Noël 1995.

 

Homélies en la fête de la Nativité.        25.12.95.

1.   Messe de minuit.

 

 

Frères et sœurs,

 

            Nous venons d’entendre un chant merveilleux, un chant qui bercera l’oreille et le cœur des hommes jusqu’à l’aube des temps nouveaux, des ces temps où le travail de restauration et de transfiguration du monde étant accompli, Dieu sera tout en toutes choses.

            Et nous savons, cela vient de nous être redit, nous savons que cette beauté inouïe est, et sera pour jamais, l’œuvre d’un enfant. Car Jésus, le fils de Dieu et de Marie, reste pour toujours un enfant, lui qui n'a pas de commencement et qui a vaincu la mort. Noël est la fête de l'enfance, Noël est le jour où tous les impossibles sont à notre portée.

            Et le plus impossible de tout, n’est-ce pas notre métamorphose en Dieu ? Oui, il faut toujours le répéter surtout dans des occasions comme celle-ci : Dieu est devenu homme pour que l’homme puisse devenir Dieu. Serait-ce là un discours creux ? ou bien une réalité est-elle cachée derrières ces mots ?

 

            La réponse, frères et sœurs, ce sont les saints, les hommes et les femmes qui, à l’intérieur de leurs limites et avec leurs défauts, sont devenus pur amour à la manière de Dieu. Car Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a envoyé son fils unique, non pas pour le juger, mais pour le sauver, pour le rassembler dans l’unité et lui infuser sa propre vie.

            En naissant dans une chair d’homme, Dieu déposait dans cette chair le germe de sa transfiguration, de sa résurrection, de sa divinisation. Là est notre espérance, notre folle espérance ! Nous qui sommes de pauvres paquets de chair, nous naissons de Dieu, nous ressuscitons en lui et nous retournons à lui.

 

            A partir de ces prémices qui sont les trésors les plus précieux de notre foi, nous pouvons comprendre que Noël est la fête de notre propre anniversaire. Choisi dans le Christ avant la création du monde, nous sommes nés avec lui ; membres de son corps, nous sommes venus au monde en même temps que lui ; et comme lui, nous sommes immortels, nous passons vivants à travers la mort. Oui, nous sommes vraiment des fils et des sœurs en lui. Nous sommes tous, qui que nous soyons, spirituellement divinement consanguins.

 

            Ce lien surnaturel divin, frères et sœurs, soyons-en pénétrés, il est plus puissant, plus réel que le lien forgé par la parenté biologique naturelle, charnelle. Jésus lui-même l’a hautement proclamé. Qui est ma mère, qui sont mes frères ? Celui qui fait la volonté de Dieu, celui qui est né de Dieu, celui-là, il est mon frère, et ma sœur, et ma mère.

            De plus, si nous sommes nés en même temps que le Christ, nous avons tous le même âge. Il n’y a pas de vieillards, il n’y a pas de jeunes gens, il n’y a pas d’enfants. Nous avons tous le même âge. Nous avons l’âge du Christ notre tête. Nous sommes nés de Dieu ensemble, en même temps que lui.

            Frères et sœurs, ce n’est pas là une lamentable conclusion, non, c’est la réalité du monde à venir déjà inscrite au plus secret de nous. Jésus lui-même l’a encore dit, dans l’univers de la résurrection, nous serons tous comme des anges de Dieu. Et nous le sommes déjà maintenant en espérance.

 

            Frères et sœurs, le mystère de Noël, le mystère de l’incarnation du Verbe de Dieu nous ouvre les yeux sur notre vérité entière : nous savons qui nous sommes et nous savons où nous allons. Nous sommes venus de Dieu et nous retournons vers lui. Il reste maintenant à conformer notre conduite à cette vérité. Nous le faisons en nous ouvrant les uns aux autres, en nous laissant porter par l’amour qui est Dieu.

 

            Et mon souhait cette nuit, mon souhait en cette fête, c’est que nous soyons de mieux en mieux ce que nous sommes, à savoir des enfants de Dieu, des hommes et des femmes en voie de divinisation, des hommes et des femmes porteurs de lumière, messagers d’espérance, capables de rayonner au loin la lumière de la vérité, de l’espérance et de la paix.

            Il faut, frères et sœurs, que nous devenions grâce à notre ascendance divine, que nous devenions des anges, des messagers qui peuvent porter à tous et à chacun, silencieusement par le simple fait que nous soyons là, que nous puissions porter le message des anges : Paix sur la terre aux hommes que Dieu aime. Car Dieu est amour et Dieu aime.

            Laissons donc travailler en nous la puissance discrète de cet amour afin que notre vocation humaine, notre vocation chrétienne puisse parfaitement s’accomplir.

 

 

                                                                                          Amen.

 

 

2.   Homélie de la messe du jour.

 

 

 

Frères et sœurs,

 

            Au cours de la célébration de cette nuit, nous avons compris que nous sommes nés avec le Christ, en même temps que lui. Nous qui sommes les membres de son Corps, nous partageons le même sang divin, un même lien de parenté nous unit. Chacune de nos Eucharistie ravive en nous ce mystère de grâce.

            Aujourd’hui, avec une précision stupéfiante, la Parole de Dieu nous le répète pour notre consolation et notre joie. Elle nous ouvre des perspectives d’une beauté infinie. Et on comprend que les hommes et les femmes qui sont, par pure grâce, pénétrés de la présence de cette beauté, renoncent à tout pour s’enfoncer dans le désert, là où cette beauté, loin de tous les divertissements, va pouvoir se manifester dans sa plénitude.

 

            Ecoutons la Parole de Dieu et laissons-nous pénétrer, soulever par elle. Elle nous dit que nous ne sommes pas nés de la chair, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme ; elle nous dit que nous sommes nés de Dieu.

            Nous ne nions pas notre naissance charnelle, mais celle-ci est une enveloppe à l’intérieur de laquelle est cachée une autre naissance, notre naissance à partir de Dieu, notre naissance pour une vie impérissable.

            Et c’est en cela précisément que consistait la Bonne Nouvelle apportée par le messager que le prophète voyait courir sur les montagnes. Nous sommes nés de Dieu. Nous sommes enfants de Dieu. Nous sommes cohéritiers du Christ, cohéritiers avec lui de la résurrection et de la divinisation.

 

            L’Apôtre Paul avait reçu la grâce de contempler le Christ dans sa beauté au moment où il s’avançait pour mettre en prison les disciples du Christ. Il en fut bouleversé jusqu’au plus profond de son être.

            Et il a compris qu’il y avait pour l’homme une autre destinée que ne peuvent offrir les biens de ce monde aussi précieux soient ils. C’est la destinée de devenir semblable à Dieu, la destinée de l’adoption divine portée à son sommet. Et sans arrêt, sans arrêt, chaque fois qu’il s’adressait à ses disciples, il leur rappelait cette évidence.

 

            Frères et sœurs, puisque la vie divine circule en nous, nous pouvons par l’intérieur de nous-mêmes, à partir de notre cœur comme disent les spirituels, nous pouvons connaître qui est Dieu et commencer à le voir.

            C’est le chant immense de la vie mystique à laquelle chaque chrétien, et même chaque homme, est prédisposé. Il y a des abîmes d’amour dans lesquels nous pouvons nous plonger et nous purifier sans fin.

           

            Toute vie humaine est donc dès maintenant une vie divine et nous en connaissons les organes. La Foi est la vie du Verbe de Dieu en nous ; l’Espérance, c’est la vie du Père en nous ; la Charité qui est la vie de l’Esprit Saint en nous.

            Nous pouvons donc connaître Dieu comme il se connaît ; nous pouvons le posséder comme il se possède ; nous pouvons l’aimer comme il s’aime. Dieu n’est pas jaloux, Dieu n’est pas avare, Dieu n’a pas peur.

            Ce qu’il est, il nous le partage  en plénitude. Il ne retient rien pour lui, il nous donne tout. Dans son verbe devenu chair, il nous a tout donné, il s’est donné à nous totalement.

 

            Alors vous comprenez que la vie chrétienne, c’est également de se donner sans réserve aux autres, sans exclusive ; ne plus s’appartenir, mais appartenir aux autres afin d’emmener les autres avec soi jusqu’au plus secret de la Sainte Trinité. Il faut ainsi que tous les hommes puissent réaliser leur destin.

            Et nous, les chrétiens, nous avons été choisis pour être les instruments de ce projet extraordinaire. Oui, nous pouvons collaborer avec Dieu et nous le devons. Nous devons collaborer avec lui à la création et à la Rédemption de l’univers.

 

            Tels sont les trésors mis à notre disposition par la naissance du Christ Jésus. Si nous en étions persuadés, notre existence en serait illuminée, transformée pour jamais. Mais hélas, nous nous laissons si facilement reprendre par les mille et un soucis de cette vie !

            Ils sont bien réels, certes, mais rappelons-nous ce que le Seigneur Jésus a dit, lui qui est le chemin, la vérité et la vie. Il nous a dit ceci : « Cherchez d’abord en tout premier lieu le Royaume de Dieu et sa justesse et tout le reste vous sera donné par surcroît ! ».

 

            Frères et sœurs, demandons les uns pour les autres la grâce de pouvoir vivre selon notre destinée divine. Nous serons alors des artisans d’unité, de réconciliation universelle et de paix !

                                                                                         Amen.

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Homélie en la fête de Saint Etienne.      26.12.95.

 

 

Frères et sœurs,

 

            La mise a mort du diacre Etienne par une bande d’énergumènes est la première et tragique manifestation  de l’affrontement terrible, implacable, entre les enfants de Dieu et les hommes emprisonnés dans la geôle de leurs passions charnelles.

            Et ce conflit sans merci traverse notre propre cœur et nous ne pouvons qu’en pleurer. Malheureux que je suis ! s’exclamait l’Apôtre Paul, le bien que je veux, je ne puis le faire et le mal que je hais, c’est cela que je fais. Et ces pensées qui nous tourmentent, et ces peurs qui nous habitent, et ces barrières qui nous séparent ?

 

            Frères et sœurs, de quel bord sommes-nous donc ? Regardons Etienne et ses meurtriers et nous apprendrons beaucoup, et surtout nous nous tiendrons en garde contre nous-mêmes.

            Tous les acteurs du drame sont fils de Dieu. Ils le sont par droit de naissance. Les uns, la plupart sont toujours à l’état d’embryon. La chair les emprisonne et les étouffe. Elle les rend sourds, elle les rends insensibles. Ils se bouchent les oreilles pour ne pas entendre et ils poussent de grands cris pour se rassurer.

 

            Etienne, lui, est transfiguré par la vie divine qui bouillonne en lui. Ceux qui étaient là, est-il dit, contemplaient son visage comme celui d’un ange. Il est rempli de l’Esprit Saint. Ceux-là ne sont-ils pas fils de Dieu qui sont mus, qui sont conduits par l’Esprit Saint ?

            Aussi est-il plein de grâce et de puissance, non pas une puissance qui peut dominer, mais une puissance qui s’efface pour mieux servir. Il vit à l’intérieur de l’univers de Dieu dont il voit la gloire. Il contemple Jésus auréolé de lumière. Il s’abreuve sans fin à cette source de vie. Il est possédé par l’amour. Il ne peut qu’excuser et pardonner : Seigneur, ne leur compte pas ce péché !

 

            Frères et sœurs, la chair et le sang n’ont pas accès au Royaume de Dieu. Pour eux, ce n’est là que folie et blasphème, quand ce n’est pas crime. Ou bien on engage une guerre sans merci contre tout ce qui est de Dieu, ou bien c’est l’indifférence, l’ignorance. Mangeons et buvons, demain nous mourrons !

            Et pourtant, tous ces hommes sont nés de Dieu, tous sans aucune exception. Tôt ou tard, dégagés de leur esclavage, ils verront eux aussi la lumière. Saül, complice du meurtre d’Etienne en est l’exemple frappant.

 

            Mais regardons-nous nous-mêmes ! Sommes-nous totalement convertis ? Nous avons pourtant prononcé un vœu de conversion. Nous nous sommes engagés à travailler à notre transfiguration, à y travailler en nous ouvrant à la miséricorde de notre Dieu, à l’amour qu’il est, en permettant à l’Esprit Saint de féconder sans mesure le germe divin qui est déposé en nous.

            Oui, travailler à notre conversion, c’est concrètement obéir, c’est coller à Dieu, c’est devenir un seul esprit avec lui. Tel est le chemin de la liberté, tel est le chemin qu’a suivi Etienne, tel est le chemin qu’au jour où il a été bouleversé de fond en comble, Saül, devenu Paul, a suivi jusqu’au témoignage suprême.

 

            Frères et sœurs, prenons exemple sur ces homme de foi ! O, il ne nous sera jamais demandé d’aller si loin ! Mais, à l’intérieur de ce que Dieu attend de nous, faisons confiance et soyons vraiment des nés de Dieu, renonçant à toutes les convoitises, à tout ce que la chair, à tout ce que le monde peuvent nous offrir  comme illusions ; et entrons dans la vérité en nous coulant de plus en plus à l’intérieur de l’amour qu’est notre Dieu.

 

                                                                               Amen.

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Homélie : Fête de St Jean l’Evangéliste. 27.12.95.

 

 

Frères et sœurs,

 

            Hier, en compagnie du diacre Etienne, nous connaissions un climat de violence, de sang et de mort. Cela ne doit pas nous étonner, Jésus n’a-t-il pas annoncé qu’il n’était pas venu apporter la paix sur la terre mais la guerre. Il nous a prévenu, oui, on se dressera les uns contre les autres, on sèmera la haine et on récoltera la mort.

            Jusqu’à la fin des temps, le Christ Jésus, Dieu avec nous, sera un signe de contradiction et un facteur de division. Les hommes sont ce qu’ils sont. Ils ne peuvent supporter d’être remis en cause et ils se débarrassent de l’intrus, de tous les intrus. C’est triste, infiniment triste ! Dieu n’avait jamais voulu cela.

 

            Aujourd’hui, l’ambiance est toute autre. Le mystère de la nativité doit nous livrer ses secrets, ses antinomies, ses contradictions, ses contrastes. Dieu présent corporellement sur notre terre apporte aussi autre chose que la guerre. Les anges n’ont-ils pas chanté, au moment de sa naissance, la paix donnée aux hommes que Dieu veut combler.

            Aujourd’hui, nous sommes d’un seul coup d’aile transportés au commencement. Ce commencement mystérieux n’est autre que Dieu dans son éternité et dans son amour, un amour qui le porte à créer un vis-à-vis, un partenaire avec qui dialoguer. Et Dieu qui est amour est toujours en train de créer.

 

            Ce commencement nous est devenu présent dans la personne du Seigneur Jésus. Nous pouvons l’entendre, nous pouvons le voir, nous pouvons le contempler, nous pouvons le toucher. Il est question de vie, de lumière, de communion, de joie. Et Dieu ne fait jamais rien à moitié.

            Notre joie doit être pleine, complète, achevée, parfaite. C’est la propre joie de Dieu, la propre joie du Christ, celle qu’il nous a légué comme son testament. Il y a une dizaine de jours, nous avons entendu l’Apôtre Paul chanter cette joie : Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur ! Je vous le dis encore ; réjouissez-vous ! Que votre modestie, votre douceur soit connue de tous les hommes ! Ne vous inquiétez de rien !

 

            C’est vrai, frères et sœurs, nous sommes enfants de Dieu, nous sommes de sa race, nous sommes ses contemporains, nous vivons de sa vie. Possédant l’éternité, nous sommes maîtres de nous-mêmes et maîtres du monde. Que nous faudrait-il de plus ? Nés de Dieu, nous sommes établis au cœur de toute plénitude.

            Lorsque le Seigneur Jésus répondait à Pierre : « Si je veux que ce disciple que j’aime reste jusqu’à ce que je vienne, est-ce ton affaire ? ». C’est cela notre vie ! Rester jusqu’à ce que le Seigneur vienne ; rester, nous maintenir à notre place dans la confiance ; être ouvert à son amour comme une fleur est ouverte au soleil et à la pluie, à la neige et à la gelée, car une véritable fleur est toujours en état d’éclosion.

            Et puis attendre qu’il vienne ! Et il vient à toute heure, à toute minute. Chaque instant de notre existence est un commencement et une nouveauté. Dieu est créateur d’éternelle nouveauté.

 

            Frères et sœurs, telle est la vie chrétienne dans son ineffable beauté. Elle est écoute, elle est vision, elle est toucher, elle est rassasiement, elle est joie au sein d’une communion avec Dieu qui dépasse en infini toute imagination.

            Dieu est notre Père. Nous naissons de lui. Le Seigneur Jésus est notre tête, nous sommes les membres de son corps. Nous sommes tous frères et sœurs. Le même sang divin circule en nous. Si bien que le ciel – si nous en avons conscience – le ciel est déjà présent ici, parmi nous, sur cette terre.

 

            Cultivons avec soin ce rêve ! Il n’est pas trop beau, il est la réalité des réalités. Il est en nous murmure de l’Esprit, il est en nous chant de vie éternelle.

 

 

 

 

                                                                                Amen.


Homélie : Fête des Saints Innocents.     28.12.95.

 

 

Mes frères,

 

            La noblesse de notre ascendance divine ne nous épargne pas d’être vendus au péché. C’est là le tragique de notre condition. Rappelons-nous le gémissement de l’Apôtre Paul : en moi habite le péché qui me pousse à mal agir ! Et Jean vient de nous dire la même chose : Si nous disons que nous n’avons pas de péchés, nous nous égarons nous-mêmes et la vérité n’est pas en nous !

 

            Nous sommes ainsi déchirés par un gigantesque conflit qui traverse notre cœur comme il jette le monde dans des amoncellements immenses de maux, de malheurs. Mais cela n’empêche pas que nous soyons toujours des fils de Dieu promis à une gloire sans prix. Mais comment serons-nous délivrés, guéris, transfigurés ? L’amour qui brille sur la face du Seigneur Jésus réalisera ce prodige. A nous de le croire et d’entrer dans la douce et puissante dynamique de cet amour.

 

            Mes frères, le péché, c’est Hérode tapit au fond de notre cœur. C’est la soif de pouvoir, c’est la convoitise de la chair, c’est l’orgueil des richesses. Et le tout est dominé par une immense peur, une peur qui rend cynique, cruel, meurtrier.

            Prenons garde, mes frères ! Lorsque nous laissons une pensée négative prendre racine et grandir dans notre cœur, nous devenons complices d’Hérode. Car tout ce qui est dirigé, même en pensées, contre le frère porte atteinte à son intégrité et le pousse dans la mort.

 

            Le péché, c’est l’égoïsme qui se trouve parfois poussé jusqu’aux limites extrêmes de la démence. Hérode envoie tuer tous les enfants de Bethléem et des environs. L’Hérode qui nous habite veut occuper toute la place. Moi, rien que moi ! tel est son cri de guerre.

            Alors il met tout en œuvre pour étouffer en nous la vie divine, pour en asphyxier et en tuer le germe. Tous les moyens lui sont bons : la ruse, la séduction, la violence. Il cherche en nous des complicités et il en trouve trop souvent, hélas !

 

            Mes frères, nous sommes avertis, restons sur nos gardes ! Le moine n’est-il pas un veilleur. Le trésor de notre ascendance divine doit être protégé. Nous le tenons à l’abri et nous le faisons fructifier si nous restons inflexiblement branchés sur la volonté de Dieu. L’… ? … de notre refuge, c’est cette volonté de Dieu, volonté qui n’est que lumière et amour.

            Ainsi devons nous laisser grandir en nous cette vie divine. Nous sommes nés de Dieu, ne l’oublions jamais ! Soyons logiques avec notre condition, logique avec notre vérité. Et alors, nous verrons le fantôme d’Hérode s’évanouir pour jamais.


Homélie du 5°jour de l’Octave de Noël.   29.12.95.

 

 

Frères et sœurs,

 

            La Parole de Dieu nous signifie clairement aujourd’hui que si nous voulons permettre à la vie divine de s’épanouir en nous, nous devons absolument nous établir solidement dans la vérité, c’est à dire dans l’humilité ; la vérité à l’endroit de nous-mêmes, à l’endroit des autres, à l’endroit de Dieu. Etre à notre place, celle qui nous a été désignée par la Providence et ne pas vouloir en changer.

 

            Maintenant déjà dans notre enveloppe de chair, nous sommes fils de Dieu, nés de lui, ayant en lui et par lui la vie, le mouvement et l’être. Tout en étant parfaitement lucide sur notre condition charnelle, nous avons à nous comporter divinement, c’est à dire à aimer inconditionnellement et à rayonner la lumière.

            La vérité totale, tel doit être notre habitat. A cette condition, nous comprendrons mieux que Dieu est notre Père, que le Christ Jésus est notre frère et que l’Esprit Saint est notre vie. Et bientôt, la chrysalide de notre corps se déchirera et nous apparaîtrons dans toute notre beauté divine.

            Cependant, ne nous berçons pas d’illusions ! Une foule d’Hérode nous fait la guerre à l’intérieur de nous et à l’extérieur de nous. Ils veulent notre mort et ils ne connaissent aucune pitié. Mais celui qui est en nous est plus fort qu’eux tous. Si nous nous attachons à lui, c’est nous qui serons vainqueurs

 

            C’est là, frères et sœurs, l’art merveilleux de l’obéissance qui nous installe dans la lumière et prévient toute occasion de chute et nous sommes alors dans la vérité aussi vis-à-vis des autres. En chacun des hommes, nous reconnaissons un frère qui partage la même vie divine et le même destin de gloire. Nous admirons la flamme de lumière qui brûle au fond de lui et nous nous inclinons devant elle. La charité commence toujours par l’admiration et le respect.

            C’est à cet endroit précis, frères et sœurs, qu’Hérode nous lance les assauts les plus durs. Sombrer dans le mépris ou dans la haine serait choir hors de la lumière. Mais celui qui est plus grand que notre cœur veille sur nous. Il sait tout et il nous préservera toujours.

 

            C’est ainsi que nous pouvons nous établir dans la simplicité qui était celle de Marie et de Joseph. Ils ne se compliquent pas la vie. Leur cœur est rempli de bienveillance et d’accueil. Ils ne soupçonnent pas le mal. Et pourtant le mal les environne et bientôt il s’abattra sur eux.

            Siméon les prévient. Un glaive de douleur traversera ton cœur, dit-il à Marie. Et Marie s’étonne. Elle ne comprends pas et Joseph non plus. Ils suivent Dieu et ils accomplissent les prescriptions de la Loi sans se poser de questions. L’Esprit Saint joue librement en eux. Ils sont en toute vérité avec l’Enfant Jésus encore inconscient une apparition de Dieu dans sa Trinité Sainte, Dieu présent charnellement dans notre monde.

            Et c’est cela que nous devons devenir sans nous laisser détourner par rien devenir présence de Dieu parmi nos frères.


Homélie du 6°jour de l’Octave de Noël.   30.12.95.

 

Frères et sœurs,

 

            Je vais ce matin vous tenir des propos étonnants. Ils ne seront en fait que l’écho lointain, extrêmement affaibli, des paroles tombées des lèvres de l’Apôtre Jean et qui déjà mystérieusement chantaient dans le cœur d’Anne la prophétesse.

 

            Jean s’adresse aux plus anciens et aux plus jeunes. Ils ont tous le même âge, remarquons-le, puisqu’ils sont nés avec le Christ, en même temps que lui dans le secret de l’amour, qu’ils sont nés de Dieu, qu’ils ont été choisis par Dieu dès avant la création du monde.

            Ils connaissent celui qui existe depuis le commencement, ce commencement mystérieux où se cache Dieu, où veille l’amour, où est mis en branle le projet de la création. Ils le connaissent par l’intérieur puisqu’ils ne font qu'un avec lui. Ils savent qui est le Père, l’unique auquel on puisse en vérité donner le nom de Père.

 

            Il est leur Père dont ils reçoivent sans mesure et sans fin la vie, le bonheur et tout. Ils ont vaincu le mauvais et leurs péchés ont été pardonnés, effacés, anéantis. Ils sont entrés dans la vie éternelle, la vie véritable et rien ne peut les atteindre. En eux habite la Parole qui a créé l’univers.

            Rien ne peut leur résister, tout leur est soumis. Ils sont devenus des créatures nouvelles. Le monde ancien s’en est allé, le monde nouveau est là. Par tout leur être ils collent littéralement à la Parole qui dit : Voici, je fais toutes choses nouvelles !

 

            Telles sont les merveilles accomplies en eux par la grâce d’une obéissance confiante, fervente, assidue. Ils vivent ainsi dans la nouveauté qui est Dieu lui-même, Père, Fils et Saint Esprit. Ils sont établis au-delà de la mort et de la vie, dans le commencement et dans la fin, au cœur de toute plénitude. Les promesses se sont réalisées en eux parce qu’ils ont cru.

            Ils ont renoncé au monde et à tout ce qui est du monde, ce monde qui est en train de s’évanouir avec sa vétusté, ce monde qui est passé tout entier sous le pouvoir du mauvais. Mais le mauvais, ils l’ont vaincu. Ils ont quitté le monde pour vivre jour et nuit dans le temple, chez Dieu qui est a lui son propre temple. Et ils vivent avec Dieu sans arrêt.

            Comme Anne la prophétesse, ils sont âgés de 84 ans, tous. Ils ont l’âge du ciel et de la terre fondu en un. 84, c’est 7 x 12 ; c’est [(3 + 4) x 3 ] x 4. C’est l’univers de Dieu et l’univers créé qui sont devenus UN, Dieu étant devenu tout en toutes choses.

 

            Vous voyez, frères et sœurs, ils ont établi leur demeure dans l’accomplissement de tout et, cette demeure, ils ne la quittent jamais. Comme Anne, ils voient et ils savent et dans leur cœur chantent les louanges du Créateur, de leur Créateur qui est en même temps leur Père.

            Voilà, frères et sœurs ce qui nous est promis à nous qui sommes chrétiens, qui sommes moines, qui sommes tout simplement des hommes. Il en est sur cette terre qui vivent déjà à ce niveau. Ce sera notre tour bientôt si nous le désirons, si nous l’acceptons et, si avec une confiance absolue nous tenons notre main ouverte.


 

Chapitre : Le dernier jour de l’année.     31.12.95.

      Ombres et lumières !

 

 

Mes frères,

 

            Le texte latin du chapitre de la Règle que nous venons d’entendre se termine par l’acclamation Amen. Et cet Amen conclusif de notre Règle tombe au dernier jour de l’année. Tout au début de sa Règle, Saint Benoît nous avait invités à l’écoute, une écoute attentive, soutenue, persévérante, aimante. Et voilà que au terme de cette écoute, nous touchons le salaire de notre fidélité : pervenies, tu parviendras, 73,26.

            Mais c’est un futur, un futur caché au creux de l’espérance. Mais l’espérance ne déçoit pas, nous dit l’Ecriture. Elle est déjà possession mystérieuse mais réelle. Elle vient de notre Père et elle retourne à lui en nous entraînant avec elle.

 

            Oui, mes frères, la vie monastique est construite sur un trépied : la foi, nous le savons, la foi qui entre autre ouvre les yeux du cœur et permet  de reconnaître la personne du Christ dans l’image de l’Abbé ; l’espérance qui est, comme je viens de le dire, possession anticipée de tout ce qui nous est promis ; et enfin la charité qui nous unit en un seul Corps.

            Nous devons toujours bien prendre garde de ne pas blesser une de ces vertus car alors, nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis et, finalement, c’est la chute.

 

            L’année s’achève sur un dimanche, sur le jour du Seigneur, sur le jour de la résurrection, de l’accomplissement de toutes choses ; de notre résurrection personnelle qui est déjà en route maintenant et qui, lorsqu’elle apparaîtra dans toute sa beauté, sera vraiment l’accomplissement de notre destinée. Car alors nous aurons reçu le nom nouveau que personne ne connaîtra sinon Dieu qui nous le donne et nous-mêmes.

            Le dimanche, c’est le jour où le monde à venir se rend présent et tangible, le jour où nous sommes un dans la lumière, un avec Dieu, un entre nous. Tel est, mes frères, le mystère du dimanche ! Pourquoi ? Mais je le répète, parce que c’est le jour où nous évoquons la résurrection du Seigneur Jésus. Et en l’évoquant, nous la rendons présente et agissante.

 

            L’année qui s’achève a connu des ombres et des beautés. Elle a été scandée, rythmée au long des jours et des nuits. Elle a été un mouvement ascensionnel car l’évolution, notre croissance ne recule jamais. Nous allons vers quelque chose. Nous allons plutôt vers quelqu’un qui nous invite, qui nous appelle, qui nous attire.

            Il est fatal que cette année ait connu dans nos vies personnelles et au niveau communautaire des ombres. Car nous sommes des êtres vulnérables, fragiles, malades, inconstants. Nous avons commis des impairs, des erreurs, des péchés. Mais c’est notre lot. Nous devons l’accepter tout en le regrettant. Et nous ne devons surtout pas faire un complexe de culpabilité car alors ça devient morbide. Mais voilà, nous sommes des pécheurs, nous le disons tous les jours à l’Eucharistie. Nous sommes ainsi, nous le regrettons, mais voilà, c’est notre lot !

 

            Mais il y a eu aussi des clartés dans nos vies. Pourquoi ? Mais parce que nous sommes des enfants de Dieu. Nous sommes nés de lui avec le Christ, en même temps que lui, nous qui sommes membres de son Corps. Nous avons été aimés et nous avons aimé, maladroitement peut-être ? Mais tout de même, nous avons aimé.

            Et la force de l’amour est éternelle. Elle est la marque en nous de notre race divine car Dieu est amour. Et l’amour, c’est autre chose que des mouvements de sympathie. Le Christ nous l’a rappelé. Nous devons être semblables à notre Père qui fait briller son soleil sur tout le monde, qui ne fait pas de distinction entre les bons et les méchants. C’est cela aimer !

 

            Et Dieu notre Père, et le Christ notre frère, que font-ils ? Eh bien, ils ferment les yeux sur les ombres et ils ne retiennent, ils ne regardent que les clartés. C’est cela qui est beau et c’est cela que nous devons faire aussi : fermer les yeux sur les ombres qui sont bien réelles et qui abîment notre visage et notre conduite, mais tenir les yeux grands ouverts sur les clartés qui sont en chacun de nous et qui sont si belles.

 

            Tel est, mes frères, le miracle de l’amour : pour lui, nous ne sommes que lumière. Alors, nous allons passer cette journée, si vous le voulez bien, dans une sainte repentance pour nos ombres et dans une fervente action de grâces pour nos clartés.

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Homélie de la Fête de la Sainte Famille.  31.12.95*

 

Frères et sœurs,

 

            Quelque part en Galilée, sur un léger promontoire, se niche une bourgade au nom enchanteur de Nazareth la fleurie, mais à la réputation douteuse. De Nazareth, que peut-il sortir de bon ? Tel est le mot qui circule dans les campagnes !

            C’est là que Joseph cherche refuge pour l’Enfant-Jésus et sa mère. Il ne se doute de rien, il ignore que l’ombre d’Hérode plane sur Nazareth. Il mourra dans sa douce ignorance.

            Mais Jésus, lui, sentira un jour cette ombre s’abattre sur lui quand les habitants de Nazareth, excédés par ses paroles, chercherons à le mettre à mort. Il leur échappera de peu.

 

            Il vaut mieux le savoir, l’esprit d’Hérode ne cesse de parcourir le monde cherchant qui dévorer. Jusqu’à la fin des temps, il s’acharnera contre les disciples de Jésus. Mais n’ayons pas peur ! S’il peut accabler le corps, il ne peut rien contre l’Esprit qui nous habite.

            Nous avons contre lui une parade infaillible, l’amour de charité. C’est cet amour qui cimentait la famille de Jésus, Marie et Joseph partout où elle se trouvait : à Bethléem, en Egypte, à Nazareth et aujourd’hui dans les cieux.

 

            L’Apôtre nous le rappelle à nous qui formons la grande famille chrétienne. Nous sommes nés de Dieu, nous communions à sa vie, nous avons à partager ses sentiments. Nous ne devrons plus, nous ne devons pas, nous ne devons jamais réagir comme des hommes au niveau purement biologique, comme des animaux raisonnables. Nous devons agir d’après ce que nous sommes, des fils de Dieu, des frères et sœurs appelés à partager le même destin de gloire.

 

            Cultivons en nous un cœur plein de tendresse, de bonté, d’humilité, de douceur, de patience ! Supportons-nous mutuellement les uns les autres et partageons toujours largement ! Laissons l’amour triompher pleinement en nous, la paix chanter au fond de notre cœur ! L’Apôtre insiste : nous formons un seul Corps et nous blesser les uns les autres serait à proprement parler suicidaire.

            Ne soyons jamais les complices d’Hérode ! Bien plutôt, faisons toujours tout au nom du Seigneur Jésus notre frère, dans l’action de grâce à Dieu notre Père, lui qui n’arrête pas de nous engendrer à sa vie !

 

            La Sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph est bien plus qu’un exemple, qu’une référence. Elle est un astre qui ne cesse de diffuser à travers le monde et sur chacun d’entre nous la lumière et la beauté. C’est à cela que nous sommes appelés.

             Nous sommes appelés à la beauté : être beaux nous-mêmes parce que nous sommes enfants de Dieu et que la vie de Dieu, sa beauté transparaît à travers notre chair. Nous sommes appelés à partager entre nous l’amour, et la lumière, et la paix.

 

            Voilà ce qui nous est proposé aujourd’hui ! Soyons donc tous et sans arrêt des relais ! Et pour cela, exposons-nous sans crainte aux rayons de cet astre merveilleux qu’est la Sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph.

 

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