Noël 1985.

 

Temps de Noël : Homélie à la messe de minuit. 24.12.85

 

Frères et soeurs,

 

Nous voici réunis à nouveau pour célébrer dans la joie et avec une émotion contenue l'apparition de notre Dieu dans une chair d'homme. Et Dieu n'est pas venu à nous sous la fi­gure d'un géant qui nous en aurait imposé par sa force déme­surée. Non, il est venu comme le Verbum infans, selon le mot de Saint Bernard, la Parole qui ne sait pas parler. Un enfant nouveau né, infiniment vulnérable, couché dans une mangeoire. Il n'y avait pas de place pour eux...

          Ce constat est terrible dans sa froideur de glace. Et pourtant Dieu l'a accepté, Dieu l'a signé. Il le pouvait, car il est Dieu. Sa présence, sa puissan­ce, sont rayonnement son d'un autre ordre, sont hors de notre nature. Ils sont ailleurs et pourtant tellement proches de nous. Seuls les yeux illuminés d'un coeur purifié peuvent en contempler et en admirer la beauté et la richesse.

Mais voici qu'à notre tour, nous sommes invités à entrer dans cette pauvreté, dans cette humilité, si nous voulons rencontrer Dieu. C'est la porte qu'il a lui-même le premier franchi. C'est la route resserrée qu'il a le premier parcouru et sur laquelle il nous invite.

 

Oh, vous comprenez qu'il s’agit d'abord d'attitudes spiri­tuelles profondes, qu'il nous place dans notre vérité devant Lui, devant nous-mêmes, devant les autres. Et pour cela, il faut un certain courage, car ça peut nous conduire très loin, ça peut nous conduire jusqu'au bout, jusque dans cet amour au-delà duquel il n'y a rien de plus grand : donner notre vie pour les autres gratuitement.

Et pourtant, dans cet anéantissement mystique de tout notre être se trouve la clef de notre réussite. Il nous est proposé de mourir à nous-mêmes afin de permettre au Christ notre Dieu de revivre en nous tout son mystère depuis sa nais­sance en nous jusqu'à sa résurrection d’entre les morts avec nous. Notre vie chrétienne est ainsi une sequela Christi, une marche à la suite du Christ jusqu'au jour où il nous apparaît dans sa lumière et dans sa joie.

Frères et soeurs, notre destinée est vraiment extraordi­naire. Elle est déposée entre nos mains depuis que notre Dieu a voulu devenir l'un d'entre nous afin que nous-mêmes puis­sions participer à sa propre vie. Une créature, la première, a vécu ce mystère. C'est Marie, Mère de Dieu et notre Mère. Nous allons nous confier à elle.

Elle va nous conduire, elle va nous porter, elle va nous en­fanter, car ce mystère va jusque là.

Nous la suivrons. Nous nous laisserons éduquer, élever par elle avec une confiance sans réserve. Elle sera notre mère comme le Christ est notre Frère, et notre Père, et que chacun d'entre nous est un membre infiniment précieux de son être à Lui, de son Corps.

 

Voilà ce qui nous est offert, voilà ce que nous accep­tons. Nous allons maintenant ensemble chanter le symbole de notre foi afin de donner notre accord plein et sans réserve à ce projet de Dieu sur chacun d'entre nous.

                                                                                                                    Amen.

 

Temps de Noël : Homélie à la messe du jour.   25.12.85

 

Mes frères,

 

L'Incarnation de Dieu n'appartient pas à un passé irré­médiablement révolu. Non, elle est de tout temps, elle est d'aujourd'hui. Certes, Jésus le Fils de Dieu est né à une date bien pré­cise de notre Histoire. Mais il a mis en branle un événement qui se déploie, qui se déploiera jusqu'à la fin du monde. Dieu devenu chair, devenu matière, le devient en chacun d'entre nous. Dieu a voulu devenir homme pour que l'homme puisse de­venir Dieu.

 

Si nous prenons conscience de cette réalité, si nous la vivons intensément, si nous nous accordons à elle avec souplesse, alors tout prend une coloration nouvelle,

­tout entre dans sa vérité dernière. Nous ne sommes plus jamais seuls.

Nous vivons avec Dieu dans son être Trinitaire. Nous vivons avec le Christ, le Ré­gent du cosmos et nous devenons les artisans, les collabora­teurs d'une métamorphose. Une mue s'opère en nous et autour de nous. Des êtres charnels deviennent des fils de Dieu. Nous entrons ensemble dans la vie divine, la vie éternelle et nous anticipons de quelque manière la résurrection des morts.

 

Voilà, mes frères, ce qui nous est offert, ce qui nous est proposé. Noël et Pâques sont les deux pôles qui donnent un sens à tous les détails de notre vie. Si nous sommes axés sur eux, si nous sommes orientés par eux, alors la charité envahit le coeur, la lumière réjouit le regard et les épreuves, les souffrances, les injustices, la mort même sont noyées dans la paix.

Certes, en surface, dans la sensibilité, la douleur est toujours là plus pressante que jamais. Et cependant, tout au fond, il y a un océan de paix. Car nous savons que tout fini par se résoudre en la Personne de notre Dieu Incarné, de no­tre Christ, Lui qui a pris dans son propre coeur toutes nos détresses afin de les noyer, de les emporter, de les transfi­gurer et d'en faire des joyaux dont nous serons ornés pour jamais.

 

Mes frères, la vie chrétienne, c'est donc l'incarnation de Dieu se poursuivant en nous. Cette vie, nous l'avons reçue, cette vie nous l'acceptons bien consciemment et nous allons nous laisser entraîner par elle sans nous laisser distraire. Et encore une fois, nous la confierons à Celle qui fut l'instrument de ce merveilleux projet divin, la Mère de Dieu et la nôtre.

Nous ne le répéterons jamais assez, c'est elle qui nous enfante à cette vie divine. C'est elle qui opère en nous - avec Dieu le Père, certes - cette ­nouvelle incarnation du Verbe de Dieu.

          Mes frères, sous sa guidance nous avancerons et nous ne permettrons pas que les épreuves, que les choses ou que les hommes nous en détournent. Et ainsi ensemble, nous cheminerons vers cette résurrec­tion d'entre les morts qui nous réunira tous pour l'éternité avec le Christ, avec Marie, avec tous les saints, dans la Trinité, pour un bonheur sans fin.

                                                                                                            Amen.

 

Temps de Noël : Homélie : Fête de St Etienne. 26.12.85

 

Mes frères,

 

Il est bon de dire quelques mots à l'occasion du martyr de celui qui le premier en chrétienté a versé son sang pour le Christ. C'est vraiment une coïncidence providentielle de voir cette célébration au lendemain de la fête de Noël.

Au cours de l'Office de nuit, nous avons entendu que ce rapprochement n'avait pas échappé aux Pères de l'Eglise et qu'ils en avaient tiré de profondes leçons. Hier, tout était joyeux. Aujourd'hui, tout est sanglant. Et ce contraste prend pour nous valeur de Parole prophétique. A l'intérieur du Royaume de Dieu, tout est accompli et, en même temps tout reste encore à faire.

Le Royaume de Dieu est présent parmi nous, mais il ren­contre une féroce opposition dans la société des hommes où nous voyons régner la brutalité, la violence, la drogue, le sexe, l'argent, la jouissance ; et dans notre propre coeur où serpentent toujours la vanité, l'orgueil, l'agressivité, la peur.

 

Pourtant, il y a dans le monde des lumières, les martyrs. Ce sont des hommes et des femmes remplis de l'Esprit Saint. Ils voient les cieux ouverts. Ils contemplent la gloire de Dieu et Jésus, le Sauveur, debout. Parmi ces martyrs, on peut compter les vrais contempla­tifs. Ce sont encore une fois des hommes et des femmes qui ont crucifié leur chair avec ses convoitises. Ils supportent les assauts les plus sournois de la part du démon. Et le plus souvent, ils sont déconsidérés, pour ne pas dire détestés, car on les considère comme des anormaux. Ils ne voient plus en effet les choses à la manière des hommes. Ils les voient à la manière de Dieu.

Mes frères, rien ne peut atteindre ces hommes, ces fem­mes, car il n'y a plus dans leur coeur la moindre trace de malice. Ils sont dans le monde présence du Royaume de Dieu et ils sauvent leurs frères car eux-mêmes déjà sont sauvés. En face d'Etienne, nous voyons Saul qui le combattait à mort. Eh bien, Etienne, par sa charité, il l'a emporté sur Saul, nous le savons. Et nous mesurons aujourd'hui la béné­diction que ça représente, et pour l'Eglise, et pour l'huma­nité.

Mes frères, le martyr est toujours vainqueur, toujours, car contre l'amour, rien jamais ne peut prévaloir.

                                                                                                         Amen.

 

Temps de Noël : Homélie : fête de St Jean.    27.12.85

 

Mes frères,

 

L'expérience dont l'Apôtre Jean proclame avec ferveur et fierté la réalité et la vérité, elle est nôtre à condition que nous ayons des oreilles pour entendre, des yeux pour voir et des mains pour toucher. Dans la foi qui est participation à l'Etre même de Dieu grandit, se construit, s'articule en nous un corps spirituel doté d'organes nouveaux adaptés à l'univers de Dieu.

          Et alors, nous entendons le Verbe de Dieu nous parler heure par heure, quasiment à chaque instant de nos journées. Nos yeux, nos yeux spirituels, nos yeux de lumière le regardent, le reconnaissent en chacun de nos frères, en cha­cun des hommes qu'il met sur notre route. Et nous le touchons, nous le touchons surtout dans l'Eucharistie, et nous l'assimilons à notre propre substance.

Mes frères, voilà la quintessence de notre vie contem­plative, de notre vie chrétienne toute ordinaire déjà, mais surtout la vie de ceux qui ont osé se lancer sur les routes que le Christ ouvrait devant eux.

 

Oh, ne confondons pas la foi avec une quelconque croyance. Celle-ci est du domaine de la chair, tandis que la foi n'est pas de notre ressort. Elle est du domaine de Dieu. Cette foi nous fait participer à la connaissance que Dieu a de son Etre et de son projet. Elle nous permet d'y en­trer. Elle nous dote de prérogatives qui sont proprement di­vines : la vie même de Dieu et sa puissance.

Mes frères, nous comprenons mieux l'enthousiasme de l' Apôtre Jean, son impatience de nous communiquer cette vie, de nous faire entrer par la foi en communion avec notre Dieu dans son Etre Un et Trine. Mais pour entrer dans cette communion, communion avec la lumière et avec le feu, il faut de l'audace. Il faut laisser toutes nos sécurités charnelles et adopter cette foi qui nous lance dans un univers déroutant, un univers où il nous semble devoir mourir.

Mais n'ayons aucune crainte ! Cette mort à nous-mêmes est le portail de la vie et de l'inaltérable joie. Les chrétiens devraient rayonner­ par leur joie. On devrait les reconnaître à leur joie.

 

Mes frères, sommes-nous de vrais chrétiens ? Sommes-nous des fils de l'Apôtre Jean ? Sommes-nous des êtres ayant cons­cience d'être en communion avec Dieu ? Voilà ce que nous pouvons nous poser comme questions en ces jours-ci où nous approchons de la fin d'une année et où nous allons entrer dans une autre.

Mes frères, c'est toute notre vie qui est ouverte devant nous. Entrons-y sans crainte.

                                                                                                             Amen.

 

Temps de Noël : Homélie : Les Sts Innocents.  28.12.85

 

Mes frères,

 

La tragédie qui vient de nous être rappelée nous éclaire à suffisance sur la féroce opposition menée par les hommes contre la venue du Royaume de Dieu. Aujourd'hui, c'est le roi Hérode.  Demain, ce seront les chefs des prêtres et leurs valets. De nos jours, rien n'est changé, sinon peut-être la façon de s'y prendre ?

En tout cas, ni l'exercice du pouvoir, ni la possession du savoir semble-t-il ne conduisent pas nécessairement les hommes à plus d'intelligence et de sagesse. Non, c'est la pureté du coeur seule qui ouvre à l'accueil de Dieu et de son Royaume. C'est là une loi éternelle, une loi de fer qui s'impose à chacun d'entre nous et à laquelle, pourtant, nous essayons d'échapper.

C'est ce qui explique tout !

 

Mes frères, après avoir entendu le récit du massacre in­sensé d'une foule d'innocents, nous ne nous étonnerons plus de rien. Dieu se plie à la cruauté des hommes, à la cruauté de ses créatures qu'il a voulu libres. Il aura connu lui-même toute l'horreur de cette cruauté lorsqu'il aura été suspendu à une croix jusqu'à la mort. Et cependant, son projet s'accomplit. Et c'est là une certitude qui s'impose à nous. Son projet s'accomplit même dans les choses contraires.

Mes frères, c'est pour nous, là, un très fort encourage­ment, car il n'est rien à l'intérieur de notre vie qui puisse nous faire tort à condition que nous restions toujours cram­ponnés à l'amour. Prenons bien garde de ne jamais nous trouver du côté de ceux qui s'opposent et de ceux qui tuent.

Oui ! Vous allez peut-être penser : ça ne nous arrivera jamais ! Ce n'est pas certain ! Les persécuteurs les plus terribles peuvent très bien se trouver parmi les gens de bien. Pensons à Saul, pensons à cer­tains pharisiens. Laissons un instant notre regard parcourir toute l'Histoire...

 

Pour échapper à ce péril, il y a un moyen. C'est de per­mettre à Dieu de devenir lumière en nous. Dieu est lumière. Il n'y a pas en lui la moindre trace de ténèbre, pas la moi­ndre trace de malice. Eh bien, lorsque en Christ, nous sommes devenus lumières, alors nous sommes vainqueurs du monde, nous sommes vainqueurs de nos instincts égoïstes, nous sommes vain­queurs du démon. Il ne rayonne plus de nous que le positif, c'est à dire l'amour et la bonté.

Et pour devenir lumière en Dieu, il nous suffit de nous plonger dans la fournaise de l'obéissance jusqu'à ce que no­tre coeur entièrement purifié ne respire plus que la bienveillance et l'amour.

Mes frères, ce qui est meurtrier à l'intérieur de l'hom­me, à l'intérieur de nous, c'est l'égoïsme. Laissons donc Dieu le mettre à mort afin que nous puissions goûter la li­berté d'aimer.

                                                                                                 Amen.

 

Temps de Noël : Homélie : La Sainte Famille.   29.12.85

 

Mes frères,

 

Ouvrons bien grand les yeux de notre coeur afin de con­templer le mystère caché entre Jésus, Marie et Joseph. Nous admirerons l'avenir merveilleux auquel nous sommes conviés. Nous sommes en présence de la première cellule d'un type de famille absolument nouveau. Cette famille n'est pas fondée sur des rapports charnels mais sur des relations purement spi­rituelles.

Jésus est tout à la fois Fils de Dieu et fils de Marie. Marie est tout ensemble vierge et mère. Et Joseph est le ga­rant et le protecteur de la divinité de Jésus et de la virgi­nité de Marie. Cette cellule va peu à peu, et de proche en proche, s'agréger l'humanité entière. Et à partir d'elle se tisse un réseau familial absolument nouveau, différent de celui qui se trouve inscrit dans le registre de l'Etat Civil.

Et cela ne doit pas nous étonner. Si nous sommes selon la chair fils d'un tel et d'une telle, nous sommes également enfants de Dieu, promis à une vie divine impérissable. C'est l'immense espérance chrétienne.

 

Rappelons-nous ce que le Christ-Jésus a dit lui-même : Celui qui fait la volon­té de mon Père qui est dans les cieux, celui-là, il est pour moi un frère, et une mère, et une soeur. Quant à ceux qui auront tout quitté pour me suivre, ceux-­là, ils recevront en ce temps-ci déjà, au centuple, frères, soeurs, mère et père, et dans la vie, dans le siècle à venir la vie éternelle. Nous pourrions nous arrêter longtemps sur cette contem­plation qui est si attirante, si fascinante.

Mes frères, nous voyons donc la famille se restructurer selon des normes autres que celles auxquelles nous sommes na­turellement habitués. Chacun d'entre nous reçoit un nom nouveau qu'il est seul à connaître. Mais tous, nous avons en commun des entrailles de tendresse, de bonté, d'humilité, de douceur et de patience.

La famille que nous formons a une âme omniprésente, omni­agissante.

Et cette âme, c'est l'amour-charité qui porte en lui la promesse de l'éternité, cette charité qui est le lieu de toute réconciliation et de toute paix. La famille charnelle n'en est pas dévaluée. Bien au con­traire, elle trouve toute sa grandeur et sa vraie noblesse. Car, absorbée dans l'univers de Dieu, plongée jusqu'au sein de la Trinité elle-même, elle est emportée au-delà de tout ce à quoi elle serait naturellement destinée pour être finale­ment transfigurée.

 

Mes frères, cette famille nouvelle qui s'élargit aux di­mensions du ciel et de la terre, elle porte un nom. C'est l'Eglise. N'ayons pas peur de le dire. Voyons cette Eglise dans ce qu'elle est et n'écartons personne de cette Eglise. Tout le monde y est appelé, tout le monde en fera finalement partie.

Toute structure à l'intérieur de l'Eglise est ainsi por­teuse de cette semence nouvelle qui doit chaque fois créer ou alimenter plutôt, ce filum nouveau qui a commencé à partir de cette minuscule cellule déposée par Dieu dans la terre de Na­zareth.

Mes frères, avançons dans notre Eucharistie sur cette vision de vérité et de beauté, avançons-nous avec au coeur la reconnaissance et la joie, cette joie qui vient encore de nous être promise par l'Apôtre, cette joie qui ne se trouve qu'au sein d'une charité qui englobe l'humanité entière deve­nue la famille de Dieu.

                                                                                                                        Amen.

 

Temps de Noël : Homélie La prophétesse Anne. 30.12.85

 

Mes frères,

 

Jésus est l'apparition parmi nous du monde à venir, de ce monde qui n'est que lumière, amour et paix. Ce monde nou­veau, les hommes de tous les temps l'ont attendu et ils l'attendent encore aujourd'hui.

Pourtant ce monde est si proche de nous. C'est lui qui soutient l'univers et qui le pousse vers son achèvement. Il est tout entier ramassé, condensé, récapitulé en la Personne de Jésus. Et à partir de Jésus, il se déploie, il se répand, il envahit, il transforme tout.

Si notre coeur est en voie de purification, s'il commen­ce à être purgé de toutes ,ses impuretés, il voit ce Royaume, ce monde à venir qui pénètre, qui soulève, qui emporte.

 

Mes frères, ce n'est pas pour rien que la femme qui at­tendait jour et nuit sans jamais quitter le Temple, que cette femme s'appelait Anne et qu'elle avait 84 ans. Anne, c'est à dire grâce et beauté. Elle était encore belle et gracieuse malgré son âge. Pourquoi ? Mais parce que elle attendait sa rédemption, et celle de Jérusalem, et celle du monde.

Elle était âgée de 84 ans, 7 X 12, la plénitude de toute perfection divine et humaine. Et cette femme, elle récapitu­lait en son être : et l'attente et la réalisation... les deux. C'est un peu notre condition aujourd'hui à nous que Dieu a retiré du monde pour être cette pointe du monde qui attend mais qui déjà voit et vit la réalisation de ce monde à venir.

En fait, nous sommes toujours placés devant un choix : ou bien immédiatement jouir de ce monde-ci, avec son égoïsme, avec ses convoitises, avec son orgueil, avec sa puissance... ou bien savoir attendre le monde à venir présent déjà pour­tant en la Personne de Jésus.

 

Mes frères, cette alternative est apocalyptique. Elle traverse l'Histoire d'un bout à l'autre. Elle transperce no­tre coeur de part en part. Et nous avons déjà choisi le jour où nous avons tout quitté pour suivre le Christ.

Et notre victoire, elle se trouve à l'intérieur de notre obéissance. Qui fait la volonté de Dieu demeure pour toujours, tandis que se dissipe, que disparaît le monde avec toutes ses convoitises.

Mes frères, laissons le Christ grandir en nous, prendre possession de tout notre être, occuper toute la place et vain­cre définitivement en nous le mauvais qui s'oppose au monde à venir.

                                                                                                              Amen.

 

Temps de Noël : Homélie du dernier jour.       31.12.85

 

Mes frères,

 

En ce dernier jour de l'année, la liturgie nous parle d'un commencement mystérieux, transtemporel, un commencement qui toujours nous échappera car nous vivons en de ça de lui, et pourtant un commencement dont nous sommes contemporains comme nous sommes contemporains d'une certaine fin. Mais comment cela peut-il se faire ?

A cette question, nous pouvons répondre par une autre question. Pourquoi ne pas prendre le risque de vivre notre foi jusqu'au bout ? Nous sommes enfants de Dieu. Nous participons à la natu­re de Dieu, à sa vie, à son amour. Notre véritable patrie, c'est le coeur de la Sainte Trinité. En ce lieu, nous sommes vraiment chez nous. Et nous y sommes déjà maintenant.

Et il nous est possible grâce à notre foi et à notre amour de le savoir, d'en prendre conscience, et à partir de là, de voir le monde, de voir nos frères, de voir notre vie personnelle avec un regard nouveau, le regard même de notre Dieu.

 

Oui, n'allons tout de même pas rêver à des phénomènes, à des expériences extraordinaires, fantastiques, à priori sus­pectes. Non, c'est une réalité toute ordinaire, toute simple, comme tout ce qui vient vraiment de Dieu. Si nous sommes pleinement ouverts à notre filiation di­vine, si dans un abandon confiant nous devenons un avec le Christ, à ce moment l'Esprit Saint purifie notre coeur et il le dilate à l'infini à la mesure même de l'être divin.

Et dès lors, nous devenons contemporains de tous les temps, et de ce fameux commencement, et de cette fameuse fin. Et nous sommes les frères de tous les hommes qui ont toujours vécus sur cette terre et qui y vivrons encore. C'est là, mes frères, une vérité qui explique beaucoup de choses à l'intérieur de notre vie.

L'éternité est ramassée, condensée en chaque instant de la durée. C'est pratiquement une évidence. La fine pointe de notre conscience, elle est ainsi coextensive à tous les temps et à tous les espaces, je le répète, et elle embrasse tout. C'est cela le cadeau que nous fait Dieu lorsqu'il nous donne de participer à sa vie, lorsqu'il nous donne d'être ses enfants. Et devenant ainsi contemporains de tous les hom­mes, nous aidons Dieu à conduire sa création vers son achève­ment. Nous ne sommes pas purement passifs devant Lui. Non, il entend que ses enfants travaillent.

 

Mes frères, voilà la mission à laquelle nous sommes ap­pelés par notre vocation chrétienne et surtout notre vocation contemplative. Nous y sommes invités par une toute petite parole que nous venons d'entendre il y a un instant : ils sont nés de Dieu. Oui, mes frères, nous sommes nés de Dieu.

En ce dernier jour de l'année, il est bon de le rappeler. Et vivant chez Dieu, dans notre véritable demeure, nous sommes hors d'at­teinte de l'anti-Christ, de toutes ces puissances mauvaises qui, à l'intérieur de nous, à l'extérieur de nous, essayent de nous détourner de notre vocation.

Etant hors d'atteinte, nous avons vaincu. N'ayons donc pas peur de vivre cette foi, de nous laisser emporter par elle et ainsi de connaître dès maintenant en plénitude notre condition de fils de Dieu.

 

                                                                                                    Amen.

 

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