Mes frères,
Ne convient-il pas, que toute année nouvelle s'ouvre sous les auspices d'une femme, sous le patronage d'une mère. Et quelle femme, et quelle mère ? Aucune n'a été, ne sera plus proche de nous.
C'est par elle que nous sommes et c'est en elle que nous vivons. Elle est l'origine de notre être le plus intime et le plus secret, elle est à la source de tout ce qui existe.
Marie méditait tous les événements dans son coeur. Elle était la plus humble, la plus effacée, la plus silencieuse des femmes. Elle n'entendait pas, elle ne voyait pas, elle ne réagissait pas comme les autres. Elle était pourtant toujours souriante, accueillante, prévenante.
Mais voilà, il se passait en elle des choses étranges. Il se préparait quelque chose et elle ne pouvait savoir quoi jusqu'au jour où tout soudain s'est illuminé dans la clarté d'un visage venu d'ailleurs. Il lui apprit qu'elle serait mère, comme cela, sans l'intervention d'un homme, sous l'action directe et unique de Dieu.
Et elle méditait dans son coeur. Elle ne cessait de tourner, de retourner ce qui se passait et peu à peu la lumière se faisait en elle. Cela prit des années. Un jour, elle découvrit que son Jésus était plus qu'un homme, fut-il le Messie. Elle compris qu'il était le fils de Dieu, qu'il était Dieu et qu'elle était, elle Marie, la mère de Dieu. Et elle en devint infiniment plus humble, plus silencieuse.
Puis, elle saisit que sa maternité s'étendait mystérieusement. à la race entière des hommes. Elle s'aperçut qu'elle ne cessait d'enfanter, qu'elle était grosse de l'humanité dans son ensemble et que sa délivrance finale serait pour l'heure de la résurrection générale. Plus loin encore, elle vit que mère du Créateur et du Sauveur, elle était la mère du cosmos dans sa totalité, que c'est par elle et elle seule que Dieu serait un jour tout en toutes choses.
Mes frères, cette destinée unique, prodigieuse, cette maternité universelle s'ajoutant à sa maternité divine et la couronnant, nous remplit de fierté et de joie car c'est la destinée de notre mère, de Marie la toute pure, la toute sainte, la toute humble.
Avec elle, mes frères, nous sommes déjà à l'intérieur de la création nouvelle. Laissons-là donc nous enfanter jusqu'au bout.
Amen.
Mes frères,
Le mois de janvier est une période propice à une reprise en main, à une revitalisation de nos énergies spirituelles. En effet, il demeure illuminé par la férie de Noël et nous y rencontrons des saints qui sont notre honneur et qui font notre joie, des saints dont la présence au milieu de nous alimente notre confiance et garantit notre sécurité.
Il y a Saint Antoine, le premier de tous les moines, l'initiateur de la vie monastique, celui qui le tout premier a osé s'enfoncer dans la solitude pour y livrer un combat mortel contre le démon et pour se laisser entièrement transfigurer par le Christ. Nous savons, Saint Athanase nous le dit, qu'au terme de cette lutte et après qu'il se fut totalement abandonné au Christ qui l'appelait, il avait pour ses contemporains le visage d'un ange.
Il y a aussi Saint Remy, le Patron, le Protecteur de notre monastère et de ce lieu. Il y a enfin l'Apôtre Paul, le converti, celui qui de persécuteur est devenu un fou du Christ. Et lorsqu'il nous parle, il sait qu'il peut en toute vérité nous dire que devenir avec le Christ un seul esprit est le sommet de toute vie humaine ici-bas et pour l'éternité.
Mes frères, Janvier est un cadeau que Dieu nous donne. Nous y retrouvons la pureté de notre vie chrétienne et monastique et nous pouvons y goûter l'espérance de la vie éternelle, de la propre vie de Dieu.
Alors, qu'est-ce que Dieu attend de nous à la faveur des grâces qu'il nous réserve dans le courant du mois de Janvier ? Il attend de nous une simple permission, une sorte de laissez-passer, de laissez faire. Car Dieu est Dieu et non pas homme même s'il s'est fait homme.
Dieu n'exige jamais rien. Dieu nous propose, Dieu nous demande. Dieu nous prie, Dieu se met à nos pieds. En devenant homme, Dieu n'a pas adopté la suffisance, l'arrogance, la brutalité des hommes. Il est tout simplement resté Dieu avec sa douceur, avec son humilité, avec l'infini respect qu'il témoigne toujours à sa créature.
Eh bien, ce Dieu, qui est assez déroutant pour nous, aimerait beaucoup, aimerait infiniment, aimerait de toute la ferveur de son cœur de Dieu que nous lui permettions une chose, que nous lui permettions de se manifester en nous.
Son Incarnation, son Epiphanie, il voudrait les poursuivre, les achever en nous. Mais voilà, il est Dieu et ne s'impose pas. Il ne veut rien entreprendre, même pour notre bonheur, sans notre accord.
Mes frères, devenir la lumière qu'il est, devenir l'amour qu'il est, ne serait-ce pas merveilleux ? Ce serait passer de l'autre côté du voile, ce serait traverser la mort et ce serait évacuer pour jamais toute espèce de peur. Alors pourquoi ne pas dire oui tout de suite et nous laisser envahir par la lumière et par l'amour, par Dieu lui-même ?
Nous ne disons pas oui tout de suite et nous hésitons, pourquoi ? Mais parce que notre instinct égoïste nous dit que devenir amour, c'est renoncer à tout pouvoir, à l'exercice de tout pouvoir. Or le pouvoir, le prestige, le paraître nous tiennent aux entrailles.
Nous nous imaginons que la liberté consiste à tout pouvoir faire sans contrôle, sans contrainte et nous ne parvenons pas à croire qu'elle consiste à être capable de tout accueillir. Un homme est un homme qui est débarrassé de soi. Il peut en toute vérité ne plus rien avoir. Il ne se possède donc même plus lui-même.
Mais ne se possédant plus, ne possédant plus rien, il devient capable de tout recevoir, de recevoir le cosmos dans son intégralité et puis de recevoir Dieu, le Créateur, lui-même et, enfin, de se recevoir dans sa propre identité, dans son nom véritable et d'être, enfin ! A ce moment-là, il peut respirer, il peut regarder, il peut sentir.
Mes frères, devenir Epiphanie de Dieu, c'est vivre dans une chair dépouillée de toutes les pulsions de la chair et emplie de toutes les pulsions de l' Esprit Saint. Un tel homme - qui devient théophanie - a reçu un coeur nouveau, une sensibilité nouvelle, une vie nouvelle. Je le disais il y a un instant.
Un moment, il a cru avoir tout perdu, mais finalement il s'aperçoit qu'il a tout gagné. Mais attention ! Il ne s'abandonne pas à un calcul intéressé, non. Ce pourrait être une tentation bien naturelle, mais Dieu prend soin de l'en préserver ou de l'en guérir.
Et vraiment, cet homme qui a tout perdu, il possède maintenant la totalité de tout être existant ou de tout être possible. Il a vraiment le sentiment de participer avec Dieu à la création et à la rédemption du monde. Et ce n'est pas un sentiment subjectif, il prend conscience d'une réalité objective.
Voilà, mes frères, jusqu'où va l'amour de Dieu en faveur de celui qui ose se donner, qui ose donner à Dieu la permission d'agir. Les saints que nous allons rencontrer au cours du mois de janvier nous prendront par la main si nous acceptons d'être comme des petits enfants. Ils nous prendront par la main et ils nous entraînerons avec eux dans cette folle aventure.
Oui, mes frères, devenir théophanie de Dieu comme eux, serait-ce trop beau pour nous ? Mais non, c'est notre vocation d'homme, notre vocation de chrétien, notre vocation de moine. Alors, pourquoi hésiter encore?
Nous avons prononcé un voeu de chasteté. Ce voeu, cette chasteté ne nous referme pas sur nous, bien au contraire, elle nous ouvre à des épousailles mystiques, réelles avec le propre Verbe de Dieu. A ce moment se réalise ce que je viens de dire, cette épiphanie. On devient avec le Verbe de Dieu un seul esprit, une seule chair.
Il prend notre chair charnelle pour nous donner sa chair spirituelle. Il nous entraîne avec lui dans sa propre résurrection et il nous fait déboucher dans son univers, cette création nouvelle dont il est le Roi, et dont il est la lumière.
Voilà, mes frères, où nous conduit notre chasteté promise si nous la vivons correctement, c'est à dire si nous en comprenons le sens spirituel profond. A ce moment-là, elle devient synonyme d'avenir, elle devient synonyme de beauté. Et vraiment, c'est à travers elle que filtrent la lumière et l'amour que nous pouvons devenir.
Voilà, mes frères, ce à quoi nous pouvons réfléchir demain au cours de la fête de l'Epiphanie qui est la manifestation de la lumière qu'est Dieu, et puis, dans le courant du mois de janvier, chaque fois que nous rencontrerons un de ces saints qui, je le rappelle, sont nos amis et nos frères.
Mes frères,
Saint Benoît termine son Prologue sur une note optimiste. Il nous promet que si nous sommes fidèles aux inspirations de la grâce, nous mériterons de participer au Royaume du Christ, d'avoir place dans son Royaume .. ?.. . Le latin est beaucoup plus fort. Il dit consortes regno eius, Pr.120, c'est partager le sort du Christ. Le règne de Dieu, mes frères. le Royaume de Dieu, c'est une personne.
C'est la personne du Christ ressuscité, le Christ qui est devenu lumière et qui est tout amour. Et partager ainsi le sort qui est le sien, c'est à dire entrer dans toute la mesure du possible. dès cette vie, à l'intérieur de la résurrection des morts en n'étant plus soi-même que respiration d'amour et de lumière, c'est vraiment le sommet de la béatitude éternelle et devenir le consors, devenir le participant, partager le sort du Christ jusqu'au bout.
Mais pour cela il faut, comme le précise Saint Benoît, participer aussi à ses souffrances. Dans le fond, ce qu'il dit là n'est pas terrible. Il s'agit tout simplement d'accepter la vie comme elle nous est présentée chaque jour. Et vous savez que tous les hommes ici sur terre sont exposés à beaucoup d'événements qui éveillent en eux des sentiments de joie ou des sentiments de tristesse. Il y a la souffrance mais il y a aussi un grand bonheur à goûter ici dans notre vie terrestre.
Eh bien, les passiones Christi, c’est tout simplement cela. Il ne faut pas imaginer des choses terribles qui pourraient nous arriver et que Dieu nous jetterait sur le dos, voilà, au tournant. Non, c'est tout simplement en toute confiance faire chaque jour notre devoir à travers tout ce qui nous arrive, tout ce qui nous est présenté.
Et ainsi. sans que nous-mêmes nous le remarquions, notre coeur se dilate et, mieux que cela, il se transfigure, il se métamorphose. Ce n'est plus un coeur d'homme assez étroit, ça devient un coeur de Dieu, un coeur de fils qui se dilate sans fin, qui se dilate à l'infini.
Et voilà, mes frères, ce que Saint Benoît nous promet. C'est, dit-il, l'ineffable, l'indicible douceur de dilection. Et c'est pourquoi nous pouvons lui faire confiance parce que lorsqu'il nous dit quelque chose, il le tire toujours de son expérience personnelle.
Mes frères,
Nous remarquons qu'au moment où Saint Benoît aborde le texte proprement dit de sa Règle, il situe la vie monastique dans le registre d'une lutte, d'un combat et d'une guerre. Il faut militare, il faut combattre dit la traduction française, 1,4.
Mais il s'agit d'un monasteriale. C'est donc un corps d'armée. Il parlera un peu plus loin de fraterna acies. C'est la ligne de front fraternelle. Il s'agit de pugnare, de se battre, de lutter. Pugnare, étymologiquement signifie se battre à coups de poing, et cela contre des ennemis.
Car, si le but final de la vie monastique est de devenir un seul esprit avec le Christ, d'être totalement transfiguré, d'être divinisé jusqu'à la racine de son être, il y a sur la route qui conduit à ces sommets des ennemis. Il y en a surtout deux : le démon d'abord, et puis il y a nous-mêmes. Nous sommes à nous-mêmes notre propre ennemi.
La partie saine de notre être, notre âme, notre nous, notre coeur, toutes cette partie qui veut réellement s'unir à Dieu en perfection se heurte à un ennemi bien réel qui est la partie mauvaise de notre être, ce que Saint Benoît appelle les vitia carnis vel cogitationum, 1,13, les vices de la chair et des pensées.
Eh bien, mes frères, cette fameuse lutte, nous la connaissons. Elle est à reprendre tous les jours. Nous recevons des coups mais nous en donnons aussi. Et Deo auxiliante, donc avec l'aide de Dieu, nous savons que finalement nous serons les vainqueurs, à condition naturellement de nous ouvrir suffisamment à la grâce de Dieu.
Et quand je dis : finalement on est vainqueur, ça veut dire qu'on est vainqueur avant de mourir. Il ne faut pas que notre victoire, ce soit notre mort, nous devons vaincre déjà de notre vivant. Alors vraiment on peut dire que nous avons réussi notre vie monastique et notre vie humaine.
Mes frères,
Saint Benoît sera heureux de céder la place à notre Père commun Saint Antoine et de recevoir avec nous l'enseignement qu'il aurait voulu donner au jour de sa fête. Antoine possède une énorme expérience, il a le droit de parler.
Antoine n'a pas été un moine de bureau mais il a conquis ses grades sur le terrain, dans le désert, sur la montagne dans le dénuement mais aussi dans une profonde joie spirituelle. Nous pouvons franchement lui faire confiance et accueillir avec confiance et gratitude ce qu'il entend nous dire.
Saint Antoine dit :
Quiconque n’a pas subi la tentation ne peut entrer dans le Royaume des cieux. En effet, supprime la tentation et personne n’est sauvé.
Cette parole de Saint Antoine paraphrase une parole du Christ que nous connaissons : Le Royaume des cieux souffre violence et seuls les violents parviennent à s'en emparer. Et encore: Elle est étroite la porte qui mène à la vie et rares sont ceux qui parviennent à la trouver.
Et l'Apôtre lui-même a dit : C'est à travers beaucoup de tentations qu'on entre dans le Royaume de Dieu, des tentations, des épreuves, des luttes, des combats...
Nous savons, mes frères, que les obstacles tentent de nous barrer la route qui nous conduit chez Dieu et dans son Royaume. Ces obstacles sont à l'intérieur de nous et à l'extérieur de nous.
A l'extérieur de nous, il y a le démon et ses satellites. Il est toujours là, ne nous faisons aucune illusion. Et il nous combat un peu à la façon dont les Irakiens s'attaquent aux Américains. Ils savent très bien qu'ils sont les plus faibles, mais alors ils vont détourner le combat. Ils s'en prennent à Israël et ils espèrent ainsi amener la discorde parmi les alliés.
Le démon fait la même chose. Il ne nous attaque pas de front mais il nous attaque sur le côté. Il se sert parfois de nos frères, nos frères qui peuvent nous faire des misères - appelons cela ainsi - avec les meilleures intentions du monde, ou bien nos frères qui nous flattent. Le démon a des sacs à ruses que nous ne pouvons pas imaginer et il n'a jamais fini de les épuiser.
C'est pourquoi, mes frères, comme vient encore de nous le dire Saint Benoît, il est bon de dévoiler nos pensées à un Père Spirituel qui, lui, peut dire si elles viennent de Dieu ou bien si elles viennent du démon. Oui, la vie monastique est une lutte extrêmement sournoise à travers laquelle nous devons passer pour entrer dans le Royaume de Dieu. Et ça, c'est pour les ennemis qui sont à l'extérieur de nous.
Il y a alors les ennemis qui sont dans la place, qui sont intérieurs à nous. Ce sont les passions sous le commandement de notre égoïsme. Et ces passions sont tenaces, elles sont dures ou bien elles sont douces mais elles sont toujours là aussi. Il n'est pas possible de les exterminer.
Il faut les mâter, il faut les remettre à leur place car ce sont des forces, ce sont des énergies déréglées en nous par suite de nos péchés. Nous devons les remettre là où elles doivent être et leur permettre alors d'accomplir leur fonction au service de la charité et non pas au service de notre égoïsme.
Si on ne résiste pas à ces ennemis, et même si on ne les affronte pas, on connaît une paix, mais c'est une fausse paix. C'est la paix des esclaves, c'est la paix que les Hébreux connaissaient en Egypte autour de leurs marmites de viande et de poisson. C'est la paix des esclavages qui se nourrit des désirs charnels, qui abrutit le coeur et qui finalement conduit à la mort.
Il y a des chemins qui paraissent très droits aux hommes, dit le Christ, mais dont l'extrémité se trouve au fond des enfers. C'est cela la fausse paix lorsque on refuse de résister aux passions !
Par contre, si on résiste et si on les affronte, on connaît la guerre. Et c'est cela les tentations, c'est cela l'épreuve que nous devons traverser pour entrer dans le Royaume de Dieu. Mais au sein de cette guerre, on expérimente une paix sans égale. C'est la propre paix du Christ que le monde ne peut donner, que la chair ne peut donner.
C'est une paix qui est indéfinissable en mots. Pour la connaître, il faut l'expérimenter car elle n'est pas de ce monde-ci. Elle est déjà un avant-goût du monde à venir. C'est déjà la paix du Royaume.
Si bien que celui qui résiste aux passions, et qui résiste au démon, est déjà entré à l'intérieur du Royaume de Dieu grâce à cette paix que le Christ verse dans le coeur. Si on supprime les tentations, comme dit Saint Paul, personne n'est sauvé. C'est à dire si on a accepté donc de mourir à la manière dl un homme animal, de l'homme animal qu'on est au départ, à ce moment-là on se perd. Car l’homme n'est pas destiné à rester animal, il doit devenir un enfant de Dieu. Il est destiné à être divinisé, à devenir Dieu, à participer à cette vie de Dieu.
Nous l'avons encore entendu au cours de la lecture de cette nuit, Saint Ignace d'Antioche le disait aux Ephésiens : avoir part à la vie du Christ, à la vie même de Dieu, c'est cela la vie éternelle, c'est cela le Royaume des cieux. Et le reste, c’est l'homme animal qui tombe dans un trou et sur lequel on jette de la terre. Voilà où conduit lorsqu'on refuse de résister à la chair et au démon !
Si bien que la porte du salut, c'est la croix du Christ sur laquelle le péché, la mort ont été exterminés. Résister au démon et à la chair, c'est prendre sur soi la croix du Christ, c'est voilà passer à travers les tentations. Mais c'est un amour qui est poussé à l'extrême et qui permet d'entrer dans la vie.
C'est toujours un choix pour choisir entre soi et choisir entre Dieu et pour faire le bon choix. Si je choisis "moi", je vais plus ou moins être tranquille. Si je choisis "Dieu", je vais devoir lutter et puis il y aura des obstacles en moi et à l'extérieur de moi. Mais c'est la route de la vie.
Le Royaume de Dieu, ne l'oublions jamais, c'est la Personne même du Christ Jésus. Si bien que s'unissant à Lui dans sa mort et sa résurrection, on entre dans le Royaume de Dieu. C'est cela le sens de l'obéissance qui n'est pas soumission aveugle, qui n'est pas le chemin vers un infantilisme. Non, c'est l'écoute attentive d'une voix qui nous propose d'entrer dans un projet qui nous dépasse à l'infini mais où nous serons acteurs et par lequel nous deviendrons créateurs.
C'est Dieu qui nous offre sa propre vie, qui nous offre son amour et qui nous permet de travailler avec lui à sa création, à l'oeuvre la plus belle qui soit. Il y a en nous, mes frères, sommeillant toujours,un artiste et un poète. Si on n'est pas tout au fond artiste et poète, on ne peut pas entrer dans la vie contemplative, on ne peut pas connaître la joie immense de la contemplation de la lumière.
C'est pourquoi, permettons à ces dons innés de se développer entièrement, d'être tout à fait accueil aux inspirations de cet artiste et de ce poète sublime qu'est notre Dieu dans la personne de son Verbe et de son Esprit.
Mes frères,
Saint Benoît clôture ce soir la liste qu'il a dressée des outils spirituels dont le moine doit se servir pour mériter de la part du Seigneur cette récompense extraordinaire qu'il a préparé pour ceux qu'il aime.
Il existe encore bien d'autres outils que ceux que saint Benoît vient de détailler à notre intention. Ils sont tous d'ailleurs l'explication, ou l'élucidation, ou la mise en pratique des deux premiers : Aimer le Seigneur de tout son coeur. de toute son âme. de toute sa force, et ensuite le prochain comme soi-même. 4, 2.
Il n'existe au fond, mes frères, qu'un seul péché. C'est le péché contre l'amour. Ne pas aimer, c'est se placer en dehors de la réalité car l'unique réalité c'est Dieu et Dieu est amour. Nous devons apprendre l'art sublime de l'amour. C'est cela l'art spirituel. Et tous ces instruments que nous utilisons nous permette de grandir, de nous perfectionner dans la pratique de cet art. C'est l'amour de Dieu, mais aussi l'amour des autres et l'amour de nous-mêmes.
Il n'existe qu'une seule loi, le Christ lui-même l'a rappelé: c'est cette loi de l'amour. C'est très facile à dire, c'est infiniment plus difficile à pratiquer. Et pourtant, ne nous faisons pas d'illusions. Comme Saint Jean de la Croix l'a bien rappelé, au soir de notre vie nous serons jugés sur l'amour et sur rien d'autre. Et l'amour, comme l'a dit saint Augustin, sera notre poids, notre valeur.
Regardons un peu qui nous sommes, mes frères, voyons ce qu'il y a dans notre coeur, dans notre regard, dans nos pensées et implorons le Seigneur les uns pour les autres afin qu'il nous purifie totalement et qu'il fasse de chacun de nous une flamme de lumière et une flamme d'amour. Ce serait tellement beau.
Mes frères,
Nous sommes encore dans la lumière de la solennité que nous avons célébré hier et, si vous le permettez, je vais échanger avec vous quelques réflexions à ce sujet. Le prochain Chapitre Général se penchera sur l'aspect contemplatif de l'identité cistercienne. Il est donc probable qu'il cherchera à creuser l'intention profonde des Fondateurs de cîteaux. Ce serait certainement utile de la creuser, de la cerner avec soin, de la définir avec précision.
Mais alors, une question se poserait fatalement : comment traduire cette intention dans le contexte historique d'aujourd'hui ? Cîteaux est né au sein d'une société théocratique. A cette époque, la chrétienté connaît son âge d'or. Le Pape, qui est le Vicaire du Christ sur terre, est le souverain auquel tous obéissent inconditionnellement, l'empereur, les rois, les princes, les artisans, les manants, tout le monde. Personne n'est soustrait à sa juridiction. Tout le monde lui doit le respect, la soumission, l'obéissance. Dans cette société, Dieu est omniprésent et l'Eglise est toute puissante.
Il nous est difficile aujourd'hui d'imaginer un tel contexte. Nous pouvons peut-être le pressentir quelque peu en pensant à ce qui se passe maintenant à propos de la guerre du golfe où nous voyons un quelconque dictateur lancer l'appel à la guerre sainte, voir son univers comme une petite région d'un immense empire musulman qui est royaume de Dieu sur la terre et à l'intérieur duquel tous les croyants sont solidaires. Et tous doivent d'un seul coeur se lier contre l'infidèle qui ose attaquer cet empire et le profaner. C'est ainsi que tout croyant musulman sent la situation aujourd'hui !
Eh bien, je pense que au Moyen-Âge il en était de même pour les chrétiens. Je le sens que ça doit être ainsi. Et Cîteaux est né à l'intérieur d'une telle société. Cela ne signifie pas que à l'époque de la chrétienté, les moeurs étaient parfaits. Des conflits, des injustices, des guerres fleurissaient partout. La classe dominante était celle des seigneurs, donc des hommes de guerre, riches propriétaires. Et parmi ces seigneurs se recrutaient les Evêques et les Abbés. C'est inimaginable de voir un Evêque ou un Abbé qui eut surgi de la classe des paysans ou des manants !
Or, que se passe-t-il ? Cîteaux, lui, prend du recul par rapport à cet univers. Il renonce aux privilèges du sang et de la race pour suivre le Christ dans le désert et être pauvre avec lui. Telle était, non pas leur devise, mais leur ambition. Telle devenait leur noblesse. Et Cîteaux dirige le regard de son coeur vers un autre univers et d'une certaine façon se marginalise. Si bien qu'il éveille l'étonnement, la suspicion et la frayeur. C'était proprement révolutionnaire.
Le monastère cistercien se veut une cellule de paradis, comme il l'est dit ici une école où on apprend la bonté - la pietas - sous un Maître qui est Jésus, que l'on appelle le Bon Maître. Le monastère cistercien était un jardin clos où l'on vivait avec Dieu selon ses lois. On ne vit plus donc selon les lois de la société féodale. Ce sont des lois autres. Ces lois sont celles de l'Evangile incarné dans la Règle de Saint Benoît et il y est vécu dans toute la mesure du possible à la lettre.
Il s'opère donc un renversement total des perspectives. Ce n'est plus Dieu qui est au service de la cité terrestre, c'est celle-ci, édifiée dans le cloître, qui se met toute entière au service de Dieu dans la louange et l'humble labeur de la conversion.
Et voici, mes frères, ce qui me semble l'âme du monastère cistercien primitif et c'est cette âme qui doit encore nous animer aujourd'hui à l'intérieur de notre société tellement différente. Et le monde a tellement besoin de cette âme que sans elle il ne pourrait pas survivre, il ne pourrait pas subsister.
Et cette âme, la voici : c'est Dieu recherché, admiré, contemplé dans l'amour qui purifie les coeurs et qui unit tous les frères en un seul corps. Car Dieu est amour, il n'est rien d'autre qu'amour.
Si bien que vivre dans l'amour, laisser l'amour pénétrer le coeur, le travailler, le métamorphoser, le transfigurer, le diviniser, et permettre à l'amour de croître dans une communauté et de lier de plus en plus ses habitants en un seul Corps qui est le Corps du Christ animé par l'Esprit, c'est cela le sommet de ce que nous pouvons espérer ici-bas.
Et à mon avis, c'est ce projet que les premiers cisterciens tentaient de réaliser. Ils n'en avaient peut-être pas tout à fait conscience dans les premiers temps, mais ils étaient guidés par l'Esprit de Dieu qui avait déjà déposé ce germe dans leur coeur. Alors nous, nous voyons ce germe grandir et s’épanouir au cours des années qui suivent.
Et si nous voulons connaître Saint Bernard et ses frères de Clairvaux, de Cîteaux et d'ailleurs, nous devons entrer dans ce mouvement et savoir que leur unique désir était de regarder Dieu présent dans son amour, un amour qui s'incarnait dans le coeur de chacun et dans le coeur de la communauté.
Mes frères, c'est de cette intuition que tout le reste a coulé. Il y a eu par après certes des déviations, des oublis, des malversations. Cela est le fait du péché qui parfois devient le plus fort. Mais il faut toujours se reprendre. Chaque personne, chaque communauté, chaque nouvel âge doit vraiment recommencer le travail de conversion et, dans la mesure du possible, le poursuivre jusqu'au bout.
Mes frères,
Saint Benoît attire notre attention sur une évidence : c'est que Dieu nous connaît infiniment mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes. Il est notre Créateur, il est notre Rédempteur et son regard perçoit tout ce que nous faisons et même les mouvements les plus secrets de notre cœur. Il n'est pas possible d'échapper.
Mais n'oublions jamais une chose, que ce regard qui est posé sur nous est un regard d'amour car Dieu est amour. Et dans tout ce qu'il est, et dans tout ce qu'il fait, il ne peut être qu'amour. Donc, nous ne devons pas avoir peur de son regard même si nous sommes pécheurs parce que le regard de Dieu, ce regard qui est lumière et qui est amour, nous purifie à tout instant.
Le purgatoire, à mon avis, je ne l'ai jamais exploré mais enfin c'est une intuition et je pense qu'elle n'est pas erronée, le purgatoire sera tout simplement de nous tenir sous le regard de ce Dieu, de ce regard qui est amour et qui est tellement lumière qu'il va nous brûler et nous purifier à la racine même de notre être.
Mes frères, il faudrait que nos yeux soient comme ceux de Dieu, des yeux qui ne laissent passer que la lumière et l'amour. Or, nous voyons bien des choses que nos frères font et qu'ils ne devraient pas faire. Cela nous fait de la peine bien souvent.
Mais il faut que notre regard soient plus puissant que toutes les pensées qui peuvent surgir en notre cœur qui lui est toujours quelque peu malade et que, dans l'invisible et dans le secret, notre regard convertisse le frère.
Et si nous sommes tous dans ces dispositions, notre monastère deviendra une sorte de purgatoire, mais infiniment agréable, dans la lumière duquel nous serons finalement métamorphosés, transfigurés parce que les regards qui seraient portés sur nous seraient toujours des regards de bienveillance.
Mes frères,
Nous devons parler. Il ne nous est pas permis de nous taire quand des horreurs sans nom se sont abattues sur les régions du Proche-Orient. Longtemps nous avons nourri l'espoir que la raison finirait par l'emporter. Mais voilà, aujourd'hui nous savons que la guerre est présente avec son cortège de sauvagerie, de destructions, de tueries, de deuils, de souffrances, de larmes et de haines.
Et personne n'ose s'aventurer à en pronostiquer l'issue.
Mes frères, soyons lucides et regardons la situation dans le miroir que sont les yeux très purs de notre Christ. Nous voyons alors que l'origine de cette guerre, comme de toutes les autres, se situe à l'intérieur de notre coeur, notre coeur égoïste, notre coeur toujours avide et jamais satisfait, notre coeur jaloux.
Tous, autant que nous sommes, nous avons part à la responsabilité qui a donné le coup d'envoi à cette guerre, comme à toutes les autres, comme à toutes les tragédies qui se précipitent sans fin sur notre pauvre monde.
Je ne pense pas seulement aux conflits armés et à la scène internationale, mais aussi à tout ce qui déchire les familles, les collectivités, les groupes sociaux. L'envie, l'ambition, la peur dressent les hommes les uns contre les autres. Et il semble qu'il n'existe aucune limite à la rapacité des hommes. Et les situations d'injustice se multiplient sans fin.
Mes frères, en présence de la responsabilité qui est nôtre et dont nous prenons conscience, une question monte de notre coeur à nos lèvres, la question que posaient les Juifs aux Apôtres et à Pierre le jour de la Pentecôte : Que devons-nous faire ?
Le carême dans lequel nous allons bientôt entrer nous apporte quelques éléments de réponse. Nous devons mettre de l'ordre en nous ou, plutôt, nous devons permettre à Dieu de remettre les choses en place.
Et ce que nous aurons commencé pendant le carême, nous devrons le poursuivre par après, jour après jour. Dieu entend faire place nette. Il désire nous vider de tout et tout nettoyer.
Mes frères, nous ne sommes pas destinés à mener une vie d'animaux bien élevés dont la devise est : « Chacun pour soi et Dieu pour tous ». Non, nous sommes appelés à partager la propre vie de Dieu et à devenir comme lui : amour, lumière, justice et paix.
Le Cardinal Ratzinger vient de nous le rappeler. Le Temps de carême qui est habité par le jeûne, le Temps de carême, c'est l'heure pour nous de la conversion, c'est à dire d'une prière intense qui attend la pureté, qui attend la chasteté. Et par chasteté, j'entends l'extrême respect qui doit régner entre les hommes.
Le carême doit introduire en nous une transformation radicale, fondamentale qui nous donne une nouvelle vision des choses et des personnes, et qui nous permet d'être enfin ce que nous devons être. Les restrictions que nous nous imposons pendant le carême doivent être le signe extérieur de ce qui se passe en nous.
Dieu prend possession à toute heure de notre être charnel, de nos os, de notre moelle, de nos muscles, de nos nerfs, de nos artères, de notre psychisme, de notre intellect, de notre volonté. Il prend possession d'absolument tout ce qui nous constitue. Et pendant le carême, nous nous ouvrons davantage à son action, nous lui faisons davantage confiance.
Que désire faire Dieu ? Il veut s'incarner en nous, nous spiritualiser, nous diviniser, nous transfigurer et, à la limite, mes frères, il veut nous rendre sans visage. Ce qu'il veut en effet, c'est nous donner son visage à lui, ce visage sans visage qui brillait sur la face du Christ ressuscité.
Mes frères, si nous renonçons à notre visage de péché, et si nous acceptons le visage que Dieu veut nous donner et qui est le sien, à ce moment-là tous les visages peuvent s'incarner en nous et, à ce moment, la transfiguration du monde peut s'accélérer. Car le projet de Dieu, c'est que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité qu'il est.
Il ne s'agit pas ici d'une connaissance purement noétique. Non, il s'agit de cette connaissance qui est une union amoureuse et qui fait de chaque homme un reflet de l'amour qu'est Dieu. Il en sera ainsi à la fin des temps, nous le savons, mais pourquoi n'en serait-il pas ainsi pour chacun d'entre nous qui sommes des chrétiens ?
Le Cardinal vient de nous le dire, auparavant le statut de chrétien exigeait une longue préparation, un long dépouillement qui permettait une conversion et un début de transformation. On s'ouvrait à Dieu, on préparait un terrain. Le carême, mes frères, nous rappelle cette exigence et ce besoin. Puissions-nous entendre ce message ?
Oui, ce que Dieu désire, c'est nous donner son propre visage. Et nous devons espérer recevoir ce visage qui transfigurera le nôtre. C'est là au plan purement humain une ambition démesurée, utopique, irréalisable. Mais elle est parfaitement légitime chez Dieu et réalisable pour lui. C'est un cadeau qu'il nous donne. Ouvre la bouche, nous dit le Psaume, et je l'emplirai. Est-il donc tellement difficile d'ouvrir sa bouche?
Mes frères, ce que Dieu désire de nous, c'est que nous soyons des agents de pacification comme lui. Or, si nous voulons ainsi juguler tous les conflits, nous devons être des saints. Alors, permettons à Dieu de faire de nous des saints, il n'a pas d'autres désirs. Permettons-lui de nous transformer en son image, Il veut et il peut le faire.
Et ainsi, après avoir été responsables des situations de guerre, nous deviendrons responsables des océans de paix qui attendent de pouvoir se déverser sur le monde. Ils attendent des coeurs qui soient ouverts à la paix. Mes frères, que ces coeurs soient les nôtres. Ecoutons, mes frères, depuis les régions du golfe, Dieu nous lance un appel. Alors, avec une humble confiance, répondons-lui chacun : me voici !
Mes frères,
La fête de ce jour est ruissellement de lumière, inondation de paix, gage de salut éternel. Elle est l'apothéose des promesses contenues dans le mystère de Noël. Notre coeur le sent, notre coeur le sait. Chacun d'entre-nous est un Siméon, chacun d'entre-nous est un prophète comme Anne. Nos yeux ont vu, nos yeux voient et nous voudrions partager notre certitude avec le monde entier.
Pourtant, mes frères, nous savons qu'une guerre sans merci ensanglante cette partie du monde qui fut le berceau des civilisations les plus prestigieuses et le berceau d'Abraham, le Père de tous les croyants. Les paroles de lumière et de paix que j'ai l'audace de prononcer peuvent paraître bien creuses, sinon ridicules et mensongères, voir indécentes.
Mais ne nous laissons pas prendre aux apparences. Tous ces hommes qui s'entre-tuent sur cette terre lointaine par rapport à nous mais si proche de notre coeur, tous ces hommes sont frères. Et voilà qu'ils se combattent sur le lieu même de leur commune origine. Le glaive qui transperce à cet instant encore le coeur de Marie notre Mère à tous, traverse le nôtre aussi de part en part et le fait souffrir. Nous nous sentons solidaires de tous ceux qui sont là-bas, qui sont accablés, quelque soit leur camp.
Mes frères, laissons notre regard percer le voile des phénomènes enregistrés par les médias. Voyons au-dessus de la mêlée et même au milieu d'elle l'humble présence de celui qui fut présenté un jour au temple de Jérusalem et qui a été salué comme le salut du monde.
Cet enfant d'alors a connu la souffrance et une mort sanglante, une mort injuste, mais il est ressuscité des morts. Nous savons qu'il est la lumière du monde, qu'il est le chemin, la vérité, la vie, que la création nouvelle est toute entière contenue en lui ; qu'il est, lui, la création nouvelle et que tout en lui et par lui est déjà rédimé car tout lui est soumis.
Il possède une seule arme mais elle est invincible, c'est sa propre personne qui est amour, compassion, humilité, douceur, patience. Il prend tout sur lui. Il prend tout en lui. Il rédime et il transfigure chacun. Pour lui, il n' y a pas d'innocent ni de coupable. Il est l'amour et il ne peut faire autre chose qu'aimer.
Mes frères, le déchaînement de malice dont nous sommes témoins n'aura pas le dernier mot. C'est l'amour qui aura le dernier mot. Portons notre regard au loin, contemplons la création nouvelle présente dans la lumière qu'est notre Christ, laissons-là nous envahir et gagner à elle, laissons-là créer en chacun d'entre-nous, et entre-nous, et dans l'univers entier une union qui sera le germe d'une véritable paix.
Mes frères, nous laisser envahir par la lumière et unir tout en elle, c'est le défi que nous lance aujourd'hui notre Dieu face, en présence de toutes ces calamités. Ce défi, nous allons le relever dans la foi et l'Eucharistie que nous célébrons sera le gage de notre espérance ; une espérance - comme nous le dit l' Ecriture - qui ne peut nous décevoir.
Amen.
Mes frères,
Ce onzième degré d'humilité est la réplique du Chapitre VI de Saint Benoît sur la modération, la retenue dans l'usage de la parole. Ce qui était difficile à cette époque est presque insurmontable aujourd'hui car nous vivons dans un milieu socioculturel dominé par l'usage de la parole.
Il suffit pour s'en rendre compte d'écouter une émission de radio. Je pense que tous nous avons eu l'occasion dans notre enfance ou bien parfois encore maintenant. Il n'y a pas de place pour le silence. Le speaker ou la speakerine doit loger le maximum de paroles dans le minimum d'espace ou de temps. Cela devient de la logorrhée qui est le contraire de la taciturnitas. La logorrhée est un torrent de mot. Il faut parler pour remplir le temps.
On a ce phénomène aussi qui nous conditionne très fort. Attention dans le téléphone ! Si vous téléphonez à une personne, la personne va vous répondre tout de suite. Le silence est impossible entre deux personnes qui se téléphonent. Si vous tournez votre langue dans votre bouche deux fois pour savoir ce que vous devez répondre, vous entendez allô de l'autre côté. On pense qu'on a coupé ! Ainsi nous sommes conditionnés très fort et nous arrivons dans le monastère. Et là, nous devons apprendre à communiquer non plus par la parole mais par le silence.
Que ferons-nous quand nous serons dans le monde à venir, dans le Royaume de Dieu ? Je pense que nous ne parlerons plus, cela ne sera plus nécessaire, mais nous regarderons et nous écouterons. Nous écouterons le silence de l'unique Parole que Dieu prononce et qui est son Verbe. Et puis nous regarderons. Nous regarderons avec nos oreilles et nous écouterons avec nos yeux. Nous serons totalement amour.
Et voilà ! Nous devons essayer de nous exercer à cette activité dès maintenant.
Mes frères,
Nous avons reçu la première lettre circulaire de notre nouvel Abbé Général. Elle date du 26 Janvier, Fête de nos Saints Fondateurs. Vous savez déjà que notre nouvel Abbé Général est un argentin, qu'il a commencé les études de vétérinaire, et qu'il est entré au monastère d'Azul qui avait été fondé en 1958 par le monastère de Spencer.
Il a été envoyé par son Supérieur à Spencer pour ses études de théologie. Ensuite il est revenu à Azul. Et voilà que lorsque le Prieur titulaire d'Azul à été nommé Supérieur de Spencer avant d'en devenir l'Abbé, lui est devenu d'abord Supérieur d'Azul, puis Abbé.
La lettre qu'il adresse est assez spéciale. C'est plutôt une profession de foi. Il désire se faire connaître par l'intérieur de ce qu'il est. Vous allez l'entendre :
Chers frères et chères sœurs,
Dans le discours de clôture au dernier Chapitre Général, j’ai promis d’envoyer une lettre de présentation à toutes les communautés de l’Ordre. C’est ce que je fais aujourd’hui, fête des Fondateurs de notre Ordre, en souhaitant qu’ils puissent m’inspirer ce que j’ai à vous dire.
Je crois que la meilleure façon de me présenter sera de vous parler avec mon cœur en exprimant ce qu’il contient. Aussi, c’est après avoir lu mon cœur et médité devant le Seigneur que je me mets à écrire.
Sa lettre est partagée en plusieurs sections et chaque section porte un titre. Le premier titre, c'est JESUS.
JESUS.
Jésus, le Christ, se trouve au plus profond de mon cœur. Il m’habite par la foi et par sa mystérieuse présence de ressuscité. Il est toujours présent et agissant. Sa parole est véridique et je peux en témoigner : Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde.
Il veut donc dire que c'est Jésus, le Christ, qui est le moteur ou l'âme de sa vie. Il est toujours présent dans son coeur. Et c'est cette présence de Jésus dans le coeur de l'Abbé Général, de Dom Bernardo, qui l'anime et qui le fait agir. Donc l'origine, la source de toutes ses actions, c'est le Seigneur Jésus.
Je le confesse comme vrai Dieu et vrai homme ; Fils unique engendré par le Père et né de la Vierge par l’action du Saint Esprit.
Donc, maintenant c'est une profession de foi. Après son élection Abbatiale et après avoir accepté d'être Abbé, il a dû lire une profession de foi. Il faut que tous les Abbés qui l'ont élu, et que tout l'Ordre, sachent qu'il est vraiment catholique.
Christ Jésus est venu pour sauver les pécheurs, il s’est fait homme pour nous humaniser, il s’est abaissé pour nous élever, il est mort pour que nous ressuscitions.
Il s'est fait homme pour nous humaniser, dit-il. Cela signifie que nous sommes véritablement des hommes. Nous sommes des hommes achevés, accomplis lorsque nous nous unissons le plus intimement possible à son humanité à lui. Car dans la chair de Jésus, c'est le Verbe de Dieu que nous rencontrons, que nous touchons, comme le dit l'Apôtre Jean au début de son Epître. Il n'y a pas d'humanisation possible en dehors de la personne du Christ Jésus.
Il m’a saisi, il m’a pris dans ses bras, il m’a cherché et il m’a trouvé, il m’a appelé et il m’a invité : Viens, suis-moi ! Il l’a fait également pour chacun d’entre nous, sœurs et frères. Rien, absolument rien ne doit être préféré au Christ. Chaque jour est une occasion de revenir au premier amour. Exalté, ressuscité, vivifié et vivifiant, il s’est fait Pain et Vin. En le consommant, nous sommes consommés.
Cela signifie que en communiant à son corps et à son sang, en le consommant, en l'assimilant à notre propre substance, nous sommes assimilés en la personne même du Christ, donc à la personne même de Dieu.
Son passage Pascal n’est pas quelque chose qui s’est fait en passant,il demeure toujours présent jusqu’à la fin du monde.
MARIE.
Je le sais, je peux aussi l’affirmer : là où se trouve le Ressuscité, se trouve également sa Mère dans la gloire de son Assomption.
C'est facile à comprendre. La chair de Jésus totalement a été façonnée par Marie, elle a été extraite de la chair même de Marie. Donc, là où se trouve le Ressuscité, là se trouve fatalement sa mère.
Ils sont absolument inséparables beaucoup plus que nous par rapport à notre propre mère. Parce que chez nous, il y a notre père qui est intervenu. Tandis que pour Jésus, son père, c'est Dieu.
Donc, tout ce qu'il y a d'homme en lui, il le tient de sa mère. Quand nous voyons l'homme, nous voyons la chair de sa mère.
Pleine de grâce, elle nous obtient maternellement toute grâce par la puissance de l’Esprit.
Pleine de grâce, c'est traduit du grec et c'est très difficile à traduire. Cela signifie que Marie a été constituée en son être de femme, dans son être de créature féminine. Elle a été constituée depuis l'instant de sa conception, totalement façonnée pour devenir la Mère de Dieu.
Maintenant voici l'expression que nous avons entendu dans la lettre que j'avais rapporté du Chapitre Général où il expliquait un peu, disons, son identité humaine, pas comme il le fait ici pour son identité spirituelle. Ecoutez :
Elle, Marie de Saint Joseph, la première croyante, la première disciple, a toujours été pour moi un modèle attrayant de vie chrétienne et de suite du Maître.
Cette expression, Marie de Saint Joseph, elle reviendra encore plus loin. Est-ce typiquement sud-américain ? Ou bien est-ce que c'est propre à lui ? Je n'en sais rien. Mais il ne sépare jamais Marie de Joseph et il met TOUJOURS de Saint Joseph. Il faudrait un peu connaître mieux, et la personne, et son milieu d'origine.
Jésus nous l’a offerte au calvaire comme l’un de ses dons ultimes, peu avant de remettre son Esprit. La Paix de jésus, son Amour, sa Parole, son Pain, sa Mère et son Esprit font partie de notre héritage chrétien.
Donc voyez, c’est toujours sa profession de foi !
Marie n’est jamais seule, elle est accompagnée des Saints, tous chrétiens et mariaux.
Cela signifie que tous les saints ont été engendrés à la sainteté par Marie. Et ça, c'est très juste aussi. Nous grandissons, nous nous épanouissons, nous arrivons à notre taille adulte au plan chrétien dans le sein de Marie.
Et au moment où nous en sortons pour notre naissance, c'est l'heure de notre mort biologique si nous sommes arrivés à la plénitude de notre âge adulte en Christ. Et c'est dans ce sens-là vraiment très concret, très charnel, qu'elle est notre mère.
Donc, c'est pour ça qu'il dit que les saints sont tous chrétiens et mariaux.
Les saints, réunis autour de leur Reine, nous manifestent le visage de Dieu et nous offrent un signe de son Règne.
Oui, nous pouvons voir Dieu, d'abord la personne du Christ. C'est le premier, le tout premier. Nous le verrons dans sa Trinité. Mais nous le voyons aussi dans les saints, dans chacun et puis dans leur communauté, dans leur communion, dans l'assemblée des saints. Notre vie contemplative doit s'étendre jusque là.
La recevoir c’est s’offrir à elle, l’accueillir c’est se confier à elle, l’embrasser c’est s’abandonner entre ses mains.
Il y a ici des petits paradoxes : la recevoir, c'est s'offrir - l'accueillir, c'est se confier - l'embrasser, c'est s'abandonner. Et c'est vrai, c'est ce double mouvement qui constitue la respiration de notre vie chrétienne.
Celui qui se consacre ainsi à elle et se laisse consacrer par elle jouira de sa présence, communion vitale et influence efficace. De plus, il entendra dire : Tout ce qu’il vous dira, faites-le !
Nous avons donc ici un petit résumé, un aperçu de sa dévotion mariale qui est très traditionnelle et que nous pouvons faire nôtre chacun pour notre part.
Mes frères,
Cette année, nous vivrons le carême sur un arrière fond de guerre. Les événements tragiques qui ensanglantent les régions qui furent le berceau de notre foi ne peuvent nous laisser indifférents. Ils nous heurtent de front, ils nous provoquent, ils nous questionnent. Qu'avons-nous fait pour en arriver là ? Et que faisons nous pour en sortir ?
Le temps du Carême peut nous apporter une réponse. Dieu et nos frères les hommes nous attendent. Le contemplatif ne vit pas replié sur soi. C'est le monde entier, le monde souffrant qui crie dans son coeur.
Cette réponse sera double. D'abord, nous nous reconnaîtrons pécheurs, c'est à dire coupables. Souvent nous avons fait des choix qui étaient à côté de l'amour, qui étaient contraires à l'amour. Oui, mes frères, négliger de donner la préférence aux autres, c'est semer des germes de division, de haine et de conflit.
La loi du Christ est formelle : priorité absolue doit être donnée à l'amour. Lui-même nous a laissé un exemple pour que nous l'imitions. Seuls l'amour et la beauté qui en est le visage sauveront le monde.
L'autre face de notre réponse sera de nous exercer au désintéressement, à la pureté du don, à la gratuité. C'est aussi l'enseignement du Christ, spécialement aujourd'hui.
Les pharisiens dont il nous a parlé étaient tous de braves gens, des hommes généreux. Il leur manquait une seule chose, le sens de la gratuité. Et ce défaut corrompait à la racine toutes leurs oeuvres.
Mes frères, la gratuité est le fruit de l'humilité. En elle il n'y a ni premier, ni dernier, ni supérieur, ni inférieur. Elle détruit à la racine toute possibilité de rivalité parce que elle annule tous les rapports de force.
Mes frères, tel sera - si vous le voulez bien - notre programme de carême. Nous installant dans la gratuité, nous laisserons grandir en nous l'amour et nous deviendrons des agents de paix.
Les cendres que nous allons bénir et recevoir vont dire la sincérité de notre propos de conversion.
Amen.
Mes frères,
Ce matin, au cours de l'homélie, j'ai rappelé que nous devions apporter notre part à la construction de la paix que tous les hommes espèrent avec une ardeur nouvelle dès qu'ils se trouvent affrontés à la guerre.
Et nous devons poser, ici dans notre monastère, un double geste. D'abord nous reconnaître pécheur, c'est à dire coupable. Du fait de notre péché, nous avons une responsabilité dans tout le mal qui se fait à l'intérieur de notre monde.
Et ensuite, nous devons nous exercer à la gratuité, c'est à dire au désintéressement, au don de soi pur sans escompter de contrepartie, donc aucun mercantilisme dans notre vie.
La source des conflits, nous le savons, c'est le péché qui ronge le cœur. Et l'origine du péché, c'est le refus ou la peur du don gratuit. C'est ce que Saint Benoît appelle le vitium proprietatis. C'est cet instinct qui nous porte à accaparer ce qui en réalité appartient à tout le monde. C'est donc un détournement, c'est une forme de vol et ça entraîne un refermement sur soi, l'égoïsme et le non-amour.
Voilà, mes frères, l'origine de tout le mal qui se fait maintenant dans le monde et qui habite également notre propre vie.
Alors, Saint Benoît ne nous dit pas autre chose que ce que je vous ai expliqué ce matin. Il dit : omni puritate vitam suam custodire, 49,6. Littéralement on devrait dire : garder sa vie en toute pureté. Donc, le mot custodire est très important. La custodia en terme militaire, c'est la garde qui surveille le camp de manière que l'ennemi ne puisse pas approcher par surprise.
Nous devons donc monter la garde autour de notre propre vie, prendre du recul par rapport à elle et regarder avec lucidité sans crainte de la vérité. C'est donc un devoir de vigilance, de vérité en vue d'un travail sûr.
Nous devons donc voir nos vices - Saint Benoît parle des vices - nous devons voir nos vices de manière à empêcher leur prolifération et, dans la mesure du possible, afin de les extirper. Mais nous devons aussi voir nos vertus de manière à les protéger et à les cultiver. Voilà donc ce custodire !
Omni puritate dit Saint Benoît, en toute pureté. Cela veut dire que notre cœur et notre vie doivent devenir immaculés. Et cette beauté suprême est atteinte quand nous sommes établis à l'intérieur de la gratuité. Il n'y a plus place alors en nous à une quelconque visée utilitariste.
J'aime parce que j'aime, disait Saint Bernard. L'amour est en lui-même et son origine et sa fin. Il n'y a rien à côté de lui. S'il y a quelque chose à côté de lui, ce n'est plus de l'amour. Il est vicié.
Mes frères, la gratuité est l'essence même de la vie Trinitaire. Or nous sommes les enfants de Dieu. Nous devons donc croître et atteindre cette gratuité, aller jusqu'à elle. Et à ce moment-là, nous serons vraiment semblables à Dieu. Il se reconnaîtra en nous. Nous serons devenus amour comme il est amour.
C'est pourquoi encore, pour nos premiers Pères, le monastère était une schola caritatis, une école où on apprenait justement cet art sublime de la caritas, de la charité, de l'amour, de la gratuité, être comme Dieu.
Je sais que la perfection de cet amour ne sera jamais atteinte en cette vie. Elle ne sera peut-être jamais atteinte dans l'autre vie parce que nous ne pourrons jamais tout de même être identiques à Dieu. Mais dans la vie du siècle à venir, dans le monde nouveau, dans la création nouvelle, là il n'y aura plus d'obstacle à notre croissance.
Tandis que maintenant, il y a toujours l'obstacle, il y a notre chair, il y a notre peur, il y a notre égoïsme. Et nous devons chaque fois renverser ces obstacles et veiller, comme le dit Saint Benoît ici, custodire, veiller à ce que malgré tout notre vie soit un progrès dans l'amour.
Et Saint Benoît détaille aujourd'hui quelques pratiques ascétiques qui peuvent être utiles. On peut les ramener toutes à une seule qui est la rectitude des pensées, recte sapere, recte cogitare. C'est être droits, être des hommes droits, pas des hommes ambigus, pas des hommes faux, des hommes qui sont ni chauds ni froids, qui sont tièdes.
Alors ceux-là, Dieu les vomit parce que Dieu ne sait pas de quel côté regarder. Ils ne sont ni de l'un, ni de l'autre, ils ne sont rien du tout. Alors mes frères, nous devons pour ça ne laisser place en notre cœur qu'à des pensées de vérité, des pensées de bienveillance, de douceur, de compassion et toutes les autres, les écarter. je sais que ce n'est pas facile.
C'est la fameuse lutte contre les pensées. Mais enfin, puisque on parle de guerre partout, il y a tout de même une guerre légitime, c'est celle-là, celle contre les pensées en nous, ces pensées mauvaises qui veulent nous faire tomber dans le péché par excellence qui est le péché contre l'amour. Alors, mes frères, si la racine en nous devient saine, alors la végétation et les fruits seront sains. C'est une loi de la nature et de la surnature.
Eh bien, le carême, c'est l'occasion d'intensifier en nous le labeur de conversion. Et alors, je pense que nous aurons apporté notre contribution à la construction de la paix véritable. Le monde aujourd'hui a besoin d'hommes vrais.
Dans cette période de guerre, là, c'est le règne absolu du mensonge à tous les niveaux. Ce sont des mensonges tactiques, dira-t-on. C'est de l'intoxication, c'est de la désinformation. Il faut tromper l'adversaire.
Mais cette ambiance-là dans laquelle nous vivons, sachons qu'on la retrouve aussi dans la vie courante en dehors de la guerre. Il faut essayer d'appâter le client. Et puis on trompe si facilement les gens aujourd'hui sur la qualité des produits. On ne peut plus vraiment se fier à personne.
Il faut alors que dans notre monastère au moins on y trouve des hommes vrais qui sont conçus sur la vérité et qui sont vrais de tout leur être dans leurs actions, dans leurs paroles et jusque dans leurs pensées. Et alors, mes frères, puissions-nous être tous et chacun au nombre de ces hommes vrais.
Alors, s'il y en a parmi vous - et je suis certain qu'il y en a plus d'un - qui veulent s'attaquer à certaines pratiques de mortification des vices et de culture des vertus, Saint Benoît le recommande bien aussi, il faut proposer cela à son Abbé ou à un Ancien Spirituel pour qu'on soit certain que ce soit en accord avec la volonté de Dieu. Tout ce qui se fait à côté, dit Saint Benoît, ce n'est rien du tout. C'est de la présomption, de la vaine gloire. 49,23. Exactement comme il était dit dans l'Evangile d'aujourd'hui : on a reçu sa récompense et pour le reste, c'est parfaitement inutile.
Donc voilà, mes frères, à bon entendeur salut !
Mes frères,
Le Père Abbé Général nous a fait part de sa communion avec Jésus et Marie. Aujourd'hui, il nous parle de l'Evangile. Ecoutons-le :
L’EVANGILE.
J’ai découvert la Bonne Nouvelle de Jésus avant de la lire dans le Livre : Christ, mort et ressuscité pour notre salut ; mort, bien sûr, mais par-dessus tout ressuscité.
Ce n'est rien d'extraordinaire ! Habituellement on apprend à connaître Jésus, le Christ, dans la liturgie. Ne fut-ce qu'en participant à la messe dominicale, on entend parler de lui, on entend des lectures, mais on n'a pas véritablement encore exploré le Livre des Evangiles.
Il y en a qui ne le feront jamais. Ils n'en ont pas l'occasion, ils n'y pensent même pas. Ils ne savent même pas que cela existe, qu'il existe plus de détails que ce qu'ils entendent proclamer.
Mais ce qui est essentiel, c'est de découvrir Jésus, le Christ, mort et ressuscité pour nous, surtout ressuscité comme il dit. Et c'est vrai, le Christ Jésus est vivant, ce n'est pas une figure du passé, un héros de l'antiquité auquel on pourrait se référer pour mener une vie convenable en ce monde.
Non, il est vivant. C'est une vie nouvelle, une vie que nous ne pouvons même pas soupçonner, dont nous ne pouvons pas en analyser la nature. C'est la propre vie de Dieu et cette vie habite en nous. Nous ne pouvons pas la saisir, mais elle doit devenir le ferment qui nous fait grandir et qui nous fait recevoir des organes nouveaux insérés dans un corps nouveau, un corps spirituel, un corps déjà de préressuscité.
C'est cela, mes frères, la Bonne Nouvelle de Jésus et le Père Abbé Général l'a découverte avant même de la lire dans le Livre. C'est, disons-le en passant, un signe de vocation. Il y en a encore bien d'autres naturellement, mais enfin ceci, c'en est un.
Au monastère, je l’ai redécouvert. Toute la vie de Jésus et tout son message se réduisent à ceci : filiation et fraternité.
Jésus est le Fils de Dieu. Nous sommes greffés sur lui par le baptême. Nous sommes tous des membres de son Corps. Nous sommes donc tous des frères et nous avons un seul et même Père, le Père du Christ Jésus notre Dieu.
La prière que Jésus nous a enseigné à dire est en effet celle-ci : Notre Père. Jésus ne nous a pas enseigné à dire : Mon Père mais Notre Père.
Donc, lorsque nous prions l'oraison du Seigneur, l'oraison dominicale, par le fait même que nous disons notre Père, nous nous reconnaissons frères de tous les hommes. Et cette fraternité qui a sa racine dans la personne du Christ, elle veut sans cesse s'affermir en nous. Elle doit devenir de plus en plus consciente en nous. Et cela va s'exprimer, naturellement, dans nos rapports sociaux.
Lorsque nous nous trouvons devant un homme quel qu'il soit, nous devons savoir qu'il est notre frère. Ce n'est pas un étranger. Il peut avoir 36 défauts, il peut avoir tous les vices du monde, ça ne fait rien, il est notre frère. Nous devons le respecter, l'estimer et l'aimer. Dans son coeur brille une flamme, une lumière qui est celle de l'Esprit Saint, qui est la vie même du Christ Jésus.
Mes frères, c'est tout cela, comme dit l'Abbé Général, l'essentiel du message que nous a laissé notre Christ.
Tous nous sommes frères et nous avons un unique Père commun ; et parce que ce Père est commun, tous nous sommes frères.
C'est bien vrai ! Ce n'est pas difficile à comprendre spéculativement, mais quant à le traduire, à l'exprimer dans la vie concrète, pratique, c'est une autre paire de manches. Nous devons nous y exercer particulièrement dans le monastère.
Si les hommes avaient cette conscience de leur fraternité universelle il n'y aurait pas ces guerres et ces conflits. Mais au moins, au moins, je dois encore le redire, nous devons y penser sans arrêt. Veillons à ce que vraiment ici nous nous sentions frères et que nous nous comportions comme des frères.
Celui qui vit cette filiation et cette fraternité ne dira jamais : Que ma volonté soit faite.
C'est certain ! Si je dis : que ma volonté soit faite, alors Je me retranche des autres, je me place en marge des autres et je veux affirmer ma personne contre les autres. Ma volonté doit se faire.
Ce n'est pas possible ! Mais plutôt : que ta volonté soit faite, la volonté de Dieu qui est présent en chacun de nous et qui veut tous nous conduire au salut et à la sainteté.
Et vivant ainsi, les béatitudes de l’Evangile le combleront de joie.
Vous savez, ces béatitudes ne sont guère réjouissantes pour la chair. Il s'agit de pleurer, il s'agit d'être doux, il s'agit d'être pauvre, il s'agit d'avoir un coeur pur, d'être des hommes de paix, de toujours dédramatiser, et puis de ne pas avoir peur de subir l'outrage et l'injustice.
Mais si vraiment nous savons que nous avons le même Père, et que nous sommes tous frères, alors ces béatitudes deviennent notre bien, elles deviennent notre joie et elles peuvent nous combler.
Mais encore une fois, ce n'est pas possible pour la chair. Ce n'est possible que pour la chair nouvelle, celle qui se développe en nous et qui a sa source en Dieu lui-même et, plus précisément, dans la chair du Christ ressuscité.
Mais voilà, mes frères, restons-en là pour ce matin. Nous verrons la fois prochaine ce que le Père Abbé Général pense de l'Eglise.
Mes frères,
Pourquoi ne peut-on pas chanter l'Alléluia durant le carême ? Je vais vous le dire. L'Alléluia, c'est le cantique qui vibre dans le cœur et sur les lèvres des anges et des saints à l'intérieur de la création nouvelle.
Et nous, dans notre condition mortelle, nous savons que nous sommes emprisonnés dans les passions, dans les péchés et que le gardien de cette prison, c'est notre égoïsme.
Le carême nous rappelle cette réalité. Au lieu de chanter l'Alléluia, il nous conseille de laisser couler dans notre cœur quelques larmes, des larmes de componction, des larmes de regret, de larmes de pénitence qui nous permettront d'entretenir l'espérance d'être à notre tour purifiés de nos vices et de nos péchés afin que nous puissions un jour avec nos frères les anges et les saints chanter l'incessant Alléluia à l'intérieur du Royaume de Dieu, dans ce monde à venir tellement beau et dont nous entrevoyons parfois la lumière lorsque Dieu nous en donne la grâce.
Mes frères,
L'Abbé Général nous parle aujourd'hui de l'Eglise. C'est la suite logique de ce qu'il nous a dit hier : filiation et fraternité.
L’EGLISE.
Je suis, nous sommes, membre d’un Corps unique, celui du Christ.
Vous allez remarquer qu'il ne cite qu'une seule fois le mot Eglise. Par contre, il utilise toutes les expressions que l'on retrouve dans le Nouveau Testament pour parler de cette réalité extraordinaire qu'est l'Eglise.
Je suis, nous sommes, membre d’un Corps unique, celui du Christ. Cette vérité, je la connais et j’en fais l’expérience.
On pourrait dire que c'est un peu prétentieux ? Pas du tout, il est extrêmement important qu'un Abbé Général la connaisse. C'est plutôt rassurant ce qu'il dit, car il se définit comme étant notre frère, comme étant de notre condition, comme partageant tout ce que nous vivons.
Et non seulement ce que nous vivons à l'intérieur de notre Ordre cistercien, mais aussi ce que nous vivons en tant qu'homme, car aucun homme n'est exclu du grand Corps de l'Eglise. La Théologie explique les divers degrés d'appartenance à l'Eglise. Je ne vais pas entrer là-dedans. Vous le savez, ou si vous l'avez quelque peu perdu de vue, c'est l'occasion d'y repenser.
Mais lorsque l'Abbé Général fait l'expérience d'être membre de ce Corps unique qu'est l'Eglise du Christ, il se met tout près de nous, il nous prend avec lui et nous savons déjà qu'il aura un coeur écoutant et un coeur compatissant. Je pense que ça le caractérise. Quand on le voit, c'est l'impression qu'il donne. Quand on l'écoute, les quelques mots qu'il a pu dire vont dans ce sens là.
Maintenant, il repasse au nous :
Nous sommes temple de l’Esprit.
Chacun en particulier ! C'est aussi très important de le savoir. Le frère que je rencontre, l'homme avec lequel je dois traiter une affaire, il est le temple de l'Esprit Saint. On pourrait dire : Mais c'est réservé aux chrétiens ! Oui, c'est spécialement réservé aux chrétiens, mais les autres hommes n'en sont pas exclus, de ce privilège.
Tout homme, du fait qu'il est créé, il est aimé de Dieu et cet amour qu'est Dieu le travaille. Il est donc présent dans le coeur de cet homme et c'est cela qu'on entend par être le Temple de l'Esprit.
C'est' donc tout simplement d'être aimé de Dieu et de savoir – ou de ne même pas savoir - que Dieu travaille à l'intérieur de l'homme pour le rédimer, pour le transfigurer et que ce travail aboutit toujours, parce que c'est la raison pour laquelle Dieu a voulu devenir homme, c'est pour que nous, nous puissions devenir Dieu.
Nous sommes Temple de l’Esprit, Epouse du Christ.
Il parle de l'Eglise, toujours. L'Eglise est l'épouse du Christ, nous le savons. Mais est-ce que nous-mêmes, chacun pour notre part, est-ce que nous avons conscience d'être Sponsa Verbi, ou du moins d'être promis à ces épousailles, qu'elles nous sont offertes et que c'est jusque là que nous devons être conduits ?
Notre Père Saint Benoît le dit ouvertement, Saint Jean de la Croix aussi. Mais voilà, il faut en prendre conscience : l'Eglise est l'épouse du Christ et chaque membre de l'Eglise est aussi à sa façon épouse du Christ par la partie la meilleure de son coeur.
Nous sommes………. Sacrement du salut,
Remarquons encore qu'il ne dit pas : l'Eglise est Sacrement du salut, mais nous sommes Sacrement du salut. Donc, encore une fois, chacun pour notre part, nous devons être porteurs de salut pour les autres : jamais excitant au péché, jamais une pierre sur laquelle on peut trébucher, jamais celui qui fait un croc-en-jambe pour jeter par terre, jamais celui qui trompe ! Non, toujours celui qui est porteur de salut.
C'est encore une fois, mes frères, extrêmement beau, extrêmement important. Et voilà, ce n'est pas mal que l'Abbé Général le rappelle comme ça tout simplement.
Nous sommes………. Peuple et Famille de Dieu.
Oui, il faut voir ce que signifie Peuple dans le langage de la révélation. Pour ça, il faut retourner à la racine hébraïque. Je l'ai déjà expliqué, mais c'est toujours bien de le rappeler.
On est lié ensemble, on est avec. On est comme un fagot tous ensemble mais chacun conserve son individualité. Nous sommes différents les uns des autres. Il y a toujours une certaine distance entre nous pour préserver notre altérité, mais nous sommes des liés ensemble. Nous formons UN. C'est cela que signifie le peuple.
Les Juifs en ont encore fortement conscience, ils veulent être Israéliens, ils veulent être Belges, ils veulent être Américains, ou Anglais, ou n'importe quoi. Oui, ils ont leurs différentes nationalités, mais ils font partie d'un peuple dispersé.
Tandis que nous, notre réalité de Peuple est d'ordre mystique, pas d'ordre racial. Et c'est beaucoup plus difficile à saisir et à vivre. Et pourtant, c'est infiniment plus réel et plus réaliste, et plus concret qu'une unité raciale, qu'une unité par le sang. Car ce qui nous fait être le Peuple de Dieu, c'est le sang du Christ qui coule dans nos veines et qui nous lie comme ça, nous attache les uns aux autres.
Et alors, nous sommes aussi Famille de Dieu car la consanguinité qui nous crée Peuple au sens mystique, nous crée bien davantage encore Famille. Voilà, mes frères, tout cela c'est l'Eglise, et l'Eglise .. ?.. .. ?..
Mes frères,
Saint Benoît fait allusion au nombre sacré de 7 et il nous demande de nous lever au milieu de la nuit pour louer notre Dieu. L'ambition magnifique de Saint Benoît et de ses prédécesseurs dans la vie monastique est en fait de louer Dieu sans arrêt. Mais, humainement, pratiquement ce n’est pas possible.
Alors il joue sur les nombres sacrés de 3, 4, 7 et 12. Il les entremêle de façon à ce que mystiquement la louange que nous faisons monter vers Dieu s'étende sur les 24 heures de la journée. Nous devons, chacun pour notre part, reproduire ce qui se passe dans le monde à venir, dans la création nouvelle ou dans le ciel si vous voulez.
Pour la Tradition monastique primitive telle qu'elle nous a été rapportée par Evagre le Pontique, le moine est à l'écoute de ce qu'il entend chanter dans le monde de Dieu. Et il le laisse entrer dans ses oreilles et le fait repasser sur ses lèvres. Ce sont des actions de grâces, des louanges, des supplications, des actes de repentance.
Il se souvient de ce qu'il a entendu rapporter dans l'Apocalypse où les quatre animaux qui se tiennent les tous premiers devant le trône de Dieu, chantent le Sanctus et ils ne connaissent aucun repos, aucune halte ni de jour ni de nuit. Et les 24 vieillards qui sont devant eux chantent au même rythme. Et ainsi de proche en proche cela vient jusqu'à nous.
Cluny avait essayé de concrétiser ce désir et quasiment ce besoin. Dans le monastère de Cluny, des équipes de moines se relayaient pour chanter comme ça leur Dieu 24 heures sur 24. C'était la fameuse Laus perennis.
Mais ce n'était pas tout à fait juste parce que, pour que ce fut vraiment l'écho de ce qui se passe dans le ciel, ce sont les mêmes hommes qui auraient dû ainsi chanter 24 heures sur 24. Si bien que Cîteaux a supprimé cette façon de faire. Il est revenu à la Tradition classique de Saint Benoît mais ..... ....., nous devons par notre participation ainsi intelligente à l’office sept fois le jour et une fois la nuit, reproduire dans la mesure du possible ce qui se passe là-haut près de Dieu.
Et encore une fois, c'est le jeu mystique de tous ces nombres sacrés cui nous permet de réaliser cela dans la foi, ce que nous désirons, devenir chacun pour notre part pure louange de Dieu, non seulement par notre chant mais surtout par notre gestualisation et surtout par la pureté de notre coeur que nous offrons à la lumière en toute confiance.
Mes frères,
Ecoutons notre Père Abbé Général qui nous parle encore de l'Eglise :
Nous sommes communauté de foi, d’espérance et d’amour réunie dans la communion au Père, au Fils et à l’Esprit Saint.
Ceci est très classique et très juste. Cela a été très bien analysé par Saint Jean de la Croix. Pour lui, comme pour la Tradition avant lui naturellement, nous sommes à l'image de la Trinité. Nous possédons en nous des organes, des énergies, des facultés qui deviennent le lieu, l'endroit où la vie divine - divine proprement dite, c'est à dire la vie de chacune des Personnes de la Trinité - vient s'infuser de façon à pouvoir prendre possession de nous et nous diviniser totalement.
La foi, qui est implantée dans l'intelligence, est une participation à la Personne du Fils. L'amour, qui est implanté dans la volonté, est une participation à la Personne de l'Esprit Saint. Et l'espérance, qui est implantée dans la mémoire, est une participation à la Personne du Père.
Et c'est ainsi que les trois vertus théologales, chacune pour leur part, nous font participer à la vie Trinitaire. Il nous suffit donc de nous laisser mouvoir par ces énergies divines, qui sont les Personnes Divines elles-mêmes, pour être peu à peu métamorphosés, divinisés.
Si bien que déjà dès cette vie, nous pouvons vivre notre vie d'éternité, comme il le dit ici : Nous sommes communauté de foi, d'espérance et d'amour réunie dans la communion au Père, et au Fils, et à l'Esprit Saint.
Donc ça, chacun en particulier, chacun personnellement, mais alors aussi la communauté comme telle, et au-delà de la communauté, la communauté des hommes, l'Eglise toute entière qui devient alors le Temple de Dieu comme il l'a expliqué plus haut.
Dans cette communion, nous nous sentons membres de la famille de Dieu et nous le devenons.
La famille de Dieu, elle compte trois Personnes, le Père, le Fils et l'Esprit Saint. Puis il y a le Christ Jésus qui est le Verbe de Dieu devenu homme. Et alors au-delà, il y a la Vierge Marie, et puis il y a les Saints, et il y a les hommes qui sont sur terre.
C'est donc alors toute la famille de Dieu et nous nous sentons membre c'est à dire qu'il n'y a personne qui nous soit étranger. On est vraiment membre d'une même famille. Nous sommes tous frères et nous sommes tous soeurs. Il n'y a pas dans cette famille de père ni de mère. Au plan, je dirais de la surnature, nous n'avons qu'un Père qui est Dieu, nous n'avons qu'une Mère, la Vierge Marie, et nous sommes tous frères et soeurs.
C'est extrêmement beau et c'est la vérité ! Nous devons le sentir comme il dit. Nous nous sentons membre et nous le devenons car nous ne cessons de grandir dans cette conscience et dans cette réalité. Nous sommes d'abord des embryons, puis nous devenons des bébés, puis des adolescents, puis des adultes jusqu'à notre pleine stature d'adulte en Christ comme le dit l'Apôtre Paul. Tel est le mouvement de notre croissance. Il en parlera encore plus loin.
Mes frères, le Père Abbé Général parle toujours de l'Eglise et voilà pour la première fois qu'il prononce le mot Eglise :
Marie, Mère de l’Eglise, vivifie notre cœur filial et resserre les liens de la fraternité.
Cela se comprend, si Marie est la Mère de l'humanité régénérée construite en Corps, le propre Corps mystique du Christ, donc édifié en Eglise, il est tout à fait normal que sa propre vie à elle fasse vivre notre coeur et lui donne les sentiments qui deviennent donc des sentiments filiaux vis-à-vis de Dieu notre créateur, et notre Sauveur, et notre Divinisateur, et des sentiments de frères entre nous et envers tous les hommes.
C'est dans ce sens-là qu'il faut entendre Marie, Mère de l'Eglise. Ce sont des choses auxquelles nous devons encore de temps en temps réfléchir. Et j'ai l'impression que le Père Abbé Général y a réfléchi parce que ce qu'il dit ici est vraiment juste et il est rare de le trouver exprimé de façon aussi correcte et aussi concise.
L’Esprit est l’âme de cette familiarité.
Cela, familiarité, ce n'est pas français. Ici cela a un autre sens. C'est sans doute traduit de l'espagnol. Je pense qu'il faudrait dire : l'Esprit est l'âme de cette famille, de cette familia, le mot latin plus encore que famille.
Et c'est vrai ! Pourquoi l'Esprit en est-il l'âme ? Mais parce que l'Esprit Saint est en Dieu l'amour. Nous le savons, il est aussi la lumière, il est aussi l'onction, il est tout ce qui anime. Il est donc l'âme.
Ce Chapitre sur la révérence à garder dans la prière est quasi textuellement emprunté à Evagre le Pontique. J'espère un jour que nous aurons l'occasion d'en parler. Mais en écoutant à l'instant, j'ai entendu qu'il fallait supplier le Seigneur Dieu de l'univers en toute humilité et pureté de dévotion.
C'est la puritatis devotio, 20,6. Attention ! Il ne s'agit pas ici de la dévotion, du sentiment qui ferait que nous aurions vraiment en nous l'instinct religieux porté à son paroxysme. Non, il faut entendre devotio dans son sens étymologique. La devotio puritatis, donc ce n'est pas la pureté de dévotion, mais textuellement, c'est la dévotion de la pureté. Cela veut dire que ce que l'on recherche, c'est uniquement le vouloir de Dieu.
La devotio, c'est la remise de soi à Dieu, et elle se fait en toute pureté. Et cette remise de soi inclut qu'à travers la requête qu'on présente à Dieu, ce qu'on désire fondamentalement, radicalement, c'est son vouloir à lui.
Donc, si nous avons en nous ce sentiment de remise à la volonté de Dieu, à ce moment-là nous serons toujours exaucés même si ce que nous recevons ne correspond pas à notre demande, ou même si Dieu parait ne pas écouter et rester enfermé dans son silence. L'essentiel de ce que nous devons demander, c'est donc toujours un accord de plus en plus parfait avec ce que Dieu attend de nous et ce que Dieu désire nous donner.
Est-ce que je me suis bien fait comprendre ? Nous devons toujours avoir cela à l'esprit, ne jamais le perdre de vue. Si nous nous adressons à Dieu dans ces termes-ci, dans ces dispositions-ci, nous sommes toujours exaucés, c'est à dire que le meilleur de ce qui nous est destiné nous est accordé.
Mes frères,
Le Père Abbé Général parlait donc de l'Eglise. Ecoutons-le :
J’appartiens, nous appartenons, à une grande communauté qui n’est limitée ni dans l’espace ni dans le temps.
Cette grande communauté est un ensemble où tous les hommes, quel que soit leur condition, qu'ils soient encore vivants dans leur corps charnel ou bien qu'ils soient vivants dans leur corps spirituel à l'intérieur de la création nouvelle, tous ces hommes sont liés entre eux et forment une communauté. C'est à dire qu'ils sont animés par la même vie, par les mêmes désirs, par les mêmes besoins.
Et cette communauté - qui est immense - n'est limitée ni dans l'espace ni dans le temps. Et ça, c'est très important ! Nous comprenons bien dans l'espace, mais dans le temps ? Cela veut dire que cette communauté existe déjà au moment où elle n'existe pas encore. Nous ne devons pas seulement penser au temps présent, ni au temps passé, mais aussi au temps à venir : cette communauté ecclésiale qui à l'intérieur de la temporalité divine n'a ni passé, ni présent, ni futur.
Nous sommes donc déjà maintenant liés à ceux qui viendront après nous et cela jusqu'à la fin des temps. C'est cela la grande communauté ! Et c'est la raison pour laquelle notre vie actuelle a un impact non seulement aujourd'hui, mais encore dans le passé et aussi dans le futur. Ce sont là des catégories qui sont les nôtres aujourd'hui dans l'espace-temps qui est le nôtre, mais l'espace-temps de Dieu est tout différent.
Je pense que notre frère Jacques-Emmanuel pourrait très bien nous expliquer ça, lui, infiniment mieux que moi, lui qui est grand spécialiste de ces questions du moins dans notre monde. Mais pour ce qui est du monde à venir, là, je pense qu'il est comme tout le monde vraiment quelqu'un qui a tout à apprendre ou tout à croire, et tout à découvrir.
Mais si nous pouvions avoir en nous, disons, cette conscience. C'est notre imaginaire qui doit jouer, mais ce n'est pas notre imagination. Donc, nous sommes dans un espace et à l'intérieur il y a ce temps qui nous dépasse à l'infini, parce que cet espace et ce temps, c'est Dieu lui-même.
C'est là une expérience d'ordre mystique et nous devons espérer y entrer sans délai, le plus vite possible, car alors notre existence terrestre prend une dimension et une coloration toute autre.
Communauté sans frontière sauf, par malheur, celle du cœur de l’homme qui repousse le Seigneur.
Elle n'a pas de frontière ! Les communautés humaines ont des tas de frontières : frontières politiques, provinciales, communales - les frontières de culture, les frontières des classes sociales, les frontières des fortunes, les frontières des degrés d'éducation, etc.
Mes frères, notre univers humain est ainsi morcelé à l'extrême. Et bien, dans cette communauté ..?. il n'y a aucune, absolument aucune frontière sauf une, celle du coeur de l'homme. Donc l'homme qui se ferme à Dieu, qui repousse Dieu. Alors là, celui-là vraiment crée une barrière entre lui et le reste. Mais il est prisonnier à l'intérieur de sa forteresse.
Parce que cette unité des enfants se réalise dans un mouvement ascendant, j’accepte une autorité et je vais au devant d’elle en me mettant à son et écoute en lui donnant mon assentiment.
C'est vrai ! Cette communauté, cette uni té des enfants, elle se réalise dans un mouvement ascendant parce qu'elle est comme sucée, attirée en Dieu. Elle est polarisée, elle est séduite et elle monte, elle grandit, elle se développe à l'intérieur de Dieu car la tête est le Christ et nous sommes tous ses membres.
C'est donc quelque chose, un être, c'est un être vraiment qui grandit et qui se développe et alors dans un mouvement ascendant. Et ce mouvement ascendant fait qu'il y a à l'intérieur une autorité qui dirige ce mouvement, qui l'ordonne, qui fait qu'il n'est pas anarchique.
Cette autorité, je viens de le dire à l'instant, c'est le Christ lui-même. Et le Christ, alors bien concrètement, va agir dans notre monde corporel d'aujourd'hui par l'intermédiaire d'un tiers qui recevra l'autorité. C'est l'autorité ecclésiale, ici. Ce sera donc l'autorité hiérarchique de l'Eglise.
Et alors, je vais au devant d'elle, je ne me dérobe pas à elle. Je vais au devant d'elle car je désire moi aussi grandir. Et comment vais-je au devant d'elle ? En me mettant à son écoute et en donnant mon assentiment. C'est cela l'..?.. obéissance.
L'obéissance n'est pas une soumission aveugle d'un homme à un autre homme - ce qui serait indigne de l'homme - mais elle est écoute amoureuse, attentive à cette autorité qui est le Christ et qui invite à collaborer à un travail, à une oeuvre qui est quelque chose d'extraordinaire, qui est l'édification du monde nouveau, d'un monde totalement transfiguré, totalement divinisé, où Dieu sera tout en toute chose à commencer par moi.
A ce moment-là, j'entre à l'intérieur de ce projet. Je l'ai entendu, je l'écoute, je donne mon assentiment. Cela, c'est le mouvement de l'obéissance. Donc vous voyez ici, mes frères, en quelques lignes le Père Abbé Général dit des choses qui pourraient être développées encore beaucoup plus longuement dans toutes les directions.
Mes frères,
Maintenant le Père Abbé Général nous parle de la Règle :
LA REGLE.
Je dois ici confesser un péché que, j’espère, vous n’aurez pas commis. Au cours de mes quinze premières années de vie monastique, j’ai prêté assez peu d’attention à Saint Benoît et à sa Règle.
Il faut tout de même oser avouer cela. Cela ne signifie pas que dans son monastère d'Azul il n' y avait pas d'enseignement sur la Règle de saint Benoît. Ce n'est pas ça qu'il dit. Il dit que ça ne l'intéressait pas, il y prêtait assez peu attention. Son coeur était ailleurs que chez Saint Benoît.
Cependant, heureusement est venu le jour de la rencontre.
Il s'agit donc d'une conversion. Il s'est trouvé face à face avec Saint Benoît et puis avec l'enseignement de notre patriarche.
J’ai ainsi appris à lire l’Evangile avec les yeux d’un moine.
Il y a donc une manière monastique de lire l'Evangile. Qu'est-ce que cela veut bien dire ? L'essence de toute vie religieuse est la sequela Christi, de suivre le Christ. Mais cette marche à la suite du Christ est adaptée à la spiritualité de chaque Ordre. Un franciscain, un dominicain, un jésuite, un mariste, un salésien ne suit pas le Christ comme le suivra un trappiste.
Il y a donc dans les paroles du Christ une certaine tonalité qui va frapper les oreilles d'un moine et qui sera étrangère à l'oreille d'un autre religieux. Je pense, pour ce qui nous regarde, aux valeurs de séparation du monde, de solitude, de prière, de prière dans un désert, un désert matériel et aussi un désert spirituel. Il y a des valeurs de charité fraternelle dans un coude à coude de tous les jours et de toute une vie.
C'est cela que le Père Abbé Général a découvert après sa conversion : lire l'Evangile avec les yeux d'un moine.
La Règle, incarnation de la vie de Saint Benoît, m’a enseigné à vivre chaque jour comme moine cénobite. Elle m’a enseigné le chemin de l’humilité et de l’obéissance ; et, par dessus tout, le chemin du bon zèle et de l’amour ardent qui mène au Père et à la vie éternelle.
Il y a ici une discrète notation au sujet de la spiritualité de notre Père Abbé Général. Ce sera le bon zèle - il va y faire allusion par après - donc cette ardeur qui fait se donner tout entier, sans réserve et sans retour, au Christ en lui-même et au Christ présent dans les frères et présent dans l'Abbé, cette vue de foi qui permet de comprendre ce qui est obscur, ce qui est étranger pour la raison.
Il y a aussi, chez lui, l'humilité et l'obéissance. Effectivement quand on le voit, il donne l'apparence d'un homme assez effacé, discret - Il ne cherche pas à se mettre en évidence - qui est plutôt porté à écouter qu'à parler. Voyez, l'obéissance et l'humilité ! Je pense que ce sont des traits de sa personnalité spirituelle.
La Règle, se faisant écho du Maître qui a renoncé à faire sa volonté, m’exhorte sans cesse à ne pas faire ce qui serait utile pour moi mais à faire ce qui le serait pour les autres.
C'est très important, ça, pour un Abbé Général ! Il ne doit pas faire passer ses idées dans les monastères qu'il visite. Non, il doit être à l'écoute de la personnalité de chaque monastère. C'est donc un Corpus, un Corps qui a ses traits et ses caractéristiques, qui a aussi sa façon de suivre le Christ en tant que Corps. Donc, il doit être à l'écoute et dégager ce qui peut être utile à ce Corps pour lui permettre de croître, d'avoir une toujours meilleure santé.
L’ascèse que m’enseigne Saint Benoît consiste à faire le pas allant de ce qui est « propre » à ce qui est commun, du « moi » vers les autres afin que naisse et croisse le « nous ».
C'est donc pour lui, encore une fois, être le plus proche possible du Christ de manière à être très proche de chacun des frères et ainsi de permettre au "nous", c'est à dire au Corpus monasterii toujours, de croître.
C'est donc une perpétuelle sortie de soi, passer de ce qui est propre à ce qui est commun, passer du moi aux autres. Ce doit être le mouvement naturel chez un moine. C'est l'exercice de la pauvreté, l'exercice de l'humilité et surtout celui de la véritable charité : rechercher ce qui est meilleur, non pas pour soi mais pour les autres.
Mais voilà, mes frères, le Père Abbé Général nous a dit un peu quelle était sa position vis-à-vis de la Règle. Je pense qu'elle est correcte même s'il a dû attendre 15 ans pour s' apercevoir que tous ces trésors se trouvaient enfermés dans notre Règle.
Mes frères,
Le Saint Esprit nous a réunis au terme de ce Carême afin que nous célébrions ensemble, dans la foi, le mystère le plus grand et le plus profond de notre existence d'homme : notre victoire sur le péché, sur la mort et l'assurance indéfectible de la vie éternelle.
Tout au long de cette sainte semaine, le Christ va nous conduire sur les chemins de sa passion et de sa résurrection. Nous allons vivre notre propre Pâque. Et nous découvrirons, travaillant l'intime de notre être, les énergies de la résurrection qui nous ont été méritées par notre Christ. Puisse la lumière de Dieu éclairer notre coeur et nourrir notre fidélité !
Mes frères,
Si nous voulons savoir qui est Dieu, il nous faut regarder le Seigneur Jésus entrant dans sa ville, dans sa capitale, au lieu de sa demeure. Aucun éclat, aucun prestige, rien de ce que ambitionnent les grands de ce monde.
Il est un homme parmi les hommes, un homme comme les autres. Il chevauche un petit âne. A la limite, la scène pourrait paraître puérile et grotesque. Mais ne nous y trompons pas, la folie de Dieu est le sommet de toute sagesse possible. Elle jette bas tout ce que les hommes de ce monde imaginent pour paraître quelqu'un.
Mais la foule, la foule des gens simples a compris. Elle sait, d'une intuition infaillible, que le Royaume de Dieu, c'est cela. Et ce Royaume lui est accessible, elle s' y trouve déjà. Elle sait, elle sent, elle voit. Elle ne peut contenir son enthousiasme.
Voilà, mes frères, ce qui est découvert aux simples et aux petits et qui est irrémédiablement caché aux sages et aux savants ! La scène qui vient de nous être présentée (Mt. 21, 1-11) a une valeur d'éternité. Si nous voulons connaître Dieu, si nous voulons entrer dans son intimité, nous devons nous laisser prendre par la main et descendre avec lui, comme lui, au plus bas, jusqu'au fond là où personne ne peut aller de soi-même.
Il faut accepter de se laisser dépouiller de toutes prétentions intellectuelles et spirituelles. Il faut accepter de devenir un âne, de devenir celui qui ne sait pas, et celui auquel on peut tout demander. Mais alors, Dieu se révèle dans la douceur de sa mansuétude, dans la beauté de sa lumière et de son amour. Et le coeur est comblé pour jamais.
Mes frères, notre procession, les rameaux que nous portons, nos chants vont exprimer notre espérance d'arriver nous aussi à ces profondeurs d'humilité et à ces sublimités de contemplation et de bonheur. Tout ce que nous allons faire aujourd'hui et les jours qui viendront seront une prière. Nous demanderons à notre Dieu de nourrir notre foi et de la conduire jusqu'à son accomplissement.
Maintenant, mes frères, avançons comme les foules de Jérusalem heureuses d'acclamer le Messie.
Mes frères,
Le récit que nous venons d'entendre nous rappelle tout ce qui nous a été donné pour que nous puissions entrer tête haute dans le Royaume de Dieu. Par nous-mêmes, nous ne sommes rien. La chair ne peut engendrer que la chair et la poussière retourner à la poussière. Mais dans le Christ, et qui que nous soyons, nous pouvons tout.
Dieu s'est fait homme. Il est passé par le dédale de toutes les misères humaines pour que rien de notre existence ne se perde et pour que par elle et avec lui nous puissions participer à l'être de Dieu et devenir des princes de son Royaume.
Mes frères, Dieu a voulu, pour lui la mort la plus injuste, la plus horrible, afin qu'aucune mort d'homme ne soit étrangère à la sienne. Rien en l'homme n'est plus personnalisé que la mort. Elle l'est d'autant plus que de l'intérieur elle est habitée par la mort de Dieu.
C'est le sens du sacrement que le Seigneur a institué au moment où il allait passer par le gouffre de la mort, le sacrement de son corps et de son sang. L'angoisse de Jésus ne peut être dissociée de ce sacrement ni de sa mort.
Chaque fois, mes frères, que nous communions à ce mystère, nous anticipons notre propre mort, nous l'acceptons, nous la vivons d'une certaine manière.
Mais attention ! Il ne suffit pas d'écouter le récit de la passion du Christ. Nous devons nous laisser pénétrer par lui. Nous devons devenir tout ensemble un avec le Christ et avec Dieu, et un avec tous les hommes de tous les temps. Le chrétien doit être dans le monde celui qui sait, celui qui comprend, celui qui donne un sens à tout par sa seule présence.
Dans le geste de cette femme qui, chez Simon le lépreux à Béthanie, verse un parfum très pur et de grande valeur sur les pieds de Jésus, il y a tout un Evangile, toute une Bonne Nouvelle. Cette femme a accepté de recevoir en elle la plénitude du mystère, d'être la disciple par excellence. Cette femme a tout compris et c'est pourquoi elle a sacrifié tout. Elle a uni son geste de folie à la folie même de Dieu.
Mes frères, nous devons demander à notre Christ la grâce de pénétrer à notre tour jusqu'au coeur du mystère, non pas de façon intellectuelle, spéculative, cérébrale, mais par toute notre vie. Et c'est cela le sens du christianisme.
Le chrétien - le moine surtout - est un homme qui s'en est remis à Dieu, un homme qui permet au Christ de revivre en lui toute son aventure, toute sa folie. Et comme je le disais tout à l'heure, la folie de Dieu est le sommet de toute sagesse possible.
Mais voilà, mes frères, notre foi est-elle suffisamment éveillée ? Sommes-nous sous l'emprise de l'Esprit ou bien encore sommes-nous les esclaves de la chair ? Et quand je dis la chair, je dis toutes les ambitions qui travaillent le coeur de l'homme et qui tentent de le faire s'élever à ses propres yeux surtout, peut-être aux yeux des autres pour lui donner une certaine apparence d'être, une certaine apparence de vie.
Mais tout cela, c'est illusion, mes frères, nous savons que la vie véritable, elle est dans l'union de l'être à la personne de Dieu. En dehors de cela, il n'y a rien.
Mes frères, voilà, nous devons être logiques, nous devons aller jusqu'au bout d'une logique qui anéantit toute sagesse charnelle. Au cours de cette semaine, nous allons revivre le mystère essentiel de notre foi, de notre existence d'homme.
Nous allons demander la grâce de lui être fidèle. Nous allons demander une fidélité renouvelée. Et telle sera notre espérance, l'espérance d'être exaucés afin de pouvoir participer de mieux en mieux en plénitude à la propre vie de notre Christ, à la propre vie de notre Dieu.
Mais pour cela, le récit que nous venons d'entendre, et qui est toujours d'actualité, nous dit que nous devons passer par le tunnel de la souffrance, le tunnel d'une sorte de mort, une mort mystique. Mais de l'autre côté, ce sera l'atterrissage sur le rivage de la vie éternelle, dès maintenant et pour jamais.
Amen.
Mes frères,
Aujourd'hui en ce Lundi-Saint, nous avons à nouveau contemplé le geste fou posé par Marie de Béthanie, la première sponsa Verbi. Cette femme ne se doutait de rien, elle ne craignait rien, elle ne voyait rien. Elle aimait tout simplement, elle aimait à perdre de vue, elle aimait jusqu'à se perdre elle-même.
L'Evangéliste Marc nous dit qu'elle portait ce parfum extrêmement précieux dans un vase d'albâtre. Nous savons que l'albâtre est un marbre blanc quasi transparent, le plus beau, le plus cher de tous. Le vase lui-même était donc sans prix. Il était cacheté, il était scellé afin que le parfum ne s'évapore pas, qu'il conserve toute sa teneur, toute sa vigueur, toute sa pénétration.
Et elle brise le col de ce vase. Elle le rend inutilisable. Elle pose là un geste de non retour. Le vase est perdu comme Marie elle-même se perd.
L'Apôtre Paul nous dit quelque part que nous portons les dons les plus précieux dans des vases d'argile, dans des corps soumis au péché, dans une chair qui est esclave de ses passions.
Marie, elle, avait dépassé la chair et ses convoitises, et ses agissements. Le Christ l'avait prise auprès de lui et l'avait mise à son côté. Marie était devenue lumière dans la lumière de Dieu et tout ce qu'elle touchait devenait lumière. Elle seule était digne de toucher la tête et les pieds de son Seigneur.
Quelques jours plus tard, des soldats sans scrupules, des soldats cruels comme on peut être cruel lorsqu'on est dépravé et qu'on a sous son pouvoir un être démuni de tout, et ces êtres-là vont aussi toucher la tête et les pieds, et les mains, et le corps entier du Fils de Dieu. Ils vont tenter de le profaner, mais en fait ils vont le transpercer et ils vont permettre que s'écoule de ce corps ce qui deviendra les sacrements qui donnent naissance à ce que nous sommes aujourd'hui : son Corps, son Eglise.
Mes frères, si Marie n'avait pas d'abord touché avec infiniment de respect et d'amour le corps de son Seigneur, de son Maître et, disons-le déjà, de son époux, les soldats n'auraient pas eu le pouvoir de le toucher. Nous allons le comprendre dans un instant.
L'un et l'autre Evangélistes, Marc et Jean précisent que ce parfum était - comme ils disent pistikè. C'est un mot grec. Mais comment le traduire ? Aujourd'hui, je pense qu'on dirait que ce parfum portait un label certifiant la pureté de son origine. C'était un cachet d'authenticité, de vérité. C'était un parfum extrêmement pur.
Mais de ce mot pistikè, nous pouvons voir aussi autre chose. Nous pouvons y découvrir une racine qui est la pisti, la foi. Le parfum était porteur de toute la foi et de tout l'amour dont le coeur de Marie était capable et ça le rendait encore infiniment plus précieux aux yeux du Christ. Il était l'image la plus éloquente de ce qu'était Marie.
Mes frères, l'Apôtre nous dit que nous devons être, partout où nous nous rendons, bonne odeur du Christ pour nos frères les hommes. Il faudrait aussi que le parfum que nous devons être soit pistikè, qu'il soit l'expression parfaite de la pureté de notre foi et de notre amour, de tout notre coeur. Alors, nous serons vraiment les frères de Marie de Béthanie.
Marc nous dit que Marie verse ce parfum sur la tête de Jésus, et Jean nous dit qu'elle lui en frotte les pieds. Il n'y a pas de contradiction nécessairement entre ces deux gestes. Ils ont pu être accomplis tous les deux, d'abord la tête et ensuite les pieds. En versant le parfum sur la tête de Jésus, Marie le consacrait Messie et Roi. En le versant sur ses pieds et en en frottant les pieds de Jésus, et en les essuyant avec ses cheveux, elle consacrait Jésus serviteur et rédempteur des hommes.
Elle accomplit donc l'Ecriture qui fait de Jésus le Roi d'Israël et le Roi de l'uni vers, et en même temps le serviteur et le rédempteur de tous.
Mes frères, nous pouvons encore nous poser une question. N'y aurait-il pas une réminiscence de cette scène chez l'Apôtre Pierre quand, au moment du dernier repas pascal pris en compagnie de Jésus, il s'exclame : Seigneur, ne lave pas seulement mes pieds, mais aussi ma tête, et alors j'aurai part avec toi, j'aurai part à tout ce que tu es, et à ta royauté, et à ton humble service.
Il est possible, mes frères, qu'il y ait eu chez Pierre une réminiscence instinctive, spontanée. Il a été témoin de l'onction de Béthanie et son instinct spirituel lui a fait comprendre après les paroles de Jésus ce que ce geste pouvait signifier.
En tout cas, mes frères, il est bien possible - à mon sens - que l'Apôtre Pierre ait une réaction analogue à celle de Marie de Béthanie, mais à un niveau beaucoup plus bas naturellement, et beaucoup plus intéressé. Car il désirait avoir part à tout ce que Jésus serait, à tout ce que Jésus était, tandis que Marie de Béthanie y avait part avant (?).
Marie agit donc ici en tant que Prophète dans la ligne de Samuel oignant David roi sur Israël. Mais elle va beaucoup plus loin encore. Ce n'est pas un simple geste rituel qu'elle pose, c'est un mouvement d'amour qui la fait participer à tout ce que Jésus est, à son être et à sa mission. Elle est donc vraiment la première sponsa Verbi. Et si nous allons au terme de notre vie contemplative, si nous permettons à l' Esprit de Dieu de la conduire jusque sur les sommets où il espère nous élever, à ce moment-là, nous serons à notre tour et à notre place sponsa Verbi, épouse du verbe de Dieu.
Mais pour cela, mes frères, il faut, à l'exemple de Marie de Béthanie, briser le vase d'albâtre, il faut entrer dans la sphère de la gratuité. Or, ne l'oublions pas - je ne sais pas si je vous l'ai déjà dit - mais la gratuité est mortelle. C'est à dire que pour poser sans cesse des gestes gratuits, pour devenir théophanie de la gratuité - pour reprendre l'expression de Monsieur Habachi - il faut être prêt à subir toutes les morts, et la mort la plus dure de toutes qui est d'être oublié, de ne plus exister, d'être perdu, d'avoir l'impression d'être perdu même pour Dieu.
Mes frères, lorsqu'on a traversé cette mort, à ce moment-là on peut vraiment permettre à l'Esprit Saint, à Dieu donc, de déployer en nous toute la gratuité qu'il est. C'est ce que nous enseigne encore aujourd'hui Marie de Béthanie. Puisse-t-elle intercéder pour nous et nous conduire jusque là où nous sommes attendus.
Mes frères,
Hier soir, je terminais en disant que dans notre monde de ténèbres la gratuité était mortelle. Et ce matin, au cours de a célébration eucharistique, l'Esprit Saint nous en a donné un exemple extrêmement éloquent. Jésus a lavé les pieds de ses disciples. Il s'est engagé de manière irréversible sur la route du plus grand amour qui soit, à savoir la gratuité absolue. Comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'au bout.
Il s'est agenouillé devant Judas le traître, il s'est montré son doulos, son serviteur, son esclave. Il a remis toute sa personne, tout son avenir à Judas comme aux autres disciples. Et Jésus ne s'appartient plus. Il est vis-à-vis de ses disciples comme il est dans son être de Dieu au sein de la Trinité, à savoir en état de dépossession parfaite.
Et il dit que tout disciple parviendra au faîte de sa destinée, s'il se dépossède à l'exemple de son Maître. Mes ses auditeurs ont-ils compris et vont-ils accepter ? Or, Jésus sent, et il sait donc d'une intuition infaillible, que l'un d'entre eux est fermé dans un refus définitif. Il prévoit très bien ce qui va arriver. Il le dit, à mots couverts d'abord, puis ouvertement, c'est très précis : Celui qui mange mon pain …
Et ici, pour moi, je vois une allusion discrète mais bien nette au pain que le Christ vient de transformer en son propre corps. Celui donc qui mange mon pain m'a donné un coup de pied, m’a frappé brutalement de son talon.
Vous savez que la façon la plus sadique de donner un coup de pied, c'est de frapper comme ça avec le talon. Cela fait extrêmement mal. C'est une blessure très douloureuse qui peut d'un seul coup jeter un homme par terre. C'est ainsi que les SS traitaient les prisonniers dans les camps de concentration. Ils avaient été éduqués à donner le coup de pied de cette façon là.
Et c'est ce qui est dit ici : il m'a frappé du talon, il m'a donné un coup de pied avec son talon. Puis, Jésus dit de façon plus précise encore : L'un d'entre vous me livrera à ceux qui veulent ma mort. Et alors il est bouleversé dans son esprit. Le texte de Jean est le seul à utiliser cette expression.
Cela signifie que il ne peut plus respirer. Sa respiration est comme coupée. Son souffle devient haché, sa voix devient tremblante. Il est ému jusqu'au plus profond de son être et il ne peut presque plus respirer. Voilà ce que signifie qu'il est troublé dans son esprit.
Il faut voir les choses de façon très concrète. Il ne faut pas immédiatement spiritualiser le mot esprit. Non, c'est le souffle, c'est le souffle vital. C'est ce souffle qui vient de Dieu et qui a été soufflé dans les narines de l'homme et qui a mis en route alors le processus de la vie. Et c'est cela qui, chez Jésus, est totalement bouleversé par cette perspective de la trahison.
Et le mot grec qui est utilisé signifie le trouble, l'agitation, le bouleversement et l'épouvante. C'est tout ça ensemble dans le mot tarakè. Rien déjà que l'assonance le dit. On l'entend, on le voit, c'est une scène. Et tel était Jésus devant ses disciples.
Il ne faut pas penser qu'il l'a dit de façon très placide comme s'il s'agissait d'un autre. Non, c'est sorti de lui, ça a été plus fort que lui. Il n'a pas pu se retenir et se maîtriser tellement son émotion était profonde et terrible.
Cela signifie que l'agonie commence. Et elle atteint d'un coup un paroxysme d'intensité. L'Apôtre Jean, dans son récit, ne parle pas de l'agonie de Jésus à Gethsémani, mais il en parle ici et de façon, peut-être, la plus éloquente qui soit quand on perçoit les nuances de la langue.
Alors, Jésus vit l'angoisse mortelle de la gratuité absolue. Il la vit par rapport à Judas qui par son refus devient le contraire de ce que signifie son nom. Je rappelle que Judas signifie, louange de Dieu. C'est celui qui, dans tout son être, a été créé, constitué pour être une pure louange de Dieu. Et voilà que d'un coup, il bascule dans son contraire.
On a eu le même phénomène. Ce n'est pas raconté dans l'Ecriture naturellement, mais la Tradition depuis toujours est là pour nous le dire. Il y a des anges, il y a des démons. Le démon est un ange qui a aussi refusé. Et voilà que leur chef, qui est le porteur de la lumière, le Lucifer, d'un seul coup il est devenu le prince des ténèbres. Cela s'est fait instantanément !
Cela s'est passé ici pour Judas. C'est quelque chose d'analogue pour ne pas dire quelque chose de semblable. Et lorsqu'il est dit que le démon entra en lui lorsqu'il eut pris la bouchée, à ce moment-là, c'est vraiment, vraiment plus qu'une complicité. C'est le partage d'un même sort.
Et on peut encore aller plus loin pour ce qui regarde Jésus. Dans le refus de Judas, ce sont tous les refus accumulés depuis le commencement jusqu'à la fin du monde qui se jettent sur Jésus et qui l'écrasent. On comprend alors la mesure de son épouvante et de son trouble. Et pourtant, Jésus ne cessera pas d'aimer, et d'aimer gratuitement, d'aimer pour rien, d'aimer de façon inutile.
L'amour qu'il est, l'amour qu'il manifeste ne sert à rien. La gratuité va jusque là. Nous sommes vraiment là au bout de la gratuité : c'est aimer de façon inutile, pour rien. Et ça, il le voit, il le vit dans Judas, et il le vit dans tous ces refus accumulés. Et voilà la conséquence : il en mourra. C'était fatal, il devait en mourir.
Mais attention ! La tentation de se reprendre a mordu Jésus, mais il n'y a pas cédé. Il est allé jusqu'au bout de l'amour. Car aimer comme ça de façon inutile - ça ne sert à rien - il l'a senti de façon la plus terrible lorsque il a été abandonné par son Père. Donc, celui qui l'avait investi de cette mission, de cette mission d'être l'amour jusqu'au bout, voilà qu'il le laisse tomber. Si bien que Jésus est absolument seul.
Alors ça a été le moment crucial où tout s'est trouvé en la balance. Jésus a posé la question : Pourquoi m'as-tu abandonné ? Et alors la .réponse a été un peu après, qui est sortie de son cœur : Père, entre tes mains je remets mon souffle, ce pneuma qui avait été épouvanté, bouleversé, je le mets entre les mains de toi qui m'a abandonné. Voyez la réponse, et jusqu'où va la gratuité !
Eh bien, mes frères, c'est cela être Dieu. Et c'est cela tout sauver, même ceux qui refusent. Car il n'y a que l'amour gratuit, l'amour porté à cet extrême qui peut être rédempteur d'absolument tous les hommes. Maintenant nous, comme chrétiens, nous sommes investis d'une petite part de cette mission. Et elle n'est pas simple, car la gratuité est mortelle pour nous comme elle l'a été pour Jésus. Elle est mortelle dans notre monde d'obscurité, de ténèbres et de péché.
Mais attention! Dans la création nouvelle, dans l'univers de Dieu, là, elle n'est plus mortelle. Au contraire, elle est la vie et la source de la vie. C'est pourquoi, dès maintenant, nous ne devons pas avoir peur de pratiquer cette gratuité, même si elle nous fait mal, même si elle doit nous conduire jusqu'à l'agonie et jusqu'à la mort, une mort mystique, une mort presque psychologique qu'on sent très bien dans tout son être. Parce que en même temps, cette gratuité est amour et surtout la source de la vie éternelle, car elle est ce qu'il y a en Dieu de plus profond, de plus beau et qui fait vraiment qu'il est Dieu et qu'il est Trinité.
Ces trois jours-ci, mes frères, il a été question de Judas. Aujourd'hui, il a même occupé toute l'avant-scène. Or, nous remarquons qu'il est toujours inséparable de Jésus. N'y aurait-il pas là un mystère ? Ne dit-on pas habituellement que les extrêmes se touchent. D'un côté, nous avons la gratuité absolue de l'amour à l'état pur, et de l'autre, le trafic intéressé dans l'indifférence la plus totale.
Judas vend sans scrupule aucun celui qui lui avait donné son coeur et sa confiance. Et Jésus, de son côté, ne lui retire pas sa fidélité. Jusqu'au bout, il lui tend la main. Oui, mes frères, Jésus et Judas sont inséparablement unis, inséparablement liés. On ne rencontre pas l'un sans rencontrer l'autre. Essayons, avec beaucoup de respect, sur la pointe des pieds, d'entrer quelque peu à l'intérieur de ce mystère.
Le sommet de la gratuité devait être atteint dans une rencontre avec l'extrême du refus. Cela signifie en pratique que Jésus est mort d'abord pour Judas, en mourant par Judas. Si bien que Judas apparaît comme une sorte de personnalité corporative. En lui, il condense la totalité des trahisons, des refus et des péchés.
Et pourtant, l'amour gratuit, qu'est la personne même du Christ, n'a pas un seul instant abandonné Judas. Ce n'était pas possible. Sinon Jésus eut failli à sa mission. Sur ce point précis, il aurait cessé d'aimer, il aurait cessé d'être gratuité.
Or, l'amour a toujours le dernier mot. C'est toujours lui qui triomphe. Il est la seule et unique réalité substantielle éternelle. Le reste est destiné à disparaître, ou bien n'existe même pas. Or, nous voyons Judas s'exclamer : J'ai péché en vendant un sang innocent, un sang auquel on ne pouvait adresser aucun reproche. Et il remet aux prêtres les 30 pièces d'argent, puis il va se pendre.
Mes frères, nous sommes ici vraiment au coeur d'un mystère devant lequel nous ne pouvons que nous taire. Mais retenons ceci : Jésus, pas un instant, n'a abandonné Judas. L'Apôtre Paul dit quelque part, tout à la fin de sa vie, que si nous autres devenons infidèles, lui Dieu, lui le Christ demeure fidèle car il ne peut se renier lui-même.
Là est l'explication de tout. Mais ça nous dépasse tellement que, encore une fois, devant un tel mystère de gratuité et d'amour, nous ne pouvons que rester silencieux, et adorer, et admirer.
Maintenant, mes frères, pour nous, où est la sécurité ? Saint Benoît après Macaire l'Egyptien nous le dit. Pour nous, la sécurité est à côté de Judas. Reconnaissons bien sincèrement que la gratuité nous est étrangère. Tous, autant que nous sommes, nous sommes des pécheurs et des trafiquants.
Et ici encore, les extrêmes se rencontrent mystiquement. Saint Benoît nous le dit bien clairement : c'est quand on est convaincu, mais vraiment, vraiment convaincu de son péché qu'on touche à la rive bienheureuse de la charité parfaite.
Il y a là quelque chose de paradoxal que, encore une fois, nous pouvons difficilement comprendre, et que nous devons vivre. Et c'est en le vivant qu'on s'aperçoit que là est la vérité.
Le publicain qui nous est donné en modèle par Jésus lui-même, puis par Macaire, puis par Saint Benoît, est totalement étranger à l'univers de la gratuité. Pour lui, la seule chose qui l'intéresse, c'est l'argent. Et tous les moyens sont bons pour s'en procurer. Il collabore avec l'occupant romain et il pressure sans scrupule ses concitoyens.
Voilà le publicain ! Et c'est lui qui nous est donné comme modèle. Nous voyons de suite de quel côté il est. Et nous voyons de quel côté nous devons être à notre tour.
Jésus nous dit : Reconnais que tu ne vaux pas mieux que lui. Entre dans ta vérité comme lui est entré dans la sienne et, alors, tous les trésors de mon amour viendront sur toi.
Le publicain a dit: Moi, je suis un pécheur, je ne suis pas digne de lever le regard sur toi. Mais prends pitié de moi. Judas à dit: j'ai péché, j'ai livré un sang innocent. J'ai commis le plus grand crime qui soit.
Et à nous, mes frères, il nous est demandé de réagir de la même façon et de dire : Oui, je suis pécheur et je n'ai qu'un seul recours, la miséricorde de mon Christ, la gratuité de son amour. Car, qu'y a-t-il d'aimable dans un pécheur si ce n'est l'infinitude de sa faiblesse, la profondeur de son ignorance et même la gravité de son péché.
Car, Dieu, qui nous a créés, nous connaît. Il sait ce que nous sommes exactement et il n'attend qu'une chose, que nous prenions conscience justement de la connaissance que lui a de nous, et que nous puissions nous tenir devant lui en disant sans crainte, mais dans la vérité : Je suis pécheur.
Et à ce moment-là, sa gratuité peut entrer en jeu, car c'est cela la gratuité. Elle peut enfin se projeter sur nous, nous prendre et nous métamorphoser. Mais encore une fois, plus on s'approche de Dieu, plus on entre dans la charité parfaite, plus on a conscience d'être ce pécheur-là. C'est ça qui est paradoxal.
L'Apôtre Pierre, lui, il s'était arrogé de façon indue le privilège de la gratuité. 0, moi, disait-il, j'irai partout où tu iras: et ma vie, je la donnerai pour toi: tous peuvent t'abandonner, moi, je ne t'abandonnerai pas. Nous savons ce qui est arrivé, il est lamentablement tombé, et ça n'a pas tardé. Il était nécessaire que lui aussi entre dans sa vérité pour devenir la pierre sur laquelle il était possible de construire le Corps du Christ.
Alors, mes frères, je voudrais terminer par une question : l'humilité, ne serait-elle pas de permettre au Christ d'exercer à notre endroit la plénitude de sa gratuité ?
Et je pense bien que c'est cela, que nous puissions nous tenir devant le Christ qui - ne l'oublions pas - est Dieu fait homme, nous tenir devant lui tels que nous sommes, dans notre péché. Et alors, lui permettre de déverser sur nous toute la gratuité, tout l'amour qu'il est.
C'est pour ça que Dieu est devenu homme ; et c'est pour ça qu'il a été jusqu'à se laisser mettre à mort ; et c'est pour ça qu'il est ressuscité. Donc, mes frères, l'humilité, c'est faire à Dieu, c'est faire au Christ le plaisir de reconnaître qu'Il est. Et bien, si vous le voulez, ce plaisir, nous ne lui refuserons pas.
Mes frères,
Le Seigneur Jésus ne nous lave-t-il pas les pieds à chacun de nous, chaque jour? Il a pris une fois la position de serviteur. Il ne l'abandonne jamais. Elle fait partie de son être. Elle définit sa mission.
Il est Dieu, ne l'oublions jamais ! Il est notre Créateur. Nous dépendons de lui en tout. Mais il est d'abord et surtout l'amour. Et l'amour est essentiellement oubli de soi, perte de soi, renoncement, gratuité, service.
L'amour ne domine pas, il n'exploite pas. L'amour lave les pieds. Il nourrit, il fait grandir. L'amour n'humilie jamais. L'amour prend les hommes tels qu'ils sont et, à partir de là, insensiblement mais infailliblement, il les transforme.
Mes frères, l'amour va au-delà de l'imaginable. Il s'anéantit et il se donne en nourriture. Lorsque l'amour - Dieu donc - est devenu corps et chair, coeur et sang, c'est parce qu'il voulait nous donner sa chair à manger et son sang à boire.
Et maintenant, il se perd dans celui-là auquel il se donne, dans celui-là qu'il aime et il s'assimile à lui jusqu'au bout. Nous devenons en lui sang de Dieu et chair de Ressuscité. Nous possédons déjà la plénitude de la vie éternelle.
Mais du coup, mes frères, l'amour nous entraîne dans sa propre folie. Il nous fait devenir témoin de tout ce qu'il est. Il nous invite, il nous encourage à sauter dans le vide, dans l'abîme de la perte de soi.
Mes frères, il nous rend capable de déposer tout narcissisme, d'abandonner tout égoïsme. Il nous apprend à être nourriture à notre tour pour nos frères, à nous perdre en eux pour nous découvrir vivant par eux. Il nous fait comprendre que la vie impérissable commence dans un regard d'amour posé sur le frère, dans le simple geste d'un agenouillement devant lui.
Mes frères, voilà tout ce que le Christ notre Dieu a voulu être. Il a vécu cet anéantissement afin de nous donner un exemple de ..?. ..?. , pour que nous fassions comme lui. Mais nous ne pouvons pas faire comme lui si nous ne le laissons pas vivre en nous.
Mes frères, c'est là toute la courbe de notre destinée d'homme. Avoir le courage de ne plus penser à nous, avoir le courage de nous ouvrir aux autres, avoir le courage d'une foi qui transcende les apparences, qui ne s'arrête pas à ce que les sens peuvent percevoir, mais qui traverse le voile et qui pénètre jusqu'au coeur, là où brûle le flamme de la présence divine, là où s'allume et reprend vie sans fin la flamme de l'Esprit, c'est à dire Dieu qui façonne, qui refaçonne, qui recrée, Dieu qui donne sa propre vie.
Mes frères, ce que le Christ a fait, le geste qu'il a posé, je vais le reproduire en ma propre personne, moi qui parmi vous tient la place du Christ. Nous prierons les uns pour les autres en ce jour du plus grand amour et il nous donnera à chacun la grâce d'être plus vrai, la grâce de lutter contre toute forme de mal, la grâce de mieux lui ressembler dans la gratuité du jusqu'au bout.
Amen.
Mes frères,
Il est impossible de prendre du recul par rapport à un événement qui nous crée. Il est des gestes fondateurs hors desquels nous ne sommes pas. Nous ne pouvons les regarder de l'extérieur. Nous ne pouvons que les sentir de l'intérieur.
Et il s'agit d'un sentir qui est de l'ordre du pressentiment. A la limite, il est de nature mystique. Il s'apparente au goût et il devient un lieu de sagesse. L'événement que nous évoquons liturgiquement aujourd'hui, appartient à cette catégorie fondatrice. Il n'est compris que lorsqu'il est vécu.
Mes frères, le mystère de la croix est le mystère de Dieu lui-même. Ce mystère s'ébauchait quand Jésus s'avançait sur le dos d'un ânon pour entrer dans sa ville. Et il brille d'un éclat insoutenable quand Jésus meurt sur une croix hors de sa ville. Toutes les images de Dieu, toutes les approches plus ou moins idolâtriques sont anéanties. Elles sont réduites à néant.
Qui est Dieu pour nous ? Reconnaissons-le, dans un premier temps, Dieu est la projection idéale de ce que nous désirons être. Et voilà que nous l'ornons de toutes sortes de quaIités, des quaIités qui nous manquent, les qualités qui nous font défaut et que nous espérons recevoir de lui. C'est la base, mes frères, de tout culte idolâtrique !
Mais Dieu s'est révélé à nous dans une chair d' homme. Et si nous voulons être lucides, nous verrons qu'il jette bas absolument tout ce que nous pouvons imaginer ou concevoir de lui. Dieu est tellement la vie qu'il peut se permettre d'être mis à mort. Dieu est tellement l'amour qu'il peut succomber sous toutes les haines accumulées du commencement du monde à la fin.
Dieu est tellement la lumière qu'il peut s'offrir en victime à toutes les ténèbres du monde. Dieu est tellement lui qu'il peut devenir chacun de nous pour le meilleur et pour le pire.
Mes frères, devant ces évidences qui nous dépassent à l'infini, nous ne pouvons que nous taire bouleversés. Et une espérance monte en nous. S'il en est ainsi, rien n'est jamais perdu et tout peut toujours être gagné. Nous pressentons alors que le mystère de la Pâque est le mystère de l'homme. Passer par la mort, nous ne pouvons l'éviter. Mais ce passage est le lieu d'une rencontre et d'un règlement de compte.
Dieu lui-même, dans la personne du Christ Jésus, nous débarrasse de nos péchés pour les prendre sur lui. Il se fait moins que nous pour faire de nous ce que nous ne pourrions imaginer. L'homme pourri de péchés, rongé de peurs se voit métamorphoser en pure lumière, en pur amour. Tel est sa valeur, tel est son destin face à son Créateur devenu son Rédempteur.
Qui est Dieu, mes frères, qui est l'homme, et qui sommes-nous ? Nous le pressentons quelque peu aujourd'hui. Puissions-nous ne jamais l'oublier, puissions-nous en vivre maintenant, et demain, et toujours !
Amen.
Mes frères,
La résurrection du Seigneur Jésus, bien que localisée dans un endroit et dans un temps connu, n'en est pas pour autant un événement à côté des autres événements de ce monde. Elle est inscrite dans l'Histoire, mais elle n'est pas circonscrite par l'Histoire. C'est elle qui enveloppe l'Histoire, qui la fait naître, qui la féconde. Elle est partout présente.
Elle est première en tous lieux. Elle est présente à l'instant même de la création. C'est elle qui lui imprime sa direction, son but, et elle est présente à l'heure ultime où le cosmos n'est plus que lumière en Dieu.
La résurrection du Seigneur Jésus est présente et agissante au coeur de tout homme. Elle est présente même au plus secret de tout péché pour déjà le pardonner et en investir la malice. Elle est présente au coeur de la matière pour la tenir en équilibre au-dessus du néant, et pour la pousser au-delà d'elle-même dans la nouveauté absolue d'une recréation.
Mes frères, la résurrection du Seigneur est partout chez elle. Elle n'est étrangère nulle part. Cela signifie, en pratique, que le Seigneur Christ ressuscité est le roi et le Régent de l'univers. Absolument rien n'échappe à son pouvoir.
Et ce pouvoir est tellement universel, il est tellement absolu, qu'il ne lui est pas nécessaire de s'affirmer de manière spectaculaire. Ce pouvoir est d'autant plus présent qu'il est caché. Il est d'autant plus puissant qu'il est humble. Et il est d'autant plus efficace qu'il est pur amour.
Voilà bien, mes frères, le contraire de ce que les hommes rêvent pour eux-mêmes. Ils rêvent de pouvoir exercer une influence sur les autres, de pouvoir organiser, de pouvoir imprimer leur marque sur les choses comme s'ils allaient pouvoir connaître ainsi une existence d'éternité.
Mais non, la vérité n'est pas là. La vérité est toute entière cachée dans la personne du Seigneur Jésus ressuscité, lui qui pour l'instant présent est ici parmi nous qui avons été convoqués par l'Esprit pour célébrer la beauté de son nom et la magnificence de son être.
Mes frères, laissons le Seigneur ressuscité prendre possession de notre coeur et devenons comme lui insignifiant, pauvre, démuni, caché, humble. Et c'est ainsi que sa propre puissance prendra possession de nous et que nous serons avec Lui et à côté de Lui, grâce à Lui qui est en nous, les régents du cosmos. Et ainsi, sans même que nous en ayons pleinement conscience, nous travaillerons au salut de tous nos frères les hommes.
Mes frères, au cours de cette nuit très sainte, nous proclamons notre foi en cette présence du Seigneur, présence autour de nous et présence en nous. Et à cette présence, nous nous ouvrons dans une confiance sans limite. Nous voulons être en tant que chrétiens la conscience éveillée et vigilante de l'humanité et du monde. Oui, le Seigneur Jésus est ressuscité d'entre les morts, et nous ressuscitons avec lui, et l'univers entier en nous.
Amen.
Mes frères,
En ce jour de Pâques, nous sommes au sommet de notre vie chrétienne et, disons-le bien haut, de notre vie contemplative. Tout, en effet, se situe dans le regard. Nos yeux de chair n'ont rien à voir au tombeau vide, mais les yeux de notre coeur sont invités à regarder au-delà et à croire.
Que va donc faire Dieu ? A quoi va-t-il s'atteler ? Il va travailler à purifier notre regard. Il va adapter notre puissance de vision à des réalités nouvelles, des réalités étrangères à notre monde de finitude.
Mais comment voir le ressuscité, si on ne reçoit pas soi-même des yeux de ressuscité ? Et comment les recevoir si l'être entier n'est pas métamorphosé ? Des yeux de lumière exigent un corps de lumière. Et un corps de lumière est un corps envoie de résurrection.
Vous êtes ressuscités avec le Christ, nous dit carrément l'Apôtre. Vous êtes morts avec le Christ, avec lui vous êtes passés à travers la mort, et déjà vous êtes tout entier à l'intérieur de la création nouvelle au coeur de la Trinité.
Voyez quelle audace, mes frères ! C'est un langage qui aujourd'hui est à peine tolérable. Et pourtant, il est la seule, unique et éternelle, impérissable vérité.
En célébrant la résurrection du Seigneur Jésus, c'est de notre propre résurrection que nous prenons conscience, une résurrection acquise sachons-le bien - une résurrection agissante qui dynamise nos énergies spirituelles, et même nos énergies physiques.
Car, il n'est pas possible que notre corps nouveau se forme à l'intérieur de nous sans que notre chair mortelle elle-même n'en répercute la présence.
Le tombeau vide est devenu le voile transparent à travers lequel nous nous voyons tels que nous sommes dans notre être d'éternité. Notre vie est cachée avec le Christ en Dieu. Nous sommes en Dieu, nous sommes chez Dieu et nous sommes comme Dieu.
Si nous sommes devenus semblable à Dieu, mes frères, nous devons comme lui ne plus rien faire qu'aimer. Aimer doit être notre respiration, car la respiration, chez Dieu, c'est l'amour. Dieu n'existerait plus s'il cessait d'être l'amour.
Durant toute la vie terrestre de Jésus, le démon n'a poursuivit qu'un seul et unique objectif : le mettre dans une situation telle qu'il succomba dans un piège qui fut le non-amour. Mais le Seigneur Jésus, qui était Dieu devenu homme, ne pouvait jamais cesser d'être l'amour. Et jamais la tentation n'a pu le faire tomber.
Mes frères, l'énergie du Christ est en nous par la force de sa résurrection. Il faut que nous aussi, quelques soient les circonstances dans lesquelles nous sommes placés, nous ne succombions jamais à la tentation.
O, je sais que c'est pratiquement impossible. Mais tout de même, ayons la lucidité de savoir, si cela nous arrive, que nous sommes des pécheurs, mais des pécheurs déjà graciés, des pécheurs à l'intérieur desquels la force de l'Esprit, la force
de l'Amour, la force de la résurrection, finira par l'emporter.
Oui, notre vie de ressuscité, notre vie cachée en Dieu, c'est notre capacité nouvelle d'aimer, d'aimer divinement, d'aimer gratuitement, d'aimer jusqu'au bout. Et cet amour, mes frères, est tout entier dans nos yeux nouveaux, des yeux de lumière.
Amen.
Mes frères,
Ce qui est demandé à l'Abbé, ne pensez-vous pas que c'est demandé aussi à chacun d'entre nous : être docte dans la loi divine, 64,24. C'est à dire pouvoir pénétrer par l'intelligence et par le cœur jusqu'au plus secret, au plus profond de la volonté de Dieu.
Et pour cela, il faut toujours être attentif, il faut veiller à écarter toutes les sources de dissipation et tenir les yeux du cœur fixés sur la lumière de Dieu qui s'offre à nous mais que malheureusement nous répugnons à contempler parce que notre convoitise est attirée par des jouissances immédiates.
Mes frères, il me semble que chacun d'entre nous devrait aussi pouvoir, comme il est demandé ici par Saint Benoît, haïr les vices et aimer les frères, 64,28. Les vices, c'est tout ce qui nous ligote, c'est tout ce qui nous entrave, c'est tout ce qui nous empêche non seulement de courir, mais aussi de marcher, qui nous empêche d'être des hommes, pas seulement des fils de Dieu mais des hommes parce que on ne devient véritablement homme que lorsque on grandit dans la filiation divine qui nous est accordée, qui nous est offerte, qui est implantée en nous et qui ne demande qu'à s'épanouir.
Mes frères, nous ne devons pas imaginer que Dieu est jaloux, lui qui demande à l'Abbé de ne pas être jaloux. Dieu est prodigue, il est prodigue de sa propre vie, il veut nous la donner. Il sait que c'est dans le partage de cette vie que se trouve notre véritable bonheur. Tout le reste est illusion.
Mais on pourrait dire : « Mais la vie divine, nous ne la sentons pas, nous ne la connaissons pas. Comment alors pouvoir être heureux si nous ne savons même pas ce qu'elle est ? »
Eh bien, mes frères, à cette objection, c'est l'espérance qui est la réponse adéquate, c'est l'expérience qui balaye absolument tout ce qui peut introduire à l'intérieur de nous le soupçon.
Non, la vie divine est véritablement sentie, elle est véritablement expérimentée, mais elle l'est par le cœur lorsque celui-ci petit à petit devient pur, lorsqu'il est adapté à cette vie. Or, c'est la vie divine qui peut purifier notre cœur. Ce n'est pas un cercle vicieux, non, c'est elle qui a l'initiative, c'est elle qui commence.
Et alors, il suffit de nous laisser travailler par cette vie pour insensiblement nous éveiller à elle et commencer à la goûter. Vous savez que les premiers cisterciens avaient pour ambition légitime de sapere, de goûter, de savourer cette vie divine qui est Dieu lui-même.
Voilà, mes frères, des petites choses que nous dit ici Saint Benoît. Il ne nous le dit pas comme je vous l'explique maintenant, mais c'est dissimulé, c'est enrobé dans ses paroles.
Et comme je le disais, mes frères, ne pas être jaloux, ne pas être un qui regarde tout ce que les autres font, ce que les autres deviennent, mais simplement rester attentif à soi. Et en se développant soi-même à l'intérieur de la vie divine, on rayonne tout bonnement cette vie sur les autres par le simple fait d'être là.
Mes frères,
Je voyais ici Saint Benoît qui dit en parlant du Prieur et s'attribuant une autorité sans contrôle. C'est traduit en latin par tyrannidis, 65,6. Mais on peut se demander : et l'Abbé, lui ? Est-ce qu'il a, lui, une autorité sans contrôle ? Le Prieur, lui, il est tenu à l’œil par l'Abbé, mais l'Abbé ?
On va dire, oui, il y a la Visite Régulière, bon, une fois tous les deux, trois ans. Et puis à l'époque de Saint Benoît, ça n'existait pas. Mais qui donc peut contrôler l'autorité de l'Abbé ? Ce n'est pas sa propre conscience, c'est trop facile. On peut modeler sa conscience d'après ses désirs à soi.
Eh bien, mes frères, celui qui contrôle l'autorité de l'Abbé, c'est la Personne du Christ lui-même, et au-delà du Christ c'est la Sainte Trinité, c'est notre Dieu qui est à la fois connaissance, et qui est amour, et qui est source de vie.
Et L'Abbé, lui, est obligé s'il porte vraiment le titre d'Abbé, s'il est digne de ce nom, il est obligé de toujours se référer à cette origine de toute autorité, donc de toute vie, de tout amour qu'est la Sainte Trinité. Et c'est elle qui le contrôle.
Comment maintenant va-t-elle opérer ce contrôle ? Eh bien, il sera indispensable que l'Abbé soit un homme qui vive en communion avec la Sainte Trinité. Donc il devrait, pour bien faire il devrait être un mystique, une sorte de Saint Jean de la Croix mais tout petit, donc qui est en communion avec la Trinité par l'intermédiaire du Christ.
Et alors, il est toujours en dialogue avec ces trois divines Personnes qui de façon directe souvent, mais beaucoup plus fréquemment de façon indirecte par les événements, par les frères, par les personnes le contrôlent et le maintiennent sur le droit chemin.
Mes frères,
Saint Benoît nous dit qu'il est préférable que le gouvernement du monastère dépende entièrement de l'Abbé. Le texte latin dit ordinatio, 65,26. C'est autre chose que gouvernement, c'est l'organisation interne du monastère pour que le corpus monasterii soit équilibré, qu'il grandisse, qu'il s'épanouisse, qu'il conserve une bonne santé.
Nous avons ici, mes frères, une toute première approche d'une réalité qui sera plus tard codifiée par le Droit Canonique, à savoir que l'Abbé est Supérieur Majeur. Cela signifie que un Abbé bénédictin ou cistercien n'a pas de supérieur au-dessus de lui. Il est Supérieur Majeur.
Le Père Immédiat n'est pas son Supérieur. Non, c'est un frère qui vient une fois ou l'autre voir si tout se passe normalement dans le monastère. Sa mission première est d'aider l'Abbé local dans sa tâche pastorale. Il ne vient pas porter un regard critique, il vient pour apporter une aide, un secours, un conseil.
Mais l'Abbé doit tout de même avoir un Supérieur. Eh bien, Saint Benoît y fait allusion ici. L'Abbé n'a qu'un seul Supérieur, c'est Dieu auquel il doit rendre compte de toutes ses décisions, 65,52. Il ne peut donc user d'un pouvoir arbitraire, d'un pouvoir despotique, tyrannique. Non, non, il doit toujours ordonner l'ensemble de la vie en s'appuyant sur les préceptes Évangéliques.
Car Dieu, pour lui, c'est Dieu devenu homme, c'est la Personne du Christ Jésus toujours présent dans le monastère, ce Christ qui est la tête du Corps mystique mais aussi la tête de ce Corps en miniature qu'est le monastère. Et c'est à ce Christ que l'Abbé devra un jour rendre compte. C'est ça son Supérieur !
Maintenant, si nous regardons l'organisation canonique disons contemporaine, et déjà depuis un certain temps naturellement, c'est que le Christ, il a sur terre un représentant autorisé qui est le Pape.
Donc, le Supérieur direct, immédiat de l'Abbé, c'est le Pape. Et lorsque le Cardinal Hamer vient nous rendre visite, lui qui est le représentant du Pape pour le monde des religieux, nous recevons la visite de notre Supérieur. Et l'Abbé doit le recevoir et le considérer comme son Supérieur.
Naturellement le Cardinal ne viendra pas ici pour faire l'inspection, ni pour réformer des choses ou procéder à des enquêtes. Non, Il vient en ami, mais nous devons le recevoir vraiment comme notre Supérieur. Nous n'en avons pas d'autre que lui.
Mes frères,
Nous allons tout de même donner la parole à notre Père Abbé Général. Il a attendu très longtemps. Mais ce qu'il va nous dire aujourd'hui est tout de même intéressant. Vous vous rappelez qu'il nous avait mis en garde contre une erreur que lui-même avait commise. Il avait attendu près de 15 ans avant de connaître vraiment la Règle de Saint Benoît. Il n'en a pas été de même pour nous.
Maintenant il nous parle de Cîteaux.
J’ai rencontré Cîteaux et Saint Bernard avant de rencontrer Saint Benoît. Cîteaux m’a donné des yeux pour lire « mystiquement » la Règle et découvrir qu’elle est toute entière orientée vers le « mystère » : le Christ caché en nous et au milieu de nous
« Mystiquement » et « mystère » sont entre guillemets. Il ne faut donc pas les prendre dans leur sens strict.
Cîteaux a donc donné à notre Abbé Général une certaine vision de la Règle de Saint Benoît, une vision d'ordre mystique, à savoir que son coeur a été orienté vers la contemplation d'un mystère. Et ce mystère est celui de la destinée humaine.
Nous ne vivons pas pour nous, mais nous vivons pour un autre, pour le Christ qui est mort et ressuscité pour nous. Cela signifie que nous sommes enracinés en lui. C'est de lui que nous tirons ce qui sera notre existence d'éternité.
Il est notre Créateur au plan de la nature, mais il est notre Rédempteur au plan de la surnature. Si bien que nous ne pouvons pas échapper - aucun homme ne peut échapper - à ce mystère. C'est de lui que nous venons, c'est par lui que nous vivons, et c'est en lui que nous nous épanouirons pour l'éternité.
Ce mystère établit donc l'homme dans la vérité de sa nature et de son être. L'homme est une créature voulue par Dieu, aimée de Dieu. Et cette créature que nous sommes est promise à un destin merveilleux, à savoir participer à la nature et à la vie de Dieu qui est Amour.
Ce n'est pas quelque chose qui nous sera donné après, c'est quelque chose qui nous est donné dès l'instant où nous apparaissons à la lumière de ce monde. Notre destinée est inscrite en nous et nous sommes orientés vers Dieu. Et déjà nous vivons de ça, et nous respirons de sa vie sans même le savoir.
Il n'est d'ailleurs pas nécessaire de le savoir, parce que être toujours attentif à cette présence de Dieu en nous pourrait être une forme subtile et dangereuse d'égocentrisme : ce n'est pas lui que nous contemplerions, mais ce serait nous-même.
Et a,lors, cette vie nouvelle se réalise dans l'union au Christ qui est devenu homme, nous le savons, pour que l'homme puisse devenir Dieu. Et comme le Père Abbé Général nous le dit : le Christ est caché en nous et au milieu de nous. C'est le Dieu présent et pourtant caché. C'est la réalité première, mes frères, Dieu dans la personne du Christ est au milieu de nous et avec nous.
Il est caché, non pas pour se dérober à nous, mais parce que nos yeux sont aveuglés, nos yeux sont couverts par une croûte qu'est l'égocentrisme. Nous souffrons d'une cataracte d'ordre spirituel. Et cet égocentrisme fait en sorte que nos yeux ne sont pas tournés vers Dieu, mais qu'ils sont tournés vers nous.
Oui, tout cela c'est extrêmement complexe et nous savons qu'il n'est pas facile de détourner ce regard de soi pour le tourner vers Dieu. Et pourtant, nous devons nous laisser soigner par notre Christ qui, petit à petit enlève cette croûte. Si bien que nous pouvons le voir, le reconnaître en lui-même et dans les autres, dans le frère.
Et nos yeux, alors, retrouvent leur fonction première qui est d'admirer la beauté de Dieu, la beauté du Christ dans sa création et surtout dans nos frères. C'est tout le cheminement, c'est tout l'épanouissement, lent mais progressif, de la vie contemplative, de la vie di vine en nous. C'est le commencement de la vie éternelle.
Car dès que nous sommes libérés de ce pondus cardis, de ce poids, de cette masse que fait peser sur nous la chair corrompue, à ce moment-là, nous pouvons en toute liberté contempler la beauté de Dieu partout où elle se trouve. Et c'est cela la vie éternelle.
La vie éternelle, comme les tous premiers moines le disaient, elle ne se situe pas dans l'amour, mais elle se situe dans la connaissance, l'amour étant un ascenseur qui nous permet de toujours mieux connaître.
Mais ce n'est pas là, vous vous en doutez bien, une connaissance d'ordre intellectuel ou cérébral. C'est une connaissance d'union, une sorte de mariage spirituel où on ne fait plus qu'un avec Dieu.
Et à la limite, lorsque cette union arrive à sa perfection, il n'est plus possible d'établir une distinction nette entre connaissance et amour. C'est une seule et même réalité.
Voilà, mes frères, ce qui s'appelle lire « mystiquement » entre guillemets la Règle de Saint Benoît et découvrir qu'elle est toute entière orientée vers ce mystère.
Mes frères,
Saint Benoît nous parle de l'oboedientiae bonum, 71,2, de l'obéissance qui est un bien. Vous savez que dans les Psaumes, il est souvent question des biens promis. Ce sont tous les biens qui nous seront donnés dans le monde à venir, au sein de la création nouvelle. Ils seront notre partage parce que nous serons en pleine communion avec le bien par excellence qui est Dieu.
« Personne n'est bon, que Dieu » disait Jésus lui-même. Et toute la création, Dieu l'a dit, elle est bonne, elle est belle, elle est un bien parce que elle est sortie de son cœur qui est amour.
Et voilà que pour Saint Benoît, l'obéissance est un de ces biens, un bien qui a une valeur éternelle et qui nous est déjà donné dès cette vie en plénitude. Il nous suffit d'ouvrir la main et d'ouvrir notre cœur pour le recevoir. Mais en quoi l'obéissance peut-elle être un bien ?
On peut avancer une multitude de raisons et nous les connaissons toutes. Saint Benoît en donne une ici, celle de la voie qui nous conduit à Dieu, 71,5. Mais il y a, me semble-t-il, un motif à cette bonté de l'obéissance.
On n'en parle jamais, on n'y pense jamais et je vais me permettre de l'exposer en quelques mots ce soir. L'obstacle à l'obéissance, nous le savons, c'est la volonté propre. Saint Benoît nous dit que nous devons haïr notre volonté propre, l'avoir en aversion, odire, 4,71.
Et c'est vrai, car notre volonté propre est l'expression de notre ego le plus féroce, de notre égoïsme, de nos illusions aussi car il nous semble qu'en faisant ce qui nous plaît, ce qui peut nous paraître le meilleur mais au plan spirituel - nous sommes dans un monastère - il nous semble que nous allons arriver à quelque chose. En réalité, c'est l'illusion parfaite.
Oui, car tout ce qui vient de l'ego, de l'égoïsme n'a absolument aucune consistance. C'est condamné à ne pas être. C'est une apparence, en réalité cela n'existe pas. Donc, il faut haïr la volonté propre.
Et pour être certain qu'elle soit bien en aversion, Saint Benoît dit : Ne faites rien d'après vos sentiments, vos idées, mais faites toujours contrôler. Ce qui vous passe par la tête, faites le contrôler par un Ancien qui va vous dire si ça vient du fond propre ou si ça vient d'une inspiration divine.
Mais ceci, c'est un préambule pour nous dire qu'il y a en nous une autre volonté que la volonté propre. C'est la volonté qui est l'expression de notre véritable moi, c'est à dire celle qui exprime notre nom, notre nom secret, notre nom unique, notre identité la plus personnelle.
Donc, c'est une volonté qui est parfaitement libérée de tous les liens avec l'égoïsme. Elle est étrangère à l'égoïsme. C'est notre volonté rectifiée, notre volonté pure, à l'état de pureté. Et cette volonté, elle est en nous, elle nous habite.
Elle est occultée par toutes sortes de nuages, par de la poussière. Elle peut être toute petite, réduite presque à rien par la volonté propre qui, elle, domine. Mais, elle est tout de même présente. Et alors, que se passe-t-il dans l'obéissance ?
Eh bien, l'obéissance n'est rien d'autre que l'accord parfait, que l'harmonie entre cette volonté bonne et la volonté de Dieu, et l'être de Dieu. Si bien que le saint, regardons le saint car là nous avons la perfection que nous devons atteindre, nous avons la vérité et nous ne nous trompons pas, regardons le saint et nous remarquons que cet homme fait toujours sa volonté, toujours sa bonne volonté.
Attention, cette volonté qui définit son identité d'éternité, il la fait toujours à l'intérieur de l'obéissance qui le met en harmonie parfaite avec le projet de Dieu. Donc, cet homme est parfaitement libre. Il n'a aucune contrainte, ni intérieur, ni extérieure.
Pourquoi ? Parce que sa volonté est animée par l'Esprit de Dieu qui la porte toujours vers le meilleur, et ça dans l'obéissance. Et c'est la raison pour laquelle l'obéissance est un bonum, elle est un bien, elle est un trésor qui nous est confié.
Au début, naturellement, il y a toute une éducation pour faire revenir à la surface cette volonté primordiale qui est quasiment d'avant le péché et qui est toujours là, toute une éducation qui est assez pénible, il y a du dépouillement, il y a du renoncement, enfin il y a beaucoup de choses. Il y a surtout la lutte contre la fameuse volonté propre qui est une autre volonté.
Mais une fois que notre volonté primordiale a repris le dessus, à ce moment-là, le moine fait toujours sa volonté. Il n'a plus la moindre sensation de faire la volonté d'un autre, il fait toujours sa volonté. Pourquoi ? Parce que sa volonté coïncide parfaitement avec la volonté de Dieu et cela à l'intérieur de l'obéissance.
Donc voilà, mes frères, ce trésor fameux qui est à notre disposition. Mais exerçons-nous, à notre petite mesure exerçons-nous à le pratiquer, c'est un quelque chose qui nous est confié.
Et dans la vie éternelle, donc dans le monde à venir, c'est ça qui constituera notre bonheur, c'est à dire de toujours faire ce qui nous plaît mais en ne faisant jamais que ce qui plaît à Dieu. Les deux modes de plaisance coïncident ici parfaitement et c'est ce qui fait que Dieu épanouit les saints.
Dieu ne les écrase pas. Dieu est tellement humble, tellement effacé qu'il se met tout à fait derrière. Et le saint a le sentiment de toujours faire ce qui lui plaît. Mais encore une fois, attention ! Ce n'est pas un « plaît » qui vient du fond mauvais, égoïste, non, c'est un « plaît » qui est en parfaite harmonie avec le « plaît » de Dieu lui-même.
Donc voilà, mes frères, ce bonum, ne le dilapidons pas mais essayons vite et sans perdre de temps, comme dit Saint Benoît, de libérer en nous ce qu'il y a de meilleur de façon à ce que l'obéissance soit vraiment notre plus grand trésor, et maintenant, et pour les siècles à venir.
Mes frères,
Hier, Saint Benoît nous parlait de l'oboedientiae bonum, de cette obéissance qui est un bien, qui est source de bonheur, créatrice de paix et qui nous introduit dans la propre vie de notre Dieu.
Aujourd'hui, il nous parle d'un zelus bonus, 72,4, d'un zèle qui est bon parce que il nous conduit à Dieu et à la vie éternelle. Et en contraste, il présente un zelus malus, 72,2, un zèle mauvais qui engendre le malheur car il sépare de Dieu et conduit dans les profondeurs infernales.
Et en quoi consiste ce zelus malus, ce zèle mauvais ? C'est un zelus amaritudinis, nous dit Saint Benoît, un zèle d'amertume. Mais n'oublions pas tout d'abord que c'est un zèle. Il présente donc toutes les apparences de la vertu et il faut être avisé pour le distinguer du bon zèle, pour faire la séparation entre les deux. Quels seront donc, mes frères, les symptômes de ce zèle mauvais ?
Eh bien, il engendre l'amaritudo, l'amertume. Et cette amertume, pour en comprendre la nature, il faut avoir à l'esprit tout l'arrière-fond scripturaire. L'amertume est liée au fiel, elle est liée au venin, elle est liée au serpent, elle est liée à la mort.
L'amertume est un produit de l'enfer et elle retourne à l'enfer entraînant avec elle le moine qui s'est ouvert à elle. Saint Benoît décrit ici le bon zèle, il ne décrit pas le zèle d'amertume et pourtant il est facile à reconnaître. En quoi consiste-t-il dans la pratique ? N'allons pas penser que c'est quelque chose d'étranger à notre petit univers monastique. A non, Saint Benoît en parle ici, donc ça existe dans le monastère.
Ce zèle présente - je le disais il y a un instant - toutes les apparences de la vertu. Il se fait le défenseur de la justice, de la régularité, du droit, des choses comme elles doivent être dans le monastère. Le moine qui est possédé de ce zèle est exactement le contraire de ce que saint Benoît attend d'un vrai moine.
Qu'est-ce que Saint Benoît attend d'un vrai moine ? Eh bien, il le dit en deux mots lorsqu'il parle du moine étranger qui arrive dans le monastère : contentus est quod invenerit, 61,7, il est content de ce qu'il trouve sur place.
Eh bien, le moine qui est possédé par le zèle mauvais d'amertume, il n'est pas content de ce qu'il trouve sur place. Il n'est content que de ses propres idées. Il n'est content que de ce qui lui passe dans la tête, de ce qui tourbillonne dans son cœur et son imagination. Il n'est content que de ce que fomente son égoïsme, ce qui pousse sur sa peur, sur son étroitesse d'esprit. Il est tout à fait fermé à l'univers de Dieu qui, lui, est un univers d'espace, un univers de charité, un univers d'ouverture.
Le moine qui est possédé par le zèle amer est refermé sur lui-même. Et alors, de sa citadelle, il épie. C'est un moine épieur. Rien ne lui échappe, ses yeux voyagent partout. Ils regardent tout, ils voient tout. Il enregistre tout, il amplifie tout. Et alors, que fait-il ?
Ce trésor qu'il a découvert et qui est contraire selon son idée à toutes les règles monastiques élémentaires, eh bien il veut le partager avec d'autres. Il va donc rechercher dans la communauté des oreilles complaisantes auxquelles raconter cela, auxquelles exposer la façon de s'y prendre pour réparer la vérité, la justice, pour que dans le monastère tout marche enfin finalement comme ça doit marcher.
Je ne dirais pas qu'il se considère comme un second Abbé - ça c'est l'affaire du mauvais Prieur - mais comme un super Abbé. Et encore mieux qu'un super Abbé, il se considère comme une divinité, oui ! Alors, et c'est là qu'on voit que c'est infernal, parce que il y en a un autre qui s'est considéré comme une divinité, et c'est le démon. C'est là qu'on voit que ce zèle amer vient de l'enfer et qu'il est démoniaque.
Et qu'arrive-t-il ? Eh bien, le cœur de ce moine, il est toujours rempli d'amertume. C'est un homme qui n'est jamais content. Et voilà, il y a quelque chose en lui qui est comme une perpétuelle indigestion. Il a toujours quelque chose sur le cœur à vomir. Et ce qu'il a à vomir, c'est de la contestation parce que ce qui est autour de lui ne marche pas selon ses petites idées.
Dans le fond, ce moine possédé par ce zèle d'amertume, c'est un sarabaïte aux petits pieds. Voilà, il canonise et il juge saint toutes ses propres idées. Ce qui lui est contraire, eh bien, ça c'est mauvais.
Voilà mes frères, et maintenant si on voulait reprendre tout ce que saint Benoît dit du bon zèle, et bien on verrait que c'est exactement l'image contraire de ce que je viens de dire maintenant. Le bon zèle crée la concorde, il sème la paix, il cultive la charité.
Le moine possédé par le zèle mauvais, il cultive la discorde. Il n'est heureux que dans les intrigues et, l'amaritudo, le venin qu'il a dans le cœur et qui l'empoisonne, eh bien, il n'est heureux - je dirais entre guillemets du bonheur que peut avoir au fond du cœur le démon - que lorsque ce venin, il peut le déposer sur d'autres frères et ainsi leur injecter sa maladie.
Voilà, mes frères, prenons bien garde de ne pas nous laisser posséder par ce zèle d'amertume qui est le zèle des réformateurs aux petits pieds ,dans les monastères. Mais ces malheureux - car vraiment ce sont des malheureux - ils devraient d'abord prendre conscience de leur maladie, essayer de se guérir eux-mêmes. Mais hélas, ils se prennent tellement pour des gens saints qu'ils n'ont pas besoin de conversion, à leur idée.
Donc, mes frères, prenons bien garde de ne pas être catalogués un jour au nombre de ces hommes parce que voilà ce que nous dirait à ce moment-là notre Juge : haec fecisti et tacui 7,81 ; Voilà ce que tu as fait, moi je me suis tu ; pensant que tu allais un jour changer, je t'ai donné tant d'occasion ; et maintenant, nous allons régler nos comptes…
Mes frères,
Saint Benoît est bien modeste lorsque il qualifie son oeuvre de minima inchoationis regula, 73,23, une toute petite Règle qui est juste bon pour dégrossir quelque peu des débutants de la vie monastique. N'allons pas nous imaginer que Saint Benoît succomberait à une fausse humilité et qu'en réponse il attendrait des applaudissements. Non, il a bien conscience d'avoir puisé largement auprès de ses prédécesseurs et il ne soupçonnait absolument pas le sort extraordinaire qui serait réservé à sa Règle.
A mon avis, et je pense ne pas me tromper, l'Histoire a largement prouvé que la Règle de Saint Benoît avait été inspirée par Dieu, c'est à dire que Saint Benoît était un Prophète qui vivait sous l'inspiration divine et qui a exprimé son expérience en quelques chapitres. Il n'est pas dans toute sa Règle, mes frères, il n'est pas un seul mot qui ne soit l'écho de la Parole de Dieu, pas un mot qui ne soit le miroir de la Tradition Patristique et Monastique la plus pure. On pourrait les prendre les uns après les autres et rédiger des volumes de commentaires.
Ce serait un magnifique travail de Lectio pour un moine, que je qualifierais de retraité, donc pour un ancien à la fin de ses jours. Il n'est plus bon a rien dans le monastère qu'à être une lumière et un exemple, une parole vivante. Et cet homme alors, chargé d'une longue expérience spirituelle, pourrait procéder à ce travail avec beaucoup de patience. Ce serait un monument unique.
Voilà, prenons un tout petit exemple, le tout premier mot de la Règle : ausculta, Pr,2, Écoute. Mais aussitôt vient à l'esprit le Psaume 44 : Écoute ma fille, regarde, tends l'oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père, le Roi sera séduit par ta beauté. Eh bien voilà toute la vie monastique en un verset.
Et Saint Benoît n'y a peut-être pas pensé quand il a écrit ce mot ausculta, mais il y en a un qui y pensait, c'était l'Esprit de Dieu. Il préparait le cœur des disciples de Saint Benoît à s'ouvrir à toute cette beauté que Dieu dans son amour met à la disposition des hommes qui veulent bien l'écouter, qui veulent bien ouvrir l'oreille de leur cœur et savoir que Dieu est séduit par la beauté qu'il a déposé dans le cœur humain.
Et alors, c'est de suite, mes frères, les épousailles mystiques : le Roi, la princesse et l'innombrable descendance. Et nous voici transportés à l'intérieur du Cantique des cantiques qui est, vous le savez, le chant Pascal par excellence. Alors nous sommes entraînés dans la vie, dans la passion et la résurrection du Christ et nous voici alors au pervenies, 73,26, le dernier mot de la Règle. On arrive.
Et aussitôt dans ce mot pervenies apparaît la figure de notre Père Abraham qui est parti à l'aventure sans savoir où il allait, simplement attentif à la Parole de Dieu. Et il parvenait toujours là où il était attendu, et finalement à l'intérieur de ce pays, sur cette terre qui devait devenir le lieu de son repos pour lui et toute sa race. Et dans cette terre, il y avait une autre terre.
Et nous voici dans le monde apocalyptique, la terre que le Christ lui-même a promise à ceux qui seront doux de cœur, à ceux qui lui ressembleront, cette terre que nous-mêmes recherchons encore aujourd'hui et qui est l'être même de l'homme-Dieu présent dans la personne du Christ.
Mais voilà, mes frères, une petite approche comme ça qui me passe maintenant par la tête, mais on peut ainsi continuer, et approfondir, et retrouver sa propre expérience. On voit alors que la vie monastique, c'est bien autre chose que du Droit Canonique, bien que le Droit Canonique soit indispensable. Mais il est lui-même, pour être vrai, il est de nature spirituelle et mystique car il est le support charnel, osseux, il est le squelette d'une vie qui se veut solide et qui se veut vraie.
Mes frères,
Il est presque prétentieux de prendre la parole après cet Evêque Russe qui nous a rappelé l'essentiel de notre mystère. Mais le devoir m'y oblige et je vais essayer de dire sur un mode nouveau ce que lui-même nous a exposé avec une pénétration spirituelle et pratique qui vient bien à son heure en nos temps troublés de guerres, de catastrophes.
Ô, permettez-moi de vous signaler tout de suite avec beaucoup d'humilité et de peine dans le cœur : vous savez qu'au Bengale vient de se produire un cyclone et un raz de marée qui a causé au moins plus de cent mille morts et il y a plus de dix millions de personnes sans abri.
Mes frères, telles sont les réalités d'aujourd'hui, et pourtant, pourtant voyons notre mois de mai. Il est tout entier tenu entre les mains de Marie et de Joseph, de cet ensemble sponsal extraordinaire à l'intérieur duquel nous pouvons lire notre nom, reconnaître notre identité, voir apparaître en filigrane la trame de notre destinée.
Grâce à Joseph et à Marie, Joseph qui est là le 10 Mai, Marie qui est présente le 31 Mai, grâce à eux, grâce à leur indéfectible fidélité, nous savons, mes frères, que nous sommes éternels. Avec eux et comme eux, nous sommes contemporains de Dieu dans sa Trinité et son Unité et nous transcendons l'espace et la durée.
Marie et Joseph nous disent que nous existons depuis que Dieu existe, c'est à dire depuis toujours. Nous vivons en effet de toute éternité dans le coeur de Dieu qui nous a voulus, qui nous a connus, qui nous a aimés à l'heure même où il prenait la décision de se lancer dans l'aventure grandiose de la création.
Marie et Joseph nous invitent à nous tourner vers la vérité de notre être profond. Ils nous invitent à croire en nous-mêmes, à oser vivre en plénitude et en joie. Nous sommes de Dieu et tout nous appartient, mes frères, jusqu'à Dieu lui-même, notre Père. Ecoutez le chant magnifique que Saint Jean de la Croix ose lancer. Nous sommes toujours dans l'Année Jubilaire et nous entendons au réfectoire quelques épisodes de sa vie. Ecoutez ce qu'il ose dire :
A moi sont les cieux et à moi est la terre, et à moi sont les peuples ; les justes sont à moi et à moi les pécheurs ; les anges sont à moi, et la Mère de Dieu est à moi, et toutes les choses sont à moi ; et Dieu même est à moi et pour moi parce que le Christ est à moi et tout entier pour moi. Que demandes-tu et que cherches-tu donc mon âme ? A toi est tout ceci et tout ceci est pour toi. Ne t’estime pas moindre, ne fais pas attention aux miettes qui tombent de la table de ton Père. Sors au dehors et glorifie-toi en ta gloire, cache-toi en elle et sois dans la joie, et tu obtiendras ce que ton cœur demande.
Mes frères, celui qui nous permet de lancer ces paroles d'une audace inouïe, c'est l' Esprit Saint qui scrute tout jusqu'aux profondeurs les plus secrètes de l'Etre Divin. Et cet Esprit nous a été donné pour que nous prenions conscience de notre qualité d’enfant de Dieu et pour que toute crainte soit à jamais bannie de notre coeur.
C'est Lui, c'est l'Esprit Saint qui nous dit d'où nous venons et où nous allons, de commencement en commencement, de bouleversement en bouleversement, de surprise en surprise, de mystère en mystère. C'est Lui qui nous dit que nous sommes faits pour aimer et pour être aimés sans restriction, sans limite, à perte de vue.
Et c'est Lui qui nous emporte sur les ailes de notre vocation totale. C'est Lui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts, c'est Lui qui l'a transfiguré, c'est Lui qui l'a emporté jusque dans le coeur de la Trinité. Et Il nous a pris, et Il nous a transformés, et Il nous a ressuscités avec le Christ. Et c'est pourquoi, déjà maintenant nous sommes vainqueurs. Et derrières les épouvantes qui peuvent surgir encore, dans cette vie luit déjà la Lumière, cette Lumière qui est Dieu lui-même dans son amour et dans sa beauté.
Mes frères, nous ne devons jamais nous arrêter, nous buter aux apparences et trébucher sur elles. Elles sont réelles, elles sont concrètes, elles nous font souffrir, elles peuvent nous faire mourir. Mais il y a quelqu'un qui est là pour nous tenir, qui jamais ne nous lâche, et qui à travers tout poursuit notre création et notre transfiguration. C'est l'Esprit Divin, cet Esprit que le Christ nous a laissé et qui est le témoin de sa présence et de son agir.
Et ainsi, mes frères, nous nous retrouvons dans le coeur de la Trinité, là où le Christ nous a conduits par son Esprit. Nous connaissons Dieu comme il se connaît, nous aimons Dieu comme il s'aime, nous possédons Dieu comme il se possède. Et ainsi, nous sommes au terme de notre vocation d'homme. Nous voyons la porte par laquelle nous sommes entrés. Et cette porte, c'est la Personne du Christ Jésus venu de Dieu et retourné à Dieu en nous entraînant avec Lui. Nous sommes en lui et il est en nous. Ce n'est plus nous qui vivons, c'est lui qui vient en nous.
Et il ne nous élimine pas, au contraire, il pousse l'humilité, l'effacement jusqu'à disparaître à notre sentiment, parfois, de manière à ce que nous ayons l'impression, mais bien réelle, que c'est nous qui vivons, que c'est nous qui sommes devenus des Dieu quand en réalité c'est lui qui nous a transfigurés et qui par son amour, par son Esprit a triomphé en nous.
Mes frères, cette convivance avec le Christ ressuscité et son esprit nous élève au sommet de notre identité la plus personnelle. Et ainsi, en Lui, nous recevons notre Nom et, comme Lui, nous sommes de toujours à toujours.
Ces merveilles, mes frères, nous sont offertes par les mains de Marie qui est sa Mère à Lui et notre Mère à nous. Sans elle, nous ne serions pas, c'est tout simple. Mais avec elle, nous sommes comme Dieu.
Et auprès d'elle, il y a un homme tout simple, extrêmement effacé, son époux Joseph, sans lequel elle n'aurait jamais pu tenir dans la mission qui lui avait été confiée.
Mes frères, telle est la parole prophétique qui nous est adressée en ce mois de Mai. Nous l'avons entendue de la bouche de cet Evêque Russe qui s'adressait à ses fidèles, mais au-delà d'eux qui s'adressait à nous et à toute l'Eglise.
Et puis nous avons entendu la parole de Saint Jean de la Croix. Et nous avons entendu, bien loin et pourtant infiniment proche, la Parole de l'Esprit qui nous rappelle notre destinée, notre vocation, notre Nom, et qui nous dit avec une certitude inébranlable que ce qui nous est promis nous est déjà donné.
Mes frères, puisse cette parole spirituelle, cette parole prophétique, nous pénétrer de plus en plus et nous transfigurer pour jamais.
Mes frères,
Si on devait un jour institué une fête de la vie monastique comme il existe une fête du travail ou une fête des mères, je porterais mon choix sur la solennité de l'Ascension. Celle-ci en effet esquisse le mouvement profond, irrésistible qui nous entraîne vers les hauteurs.
Saint Benoît parle des culmina doctrinae et virtutum, 73,26, des sommets de la gnose et des vertus, des deux grandes vertus chrétiennes et monastiques qui sont, vous le savez, la douceur et la compassion. Et cette gnosis, cette connaissance qui, avec l'amour, constitue l'essence même de la vie éternelle : connaître et aimer Dieu comme Il se connaît et comme Il s'aime.
Jean de la Croix nous parle aussi d'une montée. Il nous invite à gravir les flancs d'une montagne mystique qu'il appelle: la montagne du Carmel. Nos deux voyageurs quasi Israéliens pourraient nous en parler de cette montagne. Je me demande s'ils l'ont contemplée, s'ils l'ont visitée, s'ils en ont fait un lieu de pèlerinage et de retrouvaille avec Elie et le Seigneur des armées.
En tout cas, c'est dans cette direction que nous devons regarder, mes frères. Et nous savons aussi que c'est au sommet d'une montagne que les Apôtres ont contemplé le Christ transfiguré.
Le moine n'est donc pas un homme de la plaine. Même s'il est un
combattant, il est un ascensionniste et il ne peut respirer librement que s'il est au sommet. Saint Jean de la Croix - cela nous a été rappelé au cours de la retraite - il voit dans le contemplatif, un passer solitaribus in tectum, un passereau solitaire sur un toit.
Mais il y a aussi davantage en la fête de l'Ascension par le fait de cette montée. Le Christ nous dit que nous devons quitter ce monde-ci et tout ce qui en fait l'attrait pour gagner un monde nouveau dont Lui est la lumière.
Et ce monde, c'est la Personne de la sainte Trinité qui sont amour et qui sont lumière. Et là, mes frères, est notre lieu d'éternité. Le ciel n'est rien d'autre que cette Trinité de Personnes dans le cœur de laquelle nous devons entrer.
Et le Christ nous a dit qu'il partait nous y préparer une place puis qu'il reviendrait pour nous prendre auprès de lui. Tel est notre vocation, mes frères, nous laisser prendre auprès de lui.
Cet abandon, cette confiance définit la qualité de notre obéissance : nous laisser emporter au coeur de la création nouvelle pour y être prince à côté du Christ qui en est le Roi. Saint Benoît nous l'a dit hier : ut regni eius mereamur esse consortes, Pr.120, pour que nous puissions devenir participants à part entière de sa royauté.
Mes frères, notre coeur de contemplatif doit être établi déjà maintenant avec le Christ dans la lumière de la création nouvelle. Et c'est ainsi que la vie monastique et la fête de l'ascension doivent être unies. Cette fête de l'Ascension étant une puissante évocation de ce que nous vivons, de ce que nous espérons, de ce qui nous est promis, de ce que déjà nous possédons en prémices, cette communion avec la Sainte Trinité, cette union au Christ et cette contemplation de la divine lumière qui est notre nourriture et qui est notre joie.
Mes frères,
Nous sommes aujourd'hui le deuxième dimanche du mois de mai et quelqu'un a eu la bonne idée d'inscrire au tableau que c'était aujourd'hui la fête des mères. Nous nous y préparons déjà depuis plusieurs jours. C'est là une fête profane, une fête purement familiale.
Mais je me demande, mes frères, si ça ne pourrait pas être pour nous aussi une fête dans l'intime de notre coeur. Nous pensons certes à notre Mère la Vierge Marie, mais aussi nous devons penser à notre Dieu. Car si notre Dieu est Père, n'est-il pas encore davantage Mère?
Vous savez que la Sainte Trinité est au-delà de toutes les distinctions. Mais enfin, lorsque Dieu a créé l'homme à son image et à sa ressemblance, il l'a créé homme et femme, il l'a créé capable de devenir père et capable de devenir mère.
Il y a donc chez Dieu un élément que nous pouvons appeler féminin comme un autre que nous pouvons appeler masculin. Et cette beauté que nous voyons en notre Dieu est la conjonction parfaite de la perfection masculine et de la perfection féminine.
Et les vertus par excellence que les moines depuis l'origine essayent d'atteindre, non pas à la force des poignets mais en s'ouvrant avec confiance à ce Dieu qui est à la fois masculin et féminin, ces deux vertus - nous le savons - c'est la douceur et la compassion qui sont par excellence des vertus maternelles. La mère est toujours compatissante, elle est toujours accueillante et surtout, elle est la douceur même.
Je pense, mes frères, que nous devons aujourd'hui remercier Dieu de nous avoir donné la femme, de nous avoir donné la mère, d'avoir voulu lui-même avoir une mère et aussi, de nous avoir donné ces vertus de douceur et de compassion que nous devons laisser grandir en notre coeur de manière à ce que nous soyons nous aussi à la fois masculin et par une partie de notre être féminin, et que nous puissions avoir non seulement un coeur de père mais aussi un coeur de mère.
Et ainsi, mes frères, la petite fête de ce jour sera aussi la nôtre comme elle est celle de la Vierge Marie, de notre mère vivante ou morte, et celle de notre Dieu dans sa Trinité.
Mes frères,
Je pense que nous pouvons tout de même revenir une fois à notre Père Abbé Général qui nous parlait de Cîteaux.
Les Pères Cisterciens, sans oublier l a réalité objective du mystère, donnent la primauté à l’existence gratuite de ce mystère, joint au dépouillement nécessaire et à l’effort ascétique qui lui est inséparable. Cette expérience nous transforme intérieurement et nous rend unis à Dieu.
Le mystère de Dieu qui est caché dans notre coeur et qui est présent au milieu de nous est une réalité objective. Ce n'est pas une idée chimérique qui flatterait notre sentiment. C'est une réalité objective qui peut faire l'objet de réflexion et d'étude. C'est la théologie spéculative. Une théologie est indispensable. Il faut la posséder au moins à l'état embryonnaire si' nous ne voulons pas errer tôt ou tard dans l'illusion.
Mais les Pères Cisterciens quant à eux, sans négliger un fondement doctrinal solide, ont donné la primauté à l'expérience gratuite du mystère. Ils désirent prendre conscience de la présence du Christ ressuscité et de son action. Ils ouvrent donc leur coeur à une connaissance aimante et gratuite et ils n'attendent rien en dehors de cette rencontre amoureuse.
Ils ne veulent pas regarder le mystère de l'extérieur, mais ils veulent se plonger dedans, se laisser transformer et transfigurer par lui. Ils veulent devenir un seul esprit avec le Christ et monter jusque sur les sommets de leur vocation humaine et divine.
Mes frères, l'allusion que je faisais tout à l'heure à ce mystère caché en Dieu, le mystère de la maternité, nous ouvre - si nous voulons bien y être attentif - au mystère de la gratuité chez Dieu, chez la mère, ce mystère qui doit aussi prendre possession de nous. Car nous ne serons pas vraiment mère si nous ne sommes pas gratuits dans tout ce que nous faisons. Nous ne serons pas gratuits si nous avons à côté de l'espérance de notre rencontre avec Dieu autre chose, même des choses d'ordre spirituel.
Non, l'expérience gratuite du mystère va extrêmement loin. Nous en entendons encore quelques échos dans la lecture du réfectoire lorsqu'on nous parle de Saint Jean de la Croix. Mais Saint Jean de la Croix est arrivé assez tard, lui, dans le cours de l'Histoire. Il y en a bien d'autres avant lui, en particulier des cisterciens. Et avant les cisterciens, Saint Benoît; et avant Saint Benoît, tous ces Pères qui s'enfonçaient dans le désert pour y voir Dieu.
Mais pour en arriver là, il faut - comme le dit le Père Abbé Général - se soumettre à un dépouillement nécessaire. Et ce dépouillement doit être total. Et littéralement, dépouillement veut dire changer de peau. C'est là le long et patient effort de conversion.
Nous devons, mes frères, nous soumettre à Dieu en tout, à Dieu qui seul peut opérer en nous les mutations requises. Il y faut de la confiance, de la persévérance, et il y faut une espérance audacieuse et tenace.
Voilà, mes frères, essayons de retenir tout cela aujourd'hui et offrons à Dieu notre faiblesse, notre fragilité car si l'esprit est prompt, la chair est faible. Mais Dieu connaît notre vulnérabilité, lui qui a voulu devenir chair. C'est pourquoi il est toujours accueillant et qu'avec la gratuité, ne l'oublions jamais, il a le coeur d'une mère.
Mes frères,
Notre Eucharistie Vespérale nous rappelle que la création est toujours en travail d'enfantement. Elle attend la révélation des fils de Dieu, elle attend l'heure bienheureuse où Dieu sera tout en toutes choses. A ce moment, l'univers entier ne sera plus que lumière et louange. Celui qui permet à la création d'accoucher du divin, c'est l'Esprit Saint, cet Esprit qui est omniprésent quoique invisible, et toujours agissant quoique caché.
Jésus dans la Temple de Jérusalem crie, Jésus crie. C'est Dieu, mes frères, qui crie. Et il crie sans arrêt depuis que l'homme est sur la terre. Mais pourquoi ne l'entendons-nous pas ? Nous ne l'entendons pas parce que nos oreilles sont ouvertes à d'autres cris, aux cris de conflits, de disputes, des cris de compétition et de jalousie, des cris de douleur et d'horreur aussi comme si Dieu n'était pas le premier à endurer le mal, comme si son cri n'était pas d'abord un cri de souffrance.
Mes frères, Dieu crie pour rassembler les hommes. Babel, le Sinaï, le val des ossements sont un seul et même cri. Dieu veut donner aux hommes un seul coeur pour qu'ils puissent parler le langage de la concorde. Il veut leur donner une même loi pour qu'ils puissent vivre dans l'harmonie la loi de l'amour, de cet amour qui est la personne même de l'Esprit.
Il veut les éveiller à une vie nouvelle, une vie impérissable, sa propre vie. Il veut faire de chacun un organe de sa Parole de réconciliation, de rassemblement, d'union, de communion. Et il veut que l'humanité entière devienne un seul Corps dont l'Esprit sera l'âme, dont le Christ sera la voie. Et ce Corps unique ne sera plus que resplendissement de la beauté de Dieu. Voilà, mes frères, où Dieu, ce dieu qui crie sans arrêt, veut nous conduire. Mais il veut d'abord nous éveiller.
Mais voilà, mes frères, qui a des oreilles pour entendre ? Pourtant la vie de l'homme n'est-elle pas audition avant d'être vision ? C'est déjà vrai du nouveau né et c'est encore vrai de l'adulte. L'acte de contemplation lui-même, il est d'abord et surtout acte d'écoute.
Eh bien, mes frères, l'écoute en nous, c'est la Personne de l'Esprit, cet Esprit de sainteté qui nous a été donné. Cet Esprit est non seulement en nous écoute, mais il est aussi réponse, il est aussi parole. Et il est même plus que parole, à son tour il est cri et cri inexprimable.
Cet Esprit qui nous a été donné, si nous y sommes fidèles, si nous vivons dans sa mouvance, si nous lui permettons d'être en nous écoute et réponse, il devient alors un torrent de vie qui nous transporte au-delà de nous-mêmes jusqu'à l'intérieur de la Trinité.
Et ainsi, mes frères, de proche en proche, la création est conduite à son achèvement. Mais voilà, il faut que nous nous prêtions à cette action de Dieu, il faut que nous soyons ouverts à son cri.
Ô, si tous les chrétiens pouvaient être ainsi, je pense que le visage du monde serait métamorphosé et que l'heure de l'accomplissement se rapprocherait de manière foudroyante. Et au terme, mes frères, c'est encore l'Esprit Saint qui avec l'Epoux dira : viens !
Mes frères, voilà les beautés qui nous sont révélées en ces jours de Pentecôte. Demandons les uns pour les autres de comprendre, d'être ouverts et puis de croire, de croire en cette personne, de croire en ces réalités merveilleuses et puis de nous y abandonner à perte de vue, et cela sans délai.
Amen.
Mes frères,
Hier, nous avons entendu le Christ Jésus crier dans le Temple de Jérusalem. Sa voix débordait les enceintes du sanctuaire : elle emplissait l'univers, elle en ébranlait les fondements. Aujourd'hui, nous en percevons encore l'onde de choc et nous savons qu'elle n'a pas fini de se répandre et d'éveiller de nouvelles interrogations. Jamais peut-être l'homme n'a été aussi agité de questions, rongé de problèmes ? Il faut choisir : la réussite plutôt que l'échec, la vie plutôt que la mort.
La réponse, nous la connaissons et nous pouvons la donner. Elle est toute entière contenue dans l'événement évoqué ce jour. Les Apôtres et leurs compagnons, leurs voisins, tout l'entourage, tous ont assisté à l'irruption de l'Esprit, de cette Personne mystérieuse qui est vraiment Dieu avec nous.
Et cette irruption n'a pas cessé, elle dure encore, elle ne cessera jamais. Le ciel est venu sur la terre et y demeure comme en son lieu. Le monde en effet, et le coeur de l'homme en particulier ont été créés pour devenir temple de l'Esprit et être animés d'une vie nouvelle, une vie impérissable.
La réponse attendue est celle-ci, mes frères : le monde est plus que le monde et l'homme est bien plus que l'homme. Il est au-delà de tout ce que la science, de tout ce que la psychologie, de tout ce que la conscience peut percevoir, analyser, tenter de saisir.
Il est un au-delà de l'homme qui est l'homme accompli au creux de la Loi nouvelle qui a été répandue sur l'univers le jour où l'Esprit Saint est descendu parmi les hommes.
C'est une loi transfigurante, une loi pacifiante et exaltante car elle n'est pas un corps, elle est une Personne, et une Personne vivante, une Personne qui intègre toutes les lois de la physique et de la morale, qui les vitalise, qui les dynamise, qui leur donne un sens ultime.
Hors de la Personne de l'Esprit, mes frères, le monde chavire toujours et il est prêt à basculer dans le non-sens et dans l'absurde, car la Personne de l'Esprit Saint, c'est l'Amour. C'est bien autre chose que ce que l'homme met sous le terme d'amour. Nous ne pouvons pas concevoir ce qu'est véritablement l'amour si nous ne sommes pas devenus nous-mêmes des hommes de l'Esprit.
L'Amour, encore une fois, n'est pas un sentiment, il est une Personne. Et lorsque cette Personne prend possession d'un coeur, il ne le réduit pas en esclavage mais il le dilate à l'infini et il lui donne de devenir à son tour une véritable personne. Car la personne de l'homme ne peut s'accomplir qu'à l'intérieur de la Personne de l'Esprit.
Mes frères, cette Personne de l'Esprit Saint - qui est véritablement Dieu avec nous - peut nous donner ce dont nous avons atrocement besoin pour vivre et survivre, c'est à dire une vie qui n'est pas repliée sur soi mais qui est totale gratuité, qui n'est que accueil et que don, une vie qui est un océan à l'intérieur duquel il n'y a rien qui ne soit pur amour.
Mes frères, c’est le don qui nous a été remis. C’est Dieu qui s’est donné à nous dans son Esprit Saint, Dieu qui s’efface à l’infini, Dieu qui nous respecte sans limite et Dieu qui se donne à perte de vue. Et il veut nous entraîner dans ce mouvement qui est Lui.
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Telle est, mes frères, la vérité dont le monde a besoin, celle qu'il cherche comme à tâtons. Et, nous chrétiens, nous la possédons. Mais qu'en faisons-nous, mes frères, qu'en faisons-nous ?
Elle devrait nous métamorphoser de façon à ce que par notre seule présence elle soit une clameur, qu'elle soit ce cri que le Christ a une fois lancé dans le Temple de Jérusalem et qui retentit, qui retentira jusqu'à la fin du monde.
Mes frères, nous devons tous demander la grâce de devenir des pneumatophores, des porteurs de l'Esprit, des Temples de Dieu, des témoins irréfutables de cet amour qui nous dépasse à l'infini et qui est notre véritable lieu.
Amen.
Mes frères,
Si nous avons été attentifs à la Parole qui vient d'être proclamée, nous aurons perçu que tout dans notre existence quotidienne dépend de la qualité de notre regard. Il y a en nous un double regard.
D'abord le tout premier, un regard animal qui glisse à la superficie des choses et qui ne va pas plus loin. Il juge, il décide, il classe, il opère des synthèses, mais il ne peut pas davantage.
Il y a aussi un autre regard. C'est un regard que j'ose qualifier de divin car c'est le regard des enfants de Dieu. Et ce regard perce le voile des apparences. Il pénètre à l'intérieur des êtres, non pas pour fouiller, non pas pour épier, mais pour aimer.
Le Seigneur Jésus a fait l'expérience à ses dépens du regard animal qui se posait sur lui. Il s'en étonnait. Il en a souffert. Il en était comme paralysé. Il en perdait ses moyens. Il ne pouvait rien faire.
Oui, un tel regard est un regard homicide, il ne permet pas aux hommes d'être ce qu'ils sont. Au contraire, il les enferme dans des préjugés qui vraiment les conduisent aux portes d'une véritable mort.
Par contre le second regard, le regard des enfants de Dieu, est un regard vrai, un regard d'amour, un regard de confiance, un regard d'accueil et il ne peut procéder que d'un coeur pur, d'un coeur qui lui-même s'est ouvert, qui s'est livré à l'Esprit et qui est devenu parfaitement transparent à la lumière qui l'habite. Et cette lumière passe dans le regard et elle permet d'aller au-delà de ce que le regard animal perçoit.
De ce regard, mes frères, les hommes ont besoin. Ils l'attendent de nous pour oser croire en eux-mêmes, pour oser espérer dans la vie. Permettez-moi cette définition : le chrétien est un homme auquel le Christ a donné ses propres yeux. Ce sont des yeux qui permettent, je le répète, qui permettent aux hommes de vivre.
Car un homme ne peut pas vivre s'il n'a pas confiance en lui. Et s'il n'a pas confiance en lui, il ne peut donner sa confiance aux autres. Si bien que fatalement il diminue et finit par disparaître.
Les habitants de Nazareth au regard animal croyaient connaître Jésus. N'avait-il pas vécu trente ans au milieu d'eux. Ils savaient tout de lui. Ils connaissaient ses moindres démarches, ses moindres défauts. Ils connaissaient ses qualités aussi. Ils n'avaient plus rien à apprendre à son sujet.
Et voici qu'ils trouvent devant eux un homme nouveau, un homme inconnu et, ils s'en offusquent. Au fond d'eux-mêmes habitait une secrète jalousie qui les aveuglait. Ils faisaient les étonnés, mais en réalité ils en riaient.
Tels sont les hommes, mes frères, quand ils sont pris au piège de leur regard animal, au piège de leur mesquinerie.
Pour échapper à cette mesquinerie, nous devons, mes frères, cultiver nos facultés d'admiration. Elles dilatent le coeur et elles constituent en nous nos racines divines. Dieu est par excellence le grand admiratif. Il s'émerveille devant la moindre beauté, devant le plus petit acte d'amour.
Il l'a dit : Si vous avez donné, ne fut-ce qu'une fois, une verre d'eau à un de ces petits qui en ont besoin, cela vous sera rendu. Dieu ne peut pas oublier l'amour qu'il a une fois perçu. Il ne peut faire qu'admirer.
Par contre, le visage dur, le coeur obstiné dont nous parle le prophète sont le fait d'hommes repliés sur eux-mêmes. Ils se sont barricadés dans leur égoïsme et ils sont rongés par la peur. L'amour est un risque, mes frères, et ce risque, ils refusent de le prendre !
Pourtant aimer, c'est par un regard d'accueil s'ouvrir à l'autre et lui permettre de prendre en nous toute la place. Là se trouve le coeur du risque, c'est de céder la place à d'autres à l'intérieur de l'amour.
Mais si ce risque on le court, si on le prend, alors il s'opère un véritable miracle, le miracle du …?... qui se crée et d'une mutuelle transfiguration. Car l'homme ne peut véritablement vivre que s'il s'est ouvert aux autres, si ce n'est plus lui qui vit, mais si c'est l'autre qui vit en lui, à commencer par le tout premier qui est le Seigneur Jésus.
N'oublions jamais, mes frères, que lorsque nous accueillons l'autre dans notre coeur, c'est le Seigneur lui-même qui vient en nous. C'est lui que nous accueillons et c'est Lui alors qui nous rend autre, qui nous transfigure.
L'inimaginable puissance de l'amour peut alors déployer en nous ses virtualités et cela à l'intérieur de notre faiblesse. L'Apôtre nous l'a rappelé, nous pouvons lui faire confiance. Et nous pouvons alors, si nous sommes fidèles, entrer dès ici-bas dans la vie incorruptible.
Oui, mes frères, ne l'oublions jamais, tout, absolument tout se décide dans le regard, soit la mort, soit la vie. Demandons au Seigneur de fortifier en nous ses propres yeux de manière à ce que toujours nous choisissions la vie et qu'ainsi nous puissions la donner aux autres.
Amen.
Mes frères,
La proximité de la Transfiguration du Seigneur Jésus et de l'Assomption de la Sainte Vierge Marie sa mère m' invite à vous adresser ce soir des paroles étranges, des paroles surprenantes qui s'efforcent de soulever quelque peu le voile qui cache au regard de notre foi les profondeurs les plus secrètes de notre Dieu.
Et je vais poser une question : Dieu peut-il connaître, peut-il expérimenter dans son être même de Dieu ce que nous appelons la mort ?
Et la réponse est affirmative. Dieu peut faire l'expérience de la mort, et cela dans son être de Dieu, parce qu'il est Trinité de personnes, parce qu'il est Amour. Vous savez qu'il ne serait pas Amour s'il n'était pas Trinité.
Chacune des personnes divines ne tire pas son existence de son propre fond, elle la reçoit des deux autres. Chacune des personnes est suspendue à l'amour des autres comme au-dessus d'un abîme, comme au-dessus du néant. Et c'est précisément dans cette suspension au-dessus du rien que Dieu fait de façon sans équivalente l'expérience de la mort.
Et cette mort mystérieuse coïncide chez lui à la plénitude de la vie. Elle est la vie elle-même dans son jaillissement et nos vies à nous en dérivent à tout moment.
Maintenant - et ceci c'est important - notre mort à nous, notre mort physique, notre mort biologique, et naturellement chacune de nos morts mystiques, est un message qui nous dit qui est Dieu et qui nous sommes.
Le paradoxe de la mort à la manière de Dieu, nous y entrons nous-mêmes dans la mesure où nous devenons Amour. Pourquoi ? Mais parce que en devenant Amour, nous devenons Dieu. Et nous ne pouvons aimer vraiment que dans la mesure où Dieu prend possession de nous.
Que se passe-t-il alors ? Eh bien, Dieu insensiblement, prudemment, avec une extrême sagesse envahit notre être tout entier - notre coeur, notre esprit, notre chair - et il nous entraîne dans le tourbillon de sa vie.
A notre insu ! Pourquoi à notre insu ? Mais parce que nous n'y prenons pas garde, parce que cela se fait de façon tellement lente que nous ne le remarquons pas. Nous le verrons peut-être à des étapes très éloignées de notre vie, mais au moment même c'est à notre insu.
Donc à ce moment-là, lorsque Dieu prend possession de nous, nous devenons des personnes dans toute l'amplitude et la réalité du terme, c'est à dire des êtres irréductibles à tout autre, parfaitement autonome, entièrement libres.
Nous parvenons à ce stade d'épanouissement total lorsque nous-mêmes sommes devenus amour, lorsque l'amour a totalement triomphé en nous. Saint Benoît nous le dit, il faut être descendu au plus bas d'une sorte de déchéance pour prendre conscience que nous sommes nous aussi suspendus.
Et alors, l'amour de Dieu peut réaliser tout à l'intérieur de notre coeur. Et ce tout est absolument imprévisible. Nous sommes devenus comme Dieu, nous sommes devenus des fils de Dieu réels, nous sommes divinisés à la racine même de notre être.
Et alors, mes frères, nous nous apercevons que la source de notre être, de notre vie, elle ne se trouve pas en nous, mais qu'elle est située hors de nous dans un autre. Et ainsi, exactement comme chez Dieu, l'amour nous tient suspendu au-dessus du vide.
Ce vide, c'est une des faces de notre Dieu. Dieu ne se manifeste qu'à l'intérieur du vide, à l'intérieur du rien, à l'intérieur du néant. C'est le visage de Dieu qui nous apparaît en premier.
Et lorsque nous savons par expérience que nous sommes suspendus au-dessus de ce vide qu'Il est, et que c'est de à l'intérieur même de ce vide que nous recevons notre être, à ce moment-là nous sommes devenus semblables à Dieu et nous commençons à comprendre ce paradoxe inouï de la coïncidence chez Dieu en chacune des personnes divines de la mort et de la vie. Ainsi Dieu entend nous donner en partage sa propre expérience au …?... et, disons indiscernable.
Tel est, mes frères, le mystère au sein duquel grandit notre expérience chrétienne et monastique. Et voici quelque chose d'important : toute mort biologique - que ce soit celle d'autrui, que ce soit la nôtre qui se présentera tôt ou tard - toute mort physique est une parole qui nous rappelle cette beauté, à savoir que mort et vie chez Dieu et en nous-mêmes sont identiques.
C'est la raison pour laquelle notre mort physique doit être un acte conscient que nous devons poser chaque jour, comme nous le dit notre Père Saint Benoît. Il n'y a rien d'effrayant là-dedans puisque mort et vie sont pure coïncidence. Mais notre mort, qui est une parole de beauté, doit être consciente et nous devons nous y exercer chaque jour.
Le fait de la Transfiguration du Seigneur Jésus nous délivre le même enseignement. Il nous dit que notre être physique corruptible est le réceptacle de la vie impérissable dans la mesure où nous aimons, c'est à dire où nous nous recevons de Dieu et des autres. Encore une fois, le fait de se recevoir dans la totalité de ce qu'on est, c'est d'être suspendu au-dessus du rien.
Et alors, lorsque nous en sommes là, nous rayonnons la vie à travers cette mort qui est une mort de nature mystique à ce moment-là comme le Christ l'était toujours mais comme c'est apparu à l'heure de la Transfiguration, à ce moment-là nous sommes lumière et nous rayonnons la lumière qu'est Dieu dans toute sa splendeur.
Il ne faut pas penser à des phénomènes qui peuvent être photographiés ou enregistrés. Non, c'est une lumière qui est aussi réelle que la lumière de Dieu. Pourquoi aussi réelle ? Parce que elle est la propre lumière de Dieu qui transpire à travers un être mortel. Et la lumière de Dieu, vous le savez, seul un regard très pur peut la remarquer, peut l'admirer et peut l'adorer.
Mes frères, si Dieu est devenu chair, c'est pour nous élever jusque là, c'est pour nous diviniser parfaitement. Notre vie humaine est réussie lorsque nous sommes devenus des "Dieu", lorsque - exactement comme chacune des personnes divines, mais à notre niveau de créature, et en pur grâce, par cadeau - nous sommes suspendus au-dessus du rien.
Cette vérité, elle est très occultée de notre temps. Elle était courante au début de la vie monastique, encore chez nos Pères Cisterciens. Aujourd'hui, elle est voilée. Il est donc utile de la rappeler.
L'Assomption de Marie au terme de son existence terrestre ne nous dit rien d'autre. Il n'y a pas eu en Marie quasiment un avant ou un après, elle était entièrement morte à elle-même et sa mort biologique a été la révélation de ce que elle était déjà : entièrement prise chez Dieu.
Alors mes frères, au cours de ce mois, si vous le voulez bien, nous allons nous en souvenir à l'intérieur de l'amour où mort et vie ne font plus qu'un.
Et notre mort - notre mort, vous savez, il en existe une autre, mais ce n'est pas de celle-là que je parle, cette mort du péché. Ce dont je parle, c'est la mort au péché - cette mort qui est le fait de se recevoir totalement des autres dans un amour sans réserve.
Eh bien alors, mes frères, nous pouvons dire comme l'Apôtre Paul : Mort, où est ton aiguillon ? L'aiguillon de la mort, c'est le péché, mais la mort a été engloutie dans la victoire. Il n'y a plus de différence entre mort et vie. Le péché a disparu. Il faut qu'il disparaisse de notre coeur, que nous soyons parfaitement purs comme un diamant d'une eau absolument unique.
Et à ce moment-là, mes frères, notre mort physique - qui arrivera bientôt, comme nous dit Saint Benoît, et ce bientôt vous savez, ne se calcule pas en mois ni en années, il est un bientôt qui rencontre l'éternité de notre Dieu -.
Eh bien, à ce moment-là, nous serons devenus la vie et nous serons pour les autres un message d'encouragement qui leur dira que le résultat d'une vie chrétienne et monastique, et contemplative réussie, c'est cette coïncidence parfaite entre la mort et la vie.
Mes frères,
Le Seigneur Jésus vient de prononcer devant nous une de ses paroles paradoxales dont il a le secret. Il vient pudiquement de lever un coin du voile qui cache à nos regards curieux le mystère de sa Mère. Il nous a dit clairement quelle était l'origine de la maternité divine de Marie, le moteur qui a entraîné toute sa vie, la raison de son exaltation suprême en Dieu.
Marie est celle qui a cru. Elisabeth la première l'a compris et l'a chanté. Marie a construit toute son existence sur une parole entendue, une parole absolument déconcertante. Elle, la fiancée de l'ouvrier Joseph, allait devenir l'épouse de Dieu, et Dieu la rendrait mère.
Nous savons - elle le sait maintenant - où sa foi l'a conduite. Mais alors, elle l'ignorait totalement. Comme son Père Abraham, elle partit sans savoir où elle allait. Et ce non-savoir fut son partage jusqu'au bout.
Mes frères, nous avons pour mère - dans l'ordre de la grâce - une femme assimilée toute entière à la foi qui était sa respiration. Et nous-mêmes, nous sommes pétris de cette foi, si bien que hors d'elle nous n'existons pas.
La foi, c'est Dieu en nous, c'est Dieu faisant de nous des fils, faisant de nous des "Dieu". Sans la foi, nous sommes des animaux voués à la mort et à la corruption. Avec la foi, la mort physique elle-même reçoit tout son sens. Elle est étroitement conjointe à la vie.
Si bien, qu'il ne nous est pratiquement pas possible de faire une distinction entre les deux. La vie, la propre vie de Dieu, celle à l'intérieur de laquelle nous grandissons, elle a deux faces : une face de mort et une face de vie jusqu'à l'intérieur de Dieu.
C'est ce mystère qui se révèle à nous dans la foi qui est nôtre. Par cette foi, nous savons qui nous sommes et nous savons que faire. Si nous hésitons, si nous doutons, il nous suffit de regarder Marie. Comme elle, nous devons nous recevoir de Dieu dans la foi et, avec elle et en elle, entrer dans la vie impérissable.
Dès l'instant où Marie a cru, elle a vaincu la mort. Non pas la mort dont je parlais il y a un instant, mais la mort qui est le fait du péché. Pécher, c'est s'attacher étroitement à ce qui ne veut pas être, à ce qui n'est pas, à ce qui en soi est mortel et mort. Eh bien, Marie, par sa foi, a totalement écarté, vaincu pour jamais la mort.
Marie n'a pas demandé de détails lorsque il lui a été annoncé qu'elle serait la mère de Dieu. Elle n'a pas fait de pronostics, elle n'a pas construit tout un système de vie. Non, elle a tout simplement marché heure par heure à travers les voies ...? ...? . Son oreille ne cessait d'entendre le chant de cette Parole et cela lui suffisait.
Elle savait à qui elle avait donné sa foi et elle ne marchandait pas. Et c’est ainsi qu'elle est entrée dans la lumière, qu'elle est devenue lumière et qu'elle a accompli sa destinée. Et aujourd'hui, elle l'achève en plénitude, dans une plénitude qui se dilate sans fin et sans mesure.
Et n'allons pas nous imaginer qu'elle est là et qu'elle ne s'occupe pas de ce qui se passe ici. Non, elle est extrêmement proche de nous. Là où est le Christ, là est sa mère. Or, le Christ est ici au milieu de nous qui sommes assemblés en son nom. Et Marie est également ici à l'intérieur de notre assemblée.
Mes frères, une véritable vie monastique est comme le décalque de la vie de Marie. Elle est toute entière animée par la foi, et une foi qui passe insensiblement au stade de la vision.
Car, lorsque nous sommes pleinement éveillés à la foi, lorsque nous sommes devenus avec Dieu un seul esprit, tout ce qui s'interpose entre le monde de Dieu et nous est comme enlevé et nous commençons à voir. Cette foi, qui est la nôtre, elle ne scrute pas l'avenir. Elle ne connaît que le présent et Dieu à l'intérieur de ce présent.
Mes frères, c'est dans le sein et dans le coeur de Marie que nous recevons notre vie divine. C'est de même à l'intérieur d'elle que insensiblement notre foi nous transfigure. Telle est notre route, ce fut celle de notre mère Marie. Et soyons-en persuadés, mes frères, il n'en est pas d'autres.
Amen.
Mes frères,
Le Chapitre Général a l'intention de se pencher sur la dimension contemplative de la vie cistercienne. Il est apparu en effet à l'audition des rapports des différentes maisons de l'Ordre qu'une dangereuse dérive s'installait depuis environ une dizaine d'années, dérive qui entraînait l'Ordre insensiblement en dehors de la voie contemplative.
Ce phénomène semble même s'aggraver. Vous vous rappelez sans doute que Dom Ambrose avait affirmé dans une de ses lettres que de nombreux monastères s'installaient de plus en plus dans un mode de vie qu’il qualifiait de bourgeois.
On exige le maximum de confort, une nourriture recherchée et toutes les facilités de la vie moderne. On ne sait plus attendre. Il faut tout et tout de suite. On perd le sens du renoncement. On bavarde dans tous les coins. On se referme sur soi.
Mes frères, il faudra un jour que nous nous interrogions au sujet de ces phénomènes, de ces symptômes, voir si le virus ne commence pas à nous mordre et à nous rendre malade ?
Pour redresser la barre, on pourrait commencer par contempler Marie dans le mystère de son Assomption. Vous savez que c'est dans ce mystère qu'elle est la Patronne de notre Ordre. Nous allons voir pourquoi, et nous allons voir pour quelles raisons un regard d'amour posé sur elle peut nous aider à retrouver le véritable sens de notre existence.
Le moine cistercien, en effet, doit être un homme qui se prête à un agir sur lui, agir qui va par l'intérieur insensiblement, jour après jour, avec une patience infinie, qui va le métamorphoser.
La vie monastique contemplative est en effet essentiellement de nature eschatologique. C'est un grand mot, mais il veut dire ceci : qu'elle vise à anticiper la condition finale de l'humanité régénérée.
Elle veut rendre présente sur terre la création nouvelle, là où Dieu est tout en toute chose, le Dieu Amour bien entendu, le Dieu Trine qui est Amour et surtout et d'abord dans le coeur des hommes.
Chaque moine cistercien devrait donc se laisser emporter mystiquement là où est Marie aujourd'hui. Et pour ce faire, il doit d'une certaine manière anticiper sa propre mort en se dépouillant de tout, en se détachant de tout et en s'offrant spontanément à la transfiguration.
Ecoutez bien ceci, mes frères, et je pense que c'est très vrai : Hors de cette approche mystique, totalitaire, on se contente d'une vague perfection humaine qui autorise en pratique tout et on se cantonne dans une piété cérébrale ou sentimentale qui donne bonne conscience et qui en fait, je dirais, s'il se produit une cristallisation, un établissement dans cet état, va rendre l'homme vraiment parfois en dessous de sa condition humaine.
Car à l'intérieur de notre vie, c'est presque quitte ou double ou bien on se lance dans cette aventure de la remise de soi totale à Dieu pour une métamorphose spirituelle, ou bien on s'installe dans une sorte de perfection purement humaine et insensiblement on dégénère. C'est ça, à mon avis, l'origine de cet embourgeoisement que Dom Ambrose signalait dans une de ses dernières lettres circulaires.
Le moine n'est pas fait pour s'installer, le moine est un voyageur, le moine est un migrant. Et un des signes de cette migration - je pense que c'est exact - c'est que dans un monastère, ça change toujours, pas au plan des observances mais au plan d'une amélioration qui va vers une expression plus grande de la beauté.
Le jour où dans un monastère il n'y aurait plus de travaux - employons ce mot-là - simplement de l'entretien d'ailleurs, pas seulement les travaux de rénovation, ce serait fini. Ce serait comme chez nous dans notre organisme corporel. Lorsque les cellules ne se renouvellent plus, c'est la sclérose qui s'installe et la mort n'est plus tellement éloignée.
Alors, mes frères, un second point que nous pourrions nous attacher à étudier chacun personnellement - j' y ai fait une petite allusion hier au cours de l'homélie - c'est que pour transcender ainsi les limitations imposées par la chair, il faut épouser jusqu'au bout la foi audacieuse de Marie.
Telle est la condition de départ d'une vie contemplative digne de ce nom. Il faut avoir dans le coeur l'audace de la foi. Il faut comme Marie, tout croire, tout risquer et tout lâcher. Il ne s'agit pas naturellement d'une croyance quelconque en un credo. Il faut le credo, naturellement, mais la foi ce n'est pas cela.
La foi, c'est le bouillonnement en nous de la propre vie de Dieu, cette vie qui est Trinitaire et qui est donc Amour. La foi, c'est une remise totale de soi à une personne qui est Trinité, et qui est Amour, et qui veut nous élever jusqu'au coeur de sa propre vie.
Ce fut toute l'aventure spirituelle de Marie. Dieu est devenu chair en elle. Et en devenant chair en elle, il l'a élevée en lui. C'est ce qu'il veut encore réaliser pour nous. Et cela s'est produit grâce à la foi de Marie, et cela se produit grâce à la foi chez nous.
Dieu habite notre coeur, il habite notre chair, et il veut jour après jour nous rendre semblable à lui sans rien se réserver. Dieu partage tout. Comme l'a dit notre Evêque au cours de son homélie - c'était, vous vous rappelez, la multiplication des pains - Dieu est surabondance.
Voilà, mes frères, dans notre vie, il faut comme l'a fait Marie partir sans savoir où on va, avec au coeur une unique certitude : c'est qu'on suit Dieu et qu'on sera finalement, comme Marie notre mère, assumé en lui et transfiguré.
Voilà, mes frères, des choses qu'on ne peut pas dire dans une Conférence Régionale. Elle devra parler, étudier cette question de la dimension contemplative qui se perd dans notre Ordre, mais voilà, peut-on dire des choses pareilles en public ? Vous allez dire : oui.
Mais je ne sais pas, je ne sais pas si c'est même possible parce que je l'ai entendu un peu au Chapitre Général. Il y a déjà eu des petites choses qu'on disait, mais ça se limite vraiment à très peu, à des choses qui sont appelons-les neutres, tout à fait neutres, qui n'engagent pas très loin et qui, dans le fond, n'arrachent pas l'Ordre à son égoïsme.
Voilà, mes frères, nous autres, nous devrions pouvoir y arriver car, ne l'oublions pas, c'est dans le mystère de son Assomption que Marie est Patronne de notre Ordre. Et ce n'est pas sans motif...
Mes frères,
Les circonstances m'ont obligé à suspendre pendant trois mois la lecture de la lettre circulaire de notre Père Abbé Général. Nous allons en reprendre la méditation d'autant plus que nous devons réfléchir à la dimension contemplative de notre vie.
Il nous parlait de Cîteaux:
Les Pères Cisterciens, sans oublier la réalité objective du mystère (le Christ caché en nous et au milieu de nous), donnent la primauté à l’expérience gratuite de ce mystère, joint au dépouillement nécessaire et à l’effort ascétique qui lui est inséparable. Cette expérience nous transforme intérieurement et nous rend uni à Dieu.
C'est là que nous étions arrivés !
Quand on est uni à Dieu, on est établi dans la gratuité qui est le lieu où Dieu s'épanouit, si on peut utiliser cette expression à propos de Dieu. Dire que Dieu est Amour, c'est dire que Dieu est gratuité. Les deux expressions sont pratiquement identiques. Cela ne signifie pas que Dieu n'attend pas notre réponse à son amour. Au contraire, il la recherche, il l'encourage, il la suscite, il l'attend et il en est heureux.
La gratuité, ce n'est donc pas une sorte d'indifférence olympienne. Non, la gratuité - chez Dieu - signifie que Dieu ne nous possède pas, ne nous asservit pas, ne nous écrase pas. Bien au contraire, il nous rend libre, il nous rend dégagé. L'expression de Saint Benoît à ce propos est extrêmement belle. Il nous parle de la dilatato corde, Pr.114. La gratuité qui est Dieu et qui entre en nous dilate notre coeur. Et je pense que le sentiment qui domine à ce moment-là est le sentiment de liberté.
C'est autre chose qu'une liberté psychologique même si elle est ressentie à l'intérieur de notre psychisme. C'est une liberté à l'endroit de nous-mêmes. Nous ne sommes plus les esclaves de notre moi. Au contraire nous devenons les esclaves de la gratuité. Il ne nous est donc plus possible de ne pas aimer. Et c'est ce qui se passe chez Dieu.
Car si on ne répond pas à l'attente de Dieu, il ne cesse pas de nous aimer. Dieu est amour et il ne peut pas ne pas aimer. Pour lui, c'est impossible. Nous ne devons pas, chez Dieu, voir Dieu et puis à l'intérieur de lui une qualité qui serait l'amour. Non, l'Amour c'est Dieu, la gratuité c'est Dieu.
Je pense que si on découvre cette évidence, on est libéré d'une certaine fantasmagorie pour ce qui regarde Dieu, un certain anthropomorphisme, que instinctivement nous voyons Dieu comme une projection de nous, un nous mais à l'échelle infinie.
Non, le jour où nous découvrons que l'amour et la gratuité c'est Dieu, et que Dieu est amour et gratuité, nous sommes dégagés de tout. Je dis que notre liberté va jusque là. Cela ne veut pas dire que nous laissons de côté le mystère de l'incarnation. Nous savons bien que Dieu dans cet amour et cette gratuité est devenu homme, et un homme comme nous exactement, sans aucune différence sauf le péché.
Mais nous savons que cet homme-Jésus, c’est l'amour et la gratuité mise à notre portée. Et à ce moment-là, lorsque nous pouvons en toute confiance, avec l'audace de la foi, nous donner à cet homme Jésus qui est l'amour, nous partons. C'est la grande aventure spirituelle. Et nous arrivons là où Jésus se trouve, nous arrivons dans cette sphère où on ne peut plus rien faire d'autre qu'aimer gratuitement.
Mes frères, je pense que nous devons alors faire une certaine expérience parce que notre vie fraternelle, les circonstances dans lesquelles nous sommes entraînés chaque jour mettent à l'épreuve la qualité de notre amour et de notre gratuité.
Et nous voyons que la grâce que nous recevons, nous ne pouvons la saisir, nous ne pouvons pas lui permettre d'habiter en nous totalement tout de suite. C'est un envahissement très lent de notre personne. Mais nous avons la certitude que le jour se lèvera où c'est tout notre être physique et spirituel qui sera transformé en amour et en gratuité.
Mais d'ici là, il y aura encore bien des échecs, il y aura encore bien des déboires, bien des chutes. Mais ça ne doit pas nous décourager, au contraire, ça nous tient à notre place parce que nous savons ainsi, nous apprenons ainsi que la perfection de l'amour, la perfection divine qui doit être en nous, ce n'est pas le fruit d'un effort, mais c'est l'ouverture à un cadeau qui nous est offert.
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Mes frères,
Quand on entend Saint Benoît dresser la tableau de l'Abbé idéal, on se demande comment il existe encore des frères qui ambitionnent une telle mission ? Il y a des choses que Saint Benoît recommande ici et qui nous paraissent dépasser la mesure de l'homme.
Et je pense qu'il en est bien ainsi. Il n'est possible d'être un Abbé dans le sens étymologique et dans le sens plénier du terme que si on est totalement mort à soi-même, que si l'Esprit Saint a entièrement transfiguré le cœur, que si on est absolument dépossédé de façon que ce soit le Christ qui soit Abbé dans un homme. Abbé, c'est à dire Père et non pas celui qui va examiner, et qui va juger, mais celui qui donne sa vie, qui donne la vie.
Et c'est ce que nous découvrons encore dans les paroles de notre Père Abbé Général. Si Dieu est amour, il ne peut être que gratuité absolue. Il n'y a donc en lui aucun instinct de possession. Dieu est un abîme de pauvreté. Il ne se possède même pas lui-même puisque à l'intérieur de la Trinité qu'il est chaque personne se reçoit des deux autres.
Et Dieu nous a créés à son image et à sa ressemblance. Il nous a rendu capable d'être ce qu'il est, non pas que nous pourrions le devenir par nos propres forces, mais il s'agit d'une capacité, c'est à dire d'une ouverture, d'un vide que lui peut remplir de sa propre vie. Si bien que à la limite, il n'y aurait plus de différence entre lui et nous, lui étant Dieu par nature, nous étant Dieu par cadeau.
Et si Dieu est amour, s'il est gratuité, s'il est pauvreté, s'il est dépossession, il est aussi prière. Et Dieu nous prie, nous, Dieu nous supplie de le recevoir. Il ne nous force pas, il nous sollicite. Et je me rappelle la parole de Saint Augustin que nous avons entendue au cours de l'Office de Nuit et que le Pape pie X rappelait dans l'encyclique " Divino " : c'est que Dieu a voulu être prière de façon à nous apprendre comment nous devions nous adresser à lui.
Eh bien, un véritable Abbé, il doit être tout cela. Et pas seulement l'Abbé mais on devrait dire un véritable moine doit être tout cela. Car la vie contemplative consiste entre autre à entrer dans la gratuité de Dieu.
Nous devons apprendre le désintéressement, la disponibilité, la pauvreté. Nous devons nous exercer à nous oublier jusqu'à ne plus opérer de retour sur nous-mêmes. Et c'est aussi en cela que consiste la fameuse lutte contre les pensées.
Car si je cède à une pensée, si je me laisse entraîner par elle, en réalité j'ai opéré un retour sur moi. J'étais peut-être en état d'extase, c'est à dire que je vivais en dehors de moi, je me recevais des autres. Mais voilà, une pensée me traverse l'esprit, une pensée futile, inutile, mauvaise peut-être, et voilà, je cours derrière. A ce moment- là je suis revenu à moi et de nouveau je me centre sur moi.
Les cisterciens voyaient dans leur monastère, vous le savez, une schola caritatis, une école où on apprend l'art d'aimer. Attention ! Il ne s'agit pas de cultiver des capacités naturelles de sympathie. Vous savez, il y en a qui sont plus liants disons que les autres. Ils ont un sens qui les fait entrer facilement en relation avec d'autres. Il ne s'agit pas de cultiver cette qualité.
Non, on est encore au stade purement naturel. Et le naturel, vous le savez, s'il n'est pas transfiguré, s'il n'est pas divinisé, il n'a pas droit d'entrée dans le Royaume
de Dieu. Non, il s'agit bien plutôt de se laisser transformer afin de pouvoir aimer à la manière de Dieu ; mieux encore, de permettre à Dieu d'aimer à travers notre cœur.
Il s'agit donc de s'adapter sans cesse à l'intention de Dieu qui est de nous rendre semblable à lui dans le partage de sa propre vie. Et c'est ainsi que nous apprendrons à aimer et que nous aimerons vraiment gratuitement, que nous serons disponibles, désintéressés, dépossédés de nous.
Il n'y a donc, vous le comprenez bien, qu'une seule route pour arriver à ce sommet, c'est de suivre Dieu, c'est de suivre le Christ qui nous sollicite ainsi, qui nous invite, qui nous prie à toute heure, c'est la via oboedientiae.
Lorsque Dieu nous propose quelque chose, c'est toujours en vue de nous faire partager sa vie. Et si je dis oui, même disons en traînant la patte parce que ça me semble dépasser la mesure de mes forces, à ce moment-là des flots de vie divine entrent en moi. Et c'est cela l'essentiel.
Que je goûte ma pauvreté, ma faiblesse, ma fragilité, ma vulnérabilité, enfin tout, l'impossibilité que j'ai de faire quelque chose, que je le sens, disons que c'est très salutaire parce que à ce moment-là je sais que à travers cette faiblesse c'est Dieu qui va pouvoir agir et qui va pouvoir me transfigurer.
Mais voilà, mes frères, car si on entre dans cette volonté de Dieu, le reste s'opère tout seul par le seul agir de l'Esprit Saint. Il n'y a donc pas d'autre route valable que celle de cette écoute, de cette écoute amoureuse, confiante qu'est l'obéissance. Et tout le reste en dehors n'a absolument aucune valeur. Nous devrions nous en persuader, nous le rappeler tous les jours parce que - encore une fois - là est la vérité, là est la vérité de toujours.
Mes frères,
Nous allons maintenant à nouveau écouter notre Père Abbé Général. Il parle donc de Cîteaux et de sa spiritualité. Il nous dit ceci :
Dieu est un Dieu caché. Il se cherche et se rencontre dans l’obscurité ardente d’une foi amoureuse. Et quand Dieu se manifeste, il nous cache en lui pour nous convertir en lui. Ainsi en nous divinisant, Dieu nous humanise.
C'est très dense, ce qu'il dit ici et on pourrait s'arrêter longuement sur chaque formule. Mais enfin, ce n'est pas mon intention. Je vais risquer un tout petit mot d'explication.
Il dit que Dieu est un Dieu caché. Attention ! Cela ne signifie pas que Dieu se cache ou qu'il se dérobe. C'était le propre des dieux païens. Zeus était régnant, siégeant sur les hauteurs de l'Olympe. Il ne se manifestait qu'à travers son tonnerre lorsqu'il entrait en fureur contre les hommes.
Mais Dieu, lui, il est habité par un désir qui le torture, qui le rend malade si j'ose cette expression. Il veut se manifester à sa créature, il veut se donner à elle, il veut se faire voir d'elle. Saint Irénée l'a bien dit : La vie de l'homme, c'est la vision de Dieu.
Et Thérèse d'Avila, quand elle était toute petite, elle avait cinq ans, elle avait entendu dire qu'on ne pouvait pas voir Dieu sans mourir. Et voilà qu'elle voulait voir Dieu et elle était partie vers le pays des Maures pour y subir le martyre et enfin voir Dieu. Ce désir l'a poursuivi toute sa vie.
Et dans une véritable vocation contemplative se trouve toujours latent ou explicite ce même désir. Ce qui nous attire dans le monastère, c'est le besoin inscrit en nous de voir Dieu dans sa beauté.
Mais dans le monastère, ça vaut comme pour Thérèse d'Avila, il faut s'exposer à la mort qui se présente à nous parfois sous des formes bien étranges, celles que nous n'aurions jamais soupçonnés, celles que nous n'aurions jamais imaginés, celles devant lesquelles nous reculons.
Mais si on a le courage de ne pas céder et d'aller jusqu'au bout de cette mort, alors on meurt. On meurt à son égoïsme, on meurt à ses instincts pervers, on meurt à soi et on entre dans l'univers de Dieu. Dieu se manifeste alors, il peut le faire sans crainte parce que le coeur est devenu pur.
Alors, disons-nous ceci : Bienheureux, bienheureux lorsque nous sommes entraînés dans cette mort. Et voilà, demandons, demandons la persévérance et le courage d'aller jusqu'au bout. Comme dit l'Evangile de Jean à propos de Jésus : Il les aima jusqu'au bout. Et c'est à ce jusqu'au bout qu'il veut nous entraîner.
Nos organes charnels ne sont pas adaptés à l'être de Dieu. Pourquoi ? Mais parce que la chair ne peut convoiter que la chair. Le monde de Dieu est étranger à la chair, la gnose, actuellement, parce que au départ ça ne devait pas être ainsi. La chair était pure, la chair sortait des mains de son créateur et elle était encore adaptée à celui qui l'avait créée.
22.08.1991/19.
Mais aujourd'hui, elle est corrompue par le péché, elle est refermée sur soi, elle se cramponne à toutes sortes de futilités. Et c'est pourquoi elle n'est pas adaptée à l'Etre de Dieu, elle ne l'est plus.
Il faut donc attendre que soient nés en nous, que soient développés en nous d'autres organes qui ne soient plus charnels. Nous devons attendre l'heure de notre résurrection d'entre les morts.
Et voyez, nous nous heurtons toujours à cette réalité de la mort, mort mystique naturellement, qui nous permet alors de passer à une vie nouvelle, à cette vie qui est celle même de Dieu et qui nous permet alors d'entrer en communion avec lui et de le voir.
Et nous ne devons pas avoir peur de hâter l'heure de notre transfiguration. Et pour la hâter, nous devons - encore une fois - avoir des jambes. Nous sommes sur une route, il faut pouvoir courir. Saint Benoît emploie souvent le terme courir. Il y a chez lui une sorte de fringale, de fringale de Dieu.
Mais Dieu se trouve au bout d'une route et il faut courir sur cette route. Et pour courir, il faut être le plus léger possible. Il faut donc se débarrasser de tout. Il faut courir tout nu sans la moindre difficulté dans les gestes, sans avoir de poids superflu à porter.
Et alors, on court et on traverse absolument tous les obstacles. Il faut pouvoir sauter. Et voilà, arrive alors l'heure de notre transfiguration. On a tellement bien couru qu’on est sorti de soi et on peut recevoir cette lumière de Dieu qui nous rend autre, qui nous permet d'être vraiment redevenu semblable à Dieu, de manière à ne plus pouvoir - comme je le disais hier - qu'aimer gratuitement.
Mes frères,
Saint Benoît demande que le gouvernement du monastère dépende entièrement de l'Abbé, arbitrio, 65,25 dit Saint Benoît. Donc, c'est la façon dont l'Abbé voit les choses, la façon dont il les sent. Et il doit être pour cela doté d'un sens spirituel aigu.
A tel point que lorsqu'on voit tout ce que l'Abbé, tout ce que Saint Benoît demande à l'Abbé ou lui confie dans sa Règle, on peut se dire que l'Abbé doit être un charismatique dans le sens noble du terme, non pas un despote qui gouverne suivant ses propres vues, mais un homme qui est possédé par l'Esprit de Dieu et qui s'efforce en toute humilité d'être le prophète pour la communauté, pour chacun des frères. Et c'est dans ce sens-là que je prends le mot charismatique, pas dans celui où il est utilisé vulgairement aujourd'hui.
C'est donc un homme habité par la grâce, une grâce tout à fait spéciale à laquelle il s'est totalement ouvert et qui le guide, qui le conseille, qui le dirige dans tous ses jugements et pour toute sa conduite.
Et je pense que ce que je dis là est exact. C'est pourquoi il faut toujours bien prier pour l'Abbé afin qu'il ne soit jamais inférieur à sa mission car il est un homme fragile comme tout homme. Il est dans une chair qui est vulnérable, qui est faible et l'aveuglement peut très bien noyer son regard. C'est donc le désir des frères qui va l'éveiller et l'entretenir dans sa mission.
C'est le Cardinal Hamer, je pense, qui nous a rappelé cela à propos des prêtres. Les fidèles doivent prier afin de recevoir des prêtres qui soient dignes de les conduire. Une communauté chrétienne reçoit donc le prêtre qu'elle désire et il est toujours à la mesure de son désir. Le désir des fidèles maintient le prêtre sur les lignes de crête d'une conversion perpétuelle.
Il doit en être de même dans une communauté. Les frères ont l'Abbé qui leur convient, l'Abbé qu'ils désirent. Et voilà, il est donc nécessaire de nourrir dans son coeur de très hauts désirs afin que l'Abbé soit ainsi habité par ce même désir qui vient de Dieu, qui vient de l'Esprit, qui crée, qui soude et qui fait grandir le Corps.
Mes frères,
Le Père Abbé Général nous disait que :
Dieu est un Dieu caché. Il se cherche et il se rencontre dans l’obscurité ardente d’une foi amoureuse.
Ce n'est pas la chair qui peut rencontrer Dieu. La chair n'est intéressée que par la chair. Dieu ne l'intéresse pas. Et Dieu qui a tout prévu et qui a imaginé le remède pour le péché dans lequel l'homme habite, a déposé en nous la semence d'un corps nouveau, d'un corps spirituel, c'est à dire d'un corps qui est habité par l'Esprit de Dieu.
Il faut toujours prendre spirituel dans le sens strict, le sens vrai du mot. Notre corps charnel est animé par un souffle mortel tandis que notre corps spirituel est animé par l'Esprit Saint lui-même. Et ce corps alors est doté d'organes qui permettent d'entrer en communion avec Dieu, entre autre de répondre à l'attente de Dieu qui est de se manifester, de se révéler, de se faire voir à sa créature. Et c'est ce que en terme technique on appellera la foi.
Cette foi dans un premier temps est obscure comme le rappelle l'Abbé Général. Elle est obscure parce que l'organe doit s'accoutumer à la lumière de Dieu. Cette lumière n'est pas aveuglante, mais elle est tout de même assez puissante quoique très douce. Et l'oeil de l'âme qu'est la foi est comme le regard d'un bébé, d'un tout petit enfant qui perçoit bien des ombres et qui ne peut pas encore identifier les personnes.
Il faut que, même au plan charnel, la vision de l'homme grandisse, qu'elle s'affermisse jusqu'à ce qu'elle devienne dans la mesure du possible parfaite. Un petit enfant, un bébé n'a pas la notion de l'espace ni de la distance. Il doit expérimenter cela petit à petit.
Il en est de même pour la foi. C'est l'exercice qui nous permet de développer notre foi, donc cet oeil qui va nous mettre en communion avec notre Dieu et qui va ouvrir en nous la possibilité de le voir.
Mes frères,
Ecoutons encore le Père Abbé Général :
Et quand Dieu se manifeste, il nous cache en lui pour nous convertir en lui. Ainsi, en nous divinisant, Dieu nous humanise.
Notre corps spirituel grandit insensiblement en nous, mais nous devons toujours accélérer sa croissance en nous cachant, en nous dissimulant, en nous ensevelissant à l'intérieur de la volonté de Dieu.
Cette volonté devrait être le lieu et de notre mort et de notre vie. Nous devrions la rechercher avec avidité, nous en nourrir, n'avoir d'autre nourriture qu'elle, car c'est grâce à elle que notre corps spirituel se développe et, insensiblement - car c'est très lent - il peut reconnaître d'abord la présence de Dieu, puis jouir de sa vision. Car finalement Dieu se manifeste au coeur purifié sous la forme d'une lumière.
Cette lumière est très mystérieuse. Elle est absolument indescriptible. Elle est d'une beauté qui surpasse toute beauté créée parce qu'elle est Dieu lui-même. C'est elle qui sera notre vie et notre béatitude pour toute l'éternité, mais alors en plénitude. Ici, c'est toujours de manière très ombrée à cause précisément de la faiblesse de notre organisme. Car il ne nous est pas possible de toujours rester perdu dans cette contemplation de la beauté de Dieu.
Et nous sommes des pécheurs et nous le resterons jusqu'au bout. Il y aura toujours des poussières, des taches, des souillures sur l'oeil de notre coeur. Et c'est pourquoi nous devons demeurer attentif et attendre l'heure de ce que les Anciens appelaient notre délivrance.
Notre délivrance ? C'est à dire où entièrement dégagé de la corporéité, de la carnalité, notre corps spirituel, notre corps animé par l'Esprit pourra ressusciter - car ce sera déjà une forme de résurrection - et être toujours, pour toujours dans la lumière. Et le Père Abbé Général nous disait : Quand Dieu se manifeste, il nous cache en lui.
Et c'est vrai. Quand il se manifeste ainsi dans sa beauté, il nous détache de tout. Il nous détache du monde, il nous détache de la chair, il nous détache de nous-mêmes. Si bien que un moine accompli vit toujours en état d'extase, c'est à dire hors de lui. La source de sa vie, elle est dans cette lumière qu'il contemple et qu'il reconnaît dans le coeur de chaque homme. Et voilà, c'est ce détachement qui est la véritable séparation du monde.
Saint Benoît vient de nous dire qu'il n'est pas du tout profitable au moine de circuler au dehors fut-ce pour vendre les produits de leur travail. Non, tout doit se faire dans la mesure du possible à l'intérieur de la clôture. C'est déjà une forme de séparation du monde, mais ce n'est jamais que la première étape, le premier degré.
La véritable séparation, c'est lorsque le coeur est totalement établi là où se trouvent les vraies joies comme le dira l'oraison de dimanche, de demain. Et alors, il nous convertit en lui, c'est à dire qu'il fait de nous sa véritable image. Il nous convertit en ce qu'il est. Et là encore, hélas, cette image n'est jamais absolument parfaite ici-bas. Elle est toujours en progrès.
Mais malgré tout, ce doit être visible, non pas encore une fois sur le corps, mais ce doit être visible dans le comportement, ce doit être visible dans le coeur. Nos façons de penser, de juger, d'agir ne sont plus tout à fait celles des hommes. Elles sont déjà celles de fils de Dieu entièrement animés par l'Esprit, c'est à dire par l'amour, par la gratuité, par le service.
Et ainsi, conclut le Père Abbé Général : en nous divinisant, Dieu nous humanise. Donc, il nous divinise. On a peut-être un peu peur de ce mot ? Saint Benoît l'utilise pourtant en parlant de cette lumière à laquelle je faisais allusion et qui est deificum comme il dit, Pr, 25. Elle fabrique des Dieux. Elle nous rend véritablement Dieu. Donc on est divinisé.
Et ce n'est pas là une qualité naturelle, ce n'est pas une façon de parler. Non, c'est le réel, on devient véritablement Dieu. Et c'est à ce moment-là que nous devenons véritablement homme. Un homme achevé, c'est un homme divinisé.
Pourquoi? Mais parce qu'il a quitté l'animalité. L'animal est fait pour mourir et se dissoudre dans la corruption. Tandis que le Dieu, lui, le fils de Dieu, il possède la vie éternelle. Et c'est lorsque l'homme est devenu éternel qu'il a atteint sa véritable stature.
Voilà, mes frères, tout cela, le Père Abbé Général nous le rappelle à propos de Cîteaux. C'est là la véritable spiritualité cistercienne. Les Pères de Cîteaux ne l'ont peut-être pas exprimé dans les termes que l'Abbé Général utilise et sur lesquels je me suis appuyé pour vous donner une petite explication, mais quand on parcourt leurs sermons, leurs lettres, leurs écrits, on sent immédiatement que c'est là qu'ils voulaient nous conduire. Et ils pouvaient nous y conduire parce que eux-mêmes y étaient arrivés.
Mes frères,
Revenons à notre Abbé général. Il traite un septième point qui est l'homme. Il avait donc dit qu'en nous divinisant, Dieu nous humanisait.
L' HOMME..
En me découvrant moi-même comme personne – c'est-à-dire un être en relation – j’ai découvert l’homme et en l’aimant, je me suis aimé. Il m’est devenu aussi évident qu’en aimant le prochain, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, j’aimais en même temps Dieu parce que l’amour vient de Dieu et retourne à Dieu.
C'est un peu compliqué, tout ça, mais enfin c'est très simple. Il vient de dire qu'on se découvre habituellement comme personne au sein d’une relation, et il s'agit ici pour lui de la relation à Dieu. Donc si je suis en relation correcte avec Dieu, je vais me découvrir moi-même comme personne.
Mais c'est là, dans le fond, un problème extrêmement complexe où interfèrent sans cesse le pneumatique, donc le spirituel et le psychologique. Car même dans ce domaine-là, notre domaine à nous - le psychologique - est toujours premier. Saint Paul le dit : D'abord ce qui est animal, psychique donc, ensuite ce qui est spirituel.
Je ne puis entrer en relation avec Dieu si je n'ai pas expérimenté dans mon enfance une relation normale avec mes parents et, à partir des parents, avec les autres personnes de mon entourage familial ou social. C'est dès l'enfance qu'on fait l'apprentissage de la relation. Et puis étant ainsi formé, je suis ouvert à la relation avec Dieu.
Mais je ne vais pas m'attarder à ça parce que c'est un problème très difficile qui relève aussi un peu de la psychanalyse. Mais ce que nous pouvons en retenir, c’est que nous ne devons jamais juger personne, ne porter de jugement sur personne parce que nous ne connaissons pas la qualité de sa relation à Dieu, ni de sa relation aux autres et que nous ne sommes pas initiés aux expériences de sa toute première enfance. Il est probable que cela se décide dès le sein maternel, avant la naissance. La relation de l'enfant, de l'enfant dans le sein de sa mère, avec sa propre mère rebondit jusque là.
Alors, aimer le frère, c'est s'aimer soi-même, comme il le dit ici : J'ai découvert l'homme et en l'aimant je me suis aimé. Donc, j'apprends à m'aimer à partir de l'amour que je porte à mon frère.
Si je n'aime pas mon frère dans la communauté – attention ! il s'agit de l'agapè, de la charité. Il ne s'agit pas d'une sympathie naturelle qu"il faudrait cultiver - si je n'ai pas de la charité pour mon frère, je ne m'aime pas moi-même. La qualité de l’amour que je me porte à moi se définit d'après la qualité de l'amour que je porte aux frères. Il n’y a pas d'autre mesure.
Et de même si j'aime le frère, j'aime Dieu. Voilà : Il m’est devenu aussi évident qu’en aimant le prochain, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, j’aimais en même temps Dieu parce que l’amour vient de Dieu et retourne à Dieu.
Et l'Abbé Général continue :
Toute personne, homme ou femme, est destinataire de la sagesse et de la bonté infinie de Dieu, et c’est là sa dignité suprême. L’homme est l’unique être personnel de la création ; l’unique être conscient et libre d’aimer en vérité. Nous avons connu la chute et nous sommes défigurés, c’est vrai, mais nous avons été rachetés et restaurés par le sang du Fils de Dieu.
Il y a un correctif qui devrait être apporté ici, mais il faut se placer dans l'objectif que poursuit ici le Père Abbé Général. L'homme est l'unique être personnel de la création. Il exclurait donc, si on veut le prendre à la lettre, tout le monde angélique. Donc, les anges et les démons sont aussi des êtres personnels. Mais enfin, il n'y a pas pensé, c'est en dehors de son propos. Il parle de l'homme, c'est à dire il voit la création qui est visible à nos yeux.
Donc l'homme ou la femme est destinataire de la sagesse et de la bonté de Dieu, c'est à dire que Dieu l'entoure et l'enrichit comme s'il était seul au monde. C'est à dire que chaque homme et chaque femme sont aimés de Dieu, sont soignés par Dieu comme s'ils étaient seul au monde. Cela, il faut bien, bien le savoir. C'est ça Dieu-Amour.
Donc toute la sagesse de Dieu et toute sa bonté sont à l'oeuvre sur chacun d'entre nous comme si on était seul avec lui. C'est difficile à croire, mais pourtant c'est la vérité. Et si nous ne le remarquons pas, c'est parce que - encore une fois - nos sens spirituels, c'est à dire notre foi, notre espérance et notre charité ne sont pas assez éveillées. Mais je pense qu'on s'en apercevra ne fut-ce que au-delà de la mort lorsque on se trouvera à sa place avec Dieu.
Et les richesses que nous recevons de Dieu, ce sont d'abord des richesses invisibles, des richesses de vertus, toutes ces qualités d'ordre surnaturel qui sont la participation à la vie divine et qui se dévoileront pleinement dans le monde à venir.
Toute personne, sans aucune discrimination de quelque type que ce soit, est digne d’amour mais ceux que Jésus préfère le sont encore plus : les pauvres, les faibles et ceux qui souffrent.
Donc, toute personne quel qu'elle soit, sans aucune discrimination, est digne d'amour de la part de Dieu et de notre part à nous. Le fait même d’exister est la preuve qu'on est déjà aimé. Si Dieu crée une personne, c'est parce qu'il l'aime.
Et c'est chaque fois une aventure pour Dieu. La création de chaque homme, de chaque être humain est pour lui aussi importante que la création du cosmos. Dieu est amour jusque là, il ne l'est pas en partie. Non, il l'est jusque là. Et dit-il, il a une préférence pour les pauvres, les faibles et ceux qui souffrent.
Eh bien, nous devons nous placer, nous, dans cette catégorie des pauvres. C'est une exigence de notre vie contemplative car réellement nous sommes pauvres. Peut-être pas pauvres en moyens matériels, mais nous sommes pauvres en moyens spirituels. Même le saint le plus élevé est fondamentalement pauvre, exactement comme Dieu est pauvre. Si Dieu a tant de préférence pour les pauvres, c'est parce qu'il se reconnaît en eux. Dieu est le pauvre par excellence, on ne le répétera jamais assez. Il ne se possède pas, il se reçoit totalement.
Alors l'Abbé Général dit encore:
Toute personne, chacun et chacune d’entre vous, frères et sœurs, mérite mon respect et mon amour ; de même je les mérite de votre part. Pardon pour ne pas avoir aimé ; une fois de plus je reprends le chemin de conversion.
Donc, la place de la relation Abbé Général frère ou soeur est à l'étage de l'amour. C'est très important cela parce que cela veut dire que pour lui tout est vu et tout est décidé dans la lumière de l'amour, non pas dans la rigueur impersonnelle des lois canoniques.
Il ne faut pas oublier qu'il est Abbé Général. Il s'engage ici à pratiquer ce que Saint Benoît dit, dans son chapitre 64° de l'Abbé : superexaltet misericordiam iudicio, 64,27. Donc, qu'il place toujours la miséricorde bien au-dessus du jugement.
Donc voici ce que le Père Abbé Général nous dit. Nous ne devons pas l'oublier, ce sera peut-être 'intéressant un jour. On ne sait jamais ? Et, dit-il, une fois de plus je reprends le chemin de conversion. Car dans le fond ce n'est pas tellement facile à vivre ce qu'il demande là.
Maintenant, c'est sa conclusion:
Frères et sœurs, mon intention était de me présenter. Je crois ce que je suis, ce que je désire être et ce que je cherche à vivre, ces sept mots l’expriment bien : Jésus, Marie, l’Evangile, l’Eglise, la Règle, Cîteaux et l’homme.
Ce sont les sept chapitres de sa lettre !
Il est facile de se rendre compte que ces mots sont un programme de vie. De fait ce sont là des réalités fondamentales de ce que j’aime appeler l’Evangile de l’Ecole de l’Amour, et Dieu aidant, ce sera là le thème de ma prochaine lettre. Mais pour cette fois, j’en reste là.
Je vous demande votre prière et vous assure que la mienne vous est toute acquise. Bien cordialement et fraternellement à vous tous et à vous toutes, en Marie de Saint Joseph.
Donc voilà, mes frères, nous arrivons au terme de cette lettre qui n'était pas mal, dans laquelle comme il le dit, il essaye de se présenter. Nous apprenons ainsi à le connaître. Nous attendrons sa lettre suivante.
Mais vous avez déjà remarqué que c'est un autre style que l'Abbé Général précédent. Nous verrons maintenant dans la pratique ce qu'il va faire pour que notre Ordre puisse retrouver sa dimension contemplative dans toute sa pureté.
Fin de cette lettre.
Mes frères,
Voilà bien un des chapitres les plus déroutants de notre Règle. Saint Benoît a dû le rédiger à la fin de sa vie au terme d'une longue expérience. Il a dû rencontrer des déboires, il a dû se trouver devant des situations imprévues auxquelles il devait apporter une solution. Il n'avait sans doute pas de précédent. Il a dû commettre des erreurs dont les conséquences ont été très dures. Il dit : gravissima occasio scandalorurn, 69,9, de très graves occasions de scandales.
Il faut savoir que le monastère est un microcosme peuplé d'infirmes. L'Abbé est un sapiens medicus, 28,9, c'est un médecin qui connaît son métier. Il doit soigner des malades. Une communauté qui serait à l'avance composée de saints, ce devrait être une sorte d'enfer car des saints tout fait ce doit être quelque chose de monstrueux.
On essaye d'en fabriquer aujourd'hui dans le monde, de fabriquer des hommes parfaits. C'était le propos des SS par exemple, qui devaient répondre à des critères extrêmement précis de pureté raciale et de comportement humain. Mais en fait ce sont des affaires dont on n'ose plus parler aujourd'hui.
Mes frères, la sainteté qui nous est demandée, elle est une métamorphose de notre cœur et de notre être entier. Nous devons devenir des dieux, nous qui sommes des êtres humains périssables, et nous devons accéder à la vie incorruptible. Il est donc normal que dans le monastère il se passe des choses qui doivent nous surprendre, c'est certain, mais qui ne doivent pas nous étonner.
Nous devons rester logique et savoir que Dieu qui est amour aime d'un égal amour tous ceux qu'il a choisis. Et avec une patience qui est à la mesure de son être, il les conduit imperceptiblement vers la sainteté. Eh bien, Saint Benoît a dû au cours de son existence faire des expériences qui n'étaient sans doute pas sans erreurs. Il y a d'autres endroits dans la Règle où ça affleure comme ça.
Mais alors, pourquoi ce chapitre-ci est-t-il déroutant ? Eh bien, parce qu'il peut se trouver dans une communauté un frère qui soit lésé dans ses droits fondamentaux. Et alors, qu'il y a-t-il de plus normal, de plus instinctif, de plus logique, de plus noble, de plus charitable que de prendre sa défense. Aujourd'hui, le Code Civil va punir la personne qui ne s'est pas portée au secours d'une autre qui se trouvait en difficulté. Ce serait quasiment assimilé à un délit de fuite. Alors, et dans le monastère ?
Mais on peut d'abord se demander : un moine, a-t-il des droits ? Il a renoncé à tout jusqu'à l'usage de son propre corps, dit Saint Benoît. Eh bien, malgré tout il a un droit, un droit à l'exercice d'une vie monastique équilibrée et équilibrante qui lui permettra de devenir un fils de Dieu et un homme. C'est un droit fondamental que l'Abbé doit garantir.
Saint Benoît parle au Chapitre 41° d’un juste motif de murmure. Cela peut donc arriver, voyez-vous. Il le dit ici : pour que les frères accomplissent leur tâche sans motif légitime de murmure, 41,13. En d'autres circonstances il bannit le murmure mais pourtant, dit-il, il pourra arriver qu'il fut juste.
Eh bien, comment faire alors ? Saint Benoît ne vise pas la situation où un frère attire l'attention de l'Abbé sur le péril ou la difficulté exagérée dans laquelle se trouve un autre frère. Il n'y a aucun mal à cela. C'est même un devoir. Et l'Abbé doit être reconnaissant si un des frères vient ainsi attirer son attention sur quelque chose qui lui échappe. Un Abbé ne peut pas tout voir, et il ne peut pas tout savoir. Et moi-même, il m'est déjà arrivé de recevoir de telles remarques. Mais je les reçois toujours avec une grande attention et une grande gratitude.
Mais Saint Benoît vise une situation. Ce qu'il réprouve absolument et avec raison, ce sont les campagnes menées publiquement : faire du tapage et de la publicité parce que dans ces circonstances, c'est de façon très sournoise. Même si ce n'est pas intentionnel, c'est sournoisement mené contre l'Abbé et la communauté peut ainsi se séparer de lui. Voilà les graves désordres auxquels Saint Benoît fait allusion.
Il peut arriver aussi qu'une sorte de complicité se noue entre le frère lésé et un autre frère, ou d'autres frères. Si bien qu'il se constitue une petite conspiration qui fait perdre à ce petit groupe le sens de Dieu. C'est de cela que saint Benoît a peur. Il ne faut pas qu'à l'intérieur de la communauté il se crée une autre communauté.
Mais encore une fois, pour qu'un tel danger soit évité, il importe que l'Abbé lui-même soit suprêmement attentif à ce qui se passe au niveau de chacun des frères. Il faut que lui-même soit parfaitement respectueux de la Règle et de l'idéal monastique et qu'il veille à maintenir la pureté de son cœur de manière de recevoir de Dieu la grâce d'un regard spirituel qui lui permette de juger des situations des personnes et des choses dans la vérité de Dieu lui-même.
Lorsqu'il a même des troubles de ce genre-ci qui arrivent dans la communauté, je me demande si finalement devant le tribunal de Dieu, ce ne serait pas encore l'Abbé qui serait en mauvaise posture, car ça ne peut pas arriver ! A moins d'avoir à faire, comme ce fut le cas déjà pour Saint Benoît lui-même où on a tenté de l'empoisonner, des frères qui se disent moines et qui en fait ne le sont pas, alors là, c'est la situation extrême et, la seule chose à faire, c'est de prendre la fuite comme Saint Benoît l'a fait. Mais, disons, ce sont des histoires, ça, qui relèvent un peu aujourd'hui presque de la légende. Ce n'est plus possible aujourd'hui.
Mais encore une fois il faut se dire que dans un monastère, le premier responsable de tout ce qui s'y passe, c'est toujours l'Abbé. Et quand ici un scandale devrait survenir, l'Abbé devrait d'abord avec beaucoup de prudence et d'humilité s'interroger lui-même et se demander si ce n'est pas un défaut chez lui de gouvernement qui aurait amené une situation aussi grave. Mais voilà, mes frères, je me recommande à vos prières pour que ça ne m'arrive pas.
Et si vous voyez un autre qui serait ainsi vraiment en difficulté à cause de son emploi, à cause de toutes sortes de circonstances qui sont toujours imprévues, qu'il ne faut pas essayer de cerner de trop près, eh bien, je vous serais toujours reconnaissant de me prévenir comme vous l'avez déjà fait. Et ainsi, on peut porter remède à cette situation et éviter des histoires comme celles à propos desquelles notre Père Saint Benoît nous met en garde ce soir.
Mes frères,
Dans quinze jours exactement, nous célébrerons la fête de la Croix glorieuse su Seigneur Jésus, quarante jours exactement après la fête de la Transfiguration. Nous connaissons le lien qui unit secrètement ces deux célébrations. Il est discrètement évoqué ici par le Cardinal Ratzinger.
Et si vous le voulez, nous prendrons appui sur lui afin de scruter une parole mystérieuse prononcée par notre Père Saint Benoît et avant lui par l'Apôtre Saint Jean : Caritas perfecta foras mitti timorem. La charité, l'amour de Dieu, lorsqu'elle est devenue parfaite, bannit la crainte. Littéralement : met la crainte à la porte.
Mais de quelle crainte s'agit-il ? Il ne s'agit pas de la crainte de Dieu qui, elle, est toute entière faite de vénération, de respect, de réserve, toute entière pétrie d'amour. Et nous savons que cette crainte de Dieu demeure éternellement. Mais il s'agit de la crainte la plus inviscérée, la plus terrible, la plus invincible qui soit, la peur de la mort.
Je vais m'y arrêter un instant afin que nous puissions mieux comprendre le secret qui nous habite et qui nous meut. Il existe en nous une énergie d'origine divine qui vise à nous conduire vers une expérience extraordinaire. Elle devrait être celle de tout chrétien, à fortiori de tout moine. Mais il y a comme une inhibition qui nous retient et qui nous empêche de faire le saut dans cette aventure qui à proprement parlé est celle de la vie contemplative.
Vous me permettrez d'aller directement au but, d'ailleurs je l'ai déjà évoqué le mois dernier : il existe un point de convergence, une quasi identité entre l'amour, la mort et la vie. L'amour de charité, lorsqu'il est suffisamment puissant, lorsqu'il atteint un certain degré de violence et de bouillonnement, éveille en nous une sorte d'ivresse. C'est la sobria ebrietas spiritus dont parle l'hymne de l'Office de Laudes.
C'est tout autre chose qu'un sentiment. C'est une Personne Divine qui prend possession de notre coeur, de nos facultés et jusqu'à de notre chair. Et cette Personne nous fait poser des actes d'une audace folle. Elle est l'émanation d'une sagesse nouvelle, de la sagesse par excellence qui est celle de Dieu.
Cette sagesse est totalement étrangère à la sagesse qui vient de la chair, c'est à dire de l'homme livré à lui-même, enfermé sur lui-même, de l'homme aussi intelligent qu'il soit, aussi puissamment pénétrant et intuitif qu'il soit.
La sagesse de Dieu n'existe que lorsque la personne divine de l'Esprit a pris possession de l'intellect de l'homme, mais pas seulement de son intellect, mais aussi de son coeur et, comme je viens de le dire, de tout son être.
Et cette sagesse n'est pas accessible, elle est absolument inaccessible à la sagesse venant de la chair. Saint Paul a bien évoqué ce conflit entre ces deux sagesses. Et ce conflit peut être à l'origine de grandes difficultés relationnelles au sein d'une société, même d'un groupement monastique.
Aussi longtemps qu'il y a dans une communauté chrétienne des hommes qui sont encore attachés à cette sagesse qui vient d'eux et qui ne va pas plus loin qu'eux, alors il y aura toujours une opposition à l'autre sagesse qui peut habiter d'autres personnes et qui les emporte infiniment au-delà de tout ce que la sagesse humaine peut seulement concevoir ou espérer.
C’est ce que saint Bernard nous dit lorsque l'amour de Dieu devenu parfait jette à la porte toute crainte, toute forme de crainte. Le moi, l'ego ancien est littéralement mis dehors et le moi nouveau apparaît, qui est notre nom d'éternité. Il y a là une prérésurrection d'entre les morts.
Ecoutez maintenant : cet amour toujours en voie de croissance atteint finalement un tel degré d'incandescence qu'il touche un point d'éclatement si bien qu'on bascule dans la mort. Il ne s'agit pas de la mort physique, bien entendu, mais d'une conversion radicale, absolue, définitive. On ne vit plus par soi-même mais on vit par l'être aimé. Et cet être aimé, c'est Dieu naturellement mais aussi tous les êtres dans lesquels on voit Dieu.
On vit donc par les autres. Le point d'émergence, la source de notre vie n'est plus à l'intérieur de nous, elle est à l'extérieur de nous. C'est ce passage, cette Pâque, cette conversion de soi vers l'autre qui est vécu comme une mort. Et en réalité, c'en est une. On passe en effet à un autre genre d'existence et on est littéralement engendré de Dieu.
L'Apôtre Jean emploie aussi cette expression. On est engendré des autres dans lesquels Dieu habite. Et on est engendré aussi de Dieu directement sans intermédiaire, sauf naturellement l'intermédiaire du Christ qui est le passage obligé. On a donc franchi un seuil irréversible. On est mort et notre vie est cachée avec le Christ en Dieu.
Mes frères, cet état permanent de mort s'inscrit dans la conscience. On sait qu'on est mort, on sait qu'on vit dans la mort. Il s'agit bien sûr d'une mort mystique. Et cette mort coïncide parfaitement avec un paroxysme inouï de vie.
En effet, cette vie est tellement puissante qu'on a conscience d'être entré dans l'éternité. On a en toute vérité pulvérisé l'espace et le temps. Et voici que nous revenons à l'affirmation de Saint Benoît : il n'existe plus aucun sentiment de cette peur viscérale dont on était autrefois prisonnier. Voilà ce qu'en pense Saint Benoît et Saint Jean avec lui.
On n'a donc plus peur de la mort, et il s'agit ici de la mort physique. Elle-même est déjà d'une certaine façon transcendée, elle appartient à notre passé. Et lorsqu'elle se présente biologiquement, matériellement, elle est accueillie comme une connaissance, déjà comme une amie. Rappelons-nous le poème de François d'Assise qui parlait de sa soeur la mort.
Mes frères, il n'existe donc au fond qu'une seule réalité : la caritas perfecta, l'amour de charité arrivé à sa perfection et qui a deux faces : la mort et la vie. Mais la mort est totalement démystifiée. On ne s'aperçoit pas qu'il y ait une différence avec la vie dans sa plénitude: C'est une seule et même réalité.
Et cette conjonction extraordinaire est possible parce que Dieu lui-même est amour et que, étant amour, il est Trinité de personnes. Et comme je l'ai expliqué le mois dernier, au sein de cette Trinité chaque personne se reçoit totalement des deux autres.
Chaque personne est donc comme suspendue au-dessus de la mort, au- dessus du vide, au-dessus du néant parce qu'elle n'est que parce que elle se reçoit. Mes frères, tel est le sommet de notre vie chrétienne. Si nous sommes venus dans le monastère, c'est pour atteindre ce sommet sans tarder, sans retard.
Aujourd'hui, on devrait lire le dernier Chapitre de la Règle de Saint Benoît où il nous parle de ces culmina virtutum et doctrinae, 73,25, de ces sommets que l'on peut atteindre, que l'on doit atteindre si on a l'audace de prendre le risque, de prendre un risque, celui de suivre le Christ jusqu'au bout.
Et le suivre, c'est à dire de nous perdre en lui, de ne plus avoir de volonté propre mais sa volonté à lui, si bien que petit à petit il prend possession de tout notre être. Et cette prise de possession de nous par lui, par son esprit, est cette expérience de mort. Et, c'est fondamentalement cette expérience que nous ne voulons pas faire, c'est d'elle que nous avons peur. Il faut donc apprendre à vaincre cette peur.
Et pour vaincre cette peur, il n'y a qu'un seul moyen, c'est de s'abandonner à la Caritas perfectas, c'est d'implorer tous les jours que cette charité, que cet amour parfait de Dieu finisse par nous envahir et mette dehors absolument tout ce qui peut faire obstacle et surtout ce grand obstacle qu'est la peur de la mort.
Saint Benoît et sa soeur Scolastique, nous le savons, ont fait cette expérience tous les deux. Mais alors, mes frères, on peut se poser la question : Mais pourquoi pas nous ? Saint Benoît était un homme comme nous, Scolastique était une femme comme toutes les femmes du monde, avec ses limites, à l'intérieur de ses frontières.
Mais voilà, ils ont cru. Et cette foi en la présence de Dieu, en sa puissance et en son amour a parvenu à les décentrer et à faire que ce n'était plus en eux qu'ils cherchaient l'origine de leur vie, mais hors d'eux dans la volonté de Dieu, dans la personne du Christ, le Christ avec sa croix mais aussi le Christ avec sa résurrection, dans la personne des frères et soeurs jusqu'à ce que finalement ils avaient vaincu la mort parce qu'ils étaient entrés déjà dans la plénitude de la vie.
Mes frères,
Saint Benoît nous dit quelque chose qui vient justement de me frapper. D'abord nous devons, nous pouvons, dit-il, parvenir au sommet de notre vocation humaine et divine, et cela velociter, 7,16, rapidement, à toute allure. Et, volumus, dit-il 7,14, il suffit de le vouloir.
Il ne s'agit pas ici de faire du volontarisme mais de tenir le bon bout et il nous le donne. On monte, dit-il, par l'abaissement dans la vie présente, 7,15. Et c'est justement cela qui nous répugne.
Nous avons peur de nous abaisser, de nous abaisser dans l'opinion des autres, de nous abaisser devant notre propre conscience. Nous nous prenons toujours pour des gens biens, pour des gens qu'on doit admirer, même pour des gens qu'on doit respecter.
Eh bien, si nous voulons à toute allure parvenir à la divinisation personnelle, à notre véritable vocation, nous ne devons pas avoir peur d'être méprisé, d'être méconnu dans l'estime des autres, et dans leurs paroles, et dans leur cœur.
C'est ce qui est arrivé au Christ. Il n'y a personne, personne qui était à côté de lui pour finir. Et Saint Benoît fait certainement ici une référence implicite à la situation du Christ. Il s'est abaissé jusqu'à n'être plus rien du tout.
Eh bien, mes frères, c'est une grâce que nous devons demander les uns pour les autres. Mais attention, cela ne veut pas dire que nous devons maintenant saisir l'occasion et nous dire : « Je vais justement permettre à mon voisin d'arriver tout de suite au-dessus et je vais le mettre dans une situation telle qu'il soit acculé, soit à la vertu totale, soit au désespoir final ».
Non, ce n'est pas ça que ça veut dire. Mais voilà, c'est une disposition du cœur qui est une remise totale de soi à l'Amour et à la Lumière.
Mes frères,
Un moine évolué, c'est à dire un moine au courant de toutes les arguties de notre temps, il dira devant ce passage du chapitre VII de la Règle de notre Père Saint Benoît : « Ceci c'est très bien, mais nous savons que l'enfer n'existe pas. Nous irons tous finalement au ciel, Dieu étant amour. » Donc, ne nous gênons pas et suivons notre volonté propre qui nous paraît toujours bien droite.
Et si elle doit, comme nous le dit ici la Règle, aboutir au fond de l'enfer, 7,60, nous savons que c'est purement symbolique et que l'essentiel pour nous, c'est de nous arranger pour mener au monastère une bonne petite vie bien bourgeoise de manière à ce que voilà, nous ne nous privions de rien. Et puis après, nous verrons.
Cela, c'est le raisonnement du moine d'aujourd'hui, c'est à dire du moine évolué !
Eh bien, mes frères, je caricature un peu naturellement, même beaucoup. Mais prenons bien garde parce que ce sont des idées qui serpentent au fond de notre cœur, dans le cœur de chacun. C'est ça la tentation, c'est ça l'épreuve à laquelle nous sommes soumis, c'est de dire que cela n'a pas tellement d'importance, que ce n'est qu'une petite chose ou l'autre.
Prenons bien garde, mes frères, parce que ce que nous dit ici Saint Benoît, je pense que nous pouvons le prendre au sérieux, même si la théologie nous dit que finalement l'enfer existe mais qu'il n'y a personne qui y va.
Voilà, mes frères, ne nous lançons pas là-dedans et prenons tout de même bien garde d'être le plus fidèle possible à l'appel que nous avons reçu.
Mes frères,
Ne pas aimer sa volonté propre, Saint Benoît le situe au second degré d'humilité, mais ce ne peut être atteint que lorsque on est arrivé au douzième. Car il ne s'agit pas seulement de notre volonté propre, mais de notre façon de voir les choses. Nous avons un regard très personnel qui est très charnel, très pragmatique et il faut voir les choses comme Dieu les voit.
Donc, c'est le regard de la foi, mais d'une foi qui est devenue tellement aiguë, tellement pénétrante, qu'elle pénètre le cœur des événements, le cœur des personnes, le cœur des choses pour y découvrir l'amour de Dieu et ses vouloirs.
Et à ce moment-là, la volonté propre est comme évacuée. On épouse la volonté de Dieu lorsqu'on épouse la beauté de Dieu et son amour. Mais ce ne peut être atteint que lorsque on a même dépassé le dernier degré d'humilité. Saint Benoît est donc bien généreux.
Mais ce qu'il nous demande, c'est de faire effort. Il le dit : l'effort procure la couronne, 7,88. C'est donc de faire notre possible. Et ainsi, en conformant notre volonté, dans la mesure de nos forces, à celle de Dieu, petit à petit nous parviendrons à mourir entièrement à la nôtre.
Mais lorsque notre volonté ne fait plus qu'un avec celle de Dieu, je pense qu'elle est devenue parfaite. Notre volonté propre n'est vraiment la nôtre que lorsqu'elle est devenue celle de Dieu. Si bien que le paradoxe est évacué. En faisant la volonté de Dieu, nous faisons notre propre volonté, et on le sait très bien. Ce doit être l'état des bienheureux et ce doit être le nôtre le plus vite possible, certainement avant la mort.
1) Le silence sera strictement observé dans l'église, les cloîtres, le réfectoire, le scriptorium, la bibliothèque-salle de lecture et la salle des conférences.
2) Il n'est pas permis d'entrer dans la cellule d'un frère. Exception est faite pour l'abbé, le prieur, le maître des novices, le cellérier et l'infirmier, chacun pour la part qui lui revient, ou pour les confessions. L'usage de la parole n'est pas autorisé dans les cellules, sauf avec les personnes ou dans les circonstances ci-dessus et uniquement dans la mesure requise par les nécessités du moment.
3) Durant les heures de la nuit, c'est-à-dire de la fin des Complies à la fin des Laudes du lendemain, on veille particulièrement au silence. L'accueil des hôtes, le soin des malades, les urgences du travail autorisent les dérogations conseillées par la charité ou la prudence.
4) Des parloirs sont prévus en bordure des cloîtres. Les échanges doivent y être brefs et mesurés.
5) Les confessions sont entendues dans la ce Il ule du confesseur, dans les cellules des frères ou dans un local approprié.
6) La plus grande retenue d'impose dans les relations avec notre personnel ouvrier. Seuls les supérieurs et les chefs d'emploi sont autorisés à leur parler.
7) Il est interdit, sans une permission explicite de l'abbé, d'adresser la parole aux hôtes et aux étrangers de passage. Parmi ces derniers, sont compris les artisans et les travailleurs éventuellement occupés sur divers chantiers.
8) Lorsque l'abbé prend conseil de la communauté au cours d'une réunion capitulaire, Il est permis à chaque frère d'intervenir, en conformité avec l'esprit défini par saint Benoît au chapitre 3 de sa Règle. Il appartient à l'abbé ou au modérateur de maintenir les échanges dans le cadre d'un saine discrétion et d'une vraie charité.
9) Afin de favoriser leur formation continue à un usage correct de la parole, les frères demeurent attentifs à entretenir un climat de respect mutuel, par l'acceptation sincère et bienveillante de la diversité légitime des tempéraments, des caractères, des qualités, des dons ainsi que des limites de chacun.
Mes frères,
Hier, Saint Benoît nous a entretenus de la retenue dans les paroles et, quelques jours plus tôt, frère Jacques nous a expliqué que la Conférence Régionale avait traité du silence qui, nous le savons, est un élément essentiel de notre vie contemplative. Bavardage et vie contemplative sont absolument hétérogènes et s'excluent l'un de l'autre. Un bavard n'est pas un contemplatif et un contemplatif garde le silence. Cela ne veut pas dire qu'il est un muet, mais il sait quand il doit parler et comment il doit parler.
A cette occasion de la Conférence Régionale, si j'ai bon souvenir, on avait procédé à une sorte de tour de table pour demander ce qui se passait dans les différentes communautés car à la Constitution 24, la Congrégation pour les Religieux avait elle-même introduit un Statut qui est formulé de cette façon :
D'autres normes fixant l'usage de la parole, notamment au Chapitre et dans les cellules, sont déterminées par chaque communauté et doivent être approuvées par l'Abbé Général.
L'Abbé Général de l'époque avait délégué son pouvoir aux Pères Immédiats, ce qui avait provoqué certains remous car certains se disaient que ça allait se diluer et que en pratique il ne se ferait peut-être rien.
Frère Jacques pourrait peut-être nous dire ce qui s'est passé dans les autres communautés et si des normes ont été édictées pour approbation par l'Abbé Général ou le Père Immédiat. Frère Jacques approuve, donc cela a été fait. Et nous ne sommes pas restés en arrière.
Vous vous en souvenez ou vous l'avez déjà oublié, il y a près d’un an de cela, j'avais élaboré un projet que je vous ai exposé et dont nous avons parlé en Chapitre. J'y ai entendu des remarques, puis on m'en a donné d'autres en privé. Ce sont encore souvent celle-là qui sont les plus efficaces et les plus pertinentes parce que certains frères sont des tempéraments à retentissement secondaire comme on dit, donc c'est après coup que les idées leur viennent.
Et finalement, j'ai élaboré quelque chose que je vous ai représenté, qui a recueilli l'accord de chacun et qui a été envoyé au Père Immédiat intérimaire. Voilà, je ne sais pas s'il l'a envoyé plus haut, à l'Abbé Général, je n'en sais rien !
Je pense qu'il serait utile de rappeler ces normes car nous vivons une situation délicate et difficile à cause de ces travaux qui sont tout de même très important. Cela crée une certaine nervosité ou une surexcitation, un peu teintée de curiosité très légitime naturellement, de voir où les choses en sont et qu'est-ce qui va se passer ?
Les cloîtres sont encombrés, le Chapitre est encombré, nous avons déménagé de l'église au scriptorium, nous tenons le Chapitre ici dans la salle de conférences. Cela crée une situation un peu anormale qui pourrait du moins mettre en péril la qualité de notre silence. On est donc plus facilement porté à parler.
Je sais aussi - je l'ai remarqué moi-même, ou bien l'un ou l'autre frère bien intentionné est venu me le dire - qu'il arrive tout doucement, imperceptiblement qu'il y ait des petites choses qui se passent, qu'on en arrive à parler à l'église par exemple, ou bien dans les cloîtres. Je l'ai vu. Et quand je le vois, ou plutôt quand on me voit, alors c'est le silence.
Le frère Jacques l'avait déjà dit : « Quand on voit l'Abbé se pointer, tout rentre dans l'ordre ». Ce n'est pas malicieux, l'homme est faible - que voulez-vous - et peut-être la femme davantage encore ? Je n'en sais rien ? Mais d'après la légende, c'est ainsi.
Eh bien voilà, je m'en vais, si vous le voulez bien, vous rappeler ces normes. Je pense que nous en aurons bien pour deux soirées. Et tout d'abord, nous nous sommes référés à ce qui est dit dans le statut 24.a de nos Constitutions :
Selon la tradition de l'Ordre le silence doit être observé surtout dans les lieux réguliers, tels l'église, les cloîtres, le réfectoire, le scriptorium.
C'est donc la première norme :
1) Le silence sera strictement observé dans l'église, les cloîtres, le réfectoire, le scriptorium ...
et ce qui est devenu un peu une annexe de notre scriptorium si pas son remplaçant, notre bibliothèque qui est aménagée en salle de lecture et d'étude
...la bibliothèque-salle de lecture et la salle des conférences.
Vous savez, mais il est toujours bon de le rappeler, qu'il existe un lien existentiel très fort entre l'église, les cloîtres, le réfectoire, le scriptorium. Ce sont les lieux vraiment où nous rencontrons Dieu, où nous rencontrons le Christ et les saints avec beaucoup plus d'intensité. Nous ne sommes pas ici chez nous. Nous sommes dans la maison de Dieu, nous sommes chez Dieu.
Nous sommes des gérants de son domaine, de sa maison. Et nous devons, si nous sommes des gens honnêtes et non pas des pique-assiette, vous voyez, ou des profiteurs, nous devons alors vivre selon les lois qui sont celles de Dieu et de son palais, de son royaume, de sa maison et observer un silence respectueux d'abord là où il est davantage présent : dans son église.
Et puis alors dans les cloîtres où se tiennent des processions,où on se rend d'un lieu régulier à un autre ; au réfectoire qui est dans la continuité mystique du repas eucharistique, repas qui commence par une prière, qui s'achève par une prière, où il y a des bénédictions, où on écoute la Parole de Dieu.
On y écoute aussi des choses qui nous élèvent, qui nous font sortir de nous, qui nous font prendre conscience que nous faisons partie d'un grand Corps qui est l'humanité. Je pense au livre que nous lisons actuellement. Nous savons mieux les soucis, les problèmes qui se posent pour nos frères qui sont dans le monde. Et puis naturellement l'endroit de la Lectio Divina, le scriptorium et la bibliothèque.
Donc voilà, mes frères, on comprend que dans un monastère voué à la vie contemplative, le silence doit en priorité être observé dans ces lieux. Ce ne sont pas des parloirs.
Alors, la Constitution 24, parlait encore dans les normes imposées ici par la Congrégation elle-même des normes fixant l'usage de la parole dans les cellules.
Eh bien, quelque chose qui est, je pense, général dans l'Ordre et qui relève aussi d'abord en tout premier lieu du simple savoir-vivre, c'est qu'il n'est pas permis d'entrer dans la cellule d'un frère, surtout pas pendant son absence pour aller trifouiller dans ses histoires. C'est arrivé, savez-vous ! Voir un peu ce qui se passe dans ses tiroirs et le reste, c'est arrivé !
Cela relève un peu d'une sorte de déséquilibre psychique qu'il faudrait soigner de toute façon si cela arrivait. Mais enfin, il y a déjà un petit temps de cela et cela n'arrive plus. Mais il s'agit surtout ici de ne pas entrer dans la cellule d'un frère lorsqu'il s' y trouve pour commencer à discuter le coup avec lui.
Mais attention ! Exception est faite logiquement pour :
- L'Abbé, cela va de soi.
- Le Prieur, surtout lorsque l'Abbé est absent.
- Le Maître des novices,' pour ce qui regarde les novices.
- Le cellérier qui a toujours des choses à régler ou à réparer.
- L'infirmier, ça se comprend lorsque le frère est malade. Il faut donc voir ce qui se passe. Il faut le soigner. Il faut l'entourer.
- Et aussi pour les confesseurs,
MAIS chacun pour la part qui lui revient !
Il y en a aussi d'autres qui pourraient entrer dans la cellule d'un frère lorsqu'il est là, ou avec sa permission lorsqu'il est absent. C'est quand il y a des réparations à faire : l"électricité, l'évier, enfin des tas de choses à régler dans une cellule, dans un petit local qui doit être entretenu. Le frère ne peut pas mais il fait appel à un artisan parmi les frères qui remet les choses en ordre. Enfin, ça, c'est tellement naturel que ça va de soi.
Maintenant, l'usage de la parole n'est pas autorisé dans les cellules. Ce n'est pas parce que on va y effectuer une réparation qu'on va commencer à papoter sur toutes sortes de choses. Non, on fait la réparation mais on ne commence pas à parler.
2)b L'usage de la parole n'est pas autorisé dans les cellules sauf avec les personnes ou dans les circonstances ci -dessus et uniquement dans la mesure requise par les nécessités du moment.
Donc l'Abbé lui même qui va rendre visite à un frère dans une cellule, il ne doit pas commencer là-bas à rester, et à parler, et à raconter des histoires. Non, non, il y va pour quelque chose de bien précis. Il parle, puis quand c'est fini, il laisse le frère à son silence, ou à sa prière, ou à sa Lectio.
Mes frères,
Dans tous les monastères il y a un endroit extrêmement périlleux pour l'usage de la parole. Et je vais m'appuyer sur la grande expérience du frère Jacques pour entendre l'endroit. C'est : ...la cuisine !
Vous voyez, on voit qu'il a une grande expérience des Conférences Régionales, de tout ce qu'on entend, de tout ce qu'on voit. Eh bien, c'est partout la même chose, c'est la cuisine. C'est l'endroit périlleux de tous surtout quand on fait la vaisselle.
On est là à trois, quatre, les uns à côté des autres dans le coude à coude généreux du travail. Et voilà, une petite parlote favorise la digestion certainement et il y a plus d'ardeur au travail aussi. Et prenons bien garde parce que ce n'est tout de même pas ça que Saint Benoît et que l'Esprit Saint attendent de nous, même à la cuisine.
Donc, prenons bien garde et veillons à ce que la cuisine devienne un lieu de sanctification et non de perdition. Et alors, le responsable de la chose, c'est le cuisinier, oui, parce qu'il doit faire respecter l'ordre dans sa cuisine.
Donc, la tâche du cuisinier est extrêmement lourde. D'abord parce qu'il lui faut faire la cuisine et maintenir le silence à la cuisine lorsqu'on fait la vaisselle et à d'autres occasions. Donc que le frère Jean n'ait pas peur d'intervenir. Il le fera, je dirais, en mon nom. Tout le monde le sait, ça ne vient pas de lui, ça vient de moi.
Qu'il dise donc prudemment : attention, mes frères, attention, attention, ce n'est pas trop bien ce que nous faisons-là. Et alors tout le monde comprendra et tout le monde prendra la bonne direction. Et le frère Jean recevra plus tard une décoration du Christ puisqu'il aura vraiment risqué sa vie et sa réputation pour la bonne cause. .
Alors il y a encore ceci. Il était dit au 1. de nos normes que le silence sera strictement observé dans les cloîtres. Et maintenant voici que les coules sont suspendues non plus dans un parloir mais dans les cloîtres ? Alors c'est vraiment ici quelque chose de titanesque à résoudre. Comment faire ? Car on a toujours comme ça quelque chose à dire après l'Office.
C'est certain après Tierce et après None, on entre dans la période de travail, il y a toujours des choses à dire, à échanger, toujours au sujet du travail, de ce qu'on doit faire. Eh bien, mes frères, ne prenons pas l'habitude de faire ça au moment où on met la coule dans le cloître, il n'y a rien de mal, mais si on se met sur ce pied là maintenant, après x mois on ne fera plus la différence entre les cloître et les coules.
Eh bien, qu'on fasse quelques pas. On est en bas des escaliers qui conduisent au dortoir, ou bien on est là-bas dans le vrai parloir où se trouve le tableau, qu'on aille donc échanger les quelques paroles nécessaires à ces endroits-là. Je pense que c'est très logique et cette petite gymnastique de quelque pas ne fera que du bien pour notre santé.
Maintenant, la Constitution 24, parlait encore de ceci :
C'est pourquoi en tout temps, mais surtout aux heures de la nuit, les frères s'appliqueront au silence, gardien de la parole en même temps que des pensées.
Le silence des pensées ? C'est le plus difficile ! Donc il s'ensuit pour nos normes :
3) Durant les heures de la nuit, c'est à dire de la fin des Complies à la fin des Laudes du lendemain, on veille particulièrement au silence. L'accueil des hôtes, le soin des malades, les urgences du travail autorisent les dérogations conseillées par la charité ou la prudence.
C'est une tradition immémoriale! Mais:
L'accueil des hôtes: Il y a des hôtes qui n'arrivent pas toujours à l'heure stricte. Ils s'amènent parfois après Complies et il faut les accueillir.
Le soin des malades : Les malades, voyez-vous, ce n'est pas toujours si simple. Ils ne sont pas régulés d'après notre horloge.
Les urgences du travail : Il arrive des pannes électriques à tout heure à la brasserie ou partout. On doit parfois travailler. Je me souviens bien tout au début de la brasserie d'avoir travaillé toute la nuit avec le frère François car on soutirait le lendemain. Vous voyez, les urgences du travail, mais il ne faut pas les inventer, ces urgences du travail parce que il y a des casuistes qui pourraient en trouver tous les jours.
Autorisent les dérogations conseillées par la charité et la prudence : charité = accueil, le soin des malades - la prudence lorsqu'il faut veiller que tout soit bien en ordre pour que l'Abbaye fonctionne normalement. Alors, il faut tout de même pouvoir parler :
4) Des par loirs sont prévus en bordure des cloîtres. Les échanges doivent être brefs et mesurés.
La brièveté, attention, ne se mesure pas nécessairement en minutes. Cela veut dire que à partir de là, il ne faut pas embrayer sur autre chose qui n'a rien à voir avec le début. Vous savez, on peut passer d'un sujet à l'autre et commencer à discuter là pendant longtemps. Les échanges doivent être brefs et mesurés, c'est tout à fait logique.
5) Les confessions sont entendues dans la cellule du confesseur, dans les cellules des frères ou dans un local approprié.
Alors les confessions, oui, elles sont entendues, ça a toujours été comme ça du moins depuis que je suis ici. Je n'ai jamais connu rien d'autre. Elles sont entendues dans la cellule du confesseur ou bien dans la cellule du frère.
Cela arrivait aussi du temps du dortoir qu'on n'avait pas de cellules, mais il y en avait tout de même qui avait une chambre déjà, ou un bureau. Ou bien alors dans un local approprié, cela existait aussi. Dans le bon vieux temps, vous aviez des confesseurs qui n'avaient pas de bureau et le frère non plus. Alors il y avait un local approprié qui était tout simple. Habituellement, c'était quelque part dans une sacristie, un endroit un peu sacralisé par sa destination.
Mes frères,
Saint Benoît nous donne ici au l° degré d'humilité une consigne qui est capitale dans une vie monastique qui se respecte : se garder à toute heure - custodiem se omni hora, 7,36.
Il faut donc se surveiller, il faut se garder. Il faut en quelque sorte prendre un certain recul par rapport à soi pour, non pas toujours procéder à des introspections qui pourraient devenir maladives, mais pour permettre à l'Esprit Saint de nous regarder à travers nos propres yeux.
Et ainsi nous pouvons …………….……?........................................?.......... pour
ne pas entraver notre course vers Dieu. Car nous avons vu hier que nous désirions arriver chez lui, dans son intimité, jusqu'à l'intérieur de son coeur, à toute allure, velociter.
Et la Constitution 24, nous dit que sur le silence nous dit la même chose.
…..en tout temps, mais surtout aux heures de la nuit, les frères s'appliquent au silence, gardien de la parole en même temps que des pensées.
Et la Constitution reprend le même terme de Saint Benoît : custodi. Le Prophète nous a dit que nous devions placer une sentinelle à la porte de nos lèvres pour ne pas permettre à la dissipation de s'emparer de notre langue et de nous conduire là où de sang-froid nous ne voudrions pas aller.
Et c'est particulièrement vrai en ce point-ci de nos normes :
6) La plus grande retenue s'impose dans les relations avec notre personnel ouvrier. Seuls les supérieurs et les chefs d'emploi sont autorisés à leur parler.
Ne nous faisons pas d'illusions, mes frères, si nous parlotons avec nos ouvriers, nous ne grandirons pas dans leur estime. Nous ne leur faisons pas de bien d'abord puisque nous sommes en dehors de la volonté de Dieu. Mais voici ce qui arrive: ils ne nous considèrent plus pour des moines.
Et cela peut aller très loin, cela peut aller jusqu'au mépris. Mais ça peut aller plus loin encore - et ça, je le sais - ça peut aller jusqu'à la répulsion. Ils peuvent arriver à ne plus voir un tel ou un tel. Et lorsque un tel approche, ils ont le réflexe de prendre la fuite.
Mes frères, soyons extrêmement prudents avec nos ouvriers parce qu'ils sont beaucoup plus fins, beaucoup plus malins, beaucoup plus perspicaces que nous ne l'imaginons. En un instant, ils nous ont percés, ils nous ont jugés, ils nous ont classés. Et une fois que c'est fait, c'est usque ad mortem pratiquement.
En plus de cela, il n'y a pas seulement que le jugement qu'ils portent sur nous, mais aussi ça rejailli fatalement sur Dieu lui-même et sur le Christ. Et c'est cela qui est le plus grave, et c'est de cela qu'il faudra rendre compte.
Maintenant, un autre point sur lequel j'ai déjà insisté de nombreuses fois :
7) Il est interdit, sans une permission explicite de II Abbé, dl adresser la parole aux hôtes et aux étrangers de passage. Parmi ces derniers sont compris les artisans et les travailleurs éventuellement occupés sur divers chantiers.
Faisons attention ! Il faut que je le rappelle aussi parce que certes il n' y a pas de mauvaise volonté, certainement aucune mauvaise volonté, mais une légèreté ou une sorte d'inconscience qui fait que, voilà, nous pouvons donner de notre personne et encore une fois de notre communauté, de la religion comme telle, une image très peu flatteuse lorsque de façon intempestive et hors de la volonté de Dieu nous adressons la parole à nos hôtes et aux étrangers de passage.
Une chose, mes frères, qu'il faut veiller aussi - mais c'est absolument, ce doit être absolument interdit - c'est d'aller un peu prendre l'air devant le porche de la porterie là-bas pour voir s'il n'arrive pas une occasion de parler avec des gens inconnus qui arrivent.
Cela me fait penser à ce qu'on dit : être là comme un lion rugissant cherchant qui dévorer. Et c'est tout à fait ça ! C'est l'impression que ça donne et c'est ainsi que les gens le sentent.
Donc attention, encore une fois, mes frères, soyons bien prudents en ce domaine et faisons tout notre possible pour nous tenir dans la vérité de notre état monastique.
Il y a aussi les artisans qui viennent travailler ici, les ouvriers donc. Voilà, nous allons encore une fois avoir un chantier assez important là-bas du côté de l'église. Il y aura bien plus d'une dizaine d'ouvriers ensemble sur un tel chantier. Mais n'allons pas là-bas commencer à parler.
N'oublions pas ceci : c'est aussi contre la pauvreté. Pour un ouvrier de la construction, il faut bien compter quinze francs par minute. Donc voyez un peu, si on commence à parler pendant des minutes, ça fait des francs et des francs qui partent. Et le plus souvent, c'est le fait de ceux qui ne les gagnent pas. Celui qui doit les gagner, il sait très bien la valeur de l'argent et la valeur du temps.
Donc, mes frères, je rappelle ce point encore une fois qui, me semble-t-il, est de la plus haute importance pour l'honneur de Dieu et pour notre honneur personnel.
Et maintenant il est déjà presque temps d'aller demander pardon à Dieu pour nos erreurs, pour nos bêtises et lui rendre grâce aussi parfois de la force qu'il nous accorde pour respecter le silence.
Mes frères,
Il est déjà presque temps d'aller à l'église, mais je voudrais préciser ceci à la fin de la norme 2). C'est que voilà : L'usage de la parole n'est pas autorisé dans les cellules, sauf avec les personnes ou dans les circonstances ci-dessus.....
Ceci est un texte commentant ici nos Constitutions et qui a été remis à l'Abbé Général via le Père Immédiat. Mais attention ! Il est absolument impossible de prévoir toutes les choses pratiques. Ceci veut dire qu'on ne peut pas aller dans la cellule d'un frère pour commencer à parler avec lui.
Mais attention ! Quand nous avons un frère qui est gravement malade et qui est là tout seul, et qui peut recevoir de la visite - il y a des cas où c'est interdit médicalement parlant - il faut le visiter.
Nous avons le cas de notre frère Bernard maintenant. Mais la charité demande qu'on aille lui parler de temps en temps, lui rendre une petite visite. On ne peut pas mettre ça dans un document qui est destiné à l'Abbé Général. Cela va de soi, il y a des choses qui vont de soi.
Et ce n'est pas enfreindre la règle du silence ni des normes de Saint Remy que d'aller de temps en temps lui dire bonjour et lui tenir un peu compagnie. C'est ce que cela veut dire accompagner quelqu'un. C'est un acte de charité car les journées sont longues. Il ne faut pas non plus s'attarder parce qu'il ne faut pas le fatiguer et puis, il faut laisser la place à d'autres....
Mes frères,
Je rappelle que :
7) Il est interdit, sans une permission explicite de l'Abbé, - ( il faut vraiment lui demander ou bien elle est donnée une fois pour toutes) - d'adresser la parole aux hôtes et aux étrangers de passage. Parmi ces derniers, sont compris les artisans et les travailleurs éventuellement occupés sur divers chantiers.
Le bavardage dans ce domaine peut faire, je vous l'assure, le plus grand tort à la personne et aussi à l'Abbaye comme telle.
Maintenant un autre point :
8) Lorsque l'Abbé prend conseil de la communauté au cours d'une réunion capitulaire, il est permis à chaque frère d'intervenir, en conformité avec l'esprit défini par Saint Benoît au chapitre 3 de sa Règle. Il appartient à l'Abbé ou au modérateur de maintenir les échanges dans le cadre d'une saine discrétion et d'une vraie charité.
Il ne s'agit pas seulement ici de la communauté dans son ensemble mais aussi du Conseil de l'Abbé où là vraiment parfois il doit s'informer au sujet d'une chose dans laquelle il ne voit pas trop clair. Mais il faut que les frères agissent toujours en toute modération, modestie, charité. Cela ne doit jamais devenir le lieu d'un affrontement entre l'Abbé et un frère, ou les frères entre eux.
Et puis il est surtout nécessaire que l'Abbé informe bien les frères. Il doit bien les informer et pour cela, il doit prendre son temps. Rappelez-vous pour le chantier de l'église - j'ai regardé - je vous en ai parlé 18 fois, à raison d'un quart d'heure, 20 à 25 minutes chaque fois.
Si bien que après une information pareille, quand j'ai demandé votre avis, cela a été assez bref, assez court parce que les choses avaient été je pense bien clarifiées. C'est donc cela qu'il faut faire.
Maintenant, il s'est introduit dans l'Ordre une coutume qui n'existait pas auparavant et qu'on appelle les dialogues. C'est tout autre chose que ce que Saint Benoît demande. Ici, pour Saint Benoît, c'est l'Abbé qui doit être éclairé sur une question, tandis que dans les dialogues c'est la communauté elle-même qui doit trouver sa voie, son chemin, qui doit décider.
C'est donc une sorte de parlementarisme monastique. C'est tout à fait nouveau. Et frère Jacques nous a expliqué un peu ce qu'il avait appris à Oelenberg et qui se faisait à cîteaux. Si j'ai bon souvenir, on y constitue des commissions auxquelles l'Abbé doit être absolument étranger naturellement. Et puis dans ces commissions on discute, on met tout ensemble.
Et le délégué de Cîteaux avait dit, si j'ai bon souvenir, si je ne me trompe pas, mais ça alors le frère Jacques peut toujours me corriger, que toutes ces choses-là, au lieu de conduire vers un consensus communautaire, étaient plutôt source d'incompréhensions qui augmentaient. C'est bien ça, voilà, il opine du bonnet.
Et c'est vrai, mes frères, lorsqu'on veut comme ça user de moyens même humains pour arriver à trouver une ligne directrice pour une communauté qui est construite sur la foi, donc qui grandit à l'intérieur du surnaturel pur mais un surnaturel toujours bien incarné, ça ne peut conduire à des résultats valables.
Et ce que le frère là-bas a révélé, et je pense que s'il n'avait pu se rendre à cette réunion que pour dire ça, ça aurait déjà été bien suffisant parce que du moins par ricochet c'est arrivé jusqu'ici et ça conforte bien ce que j'ai toujours pensé et ce que nous vivons habituellement dans notre monastère.
Mes frères,
La dernière Norme est plutôt de nature spirituelle :
9) Afin de favoriser leur formation continue à un usage correct de la parole,...
Il faut sans cesse se réformer pour ce qui concerne la parole, que dire et que ne pas dire. Ce n'est pas seulement maîtriser sa langue, parfois il faut parler. Mais alors, comment parler et que dire pour que l'usage de la parole soit correct. Et pour ça, il faut une formation, une formation humaine mais aussi une formation spirituelle.
Et alors revient ici cet art sublime qui est de se perdre dans la volonté de Dieu pour se découvrir. Et à ce moment-là, faire la volonté de Dieu et faire notre volonté, il n'y a plus aucune différence. C'est un seul acte. Et à ce moment-là, on sait très bien comment user correctement de la parole.
Encore une fois, c'est un sommet. Mais il faut tout de même se former. Et alors, comment faire ? Et bien, c'est surtout ceci :
.... les frères demeurent attentifs à entretenir un climat de respect mutuel....
Je pense que, pour moi c'est essentiel, tout est peut-être là au départ : se respecter mutuellement. Mais comment ?
....par l'acceptation sincère et bienveillante de la diversité légitime des tempéraments, des caractères, des qualités, des dons ainsi que des limites de chacun.
Nous accepter, mais sincèrement et avec bienveillance tels que nous sommes les uns les autres. Et pour en arriver là, il faut évacuer de notre coeur la peur. L'autre nous fait peur parce qu'il est différent de nous.
Et si je n'ai plus peur de l'autre, à ce moment-là je suis presque devenu un saint. La peur est tellement innée en nous et elle naît des différences. Et en acceptant une différence, insensiblement nous calmons notre peur.
Et cela ne peut pas être à sens unique. Il faut que ce soit comme ça une sorte de toile qui se tisse à l'intérieur de la communauté et qui unit tous les frères dans la bienveillance.
Une communauté, c'est - me semble-t-il - un bouquet extrêmement beau où vous n'avez pas deux fleurs qui sont les mêmes. Et ce sont des fleurs qui sont parfois très contrastées. Mais c'est ce contraste voulu par Dieu qui fait la beauté de l'ensemble.
Si vous étiez tous exactement les mêmes, je pense que ce serais quelque chose d'intolérable parce que nous nous retrouverions partout et nous n'aurions pas envie de vivre. Nous avons besoin de la diversité pour nous épanouir.
Et plus les diversités sont tranchées, plus nous sommes invités à nous épanouir dans notre identité. Et pour ça, il faut que nous nous acceptions les uns les autres, les uns les autres dans notre diversité légitime.
Et dans ces diversités, je n'ai pas mis ici les défauts, je n'ai mis que les qualités, mais ce sont aussi les défauts de chacun. Il me semble que c'est tellement beau. Et nous avons nos limites, aussi nous accepter dans nos limites.
Eh bien, mes frères, je pense comme je connais tout de même un peu la communauté, je pense que cette acceptation existe - c'est certain elle existe mais elle doit et elle peut toujours être en progrès, toujours, toujours jusqu'à ce que nous soyons parfaitement en harmonie les uns avec les autres grâce à nos diversités.
Voilà, je pense que nous pouvons faire confiance à la grâce qui nous unit et à l'Esprit qui nous a appelés pour que devenus ensemble un seul coeur, nous soyons discrets à l'intérieur du respect que nous nous portons les uns aux autres surtout du côté de l'usage de la parole.
Donc, ne pas nous troubler les uns les autres, ne pas nous déranger les uns les autres mais être toujours grâce à notre bienveillance, et par notre silence, et par un usage strict de la parole, être un soutien mutuel. Or ça, c'est magnifique.
Mes frères, ma soeur,
La tradition chrétienne la plus ancienne a toujours voulu qualifier l'expérience monastique de vie angélique. Mais attention, prenons garde ! Ne nous laissons pas enfermer dans le piège du vocabulaire. Angélique ne signifie nullement que la vie monastique serait une sorte d'existence désincarnée qui libérerait l'homme de ses devoirs sociaux et politique. Il s'agit de bien autre chose.
La Tradition voit dans la vie monastique une entrée à l'intérieur de la vérité toute entière. Elle voit en elle l'exploration d'une beauté qui est l'essence même de la vie éternelle. La petite Thérèse jubilait en ayant découvert que sa vocation d'être l'amour dans le coeur de l'Eglise. Or, était amour et beauté sont synonymes.
Et le moine qui se donne au Christ et qui le suit finit par devenir amour parce que ses yeux ne peuvent plus se détacher de la beauté suressentielle de la Sainte Trinité.
La Tradition a toujours fait sienne la Parole du Christ que nous avons entendue le 2 Octobre. Il parlait des petits enfants, les enfants que nous devons devenir pour avoir accès à son Royaume. Et il disait : Leurs anges dans les cieux voient toujours la face de mon Père.
Notre vie serait donc orientée vers une vision purement spirituelle de Dieu. Et par spirituelle, je n'entends pas du tout une saisie néoplatonicienne cérébrale, intellectuelle de ce qui pourrait être Dieu. Non, il s'agit d'une vision qui est créée par l'Esprit de Dieu à l'intérieur d'un coeur devenu pur.
Même si cette expérience est vécue par un homme et pleinement incarnée, elle n'a absolument rien de charnel. Elle est totalement étrangère au monde de la chair. Vous savez, cette chair qui est toujours en conflit avec la partie spirituelle de l'homme, cette chair qui est promise à la corruption, à la poussière du tombeau.
Mais attention encore ! N'allons pas maintenant imaginer une sorte de substance plus ou moins spirituelle qui serait nous et à laquelle serait promise cette vision de Dieu. Non, il s'agit ici de l'homme dans sa globalité. C'est une expérience pleinement incarnée mais à partir de ce corps nouveau qui est enfanté en nous par l'Esprit de Dieu.
Cette expérience consiste ainsi en une entrée progressive à l'intérieur de l'univers même de Dieu jusque dans le secret des relations Trinitaires. C'est une grâce que l'on reçoit. C'est même plus, c'est une grâce qui est créée en nous et qui nous rend conforme à Dieu dans toutes les cellules de notre être spirituel et, ne l’oublions pas, aussi de notre être toujours incarné. Nous sommes déjà ici dans un univers qui est quasiment celui d'une prérésurrection des morts.
Elle est donc assomption chez Dieu dans une sorte de pénombre lumineuse qui devient toujours plus claire et plus obscure, plus puissante et plus ténue. C'est ce que les Pères plus récents appelaient la vita umbratilis. C'est la vie dans l'ombre divine, cette ombre qui reposa un jour sur Marie de Nazareth et qui la rendit Mère de Dieu. C'est la même!
Nous sommes donc appelés non pas à devenir des anges, ni à changer de nature, mais à partager leur expérience et à voir Dieu avec les yeux de notre coeur devenu lumière. Si Dieu a voulu devenir homme, c'est pour notre salut, dira-t-on. Et c'est vrai.
Mais il faut bien comprendre ce que signifie ce salut. C'est pour nous libérer de la vanité qui engendre la mort. Et la vanité, c'est tout ce qui exerce sur nous une fascination, une sorte d'enchantement, et qui flatte la partie charnelle de notre être, et qui le distrait, et qui le détourne de son objectif, de sa véritable vocation qui est de voir Dieu.
Dieu a voulu nous élever au sommet de notre destinée humaine qui, je le répète, est justement la vision de Dieu. Saint Irénée, un des tous premiers, l'a dit. La gloire de Dieu, c'est un homme devenu semblable à lui son créateur. C'est l'homme vivant. Et la vie de l'homme, c'est la vision de Dieu.
La vie monastique dans le détail concret de son existence quotidienne est donc semblable à un geste. C'est le geste de l'enfant - rappelons-nous la parole de Jésus - c'est le geste de l'enfant qui pose sa main dans celle du Christ pour se laisser conduire par lui jusqu'à la perfection de sa destinée.
C'est cela l'obéissance. Il n'est rien de plus noble pour un homme. Mais attention encore ici au piège du vocabulaire. Il s'agit, non pas d'une obéissance qui fait de nous des esclaves, mais d'une obéissance qui nous rend semblable à Dieu parce que tout le vouloir de Dieu vient en nous et nous transfigure.
Dieu n'asservit personne. Dieu libère celui qui se donne à lui. Non seulement il le libère, mais il le rend semblable à lui.
Mes frères, notre cadre de vie tout entier doit donc pour bien faire être prégnant de Dieu et de son univers. D'ailleurs le cosmos dans son ensemble et dans son détail n'est-il pas un temple dans lequel transparaît Dieu lui-même?
C'est aussi une expérience que les premiers moines faisaient, osons le dire, avec délice. Ils pouvaient voir les logoï des choses. Cela veut dire qu'ils voyaient le Verbe de Dieu en train de créer chaque chose. Ils le saisissaient intuitivement. C'est cela la contemplation, c'est cela la vie contemplative à son premier stade.
Donc d'abord voir le Verbe de Dieu en train de créer le monde. Et alors le stade suivant, c'est voir le Verbe de Dieu en lui-même. Et le stade supérieur, c'est d'être à l'intérieur de la Trinité et alors là, de tout savoir et de tout connaître. La vie éternelle, a dit lui-même Jésus, c'est qu'ils te connaissent Toi le Dieu Un et Véritable et Celui que Tu as envoyé, Jésus le Christ.
L'idéal dans un monastère, c'est que même les bâtiments claustraux et surtout l'église dégagent le coeur et les sens de tout ce qui est bassement charnel pour les orienter vers Dieu mystiquement reconnu. D'où l'objectif des premiers cisterciens lorsqu'ils édifiaient leurs monastères.
C'était le dépouillement, c'était une nuditas, une espèce de nudité très chaste, très pure, infiniment pure parce qu'elle permettait quasiment de toucher Dieu. C'était ce dépouillement, c'était l'harmonie des proportions, c'était la pureté des formes.
Si bien qu'il n'était pas possible presque de ne pas être enlevé, d'être - osons le mot - comme en état d'extase, c'est à dire sorti de soi pour admirer Dieu à travers la beauté des formes qui se présentaient aux yeux. Et le chant devait être en harmonie avec l'ensemble, la beauté qui résonnait aux oreilles. Et ainsi le coeur tout naturellement devenait un coeur voyant.
Mes frères, on parle beaucoup maintenant de la dimension contemplative de notre vie. Mais sachons que cette dimension est totalitaire. Elle ne laisse rien en dehors d'elle. Si elle n'est pas totalitaire, elle n'est pas vraie, c'est un semblant de dimension contemplative.
Pourquoi est-elle totalitaire ? Pourquoi doit-elle l'être ? Parce que elle vient de Dieu, elle vient de la Trinité qui est amour et elle retourne vers elle. Si nous nous laissons saisir par cette douce puissance, nous traversons les espaces et nous entrons dans la lumière qui est Dieu.
Au cours de ce mois, nous rencontrons ainsi de grands contemplatifs. Nous avons eu Thérèse de Lisieux, nous aurons Thérèse d'Avila, demain nous aurons Bruno de Cologne. Nous avons eu les anges qui regardent toujours Dieu, et puis nous en aurons encore d'autres. Nous aurons une sainte qui est très proche de nous, Sainte Edwige.
Et voilà, mes frères, dans une telle compagnie, dans une telle société, au sein d'une telle communion comment ne pas être encouragés, comment ne pas être portés, comment ne pas avoir une confiance éperdue en notre Dieu qui veut nous rendre en tout semblable à ce qu'il est.
C'est la grande aventure de la sainteté à laquelle nous sommes appelés. Puissions-nous avec la grâce du Christ la courir chacun pour notre part, et la courir jusqu'au bout.
Mes frères, ma sœur,
1. Est-ce que nous ajoutons foi à ces paroles de notre Père Saint Benoît ? Ou bien, est-ce une belle chansonnette qui distrait un instant notre oreille et puis aussitôt est oubliée ?
En fait, ce que Saint Benoît nous promet ici lorsque nous sommes arrivés sur la plate-forme supérieure de l'humilité, c'est la Vie éternelle, c'est la communion la plus étroite possible qui est amour, c'est la vision de la lumière, cette lumière divinisante dont nous parle Saint Benoît au début de sa Règle, Pr, 25.
Mais voilà, dans le fond nous sommes des incrédules et c'est ce qui est le plus malheureux. Si vraiment nous étions des croyants, je pense que nous aurions vite fait de laisser tomber toutes nos petites attaches, nos susceptibilités, tout ce qui nous entrave, tout ce qui nous empoisonne, toute cette glu qui nous empêche de nous envoler.
Eh bien, mes frères, demandons les uns pour les autres cette grâce de la foi qui est vraiment l'âme de notre vie monastique.
2. Mais je voudrais aujourd'hui faire un petit saut en arrière car le frère Jacques nous a longuement parlé de la Conférence Régionale et de ce sujet pastoral qui y avait été abordé, à savoir le silence. Et ce fut l'occasion de revoir ensemble les normes que nous avions arrêtées pour notre communauté.
Je voudrais remonter au neuvième degré d'humilité qui dit ceci : Le moine défend à sa langue de parler et pratiquant la retenue dans ses paroles, garde le silence jusqu'à ce qu'on l'interroge. 7,152. Où Saint Benoît a-t-il été trouver cela ? Il ne l'a pas tiré de sa boite à surprises, il l'a emprunté à la Tradition.
Et je vais, si vous le voulez bien, ce soir vous donner un exemple. C'est peut-être à partir de là que Saint Benoît a décidé de reprendre cette prescription usque ad interrogationem, jusqu'à ce qu'on l'interroge. Nous sommes tellement prompts, nous, à parler et à nous faire les apôtres des autres.
Il s'agit d'Abba Macaire l'Egyptien. Nous le connaissons, c'est le fondateur du désert de Scété et c'est le Père Spirituel par excellence d’Evagre le Pontique. Vous savez, nous n'avons pas encore terminé cette histoire d'Evagre et de Macaire. Il faudra tout de même qu'un beau jour nous nous y remettions.
Voici donc l'histoire qui s'est abattue sur Macaire. N'oublions pas que c'est le fameux Abba Macaire :
Il se rendit un jour chez Abba Antoine.
Donc, voyez où se trouve Scété, il a traversé le désert, il a franchi le Nil. Il est entré dans le désert de l'autre côté et s'est rendu jusque sur les bords de la mer Rouge dans les montagnes. Donc c'est un voyage qui a duré très longtemps, à pied. Et Macaire n'était plus très jeune quand il a fait ça. Donc il allait lentement.
Donc il rencontre Abba Antoine. Il lui parla puis il revint à Scété. Les Pères vinrent à sa rencontre.
Un voyage de plusieurs semaines, donc c'est un événement. Macaire était revenu, les Pères viennent le saluer. Mais parmi ces Pères, il y avait aussi des Pères Spirituels valables. Ce ne sont pas les novices qui accourent à la rencontre de Macaire, ce sont les Pères.
Et comme ils parlaient,
Les Pères parlaient : c'est un peu une petite fête, ils parlent.
le vieillard leur dit: j'ai dit à Abba Antoine que nous n'avions pas d'offrande dans notre lieu.
L'offrande, vous le savez, c'est la messe. Donc ils n'avaient pas d'Eucharistie en leur lieu. Il n'y avait plus de prêtre peut-être ? Voilà, il n'y avait pas d'offrande. Il avait dit ça à Antoine. C'était donc leur problème.
Et les Pères commencèrent à parler d'autres choses et ne lui demandèrent pas de leur dire la réponse d'Abba Antoine. Et lui-même ne la leur dit pas.
Voilà, voyez, il est probable que Macaire avait fait tout ce voyage pour poser la question à Antoine qui était le Prophète par excellence, la sommité à laquelle tout le monde se référait. Et puis il revient, il a la réponse au problème. Il amorce la phrase. Et les autres - qui sont des Pères, ne l'oublions pas - ils parlent d'autres choses. Et alors Macaire ne leur donne pas la réponse.
Voilà, on peut dire un voyage inutile. Il garde la réponse dans son sac ou dans son cœur et le problème demeure entier.
Maintenant, voici le commentaire :
L'un des Pères dit alors, donc un Père plus avisé : « Mais vous n'avez rien dit ! »
L'un des Pères dit alors que lorsque les Pères voient que les frères omettent de les interroger sur une affaire utile, ils doivent eux-mêmes leur dire le commencement du discours. Donc on dira qu'ils doivent leur tendre la perche. Ils amorcent, ils tendent la perche. Mais s'ils ne sont pas contraints par les frères, donc si les frères ne mordent pas, si les frères ne réagissent pas, ou s'ils n'insistent pas pour que le Père continue son discours, pour qu'il parle, qu'il s’explique, alors ils n'ont plus à parler.
C'est ce que fait Macaire. Et écoutez, c'est ceci maintenant, la référence à Saint Benoît exactement la même :
Afin qu'ils ne soient pas trouvé ayant parlé sans être interrogé et avoir dit des paroles inutiles.
Donc, voyez jusqu'où ils poussaient l'esprit de foi, le détachement ! Il y a le problème, Macaire a la réponse qu'il tient d'Antoine le Prophète. Il a la réponse et il lance la chose. L'auditoire ne réagit pas et Macaire ne dit plus rien.
Mais nous autres, qu'aurions-nous dit ? Nous aurions tapé sur la table : « Taisez-vous donc, j'ai quelque chose à vous dire. » Et si Macaire avait réagit comme ça, il aurait dit des paroles inutiles. Pourquoi auraient-elles été inutiles ? Parce que elles n'étaient pas attendues, elles n'étaient pas souhaitées, elles n'auraient pas été accueillies. Donc, il valait mieux se taire.
Donc vous voyez bien que la position - maintenant je vais me mettre un peu en avant - que la position d'un Abbé n'est pas toujours facile. Il peut réagir de façon humaine, de façon charnelle et essayer de convaincre ses frères. Et il peut réagir de façon tout à fait surnaturelle. Et lorsque les frères ne sont pas avisés d'entendre la parole, s'ils ne la souhaitent pas, eh bien il doit se taire - voilà la leçon ici - jusqu'à ce qu'il soit interrogé.
Donc, la prescription de Saint Benoît ici, elle ne regarde pas les frères, elle regarde l'Abbé qui doit être interrogé. C'est un peu un renversement de situation. Nous n'aurions pas pensé à cela. Nous aurions cru que cela regardait d'abord le commun des moines. Mais non, ça regarde d'abord l'Abbé qui doit attendre d'être interrogé.
Cela ne veut pas dire que les frères doivent lui poser une question comme ça. Non, mais il doit sentir si les frères sont avides de recueillir la parole de Dieu.
Ma soeur, mes frères,
Le Père Hruby nous a mis avec sa ferveur coutumière en relation avec quelques grands saints Rabbi de la grande tradition d'Israël. Ces hommes qui étaient des saints sont nos frères. Ils puisent leur enseignement à une tradition qui nous est commune avec eux. Et cette tradition, ce n'est pas l'Ancien Testament, c'est une littérature intratestamentaire entre l'Ancien Testament et le Nouveau.
C'est à ce patrimoine que le Christ lui-même et les Apôtres ont puisé. Nous les connaissons. Ce sont les targoumin, donc les présentations de l'Ancien Testament en langue araméenne, à la portée des gens qui ne connaissaient plus l'hébreux. Ce sont les premiers midrashim, ce sont les premiers éléments du Talmud.
Tout cela a été la nourriture, et du Christ, et de la Vierge Marie, des Apôtres, de tous ces juifs fervents qui attendaient l'avènement du Royaume de Dieu. Et puis voilà, les deux traditions se sont séparées, elles se sont durcies, elles sont devenues antagonistes et c'est la situation d'aujourd'hui.
Mais voilà que au XVIII° siècle, au XIX° siècle a surgit un courant au sein du Judaïsme qui retrouvait l'inspiration de la tradition juive à ses origines, donc à l'endroit où elle était commune avec la nôtre. Et c'est ainsi que nous avons perçu bien souvent de petites notations qui nous étaient tout à fait familières. Nous devons en être reconnaissant à ces hommes.
Et n'oublions pas ceci : c'est qu'ils vivaient dans un milieu qui leur était hostile. La Pologne n'existait plus, elle était partagée entre la Prusse, l'Autriche-Hongrie et l'Empire Russe. Mais les hassidim se trouvaient surtout dans la partie russe. Et alors, vous le savez, ils connaissaient sans fin des pogromes.
Cela veut dire qu'ils vivaient dans un état d'insécurité permanent, surtout aux moments des grandes fêtes chrétiennes et surtout de la Semaine Sainte. Le Vendredi-Saint ils se barricadaient dans leur maison et ils clouaient des planches pour qu'on ne puisse pas forcer leur porte. Et voilà, c'est dans une telle atmosphère que ces hommes ont vécu, qu'ils ont dispensé leur enseignement et qu'ils se sont sanctifiés.
Mais que pouvons-nous donc retenir pour aujourd'hui de ce qui nous a été raconté? Eh bien, une chose d'abord. C'est une chose très belle mais aussi très dure. Et à partir d'elle, nous pouvons comprendre que Saint Benoît commence ses Offices par un appel à l'aide: Dieu, viens à mon aide !
Non pas: Dieu viens à notre aide, mais Dieu viens à mon aide à moi. On s'engage personnellement ici. On n'est pas fondu dans une masse, dans une collectivité sur laquelle viendrait reposer l'aide de Dieu. Non, ici, c'est personnellement qu'on s'engage. On sent chacun que nous avons besoin d'être aidés par Dieu.
Et alors, on clôture chaque Office par une imploration : Seigneur, viens à mon aide ! Cette fois-ci ce n'est plus Dieu, Dieu donc la Trinité. Car Dieu, pour nous, c'est toujours la Trinité. Mais ici c'est le Kyrios, c'est la personne du Christ-Jésus, lui qui est Dieu venu pour nous, Dieu qui a voulu prendre notre misère pour nous faire partager sa sainteté.
Et nous l'appelons alors cette fois-ci pour qu'il ait pitié de nous, parce que nous sommes toujours bien en dessous de la mission qui nous a été confiée, de ce qui est attendu de nous.
Or, ce qui est attendu de nous, le voici : c'est que la norme, la norme disons que nous devons atteindre, la norme de notre conduite ne doit pas être cherchée dans l'univers des hommes comme le font les païens. Elle doit être cherchée chez Dieu.
Rappelons-nous cette parole du Christ qui est fondamentale : Soyez parfaits comme votre Père des cieux est parfait. Pas moins ! Nous n'avons pas le droit de nous contenter de quelque chose de moindre que cela. Parfait comme Dieu lui-même est parfait.
C'est naturellement hors de notre portée et c'est la raison pour laquelle nous appelons à l'aide et que nous implorons la pitié de ce Dieu, la pitié de ce Christ qui a osé formuler une telle exigence.
Mais en même temps, c'est très, très encourageant parce que ce que nous devons réaliser, ce n'est pas une oeuvre à l'échelle des hommes qui nous mettrait en concurrence avec d'autres hommes comme par exemple les concurrences au niveau brassicole. Quelle est la meilleure bière ? Alors on fait des concours de dégustation et on reçoit un prix. C'est la même chose pour le fromage. On doit produire le meilleur fromage comme on doit brasser la meilleure bière.
Mais ce sont des hommes qui jugent, ce sont des hommes qui départagent suivant des critères qui sont les leurs. Or ici c'est tout autre chose. Nous devons être saints exactement comme Dieu lui-même l'est et non pas comme nous autres nous l'imaginerions.
Il a existé dans l'antiquité païenne des hommes qui étaient remarquables. Ce n'étaient pas des saints, c'étaient des héros, c'étaient des philosophes. Mais nous savons que l'Apôtre Paul qui savait de quoi il parlait, il balayait toute cette philosophie, il la jugeait dérisoire à côté de l'éminente, la suréminente vocation : devenir sur terre un autre Dieu.
je vais entrer dans quelques détails demain, si vous le voulez bien. Nous irons maintenant à l'Office implorer la miséricorde de notre Christ et appeler Dieu à notre aide pour nous personnellement, pour chacun de nos frères, pour chacune de nos soeurs, parce que - je le répète - nous sommes engagés dans une entreprise qui n'est pas humaine, elle est divine, disons qu'elle est humano-divine.
Car c'est une aventure divine qui doit être vécue dans une chair d'homme, dans un psychisme d'homme, dans des capacités et des limites d'homme. Mais ça ne fait rien, c'est ça qui fait la beauté de notre vocation.
Et la placer en dessous, à mon avis, c'est la réduire. On est très vite tenté aujourd'hui par ce qu'on appelle la réduction, c'est à dire ramener tout à une échelle qui est humaine. Mais ça ne peut pas être ainsi. Il ne faut pas de réduction, mais il faut plutôt une extase, une exaltation. Il faut aller au-delà de ce qui nous est demandé.
Et cela consiste tout simplement à l'accueillir, à le recevoir. C'est un cadeau, c'est une grâce. Et il suffit comme dit le psaume : Ouvre la bouche et moi je l'emplirai. C'est un autre qui doit nous emplir, mais ayons au moins le réflexe d'ouvrir notre bouche, c'est à dire notre coeur.
Ma soeur, mes frères,
Nous savons que la disposition choisie par Saint Benoît pour l'Office Divin n'est pas arbitraire, ni fantaisiste. Elle répond à une intention d'ordre théologique et spirituelle. Elle veut nous immerger quotidiennement à l'intérieur du mystère Pascal, dans cette nuit fameuse qui a vu la délivrance d'Israël et qui plus tard a vu la délivrance de l'humanité. Et ce mystère, nous devons le laisser jouer dans notre coeur et y être attentif.
La minutie dans laquelle entre Saint Benoît est révélatrice de ce mystère car elle nous fait comprendre que pour rencontrer Dieu, nous devons absolument partir de la matière, de la chair, une chair en voie de transfiguration naturellement. Nous devons partir d'un réel concret.
Nous devons partir des hommes que nous rencontrons, des frères avec lesquels nous vivons. Nous devons partir d'un travail qui nous fait gagner notre vie, qui nous permet de survivre à l'intérieur de ce monde-ci.
Cette minutie nous fait toucher vraiment le mystère de l'Incarnation. Il n'est pas possible d'aller à Dieu sans passer par la Personne du Christ. Et rien de ce qui est de Dieu ne vient à nous si ce n'est par la médiation de ce même Christ. Donc tout ce qui est cosmique, tout ce qui fait partie de ce monde est un sacramental qui nous révèle qui est Dieu.
Vous vous rappelez que ces Hassidim voyaient dans la création un langage que Dieu leur adressait et, ces hommes rencontrant Dieu dans la création étaient toujours dans la joie.
C'était autre chose que ces savants Talmudistes qui passaient toute leur vie à leur table de travail à scruter la loi et qui ignorait tout ce qui se passait à l'extérieur. C'étaient peut-être et certainement des saints personnages mais, à mon avis, quelque peu racornis et coupés de la réalité des gens.
Ils étaient très centrés sur eux-mêmes, même s'ils avaient quelques disciples autour d'eux. Tandis que la réforme Hassidique était plongée dans la vie des gens même les plus humbles, pour aller les prendre là où ils étaient et devenir un parmi eux de manière à faire d'eux de véritables disciples de ce Dieu unique.
Car - je pense que j'étais arrivé là la dernière fois - la norme qu'il fallait atteindre, et qu'il faut atteindre, et là c'est un trait commun avec eux, elle n'est pas à chercher dans un certain modèle de héros humains, mais chez Dieu. C'est à dire que notre justice doit être semblable à la justice de Dieu.
On pourrait évidemment s'arrêter longuement ici sur chacun des termes. Que signifie la justice pour eux ? Le Saddiquim, c'est l'homme juste par excellence. Donc c'est un homme qui est toujours dans la droite ligne de ce qu'est Dieu. C'est, cela que ça signifie, cela veut dire être droit.
C'est un homme qui est, voilà, Dieu est dans cette direction-là, eh bien il est dans le prolongement de cette direction, et toujours. Donc le Saddiquim est en parfait accord avec ce que Dieu attend de lui.
Le juste par excellence, nous le savons, c'est le Christ. Donc notre justice doit être semblable à celle de Dieu. Notre vérité, la vérité de notre être doit être semblable à la vérité de Dieu. Notre charité doit être semblable à la charité de Dieu. Notre chasteté doit être semblable à la chasteté de Dieu. Notre pauvreté doit être semblable à la pauvreté de Dieu. Notre humilité doit être semblable à l'humanité de Dieu. Notre douceur doit être semblable à la douceur de Dieu. Notre miséricorde semblable à la miséricorde de Dieu. Notre compassion semblable à la compassion de Dieu.
Nous n'avons pas à chercher des modèles parmi les hommes, même auprès des saints. Si ces saints sont des lumières qui balisent la route qui nous conduit à Dieu, nous pouvons nous inspirer d'eux, nous pouvons les regarder, les admirer. Nous pouvons d'une certaine manière les prendre comme Maîtres, mais nous ne devons pas nous contenter de leur être semblables. Nous devons aller au-delà de tout support humain et nous devons atteindre Dieu lui-même.
Mais il y a tout de même une grande différence, une différence essentielle, une différence de nature entre ce que ces Saddiquim cherchaient et ce que nous visons. Nous savons que en théorie ça devait être comme je viens de le dire. Mais dans la pratique, nous savons que ces Saddiquim se livraient entre eux une guerre acharnée.
Ils avaient chacun leur cour. Et voilà, ils n'étaient pas d'accord entre eux et ils ne rataient pas une occasion pour se faire du tort. Où était alors leur justice ? Vous voyez, leur justice était un idéal extraordinaire. Ils devaient être justes comme Dieu, mais la justice de Dieu, ils la mesuraient à leur propre justice.
Eh bien, depuis que Dieu s'est fait homme, il s'agit d'autre chose. Nous devons permettre à la justice de Dieu de triompher en nous. Nous devons nous ouvrir à sa chasteté. Nous devons nous ouvrir à son amour, à sa douceur, à sa compassion, c'est à dire que nous devons être transfigurés. Il ne s'agit pas d'imiter, il s'agit d'être élevé par Dieu à un étage supérieur, c'est à dire le sien.
Il y a donc une différence de nature entre la justice à laquelle nous pouvons atteindre humainement et la justice de Dieu. Elle est d'une autre nature. Elle obéit à d'autres normes, à d'autres lois. De même pour sa charité, pour sa pauvreté, pour sa vérité, pour son humilité. C'est autre chose.
Et nous ne pouvons absolument pas y atteindre. Nous pouvons le viser, nous pouvons l'espérer, nous pouvons le demander, nous pouvons être certains que nous y arriverons, nous pouvons l'accueillir, mais nous ne pouvons pas le faire sortir de nous. C'est un don gratuit qui nous est donné.
Le Christ nous donne des exemples, je ne vais pas les reprendre. Saint Benoît cite l'un ou l'autre dans les degrés de l'humilité. On disait : Oeil pour oeil, dent pour dent. C'est à dire qu'il ne fallait pas aller au-delà des dommages qu'on avait subis. Mais le Christ dira : Si on te frappe sur une joue, ne va pas dénoncer, ne va pas à la police. Non, présente l'autre joue, qu'on te frappe aussi sur l'autre. La justice de Dieu !
Il ne faut pas trop essayer de comprendre, notre raison se perd là dedans, Il faut simplement accueillir le fait et aussi attendre avec une grande confiance que cette grâce nous soit donnée.
Je pense que ça suffit pour ce soir ! Demandons au Seigneur les uns pour les autres d'être vraiment ce qu'il attend de nous. Et encore une fois, ne l'oublions pas, le monastère, ce n'est pas un lieu où on va fabriquer des gens parfaits, mais un endroit où Dieu espère créer des saints.
Des saints, c'est à dire des êtres qui ne sont plus tout à fait des hommes ou plutôt qui sont parfaitement des hommes parce qu'ils sont devenu de vrais fils de Dieu, que la grâce a triomphé en eux, que ce n'est plus eux qui vivent mais que c'est l'Esprit de Dieu qui a pris possession d'eux et qui les a transfigurés. C'est cela, ce n'est pas en dessous !
Mes frères,
Les circonstances que vous connaissez ( la mort de Père Nivard ) ne nous ont pas permis d'entendre proclamer en ce Chapitre deux des interventions qui sont parmi les plus belles et les plus importantes de notre Règle, à savoir : 19. Des dispositions à apporter à la psalmodie et 20. De la révérence à garder dans la prière.
Si vous le voulez bien, nous allons opérer un petit saut en arrière et vous verrez que nous resterons ainsi en relation avec nos frères les saints Sadikim de Pologne et de Russie et, naturellement surtout et d'abord, nos saints Père de la vie monastique.
Saint Benoît nous disait que nous devons nous conduire à la psalmodie de manière à ce que notre esprit concorde avec notre voix, ut mens nostra concordit voci nostrae, 19,12. C'est là une des sentences les plus remarquables qui soit sortie de sa plume. Et attention, il l'avait empruntée non pas textuellement, mais quasi textuellement, à notre Père commun qu'est Evagre le Pontique.
Mais qu'est-ce que ça veut bien dire que notre mens concordet voci nostrae ? Notre mens ? Comment traduire cela ? Il le traduit ici : notre esprit. Oui, on peut le traduire ainsi. Mais en fait le mens, c'est nus, c'est le nus d'Evagre. Et le nus, j'ai déjà eu l'occasion de le rappeler ici, c'est ce qu'il y a en nous de plus personnel, de plus intime, de plus irréductible.
Je pense qu'une traduction plus proche et plus fidèle serait le cœur. On dit que l'homme vaut ce que vaut son cœur. Il ne s'agit pas ici du cœur-sentiment, source des sentiments, quoique il y soit aussi source de sentiments, mais c'est le cœur tel que le Seigneur Jésus l'entend : Heureux les cœurs purs. Donc, c'est la source à partir de laquelle sort ce qui nous définit au regard de Dieu.
Eh bien, il faut que le plus intime de nous soit en accord avec ce qu'énonce notre bouche. Or, au cours de la psalmodie, qu'est-ce qui sort de notre bouche ? C'est la Parole de Dieu. Or cette Parole de Dieu, la Parole de Dieu, elle est par essence sainte, elle est pure, elle est propre, elle est immaculée, elle est divine puisqu'elle vient de Dieu.
Il s'agit donc que le centre le plus secret de notre être, ce qui définit notre qualité, soit lui-même en accord parfait avec cette sainteté, avec cette pureté, avec cette propreté. Eh bien, c'est cela d'abord que signifie notre Père Saint Benoît : la Parole de Dieu ne peut sortir que d'un cœur qui soit en accord avec elle.
Imaginons maintenant, pour mieux comprendre voyons le contraste, un cœur qui est rempli de désirs sordides, un cœur envieux, un cœur impatient, un cœur haineux, enfin - je pousse à l'extrême naturellement - un cœur dévoré par toutes sortes de passions. Mais de ce cœur-là, qu'est-ce qu'il peut en sortir ?
Un arbre mauvais ne peut produire que du mauvais fruit. .Alors, lorsque la Parole de Dieu est énoncée par un moine qui est dans ces dispositions mauvaises au plus intime de lui, cette Parole de Dieu, elle n'est pas à sa place, elle est violentée, elle est profanée.
Nous, maintenant, dans la pratique, mais nous sommes toujours entre les deux. Nous ne sommes pas à cet extrême de malice et nous ne sommes pas à cet autre extrême de sainteté. Nous sommes, voilà, des pécheurs et nous nous efforçons de devenir ce que la parole de Dieu est. Mais alors, cette parole, elle n'est pas magique. Mais c'est la Parole de Dieu et elle est efficace.
Donc si nous l'écoutons bien pendant la psalmodie - car c'est une question d'écoute ici - si nous l'écoutons bien, si nous la laissons couler sur nos lèvres avec le respect qui lui est dû, mais cette Parole, elle opère en nous de façon invisible, de façon secrète et elle réalise en nous ce qu'elle est. Elle nous rend tels qu'elle est.
Voilà, mes frères, le respect que nous devons apporter à l'office lorsque nous le célébrons. C'est ça que veut dire Saint Benoît, c'est ça la disciplina psallendi, donc la façon de psalmodier. Et quand il dit disciplina, il faut aussi voir l'enseignement. Donc, c'est la Parole elle-même qui nous apprend comment elle doit être dite, comment elle doit être chantée, comment elle doit être psalmodiée.
Voilà, je pense, quelque chose que nous pouvons retenir. Et nous retrouvons à ce moment ce sur quoi je terminais la dernière fois que j'ai pris la parole ici, sur le fait que la sainteté qui doit être nôtre, la justice qui doit être nôtre, la pureté qui doit être nôtre, c'est celle même de Dieu. Cela ne peut pas être en dessous, donc nous devons être divinisés.
Nous devons toujours être greffés sur Dieu lui-même par l'entremise de sa Parole. Et à ce moment, cette parole opère en nous cette métamorphose, cette transfiguration, ce miracle, insensiblement.
C'est comme une plante qui pousse. Si on la mesure tous les jours, on ne voit pas de différence. Mais après huit jours, après un mois, après un an, après cinquante ans cette petite plante est devenue un grand arbre. Je me souviens des peupliers là derrière, la grande peupleraie, je me souviens quand on les a plantés. Et il y a eu le feu, mais ce n'était que les broussailles. Ces peupliers étaient tous petits, ils auraient pu périr. Et voilà comme ils sont devenus grands maintenant insensiblement.
Eh bien c'est ainsi que nous-mêmes insensiblement grandissons en Dieu. Et ce que je veux encore dire avant de terminer, c’est l'importance de l'incarnation de cette Parole. C'est l'importance du geste dans notre psalmodie, dans notre vie, l'importance du rite parce que il y a des canaux à travers lesquels cette Parole coule. Je dirais pour nous, pour l'énoncer, nous avons des mots qui sont des mots d'hommes. Mais il y a aussi un autre langage qui est aussi important que ces mots d'hommes et qui est peut-être encore beaucoup plus universel car ces mots peuvent varier suivant les cultures et les langues.
Et cet autre langage, c'est le langage du geste, le langage du mouvement, le langage du rite, le langage de la Liturgie qui est capital. C'est pour ça que nous devons toujours bien soigner nos gestes, bien soigner nos attitudes, bien respecter les rites parce que c'est un langage de Dieu, mais gestualisé.
Voilà, nous allons en rester là pour ce soir et nous demanderons humblement pour nous-mêmes et chacun les uns pour les autres cette grâce de la fidélité qui nous rendra pur et saint comme Dieu l'est lui-même. On l'a lu aujourd'hui encore, cela m'a frappé, à None je pense: soyez saints comme je suis saint.
Ma sœur, mes frères,
Nous ne suivrons pas Saint Benoît dans sa sévérité au Chapitre 24°. Nous allons plutôt revenir un peu en arrière et nous retrouver au point où nous étions arrivés hier soir. Vous vous souvenez, Saint Benoît nous demande quelque chose d'impossible : que notre cœur ait la pureté, la sainteté, la simplicité de la parole de Dieu.
Or cette Parole de Dieu, ne l'oublions pas, c'est la Personne du Verbe, c'est la Personne du Christ. Lorsque dans la psalmodie nous prononçons les paroles sacrées, et surtout lorsque nous les écoutons, c'est la personne même du Christ qui vibre sur nos lèvres ou bien qui fait vibrer notre tympan.
Nous ne devons pas laisser courir notre imagination, ici, mais nous devons éveiller notre foi. Demain, nous allons fêter les saints. Or ces saints constituent une famille, ils constituent un Corps. La tête de ce Corps, c'est le Christ, c'est à dire c'est Dieu. Et nous, nous sommes membres aussi de ce Corps.
Entre les saints et nous, il n'y a pas de frontière, il n'y a même pas un voile. Si notre cœur est pur comme le demande Saint Benoît, s'il est pur de la pureté même de Dieu, si nous avons permis à Dieu d'être pur en nous, alors nous voyons les saints. Nous sommes devenus comme eux et la mort biologique n'est même plus quasiment nécessaire. Elle est une loi de la nature charnelle, mais en soi on pourrait bien en faire l'économie.
C'est ce qui est arrivé à la Vierge Marie. Et ce qui est arrivé à notre mère devrait en principe arriver à nous qui sommes ses enfants. Donc nous devons essayer d'amener notre cœur à cette perfection de pureté à laquelle Dieu veut le conduire. En soi ce n'est pas difficile, c'est nous qui sommes compliqués !
Et je voudrais attirer votre attention sur un détail qui est très beau, me semble-t-il, et auquel nous ne prêtons guère attention. Saint Benoît a expliqué à longueurs de chapitres la disposition qu'il entendait donner à son Office. Nous savons déjà que cet Office est la mémoire de la Vigile Pascale, donc de ce grand mystère dans lequel nous sommes entraînés. Et lorsque nous célébrons l'Office, nous entrons à l'intérieur de ce mystère et surtout nous le laissons agir en nous.
Lorsqu'on demande que le moine soit éveillé, vigilant, c'est un peu à cela, c'est de savoir ce qu'il fait à l'Office, et savoir qu'il est en train de traverser la mer, de traverser la mer de cette vie, de traverser la mer de la mort et d'entrer dans la résurrection.
Or, lorsque Saint Benoît a terminé d'expliquer l'ordonnance de l'Office, il parle de la disciplina psallendi, 19,1, donc des dispositions à apporter à la psalmodie, puis de la révérence à garder dans la prière. C'est le chapitre suivant, 20. Donc d'abord la psalmodie et puis la prière. Or, c'est symptomatique et ça nous révèle en quoi consiste la prière. Nous voyons ceci : que ce sont deux choses distinctes. La psalmodie n'est pas une prière, c'est autre chose que de la prière. Si vous voulez examiner ce chapitre de Saint Benoît, donc sur la psalmodie, 19, il n'y est pas du tout question de prière.
On va dire : Mais alors, qu'est-ce que c'est ? Eh bien, la psalmodie, c'est l'écoute en commun de la Parole de Dieu. Les Psaumes sont Parole de Dieu comme le reste. Or le reste de l'Ecriture, le reste de cette présence, de cette je dirais pré incarnation du Verbe de Dieu doit être écoutée, doit être reçue. Et c'est cette écoute qui va permettre à la puissance de Dieu de purifier notre cœur.
Saint Benoît commence sa Règle par le mot écouter : ausculta, écoute ! Donc la disposition primordiale du moine, c'est d'écouter. Eh bien, la psalmodie, c'est l'écoute. Et ici nous retrouvons l'intuition des tous premiers moines. Evagre le Pontique l'a abondamment expliqué : la psalmodie est une écoute.
Et les tous premiers moines, comment faisaient-ils ? Eh bien nous le savons. Ils étaient dans l'obscurité, peut-être avec une toute petite lumrotte de rien du tout. Il y en avait un, un seul qui chantait, qui connaissait par cœur. Il chantait, il récitait, il psalmodiait plutôt un psaume. Et tous les autres écoutaient en silence. Puis que se passait- il alors ?
Il y a une écoute, mais il faut une réponse de notre part. Et la réponse, c'est la prière. On écoute, on reçoit cette Parole de Dieu, on reçoit Dieu lui-même à l'intérieur de notre cœur, et puis on lui envoie l'écho de ce qu'on a entendu, et alors on prie. Après chaque psaume, ils se prosternaient et ils priaient en silence jusqu'au signal du Supérieur.
Maintenant écoutez ce que dit Saint Benoît : en communauté - n'imaginons pas que c'est, enfin, nous sommes encore très tributaires, nous, de Saint Ignace et de ses Exercices, et avant lui ou contemporain de lui, de Saint Jean de la Croix, de toute cette spiritualité du Carmel, et puis la spiritualité française moderne, dévotion moderne. Nous sommes encore très, très imprégnés culturellement et religieusement de cet esprit. Donc ça veut dire que on fait oraison tous en commun.
A l'époque de Saint Benoît, c'était pas comme ça. Ils faisaient comme les premiers Pères. Ecoutez : en communauté - donc ça veut dire lorsque toute la communauté est rassemblée pour l'Office - en communauté la prière sera très courte. Et sur le signal du Supérieur, tous se lèveront en même temps, 20,12.
Exactement comme faisaient les premiers moines. On avait entendu, un, deux, trois ou quatre psaumes, je ne sais pas, et on se prosternait, soit à genoux, soit de tout son long. On priait. On répondait par une prière personnelle à la Parole qu'on avait entendue, à Dieu qu'on avait entendu. Et puis, au signal du Supérieur tout le monde se levait, et puis on reprenait.
Donc voilà, mes frères, une chose qui peut être très, très éclairante pour mieux savoir ce qu'on fait à l'Office et mieux le célébrer : le célébrer en commun et puis le célébrer chacun personnellement. Donc essayons de retenir cela : la psalmodie, l'Office doit être écouté. Et puis après l'Office, il doit suivre une prière.
Maintenant comme l'Office est organisé - il l'était déjà comme ça à l'époque de Saint Benoît - enfin comme il est organisé maintenant de façon encore plus stricte, où vient se nicher la prière, la prière en commun ? Eh bien, la prière, c'est tout ce qui vient après la psalmodie, une petite lecture, il y a la prière, la prière de clôture. C'est pas grand chose, c'est la collecte, c'est l'oraison, c'est pas beaucoup mais c'est ça la prière.
Pour les Offices plus élaborés, par exemple comme Laudes et Vêpres, vous aurez l'hymne. L'hymne, c'est la prière. On comprend pourquoi dans ces Heures-là un peu plus longues, l'hymne doit se trouver à cette place-là, indépendamment …?… du contexte Pascal, parce qu'on répond à la psalmodie.
Donc essayons de retenir cela et je pense qu'alors ça nous aidera. Cela ne nous empêchera pas d'avoir des distractions, mais ça nous aidera tout de même à mieux savoir ce que nous faisons. J'aurais peut-être encore l'occasion d'y revenir parce que si c'est la Parole de Dieu qui doit être écoutée, c'est aussi cette Parole de Dieu, c'est aussi la parole de ce grand Corps, de ce grand Corps mystique dont la tête est le Christ.
Si bien que si nous sommes attentifs à la présence des saints, nous les entendons. Nous les entendons qui célèbrent l'Office. Ils le célèbrent avant nous et ils le célèbrent encore maintenant.
Rappelez-vous ce que dit Saint Augustin à propos de je ne sais plus qui : Qui peut crier des extrémités de la terre? Eh bien celui qui crie, c'est ce grand Corps qui crie des extrémités de la terre. Et de ce grand Corps, c'est la tête du Christ qui crie. Le Christ crie des extrémités de la terre par son Corps. Voyez, pour Saint Augustin, c'était encore ça : on écoutait crier le Christ des extrémités de la terre.
Alors lorsqu'on est en privé, pour ne pas l'oublier, qu'on récite l'Office en privé, eh bien ce doit être fait à voix basse pour qu'on puisse s'entendre, fait d'une voix articulée. C'est toujours ça ! Pourquoi ? Parce qu'on doit toujours entendre, même quand on est tout seul.
Les anciens moines célébraient aussi l'Office pendant la journée. Ils avaient deux sinaxe, une le matin et. une le soir. Mais pendant la journée, ils récitaient des psaumes et leurs cellules devaient être construites à distance telle qu'ils ne s'entendaient pas les uns les autres. Donc voilà ce qui nous montre bien en quoi consiste la psalmodie. C'est une écoute. Essayons de ne pas l'oublier.
Ma soeur, mes frères,
Il est bon de le rappeler, le bonheur suressentiel, impérissable, toujours en croissance, c'est la vision de Dieu, c'est la contemplation incessante de son indicible beauté, c'est l'accueil en nous de tout ce qu'il est. C'est aussi le sentiment de partager cette joie avec d'autres, d'être membre d'un corps immense dont Dieu est l'origine et l'accomplissement.
En un mot, le véritable bonheur, c'est le tout de Dieu en nous et c'est le tout de nous en Dieu. Mieux encore, c'est le tout de nous dans les autres et c'est le tout des autres en nous. Et cela, c'est la communion parfaite à l'intérieure de laquelle Dieu dans sa Trinité, Dieu dans son incarnation, Dieu dans sa communication aux hommes et au cosmos ne font plus qu'un.
Cette communion est déjà inaugurée en ce monde et, nous savons qu'elle s'accomplit à l'intérieur de la création nouvelle. Le monastère devrait être un lieu où s'accomplit cette merveille, le lieu de toutes les purifications, le jardin où germe la résurrection, la maison où on voit Dieu dans sa lumière. C'est ainsi que Saint Bernard et nos premiers Pères de Cîteaux voyaient l'endroit où ils avaient choisi de vivre, l'endroit où ils avaient été appelés pour y vivre.
Les solennités et les fêtes que nous allons rencontrer dans le courant du mois de novembre nous chantent l'ouverture, l'avènement de ce monde nouveau. Une année liturgique se clôt, le monde ancien s'en va. Une année liturgique s'ouvre, le monde nouveau se rend présent.
Et j'aimerais à ce propos vous inviter ce soir à la contemplation d'une qualité de Dieu dont on ne parle jamais, mais absolument jamais. Pourquoi? Parce que peut-être elle fait peur ? Cette qualité est très belle, c'est à mon sens une des plus belles. Et sans elle, vous allez le comprendre, Dieu ne se serait jamais lancé dans l'aventure de la création, Dieu n'aurait jamais rien fait.
Cette qualité que nous devons admirer en Dieu et dont nous voyons le reflet briller sur le visage des saints, cette qualité, c'est la naïveté. Oui, la naïveté est l'un des traits les plus étonnants de la beauté de notre Dieu. C'est à cette qualité qu'on distingue Dieu de l'idole.
L'idole n'est pas naïve, l'idole est lucide, l'idole est impitoyable. L'idole ne se trompe jamais. Dieu seul peut se payer le luxe d'être naïf. Mais en quoi consiste cette naïveté de Dieu? A quoi pouvons-nous la reconnaître ? Ecoutez bien : Dieu croit que tout le monde lui ressemble et' il attend l'heure où il pourra se dire qu'il ne s'est pas trompé. Toutes ses illusions peuvent s'écrouler, il en garde toujours au moins une en réserve.
Mes frères, ne serait-ce pas finalement la naïveté de Dieu et son inépuisable capacité d'illusion qui feraient finalement de nous des saints ? Mais quelle interpellation à notre adresse ! Le Christ nous a averti. Le Royaume qu'il est venu inauguré, le Royaume de Dieu, n'est pas accessible à tout le monde. Il est ouvert uniquement aux petits enfants, tous les autres restent devant la porte. Seuls entrent les petits enfants.
Mais alors, ne nous impose-t-il pas ainsi d'être naïfs comme notre Père est naïf ? Qu'y a-t-il de plus naïf qu'un tout petit enfant ? Or, c'est ainsi que nous devons être vis-à-vis de Dieu, vis-à-vis les uns des autres, vis-à-vis des inconnus qui se présentent devant nous, vis-à-vis des événements, vis-à-vis de nous-mêmes.
Si nous y regardons d'un peu plus près, la naïveté ne serait-elle pas l'agapè, l'amour de charité mis en pratique. La charité croit tout, la charité espère tout, la charité supporte tout, nous dit l'Apôtre. Et c'est cela précisément être naïf.
Il y a donc équation parfaite entre la naïveté et la charité. Et non pas une charité quelconque, mais la propre charité de Dieu, de ce Dieu qui est amour, qui n'est rien d'autre qu'amour, candeur, ingénuité, innocence, naïveté. Tel est Dieu et tels sont les saints, tels nous devons être ou devenir!
L'audace de la naïveté, mes frères, c'est l'audace de la foi, de l'espérance, de la charité. L'audace de la naïveté, c'est Dieu lui-même. Serait-elle un peu nôtre, cette audace?
Eh bien, je vous propose ceci : demandons les uns pour les autres cette grâce. C'est une des plus grande qui puisse nous être accordée. C'est peut-être la plus grande, car c'est elle qui est la clef qui ouvre la porte du Royaume. Ne l'oublions jamais. Et si nous la demandons, nous l'obtiendrons car c'est cette grâce-là précisément que Dieu veut nous donner. Et lorsque nous l'avons reçue, nous devenons beau comme il est beau.
Attention ! Cela ne veut pas dire que nous devons nous faire rouler, que nous devons nous faire arranger en affaires ou hors des affaires. Non, il n'est pas question de cela. La véritable naïveté, c'est la charité - ne l'oublions jamais - c'est croire en l'autre, c'est espérer en l'autre, c'est aimer l'autre jusqu'au bout et d'abord commencer par nous-mêmes.
C'est croire en nous, croire en l'autre, croire en Dieu comme lui croit en nous, naïvement, en toute illusion. Mais cette illusion-là ne serait-elle pas au fond la vérité, celle sur laquelle nous pouvons construire, cette vérité qui ne passera jamais.
Ma soeur, mes frères,
Samedi, nous avons pendant quelques instants contemplés une des réalités les plus extraordinaires de notre Dieu, à savoir sa naïveté. Mais Dieu est naïf d'une manière divine, pas à la manière des hommes puisqu'il n'est pas crédule, mais il est un enfant, un éternel enfant.
Et lorsqu'il nous dit que la porte le Royaume n'est ouverte qu'aux enfants, cela signifie qu'elle est ouverte à ceux qui Lui ressemble et qui ont comme Lui des réflexes, des complexes d'enfant. Dieu comme un enfant - comme l'enfant qu'il est est candide, il est ingénu, il est innocent, il est pur, il est aimant, il est confiant, il est naïf. Mais attention !
La naïveté, la candeur qu'il attend de nous, c'est la sienne propre. Il attend de l'infuser en nous de manière à nous transformer vraiment comme ce qu'il est. C'est plus que de reconstituer en nous son image, vraiment c'est sa propre vie. Il doit, lorsqu'il nous regarde, se reconnaître en nous. Il y a une consanguinité divine entre lui et nous. Depuis qu'il s'est fait homme, eh bien, nous autres nous devenons Dieu.
Pourquoi vient-on dans un monastère ? Pourquoi appelle-t-il des hommes et des femmes dans les monastères ? Eh bien, c'est pour jouer cette formidable aventure d'une transfusion. Il prend sur lui toutes nos faiblesses, toutes nos limites, toutes nos incapacités et même tous nos péchés et il déverse en nous toute la plénitude de sa divinité. Et il a créé comme ça un cordon ombilical entre lui et nous. Si bien que sa nourriture, c'est à dire son sang, sa propre vie peut passer en nous et insensiblement nous transformer.
Tiens, j'ai appris quelque chose d'extraordinaire. J'ai appris que les nouveaux nés quand ils viennent au monde, tout de suite ils font la jaunisse. Dans les premiers jours déjà ils font une jaunisse. Et pourquoi cette jaunisse ? Et bien, c'est parce qu'ils sont nourris du sang de leur mère pendant tout le temps de la grossesse. Et puis les voici qui arrivent dans le monde des hommes. Ils quittent le monde maternel et arrivent dans le monde des humains et ils doivent vivre de leur propre sang cette fois-ci. Si bien qu'il y a un passage d'un sang très riche, celui de la mère, à un sang moins riche, celui du bébé et c'est le foie qui doit opérer cette assimilation. C'est ce qui provoque la jaunisse. Il est donc utile de l'avoir.
Eh bien, il se passe quelque chose comme ça chez Dieu en nous. Il nous donne sa propre vie et nous faisons des maladies, toutes sortes de maladies. Et on les voit très bien dans les monastères, ces malades. C'est pourquoi l'Abbé doit être un sapiens medicus, 28,9, un sage médecin qui sait les repérer, qui sait proposer le remède et qui, surtout, sait dédramatiser la situation de ce pauvre malade qui se demande ce qui lui arrive.
Et voilà, le cordon maintenant ombilical qui nous relie, a Dieu, qui nous permet de vivre ainsi de sa propre vie, c'est l'obéissance. Il n'yen a pas d'autre ! Donc, n'ayons jamais peur de l'obéissance. On ne le répétera jamais assez, elle est le cordon qui nous relie à Dieu et qui opère cette transfusion du divin en nous et qui, en même temps, évacue de nous ce qui doit l'être.
Et c'est ce qui est beau : Dieu prend ce que nous sommes pour nous donner ce qu'il est. Donc, nous ne devons jamais avoir peur de faire des bêtises, parce que plus vite nous en faisons et plus vite nous en serons quittes. Encore une fois, Dieu prend tout.
Attention ! Quand je parle de bêtises, ce ne sont pas tout de même des choses qui peuvent perturber toute une communauté, mais je pense à toutes nos peccadilles, toutes nos erreurs, enfin tout ce que nous faisons. Tout ça, nous ne devons pas en avoir peur.
Et il est important de savoir aussi que cela se passe à l'intérieur d'un certain environnement, parce que la vie divine est aussi portée - je l'ai explique je pense la dernière fois - par toutes sortes de signes. Elle vient donc à travers les gestes, à travers les paroles, à travers le rite et à travers surtout les symboles. Nous vivons dans un univers de symboles qui doit nous évoquer sans cesse non seulement la présence de Dieu, mais qui est Dieu.
D'où la nécessité d'avoir une église qui soit pure harmonie, pur équilibre, pure proportion et pur symbole. Et je rappelle ici cette merveille du nombre d'or qui nous met en équilibre parfait avec le bâtiment. C'est donc, puisque nous sommes maintenant dans l'église, vers cette beauté que nous devons progresser.
Et cette approche réaliste que je vous explique maintenant, donc de la relation à Dieu, et de notre transfiguration, de notre divinisation, elle n'est pas volontariste. Non, il n'y a rien de volontariste là-dedans, il n'y a rien de bassement humain qui pourrait nous donner l'impressions d'être nous-mêmes l'auteur de notre sainteté.
C'est là la différence entre la sainteté païenne et la sainteté chrétienne. La sainteté païenne, c'est une sorte d'ascèse, de super ascèse qui fait de nous un honnête homme.
La sainteté chrétienne, encore une fois, c'est une ouverture à la propre vie divine qui ne fait pas de nous un honnête homme, mais qui fait de nous un homme pauvre, un homme humble et, pour reprendre le mot, un naïf. Mais c'est la propre naïveté de Dieu qui est en nous.
C'est la différence aussi entre la sainteté du Hassid, du Juif, du pieu et du chrétien encore une fois. Je pense que cette fois-ci vous avez bien compris. Nous allons pouvoir en rester là.
Nous ne devons tout de même jamais, nous n'avons pas le droit de regarder les autres de haut, ni de les mépriser. Nous devons au contraire les admirer, les respecter, mais leur donner l'image d'une réalité encore infiniment plus belle : notre propre transfiguration en Dieu. Et alors pouvoir dire : Ce n'est plus moi qui vit, c'est le Christ qui vit en moi.
Ma soeur, mes frères,
Il y a quelques temps déjà, notre frère Jacques nous a donné un compte rendu exhaustif de la Conférence Régionale à laquelle il a assisté avec droit d'intervention et de vote à part entière. Il nous a largement expliqué le sujet qui a préoccupé cette auguste assemblée, à savoir la dimension contemplative de notre Ordre. Cette dimension qui, semble-t-il, est en train tout doucement de s'assoupir et qu'il faudrait réveiller et relancer. Ce sera le thème majeur du prochain Chapitre Général. On pourrait écrire des volumes sur cette question, mais je pense que cela ne la ferait pas avancer d'un pouce.
Et pendant que je l'écoutais parler, je me disais que peut-être bien à l'occasion je pourrais mettre mon grain de sel, mais dans notre petit cercle seulement parce que au-delà, ce ne serait sans doute pas très efficace. Alors, j'avais mis à cette occasion quelques notes ici sur un morceau de papier. Il y a déjà longtemps que je voulais vous en parler mais je n'ai jamais eu l'occasion. Et la voici qui se présente.
Donc, ce serait passionnant, oui, de discuter de cette question. Mais je pense que quand on aurait terminé, on n'en aurait encore rien dit. On aurait spéculé sur des abstractions alors que la réalité est ailleurs. Cette réalité de la dimension contemplative de notre vie, elle s'inscrit dans le coeur d'hommes et de femmes. Je dirais presque surtout de femmes, non pas parce que nous avons des moniales ici, mais c'est parce que je le crois sincèrement.
Et voilà donc ces jeunes, ces plus anciens, ces plus anciennes, voilà, elles habitent dans un monastère, elles suivent une Règle, elles luttent jour après jour pour gagner durement leur pain, celui de la vie présente et celui de la vie éternelle.
Et vous savez que aujourd'hui ce n'est pas simple de gagner sa croûte. La concurrence est tellement terrible et il n' y a pas de pitié dans le monde des affaires. On ne fait pas de sentiment en affaire. C'est le domaine, le territoire de la cruauté, il ne faut pas l'oublier, surtout quand on en est victime.
Eh bien, je pense que nous pourrions d'abord être très prudents à l'endroit du terme contemplatif qui est un mot piégé par excellence car il a toujours autour de lui une aura de néo-platonisme qui est tout sauf chrétienne. Le danger, c'est de rester païen et de s'enfoncer dans ce paganisme.
Le succès des sectes aujourd'hui tient en bonne partie de cette ambivalence même du terme contemplation. On y met n'importe quoi aujourd'hui. La dimension contemplative de notre vie me fait toujours un peu peur dans son vocabulaire.
Mais enfin il faut bien l'utiliser puisque il est classique, mais en sachant bien, en précisant bien qu'il s'agit pour nous d'une dimension purement spirituelle, c'est à dire qui est fondée dans la personne de l'Esprit Saint. On pourrait dire pneumatique, les anciens grecs parlaient de pneumatique.
Eh bien, voici où je veux en venir. C'est que à mon avis - vous n'êtes pas obligés de le partager, cet avis. Mais enfin, c'est ma conviction - l'épanouissement spirituel en Dieu d'une communauté monastique, donc la dimension contemplative d'une communauté comme telle, elle dépend au premier chef de l'Abbé.
L'Abbé, pourquoi ? Mais parce que la communauté monastique forme un corps, le corpus monasterii, et ce corps doit avoir une tête, une tête qui a des yeux et qui a des oreilles. Si cette tête voit la lumière de Dieu, si elle admire la beauté du Christ ressuscité, si elle entend l'harmonie qui règne au coeur de la Trinité et puis qui de là se diffuse dans le cosmos entier, à ce moment-là, si la tête est telle, le corps entier sans le vouloir jouit d'une santé qui est beaucoup plus qu'une santé psychologique ou qu'une santé physique. C'est une santé qu'on peut sans crainte appeler divine.
C'est que disons, l'Abbé - c'est ainsi que Saint Benoît le voit, c'est ainsi que les Abba du désert étaient considérés - et bien l'Abbé alors engendre. Il est un engendreur. Il engendre par sa vie, par son être qui est devenu un seul esprit avec le Christ ou qui est en train de le devenir.
Or cet engendrement s'opère dans le secret par le fait de sa simple présence. Il n'y a rien de plus mauvais qu'un Abbé qui est toujours sur les routes. Mais oui, car alors c'est un corps sans tête. L'Abbé ne peut pas dire : Mais à distance ? Non, il doit être sur place. Il doit s'absenter, c'est certain, c'est inévitable. Mais c'est tout de même ...
On doit peut-être s'en souvenir: je ne veux pas citer de nom, mais il est passé ici il y a quelques années un postulant pour un autre monastère situé en France. Et voilà, il faisait le tour pour un peu voir ce qui se passait ailleurs. Avant d'entrer c'est toujours bien, non pas pour aller ailleurs, mais voilà pour une petite excursion.
Eh bien, il disait qu'il était resté deux mois dans le monastère où il allait entrer et il n'y avait pas d'Abbé. Et deux mois, c'est tout de même long. Enfin on comprend qu'il soit envoyé en mission à l'autre bout du monde. Mais enfin, voilà, tout ça c'est très triste.
Eh bien, l'Abbé engendre donc par sa présence, sa parole, ses gestes, son agir. Et ça se fait tout seul. Et ainsi le corpus monasterii entre peu à peu dans l'univers de Dieu à la suite de sa tête. Mais pour que ça s'opère, il est indispensable -
c'est peut-être un grand mot, mais je pense qu'il est juste - il est indispensable que l'Abbé soit un visionnaire.
C'est à dire, je l'ai dit tout à l'heure, il doit voir Dieu, il doit voir le Christ ressuscité. Et ainsi, il sait où il va et où il conduit les autres. Sinon c'est un aveugle qui conduit d'autres aveugles et ils tombent dans un trou. Vous voyez, je suis cruel ! Et attention, je dis tout cela sans prétentions et je ne me mets pas sur un pavois. Non, non, loin de là, je suis dans la droite ligne, dans la pure ligne de la tradition bénédictine et tout à fait primitive de l'Ordre monastique.
Mais l'Abbé alors, cet Abbé-là visionnaire, il ne doit pas craindre de dire la vérité. Cela ne veut pas dire qu'il doit dire les quatre vérités aux frères. Ce n'est pas ça, je parle de la vérité comme telle. Or, cette vérité-là, elle peut être dure. Elle est dure cette parole, disaient les disciples du Christ, nous ne pouvons pas l'entendre. D'autres disaient, et qui n'étaient pas les disciples du Christ : Jamais un homme n’a parlé comme cet homme. Ils étaient désarmés.
Voyez, c'est cette parole de vérité qui est dure. Elle pénètre jusqu'à la moelle et puis elle dissèque tout. Eh bien, c'est cette parole-là que l'Abbé doit dire. Si vraiment il est un visionnaire, il parle de choses qu'il sait, qu'il voit et il doit les dire. C'est son devoir.
Parce que la spiritualisation de quelqu'un, sa pneumatisation, son entrée disons dans la vie contemplative, la vie de relation consciente très personnelle avec les Personnes de la Trinité et surtout avec le Christ qui est Dieu avec nous, elle passe par le mystère de la croix.
Et il faut le savoir, et il ne faut pas avoir peur de le dire, et il ne faut pas avoir peur d'y entrer. Je sais, il y a une certaine répulsion de notre psychisme, de notre physique contre cette évidence. Mais enfin, pour entrer dans la vie incorruptible, il faut passer par une sorte de mort - employons ce terme - enfin, nous savons tous bien ce que cela veut dire.
Alors naturellement il n'est pas question ici d'héroïsme stoïque mais de pauvreté et de patience. Ce sont des pauvres gens qui sont appelés à entrer ainsi dans l'intimité divine. Ce ne sont pas des héros, ce sont des naïfs comme je le disais hier. Ce sont des enfants avec tous leurs défauts. Heureusement qu'ils en ont, encore une fois, sinon ce ne serait pas vrai.
Et puis, Saint Benoît nous le dit au début : per passionibus Christi, per patientiam participem, Pr.119, c'est à dire, ayons soin de participer par la patience aux souffrances du Christ. Et ce n'est pas ici quelque chose qui doit être imité de l'extérieur. Non, mais c'est de permettre à cette purification acquise par le Christ de nous travailler jusqu'à la source, à l'origine de notre être.
Eh bien voilà, absolument aucune technique, vous pouvez m'en croire, mais aucune, aucune éthique ne peut faire de quelqu'un un spirituel ou un contemplatif. Non, non, la contemplation, la vraie, elle est d'une autre nature. Elle est de nature divine. C'est un cadeau qu'on doit recevoir et seule, seule la persévérance dans un humble amour peut forcer presque Dieu à l'accorder.
D'ailleurs quand il appelle quelqu'un dans un monastère de notre Ordre, c'est qu'il veut le lui donner. Et il le lui donne. Il le donne à condition qu'on ait une vraie vocation naturellement, mais il le donne. Mais voilà, on ne sait pas qu'il le donne et il peut arriver qu'on se décourage et qu'on ferme la bouche au lieu de la tenir ouverte. Alors, comme la bouche est fermée, Dieu ne sait plus rien y faire entrer.
Mes sœurs, mes frères,
Saint Benoît vient de nous dire quelque chose qui est vraiment dur, et qui est impitoyable. Il n'est même plus licite aux moines de disposer eux-mêmes ni de leur corps ni de leur volonté, 33,7. Et à fortiori, ils ne peuvent posséder absolument rien en propre, omnino nihil, dit Saint Benoît, 33,7.
Tout doit passer par l'Abbé, pourquoi ? Parce que l'Abbé tient dans le monastère la place du Christ. L'Abbé dans le monastère est le ministre de Dieu et lorsque Dieu désire qu'un frère dispose d'une chose quelconque, il le fait savoir par la personne de l'Abbé.
Mais ce qui est terrible, c'est ceci, quand on comprend bien ce que nous dit Saint Benoît. D'ailleurs il l'exprime de façon très claire : Un moine, un soi-disant moine, une apparence de moine qui de façon illicite, c'est à dire cachée, secrète aurait à sa disposition des choses qu'il se serait procurées par des moyens, par des canaux à lui seul connus, eh bien ce n'est pas un moine. C'est tout ce qu'on veut sauf un moine.
Et c'est là quelque chose d'extrêmement grave. Nous ne devons pas le perdre de vue. Auparavant, lorsque au décès donc d'un de ces faux moines à l'intérieur du monastère, on découvrait chez lui des choses qui, voilà, étaient vraiment illicites, qui prouvaient qu'il n'était pas un moine, eh bien il était enterré dans le fumier. On ne faisait pas de quartier. Il n'avait pas sa place dans le cimetière des autres, dans le cimetière du monastère. On l'enterrait dans le fumier, il n'était pas à sa place dans le monastère.
Donc, faisons bien attention, parce que c'est là quelque chose avec laquelle il ne faut pas jouer. Et qu'arrivait-il à ce moine par après ? Eh bien alors il était confié à la miséricorde de Dieu. Et ça, ce n'était plus l'affaire ni de l'Abbé, ni des frères, c'était l'affaire de Dieu.
Ma soeur, mes frères,
Nous avons aujourd'hui à l'Office des Laudes et à l'Office des Vêpres chanté une hymne qui au point de vue mélodique et au point de vue contenu spirituel est une des plus riches de notre répertoire.
On pourrait imaginer que tout ce qui est dit est affabulation poétique et que la réalité monastique est bien autre que celle-là. Nous ne nous voyons plus aujourd'hui dormir sur le sol. Ce ne serait guère possible pour nos vieux os. Mais il ne faut pas s'arrêter à l'expression matérielle de la chose.
Il faut essayer d'en pénétrer le message et ce message est extraordinairement beau. Il est résumé dans la dernière strophe et même dans les derniers vers où il est dit que le mens, c'est à dire l'esprit, le coeur, la conscience la plus profonde de la personne joint au diva caetui, à la cour qui entoure Dieu.
Car voyons l'image de l'Apocalypse. Vous avez la Trinité, vous avez l'Agneau immolé dès avant la création du monde, vous avez les 4 vivants, les 24 vieillards, les myriades d'anges et de saints. C'est cela le divus caetus, l'assemblée qui entoure Dieu. Et le coeur, l'esprit, l'oeil du moine se trouve au milieu de cette assemblée. Si bien que haerebat inter siderat, il est accroché vraiment parmi les étoiles.
Il faut savoir que pour les Anciens, les étoiles étaient des êtres vivants. Elles formaient elles aussi la cour céleste. Elles étaient là pour veiller sur l'univers, surtout l'univers des hommes. Et voilà, c'est ça le rôle du moine. Si notre vie cistercienne a une dimension contemplative, ce ne peut être que celle-là.
Le moine serait donc un homme immense, d'une taille immense. Ses pieds sont par terre. Il a les pieds sur terre, mais sa tête se trouve dans les cieux. Il participe donc de deux univers. Il est entièrement occupé des affaires de ce cosmos, c'est à dire de cette beauté qui est sortie des mains du Créateur, de ce jardin qui a été confié à l'homme et que lui essaye de mettre en valeur le mieux possible.
C'est pour ça, vous avez notre jardin clos là-bas, c'est ça qu'il évoque, c'est cette dimension humaine, cette dimension aussi divine de notre vocation. L'univers nous a été confié pour que nous le mettions en valeur. Sans nous, la création ne pourrait pas s'achever. Dieu qui est l'humilité même, et qui est la naïveté même - comme je vous l'ai expliqué - il a fait surgir de ce cosmos une conscience qui est l'homme. Et maintenant, il ne fait plus rien dans sa création si ce n'est par l'intermédiaire de cet homme.
Mais cet homme pour s'acquitter correctement de cette vocation, de cette mission qui lui a été confiée, il doit rester toujours en communion avec ce Dieu qui lui a confié une telle responsabilité. Il doit donc en esprit - pas en imagination, nous sommes ici dans le domaine de la spiritualité et de la mystique - il doit, son coeur devenant de plus en plus pur, être intégré de mieux en mieux dans cette cour céleste, là où Dieu prend toutes les dispositions concernant son univers qui est son chef-d'oeuvre.
Et étant là, il entend tout ce qui s'y dit et il voit tout ce qui s'y fait - entre autre il voit Dieu, il voit le Christ - et il sait alors ce qu'il doit faire ici sur terre. Il ne lui est plus alors presque possible de se tromper. Il y a dans le chef du véritable moine une sorte d'infaillibilité de son agir parce que il est - encore une fois - là et ici en même temps.
Mens avolabat fervida, est-il dit. Son mens encore une fois, son coeur s'envolait comme ça, fervida, tout brûlant, tout ardent. Ce n'est pas quelque chose qui est réservé à quelques favorisés. Non, ce doit être l'état habituel du moine contemplatif.
J'espère qu'un jour nous arriverons à l'endroit où notre ami Evagre nous explique un peu le comportement correct de ce mens, de ce nus, de ce coeur, de cet esprit. Saint Benoît et Cassien, et Evagre aussi, et toute la Tradition situaient le terme, je dirais, immédiat, le premier, du cheminement monastique dans la pureté du coeur. C'est donc ce nus qui est devenu pur.
Et étant devenu pur, il est devenu léger car il n'est plus alourdi par toutes sortes de choses qui lui sont étrangères. Il a retrouvé ou il a trouvé son état tel que Dieu l'a voulu, tel que Dieu l'a rêvé. Et étant pur, n'étant plus parasité par toutes sortes de crasses disons qui viennent se coller à lui et qui l'alourdissent, il est devenu léger, de plus en plus léger.
Si bien que au moindre souffle de l'Esprit, avolabat, il peut s'envoler, il peut partir. Il n'est plus retenu, il part. Et alors, il va se joindre à cette cour qui entoure Dieu et, là, il écoute, il regarde. Sa vie, la vie du moine - ne l'oublions jamais - est d'abord une écoute, et puis elle est une vision. Il est très difficile, quasiment impossible de les séparer.
L'écoute, on voit avec ses oreilles et on écoute avec ses yeux. C'est un seul et même acte que on peut voir à partir d'angles différents. On peut dire que c'est une écoute, on peut dire que c'est une vision. C'est un acte unique qui est à la fois les deux. Comment pouvoir exprimer cette réalité ?
Donc, notre hymne d'aujourd'hui nous explique bien en quoi consiste notre vocation dans sa beauté.
Maintenant, on peut se demander, c'est l'occasion : Où en sommes-nous là-dedans, où en sommes-nous ? Eh bien, nous sommes toujours in via, comme on dit, nous sommes toujours en route, nous sommes toujours sur ce chemin, nous n'avons jamais fini de nous laisser purifier. Nous faisons des difficultés, nous amoncelons des obstacles. Nous avons peur, nous regardons en arrière. Nous nous accrochons à ce que nous avons.
Mais voilà, Dieu qui est la patience, et qui est amour - il n'est rien d'autre qu'amour - avec un doigté infini, il nous détache insensiblement de tout cela. Il nous nettoie, il nous rend purs. Cela peut aller, cela peut durer plus ou moins longtemps, ça peut durer jusqu'au moment de notre mort biologique.
Mais il faut qu'à ce moment-là, au plus tard, nous soyons vraiment dégagés et que à ce moment-là notre âme - appelons ça notre âme, c'est notre mens - qu'elle puisse vraiment adhérer parfaitement à Dieu et à son univers. Mais l'idéal naturellement, c'est que ça se fasse le plus vite possible.
Mais là est notre faiblesse! Et si tous les jours au début de l'Eucharistie nous nous reconnaissons pécheurs, ce doit être bien de cela en premier lieu, car en fait c'est un péché.
Attention ! Ce n'est pas un péché dans le sens de la théologie morale, mais c'est le fait de ce que nous sommes marqués, de ce que nous sommes blessés depuis toujours. Et cette grande blessure je pense, à mon sens, elle se manifeste surtout dans une peur viscérale, peur de lâcher, peur d'être seul, peur de l'inconnu quand en réalité cet inconnu, c'est Dieu et son amour.
Et nous devrions vraiment nous y précipiter pour être le plus vite possible rendus légers, purs et, voilà, être là où nous devons être, voir cette lumière de Dieu, voir Dieu qui est lumière. Et puis, à l'intérieur de cette lumière, cette multitude indénombrable de saints et des saintes.
Et voilà, être là pour toujours tout en ayant encore - ne l'oublions jamais - les pieds sur la terre et travaillant, mais alors très bien, de mieux en mieux, à achever dans notre petit cercle ici cette beauté qu'est la création de notre Dieu.
Ma sœur, mes frères,
Saint Benoît nous dit que l'usage de la viande peut être concédé aux infirmes tout à fait débiles afin de réparer leurs forces. Cette débilité, comment faire pour la mesurer ? C'est très difficile. Elle peut être tout simplement imaginaire, mais c'est aussi une infirmité comme une autre qui n'est pas nécessairement de nature physique. Voilà, la personne peut être ainsi et il lui semble que ses forces ne lui reviennent jamais, qu'elles ont toujours besoin d'être réactivées. Car Saint Benoît ajoute : Et lorsqu'ils seront rétablis, ils s'en abstiendront comme à l'ordinaire, 36,20
Il serait peut-être utile de pratiquer de temps en temps un test, c'est à dire que le débile en question devrait produire un certificat médical affirmant que vraiment son état de faiblesse est tel que sans viande il ne pourrait subsister. Mais enfin, Saint Benoît ne l'a pas prévu, donc nous devons faire confiance.
Saint Benoît dit encore autre chose. Il dit que c'est l'Abbé lui-même qui est responsable de tout manquement commis par ses disciples, 36,24. Cela, c'est sérieux, vraiment sérieux, mais il faut bien savoir comment ça se passe.
Je ne sais pas si c'est ainsi dans les autres monastères - je pense que oui - mais c'est que l'Abbé est toujours le dernier à savoir ce que fait son disciple. Il existe autour de l'Abbé une conspiration du silence. Il ne sait rien, on ne lui dit rien. Et comme il est discret et qu'il est naïf, il ne voit rien mais il finit toujours par l'apprendre.
Il l'apprend par la bande et il se retrouve alors dans une situation difficile, car comment intervenir sans mettre en cause de façon implicite son informateur, "informateur" entre guillemets.
Il y avait auparavant à l'école primaire - je m'en souviens - des garçons qui racontaient toujours à l'instituteur ce que faisaient les autres. On les appelait des racus'pot, un mot wallon bien évocateur. Et on les fuyait car on trouvait que ce n'était pas très beau et très noble.
Alors l'Abbé est un peu mal pris pour ne pas qu'un frère se fasse juger comme ça et se fasse prendre pour un racus'pot auprès du coupable et qu'il y ait ainsi des tensions qui se créent dans la communauté.
Mais enfin, je pense que vous êtes suffisamment évolués, et sages, et humbles que pour accueillir une remarque que je pourrais vous faire même si je n'ai pas été le témoin de ce manquement.
Cela va peut-être arriver un de ces jours pour l'un ou l'autre. Donc vous voilà prévenus. Vous avez tous maintenant une épée suspendue au-dessus de votre tête. Je ne sais pas sur la tête de qui elle va tomber, mais j'espère que la tête ne sera tout de même pas coupée et que la blessure ne sera pas trop douloureuse.
Car lorsque l'Abbé doit ainsi intervenir, c'est toujours avec une immense charité, c'est toujours pour le bien spirituel et humain du frère. Et même si sur le moment ça fait un peu mal, comme toute opération que l'on pratique comme ça sans anesthésie, il s'en suit tout de même un bien qui est durable.
Comme le dit Saint Benoît à propos d'un frère qui a tout de même été un peu loin dans les manquements, il faut livrer un pareil au satan pour la mortification de sa chair, pour qu'au jour du jugement son âme soit sauvée. Enfin, nous n'en sommes pas encore là !
Ma sœur, mes frères,
J'ai le sentiment lorsque je vous parle que l'Esprit Saint qui habite en mon cœur s'adresse à l'Esprit qui habite votre cœur. C'est une vibration commune que nous percevons et à laquelle nous devons répondre. C'est donc un monologue de l'Esprit et notre cœur doit s'ouvrir à sa Parole car cette Parole est efficace. L'Esprit étant lumière et amour, il entend faire de notre cœur un oeil qui soit parfaitement lumineux et aussi des entrailles en nous qui soient pur réceptacle d'amour.
Saint Benoît y fait encore discrètement allusion ce soir lorsqu'il parle de la pia consideratio, 37,7, de tendre condescendance à l'endroit des enfants et des vieillards. Il parle de leur imbecilitas, 37,6. Hier il faisait allusion à la debilitas, 36,19, et aujourd'hui c'est l'imbecilitas. C'est traduit par faiblesse, c'est vrai, mais c'est une faiblesse qui est beaucoup plus que physique, c'est une faiblesse psychologique.
Et c'est vrai, les facultés mentales du vieillard, elles sont en voie de régression tandis que les facultés mentales de l'enfant ne sont pas encore développées. Ils se retrouvent donc ensemble, voilà, ils communient à l'intérieur d'une même infirmité.
Mais attention ! Nous ne sommes pas ici dans le domaine spirituel mais dans le domaine physique. Et si certaines facultés baissent chez les vieillards, par contre leur vigueur spirituelle ne fait que grandir. Rappelons-nous que chez les Anciens, et encore à l'époque de Saint Benoît, les senes, donc les vieillards, étaient des hommes qui étaient dépositaires de cet Esprit qui frappe à la porte de notre cœur et qui le fait vibrer. Et d'une certaine façon les enfants aussi parce qu'ils sont naturels, ils ne sont pas encore corrompus. Ils ne sont pas encore traumatisés par la vie.
Et voilà, nous devons donc avoir tous un grand respect pour les enfants et les vieillards s'il y en a parmi nous ? Nous en avons certains qui sont remarquables par leurs qualités. On pourrait se demander : mais à partir de quel moment est-on un vieillard ? Je me suis demandé, tenez-vous bien, je me suis dit ceci qui est peut-être un baromètre qui permettra de dire : maintenant c'est un vieillard.
Cela se remarque le jour du vendredi-saint. Voilà, ce sont ceux- là qui le jour du vendredi-saint à midi reçoivent de la soupe tandis que les autres sont au pain sec et à l'eau. Voyez-vous, là il y a quelque chose qui tranche entre les vieillards et les autres. Et s'il y avait des enfants, on leur donnerait aussi un bol de soupe.
Enfin, c'est mon idée et je peux dire ça parce que je ne suis pas encore au régime de la soupe. Eh bien, quand ça viendra, j'aurais peut-être oublié ce que j'ai dit ce soir.
Saint Benoît voyait dans le Chapitre, l'auditorium Spiritus sanctae, donc ce local, ce lieu où on écoute l'Esprit Saint. Et écouter l'Esprit à l'intérieur de notre vie contemplative, c'est écouter la Parole de Dieu. Naturellement c'est écouter la Parole de l'Abbé, mais c'est davantage encore écouter l'Esprit, c'est écouter les frères, c'est disons, vivre en communion tous cette vibration commune de l'Esprit qui habite en nos cœurs et qui essaye de faire de nous une Eglise.
Savoir écouter ce que l'Esprit dit à notre Eglise dans le Chapitre auditorium Spiritus sanctae, je pense que ça c'est très beau. Et cette prise de conscience alors forme le Corps, elle le soude. Toutes les cellules du Corps sont unifiées et le Corps alors est en bonne santé. Il n'y a pas à l'intérieur de lui un élément cancéreux qui pourrait grandir, gêner certains organes et finalement peut-être conduire à la mort.
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Ma sœur, mes frères,
Aujourd’hui, nous avons fait mémoire de Sainte Gertrude, la sainte de prédilection de notre frère Jacques. C’est lui qui devrait nous en dire quelques mots ce soir, mais je ne veux pas mettre sa modestie à l’épreuve.
Sainte Gertrude nous a laissé une parole qui nous a été rappelée cette nuit. Elle disait au Seigneur qu'elle voulait l'aimer non seulement avec douceur, mais avec sagesse. C'est à dire qu'elle désirait que son amour s'éleva sur un fondement théologique sûr, lui-même entièrement enraciné dans la foi.
Or, pour que notre amour ne soit pas un simple sentimentalisme, pour qu'il ne fluctue pas au gré de nos émotions, de notre sensibilité, il est nécessaire vraiment de l’enraciner dans une foi éclairée.
Or, le moyen d'acquérir cette sagesse, cet équilibre, cette vérité, c'est la Lectio Divina, c'est la lecture lente, savoureuse, méditée, ruminée de la Parole de Dieu. Il ne faut jamais oublier le caractère divin de notre lecture. Certes, on peut lire autre chose que la Bible, mais il faut que tout ce que nous prenons comme nourriture intellectuelle et spirituelle corrobore, fortifie notre connaissance de cette parole.
Toute lecture est en fait une écoute. Il faut savoir écouter ce que Dieu entend nous dire. Et alors, sans que nous ne le remarquions, notre nus, donc notre esprit, notre âme, notre coeur prend une certaine forme, une certaine consistance et nous sommes tenus à l'écart de toute illusion. C'était cela que visait Sainte Gertrude.
Or, mes frères, dans notre vie, bien pratiquement maintenant, la Lectio Divina, reconnaissons-le, c'est toujours elle qui est la première négligée. L'Office Divin, ça il est bien structuré, il fonctionne au son de la cloche ou du timbre. Le travail ? Et bien le travail, c'est peut-être ce qu'il y a de plus agréable dans notre vie. Là au moins on fait quelque chose.
Or, dans une petite communauté, même dans une communauté plus forte, il y a certains emplois qui demandent beaucoup d'engagement au plan du travail. Il y a aujourd'hui de plus en plus de spécialités. Il faut être spécialisé au plan technique. Oui, c'est général maintenant, on ne peut plus travailler à la petite semaine. Vraiment ça demande quelque chose qui vous prend.
Mais voilà le danger, c'est que le travail devienne notre nourriture première et qu'il soit à la limite une drogue dont on ne peut plus se passer. Si bien que toute la journée, mais on ne pense qu'à son travail, on est vraiment préoccupé par lui. Et le lieu dans lequel on s'établit, mais c'est dans son atelier, ou bien c'est dans son bureau. On est toujours là. Cela peut être extrêmement dangereux et nous devons y prendre garde.
On insiste avec raison sur la dimension contemplative de notre vie. Mais cette visée contemplative, cet élan qui nous porte amoureusement vers le Christ, et à travers le Christ à l'intérieur de la Trinité, il est entretenu d'abord par la Lectio Divina. Elle est indissociable de l'Office.
L'Office, la psalmodie - je vous l'ai déjà dit - est une écoute de la Parole de Dieu. La Lectio Divina est un autre type d'écoute de la Parole. Elle est aussi une écoute et Dieu entre en nous par nos oreilles même si nous lisons de nos yeux. Il y a une sorte de métamorphose qui s'opère et notre vision devient une écoute.
Il ne faut pas avoir peur d'incarner sa Lectio, donc d'écrire, de prendre des notes, de consulter, d'aller à la bibliothèque, de bouger. La Lectio, ce n'est pas de rester là et de s'assoupir sur un livre. Non, c'est une véritable recherche. Donc elle demande un effort, elle est un labeur, elle est aussi une forme de travail.
Et je pense que Sainte Gertrude aujourd'hui nous donne en ce domaine une bonne leçon. Elle était nourrie - il nous l'est rappelé - de Saint Augustin et de Saint Bernard. Elle était donc à des sources vraiment les plus pures de Lectio Divina, car les écrits de ces Pères ne sont qu'un chant à la louange de Dieu. Ils sont pétris, ils sont construits sur la Parole.
Naturellement nous ne sommes plus au XIII° siècle. Nous avons bien évolué depuis lors. Mais nous avons aussi des instruments bien plus performant aujourd'hui si nous voulons faire une Lectio Divina solide. Regardez, vous avez encore le cas ici de Macaire.
Eh bien, lorsque Macaire veut donner une réponse à Evagre qui lui demande : « Mais dis-moi une parole que j'en vive », il ne va pas la chercher de son propre fond, il va la chercher dans l'Ecriture. C'est une Parole de Dieu qu'il va lui donner parce que en dehors de la Parole de Dieu il n'y a pas de véritable vie. Il peut y avoir une vie, mais c'est une vie cérébrale, une vie intellectuelle. Ce ne sera pas une vie spirituelle, ce ne sera pas une vie divine.
Et il va lui dire, je vous le rappelle : « Si tu te revêts de l'humilité du publicain, tu vivras ». Pour que Evagre comprenne cette parole, il fallait que lui-même sache en quoi consistait cette humilité du publicain. Voyons notre Règle, mais notre Règle, elle est un tissu de Paroles Divines.
Voilà, mes frères, je tenais à vous rappeler cela aujourd'hui. C'était providentiel. J'aurais peut-être encore une fois ou l'autre à l'occasion comme ça l'occasion d'en parler. Mais je pense qu'il faut insister.
Et celui qui le premier doit naturellement faire la Lectio Divina, c'est l'Abbé. Et faire Lectio Divina, ce n'est pas préparer une homélie. Ce serait trop facile, ou préparer un Chapitre. Non, il doit faire une vraie Lectio Divina comme il le demande à ses frères.
Eh bien, nous allons essayer de faire de notre mieux et nous remercierons Sainte Gertrude, et nous lui demanderons de venir à notre aide.
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Ma soeur, mes frères,
Saint Benoît connaît les hommes et il sait que les malheureux malades tout à fait débiles, omnino debiles, 39,25, ont besoin de réconfort pour avancer sur la route du Royaume.
Et si nous nous réunissons ainsi chaque soir au Chapitre, ce n'est pas - nous le savons - pour nous emplir la tête de connaissances nouvelles ou inédites, mais c'est pour fortifier notre coeur, et c'est pour nous encourager mutuellement sur la route qui nous conduit vers ce Royaume de Dieu où dans la lumière nous contemplerons le Christ ressuscité.
Car c'est en Lui, et en Lui seul, qu'est enfermé tous les secrets, tous les mystères de la science et de l'amour.
Et la vie monastique, elle n'est pas une philosophie du comportement, elle n'est pas une éthique, elle n'est pas une idéologie, elle n'est pas de ce monde-ci. La vie monastique est déjà, par l'espérance qui la porte, une vie angélique. C'est à dire que par la fine pointe de notre coeur, nous sommes déjà là où l'humanité entière est appelée, dans le coeur de la Trinité.
Il ne nous est pas demandé de devenir des hommes parfaits mais des saints, c'est à dire qu'il nous est proposé une véritable métamorphose, une mue, une mutation. Nous devons devenir des Dieux, c'est à dire avoir un comportement tout nouveau, celui même du Christ, celui même de Dieu.
Notre sagesse doit être folie au regard de la sagesse humaine. C'est le mystère de la croix. C'est par le renoncement, c'est par le dépouillement, c'est par la pauvreté que l'on devient des Dieux. Nous ne devons pas avoir peur de voir la réalité en face car c'est à elle que nous sommes appelés.
Vous savez, pendant tout un temps on a parlé de perfection. Je parle d'un temps, il y a de cela bien des années. Il fallait, le moine devait tendre vers la perfection. Mais en réalité, il s'agit de bien autre chose. Il doit tendre vers la parfaite luminosité de son coeur, vers une transfiguration qui fait de lui sur la terre la présence même de Dieu.
Et c'est à cela que nous sommes appelés quand Dieu nous invite à venir dans le monastère !
Et nous pouvons comprendre à partir de ce que nous dit ce Macaire et Evagre que notre pensée doit devenir absolument translucide. Et si notre pensée est lumineuse - de la luminosité de Dieu - à ce moment-là notre coeur lui-même se transfigure.
Le dévoilement des pensées devient ainsi une sorte de thérapie qui enlève de notre coeur les crasses qui l'encombrent et le dispose à recevoir la plénitude de l'Esprit de manière à devenir un cristal - je vous l'ai déjà dit tant de fois - un cristal à partir du centre duquel rayonne la lumière de Dieu.
O, je sais, ce ne sera jamais entièrement ainsi sur cette terre, mais on peut déjà avancer extrêmement loin. A tel point qu'au moment de notre mort biologique, il n'y ait plus qu'un soupir, l'espace d'un soupir entre la parfaite divinisation et l'état que nous aurons atteint à ce moment-là.
Vous allez dire que ce sont des choses beaucoup trop élevées pour nous. Mais non, bien au contraire, plus nous nous en sentons indignes, plus cela nous est offert. L'humilité, ce n'est pas de se grandir à ses propres yeux, mais c'est de savoir que ce qui nous est donné est pur cadeau et qu'il n' y a pas de frontière entre le pécheur et le saint. La seule différence entre les deux, c'est que le saint est un pécheur qui se sait pécheur tandis que le pécheur est un homme qui se prend pour un saint.
La véritable sécurité ne se trouve pas de s'installer du côté des justes, mais de s'établir du côté des pécheurs. C'est ce que Macaire recommandait à Evagre : Revêts-toi de l'humilité du publicain et alors tu vivras. Nous devenons, nous devons devenir lumière ainsi dans l'Esprit Saint et, à ce moment-là, nous serons vraiment par tout notre être une parole qui dit Dieu.
Voilà ma soeur, mes frères, le petit encouragement que nous pouvons partager ce matin. Encore une fois, n'allons pas nous imaginer que c'est bon pour les autres et pas pour nous. Non, c'est hors de notre portée naturellement et, encore une fois, il suffit d'ouvrir les mains, d'ouvrir notre coeur pour le recevoir.
Il y a une parole du Psaume 80, si j'ai bon souvenir, qui est extraordinaire. Chaque fois que je l'entends, il me semble que l'heure est venue où l’accomplissement va se réaliser : Ouvre ta bouche et je l'emplirai ! Il suffit d'ouvrir notre bouche et c'est Dieu qui l'emplit.
Voilà, essayons donc d'être toujours dans ces dispositions, et ce qui nous est offert, nous le recevrons à perte de vue, en démesure.
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Ma sœur, mes frères,
L'un d'entrevous m'a posé une question difficile. Il m'a demandé : Mais enfin, pour quelles raisons, pour quelles raisons Saint Benoît prescrit-il que les frères s'abstiendront absolument de la chair des quadrupèdes ? Pourquoi la chair des quadrupèdes ? 39,24.
On pourrait donc se nourrir de la chair des volatiles ou des poissons, manger du poulet, de la dinde, du faisan, de la caille ou bien des poissons, de la truite, du caviar, etc. Mais voilà, c'est une question qui n'est pas simple. Je lui ai donné un début de réponse, mais je pense qu'il serait intéressant de creuser un peu la chose.
D'abord Saint Benoît, lui, est dans la ligne de la Tradition qui le précède. Dans le désert on ne mangeait jamais de viande parce que tout simplement il n'yen avait peut-être pas. Et puis les moines fervents ne mangeaient jamais rien de cuit, jamais. C'est ainsi qu'Evagre est mort d'ailleurs, il s'est détruit l'estomac en ne mangeant que du pain sec, et de l'eau, et du sel. Mais tout de même il y a une raison. Et cette raison, elle est comme tout ce qui regarde la vie du moine et la vie du chrétien, elle est fondée sur la Parole de Dieu.
Vous allez me dire : Oui, mais la Parole de Dieu c'est très bien. Des exégètes l'ont décryptée aujourd'hui. Et d'ailleurs, ce qui était prévu à l'époque, à l'époque de la Parole de Dieu, qu'est-ce que ça peut encore nous faire aujourd'hui ? Nous avons progressé dans ce domaine, nous ne sommes plus liés à des mythes du passé. N'est-il pas temps de secouer toutes ces vieilles histoires ?
Eh bien je ne pense pas parce que l'univers, Dieu lui-même et son univers ne peuvent être accessibles à notre nus, donc à notre cœur, à notre être entier qui est à la fois corps et esprit. Il ne peut être accessible qu'à travers le symbole. Il n'est pas possible à notre intellect de pénétrer cet univers. Nous pouvons simplement l'évoquer dans le jeu du rite et dans le jeu du symbole. Si bien que cette défense de prendre de la viande, elle s'appuie sur le récit de la Genèse.
Le cinquième jour Dieu dit : Que les eaux grouillent d'un grouillement d'êtres vivants et que des oiseaux volent au-dessus de la terre contre le firmament du ciel. Et il en fut ainsi. Les poissons et les oiseaux sont donc parents pour la Bible. Ils ont été créés en même temps. Une seule Parole de Dieu les a créés. Ils proviennent tous les deux du milieu aquatique. Voilà, il est donc possible d'en manger. Il n'y a pas de différence essentielle entre les deux.
Maintenant, le jour suivant Dieu dit : Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce: bestiaux, bestioles, bêtes sauvages selon leur espèce. Et il en fut ainsi. Le même jour, immédiatement après Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance. Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa. Homme et femme il les créa. Il en fut ainsi. Dieu vit tout ce qu’il avait fait, cela était très beau. Il y eu un soir, il y eu un matin. Sixième jour.
L'homme a donc été créé en même temps que les quadrupèdes. Ceux ci, ce sont donc ses frères, sont de même constitution que lui. Si donc l'homme mange la chair des quadrupèdes, il mange la chair de son frère et il tombe dans le cannibalisme. Oui, c'est bien ainsi qu'il faut le sentir. N'oublions pas que nous sommes dans un univers de symboles, ici.
Je pense maintenant que si on devait faire une analyse plus précise de ces choses et voir comment cela se passe chez l'homme qui mange de la viande, eh bien pour le moine, l'homme qui se nourrit de la chair des quadrupèdes va leur devenir semblable - encore une fois ils sont frères - il va leur devenir de plus en plus semblable.
S'il mange du bœuf, il va devenir comme un bœuf ; s'il mange du lapin, il deviendra comme un lapin, couard, couard comme un lapin ou un lièvre, peureux ; s'il mange du lion, il va devenir féroce comme un lion. Voilà un peu !
Vous allez dire : Tout ça c'est très amusant, mais dans la réalité, c'est pas ainsi ? Eh bien, je n'oserais pas l'affirmer car la consommation habituelle de viande chez un homme bien portant développe chez lui l'instinct d'agressivité. Et ce que la Tradition monastique veut prévenir, c'est précisément que les moines ne se dressent pas les uns contre les autres comme les quadrupèdes le font. Nous n'avons pas le droit dans le monastère de manger la chair de nos frères.
Comment manger leur chair ? Mais par les mauvais propos, par les mauvaises pensées, enfin par le refus de rendre service, enfin tout ce qui dresse les hommes, les femmes, les uns contres les autres. Et cela, symboliquement parlant, est lié à l'abstention de viande de quadrupède.
J'ai connu comme ça un homme, ce n'était pas un moine mais un homme du monde, qui mangeait de la viande à tous les repas, tous, tous, tous indistinctement. Il en mangeait une quantité énorme chaque jour. Car ce n'était pas qu'il mangeait une tranche de jambon le matin, une tranche de lard le soir et un bifteck à midi non, de la viande rouge le matin, le midi et le soir, et en bonne quantité.
Eh bien, cet homme-là était difficile comme tout dans sa famille, toujours mécontent et malheureux et rendant les autres malheureux. Et ça, c'était certainement parce qu'il était gavé de viande. Et la Faculté le reconnaissait, c'était ainsi.
Donc voyez, lorsque Saint Benoît parle de proscrire la consommation de la viande des quadrupèdes aux frères, il sait très bien ce qu'il dit. C'est fondé sur l'Ecriture, mais il y a aussi toute une expérience. Et ce qu'il veut, c'est que nous ne soyons pas des bêtes entre nous, des bêtes féroces entre nous. Nous devons être parfaitement incarnés mais manifestant dans toute notre conduite la douceur, et l'humilité, et le renoncement du chrétien.
Voilà l'explication. Elle est juste. Mais encore une fois je vous dit, il faut le croire, il faut l'accepter. Mais notre vie monastique, elle n'a pas de sens si elle n'est pas toute entière pétrie de ces symboles qui ont été justement révélés pour nous servir de guide dans notre propos.
Si nous voulons atteindre Dieu et son univers, Dieu parfaitement mystérieux et son univers aussi, nous devons emprunter le chemin qu'il nous a ouvert. Et ce chemin, on ne le dira jamais assez, c'est le chemin de la liturgie, c'est celui du rite, c'est celui du symbole, non seulement au moment où nous sommes à l'église, mais jusque dans le détail de notre vie concrète.
En dehors de cela, la vie monastique devient une idéologie, elle devient une philosophie à côté d'autres. Elle perd sa spécificité, son originalité qui est d'être d'origine divine et de conduire de plus en plus loin à l'intérieur du divin.
Voilà, ma sœur, mes frères, une petite explication. Je ne dirais pas qu'elle vous a convaincus. Elle ne doit pas vous convaincre. Elle coule de source...
Ma soeur, mes frères,
Nous célébrons aujourd'hui la fête de Sainte Cécile, la Patronne des musiciens. Mais nous ne nous arrêterons pas à cet aspect.
Cécile était une jeune femme de la haute noblesse romaine. Elle vivait au III° siècle, donc dans les années 200 de notre ère. Elle possédait toutes les qualités du corps et de l'esprit mais, au regard de la société de son temps, elle avait un seul défaut, un seul : elle était chrétienne, et elle allait jusqu'à mettre sa maison à la disposition de l'Eglise.
Les autorités ne pouvaient pas tolérer cela trop longtemps. Elles intervinrent et Cécile fut sommée de renoncer à sa foi, de renier le Christ et de sacrifier aux idoles. C'était un choix terrible ! D'un côté, c'était pour Cécile une vie comblée d'honneur et rassasiée de plaisirs et de l'autre côté, c'était la mort. Et Cécile a choisi. Elle a choisi de rester fidèle au Christ et elle a été décapitée.
Je me pose à ce sujet deux questions. Nous vivons ou nous travaillons dans un monastère. Mais sommes-nous fiers d'être chrétiens ? Si nous étions placés dans la situation de Cécile - et ce n'est pas là quelque chose lancé en l'air ainsi. II y a des pays où des hommes, des femmes, des enfants même se trouvent dans cette situation-là - si donc nous devions choisir, de quel parti serions-nous ?
Tournerions-nous le dos à Dieu et au Christ pour mener une petite vie tranquille ? Ou bien proclamerions-nous notre attachement au Christ au risque de mourir ?
Vous savez que dans certains pays, le fait de se dire chrétien fait que on n'a pas accès au travail, on n'a pas accès aux études pour les jeunes, on n'a pas accès à la sécurité sociale pour les personnes âgées.
Et voilà, on ne sait jamais ce qui peut arriver dans nos régions ? Et nous serions là devant le choix comme Cécile. Et voilà, chacun peut donner une réponse dans le secret de son coeur.
Et voici une seconde question : Comment vivons-nous notre foi au Christ ? II l'a dit lui-même : On reconnaîtra que vous êtes mes disciples si vous avez de l'amour les uns pour les autres.
Pouvons-nous affirmer en toute sincérité et vérité que nous aimons ? C'est une question cruciale à laquelle nous ne pouvons échapper. C'est sur elle que nous serons jugés un jour.
Eh bien, mes frères, je vais répondre. II me semble pouvoir dire que vraiment nous nous aimons les uns les autres. Certes, ce n'est pas parfait, nous avons nos faiblesses, nous sommes des pécheurs, nous venons de l'avouer en ouvrant cette Eucharistie. Nous ne sommes pas encore des saints même si un jour tôt ou tard nous devrons le devenir.
Mais dans la pratique concrète de notre existence quotidienne, nous faisons de notre mieux pour nous estimer, pour nous respecter, pour nous aimer. Et cet amour doit rayonner autour de nous.
Nous devons le faire rayonner sur nos frères, nous devons le faire rayonner sur les membres de notre famille, sur les personnes que nous rencontrons, sur ceux qui viennent travailler dans notre monastère, et il n'en manque pas ces jours-ci. Et alors vraiment nous serons des chrétiens car, je le répète après le Christ, c'est à cela qu'on nous reconnaît.
Eh bien aujourd'hui, en cette Eucharistie qui nous réunit, nous demanderons au Christ par l'intercession de Sainte Cécile de nous aider à progresser dans cet amour. Et notre fidélité de chaque jour sera la garance de notre fidélité finale.
Amen.
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Ma soeur, mes frères,
Je pense que les Anciens avaient beaucoup plus que nous conscience d'appartenir à un Corps, la communauté, le corpus monasterii comme dit Saint Benoît, d'appartenir à un corps par l'intermédiaire duquel ils étaient insérés dans le grand Corps du Christ.
Etre retranché de la communauté était le plus grand des malheurs qui pouvaient leur arriver car, par le fait même ils étaient retranchés du Corps qu'est le Christ. Et ils savaient très bien, et ils le sentaient dans leur coeur que d'être séparés du Christ, c'était à plus ou moins longue échéance la mort spirituelle. Ne pas avoir part au Christ dans son Royaume, c'est cela la damnation !
Voyez un peu comme nous sommes loin de cet esprit de foi qui les constituait ! On dira peut-être qu'aujourd'hui nous sommes civilisés, que nous n'en avons plus besoin ? Mais non, nous en avons besoin aujourd'hui comme alors.
Et nous ne devons jamais mépriser notre communauté. Elle a ses défauts, elle a ses péchés, elle a ses manquements, c'est certain. Mais quel qu'elle soit, c'est à travers elle que nous arrive la vie divine.
Et lorsque nous nous donnons à elle de notre mieux, lorsque nous portons un regard de bienveillance sur tous ceux qui la composent, alors la Vie peut croître en nous et atteindre sa perfection.
Car c'est cela le paradoxe, et le prodige, et le miracle peut-être, que c'est à travers une collectivité d'hommes, de femmes, d'êtres humains que nous arrive le divin. C'est la logique de l'Incarnation qui est implacable hors de laquelle il n'y a pas de salut, c'est à dire il n'y a pas d'issue à ce que nous faisons.
Les moines du désert vivaient, eux, isolés les uns des autres dans des cabanes, dans des maisonnettes distantes de manière à ce que la prière à haute voix de chacun n'aille pas déranger les autres. Mais pourtant ils formaient eux aussi un Corps, ils le savaient. Et à leur tête il y avait un homme qui à leurs yeux incarnait la Personne même du Christ. C'était le Père Spirituel, celui qui avait le pouvoir d'engendrer à la vie divine.
Et c'est le cas pour Macaire le Grand. Et on venait de loin, même d'autre corpora pour le consulter, pour recevoir de lui une parole qui serait porteuse de vie. Et il enseignait entre autre comme il l'a fait à notre ami Evagre, qu'il fallait s'exercer dès cette vie, tout de suite, à dire Dieu dans son coeur, à laisser Dieu se penser à l'intérieur de nos pensées.
Vous le savez, l'Ecriture nous dit que : Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant les pensées de Dieu sont élevées au-dessus des nôtres.
Que se passe-t-il alors quand nous permettons à Dieu de penser à travers nos pensées? Eh bien, il se produit un phénomène qui est normal en la circonstance : nous nous élevons de la terre au ciel.
En effet, nos pensées alors ne sont plus les nôtres, ce sont celles de Dieu et elles nous élèvent justement à une distance extraordinaire au-dessus des raisonnements et des approches purement humaines.
C'est cette fameuse sagesse de Dieu qui prend possession de notre coeur et qui nous élève là où Dieu lui-même se trouve.
Nous célébrons demain, nous avons déjà commencé d'ailleurs, la solennité du Christ Roi de l'univers. C'est cela que cela veut dire. Il est le Roi du cosmos non seulement parce qu'il en est le Créateur et le Rédempteur, mais aussi parce qu'il l'élève, et qu'il le dirige, et qu'il le conduit vers son accomplissement par des voies qui sont les siennes et qui peuvent paraître folie à notre esprit trop étriqué, trop petit, trop peureux.
Nous touchons alors le fameux mystère de la Rédemption car, s'il est le Roi du cosmos, c'est parce qu'il a été obéissant, il a été jusqu'au bout de l'Amour. Il n'est pas possible d'aller plus loin qu'il ne l'a été.
Alors, lorsque nous le laissons vivre dans nos pensées, il nous entraîne jusque là. Et ça va tout seul puisque nous sommes portés. Et si nous avons parfois le vertige parce que c'est tout de même un peu haut, et voilà, quand on regarde en bas on peut prendre peur comme Pierre a eu peur quand il s'apercevait qu'il marchait sur la mer.
Mais ça ne fait rien, la solidité de l'amour de Dieu pour nous est beaucoup plus puissante que toutes les peurs qui peuvent parfois angoisser notre coeur. Et alors, cette Sagesse nouvelle qui est infiniment élevée, élevée au-dessus de toute sagesse, de toute perfection humaine, eh bien nous devons dans toute la mesure du possible la laisser transparaître dans notre conduite.
Et encore une fois, ça se fait tout seul. Il ne s'agit pas de faire la leçon aux autres. Non, ni de vouloir être leur mentor, ou leur professeur, ou leur réformateur. Non, il suffit d'être soi, d'être vrai et de se laisser - encore une fois - vraiment posséder par la lumière, par ces pensées qui voilà, dans l'invisible opèrent des prodiges et des merveilles.
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Ma sœur, mes frères,
Saint Benoît dit qu'un péché secret de l'âme doit être manifesté à un Père Spirituel. S'agit-il de la confession sacramentelle ? Je ne le pense pas. On peut très bien commettre un péché et devoir le signaler à son Abbé, à un Père Spirituel, dans le cadre de la fameuse lutte contre les pensées, contre les passions. Cela fait partie de l'ouverture du cœur.
Mais c'est ceci, je veux appuyer sur ce détail : il faut manifester sa pensée perverse, la pensée qui a fait tomber dans un péché, même une peccadille, même une petite faute de rien du tout à un homme qui sait guérir ses propres plaies.
Cela, je pense que c'est vraiment un sommet qu'il faut atteindre. Donc on sera un senior spirituales, un Ancien Spirituel, c'est à dire habité par l'Esprit de Dieu, pouvant entendre la faute commise par le frère et pouvant donner le remède qui convient lorsqu'on parvient à guérir ses propres fautes ; à s'en guérir, car on n'en est pas exempt.
Le Père Spirituel n'est pas exempt non plus de manquements secrets, mais il doit pouvoir s'en guérir seul. Il sera capable alors, si Dieu l'y appelle, à entrer dans la vie solitaire. Saint Benoît nous le dit au début, il est tout à fait rompu à la lutte contre les vices de la chair et des pensées, 1,14.
Donc, nous ne devons pas trop vite afficher sur la porte de notre cellule : Ici, Père Spirituel. Il reçoit de telle heure à telle heure. Non, non, non, lorsque nous aurons réussi à guérir nos plaies, nous n'aurons plus envie alors de faire de la publicité.
Attention ! Il n'y a personne qui en fait ici, je ne vise absolument personne. Mais tout de même j'en connais, mais pas d'ici. J'ai eu l'occasion d'en rencontrer un il n'y a pas tellement longtemps, ça fait tout drôle !
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Ma soeur, mes frères,
Vous aurez peut-être remarqué avec moi que dans ce très court Chapitre de notre Règle il était question de l'Abbé à trois reprises. Cela nous signifie que l'Abbé est partout présent dans le monastère, mais cela ne veut pas dire qu'il est inquisiteur, qu'il va surveiller. Non, il est présent par l'impulsion qu'il donne à la communauté.
Il est présent par l'esprit qu'il infuse et surtout il est présent par l'amour qu'il porte à tous les frères. Il est vraiment alors Abba dans le sens étymologique. Il est la tête, il est le chef qui est un synonyme de tête, il est le coeur, il est l'âme, il est le père. Tous les frères vivent de lui et par lui parce que dans le monastère il tient la place du Christ.
Je dis là des choses qui sont objectives. C'est vraiment ainsi que Saint Benoît et toute la Tradition voient la personne de l'Abbé. Naturellement c'est un idéal qui n'est pas inaccessible parce qu'il faut toujours tendre vers lui et l'atteindre plus ou moins même s'il y a des erreurs, s'il y a des chutes.
Il n'est pas inaccessible parce que dans la Tradition nous découvrons des Abbés qui répondent à ce modèle. L'un de ceux-ci était Saint Benoît, mais il n'était pas le premier. Et je pense que dans une communauté, les frères, les soeurs, doivent instamment demander à Dieu que l'Abbé soit en bonne santé spirituelle, c'est à dire qu'il réponde bien aux critères définit par Saint Benoît, car c'est un gain pour les frères, c'est un gain pour chacun.
Si la tête est en bonne condition, les membres le seront aussi. Par contre si la tête est malade, il y aura des troubles dans les membres. On ne peut pas être dissocié de l'ensemble. Nous formons un Corps et c'est surtout - encore une fois - de la bonne santé de la tête que dépend la bonne condition du Corps entier. Un des prédécesseurs de Saint Benoît dans cet idéal de l'Abba était Macaire le Grand ou Macaire l'Egyptien.
Si bien que rencontrer un tel homme était un besoin, une grâce, un désir même si ces rencontres étaient parfois pénibles. Mais pourquoi étaient-elles désirées?
Mais parce que elles étaient chaque fois source de renouveau. Le frère était pris là où il était et il était élevé plus haut jusqu'à ce qu'un jour il se trouve à l'étage supérieur là où se trouve son Père, à l'intérieur de la création nouvelle où il perçoit toutes les choses non plus à la façon d'un homme charnel mais d'un homme divinisé, à la façon de Dieu lui-même.
Il entre alors dans le projet de Dieu. Il le voit. Il l'a fait sien, il y a été introduit et ma foi il ne peut plus rien faire d'autre que d'être sur terre l'instrument de ce plan divin. A la limite, le bonheur suprême doit être de vivre auprès d'un tel homme.
On le voyait dans le désert. L'apophtegme que nous sommes en train d'étudier depuis bien longtemps déjà ne parle que d'Evagre seul. Mais il en est d'autres où nous voyons toute une collection qui se trouve autour de l'Abba, et qui l'écoute, et qui lui pose des questions, et qui reçoive chacun la réponse qu'il attende. C'est donc là une congregatio, une sorte de troupeau qui s'est rassemblé et qui reçoit la vie de son pasteur.
Le bonheur suprême serait donc de vivre en permanence auprès d'un tel homme. Cela existait à l'époque du désert où ces Grands Abba avaient ce qu'on appelle un serviteur, c'est à dire un frère qu'ils avaient choisi, qui était bien en accord avec lui, qui était tout entier dévoué, qui partageait toute son existence, tous ses soucis, tous ses espoirs.
Et alors ce frère était vraiment envié par les autres. Et par contagion, il devenait lui-même un saint. Car vivre avec un tel homme, c'est une sorte d'avant-goût du ciel où Dieu est vu dans la personne du Christ et de ses saints. Naturellement il est facile ici-bas de disserter sur le bonheur qui nous attend là-bas dans ce lieu mystérieux qu'est le ciel.
Je dis un lieu, non pas dans le sens philosophique du terme parce que un lieu dans ce sens là, c'est quelque chose de matériel, de circonscrit. On peut le cerner. Ce lieu du ciel, c'est une Personne - je l'ai déjà dit bien souvent - c'est la Personne du Christ Jésus ressuscité d'entre les morts. C'est en lui que nous voyons Dieu et c'est à partir de lui que nous recevons Dieu. Et autour du Christ, rayonnant de sa Personne, il y a la lumière qui est l'Esprit Saint.
Alors, vivre dans cette vision, vivre de cette audition parce que ce n'est pas le silence, ce n'est pas un bruit, c'est un chant - appelons ça ainsi -, c'est une mélodie, mais voilà, c'est ça le bonheur du ciel. Dieu est vu dans le Christ et puis dans ses saints qui sont tous là autour de lui et qui vivent de lui.
Dieu n'est pas vu directement. Depuis qu'il s'est fait homme, il sera toujours vu dans la Personne du Christ. Et ça nous suffit plus que tout parce que vous vous rappelez cette parole, je pense qu'il la disait à son ami Philippe : Celui qui me voit, il voit le Père. C'est à travers le Christ que nous le voyons.
Eh bien, vivre auprès d'un ami de Dieu qui est tout entier dans la vision du Christ ressuscité et de sa Lumière, et qui la respire, et qui la mange et puis qui la rayonne dans ses paroles et dans tout son être, mais voilà: c'est le bonheur du ciel. C'est cela et rien d'autre.
Je pense que dans le subconscient des gens du monde, ils voient le monastère comme l'endroit où se fait cette expérience. Lorsque Saint Bernard parlait du paradisus claustralis, c'était cela certainement qu'il visait, un jardin clos à l'intérieur duquel il n'y a plus que des hommes transfigurés. Et comme au ciel, en se regardant les uns les autres, on voit Dieu. Oui, je le redis, ce doit être dans le subconscient des gens du monde. Et lorsque nous répondons à l'appel de Dieu, je pense bien que c'est encore - là aussi dans notre subconscient - ce que nous cherchons, ce que nous espérons recevoir.
Naturellement dans la pratique, comme Saint Benoît le dit, le monastère c'est plutôt un hôpital où on soigne les maladies spirituelles et psychiques des frères et même physiques. C'est tout cela.
Mais attention ! Cela n'empêche pas que dans le coeur de chacun brille la flamme de l'Esprit et que sur le visage de chacun apparaît le visage du Christ quelque soit ce visage. Il y a donc là toujours un fondement. de vérité dans le fait que le monastère est ici sur terre, pour les gens du monde et pour nous qui y vivons, vraiment une sorte d'apparition de ce que sera le ciel un jour.
Voilà, vous allez dire que je suis très optimiste, que je suis un utopiste. Et bien sincèrement je ne le pense pas. Car si ça n’arrive pas parfois comme nous l’imaginerions, dans l’espérance et dans le cœur de chacun c’est bien réel. Et c’est cette lumière, cette flamme que nous devons avoir la lucidité de reconnaître afin de remercier notre Dieu de toutes les grâces qu’Il nous accorde, et à côté desquelles bien souvent nous passons sans les voir. Et nous négligeons alors de lui dire merci.
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Ma sœur, mes frères,
Avez-vous remarqué comme moi à quel point Saint Benoît est discret, jusqu'où il porte - je ne dis pas la condescendance car il n'y a jamais de condescendance chez lui - la compassion, la vérité et la vraie charité. C'est dans des détails comme ceux-ci que nous remarquons combien sa sainteté est véritable. Il dit ceci : le dimanche tous vaqueront à la lecture, mais si toutefois quelqu’un était si négligent et paresseux qu’il ne voulut ou ne put ni méditer, ni lire, 48,55.
Saint Benoît n'est donc pas un fanatique de l'observance. Ce n'est pas un homme rigoureux, impitoyable qui soumet tous les frères, absolument tous, au même joug. Non, il sait que la Lectio Divina est indispensable. Il sait que sans elle le moine ne pourra pas se développer normalement. Il sait tout cela. Et pourtant, s'il se trouve quelqu'un qui ne soit pas capable, ou même qui ne voulut pas, ni méditer ni lire, et bien il l'accepte. Et cela, c'est quelque chose qui est vraiment extraordinaire. Il faut être un saint pour cela.
Saint Benoît va donc admettre qu'il se trouve dans la communauté des hommes qui devront recevoir de Dieu des grâces tout à fait spéciales pour arriver au terme de leur vie monastique, pour arriver à bon port, et pour malgré tout à travers bien des déficiences, à travers bien des faiblesses, pourront s'ils sont fidèles à la grâce particulière qui leur est donnée parvenir à la sainteté. Nous, comme nous sommes dans notre nature d'homme, nous serions beaucoup plus sévères, ce serait à prendre ou à laisser.
Tandis que Saint Benoît, lui, dans sa nature de saint, lui qui est déjà un homme divinisé, il compatit aux misères de ses frères et il ne les force pas. Il dit simplement qu'il faut les appliquer à quelque travail pour qu'ils ne restent pas oisifs. Le terme qu'il emploie en latin, c'est celui de vacare, pour qu'ils ne soient pas vides, pour que leur vacuité puisse tout de même recevoir quelque chose.
Je pense que nous pouvons prendre de la graine à partir de ce que Saint Benoît nous dit ici car il faut appliquer ce principe dans toutes les circonstances qui peuvent se présenter. Il le dit ailleurs : l'Abbé doit toujours placer la miséricorde avant la rigueur du jugement, 64,26.
Ce n'est pas vraiment facile car il faut vraiment là obéir à un instinct spirituel, un instinct venant de l'Esprit et non pas un instinct venant de la chair. La miséricorde ne va pas de soi. Le jugement chez l'homme va de soi mais pas la miséricorde.
Ma soeur, mes frères,
Cette année nous recevons du Seigneur la grâce d'ouvrir notre récollection le jour même où prend naissance un nouveau cycle liturgique. Ce n'est pas une simple coïncidence, c'est une parole prophétique que nous devons recueillir dans la foi avec une gratitude toute imprégnée d'amour.
Dieu entend nous découvrir aujourd'hui un des traits les plus attachant, les plus séduisant de son visage. Mes frères, écoutez et réjouissez-vous avec moi ! Ecoutez de tout votre être, vibrez longuement au souffle de l'Esprit qui va vous parler par ma bouche.
Car nous sommes en présence d'un davar, d'une réalité qui doit nous pénétrer jusqu'au plus intime de notre conscience et à partir de là, nous ouvrir des horizons nouveaux, des horizons vers lesquels nous allons nous précipiter parce que nous serons attirés par eux pour être perdus en eux.
Notre Dieu qui est Trinité, donc qui est amour, est perpétuellement en acte de naissance. Dieu n'a jamais fini de naître. Il est, à ses propres yeux d'abord, et puis au monde lorsque nous recevons de lui la faveur de le regarder, de le reconnaître, il est sans cesse pure apparition de lumière, pur jaillissement de fraîcheur.
Et à partir de là, nous comprenons que Dieu est un enfant qui ne peut se résoudre à vieillir, un enfant dont le regard infiniment pur révèle un secret. Et ce secret, le voici, il nous le chante en ce jour de chaste renouveau. Car si Dieu est un enfant, il est aussi infiniment chaste et pur.
Et étant cela, il nous murmure doucement que lui, Dieu, est pur émerveillement. Voilà le trait de son visage qu'il nous découvre à travers la parole de ce cycle nouveau qui coïncide avec le jour où nous nous recueillons en lui.
Dieu s'émerveille de tout ce qu'il fait, de tout ce qu'il voit. Il vit dans l'étonnement, dans la surprise, dans la joie de la beauté. Il est en état d'admiration devant tout ce qu'il découvre de ce cosmos qu'il a voulu beau et qui est un reflet de sa beauté.
Je ne dois pas vous rappeler que lorsqu'il lançait l'univers dans l'existence, il s'exclamait ponctuellement : Mais que c'est beau ! Dieu est pur émerveillement. Il est un enfant qui jamais ne se lasse d'écouter, de regarder, de s'étonner. Il se reconnaît en toute chose et il est fou, il devient fou des hommes, des petits des hommes dans les yeux desquels il voit briller l'eau de sa fraîcheur.
Mes frères, le comble de sa joie, il l'atteint lorsqu'il reconnaît un homme resté comme lui un enfant, un homme qui comme lui vit dans l'émerveillement et qui rend grâce de tout, un homme dont le regard candide, le regard naïf se perd dans la beauté des êtres, un homme qui comme lui oublie de vieillir. Alors Dieu est heureux et sa jeunesse connaît un jaillissement nouveau.
Oui, mes frères, notre Dieu est amour jusque là. Mais comment retrouver cette faculté d'émerveillement qui libère l'homme, qui le rend - mais en tout - semblable à Dieu ? Eh bien, c'est un cadeau que nous devons recevoir. Et ce cadeau, Dieu le tient à notre disposition. Il n'attend que notre main ouverte pour l'y déposer. Qu'est-ce que cela veut dire dans le concret ?
Cela veut dire qu'il nous aime, cela veut dire qu'il nous propose son programme qui est de nous conduire là, qu’il nous propose d'entrer dans notre coeur et puis patiemment de le polir, de l'embellir, de le rendre semblable à une perle dans laquelle il peut jouer, un coeur qui devient le sien. Car c'est cela !
Rappelez-vous cette légende - appelons cela une légende car c'est raconté - ce qui est arrivé à Sainte Lutgarde, ce qu'on appelle l'échange des coeurs. Le Christ a pris le coeur de Lutgarde et a mis le sien à la place. C'est cela, c'est là que nous devons arriver !
O, il n'y a rien de spectaculaire, il n'y a en soi rien d'extraordinaire, rien ne sera modifié à l'extérieur. Mais le regard du moine, le regard de la moniale sera devenu un regard émerveillé qui ne pourra plus voir que le beau, qui ira ainsi d'émerveillement en émerveillement jusqu'à l'intérieur de la création nouvelle, là où il n'y a plus que Dieu et son rayonnement.
Mes frères, si nous sommes des chrétiens, si nous sommes dans un monastère, c'est pour être comme Dieu des enfants au coeur pur qui vont ainsi aller d'émerveillement en émerveillement. Son Royaume - ne l'oublions jamais - il est peuplé d'enfants, il n'est peuplé que d'enfants. Les adultes doivent rester à la porte. Il ne peut en être autrement puisque Dieu lui-même est un enfant. Et ce sont les enfants qu'il accueille. Il nous l'a dit et sa Parole ne peut être retirée.
Alors, si vous le voulez bien, nous lui demanderons cette grâce de l'émerveillement qu'il veut nous donner. Nous la lui demanderons avec confiance, les uns pour les autres. Et lorsqu'il nous l'offrira, nous ne retirerons pas notre main. Et alors, lorsque nous l'aurons acceptée, que nous serons devenus comme lui, à notre taille, dans notre capacité, de purs émerveillements, alors vous pouvez en être certains, la face du monde aura été renouvelée, quelque chose aura changé.
Imaginez un monastère empli d'hommes ou de femmes étant ainsi des enfants dont la naïveté voit partout la beauté et qui sans cesse reconnaissent le merveilleux. Et imaginez une communauté chrétienne de cette taille. Mais alors, ce serait la rédemption accomplie et le monde ne serait plus le même.
Tel est notre programme et, encore une fois, avec la grâce au début de cet Avent qui ne sépare pas, comme le dit le Cardinal Ratzinger, le monde entre une face ténébreuse et une face lumineuse, ce monde qui est la beauté et qui est tout entier immergé dans la lumière qui est Dieu, et bien ce monde apparaît tel qu'il est, tel que Dieu le rêve, tel que Dieu le veut.
Et ce sera la patrie pour jamais de tous les enfants recueillis dans le coeur de cet enfant merveilleux, unique qu'est notre Dieu.
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Ma sœur, mes frères,
Voici une prescription qui nous paraît bien étrangère aujourd'hui. Nous avons de petits estomacs que nous devons remplir régulièrement sinon nos énergies fondent et nous ne pouvons plus rien faire. Mais alors ?
Eh bien, pour comprendre ce que Saint Benoît demande ici, il faut comme toujours se référer à une Parole de Dieu. Vous vous rappelez l'histoire de ce prophète envoyé pour maudire l'autel qu'avait construit Jéroboam le serviteur de Salomon. Il s'était emparé de dix des tribus et il avait construit un autel à Béthel pour concurrencer l'autel du Seigneur qui était dressé dans son Temple de Jérusalem. Or, ce prophète avait reçu l'ordre de ne rien manger au cours de son voyage.
Sa mission accomplie, il rentre chez lui et il se laisse inviter par un autre prophète qui le force littéralement à manger et à boire. Et à la fin du repas, cet autre prophète lui dit : « Voilà, tu as désobéi, tu vas reprendre ta route mais le lion te mangera. » Et effectivement, il se fait tuer par un lion.
Eh bien, c'est ce que nous avons ici. Le lion auquel nous risquons de succomber - du moins à l'époque de Saint Benoît - c'est le démon qui circule autour de nous comme un lion rugissant cherchant qui dévorer.
Naturellement une telle prescription n'est plus de mise aujourd'hui dans sa littéralité. Mais ce que Saint Benoît nous dit nous permet de mieux saisir l'atmosphère dans laquelle doit vivre un moine. Les références de sa vie, il ne les cherche pas dans une sagesse humaine mais dans l'exemple que lui donnent les Anciens qui eux-mêmes se sont alimentés aux exemples donnés pour notre instruction par la Parole de Dieu.
Je sais que ce n'est pas facile aujourd'hui. Nous sommes dans une société sécularisée où ce qui compte maintenant ce sont les normes de production et de rentabilité. Nous sommes soumis à toutes sortes de contraintes obligatoires si nous voulons subsister : les instances civiles, nationales, fiscales. Tout est là et nous devons entrer dans le système. Ce n'était pas ainsi à l'époque de Saint Benoît et encore moins à l'époque de Salomon.
Mais enfin, retenons tout de même ceci, que nous devons toujours être attentifs à voir dans les événements non pas des circonstances tout à fait anodines ou bien liées à des contingences purement naturelles, mais avoir suffisamment d'ouverture pour y découvrir un agir de Dieu, une Parole de Dieu, un défi que Dieu nous pose et auquel il attend que nous répondions.
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Ma sœur, mes frères,
Ce que nous venons d'entendre nous montre à quel point la vie monastique doit être construite sur la foi. On doit avoir le regard assez éveillé pour reconnaître la Personne du Christ dans tous ceux que l'on rencontre. Certes aujourd'hui il n'est pas possible de pratiquer tout ce que Saint Benoît nous recommande dans ce chapitre.
Ce n'est possible, ce ne serait, ce n'était possible qu'à une époque où la société entière baignait dans une foi vivante. Aujourd'hui ce serait saugrenu, ce ne serait pas compris et au lieu d'édifier, comme le dit Saint Benoît, on s'étonnerait et à la limite on se scandaliserait. Les gens penseraient de suite à une comédie.
Cela nous montre aussi le fossé qu'il y a entre une société vraiment chrétienne et une société désacralisée comme la nôtre aujourd'hui. Et nous devons vivre dans l'aujourd'hui. Mais alors comment faire ? Laissons de côté les hôtes. Recevons-les vraiment comme on reçoit le Christ et honorons-les le mieux que nous le pouvons tout en sachant à l'intérieur de notre coeur que ce ne sont pas seulement des hommes et des femmes que nous accueillons mais que c'est la personne même du Christ.
Mais nous devons encore aller plus loin car ça nous éveille à une autre réalité. Si nous devons adorer - Saint Benoît parle que nous devons adorer le Christ - si nous devons adorer le Christ dans la personne de nos hôtes, nous devons à fortiori l'adorer dans la personne de nos frères. Mais vraiment lorsque nous rencontrons un frère, lorsque nous le croisons dans le cloître ou au travail, n'importe où, nous devons être saisi d'émotion et de respect car en chacun des frères c'est le Christ qui vit, c'est Lui que nous rencontrons.
Si à ce moment-là - montons un petit scénario - si une fois nous avions une apparition dans le cloître, le Christ, ce serait quelque chose ! Quelle serait notre réaction? Eh bien, je n'en sais rien du tout, mais ce ne serait certainement pas l'indifférence. Eh bien, lorsque nous rencontrons un frère, c'est vraiment l'apparition du Christ. Le regard de notre cœur doit être assez éveillé, assez pur, assez chaste, assez aimant que pour reconnaître la Personne du Christ dans le frère.
Vous allez dire : Mais le frère, on sait bien, on en a fait le tour. On vit avec lui depuis si longtemps qu'on le connaît à fond. On connaît tous ses défauts, toutes ses qualités, enfin tout ce qu'il est au plan humain ça ne nous échappe plus. Mais si, il y a encore quelque chose qui nous échappe, c'est les profondeurs de son cœur, là où vraiment il est le Christ en devenir.
C'est pourquoi, à partir de ces quelques lignes que nous rappelle notre Père Saint Benoît ici, je pense que nous pouvons faire un petit examen de conscience et recevoir, disons, comme un petit coup de fouet qui nous éveille et qui va nous faire mieux comprendre la grâce de notre vocation, sa beauté et aussi son exigence.
Car puisqu'on parle de plus en plus de la dimension contemplative de notre Ordre, c'est dans des détails pareils qu'elle se montre, ce n'est pas dans toutes sortes de choses, de beaux thèmes spirituels sur lesquels on peut parler. Non, c'est dans les détails du frère que l'on rencontre et dans lequel on reconnaît le Christ. Cela, c'est la dimension contemplative de notre Ordre dans le réel, dans la pratique.
Eh bien voilà, demandons cette faveur les uns pour les autres et lorsque la communauté, comme ça en tant que Corps, le demande à Dieu, c'est accordé de suite. Rien que le désir de cette grâce de contemplation, c'est déjà accordé, le désir étant déjà cette grâce reçue. N'ayons donc pas peur de la demander les uns pour les autres.
Ma sœur, mes frères,
Saint Benoît dit que la Maison de Dieu doit être administrée sagement par des gens sages, 53,48. C'est logique ! Mais comment est-ce possible ? Eh bien Saint Benoît nous donne lui-même la réponse. C'est possible si les officiers du monastère sont des moines dont l'âme est remplie de la crainte de Dieu, 53,45.
L'Esprit Saint nous a dit que le commencement et le sommet de la Sagesse c'est précisément la crainte de Dieu. Il ne s'agit pas d'une crainte qui engendre la peur mais d'une crainte qui est toute pénétrée de respect, d'affection, de confiance. Or ce n'est possible que si la vie de ces moines est construite toute entière sur le roc solide de la foi.
Mais il ne s'agit pas d'une foi quelconque, il ne s'agit pas de la foi qui est une collection de dogmes que l'on possède parfaitement, non, il s'agit de la foi théologale qui est participation à l'être même de Dieu.
Dans la pratique - encore une fois - par un détail comme ceci nous pouvons comprendre que pour Saint Benoît, le moine après une certaine période d'évolution, de croissance, au moment où il peut lui confier des emplois sérieux, des emplois qui sont essentiels dans une communauté, que ce moine doit être un contemplatif parce que seul le contemplatif a une âme possédée par la crainte de Dieu. Les autres ne l'auront pas encore.
Il y a donc une croissance. Et au moment où le cœur, le nus est suffisamment purifié pour regarder, pour contempler, pour voir la lumière de Dieu et pour s'en nourrir, mais à ce moment-là on est véritablement établi dans la foi qui devient le moteur de toute l'existence.
Et étant établi dans la foi, on est aussi installé dans la crainte de Dieu et on est rempli de Sagesse. Il y a donc là une logique que Saint Benoît nous détaille bien ici et à laquelle nous devons être attentifs.
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Mes frères,
Depuis quelques jours, il est question dans la liturgie de Marie, la Mère de Jésus. Et ce n'est pas sans raison car c'est elle qui nous a donné Dieu. Sans elle, sans son consentement, sans sa foi, rien ne se serait passé, rien.
Le destin de l'humanité, le projet de Dieu a tenu, a tenu a un fil, il a tenu a un oui. Nous sommes, au moment de l'annonciation, tout ensemble sur un sommet et de grâces et de liberté.
Dieu a choisi Marie, il l'a façonnée dans son coeur dès avant la création elle-même. Mais Marie est toujours libre et de dire oui, et de dire non. Et Dieu a attendu comme nous-mêmes aurions attendu.
Et c'est ainsi que Dieu agit le plus souvent, qu'il agit toujours. Il dépose tout de lui entre les mains de sa créature et il attend. C'est en ce sens aussi qu'il peut être dit amour. L'Epître aux Hébreux nous rappelle que le Christ est venu pour faire la volonté de Dieu.
Et c'est justement cela. Dieu dépose tout son projet entre nos mains. Et lorsque nous entrons dans son vouloir, ce projet se concrétise et nous le poussons plus loin vers sa réalisation. Or ce projet, nous le savons, c'est de faire de tous les hommes ce que Dieu est lui-même, pure lumière et pur amour, et de faire de chacun des hommes un Dieu.
Nous aimerions en savoir davantage au sujet de Marie. On ne nous dit d'elle presque rien, uniquement qu'elle est jeune, qu'elle est vierge et qu'elle est fiancée. C'est l'essentiel, c'est énorme !
Mais nous voudrions connaître son visage, voir son portrait, sa taille, savoir tout d'elle. On nous décrit dans le détail l'épouse du Cantique des cantiques, mais de Marie on ne nous dit rien. Pourtant Marie ne peut lui être inférieure en beauté, elle qui est Mère de la beauté, qui est Mère de la lumière et de l'amour. Nous le saurons plus tard au jour béni de notre résurrection. Nous devons vivre aussi un peu de cette espérance de pouvoir dévisager un jour le regard de notre mère.
Et aujourd'hui, nous apprenons qu'elle est engagée sur le chemin d'un bonheur sans fin lorsque Elisabeth lui dit : Heureuse es-tu toi qui as cru. En fait, elle n'a pas utilisé un adjectif dans sa langue à elle mais un substantif au pluriel qui signifie : collection indéfinie de bonheurs pour toi qui as cru, et des bonheurs toujours différents et toujours nouveaux.
Et voilà ce qui nous attend si comme Marie nous ouvrons nos mains aux vouloirs bénis de notre Père.
La source de ces bonheurs, ce fut la foi de Marie et uniquement sa foi. Elle a fait confiance, elle a dit oui. Et Dieu, et la création nouvelle toute entière, et l'immensité de l'amour ont fait irruption en elle avec une telle intensité, une telle réalité que Dieu s'est fait chair dans son sein.
Il se passe quelque chose d'analogue avec nous, car lorsque la Vie divine entre dans notre coeur, nous devenons nous-mêmes des enfants de Dieu. Il y a une sorte d'enfantement de Dieu en nous.
Si nous le croyons vraiment, si nous le savions mais avec toutes les cellules de notre coeur et de notre chair, nous n'aurions pas d'autre objectif dans l'existence que de faire la volonté de Dieu, quelle qu'elle soit. Et lorsque Marie a dit oui, la métamorphose de l'univers entier commençait en elle et rien ne pourra jamais l'arrêter.
Vous voyez, mes frères, c'est à partir de détails insignifiants - comme celui-ci - que nous découvrons le caractère résolument, absolument optimiste de notre foi chrétienne. Je le rappelle, tout est suspendu à un oui. Et qu'est-ce que c'est qu'un oui ? Depuis Marie, Dieu est avec nous, en nous et pour nous, depuis Marie et grâce à Marie. Si bien que nous pouvons croire que tout est gagné, que tout est définitivement gagné et que notre joie, notre joie profonde, rien ne pourra nous l'enlever, rien ni personne quoi qu'il arrive.
Certes il y eut la croix. Sur le chemin de Marie aussi, elle était présente, debout au pied de la croix. Elle n'a rien fait pour empêcher le drame. Elle l'a eu jusque là dans la confiance et dans l'amour. Oui, il y a eu la croix et l'échec ..?.. humaine, mais l'amour est demeuré invaincu. Et ainsi il a été le triomphe définitif dans la résurrection et la vie impérissable.
Mes frères, voilà un petit et très bref éclair sur la destinée de Marie et sur la nôtre en elle. Car elle est notre mère, et nous sommes ses enfants, et elle partage tout avec nous. Noël est sa fête et sa gloire. Félicitons notre mère Marie déjà aujourd'hui dans notre coeur.
Amen.
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Mes frères,
Nous nous pencherons aujourd'hui sur un phénomène qui n'est pas rare dans le monde scripturaire et qui m'a frappé dernièrement au cours de ma Lectio et encore en entendant la proclamation de la Parole au cours de l'Eucharistie. C'est la façon imagée, quasi géométrique, de présenter des situations. Je vais vous le montrer pour ce qui regarde la double annonciation, celle de Zacharie et celle de Marie.
Lorsque nous voyons les deux récits, nous remarquons qu'ils sont construits de façon parallèle. Mais si notre regard perce les apparences et va jusqu'au coeur de l'intention spirituelle, nous remarquons des choses très belles. Je vais essayer de vous la décrire.
Nous voyons un triangle. C'est un triangle isocèle, les deux côtés sont identiques. Au sommet se trouve Dieu dans la toute puissance de son amour. Il est amour et étant amour, il est don de lui, II est gratuité mais il est aussi toute puissance.
C'est à dire, ce que son amour a cherché, ce que son amour a voulu, ce qui est monté à son coeur, il ne peut pas s'empêcher de le réaliser. Et il a les moyens de le faire, des moyens très humbles, des moyens tous simples, des moyens qui ne sont pas, je dirais, publicitaires pour lui.
Non, il fait ça quasiment dans le secret, dans l'ombre. D'ailleurs il est bien dit pour ce qui regarde la Vierge Marie : L'ombre du Puissant va descendre sur toi. Marie va être mise dans une ombre. Elle ne sera pas mise en plein soleil, elle ne sera pas une vedette. Non, elle sera cachée dans l'ombre de Dieu.
Et au dessus, nous avons un nom. Chaque fois les noms sont bien définis. Et les noms sont importants, les noms sont chaque fois un programme.
Il y a l'ange Gabriel qui est tout au dessus, Gabriel qui signifie " Force de Dieu" ou "Dieu est fort" ou "Dieu est un héros" ou "Dieu est vraiment celui qui est capable de réaliser ce qu'il a cogité". Voilà, c'est ce Gabriel qui est là !
Puis sur un versant, on a Zacharie, Elisabeth, Jean. De l'autre côté on a Joseph, Marie, Jésus. Les deux versants sont rigoureusement parallèles. Et chaque fois, chaque fois on attire l'attention sur le nom.
Voyons d'abord le côté qui pour moi est le côté gauche. Vous avez d'abord Gabriel. Donc au-dessus voyez Dieu dans la puissance très humble de son amour.
Zacharie - Elisabeth - Jean.
Zacharie : Dieu s'est souvenu. Il s'est souvenu de quoi ? Mais Dieu s'est souvenu qu'il avait un projet, que le temps était arrivé de réaliser ce projet, de le pousser plus loin, de le faire arriver à une maturité décisive car va s'introduire la nouveauté absolue à l'intérieur du cosmos. Donc Zacharie signifie : Dieu se souvient.
Voilà donc Gabriel qui converse avec Zacharie. Et voilà, c'est Dieu qui rappelle aux hommes qu'il a quelque chose à leur dire, qu'il n'avait pas oublié. Mais voilà, tout son long projet depuis la création du monde et même avant, le voilà que Dieu le prend. Et il est arrivé à un point où vraiment Dieu va le conduire à l'étage plus haut. Dieu se souvient.
Mais Dieu se souvient de quoi ? Eh bien, on a en dessous Elisabeth. Eh bien, Elisabeth signifie : Dieu en a tait le serment. Il se souvient de son serment. Il avait promis quelque chose.
Ce qu'il avait promis ? Eh bien, il avait promis que l'alliance qu'il avait noué avec les hommes, qu'il avait précisé dans un homme bien nommé Abraham, et que cette alliance, elle était irréversible.
Et II avait fait le serment qu'un jour, de cette race, de ce peuple, il sortirait un être, un homme qui serait Lui sur la terre et qui, voilà, introduirait vraiment un règne nouveau, un règne de Justice, d'Equité et d'Amour dans lequel tous les hommes seraient invités à entrer.
Et puis voilà, cela allait se concrétiser dans un premier temps dans celui-là, dans un certain Jean. Son nom sera Jean. Jean, ce qui signifie : Dieu fait grâce. Le moment est venu pour Dieu de taire grâce, donc de prendre tous les hommes dans son amour, d'oublier toutes leurs forfaitures et puis de les prendre tous à l'intérieur de Lui. Dieu fait grâce.
Maintenant, rappelez-vous lorsque nous chantons le Benedictus, il est bien dit : Il se souvient de son alliance, du serment fait à nos pères, de faire grâce. Vous voyez, c'est tout à fait ça. Dans le Benedictus, vous avez ces trois étages et c'est chaque fois le nom de Dieu. Donc si on le chantait en hébreux, on aurait dans le texte Zacharie, Elisabeth, Jean.
Maintenant il y a l'autre versant. Eh bien là, il y a d'abord de nouveau un homme, et cet homme est Joseph. Dans le récit, Joseph est nommé avant Marie. Et que signifie Joseph. Eh bien Joseph, c'est un peu abrégé, cela signifie : Dieu ajoute, Dieu en remet. Donc Dieu pousse les choses plus loin. Et il les pousse, il les pousse maintenant jusqu'au terme ultime où il ne lui est pratiquement pas possible d'aller plus loin dans l'expression de son amour.
Mais comment ? Qu'est-ce qui va arriver ? Eh bien, voilà que Joseph a une fiancée qu'il va épouser. Et cette fiancée s'appelle Marie. Or Marie, Myriam plus précisément, signifie, nous le savons tous, la myrrhe, donc un parfum, un parfum qui est une mer, un océan.
Voilà donc Dieu qui va, disons, mettre le comble à sa générosité en se répandant sur l'humanité entière, et même sur toute la création, à la manière d'un parfum, d'un océan de parfum qui va transfigurer l'univers entier. Donc voilà ! Et puis au terme, il y a de nouveau un petit enfant qui deviendra un homme et qui s'appelle Jésus, c'est à dire Dieu réalise le salut définitif du monde.
Mais attention, il faut bien comprendre ce que signifie le salut. Le salut, cela signifie qu'on pourra commencer à respirer. C'est cela le salut ! C'est quelque chose qui se dilate. On n'est plus resserré. C'est le contraire de l'angoisse en hébreux, le salut. C'est la dilatato. Saint Benoît dira dilatato corde curritur, Pr.114. On court sur la voie des commandements de Dieu avec un coeur de plus en plus dilaté. On n'est plus court d'haleine, on a du souffle. C'est cela Jésus, on a du souffle.
Et ce souffle-là qui dilate le coeur et puis qui va dilater vraiment toute l'humanité, c'est l'Esprit Saint qui sera donné. L'Esprit de Dieu va te prendre sous son ombre, c'est cela. Il va descendre dans Marie et puis il va susciter Jésus qui, étant Dieu avec nous, va vraiment donner à l'humanité sa plénitude de respiration qui sera l'Esprit Saint, qui sera Dieu dans l'humanité et l'humanité devenant divinisée.
Donc le terme du salut, c'est la divinisation de l'homme, c'est la divinisation de tous les hommes et c'est vraiment aussi la divinisation du cosmos, Dieu au terme étant tout en toute chose. Et voilà que cette nouvelle période, ces temps nouveaux ont commencé. Ils commencent à ce moment-là.
Vous voyez la structure parallèle en forme de triangle avec au-dessus Gabriel qui est le représentant de Dieu, qui est Dieu dans sa puissance.
Et vous avez alors le chiffre 7 - 1 au-dessus et 3 de chaque côté qui signifie - c'est toujours bon de le rappeler - l'union du divin et de l'humain, l'union du ciel et de la terre, l'union de Dieu et des hommes.
Il y a donc un mariage qui va s’opérer entre les deux et qui sera irréfragable. On ne pourra jamais les séparer. Il n'y aura pas de divorce possible. Pourquoi ? Parce que dans la Personne du Seigneur Jésus il y aura les deux natures indissolublement liées, la nature divine et la nature humaine.
Et c'est la raison aussi pour laquelle au début de l'Eglise, les Pères de l'Eglise ont été tellement féroces à ce sujet, sur d'abord la nature divine du Seigneur Jésus, et puis sur les deux natures en Lui. Parce que c'était donc l'univers entier qui, dans la Personne de Jésus est marié à Dieu.
Et voilà, ça c'est pour jamais. Il n' y a pas de divorce possible parce que nous avons la Personne du Christ-Jésus qui est unique dans ses deux natures. Et ça, c'est le 7 ! Mais voilà, je pense que cette petite méditation pourra nous aider à mieux vivre par l'intérieur le mystère de Noël que nous allons inaugurer demain après-midi aux Premières vêpres.
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Mes frères,
Cette nuit, Dieu est devenu un petit paquet de chair dans une mangeoire. C'est insignifiant, ce n'est presque rien. Et on nous dit que pour le trouver, nous devons remonter la pente de notre vie et redevenir des enfants démunis de tout, totalement impuissants, attendant tout, recevant tout des autres exactement comme Lui a voulu devenir.
Alors, mes frères, pourquoi en nous cette répugnance à suivre ce chemin ? Pourquoi nous débattre sans fin contre Dieu et contre son projet ? Pourtant, au terme de notre retournement, de notre conversion, c'est une métamorphose, c'est une transfiguration qui devient notre partage. Parti homme, nous nous retrouvons Dieu. Hélas, personne à peu près n'ose le croire. Mais pourquoi encore ? Pourquoi ?
Eh bien, parce que nous sommes des animaux. Il y a en nous une puissance charnelle qui nous domine et qui nous écrase. Nous sommes tous des esclaves de cette chair de péché. Et par chair, j'entends la totalité de notre nature d'homme depuis notre intelligence jusqu'à nos instincts les plus sombres. Voilà ce que nous sommes et nous n'osons pas croire que Dieu puisse prendre possession de nous et faire de nous ses véritables enfants.
L'Apôtre vient de nous le dire : Dieu nous a donné le pouvoir de devenir ses enfants. Oui, le Christ-Jésus, ce Dieu avec nous et pour nous, entend nous donner la grâce d'une nouvelle naissance. Et celle-ci s'opère par le moyen de la foi en lui.
Cela signifie dans la pratique que nous devons lui remettre le tout de notre vie, que nous devons le laisser nous pénétrer et nous transformer insensiblement. C'est une naissance très lente, mais au regard de notre éternité, elle est extrêmement rapide.
Oui, c'est une authentique naissance à un univers nouveau, celui des trois Personnes divines. Nous ne pouvons pas imaginer ce que cela représente, nous ne pouvons même pas le concevoir, mais lorsque nous y sommes nous le voyons. C'est par l'intérieur de cette naissance que nous pouvons savoir ce que signifie être enfant de Dieu et participer à la nature divine.
Et c'est vraiment une merveille ! Car si nous devenons Dieu, en même temps nous restons homme et de plus en plus parfaitement homme. Nous conservons notre nature humaine, nous recevons la nature divine et notre nature humaine est portée sur des sommets toujours plus élevés de perfection.
Nous passons d'une vie mortelle à une vie éternelle. Mais que signifie cette vie éternelle ? Encore une fois, nous ne pouvons le savoir que lorsque nous la sentons palpiter en nous. Nous voyons Dieu par l'intérieur de lui-même et nous nous voyons nous-mêmes comme il nous voit. Nous nous voyons dans la lumière et dans l'amour.
Bref, nous devenons avec lui un seul être et le monde est à nos pieds, c'est à dire que nous sommes parfaitement libres. Nous sommes délivrés de ce qui en nous nous enserrait, ce qui nous empêchait de regarder, ce qui nous empêchait d'écouter. Nous sommes devenus les maîtres du monde parce que nous sommes devenus par grâce les maîtres de nous-mêmes.
Mais alors, encore une fois, pourquoi cette répugnance à naître de Dieu ? Tout simplement parce que nous avons peur. Nous sommes des êtres dominés par la peur. Nous plaçons notre sécurité dans notre état d'adulte fort, intelligent, entreprenant, expérimenté et nous ne voulons pas régresser à l'état d'enfant.
Or, redevenir enfant, ce n'est pas une régression, c'est une promotion. C'est s'ouvrir à la démesure au lieu de se crisper sur soi, c'est accueillir la plénitude d'un avenir merveilleux au lieu de fermer frileusement les mains sur quelques paillettes qu'il faudra tout de même bien lâcher un jour. Noël nous rappelle doucement la beauté de notre véritable destinée. Dieu s'est fait homme pour faire de nous des Dieux.
Et mon souhait en ce jour, mon souhait qui est aussi le sien exprimé par ma bouche, le voici : c'est que nous le croyions, c'est que nous nous donnions à ce Dieu qui s'est fait homme pour nous et que nous allions jusqu'au bout de notre enfance enfin retrouvée.
Amen.
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Mes frères,
Saint Etienne est considéré à juste titre comme le premier des martyrs. On pourrait tout aussi bien affirmer qu'il est le premier des contemplatifs chrétiens car, au moment de son martyre, il est dit que levant les yeux vers le ciel, il vit la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu.
Cette vision de la gloire divine et cette vision du Christ ressuscité est l'ambition suprême des moines depuis l'origine. Ils avaient devant eux des exemples, Moïse et Elie qui se sont trouvés présents au moment où le Christ a été transfiguré sous les yeux des trois apôtres choisis pour gravir avec lui la montagne.
Mais la gloire de Dieu ? Que faut-il entendre par la gloire de Dieu ? Eh bien, mes frères, la gloire de Dieu, c'est la lumière suressentielle, c'est la lumière qui resplendit à partir de l'être le plus profond de Dieu.
Naturellement il nous faut des mots pour exprimer cette réalité qui en soi est absolument ineffable. Et réellement, l'oeil du coeur perçoit ce qu'il interprète comme une lumière, mais en fait ça pourrait tout aussi bien être une musique.
Disons que c'est les deux ensembles : c'est une lumière musicale ou bien une mélodie lumineuse. Toujours est-t-il que cette beauté divine extraordinaire resplendit à partir de la personne du Christ, du Christ ressuscité, du Christ transfiguré. C'est elle que les apôtres ont contemplé quelques instants sur la montagne sainte.
Donc cette lumière, elle nous vient toujours à partir du Christ et à travers lui. Il est le canal obligé entre la Trinité et nous. Il est impossible de passer à côté. S'il se passait quelque chose à côté, ce serait de l'illusion. Tout nous vient absolument par le Christ.
Et cette lumière qui procède du Père, qui passe par le Christ et qui arrive à nous, nous pouvons sans crainte de nous tromper l'assimiler à la Personne de l'Esprit Saint. Et il est donc normal que pour voir cette lumière, il faille être rempli de l'Esprit Saint. C'est ce qui est dit ici d'Etienne : Etant empli de l'Esprit Saint, il vit la gloire de Dieu et Jésus.
Mais au début, tout au début du récit il est dit que Etienne - dont le nom signifie couronne - était, encore une fois, rempli de charismes, de grâce et de dynamisme, de puissance, de force. Il était rempli de grâce, de force qui étaient, disons, les deux manifestations quasi incarnées en lui de la présence de l'Esprit Saint qui est l'éclat de la lumière de Dieu.
Il était rempli, cela signifie qu'il n'y avait plus un seul endroit en lui qui en fut vide. Tout de lui était pénétré par l'Esprit, était devenu grâce et puissance. Etienne était donc entièrement spiritualisé, entièrement divinisé. L'énergie divine le possédait et, si bien, qu'il était divinement beau.
Ceux qui étaient là avec lui, donc qui l'écoutaient, qui le regardaient, ont vu son visage - comme il est dit ici - comme celui d'un ange. Donc il avait une beauté qui dépassait de loin la beauté de l'homme.
Cela ne veut pas dire que s'il s'était présenté dans un concours de beauté il aurait décroché le premier prix. Il n'aurait pas été une sorte de miss univers au masculin. Non, c'était un autre type de beauté, c'était la beauté même de Dieu qui transparaissait sur son visage.
Et c'est cela être plein de grâce. D'ailleurs le mot français dit cela aussi. Un être gracieux, un être plein de grâce est un être très beau, spirituellement et moralement beau surtout, pas nécessairement physiquement.
Et voilà donc notre Etienne, il est donc devant tous ces hommes qui sont les chefs de son peuple. C'est le haut clergé et tous les théologiens de son temps. Il est là devant eux. Et il est le témoin d'un autre univers, celui de Dieu et celui du Christ. Il en est le témoin parce qu'il y est introduit et qu'il est possédé par lui. Car cet univers de Dieu, pour y entrer, il faut en être possédé.
Le Christ l'a dit lui-même : Celui qui m'aime, c'est à dire celui qui s'unit à moi par toutes les fibres de son être, celui qui n'hésite pas à faire ce que Saint Benoît demande à son disciple, des choses impossibles, donc qui ne recule pas devant ce qui lui est demandé même si apparemment cela semble dépasser ses possibilités, et bien celui -là il aime le Christ. Et à ce moment-là comme le Christ l'a dit, II vient avec son Père et ils établissent chez lui, auprès de lui, en lui leur demeure.
Voilà donc la Trinité, voilà la ciel, qui se trouvent dans le cœur d'un homme. Il est donc littéralement possédé par Dieu. Il arrive au sommet de son évolution spirituelle et humaine. Et à ce moment-là, il sait ce qu'est l'univers de Dieu parce qu'il s'y trouve. Il l'a en lui et d'un autre côté il s'y trouve !
Vous voyez, il est totalement enveloppé par cet univers. Il voit la lumière, il voit le Christ. On ne peut pas lui enlever cela. Pour lui, c'est une évidence absolue. Et voilà notre Etienne qui est témoin de cet univers devant des hommes qui, eux, en sont exclus. Pas définitivement, car parmi eux se trouve un certain Saul qui est sans doute un des plus grands théologiens juifs de l'époque, un premier de classe.
Il est là et il en est exclu maintenant, le Saul, mais il ne le sera pas toujours. Personne n'est exclu de cet univers. On peut l'être temporairement pour toutes sortes de raisons qui nous échappent mais qui peuvent aussi et d'abord surtout tenir aux personnes elles-mêmes.
Et cette situation de témoin de l'univers de Dieu est très inconfortable. Elle est merveilleuse naturellement, mais inconfortable. Elle heurte de front les évidences sur lesquelles s'appuient les autres. Mais elle les heurte de front et c'est une collision. Et voilà, c'est un accident.
Les autres emprisonnent le divin, ils emprisonnent Dieu, ils emprisonnent l'univers de Dieu dans des catégories humaines, dans des catégories charnelles. Si bien que l'évidence raisonnable se dresse contre l'évidence de la foi et, c'est un conflit irréconciliable.
Faisons bien attention à ceci ! Evagre le Pontique dit : Si tu pries, c'est à dire si ayant écouté cette mélodie qu'est la Trinité, tu l'accueilles en toi et que l'accueillant en toi, tu vois l'univers de Dieu, tu y es accueilli, à ce moment-là, à ce moment-là seulement tu peux te dire théologien.
Tu as le droit de parler de Dieu parce que tu lui es devenu semblable par toutes les cellules de ton être. Et puis tu es chez lui, tu es possédé par lui, donc tu peux en parler. Seulement, tu n'auras pas de mots pour le dire, mais tu en parleras par toute ta conduite. Cette lumière que tu vois, mais fatalement elle finira par rayonner de toi par ta conduite, par tout ce que tu feras.
Et peut-être pourras-tu parfois aussi l'exprimer, mais sous forme poétique, par des images comme un Siméon le Nouveau Théologien ou bien un Jean de la Croix qui expriment leur vision, leur expérience existentielle de cet univers de Dieu sous forme de poèmes. Voyez, c'est cela. Alors on est vraiment théologien.
Cela ne veut pas dire ici maintenant que je jette le mépris sur les autres théologiens. Loin de là, il en faut ! Mais attention : comme il est toujours dit, la raison doit être au service de la foi. Ici attention encore toujours aux illuminés. Là est le risque, là est le danger. Et c'est ce qui s'est passé ici, Etienne a été pris pour un illuminé.
Pourtant ils auraient dû voir, ils auraient dû comprendre que par sa conduite plus encore que par ses paroles il disait des choses qu'un homme livré à ses propres forces est incapable de dire. Et d'ailleurs, ils voyaient son visage comme celui d'un ange. Mais voilà, la passion leur a fait perdre le sens. Et voilà, ce fut le conflit irréconciliable.
Et voilà, Etienne est lapidé, Etienne meurt. Que se passe-t-il alors ? Eh bien ses adversaires héritent de son cadavre mais l'esprit d'Etienne s'échappe. Il le dit : Seigneur Jésus reçoit mon esprit. Et voilà, c'est fait.
L'esprit d'Etienne, mais c'est cette lumière, c'est cet Esprit Saint. Il retourne vers celui qui l'a donné. Et c'est tout Etienne qui est reçu par le Christ, tout lui. Et alors, il ne peut laisser son cadavre à ses adversaires comme ça, il va prononcer une parole de réconciliation en disant : Seigneur ne leur impute pas ce péché.
Mes frères, telle est la situation extraordinaire, merveilleuse, mais combien difficile et périlleuse du contemplatif. Et c'est une des raisons sans doute pour lesquelles il s'en trouve si peu, parce que encore une fois elle est dangereuse. On peut passer toute sa vie sans se heurter ainsi. Naturellement la dramatisation qu'a vécu Etienne, ce n'est pas le lot de chaque contemplatif. Mais tout de même, il n'en manque pas dans l'histoire qui ont été livrés comme lui.
Il y a, mettons pour en citer deux que j'ai cité tantôt, il y a Simon le Nouveau Théologien, et puis Jean de la Croix, et encore bien d'autres. N'allons pas maintenant penser que ça va nous arriver à nous et dire: quel malheur ! Et puis, comme dit Saint Benoît, étant effrayé, épouvanté, prendre la fuite.
Non, mais il y a toujours cet affrontement en nous entre la raison et puis cette foi qui nous permet de transcender absolument tout ce qui est charnel, tout ce qui est apparent, et qui nous ouvre alors à cet univers de Dieu, et à la lumière, et à cette mélodie extraordinaire qu'est celle des trois Personnes de la Trinité.
Et puis il y a en nous tout ce poids, ce pondus carnis, ce poids de la chair, ce poids de la raison qui ne peut pas - ou très difficilement décrocher de ce qui le rive à la matière et à toutes les passions.
Mais voilà, nous sommes ici pour être purifiés de tout cela, pour être allégés et ainsi devenir diaphane, limpide, transparent dans l'amour et pouvoir recevoir en nous la plénitude de Dieu de manière à pouvoir le rayonner aussi très simplement et très gentiment.
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Mes frères,
Nous devons être suprêmement attentifs à ce que l'Esprit Saint nous dit en cette période de Noël où nous commémorons l'incarnation de notre Dieu. Nous devons savoir que le terme ultime de notre vocation contemplative, c'est de faire de chacun de nous ce qu'une sainte carmélite appelait : une humanité de surcroît pour le Christ.
Aujourd'hui, nous avons entendu l'Apôtre Jean nous dévoiler quelques beautés de ce mystérieux travail opéré en notre coeur par l'Esprit de Dieu. Vous aurez peut-être remarqué que le début de son Epître recoupe exactement le début de son Evangile.
Il disait dans l'Evangile : Au commencement était le Logos, la Parole de Dieu. Ici il nous dit : Ce qui était au commencement, la Parole de vie. Il a donc de la suite dans les idées. Il entre au coeur, disons, de ces affirmations. Il y a toute une incise qui est extrêmement importante pour le propos de notre vie contemplative.
N'oublions pas que Jean est considéré comme le premier des théologiens car il a été le plus grand des contemplatifs. Il est pour nous un modèle vers lequel nous devons tendre, que nous n'atteindrons jamais mais qu'il est toujours bon d'avoir devant les yeux.
Vous savez aussi que Saint Augustin a donné un commentaire extraordinaire de la première Epître de Jean, le plus beau sans doute qui ait jamais été écrit, qui est d'une pertinence et d'une justesse parfaite. Mais ce qu'il a dit est encore malgré tout bien en deçà de la réalité que nous pouvons saisir intuitivement. Et là, nous sommes dans l'ineffable pur.
Et voici ce que nous dit l'Apôtre. Il décrit tout le mouvement de la vie contemplative. Je traduis du grec comme ça. Ce ni est peut-être pas exactement comme ça dans les livres liturgiques qui sont beaucoup plus littéraires. Moi, je me colle ici au sens littéral.
Ce qui était à partir du commencement, ce qui était au commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché au sujet de la Parole de vie, et puis alors il continue.
Comme il s'agit ici du Logos, donc de la Parole, Dieu se dit à lui-même qu'il est. Et le contemplatif élevé dans la sphère du divin entend cette Parole, il entend Dieu qui se dit à lui-même. Donc puisqu'il s'agit d'une parole, la première perception est une écoute. C'est une audition.
Et j'écoute, non seulement avec les oreilles de mon coeur, mais par mon être entier. Donc l'écoute au plan physique n'est pas seulement par l'oreille, mais elle l'est par tout le corps. D'ailleurs, lorsque le bruit est trop fort, nous tremblons. Lorsqu'un avion perce brusquement le mur du son, nous réagissons dans tout notre être.
Donc, nous vibrons à cette Parole de Dieu.
Et cette Parole, à partir de notre coeur où elle a établi son temple, elle fait vibrer tout notre être qui devient donc comme une grande caisse de résonance, comme un instrument à travers lequel la Parole doit pouvoir se dire de façon nouvelle, originale, unique suivant chacun d'entre nous.
Donc, nous sommes ici en plein dans la vie contemplative qui est tout à la fois passive - on résonne - mais qui est tout de même active parce qu'il s'agit d'être attentif à ce qui se passe. Il faut vouloir écouter.
Je peux me boucher les oreilles, boucher les oreilles de mon coeur pour ne pas entendre. J'aurais alors, comme dit l'Ecriture, un cœur gras. Je le barde de graisse pour qu'il devienne sourd. Donc l'art spirituel est avant tout un art de l'écoute.
Si je reçois Dieu ainsi à l'intérieur de sa Parole, si je le reçois par tout mon corps, je suis aux antipodes de l'idéalisme, cet idéalisme platonicien qui voit dans le corps une prison dont il faut se libérer. Mais non, dans la réalité chrétienne, le corps est l'instrument qui nous permet d'écouter Dieu et de le capter, de le faire entrer en moi de manière à ce que tout moi vibre de lui.
Puis l'Apôtre nous dit : Ce que nous avons vu de nos yeux. Donc en second lieu, voici la vision. Les yeux reconnaissent ce que les oreilles ont entendu. Il y a en chacun de nous du fait que nous sommes créés et que nous sommes aimés, il y a une attente de Dieu. Il y a une sorte de parenté avec Dieu, lointaine naturellement, mais tout de même il y a une harmonie entre lui et nous. Si bien que c'est que je perçois sa Parole et que mon être vibre à cette Parole, mon attention devient plus forte, je regarde et je le reconnais.
Donc, je ne le découvre pas pour la première fois. Non, je le connais déjà mais de façon extrêmement obscure du fait qu'il me crée. Et voici que ayant entendu sa voix, je reconnais son visage. Je commence donc à le voir. Donc mon être entier est vraiment totalement investi, mon coeur est captivé et mes yeux admirent. Voilà, nous sommes encore un peu plus loin dans la vie contemplative.
Mais pour l'Apôtre ce n'est pas encore tout. Il dit : Ce que nos mains ont touché. C'est même plus que toucher, ce n'est pas un toucher léger mais c'est presque ce que nos mains ont frotté, touché, caressé. Vraiment nous touchons Dieu de toute notre main, pas seulement avec le bout des doigts.
Et ici, nous pourrions nous demander : Mais comment est-il possible de toucher Dieu ? Eh bien, à l'intérieur d'une expérience contemplative, il est possible de le toucher parce qu'on est touché par lui. C'est lui donc qui nous touche de façon extrêmement délicate et douce. Et à l'intérieur de ce toucher de Dieu sur nous, nous-mêmes le touchons. Et c'est une découverte extraordinaire.
Mais l'Apôtre s'est arrêté là. Il aurait encore pu aller plus loin. D'autres contemplatifs ont poussé, je dirais, la description de leur expérience encore plus loin et ils diront : Mais je peux goûter Dieu. Il y a une sapor, je goûte Dieu. Donc le sens du goût est aussi atteint.
Et on dira même : Je sens Dieu, je sens le parfum de Dieu, bonus odor Christi. Vous savez que un critère de sainteté autrefois était la bonne odeur que dégageait le corps mort. Pourquoi ? Mais c'était Dieu habitant ce corps et en faisant son temple qui l'avait vraiment oint de ce qu'il était, c'est à dire une bonne odeur.
Enfin, l'Apôtre ne va pas si loin que ça, il s'est arrêté, lui, au fait de toucher. Et donc, la vie contemplative saisit l'homme global. C'est donc un même acte qui est tout ensemble audition, vision et toucher.
Mais vous allez dire : L’Apôtre, ici, il parle du Christ qui était vraiment un homme qu'on a pu entendre parler, qu'on a pu voir et puis qu'on a pu toucher ? C'est vrai, mais le Christ, le Verbe de Dieu devenu homme une fois pour toute, étant aujourd'hui ressuscité et transfiguré, il est quand même toujours possible et de l'entendre, et de le voir, et de le toucher et peut-être encore maintenant beaucoup plus facilement qu'avant, nous dirons, sa mort et sa résurrection.
Pourquoi? Mais parce que quand il était là, disons, exactement comme l'un d'entre nous, c'était tout de même circonscrit à un petit pays et à un petit groupe d'hommes. Tandis que maintenant dans son état de ressuscité, il est à la disposition de chacun d'entre nous et de chaque homme.
Et si nous sommes appelés à la vie contemplative, c'est pour faire cette expérience-là au nom de tous les autres qui n'y pensent pas, qui ne savent pas même que c'est possible, qui sont à mille et mille lieues de ça, qui ont d'autres préoccupations que de chercher Dieu, que de chercher le Christ, et de le rencontrer, et d'entrer en communion tellement intime avec lui.
Donc, nous sommes ici ambassadeurs pour les autres hommes qui sont nos frères. Et cette expérience peut se faire en tout lieu maintenant par tous ceux qui sont appelés. Elle n'est donc pas circonscrite à un petit groupe de disciples.
Mais il y a encore un mot avant d'aller à l'Office, un tout petit trait encore - vous savez, on pourrait s'arrêter ici des semaines entières - mais un tout petit trait qui m'a encore frappé ce matin. C'est que il y a, il dit ici : nous vous l'annonçons afin que vous soyez en communion avec nous, et entrant en communion avec nous que vous entriez en communion avec la Trinité. Il faut oser le dire, une chose pareille!
Eh bien, c'est ceci : c’est que celui qui fait cette expérience de Dieu, de cet univers dans lequel il est plongé, qui l'investit de toute part, celui-là il éprouve un besoin incoercible de l'annoncer, de le partager avec les autres. Donc, la vie contemplative ne crée pas l'isolement, mais elle pousse à la communion et à une communion parfaite.
Cela ne veut pas dire maintenant que nous devons courir les rues et crier tout cela. Non, ce n'est pas notre rôle, nous sommes tout de même dans un désert. Mais ce désert n'est pas un isolement. Et lorsque une personne vient à nous, et qui est ouverte, et qui est appelée, disons, plus ou moins à entrer comme ça en communion avec Dieu et son univers, il ne faut pas avoir peur de lui présenter les choses telles qu'elles sont. Car à l'expérience, je puis vous dire que la personne est capable de l'entendre. Mais voilà, il faut faire ça avec discernement.
Enfin, voilà tout ce qui est écrit. Et ça, dit-il, nous devons le faire pour que notre joie soit complète. Donc notre joie complète est dans une communion parfaite avec la Trinité et tous les hommes, et cela dans la Personne du Christ que nous entendons, que nous voyons et que nous touchons.
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Mes frères,
Le récit du massacre des innocents recèle une parole secrète que nous allons écouter ensemble si vous le voulez bien. Chaque épisode biblique d'ailleurs vibre d'une multitude d'harmoniques qu'une oreille exercée peut percevoir.
Voyez l'art de l'écoute qui est vraiment l'occupation essentielle du contemplatif. Nous n'aurons pas assez de toute l'éternité pour épeler ces harmoniques. Mais il en est certaines qui sont tellement fines, tellement délicates, tellement profondes que nous les percevons à peine.
Et en voici une - à propos de ce récit - qui nous ouvre des horizons immenses sur Dieu et son univers, horizons qui vont nous établir dans une heureuse humilité.
Hérode fait donc massacrer des enfants de moins de deux ans. Ces tout petits n'ont pas encore une conscience éveillée, ils ne savent même pas qu'ils existent. A fortiori ils n'ont absolument pas la moindre idée d'un Messie et de son Royaume. Or, ils sont vénérés pour ce qu'ils sont : d'authentiques martyrs. Ils sont donc - par leur mort - témoins de Dieu, de son projet, de son univers et ils le sont de manière inconsciente et involontaire. Mais ils le sont tout de même.
Alors, il est donc possible d'être témoin de Dieu, d'être témoin du Christ sans le savoir. A l'extrême, on peut être témoin tout en étant dans l'ignorance totale de Dieu et de son mystère. Mieux encore, on peut l'être tout en étant plongé dans l'agnosticisme et l'athéisme. Pour être témoin de Dieu, il faut et il suffit tout simplement d'aimer.
Tout homme maintenant, quel qu'il soit, qui est possédé par l'amour, l'amour d'autrui, et qui en vit est un témoin de Dieu. Dieu est amour et celui qui est dans l'amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui. Il n'est pas fait de distinction entre les qualités de cet homme qui est installé dans l'amour.
Vous allez me dire: Mais est-ce qu'il est possible d'aimer vraiment en dehors du christianisme ? Je sais que c'est très difficile, très, très difficile. Seulement, ce qui est impossible à l'homme, ne serait-il pas possible à Dieu ? Ne pourrait-on pas trouver dans le paganisme, dans l'athéisme des hommes qui soient sans le savoir investis par Dieu et par son amour ?
Je pense que les enfants qui ont été tués à cause du Christ nous donnent une réponse qui doit être affirmative. Ces enfants n'avaient commis ni bien ni mal. Encore une fois, ils n'étaient pas mêmes conscients de leur existence propre.
Tandis qu'un homme, lui, étranger à la religion chrétienne, il peut avoir naturellement beaucoup de délits sur la conscience, c'est bien vrai ! Mais n'empêche, il peut arriver tout de même un moment où, voilà, quelque chose se passe en lui qui l'ouvre sur ce que lui va interpréter comme des sentiments d'altruismes, de bonté, de bienveillance, de compassion, d'amour qui le font s'oublier, qui le font se donner à d'autres.
Je pense qu'on ne peut pas dire que des expériences ponctuelles de ce genre soient étrangères à la puissance de Dieu. Je ne le pense pas. Il peut le faire car Dieu ne fait pas acception des personnes et il n'est pas avare de ses dons.
Et de même que les enfants de Bethléem ont été témoins du Christ sans le savoir, il est bien possible, à mon sens, que des hommes aujourd'hui, le soient encore sans le savoir.
Nous devons, me semble-t-il, avoir le coeur assez ouvert pour le reconnaître. Nous ne devons pas tomber dans le travers du pharisaïsme et nous imaginer qu'il n'y a que nous, que nous possédons la vérité entière - ce qui est vrai - et que à cause de cela qu'il n'y a que nous qui puissions recevoir de Dieu des grâces capables de nous métamorphoser et de nous transfigurer.
Il existe dans les apophtegmes l'un ou l'autre récit où l'on voit un Père très célèbre, un véritable saint, qui demande à Dieu de lui montrer quelqu'un qui lui serait semblable. Et alors Dieu lui dit : Mais va dans la ville et puis, à tel endroit, tu rencontreras celui qui t'est semblable et même supérieur.
Et alors on voit ce Père, ce senex, cet Ancien se rendre à la ville, ce qui était déjà pour lui quelque chose d'extraordinaire. Et se rendant à l'endroit indiqué, il voit là un homme tout ordinaire qui se livre à une besogne de rien du tout. Il ne fait rien, il est là. Et l'Ancien lui demande : Mais explique-moi un peu ta manière de vivre.
Et alors cet homme, par respect devant cet Ancien qui s'est déplacé du désert pour lui rendre visite, lui raconte un petit détail ou l'autre de sa vie. Et toujours, toujours, toujours c'est un geste d'amour absolument gratuit qui est posé par cet homme. Et alors mon Ancien retourne chez lui grandement édifié mais bien remis à sa place. Et donc cet homme du monde qui ne fait rien d'extraordinaire est plus élevé que cet ascète qui a blanchi 50, 60 ans au désert.
Donc, mes frères, nous devons toujours être très circonspects et très humbles lorsque nous nous trouvons devant quelqu'un, devant une personne du monde, devant un étranger. Nous ne savons jamais à qui nous avons à faire. Il faut toujours, comme le dit Saint Benoît ici, l'accueillir comme le Christ parce qu'il est peut-être, pour ne pas dire certainement, supérieur. Il faut s'incliner devant lui, il faut se prosterner devant lui parce que c'est le Christ qu'on reçoit en lui. Et il peut très bien se faire qu'il soit tellement possédé par le Christ que réellement, réellement on ne sache plus le distinguer du Christ lui-même.
Donc c'est çà, la sainteté est ouverte à tout le monde et même, encore une fois, à des gens qui ignorent absolument tout, et de la religion, et du Christ, ne l'oublions pas. Alors, la sainteté est, à mon sens, omniprésente dans l'humanité et les Innocents le proclament bien haut aujourd'hui.
Ayons donc la lucidité et l'humilité de le reconnaître et exerçons-nous à être saints nous-mêmes à l'intérieur de notre vocation. Alors je pense que nous aurons accompli tout notre devoir.
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Mes frères,
Pourquoi cette obéissance omniprésente dans le monastère ? Nous devons non seulement obéir au Supérieur, mais nous devons nous obéir les uns aux autres ? La vie monastique est donc totalement tissée par l'obéissance.
On peut même dire que le monastère est une schola oboedientiae, une école où on apprend à obéir au même titre qu'il est une schola caritatis, une école où on apprend à aimer. L'obéissance et l'amour sont donc corrélatifs et à un certain degré de perfection, ils se confondent. Le Christ n'a-t-il pas dit : « J'aime mon Père et j'accomplis tout ce qu'il m'a demandé. »
L'obéissance est omniprésente dans le monastère parce que elle-même ne se distingue pas de l'écoute. La vie du moine, nous devons bien le savoir mes frères, nous devons nous en pénétrer, elle se condense toute entière dans le fait d'écouter.
Le moine est un écoutant. Il est à l'écoute de Dieu dont il guette la voix à travers les mille et un détails de la journée. Adam fuyait la voix de Dieu et le moine la recherche. Adam était dominé par la peur et le moine est mû par un désir amoureux. Adam était esclave de la chair et le moine est un serviteur de l'Esprit.
N'oublions pas, mes frères, que étymologiquement parlant, obéissance signifie écoute. On ne se rassasie jamais d'écouter Dieu et de se nourrir de Lui. Et on ne se dégoûte jamais d'obéir et de se conformer avec la volonté de Dieu.
L'obéissance est habituellement ressentie comme quelque chose de diminuant, à la limite comme quelque chose de dégradant. On essaye d'échapper à l'obéissance parce que on essaye d'échapper à un homme qui est sensé être au-dessus de nous. C'est ainsi dans le monastère, soyons-en conscients parce que c'est ainsi dans le monde. J'ai travaillé dans le monde avant d'entrer dans le monastère et je connais très bien les réactions et les tactiques des ouvriers, des employés, des fonctionnaires pour échapper à l'emprise d'un pouvoir que l'on ressent comme tyrannique.
Et quand on arrive dans le monastère, on est, voilà, on est vraiment complexé, traumatisé par ces mauvaises habitudes qui ont été prises. Et notez bien qu'il en est de même des enfants vis-à-vis de leurs parents à partir d'un certain âge, pas quand ils sont tout petits. Mais à partir de l'adolescence, etc., on veut secouer le joug de l'autorité parentale. Donc, l'obéissance a toujours une certaine coloration négative et, voilà, on pourrait remonter aux origines de l'humanité où l'homme n'a pas pu supporter cette prééminence de Dieu sur lui.
Alors voilà, je pense que nous devons essayer de bien réfléchir et de comprendre que l'obéissance est au contraire ce qu'il y a de plus ennoblissant car elle est écoute. C'est écouter mais quelque chose d'extrêmement beau, d'absolument beau. C'est écouter un concert ou une mélodie, ou un chant au-delà duquel il n'y a rien de plus beau. Et ce chant, c'est Dieu car Dieu s'il est lumière, il est aussi chant.
Il y a là trois Personnes Divines qui ne sont pas immobiles mais qui sont sans cesse en relation d'amour. Et cette relation d'amour s'exprime pour nous au niveau d'un chant. Dans la création nouvelle, voyez le Livre de l'Apocalypse, on ne fait que chanter parce qu'on est tous pris dans ce chant Trinitaire qui est amour, et qui est beauté, et qui est lumière.
Eh bien, l'obéissance, c'est l'entrée à l'intérieur de ce monde par ce qu'elle est d'abord et exclusivement écoute. Savoir écouter, et puis alors recevoir en soi ce qu'on a entendu, se laisser travailler par lui et puis y entrer et devenir de plus en plus écoute, et de plus en plus réponse, et de plus en plus chant. Voilà, c'est pourquoi on n'est jamais rassasié d'écouter, qu'on ne se dégoûte jamais d'écouter. Et dans la pratique maintenant cela signifie obéissance.
Un malin esprit pourrait très bien interpréter ce que je dis de cette façon-ci : Voilà, il se trouve du bon côté, donc il est en train de jeter un brouillard artificiel pour que les frères soient bien sages et puis qu'ils obéissent correctement !
Non, ce n'est pas ça, car le premier à obéir dans le monastère, c'est l'Abbé, à obéir aux frères. Saint Benoît le dit bien : il doit omnium servire moribus, 2,85, il doit se mettre au service du caractère de chacun. Car chacun est typé et il faut prendre chacun tel qu'il est et, à partir de ce qu'il est, il faut lui permettre de s'épanouir en Dieu.
L'Abbé n'a pas le droit - c'est d'ailleurs impossible - de remodeler les frères. Non, Dieu les a créés tels et voilà, il faut les prendre tels. La seule chose qu'on peut faire, c'est de les nettoyer, de les décrasser pour que leur beauté personnelle s'affirme de plus en plus.
Maintenant, s'obéir les uns aux autres, cela signifie pratiquement pour nous aujourd'hui - transposons ce que nous dit Saint Benoît dans notre Culture et dans nos mœurs actuels - s'obéir les uns aux autres signifie donc pratiquement d'abord reconnaître et entendre le Christ dans le frère qu'on rencontre. A ce moment-là, on est dans la relation vraie. Puis, ce sera manifesté sa sympathie par un salut, par un geste, par un sourire. On a reconnu le Christ dans le frère et on ne peut pas rester indifférent.
Et alors, c'est se recevoir mutuellement tels qu'on est car le Christ se manifeste sous une infinité de beautés. Le Christ, ne l'oublions pas, c'est la Parole de Dieu. Donc, en recevant le frère tel qu'il est, j'écoute, je reçois une Parole unique, originale et très belle. Alors, c'est accepter l'autre dans sa singularité, dans son unicité, dans son originalité, dans sa différence. La différence peut d'une certaine manière au plan de la chair nous effrayer. Nous sommes beaucoup plus rassurés lorsque nous trouvons le frère qui nous est semblable.
C'est très, très fort aujourd'hui, je ne dis pas dans le monastère mais dans le monde. Car un des plus grand problème qui se pose actuellement ici en Europe Occidentale, c'est la rencontre de races différentes. Si je me trouve devant un turc, ou devant un africain, ou devant un algérien, ou devant un musulman, ou devant un juif, enfin ceux qu'on rencontre le plus maintenant ici, eh bien il y a dans l'homme un réflexe de crainte. Pourquoi ?
Mais parce qu'il est différent. Il a un autre physique, il a une autre culture, il a une autre religion, il a une autre approche du monde. Alors, mais voilà ! Et les autres alors, que font-ils ? Mais ils ont le même réflexe. Ils ont tendance à se resserrer les uns sur les autres et à créer des ghettos, des îlots où ils sont entre eux, où ils se protègent.
Vous voyez, c'est très difficile d'accepter l'autre dans sa différence. Eh bien, c'est aussi une forme d'écoute et d'obéissance mutuelle dans le monastère lorsque je reçois chacun des frères tel qu'il est avec, voilà, il est rond, il est carré, il a tel degré de culture, d'instruction, de tout ce qu'on veut. Mais ça ne fait rien, il est pour moi unique, il est beau, il est le Christ qui se présente à moi. Et voilà, je l'écoute, je l'accepte et je l'aime tel qu'il est.
Et puis alors naturellement tout ça doit se concrétiser encore de façon plus matérielle par les services qu'on peut se rendre les uns aux autres. Il y a des services qui sont demandés et des services mais qui ne sont pas demandés mais qu'on sent qu'il faut rendre.
Et voilà, c'est cela s'obéir les uns aux autres. Et si nous vivons de cette façon-là qui est très belle, le monastère devient de mieux en mieux un paradisus claustralis, celui-là dont parlaient les premiers cisterciens, le paradis qu'est le cloître, c'est à dire une porte du ciel. On apprend ici des mœurs qui seront les nôtres lorsque nous serons au-delà de la résurrection.
Eh bien voilà, qu'il en soit ainsi de mieux en mieux. Et c'est mon souhait et ma prière pour chacun d'entre vous et pour moi aussi en ce dernier dimanche de l'année.
Mes frères,
La famille de Jésus, Marie et Joseph est la cellule-mère d'une famille qui, à la fin des temps, englobera l'humanité entière transfigurée et assumée dans l'univers de Dieu, au plus profond du secret de la vie Trinitaire.
Dieu sera tout en chacun et en toute chose. L'univers matériel lui-même sera ruisselant de lumière. Nous nous connaîtrons tous par notre nom parce que tous nous serons personnellement connus de Dieu.
Il n' y aura plus de séparation, plus de distance. Nous aurons tous la même respiration, l'Esprit Saint qui est amour et qui nous unira tous en lui.
Le monastère ambitionne de réaliser cette merveille en ce temps-ci. Certes, c'est démesuré, c'est hors de notre portée. Mais nous savons que les énergies divines travaillent en nous et peu à peu nous élèvent vers cet idéal.
Nous ne l'atteindrons peut-être pas entièrement dès ce temps-ci, mais nous savons que la famille monastique est déjà dans sa plus grande partie à l'intérieur du monde de Dieu. Et nous, nous montons vers elle mais, déjà maintenant, nous sommes un avec elle.
Le monastère rassemble des hommes venus de tous les horizons. Hier ils ne se connaissaient pas, aujourd'hui ils sont frères. Ils ont leurs limites, leurs imperfections, leurs défauts, leur caractère, leur passé.
Autrefois, ils obéissaient aux lois de ce monde-ci ; aujourd'hui, ils sont soumis aux normes du monde à venir qui sont douceur, oubli de soi, bienveillance, humilité. Ils s'ouvrent à la puissance de l'Esprit et ils attendent de Lui la conversion de leur coeur et la métamorphose de leur être. Ils sont enracinés dans la foi, portés par l'espérance, brûlés par la charité.
Ils commettent encore des erreurs, des fautes, mais ils savent que ce ne sont pas des obstacles sur la voie de leur transfiguration. Dans le feu de l'amour qui est Dieu, tout est immédiatement consumé, réduit à rien. Et ils sentent un prodige se réaliser en eux et autour d'eux.
Il faut avoir des yeux ouverts et des oreilles attentives pour percevoir ce qui se passe dans le secret des coeurs et qui affleure aussi - sachons-le bien - dans les relations fraternelles. Ce processus d'unification et de sanctification est lent mais irrésistible. Il est à la mesure de Dieu pour qui les vicissitudes temporelles n'ont pas d'importance.
Ce qui est attendu du monastère l'est aussi de chaque groupement familial. L'Apôtre nous a rappelé les vertus par excellence d'une famille unie : la tendresse, la bonté, l'humilité, la douceur, la patience, le support mutuel, le pardon, et par-dessus tout l'amour qui anime les moindres actions et qui illumine toutes les pensées.
Telle était la famille de Nazareth, telles doivent devenir chacune des nôtres, et pour nous ici, notre monastère. C'est toujours à conquérir, toujours à reprendre, toujours à accueillir. Oui, à accueillir car c'est une grâce, c'est une faveur et Dieu brûle de nous la communiquer.
C'est aussi la source d'un bonheur sans égal. Et ce bonheur, nous devons, aujourd'hui en ce dernier dimanche de l'année, nous le souhaiter les uns aux autres et le demander les uns pour les autres dans une prière confiante et persévérante.
Amen.
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Mes frères,
Nous venons d'entendre ce que nous pouvons appeler le testament spirituel de notre Père Saint Benoît. Nous devons le recueillir avec énormément de respect car il y a condensé le plus riche, le plus précieux de son expérience spirituelle. Et ce testament gravite tout entier autour de la réalité la plus belle qui soit, la caritas ou l'amor comme dit Saint Benoît. Il emploie les deux termes.
Et pourquoi la charité ou l'amour est-elle la réalité la plus belle ? Mais parce que Dieu lui-même est amour. Et la vérité de notre union à Dieu, elle se vérifie par la qualité de notre amour. Attention ! L'amour n'est pas nécessairement un sentiment. Tout ce que dans le monde on dit de l'amour, n'allons pas le transposer indûment lorsque nous parlons de Dieu.
L'amour, l'agapè, c'est la Personne même de Dieu, si bien qu'en parler est toujours extrêmement délicat. Car ce qu'on dit peut éveiller dans l'esprit des auditeurs des malentendus, des contrefaçons. Car qu'on le veuille ou non, nous avons de l'amour une conception, une approche qui est mondaine.
On en parle trop dans le monde. Le mot est tellement galvaudé, gaspillé, détourné de son véritable sens que nous ne pouvons pas faire autrement que d'en être blessés nous-mêmes. Nous devons donc maintenant chaque fois rectifier les choses. Et nous ne le pouvons que dans la mesure où nous pratiquons cet amour. Et c'est à ce que Saint Benoît nous invite dans son testament spirituel.
Il est dans son texte question à deux reprises du terme amor et à deux reprises du terme caritas. Je pense qu'il peut être intéressant et utile de saisir ces nuances. Nous allons traduire amor par amour et caritas par charité pour faciliter les choses.
L'amour - amor - indique une disposition générale, donc un mouvement profond et constant qui nous porte vers Dieu qui, Lui, est amour, qui n'est rien d'autre qu'amour. Il y a donc là une sorte d'attraction qui s'exerce à partir de Dieu et qui attire l'homme. L'homme a été créé pour pouvoir participer à la nature même de Dieu. Il y a donc une sorte de connaturalité entre les deux. L'homme est naturellement ordonné à l'union à Dieu.
Et l'homme est, je dirais, une fleur de la création qui a commencé en des temps absolument inimaginables. Et avec une patience qui est le propre de Dieu, voici que l'homme est arrivé. Mais pas l'homme abstrait mais des personnes qui ont chacune un nom et qui chacune sont ordonnées à cette rencontre de Dieu et à cette union la plus intime possible avec lui jusqu'à partager sa propre nature à lui. Eh bien ça, c'est ce que nous pouvons appeler l'amour qui est en nous.
Donc cet amour porte le moine, par tout son être il le porte vers Dieu et, il est tout entier formé d'ardeur, de respect, de vénération. Ferventissimo amore dit Saint Benoît 72,6, d'un amour très, très brûlant, fervent. Je pense qu'il parle ici d'ardent, ardeur. Ici il traduit alors par charité, mais c'est un superlatif ferventissimo amore. Il n'est pas possible d'être plus fervent, plus ardent, d'être plus brûlant. C'est cela !
Alors vous avez le respect aussi, la vénération. On ne force pas l'entrée du cœur de Dieu. On est invité mais on doit entrer en communion avec lui de façon très, très polie. La grossièreté, la trivialité, le laisser-aller ne sont pas de mise chez Dieu. Ce n'est pas possible. Et Saint Benoît va dire amore Deum timeant 72,12, qu'ils craignent Dieu. Oui, il dit ici : ils auront pour Dieu une crainte inspirée par l'amour, c'est cela !
Attention, ce n'est pas une crainte qui a à faire avec la peur. C'est la position de l'homme en face de Dieu, c'est le tremblement, le frémissement qui s'empare de l'homme lorsqu'il entre en communion avec Dieu. Alors il est toujours à sa place.
Maintenant, le défaut d'amour chez un moine, c'est une contradiction dans les termes. Un moine qui ne serait pas possédé par cet amour, c'est pas un moine. Attention ! Encore une fois, ça ne relève pas du sentiment comme si on devrait toujours sentir qu'on brûle d'amour pour Dieu. Non, ce n'est pas ça du tout, ça n'a rien à faire avec le sentiment. S'il y a du sentiment, c'est bien. S'il n'y en a pas, c'est beaucoup mieux parce que alors l'amour est infiniment plus pur.
Saint Jean de la Croix a très bien décrypté ces phénomènes. Et pour lui, plus l'amour est pur, plus il est dans une obscurité, plus il est totalement dans la nuit. A ce moment-là, l'amour arrive à son sommet et, sur ce sommet, il n'y a encore rien.
C'est cela le véritable amour ! Mais il n'est pas possible d'y aller par ses propres forces. Il faut prendre l'ascenseur. Et cet ascenseur, ma foi, c'est la volonté de Dieu qui nous y conduit, qui nous y élève.
Alors, il est question aussi de caritas. La charité, elle, elle a trait aux relations fraternelles: carnitatem fraternitatis caste ! Impendant, 72,12. Il traduit : Ils se rendront chastement les devoirs de la charité fraternelle.
Maintenant cette caritas, il faut bien comprendre ce que cela signifie. Saint Benoît en parle à propos des frères et à propos de l'Abbé. Il faut aussi, dit-il, abbatem suum sincera et humili caritate diligant, 72,13. Ils doivent donc avoir pour leur Abbé une charité humble et sincère.
Les frères et l'Abbé sont des êtres qu'on chérit. Caritas vient de l'adjectif carus, donc c'est être cher. On dira mon cher ami, mes chers frères. Ce sont des êtres qu'on chérit. Il ne faut pas avoir peur de le penser, de le dire car cela signifie caritas.
C'est donc un sentiment qui vient du cœur cette fois-ci et qui porte à poser des actes concrets. Saint Benoît les énumère ici : il faut se prévenir d'honneur, il faut supporter les infirmités patientissime, avec une patience infinies, les infirmités du corps et de l'esprit, pas les siennes, celles des autres, mais les siennes aussi.
Alors cette caritas nous porte à nous obéir mutuellement et aussi à nous oublier, suivre non pas ce qui nous est utile mais ce qui l'est plutôt aux autres. Donc dans la caritas, il y a quelque chose de très profond en nous qui est touché et c'est l'adfectus. Pas facile de traduire cet adfectus. Il faudrait le laisser comme ça en latin. C'est donc la partie la plus centrale de nous qui est la source, disons qui est la source des émotions. Voilà, je pense que c'est ça.
Il parle de diligere à propos de l'Abbé. Et la dilectio donc la dilection vient justement de cette émotion qui doit habiter le cœur. Cela vient des entrailles. Et là, nous retrouvons ce nom de Dieu qui est très beau et qui a très bonne presse dans le monde musulman.
C'est que Dieu est un être qui a des entrailles de miséricorde, des entrailles d'amour. C'est la partie féminine de Dieu, les entrailles. Et Dieu est pris aux entrailles lorsqu'il se trouve devant l'homme. Et il est désarmé. C'est ça la caritas !
Et c'est extrêmement beau lorsqu'on s'y abandonne. Et nous ne devons pas avoir peur de laisser jouer en nous, disons, nos entrailles qui nous font sortir de nous-mêmes et puis qui nous font accueillir l'autre en nous.
A la fin du chapitre, les trois sont unis, les trois personnes sont unies. D'abord Dieu, l'Abbé et le Christ. Saint Benoît dit, 72,12 : ils auront pour Dieu une crainte inspirée par l'amour ; Ils auront pour leur Abbé une dilection humble et sincère. ( caritas, il traduit par dilection ) ; et enfin ils ne préfèreront rien, absolument rien au Christ.
Voyez l'ordre ! L'Abbé se trouve au centre. L'Abbé est vraiment le pivot, il est le médiateur obligé. Tout vient du Christ par l'Abbé et tout reflue à Dieu par l'Abbé. On ne peut pas faire l'économie de l'Abbé dans un monastère. C'est dans la logique de l'incarnation.
Dieu est venu à nous dans une chair d'homme et continue à venir à nous par un homme. Et c'est par un homme que nous allons à Dieu, le Christ ressuscité qui nous emmène tous jusqu'au cœur de la Trinité. Et c'est encore la même chose dans le monastère. C'est par un homme qui tient la place du Christ que les frères vont tous vers Dieu. Il est impossible d'aller tout seul vers Dieu dans un monastère, ça n'existe pas. Il faut passer par l'Abbé.
Et l'Abbé lui-même, par l'intermédiaire de qui, lui, va-t-il vers Dieu ? Eh bien, je vais vous dire quelque chose d'assez audacieux. Mais dans l'esprit de Saint Benoît donc, l'Abbé, c'est un homme qui n'a plus besoin d'aller à Dieu parce qu'il y est arrivé. Il n'a plus besoin du Christ comme médiateur parce que ce n'est plus lui qui vit, mais c'est le Christ qui vit en lui. Il y est !
Naturellement ça c'est un idéal vers lequel tout Abbé doit tendre. Mais je pense bien que ça devait être le cas certainement chez Saint Benoît. Sinon il y a des choses qu'il a dites et qu'il n'aurait pas pu dire.
Eh bien voilà, mes frères, ce testament de notre Père Saint Benoît, accueillons-le, avec foi et gratitude. Et dans toute la mesure de nos forces, et en comptant sur la grâce, efforçons-nous chacun pour notre part et tous ensemble de le mettre en pratique.
Nous voici arrivés à la fin de notre Règle, nous arrivons à la fin de l'année et nous arriverons au terme de notre vie. Il y a là, me semble-t-il, une parole prophétique puissante que l'Esprit Saint nous adresse par la bouche de notre Père Saint Benoît. Notre saint législateur nous interroge, le Christ nous interroge, notre conscience nous interroge : Que faisons-nous de notre vocation monastique ? Qu'avons-nous fait de cette année ? Que faisons-nous de la Règle que nous avons promis d'observer ?
Saint Benoît nous pose, vous allez voir, vous l'avez entendu, des questions bien précises. Nous allons écouter l'Esprit Saint s'adresser à nous par sa bouche. Nous sommes ici dans le monastère. Nous y avons été appelés. Mais, que cherchons-nous vraiment ? Sommes-nous mordus par le désir de Dieu, le désir de le rencontrer, le désir de le voir, le désir de partager sa vie en plénitude, le désir d'être toujours avec lui ? Désirons-nous parvenir recto cursu, 73,14, à notre Créateur ? Voulons-nous arriver sur les sommets de la perfection ? Avons-nous l'ambition d'être des moines achevés ?
Voilà les questions qu'il nous pose, est-ce cela le moteur de notre vie ? Pour que ce soit vraiment ce moteur, nous devons avoir renoncé à tout le reste. Ce n'est pas tellement facile parce que ça colle à notre peau. Nous sommes tellement conditionnés par tout ce qu'on nous a appris depuis que nous sommes au monde. Nous sommes tellement enfoncés à l'intérieur d'un comportement charnel très beau peut-être mais tout de même enfermé, emprisonné à l'intérieur de ce monde ci.
Alors, désirons-nous nous échapper, nous évader, nous laisser prendre et emporter un peu comme le prophète Élie qui fut enlevé dans un char de feu ? Espérons-nous ce prodige, ce miracle sous une forme adaptée à notre condition d'aujourd'hui ? Voulons-nous être d'authentiques contemplatifs ?
Eh bien, voyons ce que nous dit Saint Benoît. Il nous dit donc recto cursu. Cela signifie d'une course rapide, directe, sans détours, sans perte de temps. Voulons-nous être légers, très légers, de plus en plus légers pour, comme il dit, festinare, 73,22, c'est à dire courir à toute allure, en toute hâte.
Ce n'est possible que si nous sommes débarrassés de tous les poids, de tous les fardeaux qui peuvent peser sur nous. Nous devons arriver à la nuditas facultatum comme disaient les Anciens, à être débarrassés de tout, à être nus de tout, dans un état de nudité.
Voilà jusqu'où doit être conduite notre pauvreté, notre esprit de pauvreté. A ce moment-là nous devenons légers. Nous pouvons non seulement courir mais aussi nous envoler. Le moindre souffle de l'Esprit nous emporte comme une plume légère là où il désire nous conduire.
Il y avait de ces prophètes aussi dans l'Ancien Testament qui tout à coup étaient enlevés, on ne les voyait plus. Ils avaient été emportés par un ange, emportés par l'Esprit. Naturellement ce n'est pas à prendre au pied de la lettre mais tout de même, nous devons voir ce qui spirituellement s'opérait en eux. Ils étaient vraiment emportés chez Dieu.
Et, à partir de là, ils pouvaient parler car ils avaient vu des choses qu'il n'est pas permis, qu'il n'est pas possible, comme dit l'Apôtre Paul, à un homme de restituer parfaitement. Ils ne pouvaient alors que balbutier quelques mots qui malgré tout étaient informes.
Et alors, les auditeurs les prenaient pour des fous. Le prophète dans l'Ancien Testament, on l'appelle le fou bien souvent. Eh bien, est-ce que nous sommes prêts, nous, à partager un sort très envieux certes, mais nous devons y mettre le prix ?
Saint Benoît nous demande aussi si nous voulons parvenir sur les sommets de la perfection ? C'est le terme qu'il utilise : celsitudo perfectionis, 73,9. Et la perfection, c'est devenir un seul esprit avec le Christ, que notre respiration soit l'Esprit Saint. Ce n'est pas là quelque chose qui soit hors de notre portée car nous savons très bien que nous sommes un temple de l'Esprit, que la Sainte Trinité habite dans notre cœur.
Et il peut très bien arriver que de façon un peu, disons, consciente on en arrive à participer au mouvement Trinitaire qui s'opère en nous, qui s'y opère tout le temps ; mais le plus souvent, c'est à notre insu, hors de notre conscience. Mais il peut se faire que nous en ayons conscience et que nous devenions à notre niveau, que nous devenions la source par laquelle l'Esprit Saint se diffuse, se répande au dehors. L'aspiratio (la spiratio) Spiritus Sancti peut très bien s'opérer à l'intérieur de notre cœur. Voilà, ça, c'est un des sommets de la perfection.
Et puis, connaître la transfiguration au point que n'être plus qu'amour et lumière. Cela existe dans nos monastères, ça existe. Naturellement ce n'est pas publié dans les Collecta et ce n'est pas inscrit sur le dos du moine ou de la moniale parce que Dieu cache ses saints. Il les dissimule peut-être sous des défauts. Mais voilà, la personne qui est là, elle se place tout derrière, mais en réalité elle est vraiment là où est le Christ, avec lui transfigurée.
Saint Beno1t nous demande aussi si nous voulons pervenire ad creatorem nostrum, 73,14 ? Voilà, donc parvenir, arriver jusqu'à notre Créateur ; donc le voir, l'écouter, vivre avec lui, vivre comme lui, partager sa béatitude, sa paix, son pouvoir. Car notre Créateur n'est pas jaloux. Il n'est pas un riche, il est la pauvreté même et tout ce qu'il a, tout ce qu'il est, il nous le donne. Voilà !
Mais est-ce que ça nous intéresse ? Pervenire, arriver jusque là, est-ce que ça nous intéresse ? Est-ce que nous ne sommes pas retenus par des choses matérielles, par des choses fut-ce même intellectuelles, par notre petit moi que nous idolâtrons ? Est-ce que nous voulons, encore comme nous dit Saint Benoît, être de vrais moines, des moines bene viventes et oboedientes, 73,18, des moines étrangers aux pratiques mondaines ?
Et les pratiques mondaines, vous le savez, c'est user, voilà de ruses pour arriver à une petite fin purement terrestre, purement matérielle ; les pratiques mondaines, c'est la dissimulation, c'est la ruse. Est-ce que nous sommes ouverts ? Est-ce que nous sommes transparents ? Est-ce que nous sommes limpides, ce qui est le contraire des pratiques mondaines ? C'est ça un vrai moine !
Est-ce que nous sommes morts à nous ? Est-ce que nous vivons pour les autres dans l'humilité, dans la douceur, dans la compassion ? Lorsque notre regard rencontre celui d'un frère, est-ce que ce frère peut se dire : « Je suis aimé, je ne suis pas jugé, je suis accueilli, je suis chez moi dans le cœur de mon frère ? Voilà les vrais moines ! Est-ce que nous avons, comme le demande encore Saint Benoît, l'honestatem morum, 73,5, - ce qui n'est pas facile à traduire - cette manière de vivre qui est honnête, qui correspond à la vérité de notre état, de notre vocation ? Une manière de vivre qui est toujours un initium dit encore Saint Benoît, qui est toujours un commencement, car la vie divine, la vie éternelle, elle est toujours à ses débuts.
C'est ça un des prodiges de l'éternité. On a toujours l'impression de commencer. Donc il n'y a jamais de fastidium, il n'y a jamais d'ennuis, il n'y a jamais de dégoût parce que c'est toujours un commencement, c'est toujours une première fois, c'est toujours une surprise, c'est toujours un émerveillement. Est-ce que nous en sommes là ? Voilà de vrais moines !
Maintenant sommes-nous - on peut résumer tout ça - sommes-nous des êtres de feu ? Ou bien sommes-nous de flasques mollusques ? Qu'est-ce que nous sommes ? On dira, Saint Benoît le dit, ferventes, ce qui veut dire fervent, mais en réalité ça veut dire être de feu, brûlant. Alors Saint Benoît n'y va pas par quatre chemins, il parle de paresse, il parle de négligence, il parle de mauvaise vie, desidiosis male viventes negligentes, 73,21.
Eh bien mes frères, voilà matière à un bel examen de conscience. Alors pour bien nous situer, disons-nous que nous sommes dans l'entre deux. Nous ne sommes pas de mauvaise vie, mais nous ne touchons pas encore les sommets. Nous sommes des perigrini, nous sommes encore en voyage, nous sommes encore en pèlerinage, nous sommes encore sur la montée, dans la côte.
Alors, en ce dernier jour de l'année, en ce dernier Office que nous allons chanter ensemble, eh bien, reconnaissons notre faiblesse, remercions Dieu pour les grâces reçues et confions-nous à sa miséricorde. Renouvelons en nous l'ambition de notre arrivée dans le monastère, allumons-là de nouveau à cet amour qu'est notre Dieu, lui qui veut nous prendre pour nous donner tout de lui, tout ce qu'il est.
Encore une fois, regrettons d'être encore empêtrés trop dans les soucis charnels et promettons-lui de faire notre possible, tout notre possible jour après jour dans l'humilité et d'aller ainsi jusqu'au bout. Comme il nous le dit pervenies, c'est une promesse d'arriver au terme, de parvenir là où nous sommes attendus, c'est à dire de parvenir au plus intime des relations Trinitaire, là où nous verrons le Père, où nous serons devenus un seul esprit avec le Christ et où nous respirerons l'amour et la lumière.
Homélie : Sainte Marie Mère de Dieu. 01.01.91
Marie méditait les événements dans son cœur.
Chapitre : Récollection du mois de janvier. 05.01.91
Prologue : de 106 à la fin. 07.01.91
Règle : 1, 1-14 : Des espèces de moines. 08.01.91
Chapitre : Fête de Saint Antoine. 20.01.91
Règle : 4,78-fin : Quels outils utiliser ? 21.01.91
Chapitre : Intention des Fondateurs de Cîteaux.27.01.91
L’aspect contemplatif de l’identité cistercienne.
Règle : 7,66-81 : Premier degré (suite). 29.01.91
Chapitre : Récollection du mois de février. 02.02.91
Etre lucide par les yeux du Christ.
Homélie : Fête de la Présentation du Seigneur. 03.02.91
Règle : 7,159-164 : Humilité – 11° degré. 03.02.91
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 10.02.91
Homélie : Mercredi des cendres. 13.02.91
Qu’avons-nous fait et que faisons-nous ?.
Règle : 49 : De l’observance du carême. 13.02.91*
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 17.02.91
Règle : 15 : Quand il faut dire l’Alléluia 18.02.91
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 18.02.91*
Règle : 16 : Des divins offices du jour. 19.02.91
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 19.02.91*
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 20.02.91
Règle : 20 : De la révérence dans la prière. 25.02.91
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 25.02.91
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 26.02.91
Dimanche des rameaux. 24.03.91
2. Homélie à la bénédiction des rameaux :
Chapitre : Lundi Saint. 25.03.91
Entrer dans la sphère de la gratuité.
Chapitre : Mardi Saint. 26.03.91
Chapitre : Mercredi Saint. 27.03.91
Jésus et Judas sont inséparablement unis.
Homélie : Eucharistie du Jeudi Saint. 28.03.91
Dieu est d’abord et surtout amour.
Homélie : Célébration du Vendredi Saint. 29.03.91
Le mystère de la croix est le mystère de Dieu lui-même.
Homélie de la Vigile Pascale. 30.03.91
La Résurrection du Seigneur est partout présente.
Homélie : Saint jour de Pâques. 31.03.91
Vous êtes ressuscités avec le Christ.
Règle : 64,20-fin : L’établissement de l’Abbé. 21.04.91
Règle : 65,1-23 : Du Prieur. 22.04.91
Règle : 65, 24-fin : Du Prieur. 23.04.91
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 28.04.91
Règle : 71 : S’obéir mutuellement. 29.04.91
Règle : 72 : Du bon zèle. 30.04.91
Règle : 73 : Tout n’est pas dit ds cette Règle. 01.05.91
Chapitre : Récollection du mois de mai. 04.05.91
Chapitre : Ascension du Seigneur. 09.05.91
Chapitre : Fête des mères. 12.05.91
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 12.05.91
Homélie : Eucharistie vespérale de la Pentecôte.18.05.91
Dieu crie pour rassembler les hommes.
Homélie : Eucharistie de la Pentecôte. 19.05.91
Choisir la vie plutôt que la mort.
Homélie : 14° dimanche ordinaire. Année B. 07.07.91
Quelle est la qualité de notre regard ?
Ez. 2,2-5 * 2Co. 12,7-10 * Mc. 6,1-6 *
Chapitre : Récollection du mois d’août. 03.08.91
Dieu peut-il faire l’expérience de la mort ?
Homélie : Eucharistie vespérale de l’Assomption.14.08.91
Chapitre : Qualité contemplative de notre vie. 15.08.91
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 17.08.91
10. L’Amour et la gratuité de Dieu.
Règle : 64,20-fin : L’établissement de l’Abbé. 21.08.91
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 22.08.91
Règle : 65,24-fin : Du Prieur du monastère. 23.08.91
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 23.08.91
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 24.08.91
Chapitre : Lettre du Père Abbé Général. 26.08.91
Règle : 69 : Défendre un autre ? 27.08.91.
Chapitre : Récollection du mois de septembre. 01.09.91
La charité parfaite bannit la crainte.
Règle : 7,13-28 : De l’humilité (suite). 26.09.91*
Vouloir avancer à toute allure.
Règle : 7, 52-65 : Premier degré (suite). 28.09.91*
Règle : 7, 82-88 : Deuxième degré. 30.09.91*
Normes relatives à l’usage de la parole. 24.09.91
A mettre en pratique dans notre Abbaye de St Remy.
Chapitre : Le silence. 25.09.91
1. Un peu d’historique. Les normes 1 et 2.
Chapitre : Le silence. 26.09.91
Chapitre : Le silence. 27.09.01
Chapitre : Le silence. 28.09.91
Chapitre : Le silence. 29.09.91
Chapitre : Le silence. 30.09.91
6. Fin de cet exposé au spirituel.
Chapitre : Récollection du mois d’octobre. 05.10.91
La vie monastique est une vie angélique.
Règle : 7,135-fin : Douzième degré d’humilité. 10.10.91
2. Retour au 9° degré avec Abba Macaire.
En conclusion des causeries du Père Hruby. 21.10.91
En conclusion des causeries du Père Hruby. 24.10.91
Règle : 19 : Dispositions pour la psalmodie. 30.10.91
Etre en accord avec la Parole.
Règle : 20 : La révérence dans la prière. 31.10.91
Chapitre : Récollection du mois de novembre. 02.11.91
Chapitre : La naïveté de Dieu (suite du 02.11) 04.11.91
Une consanguinité divine entre Lui et nous.
Chapitre : Identité contemplative. 05.11.91
Dimension spirituelle de la contemplation.
Règle : 33 : Avoir quelque chose en propre. 10.11.91
Chapitre : L’hymne des Saints de l’Ordre. 13.11.91
Règle : 36 : Des frères malades. 14.11.91
La conspiration du silence : l’usage de la viande.
Règle : 37 : Des vieillards et des enfants. 15.11.91
Chapitre : Mémoire de Sainte Gertrude. 16.11.91
Chapitre : Un petit encouragement. 17.11.91
Chapitre 39 : La mesure de la nourriture. 18.11.91
S’abstenir de la viande des quadrupèdes !
Homélie : Fête Communauté & Collaborateurs. 22.11.91
Chapitre : Fête du Christ-Roi. 23.11.91
Règle : 46 : Celui qui perd, qui casse, etc. 25.11.91
Savoir guérir ses propres plaies.
Règle : 47 : Qui annonce l’œuvre de Dieu ? 26.11.91
Règle : 48, 52-fin : Du travail manuel. 29.11.91
La miséricorde avant le jugement.
Chapitre : Récollection du mois de décembre. 30.11.91
Règle : 51 : Ne partir qu’à faible distance ! 02.12.91
Le défit de Dieu dans les événements.
Règle : 53, 1-31 : La réception des hôtes. 04.12.91
Contempler le Christ dans les autres.
Règle : 53,32-fin : La réception des hôtes. 05.12.91
Homélie : Le oui de Marie. 22.12.91
Chapitre : La double annonciation. 23.12.91
Chapitre : Fête de Saint Etienne. 26.12.91
Chapitre : Fête de Saint Jean. 27.12.91
Le mouvement de la vie contemplative.
Chapitre : Fête des Saints Innocents. 28.12.91
Témoins de Dieu sans le savoir.
Règle : 71 : S’obéir mutuellement. 29.12.91
Homélie : Fête de la Sainte Famille. 29.12.91*
Règle : 72 : Du bon zèle. 30.12.91
Le testament spirituel de Saint Benoît.
Règle : 73 : Tout n’est pas dit …… 31.12.91
Table des matières de l’année 1991 :