Noël 1981.

 

Temps de Noël : Messe de minuit.                24.12.81

      1. Introduction :

 

Mes frères,

 

Nous venons de nous prosterner dans un geste d'adoration, de reconnaissance, et de repentance. Nous ne sommes pas dignes de nous approcher du mystère de l'Incarnation. Et pourtant, notre vocation, c'est de le vivre. Nous sommes pris entre le charnel et le divin, entre le péché et l'amour.

Voici ce que nous allons faire : en ouvrant cette Eucharis­tie nocturne, cette liturgie solennelle, nous allons nous confier tels que nous sommes à Marie la Mère de Dieu et à l'immense famil­le des Saints. Ils laisseront tomber sur nous leur lumière. Et nous en deviendrons meilleur et beau.

 

      2. Homélie :

 

Mes frères,

 

Dieu est amour et l'amour est lumière. Plus profonde, plus obscure est la nuit, plus belle, plus rassurante brille à nos yeux la lumière de l'amour. Sans cette lumière, il ne nous serait pas possible de survi­vre dans notre monde de péché. Mais avec elle et en elle, nous devenons nous-mêmes lumière, signal d'espérance pour tous les hom­mes.

La nuit de Noël et la nuit de Pâques, je les vois comme deux piliers portant un arc de lumière par lequel l'humanité entre vers l'accomplissement de son destin : être pour l'éternité ray­onnement de la gloire du Créateur qui est amour. Cette merveille a eu un début. De ce commencement à la fois ponctuel et supra temporel, nous reprenons conscience au cours de cette nuit bénie.

Dans ce commencement, chaque détail, les moindres détails sont autant de pierres précieuses. J'en détache une qui me paraît d'une valeur sans prix : A deux reprises il nous est dit que le nouveau né, ce nouveau né qui est le Messie, le Sauveur, le Seigneur, lui qui porte l'univers par le souffle de sa puissance, ce nouveau né est couché dans une mangeoire. Il faudrait nous arrêter et regarder longuement sans glisser dans la sensiblerie, contempler pour comprendre et adorer.

Un fil invisible, une intention d'amour relie mystérieusement cette man­geoire, la croix du Golgotha et la table Eucharistique. Dieu est devenu homme afin d'être mangé. Sa chair est la vraie nourriture. Son sang est le véritable breuvage. Mais au préalable, il a fallu aussi qu'il fut dévoré par le crime comme fut dévoré le premier fruit dans le premier paradis. Si nous mangeons Dieu, c'est pour être assimilé à sa vie et deve­nir avec lui un seul esprit.

 

Mes frères, cette nuit nous rappelle que nous sommes pris sous le faisceau d'une lumière qui est l'amour. Et mon souhait de Noël pour cette année, je vais le formuler comme suit : que nous demeurions fidèlement dans cette lumière afin que soit manifesté en nos corps mortels la gloire de notre grand Dieu et Seigneur Jésus Christ. Et que à notre tour nous puissions devenir nourriture de vie pour tous les hommes nos frères.

 

                                                                                                                    Amen.

 

Temps de Noël : Messe du jour.                  25.12.81

      1. Introduction :

 

Mes frères,

 

Cette nuit nous avons commémoré la naissance à Bethléem en Judas du Sauveur de l'humanité, l'homme Jésus, le fils de la Vierge Marie. A présent, nous adorons le Dieu, le Dieu qu'il est, Dieu actuellement engendré du Père. Purifions le regard de notre coeur afin que notre contem­plation ne faiblisse pas. Et implorons avec confiance, pour nous-­mêmes, pour tous les hommes, la miséricorde de notre Dieu.

 

      2. Homélie :

 

Mes frères,

 

La naissance du Fils de Dieu, l'incarnation de Dieu, saisit l'humanité et la projette dans cette transporalité que nous appe­lons éternité. Dieu a voulu devenir homme afin que l'homme puisse devenir Dieu et participer en plénitude à la vie éternelle. Nous allons suivre quelques instants l'enchaînement de cet admirabile commercium, de cet échange merveilleux.

Au commencement le Verbe de Dieu, le Logos, Lui qui est la lumière éclatante de la gloire de Dieu, expression parfaite de son être, le Logos est en face de Dieu, porté vers Dieu avec une puissance infinie, retournant sans fin à la source dont sans fin il jaillit, ce Logos est la lumière substantielle vraie, il est la vie et il est Dieu.

Ce Logos, sans quitter son commencement où il est éternellement engendré du Père, inaugure ­un nouveau commencement où il se laisse temporellement engendrer in sinus virginis, dans le sein d'une Vierge. Et dès cet instant, notre chair qu'il a assumée est arrachée à la corruption. Elle est entraînée avec lui dans l'élan qui le pousse vers son Père. Elle est destinée à la résurrection et à la divinisation.

 

Mes frères, j'attire votre attention sur le vocabulaire. Dans le texte original il est dit que ceux qui croient en ce Verbe de Dieu devenu chair, ceux-là sont tekna theou. Ce qui signifie lit­téralement : ils sont eux aussi engendrés de Dieu, tirant leur existence, ek theou, à partir de Dieu. Telle est notre noblesse, mes frères ! Nous comprenons mieux que la gloire de Dieu, c'est l'homme vivant, l'homme vivant de la même vie de Dieu, l'homme immergé dans le brasier Trinitaire et rayonnant, comme le fils de Dieu qu'il est devenu, la lumière et l'amour.

Il s’agit bien de l'homme dans sa chair, dans ce fragile édifice de substances organiques, et une chair personnalisée, la mienne, pas celle d'un autre. Et cette chair, mes frères, vais-je la prendre et la jeter en pâture au péché ? Certes la loi du péché domine sur elle, mais contre elle et malgré elle. Et en elle, la puissance de la gé­nération en Dieu est infiniment plus forte. Nous voyons la jonction entre la logique de la génération divine des hommes et la logique de l'amour. Les deux sont iden­tiques.

Aujourd'hui, qui est un aujourd'hui d'éternité, relevons la tête, mes frères ! Nous savons d'où nous venons et où nous allons. Et grâce soit rendue à Dieu notre Père qui par son Fils Jésus le Christ notre Seigneur nous appelle à une telle sublimité de destin dès le moment présent pour une éternité de gloire.

 

                                                                                                              Amen.

 

Temps de Noël : Fête de Saint Etienne.         26.12.81

      Homélie : Etienne, chrétien accompli.

 

Mes frères,

 

Pour quelle raison l'Esprit Saint a-t-il voulu que nous fut rapporté le lynchage du diacre Etienne ? Pour le savoir nous devons nous reporter du récit abrégé que nous venons d’entendre à l'épisode entier. Etienne, un homme rempli de la force et de la sagesse de Dieu, un serviteur de son Maître le Christ et de ses frères, il est arrê­té et conduit devant un tribunal. Il prononce un long discours. Puis, c'est l'altercation, les invectives et finalement le meurtre. Nous voyons ainsi se profiler' le portrait d'Etienne, s'imposer la figure radieuse et triomphale d'un martyre.

Etienne est un prototype. Il nous enseigne où est notre de­voir même si nous ne sommes pas comme lui appelez jusqu'au sang. L'intention de l'Esprit, la voici : camper sous nos yeux un chré­tien parfait, achevé. Et pourquoi Etienne est-il un chrétien ac­compli ? Mais parce que il a poussé jusqu'à son point extrême la logi­que de l'amour. Etienne est taraudé par l'amour. La fameuse Parole du Christ : Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour celui qu’on aime, elle est tombée en lui. Elle n'est pas tom­bée sur une terre ingrate.

Etienne vit en état d'extase. Il vit hors de lui. Il ne peut pas ne pas être témoin et martyr. Etienne n'a pas mis sa vie au service d'une doctrine, d'une idéologie, d'une cause. Il l'a sacri­fiée à une personne, une personne qu'il voit des yeux d'une foi éveillée, une personne avec laquelle il vit de toute l'ardeur de son être passionné, d'une personne qu'il aime jusqu'à en devenir fou.

 

Mes frères, permettez-moi à moi aussi un brin de déraison et pardonnez-moi ! Je vais prêter ma langue à Etienne. Qui va parler ? Est-ce Etienne ou est-ce moi ? Je ne le sais pas, ne faites pas la distinction !

Cette personne, le Christ Jésus, a livré sa vie pour moi. Il est mort pour moi, à ma place. Si je vis, si je suis ici en train de vous parler, c'est grâce à lui. Vous pouvez prétendre le con­traire ! Moi, je connais mon expérience et je sais. Je me tiens debout entre cette personne, le Christ et vous. N'essayez pas de toucher au Christ, vous devriez d'abord m'atteindre et m'abattre.

Voilà, mes frères l'essence du témoignage chrétien. Le Christ est mort et ressuscité pour nous, pour moi. Si bien que je ne vis plus pour moi-même. Et si je meurs, c'est pour lui. Dans la vie et dans la mort, c'est au Christ que j'appartiens.

 

Je vous conseille d'être attentif à un article qui va être présenté à partir d'aujourd'hui au cours de notre dîner. Le Théolo­gien Balthazar va dégager la spécificité du martyre chrétien. Et pour terminer, laissez-moi vous dire que le vrai contempla­tif est le frère d'Etienne. En lui comme en Etienne le Christ a triomphé. Et par lui il triomphe grâce au témoignage d'un amour au-delà duquel rien de plus grand ne peut être pensé.

 

                                                                                                             Amen.

 

Temps de Noël : Fête de la Sainte Famille.     27.12.81

Chapitre : Nous sommes tous des handicapés.  

 

Mes frères,

 

Ce matin, je vais reprendre un sujet que j'ai abordé le pre­mier Janvier. Vous n'avez pas oublié que les Nations Unies avaient décidé que l'année 81 serait consacrée aux handicapés. L'intention n'était pas de nous amener à nous apitoyer sur leur sort, mais plutôt de nous sensibiliser à la présence des han­dicapés parmi nous, à nous rappeler leurs problèmes, leurs diffi­cultés.

Leur infirmité, en effet les relègue dans une marginalité humiliante et déprimante alors qu'ils ont droit tout comme nous, comme tout être humain, à un épanouissement libérateur et créa­teur. Il importe donc d'aménager la vie sociale afin de leur per­mettre une intégration parfaite. Il faut dire que l'opinion publi­que a été touchée et que des mesures sont déjà prises afin de per­mettre aux handicapés de s'adapter comme les autres à la vie de tous les jours.

Je pense, par exemple, aux nouvelles stations de métro, aux grandes surfaces de vente, aux écoles, aux ateliers protégés, enfin, beaucoup de réalisations qui sont en voie d'accomplissement. Mais ce n'est pas de cela que je veux vous parler. Vous pou­vez consulter les revues spécialisées. Je vous le dis, toute cette année a été assez bien remuée par une réflexion sur le sort des handicapés.

 

Mais je voudrais vous dire que tous autant que nous sommes, nous sommes à des degrés divers, nous sommes des handicapés. Nous portons inscrit dans notre système nerveux central et périphéri­que le drame de notre naissance, les tares de notre hérédité, les traumatismes de notre enfance, de notre adolescence, les tra­ces de nos erreurs, de nos péchés, de nos expériences malheureuses. Nous avons chacun nos déficiences physiques et psychiques.

Or, une voix en nous crie que nous voulons être reconnus, acceptés, respectés tels que nous sommes, que nous désirons être aimés et conduits à la réussite de notre vie. Or cette réussite, elle est pour chacun d'entre nous la trans­formation de ce corps de misère en un corps de gloire, que ce ne soit plus nous qui vivions, mais le Christ qui vive en nous. En nous ? Mais en nous bien concret !

Non pas un nous idéa­lisé, un nous idolâtré, un nous irréalisable, inexistant, mais nous dans nos limites, dans nos capacités d'handicapés. Que ce soit le Christ qui batte dans notre coeur jusqu'à ce que nous ne fas­sions plus qu'un seul esprit avec lui et que nous parvenions à notre parfaite stature d'homme en lui.

 

Ce que nous désirons, mes frères, c'est que notre coeur, l'intime de notre être, là où nous sommes nous, là où notre nom ir­remplaçable est inscrit, que nous soyons purifiés et que de nos yeux nouveaux nous puissions contempler notre Dieu, que nous puis­sions voir sa lumière et nous-mêmes devenir lumière. Voilà ce qui est inscrit en nous ! Voilà ce que nous appelons, ce que nous demandons, nous qui sommes des handicapés. Une lucidité courageuse doit nous faire entrer dans la vérité sur notre condition réelle. Et cette lucidité courageuse n'est au­tre que la sainte et belle démarche de l'humilité.

Et lorsque cette démarche est accomplie, nous sommes mûrs pour être comblés. Dieu a les mains libres pour nous enrichir de ses dons, pour nous enrichir de sa vie. Sinon, que va-t-il arri­ver ? Nous allons gaspiller ce qu'il désire nous donner. Alors, il attend, il attend que nous soyons devenus vrais. Et lorsque cette démarche de l'humilité est achevée, nous sommes aussi capables d'accepter les autres tels qu'ils sont et d'entrer avec eux dans des relations fraternelles enrichissantes pour les deux.

 

Vous voyez, cette année du handicapé, elle débouche sur une vision spirituelle extraordinaire. Naturellement, les dirigeants des Nations Unies n'ont pas pensé à tout ça. Mais l'Esprit de Dieu qui travaille en eux s'est servi d'eux, de leurs antennes pour nous lancer un message que nous captons aujourd'hui.

Saint Benoît - puisque nous sommes dans un monastère Bénédictin - n'a pas attendu, lui, l'année des handicapés pour nous dire des choses très vraies. Rappelez-vous ! Il nous dit : chacun dans le monastère a son don - son charisme dirait-on aujourd'hui - l'un d'une sorte, l'autre de l'autre...

Et l'Abbé doit tout tempérer, tout adapter pour que les forts aient le désir de donner davantage, et pour que les faibles ne soient pas découragés. Si bien que il doit : multorum servire moribus, 2,85. Il doit se mettre au service des caractères, des moeurs, des façons de vivre, et de voir, et de se conduire de chacun. Car dans un monastère chacun a le droit absolu d'être lui.

 

Et cette si belle parole qui dit tout et qui nous montre que Saint Benoît vivait déjà de son temps cette année du handicapé. Il dit : les infirmes, infirmitates, les faiblesses du corps et

de l'âme - nous dirions aujourd'hui physiques et psychiques de chacun, il faut les porter patientissime, avec une patience in­finie, 72,9.

N'est-ce pas cela, mes frères, qui est demandé aux handicapés que nous sommes ? Que nous nous supportions avec une patience sans bornes dans nos infirmités physiques et psychiques. Pas seulement nous supporter les uns les autres, mais d'abord nous supporter nous-mêmes dans nos limites. Et ainsi, mes frères, comme le demande Saint Benoît, personne ne sera contristé dans la maison de Dieu.

Voyez un peu quel programme ! N'est-ce pas beau au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer ? Aujourd'hui, nous célébrons la fête de la Sainte Famille. Eh bien, une famille sainte est une famille où ce programme de Saint Benoît est pris au sérieux et appliqué par chacun. Dans cette famille de Nazareth, il ne faut pas penser que c'étaient des surhommes ?

 

Non, c'étaient une femme, un homme et un enfant avec eux aussi leur hérédité, leurs limites, leurs fai­blesses, leurs erreurs. Oui mes frères, ce n'était pas des péchés ! Mais ils étaient des hommes à part entière comme nous. Or, cette famille était l'image de la famille Trinitaire où chacun se reçoit des autres et se restitue aux autres, où chacun n'est que pure relation aux autres.

Mes frères, notre communauté, si elle s'efforce de reproduire cet exemple de la famille de Nazareth, si elle accepte ses limites et ses handicaps, notre communauté va devenir toujours davantage un milieu épanouissant pour chacun. Remercions Dieu pour la grâce qu'il nous a faite dans cette année. Elle a réveillé notre conscience.

Je dois dire que dans notre communauté il circule une vie qui est fervente de charité, que notre communauté est vraiment un milieu où chacun se recon­naît et s'accepte toujours davantage tel qu'il est et, où deve­nant toujours plus à notre aise dans notre propre peau, nous ac­ceptons aussi que les autres soient à l'aise dans la leur. Et, lubrifiés par cet esprit, tous nous vivons les uns avec les autres comme les membres d'un corps, d'un corps harmonieux, d'un corps équilibré, d'un corps souple qui peu danser - le mot n'est pas trop osé - qui peut danser au souffle si prenant et si envoûtant de l'Esprit.

 

Et permettez-moi de vous remercier chacun d'entrer dans cette vision de Dieu sur notre communauté, sur notre monastère. Et ainsi j'en suis certain, à partir de cette petite portion du Royaume de Dieu qu'est la terre de Saint Remy, il se disperse dans le monde des ondes d'amour, des ondes de bonté qui font que les handicapés maintenant partout où ils sont se trouvent mieux reconnus,mieux acceptés, mieux aimés.

 

 

 

 

Temps de Noël : Fête de la Sainte Famille.    27.12.81*

      Homélie : Siméon l’étranger.

 

Mes frères,

 

Le contenu de la Parole divine est inépuisable. Aujourd'hui se révèle dans la spontanéité d'un geste simple, beau, mais pour­tant insolite, un mystère que nous allons ensemble contempler afin de nous laisser pénétrer et transformer par lui.

Un homme, un étranger, Siméon, prend dans ses bras un enfant, l'enfant Jésus âgé de 6 semaines. Et la mère, Marie, laisse faire. Mieux, elle a du sans complexes, sans craintes confier, abandon­ner à cet inconnu le trésor le plus précieux que la terre n’ait ja­mais porté. N'était-ce pas risque insensé, folle imprudence ? Certes, l'Esprit de Dieu reposait sur Siméon. Il devait de cet homme irradier quelque chose qui inspirait la confiance. Mais malgré tout, c'était un étranger rencontré par hasard dans la cour du temple.

 

Mes frères, en un éclair, je suis au point focal qui justifie les entreprises les plus audacieuses et les plus humainement ab­surdes de Dieu. Dieu est amour et il transforme en amour tout ce qu'il touche. Et l'amour est un feu insatiable qui brûle, qui con­sume, qui fait prendre le risque fou de la confiance absolue.

Marie, Joseph, Jésus, Dieu lui-même vivent dans le souffle de cette confiance sans limite. Et c'est la raison pour laquelle ils sont pour jamais le modèle insurpassable de toute relation sociale équilibrante, en particulier au sein des familles, de toutes les familles sans exceptions, y compris la famille monas­tique.

            Dieu ouvre un crédit absolu à une jeune fille pour une mis­sion qui ferait reculer les plus forts : être pour l'éternité la mère de Dieu. Et Marie s'ouvre sans réserve à ce Dieu qui la sol­licite : Voici la servante du Seigneur, qu'il m'advienne selon ta Parole. Joseph, quant à lui, ajoute foi à des propos qui lui sont adressés dans un rêve. Et Jésus, il fait corps avec sa mission : être Amen, être Oui sans retour.

 

Et ainsi en fut-il, mes frères, pour Joseph, pour Marie, pour Jésus, pour Dieu aussi, ne le laissons pas de côté ; ainsi en fut­-il jour après jour, heure après heure, dans les situations les

plus ordinaires et dans les aléas les plus tragiques ; ainsi en fut-il dans le temple lorsque Marie déposa son fils, son bébé, dans les bras de cet étranger.

Mes frères, la confiance est fleur et nourriture de l'amour. Or sans amour, vous le savez, il est impossible à un homme de survivre et à une société de subsister, que ce soit la communauté internationale, un état, une famille, un monastère. Le risque de la confiance, oserons-nous le prendre ? Et j'en­tends une confiance tous azimuts, de notre réponse dépend la réussite ou l'échec de notre vie.

Cette réponse, je le sais mes frères, elle est un oui franc et massif et je vous en remercie. S'il nous arrive de faiblir, suivons le conseil de Saint Benoît, crions vers Dieu et demandons ­lui d'ordonner à sa grâce de venir à notre aide. Et ainsi, nous ouvrant à une confiance de plus en plus large, nous entrerons avec Jésus, Marie et Joseph, avec tous les saints, dans la grande famille de Dieu pour des siècles sans fin.

                                                                                                                         Amen.

Temps de Noël : Fête des Saints Innocents.    28.12.81

Homélie : L’égoïsme.

 

Mes frères,

 

La tuerie qui vient d'être évoquée, tuerie cruelle, atroce, inutile, cette tuerie laisse suinter une sanie que je sens glis­ser sur ma peau et qui me fait révulser d'horreur ; horreur redoublée, car cette sanie je la connais, je l'ai déjà rencontrée ailleurs. Elle est faite d'un amalgame de peurs et de refus. Elle est sécrétée par une glande qu'on appelle l'égoïsme : moi, rien que moi, tout pour moi.

 

Hérode, c'est l'homme dans sa bêtise, dans sa sauvagerie, dans sa férocité : l'homme égoïste. Et ici, mes frères, pensons également à nous car nous ne sommes pas des hommes. Et une luci­dité courageuse et humble n'est-elle pas la première condition du Salut ? Hérode, quand à lui, n'était-il pas égaré par l'aveugle­ment et étouffé par la lâcheté ?

Si je me considère comme le centre du monde, même le petit monde familier qui est le mien, je finis par tomber dans la paranoïa. J'interprète tout en terme d'usurpation, d'agression, de concurrence. Je suis dominé par la peur et je m'installe, je m'enferme dans le refus. Sans en avoir conscience peut-être, mais bien réellement, je me dresse contre Dieu et je tente de l'anéantir. L'affrontement entre Hérode et le Christ, il se joue au secret de nos coeurs. Et les victimes innocentes, ce sont nos frères.

Attention à nos pensées méchantes, à nos jugements précipités, à nos condamnations sans appel ! Ce que vous faites au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait. Le Christ a échappé à Hérode, mais pour un temps seulement. Hérode s'est métamorphosé. Il est devenu le peuple Juif, l'huma­nité entière, l'homme de son hybris. Et le Christ-Dieu a été cru­cifié, crucifié aux cris de : nous ne voulons pas de lui !

 

Mes frères, le Christ nous a appelés à le suivre. Et il nous invite chaque jour à nous convertir de la peur à la confiance, du refus à l'accueil, de l'égoïsme à l'amour. Le monastère est une scola caritatis, une école où on apprend la science sublime de l'amour. Hérode meurt, l'égoïsme s'évanouit. Ce n'est plus moi qui vit, c'est le Christ qui vit et qui triomphe en moi.

 

                                                                                                         Amen.

 

Temps de Noël : 5° jour de l’octave.             29.12.81

      Homélie : Siméon, modèle de patience.

 

Mes frères,

 

Voici à nouveau le juste, le sage Siméon. Aurait-il quelque chose à nous annoncer aujourd'hui ?  Ne pourrait-il être compté parmi nos lointains ancêtres, nos premiers ancêtres dans la vie monastique ? Examinons, si vous le voulez, sa fiche signalétique. Il s'appelle Siméon, ce qui signifie : l'écoutant, l'obéissant. L'Es­prit de Dieu repose sur lui et le conduit. Des yeux spirituels de son coeur purifié, il voit le Christ lumière du monde. Et il est mûr pour entrer dans la paix, le shalom, l'accomplissement de sa personne dans la plénitude de son Créateur.

Ne reconnaissez-vous pas en lui quelques traits du visage de notre père Saint Benoît ? Notre Saint Patriarche était un homme de Dieu, un pneumatophore. Il contemplait l'univers entier ramas­sé dans un rayon de lumière. Son coeur pur doté d'yeux spirituels voyait l'invisible. Et il avait établit sa demeure dans la paix. Oui, mes frères, Saint Benoît est bien un parent de Siméon.

 

Mais la qualité dominante que je vois en Siméon, c'est celle qui soutient toutes les autres et qui, de quelque façon, le rend comme contemporain de Dieu: c'est la patience. Siméon était un homme qui savait attendre sans se lasser et sans reculer. Non lassescat vel discedat, dira Saint Benoît, 7,97. Et il attendait Dieu avec la même patience douce et ferme que Dieu lui-même met à nous attendre, nous. Expectat nos cotidie, dira encore Saint Benoît. Pr.84. Une telle attente, fruit de la confiance et de l'amour, at­teint Dieu à son point le plus intime. Elle le désarme et elle obtient tout de lui.

Attendre signifie positivement : marcher courageusement sur la voie des commandements de Dieu. L'Apôtre Jean vient de nous le redire. 1 Jn 3, 3-11. Garder les commandements, marcher sur la voie où Jésus lui-­même a marché, la voie de l'amour et de la lumière, la voie du don de soi sans calculs ni réserve, mes frères, cette voie est austère et belle. Mais c'est la voie de la libération et c'est la voie de la découverte.

 

Ainsi nous voyons Dieu qui est amour et lumière, et qui est patience, se réverbérer en Siméon, en Siméon, en Saint Benoît, en tout homme qui croit, qui s'ouvre et qui se donne. Mes frères, Dieu désire réaliser en nous des choses admira­bles, entre autre le prodige de cette réverbération de son être en nous. Il nous en donne encore la preuve aujourd'hui.

Laissez-moi pour terminer vous dire que je viens de vous dé­livrer un message de la part de l'Esprit Saint. Puissiez-vous l'accueillir et le garder précieusement dans un coeur bon et géné­reux.

 

                                                                                                              Amen.

 

Temps de Noël : 6° jour de l’octave.             30.12.81

      Homélie : L’attente dans le jeûne et la prière.

 

Mes frères,

 

Anne était prophète. L'Esprit habitait en elle qui la mouvait, qui l'inspirait. Il lui faisait poser des actes et proférer des paroles révélant la présence au milieu des hommes d'un monde nou­veau, d'un monde autre, le Royaume de Dieu. Déjà en sa personne, Anne était un davar, un discours muet, un Evangile. Que nous annonce-t-elle aujourd'hui ? Elle nous an­nonce une bonne nouvelle dont je vous renvoie fidèlement l'écho. La voici :

L'attente dans une infatigable patience dont je vous ai par­lé hier à propos de Siméon, la même attente qui tenait Anne jour et nuit dans le temple, cette attente devenue le propre du chré­tien, du veilleur, du moine, cette attente qui est espérance et prémices de possession, elle est une respiration profonde, régu­lière, paisible. Elle aspire l'oxygène de vie qui est le vouloir amoureux de notre Dieu et elle restitue un souffle qui est grati­tude, joie, ferveur.

 

Anne nous dit que cette respiration s'opère par le moyen de deux poumons : le jeûne et la prière. Et nous voici, mes frères,en plein dans la vie monastique. Le champ à explorer serait immense. On n'y découvrirait que beauté. Je détache un échantillon que je vous présente :

Le jeûne, avec la faim qu'il éveille, l'appétit qu'il aiguise, la sensation de légèreté qu'il crée, le jeûne est le symbole per­manent du besoin inscrit en moi d'une nourriture substantielle qui n'est autre que Dieu lui-même dans son être d'éternité. Je veux voir Dieu, je veux vivre de la vie de Dieu. Voilà le cri du jeûne en moi !

La prière, de son côté, me donne ce que j'attends. Elle me le donne déjà. Elle est fusion et dilatation de mon être en Dieu. Ce n'est plus moi qui vit, c'est Dieu qui commence à vivre en moi. Maintenant, le jeûne et la prière ensemble chasse, comme le dira plus tard Jésus, le démon sourd et muet. Ce démon qui ferme à Dieu et qui jette dans les convulsions hystériques de l'orgueil.

 

Mes frères, l'attente, aussi longue soit-elle, devient ainsi initiation à une communion qui s'achemine vers ce qui est déjà un début de Transfiguration. L'Eucharistie, nourriture vraie et super substantielle, nous rappelle chaque jour que dans cette attente se trouve l'épanouissement présent de notre vie.

 

                                                                                                            Amen.

 

Temps de Noël : Dernier jour de l’année.        31.12.81

      Homélie : La vraie Lumière.

 

Mes frères,

 

Aujourd'hui la liturgie proclame comme au jour de Noël le commencement de l'Evangile selon Saint Jean. On dirait que l'Eglise veut se redire la stupéfiante vérité : elle a pour époux Dieu lui-même. Avec Lui, elle ne fait qu'un seul esprit. Elle le répète avec émotion, sans forfanterie, dans la reconnaissance et l'ado­ration. Longuement elle contemple son Christ dans lequel s'accom­plit l'ineffable union.

Et elle remonte au commencement, à ce commencement mysté­rieux qui est le point d'impact de l'éternel sur le temporel, de l'éternité sur notre temps : Au commencement était le Verbe. Et le Verbe était Dieu. Et le Verbe était la vraie Lumière.

 

La vraie lumière ! Ce n'est pas une locution poétique ? C'est l'affirmation d'une réalité existentielle. En effet il ex­iste une lumière dont la notre, celle qui impressionne nos yeux de chair, est le symbole. Une lumière qui est le rayonnement resplendissant de la source, le Père, qui est la gloire emplissant et soutenant l'univers ; une lumière qui est le véhicule de l'infinitude des énergies divines.

Les yeux transfigurés d'un coeur devenu cristal voient cet­te lumière. Et dans la vision de la lumière qu'est le Verbe se trouve la vie éternelle. Car le Verbe est aussi la VIE. La création animée raconte que le Verbe, son Créateur, est la vie véritable et que le don de cette vie est le cadeau suprême que Dieu a consenti en faveur des hommes.

C'est la vie incorruptible, la vie impérissable dans le par­tage conscient de la nature divine. Une vie qui est amour pléni­fiant, amour qui comble le coeur, qui le dilate, et qui lui per­met d'embrasser l'univers entier.

 

Et le Verbe qui est la vie et qui est la lumière, il est de­venu chair. Il n'a pas annulé notre condition terrestre ? Non, il l'assume en lui, il la purifie et il la spiritualise. L'homme parfait, c'est l'homme ressuscité, dégagé du péché, libéré de la mort, l'homme devenu à son tour lumière et vie dans le Christ.

Mes frères, voilà notre avenir, le notre, celui de tous les hommes. L'Eglise le sait, elle en vit en le construisant. Un mo­nastère, c'est un lieu où cet avenir est rendu visiblement présent au coeur du monde. Telle est notre mission, mes frères, ne l'oublions jamais.

 

                                                                                                             Amen.