Noël 1983.

 

Temps de Noël : Homélie : Messe de minuit.    25.12.83

          Naissance de Dieu en nous.            

 

Mes frères,

 

Nous voici à nouveau dans la nuit très sainte où nous célébrons avec joie la naissance de notre Sauveur. Ce n'est pas un anniversaire comme les autres. Ce n'est pas le rappel d'un fait, émouvant certes, mais pour jamais révolu. C'est bien autre chose. C'est une prise de conscience renouvelée d'un événement toujours actuel.

 

Si le Christ est né à un moment bien précis de notre histoire, dans le plan de Dieu, dans l'histoire qui coule du coeur de notre Dieu, il ne cesse de prendre naissance en chacun d'entre nous. Le savoir, le croire, l'expérimenter, mais c'est Noël à notre portée quand nous le voulons à chaque heure de notre existence. Cela devrait nous soulever d'enthousiasme et transfigurer notre vie.

Mais pour faire cette expérience, il faut par la foi ouvrir les barrières du monde surnaturel, en franchir le seuil et porter sur nous un regard de prophète. Dieu désire faire de nous ses enfants non suivant une formule juridique d'adoption mais par transfusion de sa propre vie. Il existe donc une naissance de Dieu en nous comme une nouvelle incarnation.

Mais comment cela peut-il se faire ? Le moyen est à notre portée. Il suffit de laisser l'Esprit de Dieu agir en nous. Il nous a pris sous son ombre. Il pénètre en nous et par des moyens qui lui sont seuls connus il forme en notre être, en notre coeur, une révélation nouvelle, origi­nale du Verbe de Dieu.

 

Mes frères, il y a là un événement qui devrait nous saisir. Il n'est pas irréalisable. Il suffit, je le répète, de laisser l'Esprit de Dieu agir en nous. En d'autres termes, il suffit d'obéir. C'est le sens le plus profond de notre voeu d'obéissance: permettre au Verbe de Dieu de s'incarner mystiquement en nous. Rappelons-nous cette parole extraordinaire de notre Christ : Celui qui tait la volonté de mon Père, celui-là il est ma mère. C'est à dire il me permet de prendre corps en lui.

Si nous nous laissons pénétrer de cette réalité, si elle devient pour nous une conviction habituelle, une gran­de lumière se lève dans notre vie, dans la nuit de notre vie. Toute forme de solitude mortelle est écartée, s'éva­nouit. Nous sommes en communion permanente avec Dieu et les uns avec les autres. Et notre âme commune c'est l'amour. Nous grandissons tous en un seul être, le Christ, dont nous devenons les membres.

Voilà, mes frères, ce qui nous est promis, ce qui nous est rappelé au cours de cette nuit. Chaque Eucharis­tie nous immerge dans cette beauté qui est notre vérité éternelle. Et là, nous sommes avec Marie la Mère de Jésus, Marie vers qui monte une ardente action de grâce car c'est avec Dieu, avec elle après Dieu que nous tenons toutes ces merveilles.

 

Mes frères, nous devons demander à notre Dieu de nous donner un regard qui nous permet de percer le voile des ap­parences sensibles, qui nous permet de voir Dieu agissant dans l'univers, agissant dans chacune de nos vies et façon­nant avec un amour d'une patience infinie - n'oublions pas que Dieu est amour - façonnant cet être nouveau qui est le Christ total, lui, dans lequel nous sommes insérés comme des cellules vivantes. Notre destinée, c'est de partager la vie de Dieu.

Mes frères, il faut que nous soyons toujours au fond de notre coeur dans la joie, cette joie que le Christ nous a promise et que personne ne peut nous ravir. Oui, je le sais, la vie est très dure. Nous rencon­trons des épreuves. Parfois s'abattent sur nous des mal­heurs dont nous pensons ne jamais pouvoir sortir, des souf­frances qui sont là et qui nous écrasent. Mais en dessous de tout, quelque chose ou plutôt quel­qu'un naît à nouveau. C'est notre Christ. N'y a-t-il pas quelque chose de dérisoire dans cette antinomie : un sau­veur, le Sauveur du monde qui est couché dans une mangeoire d'animaux. Personne n'aurait imaginé cela !

 

Mes frères, aujourd'hui encore nous devons le croire. C'est pourquoi restons fidèles et soyons autour de nous des hommes qui rayonnent une conviction qui est le ressort de leur vie : c'est que rien n'est jamais perdu. Au contraire, tout est gain. Tout, comme nous le dit Saint Paul coopère au bien de ceux que Dieu aime. Or Dieu nous aime tous et un jour nous serons réunis pour jamais en lui. Et à ce moment-là, nous aurons compris et nous aurons vu.

Mes frères, n'attendons pas ce moment. Déjà maintenant ouvrons nos yeux et regardons Dieu agissant, Dieu faisant naître le Christ en chacun de nous, Dieu le formant en tous les hommes. Soyons dans la joie, une joie profonde et que rien ni personne jamais ne nous en sépare.

 

                                                                                                           Amen.

 

Temps de Noël : Homélie : Messe du jour.      25.12.83

La Parole de Dieu se manifeste.

 

Mes frères,

 

La Parole de Dieu ne dissimule pas son identité sous le voile d'un prudent incognito. Elle se dévoile à nous telle qu'elle est dans son insoutenable splendeur et son attirante humilité. Elle nous parle d'abord d'un commencement, pas le sien, mais le nôtre. Elle, elle n'a pas de commencement. C'est elle qui nous a donné notre commencement. Elle est cet être absolument inaccessible, inconcevable, mysté­rieux que nous appelons Dieu.

Cette Parole qui est Dieu est aussi la Vie, la Vie de laquelle coulent toutes sortes de vies. Elle est vie, la Vie par excellence, profondeur in­sondable de conscience, de puissance, de fécondité dans un débordement impétueux d'amour, dans un don de soi sans limite. Elle est la Vie. Elle est la suressentielle beauté qui se manifeste à nous comme lumière. Et cette lumière vivante, elle donne consistance à tout ce qui existe. Elle est la nourriture et des anges et des hommes. La Lumière est l'essence même de la divinité.

Et pour nous, elle prend la forme de ce que les An­ciens ont appelé la GLOIRE. Voilà sa forme! En elle-même elle est Lumière et par rapport à nous elle se manifeste comme gloire. C'est a dire quelque chose de lourd, que si nous n'étions pas soutenus de l'intérieur, qui nous écra­serait...et qui en même temps nous fascine. Et dans son coeur, cette gloire n'est rien d'autre que la Lumière, elle n'est rien d'autre que Dieu.

 

La Parole qui est Dieu, qui est LA VIE, qui est la Lumière, elle qui crée et qui porte toute chose, elle se manifeste à nous, elle se rend visible, tangible entre deux pôles de totale faiblesse : un nouveau né vagissant dans une crèche et un supplicié agonisant sur une croix. C'en est presque trop, mes frères, et cela nous fait honte ... Devenir fils de Dieu en naissant de Dieu, voilà notre véritable destinée. Mais pour accomplir ce destin, pour recevoir cette naissance et la porter jusqu'à sa fleur et à son fruit, nous devons comme Dieu descendre au plus bas du dépouillement, connaître la mort, et l'accepter.

Mes frères, il y a dans l'agir de Dieu une logique qui ne répond pas à la nôtre. Et bien, c'est la nôtre qui doit entrer dans la logique de Dieu. Il a voulu se mettre a notre portée. Nous venons de l'entendre, la Parole elle-même vient de nous parler. Elle nous a dit qu'il était possible de voir la Lumière de Dieu jaillissant du regard même de Dieu, de voir Dieu les yeux dans les yeux, de le voir qui arrive, de le voir qui vit, de le voir qui s'installe parmi nous et dans nos vies. Et il le fait sous la forme la plus inattendue...

 

Mes frères, je disais cette nuit que nous devions avoir un regard de prophète pour entrer dans le monde divin, dans le monde de la résurrection, le monde du surnaturel. Dieu vient à nous dans notre frère, dans cet homme de chair comme nous, cet homme qui a nos faiblesses, qui a aussi ses qualités, mais qui est d'une fragilité, d'une gracilité extrême. Un souffle peut l'éteindre et pourtant c'est Dieu en lui qui prend naissance. Cet homme est une Parole que nous pouvons regarder, que nous pouvons toucher, avec laquelle nous entrons en communion. Et dans cette Parole qu'est notre frère il nous est possible de nous reconnaître comme dans un miroir d'une fidélité parfaite.

Mes frères, Noël, c'est le sérieux de notre vie chré­tienne et monastique, sa sublimité sans nom et son humilité sans fond. Voir la gloire du Christ et par là même être transfiguré en lui, rien au-delà et rien en deçà. C'est toute notre vérité. Cela nous est offert aujourd'hui et chaque jour dans l'Eucharistie qui en est le gage et les prémices.

Mes frères, n'hésitons pas ! Perdons-nous en Dieu afin de trouver la vie ! Accueillons notre frère afin d'accueillir le Christ ! Mettons-nous à son service, afin qu'imitant le Christ jusqu'au bout, nous devenions avec lui un seul esprit.

 

Amen.

 

Temps de Noël : Homélie : Saint Etienne.       26.12.83

Martyre monastique !

 

Mes frères,

 

Depuis la plus haute Antiquité la fête du protomartyr Etienne se célèbre le lendemain des solennités de Noël. Les Pères ont vu dans ce fait un message aux significations multiples. Si vous le permettez, je vais ce matin dégager à mon tour bien modestement, en toute simplicité, un sens, une Parole qui s'adresse à notre situation de moine contempla­tif.

Pour que le Christ puisse naître en nous au point de métamorphoser nos vies, il est nécessaire de passer par le creuset du martyre. Et j'entends martyre dans son sens original, à savoir le témoignage rendu à la véracité de Dieu et à la vérité de ce qu'il nous propose. Notre vie monastique contemplative doit donc s'appuyer sur une foi capable d'affronter toutes les épreuves.

Or ces épreuves sont nombreuses. Les unes nous viennent de nous-mêmes qui répugnons à mourir, qui faisons tellement un avec notre égoïsme, avec ce qui nous apporte une illusion de sécurité. D'autres épreuves nous viennent des hommes que nous heurtons par notre genre de vie. D'autres enfin nous viennent de Dieu lui-même qui dé­sire mettre notre fidélité à l'épreuve, qui veut la faire grandir jusqu'à ce que nous soyons trouves fidèles jusqu'au bout.

 

Mes frères, ces épreuves qui nous viennent de Dieu sont probablement les plus lourdes à porter et pourtant ce sont les plus précieuses car elles nous affinent. Une foi de cette qualité est donc le ressort secret qui nous permettra d'endurer la mort, mort qui est le témoignage suprême de notre amour et de notre confiance.

Il existe en effet une mort mystérieuse qui nous arra­che au monde pour nous introduire chez Dieu. En d'autres mots, la naissance du Christ en nous est sentie comme une mort à ce que nous sommes. En effet, le Christ veut occuper en nous, non pas une petite partie de notre être, mais tout l'espace. Il nous met donc - du moins c'est le sentiment que nous ressentons ­à la porte de nous-mêmes.

Mais nous nous accrochons à ce que nous sommes. Il faut donc que nous nous abandonnions à cette espèce de mort jusqu'à ce que nous ne fassions plus qu'un seul être avec lui. Et c'est à ce moment que nous émergeons dans la vie véritable. Et c'est pour nous une surprise, un émerveillement de découvrir que au-delà de cette mort il y a ce qui vraiment est la vie, ce que les Anciens appelaient la prédégustation de la vie éternelle.

 

Notre foi de moine contemplatif va consister tout spé­cialement en un long regard dirigé vers Dieu, le même re­gard que portait Etienne au moment où il se trouvait devant ses juges. Ce regard doit être persévérant. Il doit être fort ­- ne craignons pas de le dire - jusqu'à ce que les yeux s'ou­vrent et que nos yeux aperçoivent le Christ ressuscité debout dans son Royaume, veillant sur nous, nous aidant, nous attirant à lui, nous permettant de mourir.

C'est là, mes frères, un long et lent processus de purification, d'approfondissement, de croissance dans cette foi. Car elle ne nous est pas donnée de suite dans sa per­fection. Elle croît. Elle grandit. Elle pousse comme une plante qui doit produira son fruit.

Mes frères, nous devons nous prêter avec courage à ce développement en nous de la foi qui est première partici­pation a la vie du Christ. Nous devons nous y prêter, car elle est la route, la route unique qui va nous conduire là où nous désirons aller, là où nous sommes appelés. Oui, la vie monastique est vraiment un substitut du martyre car elle requiert une foi capable de dépasser tou­tes les morts.

Mes frères, nous ne nous y refuserons pas. Mais comme nous sommes bien faibles, nous demanderons au Christ de nous apparaître, dans l'obscurité déjà, mais nous sentons sa présence. Et puis, qu'il daigne ouvrir les yeux pour que nous le voyions avec plus de clarté et qu'ainsi nous ayons le courage de demeurer fidèle jusqu'à ce que il nous prenne chez lui.

                                                                                                                  Amen.

 

Temps de Noël : Homélie : Saint Jean.          27.12.83

L’amour de prédilection de Dieu.

 

Mes frères,

 

La tradition la plus ancienne a reconnu dans l'Apôtre que Jésus aimait l'Evangéliste Saint Jean. Nous n'entrerons pas dans les disputes et les polémiques des exégètes contemporains. Nous accepterons les choses telles qu'elles nous ont été données et nous essayerons d'en dégager une Parole qui nous touchera pour aujourd'hui.

 

Jean est un nom qui signifie : Dieu comble de grâces, Dieu revêt de beauté. Et si nous remontons à la source, il voudrait dire : Dieu aime d'un amour de prédilection. Et ici, mes frères, nous devons comprendre que dans ces conditions, le nom Jean est inscrit au coeur de chacune de nos vies. Personne ne peut se sentir ou se croire défa­vorisé, oublié, laissé pour compte. Dieu qui est amour ne peut aimer que divinement, c'est à dire avec une passion, une puissance, une fidélité qui le pousse aux sublimes folies.

Noël et le calvaire, une mangeoire et une croix sont toujours des réalités actuelles, présentes pour notre Dieu qui n'en finit pas de naître, qui n'en finit pas de s'humi­lier et qui n'en finit pas de souffrir. Et cela, mes frères, pour chacun de nous personnelle­ment, comme s'il n'y avait au monde que Dieu et moi.

Le problème se situe chez nous qui répugnons à nous laisser aimer modo Divino, à la façon dont Dieu nous aime. Nous préférons nous aimer nous-mêmes chichement, mesquinement. C'est plus pratique. C'est plus simple. C'est plus sécurisant, ça nous permet d'arranger notre petite vie selon nos petits goûts.

 

Mes frères, nous avons pourtant décidé lorsque nous sommes entrés dans la vie monastique de rejeter toutes for­mes d'égocentrismes et de placer le centre de notre vie dans cet amour que Dieu nous porte. Mais hélas ! Nous embrassons notre état monastique tels que nous sommes. Nous entrons dans le monastère sans laisser à la porte nos défauts, nos limites. Mais ce n'est pas ça qui doit nous décourager, au contraire...

Nous sommes engagés dans une lutte contre les vices de la chair et de l'esprit, comme nous dit Saint Benoît. Et en fait, c'est un combat en faveur de cet amour. Et nous savons que finalement cet amour l'emportera sur nos résistances. La naissance du Christ achevée en nous est le signe de la victoire de cet amour.

Mes frères, nous ne refuserons pas à Dieu cette joie qui rebondira sur nous et qui nous emportera là où est ar­rivé l'Apôtre Saint Jean dans le coeur de notre Dieu.

                                                                                                 Amen.

Temps de Noël : Homélie : Saints Innocents.   28.12.84

Dieu est honnête.

 

Mes frères,

 

Le Seigneur notre Dieu est honnête. Il ne nous attire pas dans des aventures sans issues. Lorsqu'il nous invite à le suivre, il nous dit au départ ce qui nous attend sur la route et au terme. Il n'a pas agit autrement avec ses parents lorsqu'il a pris la décision de s'incarner, de devenir l'un d'entre nous. Tout pour eux était joué dès les premiers jours. Il leur suffisait de déchiffrer, de comprendre et d'attendre.

Il n'y avait pas de place pour eux dans la salle com­mune. Ils ont dû chercher refuge à l'étable. Et oui, il n'y aurait jamais de place pour Dieu dans la société des hommes. Il est venu chez lui et les siens ne l'ont pas re­çu. Ils ne lui ont même pas laissé un endroit où reposer la tête. Il sera, il est un perpétuel gêneur. Lorsqu'il s'ap­proche, on l'écarte. Et lorsqu'il parvient à s'imposer, on le supprime.

Peu de temps après la naissance, il était mis sauvagement à mort dans la personne d'enfants incons­cients, innocents. Et ce crime horrible, absurde transcende toutes les époques et toutes les races. On dirait que tuer Dieu est le désir, est le besoin le plus profond de l'homme. Nous ne voulons pas que celui-là règne sur nous : crucifie-le ! Ce cri domine à jamais tous les tumultes et toutes les guerres.

 

Mes frères, les parents de Jésus, Marie et Joseph ont compris et ils ont accepté. Et nous aujourd'hui ? Pensons à notre Père Saint Benoît. Il en a, lui, tiré une leçon. Il a prescrit de dire à l'avance au nouveau venu tou­tes les choses dures et difficiles qu'il devrait traverser pour aller vers Dieu. Et il a préparé pour son disciple une échelle à emprunter pour descendre avec Dieu dans la mort avant de ressusciter avec lui dans la gloire.

Oui, mes frères, Dieu est honnête. Il l'est aujourd'hui encore. Et il attend de nous la même honnêteté. Mais laquelle ? C'est que nous marchions dans la lumière, et que nous pratiquions la justice, et que nous fassions nôtre son com­mandement qui est, vous le savez, de nous aimer les uns les autres. Et d'aller jusqu'au bout de ce commandement : chaque jour de risquer notre vie pour lui et pour nos frères.

Et ainsi nous serons vraiment les disciples de notre Dieu. Il trouvera en nous une place. Il y sera aimé. Et notre bonheur sera de nous conformer à lui en tout jusqu'à ce que nous ne fassions plus avec lui qu'un seul esprit.

 

Et ainsi, mes frères, le crime du massacre de ces inno­cents, les crimes qui se commettent partout dans le monde, ouvertement, insidieusement, cela sera racheté, cela sera compensé à l'infini par l'amour que Dieu pourra déployer dans notre coeur.

 

                                                                                                             Amen.

 

 

 

 

Temps de Noël : Homélie dans l’octave.          29.12.83

Son père et sa mère s’étonnaient !

 

Mes frères,

 

La Parole de Dieu est d'une richesse insondable, d'une densité indicible. La pénétrer, c'est à peine l'effleurer. La soupeser, c'est se brûler les mains. Elle sera pour l'éternité tourment délicieux et bonheur torturant. Aujourd'hui, une étincelle a frappé mon regard. J'en ai été ébloui. Ecoutez : il est dit que les parents de l'Enfant Jésus, son père et sa mère s'étonnaient de ce qu'on disait de lui.

 

Voyons la scène ! Siméon tient dans ses bras l'Enfant Jésus. Il est un pneumatophore. Il vit, il agit, il parle dans l'Esprit Saint. Il rayonne la lumière, la vérité, la force. Et ce rayonnement est contagieux. Les parents de Jésus en sont saisis, bouleversés, transportés. Ils croyaient con­naître leur enfant et voici qu'ils le regardent avec des yeux nouveaux. Ils en sont stupéfaits. Ils n'en croient pas leurs oreilles. Ils demeurent muets d'admiration. Ils sont élevés au comble du bonheur et toute leur angoisse est noyée.

Mes frères, cette étincelle, elle trouve son origine dans un tout petit mot qui a été rendu, traduit par : ils s'étonnaient, mais qui en réalité veut dire bien autre chose. C'est intraduisible en français car il évoque une sui­te continue de chose merveilleuses : la contemplation, la Personne même de Dieu, une admiration sans borne.

Mes frères, la pureté et la candeur de Marie et de Jo­seph donnent la note juste sur laquelle accordé notre vie contemplative, à savoir : une réceptivité parfaite à l'Esprit Saint et un émerveillement continu en présence d'une beauté qui surpasse tout.

 

Mes frères, pour être fidèles à notre mission, fidèles à notre vie, puissions-nous être comme Marie et Joseph, et aussi certainement comme Siméon, des innocents, des admi­rants et des adorants.

 

                                                                                                                     Amen.

 

Temps de Noël : Homélie : La Sainte Famille.   30.12.83

La folie de Dieu.

 

Mes frères,

 

Oserais-je presque dire que Dieu est un joueur ? Il prend des risques insensés et c'est à bon droit qu'on trouve chez lui des signes indubitables de folie. Voici qu'il mise toute sa création, toute son oeuvre, toute sa vie, sur moins que rien : le souffle d'un nouveau né et le dénuement de deux êtres sans malice. Après l'étable et la mangeoire, il les lance sur les routes d'un exil périlleux. Faut-il avoir tout son sens pour agir de cette façon alors que le salut de l'univers est là en jeu ?

Regardons de plus près, mes frères ! En fait c'est lui qui est traqué. C'est lui qui échappe de justesse à la mort. Bien plus tard il semblera avoir tout perdu lors­qu'il sera pris et qu'on le pendra à une croix. Mais en attendant il enfouit l'avenir du cosmos dans le coin le plus...le moins accueillant presque de la terre d'Israël. Et là, il va dans l'anonymat vivre comme une an­ticipation de sa mort.             Je dis le coin le moins accueillant parce que là aus­si un jour on attentera à sa vie.

Mes frères, ne cherchons pas chez Dieu de l'humaine­ment rationnel. Ne le cherchons pas. L'oeuvre de Dieu est signée de l'impuissance, de la déraison, et de la folie. Mais ce qui est faiblesse chez Dieu est plus fort que tout ce qu'il y a dans l'homme. Et la folie de Dieu est infiniment plus sage que toutes les astuces des hommes.

Et Dieu demeure identique à lui-même. Il n'agit pas autrement aujourd'hui dans nos vies. Il joue son projet sur la tête de quelques hommes pauvres, incapables, qu'il cache dans l'inconnu, dans l'obscurité d'un désert. Et il fait passer sur eux son vent de folie. Et ces hommes s'abandonnent à une obéissance qui va les conduire là où ils ne savent même pas...

 

Mes frères, ils savent tout de même une chose. C'est que Dieu entend réaliser en eux des merveilles inouïes. Ils sont entrés dans la famille de Dieu avec Marie et Jo­seph. Ils avancent vers leur destin appuyés sur Dieu seul. Et ils attendent.

Voilà, mes frères, qui est notre Dieu. Ne l'oublions jamais lorsque se présentent à nous des événements déroutants qui semblent jeter à terre tout ce que nous avons espéré. Non, il y a en dessous notre Dieu qui travaille, notre Dieu qui agit, notre Dieu qui est déraisonnable, et qui est fou, et qui nous fait participer à sa sublime folie qui est sagesse.

 

                                                                                                                      Amen.

 

Temps de Noël : Homélie dans l’octave.          31.12.83

La Loi et la Grâce.

 

Mes frères,

 

Il vient de nous être dit que la Loi nous a été com­muniquée par Moïse, tandis que la Grâce et la Vérité nous sont venues par Jésus Christ. Mais qu'est-ce que la Loi ? Qu'est-ce que la Grâce ?

Si nous écoutons la Tradition Rabbinique - qui est certainement un grand apport à la science de l'univers, une science naturellement qui n'a rien à faire avec les sciences exactes que nous connaissons aujourd'hui, mais qui tout de même va au fond des choses - si nous écoutons cette Tradition, la Loi est l'élément modérateur et orga­nisateur du monde.

C'est elle qui lui confère ordre, stabilité, pérenni­té. Elle est facteur d'équilibre et de sécurité. En se fondant sur elle, on peut construire, on peur prospérer. Eliminez la Loi et l'univers retourne à son état chaoti­que primitif. C'est pourquoi l'adversaire, le satan ne cesse de met­tre tout en oeuvre pour saper la loi, faire échec au plan de Dieu et répandre le malheur sur les hommes. Et cette Loi, elle nous a été donnée par un homme : Moïse.

La Grâce, par contre, ne pouvait venir que de Jésus­ Christ, c'est à dire de Dieu lui-même. La Grâce introduit un élément nouveau à l'intérieur du monde, un élément se­reinement perturbant. Elle est un grain de logique divine introduit dans l'univers, logique divine qui est scandale pour les juifs et folie pour les païens.

Le monde en est retourné : les premiers deviennent les derniers, les derniers prennent la place des premiers. Les puissants sont déposés, jetés à terre. Les humbles sont exaltés. Les affamés sont comblés. Les repus sont secoués et vidés.

C'est une jeune fille toute pure qui la première a reçu le choc de cette logique nouvelle, de cette logique divine. Et l'ébranlement s'en transmet jusqu'aux limites des espaces et des temps.

 

Mes frères, la grâce, c'est la vie divine pénétrant le monde, le faisant éclater pour le transfigurer. Elle est l'amour fou pour le monde d'un Dieu crucifié. Elle est un souffle irrésistible qui pousse dans le désert des hommes et des femmes qui ne se possèdent plus. Elle est la vérité première et dernière, celle-là qui loin d'évacuer la Loi, la surélève infiniment au-dessus d'elle-même.

Mes frères, il fallait que cette grâce nous fut donnée par Jésus-Christ, lui Jésus le Christ hier et aujourd'hui, le même pour l'éternité.

 

                                                                                                             Amen.