.
Et ce serait malheureux que tout cela soit balayé parce que sentimentalement ça plaît ou ne plaît pas à la majorité. Il faudrait que cela corresponde à quelque chose de plus profond que la sentimentalité. La prochaine communauté, sa spiritualité sera autrement.
Fr. Jacques-Emmanuel : Dans ma paroisse natale, il y a une grande statue de la Vierge, Notre Dame des Récollets. Elle n'est certainement pas plus belle que la statue ici. C'est une Vierge noire qui a été enfumée par les siècles et qu'on a peint carrément en noir. C'est une Vierge miraculeuse et il y a des milliers, des milliers de personnes qui ont prié devant elle.
Sa valeur artistique, je crois que c'est zéro, un gros zéro. Est-ce que c'est subjectif ? Est-ce que c'est simplement sentimental ? Est-ce que la piété est du pur sentiment ? Je n'en sais rien, mais je préfère avoir un peu de sentiment dans ma religion.
Ma sœur, mes frères,
Vous n'avez pas reçu ce matin le petit bulletin qui vous permettrait de fixer votre choix au sujet de la statue que nous devons dresser dans notre église en l'honneur de la Vierge Marie.
La raison en est celle-ci : frère Jean a demandé s'il n'était pas possible de définir un critère qui permettrait de poser un choix objectif en dehors de tout sentimentalisme et de tout archéologisme.
Or, un tel critère existe et le voici. Je vais m'engager en définissant ce critère, mais puisque le problème a été soulevé, je me dois de le résoudre.
Il faut que la statue de la Vierge que nous allons installer dans la chapelle de notre église réponde aux exigences d'un art vraiment sacré. Elle doit conduire le regard au-delà d'elle-même. Elle doit être évocatrice d'un autre univers, de l'univers dont la Vierge Marie est la Régente et la Reine.
N'oublions pas que Marie est patronne de notre Ordre dans le mystère de son Assomption, c'est à dire dans le fait que elle est entrée à la suite du Christ dans le monde à venir dont elle est 1'artisane à côté de son fils.
Cet univers, c'est un univers de pureté, de lumière, de beauté, de chasteté, de pudeur. C'est un univers dont l'amour est la loi. C'est l'univers de Dieu et cet univers en soi est indicible. La statue doit l'évoquer avec une extrême réserve.
Elle est donc dans notre occident le pendant de l'icône byzantine. Byzance ne connaît pas la statue, l'occident ne connaît pas l'icône. On en introduit maintenant, c'est certain, mais en soi l'occident n'est pas créateur d'icônes. L'occident est créateur de statues, mais de statues qui doivent être - je le répète - une porte ouverte sur l'univers de Dieu.
On est regardé par la statue. On ne regarde pas la statue, on est regardé par elle. Elle est comme l’œil à une fenêtre de l'univers du Royaume de Dieu qui est projeté sur nous, qui est ouverte pour nous. Elle est donc tentative d'évoquer le mystère du monde à venir. C'est ça la définition même de l’art sacré.
Maintenant nous avons tout l’art roman qui peut paraître frustre au regard d'un non-initié ; et il a été longtemps considéré ainsi. Aujourd'hui on le découvre, on le voit tel qu'il est, justement un univers de symboles qui nous met en consonance avec l'univers de Dieu. Telle doit être la statuaire vraiment d'un art sacré.
Or, qu'est-il arrivé ? Au faîte de la renaissance païenne, on a perdu le sens du sacré. La peinture et la sculpture religieuse ont glissé vers le portrait. Le but était de rendre le plus fidèlement possible les formes humaines de l'homme et de la femme. Et les modèles - puisque c'était le néopaganisme - c'étaient la Vénus de Milo, c'était le discobole, c'était Apollon, c'était Jupiter. On possède des statues antiques de tous ces dieux, de toutes ces déesses.
Puis on a produit des chefs d’œuvre mais dont le sacré était absent. On peut citer des noms. Je vais en citer un. Prenez la peinture de Rubens, voyez cette descente de croix ! Elle est prétexte à un étalage de toutes sortes de formes humaines qui sont extrêmement belles. Ce sont de véritables chefs d’œuvre de l’art religieux mais qui n'est pas sacré.
Les anciens se souviennent ici certainement ! Dans notre réfectoire auparavant il y avait une toile immense qui couvrait une belle surface de mur et qui représentait le repas de Béthanie, l'épisode de Marthe et de Marie.
Eh bien, il y avait des victuailles en quantité, des légumes, toutes sortes d'animaux tués. C'était le prétexte à ça, vous voyez ! Et alors Marthe et Marie, elles étaient vraiment des portraits, des portraits. Mais ça n'a plus rien de sacré là-dedans. On regardait cela, on l'admirait, on se reconnaissait.
Cet art est une sorte de projection narcissique de soi. On n'est plus regardé par cela. On le regarde et on s'y reconnaît. C'est un art qui est foncièrement sensuel et charnel. Il colle à la terre et il n'éveille pas à la transcendance.
Or, la statue de notre ancienne église, elle ressortit à cet art non sacré. Elle représente une généreuse matrone qu'on verrait très bien à la cour de Louis XV. C'est de cette époque-là. Oui, elle a son chignon. Il est possible que l'artiste ait travaillé d'après une personne qu'il connaissait, dont il a reproduit les traits. Je ne veux pas dire que quelqu'un a posé, mais c'est inscrit dans la sensibilité de l'époque.
De plus, c'est un d'entre nous ici qui a fait la remarque, ce genre de statue - donc de l'époque baroque - elle doit être placée dans un endroit proéminent. Vous avez des autels baroques où il y avait des tableaux et des statues de plus en plus haut.
Eh bien, cette statue-là devait certainement se trouver au-dessus d'un autel à un endroit proéminent. Cela ne veut pas dire comme elle était auparavant, mais elle doit être au-dessus. Pourquoi ? Parce que de trop près, l'effet de dévotion escompté ne se produit pas bien. Vous voyez, c'est ça ! Voilà la situation vraiment de cette statue. Et c'est vrai !
Par contre la statue de l'hôtellerie, elle, elle ressortit à l’art sacré. Elle n'est pas encore teintée de néopaganisme. Elle est comme ça : elle est naïve, elle est pure, elle est à sa place dans un environnement de symboles comme celui de notre église. Elle questionne, elle interroge.
Elle met dans une certaine situation par rapport à elle. Elle lance comme une sorte de rayonnement qui saisit, et puis voilà, qui oblige à une réflexion, qui oblige à un mouvement. Je n'irais pas dire jusqu'à une extase - c'est beaucoup trop - mais tout de même à une certaine sortie de soi.
Alors voilà, c'est ça le critère. La statue que nous devons placer dans notre église, elle doit être une statue qui ressort de l'art sacré comme tout ce qui s'y trouve.
Maintenant, voilà, il faut choisir. Et si jamais le choix se pose sur la statue de l'hôtellerie, ça ne veut pas dire que l'ancienne devra être reléguée au grenier ou dans un hangar. Non, nous devons lui trouver une place d'honneur dans le cloître, là c'est sa place. Voilà, une place d'honneur dans le cloître. On verra à ce moment-là, on en trouvera certainement une, si naturellement le choix se porte sur l'autre.
Maintenant, de chaque côté, il y a deux grands candélabres. Ils datent du XV° siècle, donc les années 1400. Ils sont extrêmement simples. Ils ressortissent aussi un peu de cet art très dépouillé. Il n'y a pas de fioritures, ni d'histoires, ni de choses tout autour. Non, ils sont du XV° siècle. On dira que ce n'est rien du tout. Mais voyez, c'est ça !
Eh bien, voilà ce que je devais vous dire ce soir. Je pense que le frère Jean est content. Oui, voilà, je suis heureux d'avoir pu répondre à sa question. Est-ce que vous en avez encore ?
Fr. Marc : Il y a une chose qui me, pour employer le mot, qui me gêne un peu. Hier, aujourd'hui, vous avez parlé et ça semble nous orienter à voter pour la statue de 1'hôtellerie. Or, c'est la toute première fois pour les travaux de l'église qu'on nous demande notre avis. Alors, je me demande pourquoi nous devons entériner le choix de la statue alors que pour tout le reste on ne nous a jamais rien demandé. On a expliqué les travaux, mais on ne nous a jamais demandé notre avis ?
Père Abbé : C'est très difficile de demander l'avis sur la sculpture des chapiteaux.
Fr. Marc : Bien sûr, mais n'aurait-ce été que sur la ligne maîtresse des travaux.
Père Abbé : Non, non, je pense que ce n'est pas juste. J'ai donné 18 chapitres là-dessus.
Fr. Marc : D'explications des croquis.
Père Abbé : Et puis quand cela a été fini, j'ai demandé : maintenant, parlez !
Fr. Marc : C'était déjà en route.
Père Abbé : Non, ce n'était pas en route, on n'avait pas encore commencé, rien, rien, rien. Et j'ai demandé : parlez ! Et alors il y en a qui ont donné leur avis. Voilà, c'est ceci, et çà, et ça et j'ai répondu. Et alors finalement il y en a un qui a dit - il est ici - bon, maintenant ça suffit. Et alors on a dit oui, c'est très bien. Voilà, nous allons pouvoir commencer. Les choses se sont réellement passées ainsi. D'ailleurs vous le savez bien, vous avez enregistré. Donc le témoignage est là !
Mais enfin, ici c'est différent parce que c'est une pièce, je dirais, de l'ancienne église. Que faut-il faire ? Vous voyez, c'est çà, c'est surtout çà. Ce n'est pas quelque chose de neuf, c'est quelque chose d'ancien : que faut-il en faire ? Il y a l'autre, que faut-il choisir ? Vous voyez, c'est çà, pour ne pas commettre un impair, et voilà !
Maintenant, hier, moi je n'ai pas défini le critère pour ne pas peser ; et j'aurais pu le faire. Mais puisque le frère Jean a posé la question, j'ai été acculé à définir les choses et à le dire.
Fr. Jacques : Il n'est pas vraisemblable de chercher la vraie Vierge qu'il nous faudrait. Parce que l'ancienne, je suis d'accord et la nouvelle aussi - je voterais pour - mais ce n'est pas l'idéal non plus. J'en connais une à Port-du-Salut que nous n'aurons jamais, qui est belle, et bien et qui est d'époque. Je pense que le sculpteur y a mis toute son âme et que ça passe mieux que dans la nôtre. Parce que en fait, c'est comme dans l'icône : le peintre de l'icône, c'est lui qui met ce qu'il y a à mettre. Il se prépare, il prie et son œuvre est une prière qui arrive jusqu'à nous.
Ici, c'est simplement très beau parce que c'est naïf. On pourrait aussi la mettre et attendre mieux ; mais on pourrait aussi avoir l’idée derrière la tête de ne pas en rater une si on la trouvait.
Père Abbé : Tout à fait d'accord, tout à fait d'accord. Mais ça, ça, c'est possible, c'est possible mais...
Fr. Jacques-Emmanuel : Personnellement, au point de vue beauté, je préfère la statue de l'hôtellerie. Mais il y a quand même un élément dont on pourrait au moins tenir compte, ce qui ne veut pas dire que ça doit peser dans la balance, et c'est ceci : quelqu'un m'a dit que quand on a ramené la statue de Bure, quand voiture qui la ramenait est la arrivée à Rochefort, il y avait une fanfare qui les attendait. Et puis alors, on est venu comme en procession avec la fanfare pour amener la statue à l'Abbaye. Il y a là un poids !
Père Abbé : Je ne pense pas que ce soit tout à fait juste. Je n'ai aucune souvenance de ça, les anciens non plus, non non non non.
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Dom Félicien : le suis allé la rechercher avec la camionnette de Monsieur Brisbois. Il y avait le Père Litvin ou le Père Albert qui accompagnait. Je ne me rappelle plus qui accompagnait. Arrivé à Rochefort, on a dû arrêter et puis, on a dû suivre la fanfare jusqu'à l'Abbaye.
Maintenant cette statue, il ne faut pas l'oublier, la statue de Bure, elle était classée. Si bien qu'on a dû faire la demande pour l'avoir au Ministère de la Justice, à la Députation Permanente, à l'Evêché et à la Commune.
Alors, vous savez aussi sans doute qu'elle avait été vendue à la révolution pour une corde de bois, puis elle a échoué à Bure. Maintenant question de plâtre, ce n'est pas du plâtre. le l'ai vue quand elle n'était pas dérochée. Elle était en couleur mais polychrome. Et je me rappelle bien qu'à ce moment-là certains on dit : c'est vraiment dommage qu'on a enlevé la couleur. Elle était beaucoup plus expressive en couleur.
Fr. Jacques-Emmanuel : De toute façon, je veux dire que si on lui garde une place, il ne faudrait pas qu’on la mette au grenier...
Fr. Jean : C'est toujours Notre-Dame de Saint-Remy. Si on la change, il faut lui garder une place d'honneur. Mais pour l'église, effectivement on peut se poser la question. Je suis allé la voir et je me suis dit : mon Dieu, je l'aimais mieux quand elle était au-dessus parce que au moins il y avait des détails que je ne voyais pas. Tandis que la voir de près, là j'ai été surpris.
Père Abbé : De fait, elle pourrait être placée en hauteur, peut-être pas si haut
qu'elle n'était, mais il faut qu'elle soit en hauteur.
Fr. Jean : Mais qu'elle reste en honneur parce que c'est Notre-Dame de Saint-Remy.
Fr. Julien : J'ai bien peur que dans six mois ou dans deux ans, celle-là sera balancée comme les autres, qu'on trouvera quelque chose de plus ancien. Elle n'a pas d'avenir, quoi !
Père Abbé : Ce n'est pas une question d'ancienneté.
Fr. Julien : Non, mais quand vous trouverez une Vénus dans deux ans, vous la mettrez et l'autre sera partie. Il n'y a pas d'avenir là-dedans, je ne sais pas pourquoi on discute.
J'avais toujours espéré qu'après la disparition des cinquante statues dans l'église, j'avais toujours espéré que Notre-Dame de Saint-Remy pouvait garder sa petite place. C'est ça que je veux dire. Si c'est pour recommencer dans deux ans, ce n'est pas bien.
Père Abbé : Oui, c'est sûr, il ne faut pas changer pour le plaisir de changer. Mais il n'y a pas de danger qu'on trouve une autre. Celle d'aujourd'hui, c'est déjà une chance extraordinaire parce qu'il n'est plus possible d'en trouver une aujourd'hui.
Maintenant ce que le frère Julien dit là, c'est vrai. Il n'y avait peut-être pas cinquante statues dans l'église, mais il y en avait tout de même beaucoup, et non seulement dans l'église mais aussi dans les cloîtres, tout partout, tout partout. C'étaient de grandes statues en plâtre dans tous les cloîtres, partout, partout.
Dom Félicien : J'ai profité d'une nuit pour les enlever ,
Père Abbé : Dom Félicien a fait son coup durant la nuit. Au matin, il n'y en avait plus. Vous voyez, ça, ce sont des trucs d'Abbé. Un moment donné, il faut trancher. Et il a tranché comme ça, c'était fait et il n'y en avait plus !
Fr. Jean : Mais de toute façon, maintenant que vous avez donné le critère et votre avis, car on voit bien du quel côté vous penchez, le vote reste et chacun reste quand même libre.
Père Abbé : Ah oui, tout à fait sûr, tout à fait sûr !
Mes frères,
Le Cardinal Danneels poursuit son étude en disant :
Nous sommes pris dans une révolution copernicienne : 1’anthropocentrisme et son corollaire le subjectivisme.
Cela veut dire que on juge les choses d'après son point de vue à soi qui est érigé quasiment en absolu. On ne juge plus d'après des vues de foi mais d'après ce qu'on sent. Et je puis vous le dire, entre nous, je pense un peu à cette histoire de la statue.
Naturellement chacun peut avoir son opinion, tout à fait d'accord. Mais le jugement qu'on porte est-il un jugement objectif ? Ou bien est-il - comme le Cardinal dit - un fruit du subjectivisme ? C'est une maladie qui règne partout et qui pollue notre atmosphère.
Dès lors, lorsque chacun compose son menu, il n'y a plus de communion possible.
Ici, c'est un fameux coup de pied dans ce qu'on appelle les dialogues. C'est très bien de dialoguer dans une communauté à condition que chacun parle dans une optique surnaturelle, dans une optique de foi et non pas en se laissant guider par son subjectivisme. Parce que, comme dit très bien le Cardinal, si chacun compose son menu, il n'y a plus de communion possible. Donc à la limite, il n'y aura plus de communauté possible si chacun compose son menu.
C'est extrêmement subtil de découvrir la frontière entre les deux. Mais ici, il parle de ce qui se passe dans le monde. Et c'est vrai, c'est ainsi que ça se passe dans le monde.
Voyez un petit peu ! Chacun est, joue à son petit Pape au niveau de l'Eglise. Il y aura bientôt autant d'Eglise qu'il y a de villages, ou qu'il y a de curés. Alors, il n'y a plus de communion possible.
Nous avons entendu l'Abbé Parré qui nous a décrit la situation à l'intérieur de ce qu'on appelle encore la Communion Anglicane, où pratiquement chaque évêque a sa théologie, chaque évêque a sa liturgie, a sa façon d'organiser les choses de l'église. Alors, chacun a son menu, il n'y a plus de communion possible.
De plus, le MOI est tellement au centre qu'il n'y a plus de place pour Dieu...
Cela se remarque très très fort chez les jeunes, c'est à dire ceux qui auraient entre 14 et 18 ans. Ils sont encore assez naïfs que pour dire ce qu'ils pensent ; ils ne sont pas encore assez rusés pour cacher ce qu'ils pensent.
Eh bien, ils sont comme ça avec leurs parents. J'en reçois des échos de temps en temps. Leur expression la plus courante : " 0n n'a rien à foutre de tout ça ! ". C'est à dire de ce que les parents disent, de ce que les parents font. Rien à foutre de tout ça, nous, c'est nous !
Et nous organisons notre vie comme nous le voulons : nos copains, nos copines, nos sorties, nos voyages. On étudie ou on n'étudie pas. Et vous autres, vous n'avez rien à foutre de tout ça, c'est nos affaires.
Vous voyez, c'est ça ! Le M0I est au centre de tout. Et alors naturellement, il n'y a plus de place pour Dieu. C'est certain, il n'y a plus de place. Je caricature un peu mais les expressions que je viens de vous citer, elles m'ont été textuellement rapportées par des parents. C'est vraiment ainsi.
Donc, il y a comme une sorte d'ostracisme vis-à-vis de Dieu dans la vie courante. On n'a plus rien à foutre de Dieu. Je dis les choses ainsi de façon très triviale, mais vraiment c'est comme ça. Prenons bien garde !
Mais il parle ici seulement des vocations et, avec une mentalité pareille, comment venir se placer sub Regula vel Abbate, 1,4. donc sous une Règle et un Abbé ? Il y a une contradiction ici à l'intérieur de la vie qui s'impose et qui est là.
Et Dieu lui-même là-dedans ? Eh bien Dieu, il est impuissant, il est démuni. Il attend que ça cesse ou que ça évolue. Il envoie sa grâce sur tout le monde. Et certainement que dans cette foule, il y a encore tout de même malgré tout certains qui reçoivent cette grâce et qui réagissent sainement. Mais voilà, auparavant, c'était différent.
Vous entendez cette histoire de la Sœur Véronika. Elle pouvait arriver en Grèce, elle pouvait arriver en Turquie, elle pouvait arriver en France et aussitôt après quelques jours, quelques semaines, tout s'organisait, se mettait en place. Tout le monde l'accueillait. On était encore alors à l'écoute de quelque chose qui venait d'ailleurs. Le centre, ce n'était pas soi, c'était encore Dieu. Et ce temps n'est pas loin de nous, juste avant le Concile. Mais voilà, le monde évolue tellement rapidement ! Mais ne soyons pas désespérés, loin de là ! Et ne nous prenons pas, nous, pour des êtres d'exception. Non non non non, voilà, nous sommes des pécheurs comme les autres. Et ça pourrait très bien nous arriver aussi. Un moment de tentation dans notre vie, d'un peu de fatigue ou de dépression, ou n'importe quoi, nous pourrions aussi facilement tomber dans le piège du subjectivisme. Prenons bien garde !
Mes frères, ma sœur,
Me voici enfin en mesure de vous communiquer les résultats du scrutin ouvert à propos de la statue qui devra orné la chapelle de la Sainte Vierge.
Pourquoi ce scrutin à propos d'un détail qui est accessoire par rapport à l'ensemble de l'édifice ?
Eh bien, c'est parce que l'expérience apprend que les statues et les images touchent au plus délicat de la sensibilité religieuse des croyants en général et même des moines. Il est extrêmement difficile d'être rigoureusement objectif en ce domaine, ce que j'accepte naturellement, et non seulement que j'accepte mais parce que je l'approuve.
Cela montre que l'homme est un être de chair et que 1'Esprit Saint lorsqu'il s'empare de cet homme, de cette femme, la transfigure jusque dans les fibres charnelles de son être.
Remarquez ceci : lorsque on veut brimer et même si possible détruire la foi dans le coeur des gens, on démolit les statues et on détruit les images. Voyez au moment des guerres de religion ce qui s'est passé, surtout dans nos régions ici où ce fut très violent. Voyez au moment de la révolution française, encore une fois ce fut la même chose. Donc, il importe d'être très prudent en ce domaine !
Alors, après ce préambule, voici le résultat. Il y a un frère qui n'a pas remis son buletin. C'est que la chose ne l'intéressait pas ? Ou bien : qui ne dit mot consent ? Il est d'accord avec ce qui sera décidé.
Il y en a deux qui ont remis un bulletin nul, c'est à dire qui se sont abstenus. C'est qu'ils ont peur de prendre une décision ? Ou bien voilà, entre les deux mon coeur balance. Je ne sais pas ? Si bien qu'ils arrêtent au milieu et restent là en équilibre. Cela veut dire que ceux qui s'abstiennent sont contents de ce qui sera décidé.
Il y en a tout de même un qui s'est dévoilé et qui m'a dit ceci : voilà, moi, je préfère naturellement, je préférerais la statue de l'hôtellerie. Seulement voilà, je préfère m'abstenir parce que je craindrais que ma voix fasse pencher la balance de ce côté là ce qui affecterait alors peut-être bien d'autres frères. Vous voyez un peu jusqu'où la charité fraternelle va s'insinuer, ce que je trouve très beau.
Maintenant, il y en a 14 qui ont répondu. Eh bien sur les 14, il y en a 8 qui préfèrent l'ancienne statue et il y en a 6 qui préféreraient celle de l'hôtellerie. Vous voyez, 8, 1 voix de majorité !
Vous savez que c'est ainsi que la république a été votée en France en 1871, à une voix de majorité. Et il y en a eu combien depuis lors ? C'est à une voix de majorité que dernièrement le gouvernement polonais vient d'être renversé. Voyez un peu ! C'est aussi à une voix de majorité qu'il y a des choses qui sont acquises au Chapitre Général.
Alors voilà, ici il y une majorité et nous devons nous incliner devant la décision qui a été prise. Seulement je me demande s'il ne serait pas possible tout de même d'écouter la sagesse du roi Salomon. C'est une idée qui m'est venue. Elle est peut-être saugrenue ? Il faudra le dire si elle est trop bizarre.
Enfin, je me suis dit : 8-6 c'est presque 7-7, tout juste, tout juste. Je suppose, moi, un qui s'est abstenu parce qu'il ne voulait pas, s'il avait voté, ce serait 8-7. Et alors comme l'autre, ma foi, il a balancé, mais ce serait alors 8-8, vous voyez , Donc, je veux dire que nous sommes à peu près malgré tout proche du point d'équilibre. Et je me suis dit que nous pourrions peut-être faire ceci :
La statue de Notre-Dame de Saint-Remy, elle est là. On va bien l'installer sur une belle colonne à hauteur voulue. Elle sera vénérée comme elle l'a toujours été.
Mais je me demande si l'autre statue, on ne pourrait pas la déménager de l'hôtellerie dans le cloître. Je pense qu'elle serait mieux là que dans cette hôtellerie. Comment ? Voilà, en voilà au moins un, c'est déjà bien. En voilà deux.
Mais enfin je pense que c'est une idée. Mais alors, où la placer ? A une place sérieuse, une belle place dans le cloître. Et moi, je choisirais cette place-ci : à l'entrée du réfectoire il y avait dans le temps une fontaine à laquelle on se lavait les doigts et qui ne sert plus à rien du tout.
Les jeunes, je suis certain, se demandent : mais qu'est-ce que c'est que cette affaire-là ? A quoi ça sert ? Certains ne l'ont jamais vu fonctionner. Est-ce que ce ne serait pas plus simple de l'enlever et de faire là une petite plate-forme sur laquelle on poserait la statue.
Si bien que en entrant au réfectoire, plutôt que de voir une fontaine vide on verrait cette statue qui est très belle de la Vierge Marie. Je pense que c'est pas mal. Enfin c'est une idée, je la sème dans votre coeur, et puis...
Fr. Pierre : Je peux avoir une objection. 0n a justement installé dans l'église une fontaine, dans le narthex, un autre bénitier là. Eh bien moi, je trouve qu'il faut laisser cette fontaine à l'entrée du réfectoire. Cela fait un parallèle. Le réfectoire qui est lui une sorte de prolongement de l'église.
Père Abbé : Tout à fait d'accord à condition qu'elle fonctionne. Or vu qu'elle ne fonctionne pas, c'est là un vestige, un vestige d'une chose disparue. Je pense que quand on pose un geste, il faut savoir pourquoi. Or maintenant, voilà, c'est disparu.
Voilà, c'est une idée, je vous la laisse. Ce n'est pas pour faire tout de suite.
Nous allons aller dormir en paix. Je pense que comme ça tout le monde sera content et que le bon roi Salomon sera aussi heureux de nous.
Mes frères, [4]
Quand on accède à l'église, on entre d'abord dans le narthex. Le narthex est un lieu intermédiaire entre le profane et le sacré. Le profane - comme le dit le mot - signifie ce qui se trouve devant le temple. Avant d'entrer dans le sanctuaire proprement dit, il faut se mettre dans une certaine disposition d'esprit. Tel est le but de cet espace assez vaste qu'est le narthex.
Au centre du narthex se trouve la fontaine baptismale. Elle nous rappelle que justement avant d'entrer chez Dieu, nous devons nous rappeler notre baptême. Nous sommes tous, qui que nous soyons, tous les chrétiens sont des êtres consacrés. Ils ont été plongés dans cette fontaine mystique qui les a greffés sur la personne du Christ et qui leur donne le droit d'accéder aux saints mystères.
Ce doit être une véritable fontaine, donc une eau courante, une eau vivante. Dans cette vasque il y aura donc de l'eau qui coulera. Et cette vasque, vous l'aurez remarqué, est ornée de l'effigie des 12 apôtres et elle repose sur les 4 animaux d'Ezéchiel. Vous avez là l'union entre l'Ancien et le Nouveau Testament : les 4 animaux d'Ezéchiel et puis la coupe qui est portée par les 12 apôtres du Seigneur.
Maintenant, avant d'entrer dans le sanctuaire, on se trouve en présence d'un portail. Ce portail est orné d'un tympan, la partie supérieure en demi-cercle. Et ce tympan est orné de figures symboliques.
Et précisément hier - je m'en souviens maintenant - une personne qui était ici, qui ne connaissait pas l'église et qui ne l'avait jamais vue, me disait que notre monde d'aujourd'hui, surtout les jeunes, se meurt faute de symboles. La société, jusque dans son architecture moderne est tellement rationalisé, est tellement technicisé que l'homme ne s'y retrouve plus car il est pour lui-même un mystère, les autres sont pour lui des mystères.
Et il n'est possible d'accéder au mystère qu'on est et que sont les autres qu'à travers le symbole. Et nous n'en avons plus. C'est ce qui explique entre autre le succès des sectes qui réintroduisent une foule de symbole jusqu’à l'intérieur de la coupe des cheveux, de la tenue vestimentaire, de toutes sortes de rites dans lesquels les jeunes entrent avec une sorte de frénésie parce qu'ils en ont besoin. Et elle disait : mais pourquoi, pourquoi l'Eglise ne retrouve-t-elle pas ces symboles ? elle qui est le symbole par excellence.
Et je lui disais que nous, voilà, nous allons essayer de les remettre quelque peu en valeur ici, quoique nous ne les ayons jamais abandonnés, c'est certain ! Vraiment, nous baignons dans les symboles. Mais il est utile quand nous en avons l'occasion, de remettre en valeur des symboles anciens que nous avons à notre disposition.
Vous avez donc le tympan. Et ce tympan est orné d'une croix, une croix celtique très rare qui a été scellée dans la pierre. Et cette croix, elle porte le Seigneur Jésus crucifié. Certes, on ne voit pas son corps, ce n'est pas nécessaire. C'est donc la croix glorieuse et, c'est le mystère de la croix glorieuse que nous allons célébrer à l'intérieur du sanctuaire.
Cette croix est surmontée de deux soleils stylisés. Ils signifient que le Seigneur Jésus est vrai Dieu et vrai homme. Et la lumière de sa divinité, et la lumière de son humanité glorifiée illuminent ceux qui entrent dans le sanctuaire ; et eux, portant en eux cette lumière de la divinité et de l'humanité du Christ doivent la rayonner sur le monde.
En-dessous de la croix se trouvent deux spirales. Et ces spirales depuis toujours signifient le bien et le mal. Donc ici, le Seigneur Jésus crucifié, ressuscité, glorifié, est le Maître, le Seigneur du bien et du mal. Il est le Seigneur de l'univers et il en est déjà le juge. La croix est donc déjà le trône sur lequel il exerce son jugement. Ce n'est pas un jugement de condamnation : il n'est pas venu condamner le monde, il est venu pour le sauver.
Donc, voyez ces symboles ! Et il est bon lorsque nous entrerons dans le sanctuaire par ce portail que nous nous laissions influencer par eux, que nous les laissions agir sur nous, que nous reprenions conscience de qui est le Seigneur Jésus et de ce que nous sommes, nous, membres de son corps
Maintenant, il y a sur le sol une pierre, une pierre qui est la pierre de seuil. Cette pierre est assez grande et est d'un seul tenant. Et cette pierre, elle est en polarité inversée, elle est placée à l'envers, car toute pierre a une polarité. Dans la montagne où elle a été extraite, elle se trouvait dans une certaine position.
Elle a été extraite de cette montagne, elle a été amenée ici et on l'a placée dans la position inverse de celle qu'elle occupait dans la montagne. Mais comment peut-on le savoir, reconnaître cette position ? Eh bien, on sait le reconnaître à partir du rayonnement magnétique qu'elle exerce. Et ça a été fait. Elle est donc à l'envers.
Et alors, en dessous de cette pierre, pour en accroître l'effet bénéfique mais peut-être aussi maléfique, on a placé du quartz car le quartz est une pierre chargée d'une forte puissance de rayonnement.
Alors pourquoi cette pierre de seuil ? Eh bien, lorsqu'on se trouve sur cette pierre de seuil, n'essayez pas de faire l'expérience, car si vous y restez un petit temps, vous allez sentir un malaise. J'en ai encore fait l'expérience hier.
Donc, si on se met sur la pierre de seuil pendant deux minutes, eh bien, il se produit quelque chose. Mais il faut être sensible à ça. Il y a des personnes qui sont plus sensibles que d'autres. Et c'est parce que vraiment, on est comme soi-même mis sur sa tête avec les pieds en l'air. Cette pierre de seuil va donc nous provoquer à un sentiment de conversion, de retournement.
Il faut donc que ceux qui entrent dans le sanctuaire par cette porte se convertissent. Or la vertu, la dynamique de cette pierre de seuil, c'est de provoquer la conversion sans même qu'on le sache. C'est à dire que on vient du profane, du monde et on se trouve dans le narthex. 0n est déjà placé dans le rayonnement de tous les symboles qui sont là. Puis, quand on traverse cette pierre de seuil, même sans s'y arrêter, qu'on marche dessus, à ce moment-là il se passe quelque chose dans notre physique, dans notre psychique, dans notre spirituel qui nous fait changer, qui nous met dans les dispositions pour recevoir des grâces de renouveau, de renouvellement, de régénération qui nous seront données à l'intérieur du sanctuaire.
Donc voyez ! Et tout çà est presque plus que symbolique car ça se passe dans le domaine physique, psychologique et spirituel, les trois échelons qui constituent l'homme.
Donc, restons-en là pour aujourd'hui. Dimanche prochain, nous entrerons alors dans le sanctuaire et nous regarderons un peu ce qui s'y passe.
Mais j'ajoute encore ceci pour ne pas l'oublier parce que dernièrement j'ai parlé du labyrinthe et j'ai oublié de dire ceci : le labyrinthe, lorsque vous le regardez, il ressemble à un entrelacs d'intestin. C'est vraiment un intestin, ce sont des entrailles.
Il signifie aussi alors symboliquement les entrailles de notre Dieu dont on parle tellement souvent dans l'Ecriture et dans les Psaumes, ses entrailles de miséricorde.
Et au centre de cette entrailles de miséricorde qu'est Dieu, il y a son Royaume, il y a sa Jérusalem bien-aimée, il y a nous qui constituons cette Jérusalem. Donc nous prenons naissance, nous, dans les entrailles de miséricorde de notre Dieu.
Voilà encore un petit trait symbolique de ce labyrinthe !
Ma sœur, mes frères,
Ecoutons ce que nous dit encore le Cardinal Danneels. Vous allez reconnaître un des traits les plus saillant de notre culture contemporaine.
On n'ose plus s'engager à vie. Il n'y a plus que le court terme humain, tant que ça dure.
On n'ose plus, dit le Cardinal. C'est une question ici d'audace. On a peur. Si on a perdu cette audace, c'est que la foi s'est affadie. On confond très facilement la constance et la fidélité. Une constance dans la durée jusqu'à la mort, c'est cela qui effraye.
Mais la constance n'a rien à voir avec la fidélité. La constance définit par rapport à moi. Or comme je suis un être en évolution, donc naturellement changeant, ma constante ne sera pas permanente. Elle va fluctuer avec les fluctuations de mon être. Je ne puis donc pas lui faire confiance. J'ai donc peur de m'engager car je ne peux pas construire ma vie sur moi.
La fidélité est tout le contraire. La fidélité est une relation avec quelqu'un d'autre. Je donne ma foi à quelqu'un. Ce peut être dans le mariage, ce peut être dans une vie consacrée. Mais je compte sur l'autre qui sera fidèle et qui entretiendra ma propre fidélité, qui me permettra donc d'avancer dans la durée.
Et cette fidélité qui est toute imprégnée d'amour mutuel, cette fidélité me permet de vivre au jour le jour sans regarder trop loin dans l'avenir. La fidélité construit la vie. Elle la construira aujourd'hui, elle la construira demain et ainsi de suite jusqu'au terme de ma vie. Mais la fidélité - encore une fois - c'est une fidélité toujours à deux.
Donc, pour pouvoir durer, il faut se recevoir de la fidélité d'un autre. Alors moi-même je serai fidèle. Et cette double fidélité basée, enracinée dans l'amour, cette double fidélité va me permettre de réussir ma vie.
Or, c'est cela qui est perdu. On ne regarde que soi, on veut fonder son avenir sur soi. Or, l'homme se sent naturellement fragile et faible. Il a donc peur de s'engager trop loin et, surtout, il ne veut pas s'engager à vie.
La constance se nourrit d'égoïsme. Comme il dit ici : tant que ça dure, tant que j'y trouve mon profit, tant que ça m'apporte quelque chose, tant que j'y goûte du plaisir.
Mais quand j'en ai fait le tour, épuisé tous les goûts, quand le citron est devenu sec, mais alors c'est fini, cela a fini de durer : eh bien, je change, j'essaye autre chose. C'est comme ça dans l'état de mariage de plus en plus aujourd'hui surtout chez les jeunes naturellement, et puis encore davantage dans la vie consacrée.
Alors, on ne s'engage plus parce qu'on sait bien que ça ne durera pas, c'est trop loin. On a perdu encore une fois ce sens de l'autre qui seul peut construire une vie parce que c'est à l'intérieur d'une fidélité, d'un amour réciproque.
N'oublions pas que le mot hébreux qui signifie fidélité ou vérité est construit à partir racine qui signifie la solidité même. La vérité n'est pas un donné brut. La vérité est un fondement, elle se trouve en dessous. La vérité est en dessous et c'est sur elle qu'on édifie. Elle est le fondement et elle est, en même temps que le fondement, elle est l'architecte. Elle est la solidité. C'est cela la signification du terme hébraïque.
Et nous voyons que dans 1'Apocalypse, il est dit du Christ : Je suis 1'Amen. Et cela veut dire en hébreux : je suis celui sur lequel on peut construire, celui qui soutient tout, celui qui est inébranlable, celui dont la vérité est absolue, dont la fidélité est éternelle. Si donc je construit ma vie sur lui dans une relation d'amour avec lui, alors je ne puis pas avoir peur et j'oserais m'engager.
Alors le Cardinal dit : cette mentalité de ne plus vouloir s'engager à vie, c'est le signe d'un manque de confiance total dans les possibilités de Dieu. C'est certain !
Ma sœur, mes frères,
Nous allons, si vous le voulez bien, poursuivre la visite de notre église, essayer d'en décrypter les symboles et de nous laisser imbiber de son mystère.
Après avoir franchi la pierre de seuil et nous être ainsi engagés sur la route de la conversion, nous nous trouvons en présence d'une procession de colonnes. Ces colonnes nous invitent à une marche en avant, une marche progressive jusqu'à l'accomplissement parfait de notre conversion.
Au départ, nous étions des êtres de chair ; à l'arrivée, nous serons des êtres spirituels. Au départ, nous nous laissons guider par nos instincts et nos passions ; à l'arrivée, nous sommes dans la mouvance de 1'Esprit Saint.
Vous remarquerez que sur le tympan vierge du sanctuaire se trouve gravé la lettre alpha, tandis que sur le dossier de la cathèdre est gravé la lettre omega.
Cela nous dit que nous ne sommes pas chez nous à l'intérieur de ce sanctuaire. Nous sommes dans la demeure de Celui qui est 1'alpha et 1'omega, de celui qui est le commencement et la fin, de celui qui est le créateur, et qui est le divinisateur, à savoir le Seigneur Jésus ressuscité d'entre les morts.
C'est Lui le Verbe de Dieu qui a tout créé, c'est Lui l'Homme-Dieu qui va tout juger. Car la cathèdre que nous apercevons au premier regard en entrant, c'est le siège du jugement. Mais devant lui se trouve l'autel. Celui qui va nous juger, c'est celui qui a donné sa vie pour nous, c'est celui qui est l'amour.
Nous devons donc sans crainte nous avancer vers le trône de la grâce, nous avancer et nous présenter devant lui tels que nous sommes. C'est lui qui va parfaire en nous l’œuvre de conversion et qui va faire de nous des dieux.
Nous ne devons pas avoir peur d'utiliser ce mot car au terme nous serons totalement divinisés, nous partagerons en plénitude la vie divine. Et les énergies divines seront le moteur de tout notre être, de nos pensées, de nos désirs et même de nos instincts.
Car notre corps ressuscité, notre corps spirituel sera aussi habité par des instincts, mais des instincts divins qui nous porterons toujours plus loin à l'intérieur de l'amour et qui feront que tous ensemble nous serons parfaitement accordés à une même et unique louange.
Les colonnes sont reliées entre elles par des cintres. Cela signifie que nous n'avançons pas seul vers la plénitude de notre vocation humaine et divine. Nous y allons en cortège. Nous sommes tous reliés les uns aux autres, nous nous soutenons tous les uns les autres, nous nous portons tous les uns les autres.
Portez les fardeaux les uns des autres, dit 1'Apôtre, et ainsi vous accomplirez la Loi du Christ. Vous serez vraiment des êtres habités par l'amour. Nous sommes donc tous reliés et nous formons un tout. Nous formons un bâtiment, nous formons un Corps. Voilà tout ce qui est évoqué par cet ensemble harmonieux de colonnes et de cintres.
Et chaque colonne a sa dimension, chaque cintre a sa dimension. Ils ne sont pas tous les mêmes, ils sont tous différents comme nous autres nous sommes tous différents. Nous ne devons pas craindre nos différences, nous devons les aimer. Car, ce qui m'est personnel est votre richesse à chacun et ce qui vous est personnel est ma richesse à moi. Nous formons un seul corps et nous sommes les membres les uns des autres.
Encore un petit mot au sujet du labyrinthe. Nous allons le voir de suite en entrant. Et ce labyrinthe, lorsque nous en voyons les circonvolutions, présente l'image d'un intestin. C'est le symbole des entrailles de notre Dieu, Dieu qui est miséricorde.
Or en hébreux, miséricorde signifie bien concrètement une personne qui a des entrailles, une personne qui frémit dans ses entrailles devant la misère de l'autre, qui frémit aussi dans ses entrailles de joie devant le bonheur de l'autre. C'est donc le lieu par excellence de la tendresse, de la douce affection, du don de soi et de l'accueil de l'autre. Et ici, nous avons donc l'image des entrailles de Dieu.
Et tout au centre, il y a notre maison, c'est à dire notre patrie véritable, la Jérusalem nouvelle, qui prend naissance dans les entrailles de Dieu. Le voyant de l'Apocalypse voit la Jérusalem descendre de chez Dieu comme une mariée parée pour ses noces. Et de chez Dieu, c'est en réalité des entrailles de Dieu. Il y a donc là une naissance. Nous prenons corps dans les entrailles amoureuses de notre Dieu. Voilà ce que nous dit encore le labyrinthe !
Je m'excuse de balbutier si faiblement, si maladroitement peut-être les beautés que nous offrent les symboles rassemblés dans notre temple. Mais voilà, vous aurez l'occasion de les découvrir vous-mêmes au cours des jours, des mois et des années à venir.
Mais l'essentiel est de nous laisser imprégner par eux, de nous laisser travailler par eux même à notre insu. Il n'est pas nécessaire d'en avoir conscience étant nous mêmes chacun des êtres construits sur le symbole. N'oublions pas que nous sommes créés à l'image et à la ressemblance de Dieu. Chacun d'entre nous est le symbole de ce qu'est Dieu. Nous allons être accordés à cette maison que nous avons édifiée pour notre Christ, pour notre Dieu, pour la Sainte Trinité.
Mes frères,
Saint Benoît parle de 1'oratio pura, 20,9, de l'oraison, de la prière pure qui ne peut jaillir que de la puritas cordis, que de la pureté du coeur. Eh bien, pour contempler notre église et en pénétrer les secrets, nous devons nous aussi avoir un coeur pur. Tout ce que nous y découvrons peut être et doit être un support pour notre prière.
Nous avons reçu la visite d'Abbés et d'Abbesses, de moines et de moniales qui ont visité cette église. Et ceux qui ont eu la simplicité de parler et de livrer leurs impressions ont dit que vraiment on se sentait pénétré d'une sorte d'influx qui est indéfinissable mais qui se saisit de la personne et qui la place dans des dispositions d'ouverture, d'accueil d'un mystère qui ne peut être que celui de Dieu. Et cela tient en grande partie au symbolisme des différents éléments qui composent notre église.
Je lisais dernièrement, pas plus tard qu'hier, une question au sujet du chant liturgique. Quelqu'un regrettait les chansonnettes romantico-sentimentales qu'on entend un peu partout aujourd'hui au cours des célébrations liturgiques, même dans les monastères. Et la réponse était que le chant liturgique doit construire et structurer la personne. Et on disait qu'il y en avait surtout trois : le chant grégorien, certaines mélodies anciennes slaves et byzantines et des mélodies celtes. Et je pense que c'est vrai.
Et en entendant cela, je me disais par après encore que notre église est construite sur des principes d'asymétrie, de dissymétrie comme nous sommes nous mêmes dissymétriques dans tout notre être. Nous sommes toujours en recherche d'équilibre et d'harmonie. Nous sommes toujours en état de croissance et c'est cela qui est le ressort de le vie.
Eh bien, le chant grégorien est lui aussi dissymétrique même s'il est puissamment rythmé, mais c'est un rythme à lui qui épouse parfaitement notre structure d'homme et aussi l'architecture d'une église telle que la nôtre. Il y a là, vous voyez, toute une unité que nous devons essayer de nourrir et dont nous devons nous pénétrer.
Prenons par exemple le cas des chapiteaux. Ils sont tout un poème. On devrait pouvoir s'arrêter à chacun pour en détailler le secret. Ce sont des chapiteaux dont les motifs datent du tout premier temps de 1'éclosion de l'art roman, donc du X°, XI° siècle. Plus tard, un peu plus tard, un siècle, deux siècles plus tard, on a commencé à y figurer des animaux ou des hommes. C'était très bien, c'est aussi une puissance symbolique extrêmement puissante, mais c'est déjà une évolution.
Ici, c'est quelque chose d'extrêmement simple. Les chapiteaux représentent de façon stylisée des fleurs, des feuilles, des plantes qui ont, je dirais, des vertus purgatives, des vertus de la purification de la personne, non seulement du coeur mai~ aussi de la chair.
Et c'est cela que nous ne devons jamais oublier. Nous devons être purifiés jusque dans notre chair. Cette chair, notre chair charnelle doit devenir un peu comme le miroir de notre chair spirituelle.
Cela ne veut pas dire que nous ne commettrons plus de péchés. Ce n'est pas possible, le péché fait partie de notre état actuel, aussi de notre structure humaine puisque nous sommes des êtres blessés. Mais il y a toujours une possibilité de guérison et cela nous est figuré dans ces chapiteaux.
Toutes ces fleurs et ces plantes ont une signification bien précise et, encore une fois, il faudrait avoir beaucoup de temps devant soi. Il existe des ouvrages spécialisés qui nous en détaillent les vertus.
Il y a aussi d'autres chapiteaux qui figurent 1'enchevêtrement du bien et du mal. C'est lorsque vous voyez ces spirales. Et ça nous montre que dans le concret de notre vie, ce n'est jamais parfaitement bien, ce n'est jamais tout à fait mal. Nous sommes dans un monde extérieur et intérieur qui est un mélange de lumière et de ténèbres.
C'est donc cette lutte apocalyptique - appelons-la ainsi - dont nous sommes les témoins, et les supports, et les acteurs entre la lumière et les ténèbres, entre le bien et le mal. Mais nous savons que la victoire est déjà acquise dans la résurrection du Seigneur Jésus qui a été écrasé par la malice, par le mal, mais qui n'a pas pu être vaincu et qui resurgit vivant alors qu'il avait déjà goûté la mort.
Il y a aussi, vous pouvez le voir, ce qu'on appelle des quartiers de noblesse. Eh bien, cela signifie que servir le Seigneur Jésus, c'est être roi. La vie chrétienne, la vie monastique sont des états de haute noblesse. Pourquoi ? Parce qu'elles sont de nature divine même si elles sont pleinement incarnées.
Les rois de la terre sont néant. Mais celui en qui le Seigneur Jésus, le Roi du cosmos triomphe, celui-là, il est assuré d'exercer une royauté éternelle. Les moines et les moniales sont des princes et des princesses du Royaume de Dieu, les chrétiens et les chrétiennes aussi. C'est cela qui nous est signifié.
Enfin, je dis ça, mais on pourrais les passer chacun en revue et on trouverait ainsi un enseignement, une catéchèse, des homélies muettes mais vraiment expressives.
Maintenant il y a une fleur qui est très belle et qui ne peut pas échapper à notre regard. C'est la rosace du labyrinthe. Voyez-vous çà ! Il y a une rosace, une rosace qui compte six lobes, pas sept mais six parce que à l'endroit du septième, c'est l'entrée dans le coeur du labyrinthe.
Il s'agit là d'une stylisation de la rose mystique, la rosa mystica des litanies, la rose mystique qui est la Vierge Marie. Donc, tout au coeur de la Trinité, de cet abîme de miséricorde qu'est Dieu, il y a la Vierge Marie. Et au coeur de la Vierge Marie qui est Mère de l'église, il y a la Jérusalem nouvelle, il y a le Royaume de Dieu.
C'est donc en traversant tous les mystères de la Trinité qui est amour miséricordieux qu'on arrive, disons, à la perle de ce mystère qu'est la Vierge Mère, la Vierge Marie. Et en elle alors, dans son sein, on découvre la Jérusalem nouvelle, le Corps du Christ ressuscité, le grand Corps mystique dont nous sommes les cellules.
Donc voyez un peu tout ce qu'on peut et qu'on doit découvrir si, comme le dit Saint Benoît à ses disciples, si on a le coeur pur, si on a un regard de lumière qui peut voir ces mystères.
Sinon, ce n'est rien du tout, ce ne sont que des cailloux. Voyez , Donc, prenons bien garde !
Maintenant, si nous voyons l'ensemble de l'église, nous pouvons remarquer qu'il est ainsi un temple adapté à ce que nous sommes à la fois pécheurs et à la fois saints. C'est un vêtement à la mesure de notre corps. Il n'y a pas d'éléments étrangers. C'est quelque chose, je dirais, qui sonne vrai.
Si bien que ce temple et nous, nous sommes un grâce aux symboles qui sont partout présents et au nombre d'or. Nous sommes, nous, je l'ai expliqué autrefois, construits sur le nombre d'or et ce bâtiment est construit sur le nombre d'or. Il y a donc vraiment une synthèse entre lui et nous de manière à constituer une unité. C'est pour ça que, plusieurs me l'ont dit, quand on est là on se sent bien, même comme ça parce que il y a une unité entre 1'édifice et l'édifice que nous mêmes sommes.
Il exprime aussi que nous devons devenir un Corps spirituel que nous pouvons voir là symboliquement exprimé dans la pierre et le bois. Pas dans du platique parce que le plastique est quelque chose qui a été combiné par l'homme ; tandis que la pierre et le bois sont des éléments naturels qui ont été combinés par Dieu. Il y a, voyez, des exigences de vérité qui sont poussées très loin.
Si bien que nous sommes, nous, chacun d'entre nous et nous ensemble, nous sommes le véritable temple de Dieu, le véritable temple de l'Esprit, le véritable Corps du Christ. Et cela nous sera sans cesse rappelé au cours de la dédicace.
Frères et sœurs dans le Christ,
Le Pape Saint Grégoire le grand nous dit que en notre Père Saint Benoît habitait l'esprit de tous les justes. Il signifiait par là que le coeur de notre bienheureux Père était devenu un ciel où résidaient les trois personnes divines et, avec elles, la multitude des saints.
C'est là un prodige d'une beauté sans pareille, c'est là le sommet de toute béatitude en ce monde et en l'autre. Voilà ce qui nous est proposé, voilà ce qui en espérance est déposé entre nos mains.
Notre imagination, notre intellect, notre génie poétique peuvent se donner libre cours, jamais ils ne pourront atteindre ne fut-ce que la ....?.... de ce mystère. Nous devons fermer les yeux, nous devons nous laisser aimer et croire que tout finira par s'accomplir.
Cette église que nous venons de consacrer évoque avec puissance la vocation sublime qui nous est proposée. Nous sommes destinés chacun pour notre part et tous ensemble à être un coeur où habite la plénitude de la divinité. Et là où est Dieu, là se trouve aussi la foule immense des hommes et des femmes devenus depuis la création du monde un seul esprit avec Dieu.
Dieu et les saints nous sont donc plus intimes que le plus intime de nous. Telle est la source du respect sans borne que nous devons professer à l'endroit de nous-mêmes, à l'endroit de tous les hommes.
Oui, frères et sœurs, ne l'oublions pas, nous sommes les réceptacles de Dieu. Et, je le répète, avec Dieu viennent la multitude des saints. Chacun de nous est un temple, chacun de nous est un ciel.
Lorsque nous pouvons réaliser cette merveille, non seulement au plan de l'intellect mais surtout au niveau de la foi, et que nous la faisons passer dans la pratique de notre vie, à ce moment nous réalisons notre destinée de chrétien, notre destinée d'homme.
Si nous pouvions toujours vivre dans cette lumière, il n'y aurait plus entre nous la moindre discorde, la moindre tension, ce serait le règne de la paix. Oui, ce sera l'état de l'humanité, l'état du cosmos à la fin des temps.
Mais, ne l'oublions pas, 1'Eucharistie est la parousie de cette fin des temps. Et si nous y participons de tout notre coeur, à ce moment il se produit quelque chose en nous qui portera du fruit à l'intérieur de notre comportement.
Le ciel n'est pas pour demain. Il est présent en nous et nous en sommes les ...?... Le Seigneur Jésus nous le rappelle expressément aujourd'hui quand il nous parle du monde nouveau et de la vie éternelle. Le monde nouveau, c'est lui et sa lumière ; la vie éternelle, c'est lui et sa résurrection.
Or, puisque nous sommes ici dans un monastère, sachons-le, le moine est un homme qui ne sait pas attendre. Il est l'homme du tout de suite. Et en cela, il est bien moderne. Il creuse comme un chercheur de trésor, ou plutôt, il laisse 1'Esprit Saint creuser en lui des espaces à la mesure sans mesure de l'amour qui est Dieu.
Il quitte tout, il disparaît, il meurt à lui-même et à tout et, au plus secret de sa solitude, il se retrouve unit à Dieu. Il ne peut en aller autrement puisque son coeur devient un paradis où chaque homme, où chaque femme peut y trouver sa place. Il n'y a plus d'espace, il n'y a plus de distance, il n'y a plus de durée pour lui Il est présent. partout à tout et à tous.
La création transfigurée est devenue son bien car déjà pour lui, Dieu s'est fait tout en toute chose. Tel était notre Père Saint Benoît, lui dont le coeur était devenu un ciel ; tels nous pouvons être à notre tour. Il suffit de nous ouvrir à ce cadeau que Dieu a préparé pour nous depuis toujours.
Notre Eucharistie sera donc le chant de notre espérance et, disons-le déjà, de notre triomphe.
Mes frères, ma sœur,
Je vais ce matin débattre devant vous d'une question qui flotte dans mon esprit depuis avant la consécration de notre église et dont quelques-uns d'entre vous m'avaient déjà entretenu.
Et cette question, la voici : la cathèdre qui se trouve derrière l'autel doit-elle être occupée par le Président de l'assemblée ou doit-elle rester vide ?
Il y a deux façons d'envisager ce problème. Je m'en vais vous les présenter l'une après l'autre.
En principe, elle doit rester vide. Pourquoi ? Mais parce que elle est déjà occupée. Elle est occupée par le Christ vainqueur du mal et de la mort, par le Christ qui est le juge de l'univers. Elle est le signe visible d'une présence invisible.
Si elle est occupée par le Christ, même en dehors de la célébration. Personne ne peut y prendre place. Les yeux de la foi y contemplent le Christ dans sa beauté de ressuscité et dans la gloire de sa miséricorde.
Car s'il est un juge, il est un juge compatissant. Il siège devant l'autel de son sacrifice, lui qui a aimé les hommes jusque là, jusqu'au bout.
Seul peut prendre place dans ce siège celui qui est l'icône du Christ, de notre Père, c'est à dire l'évêque dont la mission est d'ordre sacramentel. Il est le successeur des apôtres, il est vraiment parmi nous le Christ en personne, toujours naturellement au regard de la foi.
En dehors de la foi, rien n'existe naturellement ; en dehors de la foi nous sommes plongés dans la chair, dans des raisonnements d'ordre charnel. Et alors, nous sommes perdus.
Donc, le siège ne reste pas vide dans l'attente du Messie comme c'est le cas pour le judaïsme, le Christ y est présent dans l'éclat de sa royauté. Sur le dos du siège est imprimé la lettre omega qui signifie que tout est accompli. Et chaque Eucharistie n'est pas une nouvelle étape sur la route du royaume.
Non, 1'Eucharistie est la parousie de 1'eschaton, elle est la parousie du dernier jour : tout est accompli. Mais ici au plan de notre durée à nous, il y a encore un cheminement à accomplir. Dans la réalité de la foi - encore une fois - tout est accompli, tout est achevé.
Alors, laisser le siège vide de toute présence humaine, c'est proclamer le mystère du salut et de son accomplissement, c'est faire œuvre de vérité et de beauté. Voilà donc une première approche, mais il y en a une autre.
La véritable présence du Christ dans l'église, c'est l'autel consacré et, comme le frère Gilbert nous l'a bien expliqué, l'autel qui est le trône du Christ, l'autel qui est son tombeau, l'autel qui est la table où il se donne en nourriture, l'autel qui est la croix de son sacrifice, l'autel qui est le Christ lui-même.
Il est certain - et nous ne devons pas y revenir - que le Christ occupe aussi symboliquement, mystiquement le siège et que il est rendu visible par l'évêque quand celui-ci est présent. Mais le prêtre, lui, qui préside l'assemblée agit in persona Christi, il agit en lieu et place du Christ.
C'est la personne du Christ qui agit en lui. Il agit in persona Christi à un rang subalterne certes, mais bien réellement en vertu de l'ordination qu'il a reçue, en vertu du sacrement qu'il a reçu lui-même des mains de l'évêque.
Le prêtre a donc le droit d'occuper ce siège qui lui revient en vertu de la mission dont il est investi. Il a le droit de l'occuper de manière à s'acquitter correctement de sa mission de représentant du Christ.
Voilà donc deux visions, deux réalités qui comme vous le voyez ont plusieurs facettes. Les deux optiques se valent. Elles sont en balance. On peut sentimentalement, spirituellement être porté vers une plutôt que vers l'autre. Mais attention ! Si nous célébrons, nous présidons l'assemblée assis sur ce siège, nous ne devons pas en faire du triomphalisme....
Ma sœur, mes frères,
Nous remarquons à ce que nous dit Saint Benoît ce soir que à son époque la vie était beaucoup mieux équilibrée qu'aujourd'hui. Nous sommes les victimes des horloges. Saint Benoît vivait au rythme de la nature. Une fois que le soleil se couche, les animaux se taisent, ils se reposent.
Et c'est pourquoi tout doit être fini, même en carême, les vêpres et le repas, de manière à ce qu'on n'ait pas besoin d'une lanterne. Nous dirions aujourd'hui d'électricité. Cet heureux temps est révolu à jamais et nous devons tous nous adapter.
Est-ce une causes qui dans notre culture rend l'éveil des vocations difficile? Le Cardinal Danneels n'en parle pas mais ce soir, il nous dit ceci qui n'est pas mal intéressant car peut-être nous n'y penserions pas.
Dans notre civilisation, l'augmentation du nombre de célibataires est devenu une réalité de plus en plus importante. Il suffit d'entrer dans un GB, un magasin à rayons multiples, au rayon d'alimentation les produits monos sont en pleine expansion.
Donc, les produits d'alimentation pour célibataires, c'est tout préparé, il n'y a plus rien à faire. Il suffit de le passer au four à micro-ondes. On n'a pas besoin de ménagère, on n'a besoin de personne, on s'arrange tout seul. Les produits monos sont conditionnés pour célibataires.
Tandis qu'au rayon musique, la stéréo compense le mono...
Vous savez, une chaîne stéréo qui vous donne toutes sortes de sons ou de bruits à partir d'angles différents, qui vous donne l'illusion d'être en société. Donc d'un côté on est dans le mono et de l'autre dans le stéréo.
Je disais du bruit pour de la musique, car vous connaissez sans doute la définition que donnait Léopold II qui est le pharaon belge du siècle de la musique. La musique, disait-i1, c'est du bruit qui coûte cher. Cela ne l'empêchait pas d'être un grand roi, mais cela ne veut pas dire qu'il avait raison sur ce point-là.
Donc aujourd'hui, notre civilisation, c'est une civilisation de plus en plus pour célibataire. Quand les grandes chaînes de distribution l'organisent, c'est que vraiment le mal est sérieux car pour eux c'est une source de revenu.
Maintenant un belge sur trois vit seul, titre un magazine...
Cela veut dire que sur les dix millions de belges, il y a trois bons millions qui sont célibataires, qui vivent seuls. Attention ! Là dedans il y a des jeunes. Mais maintenant, une fois qu'on arrive à 18 ans, au revoir la famille. On doit s'installer, on a son appartement, sa voiture. Enfin on a tout, et tout, et tout, et mono et stéréo.
Mais cette solitude se porte mal, elle est souvent la signature d'un échec.
Surtout pour les célibataires qui ne sont plus des moins de 20 ans, ça se porte mal, beaucoup plus mal qu'avant. Avant, il y avait bien des vieilles filles, il y avait bien des vieux garçons ; on se moquait d'eux, je m'en souviens quand j'étais gamin. Mais enfin, c'était une denrée rare. Tandis que aujourd'hui : un sur trois. Donc la signature d'un échec.
Sociologiquement le célibat apparaît comme la face visible de la solitude, du manque, de la blessure, du vide existentiel...
Ce sont des gens frustrés, ce sont des gens blessés, ce sont des gens malheureux, ce sont des gens qui ont déjà raté leur vie et qui la poursuive vaille que vaille, voilà, de produits monos à chaîne stéréo en passant par le travail dans la journée.
Maintenant ceci qui est la pointe du raisonnement que poursuit le Cardinal :
Cela rend plus difficile de percevoir la dimension transcendante du célibat pour le Royaume, du célibat par grâce de Dieu et par amour...
Donc, le célibat est vécu, est perçu comme un échec, comme la preuve, le signe d'un échec. Et on ne voit plus, et on n'est plus - comment dirais-je ? - capable aujourd'hui de percevoir qu'il existe un célibat volontaire pour le Royaume, une dimension qui n'est pas humaine mais qui est transcendante du célibat par grâce de Dieu et par amour.
Le célibat consacré, dans le fond, c'est un célibat d'ordre sociologique. Mais au plan mystique, il est un véritable mariage d'amour avec le Dieu qui se présente à nous dans la personne du Christ, et qui se donne à nous dans toute la richesse de sa Trinité. Mais pour percevoir ça aujourd'hui, c'est très difficile !
Donc, voilà un constat du Cardinal et je pense que nous pouvons y souscrire. Je vais en rester là pour aujourd'hui.
Ma sœur, mes frères,
Le Cardinal Danneels a encore quelque chose à nous dire au sujet des obstacles dressés devant les vocations.
Autre difficulté et non des moindres : l'éclatement du consensus doctrina1, 1'individualisme et le subjectivisme ....?.... la voie en kit, choisissez les pièces au rayon et puis faites-le vous-mêmes, s'inscrivent dans une histoire, oui, pourvu que ce soit la mienne...
Que faut-il entendre par ce consensus doctrinal qui a éclaté ? Les plus jeunes ne l'ont peut-être jamais connu ? Voici 25 ans, tout le monde était d'accord sur les grandes lignes de la foi et même sur les détails. Le catéchisme était enseigné sur les bancs de l'école et on en était littéralement pétri. C'étaient des questions-réponses qu'on connaissait par coeur et, ma foi, ça allait de soi.
Le Corps ecclésial était ressenti comme un organisme vivant dans lequel on avait sa place. C'était sécurisant et ça promouvait la communion et l'entraide, une certaine approche des autres, une certaine mentalité. Et la particule avec - nous nous trouvons en communion - la particule avec avait un sens existentiel vécu.
C'est tout un univers aujourd'hui disparu car maintenant, comme dit le Cardinal, chacun se construit une croyance adaptée à ses besoins personnels. Chacun choisit ce qui lui convient et, ce qui ne lui convient pas, ce qui le gêne, ce qui est sensé ne pas l'épanouir, il le laisse de côté.
Les exemples foisonnent. Il suffit d'entendre certaines confidences des gens qui viennent ici, des connaissances qui parlent un peu comme ça au hasard, parfois ça leur sort tout seul, de la façon dont ils vivent leur religion. Parfois c'est ahurissant, oui !
Les dogmes fondamentaux sont remis en cause ou simplement évacués...
Pour la naissance virginale de Jésus, par exemple, un professeur de séminaire peut dire : vous savez, que Jésus soit le fils charnel de Joseph, pour moi cela n'a pas d'importance. Il ne se rend pas compte que à ce moment-là, il anéantit le dogme de l'incarnation et qu'il est en plein dans 1'arianisme, un arianisme au rabais encore car Arius était plus intelligent que ça. Un professeur de séminaire devant ses élèves, vous voyez !
La résurrection de la chair, on ne se gêne pas dans les revues de la mettre en doute aujourd'hui. Et la présence réelle dans le Saint Sacrement ? Dernièrement on me rapportait qu'un curé, le jour de la fête du Saint Sacrement a dit devant ses paroissiens : vous savez, tout çà, c'est d'hier, c'est pas vrai, il n'y a rien. C'est un simple symbole, il n'y a rien du tout. Cela représente quelque chose comme ça, mais le Christ n'est pas là. Il l'est de façon symbolique.
Donc je veux dire que ce n'est pas seulement le peuple comme on dit, les braves fidèles, mais ça dégringole depuis le sommet. Alors que voulez-vous ?
Alors, on trouve aussi une foule hétéroclite de systèmes religieux sous l'étiquette christianisme. Le Cardinal en a bien conscience. Mais que faire, que faire? Car tout çà, comme il le dit :
c'est le fruit de l'individualisme et du subjectivisme qui caractérisent notre culture.
Mais ce subjectivisme, cet individualisme sont peut-être des réactions instinctives contre la culture de masse, car on a été pendant longtemps soumis à une véritable culture de masse. C'était le fascisme, c'était le nazisme, c'était le communisme.
Voilà, on n'avait pas le droit d'avoir une opinion personnelle. Alors peut-être bien que dans le subconscient de la collectivité éclate avec un peu de retard un subjectivisme, un individualisme vraiment forcené qui alors rejaillit sur le comportement religieux des hommes. Alors comme il le dit ici :
S'inscrire dans une histoire, dans l’Histoire de l'humanité en route vers son épanouissement en Dieu, s'oublier pour adopter un projet petit ou grandiose, c'est extrêmement difficile aujourd'hui.
Ce qui compte aujourd'hui, c'est mon histoire à moi, c'est mon projet à moi sur moi. Les autres peuvent y entrer, mais moi je n'en sortirai pas. Et cela, c'est aujourd'hui. Je ne dis pas que c'est général parce que il y a toujours des exceptions, mais c'est la mentalité courante.
Alors on comprend que Dieu ait difficile d'éveiller des esprits formés dans cette mentalité-là, les éveiller à son projet à lui. Car Dieu est amour et, devant des situations pareilles il est impuissant. Il ne veut pas forcer la liberté, il ne veut pas forcer les consciences. Il propose mais, voilà, il ne peut pas aller plus loin.
Et maintenant : et dans les monastères ? Dans nos monastères, comment cela va-t-il se manifester ? Eh bien entre autre par la fièvre, par la frénésie des dialogues, des affrontements. Chacun a son idée, chacun a son projet et puis, voilà, on ne les met pas en commun, on les oppose. On essaye des points de rencontre et on espère qu'il va en sortir quelque chose.
Ce n'est pas simple parce que l'individualisme et le subjectivisme, dans le fond ont leurs racines dans l'égoïsme de l'homme et dans la peur. Car pour entrer dans une relation de communion, il faut vaincre la peur, il faut accepter l'autre tel qu'il est. Il faut accepter d'être vulnérable devant l'autre, il faut l'accueillir dans nos coeurs et puis, voilà, entrer en relation d'amour avec lui et le suivre.
Cet autre, c'est Dieu d'abord et puis ce sont les hommes que l'on rencontre, avec lesquels ont peut vivre. Et tout cela alors peut, lorsque ça se produit, créer un consensus doctrina1, un sens commun au plan de la doctrine, au plan de l'objectif.
Voilà, c'est ce que nous devons espérer pouvoir toujours réaliser chacun pour notre part en dehors de tout individualisme et aussi tous ensemble.
Mes frères,
Ecoutons ce que le Cardinal nous dit ce matin au sujet des obstacles qui se dressent devant Dieu lorsque celui-ci désire éveiller des vocations dans son église. Il me semble que ça nous touche d'assez près.
Nous avons une très faible perception des gestes sacramentels, on préfère la liturgie de la parole ; ça me dit quelque chose, le reste non. Nous sommes devenus une religion de la parole. C'est d'autant plus grave que nous sommes entourés de religions de guérison. Il y a autour de nous une sorte de ruée vers le geste anthroposophique ou ésotérique de guérison. Puisque on ne perçoit plus la force thérapeutique d'une religion sacramentelle, on se dirige vers des médecines parallèles.
Je pense que nous devons nous poser une question : pourquoi ce phénomène ? Comment cela est-il arrivé ? Il est question des gestes sacramentels. Or, le geste sacramentel doit être posé dans un environnement qui le porte. Il manque peut-être aujourd'hui à ces gestes une ligne de beauté qui les rende attrayants et compréhensifs.
A mon sens, les ministres de l'autel devrait recevoir une formation à la gestualisation sacrée. Le geste est une parole silencieuse pétrie de foi et d'amour. Elle atteint l'être à sa source et elle éveille en lui le besoin d'une réponse. Le geste sacré est créateur d'une communion qui doit souder une assemblée.
Il faut donc que le geste soit vrai, il faut que le geste soit beau, il faut que le geste soit vraiment sacré, c'est à dire qu'il jaillisse comme spontanément des profondeurs de la foi et de l'amour, c'est à dire de l'union à Dieu.
Mais est-ce que ces conditions sont remplies aujourd'hui ? Sinon on comprend qu'on ait une très faible perception des gestes sacramentels, car ils n'apportent rien, ils ne disent rien.
Il faudrait, me semble-t-i1, ranimer le sens du symbole jusqu'à l'intérieur du geste car le symbole travaille sur le subconscient et il le purifie.
Nous sommes donc ailleurs que dans l'intellectuel, que dans le cérébral, que dans le raisonné. Le symbole agit par lui-même un peu comme un davar hébraïque. Il est porteur d'un sens et ce sens est toujours compris par le meilleur de nous. Et il nous est impossible de vivre sainement en dehors d'un monde peuplé de symboles.
Le symbole dans son sens étymologique est le contraire du diabolos, symbolos diabolos. Le symbole rassemble, unit, unifie tandis que le diabolos, le diable, lui, il jette aux quatre vents, il disperse et il détruit.
Nous sommes devenus, dit le Cardinal, une religion de la parole. C'est peut-être là encore le fruit de notre culture contemporaine. On est noyé sous des flots de paroles : la radio sans arrêt, la TV nuit et jour, même dans les rues ! Je me souviens qu'en passant une fois à Rochefort, il y avait des diffuseurs partout qui déversaient des torrents de paroles, de la publicité naturellement, toujours de la publicité.
Et en plus de cela, nous sommes de plus en plus conditionnés par les mots, et les politiciens le savent très bien. On récolte aujourd'hui les bons mots des hommes politiques ; on les épingle ; on se les transmet. Ils deviennent quasiment des sortes de fétiches qu'on arbore. Et ça, c'est la culture d'aujourd'hui !
Et on y découvre un paradoxe : on est dégoûté de tout ça et on ne peut s'en passer. C'est bien là le signe d'une intoxication. Alors, comment voulez-vous, quand on arrive à une célébration liturgique, c'est la parole encore une fois qui va nous saisir et, en même temps, on va trouver que c'est trop long, mais on en a besoin.
Les gens vous diront, ce n'est pas rare : ô, on a été à une célébration ici, on a été à un mariage là-bas, on a été à un enterrement ailleurs, oui, 1'homélie était belle. C'est la seule chose qu'on retient. On devient une religion de la parole. Et le geste sacramentel là dedans ? Mais voilà, il n'y en a plus, ça n'intéresse pas.
Alors, puisque les gestes sacramentels ne sont plus perçus comme tels, comme le dit encore très bien le Cardinal, en compensation on se rue vers les gestes ésotériques de guérison. C'est une vraie ruée, les guérisseurs foisonnent aujourd'hui.
Et ils ont des gestes, des gestes magiques, des gestes d'une certaine ampleur. Et ils exercent une séduction sur les gens qui, dans le fond, en ont besoin. Et ne les trouvant pas dans la liturgie, eh bien, ils vont les chercher ailleurs. Car on en a besoin.
Et ici, le Cardinal est vraiment très très perspicace :
Et ces guérisseurs rencontrent un succès croissant, quand ce ne serait que le geste du pendule...
Vous voyez le pendule qui commence à tournoyer dans tous les sens. C'est vrai, ça exerce une fascination et, à partir de là on fait confiance. 0n est comme ébloui.
Par contre le geste sacramentel, lui, il établit les personnes dans une relation juste avec Dieu et, il apporte la paix, le réconfort et la guérison ; la guérison spirituelle d'abord et par ricochet un bien-être physique.
Mais encore une fois, il faut que ce soit un véritable geste sacramentel, pas une gesticulation quelconque.
et alors si ce geste se perd, on va chercher ailleurs car on ne peut se passer du geste.
Et ici, pour ceux qui en ont le courage, je conseillerais vivement le livre de Marcel Joust, l'Anthropologie du geste. Il a parfaitement analysé le geste dans l'homme depuis le geste le plus simple jusqu'au geste sacré le plus beau.
Eh bien voilà, nous allons essayer, nous, petitement non pas de redécouvrir car nous ne l'avons jamais perdu, mais de poser nos gestes sacramentels avec une conscience plus aiguë, plus éveillée.
Ce n'est pas seulement le geste du prêtre à l'autel, oui c'est certain, mais aussi le geste au cours de l'0ffice : savoir s'incliner convenablement, savoir se tenir convenablement, pouvoir se tourner convenablement.
Il y a là, je pense, toute une gestualisation qui nous unit mystiquement à l'immense gestualisation de Dieu, à toutes ces paroles qui sont des gestes parce que la parole de Dieu n'est pas perceptible à l'oreille corporelle, mais elle est perceptible à l'oreille de notre coeur.
Je rappelle ici, ça me revient à l'instant, que les premiers moines, les tous premiers moines qui pour la plupart étaient des illettrés, ils parvenaient à déchiffrer les logoy des choses. C'est à dire à travers les gestes de la nature, les gestes du vents, les gestes de l'arbre qui se plie sous le vent, les gestes des feuilles qui bougent, d'un oiseau qui vole, d'une plante qui pousse, ils parvenaient à découvrir le message que Dieu leur adressait.
Et comment alors, à Dieu dans cette contemplation première comme ils disaient, ils étaient comme naturellement ouverts à la contemplation seconde, c'est à dire à la vision de la lumière de Dieu qui se révélait à leur coeur.
Eh bien voilà, je vous souhaite cette grâce et, si nous pouvons un jour la partager, je pense que ce sera pour nous un grand merci qui devra jaillir de notre coeur.
Ma sœur, mes frères,
Voici un neuvième obstacle qui, selon le Cardinal, se dresse sur la route des vocations :
Dans notre culture, une vocation religieuse ou sacerdotale ne correspond plus à une promotion sociale ou à un statut privilégié respecté. Cela joue certainement aussi...
Il faut savoir qu'il y a une bonne trentaine d'années peut-être, si pas plus, dans tout village il y avait trois notables : le curé, le maître d'école et le bourgmestre. Ils étaient quasiment sur le même pied que le notaire, le docteur ou le pharmacien du bourg voisin.
La vocation sacerdotale ou religieuse était une promotion sociale évidente. On accédait à un niveau inaccessible au commun des mortels. Et cette promotion rejaillissait sur toute la famille. C'est ça aussi qui était important.
Toute vocation était également considérée comme une bénédiction, un don du ciel qui attirait des grâces spéciales sur la maison.
Il allait de soi que dans toute famille nombreuse - et elles n'étaient pas rares à cette époque - au moins un, si pas plusieurs membre de cette famille entraient en religion. Ici même, il y avait quatre frères - je ne les ai pas connus tous - quatre frères, voilà !
Avoir deux frères dans le même monastère était une chose habituelle et encore avoir une sœur dans une Trappe voisine, ça allait très bien. Tout ça se tenait, ça faisait partie vraiment de la culture de l'époque. Et c'était encore une fois très honorable pour la famille.
Et la collectivité sociale elle-même, le village - prenons un village car une ville ça dilue un peu, et encore car on pourrait dire la paroisse - la collectivité s'honorait du nombre de ses fils et filles donnés à Dieu. Et lorsque l'un d'entre eux était parti au loin, dans une mission par exemple, lorsqu'il revenait en congé, c'était la fête pour tout le village, pour tout le quartier, pour toute la paroisse.
Donc, voyez un peu à quelle hauteur on naviguait à l'époque !
Et aujourd'hui, cette image est totalement effacée. La vocation religieuse - pensons à celle-là puisque nous sommes ici dans un monastère - elle a sombré dans l'indifférence, si elle n'éveille pas la commisération et la pitié.
Si il est entré en religion, c'est parce qu'il ne pouvait pas faire mieux ! Cela devient une sorte de cité refuge, le monastère. Il ne pouvait pas faire mieux, il n'avait pas le courage de mieux faire. C'est même perçu comme une désertion par certaines personnes.
Alors il faut tout de même à partir de là reconnaître que aujourd'hui une vocation se situe davantage dans la perspective évangélique car elle requiert une foi beaucoup plus vivante qu'auparavant, une foi plus profonde, une foi héroïque parfois.
On me disait dernièrement, des personnes qui sont allées en Roumanie et qui viennent de rentrer ; ils étaient dans la ville de Cluj qui se trouve en Transylvanie et qui compte 300.000 habitants. Cette ville est peuplée en grande majorité de hongrois qui sont à couteaux tirés avec les roumains car ils ont été annexés après la guerre de 1914. Et ils ont vécu là-bas pendant des années et des années sous un régime communiste dur. Il n'y avait pas, disons, de persécution ouverte, mais c'était tout de même un régime qui les tenait à l’œil, qui les surveillait.
Par exemple pour des parents, le fait d'envoyer leurs enfants au catéchisme, ça les rendait suspects et presque chaque semaine la police venait enquêter pour voir où étaient les enfants ? ce que faisaient les enfants ? pourquoi les enfants allaient là-bas? Il fallait justifier, donner des explications. Il fallait vraiment témoigner de sa foi.
Or, il y a là des vocations, et des vocations en nombre. Et ce n'était pas un statut social privilégié, c'était vraiment affronté une persécution larvée qui pouvait du jour au lendemain devenir une persécution ouverte. Au lieu d'avoir un statut social supérieur, on était livré à la misère. Il fallait vraiment vivre du travail de ses mains. Il n'y avait aucun privilège.
Donc, c'est extrêmement difficile et, à mon avis, la situation est maintenant bien meilleure qu'auparavant. Je ne veux pas nous comparer à la Roumanie, non, mais disons qu'aujourd'hui quand il y a une vocation dans nos régions, c'est beaucoup plus beau, beaucoup plus vrai, où là, avant, on était comme porté par le milieu et présenté devant l'autel presque sans le savoir.
Maintenant il faut vraiment choisir, il faut poser un choix responsable. Et c'est une des raisons pour lesquelles les vocations de jeunes - comme on dit aujourd'hui - sont remplacées par les vocations dites tardives. La plupart aujourd'hui ont plus de 25 ans, 27, 28, 30, 35 ans quand ils arrivent dans un monastère.
Vous voyez, c'est autre chose. Et à mon avis, c'est beaucoup plus vrai, c'est beaucoup plus beau. Je ne veux pas déprécier ce qui se faisait avant, loin de là, mais disons qu'aujourd'hui c'est une autre qualité.
Alors maintenant voilà, il faut vraiment s'enfoncer dans l'anonymat et s'atteler à un labeur ingrat. Je pense surtout ici aux prêtres dans le monde. C'est vraiment très très très très dur, ceux qui sont dans les villes, et surtout dans les banlieues des villes parce que ces banlieues deviennent des cités dortoirs.
Pendant la journée, ces banlieues sont vides car tout le monde va travailler. 0n travaille au centre-ville puis on rentre le soir. Et le soir, on est fatigué. Et il y a la TV, il y a les devoirs des enfants, beaucoup beaucoup de choses. Et puis le matin, c'est de nouveau la ville et les enfants, ils sont mis quelque part, ils mangent à l'école.
Voyez le prêtre alors, il n'a rien ! S'il veut voir des gens, c'est très difficile. Et le dimanche, on prend la voiture et on s'en va respirer ailleurs. Je cite ces tous petits détails de rien du tout, mais voici un exemple :
La plupart ont connu Monsieur Carlier, l'ingénieur brasseur qui nous a beaucoup aidé pour atteindre et maintenir la qualité de notre bière. Eh bien, Monsieur et Madame Carlier qui étaient des chrétiens pratiquants, vraiment pratiquants, bons chrétiens, ils habitaient à Anderlecht, un quartier de Bruxelles.
Eh bien, quand il est mort et qu'on l'a enterré, il était tout à fait inconnu du curé de la paroisse. Il ne le connaissait pas et pourtant chaque dimanche Carlier et sa femme allaient à la messe, mais une fois ici, une fois là-bas. Voyez ce phénomène !
Alors, voyez un curé en tête d'une telle paroisse ! Il n'a pas de paroisse entre les mains, ça s'évapore. Et pourtant les gens qui sont là peuvent être de forts bons chrétiens dans le genre de Carlier.
Enfin voilà, que voulez-vous, il est vraiment aujourd'hui fatal que les vocations soient plus rares, mais alors elles seront sans doute plus pures. Et voilà, comme le dit le Cardinal ici, le fait que ça ne correspond plus à une promotion sociale est un élément qui n'est peut-être pas déterminant dans le recul des vocations mais qui vient certainement renforcer les autres dont il a déjà parlé.
Mes frères,
Abordons le dixième et dernier obstacle que le Cardinal Danneels découvre sur le chemin des vocations :
Le consumisme contribue à enlever tout sens de l'au-delà du visible. Il nous tient le nez dans notre assiette et nous empêche de voir plus loin.
Le consumisme est un des plus grand maux de notre temps. L'homme n'est plus un enfant de Dieu promis à une destinée de gloire dans la lumière de l'amour. Non, il est de plus en plus et quasi exclusivement un consommateur. Il est devenu une machine à consommer et corrélativement une machine à produire, car le même homme qui consomme produit pour les autres.
Si bien que le monde est un immense marché où on produit et où on consomme. Et les producteurs s'entendent à merveille pour éveiller de nouveaux besoins chez les consommateurs et pour les entretenir. Le rôle de la publicité est pernicieuse à l'extrême car on ne regarde à rien pour exciter les désirs. La publicité devient de plus en plus raffinée.
Voici un exemple que j'ai découvert dans le journal aujourd'hui. On entreprend un peu partout des campagnes contre le tabagisme qui est vraiment dangereux. Si vous vous souvenez, il y avait sur les réclames de cigarettes Marlboro un cow-boy qui était là. Eh bien, ce cow-boy, il est mort d'un cancer et sa veuve milite contre le tabac. Et d'autres aussi, car il y en a au moins trois dans le monde qui sont en train de prendre la tête de ce mouvement.
Pourquoi ? Parce qu'ils en ont terriblement souffert quoiqu'ils aient été, eux, à la pointe de la publicité dans ce sens-là. Mais devenus cancéreux, ils ont vraiment tourné casaque. Eh bien, que se passe-t-il ? Il y a donc une baisse de consommation mondiale. Eh bien, aux Etats Unis, les marchands de cigarettes maintenant s'attaquent par la publicité aux enfants de six ans. Ils perdent la clientèle des adultes et s'attaquent aux enfants. Voilà la publicité !
Je connais un garçon qui était engagé comme directeur commercial dans une grosse affaire de distribution en Belgique. Il a dû faire un stage et suivre un cours de formation pour être vraiment au point. Alors, celui qui enseignait les techniques pour attirer le consommateur et l'obliger presque à acheter, il disait : Ecoutez ! les consommateurs, ce n'est pas difficile, on les conditionne comme on conditionne des rats. Et il expliquait toute la technique. Et le garçon qui était honnête, il est parti vomir aux toilettes et le jour même il donnait sa démission.
Vous voyez un peu, c'est ça !
Eh bien, le consumisme, c'est le mal de notre époque. Et je suis très très content que notre production de bière soit très limitée, vraiment très limitée. Car ainsi nous ne sommes pas portés à pousser à la consommation. Au contraire, on dit : il n'y a plus rien !
Alors, comme le dit le Cardinal, le consumisme nous tient le nez dans notre assiette et nous empêche de voir plus loin.
Et c'est vrai, c'est un véritable emprisonnement dans le matériel, dans le charnel et le sexuel aujourd'hui.
Si bien que le sens de l'invisible est de plus en plus atrophié et fini par mourir.
L'homme étant esclave de ses convoitises, il devient sans pitié. Et nous retrouvons ce que Saint Paul disait aux païens de son temps : qu’ils étaient sans miséricorde. Et nous assistons maintenant à un retour en force de ce paganisme. A l'époque de Saint Paul, les romains ne demandaient que deux choses : du pain et des jeux. Voyez un peu aujourd'hui !
Eh bien, la vie monastique, elle, est en soi un sursaut contre cette dérive mortelle. Elle est tout entière axée sur l'invisible de Dieu et de son Royaume. Elle est oubli de soi et exercice de la charité. Elle est exactement le contraire de la consommation qui est la recherche de soi poussée à l'extrême et, c'est alors finalement 1'écrasement des autres. C'est terrible !
Voilà, c'est arrivé aujourd'hui encore, quand on est attentif aux signes des temps, aux paroles que Dieu nous envoie. Un de nos clients a téléphoné mais, voilà, on est en rupture de stock et on ne sait pas lui fournir de bière. Et lui aussi est en rupture de stock de notre bière. Et alors il s'affole : mais mes clients à moi ? mais ils vont aller chez un tel, ou chez un autre là-bas ? Et on lui dit : rassurez-vous, un tel et un tel, ils sont comme vous. Tout le monde est en rupture de stock. Vous voyez, c'est la lutte !
Alors, mes frères, soyons tout de même attentifs à être des moines authentiques. Et prenons bien garde , car le consumisme peut nous mordre nous aussi à l'intérieur du monastère car on peut consommer n'importe quoi. On peut même consommer du soi-disant spirituel. C'est extrêmement subtil dès que ça s'introduit dans un monastère.
Alors les armes que nous devons utiliser, c'est la pauvreté. Pas d'exigences mais la pauvreté ; le détachement : ça ne nous intéresse pas ; l'oubli de soi, l'obéissance. La seule chose qui compte, le seul bien que nous pouvons consommer dans un monastère, c'est la volonté de Dieu - et ça, on peut en consommer tant qu'on veut, on n'en mourra pas, au contraire - et puis l'ouverture de coeur, et puis la prière.
Voilà, je pense que le Cardinal ici finit très bien. Ce qu'il dit est très juste. Et attention ! Nous sommes de notre époque, nous vivons dans un monde qui nous conditionne jusque à notre insu. Mais soyons sur nos gardes, car si nous nous sommes retirés du monde, c'est justement pour être libres de toutes ces influences dangereuses, pour nous ouvrir totalement à Dieu et le laisser prendre possession de nous. Demandons, si vous le voulez bien, cette grâce les uns pour les autres !
Mais un des remèdes encore, c'est l'écoute. L'écoute, ça veut dire : être à l'écoute de la Parole de Dieu dans la liturgie, dans l'écoute de la parole de l'Abbé parce que quand il parle, il ne parle pas en son nom propre, il parle au nom de Celui dont il est le vicaire.
Dans l'écoute aussi alors des signes des temps, des petites choses qu'on apprend, qu'on remarque et qui doivent nous tenir en éveil, nous donner des petits chocs ainsi - chocs électriques si vous le voulez - qui nous réveillent et qui nous remettent en état d'accueil de ce que Dieu attend de nous.
Ma sœur, mes frères,
Notre dimanche de récollection se passera dans le deuil et l’action de grâce. Notre Roi Baudouin est décédé hier soir vers 21h30. Il a succombé à une crise cardiaque. Vous savez qu’il y a deux ou trois ans, il avait déjà subi une grave opération au coeur. Il en était heureusement bien rétabli. Mais cette fois-ci, la crise a été sans remède.
Nous compatirons à l’immense peine de la Reine car, vous le savez, elle et le roi ne formaient qu’un seul coeur et qu’une âme ; ils avaient, on peut le dire, une seule et unique respiration.
Le Roi était un chrétien comme il en est peu aujourd’hui. Non seulement il participait à l’eucharistie chaque jour, mais encore il faisait chaque jour une heure d’oraison quelque fut les urgences du moment. Et c’est pourquoi sa parole, sa parole publique a toujours été une parole de vie, de réconciliation, de paix, une parole d’espérance aussi.
Et nous porterons aussi dans notre prière, les angoisses et les questions qui doivent se bousculer dans l’esprit de celui qui sera investi maintenant de la fonction royale. Mais je pense que nous devons aussi rendre grâce à Dieu de nous avoir donné pendant plus de quarante ans un tel souverain. On peut dire sans crainte de se tromper et sans préjuger du jugement de l’Eglise que cet homme était un saint. Et c’est la raison pour laquelle nous devons parler de lui, non pas au passé mais au présent.
La presse, tous les médias vont inonder le monde de paroles au sujet de notre roi défunt. On parlera au passé pour rappeler bien des choses. En fait, il faudrait parler du roi au présent car il est entré dans la plénitude de la lumière. Ce Christ qu’il a tant aimé, à présent il le voit dans l’émerveillement d’une surprise qui doit certainement le bouleverser de fond en comble.
Il est aussi maintenant beaucoup plus présent qu’il ne pouvait l’être lorsqu’il vivait dans son corps corruptible. C’est à l’endroit de son épouse, de sa famille, de chacun d’entre nous. C’est une proximité qui est celle même de Dieu car, étant devenu un seul esprit avec Lui, il participe à cette proximité de Dieu qui est pur amour.
C’est la raison pour laquelle nous devons avoir confiance car nous avons certainement maintenant auprès de Dieu un ami ; car vous savez combien il était attaché à notre monastère.
Il avait, et la reine aussi, toujours à l’arrière plan notre communauté en laquelle il voyait un foyer, un foyer de prière mais aussi un foyer d’affection et des personnes qui étaient avec eux dans leur mission extrêmement difficile, qui étaient avec eux dans l’invisible pour les inspirer, pour les soutenir. Et ça, souvent, souvent ils l’ont dit.
Et nous devons aussi savoir que à présent notre roi nous connaît et nous aime comme Dieu lui-même nous connaît et nous aime. Dieu, c’est Dieu naturellement ; le
Christ, oui, c’est Dieu fait homme, Dieu avec nous toujours. Mais notre roi que nous avons si bien connu, maintenant il est aussi Dieu avec nous mais d’une façon très originale.
Voilà, hier il était encore un homme faillible, vulnérable, fragile, pécheur, soumis à toutes les contraintes de la chair et de ses passions mais un homme qui s’efforçait toujours de les maîtriser et le voilà maintenant entré là où nous nous dirigeons, là où nous sommes appelés et là où mystiquement nous sommes déjà.
Car, comme je le rappelais le jour de la fête de Saint Benoît, et comme j’aurais encore sans doute l’occasion de le faire, notre coeur, s’il se laisse purifier par l’Esprit Saint, est le lieu même de Dieu. Il est un ciel, un ciel qui ne cesse de se dilater, qui se dilate à la mesure de l’être divin.
Et c’est à l’intérieur de ce ciel que nous pouvons voir la réalité sur nous-mêmes et sur les autres, que nous pouvons nous nourrir de la et la rayonner sur les autres. O, pas nécessairement par la parole, car notre parole ne serait peut-être pas comprise, mais par une sorte de diffusion invisible qui est certainement la plus efficace de toutes.
Eh bien voilà, notre roi Baudouin, il est maintenant en possession pleine, et entière, et accomplie de cette joie. Et c’est la raison pour laquelle nous rendons grâce avec lui, mais sans jamais oublier de prier pour ceux qui sont encore sur cette terre et qui sont bien naturellement et bien normalement écrasés par la souffrance.
Mes frères,
Le Cardinal nous dit que le consumisme nous tient le nez dans notre assiette, il nous empêche de voir plus loin. Il enlève ainsi de notre coeur tout sens de l’au-delà du visible. Seul a de l’importance ce qui se voit, ce qui se touche, ce qui se sent, ce qui se goûte, ce qui procure du plaisir.
Aujourd’hui, tout est permis à condition de ne pas trop gêner les autres ; il y a de la place pour tout le monde sous le soleil. C’est la toute puissance de la jouissance et du tout de suite. C’est ça satan !
Alors le Cardinal continue :
Tout cela a à voir avec l’anesthésie du sens du péché et de la faiblesse morale. La perte de ce sens du péché enlève la raison d’être du Salut et le besoin de Rédemption.
Si on en croit certains psychologues - donc spécialistes des profondeurs de l’être physique - le péché n’existe pas. Tout vient de la nature et tout retourne à la nature. Les catégories morales deviennent ainsi étrangères à l’homme. Il ne reste plus que des tabous à évacuer. Alors, on est parfaitement libre !
En fait, c’est la griserie d’une fausse liberté car on devient alors le serviteur, pour ne pas dire l’esclave, de toutes sortes de pulsions qui sont là et qu’on ne peut pas évacuer. Mais on dira : d’accord je m’y abandonne, mais c’est ce qui fait l’homme, c’est ce qui le rend libre, c’est ça qui le rend heureux. Voilà ce qu’on dit aujourd’hui !
C’est l’anesthésie du sens du péché et, corrélativement, la faiblesse morale !
Si le sens du péché est perdu, si donc il n’y a plus de péché, il n’y a pas de raison qu’il y ait un Salut. Sauvé de quoi ? Puisque je suis parfaitement libre, je n’ai pas besoin de Salut. Je ne suis pas en situation de perdition. Je m’abandonne à la nature. Je suis la nature et je m’accomplis moi-même à partir de ce que je suis. Je n’ai pas besoin de Rédemption ni de rédempteur, le Salut est dans la libération des tabous.
Naturellement j’analyse les choses à partir de ce que dit le Cardinal, mais les hommes d’aujourd’hui ne pensent pas si loin. Ils se trouvent dans des situations concrètes et ils réagissent spontanément, habituellement spontanément. Mais leur réaction relève alors de cette anesthésie.
Et c’est très très très fréquent aujourd’hui même chez des gens extrêmement bien qui se dévouent. Ils ne savent plus ce que c’est que de commettre une faute morale. Cela devient étranger à la mentalité de l’homme d’aujourd’hui. Alors, pas besoin d’être rédimé, d’être sauvé.
Or, le Salut est le fondement de la réalité chrétienne : Dieu s’est fait homme pour nous sauver. Et pour nous sauver de quoi ? de qui ? Il est venu pour nous sauver justement de tout ce qui surgit de cet ego, de cette part de moi qui ne veut pas de l’autre, qui ne veut exister que pour elle ; il est venu nous sauver de cet égoïsme qui est la source du péché.
Car le péché est essentiellement la rupture d’avec l’autre. Lorsque je m’enferme en moi, lorsque je m’isole, lorsque je me protège des autres qui ne peuvent pas entrer dans mon intimité, à ce moment-là, j’embraye sur le route du péché. C’est ça !
Et le Salut est aussi le propos du moine. C’est quelque chose qui s’est peut-être quelque peu perdu parce que auparavant, c’était assez mal exprimé. On entrait au monastère pour sauver son âme. L’expression n’est pas très heureuse, comme si on possédait une âme qu’il faudrait sauver.
« Je n’ai qu’une âme qu’il faut sauver «. C’était un cantique qu’on entendait dans les villages à l’occasion des missions paroissiales. Et tout le monde le connaissait par coeur parce que, voilà, le fait même du Salut chrétien, c’était ça : sauver son âme. Mais c’est infiniment plus que ça !
Le Salut - je l’ai déjà dit mais on doit toujours le répéter - c’est l’accomplissement de la personne dans le Christ en devenant un seul esprit avec lui. A ce moment-là, les frontières du péché sont de plus en plus écartées jusqu’à ce qu’elles s’évanouissent et qu’elles disparaissent.
Le saint ne commet plus de péché. Il est libre, libéré du péché et pourtant, il va continuer à se reconnaître pécheur, et de plus en plus pécheur. Mais se reconnaître pécheur et commettre le péché, ce sont deux réalités différentes.
J’imagine très bien que la Vierge Marie se reconnaissait pécheur. Pourtant, elle ne commettait absolument aucun péché mais elle savait que c’était par grâce, que c’était un cadeau qui lui était fait de ne pas tomber dans le péché.
Elle savait que foncièrement, du fait qu’elle était une fille d’Adam comme n’importe quel autre être humain, elle était quand même exposée au péché. Mais elle en était tenue hors par pure grâce de Dieu. C’est ça le dogme de l’Immaculée Conception ! C’est une grâce qui est à faire à tous les instants de sa vie. Cela n’a pas été ponctuel au début, mais ça a été toujours.
Eve, prenons le cas d’Eve, la première Eve. Disons qu’elle a été aussi - si nous suivons le récit de la Genèse - qu’elle a été aussi une immaculée conception. D’une certaine manière elle est immaculée, mais cela ne l’a pas tout de même empêché de trébucher dans la désobéissance et le péché. Donc il faut que cette grâce joue, soit active à chaque moment de l’existence.
Eh bien nous, c’est cela, vous voyez, le salut ! C’est d’être, c’est de recevoir une grâce analogue et d’y être fidèle, d’y être attentif. A ce moment-là, on ne vit plus, la source de vie n’est plus en soi, dans cet ego jouisseur, tyrannique et impitoyable. C’est donc un mouvement très beau, exactement le contraire de ce qui se passe aujourd’hui à cause de cette perte du sens du péché qui enlève la raison d’être du Salut.
Voilà, je pense que le Cardinal nous a dit de belles choses. Nous pouvons en faire notre profit et, voilà, espérer que malgré tout il existe encore dans le monde, dans notre monde des personnes qui sont restées pures, et qui ne sont pas contaminées, et qui sont ouvertes alors à la grâce de la vocation si Dieu le veut.
Je connais une personne comme ça toute jeune et c’est absolument extraordinaire de voir cette transparence et cette beauté spirituelle. Mais voilà, à nous de prier pour qu’il en soit ainsi de plus en plus.
Frères et sœurs dans le Christ,
Nous venons d’entendre une femme, une femme anonyme, une femme dont l’identité est connue de Dieu seul, une femme admiratrice de Jésus et de sa mère. Et cette femme a crié son étonnement, sa surprise et sa joie. Et cette femme a englobé dans une même louange et la mère et l’enfant ; elle a parlé de bonheur. Elle sentait certainement vibrer en elle ce bonheur qui devait habiter le coeur. Et Jésus dans sa réponse parle aussi de bonheur.
Mais que faut-il entendre par bonheur ? Est-il possible d’en donner une définition ? Nous savons tous instinctivement en quoi il consiste, mais nous ne pouvons parfaitement le cerner et l’exprimer.
Disons simplement que le bonheur est l’accomplissement de notre être entier au sein de la vie impérissable. Le bonheur, c’est une plénitude de vie en dilatation constante. Saint Benoît parle de la dilatato cordis, Pr.114, du coeur qui se dilate dans une inénarrable dilection d’amour. C’est cela le bonheur, et il ne peut se connaître que par expérience !
Le vrai bonheur, il est tout à la fois rassasiement et appétit, soif et apaisement. Le lieu du bonheur se situe à l’intérieur du coeur. Et de là, il rayonne jusque dans les recoins les plus cachés de l’esprit et du corps.
Et Jésus nous dit que la source de ce bonheur est située à l’extérieur de nous. Elle est toute entière dans la parole de Dieu. Si nous entendons et gardons cette parole, le bonheur est à nous.
Il s’agit donc d’avoir des oreilles pour entendre et des mains pour tenir et garder. Dès les premiers mots de sa Règle, Saint Benoît nous le rappelle : Ecoute ! Et il insiste : Incline donc l’oreille de ton coeur !, Pr.2 . Et Dieu, nous le savons, ne cesse de nous rappelait cette évidence. Il nous demande toujours d’ouvrir nos oreilles.
Eh bien, que se passe-t-il donc quand nous entendons la parole de Dieu, que nous l’acceptons, que nous la gardons ? C’est à dire quand nous la mettons en pratique ? Alors, il se passe ceci : petit à petit, insensiblement, la parole de Dieu nous modèle, nous façonne à son image.
Or la parole de Dieu, c’est la beauté de Dieu dans sa forme la plus pure. L’entendre et la garder, c’est donc être assumé dans la beauté de Dieu ; c’est connaître un bonheur de plus en plus raffiné, délicat, pur, divin ; c’est entrer dans l’irréversible de la vie éternelle.
Nous comprenons que l’Assomption de la Vierge Marie n’a pas été un événement subit, inattendu. Elle s’est déroulée heure par heure, jour après jour, tout au long de sa vie. Elle a été une croissance, une maturation, une ascension jusqu’à un moment final, jusqu’à une extase définitive de l’esprit, de l’âme et du corps. Alors, tout était accompli.
Dieu qui est amour désire nous donner part au même privilège, à la même grâce. Et cette grâce, elle est toute entière enclose dans un seul mot : écouter ; dans une seule réponse : garder, faire, obéir, pratiquer.
Frères et sœurs, puisse Marie et la femme anonyme qui a chanté son admiration, puissent-elles aujourd’hui nous aider à comprendre, nous aider à faire, nous aider à croire et à aimer, nous aider à écouter et à garder.
Mes frères,
L’Assomption de la Vierge Marie évoque avec une puissance souveraine le mystère de notre vocation d’homme. Nous sommes appelés à être emportés vivants, à notre tour et à notre heure, au plus profond, au plus secret de ce que nous appelons le ciel. Le ciel ? Ne rêvons surtout pas à tout ce que pourrait générer notre imagination ; ce que Dieu, en effet, a préparé pour ceux qu’il aime n’est jamais monté dans le coeur de l’homme.
Le ciel, c’est Dieu lui-même dans le secret le plus merveilleux de l’amour qu’il est. Là s’est enfoncée Marie ; là se sont enfoncés les saints ; là nous nous enfonçons jour après jour si nous sommes assez fous pour croire.
Mes frères, ces derniers temps encore je le pensais, ce qui manque le plus, ce qui nous manque le plus dans notre vie contemplative, c’est la foi. Dans le fond, nous ne croyons pas ou, plutôt, nous croyons jusqu’à une certaine frontière. Et au-delà, nous n’allons pas !
Pourquoi ? Parce que nous avons peur de mourir. La peur de la mort nous tenaille, ne l’oublions pas. Et voilà, nous avançons et puis, à un moment donné, nous n’allons pas plus loin. Notre foi s’arrête. Alors, nous nous aménageons une petite vie de ce côté-ci de la frontière.
Et ainsi, oui, Dieu nous aime. Il connaît notre faiblesse, il a dû la partager. Il ne nous en veut pas. Il va tout de même nous orner de sa vie là où nous sommes arrêtés. Mais voilà, les secrets les plus merveilleux - comme je le disais - de l’amour qu’il est vont nous demeurer étranger.
La vie contemplative, elle exige véritablement une sorte de mort. Comme nous le dit Saint Benoît, pour gravir les hauteurs du ciel, il faut descendre dans des abîmes d’humilité. Et c’est cela la mort ! Il faut accepter d’être perdu même dans la réputation des autres. Mais ce n’est pas grave puisqu’on se perd à ses propres yeux. On sait très bien que s’il y a en soi quelque chose de valable, ça a été déposé par un autre qui est Dieu.
Mais si on est abandonné aux forces, à la puissance de sa raison raisonnante, on va certainement commettre des erreurs, s’égarer dans la vie pratique comme dans sa vie personnelle. C’est ainsi ! C’est cela descendre dans les abîmes d’humilité. Mais à ce moment-là, comme Marie, on peut gravir les hauteurs des cieux.
Oui, c’est ce qu’a fait Marie, elle qui est la plus douce, la plus pauvre, la plus cachée de toutes les créatures. Et sa descente a été sans fin, sans mesure, et elle dure encore. Et Marie - si nous nous laissons faire car elle respecte notre liberté - Marie, d’une main maternelle, d’une main ferme, elle nous entraîne avec elle. Et comment ? Eh bien, nous allons essayer de le voir.
Le lieu du ciel, c’est le lieu même de Dieu ; et le lieu de Dieu, c’est le coeur de l’homme. C’est là une évidence qui devrait nous brûler à longueur de journées. Le véritable temple de Dieu n’est pas un édifice de pierre, c’est le coeur de l’homme et c’est notre propre coeur. Mais comment accéder à ce lieu du coeur ? au ciel qui est contenu en lui ?
Tout simplement, en nous évanouissant à tout ce qui peut nous en détourner. Et qu’est-ce qui peut nous en détourner ? Mais c’est notre égoïsme, c’est notre peur - encore une fois - ; ce sont nos convoitises, ce sont nos ambitions, c’est tout ce qui en nous cherche à être aux yeux des autres, à nos propres yeux ; c’est tout ce qui en nous cherche à avoir, à posséder.
Oui, il faut s’évanouir à tout cela; Et il s’opère alors - et ceci, c’est vraiment, je dirais, une des facettes les plus belles de la véritable vie contemplative - il s’opère comme une rétraction des sens de l’extérieur vers l’intérieur : on a renoncé à tout, on est mort à tout. Les sens alors, ils s’exercent parce qu’il faut bien continuer à gérer sa propre vie, à gérer les choses. Nous sommes des êtres qui vivons en société et, c’est à l’intérieur de cette communion, de cette appartenance à un corps que nous pouvons vraiment devenir des personnes.
Oui, mais il y a tout de même une rétraction de l’extériorité disons plutôt vers l’intérieur : les sens se spiritualisent. Ils voient, ils entendent, ils touchent, ils goûtent des réalités nouvelles. Ils s’adaptent à Dieu et à son univers et ils atteignent leur taille d’éternité. C’est une véritable naissance à notre univers réel, c’est une véritable naissance à Dieu. Nous sommes des enfants de Dieu et nous devons naître à notre qualité d’enfant de Dieu.
Eh bien, vous voyez, c’est ça qui s’opère ! Et encore une fois, il faut pratiquer ce que les anciens appelaient la xenitea, devenir étranger mais toujours solidaire, attention ! Car le fait qu’on acquiert une taille nouvelle, une taille spirituelle, cela ne nous coupe pas des autres, ne nous coupe pas de notre environnement.
Cela nous le fait voir dans sa réalité la plus belle, sa réalité qui est au fond, et toujours une ascension. Car Dieu s’empare non seulement de nous, mais de l’univers entier car il veut finalement être tout en toutes choses. C’est à dire - comme j’y faisais allusion hier au cours de l’homélie - il veut être le bonheur de chacune de ses créatures.
Il s’agit donc d’une assomption à notre mesure d’aujourd’hui. L’être entier est transfiguré même si rien n’apparaît au dehors. Comment voulez-vous que les hommes puissent juger puisqu’ils sont aveugles ? Comment peuvent-ils entendre puisqu’ils n’ont pas d’oreilles ? Les sens naturels sont attirés par les choses animales, mais les sens spirituels seuls peuvent juger du spirituel. C’est ce que l’Apôtre disait déjà : Les choses spirituelles aux hommes devenus spirituels.
Alors, l’être baigne dans la lumière de Dieu et dans l’amour. Il connaît une souffrance, c’est de constater qu’il est seul et que les autres ne voient rien, et que les autres n’y croient pas. Je pense que cela a été le cas de Jésus lui-même. Cela a été sa plus grande souffrance, ça j’en suis sûr. Car il s’est, nous le constatons, il s’est parfois énervé de la lourdeur et de l’incrédulité de ses disciples.
Ce fut le cas de Marie qui vivait à l’intérieur de son coeur ; et plus elle était dans le ciel de son coeur, et plus elle était ouverte aux autres. Encore une fois, ce n’est pas un enfermement sur soi, ce n’est pas un esseulement, mais c’est une naissance de manière à être pleinement soi, c’est à dire à être pleinement pour les autres.
Et c’est le cas des saints. Nous en rencontrerons un cette semaine et ce sera Saint Bernard. Certes, il y aurait beaucoup de choses à dire à son sujet, des choses très belles, des choses pas toujours belles. Mais ça n’a pas d’importance, il restait un homme. Car lorsque un être est spiritualisé, il est vraiment homme à tel point que ses défauts deviennent comme le lieu où aussi va se manifester Dieu ; car ils sont la révélation de l’humilité, ils sont la révélation de la vérité.
Alors voilà, mes frères, ce sera notre cas si nous poussons jusque là l’audace de notre foi.
Is. 22,19-23 * Rm. 11,33-36 * Mt. 16,13-2O *
Frères et sœurs dans le Christ,
Le Seigneur Jésus nous a rappelé fort opportunément qu’il existe deux types de regard. Il y a le regard des hommes, comme il dit, le regard des hommes emprisonnés dans le corset étriqué de leurs raisonnements trop sages et trop humains.
Ces hommes ne considèrent que l’apparence. Ils sont incapables de percer le voile, de découvrir l’au-delà, de comprendre l’indicible. Pour ces hommes, Jésus est un simple prophète, un prophète comme les autres, un prophète parmi les autres.
Aujourd’hui, des chrétiens, des hommes et des femmes qui portent l’étiquette de chrétien vont dire : « C’est un fondateur de religion comme les autres, comme Bouddha, comme Moïse, comme Mahomet. Il n’a rien fait de plus « . Mais çà, c’est le regard de certain homme ! Jésus vient de l’évoquer.
Mais il est un autre regard, le regard d’un coeur éclairé par l’Esprit de Dieu. Ce regard traverse le visible pour atteindre l’invisible. Et pour lui, cet invisible est la première réalité, finalement la seule réalité en ce sens que c’est d’elle dont dépend l’univers dans sa totalité.
Pour un tel regard, Jésus est le Messie, Jésus est le Fils de Dieu, Jésus est Dieu dans une chair d’homme ; Jésus est la voie, la vérité et la vie, l’alpha et l’omega, le commencement et la fin de toutes choses ; Jésus est le créateur, le juge et le sauveur du monde.
Ce second regard, est le regard de la foi. Il est - comme on nous l’a dit dernièrement à propos de Saint Bernard - il est une grâce d’étonnement, une grâce d’émerveillement. Il n’est pas seulement adhésion intellectuelle, mais il est don confiant, sans retour, de la personne entière à Dieu reconnu dans le Seigneur Jésus.
Certes, chez un homme habité par un tel regard, il y aura encore, comme chez l’Apôtre Pierre, des lâchetés, des erreurs, des fautes, des péchés. Mais le fond demeure stable. Cet homme peut dire comme l’Apôtre Pierre : Seigneur, tu sais tout, tu sais que je t’aime.
Une telle foi arrache l’homme à l’attraction de la chair. Ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, dira Jésus à Pierre. Cette foi arrache l’homme à l’attraction de la chair et du sang et elle le projette sur l’orbite du divin. Cet homme, alors, commence à connaître le véritable bonheur quoiqu’il arrive.
Il peut être tenaillé, déchiré par des amoncellements de peines et de souffrances, la partie la meilleure de lui n’est jamais atteinte. Là est ancré, là est enraciné pour jamais le véritable bonheur, celui de la vie éternelle ; car cet homme est possédé par Dieu et il possède Dieu. Et il est devenu avec Dieu un seul esprit. Il est hors de portée du jugement des autres hommes. Par contre, lui-même peut juger de tout. Dieu se sert de lui pour lier et pour délier.
Oui, frères et sœurs, comme l’Apôtre Paul vient de nous le chanter les chemins de Dieu sont impénétrables et les décisions de Dieu sont insondables. Nous devons les accueillir et les embrasser telles qu’elles sont sans interférer nos raisonnements trop humains.
Puissions-nous chacun pour notre part recevoir cette grâce d’un regard qui voit l’invisible, cette grâce de la foi véritable, de la remise de soi totale, définitive à la personne du Seigneur Jésus, à Dieu reconnu, vu, contemplé dans la personne du Seigneur.
Et alors, cette foi nous rendra stable comme un piquet qu’on enfonce dans un sol ferme.
Mes frères,
Saint Benoît parle de l’oboedientiae bonum [71,2] le bien de l’obéissance. Et il n’a pas tort car l’obéissance est un trésor sans prix. Elle est tellement précieuse que Dieu l’a voulue pour lui et, il a préféré mourir plutôt que de l’abandonner. Et maintenant, il nous l’a confiée comme son bien le plus cher. Elle est un bien car elle nous introduit dans le bonheur par excellence qui est le partage de la vie divine.
Nous ne pouvons pas imaginer en quoi consiste cette vie divine. Le contemplatif qui a reçu la grâce de la partager est incapable de la décrire. Il peut simplement l’expérimenter et il sait, pour sa part, qu’il n’y a pas de bonheur au-delà de celui-là. C’est le bonheur par excellence qui est tout entier plénitude, paix, liberté. Enfin, je pense qu’il n’y a pas de mots à l’intérieur de notre univers pour exprimer, ne fut-ce que de loin, en quoi consiste le partage de la vie divine.
Alors, pourquoi avons-nous peur d’obéir jusqu’au bout ? Nous voulons bien obéir un peu, même beaucoup, mais obéir jusqu’au bout, jusqu’à l’extrémité ?
Eh bien, c’est parce que l’obéissance nous paraît être une démission de nous-mêmes et un avilissement. Marcher au jugement et à la volonté d’un autre, fut-il Dieu, est vécu comme une privation de liberté et comme le reniement de notre qualité d’homme.
Tout cela se joue dans l’instinct charnel et nous n’en avons pas nécessairement conscience. On peut même dire que nous n’en avons pas conscience du tout. C’est un réflexe qui est lié à notre condition de pécheur.
Que c’est-il passé aux origines de l’humanité ? Nous ne le saurons jamais exactement. L’Ecriture nous présente cela sous la forme mythique d’un refus d’obéissance à une prescription reçue de Dieu. Qu’en a-t-il été ? Nous ne le saurons pas, mais nous pouvons le soupçonner à partir de ce que nous vivons maintenant.
Et c’est - comme je le disais il y a un instant - c’est ce réflexe de peur. Nous avons peur de nous avilir, nous avons peur de perdre ce qui fait notre qualité d’homme, à savoir notre foi libre. Mais non, l’obéissance n’est pas un avilissement. Elle est, bien au contraire, une ennoblissement, elle est l’unique et véritable ennoblissement.
De temps en temps au « Moniteur » paraît une liste de personnes qui ont été ennoblies par le roi. La plupart du temps, ce sont des chefs de grandes entreprises ; ce sont aussi parfois des personnes qui se sont signalées par leur dévouement à une cause humanitaire.
Mais vous vous rendez bien compte que cela, c’est extrêmement artificiel. C’est un titre qu’on reçoit, qui est mérité naturellement - il ne faut pas le nier - mais le véritable ennoblissement, il est à l’intérieur, il est la noblesse du coeur.
Et l’ennoblissement que nous confie Dieu lorsque par obéissance nous partageons sa vie, cet ennoblissement fait de nous des dieux, les régents du monde présent et à venir. Le monde est tout entier dans la main des saints. Et les saints sont la plupart du temps inconnus.
Nous avons eu le privilège d’avoir un roi qui, on le dit maintenant publiquement, qui était un saint. Nous l’avons encore contemplé hier de tout près ; nous l’avons entendu parler et, nous avons bien senti que cet homme n’est pas comme les autres, qu’il dépassait le commun de l’humanité.
Eh bien voilà, c’est cela ! L’action des saints n’est jamais inutile mais elle peut être sans résultat tangible dans l’immédiat ; mais elle n’est jamais sans résultat au plan du Royaume de Dieu. Et cela, nous devons le croire, un jour nous le découvrirons.
Oui, mes frères, épouser la volonté de Dieu, c’est épouser Dieu lui-même et c’est participer à tout ce qu’il est. L’obéissant est inaccessible aux prises du démon, de la chair et du monde. Il peut être attaqué, il peut être blessé, il peut être même tué, il est hors prise. Ce fut le cas du Christ et, il demeure à jamais l’exemplaire par excellence de ce que nous pouvons être.
Rien ne peut toucher, rien ne peut atteindre l’obéissant, rien. Il est libre de la liberté même de Dieu et personne n’a le moindre droit sur lui. L’obéissant vit de la lumière qui est Dieu et l’amour le possède.
En dehors, par contre, de l’obéissance, aucune véritable réussite humaine n’est possible. Cela vaut pour tout homme, mais à fortiori pour ceux qui dans les monastères ont promis solennellement de se consacrer à cet idéal de la rencontre de Dieu par le chemin de l’obéissance, comme nous le dit encore aujourd’hui Saint Benoît.
Maintenant, s’obéir les uns les autres, c’est être à l’écoute les uns des autres, c’est puiser sa propre vie dans le coeur des autres. Imaginez ce que cela peut représenter dans la pratique ! Eh bien, c’est littéralement faire descendre le ciel sur la terre, c’est devenir lumineux les uns pour les autres.
Eh bien, mes frères, c’est dans ce sens que le monastère peut être appelé un paradisus claustralis, un jardin clos, un jardin à l’intérieur duquel est présent de façon tangible le Royaume de Dieu.
C’est un fameux idéal parce que nous sommes des hommes fragiles, faibles, vulnérables, peureux, pécheurs. Et c’est à partir de ce matériau que Dieu veut réaliser ce prodige.
Eh bien, mes frères, c’est par l’obéissance que nous y parvenons. Essayons de le croire et puis d’entrer vigoureusement, avec foi sur ce chemin et, aidons-nous à le parcourir jusqu’au bout.
Mes frères,
Une petite chose a attiré mon attention. Saint Benoît nous dit que nous devons ouvrir nos oreilles à la voix de Dieu et, en réponse alors, nous entendons Dieu ouvrir ses oreilles à notre voix.
Il y a donc là un échange de bons procédés. Et cela se comprend : une communion se crée entre le moine et Dieu. En écoutant Dieu, le moine calque vraiment sa conduite sur celle de Dieu, Dieu qui est toujours à l’écoute de sa créature.
Il y a donc là une recette de vie qui nous est confiée et je pense que nous devons y être attentif. Nous comprenons encore mieux alors que c’est par la voie de l’écoute, autrement dit de l’obéissance, que nous pouvons rencontrer Dieu.
Ma sœur, mes frères,
La solennité de notre Père Saint Bernard encore toute proche et le livre dont nous entendons lecture au réfectoire ont éveillé en moi des pensées que je veux partager avec vous ce jour de récollection.
Il existe en nous, en chaque homme d’ailleurs, une tendance innée à idéaliser les origines. Nous caressons avec volupté le mythe de l’âge d’or, de cette époque merveilleuse où tout était parfait, où les hommes étaient sans défauts, où ils s’aimaient, où régnait pour chacun d’entre eux un bonheur sans faille.
C’est une manière, mes frères, d’atteindre par rêverie interposée ce qui est hors de notre portée ; c’est une manière aussi d’excuser notre paresse à faire face au exigence d’aujourd’hui. Ainsi, nous projetons sur nos Fondateurs et sur Saint Bernard tout ce qui flotte de grand et de beau dans notre coeur et qui nous semble irrémédiablement refusé.
Il est temps, me semble-t-il, de reprendre pied dans le réel et de commencer enfin à vivre le temps d’une véritable conversion. C’est ce que Saint Benoît nous dit encore aujourd’hui. Les jours de cette vie nous sont concédés comme un délai qui nous invite à nous corriger des méfaits que nous commettons encore chaque jour, c’est à dire nos péchés. Pr.89. Et c’est vraiment cela !
Mais remarquons bien que Bernard et les fondateurs de Cîteaux ne valaient pas mieux que nous. Le saint n’est pas un homme tout fait, un homme tout cuit, achevé, accompli. On chantait pourtant cela de Saint Bernard autrefois : « Il était un saint dès le ventre de sa mère « .
Vous voyez ce mythe des origines ! C’est quasi inévitable, mais nous devons naturellement nous protéger contre cette tentation.
Nos fondateurs connaissaient exactement les mêmes difficultés que nous. Ils étaient sujets aux mêmes passions, ils connaissaient les mêmes chutes, ils avaient les mêmes sursauts.
Il y avait pourtant une différence entre eux et nous et, cette différence se situe sur une seule ligne. C’est que ils avaient la foi, c’étaient des hommes de foi. Ils savaient faire confiance, ils savaient se donner et ils prenaient le risque d’oser, le risque de croire.
Ne l’oublions pas ! Dieu ne recherche pas des hommes parfaits, il cherche des hommes qui lui feront confiance quelques soient leurs défauts, quelques soient leurs limites.
Ce livre du réfectoire nous apprend des choses que nous préférerions peut-être ne pas entendre, mais que d’un autre côté nous aimons entendre. C’est que Saint Bernard était déjà, était contesté de son temps. Il était contesté de ses confrères dans l’Abbatiat : il allait trop loin. Non pas dans la vertu, mais il allait trop loin en dehors de la stricte ligne des fondateurs.
Mais enfin, c’était Saint Bernard. Il était possédé par l’Esprit de Dieu et il était investi d’une mission que les autres ne comprenaient pas, qu’ils ne pouvaient comprendre. Lui-même d’ailleurs très probablement n’y comprenait pas grand chose. Mais voilà, il se laissait porter par ce qu’on lui demandait ; et ce qu’on lui demandait venait de haut, de plus haut que lui.
Eh bien, ce n’étaient pas un homme parfait et les autres non plus. Eh voilà, ils sont devenus des saints. Et un saint - je le répète - n’est rien d’autre qu’un homme qui fait confiance à Dieu. Un saint est un homme qui sait par expérience qu’il ne vaut pas grand chose.
Et c’est cela l’humilité ! Et c’est cela alors qui permet à Dieu de laisser tomber sur cet homme toute la pluie de la miséricorde qu’il est et, alors, le transfigurer et en faire un autre lui-même, c’est à dire un homme qui est devenu amour.
Rappelons-nous l’éloge que l’Epître aux Hébreux fait de la foi, de ce don de soi à un autre. Et je pense que c’est le saut que nous avons peur de faire. Mais si nous le faisons, alors nous tombons vraiment de tout notre poids du bon côté, c’est à dire que nous tombons chez Dieu.
Et la vie contemplative dont on va encore beaucoup parler au Chapitre Général, elle n’est rien d’autre dans le fond qu’une vie de relation confiante et amoureuse avec Dieu. La sainteté n’est pas un fruit de prouesses ascétiques, elle est au terme d’un commerce paisible et serein avec Dieu.
Rappelons-nous la définition qu’Evagre le Pontique donnait de l’oraison : ce n’est rien d’autre qu’un commerce constant avec Dieu. C’est vivre avec Dieu comme avec un père, comme avec un ami, comme avec celui qui peut nous combler sans fin.
Il ne va pas faire de nous - encore une fois, des hommes parfaits ? Non, tout cela, ça relève du mythe, ça relève de l’âge d’or. Non, il va faire de nous des saints, c’est à dire des témoins de sa présence dans ce monde.
Et les premiers cisterciens ? Ne les imaginons pas comme des hommes perdus sans arrêts dans les hautes sphères de la contemplation. Non, ils se heurtaient aux mêmes problèmes que nous. Ils étaient encombrés d’une masse de problèmes matériels. Ils avaient des fondations.
Imaginons un peu ce que ça représentait alors comme démarches, comme voyages. Ils avaient commencé par un petit monastère et voilà qu’il arrivait du monde. Il fallait donc construire. Ils ont dû démolir, aller ailleurs des centaines de mètres plus loin et encore une fois construire. Et cela, pratiquement sans arrêt.
Un monastère cistercien des origines, c’était un chantier perpétuel, ne l’oublions pas ! Et ces hommes vivaient là dedans. Et il y en avait qui avaient le soucis d’organiser tout cela. Et ils étaient nombreux. Alors, que voulez-vous, c’est ça la vie !
La sainteté n’est pas étrangère à la vie concrète. Nos fondateurs étaient des hommes qui avaient les pieds par terre. Et ils étaient - encore une fois - noyés dans des flots, dans des centaines de soucis matériels, des soucis d’argent entre autre.
Eh bien, cela ne les a pas empêchés de devenir des saints. Mais pourquoi ? Encore une fois, parce qu’ils avaient donné leur confiance à Dieu. Ils suivaient le Christ là où il les conduisait, et cela suffisait. Le Christ alors les transfigurait insensiblement, peu à peu.
Et aujourd’hui, est-ce que nous ne serions pas mieux lotis qu’eux ? A mon sens, oui, nous disposons de moyens techniques infiniment plus efficaces que les leurs. Nous pouvons donc avoir une meilleure liberté d’esprit.
Oui, nous disposons de meilleurs loisirs pour nous consacrer à la contemplation de Dieu, à l’écoute de sa parole. Si bien que lorsque nous voyons ce que eux ont réalisé et ce qu’ils sont devenus, eh bien, nous nous sentons , mais vraiment, tout petit s à côté d’eux.
Eh bien, mes frères, si eux sont devenus des saints, je ne vois pas pourquoi nous ne pouvons pas le devenir aussi aujourd’hui. C’est cela notre vocation, ne l’oublions pas ! Et encore une fois, ce n’est pas d’ordre mythique, ce n’est pas un retour à l’âge d’or. Non, c’est saisir le réel à bras le corps, c’est se laisser travailler par lui parce que à l’intérieur du réel habite Dieu avec sa volonté, Dieu avec son amour.
Is. 25, 6-9 * Ph. 4, 12-2O * Mt. 22, 1-14 *
Frères et sœurs,
La parabole que le Seigneur Jésus vient de confier à l’attention de notre coeur se termine de façon inquiétante. Il y a là un mystère et nous allons avec une prudence extrême essayer d’en percer le sens afin que notre ligne de conduite en direction du Royaume de Dieu ne heurte pas contre un obstacle imprévu.
Voilà donc un homme qui, pour la seule et unique raison qu’il ne porte pas le vêtement de noce, est jeté dehors dans la nuit. Ses pieds et ses mains sont liés. Il ne lui reste qu’à périr à moins que quelqu’un ne lui porte secours. Qu’est-ce que cela veut dire ? Il y a certainement une réponse à donner.
Nous l’avons entendu : tous les hommes rencontrés au hasard des chemins, tous sans distinction de leur qualité sont introduits dans la salle de noce. Ils n’ont subi aucun examen à l’entrée. Tous, bons et mauvais sont confondus. Cependant, avant de pénétrer dans cette salle, chacun a reçu un vêtement de noce, un vêtement identique qu’il a dû enfiler sur ses habits.
Ce vêtement ne permet pas de reconnaître les riches, les pauvres, les jeunes, les vieux ; tous sont habillés de la même façon. Et ce qu’il y a derrière ce vêtement est le secret du Roi seul. Les meilleurs, les moins bons, les canailles sont tous les mêmes ; impossible de les reconnaître, de les classer, tous sont sur le même pied.
Voyez, frères et sœurs, dans le Royaume de Dieu, il n’y a pas de préséance ; les premiers sont les derniers et les derniers sont les premiers. Les plateaux de la balance sont toujours en équilibre.
Mais quel peut donc bien être ce vêtement de noce qui rend tous les hommes égaux dans le Royaume de Dieu ? Eh bien, ce vêtement, c’est la miséricorde de Dieu, cette miséricorde dont sont revêtus tous les hommes au moment d’entrer chez Dieu. Dieu est amour et il revêt de sa miséricorde tous ses enfants qu’il accueille chez lui. Reconnaissons-le !
Nous l’avons reconnu au seuil de cette Eucharistie ; en avons-nous bien pris conscience ? C’est peut-être le moment maintenant ? Nous sommes tous pétris de péché, les uns plus, les autres moins, mais personne n’y échappe que nous en ayons conscience ou non.
Les pécheurs, eux, ne s’en aperçoivent même pas ; le saint, par contre, en a les yeux brûlés. Mais tous finalement nous nous retrouvons solidaires, tous nous nous voyons dans notre vérité. Aucun d’entre nous ne peut se juger supérieur aux autres. Nous devons tous être contents, être heureux les uns des autres.
La miséricorde de Dieu est la parure de chacun. Lorsque un homme est vêtu de cette miséricorde de Dieu, cette miséricorde qui est pure lumière, qui est pur amour, eh bien, il est devenu beau de la propre beauté de Dieu.
Et lorsque nous regardons les autres, nous devons avoir le regard assez pur pour reconnaître cette miséricorde dont ils sont vêtus. Le Royaume de Dieu n’est pas pour demain. Le Royaume de Dieu est parmi vous, nous a dit le Christ. Il est parmi nous maintenant ; et c’est pourquoi tous, dès maintenant, nous sommes ornés de cette miséricorde de Dieu.
Ainsi, nous pouvons tous nous nourrir de cette parure, être heureux les uns des autres, être fiers les uns des autres. Oui, et le festin auquel nous sommes invités ainsi jour après jour est plantureux ; le prophète nous l’a dit. Et la réalité dépasse encore le rêve.
Vous comprenez, frères et sœurs, nous devons nous laisser aimer ; et nous devons aimer. Seul cet amour gratuit, cet amour qui est de Dieu lui-même, peut nous épanouir, peut nous faire oublier quantité de malheurs qui nous poursuivent peut-être ; et tout au fond de notre coeur, cet amour distille une véritable paix. mais souvent tout se décide dans le regard qui est porté sur nous.
Mais il y a aussi l’homme jeté dehors ? De quoi s’agit-il ? Quel est donc cet homme ? Eh bien, c’est l’homme qui s’est fié à ses propres mérites, c’est l’homme assuré de sa valeur morale personnelle. Il ne doit rien à personne. Il est naturellement beau et se pare de ses bonnes œuvres. Il se rengorge.
C’est le pharisien d’une autre parabole qui se tenait à l’avant dans le temple, juste devant Dieu, et qui disait : « Moi je fais ceci, moi je fais cela ; moi je ne suis pas comme celui-là. Dans le fond, Dieu, tu dois être fier de moi « . Vous comprenez : cet homme n’avait pas besoin dans son esprit du vêtement de noce, ses propres habits lui suffisaient. Il était paré de tout le bien qu’il faisait.
Eh bien, nous sommes là en présence d’un faux saint. C’est le type même de la fausse sainteté. Le saint faux qui n’a besoin de rien ni de personne, il n’a que faire de la miséricorde de Dieu. La miséricorde de Dieu, ce n’est pas pour lui.
Eh bien Dieu, lui, ne l’entend pas ainsi. Il ne permet pas qu’on s’élève au-dessus des autres. Pour lui, c’est intolérable. Et alors un tel homme, cet homme orgueilleux, cet homme plein de lui-même, il est jeté dehors, il est mis à la porte.
Il est réduit à rien. Il est dans l’obscurité jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il ne vaut pas mieux que les autres, qu’il est un misérable comme les autres et qu’il demande à grands cris d’être lui aussi vêtu de miséricorde.
Alors, si vous le voulez bien, posons-nous chacun une dernière question : de quel côté sommes-nous ? Et ici, je pense que chacun doit répondre pour soi.
Amen.
Ma sœur, mes frères,
La fête de la Toussaint nous immerge dans une évidence : notre univers est peuplé de vivants qui sont pure lumière. Je me demande si l’oreille de notre coeur n’entend pas le bruissement des anges et des saints qui habitent notre église ? Lorsque votre coeur sera suffisamment pur, vous entendrez ce frémissement.
Notre église est véritablement un ciel ; nous n’y sommes jamais seuls. Lorsque nous y entrons, nous sommes accueillis par des personnes bien vivantes qui sont pur amour. Notre chair ne les voit pas, ne les entend pas ; mais notre coeur qui est l’âme de notre être nouveau, de notre être en voie de transfiguration, notre coeur peut déjà et les voir et les entendre.
Eh bien, c’est cette réalité que la fête de la Toussaint éveille à la perception de notre foi. Les saints sont groupés autour du Christ. Et à partir de Lui, ils forment un chœur qui est toujours en train de chanter. Et il chante toujours la même chose : il chante la beauté de Dieu, et son amour, et sa tendresse. Et avec eux, nous formons une unique famille. Leur vie bouillonne en nous et nos péchés sont absorbés et anéantis en eux. Ce doit être là la source d’une immense espérance.
Car qui que nous soyons, quoique nous fassions, nous sommes immédiatement pris en charge par ces saints qui habitent avec nous, qui nous aiment et qui instantanément nous rendent semblables à eux. C’est là quelque chose qui se produit instant par instant parce que nous retombons toujours sous le poids de notre misère ; mais eux, chaque fois, ils nous reprennent avec eux dans leur lumière.
Et les yeux de notre coeur doivent s’habituer à les regarder. Nous devons apprendre à communier à leur joie, à nous appuyer sur l’amour qu’ils nous portent et à refléter ce qu’ils sont, car les saints sont les icônes de la tendresse de Dieu.
Et ils le sont à un double titre, dans une double direction. Ils sont icônes de la tendresse de Dieu car ils étaient des hommes comme nous, des hommes faibles, fragiles, vulnérables, bousculés par une foule de complexes inconscients et tombant toujours dans toutes sortes de péchés, des petits et des plus grands.
Ils étaient exactement comme nous, mais ils se sont offerts à la tendresse de Dieu. Et cette tendresse de Dieu les a pénétrés, les a façonnés, les a purifiés, les a transfigurés. Si bien que chacun est une icône unique, spéciale, particulière, extrêmement personnelle de cette tendresse qui est Dieu.
Mais en plus, c’est le second aspect, cette tendresse de Dieu, ils la déversent sur nous car ils sont devenus des réceptacles de cette tendresse. Ils ne peuvent pas la garder pour eux ; elle déborde d’eux et alors elle ruisselle sur nous.
Nous pouvons alors - et nous devons - nous offrir nous-mêmes à cette tendresse de Dieu et devenir à notre tour tendresse de Dieu pour les autres. Et nous devons nous y exercer dès maintenant. Nous ne devons pas avoir peur de laisser la tendresse triompher en nous.
Car la tendresse de Dieu signifie en pratique ceci : chaque homme, chaque homme bien concret - n’en écartons pas, c’est tous - chaque homme bien concret sur cette terre, donc chaque homme avec ses lacunes, avec ses défauts, avec ses limites, avec ses erreurs, avec ses fautes, chaque homme est devenu pour Dieu comme un dieu.
Vous voyez ce que je veux dire ? Dieu a besoin d’avoir un dieu. Eh bien, chaque homme est un dieu pour Dieu. C’est là une vérité bouleversante qui doit éveiller en nous la plus folle des espérances. Dieu sacrifie tout, Dieu se sacrifie lui-même pour l’homme, pour chacun des hommes.
Et l’homme, comme je viens de le dire, l’homme est en quelque sorte pour Dieu plus que lui-même. Il n’y a plus maintenant de frontière entre l’homme et Dieu. C’est là le réalisme le plus beau et le plus cru de l’Incarnation : Dieu s’est fait homme parce que l’homme - tel qu’il est - est un dieu pour Dieu. Il ne peut s’en passer !
Et Dieu se révèle pleinement dans ce qu’il est lorsqu’il est devenu homme et lorsque à partir d’un homme bien concret de maintenant, il façonne un saint.
Et alors nous devons, nous, ici dans le monastère puisque c’est dans un monastère que nous vivons, nous devons nous efforcer d’atteindre nous aussi à ce degré sublime de tendresse. Il faut que chaque frère, chaque sœur, chaque homme soit un dieu pour nous, soit Dieu pour nous.
Je sais qu’il n’est pas facile de vivre toujours dans cette conviction, dans cette foi que chaque homme est Dieu sous nos yeux, est Dieu nous apparaissant ; je sais que ce n’est pas facile parce que nous ne sommes pas encore suffisamment purs. Nous sommes encore trop habités par une foule de peurs ; nous avons besoin de nous protéger, de nous sécuriser.
Et pourtant, pourtant la seule issue, la seule réussite pour nous, c’est ce que les saints nous disent ; la réussite est là : c’est de ne pas avoir peur d’aimer sans calcul, sans mesure et jusqu’au bout.
Si nous avons compris cela et si nous nous engageons, nous comprenons une autre chose, que la Loi, que la Règle n’est pas une fin en soi, qu’elle est au service de l’homme, qu’elle est au service de l’amour et de la tendresse, qu’elle ne peut pas se dresser entre l’homme et nous pour faire obstacle à notre amour ; et que en cas de besoin, comme le Christ l’a fait, il faut pouvoir mettre de côté la Loi pour laisser libre cours à la charité, à l’amour qui est Dieu. La Loi ne doit pas faire de nous des esclaves, elle doit nous conduire à la liberté qui est celle de Dieu.
Eh bien voilà, c’est là me semble-t-il la dimension contemplative de notre vie dans sa beauté totale. Et en cette fête de la Toussaint, je souhaite à chacun d’entre vous et je souhaite à moi-même aussi de pouvoir y accéder sans mesure.
Sg. 6,12-16 * 1Th. 4,13-18 * Mt. 24,42a-44 *
Frères et sœurs dans le Christ,
Que veut nous rappeler le Seigneur Dieu en ce dimanche qui est un des derniers de l’année liturgique ? Il nous parle de la Sagesse ; la Sagesse qui devance nos désirs en se montrant à nous la première ; la Sagesse que nous pouvons trouver assise à notre porte et qui se donne à contempler sans fin. Cette Sagesse, c’est le Seigneur Jésus lui-même dans son indicible beauté ; Lui dont le bonheur est de nous faire partager sa vie, sa vie qui est plénitude d’amour, qui est don de soi sans réserve.
Dieu nous parle aussi de la résurrection, de cette métamorphose de notre être corporel par laquelle nous vainquons pour jamais toute espèce de mort. Et cette transfiguration doit s’opérer dès maintenant. Il nous parle enfin de vigilance, de prudence, d’avance, d’une heure qui approche et au-delà de laquelle il n’y aura plus rien. Au fond, Dieu nous parle aujourd’hui de l’amour qu’il est et qui s’offre à nous dans une gratuité stupéfiante.
Dieu-Amour ne s’impose pas à nous comme un maître, comme un despote, comme un pharaon. Non, il se présente à nous comme un époux qui nous respecte à l’infini et qui désire s’unir à notre intimité la plus secrète pour faire de nous ce qu’il est, pour faire de nous des dieux.
Il attend de nous une réciprocité d’amour qui doit devenir la respiration de notre liberté, l’espace de notre grandeur, le sommet de notre accomplissement le plus complet. Telle est la vocation du chrétien, telle est la vocation, la destinée de tout homme.
Frères et sœurs, nous sommes des privilégiés et le visage de chaque chrétien devrait devenir une icône de l’éternelle Beauté, une épiphanie de l’avenir merveilleux promis à tout homme. O disait Nietzsche, je commencerai à croire lorsque les chrétiens auront un visage un peu moins triste. Prenons garde à cette parole, cette parole d’un prophète qui était païen, mais par qui Dieu nous lançait en plein visage une réalité qui doit nous blesser !
Le Royaume de Dieu, oui, il est à notre porte. Notre résurrection est pour maintenant et la Sagesse nous tend la main. Pourquoi pourrions-nous encore porter sur notre visage les signes d’une tristesse comme si nous étions de ces hommes qui n’ont pas d’espérance et qui s’affligent sans cesse ?
Oui, je sais, il y a des situations accablantes ; il y en a aujourd’hui plus que jamais peut-être ? Mais si nous sommes de vrais chrétiens, la paix et la joie du Christ habitent au fond de notre coeur et cette capacité doit infailliblement transparaître sur notre visage, dans nos yeux, sur notre sourire.
Frères et sœurs, puissions-nous le croire ! Puissions-nous nous oublier enfin et être les uns pour les autres les prémices de la vie éternelle que le Seigneur nous promet, que le Seigneur nous donne déjà et dont il veut inlassablement nous rassasier. Amen.
Mes frères,
En ce dimanche, la mémoire de la Présentation de Marie au temple est occultée par la Solennité du Christ Roi de l’univers. Mais en fait ce n’est là qu’une illusion d’optique que la liturgie a fait sienne. La Mère de Dieu est au coeur de la Royauté universelle du Christ. C’est elle qui la fonde et qui la porte. Si Marie n’était pas la Mère de Dieu, le Christ tout bonnement n’aurait pas existé ; et elle-même ne serait pas la Mère de Dieu si elle n’avait pas d’abord été présentée à Dieu.
Il est certain que Marie, au plein éveil de sa conscience quand elle était encore enfant, a décidé dans son coeur de se consacrer totalement au Dieu de ses pères. C’est là le sens de la fête de la Présentation. Et la forme que prendrait cette consécration importait peu ; il suffisait qu’elle exista pour que Dieu puisse agir au jour qui serait le sien.
La fête de la Présentation n’est donc pas folklorique, quelque chose qui aurait été créé par l’imaginaire populaire. Non, et Marie aurait un jour la joie d’appartenir tellement à Dieu qu’elle en deviendrait la Mère. Et elle aura ainsi fait confiance à Dieu jusqu’au bout.
Et le Christ, son enfant, devait prendre mesure sur elle. Il est dit de lui : « Me voici, ô Dieu, pour faire ta volonté ». Ah, si nous pouvions avoir sans cesse dans notre coeur l’écho de cette parole !
Et le Christ-Jésus n’est pas roi à la manière d’un despote autoritaire et rempli de peurs. Il est le contraire de tout ce que l’inconscient collectif imagine. Un roi, pour nous, c’est un homme qui exerce un pouvoir de domination. Ne regardons pas nos rois constitutionnels, non, mais voyons tous les rois qui nous ont été présentés au cours de nos études. Et instinctivement, c’est ainsi que nous les voyons, qu’ils portent le titre de roi, ou d’empereur, ou de président, ou de n’importe quoi, même de gourou. Prenons bien garde !
L’amour - car le Christ est l’amour - l’amour est ce qu’il y a de plus démuni et de plus pauvre ; on ne le répétera jamais assez. On devrait le répéter tous les jours jusqu’à ce que nous en ayons conscience et que nous finissions par le croire.
Et le Christ, il est roi parce qu’il est l’amour. Et la grandeur, la véritable grandeur, elle n’est pas dans la ligne de la domination, mais elle est dans la ligne de la générosité, du don de soi, du service, de l’oubli de soi, de l’effacement de soi devant les autres.
Et le pouvoir de l’amour, donc le pouvoir du Christ-Roi, il n’est pas dans l’autoritarisme mais il est dans l’immolation. Il l’a dit lui-même « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie ». Est-ce que nous sommes disposés à aller jusque là ?
Je pense que sincèrement nous sommes disposés à aller jusque là. C’est au coeur de notre vocation monastique. Mais voilà, il y a tant d’obstacles ! Et le plus grand obstacle, c’est nous-mêmes toujours, nous-mêmes qui sommes entravés par notre égocentrisme, notre narcissisme, par tout ce qui en nous veut s’affirmer.
Mais voilà, il faut permettre à l’amour de dissoudre peu à peu tous ces obstacles qui dans le fond ne sont que des obstacles de neige. Il faut les laisser se dissoudre jusqu’à ce que nous soyons intérieurement parfaitement libres et que nous puissions aimer. Le Christ est donc le Roi de l’univers parce que finalement tout cède devant la puissance infiniment faible, pure et innocente de l’amour.
Il y a une illustration moderne de cette réalité, c’est la non-violence dont a usé Gandhi en Inde pour ébranler la puissance dominatrice de l’empire britannique et finalement l’anéantir. Cette non-violence, le fait de ne pas répondre au mal par le mal mais de s’effacer devant lui, la puissance de l’amour, cette puissance totalement, absolument innocente, rien ne peut lui résister à la longue. Et c’est dans ce sens-là que le Christ est Roi.
Et nous ne pouvons comprendre cette réalité mystérieuse que si nous en sommes nous-mêmes l’objet. C’est la patience de Dieu à notre endroit, c’est la patience du Christ devant nos reculades, devant nos péchés qui nous permet de saisir intuitivement, expérimentalement ce qu’est la puissance de l’amour. Et c’est la vie contemplative, la vie mystique dans toute sa beauté.
Nous devons absolument arriver à ce niveau. Si nous n’y arrivons pas, si nous n’y arrivions pas, eh bien, ce serait l’échec de notre vie pour maintenant et pour l’éternité. Mais c’est parfois au dernier moment, dans les derniers jours, dans les dernières heures de notre vie que l’amour fini par l’emporter sur nous.
La Présentation de Marie, la Royauté du Christ, notre propre sanctification dans l’amour sont organiquement liés ; cela forme un tout. Donc ne l’oublions jamais et allons de l’avant dans notre vocation en toute sécurité, sans regarder en arrière.
Mes frères,
Nous sommes entrés dans un nouveau cycle liturgique. Essayons d’en prendre conscience et de réaliser que c’est là un appel lancé par notre subconscient - mais qui devrait arriver dans le champ de notre conscience - un appel lancé vers le retour du Christ, vers son avènement dans nos vies.
Je veux dire ceci en parlant d’avènement : que nous puissions, dans la ligne de la dimension contemplative de notre vie, commencer à discerner à travers une sorte d’ombre, comme derrière un voile extrêmement ténu, un voile translucide, que nous puissions discerner la beauté du Christ ressuscité. Car c’est lui qui est venu une première fois ; c’est lui qui viendra une seconde fois.
Le moine est ainsi un veilleur, celui qui sur la tour de garde voit arriver ce Christ qui vivra les vivants et les morts, non pas pour les condamner mais pour les absorber tous indistinctement dans sa propre lumière.
Oui, nous sommes venus ici au monastère, nous avons été appelés au monastère pour chercher son visage et pour finalement contempler sa beauté, la beauté de son être ressuscité. Chaque nouvelle année doit donc être un pas vers cette enfance qui franchit le seuil du Royaume.
Nous ne devons pas avec les années qui passent devenir des êtres blasés à qui on n’a plus rien à apprendre, qui savent tout. Non, mais nous devons devenir plutôt des enfants qui ont tout à apprendre, et qui ont soif de connaître, soif de voir. Il existe une saine curiosité, la curiosité de enfin pouvoir regarder ce qui se passe derrière ce voile des apparences, là où Dieu travaille, là où Dieu réside, notre Dieu qui est amour.
Et il n’y a que les enfants qui peuvent avoir le regard assez pur que pour discerner la vérité, la vérité des choses et des événements. Nous allons donc ainsi vers toujours plus de candeur, d’innocence, de pureté. Ce n’est pas de l’utopie, c’est l’essentiel même de notre vie monastique et même de la vie chrétienne tout court.
Nous devons donc permettre que s’éveille en nous une immense espérance, la certitude que tout nous est donné et que tout nous est possible. Les enfants sont des rêveurs : ils rêvent et ils jouent. Et tout ce dont ils rêvent, pour eux c’est arrivé. Le rêve pour eux est plus réel que ce qu’ils peuvent toucher.
Eh bien, c’est cela l’espérance ! C’est le rêve que Dieu distille dans nos cœurs et qui nous permet de déjà toucher la réalité du Royaume de Dieu. Il nous suffit donc de nous ouvrir à ce qui nous est encore et toujours proposé. Le psaume nous le dit : « Ouvre la bouche et moi je l’emplirai ». Les petits enfants sont des êtres qui ont toujours la bouche ouverte et, on peut la leur remplir sans fin de bonbons, de sucettes, de caramels, de chocolat, de gâteaux, de tout ce qu’on veut.
Eh bien, c’est là quelque chose qui existe aussi au niveau spirituel. Et nous ne devons pas avoir peur d’ouvrir notre bouche. Encore une fois, n’ayons pas peur d’être des enfants ; notre suffisance de grande personne nous a déjà assez joué de tour ainsi.
Et il me revient à l’esprit la figure de deux êtres d’exception quoique tout proche de nous par leur faiblesse et leur intelligence obtuse. Nous nous reconnaissons en eux. C’est d’ailleurs pour ça certainement qu’ils nous ont été présentés.
Le premier, c’est Nicodème auquel a été annoncé le mystère de la nouvelle naissance ; et la seconde figure est celle de la samaritaine à qui il a été donné de le vivre, ce mystère. Dans l’un et l’autre cas, nous pouvons admirer la patience du Christ, la patience de Dieu.
Nous autres, nous sommes peut-être des gens impatients. Nous voudrions bien que ce soit fini tout de suite chez les autres d’abord, surtout, parce que les autres nous gênent par leur comportement parfois bizarre. Et notre impatience, voyez-vous, c’est une forme d’orgueil : nous nous disons alors que, nous autres, nous sommes arrivés, que nous avons tout reçu.
Mais non ! Dieu qui lui a tout, lui qui possède tout, lui qui est vraiment Dieu, eh bien lui, il s’est dépossédé de tout ce qu’il avait, de tout ce qu’il était. Voyez cette kénose dans laquelle il s’est anéanti. Et à ce moment-là, il lui est permis d’être infiniment patient avec ce Nicodème qui est rempli de sa science et avec cette pauvre femme qui, elle, ne connaît absolument rien, mais qui est prête à tout, à tout recevoir.
Et alors nous devons, nous aussi, nous laisser mettre au monde comme la samaritaine et puis oser aborder Jésus avec le sans-gêne de Nicodème. Vous voyez, il y a là ce qui nous fait peut-être le plus défaut. C’est l’audace de la foi, oser , l’audace de la confiance, l’audace de l’amour.
Nous préférons nous tenir à distance - c’est beaucoup plus prudent - à distance de Dieu, à distance du Christ, à distance de tout le monde ; comme ça là au moins nous sommes tranquilles, nous sommes en sécurité. Mais non, nous devons avoir l’audace de l’amour, l’audace de la confiance, l’audace de la foi.
Et à ce moment-là, nous appelons en nous l’amour, cet agapè qui bouscule les tabous, et puis qui brise les barrières, qui ose tout croire et tout espérer. Et encore une fois, ce n’est possible, çà, ce n’est possible qu’aux petits enfants qui n’ont pas encore de complexes. Ils osent tout.
Eh bien, mes frères, si vous le voulez bien, nous demanderons cette grâce les uns pour les autres durant cet Avent qui commence. Et alors pour bien commencer et pour montrer notre résolution d’épouser cette nouveauté qui nous est offerte, à partir d’aujourd’hui nous allons reprendre la célébration du salut.
Mes frères,
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C’est aujourd’hui le dimanche de notre récollection mensuelle. Nous pouvons porter un regard sur le mois de décembre qui s’étale devant nous dans toute sa longueur et dans toute sa beauté. Et nous voyons qu’il est le portail de nombreux et grands mystères : l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, puis Noël, et un grand nombre de saints.
Tout cela nous introduit dans l’univers qui est fondamentalement essentiellement le nôtre. Car si nous avons été créés, c’est parce que nous sommes destinés à devenir chacun des étincelles d’amour à l’intérieur du Royaume de lumière qui est le coeur même de la Trinité.
Et ce mystère, nous ne pouvons pas le contempler de l’extérieur car il est constitutif de notre personnalité ; si bien que nous-mêmes sommes mystère. Et c’est une des raisons pour lesquelles nous devons nous respecter les uns les autres.
Dire du mal d’un autre, c’est souiller ce mystère et c’est se blesser soi-même. Attention à ce comportement auto-suicidaire qui nous habite et auquel nous succombons si facilement.
Notre destinée, c’est le partage total, sans réserve de la vie divine. Et ainsi, jour après jour, nous naissons à notre être de Dieu, et c’est le cadeau le plus merveilleux qui soit. Et notre unique souci devrait être de l’accueillir sans fin, sans mesure, avec une reconnaissance infinie.
L’obéissance n’est rien d’autre que l’accueil du don de la divinisation, n’est rien d’autre que cela. Si bien que la qualité du moine se mesure à la qualité de son accueil, de son ouverture, de son écoute, donc de son obéissance.
Mes frères, écrasons nos peurs et soyons donc enfin des écoutants, de véritables obéissants. Nous n’obéissons jamais à un homme, nous obéissons toujours à Dieu. Et chaque fois que nous obéissons, nous nous ouvrons à ce torrent de vie divine qui veut nous métamorphoser, nous transfigurer.
Et alors, si nous vivons toujours dans cette disposition, nous échapperons au règne des instincts individuels et collectifs. Si bien que la vie communautaire ne sera jamais réduite à un caporalisme avilissant, mais elle sera la marche enthousiasmante d’hommes mus par le même Esprit, la marche vers ce Royaume qui est Dieu lui-même, ne l’oublions pas ! Si nous voulons en rester exclus, eh bien, faisons du surplace ou bien tournons le dos.
Nous vivons dans un monde hypertechnicisé mais totalement déboussolé. Nous ne le savons que trop. Et il faut rendre à ce monde sa direction. Et c’est là notre rôle de contemplatif.
Nous nous en acquitterons - écoutez bien ceci ! - nous nous en acquitterons en créant au-dedans de nous un espace où le Christ est le roi ; un espace où Dieu est tout ; un espace aux dimensions illimitées car ce sont les propres dimensions de Dieu ; un espace où l’humanité entière pourra trouver le lieu d’une respiration, le lieu d’une métamorphose. Plus notre vie sera sainte, silencieuse, ignorée, plus elle parlera avec éclat.
On a prononcé à mes oreilles cette parole - je ne vais pas citer de nom - cette parole qui est d’une justesse parfaite. Et c’est celle-ci : « Le silence, c’est l’ultime parole de la beauté ». Et c’est une personne de notre Ordre qui me l’a dite. Et c’est exactement, exactement la définition de notre vie contemplative.
Il aurait fallu pouvoir la prononcer au Chapitre Général, mais voilà, je me demande alors si elle aurait été entendue. Elle se serait sans doute dissoute dans le fracas, dans le vacarme de ces réunions beaucoup trop grandes, beaucoup trop vastes.
On ne peut se sentir vraiment libre qu’en face d’un être qui porte en lui un espace où une présence infinie se respire. Et une telle merveille ne s’opère que dans le silence d’un regard habité par la lumière. Voilà notre vie !
Et si nous la vivons tout simplement, comme un enfant spontané qui vit, qui ne se pose aucune questions, si nous la vivons non pas comme des grandes personnes remplies d’elles-mêmes, autosuffisantes, mais comme des petits enfants qui reçoivent tout minute par minute et qui le restitue par la candeur de leur vie, à ce moment-là nous réaliserons notre destinée de moine et notre destinée d’homme.
Marie dans son Immaculée conception est pour jamais l’insurpassable révélation de cette beauté. Est-ce que oui ou non, nous croyons qu’elle est notre mère ? Si elle est notre mère, elle nous enfante à la ressemblance de ce qu’elle est. Eh bien, laissons-nous enfanter ! Le petit enfant dans le sein de sa mère, il n’a aucun soucis, il se laisse enfanter. Il se laisse faire, il ne fait aucun obstacle. Non !
Eh bien, faisons de même et - encore une fois - laissons tomber notre suffisance d’adulte pour être en toute vérité de petits enfants qui viennent au monde dans le sein de Marie et qui doivent être lumière comme elle. Et bientôt, la solennité de Noël viendra nous dire que nous sommes invités tous et chacun à partager cette joie.
Alors mes frères, si vous le voulez bien, laissons-nous pénétrer et transformer par cette vision de beauté et qu’elle soit en nous le ressort d’une grande espérance.
2S. 7, 1-5.8b-11.16 * Rm. 16, 25-27 * Lc. 1, 26-38 *
Frères et sœurs dans le Christ,
L’Apôtre Paul vient de faire allusion à un mystère qui, dit-il, est révélé maintenant. Ce mystère projette sa lumière sur la nuit des temps passés, sur la nuit des temps à venir. Grâce à lui, tout s’éclaire et se comprend. Les paroles les plus obscures des prophètes deviennent claires, évidentes. Et ce mystère est une personne vivante, ce mystère est la personne du Seigneur Jésus le Christ.
Jésus est un homme comme tous les hommes, un homme soumis aux mêmes contraintes, aux mêmes devoirs, aux mêmes besoins ; un homme entouré de faiblesse, fragile, vulnérable comme chacun d’entre nous.
Mais Jésus est aussi plus qu’un homme. Jésus est né d’une femme non pas sous l’action d’un homme, mais sous l’action de l’Esprit Saint. Jésus est un homme qui est Dieu et devant qui on s’interroge.
Que de questions ne va-t-on pas lui poser plus tard lorsque il va apparaître devant la face de ses concitoyens ? Il va provoquer l’étonnement, la surprise, l’indignation parfois ; toujours les questions vont se poser devant lui.
Certains intuitivement, par l’intime de leur coeur, connaîtront la réponse, une réponse informulée, informulable. Mais ils sauront que Jésus est plus qu’un homme, que Jésus est le fils de Dieu, que Jésus est Dieu lui-même né d’une chair d’homme. Pouvons-nous imaginer une chose pareille ? Et pourtant c’est bien ainsi !
Et maintenant, pouvons-nous encore le voir, pouvons-nous le rencontrer ? Mais bien certainement. Il nous suffit d’ouvrir les yeux et, à ce moment-là, nous le voyons. Car le mystère qu’il est nous révèle qui nous sommes, nous. Nous sommes infiniment plus qu’un amas de cellules ; nous sommes infiniment plus qu’une âme qui serait emprisonnée dans un corps. Nous sommes nous-mêmes un mystère, un mystère né de l’amour.
La divinité ..... ..... ..... est la promesse de notre propre divinisation. Et nous vivons déjà cette divinisation en Jésus dont nous sommes les membres. Et c’est là que nous pouvons encore le reconnaître. Nous devons demander cette grâce de voir son visage, son reflet briller sur la face de nos frères, de nos sœurs. Nous devons demander la faveur de recevoir un coeur tellement pur que nous voyons la flamme de la divinité danser dans le corps de chacun de ceux que nous rencontrons.
Oui, ne l’oublions pas, l’accord donné par Marie à l’ange a sonné l’instant de notre naissance à notre état d’enfant de Dieu. Mystérieusement mais réellement a pris corps dans le sein de Marie, à ce moment-là, le germe de notre corps spirituel.
Nous avons un corps physique, un corps charnel que tout le monde peut voir, que tout le monde peut mesurer, un corps qui se laisse manipuler. Nous le voyons
lorsque nous devons subir une intervention chirurgicale. Ce corps est une machine extrêmement belle que l’on peut régler, qui peut se dérégler, un corps que nous devons soigner, que nous devons respecter, que nous devons aimer en nous et chez les autres.
Mais il est encore plus. Nous avons à l’intérieur de ce corps qui est comme une enveloppe, nous avons un corps spirituel. Et ce corps spirituel est déjà en train de ressusciter maintenant, parce que justement il a été engendré dans le sein de Marie lorsque l’Esprit Saint l’a prise sous son ombre et a façonné dans ce corps vierge, a façonné à son origine le corps de Jésus et notre corps spirituel qui est une cellule de ce corps de Dieu.
Nous avons donc l’âge du Christ et, avec lui et en lui, nous sommes déjà en possession de la vie impérissable. Là est notre grande espérance. Cela, nous ne devons jamais l’oublier.
Mais il nous rets maintenant à monnayer cette vie et nous le faisons en aimant. Nous le faisons en aimant gratuitement, purement, chastement, en aimant toujours et partout en toutes circonstances, sans faire d’exclusives, sans laisser quelqu’un de côté, sans attendre que l’autre soit meilleur ou soit peut-être digne d’être aimé.
Non, nous l’aimons à l’avance parce qu’il est déjà un dieu en devenir et parce qu’il a le même âge que nous. Nous sommes nés tous ensemble au même moment dans le sein de Marie.
C’est ainsi que chaque chrétien doit être une théophanie de la gratuité, une théophanie de l’amour qui n’a d’autre raison d’être que lui. J’aime pour aimer, tout simplement. C’est ce que le monde attend de nous.
Nous savons qu’une inquiétude est en train de se répandre dans le monde d’aujourd’hui : on ne sait pas ce qui peut arriver ! Eh bien, qu’à l’endroit où chacun de nous vit, dans nos communautés, dans nos familles, au lieu de notre travail, il y ait de l’amour.
Et tout pourra passer à travers notre regard parce que ce sera d’abord dans notre coeur, et puis dans notre pensée et dans notre jugement. Oui, nous devons toujours avoir l’a priori de l’amour envers chacun. Et à ce moment-là, à cet endroit-là, au lieu de voir l’inquiétude commencer à naître, se développera l’espérance.
Voilà ce que le monde attend de nous et nous ne lui refuserons pas cette grâce et cette chance.
Frères et sœurs,
Le grand message de Noël, celui qui nous comble de joie et nous rassasie de paix, le voici : il n’y a plus de barrière entre Dieu et nous. Dieu a pris tout de nous et il nous donne tout de lui. Nous avons maintenant accès à son coeur, c’est à dire à l’endroit le plus caché de son mystère, là où il naît - si je puis dire ainsi - sans cesse dans son être de Dieu. Nous devenons amour en lui et lui devient amour en nous.
Et puis surtout, nous apprenons que Dieu est un enfant? En naissant de Marie, il nous révèle le secret le plus bouleversant de son être. Lui le tout puissant, lui l’inaccessible, il est en réalité un enfant. Sa majesté est celle de sa petitesse ; sa puissance est celle de sa fragilité, de sa faiblesse, de son insignifiance.
L’Apôtre Paul nous le dira à son tout : « Ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que l’homme ; ce qui est folie de Dieu est plus sage que l’homme ». Ce n’est pas seulement à Bethléem que Dieu est dénuement suprême, il l’est en lui-même et c’est là le plus déroutant de son mystère.
Vous voyez, frères et sœurs, la beauté célébrée cette nuit jette par terre et anéanti toutes les idoles, toutes les représentations imaginaires et même intellectuelles que nous avons de Dieu. Nous devons absolument opérer un retour sur nous-mêmes, opérer une conversion, voir Dieu à partir de l’endroit où il est, à partir de son coeur comme je le disais tout à l’heure. A ce moment-là, nous percevons qu’il est ce que l’Apôtre dit : faiblesse, pauvreté, dénuement. Et il l’est bien réellement.
L’Apôtre Jean le dit en une formule d’une concision lapidaire. Il dit : « Dieu est amour ». C’est justement parce que Dieu est amour qu’il est pauvreté absolue, exposé sans défense aucune et qu’il ne peut rien contre nous. L’amour n’est pas tonitruant ; l’amour ne s’impose pas ; l’amour est offrande, et silence, et attente ; mais finalement il est toujours vainqueur. Les hommes ont essayé de le détruire en le clouant sur une croix, mais en vain. La résurrection est le triomphe total et définitif de l’amour.
Voyez encore ce qui vient d’être dit : « un petit enfant couché dans une mangeoire ». Tel est le signe donné aux hommes : un enfant dans une mangeoire, un enfant destiné à être mangé, à être dévoré par la malice des homme. Et je ne pense pas que les hommes ont changé depuis lors ?
Les hommes ne peuvent pas supporter que Dieu s’approche d’eux. Les hommes ont peur d’être aimés, les hommes ont peur de la gratuité car ils subodorent, ils flairent toujours une intention perverse derrière. Tel est le péché dans lequel nous sommes enfoncés et qui crée en nous un tel aveuglement.
Et si nous voulons nous rétablir dans la vérité, si nous voulons y demeurer, regardons notre Dieu qui est un enfant. C’est cela son secret : il l’est toujours. Et il le dira plus tard : « Si vous ne devenez pas comme de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume de Dieu ». C’est définitif ! On n’y entre pas si on ne devient pas comme lui un petit enfant sans malice, sans prétention, un enfant qui sait accueillir parce qu’il croit qu’il est aimé.
Et nous alors ? Eh bien, si nous sommes de vrais chrétiens, nous devons - comme je viens de le dire - redevenir enfant à la manière de Dieu. Nous devons déposer nos complexes de grandes personnes calculatrices. Nous devons prendre le risque d’aimer gratuitement, de nous aimer d’abord nous-mêmes tels que nous sommes et puis d’aimer chacun de ceux qui se présentent à nous, de l’aimer tel qu’il est car c’est tel qu’il est que Dieu l’aime.
Nous devons prendre le risque de nous perdre dans l’amour, de disparaître en lui. Il n’est pas de plus grand amour, nous dira le Christ, que de donner sa vie pour les autres, les autres qu’on aime. Et si nous nous engageons sur cette route de l’enfance et de l’amour, ce n’est plus nous qui vivons, c’est Dieu qui vivra en nous, c’est Dieu qui déploiera toute l’amplitude de son mystère. Et ce sera le triomphe de Noël et le monde en sera transfiguré.
Frères et sœurs, voici ce que nous pouvons retenir de cette célébration nocturne : que Dieu est amour, que Dieu est un enfant, que nous devons nous-mêmes redevenir des enfants pour lui ressembler, pour savoir aimer, aimer nos proches, aimer nos compagnons de travail, nous aimer dans les familles, dans les communautés, nous aimer nous-mêmes.
Et ainsi rayonnera à partir de chaque chrétien, à partir de chaque ilot que constitue une petite communauté chrétienne comme la famille, à partir de là quelque chose aura changé dans le monde. Voilà le programme qui nous est proposé. Si vous le voulez, avec confiance nous le ferons nôtre.
Frères et sœurs,
Après avoir entendu Jésus leur parler pendant deux jours, les Samaritains s’écriaient : « Vraiment celui-ci est le Sauveur du monde ! » Mais quoi, le monde aurait-il besoin d’être sauvé ? Le monde n’est-il pas parfaitement, mathématiquement régulé ? Rien ne lui manque et rien ne peut modifier sa marche.
C’est sans doute vrai du monde physique, mais il y a l’homme, l’homme qui est la conscience éveillée de ce monde, l’homme qui est le monde devenu conscient de lui-même. Et l’homme est-il parfait, accompli, achevé ? Nous savons ce qu’il en est pour chacun d’entre nous.
L’homme en se pervertissant a perverti l’univers entier. L’homme devait ouvrir les yeux sur l’étonnante beauté du monde, sur la suressentielle beauté du créateur. Alors tout eut été dans l’ordre, tout eut grandi vers une plénitude, celle même de Dieu devenant tout en toute chose.
Mais l’homme a détourné son regard vers sa propre personne dont il a fait une idole. Il n’a plus jugé que par le pouvoir, la puissance, l’autorité, la réussite, le savoir, la richesse, les affaires, le plaisir. Voilà ce qui occupe la conscience et l’imagination de la quasi totalité des hommes d’aujourd’hui.
Et l’image de Dieu qui était l’homme est devenue un loup pour les autres. Nous pouvons aujourd’hui comptabiliser les résultats qui nous emplissent d’effroi et de honte.
Il fallait qu’il parut un homme qui redresserait ce monde déboussolé, qui reprendrait le plan de Dieu et le conduirait cette fois à son terme. Cet homme, c’est Jésus de Nazareth, reconnu, applaudi par les Samaritains.
Les siens ne l’ont pas reçu. Ils avaient été préparés à cet accueil pendant des centaines d’années et, lorsqu’il s’est présenté, ils ne l’ont pas reçu. Par contre des étrangers, dès qu’ils l’ont accueilli chez eux, ils l’ont reconnu et ils se sont donnés à lui. Est-ce que ce n’est pas encore trop souvent ce qui se passe aujourd’hui ? Et pourquoi, pourquoi donc ?
Ce Jésus, l’évangéliste vient de nous le dire, au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu. Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. Dieu s’est fait l’un de nous pour que nous puissions devenir participant à part entière de ce que lui est, pour que nous devenions enfants de la Trinité qui est amour.
Et l’Apôtre, nous venons de l’entendre encore, a renchérit : « Dieu nous a parlé par un fils, un fils par qui il a créé les mondes ». Les mondes au pluriel ? Pas seulement le nôtre, mais tous les mondes, le monde angélique par exemple qu’il a créé. Ce Fils est lumière éclatante de la gloire du Père. Il porte tout par sa parole puissante. Et après avoir accompli la purification des péchés, il s’est assis à la droite de la majesté divine au plus haut des cieux. Tel est ce Jésus de Nazareth !
Oui, Dieu s’est fait homme pour aller chercher l’homme là où il s’était établi. Mais l’homme reste toujours l’homme et il n’accepterait pas encore une fois. Il allait se débattre, il allait refuser, il allait prendre des pierres et il finirait par tuer celui qui venait lui donner la vie. Mais l’amour qui est Dieu, l’amour qu’est Jésus est demeuré invaincu. Finalement le monde sera récapitulé dans l’amour et transfiguré en lumière.
Telle est, frères et sœurs, la Bonne Nouvelle que le prophète voyait déjà courir sur les montagnes. A nous chrétiens de l’accueillir et de la laisser transformer nos vies. Tournons-nous donc résolument vers la gratuité, vers l’altruisme, vers la charité et laissons enfin le Christ Jésus triompher en nous et conduire ainsi le monde plus près de son salut.
Oui, nous sommes chrétiens et c’est cela notre vocation première. Il faudrait que chaque cellule chrétienne constituée de quelques personnes, à commencer par la famille, il faudrait que chaque cellule chrétienne soit comme une étincelle de l’amour, de cet amour qui est Trinité, de cet amour qui est Dieu, de cet amour qui est le Seigneur Jésus. A ce moment-là, inévitablement quelque chose changera ; le mal est contagieux, mais l’amour est plus contagieux encore.
C’est la raison pour laquelle en cette fête de Noël nous allons prendre la résolution d’être de véritables chrétiens, de meilleurs chrétiens afin que par nous Dieu soit connu, Dieu soit aimé et que le projet de Dieu soit conduit plus près de son accomplissement.
Amen.
Chapitre du jour de l’an. 01.01.93.----------------------------------------------- 1
Présentation des vœux.------------------------------------------------------------------------- 1
Homélie : Sainte Marie, Mère de Dieu. 01.01.93*--------------------------------------- 3
Chapitre : Récollection de Janvier. 01.02.93.-------------------------------------- 4
Devenir une épiphanie de Dieu !-------------------------------------------------------------- 4
Règle : Chapitre 2. 10.01.93.------------------------------------------------------ 7
L’Abbé est la tête du Corps !------------------------------------------------------------------ 7
Chapitre : Fête de Saint Aelred. 12.01.93.-------------------------------------------- 9
L’amitié spirituelle.------------------------------------------------------------------------------ 9
Règle : Chapitre 3, 1-15. 16.01.93.--------------------------------------------------- 11
La sainte indifférence.------------------------------------------------------------------------ 11
Chapitre : Fête de Saint Antoine. 17.01.93.----------------------------------------- 13
Nous sommes les héritiers d’Antoine.--------------------------------------------------- 13
Règle : Chapitre 4, 51-77. 20.01.93.-------------------------------------------------- 16
La mort………-------------------------------------------------------------------------------------- 16
Règle : Chapitre 4, 78-fin. 21.01.93.------------------------------------------------- 18
Le sommet de l’humilité !--------------------------------------------------------------------- 18
Règle : Chapitre 5, 1-28. 22.01.93.--------------------------------------------------- 19
Gradiendi amor !--------------------------------------------------------------------------------- 19
Règle : Chapitre 5, 29-fin. 23.01.93.------------------------------------------------- 21
Etre toujours avec Dieu !-------------------------------------------------------------------- 21
Règle : Chapitre 5. 24.01.93.----------------------------------------------------- 23
Apophtegme sur l’obéissance.-------------------------------------------------------------- 23
Homélie : Fête de la Présentation du Sg. 02.02.93.---------------------------------- 26
Tout nous vient par Marie !------------------------------------------------------------------ 26
Chapitre : Récollection de février. 06.02.93.----------------------------------- 27
La dimension contemplative de notre vie.-------------------------------------------- 27
Homélie : Mercredi des Cendres. 24.02.93.----------------------------------------- 30
Portrait de deux moines !-------------------------------------------------------------------- 30
Chapitre : Mercredi des Cendres. 24.02.93*---------------------------------------- 31
Le jeûne ?--------------------------------------------------------------------------------------------- 31
Règle : Chapitre 20. 25.02.93.---------------------------------------------------- 33
Prière et psalmodie.----------------------------------------------------------------------------- 33
Chapitre : Le carême. 27.02.93.-------------------------------------------------- 35
Vivre mieux !--------------------------------------------------------------------------------------- 35
Règle : Chapitre 24. 01.03.93.---------------------------------------------------- 37
Appréciation de la faute !-------------------------------------------------------------------- 37
Règle : Chapitre 25. 02.03.93.---------------------------------------------------- 39
Notre foi aujourd’hui !------------------------------------------------------------------------ 39
Règle : Chapitre 26. 03.03.93.---------------------------------------------------- 40
Qui a l’initiative ?-------------------------------------------------------------------------------- 40
Chapitre : 04.03.93.----------------------------------------------------------- 41
Devotio puritatis. (1) -------------------------------------------------------------------------- 41
Chapitre : 05.03.93.----------------------------------------------------------- 42
Devotio puritatis.(2) ---------------------------------------------------------------------------- 42
Chapitre : Fête de Saint Joseph. 18.03.93.------------------------------------------- 45
Marie épouse de Joseph.------------------------------------------------------------------------ 45
Règle : Chapitre 41. 20.03.93.---------------------------------------------------- 47
L’Abbé est la providence des frères.---------------------------------------------------- 47
Chapitre : 20.03.93.----------------------------------------------------------- 48
Conclusions après la retraite annuelle.--------------------------------------------- 48
Chapitre : 21.03.93.----------------------------------------------------------- 50
L’idée de la mort.-------------------------------------------------------------------------------- 50
Chapitre : 27.03.93.----------------------------------------------------------- 53
La vertu de l’oubli !---------------------------------------------------------------------------- 53
Chapitre : 28.03.93.----------------------------------------------------------- 55
La vie contemplative et nous ?------------------------------------------------------------ 55
Chapitre : 29.03.93.------------------------------------------------------------ 59
Un radicalisme absolu.----------------------------------------------------------------------- 59
SEMAINE SAINTE 1993 : du 03.04 au 11.04.----------------------------------------------------- 60
Chapitre : Samedi avant les Rameaux. 03.04.93.------------------------------------ 60
Récollection du mois d’avril.-------------------------------------------------------------- 60
Homélie : Dimanche des rameaux. 04.04.93.---------------------------------------- 63
Le paradoxe du Dieu Amour !---------------------------------------------------------------- 63
Chapitre : Lundi-Saint. 05.04.93.------------------------------------------------- 65
Marie de Béthanie.------------------------------------------------------------------------------- 65
Chapitre : Mardi-Saint. 06.04.93.------------------------------------------------- 69
Jésus fut troublé dans son esprit.------------------------------------------------------- 69
Chapitre : Mercredi-Saint. 07.04.93.--------------------------------------------- 73
La norme ultime de l’amour.--------------------------------------------------------------- 73
Homélie : Jeudi-Saint. 08.04.93.--------------------------------------------------- 76
Dieu est à nous !----------------------------------------------------------------------------------- 76
Vendredi-Saint : 09.04.93.------------------------------------------------------- 78
1. Homélie : Sens des dernières paroles.------------------------------------------------ 78
2. Exhortation du soir : Le sabbat de Dieu.-------------------------------------------- 80
Homélies de Pâques : 11.04.93.-------------------------------------------------- 83
1. Nuit Pascale : La victoire sur le mal.------------------------------------------------ 83
2. Homélie de Pâques : Témoins de la résurrection !------------------------------ 84
Chapitre : 18.04.93.----------------------------------------------------------- 86
La création nouvelle !------------------------------------------------------------------------ 86
Chapitre : 25.04.93.----------------------------------------------------------- 88
Le désir de Dieu.----------------------------------------------------------------------------------- 88
Règle : Chapitre 68. 26.04.93.---------------------------------------------------- 90
La responsabilité de l’Abbé.----------------------------------------------------------------- 90
Chapitre : Récollection du mois de mai. 01.05.93.--------------------------------- 92
La qualité de notre regard !--------------------------------------------------------------- 92
Chapitre : 02.05.93.----------------------------------------------------------- 94
Le travail.------------------------------------------------------------------------------------------ 94
Règle : Prologue 106-fin. 08.05.93.----------------------------------------------- 97
Dilatato corde.----------------------------------------------------------------------------------- 97
Règle : Chapitre 2, 29-43. 12.05.93.-------------------------------------------------- 99
Qu’aurions-nous fait ?------------------------------------------------------------------------- 99
Règle : Chapitre 2, 92-fin. 15.05.93.-------------------------------------------------- 101
La foi de l’Abbé et des frères !------------------------------------------------------------ 101
Chapitre : Fête de Saint Pacôme. 16.05.93.---------------------------------------- 103
Saint Pacôme, un modèle pour l’Abbé.------------------------------------------------- 103
Chapitre : Ascension du Seigneur. 18.05.93.-------------------------------------- 105
Nous accrocher au Christ !---------------------------------------------------------------- 105
Chapitre : 19.05.93.---------------------------------------------------------- 107
Le mystère de l’Ascension.----------------------------------------------------------------- 107
Règle : Chapitre 4, 78-fin. 22.05.93.------------------------------------------------ 109
Pas de nanisme spirituel !------------------------------------------------------------------- 109
Chapitre : Symbolisme de l’église. 23.05.93.------------------------------------- 111
1. Le labyrinthe.--------------------------------------------------------------------------------- 111
Chapitre : Lettre du Cardinal Danneels. 27.05.93.------------------------------- 113
Dix obstacles à la vocation. 1.----------------------------------------------------------- 113
Homélie : Vigile de la Pentecôte. 29.05.93.-------------------------------------- 115
Eucharistie vespérale.----------------------------------------------------------------------- 115
Chapitre : 30.05.93.---------------------------------------------------------- 117
L’événement de la Pentecôte.------------------------------------------------------------ 117
Chapitre : Fête de la Visitation. 31.05.93.--------------------------------------- 119
La rencontre du frère.---------------------------------------------------------------------- 119
Chapitre : Lettre du Cardinal Danneels. 01.06.93.------------------------------- 121
Dix obstacles à la vocation. 2.----------------------------------------------------------- 121
Règle : Chapitre 7, 93-118. 02.06.93.------------------------------------------------- 123
Avec des tribulations !---------------------------------------------------------------------- 123
Chapitre : Récollection du mois de Juin. 05.06.93.-------------------------------- 124
Le passage de la mort à la vie.----------------------------------------------------------- 124
Chapitre : 06.06.93.---------------------------------------------------------- 127
Notre-Dame de Saint Remy. 1.-------------------------------------------------------------- 127
Chapitre : 07.06.93.---------------------------------------------------------- 131
Notre-Dame de Saint Remy. 2.-------------------------------------------------------------- 131
Chapitre : Lettre du Cardinal Danneels. 08.06.93.------------------------------- 136
Dix obstacles à la vocation. 3.----------------------------------------------------------- 136
Chapitre : 12.06.93.---------------------------------------------------------- 138
Notre-Dame de Saint Remy. 3.-------------------------------------------------------------- 138
Chapitre : Symbolisme de l’église. 13.06.93.------------------------------------- 140
2. Le narthex.------------------------------------------------------------------------------------- 140
Chapitre : Lettre du Cardinal Danneels. 14.06.93.------------------------------- 143
Dix obstacles à la vocation. 4.----------------------------------------------------------- 143
Chapitre : Symbolisme de l’église. 13.06.93.------------------------------------- 145
3. Les colonnes, les cintres et le labyrinthe.-------------------------------------- 145
Chapitre : Symbolisme de l’église. 27.06.93.------------------------------------- 147
4. Les chapiteaux, la rosace du labyrinthe.---------------------------------------- 147
Homélie : Fête de Saint Benoît. 11.07.93.------------------------------------------ 150
Le moine ne sait pas attendre !----------------------------------------------------------- 150
Chapitre : Symbolisme de l’église. 12.07.93.------------------------------------- 152
5. La cathèdre.----------------------------------------------------------------------------------- 152
Chapitre : Lettre du Cardinal Danneels. 20.07.93.------------------------------- 154
Dix obstacles à la vocation. 5.----------------------------------------------------------- 154
Chapitre : Lettre du Cardinal Danneels. 24.07.93.------------------------------- 156
Dix obstacles à la vocation. 6.----------------------------------------------------------- 156
Chapitre : Lettre du Cardinal Danneels. 25.07.93.------------------------------- 158
Dix obstacles à la vocation. 7.----------------------------------------------------------- 158
Chapitre : Lettre du Cardinal Danneels. 26.07.93.------------------------------- 161
Dix obstacles à la vocation. 8.----------------------------------------------------------- 161
Chapitre : Lettre du Cardinal Danneels. 28.07.93.------------------------------- 164
Dix obstacles à la vocation. 9.----------------------------------------------------------- 164
Chapitre : Récollection du mois d’août. 01.08.93.------------------------------ 167
Mort du roi Baudouin.------------------------------------------------------------------------ 167
Chapitre : Lettre du Cardinal Danneels. 02.08.93.------------------------------- 169
Dix obstacles à la vocation. (fin)------------------------------------------------------- 169
Homélie : Vigile de l’Assomption. 14.08.93.------------------------------------- 172
Le vrai bonheur !------------------------------------------------------------------------------- 172
Chapitre : Fête de l’Assomption. 15.08.93.--------------------------------------- 174
Notre vocation d’homme !----------------------------------------------------------------- 174
Homélie : 21°dimanche * Année A. 22.08.93.----------------------------------------- 177
Le regard de la foi.---------------------------------------------------------------------------- 177
Règle : Chapitre 71. 29.08.93.--------------------------------------------------- 179
Obéir jusqu’au bout !------------------------------------------------------------------------- 179
Règle : Prologue 34-47. 03.09.93.------------------------------------------------ 181
La voie de l’écoute.---------------------------------------------------------------------------- 181
Chapitre : Récollection de septembre. 05.09.93.-------------------------------- 182
Le mythe de l’âge d’or.---------------------------------------------------------------------- 182
Homélie : 28°dimanche * Année A. 11.10.93.----------------------------------------- 185
Le vêtement de noce.-------------------------------------------------------------------------- 185
Chapitre : Fête de la Toussaint. 01.11.93.---------------------------------------- 187
Les saints, icônes de la tendresse de Dieu.------------------------------------------ 187
Homélie : 32°dimanche * Année A. 07.11.93.----------------------------------------- 189
La joie d’être sauvé !-------------------------------------------------------------------------- 189
Chapitre : Le Christ-Roi de l’univers. 22.11.93.----------------------------------- 190
Marie au cœur de la royauté du Christ.--------------------------------------------- 190
Chapitre : Premier dimanche de l’Avent. 28.11.93.-------------------------------- 192
Un appel lancé vers le retour du Christ.-------------------------------------------- 192
Chapitre : Récollection de décembre. 05.12.93.--------------------------------- 194
Accueillir le don de la divinisation !------------------------------------------------- 194
Homélie : 4°dimanche de l’Avent * B. 19.12.93.------------------------------------- 196
Etre une théophanie de l’amour !------------------------------------------------------- 196
Homélie : Nuit de Noël. 25.12.93.------------------------------------------------ 198
Dieu est un enfant !---------------------------------------------------------------------------- 198
Homélie : Jour de Noël. 25.12.93*---------------------------------------------- 200
Les siens ne l’ont pas reçu !---------------------------------------------------------------- 200
TABLE DES MATIERES POUR 1993.-------------------------------------------------------------- 202